Non-Corrigé
Uncorrected
CR 2008/7
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LAAYE THHEGUE
ANNÉE 2008
Audience publique
tenue le mardi 29 janvier 2008, à 15 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de Mme Higgins, président,
en l’affaire relative à Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale
(Djibouti c. France)
________________
COMPTE RENDU
________________
YEAR 2008
Public sitting
held on Tuesday 29 January 2008, at 3 p.m., at the Peace Palace,
President Higgins presiding,
in the case concerning Certain Questions of Mutual Assistance in Criminal Matters
(Djibouti v. France)
____________________
VERBATIM RECORD
____________________ - 2 -
Présents : Mme Higgins,président
Al-Kh.vse-prh,ident
RanMjva.
Shi
Koroma
Parra-Aranguren
Buergenthal
Owada
Simma
Tomka
Keith
Sepúlveda-Amor
Bennouna
Skoteiskov,
GuMilMu.me
juYessuf, ad hoc
Cgoefferr,
⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 3 -
Present: Presieitgins
Vice-Presi-nhtasawneh
Judges Ranjeva
Shi
Koroma
Parra-Aranguren
Buergenthal
Owada
Simma
Tomka
Keith
Sepúlveda-Amor
Bennouna
Skotnikov
Judges ad hoc Guillaume
Yusuf
Registrar Couvreur
⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 4 -
Le Gouvernement de la République de Djibouti est représenté par :
S. Exc. M. Siad Mohamed Doualeh, ambassadeur de la République de Djibouti auprès de la
Confédération suisse,
comme agent ;
M. Phon van den Biesen, avocat, Amsterdam,
comme agent adjoint ;
M. Luigi Condorelli, professeur à la faculté de droit de l’Université de Florence,
comme conseil et avocat ;
M. Djama Souleiman Ali, procureur général de la République de Djibouti,
M. Makane Moïse Mbengue, docteur en droit, chercheur, Hauser Global Law School Program de
la faculté de droit de l’Université de New York,
M. Michail S. Vagias, Ph.D. Cand. à l’Université de Leyde, chercheur, Greek State Scholarship’s
Foundation,
M. Paolo Palchetti, professeur associé à l’Université de Macerata (Italie),
Mme Souad Houssein Farah, conseiller juridique à la présidence de la République de Djibouti,
comme conseils.
Le Gouvernement de la République française est représenté par :
Mme Edwige Belliard, directeur des affaires ju ridiques du ministère des affaires étrangères et
européennes,
comme agent ;
M. Alain Pellet, professeur à l’Université ParisX-Nanterre, membre et ancien président de la
Commission du droit international des Nations Unies, associé de l’Institut de droit international,
M. Hervé Ascensio, professeur à l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne),
comme conseils ;
M. Samuel Laine, chef du bureau de l’entraide pénale internationale au ministère de la justice,
comme conseiller ; - 5 -
The Government of the Republic of Djibouti is represented by:
Mr. Siad Mohamed Doualeh, Ambassador of the Republic of Djibouti to the Swiss Confederation,
as Agent;
Mr. Phon van den Biesen, Attorney at Law, Amsterdam,
as Deputy Agent;
Mr. Luigi Condorelli, Professor at the Faculty of Law of the University of Florence,
as Counsel and Advocate;
Mr. Djama Souleiman Ali, Public Prosecutor of the Republic of Djibouti,
Mr. Makane Moïse Mbengue, Doctor of Law, Researcher, Hauser Global Law School Program,
New York University School of Law,
Mr.MichailS.Vagias, Ph.D. Cand. Leiden Univ ersity, Scholar of the Greek State Scholarships
Foundation,
Mr. Paolo Palchetti, Associate Professor at the University of Macerata (Italy),
Ms Souad Houssein Farah, Legal Adviser to the Presidency of the Republic of Djibouti
as Counsel.
The Government of the French Republic is represented by:
Ms Edwige Belliard, Director of Legal Affairs, Ministry of Foreign and European Affairs,
as Agent;
Mr. Alain Pellet, Professor at the University of Paris X-Nanterre, Member and former Chairman of
the United Nations International Law Commi ssion, Associate of the Institut de droit
international,
Mr. Hervé Ascensio, Professor at the University of Paris I (Panthéon-Sorbonne),
as Counsel;
Mr.Samuel Laine, Head of the Office of Inte rnational Mutual Assistance in Criminal Matters,
Ministry of Justice,
as Adviser; - 6 -
Mlle Sandrine Barbier, chargée de mission à la direction des affaires juridiques du ministère des
affaires étrangères et européennes,
M. Antoine Ollivier, chargé de mission à la di rection des affaires juridiques du ministère des
affaires étrangères et européennes,
M. Thierry Caboche, conseiller des affaires étrangères à la direction de l’Afrique et de l’océan
Indien du ministère des affaires étrangères et européennes,
comme assistants. - 7 -
MsSandrine Barbier, Chargée de mission, Director ate of Legal Affairs, Ministry of Foreign and
European Affairs,
Mr.Antoine Ollivier, Chargé de mission, Directorate of Legal Affairs, Ministry of Foreign and
European Affairs,
Mr.Thierry Caboche, Foreign Affa irs Counsellor, Directorate for Africa and the Indian Ocean,
Ministry of Foreign and European Affairs,
as Assistants. - 8 -
Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. La Cour se réunit cet
après-midi pour entendre le second de plaidoiries de la République française. La France aura la
parole cet après-midi, jusqu’à 18 heures. Je donne maintenant la parole à M. le professeur Pellet.
M. PELLET : Merci beaucoup, Madame le président.
L A COMPÉTENCE DE LA COUR ET LES CONCLUSIONS DU DEMANDEUR
1. Madame le président, Messieurs les juges, il me revient d’ouvrir les plaidoiries françaises
du second tour en présentant quelques remarques sur la compétence de la Cour et sur les demandes
contenues dans les conclusions finales de Djibouti. Avec votre permission, Madame le président,
le professeur Ascensio me succédera pour discuter l’ argumentation de la Partie adverse sur ce qui
constitue le cŒur même de notre affaire, son seul objet, le refus par la France de donner suite à la
commission rogatoire internationale émise par la juge d’instruction auprès du tribunal de grande
instance de Djibouti, le 3 novembre 2004. Et puis , si vous le voulez bien, je reviendrai ensuite à
cette barre pour me pencher sur la question d es immunités de certains officiels djiboutiens,
prétendument violées par le défendeur, avant que l’agent de la République française formule de
brèves remarques et lise nos conclusions finales.
I. La compétence de la Cour
2. Madame le président, le professeur Condor elli est assez longuement revenu, hier matin,
sur la question de la compétence de la Cour 1. Je n’ai pas de querelle avec lui pour ce qui est des
2
points d’accord entre les Parties qu’il a énumérés . Je relève cependant que, si je suis, en principe,
bien d’accord sur le fait que l’interprétation d es déclarations unilatérales croisées ne peut être
«exclusivement grammaticale» ⎯même si je n’ai pas dit cela bien que mon contradicteur me
l’impute entre guillemets 3, il faut tout de même garder à l’esprit qu’
«[u]ne déclaration unilatérale n’entraîne d’obligations pour l’Etat qui l’a formulée que
si elle a un objet clair et précis. En cas de doute sur la portée des engagements
1
CR 2008/6, p. 8-17 (Condorelli).
2
Ibid., p. 8-9, par. 2-5.
3Ibid., p. 9, par. 4. - 9 -
résultant d’une telle déclaration, ceux-ci doive nt être interprétés restrictivement. Pour
interpréter le contenu des engagements en qu estion, il est tenu compte en priorité du
texte de la décla4ation ainsi que du contexte et des circonstances dans lesquelles elle a
été formulée.»
3. Il s’agit là, Madame le président, du septiè me des principes directeurs de la Commission
du droit international applicables aux déclarations unilatérales des Etats susceptibles de créer des
obligations juridiques, principe qui s’appuie so igneusement (et presque exclusivement) sur la
jurisprudence de la Cour en la matière, et, en par ticulier, sur les arrêts rendus dans les affaires des
Essais nucléaires dans lesquels vous avez considéré que «[l]orsque des Etats font des déclarations
qui limitent leur liberté d’action future, une interprétation restrictive s’impose» ( Essais nucléaires
(Nouvelle-Zélande c.France), arrêt, C.I.J.Recueil1974 , p.267, par.44 et p.472 et 473, par.47).
Et la Commission de conclure de ceci: «L’inter prète doit donc faire preuve de la plus grande
prudence afin de déterminer la portée juridique de telles déclarations unilatérales…» 5
4. On ne peut pas dire que l’interprétati on forte audacieuse de la lettre du ministre des
6
affaires étrangères français du 25 juillet 2006 à laquelle vous appelle le professeur Condorelli
fasse preuve de cette «plus grande prudence». C’est en effet par cette lettre que la France a accepté
votre compétence dans la présente affaire. Or, il n’est apparemment pas inutile de le rappeler, c’est
cette lettre qui constitue le fondement de la compétence de la Cour ⎯pas la requête de Djibouti
qui, en elle-même, ne pouvait produire aucun effet, comme d’ailleurs le demandeur le reconnaissait
expressément : «la République de Djibouti entend fonde r la compétence de la Cour, en application
de l’article 38, paragraphe 5, du Règlement de la Cour et est confiante que la République française
7
acceptera de se soumettre à la compétence de la Cour pour le règlement du présent différend» .
5. Vous le savez, Madame le président, la Fr ance a répondu à cette confiance. Mais elle l’a
fait, comme elle en avait le dro it, en circonscrivant soigneusement son consentement au «différend
qui fait l’objet de la requête et dans les strictes limites des demandes formulées par la République
de Djibouti». Elle a donc assorti son consente ment d’une double condition: la Cour n’est
4 Commission du droit international, Rapport sur les travaux de sa cinquante-septièmesession , doc.A/61/10,
Principes directeurs applicables aux déclarations unilatérales des Etats susceptibl es de créer des obligations juridiques,
e
7 principe directeur, p. 396.
5 Commission du droit international, Rapport sur les travaux de sa cinquante-septièmesession , précitée,
p. 396-397, par. 2 du commentaire du 7eprincipe directeur.
6 MD, annexe II.
7 Requête, p. 16, par. 20. - 10 -
compétente que pour se prononcer sur l’objet de la requête ⎯ et car il y a «et» et non pas «ou», ni
«l’objet de la requête tel qu’il est défini par les demandes» ⎯ mais «sur l’objet de la requête et
dans les strictes limites des demandes» ainsi circonscrites : c’est-à-dire, celles qui correspondent à
l’objet de la requête.
6. A cet égard, il est singulier que le de mandeur nous reproche de nous fonder sur la
définition de l’objet du différend, telle qu’il l’a lui-même donnée au paragraphe 2 de sa requête, et
qu’il veuille l’assimiler aux demandes que contient aussi, mais par ailleurs, la requête, alors même
qu’il cite et l’article 40, paragraphe 1, du Stat ut de la Cour, qui parle du seul «objet du différend»,
et l’article 38 du Règlement, qui impose à l’auteur d’une requête devant la Cour d’indiquer «l’objet
du différend» ⎯et c’est le paragraphe1 ⎯ et «la nature précise de la demande» ⎯et c’est le
paragraphe2. Et le simple fait que ces exigences soient inscrites dans des dispositions distinctes
8
montre qu’on ne saurait les assimiler en un magma indistinct .
7. Je ne vois dès lors pas pourquoi le professeur Condorelli a cru pouvoir s’emparer d’une
9
prétendue «admission…absolument claire et dépourvue de toute réserve» qui résulterait de la
constatation de l’agent de la France selon laquelle «certaines des demandes relatives aux atteintes
aux immunités du président de la République de Djibouti ou d’autres personnalités officielles
10
figurent incontestablement dans la requête» . Assurément, certaines demandes du demandeur
portent sur ce point, mais, comme elles n’entrent pas dans l’objet du différend sur lequel porte la
requête ⎯tel, encore une fois, que la requête elle-même l’a défini expressément ⎯ elles ne
relèvent pas de la compétence de la Cour telle que la République française l’a acceptée. Et c’est
d’ailleurs très exactement ce que précisait Mme Belliard dans le passage qui suit immédiatement
celui que je viens de lire ⎯ et qui, seul, fait l’objet d’une citatio n de la part de mon contradicteur ;
elle ajoutait en effet aussitôt que ces demandes relatives aux immunités «sont manifestement
dénuées de tout lien avec l’objet du différend»; et, concluait-elle, ce n’est pas «ce que la
République française a accepté» 11.
8 Voir CR 2008/6, p. 11, par. 8 (Condorelli).
9
CR 2008/6, p. 13, par. 11 (Condorelli).
10CR 2008/4, p. 20, par. 37 (Belliard).
11Ibid. - 11 -
8. Certes, la compétence est définie par la «rencontre» de la requête et du consentement
donné par le défendeur en application de l’article 38, paragraphe 5, du Règlement, mais, encore une
fois, c’est ce dernier, le défendeur, qui fixe in fine l’étendue de votre juridiction.
9. Bien qu’il rende un hommage (auquel je suis sensible) au «brillant exercice de
gymnastique sémantique et lexicologique» auquel je me serais livré sur la question de la
modification subreptice (mais patente) de l’obje t du différend lorsque l’on passe de la requête au
12
mémoire , le professeur Condorelli, pour une fois, s’abs tient de rivaliser en brio sur ce point
⎯ alors qu’en matière de brio, on ne lui connaît pas de maître. Il se borne à affirmer que j’aurais
«oublié de tenir compte de deux facteurs cruc iaux»: il est, a-t-il dit, toujours loisible à un
demandeur «de préciser et de compléter sa requête» et d’ailleurs, en l’espèce il s’agit de simples
13
précisions et compléments . Ces observations lapidaires appellent trois remarques.
10. En premier lieu, il me paraît impossible d’ admettre qu’un Etat qui introduit une requête
sur la base (en elle-même insuffisante) de l’artic le38, paragraphe5, du Règlement, puisse «se
réserver le droit» de la compléter ultérieurement ⎯ et surtout après que l’acceptation du défendeur
a été explicitement donnée «pour le différend qui fait l’objet de la requête et dans les strictes
limites des demandes formulées dans celle-ci». Dans un cas de ce genre, l’objet de la requête et les
demandes correspondant à cet objet formulées dans la requête constituent les «strictes limites» de
la compétence de la Cour et aucune modification, en tout cas aucun élargissement de l’un et des
autres ne saurait être admis.
11. En deuxième lieu, je note que M. Condor elli est demeuré prudemment silencieux sur la
modification intervenue dans la définition de l’ objet du différend lorsque l’on passe de la requête
au mémoire. Je me permets de vous renvoyer su r ce point, Madame et Messieurs les juges, à
l’exercice non pas de «gymnastique» (c’est une act ivité dont j’ai horreur!), mais, pour reprendre
14
une expression que mon contradicteur s’est appliqué à lui-même, à l’exercice de «dissection fine»
(auquel j’ai essayé de m’atteler) du glissement sémantique opéré par Djibouti de l’un à l’autre de
12
CR 2008/6, p. 15, par. 16 (Condorelli).
13
Ibid.
14CR 2008/6, p. 33, par. 14 (Condorelli). - 12 -
15
ces documents : en prétendant que, dorénavant, l’objet du différend n’est plus le refus d’exécuter
la commission rogatoire internationale en viola tion de plusieurs obligations internationales
incombant à la France ⎯ce qui était dit dans la requête, mais la violation, cette fois, dans le
mémoire, du refus d’exécution de la commission rogatoire, ET la «violation connexe» d’ autres
obligations internationales pesant sur la France, la République de Djibouti ne dit pas la même chose
différemment, elle dit tout autre chose ⎯et, ce faisant, elle cherche évidemment à étendre la
compétence de la Cour au-delà du consentement donné par la France.
12. Troisièmement et enfin, la position de la Cour permanente dans l’affaire des Phosphates
16
du Maroc qu’a invoquée le professeur Condorelli n’est d’aucun secours à la Partie adverse : s’il
est évidemment toujours loisible à un Etat qui saisit la Cour de préciser sa position (dans les deux
sens du terme : soit parce qu’il en éclaircit le sens, soit parce qu’il limite l’objet de ses demandes),
il reste que, dans l’affaire qui nous occupe, on ne se trouve, comme je l’ai montré, ni dans l’un ni
dans l’autre de ces cas : en dépit des limitations strictes dont la France a assorti son consentement à
la compétence de votre haute juridiction, c’est bien à un élargissement de celle-ci que Djibouti a
procédé dans son mémoire puis lors des plaidoiries orales.
