12 NOVEMBRE 2024
ARRÊT
APPLICATION DE LA CONVENTION INTERNATIONALE SUR L’ÉLIMINATION
DE TOUTES LES FORMES DE DISCRIMINATION RACIALE
(AZERBAÏDJAN c. ARMÉNIE)
___________
APPLICATION OF THE INTERNATIONAL CONVENTION ON THE ELIMINATION
OF ALL FORMS OF RACIAL DISCRIMINATION
(AZERBAIJAN v. ARMENIA)
12 NOVEMBER 2024
JUDGMENT
TABLE DES MATIÈRES
Paragraphes
QUALITÉS 1-21
I. INTRODUCTION 22-28
II. PREMIÈRE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE : COMPÉTENCE RATIONE
TEMPORIS 29-64
III. DEUXIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE : COMPÉTENCE RATIONE MATERIAE
À RAISON DE LA POSE ALLÉGUÉE DE MINES TERRESTRES ET DE PIÈGES
PAR L’ARMÉNIE 65-77
IV. TROISIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE : COMPÉTENCE RATIONE MATERIAE
À RAISON DE PRÉTENDUS DOMMAGES ENVIRONNEMENTAUX 78-100
DISPOSITIF 101
___________
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ANNÉE 2024
2024
12 novembre
Rôle général
no 181
12 novembre 2024
APPLICATION DE LA CONVENTION INTERNATIONALE SUR L’ÉLIMINATION
DE TOUTES LES FORMES DE DISCRIMINATION RACIALE
(AZERBAÏDJAN c. ARMÉNIE)
EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES
Contexte historique Requête déposée par l’Azerbaïdjan le 16 septembre
2021 Azerbaïdjan et Arménie étant parties à la convention internationale sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination raciale (ci-après, la « CIEDR ») Article 22 de la CIEDR
invoqué comme base de compétence CIEDR étant entrée en vigueur pour l’Azerbaïdjan le
15 septembre 1996 et pour l’Arménie le 23 juillet 1993 Arménie ayant soulevé trois exceptions
préliminaires d’incompétence de la Cour.
*
Première exception préliminaire Compétence ratione temporis.
Exception portant uniquement sur les demandes relatives aux faits qui se seraient produits
entre le 23 juillet 1993 et le 15 septembre 1996 Aucune question de rétroactivité des traités ne se
pose s’agissant des obligations de l’Arménie au regard de la CIEDR Question de savoir si
l’article 22 de la CIEDR offre une base de compétence permettant de connaître des demandes de
l’Azerbaïdjan relatives aux faits qui se seraient produits avant que celui-ci devienne partie à la
CIEDR Portée temporelle de la compétence de la Cour liée à la date à laquelle les obligations
découlant de la CIEDR ont pris effet entre les Parties.
- 2 -
Caractère erga omnes partes de certaines obligations découlant de la CIEDR n’ayant pas
d’effet sur la portée temporelle de la compétence de la Cour Entre le 23 juillet 1993 et le
15 septembre 1996, l’Arménie devant ses obligations au titre de la CIEDR à tous les autres États
parties, mais pas aux États non parties Différence entre la procédure interétatique de
présentation de communications établie par les articles 11 à 13 de la CIEDR et le mécanisme
judiciaire prévu à son article 22 En conséquence, positions adoptées par le Comité de la CIEDR
n’étant pas pertinentes aux fins de l’interprétation et de l’application de la clause
compromissoire Aux fins de la détermination de la portée temporelle de la compétence conférée
à la Cour par l’article 22 de la CIEDR, date à retenir étant le 15 septembre 1996.
Faits illicites continus ou composites Engagement de la responsabilité de la défenderesse
à l’égard du demandeur à raison des actions ou omissions commises après le 15 septembre
1996 Prise en considération des faits pertinents survenus avant cette date.
Incompétence ratione temporis à l’égard des faits qui se seraient produits avant le
15 septembre 1996 Cour retenant la première exception préliminaire.
Examen des arguments relatifs à la recevabilité de la requête n’étant pas nécessaire.
*
Deuxième exception préliminaire Compétence ratione materiae à l’égard de la pose
alléguée de mines terrestres et de pièges par l’Arménie Azerbaïdjan ne prétendant pas que la
pose alléguée de mines terrestres et de pièges constitue en soi une violation des obligations que la
CIEDR impose à l’Arménie Pose alléguée de mines terrestres et de pièges en tant qu’élément de
preuve à l’appui de la demande relative au nettoyage ethnique Rejet de la deuxième exception
préliminaire pour défaut d’objet.
*
Troisième exception préliminaire Compétence ratione materiae à l’égard des prétendus
dommages environnementaux.
Possibilité qu’un comportement donnant lieu à des dommages causés à l’environnement soit
constitutif de discrimination raciale au regard de la CIEDR n’étant pas exclue Surexploitation
de ressources minérales et déforestation alléguées qui auraient servi des objectifs commerciaux ou
été dues à la négligence pour l’environnement et à sa mauvaise gestion Destruction et déviation
alléguées de cours d’eau qui auraient touché différents groupes ethniques Personnes d’origine
nationale ou ethnique azerbaïdjanaise ne vivant pas dans les territoires concernés par les dommages
environnementaux allégués Actes allégués ayant causé des dommages à l’environnement, à les
supposer établis, ne pouvant entrer dans les prévisions de la CIEDR.
- 3 -
Incompétence ratione materiae à l’égard des demandes de l’Azerbaïdjan relatives aux
dommages environnementaux — Cour retenant la troisième exception préliminaire.
ARRÊT
Présents : M. SALAM, président ; Mme SEBUTINDE, vice-présidente ; MM. TOMKA, ABRAHAM,
YUSUF, Mme XUE, MM. BHANDARI, IWASAWA, NOLTE, Mme CHARLESWORTH,
MM. BRANT, GÓMEZ ROBLEDO, Mme CLEVELAND, MM. AURESCU, TLADI, juges ;
MM. DAUDET, KOROMA, juges ad hoc ; M. GAUTIER, greffier.
En l’affaire relative à l’application de la convention internationale sur l’élimination de toutes
les formes de discrimination raciale,
entre
la République d’Azerbaïdjan,
représentée par
S. Exc. M. Elnur Mammadov, ministre adjoint aux affaires étrangères de la République
d’Azerbaïdjan,
comme agent ;
S. Exc. M. Rahman Mustafayev, ambassadeur de la République d’Azerbaïdjan auprès du
Royaume des Pays-Bas,
comme coagent ;
M. Vaughan Lowe, KC, professeur émérite de droit international (chaire Chichele) à
l’Université d’Oxford, membre de l’Institut de droit international, Essex Court Chambers,
membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles,
M. Samuel Wordsworth, KC, Essex Court Chambers, membre du barreau d’Angleterre et du
pays de Galles et du barreau de Paris,
Mme Laurence Boisson de Chazournes, professeure de droit international et organisation
internationale à l’Université de Genève, membre de l’Institut de droit international,
membre de Matrix Chambers,
M. Stefan Talmon, professeur de droit international à l’Université de Bonn, barrister, Twenty
Essex Chambers,
comme conseils et avocats ;
- 4 -
M. Stephen Fietta, KC, cabinet Fietta LLP, avocat et solicitor près les juridictions supérieures
d’Angleterre et du pays de Galles,
Mme Oonagh Sands, cabinet Fietta LLP, membre des barreaux de l’État de New York et du
district de Columbia, avocate et solicitor près les juridictions supérieures d’Angleterre et
du pays de Galles,
M. Luke Tattersall, Essex Court Chambers, membre du barreau d’Angleterre et du pays de
Galles,
Mme Eileen Crowley, cabinet Fietta LLP, membre du barreau de l’État de New York, solicitor
près les juridictions supérieures d’Angleterre et du pays de Galles,
M. Gershon Hasin, JSD, cabinet Fietta LLP, membre du barreau de l’État de New York,
Mme Mercedes Roman, cabinet Fietta LLP, membre du barreau de la République bolivarienne
du Venezuela,
M. Sean Aughey, Essex Court Chambers, membre du barreau d’Angleterre et du pays de
Galles,
M. Aditya Laddha, doctorant et assistant à la faculté de droit de l’Université de Genève,
Mme Miglena Angelova, cabinet Fietta LLP, membre du barreau de Paris, avocate et solicitor
près les juridictions supérieures d’Angleterre et du pays de Galles,
comme conseils ;
M. Nurlan Aliyev, conseiller, ambassade de la République d’Azerbaïdjan au Royaume des
Pays-Bas,
Mme Sabina Sadigli, première secrétaire, ambassade de la République d’Azerbaïdjan au
Royaume des Pays-Bas,
M. Vusal Ibrahimov, premier secrétaire, ambassade de la République d’Azerbaïdjan au
Royaume des Pays-Bas,
M. Badir Bayramov, deuxième secrétaire, ministère des affaires étrangères de la République
d’Azerbaïdjan,
M. Shahriyar Hajiyev, deuxième secrétaire, ministère des affaires étrangères de la République
d’Azerbaïdjan,
comme conseillers,
et
la République d’Arménie,
représentée par
S. Exc. M. Yeghishe Kirakosyan, représentant de la République d’Arménie chargé des affaires
juridiques internationales,
comme agent ;
- 5 -
M. Lawrence H. Martin, avocat au cabinet Foley Hoag LLP, membre des barreaux du district
de Columbia et du Commonwealth du Massachusetts,
Mme Alison Macdonald, KC, barrister, Essex Court Chambers, Londres,
M. Constantinos Salonidis, avocat au cabinet Foley Hoag LLP, membre des barreaux de l’État
de New York et de Grèce,
M. Linos-Alexandre Sicilianos, professeur de droit international, doyen de la faculté de droit
de l’Université d’Athènes, membre de l’Institut de droit international, membre de la Cour
permanente d’arbitrage,
M. Pierre d’Argent, professeur titulaire à l’Université catholique de Louvain, membre de
l’Institut de droit international, cabinet Foley Hoag LLP, membre du barreau de Bruxelles,
comme conseils et avocats ;
M. Sean Murphy, professeur de droit international titulaire de la chaire Manatt/Ahn à la faculté
de droit de l’Université George Washington, membre associé de l’Institut de droit
international, membre du barreau du Maryland,
M. Joseph Klingler, avocat au cabinet Foley Hoag LLP, membre des barreaux du district de
Columbia et de l’État de New York,
M. Peter Tzeng, avocat au cabinet Foley Hoag LLP, membre des barreaux du district de
Columbia et de l’État de New York,
Mme Iulia Padeanu Mellon, avocate au cabinet Foley Hoag LLP, membre des barreaux du
district de Columbia et de l’Illinois,
M. Amir Ardelan Farhadi, avocat au cabinet Foley Hoag LLP, membre du barreau de l’État
de New York,
Mme Yasmin Al Ameen, avocate au cabinet Foley Hoag LLP, membre du barreau de l’État de
New York,
Mme Diem Huong Ho, avocate au cabinet Foley Hoag LLP, membre du barreau d’Angleterre
et du pays de Galles et du barreau de l’État de New York,
M. Harout Ekmanian, avocat au cabinet Foley Hoag LLP, membre du barreau de l’État de
New York,
Mme María Camila Rincón, avocate au cabinet Foley Hoag LLP, membre du barreau de
Colombie,
comme conseils ;
S. Exc. M. Viktor Biyagov, ambassadeur de la République d’Arménie auprès du Royaume des
Pays-Bas,
S. Exc. M. Andranik Hovhannisyan, représentant permanent de la République d’Arménie
auprès de l’Office des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève,
- 6 -
M. Liparit Drmeyan, chef du bureau du représentant de la République d’Arménie chargé des
affaires juridiques internationales, cabinet du premier ministre de la République
d’Arménie,
M. Aram Aramyan, directeur du département de la protection des intérêts de la République
d’Arménie dans les différends interétatiques, bureau du représentant de la République
d’Arménie chargé des affaires juridiques internationales, cabinet du premier ministre de la
République d’Arménie,
Mme Kristine Khanazadyan, directrice du département chargé de la représentation des intérêts
de la République d’Arménie devant les tribunaux arbitraux internationaux et les juridictions
étrangères, bureau du représentant de la République d’Arménie chargé des affaires
juridiques internationales, cabinet du premier ministre de la République d’Arménie,
Mme Zoya Stepanyan, cheffe de la division de la coopération internationale en matière de droits
de l’homme, département des droits de l’homme et des affaires humanitaires, ministère des
affaires étrangères,
Mme Viviana Kalaejian, troisième secrétaire, ambassade de la République d’Arménie au
Royaume des Pays-Bas,
Mme Nanami Hirata, avocate au cabinet Foley Hoag LLP,
comme conseillers ;
Mme Jennifer Schoppmann, cabinet Foley Hoag LLP,
Mme Deborah Langley, cabinet Foley Hoag LLP,
comme assistantes,
LA COUR,
ainsi composée,
après délibéré en chambre du conseil,
rend l’arrêt suivant :
1. Le 23 septembre 2021, la République d’Azerbaïdjan (ci-après, l’« Azerbaïdjan ») a déposé
au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre la République d’Arménie (ci-après,
l’« Arménie ») à raison de violations alléguées de la convention internationale du 21 décembre 1965
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ci-après, la « CIEDR » ou la
« convention »).
