DISCOURS DE S. EXC. M. LE JUGE NAWAF SALAM, PRÉSIDENT DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE, À L’OCCASION DE LA SOIXANTE-DIX-NEUVIÈME SESSION DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES
Le 24 octobre 2024, 10 heures
Monsieur le président,
Excellences,
Mesdames et Messieurs les délégués,
La dernière fois que je me suis adressé à cette auguste Assemblée, c’était à la fin de mes dix années de service en tant que représentant permanent de mon pays, le Liban. Aujourd’hui, c’est un honneur pour moi que de prendre la parole à cette tribune en qualité de président de la Cour internationale de Justice, dans le cadre de l’examen du rapport annuel de cette dernière par l’Assemblée générale. La Cour se félicite de l’intérêt que cette éminente Assemblée porte à ses travaux.
Avant d’entamer mon survol des nombreuses activités judiciaires de la Cour durant l’année écoulée, je tiens à saisir cette occasion pour féliciter S. Exc. M. Philémon Yang de son élection à la présidence de la soixante-dix-neuvième session de l’Assemblée générale, et lui adresser tous mes voeux de succès dans l’exercice de cette noble fonction.
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Monsieur le président,
Depuis le 1er août 2023, date du début de la période couverte par le rapport annuel de la Cour, le rôle de cette dernière est demeuré très fourni, signe de la confiance que la communauté internationale place dans l’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies. Vingt-trois affaires pendantes sont inscrites au rôle général : vingt et une procédures contentieuses et deux procédures consultatives, dont une concerne des questions posées à la Cour par cette Assemblée. Cinq de ces vingt-trois affaires sont nouvelles : une demande d’avis consultatif et quatre affaires contentieuses ont été introduites au cours de la période considérée.
Le 13 novembre 2023, une demande d’avis consultatif a été soumise à la Cour par le directeur général de l’Organisation internationale du Travail (OIT) sur la question de savoir si le droit de grève des travailleurs et de leurs organisations était protégé par la convention sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical de 1948 (aussi appelée « convention no 87 »). Le 29 décembre 2023, l’Afrique du Sud a introduit une instance contre Israël concernant un différend relatif à l’application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza. Le 1er mars 2024, le Nicaragua a introduit une instance contre l’Allemagne concernant des manquements allégués à certaines obligations internationales relativement au Territoire palestinien occupé. Le 11 avril 2024, le Mexique a introduit une instance contre l’Équateur au sujet d’un différend portant sur « des questions juridiques concernant le règlement des différends internationaux par des moyens pacifiques et les relations diplomatiques et l’inviolabilité d’une mission diplomatique ». Dans chacune de ces trois procédures contentieuses, le demandeur a joint à sa requête une demande en indication de mesures conservatoires. L’affaire contentieuse la plus récente a été introduite par
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l’Équateur contre le Mexique, le 29 avril 2024, au sujet des agissements de ce dernier à l’égard de l’ancien vice-président de l’Équateur, M. Glas Espinel.
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Monsieur le président,
Depuis le 1er août 2023, la Cour a tenu douze séries d’audiences dans dix procédures et a rendu deux arrêts et un avis consultatif, ainsi que huit ordonnances sur des demandes en indication ou en modification de mesures conservatoires et une ordonnance sur la recevabilité de déclarations d’intervention. Elle a également rendu un certain nombre d’ordonnances en matière de délais dans diverses affaires.
Conformément à l’usage, j’exposerai maintenant succinctement la teneur des arrêts, de l’avis consultatif et des ordonnances sur des questions de fond rendus par la Cour pendant la période à l’examen.
Le 31 janvier 2024, la Cour a rendu son arrêt au fond en l’affaire relative à l’Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie). Cette instance avait été introduite par l’Ukraine à la suite des événements survenus à partir du début de l’année 2014 en Ukraine orientale et dans la péninsule de Crimée. Il convient de noter, tout d’abord, que la Cour a rejeté l’invocation par la Fédération de Russie de la doctrine des « mains propres » comme moyen de défense au fond, estimant que celle-ci ne pouvait être appliquée lorsque sa compétence pour connaître d’un différend interétatique était établie et que la requête était recevable.