13. Cette conclusion vaut évidemment à fortiori s’agissant des demandes de Djibouti qui
portent sur des faits postérieurs à la requête. Celles-ci ne concernent pas et ne peuvent pas
concerner des «faits…découlant directement de la question qui fait l’obj et de la requête» pour
reprendre une citation qu’affectionne M.Condorelli 17, mais justement, sur des questions qui sont
en dehors de cet objet. En revanche, ici encore, l’arrêt de la Cour permanente de 1936 est
parfaitement pertinent: il montre, au-delà de tout doute, que lorsqu’un Etat entend limiter la
compétence de la Cour ratione temporis (et la limitation résultant de la lettre du ministre des
affaires étrangères du 25juillet2006 est générale: materiae aussi bien que temporis ), il convient
de faire produire tous ses effets à une telle limitation. Il n’est peut-être pas inutile d’ajouter que
c’est aussi dans cet arrêt de 1938 que la Cour permanente a estimé qu’en cas de doute sur
l’extension du consentement donné à sa compétence, il conviendrait «de recourir à l’interprétation
15
Voir CR 2008/4, p. 30-32, par. 14-17 (Pellet).
16CR 2008/6, p. 15, par. 16 (Condorelli, citant Phosphates du Maroc, arrêt, 1938, C.P.J.I. série A/B n 74, p. 21).
17CR 2008/1, p. 32, par. 25 ; ou CR 2008/6, p. 16, par. 19 (Condorelli, citanCompétence en matière de
pêcheries (République fédérale d’Allemagne c. Islande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 203, par. 72). - 13 -
restrictive» (Phosphates du Maroc, arrêt, 1938, C.P.J.I. série A/B n 74, p. 23 ; voir aussi Usine de
o o
Chorzów, compétence, arrêt n 8, 1927, C.P.J.I. série A n 9, p. 32).
14. En l’occurrence, il n’est sans dout e pas nécessaire que vous suiviez cette
recommandation, Madame et Messieurs les jug es: il n’est nul besoin que vous interprétiez
(restrictivement) l’acceptation de votre compétence, il suffit que vous lisiez la lettre du
25 juillet 2006 : vous êtes ⎯ indiscutablement ⎯ compétents pour vous prononcer sur la requête
de Djibouti, mais vous ne l’êtes que «pour le diffé rend qui fait l’objet de la requête» (et non tel
qu’il est défini de manière plus extensive dans le mémoire) et «dans les strictes limites des
demandes formulées dans celle-ci» ⎯et non pas dans le mémoire, ni à l’issue des plaidoiries
orales. Et ceci me conduit, Madame le président, à examiner ces conclusions au regard non plus de
votre compétence au sens étroit du terme, mais de ce que l’on pourrait appeler votre «capacité» à
faire droit aux demandes ultimes de Djibouti dans le dernier état de leur formulation.
II. Les conclusions du demandeur
15. Alors que la Cour ne saurait retenir sa juridiction à propos de ces dernières demandes,
elle est indiscutablement compétente pour se prononcer sur la non-exécution par les autorités
gouvernementales et judiciaires fr ançaises de la commission rogatoir e internationale émise par la
juge d’instruction près le tribunal de grande inst ance de Djibouti le 3 novembre 2004. Ceci forme,
selon la requête, l’objet même du différend soumis à votre haute juridiction.
16. Madame le président, il résulte de ce que je viens de dire que Djibouti était en droit de
«préciser» la portée des demandes formulées dans sa requête et rentrant dans l’objet de celle-ci, soit
qu’elle les clarifie, soit qu’elle les limite. C’ est tout le contraire qui s’est produit: ses nouvelles
conclusions sont particulièrement complexes (et, il faut bien le reconnaître, pas vraiment limpides)
et elles reposent sur une extension indiscutable de la compétence de la Cour par rapport à l’objet de
la requête accepté par la France. En outre, certaines des modalités de mise en Œuvre de ses
conclusions, suggérées par la Partie demanderesse, ne sauraient être retenues par la Cour.
17. Pour tenter de nous y retrouver dans l’architecture complexe des conclusions de Djibouti,
je distinguerai celles qui concernent le refus de la France d’exécuter la commission rogatoire - 14 -
internationale du 3 novembre 2004 de celles qui sont liées aux prétendues atteintes aux immunités
ou à la dignité de certains officiels djiboutiens.
A. Les conséquences du refus d’exécution de la commission rogatoire
18. Alors que la Cour ne saurait retenir sa juridiction à propos de ces dernières demandes
⎯ celles concernant les immunités ⎯, elle est indiscutablement compétente pour se prononcer sur
la non-exécution de la commission rogatoire internationale du 3 novembre 2004. Ceci forme, selon
la requête, l’objet même du différend et y a donné lieu aux demandes figurant sous les litt. c), d) et
h) i) ; et, mutatis mutandis, on retrouve ces demandes sous les numéros 1 et 5 des conclusions du
mémoire djiboutien. Et l’obscure clarté qui résu lte du paragraphe1 des conclusions finales de la
République de Djibouti ne constitue pas non plus un obstacle à ce que vous vous prononciez sur
cette demande (par celle-ci, le demandeur vous prie de juger «[q]ue la République française a violé
18
ses obligations en vertu de la convention de 1986» en n’exécutant pas la commission rogatoire) :
ces précisions amphigouriques n’aident guère à la compréhension de ce que Djibouti attend
vraiment de la Cour ⎯ mais elles concernent les motifs sur lesquels pourrait reposer votre décision
selon le demandeur et pas le dispositif lui-même. Donc, mis à part, bien sûr, que cette demande
n’est pas fondée à nos yeux, quel que soit le motif invoqué, ceci ne soulève au moins pas le
problème de la compétence ou de la «capacité» de la Cour à se prononcer.
19. Il en va différemment s’agissant de la demande figurant sous le paragraphe2 des
conclusions finales. Elle se présente sous la form e d’une alternative et il me semble utile de la
relire :
«La République de Djibouti prie la Cour de dire et juger :
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2. Que la République française doit immédiatem ent après le prononcé de l’arrêt de la
Cour :
i)transmettre le «dossier Borrel» da ns son intégralité à la République de
Djibouti ;
ii)ou subsidiairement, transmettre le «dossier Borrel» à la République de
19
Djibouti dans les conditions et modalités déterminées par la Cour.»
18
CR 2008/6, p. 64, par. 15.1 (Doualeh).
19Ibid., par. 2. - 15 -
Nos objections à l’encontre de ces conclusions alternatives sont assez nombreuses :
20. En premier lieu, nous ne contestons pas que la Cour puisse, dans certains cas, déclarer
que l’Etat responsable doive prendre certaines mesures pour s’acquitter d es obligations, primaires
ou secondaires, dont elle aurait reconnu la violation dans l’arrêt. En revanche, dans tous les cas où
elle a opéré ainsi, la Cour s’est bien gardée d’enjoindre les Etats de procéder d’une manière
20
déterminée . Et l’arrêt Papamichalopoulos de la Cour européenne des droits de l’homme que
21
M. van den Biesen a cité comme un précédent ( unique d’ailleurs) allant en sens contraire est en
réalité un contre-exemple; il confirme pleineme nt cette retenue: contrairement à ce que notre
contradicteur laisse entendre, la prétendue injonc tion de restituer adressée à l’Etat défendeur dans
cette affaire n’était que l’une des solutions envi sagées par la Cour de Strasbourg, qui a dit par
ailleurs dans ce même arrêt que, «faute d’une telle restitution, l’Etat défendeur doit verser aux
requérants, dans les six mois, 5551000000 (cin q milliards cinq cent cinquante et un millions)
drachmes pour dommage matériel» 22. Cela va, en réalité, beaucoup plus loin dans le respect des
compétences propres de l’Etat pour mettre en Œuvre la décision d’une juridiction internationale que
23
l’arrêt Johnston que j’avais cité vendredi . Pour reprendre l’expressi on très claire de la Cour
européenne des droits de l’ho mme dans un autre arrêt encore ⎯qui reflète bien sa jurisprudence
constante :
«Il est entendu…que l’Etat défendeur r este libre, sous le contrôle du comité
des ministres, de choisir les moyens de s’acquitter de son obligation juridique au
regard de l’article 46 de la Convention pour autant que ces mo24ns soient compatibles
avec les conclusions contenues dans l’arrêt de la Cour» .
Si la Cour devait se placer sur le terrain de la re stitution, il va de soi, me semble-t-il, qu’elle ne
pourrait, quant aux modalités, que s’en remettre à la République française, à l’image de ce que fait
la Cour européenne dans un contexte régional, dans leque l les solidarités sont, pourtant,
20Voir CR 2008/5, p. 57-58, par. 11-12 (Pellet).
21
CR 2008/6, p. 56-57, par. 8.
22
31 octobre 1995, Papamichalopoulos c. Grèce, Rec A330-B, dispositif, par. 3; voir aussi p. 58-59, par.34;
disponibl: stutrp://cmiskp.echr. coe.int/tkp197/view.asp?item=2&portal=hbkm&action=html&highlight=
Papamichalopoulos&sessionid=5014436&skin=hudoc-fr.
23 o o
Voir CR 2008/5, p. 57-58, par. 12 (Pellet citant C.E.D.H., 18 décembre 1986, requête n 9697, série A n 112,
par. 77 ⎯également disponible sur http://cmiskp.echr.co e.int/tkp197/view.asp?item=1&portal=hbkm&action=
html&highlight=Johnston&sessionid=5015581&skin=hudoc-fr).
24
13 juillet 2000, Scozzari et Giunta c. Italie , requêtes n° 39221/98 et 41963/98, Rec. 2000-VIII, par. 249. Voir
aussi : Grande Chambre, 12 mai 2005, Ocalan c. Turquie, requête n° 46221/99, Rec. 2005-IV, ou 17 janvier 2008, Arasov
c. Azerbaïdjan, requête n° 24271/05). - 16 -
e
particulièrement étroites. Et je note que, en passant, M van den Biesen a fait part de l’accord de
l’Etat demandeur sur ce point 25.
21. Mais nous avons la très ferme conviction que vous ne vous estimerez pas en mesure,
Madame et Messieurs les juges, d’ordonner une telle restitution, restitutio in integrum ⎯ pas je le
répète, parce que, dans l’abstrait et d’une mani ère générale, vous seriez, dans tous les cas,
empêchés d’indiquer qu’une restitution s’impose ⎯ à condition de laisser l’Etat responsable d’un
manquement en déterminer l es modalités, mais parce que, en la présente occurrence, compte tenu
des circonstances de l’espèce, vous ne pourriez prendre une décision de ce type en toute
connaissance de cause. Le demandeur l’a dit lui-même, Madame le président, «la Cour n’est pas la
République française» («The Court is not the French Republic») 26. Ce n’est pas méprisant ; c’est
un constat ⎯ mais un constat qui n’est pas sans portée juridique : la France (en tout cas les juges
français et, plus précisément, la juge d’instruction près le tribunal de grande instance de Paris, qui
est en charge depuis cinq ans d’une instruction ouverte il y a plus de onze ans) est en possession de
tous les éléments de ce dossier qui, en2006 comptait déjà 35volumes ⎯sans aucun doute plus
depuis lors. Or, c’est au vu de l’ensemble de ce dossier que MmeClément a estimé que sa
communication aux autorités judiciaires djiboutiennes serait contraire à des inté rêts essentiels de la
France et participerait d’«un détournement de pr océdure effectué dans le seul but de prendre
connaissance d’un dossier contenant notamment de s pièces mettant en cause le procureur de la
République de Djibouti dans une autr e information suivie à Versailles» 27. Et je me permets,
Madame et Messieurs de la Cour de vous renvoyer sur ce point au soit transmis du 8 février 2006
qui figure dans l’annexe XIII du petit dossier des juges que nous avons préparé.
22. Les autorités gouvernementales françaises se sont appuyées sur le premier de ces motifs ;
mais cela ne signifie pas que le second ne pourrait p as, également, justifier le refus opposé par la
France à la commission rogatoire internationale ⎯après tout, le détournement ou l’abus de
25
CR 2008/6, p. 57, par. 9 (van den Biesen).
26
Ibid., p. 57, par. 11.
27Soit transmis du 8 février 2005, CMF, annexe XXI. - 17 -
procédure est une notion reçue en droit international 28 et l’on ne peut exclure que d’autres raisons,
juridiquement fondées au regard tant de la c onvention de 1986 que des principes généraux du droit
des gens, puissent également conforter la position de la France.
23. Car au fond, Madame le président, que re proche vraiment le demandeur à la République
française? C’est assez facile à comprendre grâce, je le reconnais, à la confusion qu’il effectue
entre les conclusions et les moyens qui résulte de sa première demande. Il lui reproche d’abord :
⎯ De ne pas «avoir mis en Œuvre son engageme nt en date du 27janvier2005». Mais cet
«engagement» (parfaitement fictif au demeuran t) était, si on l’interprète comme une
acceptation de transmettre le dossierBorrel, cl airement contraire aux termes mêmes de la
convention ⎯dont Djibouti dit rechercher (et ne rechercher que) l’application, comme
Hervé Ascensio le montrera dans quelques instan ts. Mais, même en admettant que cette lettre
(dont l’auteur proclamait la compétence du « seul» juge d’instruction chargé du dossier)
traduisît un engagement de la part de la France ⎯ quod non , il ne vous serait possible
d’«enjoindre» la France de s’y tenir que si aucune raison justifiant, en droit, de ne pas le faire,
n’existe au regard du droit international. Je vois mal comment vous pourriez vous en assurer
dans l’état actuel de vos informations et alors que les deux Parties sont en total accord sur un
point, une fois n’est pas coutume: la requête que Djibouti vous a soumise ne porte pas sur
l’«affaire Borrel». Dans cet esprit, le demandeur n’a d’ailleurs jamais demandé ni suggéré que
la France communiquât le dossier correspondant à la Cour (dont je me permets de remarquer
respectueusement qu’il ne lui appartient évidemme nt pas d’évoquer un dossier pénal et qu’elle
n’est, de toute manière, sans doute pas très bien équipée pour examiner un tel dossier).
⎯ «Subsidiairement», la République de Djibouti se plaint d’abord de ce que la France n’aurait pas
«exécuté son obligation [toujours de donner suite à la commission rogatoire de 2004] en vertu
de l’article 1 de la convention» . Mais cet article 1, qui renvoie à l’ensemble des «dispositions
de la convention», ne se suffit pas à lui-même et force est de se demander quel(s) article(s) (au
28Voir notamment, Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, arrêt,
C.I.J. Recueil 1996, p. 622, par. 44 (a contrario). Voir aussi, par exemples : J. E. S. Fawcett, Détournement de pouvoir by
International Organizations , BYBIL, 1957, p. 311-317; ou C.F. Amerasinghe, The Law of the International Civil
Service: (As Applied by International Administrative Tribunals) , Clarendon Press, Oxford, 1994, 2vol. II, p. 31.
Voir en outre, TANU, jugement n°297, Panis, 1982 ; pour le TAOIT, jugements n°38, Reynolds c. FAO , n°248,
Nowakowski c. O.M.M., n°447, Quiñonesc. PAHO/OMS. - 18 -
singulier ou au pluriel) l’Etat défendeur aurait vi olé selon Djibouti : il peut s’agir des articles 2
(qui permet que l’entraide judiciaire soit refusée) ou 17 (qui impose que tout refus soit motivé).
En d’autres termes, c’est d’un défaut de notifica tion ou de motivation qu’il s’agirait. Or, à ma
connaissance, dans aucun système juridique, un défaut de notification ou de motivation
n’entraînerait ipso facto une obligation d’exécution, dans un cas de ce genre.
⎯ Et le même raisonnement vaut en ce qui concerne la seconde conclusion subsidiaire : si le refus
d’exécuter la commission rogatoire notifié par la lettre du 31 mai 2005 ⎯ il s’agit du refus ⎯,
était illicite, ce ne pourrait être que parce que le motif contenu dans cette lettre serait ou
insuffisant ou contestable, mais la conséquence ne pourrait en être que la constatation de cette
prétendue illicéité et, peut-être, l’obligation pour la France, de motiver plus correctement son
refus.
24. Du reste, une injonction que la Cour en vi endrait à adresser à la France de transmettre le
dossierBorrel à la République de Djibouti ne constituerait en aucune manière un retour au statu
quo ante. A cet égard, l’affaire Yerodia n’est pas du tout un précédent. Dans cette affaire, la mise
à néant du mandat d’arrêt a pu être exigée par la Cour parce que, antérieurement à son émission,
⎯à l’émission du mandat ⎯ l’intéressé n’était pas exposé à la menace de l’exécution d’un tel
mandat. Dans la présente affaire, en revanche, il ne s’agirait ni plus ni moins que de «rétablir» une
situation qui n’a jamais existé antérieurement : la République de Djibouti n’a pas été dépossédée du
dossier par un comportement prétendument illicite de la France ; elle n’a jamais eu ce dossier en sa
possession. Sous couvert de «restitution», de restitutio in integrum , le demandeur ne cherche
nullement le retour au statu quo ante ; c’est, je dirais, un «retour vers le futur» (back to the future)
qu’il voudrait vous faire ordonner. Au demeurant il ne s’agissait, dans l’affaire du Mandat d’arrêt,
que du retrait d’un acte existant, et pas d’une mesure positive comme cela est demandé par
Djibouti. Ceci ne correspond nullement à la définition très généralement admise de la restitution en
cas de responsabilité pour fait internationalement illic ite, définition qui est reflétée par l’article 35
des articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat : «L’Etat responsable du fait internationalement - 19 -
illicite a l’obligation de procéder à la restitution consistant dans le rétablissement de la situation qui
existait avant que le fait illicite ne soit commis…» 29
25. Encore une fois, Madame le président, l’injonction que la République de Djibouti vous
demande d’adresser à la France ne rétablirait nullement la s ituation qui existait avant que le refus
de la commission rogatoire soit décidé, mais celle qui, selon Djibouti, devrait exister. Une telle
demande, tout à fait exorbitante du droit commun, ne rentre dans aucune des «rubriques» connues
de la réparation en droit international. Nous pensons que vous ne sauriez y procéder.
