Discours de S. Exc. M. le juge Nawaf Salam, président de la Cour internationale de Justice, devant la Sixième Commission de l’Assemblée générale

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000-20241025-STA-01-00-EN
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DISCOURS DE S. EXC. M. LE JUGE NAWAF SALAM, PRÉSIDENT DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE, DEVANT LA SIXIÈME COMMISSION DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE
25 octobre 2024
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les représentants à la Sixième Commission,
C’est un grand honneur pour moi que de m’adresser à cette Commission pour la première fois en ma qualité de président de la Cour internationale de Justice et d’entretenir ainsi les liens solides et la tradition d’échanges annuels entre nos deux institutions. Je tiens tout d’abord à féliciter Son Excellence M. Rui Vinhas de son élection à la présidence de la Sixième Commission pour la soixante-dix-neuvième session de l’Assemblée générale.
J’ai choisi de vous entretenir aujourd’hui de la place de l’« individu » dans la jurisprudence de la Cour, eu égard au « pacte pour l’avenir » adopté le mois dernier, selon lequel les populations doivent être au centre de toutes les mesures prises par notre organisation, mais également au fameux « nous, peuples des Nations Unies » qui ouvre la Charte.
Contrairement aux tribunaux pénaux internationaux, qui traitent de la responsabilité pénale individuelle, la Cour, outre sa fonction consultative, a pour mission de régler les différends entre États. Comme vous le savez, seuls les États peuvent être parties à une procédure contentieuse devant la Cour. Des individus peuvent néanmoins voir leurs droits protégés par la Cour de différentes façons. Je commencerai par rappeler que nous avons récemment constaté une augmentation considérable du nombre d’affaires liées à des traités relatifs aux droits de l’homme, parmi lesquels la convention sur la prévention et la répression du crime de génocide (que j’appellerai la « convention sur le génocide »), la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (la « convention contre la torture ») et la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (la « CIEDR »). Quelles que soient les raisons qui peuvent conduire les États parties à introduire de telles instances, il est incontestable que la Cour ne perd pas de vue les droits et les intérêts de la personne humaine lorsqu’elle exerce sa fonction judiciaire de règlement des différends  sans parler de sa fonction consultative, sur laquelle je reviendrai.
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Il est vrai qu’une personne ne peut ester devant la Cour de façon autonome comme elle peut le faire devant une juridiction internationale des droits de l’homme. Il n’en reste pas moins que les droits qu’elle tient du droit international peuvent être protégés par la Cour.
Je commencerai par examiner la façon dont les droits de l’homme peuvent être préservés, en particulier par l’indication de mesures conservatoires. Nous avons récemment constaté une hausse du nombre d’affaires portées devant la Cour sur le fondement de traités relatifs aux droits de l’homme dans le contexte de conflits armés, ainsi qu’une augmentation inédite du nombre de demandes en indication de mesures conservatoires. C’est le signe que les États n’hésitent pas à se tourner vers la Cour, même en temps de guerre. Je tiens néanmoins à préciser que la Cour en a profité pour réaffirmer que la protection offerte par les conventions régissant les droits de l’homme ne cesse pas en temps de conflit armé.
Comme vous le savez, les mesures conservatoires visent à préserver les droits revendiqués par un État en attendant que la Cour statue sur le fond de l’affaire. La Cour n’exerce le pouvoir d’indiquer
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de telles mesures que s’il y a urgence, c’est-à-dire s’il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits plausibles qui font l’objet de la procédure judiciaire.
Pour déterminer s’il existe un risque qu’un préjudice irréparable soit porté aux droits d’un État qui sont en cause dans une instance introduite sur le fondement d’un traité relatif aux droits de l’homme, la Cour examine s’il est possible qu’un tel préjudice soit causé aux droits protégés des personnes concernées.