2. Dans sa requête, l’Azerbaïdjan entend fonder la compétence de la Cour sur le paragraphe 1
de l’article 36 du Statut de la Cour, lu conjointement avec l’article 22 de la CIEDR.
- 7 -
3. Le 23 septembre 2021, l’Azerbaïdjan a également présenté une demande en indication de
mesures conservatoires, sur le fondement de l’article 41 du Statut de la Cour et des articles 73, 74 et
75 de son Règlement.
4. Le greffier a immédiatement communiqué au Gouvernement de l’Arménie la requête et la
demande en indication de mesures conservatoires, conformément au paragraphe 2 de l’article 40 du
Statut de la Cour et au paragraphe 2 de l’article 73 de son Règlement. Il a également informé le
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies du dépôt par l’Azerbaïdjan de cette requête
et de cette demande.
5. En outre, par lettre datée du 27 septembre 2021, le greffier a informé tous les États admis à
ester devant la Cour du dépôt desdites requête et demande.
6. En application du paragraphe 3 de l’article 40 du Statut de la Cour, le greffier a informé les
États Membres de l’Organisation des Nations Unies, par l’entremise du Secrétaire général, ainsi que
tout autre État admis à ester devant la Cour, du dépôt de la requête en leur transmettant le texte
bilingue imprimé de celle-ci.
7. La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de la nationalité de l’une ou l’autre Partie,
chacune d’elles s’est prévalue du droit que lui confère le paragraphe 3 de l’article 31 du Statut de
désigner un juge ad hoc pour siéger en l’affaire. L’Azerbaïdjan a désigné M. Kenneth Keith et
l’Arménie, M. Yves Daudet.
8. Par ordonnance en date du 7 décembre 2021, la Cour, après avoir entendu les Parties, a
indiqué les mesures conservatoires suivantes :
« 1) La République d’Arménie doit, conformément aux obligations que lui
impose la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale, prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher
l’incitation et l’encouragement à la haine raciale, y compris par des organisations ou des
personnes privées sur son territoire, contre les personnes d’origine nationale ou ethnique
azerbaïdjanaise ;
2) Les deux Parties doivent s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou
d’étendre le différend dont la Cour est saisie ou d’en rendre le règlement plus difficile. »
(Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (Azerbaïdjan c. Arménie), mesures conservatoires, ordonnance
du 7 décembre 2021, C.I.J. Recueil 2021, p. 430-431, par. 76.)
9. Conformément au paragraphe 1 de l’article 43 du Règlement de la Cour, le greffier a adressé
aux États parties à la CIEDR la notification prévue au paragraphe 1 de l’article 63 du Statut. En outre,
conformément au paragraphe 3 de l’article 69 du Règlement, il a adressé à l’Organisation des
Nations Unies, par l’entremise de son Secrétaire général, la notification prévue au paragraphe 3 de
l’article 34 du Statut.
10. Par ordonnance en date du 21 janvier 2022, la Cour a fixé au 23 janvier 2023 et au
23 janvier 2024, respectivement, les dates d’expiration des délais pour le dépôt d’un mémoire par
l’Azerbaïdjan et d’un contre-mémoire par l’Arménie. Le mémoire a été déposé dans le délai ainsi
prescrit.
- 8 -
11. Le 4 janvier 2023, l’Azerbaïdjan, se référant à l’article 41 du Statut de la Cour et aux
articles 73, 74 et 75 de son Règlement, a déposé une nouvelle demande en indication de mesures
conservatoires. Par ordonnance en date du 22 février 2023, la Cour, après avoir entendu les Parties,
a rejeté la demande en indication de mesures conservatoires et fait observer que les mesures
conservatoires indiquées dans son ordonnance du 7 décembre 2021 restaient en vigueur (Application
de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Azerbaïdjan c. Arménie), mesures conservatoires, ordonnance du 22 février 2023, C.I.J. Recueil
2023, p. 43, par. 27).
12. Le 21 avril 2023, dans le délai prescrit par le paragraphe 1 de l’article 79bis du Règlement
de la Cour, l’Arménie a soulevé des exceptions préliminaires d’incompétence de la Cour et
d’irrecevabilité de la requête s’agissant de certaines des demandes présentées. En conséquence, par
ordonnance en date du 25 avril 2023, la Cour, notant que la procédure sur le fond était suspendue en
application du paragraphe 3 de l’article 79bis du Règlement, et compte tenu de l’instruction de
procédure V, a fixé au 21 août 2023 la date d’expiration du délai dans lequel l’Azerbaïdjan pourrait
présenter un exposé écrit de ses observations et conclusions sur les exceptions préliminaires
soulevées par l’Arménie. L’exposé écrit a été déposé dans le délai ainsi fixé.
13. À la suite de la démission de M. le juge ad hoc Keith le 21 avril 2023, l’Azerbaïdjan a
désigné M. Abdul G. Koroma pour siéger en qualité de juge ad hoc en l’affaire.
14. Par lettre en date du 25 août 2023, le greffier, en application du paragraphe 3 de l’article 69
du Règlement de la Cour, a transmis au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies des
exemplaires des écritures déposées jusqu’alors en l’affaire, en le priant de lui faire savoir si
l’Organisation entendait présenter, en vertu de cette disposition, des observations écrites concernant
les exceptions préliminaires soulevées par l’Arménie. Par lettre en date du 30 août 2023, le Bureau
des affaires juridiques a informé la Cour que l’Organisation des Nations Unies n’entendait pas
présenter d’observations écrites au sens du paragraphe 3 de l’article 69 du Règlement.
15. Conformément au paragraphe 2 de l’article 53 de son Règlement, la Cour, après avoir
consulté les Parties, a décidé de rendre accessibles au public les exceptions préliminaires de
l’Arménie et l’exposé écrit de l’Azerbaïdjan sur lesdites exceptions, ainsi que les documents y
annexés, à l’exception des annexes 13 et 14 des exceptions préliminaires.
16. Des audiences publiques sur les exceptions préliminaires soulevées par l’Arménie se sont
tenues les 22, 23, 24 et 26 avril 2024, au cours desquelles ont été entendus en leurs plaidoiries et
réponses :
Pour l’Arménie : S. Exc. M. Yeghishe Kirakosyan,
M. Lawrence Martin,
M. Pierre d’Argent,
M. Constantinos Salonidis,
Mme Alison Macdonald,
M. Linos-Alexandre Sicilianos.
Pour l’Azerbaïdjan : S. Exc. M. Elnur Mammadov,
M. Stephen Fietta,
M. Vaughan Lowe,
M. Stefan Talmon,
M. Samuel Wordsworth,
- 9 -
M. Sean Aughey,
Mme Laurence Boisson de Chazournes,
S. Exc. M. Rahman Mustafayev.
*
17. Dans sa requête, l’Azerbaïdjan a formulé les demandes suivantes :
« L’Azerbaïdjan, en son nom propre et en qualité de parens patriae de ses
citoyens, prie respectueusement la Cour de dire et juger :
A. que l’Arménie, par l’intermédiaire de ses organes et agents d’État et d’autres
personnes et entités exerçant des prérogatives de puissance publique ou opérant sur
ses instructions ou sous sa direction et son contrôle, a violé les articles 2, 3, 4, 5, 6
et 7 de la CIEDR.
B. que l’Arménie, en apportant son aide, son assistance, son appui et son soutien à des
activités incompatibles avec les dispositions de la CIEDR menées par d’autres
personnes, groupes et organisations, a violé les alinéas b), d) et e) du paragraphe 1
de l’article 2 de cet instrument.
C. que l’Arménie doit prendre toutes les mesures nécessaires pour s’acquitter des
obligations qui lui incombent au regard de la CIEDR, en particulier :
a) mettre fin immédiatement et renoncer à toute politique ou pratique de nettoyage
ethnique visant les Azerbaïdjanais ;
b) coopérer immédiatement aux opérations de déminage conduites par
l’Azerbaïdjan et des organismes internationaux dans les anciens territoires
occupés, notamment en fournissant une cartographie complète et précise des
champs de mines et d’autres informations y relatives, en mettant fin et en
renonçant à toute activité de minage sur le territoire de l’Azerbaïdjan, ainsi
qu’en prenant toutes autres mesures nécessaires et appropriées ;
c) cesser immédiatement et s’abstenir de commettre tout acte empêchant les
Azerbaïdjanais de jouir de leur environnement et de leurs ressources naturelles
ou d’y accéder ;
d) cesser immédiatement et s’abstenir de détruire des sites du patrimoine
azerbaïdjanais et autres biens appartenant au patrimoine culturel et ethnique
azerbaïdjanais, ainsi que de poursuivre sa politique d’annihilation culturelle ;
e) cesser immédiatement et s’abstenir de diffuser, promouvoir ou favoriser la
propagande et les discours haineux contre les Azerbaïdjanais, notamment par
l’intermédiaire des établissements d’enseignement ou des médias, au moyen de
campagnes de désinformation sur les réseaux sociaux ou par d’autres voies,
ainsi que de glorifier les auteurs de crimes perpétrés contre des Azerbaïdjanais
en raison de leur appartenance ethnique ;
- 10 -
f) cesser immédiatement et s’abstenir d’apporter tout appui ou soutien direct ou
indirect à des personnes ou organisations, dont VoMA, qui soumettent les
Azerbaïdjanais à une discrimination ;
g) condamner publiquement la discrimination dont sont victimes les
Azerbaïdjanais et adopter immédiatement des mesures positives pour prévenir
et punir tout acte de cette nature, conformément aux alinéas d) et e) du
paragraphe 1 de l’article 2 et à l’article 4 de la CIEDR ;
h) veiller à ce que les actes de discrimination — notamment, mais pas seulement,
les crimes de guerre imputables aux forces arméniennes — fassent l’objet
d’enquêtes et soient sanctionnés, conformément aux articles 2 et 4 de la
CIEDR, et offrir une protection et une voie de recours effectives aux
Azerbaïdjanais ayant subi des préjudices à raison de tels actes ;
i) reconnaître publiquement les violations de la CIEDR qu’elle a commises et
présenter des excuses pour son comportement aux plus hauts niveaux de l’État ;
j) donner des garanties et assurances de non-répétition de son comportement
illicite au regard de la CIEDR ; et
k) réparer intégralement, notamment en versant une indemnisation dont le
montant sera déterminé à un stade ultérieur de la procédure, le préjudice causé
à l’Azerbaïdjan à raison des actes qu’elle a commis en violation de la CIEDR. »
18. Dans la procédure écrite sur le fond, les conclusions ci-après ont été présentées au nom du
Gouvernement de l’Azerbaïdjan dans le mémoire :
« Sur la base des faits et des arguments juridiques exposés dans le présent
mémoire, l’Azerbaïdjan, en son nom propre et en qualité de parens patriae de ses
citoyens, prie respectueusement la Cour de dire et juger :
1. que l’Arménie, par l’intermédiaire de ses organes et agents d’État et d’autres
personnes et entités exerçant des prérogatives de puissance publique ou opérant sur
ses instructions ou sous sa direction ou son contrôle, ou avec son appui, ses
encouragements ou l’assurance qu’elle défendra leurs actes, s’est rendue
responsable de violations des articles 2, 3, 4, 5, 6 et 7 de la CIEDR par les faits
suivants :
a) le nettoyage ethnique et l’annihilation culturelle des Azerbaïdjanais dans les
territoires qu’elle occupait et l’établissement d’un peuplement arménien
ethniquement pur dans ces territoires, notamment :
i) en se livrant à des homicides illicites, des expulsions violentes, des actes
de torture et d’autres sévices contre des centaines de milliers
d’Azerbaïdjanais ;
ii) en procédant au pillage et à la destruction à grande échelle de villes
azerbaïdjanaises et d’autres éléments de l’environnement bâti, y compris la
destruction, la dégradation, la profanation et l’appropriation indue de
monuments culturels azerbaïdjanais et d’autres marqueurs du patrimoine
azerbaïdjanais ;
- 11 -
iii) en opérant une destruction et une dégradation ciblées de l’environnement
naturel dans les endroits où vivaient des Azerbaïdjanais avant le nettoyage
ethnique et l’occupation par l’Arménie ;
iv) en empêchant les Azerbaïdjanais d’avoir accès aux territoires qu’elle
occupait et à son propre territoire, y compris en privant les Azerbaïdjanais
déplacés à l’intérieur de leur pays et les Azerbaïdjanais réfugiés de leur
droit de regagner leur foyer ; et
v) en instituant des politiques et des pratiques visant à déposséder les
personnes d’origine ethnique azerbaïdjanaise de leurs terres et autres biens
dans les territoires qu’elle occupait, et en encourageant les personnes
d’origine ethnique arménienne à s’installer dans ces territoires ;
b) l’encouragement à la haine des Azerbaïdjanais et l’incitation à la violence à
leur égard par des agents de l’État arménien, et la tolérance de l’encouragement
à la haine des Azerbaïdjanais, de l’incitation à la violence et des actes de
violence à leur égard par des personnes privées et des groupes xénophobes
armés opérant en Arménie ;
c) le fait de ne pas prendre de mesures immédiates et efficaces, en particulier dans
les domaines de l’enseignement et de l’éducation, pour favoriser la tolérance et
la compréhension entre Arméniens et Azerbaïdjanais et pour lutter contre les
préjugés et la discrimination raciale à l’égard des Azerbaïdjanais ;
d) le fait d’encourager, de défendre ou d’appuyer les personnes et organisations
qui commettent les actes de discrimination raciale susmentionnés contre des
Azerbaïdjanais ; et
e) le fait de ne pas assurer aux Azerbaïdjanais une protection et une voie de
recours effectives contre les actes de discrimination raciale susmentionnés.