26. Et le fait que le demandeur vous prie , «subsidiairement», d’ordonner à la France de
«transmettre le «dossier Borrel» à la République de Djibouti dans les conditions et modalités
déterminées par la Cour» 30 ne change rien à l’affaire.
27. Je comprends que Monsieur le jugeBennouna ait manifesté une certaine curiosité à cet
31
égard et ait demandé au requérant des éclaircissements sur ce qu’il entendait par-là . Je ne sais s’il
a été satisfait par la réponse de Djibouti 32, mais je dois dire qu’elle nous a laissés sur notre faim.
Selon M. van den Biesen,
⎯ cela pourrait vouloir dire que la Cour préciserait que la France doit communiquer tout le
«dossier Borrel» «par les moyens de son choix» 33 ; mais, nous l’avons vu, il ne peut, de toute
façon pas en aller autrement ; il s’agit-là si je puis dire de la formule plancher rigoureusement
minimale en droit international lorsque rien ne s’oppose à une injonction contrairement à ce qui
est évidemment le cas en l’espèce ;
⎯ la Cour pourrait aussi fixer, nous dit M. van den Biesen, un délai pour la remise du dossier
⎯ avec ou sans délai, les problèmes que je viens d’exposer, demeurent entiers ; ou encore :
⎯ «the Court could decide that the two pages me ntioned before [that is two pages which were
formerly covered by the secret-défense and which have been declassified] were not to be part
of the file that would have to be transmitted» 34.
29 Les italiques sont de nous.
30
CR 2008/6, p. 64, conclusions 2 ii) (Doualeh).
31
V. CR 2008/5, p. 63-64.
32 V. CR 2008/6, p. 57, par. 10 (van den Biesen).
33 Ibid.
34 Ibid. - 20 -
28. Le professeur Ascensio reviendra, dans que lques instants sur la question des documents
déclassifiés (qui concernent bien plus que deux feuillets). Mais, je le répète, la question n’est pas
seulement là: ces documents ne sont qu’une partie d’un tout; et c’est l’ensemble du dossier qui
présente un caractère suffisamment sensible pour que la juge d’instruction ait estimé que sa
communication serait contraire à des intérêts essentiels de la France ⎯ne serait-ce d’ailleurs que
parce qu’ils «met sur la voie» non se ulement des documents déclassifiés ⎯et déclassifiés ne
signifie pas publics en droit français ⎯ mais aussi sur la voie d’autres documents, qui demeurent,
quant à eux, soumis au secret-défense. Dès lors que ce soit au principal ou sous sa forme
«subsidiaire» (et toujours passablement obscure), la deuxième conclusion de la République de
Djibouti ne saurait être accueillie par la Cour.
B.Les conséquences des préte ndues atteintes aux immunités et à la dignité de certains
officiels djiboutiens
29. Je serai beaucoup plus rapide sur les c onséquences que Djibouti voudrait vous voir tirer
des prétendues atteintes aux immunités et à la dignité de certains officiels djiboutiens ⎯ dont,
fondamentalement, la Cour n’a pas compétence pour connaître.
30. Par ses troisième, quatrième, sixième et septième conclusions, le demandeur prétend
obtenir de la Cour un arrêt déclaratoire selon le quel la France aurait violé ses obligations en la
35
matière . Sur le principe, rien ne s’oppose à ce que la Cour fasse droit
à de telles demandes (ce
qui ne signifie bien sûr pas que nous reconnaissons leur bien-fondé). Néanmoins, je ne peux pas
résister à la tentation d’attirer au passage votre a ttention, Madame et Messieurs de la Cour, sur la
conclusion, disons, déroutante, par laquelle Djibouti vous prie de constater que la France a violé ses
obligations «en essayant de répéter» en 2007 l’attein te que l’invitation à témoigner de 2005 aurait
36
causée aux immunités, à l’honneur et à la dignité du président Guelleh … Je prends note et j’y
reviendrai à la fin de l’après-midi.
31. Sans qu’il soit nécessaire de répéter ce que j’ai dit précédemment au sujet des limites qui
s’imposent quant aux injonctions que la Cour pourrait adresser aux Etats, et qui s’applique en partie
os
aux conclusions n 5 et 8, celles-ci appellent en revanche quelques remarques spécifiques.
35
CR 2008/6, p. 65 (Doualeh).
36CR 2008/6, p. 65, conclusion 3 ii) (Doualeh). - 21 -
32. Par la première (la cinquième), Djibouti prie la Cour de dire et juger «[q]ue la
République française doit immédiatement après le prononcé de l’arrêt de la Cour annuler la
37
convocation à témoin en date du 17 mai 200 5 et la déclarer nulle et non avenue» . Comme je l’ai
dit vendredi dernier 38et comme j’aurai l’occasion de le redi re tout à l’heure, cette «convocation»
est nulle et non avenue et a, de toute manièr e, été remplacée par l’invitation à déposer du
14 février 2007, dont le demandeur ne conteste pas la validité et ne prétend pas (sinon de la façon
alambiquée dans sa troisième conclusion, que j’ai mentionnée il y a un instant) qu’elle ait porté
atteinte à l’immunité dont bénéficie le chef de l’Etat djiboutien. Il n’y a donc pas lieu pour la Cour
de statuer sur cette demande, qui est dépourvue de tout objet.
33. Très subsidiairement, si vous considériez néanmoins, Madame et Messieurs les juges,
que l’acte de procédure de 2005 avait porté la moin dre atteinte à la dignité, à l’honneur ou à la
dignité de M. le président Guelleh, vous ne pourri ez que constater que les mises au point faites par
plusieurs autorités officielles françaises 39 constituent une réparation appropriée sous la forme d’une
e
satisfaction. A cet égard, M van den Biesen a fait mine de s’interroger : «The question does arise,
then, why would there have been in February2007 ⎯why would there have been a need for a
«désaveu de la juge» and what would this apology be aiming to repair?» 40. La réponse est simple :
alors même que, selon la République française, la «convocation» (sans la moindre menace de
recours à la contrainte) n’a pu porter aucune atteinte à l’immunité ou à la dignité du
président Guelleh ; elle n’en était pas moins cont raire aux prescriptions de l’article 656 du code de
procédure pénale. Et c’est cette irrégularité qui a conduit au désaveu (très formel) en question qui
est, dès lors, également une satisfaction pour le chef de l’Etat de Djibouti.
34. Quant aux actes de procédure qui concer nent les autres officiels djiboutiens, que le
demandeur a «introduits» dans l’affaire ⎯ alors qu’ils n’y sont nullement «connexes», Djibouti en
demande également l’annulation. Ils sont, je le mo ntrerai tout à l’heure, parfaitement réguliers et
ne peuvent porter atteinte à des immunités que ce s personnes n’ont pas. Mais il y a, en ce qui les
37
Ibid., conclusion 5.
38CR 2008/4, p. 36-37, par. 35 ; p. 61, par. 18.
39Voir CMF, télécopie du 19 mai 2005 du ministère des affaires étrangères à l’ambassadeur de Djibouti en
France, annexeXXIX; CMF, déclaration du porte-parole du ministère des affaires étrangères en date du 18mai2005,
annexe XXX.
40CR 2008/6, p. 26, par. 25 (van den Biesen). - 22 -
concerne, plus qu’une incompétence de la Cour : jusqu’au dépôt de la requête, ces actes n’avaient
jamais été contestés sur le terrain des immunités, sur lequel s’est porté l’Etat requérant
exclusivement devant la Cour, alors que ni lui, ni les officiels intéressés ne les avaient jamais fait
valoir auparavant ; on doit dès lors considérer qu ’il n’existe pas de différend en ce qui les concerne
⎯ ou plutôt peut-être que le contentieux ne s’est pas noué.
35. Quant aux conclusions relatives à la cess ation du comportement prétendument illicite de
la République française et aux «assurances et ga ranties spécifiques de non-répétition», qui font
os
l’objet des conclusions n 10 et 11 de la République de Djibouti, je les ai largement commentées
vendredi 41et, comme les avocats du demandeur n’y sont pas revenus, je n’ai rien à ajouter (ni à
retrancher d’ailleurs !) à ce que j’avais dit alors.
36. Juste un mot de conclusion, si vous le voulez bien, Madame le président. Pour décrire la
position de la République française au sujet de l’invitation à témoigner du 17mai2005,
M. van den Biesen l’a caractérisée, «d’après Shakespeare», comme «Beaucoup de bruit pour rien»
42
(«Much ado about nothing») . J’avoue ne pouvoir m’empêcher de penser ceci de la plupart des
demandes que la République de Djibouti a soumises à la Cour. Au départ, Djibouti a saisi la haute
juridiction, de la question, technique, du refu s de l’exécution de la commission rogatoire du
3novembre2004. La France a accepté votre compétence à cette fin. Tout le reste n’est, pour
reprendre une expression qu’affectionne M evan den Biesen , qu’un écran de fumée.
37. Voici, Madame le président, qui conclu t ma première intervention. Je vous serais
reconnaissant de bien vouloir donner la parole à Hervé Ascensio.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Pellet. I now call Professor Ascensio.
M. ASCENSIO :
41
CR 2008/5, p. 59-60, par. 17 (Pellet).
42CR 2008/6, p. 24, par. 22 (van den Biesen).
43Cf. CR 2008/1, p. 40, par. 24 ; p. 42, par. 29 et 30. - 23 -
LES PRÉTENDUES VIOLATIONS DU TRAITÉ D AMITIÉ ET DE COOPÉRATION DU 27 JUIN 1977
ET DE LA CONVENTION D ’ENTRAIDE JUDICIAIRE EN MATIÈRE PÉNALE
DU 27 SEPTEMBRE 1986
1. Madame le président, Messieurs les j uges, il m’incombe aujourd’hui de répondre aux
arguments présentés lors de son second tour de plai doiries par la Partie demanderesse à propos des
prétendues violations du traité d’amitié et de coopération du 27juin1977 et de la convention
d’entraide judiciaire en matière pénale du 27 septembre 1986. Ceci étant, l’essentiel de cette
plaidoirie sera consacré à la convention de1986 et je me contenterai de quelques remarques
préliminaires concernant le traité de 1977.
2. Le conseil de la République de Djibouti a à nouveau soutenu que la République française
déniait au traité d’amitié et de coopération de 1977 toute portée contraignante 44. Il me faut par
conséquent répéter que le traité ne co ntient aucune obligation juridique précise en rapport avec
l’entraide judiciaire en matière pénale et qui imposerait la transmission du dossier Borrel. Pour le
reste, les obligations contenues dans le traité ne concernent pas le présent différend et il n’est donc
pas nécessaire pour la Partie défenderesse d’en faire l’analyse devant la Cour. La République
française n’a rien dit de plus, ni de moins, lors du premier tour de plaidoiries ou dans le
contre-mémoire.
3. Par ailleurs, le conseil de la République de Djibouti n’est à aucun moment revenu sur le
champ d’application du traité de1977. La limitation à des matières autres que celle qui nous
occupe dans le présent différend résulte pourtant du préambule et vaut pour l’ensemble de ses
dispositions, y compris les articles 5et6. De pl us, pour ce qui concerne l’article5, l’expression
d’«organismes nationaux publics» désigne à l’év idence des organismes de caractère techniques
spécialisés dans la coopération extérieure; il n’est pas d’usage de qualifier le pouvoir judiciaire
d’«organisme». Quant à l’article 6, relatif à la commission de coopération franco-djiboutienne, il a
un rôle modeste, comme je l’indiquais lors du premier tour de plaidoiries, incompatible avec les
effets surprenants que la Partie demanderesse entendait lui faire produire.
4. A cet égard, il n’est pas inintéressant de relever que le conse il de la République de
Djibouti n’a pas approfondi sa théorie d’une violation indirecte du traité de 1977 par le biais d’une
44
CR 2008/6, p. 28, par. 3 (Condorelli). - 24 -
supposée violation «grave» de la convention de 1986. Cette théorie nous paraît toujours devoir être
rejetée par la Cour.
5. Ces remarques étant faites, il convient d ésormais de se concentrer sur la convention
d’entraide judiciaire en matière pénale du 27 sep tembre 1986. Afin de répondre aux remarques de
la République de Djibouti, je reprendrai la structure retenue pour ma plaidoirie du premier tour et
distinguerai l’argumentation principale de la Partie demanderesse (I) de ses argumentations
subsidiaires (II).
I. L’argumentation principale de la Partie demanderesse à propos de la
prétendue violation de la convention de 1986
6. Madame le président, j’ai écouté avec atten tion les plaidoiries de la Partie demanderesse
lundi matin et je crains fort de n’avoir entendu aucune analyse de l’article3 de la convention
de1986. Je n’ai pas non plus entendu le professeu rCondorelli contester avoir admis la parfaite
conformité à l’article3 de la convention de la procédure conduite par les autorités françaises à
l’occasion de la demande de transmission du dossier Borrel 45.
e
7. En revanche, M vandenBiesen est revenu sur les propos que j’avais relevés lors du
premier tour de plaidoiries, et même très fermement 46. Il prétend désormais que les termes «this is
47
the reality with which also the Applicant … have to live» ne voulaient pas dire ce qu’ils veulent
dire mais leur exact contraire, à savoir que la Partie demanderesse n’entend pas vivre avec cet état
du droit français. Il s’est ensuite lancé dans une analyse critique assez inédite concernant
l’application par les autorités françaises du droit fra nçais. Ceci me contraint à revenir brièvement
sur la procédure interne d’examen de la demande de transmission du dossierBorrel et sur son
importance au regard des obligations internationales de la République française.
8. Selon M evandenBiesen, la République de Dji bouti n’avait aucun moyen de connaître
48
l’existence ni le statut du soit transmis de la juge d’instruction SophieClément . Il cherche
ensuite à jeter le doute quant à l’état du droit fra nçais à l’époque des faits, en citant la position du
45CR 2008/2, p. 12, par. 8 (Condorelli).
46
CR 2008/6, p. 39, par. 9 (van den Biesen).
47CR 2008/2, p. 46, par. 57 (van den Biesen).
48CR 2008/6, p. 39, par. 10 (van den Biesen). - 25 -
procureur de la République de Paris et certains passages d’une circulaire du ministère de la justice
d’avril 2004, tels que reproduits dans un arrêt du 19 octobre 2006 de la chambre de l’instruction de
49
la cour d’appel de Paris . Cet arrêt porte sur la procédure ouverte à la suite d’une plainte de
MmeBorrel du chef de «commentaire tendant à exercer des pressions en vue d’influencer la
décision d’une juridiction d’instruction ou de jugement» 50. Il s’agit donc d’une procédure distincte
de l’examen de la demande de transmission du dossi er Borrel et distincte de la procédure instruite
au cabinet de Mme Clément. A tout cela s’ajout e une interprétation de l’article 694-2 du code de
51
procédure pénale propre au coag ent de la Partie demanderesse . Voilà les seuls arguments de la
Partie demanderesse concernant le droit français.
9. Avant tout, il faut rappeler que, selon l’article 3, paragraphe 1, de la convention de 1986,
les commissions rogatoires internationales doivent être exécutées par l’Etat requis «conformément
à sa législation interne». La jurisprudence est également couverte par cette disposition, puisqu’il
revient aux juridictions françaises d’interpréter la législation française.
10. Pour la question qui nous occupe, le code de procédure pénale français est parfaitement
clair. Je rappelle ici certains points qui figurent également dans le contre-mémoire. D’après
l’article694-2 du code de pro cédure pénale, les demandes d’entraide sont exécutées par le
procureur de la République sauf «lorsqu’elles n écessitent certains actes de procédure qui ne
52
peuvent être ordonnés ou exécutés qu’au cours d’une instruction préparatoire» . C’est dans ce cas
que le procureur de la République transmet la demande au juge d’instruction. En effet, le juge
d’instruction est seul compétent pour délivrer des copies de pièces de son dossier, compétence qui
résulte des articles81, alinéa2, du code de pr océdure pénale, et de l’article82 du code de
procédure pénale 53 ⎯l’article81, qui est le plus important, figure dans votre dossier à
l’annexe XIX.