Par exemple, dans plusieurs instances introduites sur le fondement de la CIEDR, la Cour, après avoir recherché s’il existait un risque qu’un préjudice irréparable soit porté aux droits plausibles en cause entre deux États, a conclu que les droits conférés par cette convention, notamment le droit de toute personne d’être protégée de la haine et de la discrimination raciales, le droit à la sécurité et d’autres droits civils (par exemple, le droit de circuler librement et le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays), étaient de nature telle que le préjudice qui leur serait porté pourrait se révéler irréparable. Elle a également dit que les personnes soumises à des traitements inhumains ou dégradants ou à la torture pourraient être exposées à un risque grave de préjudice irréparable. Elle a en outre jugé que la détresse psychologique, comme les sévices, pouvait causer un tel préjudice (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2021, C.I.J. Recueil 2021, p. 389, par. 82 ; Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Émirats arabes unis), mesures conservatoires, ordonnance du 23 juillet 2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 431, par. 69).
Après avoir reçu une demande en indication de mesures conservatoires de la Gambie en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), la Cour a examiné la question du risque de préjudice irréparable et de l’urgence et en a conclu ce qui suit :
« À la lumière des valeurs fondamentales que la convention sur le génocide entend protéger, ... les droits en cause en l’espèce et, en particulier, celui du groupe rohingya au Myanmar et de ses membres d’être protégés contre les meurtres et autres actes menaçant leur existence en tant que groupe, sont de nature telle que le préjudice qui leur serait porté pourrait être irréparable. »
L’ultime bénéficiaire des traités relatifs aux droits de l’homme étant la personne humaine, ses droits sont protégés, avec ceux des États, lorsque la Cour indique des mesures conservatoires.
Permettez-moi de citer quelques exemples de mesures conservatoires particulières dont des individus ont été les ultimes bénéficiaires. En l’affaire relative à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), le 15 octobre 2008, la Cour a dit que les deux Parties devaient, en Ossétie du Sud, en Abkhazie et dans les régions géorgiennes adjacentes,
« 1) s’abstenir de tous actes de discrimination raciale contre des personnes, des groupes de personnes ou des institutions ;
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3) faire tout ce qui [étai]t en leur pouvoir, chaque fois que, et partout où, cela [étai]t possible, afin de garantir, sans distinction d’origine nationale ou ethnique,
i) la sûreté des personnes ;
ii) le droit de chacun de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État ;
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iii) la protection des biens des personnes déplacées et des réfugiés ;
4) faire tout ce qui [étai]t en leur pouvoir afin de garantir que les autorités et les institutions publiques se trouvant sous leur contrôle ou sous leur influence ne se livrent pas à des actes de discrimination raciale à l’encontre de personnes, groupes de personnes ou institutions ».
Dans la même affaire, la Cour a ordonné aux deux Parties de « faciliter[], et [de] s’abst[enir] d’entraver d’une quelconque façon, l’aide humanitaire apportée au soutien des droits dont p[ouvai]t se prévaloir la population locale en vertu de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale ».
En l’instance relative à l’application de la CIEDR introduite par l’Azerbaïdjan contre l’Arménie, la Cour a prescrit à cette dernière de
« prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher l’incitation et l’encouragement à la haine raciale, y compris par des organisations ou des personnes privées sur son territoire, contre les personnes d’origine nationale ou ethnique azerbaïdjanaise » (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Azerbaïdjan c. Arménie), mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2021, C.I.J. Recueil 2021, p. 431, par. 76, point 1).
En l’instance introduite par l’Arménie contre l’Azerbaïdjan concernant l’application de la même convention, la Cour a indiqué plusieurs mesures conservatoires visant à protéger les droits des personnes tels qu’énoncés par la CIEDR. Ainsi, dans son ordonnance du 17 novembre 2023, elle a ordonné à l’Azerbaïdjan de
« i) veiller à ce que toute personne qui aurait quitté le Haut-Karabakh après le 19 septembre 2023 et qui souhaiterait y retourner soit en mesure de le faire en toute sécurité, librement et rapidement ; ii) veiller à ce que toute personne qui serait restée au Haut-Karabakh après le 19 septembre 2023 et qui souhaiterait en partir soit en mesure de le faire en toute sécurité, librement et rapidement ; et iii) veiller à ce que toute personne qui serait restée au Haut-Karabakh après le 19 septembre 2023 ou qui y serait retournée et qui souhaiterait y rester ne fasse pas l’objet de recours à la force ou d’intimidation susceptible de l’inciter à fuir ».