S’agissant des demandes formulées par l’Ukraine sur le fondement de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme (ci-après, la « CIRFT »), la Cour a précisé que seules les ressources pécuniaires ou financières fournies ou réunies aux fins de la commission d’actes de terrorisme pouvaient constituer le fondement de l’infraction de financement du terrorisme. S’agissant des allégations de non-respect par la Fédération de Russie des obligations lui incombant au regard de certains articles de la CIRFT geler certains fonds, extrader ou poursuivre des auteurs présumés d’infractions de financement du terrorisme, aider d’autres États parties dans leurs enquêtes portant sur le financement du terrorisme, et prendre toutes les mesures possibles pour empêcher les mouvements, vers le territoire ukrainien, de « fonds » destinés à financer le terrorisme , la Cour a considéré qu’il n’avait pas été établi par le demandeur que la Fédération de Russie avait manqué à ses obligations au regard de la convention. Elle a cependant estimé que la Fédération de Russie avait manqué à l’obligation que lui impose l’article 9 de la CIRFT d’enquêter sur les allégations de commission d’infractions de financement du terrorisme dont les auteurs présumés se trouvaient sur son territoire.
S’agissant des demandes formulées par l’Ukraine sur le fondement de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ci-après, la « CIEDR »), la Cour a indiqué qu’elle n’était pas appelée à se prononcer sur la question de savoir s’il y avait eu des manquements à des obligations découlant de cet instrument dans des cas particuliers, mais sur l’existence ou non d’une « ligne de conduite ».
La Cour a examiné en détail les allégations selon lesquelles la Fédération de Russie avait violé des dispositions de la CIEDR eu égard aux violences physiques subies par des Tatars de Crimée et des personnes d’origine ethnique ukrainienne en Crimée et aux mesures prises contre le Majlis,
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organe ayant joué un rôle historique important dans la représentation des intérêts de la communauté tatare de Crimée dans la péninsule. Elle a également examiné des mesures relatives à la citoyenneté, à la tenue de rassemblements revêtant une importance culturelle, aux médias, ainsi qu’au patrimoine culturel et aux institutions culturelles des Tatars de Crimée et des personnes d’origine ethnique ukrainienne en Crimée. Elle a conclu qu’il n’avait pas été établi que la Fédération de Russie avait manqué aux obligations que lui impose la CIEDR.
La Cour a ensuite recherché si le comportement de la Fédération de Russie concernant l’enseignement scolaire en Crimée était constitutif de discrimination raciale au sens de la CIEDR. Après avoir examiné les mesures législatives et autres prises par le défendeur en matière d’enseignement en langue ukrainienne en Crimée, elle a conclu que la Fédération de Russie avait manqué aux obligations que lui impose la CIEDR par la manière dont elle avait mis en place son système d’éducation en Crimée après 2014 pour ce qui est de l’enseignement scolaire en langue ukrainienne.
La Cour a ensuite examiné l’allégation de l’Ukraine selon laquelle la Fédération de Russie avait violé son ordonnance en indication de mesures conservatoires du 19 avril 2017. Elle a conclu que, en maintenant l’interdiction visant le Majlis, le défendeur avait violé cette ordonnance, tout en précisant que cette conclusion était indépendante de sa conclusion au fond selon laquelle ladite interdiction n’emportait pas manquement aux obligations incombant à la Fédération de Russie au regard de la CIEDR. S’agissant de la disponibilité d’un enseignement en langue ukrainienne, la Cour a conclu que, bien que l’Ukraine eût montré que l’offre en la matière avait fortement baissé après 2014, il n’avait pas été établi que la Fédération de Russie avait agi en violation de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires. Elle a pris note en particulier d’un rapport de l’Organisation des Nations Unies confirmant qu’un enseignement en langue ukrainienne était disponible en Crimée postérieurement à l’adoption de l’ordonnance.
Enfin, la Cour a considéré que la Fédération de Russie, en reconnaissant les prétendues « République populaire de Donetsk » et « République populaire de Louhansk » comme des États indépendants et en lançant contre l’Ukraine ce qu’elle a appelé une « opération militaire spéciale », avait gravement fragilisé le socle de confiance mutuelle et de coopération et ainsi rendu la solution du différend plus difficile, en violation de l’ordonnance rendue le 19 avril 2017.