11. De ce fait, le juge d’instruction est compétent pour refuser d’exécuter une demande
d’entraide susceptible de porter a tteinte aux intérêts essentiels de la France. Je rappelle d’ailleurs
49CMF, annexe XI.
50
CR 2008/4, p. 23, par. 44 (Belliard).
51
CR 2008/6, p. 42, par. 19 (van den Biesen).
52CMF, annexe XVII.
53CMF, annexe XVIII et annexe XIX. - 26 -
au conseil de la République djiboutienne qu’il ne s’agit pas là de ma «propre interprétation» du
droit français 54, mais de la position de la République françai se. L’arrêt de la cour d’appel de Paris
du 19octobre2006, annexé par la République française à son contre-mémoire, vient confirmer
cette analyse.
12. Au surplus, la République de Djibouti ne peut nier que la lettre de M.LeMesle du
er
1 octobre 2004, figurant à l’annexe 18 de son mémoire, et également reproduite dans votre dossier
à l’annexe 17, faisait expressément référence au j uge d’instruction dans la procédure d’examen des
demandes d’entraide. Il y est écrit noir sur blanc que «le juge d’instruction chargé du dossier» est
«seul compétent pour délivrer les copies de pièces».
13. Il est vrai que M evan den Biesen tente de jeter un voile d’ombre sur ce passage essentiel,
en recourant à une argumentation des plus fallacieuses. Elle consiste à lier à nouveau, et sur le plan
de la procédure, les deux demandes djiboutiennes de transmission du dossierBorrel. Bien qu’il
admette que ces demandes sont distinctes 55, il explique néanmoins que la seconde, la commission
rogatoire internationale du 3novembre2004, doit tout simplement bénéficier de la procédure
conduite à l’occasion de l’examen de la première demande, celle du 17 juin 2004. Dès lors, il n’y
aurait plus eu qu’à accomplir la dernière étape, l’ acceptation définitive de la demande par la lettre
56
du 27 janvier 2005, interprétée évidemment selon les vŒux de la République de Djibouti .
14. Madame le président, c’est faire bien peu de cas du droit français et, à travers lui, de
l’article3 de la convention de1986 qui y renvoie ! Face à une telle désinvolture, je ne peux que
répéter ce que j’avais dit précédemment à propos des deux demandes : il faut insister sur ce qui les
distingue quant à la procédure et sur ce qui les rapproche quant au fond 57.
e
M15. vandenBiesen a parfaitement admis que les deux demandes étaient distinctes du
58
point de vue de la procédure . Pourquoi faudrait-il dès lors que la procédure interne suivie pour la
commission rogatoire internationale se dispense de suivre les mêmes étapes que celle suivie pour la
première demande djiboutienne? Pourquoi faudrait-il que le passage par la juge d’instruction à
54
CR 2008/6, p. 40, par. 15 (van den Biesen).
55
CR 2008/6, p. 38, par. 4-5 (van den Biesen).
56CR 2008/6, p. 42-43, par. 19-21 (van den Biesen).
57CR 2008/4, p. 57, par. 45 (Ascensio).
58CR 2008/6, p. 38, par. 4-5 (van den Biesen). - 27 -
l’occasion de la première démarche vaille blanc- seing pour la seconde, c’est-à-dire l’examen de la
commission rogatoire internationale? Chaque de mande requiert la mise en Œuvre de l’ensemble
de la procédure, avec toutes les étapes prévues par le droit français. L’on s’en voudrait de rappeler
pareille évidence si l’on n’y était contraint par la Partie demanderesse.
16. Le rapprochement entre les deux demandes est seulement dû à l’identité quant au fond,
c’est-à-dire quant à l’objet de la demande. De ux demandes successives pour un même objet, voire
e
pour un même but : voilà ce qui est, pour reprendre l’expression de M van den Biesen, «relevant in
assisting us to better understand the facts of the case» 59.
17. Je poursuis rapidement mon relevé des curiosités exposées lors du second tour de la
plaidoirie par M e van den Biesen. Celui-ci explique avoir fait référence à des conversations tenues
au palais de Justice de Paris entre le procureur de Djibouti et le procureur de la République de Paris
en mai 2004 comme «evidence of a clear intention», al ors que justement il n’a en particulier fourni
aucune preuve du contenu de ces conversations 60.
er
18. Il fait dire à M.LeMesle, dans sa lettre du 1 octobre 2004 ⎯lettre qui figure à votre
dossier, toujours à l’annexe17 ⎯ que le rôle du juge d’instruction se limiterait toujours à un
contrôle des formes, alors que cette lettre se borne à dire qu’ en l’espèce la première demande a été
61
rejetée en raison du non-respect des formes par l’Etat demandeur . On ne voit d’ailleurs aucun
rapport entre le fait que le juge d’instruction est seul compétent pour réaliser une copie du dossier,
comme l’indique l’article 81, alinéa 2, du code de procédure pénale, et le fait qu’il devrait se limiter
à un contrôle formel.
19. Le conseil de la Partie demanderesse désigne la lettre de M. Le Mesle du 27 janvier 2005
62
comme une «letter of commitment» , alors que le contenu de la lettre et son contexte montrent
clairement que M. Le Mesle se plaçait au début de la procédure, lorsqu’il indiquait avoir demandé
que tout soit «mis en Œuvre» pour que la copie du dossier soit transmise 63.
59
CR 2008/6, p. 38, par. 5 (van den Biesen).
60
CR 2008/6, p. 42, par. 18 (van den Biesen).
61CR 2008/6, p. 42, par. 19 (van den Biesen).
62CR 2008/6, p. 42-43, par. 20 (van den Biesen).
63MD, annexe 21. - 28 -
20. Enfin, le conseil de la Partie dema nderesse mentionne l’arrêt de la Cour du
10octobre2002 dans l’affaire de la Frontière terrestre et maritim e entre le Cameroun et le
Nigéria, à propos de l’absence en droit international d’une obligation générale d’information quant
64
à l’état du droit interne dans les autres Etats . Mais la question n’est pas là. Il existe une
obligation juridique spécifique à l’article 3, paragraphe 1, de la convention de 1986, disposition que
la République de Djibouti s’efforce décidément d’oublier. Elle requiert de l’Etat requis qu’il agisse
selon son droit interne pour exécuter les commissions rogatoires internationales. Dès lors, l’on ne
voit pas comment cela peut lui être reproché par l’Etat requérant.
II. Les argumentations subsidiaires de la Partie demanderesse à propos de la
prétendue violation de la convention de 1986
21. Madame le président, j’en viens maintenant aux argumentations subsidiaires de la Partie
demanderesse. Le débat juridique tourne autour de l’interprétation et la mise en Œuvre des
articles 2 et 17 de la convention, à savoir le motif du refus d’entraide d’une part (A), l’obligation de
motiver d’autre part (B).
A. Le motif du refus d’entraide
22. Afin de répondre aux arguments du professeur Condorelli et de M e van den Biesen
concernant le motif du refus d’entraide, je m’intéresserai tout d’abord à l’interprétation générale de
l’article 2 c) de la convention de 1986, puis aux motifs du refus de transmettre le dossier Borrel.
1) L’analyse générale de l’article 2 c)
23. Concernant l’article 2 c) de la convention de1986, le conseil de la République de
Djibouti a bien voulu me signaler que les paragraphes143 à150 du mémoire djiboutien
mentionnaient cet article. Je l’en remercie, car cela est exact. Je me permettrai seulement à mon
tour de lui signaler que ce passage traitait des intérêts essentiels de l’Etat comme une cause
65
d’exonération de responsabilité , alors que la République française soutient, quant à elle, qu’elle
n’a commis aucun acte illicite.
64
CR 2008/6, p. 43, par. 22 (van den Biesen).
65MD, p. 53, par. 142, et p. 55, par. 150. - 29 -
24. Mais ceci n’est sans doute pas fondamental. La question de l’autorité habilitée à définir
ce que sont les intérêts essentiels de l’Etat au titre de l’article 2 c) est plus importante. A cet égard,
le conseil de la Partie demanderesse soutient toujours que l’interprétation de cet article tel qu’il est,
c’est-à-dire avec l’expression «l’Etat requis estime», c onduirait à faire perdre tout effet utile à la
convention de 1986. Cette affirmation est doublement erronée. Elle l’est in abstracto et elle l’est
in concreto.
25. In abstracto, il n’est pas possible de rejoindre l’analyse présentée par le conseil de la
Partie demanderesse à propos des clauses du type de celles figurant à l’article 2 c) de la convention
de 1986. Il faut dire que le professeur Condorelli a une fâcheuse tendance à me faire dire ce que je
n’ai pas dit, afin de me contredire. Il convoque alors l’«arbitraire absolu» et «le pouvoir
discrétionnaire sans bornes», caricaturant la position de la République française 66, y compris
67
lorsqu’il lui concède une «attitude pudique» ! Lorsqu’on grossit le trait, la réponse devient
forcément plus aisée ; mais ce n’est plus véritablement une réponse.
26. Tout d’abord, les éléments que la République française a estimé pouvoir inclure dans le
dossier soumis à la Cour suffisent à démontrer que la transmission du dossier Borrel était de nature
à porter atteinte aux intérêts essentiels de la Fr ance. Je reviendrai sur ces éléments dans un
moment. Prendre position sur les clauses du type de celles figurant à l’article 2 c) ne serait
véritablement utile que dans le cas où lesdits él éments ne suffiraient pas à démontrer que la
République française n’a nullement violé la convention de 1986.
27. En deuxième lieu, il est bien évident que les dispositions d’un traité doivent être
interprétées et exécutées de bonne foi, conformément au droit des traités. Là où l’interprétation
française diverge de celle exposée par le professeur Condorelli, c’est à propos des effets que la
Partie demanderesse souhaite faire produire à la bonne foi, alliée pour la circonstance au
raisonnable.
28. Le conseil de la Partie demanderesse, dans son exposé oral du premier tour de
plaidoiries, demandait à la Cour rien de moins que de «vérifier que les motifs…pour justifier le
66
CR 2008/6, p. 32, par. 13 (Condorelli).
67CR 2008/6, p. 32, par. 12 (Condorelli). - 30 -
refus sont bien existants, qu’ils sont sérieux» et même «qu’ils sont pertinents» . Cette
interprétation est la cause des demandes adressées par la République de Djibouti à la Cour, selon
lesquelles elle devrait se substituer aux autorités nationales pour apprécier ce que sont les intérêts
essentiels de l’Etat et enjoindre à la France de transmettre le dossier. Mais le professeur Pellet a
déjà traité cette question ; aussi n’y reviendrai-je pas.
29. En revanche, il me faut répondre aux re marques faites hier matin à propos de la
jurisprudence internationale relative à cette question. Le conse il de la Partie demanderesse a à
nouveau mentionné l’arrêt rendu par la Cour en1986 dans l’affaire des Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (fond) 69. Pourtant son analyse, malgré ses grandes
qualités, n’est pas parvenue à démontrer l’indémontrable, à savoir que la Cour traiterait ce genre de
disposition comme si les termes «l’Etat … estime que» n’y figuraient pas.
30. La Cour oppose très clairement dans son dictum deux types de clauses, celles réservant à
l’Etat concerné l’exclusivité de l’interprétation et celles qui ne le font pas. Elle prend comme
illustration des premières l’article XXI de l’accord gé néral sur les tarifs douaniers et le commerce.
Le passage pertinent est alors celui-ci :
«Que la Cour soit compétente pour déte rminer si des mesures prises par l’une
des Parties relève d’une exception ressort également a contrario de ce que le texte de
l’article XXI du traité n’a pas repris le libe llé antérieur … de l’Accord général sur les
tarifs douaniers et le commerce.» (C.I.J. Recueil 1986, p. 116, par. 222.)
31. Or, un argument a contrario, Madame et Messieurs de la Cour, n’est pas précisément la
même chose qu’un argument suggérant une graduation entre des contrôles d’intensité différente, ce
qui était la position du professeur Condorelli. A contrario, si la Cour est compétente dans un cas,
c’est qu’elle est incompétente dans l’autre.
32. Le conseil de la Partie demanderesse m’a encore reproché ma présentation de la sentence
arbitrale dans l’affaire CMS c. Argentine 7. Or, contrairement à ce qu’il affirme, et conformément
à ce que j’affirmais, la sentence CMS se différencie grandement de la décision sur la responsabilité
adoptée le 3 octobre 2006 par un tribunal arbitral CIRDI dans l’affaire LG&E c. Argentine à propos
68CR 2008/2, p. 24, par. 31 (Condorelli) ; les italiques sont de nous.
69
CR 2008/6, p. 33, par. 14 (Condorelli).
70CR 2008/6, p. 33, par. 15 (Condorelli). - 31 -
de la question juridique qui nous occupe. Dans l’affaire LG&E , au paragraphe 214 de la décision,
qui était précisément le paragraphe cité par le profe sseur Condorelli dans sa plaidoirie du premier
tour, les arbitres considèrent qu’un contrôle fondé sur la bonne foi mènerait à une forme de
contrôle dont l’étendue ne se distinguerait en rien de celui qu’ils effectuent en l’espèce, c’est-à-dire
un contrôle portant sur une disposition ne précisant pas expressément qu’il revient à l’Etat concerné
de déterminer ce que sont ses intérêts essentiels.
33. En revanche, dans la sentence CMS c. Argentine , au paragraphe374, les arbitres
distinguent clairement deux types de situation : celles où il est possible d’effectuer un contrôle sur
le fond, ce qui est le cas en l’absence d’une clau se réservant à l’Etat concerné l’exclusivité de
l’appréciation, et celle où ils devraient se contente r d’examiner si la mesure a été prise de bonne
foi. Un peu plus haut, les arb itres citaient expressément le dictum de la Cour dans son arrêt
71
Nicaragua de1986, répété dans l’affaire des Plates-formes pétrolières . Pour désigner l’examen
au titre de la bonne foi, le professeur Condorelli a, quant à lui, parlé d’un «contrôle relatif tout au
72
moins à la bonne foi» . Mais, quels que soient les termes utilisés, cette position est bien différente
du contrôle poussé que la République de Djibouti prônait lors du premier tour de plaidoiries.
34. Quant à l’affaire des Emprunts norvégiens , il me semble inutile de répéter mes
73
remarques du premier tour de plaidoiries , qui restent parfaitement valides, sous la réserve bien
connue de l’abus de droit. D’ailleurs, j’avais rappelé cette réserve lors du premier tour, à propos
74
des motifs licites du refus d’accorder l’entraide .
35. Après l’approche in abstracto, venons-en à l’approche in concreto de l’article 2 c) de la
convention de 1986. In concreto , il est évident que la convention est fort utile même pour les
demandes aboutissant à un refus. En effet, l’obligation de moyen figurant à l’article3 est
pleinement applicable et requiert la mise en Œuvre de la procédure interne. A titre d’illustration,
dans l’affaire qui nous occupe, l’obligation de moyen a conduit à une décision de l’autorité
judiciaire française, en l’occurrence de la juge d’instruction Sophie Clément, qui connaît
71
CMS Gas Transmission Company c. Argentine Republic , sentence du ma2i005, par.71
(www.worldbank.org/icsid).
72
CR 2008/6, p. 33, par. 15 (Condorelli).
73CR 2008/5, p. 13, par. 18 (Ascensio).
74CR 2008/4, p. 53, par. 33 (Ascensio). - 32 -
l’intégralité du dossier. Ceci est une garantie indéniable pour toutes les parties concernées par la
demande d’entraide.
36. De plus, il est absurde de sous-entendre que la France abuserait de la possibilité de
dérogation offerte par l’article 2 c). La pratique des refus d’entraide est en effet extrêmement
réduite. En 2007, sur un total de près de mille demandes d’entraide étrangères, la France a procédé
à cinq refus fondés sur des motifs tels que ceux prévus par l’article 2 c) de la convention d’entraide
en matière pénale du 27septembre1986. Je revie ndrai un peu plus loin sur le contenu de la
motivation alors communiquée à l’Etat requérant, ce qui me donnera l’opportunité de répondre à la
question posée par M. le juge Simma.
37. Enfin, il faut préciser que les demandes de communication de l’intégralité d’un dossier
d’information judiciaire, comme ce fut le cas à pr opos du dossier Borrel, sont particulièrement
rares. En effet, dans l’immense majorité des cas, les demandes d’entraide portent sur la
transmission de documents ou la réalisation pa r les autorités requises d’actes d’investigation
dûment précisés dans la demande qui prend sa sour ce dans une procédure judiciaire déjà avancée
dans l’Etat requérant. A cet égard, et sur un st rict plan statistique, la demande des autorités
djiboutiennes est particulièrement originale.