La Cour a également prescrit à l’Azerbaïdjan de « protéger et préserver les documents et registres liés à l’enregistrement, à l’identité, et à la propriété privée relatifs aux personnes [ayant quitté le Haut-Karabakh ou y étant restées] et en tenir dûment compte dans sa pratique administrative et législative » (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), mesures conservatoires, ordonnance du 17 novembre 2023, par. 74, point 2).
Les mesures conservatoires ont également bénéficié à des individus en l’affaire relative à l’Application de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Canada et Pays-Bas c. République arabe syrienne), dans laquelle la Cour a ordonné à la République arabe syrienne, le 16 novembre 2023, de « prendre toutes les mesures en son pouvoir afin de prévenir les actes de torture et autres actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».
En l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), la Cour a indiqué plusieurs mesures conservatoires. Dans sa première ordonnance, en date du 26 janvier 2024, elle a dit ce qui suit :
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« L’État d’Israël doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission, à l’encontre des Palestiniens de Gaza, de tout acte entrant dans le champ d’application de l’article II de la convention, en particulier les actes suivants :
a) meurtre de membres du groupe ;
b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; et
d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ».
La Cour a également prescrit à Israël de « prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d’existence auxquelles [étaie]nt soumis les Palestiniens de la bande de Gaza ».
Ces ordonnances en indication de mesures conservatoires montrent que la personne humaine peut être au centre de la protection offerte par la Cour. Ainsi, depuis l’affaire LaGrand (Allemagne c. États-Unis d’Amérique) en 2001, dans laquelle était en jeu la protection de la vie de deux personnes dont les droits au titre de la convention de Vienne sur les relations consulaires avaient été violés, la Cour a souligné que ses ordonnances en indication de mesures conservatoires avaient un caractère obligatoire et mettaient des obligations juridiques à la charge des États.
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Il me semble important de relever que la Cour, dans ses ordonnances en indication de mesures conservatoires comme dans ses arrêts, est de plus en plus encline à reconnaître les droits et les intérêts de la personne en droit international.
L’affaire Ahmadou Sadio Diallo entre la République de Guinée et la République démocratique du Congo (que j’appellerai la « RDC ») représente un jalon important de cette évolution. Dans cette affaire, la Guinée a déposé une requête au sujet d’un différend relatif à de « graves violations du droit international » qui auraient été commises sur la personne de M. Diallo, ressortissant guinéen. Elle y alléguait que celui-ci avait été injustement incarcéré par les autorités de la RDC, spolié de ses importants investissements, entreprises et avoirs mobiliers, immobiliers et bancaires, puis expulsé. Dans l’arrêt qu’elle a rendu sur les exceptions préliminaires le 24 mai 2007, la Cour a jugé que la requête de la Guinée était recevable en ce qu’elle avait trait à la protection des droits de M. Diallo en tant qu’individu et de ses droits propres en tant qu’associé de deux sociétés. Dans ce contexte, il convient de rappeler cette affirmation mémorable de la Cour :
« [S]elon le droit international coutumier, tel que reflété à l’article premier du projet d’articles de la Commission du droit international … sur la protection diplomatique, celle-ci
“consiste en l’invocation par un État, par une action diplomatique ou d’autres moyens de règlement pacifique, de la responsabilité d’un autre État pour un préjudice causé par un fait internationalement illicite dudit État à une personne physique ou morale ayant la nationalité du premier État en vue de la mise en oeuvre de cette responsabilité” (article premier du
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projet d’articles sur la protection diplomatique adopté par la CDI à sa cinquante-huitième session (2006), rapport de la CDI, doc. A/61/10, p. 24).
En raison de l’évolution matérielle du droit international, au cours de ces dernières décennies, dans le domaine des droits reconnus aux personnes, le champ d’application ratione materiae de la protection diplomatique, à l’origine limité aux violations alléguées du standard minimum de traitement des étrangers, s’est étendu par la suite pour inclure notamment les droits de l’homme internationalement garantis. » (Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 599, par. 39.)