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Le 2 février 2024, la Cour a rendu son arrêt sur les exceptions préliminaires soulevées par la Fédération de Russie en l’affaire relative à des Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie ; 32 États intervenants). On rappellera que, le 26 février 2022, l’Ukraine a introduit une instance contre la Fédération de Russie au sujet d’un différend concernant la convention sur le génocide. Le 3 octobre 2022, la Fédération de Russie a soulevé des exceptions préliminaires d’incompétence et d’irrecevabilité. Dans son arrêt, la Cour a précisé que le différend entre les Parties comportait deux aspects : le premier concernait la demande de l’Ukraine tendant à ce qu’il soit déclaré qu’aucun génocide attribuable à elle n’avait été commis dans le Donbas ; le second concernait la compatibilité avec la convention sur le génocide des actions de la Fédération de Russie, y compris son emploi de la force en Ukraine et contre celle-ci.
La Cour a jugé qu’elle avait compétence, en vertu de la convention sur le génocide, pour connaître du premier aspect du différend, et que la demande de l’Ukraine tendant à faire constater qu’elle n’avait pas violé ses obligations au regard de ladite convention était recevable. À cet égard, il convient de souligner sa conclusion selon laquelle l’article IX de la convention sur le génocide
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n’exclut pas la possibilité pour un État de chercher à faire déclarer qu’il n’est pas responsable de la commission d’un génocide. Pour apprécier la recevabilité de la demande de l’Ukraine, la Cour a tenu compte du fait que cette demande avait été formulée dans le contexte d’un conflit armé entre les Parties, et de ce que la Fédération de Russie avait pris les mesures contestées par l’Ukraine dans le but déclaré de prévenir et de punir un génocide que cette dernière aurait commis dans la région du Donbas. Dans un contexte aussi particulier, la Cour a reconnu l’intérêt juridique que l’Ukraine avait à faire constater qu’elle n’avait pas violé ses obligations au regard de la convention, et a jugé sa demande recevable.
La Cour a dit toutefois qu’elle n’avait pas compétence pour statuer sur le second aspect du différend entre les Parties, à savoir les griefs de l’Ukraine selon lesquels l’emploi de la force par la Fédération de Russie depuis le 24 février 2022 en Ukraine et contre celle-ci, et la reconnaissance par la Fédération de Russie, le 21 février 2022, des prétendues « République populaire de Donetsk » et « République populaire de Louhansk », emportaient violation des articles premier et IV de la convention sur le génocide. La Cour a considéré que, même s’ils étaient complètement établis, les actes dont l’Ukraine tirait grief à l’égard de la Fédération de Russie ne constitueraient pas une violation d’obligations au regard de la convention sur le génocide, et ne relevaient donc pas de sa compétence en vertu de cet instrument. Elle a précisé que l’Ukraine ne soutenait pas que la Fédération de Russie s’était abstenue de prendre des mesures visant à prévenir ou à punir un génocide, et que, dans ces conditions, on ne voyait pas comment le comportement mis en cause pouvait constituer une méconnaissance des obligations de prévenir le génocide et d’en punir les auteurs. En outre, la Cour n’a pas été convaincue que l’invocation de mauvaise foi de la convention sur le génocide par la Fédération de Russie, alléguée par le demandeur, pouvait constituer une violation d’obligations découlant des articles premier et IV de la convention. La violation alléguée, par la Fédération de Russie, d’autres règles internationales telles que celles relatives à l’emploi de la force, ne pouvait pas davantage constituer une violation de la convention sur le génocide, étant donné que celle-ci n’incorpore pas de telles règles de droit international.
J’ajoute que cette affaire présente la particularité que 33 États ont déposé des déclarations d’intervention sur le fondement de l’article 63 du Statut. J’expliquerai dans un instant la procédure par laquelle la Cour a statué sur la recevabilité de ces déclarations. À ce stade, je me contenterai d’indiquer que, dans son arrêt, la Cour a rejeté l’exception préliminaire d’irrecevabilité pour abus de procédure soulevée par la Fédération de Russie. Par cette exception, le défendeur affirmait notamment que l’Ukraine, cherchant à faire pression sur la Cour, avait tenté de rallier des États afin d’organiser une intervention massive constitutive d’abus.