2. que l’Arménie, par l’intermédiaire de ses organes et agents d’État et d’autres
personnes et entités exerçant des prérogatives de puissance publique ou opérant sur
ses instructions, ou sous sa direction ou son contrôle, ou avec son appui, ses
encouragements ou l’assurance qu’elle défendra leurs actes, s’est rendue
responsable de violations de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires
de la Cour en date du 7 décembre 2021, notamment pour n’avoir pris aucune mesure
en vue d’empêcher l’encouragement et l’incitation à la haine raciale par des groupes
xénophobes ethnonationalistes armés tels que VoMA et POGA opérant sur son
territoire ;
3. que l’Arménie est tenue de cesser toute action contraire à ses obligations au regard
des articles 2, 3, 4, 5, 6 et 7 de la CIEDR et à l’ordonnance en indication de mesures
conservatoires de la Cour en date du 7 décembre 2021, notamment tout acte de
discrimination et tout comportement consistant à encourager, défendre ou appuyer
de tels actes, et de donner les assurances et garanties de non-répétition voulues, y
compris l’assurance particulière qu’elle fera des déclarations publiques pour exiger
des groupes privés qu’ils mettent fin à leurs agissements susmentionnés qui sont
incompatibles avec la CIEDR ;
- 12 -
4. que l’Arménie est tenue de prendre sans délai des mesures immédiates et efficaces
dans les domaines de l’enseignement, de l’éducation, de la culture et de
l’information pour lutter contre les préjugés et la discrimination raciale à l’égard des
Azerbaïdjanais et pour favoriser la tolérance et la compréhension entre Arméniens
et Azerbaïdjanais ;
5. que l’Arménie est tenue de reconnaître qu’elle a commis des violations de la CIEDR,
de présenter des excuses publiques aux victimes de ces violations, et de condamner
la discrimination raciale à l’égard des Azerbaïdjanais ;
6. que l’Arménie est tenue de communiquer aux familles des Azerbaïdjanais portés
disparus toutes les informations dont elle dispose sur le sort de ces derniers, y
compris l’emplacement des dépouilles des défunts, et de rendre public tout
emplacement de fosse commune qui ne le serait pas encore ;
7. que l’Arménie est tenue de restituer aux Azerbaïdjanais les biens immeubles situés
dans les anciens territoires occupés, ainsi que les biens meubles où qu’ils se trouvent,
dans la mesure où ces biens ont été saisis en violation des articles 2 et 5 de la
CIEDR ; de restituer à la République d’Azerbaïdjan tout objet culturel ayant fait
l’objet d’une appropriation indue dans les anciens territoires occupés ; de
reconnaître et de restituer les biens qui témoignent de l’identité et de l’histoire
azerbaïdjanaises en Arménie et dans les anciens territoires occupés ; et d’autoriser,
de faciliter et de ne pas entraver le retour dans leurs foyers, en Arménie, des
Azerbaïdjanais réfugiés, ainsi que le retour dans leurs foyers, dans les anciens
territoires occupés, des Azerbaïdjanais déplacés à l’intérieur de leur pays ;
8. que l’Arménie est tenue d’indemniser l’Azerbaïdjan, en son nom propre et en qualité
de parens patriae de ses citoyens, du préjudice matériel et moral causé par ses
violations des articles 2, 3, 4, 5, 6 et 7 de la CIEDR et de l’ordonnance en indication
de mesures conservatoires de la Cour en date du 7 décembre 2021, le montant de
cette indemnisation devant être déterminé à une phase distincte de la présente
procédure ;
9. que l’Arménie est tenue de fournir tout remède supplémentaire ou plus spécifique
en lien avec les paragraphes 7 et 8 ci-dessus qui pourrait être déterminé à une phase
ultérieure de la présente procédure.
L’Azerbaïdjan se réserve le droit de modifier ces conclusions au cours de la
présente procédure. »
19. Dans les exceptions préliminaires, les conclusions ci-après ont été présentées au nom du
Gouvernement de l’Arménie :
« 143. Au vu de ce qui précède, la République d’Arménie prie respectueusement
la Cour de dire et juger qu’elle n’a pas compétence pour connaître des demandes et
prétentions précédemment décrites, ou que celles-ci sont irrecevables. Elle demande
plus particulièrement à la Cour de dire et juger :
a) qu’elle n’a pas compétence ratione temporis à l’égard des demandes et prétentions
de l’Azerbaïdjan relatives aux faits survenus avant que la CIEDR n’entre en vigueur
entre les Parties le 15 septembre 1996, ou que ces demandes et prétentions sont
irrecevables ;
- 13 -
b) qu’elle n’a pas compétence ratione materiae à l’égard des demandes et prétentions
de l’Azerbaïdjan relatives à la pose alléguée de mines terrestres et de pièges ; et
c) qu’elle n’a pas compétence ratione materiae à l’égard des demandes et prétentions
de l’Azerbaïdjan relatives aux dommages environnementaux allégués.
144. La République d’Arménie se réserve le droit de modifier et de compléter les
présentes conclusions conformément aux dispositions du Statut et du Règlement de la
Cour. Elle se réserve également le droit de présenter de nouvelles exceptions
d’incompétence de la Cour et d’irrecevabilité des demandes de l’Azerbaïdjan à toute
phase ultérieure de la procédure. »
20. Dans l’exposé écrit des observations et conclusions du demandeur sur les exceptions
préliminaires, les conclusions ci-après ont été présentées au nom du Gouvernement de
l’Azerbaïdjan :
« 93. Pour les raisons qui précèdent, l’Azerbaïdjan prie la Cour de rejeter chacune
des exceptions préliminaires présentées par l’Arménie le 21 avril 2023, au motif
qu’aucune ne constitue valablement une exception d’incompétence de la Cour ou
d’irrecevabilité des demandes de l’Azerbaïdjan.
94. À titre subsidiaire, l’Azerbaïdjan prie la Cour de rejeter chacune de ces
exceptions préliminaires au motif qu’elles soulèvent toutes des questions dont il
convient de reporter l’examen au stade du fond. »
21. Au terme de la procédure orale sur les exceptions préliminaires, les conclusions ci-après
ont été présentées par les Parties :
Au nom du Gouvernement de l’Arménie,
à l’audience du 24 avril 2024 :
« Sur la base de ses écritures et de ses plaidoiries, la République d’Arménie prie
respectueusement la Cour de :
a) retenir l’exception préliminaire d’incompétence ratione temporis soulevée par la
République d’Arménie, et dire et juger qu’elle n’a pas compétence à l’égard des
demandes et prétentions de l’Azerbaïdjan relatives aux faits survenus avant que la
CIEDR n’entre en vigueur entre les Parties le 15 septembre 1996 ;
b) à titre subsidiaire, retenir l’exception préliminaire d’irrecevabilité soulevée par la
République d’Arménie, et dire et juger que les demandes et prétentions de
l’Azerbaïdjan relatives aux faits survenus avant que la CIEDR n’entre en vigueur
entre les Parties le 15 septembre 1996 ne sont pas recevables ;
c) retenir l’exception préliminaire d’incompétence ratione materiae soulevée par la
République d’Arménie, et dire et juger qu’elle n’a pas compétence à l’égard des
demandes et prétentions de l’Azerbaïdjan relatives à la pose alléguée de mines
terrestres et de pièges ; et
- 14 -
d) retenir l’exception préliminaire d’incompétence ratione materiae soulevée par la
République d’Arménie, et dire et juger qu’elle n’a pas compétence à l’égard des
demandes et prétentions de l’Azerbaïdjan relatives aux dommages
environnementaux allégués. »
Au nom du Gouvernement de l’Azerbaïdjan,
à l’audience du 26 avril 2024 :
« La République d’Azerbaïdjan prie la Cour de :
1. rejeter chacune des exceptions préliminaires présentées par l’Arménie dans ses
conclusions finales du 24 avril 2024, au motif qu’aucune ne constitue valablement
une exception d’incompétence de la Cour ou d’irrecevabilité des demandes de
l’Azerbaïdjan ; et
2. à titre subsidiaire, rejeter chacune de ces exceptions préliminaires au motif qu’elles
soulèvent chacune des questions dont il convient de reporter l’examen au stade du
fond. »
*
* *
I. INTRODUCTION
22. L’Azerbaïdjan et l’Arménie, deux Républiques de l’ancienne Union des Républiques
socialistes soviétiques (ci-après, l’« Union soviétique »), ont accédé à l’indépendance les 18 octobre
1991 et 21 septembre 1991, respectivement.
23. La région que l’Azerbaïdjan dénomme Garabagh et l’Arménie, Haut-Karabakh, était dans
l’Union soviétique une entité autonome (« oblast ») majoritairement peuplée de personnes d’origine
ethnique arménienne, située sur le territoire de la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan.
Les revendications concurrentes des Parties sur cette région ont déclenché des hostilités, désignées
sous le nom de « première guerre du Garabagh » par l’Azerbaïdjan et de « première guerre du
Haut-Karabakh » par l’Arménie, qui ont pris fin avec la conclusion d’un cessez-le-feu en mai 1994.