Dans cet arrêt, la Cour a élargi le champ d’application de la protection diplomatique, qui était limité aux violations du standard minimum de traitement des étrangers, aux droits de l’homme internationalement garantis.
Dans l’arrêt qu’elle a rendu sur le fond de cette affaire en 2010, la Cour a jugé que la RDC avait manqué aux obligations lui incombant en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et de la convention de Vienne sur les relations consulaires, et qu’elle était tenue de fournir à la République de Guinée une réparation appropriée, sous la forme d’une indemnisation, pour les conséquences préjudiciables résultant des violations d’obligations internationales.
S’agissant d’indemnisation, la Cour offre généralement la possibilité aux parties de trouver un accord ; si celles-ci n’y parviennent pas dans un délai donné — de six mois en l’affaire Diallo —, la Cour décide de la nature de l’indemnité. Dans ladite affaire, le délai prescrit étant arrivé à échéance, la Cour a dû déterminer le montant de l’indemnité devant être accordée à la Guinée du fait des arrestations, des détentions et de l’expulsion illicites de M. Diallo par la RDC. Dans son arrêt du 19 juin 2012, dans lequel elle a fixé ce montant, la Cour, reconnaissant clairement l’existence d’intérêts individuels en droit international, a dit que « l’indemnité accordée à la Guinée, dans l’exercice par celle-ci de sa protection diplomatique à l’égard de M. Diallo, [étai]t destinée à réparer le préjudice subi par celui-ci » (Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), indemnisation, arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 344, par. 57).
Plus récemment, la Cour a dû examiner la question de la réparation des dommages causés par des manquements à des obligations internationales en l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda). Dans l’arrêt qu’elle a rendu sur le fond en 2005, elle a jugé, entre autres, que l’Ouganda avait violé le principe du non-recours à la force dans les relations internationales et le principe de non-intervention, les obligations lui incombant en vertu du droit international relatif aux droits de l’homme et du droit international humanitaire, ainsi que ses obligations à l’égard de la RDC s’agissant des ressources naturelles. Elle a également dit que l’Ouganda était tenu de réparer le préjudice causé à la RDC. Faute d’accord entre les Parties sur la question des réparations, la Cour a repris la procédure à la demande de la RDC et a tranché cette question dans son arrêt du 9 février 2022.
Je ne reviendrai pas aujourd’hui sur les principes et les règles applicables à l’évaluation des réparations, au critère d’établissement de la preuve, etc. Je tiens toutefois à préciser qu’il s’agissait de la première fois que la Cour avait à déterminer le montant d’une réparation à raison de dommages causés à un large groupe de victimes dans le cadre d’un conflit armé de grande ampleur, dommages comprenant notamment des pertes en vies humaines, des atteintes aux personnes, des viols et violences sexuelles, le recrutement et le déploiement d’enfants-soldats, des déplacements de population et des atteintes aux biens privés. Finalement, la Cour a décidé d’accorder une indemnisation sous la forme de sommes globales, notamment au titre des dommages aux personnes, y compris des pertes en vies humaines, et au titre des dommages causés aux biens.
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Il est à noter qu’à la fin de son arrêt, la Cour a tenu pleinement compte et s’est félicitée de l’engagement pris au cours de la procédure orale par l’agent de la RDC au sujet du fonds établi par son gouvernement, à savoir que les indemnités dues par l’Ouganda seraient réparties de manière équitable et effective entre les victimes du préjudice. Elle a conclu en précisant que, « [a]ux fins de la répartition des indemnités, les administrateurs du fonds [étaie]nt encouragés à envisager également la possibilité d’adopter des mesures bénéficiant à l’ensemble des communautés touchées » (Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), réparations, arrêt, C.I.J. Recueil 2022 (I), p. 137, par. 408).
Dans les affaires Diallo et RDC c. Ouganda, la Cour a reconnu à des personnes le droit d’obtenir réparation en vertu du droit international, alors même que les individus ne participent pas eux-mêmes au processus de détermination des réparations devant la Cour.