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Permettez-moi maintenant de rendre compte de l’avis consultatif sur les Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, que la Cour a donné le 19 juillet 2024 en réponse à la demande formulée par cette auguste Assemblée dans sa résolution 77/247, adoptée le 30 décembre 2022. Cette procédure a été suivie de près par la communauté internationale. Cinquante-quatre États, au total, ont participé à la procédure écrite, et cinquante ont présenté des exposés oraux. La Ligue des États arabes, l’Organisation de la coopération islamique et l’Union africaine ont également participé aux deux phases de la procédure.
Je rappelle que l’Assemblée générale avait posé deux questions à la Cour. Premièrement, elle lui demandait de déterminer
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« [q]uelles [étaie]nt les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ».
Deuxièmement, elle lui demandait « [q]uelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées … ci-dessus [avaie]nt… sur le statut juridique de l’occupation et quelles [étaie]nt les conséquences juridiques qui en découl[ai]ent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ».
S’agissant de la question de l’occupation prolongée du Territoire palestinien occupé, la Cour a observé que le fait qu’une occupation soit prolongée ne changeait pas, en soi, son statut juridique en droit international. Pour être autorisé, l’exercice d’un contrôle effectif par une puissance occupante doit être à tout moment conforme aux règles relatives à l’interdiction de la menace ou de l’emploi de la force, notamment l’interdiction de l’acquisition de territoire résultant du recours à la menace ou à l’emploi de la force, ainsi qu’au droit à l’autodétermination. Concernant la politique israélienne de colonisation, la Cour a réaffirmé ce qu’elle avait dit en 2004 dans son avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, à savoir que les colonies israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, ainsi que le régime qui leur est associé, ont été établies et sont maintenues en violation du droit international. Sur la question de l’annexion du Territoire palestinien occupé, la Cour a estimé que le fait de tenter d’acquérir la souveraineté sur un territoire occupé était contraire à l’interdiction de l’emploi de la force dans les relations internationales et à son corollaire, le principe de non-acquisition de territoire par la force.
La Cour a ensuite examiné les conséquences juridiques découlant de l’adoption par Israël de lois et de mesures discriminatoires connexes. Elle a noté que la différence de traitement établie au détriment des Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé ne pouvait être justifiée ni sur le fondement de critères objectifs et raisonnables, ni sur celui d’un objectif légitime d’intérêt public. Ayant établi l’adoption par Israël de lois et de mesures discriminatoires connexes, la Cour a conclu que ce régime de restrictions généralisées imposé aux Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé était constitutif d’une discrimination systémique fondée, entre autres, sur la race, la religion ou l’origine ethnique, en violation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Elle a en outre observé que les lois et mesures d’Israël imposaient et permettaient de maintenir en Cisjordanie et à Jérusalem-Est une séparation quasi complète entre les communautés de colons et les communautés palestiniennes. Pour cette raison, elle a considéré que les lois et mesures d’Israël emportaient violation de l’article 3 de la CIEDR, qui interdit la ségrégation raciale et l’apartheid.
La Cour a ensuite recherché quels étaient les effets des politiques et pratiques d’Israël sur l’exercice, par le peuple palestinien, de son droit à l’autodétermination. Ayant pris en considération les conséquences négatives de ces politiques et pratiques, qui font que le peuple palestinien se trouve depuis longtemps privé de son droit à l’autodétermination, elle a conclu que lesdites politiques et pratiques illicites emportaient manquement par Israël à son obligation de respecter le droit du peuple palestinien à l’autodétermination.
S’agissant de la seconde question qui lui était posée, la Cour s’est attachée à examiner la manière dont les politiques et pratiques d’Israël influaient sur le statut juridique de l’occupation et, partant, sur la licéité de la présence continue de celui-ci, en tant que puissance occupante, dans le Territoire palestinien occupé. Dans ce contexte, elle a estimé que l’affirmation par Israël de sa souveraineté sur certaines parties de ce territoire, et son annexion de celles-ci, constituait une violation de l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force, précisant qu’Israël n’avait pas droit à la souveraineté sur quelque partie que ce soit du Territoire palestinien occupé et qu’il ne
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saurait y exercer des pouvoirs souverains du fait de son occupation. Elle a en outre observé que les effets des politiques et pratiques d’Israël, et le fait que celui-ci exerce sa souveraineté sur certaines parties du Territoire palestinien occupé, constituaient une entrave à l’exercice, par le peuple palestinien, de son droit à l’autodétermination.