2) Les motifs du refus de transmettre le dossier Borrel
38. Madame le président, il convient maintena nt de s’intéresser aux motifs ayant conduit la
République française à refuser de transmettre le do ssier Borrel à la République de Djibouti. Ces
motifs ont été exposés dans le contre-mémoire de la République française et lors du premier tour de
plaidoiries. Ils figurent également dans le soit tran smis de la juge d’instruction Sophie Clément en
date du 8février2005 et constituan t l’annexe XXI du contre-mémoire français. Je me limiterai
donc à réfuter les étranges assertions du conseil de la Partie demanderesse relatives aux notes
déclassifiées des services secrets français.
M39. e van den Biesen prétend tout d’abord que la juge d’instruction Sophie Clément, dans
75
son soit transmis du 8 février 2005 , lequel est reproduit dans votre dossier à l’annexe XIII, ne se
75
CMF, annexe XXI. - 33 -
76
serait fondée que sur les deux pages de la note déclassifiée à laquelle il fait référence . Cela est
tout simplement faux. Elle explique très exact ement avoir sollicité «à plusieurs reprises» les
ministères de l’intérieur et de la défens e et avoir obtenu communication de «documents» ⎯ au
pluriel ⎯ «classés secret-défense».
M40. evan den Biesen explique ensuite que la France ne pourrait pas invoquer les
vingt-cinqnotes déclassifiées auxquelles il a omis de faire référence dans sa propre plaidoirie du
premier tour, au motif que le contre -mémoire français n’en parlerait pas 77. Cela aussi est tout
simplement faux. La lettre du directeur des affaires criminelles et des grâces du ministère de la
justice au procureur de la République de Paris parlant de ces notes était expressément mentionnée
au paragraphe3.56 du contre -mémoire et le passage pertinent intégralement reproduit au
paragraphe3.57. L’ensemble du document était de surcroît annexé et il figure également dans
votre dossier à l’annexe XIV 78.
e
M 41. van den Biesen explique encore qu’il aurait fallu annexer au contre-mémoire français
l’ensemble des avis de la commission consultative du secret de la défense nationale concernant les
différentes demandes de déclassification 79. L’on ne voit pas pourquoi. La note n o 2005-01 du
27janvier2005 a été annexée au contre-mémoire afin d’illustrer la procédure française de
déclassification. Quant aux autres avis, ils étaient aisément accessibles : ils sont publiés au Journal
officiel de la République française et on les trouve également sur Internet, en consultant le site de
Légifrance 80.
42. D’ailleurs, la République française en fournit aujourd’hui même la démonstration,
puisqu’elle a inclus dans le dossier des juges les deux avis de la commission concernant les
vingt-cinq notes ayant fait l’objet d’une demande de déclassification de la part de la juge
d’instruction chargée de l’instruction de l’affaire Borrel. Il s’agit des annexes XV et XVI à votre
dossier. Ces deux notes sont, tout d’abord, l’avis n o2004-02 du 5février2004 et de l’avis
o
n 2004-12 du 2 décembre 2004. Le premier se pr ononce en faveur de la déclassification de dix
76CR 2008/6, p. 47, par. 34.
77
Ibid.
78
CMF, annexe XV.
79CR 2008/6, p. 47, par. 34.
80www.legifrance.gouv.fr - 34 -
notes, pour un total de vingt et un feuillets, et ne se prononce pas sur deux notes supplémentaires
n’ayant pas fait l’objet d’un marquage de classification. Le second avis se prononce en faveur de la
déclassification de trois notes de la DGSE, pour un to tal de quatre feuillets, et de dix notes de la
DPSD, pour un total de vingt-six feuillets.
e
M 43. van den Biesen, enfin, s’interroge sur les effets de la déclassification, comme si tout à
coup les informations déclassifiées ne posaient pl us aucun problème au regard des intérêts
essentiels de l’Etat. Force est, dès lors, de rappe ler que la déclassification est faite à la demande
d’une autorité judiciaire française; la demande ne peut en aucun cas provenir d’une autorité
étrangère. De plus, la portée de la décision de déclassi
fication est limitée au juge ayant fait la
demande et au dossier d’instruction concerné. Les informations transmises au juge sont ensuite
protégées par le secret de l’instruction.
44. Il importe également de souligner que les informations contenues dans ces notes ne
changent évidemment pas de nature du fait que les notes ont été déclassifiées. Leur communication
à une autorité étrangère est tout autant susceptible de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de
la nation qu’auparavant, puisque c’ est en raison d’un tel contenu qu’elles avaient fait l’objet d’une
décision de classification.
Madame le président, je pense que l’heure est arrivée pour la pause.
Le PRESIDENT: Oui, c’est un bon moment pour la pause. La séance est suspendue pour
quelques minutes.
L’audience est suspendue de 16 h 25 à 16 h 40.
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir.
M. ASCENSIO :
B. L’obligation de motiver
45. Madame le président, il est maintenant te mps d’en arriver à l’obligation de motiver le
refus d’entraide, telle qu’elle figure à l’article 17 de la convention de1986. Je commencerai par
l’analyse générale de l’article 17 (1), avant d’observer son application au cas d’espèce (2). - 35 -
1) L’analyse générale de l’article 17
46. Le conseil de la Partie demanderesse a critiqué l’importance, excessive à ses yeux, que la
France accorde à la position de l’ar ticle17 dans la convention de1986 81. Mais c’est que son
unique argument relatif à la confusion des articles 2 et17 consiste à invoquer le contexte! Dès
lors, si l’on s’intéresse au contexte, il faut bien relever le grand écart entre les deux dispositions,
grand écart qui ne peut pas être accidentel. De plus, le sens ordinaire des termes figurant dans ces
articles contredit de manière flagrante l’interprétation de la République de Djibouti, de même que
l’analyse de l’objet et du but du traité.
47. Le professeur Condorelli a, de plus, peu goûté certaines remarques, pourtant relativement
banales, quant au caractère lapidaire et peu détaillé de l’article 17. Là encore, l’outrance a tenu lieu
de réaction. Pour y répondre, le mieux est sans doute d’exposer sereinement à la Cour quelles sont
les caractéristiques concrètes de certains refus oppos és par la France à des demandes d’entraide en
matière pénale. Ceci me conduit à répondre à la question posée par M. le juge Simma.
48. Sur les mille demandes d’entraide environ reçues en 2007, la France a opposé cinq refus.
Parmi ceux-ci, quatre ont été opposés à des demandes émanant de la Côte d’Ivoire. Ils ont été
portés à la connaissance des autorités requérantes en indiquant simplement : «Le ministère informe
l’ambassade que ces demandes d’entraide étant de natu re à porter atteinte à la souveraineté et à la
82
sécurité de la France, leur exécution n’est pas accordée par les autorités françaises.» J’ajoute que
la convention franco-ivoirienne du 24avril1961 comporte des di spositions similaires à celles
prévue par l’article 2 c) de la convention d’entraide franco-djiboutienne.
49. Le cinquième cas porte sur un refus opposé par la France à un Etat membre de
l’Union européenne, en l’occurrence le Royaume-Uni. Les textes applicables en l’espèce prévoient
le même type de dérogations et la même obliga tion de motivation que celles figurant aux articles 2
et 17 de la convention du 27 septembre 1986. La réponse française indique simplement qu’
81CR 2008/6, p. 35, par. 18.
82Note verbale du 16mai2007 adressée par le ministèr e des affaires étrangères, direction des Français à
l’étranger et des étrangers en France, service des affaires civiles et de l’entraide judiciaire, à l’ambassade de la
République de Côte d’Ivoire à Paris, et note verbale du 23 mai 2007 adressée par l’ ambassade de France en Côte d’Ivoire
au ministère ivoirien des affaires étrangères, direction du protocole. - 36 -
«il ne pourra être donné suite à cette demande qui est de nature à porter atteinte à
l’ordre public, s’agissant de journalistes dont les déclarations ont déjà été recueillies
au cours de la procédure française et transmise à vos services sur commission
83
rogatoire» .
50. A cet égard, et toujours dans le souci de répondre à la question du juge Simma, il peut
être relevé que ce refus a été formulé dans ces termes alors même que les dispositions de la
convention du 20avril1959, de l’action commune du 29juin1998 et celles pertinentes de la
convention d’entraide en matière pénale entre Etats membres de l’Union européenne conclue le
29mai2000 étaient applicables. Eu égard aux références faites à l’action commune du
29 juin 1998 par la Partie demanderesse, il importe de souligner que cette action commune, tout
comme la convention du 29mai2000 et la conventi on d’application des accords de Schengen du
19juin1990, n’interprète pas la convention du 20avril1959 mais la complète, et ce pour les
relations entre les seuls Etats membres de l’Union eu ropéenne. En tout état de cause, il est certain
qu’aucun de ces textes ne peut servir à in terpréter la convention franco-djiboutienne du
27 septembre 1986, l’un des deux Etats parties à cett e convention bilatérale n’étant pas membre de
l’Union européenne.
51. Enfin, en sens inverse, les autorités françaises se sont déjà vues opposer, par le passé, des
refus fondés sur les intérêts essentiels d’autres Etats. Ainsi, pour ne citer qu’un exemple, le Togo
nous a imposé un tel refus en faisant valoir «que certaines communications sollicitées par vous sont
84
de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité ou à l’ordre public de l’Etat togolais» .
52. L’ensemble des documents auxquels nous nous référons sont évidemment tenus à la
disposition de la Cour. Toutefois, le fait qu’il s’ agit d’éléments tirés d’informations judiciaires en
cours, et donc par nature non publics, nous oblig era à les transmettre de manière totalement
anonymisée. En outre, si la Cour accédait à la demande de la Partie requérante de pouvoir faire des
observations par écrit, après la procédure orale, sur la réponse donnée par la France à la question du
juge Simma, nous souhaiterions a voir communication de ces observations et pouvoir y répondre si
nous l’estimions utile.
83
Courrier adressé le 29 octobre 2007 par le sous-directeur de la justice pénale spéci alisée, pour le directeur des
affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice à Lord Justice Scott Baker, royal coroner.
84Courrier adressé le 29septembre2003 par M.le doyen des juges d’instruction près le tribunal de grande
instance de Lomé à M. Jacques Gazeaux, juge d’instruction au tribunal de grande instance de Paris. - 37 -
2) L’application de l’article 17 à l’occasion du refus de transmission du dossier Borrel
53. Après l’analyse générale de l’article 17, j’en viens à son application à l’occasion du refus
de transmission du dossier Borrel. Dans le contre-mémoire comme dans les plaidoiries du premier
tour, la République française a présenté un premier élément d’importance, à savoir le courrier en
date du 31mai2005 adressé par la direction des af faires criminelles et des grâces du ministère
85
français de la justice à l’ambassadeur de Djibouti en France . Celui-ci mentionnait l’article 2 c) de
la convention d’entraide judiciaire du 17septembre 1986 et la décision de la juge d’instruction
saisie. Au demeurant, et conformément au principe d’économie des moyens, il n’est nullement
nécessaire pour satisfaire à l’obligation de motivatio n d’aller au-delà de la mention d’un motif en
lui-même suffisant, nonobstant la présence éventuelle d’autres motifs.
54. Ce rappel me permet, Madame le président, de poursuivre en répondant à la question que
vous avez posée à la République française à l’issue du premier tour de plaidoiries.
55. Ainsi que nous l’avons indiqué dans nos plaidoiries orales, il n’est pas d’usage d’adresser
des lettres recommandées avec accusé de réception à nos homologues étrangers. Nous ne pouvons
donc pas apporter la preuve de la réception de la lettre du 31mai2005 par l’ambassadeur de
Djibouti en France.
56. Dès que nous avons appris , le 22 novembre 2007, que la Partie demanderesse contestait
avoir reçu cette lettre, nous avons recherché des éléments permettant d’attest er de l’envoi de cette
lettre. Nos recherches n’ont que partiellement abouti. Nous avons retrouvé la trace d’un bordereau
d’envoi, pour information, d’une copie de cette le ttre à l’ambassadeur de France à Djibouti, ce qui
établit en tout cas son existence. Nous tenons ce bordereau à disposition de la Cour. Il n’est pas
exclu que la transmission de la lettre du 31 mai 2005 ait été effectuée au niveau politique.
57. En tout état de cause, quand bien même cette lettre ne serait pas parvenue à son
destinataire, la République française a fait état , au cours de ses plaidoiries orales, d’un large
faisceau d’éléments montrant que la République de Djibouti était parfaitement informée des motifs
du refus de communication du dossier 8.
85
CMF, annexe V.
86CR 2008/5, p. 20-21, par. 51-54 (Ascensio). - 38 -
58. Les réponses fournies par la République de Djibouti lors du second tour de plaidoiries
non seulement n’emportent pas la conviction, mais font apparaître un élément nouveau. A propos
de la citation, dans le mémoire, de la lettre de la juge d’instruction Sophie Clément, le conseil de la
87
République de Djibouti a déclaré : «We were wrong in assuming that there was such a letter.»
59. Que ne l’a-t-on su plus tôt ! La République française, à la lecture de la requête puis du
mémoire, ne pouvait en toute bonne foi qu’estimer que la République de Djibouti était parfaitement
informée des motifs du refus d’entraide, et ce d’autant qu’elle utilisait des guillemets comme si elle
faisait effectivement référence à une lettre de la juge d’instruction. Cette appréhension du mémoire
était exposée en toute clarté dans le contre-mémoire français, déposé au mois de juin 2007 88. Or, la
République de Djibouti n’a nullement réagi, pas même lorsqu’elle a transmis au Greffe de la Cour
un volumineux ensemble de documents additionnels au mois de novembre2007. Elle n’en a pas
dit mot non plus lors du premier tour de plaidoiri es. Nous l’apprenons seulement au second tour,
en réponse à une question posée par la Cour.
60. Quelles que soient les circonstances invoqu ées, le comportement de la République de
Djibouti indique clairement ou à tout le moins a laissé accroire à la République française que les
autorités djiboutiennes avaient connaissance du motif du refus d’entraide. Ces dernières se sont
abstenues de détromper la République française lors qu’elles en ont eu l’occasion. Elles ont laissé
prospérer le différend, de manière préjudiciable pour la République française, qui n’a pas pu
modifier sa position juridique à l’égard de la République de Djibouti.
61. Plus généralement, la République de D jibouti ne s’est jamais manifestée auprès des
autorités françaises pour obtenir des précisions su r les raisons du refus, et ce depuis 2005, ce qui
prouve bien qu’elle en avait connaissance.
62. Au surplus, la République française a, lors des plaidoiries devant la Cour, longuement
communiqué à la République de Djibouti les raisons de son refus de transmettre le dossier Borrel,
allant sans doute très au-delà de ce que requiert l’ar ticle17 de la convention d’entraide judiciaire
de1986. Conformément à la jurisprudence de la Cour en l’affaire du Cameroun septentrional
(C.I.J. Recueil 1963, p.38, par.58) et en l’affaire des Essais nucléaires (C.I.J.Recueil1974 ,
87
CR 2008/6, p. 46, par. 31 (van den Biesen).
88CMF, p. 38, par. 3.73. - 39 -
p.271, par.58), il convient de constater que le différend n’a, en tout état de cause, plus d’objet
pour sa partie relative à l’obligation de motiver le refus d’entraide. Aucun prononcé n’est plus
nécessaire à ce propos.
*
* *
63. Madame le président, Messieurs les juges, je dois encore conclure en rappelant les
principaux points sur lesquels la République fra nçaise a fait porter l’ensemble de ses plaidoiries
relativement aux allégations de violation du traité d’amitié et de coopération du 27 juin 1977 et de
la convention d’entraide judiciaire en matière pénale du 27 septembre 1986 :
i) aucune obligation juridique du traité d’amitié et de coopération de 1977 n’a été violée par
la République française ;
ii) on ne saurait admettre que le traité d’amitié et de coopération de 1977 aurait été violé au
prétexte d’une violation qualifiée de «grave» de la convention d’entraide judiciaire en
matière pénale du 27 septembre 1986 ;
iii) la convention d’entraide judiciaire en ma tière pénale de 1986 n’a pas été violée en raison
du refus de donner suite au prétendu engagement constitué par la lettre du 27 janvier 2005,
puisque la procédure interne était alors en cours ;
iv) le refus de transmettre à la République de Djibouti une copie du dossier Borrel était
motivé, conformément aux dispositions de la convention d’entraide judiciaire de1986,
notamment de son article 2 ;
v)la France n’a pas violé l’obligation de motivation du refus d’entraide résultant de
l’article 17 de la convention ;
vi) subsidiairement, la violation de l’obligation de motivation du refus d’entraide ne constitue
pas une violation de l’article 1 de la convention ;
vii) encore plus subsidiairement, la partie du différend relative à l’obligation de motivation du
refus d’entraide est devenue sans objet ; - 40 -
viii) enfin, comme l’a démontré le professeur Alain Pellet, une violation de la convention
de1986, quelle qu’en soit la cause, ne pourra it aucunement entraîner une obligation de
transmission complète ou partielle du dossier.