Dans le même ordre d’idées, dans l’avis consultatif qu’elle a donné il y a vingt ans, le 9 juillet 2004, sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, la Cour a jugé que la construction du mur avait notamment nécessité la réquisition et la destruction d’habitations, de commerces ainsi que d’exploitations agricoles, et en a conclu qu’Israël avait l’obligation de réparer les dommages causés à toutes les personnes physiques ou morales concernées. Elle a plus particulièrement dit ce qui suit :
« Israël est … tenu de restituer les terres, les vergers, les oliveraies et les autres biens immobiliers saisis à toute personne physique ou morale en vue de l’édification du mur dans le territoire palestinien occupé. Au cas où une telle restitution s’avérerait matériellement impossible, Israël serait tenu de procéder à l’indemnisation des personnes en question pour le préjudice subi par elles. De l’avis de la Cour, Israël est également tenu d’indemniser, conformément aux règles du droit international applicables en la matière, toutes les personnes physiques ou morales qui auraient subi un préjudice matériel quelconque du fait de la construction de ce mur. »
Dans le dernier avis consultatif qu’elle a donné, le 19 juillet 2024, sur les Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, la Cour, après avoir jugé qu’Israël était tenu « de mettre fin à sa présence illicite dans le Territoire palestinien occupé dans les plus brefs délais », s’est dite « d’avis que l’État d’Israël a[vait] l’obligation de réparer le préjudice causé à toutes les personnes physiques ou morales concernées dans [c]e Territoire ».
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Je voudrais enfin traiter de la contribution de la Cour au développement du droit des peuples. La Cour a maintes fois jugé que les « peuples » en tant que tels, et pas seulement les États, pouvaient avoir des droits et des obligations en droit international. Dans l’avis consultatif qu’elle a donné au sujet du Sahara occidental en 1975, elle a non seulement qualifié l’autodétermination de « principe » mais a précisé qu’il s’agissait d’un « droit des peuples » énoncé dans la résolution 1514 de l’Assemblée générale des Nations Unies (déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux). Par la suite, la Cour a clairement dit, dans ses avis sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé et les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes s’était cristallisé en tant que règle coutumière ayant force obligatoire pour tous les États. Elle a reconnu que l’obligation de respecter ce droit était due erga omnes, et que tous les États avaient un intérêt juridique à ce qu’il soit protégé.
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Se penchant de nouveau sur la question du droit à l’autodétermination dans son dernier avis consultatif, sur les Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, la Cour a rappelé qu’il s’agit d’un droit humain fondamental. Point important, elle a considéré que, en cas d’occupation étrangère, le droit à l’autodétermination constituait une norme impérative de droit international. Je rappellerai qu’une norme impérative est définie par la Commission du droit international comme étant, en droit international général, « une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des États dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise ». Dans son dernier avis consultatif, la Cour a également précisé le champ d’application du droit à l’autodétermination. Elle a rappelé, en particulier, que le droit à l’intégrité territoriale est reconnu, en droit international coutumier, comme un corollaire du droit à l’autodétermination. De plus, en vertu de ce droit, un peuple est protégé contre les actes visant à disperser la population et à compromettre son intégrité en tant que peuple. Selon la Cour, le droit à l’autodétermination est le droit d’exercer une souveraineté permanente sur les ressources naturelles, qui est un principe de droit international coutumier. La Cour a également dit que le droit des peuples de déterminer librement leur statut politique et d’assurer librement leur développement économique, social et culturel était un élément clé du droit à l’autodétermination.
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Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les représentants,
Voilà qui conclut mon allocution de ce jour qui, je l’espère, vous a donné un aperçu général des différentes façons dont la Cour protège les droits des personnes et des peuples. De fait, le droit international se préoccupe par-dessus tout de l’être humain. S’il nous reste du temps, je serai ravi d’entendre vos réactions et de répondre à vos éventuelles questions.
Je voudrais remercier une fois encore le président et tous les membres de la Commission pour leur soutien et l’intérêt qu’ils portent aux travaux de la Cour internationale de Justice.
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