De nouvelles hostilités ont éclaté en septembre 2020, donnant lieu à ce que l’Azerbaïdjan appelle la
« deuxième guerre du Garabagh » et l’Arménie, la « deuxième guerre du Haut-Karabakh ».
24. Le 9 novembre 2020, le président de la République d’Azerbaïdjan, le premier ministre de
la République d’Arménie et le président de la Fédération de Russie ont signé une déclaration, dite
« déclaration trilatérale », qui proclamait, à compter du 10 novembre 2020, « [u]n cessez-le-feu
complet et la cessation de toutes les hostilités dans la zone de conflit du Haut-Karabakh ». Toutefois,
la situation entre les Parties est demeurée instable et des hostilités ont de nouveau éclaté en septembre
2022, puis encore en septembre 2023.
- 15 -
25. Le 23 septembre 2021, l’Azerbaïdjan a introduit la présente instance au titre de la CIEDR.
Dans sa requête, il fait valoir que l’Arménie a violé plusieurs dispositions de la CIEDR en menant
depuis des décennies une politique de discrimination raciale. Plus précisément, il soutient que
l’Arménie « s’est livrée, et continue de se livrer, à une série d’actes de discrimination visant les
Azerbaïdjanais, sur le fondement de leur origine “nationale ou ethnique” au sens de la CIEDR ».
26. Dans sa requête, l’Azerbaïdjan entend fonder la compétence de la Cour sur le paragraphe 1
de l’article 36 du Statut de la Cour, lu conjointement avec l’article 22 de la CIEDR (voir ci-dessus,
paragraphe 2). L’article 22 de la CIEDR est libellé comme suit :
« Tout différend entre deux ou plusieurs États parties touchant l’interprétation ou
l’application de la présente Convention, qui n’aura pas été réglé par voie de négociation
ou au moyen des procédures expressément prévues par ladite Convention, sera porté, à
la requête de toute partie au différend, devant la Cour internationale de Justice pour
qu’elle statue à son sujet, à moins que les parties au différend ne conviennent d’un autre
mode de règlement. »
27. L’Azerbaïdjan et l’Arménie sont tous deux parties à la CIEDR ; le premier y a adhéré le
16 août 1996 et la seconde le 23 juin 1993. La convention est entrée en vigueur pour chaque Partie
le trentième jour après la date du dépôt de son instrument d’adhésion, soit, respectivement, les
15 septembre 1996 et 23 juillet 1993. Aucune des Parties n’a formulé de réserve à la convention.
28. L’Arménie soulève trois exceptions préliminaires. Premièrement, elle soutient que la Cour
n’a pas compétence pour connaître des demandes de l’Azerbaïdjan relatives à des faits antérieurs à
l’entrée en vigueur de la CIEDR entre les Parties le 15 septembre 1996, ou que ces demandes sont
irrecevables. Deuxièmement, elle affirme que la Cour n’a pas compétence ratione materiae à raison
des demandes de l’Azerbaïdjan relatives à la pose alléguée de mines terrestres et de pièges.
Troisièmement, elle prétend que la Cour n’a pas compétence ratione materiae à raison des demandes
de l’Azerbaïdjan relatives à des dommages qui auraient été causés à l’environnement. La Cour
examinera chacune de ces exceptions à tour de rôle.
II. PREMIÈRE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE :
COMPÉTENCE RATIONE TEMPORIS
29. Dans leurs écritures et plaidoiries, les Parties ne contestent pas que des demandes relatives
à des faits qui se seraient produits avant le 23 juillet 1993 échappent à la portée temporelle de la
compétence de la Cour ni que, à l’inverse, celles relatives à des faits qui se seraient produits après le
15 septembre 1996 en relèvent. Leurs vues divergent toutefois quant à la question de savoir si la Cour
a compétence pour connaître des demandes de l’Azerbaïdjan relatives à des faits qui se seraient
produits entre le 23 juillet 1993 et le 15 septembre 1996, période durant laquelle l’Arménie était
partie à la CIEDR, mais pas l’Azerbaïdjan. Dans sa première exception préliminaire, l’Arménie
soutient que la Cour n’a pas compétence ratione temporis à l’égard desdites demandes, ou, à titre
subsidiaire, que celles-ci sont irrecevables. La Cour commencera par examiner la question de sa
compétence ratione temporis.
30. Les Parties présentent des vues divergentes sur un certain nombre de questions concernant
la première exception préliminaire.
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31. L’Arménie soutient que la date à retenir aux fins de la détermination de la portée temporelle
de la compétence de la Cour est la date à laquelle la CIEDR est entrée en vigueur entre les Parties, à
savoir le 15 septembre 1996, et non celle à laquelle elle-même est devenue partie à la convention,
soit le 23 juillet 1993. Selon l’Arménie, il ressort clairement du libellé de l’article 22 pris dans son
sens ordinaire que, pour que la Cour ait compétence, le différend concernant l’interprétation ou
l’application de la CIEDR doit exister entre deux États parties, et donc ne porter que sur des faits qui
se seraient produits après l’entrée en vigueur de la convention entre ces États.
32. Pour étayer sa position, la défenderesse affirme que les demandes de l’Azerbaïdjan
concernant des faits qui se seraient produits avant le 15 septembre 1996 vont à l’encontre du principe
de la non-rétroactivité des traités. Selon elle, la CIEDR ne s’applique ni ne saurait s’appliquer à des
faits antérieurs à son entrée en vigueur entre les États parties concernés, car son article 22 ne déroge
pas « au principe coutumier de la non-rétroactivité des traités, reflété à l’article 28 de la convention
de Vienne sur le droit des traités ». L’Arménie allègue que l’adhésion de l’Azerbaïdjan à la CIEDR
« n’a pas élargi rétroactivement le groupe des États à l’égard desquels l’Arménie avait
contracté des obligations de fond au titre de la convention avant [la] date [en question] ».
33. En outre, l’Arménie affirme que l’article 22 de la CIEDR, en tant que clause
compromissoire, se distingue d’une disposition générale sur le règlement pacifique des différends et
d’une déclaration faite en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut. Selon elle, élargir
l’application de la CIEDR à des faits antérieurs à l’entrée en vigueur de la convention entre les Parties
reviendrait à méconnaître l’élément de réciprocité inhérent à une clause compromissoire portant
acceptation de la compétence de la Cour. L’Arménie avance que le titre de compétence tiré de la
CIEDR n’est conféré pour ce qui est du fond comme de la procédure qu’au moment où celle-ci
entre en vigueur entre les Parties.
34. L’Arménie affirme que les obligations imposées par la CIEDR ont le caractère
d’obligations erga omnes partes et doivent être distinguées des obligations erga omnes du droit
international coutumier. En l’espèce, la compétence que la Cour tient de l’article 22 ne s’étend
qu’aux premières. L’Arménie soutient que c’est seulement à compter de l’entrée en vigueur de la
CIEDR entre deux États parties que chacun d’eux est tenu, au regard de la convention, de s’acquitter
envers l’autre d’obligations inter partes. En conséquence, entre le 23 juillet 1993 et le 15 septembre
1996, l’Arménie n’avait d’obligations conventionnelles que vis-à-vis des États qui étaient parties à
la convention durant cette période. L’Azerbaïdjan n’aurait pu ni invoquer la responsabilité de
l’Arménie au titre de la CIEDR ni se prévaloir de l’article 22 de celle-ci, de même qu’il n’était pas
lui-même tenu à des obligations au regard de la CIEDR.
35. Enfin, l’Arménie rejette l’assertion présentée à titre subsidiaire selon laquelle les faits
allégués sont de nature continue ou composite et constituent une partie d’une seule et même
« campagne de nettoyage ethnique ». Elle soutient que, en prêtant à ces faits une nature continue ou
composite, l’Azerbaïdjan tente de faire entrer toutes ses demandes dans le champ de compétence
temporelle de la Cour. Elle fait valoir que l’Azerbaïdjan n’a pas même cherché à préciser les éléments
du « nettoyage ethnique » qui serait constitutif d’une « violation composite » de la CIEDR. Selon la
défenderesse, lorsqu’un fait se poursuit de sorte qu’il recouvre des agissements commencés avant la
« date critique » et se prolongeant au-delà, les agissements antérieurs à celle-ci échappent à la
compétence de la Cour ; seuls les agissements postérieurs à cette date entrent dans le champ de
- 17 -
compétence ratione temporis de la Cour. Par suite, l’Arménie affirme que toutes les exceptions
qu’elle a soulevées revêtent un caractère exclusivement préliminaire.
*
36. En réponse, l’Azerbaïdjan soutient que la date à laquelle la CIEDR est entrée en vigueur à
son égard marque celle à compter de laquelle il lui est devenu possible d’introduire une instance
contre l’Arménie sur le fondement de l’article 22 de la CIEDR, et qu’elle est différente de celle à
laquelle l’Arménie est devenue liée par les dispositions de fond de la convention. Aux fins de la
détermination de la portée temporelle de la compétence de la Cour à l’égard de ses demandes en
l’espèce, l’Azerbaïdjan fait valoir que la seconde date est décisive. Selon lui, la Cour a compétence
ratione temporis à l’égard de ses demandes contre l’Arménie concernant tous faits qui se seraient
produits le 23 juillet 1993 ou après cette date, qui est celle à laquelle les dispositions de fond de la
CIEDR sont entrées en vigueur pour l’Arménie.
37. L’Azerbaïdjan fait valoir que ses demandes ne supposent aucune application rétroactive
de la CIEDR. Il affirme que la question de la rétroactivité est pertinente dans deux contextes
distincts : celui de la procédure, où il s’agit de savoir si les parties à un différend avaient consenti à
la compétence de la Cour au moment où l’instance a été introduite devant celle-ci, et celui du fond,
où il s’agit de savoir si l’État était lié par une disposition de fond de la CIEDR au moment où les
faits se seraient produits. En l’espèce, l’Azerbaïdjan soutient que les faits allégués motivant ses
demandes sont postérieurs à l’entrée en vigueur de celle–ci à l’égard de l’Arménie. Qui plus est, les
deux Parties avaient consenti à la compétence de la Cour au 15 septembre 1996. L’Azerbaïdjan ayant
introduit la présente instance le 23 septembre 2021, l’élément de rétroactivité n’entre ici nullement
en jeu.
38. À propos de l’élément de réciprocité, le demandeur soutient que l’article 22 n’assujettit à
aucune limitation temporelle l’attribution de la compétence. Il estime que les obligations énoncées
dans la CIEDR ne sont pas formulées en termes de simples engagements bilatéraux ou mutuels entre
deux ou plusieurs États, mais visent essentiellement à protéger les droits de l’homme et les libertés
fondamentales des personnes — qui sont les ultimes bénéficiaires de la convention. En cherchant à
protéger ces droits, l’Azerbaïdjan agit en tant qu’« État lésé » dans son intérêt et celui de ses citoyens,
mais également en qualité d’« administrateur procédural », veillant à ce que l’Arménie s’acquitte des
obligations qui lui incombent vis-à-vis de tous les États parties, erga omnes partes, depuis son
adhésion à la CIEDR.
39. L’Azerbaïdjan soutient que la question de la portée temporelle des clauses
compromissoires contenues dans certains traités relatifs aux droits de l’homme a été tranchée par la
Cour. Se référant à l’arrêt rendu le 11 juillet 1996 sur les exceptions préliminaires en l’affaire relative
à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), il fait valoir que la Cour s’était déclarée compétente pour
examiner les demandes relatives à des faits qui se seraient produits avant l’entrée en vigueur de la
convention sur le génocide entre les parties, au motif que ni la clause compromissoire de cet
instrument ni les parties, par la formulation d’une réserve, n’avaient imposé de limitation temporelle
à sa compétence. La Cour a en outre considéré que cette conclusion était conforme à l’objet et au but
de ladite convention. L’Azerbaïdjan affirme que le raisonnement suivi par la Cour dans cette affaire
s’applique de même à la CIEDR et aux Parties à la présente instance.