Madame le président, Messieurs les juges, je vous remercie très vivement de votre attention.
Je vous prie, Madame le président, de donner à nouveau la parole au professeur Pellet.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur le professeur Ascensio. Maintenant je donne
la parole à M. le professeur Pellet.
M. PELLET :
LES PRÉTENDUES ATTEINTES AUX IMMUNITÉS ET À LA DIGNITÉ DE
CERTAINS OFFICIELS DJIBOUTIENS
1. Merci beaucoup. Madame le président, M essieurs les juges, j’en viens maintenant au
second volet de l’affaire plaidée par la République de Djibouti ⎯ un volet «hors sujet» ou, plutôt,
«hors objet» si je puis dire, puisque, comme je l’ai montré au début de l’après-midi, la Cour n’a pas
compétence pour en connaître ⎯ alors même qu’il a longuement re tenu l’attention de la Partie
adverse 89. Il retiendra moins longuement la nôtre ⎯non seulement à cause de ce «hors objet»
manifeste, qui fait que nous n’en traitons au fond qu’à titre «subsidiaire» (j’emploie le mot puisque
M.vandenBiesen me reproche de n’en point suffisamment faire usage…) 90 ⎯ mais aussi parce
que je pense qu’il n’y a plus grand-chose à en dire à ce stade très avancé de la procédure.
2. Selon la pratique des deux Parties, je distinguerai à nouveau les prétendues atteintes, d’une
part, à l’immunité, l’honneur et la dignité du chef de l’Etat défendeur (I) et, d’autre part, à la
personne, la liberté et la dignité de pers onnes jouissant, prétendument, d’une protection
internationale (II).
89
Cf. CR 2008/6, p. 18-27 (van den Biesen) et p. 50-54 (Condorelli).
90Ibid., p. 46, par. 30. - 41 -
I. Les prétendues atteintes à l’immunité, l’honneur et
la dignité du chef de l’Etat défendeur
3. En ce qui concerne les prétendues atteintes à l’immunité du président de la République de
Djibouti, sans surprise, je traiterai successivement les problèmes posés par la «convocation à
témoin» du 17 mai 2005 et ceux relatifs à l’invitation à déposer du 14 février 2007.
A. La «convocation à témoin» du 17 mai 2005
4. Au paragraphe 8 de sa plaidoirie sur cette partie (ou «non-partie»…) de l’affaire,
M e van den Biesen récapitule les diverses caractéris tiques d’une convocation à témoin en vertu de
l’article101 du code français de procédure pénale. A la fin de son énumération ⎯ qui paraît
exacte, même s’il va au-delà du seul article 101, qui n’en dit pas tant 9, mon contradicteur indique :
«e) the Article 101 procedure is, according to paragraph 3 of Article 101, secured under the threat
of public force under Article 109» 9.
5. Mais ce qu’il y a de tout à fait extraordinaire c’est que, à nouveau, il ne tient strictement
aucun compte de ce dernier élément lorsque, immédi atement après s’être livré à cette analyse, il
déclare: «These elements all return in the actual convocation à témoin , which was sent ⎯ by
telefax ⎯ to the Applicant’s President on 17 May 2005, and also in the two other convocations
which are available in the current file.» 93 Ce n’est tout simplement pas exact, Madame le
président! Le document adressé au président Guelleh ne fait aucune espèce de référence à
l’article 109 ⎯pas davantage d’ailleurs que celui adr essé en 2004 à l’ambassadeur de Djibouti à
Paris, et ceci en contraste flagrant, éclatant, avec le formulaire type, d’utilisation absolument
générale (sauf lorsque le témoin convoqué est la victime d’une infraction). La convocation à
témoin adressée à la désormais célèbre «MmeFo ix» en est l’illustration et elle mentionne et
l’article 109 du code de procédure pé nale et l’article 434-15-1 du code pénal. La première de ces
dispositions prévoit la possibilité d’une contrainte par la force publique; la seconde, celle d’une
amende.
91
Voir CMF, annexe XXV.
92Cf. CR 2008/6, p. 19, par. 8 (van den Biesen).
93Ibid. (van den Biesen, renvoyant à MD, annexe 25 etaux documents additionne ls du 21novembre2007,
annexe 7). - 42 -
6. Il est sans doute exact que la juge d’inst ruction qui a établi cette «convocation» a utilisé,
au départ, le formulaire «tout fait» des convocations à témoin 94. Mais ce qui est infiniment plus
important pour ce qui nous concerne, c’est qu’elle a pris grand soin d’éliminer de ce formulaire
toute allusion à la possibilité d’une quelconque contrainte. Ceci est tout à fait différent de la
convocation à témoin ⎯ une vraie convocation à témoin de l’article 101 ⎯ adressée à Mme Foix.
95
7. Contrairement à ce que l’avocat du de mandeur veut à tout prix nous faire dire , il n’en
résulte pas qu’il s’agissait d’une invitation à déposer de l’article 656 -- disposition dont vous avez à
nouveau le texte dans le petit dossier des juges que nous avons préparé. Mais il résulte de ce soin
mis par Mme Clément à effacer toute allusion à la contrainte, au moins trois choses :
1) que la juge d’instruction n’envisageait en aucune manière de recourir à la contrainte ;
2)que, donc, l’inviolabilité et l’immunité de juridiction pénale absolue dont jouit le
président Guelleh n’étaient nullement ni menacées, ni, à plus forte raison, violées ; or
96
3) c’est tout ce qu’exige le droit interna tional, dont j’ai montré la semaine dernière , sans être
contredit, qu’il n’excluait nullement que le représentant d’une puissance étrangère pût être
invité à témoigner, du moment qu’il le faisait librement et volontairement. Ceci est du reste
e
reconnu du bout des lèvres par M van den Biesen pour lequel ce serait le lien avec le recours à
la force publique qui seul aurait constitué «a majo r violation of the immunity, the honour and
the dignity of the President of Djibouti: a violation, which entails the international
responsibility of the French Republic» 97. Pas de contrainte ou de menace de contrainte, pas de
violation.
98
8. C’est aussi pourquoi nous maintenon s qu’il était parfaitement légitime que le président
de la République de Djibouti refu sât d’apporter le témoignage qui lui était demandé. Et ce qu’il
s’agisse de la «convocation à témoin» de2005 ou de l’invitation à déposer de2007 qui, j’y
reviendrai très brièvement, était en tous points conforme aux exigences de l’article 656 du code de
procédure pénale.
94 Voir CR 2008/6, p. 19, par. 8 (van den Biesen).
95
Voir CR 2008/6, p. 20, par. 10 (van den Biesen).
96
Voir CR 2008/5, p. 28, par. 15 (Pellet).
97 CR 2008/6, p. 22, par. 14.
98 Voir CR 2008/6, p. 20, par. 9 (van den Biesen) ou p. 21, par. 12. - 43 -
9. Nous convenons volontiers que ce n’était pas le cas de la première ⎯sauf en ce qui
concerne le problème, crucial, de la menace du rec ours à la contrainte. Mais l’irrégularité de la
convocation de 2005 n’est avérée qu’au regard du droit français, pas du droit international qui, seul,
est en cause dans cette enceinte.
10. Au demeurant l’irrégularité de la «convocation à témoin» du 17mai2005 au regard du
seul droit français n’est pas sans conséquence dans notre affaire: comme l’implique la lettre du
chef du protocole du ministère des affaires étrangères en date du 14janvier2005 99 par exemple,
une telle convocation est nulle et non avenue en droit français du fait qu’elle ne respecte pas
l’unique procédure prévue aux fins d’obtenti on du témoignage de représentants de puissances
étrangères, à savoir celle de l’article656 du c ode de procédure pénale, une procédure dont la
régularité est subordonnée au respect de formalités su bstantielles. Bien que je ne connaisse pas de
jurisprudence qui porte directement sur le non-respect des formalités imposées soit par
l’article 101, soit par l’article 656 du code de pro cédure pénale, on peut penser, par analogie, à un
arrêt du 16novembre1991 de la chambre criminelle de la cour de cassation qui confirme que le
non-respect d’une formalité substantielle imposée pa r le code de procédure pénale (en l’espèce, il
s’agissait de l’omission de faire prêter serment à un témoin) était contraire à l’ordre public et
100
entachait de nullité l’acte de procédure en question .
11. La convocation ou invitation litigieuse ⎯ c’est une pure question de mots dès lors que,
de toute manière, elle n’a été assortie d’aucune contrainte ni menace de contrainte ⎯ est donc nulle
et non avenue en droit français et n’aurait pu produi re aucun effet dans l’ordre juridique interne, ni,
à plus forte raison, dans l’ordre international.
12. Mais il y a aussi deux autres motifs pour l esquels, en tout état de cause, la Cour ne
saurait accueillir les conclusions de Djibouti concernant cet acte de procédure. Je les rappelle
seulement puisque je les ai déjà évoqués dans ma première intervention :
⎯ en premier lieu, les autorités de la Républi que ont reconnu, publiquement et à plusieurs
reprises, l’erreur commise par le juge d’instruction ;
99
MD, annexe XXII; voir aussi les déclarations du porte-p arole du ministère des affaires étrangères des 18 et
19 mai 2005, CMF, annexes XXIX et XX.
100Bull. crim. 1991, n° 400. - 44 -
⎯ en second lieu, il n’y a pas lieu de «déclarer nulle et non avenue» l’invitation ⎯ ou la
convocation ⎯ à témoigner du 14mai2005 qui, de toute façon, ne peut plus produire aucun
effet ⎯ non seulement parce qu’elle indiquait une da te précise, passée depuis longtemps, mais
aussi et surtout parce qu’elle a été remplacée, en2007, par une invitation à déposer,
parfaitement régulière, ayant un objet comparable (qui d’ailleurs, je m’empresse de le préciser,
n’est, elle non plus, plus en vigueur).
B. L’invitation à témoigner du 14 février 2007
13. Sur cette invitation de 2007, Madame le président, je peux être vraiment bref :
⎯ le demandeur admet que ce document, qui figure à l’annexeXXXII du contre-mémoire, est
conforme aux exigences de l’article 656 du code de procédure pénale 101 et que la procédure
suivie pour le transmettre à son haut destinataire a été parfaitement régulière 102;
⎯ il admet aussi, ce me semble, que celles-ci ⎯ je veux dire les exigences de l’article 656 ⎯, à
leur tour répondent pleinement aux principes et règles du droit international en matière de
103
protection des immunités, de la dignité et de l’honneur des chefs d’Etat étrangers .
Ce qui veut dire, en clair, qu’il ne lui reproc he rien et que cette invitation, courtoise et
déférente, ne saurait engager la responsabilité de la République. J’ajoute que, ainsi que cela résulte
de la lettre du ministère français des affaires étra ngères à son homologue de la justice en date du
20 février 2007, le refus du président Guelleh de donner suite à cette demande a mis un point final
104
à cette «affaire dans l’affaire» ⎯dont M.van den Biesen ne m’empêchera pas de dire (et de
penser) qu’elle est vraiment trop artificielle pour retenir plus longtemps l’intérêt.
14. Comme est artificielle l’invraisemblable construction échafaudée par mon contradicteur,
qui vous demande de constater la responsabilité de la France pour un soi-disant «essai de répéter»
l’atteinte qui aurait été portée en 2005 aux immunités, à l’honneur et à la dignité du président de la
105
République de Djibouti au prétexte que la presse aurait parlé d’une convocation adressée à ce
101
Cf. CR 2008/1, p. 48, par. 52-53 (van den Biesen), ou CR 2008/6, p. 18, par. 5 et p. 23-24, par.21
(van den Biesen).
102
Cf. CR 2008/1, p. 46, par. 43 (van den Biesen).
103
Cf. CR 2008/6, p. 20, par. 10.
104Voir CR 2008/6, p. 23, par. 20 (van den Biesen).
105Cf. CR 2008/6, p. 65, par. 3 des conclusions (Doualeh). - 45 -
dernier avant que la juge d’instruction ne signe l’invitation à déposer ⎯ elle, bien réelle et figurant
dans le dossier soumis à la Cour . Cela montre seulement une chose: que la presse, qui fait son
travail d’investigation (que l’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, ceci est lié à sa fonction…) ⎯
que la presse, donc, n’était pas complètement inform ée dans la mesure où elle parlait à tort d’une
«convocation à témoigner»; mais je ne suis pas sûr qu’il faille beaucoup s’en émouvoir: même
pour les juristes que nous sommes (et, en tout cas pour moi ⎯ je le dis en toute humilité, Madame
le président), les arcanes de la procédure pénale ne sont pas toujours limpides lorsque l’on n’est pas
pénaliste ; il n’y a guère de raison qu’elles le soient davantage pour des journalistes, qui n’avaient
sans doute pas de formation juridique particulière.
15. Comment, de toute manière, la France aurait-elle pu engager sa responsabilité pour un
acte de procédure qui n’a jamais été concrétisé ; dont personne n’a jamais vu la manifestation
écrite; et dont, jusqu’à plus ample informé, on ne peut vraiment parler que comme d’une
convocation fantôme ⎯ dont l’imaginatif conseil de Djibouti semble avoir eu la révélation et qu’il
aurait sûrement voulu voir exister, mais qui n’exis te, décidément, que dans son imagination? Et
j’ajoute une dernière chose sur ce point : la «convo cation à témoigner» de 2005 avait tout de même
appelé de nombreux et secs désaveux de la part ta nt du ministère de la justice que de celui des
affaires étrangères; et, quand bien même elle n’en freignait aucune règle de droit international, il
aurait tout de même fallu un singulier aveuglement (ou beaucoup de persévérance dans l’erreur) de
la part de son auteure, pour émettre à nouveau un acte de procédure du même type ⎯ alors même
que l’omission délibérée de toute allusion à un possi ble recours à la contrainte dans celui de 2005
montrait qu’elle avait garde de ne pas porter atteinte aux immunités du chef de l’Etat djiboutien.
16. Je ne peux même pas dire, Madame le pr ésident, que j’admire l’imagination dont fait
preuve mon contradicteur. Je pense simplement que, faute de pouvoir plaider «du concret», du
«solide», il s’est égaré dans un monde déconnecté du réel. Assurément, la Cour ne s’y laissera pas
entraîner.
II. Les atteintes prétendues à la personne, la liberté et la dignité de personnes jouissant
prétendument d’une protection internationale
17. Madame le président, les faits sont év idemment plus solidement établis en ce qui
concerne le second volet des allégations de la Partie djiboutienne en matière d’immunités: des - 46 -
convocations à témoin assisté ont bi en été adressées au procureur et au chef de la sûreté nationale
de Djibouti dans le cadre d’une procédure de subornation de témoins instruite par un juge
106
d’instruction auprès de tribunal de Versailles ; et, les intéressés n’ayant pas déféré à cette
convocation, ils ont fait l’objet de mandats d’arrêt décernés par la chambre de l’instruction de la
107
cour d’appel de Versailles . Les faits ne sont pas discutés ; le droit, si.
18. Et je dois dire d’emblée, Madame le président, que je suis extrêmement troublé par le
titre même que le professeur Condorelli a donné à sa plaidoirie sur ce point : «La violation par la
France de l’obligation de prévenir les attein tes à la personne, la liberté et la dignité d’une personne
jouissant d’une protection internationale » 108. J’avoue ne pas comprendre : dans les
paragraphes 137 et 138 de son mémoire, le demande ur, après avoir mentionné le paragraphe 51 de
votre arrêt Yerodia de 2002, relatif à «certaines personnes o ccupant un rang élevé dans l’Etat» et
qui cite notamment «une lis te non exhaustive d’exemples» ⎯c’est Djibouti qui l’écrivait ⎯
comme «le chef de l’Etat, le chef du gouvernement ou le ministre des affaires étrangères
(C.I.J. Recueil 2004, Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 , C.I.J. Recueil 2002, p. 20-21, par. 51), le
mémoire djiboutien ajoutait :
« Dans cette perspective , l’émission et la diffusion de mandats d’arrêt par les
autorités judiciaires françaises pour «subor nation de témoins» contre MM.Djama
Souleiman Ali et Hassan Saïd, respectivement Procureur de la République de Djibouti
et chef de la sécurité nationale de Djibou ti, constituent des violations supplémentaires
109
du droit international coutumier.»
Au surplus était-il écrit, toujours dans le mémoire: «Il convient de rappeler à nouveau à ce sujet
que la Convention … sur les missions sp éciales confirme le principe de l’ inviolabilité personnelle
et juridictionnelle des membres de ces missions» 11. C’est ce qui était écrit dans le mémoire de
Djibouti.
19. Nous en avions déduit, innocemment, que la République de Djibouti considérait que les
intéressés bénéficiaient du fait de leurs fonctions, d’une immunité personnelle (comparable à celles
des chefs d’Etat ou de gouvernement ou des ministres des affaires étrangères, puisque le mémoire
106Voir MD, annexe 30, et documents additionnels du 21 novembre 2007, annexe 11.