Selon la Cour, la violation du droit fondamental du peuple palestinien à l’autodétermination a un impact direct sur la licéité de la présence d’Israël, en tant que puissance occupante, dans le Territoire palestinien occupé. L’occupation ne saurait être utilisée de sorte à laisser indéfiniment la population occupée dans l’expectative et l’incertitude, en la privant de son droit à l’autodétermination tout en intégrant des parties de son territoire dans le propre territoire de la puissance occupante. La Cour a observé que l’utilisation abusive persistante que faisait Israël de sa position en tant que puissance occupante en annexant le Territoire palestinien occupé et en imposant un contrôle permanent sur celui-ci, ainsi qu’en privant de manière continue le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination, violait des principes fondamentaux du droit international et rendait illicite sa présence dans ledit territoire.
La Cour a conclu son avis consultatif en examinant les conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël et de l’illicéité de la présence continue de ce dernier dans le Territoire palestinien occupé. S’agissant des conséquences juridiques pour Israël, la Cour a estimé qu’il était dans l’obligation de mettre fin à sa présence illicite dans le Territoire palestinien occupé dans les plus brefs délais, de cesser immédiatement toute nouvelle activité de colonisation et d’évacuer tous les colons du Territoire palestinien occupé, ainsi que de réparer le préjudice causé à toutes les personnes physiques ou morales concernées dans ce territoire. S’agissant des conséquences juridiques pour les autres États, la Cour a indiqué que ceux-ci étaient dans l’obligation de ne pas reconnaître comme licite la situation découlant de la présence illicite d’Israël dans le Territoire palestinien occupé et de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de cette situation. Enfin, s’agissant des conséquences juridiques pour les organisations internationales, la Cour a déclaré que celles-ci, y compris l’Organisation des Nations Unies, étaient dans l’obligation de ne pas reconnaître comme licite la situation découlant de la présence illicite de l’État d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, et que l’Organisation des Nations Unies, et en particulier l’Assemblée générale, qui avait sollicité l’avis, ainsi que le Conseil de sécurité, devait examiner quelles modalités précises et mesures supplémentaires étaient requises pour mettre fin dans les plus brefs délais à la présence illicite de l’État d’Israël dans le Territoire palestinien occupé.
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Monsieur le président,
J’aborderai maintenant les différentes ordonnances rendues par la Cour sur des questions de fond pendant la période à l’examen.
Je note en passant, à cet égard, l’augmentation importante du nombre de procédures incidentes introduites devant la Cour et, en particulier, la multiplication des demandes en indication de mesures conservatoires, qui sont traitées de façon prioritaire par rapport aux autres affaires. Bien qu’elle ait tout à fait conscience de l’importance et de la valeur de cette procédure accélérée, qui permet d’accorder aux parties des mesures de protection d’urgence dans l’attente d’une décision au fond lorsqu’un préjudice irréparable risque d’être causé à leurs droits, la Cour tient à souligner que ladite procédure ne doit pas être utilisée comme une tactique judiciaire pour faire valoir des arguments de fond.
Pour en revenir aux ordonnances rendues sur des questions de fond pendant la période considérée, je mentionnerai tout d’abord celle du 16 novembre 2023 en l’affaire relative à
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l’Application de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Canada et Pays-Bas c. République arabe syrienne). Les demandeurs ont introduit cette instance le 8 juin 2023, alléguant que le Gouvernement syrien était responsable, au moins depuis 2011, de manquements systématiques aux obligations que lui impose la convention sur le génocide. La requête était accompagnée d’une demande en indication de mesures conservatoires. Le Canada et les Pays-Bas affirmaient en particulier que des mesures étaient requises d’urgence afin de préserver la vie et l’intégrité physique et mentale des personnes qui, en Syrie, étaient victimes d’actes de torture et d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ou qui risquaient d’en être victimes de manière imminente.