- 18 -
40. Enfin, l’Azerbaïdjan soutient que, quand bien même la Cour retiendrait le 15 septembre
1996 comme date critique pour déterminer la limite temporelle de sa compétence, elle serait
néanmoins compétente ratione temporis pour connaître des demandes qu’il a présentées concernant
des faits continus ou composites qui auraient débuté entre le 23 juillet 1993 et le 15 septembre 1996
et se seraient poursuivis après la date critique. Il affirme que le manquement continu de l’Arménie à
son obligation d’adopter des mesures pour éliminer la discrimination raciale a pu commencer
plusieurs années avant que la défenderesse ne ratifie la CIEDR, mais souligne que, en l’espèce,
l’important est que cette violation se poursuive et « dure aussi longtemps que les actions ou omissions
illicites se répètent ». Selon l’Azerbaïdjan, « [l]es actions et omissions n’échappent à la portée
temporelle de la compétence de la Cour que si elles ont pris fin avant la date d’entrée en vigueur de
la convention pour l’État qui en est l’auteur ». L’Azerbaïdjan affirme en outre que, si la Cour
souhaitait examiner de manière approfondie tous les éléments se rapportant aux faits continus ou
composites, l’exception de l’Arménie n’aurait pas un caractère exclusivement préliminaire.
* *
41. La Cour note que la date retenue par chacune des Parties comme étant la « date critique »
est utilisée pour définir un moment clé aux fins de la détermination de la portée temporelle de sa
compétence au titre de l’article 22 de la CIEDR. Les prétentions des Parties sur la détermination de
la « date critique » portent, en substance, sur le droit de l’Azerbaïdjan d’invoquer la responsabilité
de l’Arménie à raison des faits qui se seraient produits à un moment où la CIEDR n’était pas en
vigueur entre les Parties. Aux fins de l’examen de cette question, la Cour considère qu’il convient,
dans un premier temps, de clarifier deux points dont les Parties ont débattu en ce qui concerne
l’interprétation et l’application de l’article 22 : le premier est celui de savoir si le principe de la
non-rétroactivité des traités a une incidence sur la compétence conférée à la Cour par l’article 22 de
la convention, et le second, si le caractère erga omnes partes de certaines obligations découlant de la
CIEDR peut avoir une incidence sur la portée temporelle de la compétence de la Cour en vertu de
cet instrument.
42. S’agissant du premier point, la Cour rappelle que, selon l’article 22 pris dans son sens
ordinaire, la Cour, pour être compétente, doit avoir été saisie par un État partie, et l’avoir été d’un
différend ayant pour objet l’interprétation ou l’application de la convention. Cet article précise la
portée de la compétence de la Cour ratione personae et ratione materiae, mais rien, dans son libellé,
n’en définit la portée temporelle.
43. La Cour considère que la référence faite par l’Arménie au principe de la non-rétroactivité
des traités aux fins de l’application de l’article 22 soulève une question concernant la relation entre
les dispositions de fond et la clause compromissoire de la CIEDR. Conformément à ce principe, tel
qu’énoncé à l’article 28 de la convention de Vienne sur le droit des traités, à moins qu’une intention
différente ne ressorte du traité ou ne soit par ailleurs établie, les dispositions d’un traité ne lient pas
une partie en ce qui concerne un acte ou fait antérieur à la date d’entrée en vigueur de ce traité à
l’égard de cette partie ou une situation qui avait cessé d’exister à cette date (Questions concernant
l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 457,
par. 100 ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Croatie c. Serbie), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (I), p. 49, par. 95). Ce principe définit l’application
temporelle des dispositions de fond d’un traité pour un État partie et les actes auxquels s’appliquent
ses obligations découlant du traité. Il détermine le moment à partir duquel la responsabilité d’un État
partie peut être engagée à raison de son comportement contraire aux obligations que lui impose le
traité.
- 19 -
44. En la présente espèce, il n’y a pas de désaccord entre les Parties quant au fait que l’Arménie
était liée par les dispositions de la CIEDR pendant la période comprise entre le 23 juillet 1993 et le
15 septembre 1996, et qu’aucune des allégations de l’Azerbaïdjan n’a trait à des faits antérieurs à
l’adhésion de l’Arménie à la CIEDR. Par conséquent, s’agissant des obligations de l’Arménie au
regard de la CIEDR, aucune question de rétroactivité ne se pose. La Cour observe toutefois que la
question qu’il lui incombe de trancher n’est pas celle de savoir si les obligations prévues par la
CIEDR s’imposaient à l’Arménie pendant la période pertinente. Il s’agit plutôt de savoir si
l’article 22, en vertu duquel l’Azerbaïdjan a consenti à la compétence de la Cour, offre à celle-ci une
base de compétence lui permettant de connaître des demandes de l’Azerbaïdjan relatives aux faits
qui se seraient produits avant que celui-ci devienne partie à la convention.
45. La Cour considère que, sauf réserve ou indication contraire expresse, la portée temporelle
de la compétence qui lui est conférée par une clause compromissoire est déterminée par la portée de
l’application temporelle des dispositions de fond d’un traité entre les parties en cause.
46. En l’affaire relative à des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader
(Belgique c. Sénégal), le Sénégal avait contesté le droit de la Belgique d’invoquer sa responsabilité
pour manquement à son obligation d’engager des poursuites concernant des actes qui auraient été
commis avant que la Belgique fût devenue partie à la convention contre la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il arguait que la Belgique tentait d’obtenir une
application rétroactive du paragraphe 1 de l’article 7 de cette convention parce que les actes de
tortures allégués auraient été commis entre 1982 et 1990, alors qu’elle n’était pas partie à cet
instrument. La Cour a noté que le Sénégal était tenu par l’obligation de poursuivre prévue par la
convention à compter du 26 juin 1987, date à laquelle celle-ci est entrée en vigueur à son égard,
tandis que la Belgique était en droit d’invoquer la responsabilité du Sénégal à raison d’un
manquement à son obligation de poursuivre après la date à laquelle elle était devenue partie à la
convention, à savoir le 25 juillet 1999. La Cour a relevé que la plainte contre l’auteur présumé avait
été déposée en 2000, année suivant celle où la convention était entrée en vigueur pour la Belgique,
et a conclu que la Belgique était en droit de lui demander de se prononcer sur le respect par le Sénégal
de son obligation au titre du paragraphe 1 de l’article 7 (Questions concernant l’obligation de
poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 458, par. 103-104).
47. À la lumière de ce qui précède, la Cour considère que, en l’espèce, la portée temporelle de
la compétence que lui confère l’article 22 de la CIEDR doit être liée à la date à laquelle les obligations
découlant de cette convention ont pris effet entre les Parties, à savoir le 15 septembre 1996, et non à
celle à laquelle l’Arménie est devenue partie à la convention.
48. Nonobstant la constatation ci-dessus, la Cour en vient maintenant au second point,
concernant le caractère « erga omnes partes » des obligations découlant de la CIEDR et ses effets
sur la compétence. Elle observe que ce n’est pas la première fois qu’elle est priée de se prononcer
sur la relation entre la nature des obligations et la portée de sa compétence. Dans l’affaire relative au
Timor oriental (Portugal c. Australie), elle a ainsi clairement indiqué que « l’opposabilité erga
omnes d’une norme et la règle du consentement à la juridiction sont deux choses différentes » (Timor
oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 102, par. 29). Dans l’affaire des
Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (République démocratique du
Congo c. Rwanda), elle a précisé que
« le seul fait que des droits et obligations erga omnes seraient en cause dans un différend
ne saurait donner compétence à la Cour pour connaître de ce différend.
- 20 -
Il en va de même quant aux rapports entre les normes impératives du droit
international général (jus cogens) et l’établissement de la compétence de la Cour : le fait
qu’un différend porte sur le respect d’une norme possédant un tel caractère, ce qui est
assurément le cas de l’interdiction du génocide, ne saurait en lui-même fonder la
compétence de la Cour pour en connaître. En vertu du Statut de la Cour, cette
compétence est toujours fondée sur le consentement des parties. » (Compétence et
recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2006, p. 32, par. 64.)
La Cour a constamment réaffirmé cette position au sujet de la question de la compétence.
49. La Cour relève que, contrairement à ce qu’affirme l’Azerbaïdjan, elle n’a pas traité dans
sa décision en l’affaire Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie la question plus générale de l’application
ratione temporis des clauses compromissoires des conventions relatives aux droits de l’homme. Sa
conclusion en cette affaire concernait l’application de la convention sur le génocide dans un contexte
particulier de succession d’États s’inscrivant dans le processus de dissolution de l’ex-République
fédérative socialiste de Yougoslavie. La convention sur le génocide était restée applicable dans le
territoire en question pendant la totalité de la durée du conflit (Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie, exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 610-612, par. 17, 20 et 23, et p. 617, par. 34). La
présente espèce est différente. Le statut des Parties au regard de la CIEDR ne fait aucun doute.
L’Azerbaïdjan n’était pas partie à la CIEDR au moment où les faits se seraient produits.
50. La Cour considère que la compétence qui lui est attribuée par les États parties en vertu de
l’article 22 de la CIEDR, malgré l’absence dans cette disposition d’indication expresse quant à la
portée temporelle de son application, est régie par les règles pertinentes relatives à la compétence, à
savoir les principes du consentement, de la réciprocité et de l’égalité entre les États. Toute dérogation
à ces principes ne peut être admise que si elle est expressément prévue (voir Plateau continental
(Jamahiriya arabe libyenne/Malte), requête à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 22,
par. 35 ; voir aussi Ambatielos (Grèce c. Royaume-Uni), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil
1952, p. 40-41].
51. La Cour observe que, entre le 23 juillet 1993 et le 15 septembre 1996, étant donné que
l’Azerbaïdjan n’avait pas encore adhéré à la CIEDR, les Parties n’étaient pas liées par des relations
conventionnelles au titre de cet instrument. Sur le plan procédural, si l’Azerbaïdjan était autorisé à
formuler des griefs contre l’Arménie à raison des actes que celle-ci aurait commis pendant cette
période, tandis que l’Arménie n’avait pas la possibilité d’exercer ce même droit contre l’Azerbaïdjan
à raison du comportement de ce dernier au cours de la même période étant donné qu’il n’avait pas le
statut d’État partie, il n’y aurait pas de réciprocité ni d’égalité entre les Parties. En ce qui concerne
le fond, pendant la période pertinente, l’Arménie, en tant qu’État partie, devait ses obligations au
titre de la CIEDR à tous les autres États parties, mais pas aux États qui n’y étaient pas parties.
52. Conformément aux règles coutumières relatives à la responsabilité de l’État telles que
reflétées aux articles 13 et 42 des articles de la Commission du droit international sur la responsabilité
de l’État pour fait internationalement illicite (ci-après, les « articles de la CDI sur la responsabilité
de l’État »), le fait de l’État ne constitue pas une violation d’une obligation internationale à moins
que l’État ne soit lié par ladite obligation au moment où ce fait se serait produit. Lorsqu’un État
cherche à invoquer la responsabilité d’un autre État, il lui appartient de montrer que l’obligation dont
la violation est alléguée était due par l’État responsable à l’État requérant. En conséquence, puisque
entre le 23 juillet 1993 et le 15 septembre 1996 l’Arménie ne devait pas d’obligation à l’Azerbaïdjan
au titre de la CIEDR, celui-ci n’a pas le droit d’invoquer la responsabilité de l’Arménie à raison des
actes qui auraient été commis pendant cette période.
- 21 -
53. À cet égard, la Cour relève que l’Azerbaïdjan invoque, à l’appui de sa position, la décision
rendue par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (ci-après, le « Comité de la
CIEDR ») sur la communication interétatique soumise par l’État de Palestine contre Israël. Selon
l’Azerbaïdjan, le Comité de la CIEDR a estimé dans ce cadre que les articles 11 à 13 de la convention
« ne dispos[ai]ent pas que le mécanisme [interétatique] ne p[ouvai]t être utilisé que pour les
violations … qui [avaie]nt été perpétrées après la ratification de [la CIEDR] par l’État [partie] » à
l’origine de la procédure (Nations Unies, Comité de la CIEDR, « Communication interétatique
soumise par l’État de Palestine contre Israël : questions de procédure préliminaires et renvoi devant
le Comité », doc. CERD/C/100/3 (décision adoptée le 12 décembre 2019), p. 3, par. 14).
