Réponse écrite du Guyana à la question posée par M. le juge Bennouna à l'audience publique tenue le 30 juin 2020 à 14 heures

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171-20200706-OTH-01-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
Réponse de la République coopérative du Guyana à la question posée par M. le juge Bennouna le 30 juin 2020
[Traduction]
Le 6 juillet 2020
Question :
«Le paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève du 17 février 1966 se conclut par une alternative selon laquelle soit que la controverse a été résolue soit que tous les moyens de règlement pacifique prévus à l’article 33 de la Charte des Nations Unies ont été épuisés. Ma question est la suivante : Est-il possible de concevoir une situation où tous les moyens de règlement pacifique ont été épuisés sans que la controverse n’ait été résolue ?»
Réponse :
1. La réponse du Guyana à la question posée par M. le juge Bennouna est négative.
2. L’accord de Genève de 1966 a établi une procédure visant à s’assurer de parvenir à un règlement complet et définitif du différend. Cela ressort clairement du texte de l’accord, de son objet et de son but, ainsi que des déclarations que les Parties ont faites à l’époque et qui reflètent la manière dont elles comprenaient cet instrument.
3. Cette procédure est énoncée aux articles I à IV de l’accord. Les trois premiers articles prévoient le règlement du différend par la voie de négociations diplomatiques, menées par une commission mixte composée de deux représentants de chaque Partie.
4. En cas d’échec de cette commission dans un délai de quatre ans, le paragraphe 1 de l’article IV dispose que les Parties conviennent d’un autre moyen de règlement. A défaut d’accord entre elles, le paragraphe 2 décrit la procédure à suivre pour choisir un autre moyen et régler le différend.
5. Aux termes de ce paragraphe, le moyen de règlement est choisi par un organisme international compétent désigné d’un commun accord par les Parties ou, si elles ne parviennent pas à s’entendre sur ce point, par le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies. Dans ce cas, ce dernier choisit un moyen de règlement parmi ceux énoncés à l’article 33 de la Charte des Nations Unies. Si le moyen ainsi choisi n’aboutit pas à une solution, le Secrétaire général est habilité à choisir un autre de ces moyens, jusqu’à ce que le différend soit réglé définitivement (ou jusqu’à épuisement de tous les moyens énumérés).
6. Le fait que l’arbitrage et le règlement judiciaire figurent parmi les moyens énoncés à l’article 33 garantit un règlement complet et définitif du différend découlant de la thèse, avancée par le Venezuela, de la nullité de la sentence arbitrale du 3 octobre 1899.
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7. En vertu du paragraphe 2 de l’article IV, le Secrétaire général était habilité à choisir d’autres moyens de règlement avant l’arbitrage ou le règlement judiciaire, et c’est d’ailleurs ce qu’il a fait. En premier lieu, il a ainsi retenu la procédure des bons offices, que le Venezuela considère comme faisant partie des «autres moyens» énoncés à l’article 331. Le Secrétaire général ayant toutefois constaté l’échec de cette procédure, le paragraphe 2 de l’article IV lui prescrivait de choisir un autre moyen, et ce, jusqu’à ce qu’un règlement complet et définitif du différend ait été trouvé. En cas d’échec de ces autres moyens, ladite disposition prévoit que le Secrétaire général choisisse en dernier ressort l’arbitrage ou le règlement judiciaire, l’un comme l’autre garantissant un règlement complet et définitif du différend.
8. Le paragraphe 2 de l’article IV garantit donc que l’objet et le but de l’accord seront atteints. Ceux-ci sont énoncés dans le titre de l’accord ⎯ «Accord tendant à régler le différend» entre le Venezuela et le Royaume-Uni relatif à la frontière entre le Venezuela et la Guyane britannique ⎯, ainsi que dans le dernier paragraphe du préambule, selon lequel les Parties «ont conclu l’accord suivant pour résoudre» le différend2.
9. En outre, il ressort tout à fait clairement des déclarations que les Parties ont faites à l’époque que l’objet et le but de l’accord étaient effectivement de trouver un règlement complet et définitif du différend, ce que garantissait le paragraphe 2 de l’article IV. Dans leur communiqué commun du 17 février 1966, publié au moment de la signature de l’accord, les Parties ont ainsi déclaré que l’accord fournissait «les moyens de régler» le différend et que ses «dispositions permettr[aient] d’aboutir à une solution définitive»3.
10. Les déclarations faites par le ministre des affaires étrangères du Venezuela, qui avait conduit la délégation vénézuélienne à Genève et négocié directement les termes de l’accord, lors de son allocution devant le Congrès national un mois après la signature dudit instrument revêtent une importance particulière. Ainsi que l’a relevé le conseil du Guyana à l’audience, le ministre, exhortant à la ratification de l’accord, avait alors déclaré ce qui suit :
«soucieux de trouver une issue honorable, j’ai exposé une troisième proposition vénézuélienne, qui visait à résoudre le problème frontalier en trois étapes [successives], assorties chacune d’une échéance, la particularité étant que le processus devait avoir une fin : a) commission mixte ; b) médiation ; c) arbitrage international»4.