Dans son ordonnance du 16 novembre 2023, la Cour a prescrit à la République arabe syrienne, conformément aux obligations incombant à celle-ci au regard de la convention contre la torture, de prendre toutes les mesures en son pouvoir afin de prévenir les actes de torture et autres actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et de veiller à ce qu’aucun de ses représentants, ni aucune organisation ou personne qui pourrait se trouver sous son contrôle, son autorité ou son influence ne commette de tels actes. La Cour a également ordonné au défendeur de prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation de tous les éléments de preuve relatifs aux allégations d’actes entrant dans le champ d’application de la convention contre la torture.
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J’en viens à présent à l’ordonnance rendue le 17 novembre 2023, dans laquelle la Cour a indiqué de nouvelles mesures conservatoires en l’affaire relative à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan). À cet égard, je rappelle que, le 29 septembre 2023, l’Arménie a présenté une nouvelle demande en indication de mesures conservatoires dans laquelle elle alléguait que, le 19 septembre 2023, l’Azerbaïdjan avait lancé contre la population d’origine ethnique arménienne du Haut-Karabakh une offensive militaire ayant causé le déplacement forcé de dizaines de milliers de personnes. L’Arménie réclamait donc que soient indiquées d’urgence des mesures conservatoires pour protéger cette population. Dans son ordonnance du 17 novembre 2023, la Cour a indiqué trois mesures. Premièrement, il a été demandé à l’Azerbaïdjan de veiller, conformément aux obligations lui incombant au regard de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, à ce que toute personne qui aurait quitté le Haut-Karabakh après le 19 septembre 2023 et qui souhaiterait y retourner soit en mesure de le faire en toute sécurité, librement et rapidement ; à ce que toute personne qui serait restée au Haut-Karabakh après cette date et qui souhaiterait en partir soit en mesure de le faire de la même manière ; et à ce que toute personne qui souhaiterait rester au Haut-Karabakh ne fasse pas l’objet de recours à la force ou d’intimidation susceptible de l’inciter à fuir. Deuxièmement, il a été prescrit à l’Azerbaïdjan de protéger et de préserver les documents et registres liés à l’enregistrement, à l’identité, et à la propriété privée relatifs aux personnes touchées par les événements de septembre 2023. Troisièmement, la Cour a dit que l’Azerbaïdjan devait lui présenter un rapport sur les dispositions qu’il aurait prises pour donner effet aux mesures conservatoires indiquées.
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Peu de temps après cette ordonnance, le 1er décembre 2023, la Cour a rendu une autre ordonnance en indication de mesures conservatoires en l’affaire de la Sentence arbitrale du 3 octobre
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1899 (Guyana c. Venezuela). Il convient de rappeler que cette instance a été introduite en 2018 et que l’affaire est actuellement examinée au fond, la Cour s’étant déjà prononcée sur des questions de compétence et de recevabilité. Le 30 octobre 2023, le Guyana a introduit une demande en indication de mesures conservatoires motivée par son inquiétude consécutive à l’annonce de l’intention du Gouvernement vénézuélien d’organiser, le 3 décembre 2023, un « référendum consultatif » portant sur la création annoncée au Venezuela, de manière unilatérale, de l’État de la « Guayana Esequiba », lequel correspond au territoire en litige dans cette affaire.
Dans son ordonnance du 1er décembre 2023, la Cour a indiqué que, eu égard à l’état de vive tension qui caractérisait les relations entre les Parties, elle considérait que le comportement du Venezuela, à savoir l’organisation de ce référendum et l’annonce que des mesures concrètes seraient prises sur la base de son résultat, présentait un risque sérieux de voir cet État acquérir et exercer le contrôle et l’administration du territoire en litige, actuellement administré par le Guyana dans sa totalité. La Cour a par conséquent prescrit au Venezuela, dans l’attente de la décision définitive qu’elle rendra en l’affaire, de s’abstenir d’entreprendre toute action qui modifierait la situation prévalant actuellement dans le territoire en litige. Elle a en outre demandé aux deux Parties de s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend ou d’en rendre la solution plus difficile.