54. La Cour observe qu’il existe une différence de nature entre la procédure interétatique de
présentation de communications établie par les articles 11 à 13 de la CIEDR et le mécanisme
judiciaire de règlement des différends prévu à l’article 22. La première vise à contrôler le respect par
les États parties de leurs obligations au titre de la convention et peut être mise en oeuvre « [s]i un État
partie estime qu’un autre État également partie n’applique pas les dispositions de la … Convention »
(article 11). Le second vise le règlement de différends relatifs à des obligations que les États, en
devenant parties à la convention, ont accepté d’assumer les uns vis-à-vis des autres, et le règlement
judiciaire peut aboutir à l’engagement de la responsabilité du défendeur à l’égard du demandeur. Ce
mécanisme ne peut donc être mis en oeuvre que pour régler des différends relatifs à des faits survenus
à un moment où les deux États concernés étaient liés par les obligations en cause.
En conséquence, les positions adoptées par le Comité de la CIEDR en ce qui concerne
l’exercice de sa compétence dans le cadre du mécanisme interétatique de contrôle du respect de la
convention ne sont pas pertinentes aux fins de l’interprétation et de l’application de la clause
compromissoire invoquée en l’espèce pour fonder la compétence de la Cour.
55. Sur la base de ce qui précède, la Cour conclut que le 15 septembre 1996 constitue la date
à retenir aux fins de la détermination de la portée temporelle de la compétence qui lui est conférée,
en la présente espèce, par l’article 22 de la CIEDR.
56. La Cour va maintenant examiner l’assertion de l’Azerbaïdjan relative à des faits continus
ou composites.
57. La notion de faits illicites continus a été appliquée dans des décisions judiciaires ou
arbitrales internationales. Les critères d’appréciation à cet égard et les conséquences de tels faits en
matière de responsabilité de l’État sont prévus dans les articles de la CDI sur la responsabilité de
l’État (voir l’article 14 des articles de la CDI sur la responsabilité de l’État et commentaires y relatifs,
dans Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie, p. 62-65,
par. 1-14, et les affaires auxquelles il est fait référence). Aux termes du paragraphe 2 de l’article 14
desdits articles, la violation d’une obligation internationale par le fait de l’État ayant un caractère
continu s’étend sur toute la période durant laquelle le fait continue et reste non conforme à
l’obligation internationale.
58. La notion de faits illicites composites a également été appliquée dans la jurisprudence de
juridictions internationales. Le paragraphe 2 de l’article 15 des articles de la CDI sur la responsabilité
de l’État dispose que la violation d’une obligation internationale, dans le cas de faits composites,
s’étend sur toute la période débutant avec la première des actions ou omissions d’une série et dure
aussi longtemps que ces actions ou omissions se répètent et restent non conformes à ladite obligation
- 22 -
internationale. La caractéristique essentielle de pareils faits est qu’il s’agit d’une « série d’actions ou
d’omissions définie dans son ensemble comme illicite » (voir l’article 15 des articles de la CDI sur
la responsabilité de l’État et commentaires y relatifs, dans Annuaire de la Commission du droit
international, 2001, vol. II, deuxième partie, p. 65-67, par. 1-11, et les affaires auxquelles il est fait
référence).
59. La Cour note que la question de savoir si un fait internationalement illicite a un caractère
continu ou composite dépendra à la fois du contenu de l’obligation en question et des circonstances
d’une affaire donnée.
60. En la présente espèce, l’Azerbaïdjan ne précise pas si ses demandes concernent des faits
continus ou des faits composites, mais donne à entendre que ceux-ci sont englobés dans ceux-là. Il
affirme que les actions et omissions de l’Arménie à caractère cumulatif ou considérées dans leur
ensemble constituent une pratique de nettoyage ethnique qui est « une violation distincte » de la
CIEDR. Il avance que l’Arménie se livre de longue date à une campagne de nettoyage ethnique
systématique, qui a commencé avant le 15 septembre 1996 et s’est poursuivie après cette date.
61. La Cour note que la violation de certaines obligations prévues par la CIEDR peut être la
conséquence de faits de nature continue ou composite. Pour statuer sur la demande de l’Azerbaïdjan,
elle devra d’abord déterminer s’il existe des éléments de preuve suffisants pour établir que l’Arménie
a effectivement mené une telle campagne contre l’Azerbaïdjan pendant la période pertinente et, dans
l’affirmative, s’il existe des faits illicites de nature continue ou composite devant engager la
responsabilité de l’Arménie au regard de la CIEDR. Ces questions devront être tranchées au fond.
Au stade actuel, la Cour doit simplement déterminer dans quelle mesure elle a compétence, ratione
temporis, pour connaître du comportement en question.
62. Si la Cour devait constater, au stade de l’examen au fond, un fait illicite de nature continue
ou composite qui aurait débuté avant le 15 septembre 1996 et se serait poursuivi après cette date, il
en résulterait que la responsabilité de la défenderesse à l’égard du demandeur serait engagée à raison
des actions ou omissions commises après cette date, qui est celle à laquelle les obligations pertinentes
sont entrées en vigueur entre les Parties. À cet égard, la Cour ne serait néanmoins pas empêchée de
prendre en considération des faits survenus avant cette date, dans la mesure où ils seraient pertinents
aux fins de son examen du comportement postérieur de la défenderesse qui ressortit à sa compétence
(voir article 13 des articles de la CDI sur la responsabilité de l’État et commentaires y relatifs, dans
Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie, p. 62, par. 9).
63. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle n’a pas compétence ratione
temporis pour connaître des demandes de l’Azerbaïdjan fondées sur des faits qui se seraient produits
entre le 23 juillet 1993 et le 15 septembre 1996. La première exception préliminaire d’incompétence
soulevée par la défenderesse doit donc être retenue.
64. La Cour ayant conclu qu’elle n’était pas compétente à l’égard des demandes de
l’Azerbaïdjan relatives à des faits qui se seraient produits avant le 15 septembre 1996, la procédure
sur ces demandes s’achève. Point n’est dès lors besoin pour elle d’examiner les arguments des Parties
sur la question de la recevabilité.
- 23 -
III. DEUXIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE : COMPÉTENCE RATIONE MATERIAE
À RAISON DE LA POSE ALLÉGUÉE DE MINES TERRESTRES
ET DE PIÈGES PAR L’ARMÉNIE
65. La Cour examinera à présent la deuxième exception préliminaire soulevée par l’Arménie,
faisant valoir que la Cour n’a pas compétence ratione materiae au titre de la CIEDR « à l’égard des
demandes et prétentions de l’Azerbaïdjan relatives à la pose alléguée de mines terrestres et de
pièges ».
* *
66. L’Arménie fait valoir que l’Azerbaïdjan a formulé une demande distincte pour violation
des obligations auxquelles elle est tenue par la CIEDR à raison de l’emploi de mines terrestres et de
pièges, ce qui selon elle ressort clairement de la requête introductive d’instance et des arguments
développés dans le mémoire du demandeur. La défenderesse argue également que l’Azerbaïdjan
avait présenté la pose de mines terrestres et de pièges comme une violation indépendante de la
CIEDR dans le cadre de ses demandes en indication de mesures conservatoires, dans lesquelles il
avait sollicité une ordonnance de la Cour enjoignant à l’Arménie de cesser toute activité de minage
du territoire azerbaïdjanais.
67. La défenderesse soutient que la pose de mines terrestres et de pièges ne peut constituer une
discrimination raciale au sens du paragraphe 1 de l’article premier de la convention. Elle affirme que,
quand bien même les allégations factuelles de l’Azerbaïdjan seraient établies, son utilisation
supposée de mines terrestres et de pièges ne constituerait pas une distinction, exclusion, restriction
ou préférence « fondée sur » l’origine nationale ou ethnique au sens de cet article. Selon l’Arménie,
les mines terrestres et les pièges sont par nature des armes à usage non discriminant en ce qu’ils ne
peuvent pas opérer de distinction fondée sur l’origine nationale ou ethnique. La défenderesse affirme
en outre que ces armes ont été déployées uniquement à des fins de défense militaire et seulement le
long de la ligne de contact entre les forces armées. De plus, elle affirme que, à supposer même que
ce déploiement ait été le fait de l’Arménie, la pose de mines terrestres et de pièges n’avait pas pour
but ni n’a eu pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice,
dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales des personnes
d’origine ethnique azerbaïdjanaise, ainsi que l’exige aussi l’article premier de la CIEDR. Enfin, elle
argue que, à supposer que la pose de mines terrestres et de pièges puisse viser des membres d’un
groupe en particulier, ce groupe aurait été celui des ressortissants azerbaïdjanais des forces armées,
qui ne sont pas tous d’origine nationale ou ethnique azerbaïdjanaise. À cet égard, l’Arménie note que
la CIEDR n’interdit pas la discrimination « fondée sur » la nationalité actuelle.
*
68. L’Azerbaïdjan soutient que la deuxième exception d’incompétence ratione materiae
soulevée par l’Arménie doit être rejetée. Il affirme qu’il n’invoque pas de violation indépendante de
la convention à raison de la pose, par l’Arménie, de mines terrestres et de pièges sur son territoire.
L’Azerbaïdjan argue que c’est le nettoyage ethnique que l’Arménie mène de longue date par divers
moyens militaires, et non la pose de mines terrestres et de pièges en tant que telle, qui emporte
violation de la convention. Il fait valoir que la pose ciblée de mines terrestres et de pièges serait un
élément de preuve parmi d’autres à l’appui de sa demande relative au nettoyage ethnique dirigé
contre les Azerbaïdjanais sur le fondement de leur origine nationale ou ethnique. Il ajoute que la pose
- 24 -
de mines terrestres et de pièges dans des zones où l’on pouvait s’attendre au retour de personnes
d’origine ethnique azerbaïdjanaise n’est qu’un exemple des efforts que ne cesse de déployer
l’Arménie pour empêcher celles-ci de regagner leurs foyers.
69. L’Azerbaïdjan estime que l’examen des éléments de preuve présentés par chaque Partie,
notamment ceux qu’il a lui-même produits et qui attestent que l’Arménie a posé, et continue de poser,
des mines terrestres et des pièges dans des régions où l’on pouvait s’attendre au retour
d’Azerbaïdjanais, relève du fond du différend.
* *
70. Pour statuer sur sa compétence ratione materiae au titre de la CIEDR s’agissant de la pose
alléguée de mines terrestres et de pièges, la Cour doit d’abord déterminer si, dans sa requête
introductive d’instance et son mémoire, l’Azerbaïdjan l’a priée de constater que l’Arménie avait violé
la CIEDR à raison de la pose alléguée de mines terrestres et de pièges, ou bien s’il visait à établir que
l’utilisation des armes en question était une preuve à l’appui de son grief relatif à la campagne de
nettoyage ethnique que l’Arménie aurait menée.
71. La Cour rappelle qu’il lui appartient
« d’établir objectivement ce sur quoi porte le différend entre les parties en circonscrivant
le véritable problème en cause et en précisant l’objet des griefs du demandeur. La Cour
examine à cet effet la requête, ainsi que les exposés écrits et oraux des parties, tout en
consacrant une attention particulière à la formulation du différend utilisée par le
demandeur. » (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes
les formes de discrimination raciale (Qatar c. Émirats arabes unis), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2021, p. 87, par. 42 ; Application de la convention
internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine
c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (II),
p. 575, par. 24).
72. La Cour relève que, si l’Azerbaïdjan, dans sa requête, la prie de dire et juger que l’Arménie
doit « coopérer immédiatement aux opérations de déminage », en « fournissant une cartographie
complète et précise des champs de mines », et « en mettant fin et en renonçant à toute activité de
minage sur le territoire de l’Azerbaïdjan », il ne demande pas à la Cour de déterminer que la pose de
mines terrestres emporte en elle-même violation des obligations découlant de la CIEDR.