107Voir CMF, annexe VII.
108
CR 2008/6, p. 50 (Condorelli) ; les italiques sont de nous.
109MD, p. 52, par. 138 ; les italiques sont de nous.
110Ibid. - 47 -
se plaçait expressément «dans cette perspective»), ainsi, d’ailleurs, que dans celle du droit des
missions spéciales. Le professeur Condorelli a démenti l’une comme l’autre de ces interprétations,
111
taxant la première d’«hérétique» lors de sa plaidoirie du 25janvier et reconnaissant que les
fonctions de procureur de la République et de chef de la sécurité nationale étaient, c’est lui qui le
dit, «essentiellement internes» 112. Et, dans son intervention d’hier, il a rejeté le secours, au moins
partiel, qu’aurait pu lui apporter le droit des missi ons spéciales : «la demande de Djibouti … ne se
fonde pas sur … [l]e droit … [des] missions spéciales» 113. Exit donc l’immunité personnelle. Mais
alors, Madame le président, sur quels fondeme nts le défendeur entend-il faire échapper les
intéressés au droit commun ? Sur l’idée (et sur cette idée seulement) que, (c’est lui qui parle),
«un Etat ne saurait considérer une personne revêtant la qualité d’organe d’un autre
Etat comme pénalement responsable à titre individuel des actes accomplis en cette
qualité officielle, c’est-à-dire dans l’exercice de ses fonctions, ces actes étant à
évaluer, en droit international, comme a ttribuables à l’Etat pour le compte duquel
114
l’organe a agi, et non pas à l’individu-organe» . [Je n’arrive jamais à comprendre
comment M. Conderelli peut lire de si longues phrases.]
C’est sûrement vrai en partie. Mais, pas sous ce tte forme absolue car cela reviendrait à réinventer
la thèse de l’immunité absolue. Je suis déso lé de donner un exemple qui me concerne mais
M.Condorelli me le pardonnera sûrement, car il pourrait tout aussi bien le concerner. Si l’un de
nous fait une conférence à l’étranger ⎯ ce qui entre tout à fait dans le cadre de nos fonctions ⎯, il
ne bénéficierait sûrement pas d’une quelconque protection internationale même si nous recevons un
ordre de mission de nos universités qui sont d es organismes publics. Seuls des comportements
directement liés à l’exercice d’une mission de ser vice public et assortie de l’exercice de
prérogatives de puissance publique accomplis au nom et pour le compte de l’Etat, sont de nature à
déclencher le phénomène immunitaire. Ceci étan t, le conseil du demandeur concède que, de toute
115
manière, ces personnalités ne sauraient bénéficier d’immunités absolues , ce qui veut dire qu’il
111CR 2008/3, p. 15, par. 23 (Condorelli).
112
Ibid., p. 8, par. 7 ; et p. 13, par. 19 (Condorelli).
113
CR 2008/6, p. 51, par. 4 (Condorelli).
114Ibid., p. 51, par. 5.
115Ibid., p. 50, par. 3. - 48 -
faut (et je reprends les propres mots de mon cont radicteur) «vérifier concrètement ce qu’il en est,
116
bien entendu lorsque le problème de l’immunité est soulevé» .
20. Fort bien. Mais, qui peut apprécier ceci ? Qui peut apprécier que ces conditions, tout de
même strictes, sont remplies ? M. Condorelli n’av ance pas l’idée que l’Etat, «d’origine» si je puis
dire, bénéficierait de ce pouvoir et, en effet, dès lors qu’il ne s’agit pas d’ immunité absolue, il ne
saurait en être ainsi ⎯en tout cas unilatéralement. J’avais, pour ma part, timidement fait valoir
que ce pourrait être le juge interne de l’Etat du for. Après avoir dénoncé (c’est lui qui le dit) «cette
thèse étonnante», mon contradicteur revient à plus de mansuétude :
«Certes [admet-il], il est indéniable que des questions de ce genre se posent
normalement devant les juges internes. Mais quand, comme dans la présente espèce,
votre Cour a été dotée par les Parties de la compétence nécessaire pour régler un
différend portant sur les immunités fonctionnelles, on ne voit absolument pas quelle
sorte de motif empêcherait la Cour de s’en occuper et l’obligerait à s’en dessaisir en
faveur d’un juge interne.» 117
Outre que, dans le cas d’espèce, la France n’a nullement consenti à la compétence de votre haute
juridiction pour régler le différend re latif aux «immunités fonctionnelles» ⎯ je n’y reviens pas, ce
différend n’est, s’agissant de ce point précis, de toute manière pas lié ou noué comme je le disais
tout à l’heure.
21. Le professeur Condorelli montre qu’il est conscient du problème et tente de le
désamorcer lorsqu’il dit qu’
«il serait absurde de prétendre que le fait que les deux hauts responsables djiboutiens
n’ont pas invoqué jusqu’ici l’immunité dans le cadre de l’information pour
subornation de témoin ouverte illicitement en France à leur objet ferait obstacle à ce
que la République de Djibouti demande à votre Cour de dire et juger que la France
viole à son préjudice les principes de droit international en matière d’immunités» 118.
Présenté ainsi, c’est peut-être absurde ⎯ mais sur le fond, ce ne l’est pas. Dès lors que la question
n’a jamais été évoquée, il n’existe (sur ce point) p as de différend que la Cour pourrait trancher. La
France ne refuse pas forcément d’envisager que les intéressés agissaient peut-être dans le cadre de
leurs fonctions officielles et d’une mission répondant aux caractéri stiques que j’ai rappelées il y a
un instant, à l’occasion des faits dont ils sont s oupçonnés; elle constate simplement que ni
116Ibid., p. 52, par. 7.
117
Ibid., p. 53, par. 8.
118Ibid. - 49 -
eux-mêmes, ni Djibouti au plan diplomatique, ni dans sa requête, ni dans son mémoire, n’ont
invoqué un tel argument et que, si M.Condorelli l’a fait valoir avec sa force de conviction (et
d’indignation … supposée) habituelle 11, il n’a complètement réussi à me convaincre ni que les
faits assez particuliers de la cause puissent releve r des fonctions officielles d’un agent de l’Etat
quel qu’il soit, ni, de toute manière, que vous disposiez, Madame et Messieurs les juges, d’éléments
suffisants pour déterminer si, oui ou non, quel qu’ait été l’objet de leurs missions respectives
⎯ car, je le répète, ils bénéficient évidemment de la présomption d’innocence pour ce qui est de la
qualification des faits, si oui ou non, ils agissaient dans le cadre de leurs fonctions officielles.
22. Il me semble d’ailleurs, Madame le pr ésident, que le simple fait que l’argument selon
lequel les intéressés auraient bénéficié d’une immun ité de juridiction du fait de leurs fonctions ne
soit apparu que dans le cadre de la présente procédure (fort tardivement d’ailleurs) donne
sérieusement à penser qu’il a été forgé ex post aux seules fins de celle-ci. A l’origine, Djibouti en
avait invoqué un autre, entièrement distinct ⎯ qui a refait surface sous une forme un peu différente
dans sa requête puis dans son mémoire.
23. Cet argument a d’abord été avancé par l’avo cat de MM. Saïd et Souleiman pour justifier
leur refus de déférer à la c onvocation du juge de Versailles. Dans une lettre en date
du11octobre2005 (dans laquelle il s’exprimait cl airement aussi au nom de la République de
Djibouti), il écrivait :
«J’ai le regret de vous informer que ces deux personnes, l’un fonctionnaire,
l’autre magistrat, ne peuvent déférer à cette convocation.
Dans le cadre de la mort du Juge Borel (sic) et des procédures judiciaires qui en
découlent, les autorités de la République de Djibouti ont toujours coopéré pleinement.
Les magistrats et les policiers fran çais ont eu toute latitude pour mener à
Djibouti toutes les investigations qu’ils ont jugé utiles et ce, jusqu’à dans les locaux de
la Présidence de la République.
Les autorités de Djibouti n’ont pu en retour obtenir la coopération de la justice
française.
cocanistions, la République de Djibouti, état souverain, ne peut accepter
que cette coopération avec l’ancienne puissance coloniale se fasse à sens unique et les
120
deux personnes convoquées ne sont donc pas autorisées à témoigner.»
119
CR 2008/3, p. 12, par. 17, et p. 14, par. 21 (Condorelli).
120
MD, annexe 31 ; les italiques sont de nous. - 50 -
24. De même, dans son mémoire, la Partie d jiboutienne se plaint de ce que «d’une part, les
autorités françaises ont bloqué unilatéralement la coopération judiciaire entre les deux Etats et
d’autre part se sont estimés en droit de recourir à la coopération de Djibouti toujours dans le cadre
de l’affaire «Borrel» en convoquant des ressortissants djiboutiens» 12.
25. Au risque de me répéter, il me faut, une fois de plus, rappeler que l’amalgame effectué
par Djibouti entre l’«affaire Borrel» (c’est-à-dir e l’information judiciaire relative au décès de
Bernard Borrel et instruite au tribunal de grande instance de Paris) et l’in formation ouverte du chef
de subornation de témoins et instru ite au tribunal de Versailles n’est pas correcte. Ce sont deux
affaires distinctes et seule la première est c oncernée par le refus de donner suite à la commission
rogatoire de novembre 2004. Mais il y a plus.
26. Comme je l’ai dit il y a quelques instants , la convocation de MM. Saïd et Souleiman en
tant que témoins assistés a été transmise au mini stère de la justice djiboutien dans la stricte
application de la convention d’entraide judiciaire entre les deux pays de1986. En refusant d’y
donner suite la République de Djibouti a manqué à ses obligations en vertu de la convention et, en
particulier, à celles résultant des paragraphes 1 et 2 de l’article 3, qui disposent que :
«1. L’Etat requis fera exécuter, conformément à sa législation, les commissions
rogatoires relatives à une affaire pénale qui lui seront adressées par les autorités
judiciaires de l’Etat requérant et qui ont pour objet d’accomplir des actes
d’instruction…
2. Si l’Etat requérant désire que les témoins ou les experts déposent sous
serment, il en fera expressément la demande et l’Etat requis y donnera suite si sa
législation ne s’y oppose pas.»
27. Le refus de Djibouti de donner suite à la demande du juge d’instruction de Versailles ne
repose pas sur ce motif, non plus que sur aucun de ceux envisagés par l’article 2 de la convention,
dont le professeurAscensio a longuement parlé la semaine dernière et tout à l’heure.
Il constitue
plutôt une sorte d’ exceptio non adimpleti contractu qui ne dit pas son nom. Or les conditions qui
pourraient justifier le jeu de ces exceptions ne sont nullement remplies.
28. Pour que les règles figurant dans l’article 60 de la convention de Vienne sur le droit des
traités, qui, dans leurs grandes lignes en tout cas, codifient le droit en vigueur en matière
121
MD, p. 32, par. 77. - 51 -
d’extinction ou de suspension de l’application d’ un traité comme conséquence de sa violation,
puissent s’appliquer, il faudrait que deux conditions au moins soient remplies :
1) que la violation alléguée de la convention de 1986 soit avérée ⎯or, comme l’a montré mon
collègue et ami Hervé Ascensio, il n’en est rien (et cela vaut également pour une argumentation
qui serait fondée sur la notion de contre-mesures) ; et
2) que la République de Djibouti ait invoqué «la violation comme motif pour mettre fin au traité
ou suspendre son application en totalité ou en partie» 122⎯ or, loin de se prévaloir de la fin ou
de la suspension de la convention de 1986, la Partie djiboutienne invoque ce traité et fonde
l’essentiel de son argumentation sur ses dis positions; comme l’a constaté l’arrêt du
26septembre2006 de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles: «à aucun
moment, les autorités judiciaires officielles de Djibouti n’ont entendu suspendre ou rompre les
123
relations d’entraide judiciaire avec la France» ; du reste, si dénonciation ou suspension il y
avait eu, elle aurait dû être notifiée en suivant, au moins dans leur esprit, les directives des
articles 65 à 67 de la convention de 1969 124. En interdisant aux deux personnalités intéressées
de se rendre à la convocation du juge de Versa illes sans aucune justification juridique, la
République de Djibouti a clairement agi en viol ation de la convention d’entraide de1986 à
laquelle elle dit attacher tant de prix.
29. Il me reste à conclure en récapitulant, Madame le président :
1) D’une manière très générale, toutes les questions dont j’ai traité dans cette dernière plaidoirie,
sans aucune exception, échappent à la compétence de la Cour; les conclusions qui suivent à
leur sujet n’ont donc qu’un caractère subsidiaire.
2) Le président Guelleh n’a fait l’objet d’aucune menace, ni, à fortiori, bien évidemment, d’aucune
mesure de contrainte, qui aurait porté atteinte à ses immunités, à sa dignité ou à son honneur :
⎯ la «convocation à témoin» du 14 mai 2005, bien qu’e lle ne respectât point les prescriptions de
l’article 656 du code de procédure pénale ne renvoyait nullement à la possibilité du recours à la
force publique, en contraste frappant avec la pratique habituellement suivie, ce qui, par
122Art. 60, par. 1, de la convention de Vienne de 1969.
123
CMF, annexe VII, p. 12.
124Cf. Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 66, par. 109. - 52 -
soi-même, témoignait de la volonté délibérée de la juge d’instruction de ne pas se placer sur le
terrain du droit commun ;
⎯ du fait, précisément, qu’elle n’était pas conforme aux dispositions de l’ article656 du code de
procédure pénale toujours, cette invitation n’en était pas moins nulle et non avenue ; et
⎯ en tout état de cause, elle a été remplacée par l’invitation à déposer, parfaitement régulière, du
14 février 2007, si bien qu’il n’y a, en tout cas pas lieu à statuer sur les demandes de Djibouti la
concernant ;
⎯ subsidiairement, si, néanmoins, la Cour entenda it se prononcer au fond à son égard, elle ne
pourrait que constater qu’elle n’a violé ⎯ cette convocation de 2007 ⎯ aucun principe ni
aucune règle de droit international ;
e
⎯ encore plus subsidiairement, si, «par impossible» ⎯ pour faire plaisir à M van den Biesen ⎯,
la Cour considérait qu’il en allait autrement, elle estimera, j’en suis convaincu, que les excuses
présentées par les autorités offi cielles françaises constituent une réparation appropriée et
suffisante ;
⎯ quant à l’invitation à déposer du 14 février dern ier, le demandeur n’allègue en fait pas son
illicéité ; dès lors, elle ne saurait, de quelque manière que ce soit, engager la responsabilité de
la France et vous ne pourrez, Madame et Messieurs de la Cour, que le constater.
3) Pour ce qui est des prétendues atteintes aux im munités dont bénéficieraient le procureur de la
République et le chef de la sûreté nationale de Djibouti,
⎯ les convocations à témoin assisté qui leur ont été adressées ont, elles aussi, été supplantées par
les mandats d’arrêt émis à l’encontre de ces deux personnalités ; il n’y a donc pas lieu pour la
Cour de se prononcer à leur égard ;
⎯ quant aux mandats d’arrêt eux-mêmes, ils ne sont contraires à aucune règle du droit
international et n’ont pu porter nulle atteinte à des immunités dont ces personnes ne bénéficient
pas ; et,
⎯ de toute façon, puisque loin de se prévaloir de te lles immunités devant le juge français, elles se
sont fondées sur un prétendu manquement au principe de réciprocité ⎯ qui n’est pas pertinent
en l’espèce, le contentieux n’est pas noué sur ce point ⎯ ceci indépendamment même de - 53 -
l’incompétence manifeste de la Cour pour se prononc er sur tout le volet de l’affaire relatif aux
immunités des officiels djiboutiens invoquées maintenant par le demandeur.
30. Madame et Messieurs les juges, ceci conc lut ma plaidoirie. Je vous remercie de m’avoir
prêté une oreille attentive. Je vous prie, Madame le président, de bien vouloir donner la parole à
Mme Belliard, agent de la République française.
Le PRESIDENT : Je vous remercie Monsieur le professeur Pellet et maintenant je donne la
parole à Mme Belliard, l’agent de la République française.
Mme BELLIARD :
C ONCLUSION GÉNÉRALE
1. Madame le président, Messieurs les juges, il m’incombe maintenant de conclure le second
tour de plaidoiries de la République française. Je serai brève, d’autant plus brève que nos
contradicteurs n’ont guère apporté d’éléments nouveaux au cours de ce second tour.
2. En revanche, est plus clairement apparu leur objectif principal, qu’il est aisé de résumer.
En effet, et tout simplement si j’ose dire, ledemandeur paraît vouloir fair e de votre prétoire une
chambre d’appel contre des procédures conduites souverainement et en toute indépendance devant
les juridictions françaises et ceci au risque detransformer la présente instance en une discussion
hors sujet sur l’application nationa le de procédures d’entraide judiciaire ou sur l’interprétation
exacte de notre code de procédure pénale. Ceci, de toute évidence, n’est pas le rôle d’une cour
internationale.