1 Mémorandum de la République bolivarienne du Venezuela sur la requête déposée par la République coopérative du Guyana auprès de la Cour internationale de Justice (28 novembre 2019), par. 78 (dossier de plaidoiries, onglet no 6).
2 Accord tendant à régler le différend entre le Venezuela et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord relatif à la frontière entre le Venezuela et la Guyane britannique, Recueil des traités des Nations Unies (RTNU), vol. 561, p. 328 (17 février 1966), préambule (annexe 4 à la requête du Guyana, dossier de plaidoiries, onglet no 5).
3 Minister of Foreign Affairs of Venezuela, Minister of Foreign Affairs of the United Kingdom, and Prime Minister of British Guiana, Joint Statement on the Ministerial Conversations from Geneva on 16 and 17 February 1966 (17 February 1966), reproduite dans Republic of Venezuela, Ministry of Foreign Affairs, Claim of Guyana Esequiba: Documents 1962-1981 (annexe 31 du mémoire du Guyana ; dossier de plaidoiries, onglet no 9).
4 Déclaration de M. Iribarren Borges, ministre vénézuélien des affaires étrangères, devant le Congrès national du Venezuela (17 mars 1966), reproduite dans Republic of Venezuela, Ministry of Foreign Affairs, Claim of Guyana Esequiba: Documents 1962-1981, p. 9 (annexe 33 du mémoire du Guyana ; dossier de plaidoiries, onglet no 10).
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11. L’accord finalement conclu reposait sur cette «troisième» proposition. Ainsi que l’a affirmé le ministre,
«[e]n conclusion, en raison des objections du Venezuela acceptées par la Grande-Bretagne, il est admis sans équivoque que seul participera au choix du moyen de règlement le Secrétaire général de l’ONU ... [C]onformément à l’article 4, si aucune solution satisfaisant le Venezuela ne devait être trouvée, la sentence de 1899 devrait être révisée par voie d’arbitrage ou de recours à une instance judiciaire»5.
12. Selon le ministre, bien que le Royaume-Uni et la Guyane britannique se fussent opposés à l’ajout d’une référence spécifique à l’arbitrage ou à un recours à une instance judiciaire,
«[u]ne fois l’objection contournée en substituant à cette mention spécifique la référence à l’article 33 de la Charte des Nations Unies, qui prévoit ces deux procédures que sont l’arbitrage et le recours à la Cour internationale de Justice, la possibilité de parvenir à un accord redevint envisageable. C’est sur la base de cette proposition du Venezuela que l’accord de Genève fut conclu»6.
13. En conséquence, ainsi que l’a exposé le chef de la délégation vénézuélienne à Genève, la position de son pays était que, pour qu’un accord soit conclu, celui-ci devait permettre un règlement complet et définitif du différend, que seul garantissait, en cas d’échec des autres moyens de règlement, le recours en dernier ressort à l’arbitrage international ou à la Cour internationale de Justice. C’est à cette fin que le libellé du paragraphe 2 de l’article IV a été adopté. En disposant que le Secrétaire général devait choisir un moyen de règlement parmi ceux énoncés à l’article 33, et ce, jusqu’à ce qu’un règlement complet et définitif du différend ait été trouvé, l’accord prévoyait, au besoin, le recours à l’arbitrage international ou à la Cour. Selon les termes mêmes du Venezuela, «[c]’est sur la base de cette proposition du Venezuela que l’accord de Genève fut conclu»7.
14. Il est incontestable que le choix de la Cour, par le Secrétaire général, assure un règlement définitif du différend. Il ressort en effet clairement de l’article 94 de la Charte des Nations Unies et des articles 59 et 60 du Statut de la Cour qu’un arrêt de celle-ci concernant le statut et l’effet juridiques de la sentence arbitrale de 1899 serait définitif et obligatoire pour le Venezuela et le Guyana. En conséquence, le choix du Secrétaire général, qui s’est porté sur le règlement judiciaire, écarte, de par la nature même de ce moyen, toute possibilité que le différend demeure irrésolu.
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5 Déclaration de M. Iribarren Borges, ministre vénézuélien des affaires étrangères, devant le Congrès national du Venezuela (17 mars 1966), reproduite dans Republic of Venezuela, Ministry of Foreign Affairs, Claim of Guyana Esequiba: Documents 1962-1981, p. 17 ; les italiques sont de nous (annexe 33 du mémoire du Guyana ; dossier de plaidoiries, onglet no 10).
6 Ibid., p. 13 ; les italiques sont de nous.
7 Ibid.

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