73. La Cour note également que, dans son mémoire, l’Azerbaïdjan prie la Cour de dire et juger
que l’Arménie s’est rendue responsable de violations de la CIEDR à raison de différentes actions
dont :
« a) le nettoyage ethnique et l’annihilation culturelle des Azerbaïdjanais dans les
territoires qu’elle occupait et l’établissement d’un peuplement arménien
ethniquement pur dans ces territoires, notamment :
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
- 25 -
iv) en empêchant les Azerbaïdjanais d’avoir accès aux territoires qu’elle occupait
et à son propre territoire, y compris en privant les Azerbaïdjanais déplacés à
l’intérieur de leur pays et les Azerbaïdjanais réfugiés de leur droit de regagner
leur foyer » (voir ci-dessus, paragraphe 18).
74. À l’appui de sa demande, l’Azerbaïdjan a invoqué la pose de mines terrestres et de pièges
comme l’une des mesures par lesquelles l’Arménie aurait cherché à « créer, favoriser et maintenir
une dimension monoethnique dans les territoires [qui étaient] alors occupés » et comme une preuve
de ses tentatives alléguées d’empêcher le retour des Azerbaïdjanais déplacés.
75. La Cour observe que l’Azerbaïdjan a précisé dans son mémoire que des éléments de preuve
relatifs à la pose alléguée de mines terrestres et de pièges ont été produits à l’appui de la prétention
selon laquelle l’Arménie aurait employé des moyens militaires dans le cadre d’une politique de
nettoyage ethnique. Aux fins de la détermination de l’objet du différend qui lui était soumis, la Cour
a déjà établi une distinction entre les conclusions des parties et certains arguments avancés au titre
de ces conclusions mais qui n’étaient pas « l’énoncé précis et direct d’une demande » (Pêcheries
(Royaume-Uni c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 126 ; Compétence en matière de pêcheries
(Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 449, par. 32). Elle
rappelle en outre que son Règlement n’interdit pas au demandeur « d’affiner l’argumentation
juridique présentée dans sa requête ou d’avancer de nouveaux arguments en réponse à celle avancée
par le [défendeur] » (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination raciale (Qatar c. Émirats arabes unis), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2021, p. 92, par. 63).
76. En l’espèce, la Cour considère que l’Azerbaïdjan ne lui demande pas de constater que la
pose de mines terrestres et de pièges constitue en soi une violation des obligations découlant de la
CIEDR, et l’Arménie ne conteste pas la compétence de la Cour ratione materiae pour connaître de
la conclusion de l’Azerbaïdjan relative aux politiques et pratiques alléguées de nettoyage ethnique.
Étant donné que l’Azerbaïdjan ne prétend pas que la pose alléguée de mines terrestres et de pièges
constitue en soi une violation des obligations de l’Arménie découlant de la CIEDR, la deuxième
exception préliminaire de l’Arménie est sans objet. La Cour examinera au stade du fond les
arguments et les éléments de preuve présentés par l’Azerbaïdjan au soutien de ses conclusions
relatives à des faits allégués de nettoyage ethnique.
77. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que la deuxième exception préliminaire
soulevée par l’Arménie visant à exclure du champ de sa compétence les demandes relatives à la pose
de mines terrestres et de pièges est sans objet et, partant, qu’elle doit être rejetée.
IV. TROISIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE : COMPÉTENCE RATIONE MATERIAE
À RAISON DE PRÉTENDUS DOMMAGES ENVIRONNEMENTAUX
78. La Cour en vient à la troisième exception préliminaire soulevée par l’Arménie, faisant
valoir que la Cour n’a pas compétence ratione materiae au titre de la CIEDR pour connaître des
demandes de l’Azerbaïdjan relatives à des dommages environnementaux. La Cour note que la
troisième exception préliminaire ne porte que sur les allégations présentées à la section D du
chapitre II et à la section D du chapitre IV du mémoire de l’Azerbaïdjan, selon lesquelles l’Arménie
- 26 -
a manqué à ses obligations au titre des articles 2 et 5 de la CIEDR en causant des dommages
environnementaux visant les Azerbaïdjanais sur le fondement de leur origine nationale ou ethnique.
* *
79. L’Arménie affirme que les actes ayant causé des dommages environnementaux dont tire
grief l’Azerbaïdjan ne sont pas constitutifs de discrimination raciale au sens du paragraphe 1 de
l’article premier de la CIEDR parce que l’Azerbaïdjan n’a pas démontré l’existence d’une
« distinction, exclusion, restriction ou préférence », fondée sur l’origine nationale ou ethnique, au
sens de cette disposition.
80. L’Arménie fait valoir que les dommages environnementaux, par nature, produisent leurs
effets sans discrimination et ne peuvent donc procéder d’une distinction fondée sur l’origine
nationale ou ethnique. Elle allègue en outre que les dommages environnementaux que dénonce
l’Azerbaïdjan, quand bien même ils lui seraient attribuables ce qu’elle conteste , seraient
survenus dans des régions peuplées de personnes d’origine ethnique arménienne qui entendaient y
demeurer, et où ne vivaient plus de personnes d’origine ethnique azerbaïdjanaise. Par conséquent,
les prétendues victimes des dommages environnementaux allégués n’étaient pas présentes pour les
subir.
81. L’Arménie convient que, dans certains cas, les dommages environnementaux peuvent être
à caractère transfrontière et toucher simultanément plusieurs populations et zones géographiques.
Cela dit, étant donné leur nature, elle conteste que ces dommages puissent constituer une forme de
traitement différencié utilisé pour cibler un groupe particulier. S’agissant notamment de la prétendue
mauvaise gestion du réservoir de Sarsang situé dans le Haut-Karabakh, laquelle, selon l’Azerbaïdjan,
avait privé plus de 400 000 Azerbaïdjanais vivant dans les régions en aval du réservoir d’une eau
nécessaire à des fins domestiques et agricoles, elle avance que les problèmes d’approvisionnement
en eau via ce réservoir, endommagé pendant la guerre, ont été ressentis par toute la population
d’origine ethnique arménienne du Haut-Karabakh. Elle soutient qu’il n’est pas logiquement possible
pour l’Azerbaïdjan de démontrer que la prétendue mauvaise gestion du réservoir avait pour but de
désavantager uniquement les personnes d’origine ethnique azerbaïdjanaise vivant en aval de celui-ci.
82. L’Arménie soutient en outre que les actions ou omissions qui auraient causé des dommages
à l’environnement n’étaient pas susceptibles d’avoir « pour but ou pour effet » de détruire ou de
compromettre la jouissance par les personnes d’origine ethnique azerbaïdjanaise, dans des conditions
d’égalité, de leurs droits de l’homme et de leurs libertés fondamentales, puisqu’il n’y avait plus
d’habitants d’origine ethnique azerbaïdjanaise au Haut-Karabakh à l’époque des faits allégués. En
outre, quand bien même les dommages environnementaux auraient aussi nui à des personnes
d’origine ethnique azerbaïdjanaise, ils auraient, selon elle, davantage touché les personnes d’origine
ethnique arménienne puisque ce sont elles qui habitaient les zones où ils se seraient produits.
83. En outre, l’Arménie considère que les faits qui seraient à l’origine de dommages
environnementaux dénoncés par l’Azerbaïdjan sont sans rapport avec le droit à la santé ou le droit à
la propriété au sens de l’article 5 de la CIEDR. Selon elle, les faits en question ne sont pas
susceptibles de violer le droit à la santé prévu par la CIEDR, parce que les personnes d’origine
ethnique azerbaïdjanaise ne vivaient plus dans les zones où les dommages environnementaux
allégués se seraient produits et que, de surcroît, ce droit n’englobe pas celui « de retrouver un
- 27 -
environnement sain » invoqué par l’Azerbaïdjan. L’Arménie ajoute que les dommages
environnementaux ne sont pas non plus susceptibles de violer le droit à la propriété, car celui-ci, dans
le contexte de la CIEDR, a essentiellement trait à la relation qu’entretiennent les peuples autochtones
avec leurs terres, question qui n’est pas en cause en la présente espèce.
*
84. L’Azerbaïdjan considère que la Cour est compétente pour connaître de ses demandes liées
à des dommages environnementaux et la prie de rejeter la troisième exception préliminaire de
l’Arménie. Il affirme que la définition de la discrimination raciale énoncée dans la CIEDR fait
référence à « toutes les distinctions entre individus », ce qui inclurait tout comportement consistant
à causer des dommages environnementaux qui visent un groupe particulier ou se concentrent dans
des zones particulières, sur le fondement de la race, de la couleur, de l’ascendance ou de l’origine
nationale ou ethnique prédominante de la population qui y vit. L’Azerbaïdjan souligne que la CIEDR
ne prévoit pas, dans le cas des actes de discrimination touchant à l’environnement, d’autres critères
que ceux à l’aune desquels toute autre forme de discrimination est établie.
85. Selon l’Azerbaïdjan, les dommages causés à l’environnement par l’Arménie résultent
d’une différence de traitement fondée sur l’origine nationale ou ethnique, et ont compromis
l’exercice et la jouissance, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés
fondamentales des Azerbaïdjanais. L’Azerbaïdjan considère que l’Arménie, par ses actions et
omissions, a causé des dommages dans des zones où vivaient des personnes d’origine ethnique
azerbaïdjanaise avant l’occupation arménienne, alors qu’un traitement différent était réservé aux
zones peuplées d’Arméniens. Il allègue que des faits dommageables à l’environnement, notamment
la construction de centrales hydroélectriques, la déforestation et l’abandon de terres agricoles, ont eu
lieu de manière disproportionnée dans des zones historiquement peuplées de personnes d’origine
ethnique azerbaïdjanaise, tandis que les zones peuplées d’Arméniens étaient à peine touchées et ont
même bénéficié de la destruction et du pillage des terres azerbaïdjanaises d’où ont été extraites des
ressources naturelles.
86. L’Azerbaïdjan soutient notamment que l’Arménie a délibérément détourné et géré de
manière négligente les eaux du réservoir de Sarsang afin de priver les Azerbaïdjanais qui vivaient
dans les zones adjacentes aux « territoires occupés » de l’accès à l’eau nécessaire à la consommation
humaine, à l’assainissement et à l’irrigation des cultures.
87. De plus, l’Azerbaïdjan soutient que les faits de destruction et de dégradation de
l’environnement qu’il reproche à l’Arménie sont des éléments de sa demande plus vaste relative à la
campagne de nettoyage ethnique menée par la défenderesse contre les Azerbaïdjanais, sur le
fondement de leur origine nationale ou ethnique. Selon lui, l’Arménie visait à priver les personnes
d’origine ethnique azerbaïdjanaise, lors de leur retour, de leur droit de jouir de leur terre d’origine, y
compris de l’environnement et des ressources naturelles qui en font partie.
88. L’Azerbaïdjan considère que l’Arménie ne peut pas se soustraire à la responsabilité qui lui
incombe en vertu de la CIEDR en alléguant que les Azerbaïdjanais ne vivaient pas dans les zones où
les dommages environnementaux se seraient produits, alors qu’elle les en a chassés par la force et
qu’ils ont le droit incontesté d’y revenir. Selon lui, après l’expulsion des Azerbaïdjanais, l’Arménie
a poursuivi sa campagne de nettoyage ethnique, notamment en dégradant intentionnellement
- 28 -
l’environnement naturel des territoires en question à un point tel que cet environnement est devenu
non soutenable et malsain, rendant impossible la vie des Azerbaïdjanais lors de leur retour.
L’Azerbaïdjan affirme que c’est dans ce contexte de déplacement des personnes d’origine ethnique
azerbaïdjanaise et de création d’obstacles à leur retour que l’Arménie aurait causé des préjudices
environnementaux discriminatoires, en violation de la CIEDR.