3. Cela étant, nous n’avons jamais prétendu ⎯je l’indiquais déjà lors de ma plaidoirie
introductive de jeudi dernier ⎯, pouvoir tirer argument de notre droit interne pour nous exonérer
de nos obligations internationales.
4. La France s’est bien au contraire présentée volontairement pour répondre devant votre
Cour d’un différend précis l’opposant à la République de Djibouti et ne mettant en jeu que des
questions de droit international. Au fond, et c’était là l’exacte limite à laquelle ⎯ nous
l’espérions ⎯ aurait dû se tenir le débat, le demandeur nous fait un seul grief: ne pas lui avoir
transmis la copie d’un dossier d’une information judiciaire en cours, le dossier de «l’affaire Borrel» - 54 -
dont il convient par ailleurs qu’elle n’est pas en cau se en tant que telle devant vous. Je reviendrai
dans quelques instants sur ce grief. Je ne m’a ppesantirai pas, en revanche, sur l’étendue de la
compétence de la Cour dans la présente espèce, si ce n’est pour souligner :
⎯ d’une part, que l’article 38, pa ragraphe5, du Règlement de la Cour impose de respecter les
termes exacts de l’acceptation explicite de votre compétence sur le fondement de cet article ;
⎯ d’autre part, que l’on voit mal, comme il a été abondamment démontré par le
professeur Alain Pellet, où s’arrêterait la compétence de la Cour si l’on suivait le raisonnement
du demandeur, sa thèse n’étant à cet égard ni raisonnable, ni praticable.
5. Avant d’en arriver au grief tiré du refus de communication du dossier de l’affaire Borrel,
j’apporterai néanmoins un dernier commentaire su r les allégations d’atteintes aux immunités de
personnalités djiboutiennes.
6. S’il est clair ⎯ nous n’avons pas de divergence sur ce point, fort heureusement ⎯ que le
droit international coutumier reconnaît à un chef d’ Etat en exercice l’invi olabilité et l’immunité
totale en matière de juridiction pénale, il est non moins évident que les demandes djiboutiennes de
voir reconnues des immunités étendues à des représentant s officiels, tels le procureur général de la
République de Djibouti ou le chef de sa sécurité nationale, vont bien au-delà de ce qu’exige le droit
international. Les immunités n’ont aujourd’hui pas toujours bonne presse face au désir légitime de
lutter contre l’impunité. A l’heure où un équilibre raisonnable doit être assuré entre les immunités
et les risques d’impunité qu’elles entraînent, d’une part, et la nécessité, grâce à la protection
qu’elles assurent aux plus hauts représentants des Etats, de permettre le fonctionnement
harmonieux des relations entre Etats, d’autre part, il serait pour le moins paradoxal, et tout à fait
contestable :
⎯ de dénier à un Etat le droit de solliciter, sans bien sûr faire usage d’aucune contrainte, le
témoignage du chef d’un autre Etat ;
⎯ de reconnaître à tout fonctionnaire, quand bien même il serait placé très haut dans la hiérarchie
administrative, un statut lui assurant des immun ités de juridiction absolues et générales sans
égard aucun pour les fonctions qu’il remplit ; et, enfin, - 55 -
⎯ de dénier au juge national la compétence pour apprécier si des actes accomplis par des
personnes excipant d’immunités fonctionnelles entr ent bien dans le cadre de leurs activités
professionnelles accomplies pour le compte et au nom de leur Etat.
7. Toutes ces questions excédant manifestement votre compétence telle qu’acceptée par la
République française sur le fondement de l’article 38, paragraphe 5, du Règlement de la Cour, je
voudrais toutefois concentrer mon propos sur les seuls points sur lesquels vous avez à vous
prononcer. En définitive, ceux-ci peuvent être résumés simplement en se posant successivement
quatre questions.
Première question: La France avait-elle le droit de refuser, dans l’exécution d’une
commission rogatoire internationale, de transm ettre le dossier sollicité par les autorités
djiboutiennes ?
8. La réponse positive à une telle question ne fa it aucun doute. Djibouti a certes d’abord fait
valoir que la France ne pouvait, en aucun cas, refuse r la demande djiboutienne, avant de se raviser.
Au risque de se contredire, elle a alors soute nu que la France aurait accepté de transmettre le
dossier avant elle-même de se dédire.
9. Cette attitude contradict oire du demandeur traduit ses difficultés à réfuter la position
claire, constante et parfaitement fondée en droit de la République française : le refus de faire droit à
une demande d’entraide judiciaire est prévu dès l’article 2 de la convention d’entraide
du27septembre1986 pour certaines hypothèses qui, lo in d’être propres à cette convention, sont
prévues quasi systématiquement dans les conventions de même nature conclues en ce domaine.
Une telle disposition, en outre, s’inscrit dans le prolongement logique d’une coopération qui, pour
être «la plus large possible», ne saurait être abso lue sans quoi, inévitablement, il ne s’agirait plus
guère de coopération mais d’intégr ation pure et simple des ordres judiciaires entre deux Etats ; or,
nous savons tous qu’en matière de coopération judiciaire dans le domaine pénal, nous n’en sommes
pas là.
Deuxième question : Quels sont, sur le fond, les cas de dérogation prévus par la convention ?
10. Ces conditions figurent, et sont clairement énoncées, à l’article 2 de la convention. Sur
les trois motifs de refus envisagés, on trouve ex pressément mentionnée, et c’est elle qui nous
intéresse dans la présente affaire, l’hypothèse da ns laquelle la demande est de nature à porter - 56 -
atteinte aux intérêts essentiels de l’Etat requis. Cette dérogation, prévue au litt. c) de l’article 2 de
la convention de 1986 est une disposition classique ⎯ je dirais même traditionnelle et constante ⎯
dans les conventions d’entraide pénale.
11. En effet, les questions pénales, plus que d’autres, sont de celles qui touchent à la
souveraineté nationale des Etats et à leur sécurité ou à leur ordre public; nul ne songerait à le
contester. C’est donc fort logiquement que les Etats, lorsqu’ils décident de négocier et de conclure
des accords d’entraide judiciaire en matière pénale, veillent, en y insérant des dispositions telles
que celles de l’article 2 de la convention qui nous occupe, à ce que les engagements qu’ils prennent
ne puissent porter atteinte à leur souveraineté, à leur sécurité, à leur ordre public ou à d’autres de
leurs intérêts essentiels.
12. Je ne voudrais toutefois pas que l’on s’y méprenne: il ne s’agit pas d’affirmer que la
seule nature pénale de la coopération autoriserait à elle seule l’Etat à déroger à son obligation en la
matière. C’est bien évidemment lorsque, dans le cadre de cette coopérati on en matière pénale, sa
souveraineté, sa sécurité, son ordre public ou d’autres de ses intérêts essentiels pourraient être
affectés que l’Etat est en droit, s’il l’estime nécessaire, de recourir à la dérogation
conventionnellement prévue.
13. Quant aux faits qui vous sont soumis, Madame et Messieurs de la Cour, je n’y reviendrai
pas, sauf à rappeler que les autorités de mon pays tout comme celles de l’Etat demandeur étaient
parfaitement conscientes, dès avant l’émission mê me de la commission rogatoire internationale,
des difficultés que soulèverait immanquablement la demande djiboutienne eu égard aux pièces
frappées de «secret-défense» et déclassifiées pour être versées au «dossier Borrel». Ce n’est
toutefois qu’après l’examen de la demande d’entraide, dans les formes requises, que la conclusion a
dû et n’a pu qu’être tirée de l’impossibilité de transmettre le dossier à la Partie djiboutienne, et ceci
me conduit à la troisième question à laquelle vous êtes appelés à répondre :
Troisième question: Qui est juge de ce qu’une demande est de nature à porter atteinte aux
intérêts essentiels de l’Etat requis ?
14. Là encore, la réponse ne fait aucun dout e, compte tenu de la rédaction extrêmement
claire du litt. c) de l’article 2, de la convention : cette compétence est reconnue à l’Etat requis, et à
lui seul. - 57 -
15. Il est clair que dans l’esprit des Etats parties, et le litt. même des dispositions ainsi
prévues le confirme, il s’agit, pour l’Etat requi s, de se préserver une large marge d’appréciation
pour juger lui-même, et seulement lui-même, du risque d’atteinte à ses intérê ts essentiels. En se
reconnaissant réciproquement une telle faculté, les Etats entendent ainsi assurer le respect mutuel
de leur souveraineté dans un domaine particulièrement sensible.
16. Ceci ne signifie nullement que les Etat s utilisent de telles clauses de dérogation sans
discernement et, en particulier, sans se conformer au principe de bonne foi. Bien au contraire, ainsi
que cela a été indiqué, cet usage est peu fréquent et c’est faire un procès d’intention à la
République française que de soutenir, comme le font nos contradicteurs, qu’elle entendrait s’abriter
systématiquement derrière cette clause pour refuser t oute coopération judiciaire. Il est évident, au
demeurant, que la notion d’intérêts essentiels, co mme les mots mêmes le signifient, est une notion
qui reste très circonscrite. Je rappelle que, jusqu’à cette demande, la France n’avait jamais refusé
aucune demande d’entraide émanant des autorités djiboutiennes, prouvant, s’il en était besoin, que
la République française ne fait pas un usage abusif de cette clause.
17. En l’espèce, la France a refusé la communication du dossier Borrel sur le fondement de
cette clause. Elle a estimé en effet que cette comm unication serait de nature à porter atteinte à ses
intérêts essentiels. Il me semble que la lecture des pièces soumises à la Cour par les deux Parties
suffit à faire comprendre que ce refus n’était pas injustifié.
18. En outre, que le refus des autorités français es n’a rien d’arbitraire est attesté, si tant est
qu’il faille le démontrer, par le plein respect des formes prévues par la convention d’entraide
judiciaire et il s’agit là de la quatrième et dernière question que soulève le présent différend :
Quatrième question: Quelle procédure les au torités françaises devaient-elles suivre pour
répondre à la demande d’entraide ?
19. Deux précisions sont données par la convention :
⎯ premièrement, c’est à l’article3, l’Etat re quis fait exécuter les commissions rogatoires
«conformément à sa législation» ; en France, pour une commission rogatoire telle que celle en
cause dans la présente espèce, c’est au juge d’instru ction qu’il appartient, et à lui seul, lui seul
pouvant disposer du dossier, de déterminer si la demande peut recevoir une réponse positive.
Telle a été la procédure suivie en l’espèce ; - 58 -
⎯ deuxièmement, l’article17 prévoit que «tout re fus d’entraide judiciaire sera motivé». Les
conseils de Djibouti tentent à cet égard de jongler avec les différentes pièces soumises à la
Cour. S’appuyant ainsi sur l’une, la lettre du 31 mai 2005 du directeur des affaires criminelles
et des grâces du ministère de la justice, ils semblent faire valoir, entre les lignes de leur
argumentation, que le refus, bien que motivé (pas suffisamment à leur goût, néanmoins), n’a
125
pas été notifié par la France, au motif que Djibouti n’aurait jamais reçu une telle lettre .
Mais, en s’appuyant sur une autre pièce, la lettr e du 6 juin 2005 de l’ambassadeur de France à
Djibouti, les demandeurs soutiennent à l’inverse que le refus leur a bien été notifié, mais sans
être, cette fois, motivé 126.
Ce savant équilibrisme me paraît en tout état de cause inutile. L’article17 ne prévoit pas
d’obligation de notification, ni donc, à plus fort e raison, les modalités et les formes d’une possible
notification, alors que d’autres conventions prévoient expressément une obligation de notification,
127
comme a bien voulu le reconnaître un conseil du demandeur . Aussi est-il bien plus pertinent de
s’en tenir au sens et à l’effet u tile que poursuit cette disposition afin de vérifier que ceux-ci ont été
pleinement respectés. A cet égard, la lecture des pièces produites dev
ant la Cour comme la
rédaction même du mémoire de la Partie djiboutie nne, démontrent amplement que les raisons ont
été fournies à la République de Djibouti pour motiver le refus de lui transmettre le dossier Borrel.
Aucune violation de l’article 17, ni à fortiori d’une quelconque autre dispos ition de la convention,
ne paraît ainsi avoir été établie par la Partie requérante.
20. Telles sont, il me semble, les questions auxquelles la Cour devra répondre. J’ajouterai
néanmoins, avant de conclure, deux derniers poi nts. Premier point: on ne saurait admettre la
pétition de principe du demandeur selon laquelle le dossier pourra être scindé entre ce qui pourrait
être communiqué et ce qui ne le pourrait pas et ceci, qui plus est, à l’aveugle. A cet égard, il me
semble que, là encore, l’ensemble des éléments produits devant vous ainsi que le nombre de pièces
du dossier Borrel ayant fait l’objet, qui plus est à différents moments de la procédure, d’une
déclassification permettant de les verser au dossier , suffisent à convaincre du contraire. Le dossier
125CR 2008/2, p. 41-43, par. 45-51 (van den Biesen).
126
Ibid., p. 39-41, par. 37-44 (van den Biesen).
127CR 2008/2, p. 26, par. 35 (Condorelli). - 59 -
forme un tout. Et, là encore, il n’appartient pas à l’Etat requérant de se substituer à la République
française pour en juger.
21. Second point. Vider les dispositions du litt. c) de l’article 2 de la convention de 1986 de
leur portée ⎯ce à quoi aboutiraient les thèses des requérants ⎯ risquerait de compromettre la
conclusion d’accords de coopération judiciaire et pourrait inciter des Etats à se dégager de ceux qui
sont en vigueur. A cet égard, à n’en pas douter, la réponse qui sera donnée par la Cour sur ce point
ira bien au-delà de la coopération judiciaire fra nco-djiboutienne, dès lors que, je le répète, ces
clauses sont des clauses standard dans ce type d’accords.
22. Madame le président, Messieurs les juges, ainsi que je l’avais souligné lors de
l’ouverture du premier tour de plaidoiries de la France, je ne peux que rejoindre la République de
Djibouti lorsque celle-ci exprime la nécessité de préserver les liens de coopération et d’amitié
existant entre nos deux pays. Je suis convaincue que la décision de votre Cour y contribuera.
23. Madame le président, je tiens, avant de clore, à adresser tous mes remerciements aux
membres de la Cour pour l’attention dont ils ont bien voulu témoigner tout au long de cette
procédure orale, au Greffe pour sa précieuse assi stance à l’organisation de ces audiences ainsi
qu’aux interprètes pour leur remarquable concours.
24. J’ai maintenant l’honneur de vous don ner lecture des conclusions finales de la
République française, laquelle, pour l’ensemble d es motifs exposés dans son contre-mémoire et au
cours des plaidoiries orales, et conformément aux conclusions qui ont été exposées par
M. Alain Pellet et M. Hervé Ascensio, prie la Cour de bien vouloir :
1) a) se déclarer incompétente pour se prononcer sur les demandes présentées par la
République de Djibouti à l’issue de ses plaidoiries orales qui dépassent l’objet
du différend tel qu’exposé dans sa requête, ou les déclarer irrecevables ;
b) subsidiairement, déclarer ces demandes non fondées ;
2) rejeter l’ensemble des autres demandes formulées par la République de Djibouti.
Je vous remercie.
Le PRESIDENT: Je vous remercie, Madame l’ag ent. La Cour prend acte des conclusions
finales dont vous venez de donner lecture au nom de la République française, tout comme elle a
pris acte hier des conclusions finales de la République de Djibouti. - 60 -
S’agissant de la réponse apportée cet après-midi par la France à la question posée par M. le
jugeSimma au terme de l’audience du 25janvier, j’ajouterai que Djibouti pourra présenter par
er
écrit, le vendredi 1 février2008 au plus tard, les observations qu’il voudrait faire sur cette
réponse. Le texte des observations de Djibouti sera communiqué à la France. La Cour n’invitera
pas la France à fournir d’autres observations.
Ceci nous amène à la fin de cette série d’audiences consacrées aux plaidoiries des Parties. Je
tiens à adresser mes remercieme nts aux représentants des deux Parties pour l’assistance qu’ils ont
apportée à la Cour par leurs exposés oraux au cours de ces audiences.
Je leur souhaite un bon retour da ns leurs pays respectifs et, c onformément à la pratique, je
prierai les agents de bien vouloir rester à la dis position de la Cour. Sous cette réserve, je déclare
close la présente procédure orale.
La Cour va maintenant se retirer pour délib érer. Les agents des Parties seront avisés en
temps utile de la date à laquelle la Cour rendra son arrêt.
La Cour n’étant saisie d’aucune autre question aujourd’hui, la séance est levée.
L’audience est levée à 17 h 55.
___________
Audience publique tenue le mardi 29 janvier 2008, à 15 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de Mme Higgins, président, en l'affaire relative à Certaines questions concernant l'entraide judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France)