89. L’Azerbaïdjan prétend également que la destruction de l’environnement par l’Arménie a
touché de manière disproportionnée les zones précédemment peuplées d’Azerbaïdjanais. Il soutient
que les actes commis par l’Arménie avaient pour but et ont eu pour effet de compromettre l’exercice
et la jouissance, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales
des personnes d’origine ethnique azerbaïdjanaise, en particulier leurs droits à la santé et à la propriété,
deux des droits énoncés à l’article 5 de la CIEDR, ainsi que d’autres droits interdépendants protégés
par la CIEDR, dont le droit au retour, le droit à la vie et les droits à l’alimentation et à l’eau. Il fait
valoir que le droit au retour est indissociable du droit à la santé.
* *
90. Afin de déterminer si elle a compétence ratione materiae pour connaître des demandes de
l’Azerbaïdjan relatives aux dommages environnementaux, la Cour doit rechercher si les actions ou
les omissions dont l’Azerbaïdjan fait grief à l’Arménie entrent dans le champ d’application de la
CIEDR, autrement dit, si les faits en cause, à les supposer établis, sont susceptibles d’être constitutifs
de discrimination raciale (voir Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie ; 32 États intervenants),
exceptions préliminaires, arrêt du 2 février 2024, par. 136).
91. À ce stade, la Cour n’a pas besoin de déterminer si les actes dont l’Azerbaïdjan tire grief
constituent effectivement une « discrimination raciale » au sens du paragraphe 1 de l’article premier
de la CIEDR. Une telle détermination porte sur « des points de fait, largement tributaires des éléments
de preuve relatifs au but ou à l’effet des mesures alléguées par [l’Azerbaïdjan], et relève donc de
l’examen au fond si l’affaire devait se poursuivre jusqu’à ce stade » (Application de la convention
internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (II), p. 595, par. 94). Au présent stade, la Cour
doit s’assurer si les actes ayant supposément causé des dommages environnementaux, à les supposer
établis, sont susceptibles de constituer des violations de la CIEDR, et par suite entrent dans le champ
d’application de cette convention.
92. Ainsi que la Cour l’a déjà relevé,
« [l]a “discrimination raciale” au sens du paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR
comporte … deux éléments. En premier lieu, une “distinction, exclusion, restriction ou
préférence” doit être “fondée sur” l’un des motifs prohibés, à savoir “la race, la couleur,
l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique”. En second lieu, une telle différence de
traitement doit avoir “pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la
reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de
l’homme”. » (Application de la convention internationale pour la répression du
financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes
les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), arrêt du
31 janvier 2024, par. 195.)
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93. La Cour note que les dommages environnementaux dont l’Azerbaïdjan tire grief
recouvrent les faits allégués suivants : dégradation de forêts et destruction d’arbres classés comme
monuments naturels, destruction et pillage d’infrastructures hydrauliques telles que des conduites
d’eau et systèmes d’irrigation, destruction et dégradation de terres agricoles et de vignobles,
dégradation de la qualité du sol et de l’eau par suite d’activités d’exploitation minière, manque
d’entretien et mauvaise gestion d’infrastructures d’approvisionnement en eau, y compris le réservoir
de Sarsang, et détournement de ressources en eau.
94. La Cour constate en outre que les dommages environnementaux allégués concerneraient
les districts d’Aghdam, Fuzuli, Gubadly, Jabrayil, Kalbajar, Latchine et Zangilan qui entourent la
région du Haut-Karabakh, dont la population était majoritairement d’origine ethnique
azerbaïdjanaise avant les hostilités qui ont pris fin en mai 1994. Ces dommages seraient survenus
pendant la période où ces territoires étaient sous contrôle arménien, à savoir entre 1994 et 2020. Le
demandeur admet que ces sept districts sont restés en grande partie inhabités pendant « près de trente
ans d’occupation arménienne », si l’on excepte la présence d’habitants d’origine ethnique
arménienne qui s’y étaient installés. Il soutient toutefois que le comportement de l’Arménie relatif à
l’environnement était fondé sur l’origine nationale ou ethnique et qu’il avait pour but, et a eu pour
effet, d’empêcher les Azerbaïdjanais de retourner dans leurs foyers, et de jouir de leurs droits
fondamentaux, y compris le droit à la santé et à la propriété.
95. La Cour reconnaît qu’on ne saurait exclure qu’un comportement donnant lieu à des
dommages causés à l’environnement puisse, dans certains cas, constituer un acte de discrimination
raciale au regard de la CIEDR. En l’espèce, elle note cependant que, selon l’Azerbaïdjan lui-même,
les supposées dégradation de forêts et destruction d’arbres dans les districts précédemment peuplés
pour l’essentiel de personnes d’origine ethnique azerbaïdjanaise sont la conséquence d’activités
agricoles et industrielles et de feux de forêt non maîtrisés. En particulier, l’Azerbaïdjan affirme que
des forêts ont été abattues « pour laisser la place à des mines, centrales hydroélectriques et
infrastructures associées … devant permettre à l’Arménie de tirer profit des abondantes ressources
naturelles des territoires qu’elle occupait alors ». Il affirme aussi que l’abattage de bois d’oeuvre ne
se produisait pas, en général, à proximité des communautés habitées et avait « des visées
commerciales ». La Cour observe en outre que, selon l’Azerbaïdjan, l’Arménie soutenait et facilitait
la surexploitation de ressources minérales, causant des dommages environnementaux dévastateurs
dans des districts précédemment peuplés de personnes d’origine ethnique azerbaïdjanaise.
96. La Cour est d’avis que les actions et omissions alléguées de l’Arménie concernant la
déforestation et la surexploitation de ressources minérales auraient servi des objectifs commerciaux
ou auraient été dues à la négligence pour l’environnement et à sa mauvaise gestion. Par conséquent,
quand bien même elles seraient établies et attribuables à l’Arménie, ces actions et omissions ne
constitueraient pas une différence de traitement fondée sur un motif prohibé par le paragraphe 1 de
l’article premier de la CIEDR.
97. En ce qui concerne les infrastructures hydrauliques, l’Azerbaïdjan allègue que l’Arménie
les a négligées et mal gérées dans les « territoires alors occupés » et qu’elle détournait d’importantes
ressources en eaux au profit de personnes d’origine ethnique arménienne, ce qui avait contribué à la
dégradation des terres agricoles dans des districts précédemment peuplés de personnes d’origine
ethnique azerbaïdjanaise et privé de l’eau nécessaire à l’irrigation et d’eau potable les Azerbaïdjanais
vivant dans des zones de l’Azerbaïdjan adjacentes aux « territoires alors occupés ». La Cour
considère que la destruction et la déviation alléguées de cours d’eau auraient touché différents
groupes ethniques, et pas seulement les personnes d’origine ethnique azerbaïdjanaise. Un tel
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comportement, à supposer qu’il soit établi et attribuable à l’Arménie, ne saurait être fondé sur un
motif prohibé par le paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR. S’agissant du réservoir de
Sarsang en particulier, la Cour note qu’il n’est pas contesté que ce réservoir, qui avait été endommagé
pendant les hostilités, approvisionnait en eau aussi bien des personnes d’origine ethnique arménienne
du Haut-Karabakh que des personnes d’origine ethnique azerbaïdjanaise vivant dans des régions en
aval adjacentes au Haut-Karabakh. Partant, sa mauvaise gestion alléguée aurait eu des conséquences
néfastes pour les deux populations. Il s’ensuit que, quand bien même elles seraient établies et
attribuables à l’Arménie, les actions ou omissions alléguées de celle-ci ayant consisté à négliger et
mal gérer les infrastructures hydrauliques ne constitueraient pas une différence de traitement fondée
sur un motif prohibé par le paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR.
98. La Cour observe en outre que les Parties conviennent que des personnes d’origine nationale
ou ethnique azerbaïdjanaise ne vivaient pas dans les territoires concernés par les dommages
environnementaux allégués à l’époque où l’Arménie contrôlait ces territoires. Qui plus est, rien
n’indique que, à l’époque où les dommages se seraient produits, des personnes d’origine ethnique
arménienne n’entendaient pas demeurer dans ces lieux.
99. En conséquence, dans les circonstances de l’espèce, la Cour n’est pas convaincue que les
dommages qui auraient été causés à l’environnement résultent d’actes susceptibles d’être constitutifs
de discrimination raciale à l’égard de personnes d’origine nationale ou ethnique azerbaïdjanaise au
sens de l’article premier de la CIEDR. Elle estime que, quand bien même ils seraient établis et
attribuables à l’Arménie, les actes qui auraient causé des dommages à l’environnement n’entrent pas
dans le champ d’application de la CIEDR, dès lors qu’ils ne sont ni susceptibles de constituer un
traitement différencié fondé sur l’origine nationale ou ethnique, ni susceptibles de détruire ou de
compromettre, par leur but ou par leur effet, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité,
des droits de l’homme des personnes d’origine ethnique azerbaïdjanaise, au sens du paragraphe 1 de
l’article premier de la convention.
100. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle n’est pas compétente ratione
materiae pour connaître des demandes de l’Azerbaïdjan relatives aux dommages environnementaux.
La troisième exception préliminaire soulevée par l’Arménie doit donc être retenue.
*
* *
101. Par ces motifs,
LA COUR,
1) Par quatorze voix contre trois,
Retient la première exception préliminaire soulevée par la République d’Arménie ;
POUR : M. Salam, président ; Mme Sebutinde, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham,
Mme Xue, MM. Bhandari, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, MM. Brant,
Gómez Robledo, Aurescu, Tladi, juges ; M. Daudet, juge ad hoc ;
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CONTRE : M. Yusuf, Mme Cleveland, juges ; M. Koroma, juge ad hoc ;
2) Par seize voix contre une,
Rejette la deuxième exception préliminaire soulevée par la République d’Arménie ;
POUR : M. Salam, président ; Mme Sebutinde, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Yusuf,
Mme Xue, MM. Bhandari, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, MM. Brant,
Gómez Robledo, Mme Cleveland, MM. Aurescu, Tladi, juges ; M. Daudet, juge ad hoc ;
CONTRE : M. Koroma, juge ad hoc ;
3) Par douze voix contre cinq,
Retient la troisième exception préliminaire soulevée par la République d’Arménie ;
POUR : M. Salam, président ; Mme Sebutinde, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Yusuf,
Mme Xue, MM. Bhandari, Iwasawa, Brant, Gómez Robledo, Aurescu, juges ; M. Daudet,
juge ad hoc ;
CONTRE : M. Nolte, Mmes Charlesworth, Cleveland, M. Tladi, juges ; M. Koroma, juge
ad hoc ;
4) À l’unanimité,
Dit qu’elle a compétence sur la base de l’article 22 de la convention internationale sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, sous réserve des points 1 et 3 du présent
dispositif, pour connaître de la requête déposée par la République d’Azerbaïdjan le 23 septembre
2021.
Fait en français et en anglais, le texte français faisant foi, au Palais de la Paix, à La Haye,
le douze novembre deux mille vingt-quatre, en trois exemplaires, dont l’un restera déposé aux
archives de la Cour et les autres seront transmis respectivement au Gouvernement de la République
d’Azerbaïdjan et au Gouvernement de la République d’Arménie.
Le président,
(Signé) Nawaf SALAM.
Le greffier,
(Signé) Philippe GAUTIER.
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M. le juge TOMKA joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; M. le juge YUSUF joint
une déclaration à l’arrêt ; M. le juge IWASAWA joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ;
M. le juge NOLTE, Mmes les juges CHARLESWORTH et CLEVELAND et M. le juge TLADI joignent à
l’arrêt l’exposé de leur opinion dissidente commune ; Mme la juge CHARLESWORTH joint à l’arrêt
l’exposé de son opinion individuelle ; Mme la juge CLEVELAND joint à l’arrêt l’exposé de son opinion
dissidente ; M. le juge TLADI joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente.
(Paraphé) N.S.
(Paraphé) Ph.G.
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Exceptions préliminaires soulvevées par l'Arménie
Arrêt du 12 novembre 2024