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J’en viens maintenant aux trois ordonnances rendues par la Cour en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël). La première, en date du 26 janvier 2024, portait sur la demande en indication de mesures conservatoires déposée par le demandeur en même temps que sa requête introductive d’instance, la deuxième, en date du 28 mars 2024, sur la demande déposée par le demandeur tendant à la modification de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue par la Cour le 26 janvier 2024, et la troisième, en date du 24 mai 2024, sur la demande déposée par le demandeur tendant à la modification de l’ordonnance du 28 mars 2024.
L’Afrique du Sud a introduit cette instance le 29 décembre 2023, alléguant qu’Israël, en menant des opérations militaires à Gaza et contre celle-ci à la suite de l’attaque perpétrée le 7 octobre 2023 par le Hamas et d’autres groupes armés, avait manqué et continuait de manquer aux obligations lui incombant au regard de la convention sur le génocide. Selon l’Afrique du Sud, des mesures conservatoires étaient nécessaires pour protéger contre un nouveau préjudice grave et irréparable les droits que le peuple palestinien tient de cette convention et veiller à ce qu’Israël s’acquitte des obligations que celle-ci lui impose. Dans son ordonnance du 26 janvier 2024, la Cour a noté avec une vive préoccupation que la population de Gaza était extrêmement vulnérable, faisant observer que l’opération militaire conduite par Israël après le 7 octobre 2023 avait notamment fait des dizaines de milliers de morts et de blessés et causé la destruction d’habitations, d’écoles, d’installations médicales et d’autres infrastructures vitales, ainsi que des déplacements massifs de population. Elle s’est dite alarmée par le fait que de nombreux Palestiniens de la bande de Gaza n’avaient pas accès aux denrées alimentaires de première nécessité, à l’eau potable, à l’électricité, aux médicaments essentiels ou au chauffage.
Dans le dispositif de son ordonnance, la Cour a prescrit à Israël de prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission, à l’encontre des Palestiniens de Gaza, de tout acte entrant dans le champ d’application de l’article II de la convention sur le génocide, de veiller, avec effet immédiat, à ce que son armée ne commette aucun acte de ce type, de prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide à l’encontre des membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza, de prendre sans délai des
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mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d’existence auxquelles étaient soumis les Palestiniens de la bande de Gaza, de prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation des éléments de preuve relatifs aux allégations d’actes entrant dans le champ d’application des articles II et III de la convention sur le génocide commis contre les membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza, et de soumettre, dans un délai d’un mois à compter de la date de l’ordonnance, un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il aurait prises pour donner effet à celle-ci.
Par lettre en date du 12 février 2024, l’Afrique du Sud a présenté à la Cour ce qu’elle a appelé une « demande urgente de mesures additionnelles au titre du paragraphe 1 de l’article 75 du Règlement de la Cour ». Le demandeur faisait valoir en particulier que l’évolution de la situation à Rafah imposait à la Cour d’exercer le pouvoir que lui confère cette disposition. Israël a présenté ses observations sur la communication de l’Afrique du Sud le 15 février 2024. Par lettre du greffier en date du 16 février 2024, les Parties ont été informées comme suit de la décision de la Cour. Celle-ci a estimé que la « situation alarmante » résultant des derniers événements survenus dans la bande de Gaza, et en particulier à Rafah, exigeait la mise en oeuvre immédiate et effective des mesures conservatoires qu’elle avait indiquées dans son ordonnance du 26 janvier 2024, lesquelles étaient applicables à l’ensemble de la bande de Gaza, y compris Rafah, et ne nécessitait pas l’indication de mesures additionnelles. Elle a en outre souligné qu’Israël demeurait tenu de se conformer pleinement aux obligations lui incombant au regard de la convention sur le génocide et de ladite ordonnance, notamment en assurant la sûreté et la sécurité des Palestiniens dans la bande de Gaza.
Le 6 mars 2024, l’Afrique du Sud a introduit une nouvelle demande tendant à ce que la Cour indique des mesures conservatoires additionnelles ou modifie les mesures qu’elle avait précédemment indiquées dans son ordonnance du 26 janvier 2024, compte tenu du changement allégué dans la situation à Gaza depuis l’indication de la première série de mesures conservatoires. Dans son ordonnance du 28 mars 2024, la Cour a jugé que des développements récents d’une gravité exceptionnelle notamment les niveaux sans précédent d’insécurité alimentaire dans la bande de Gaza et le fait que la famine s’y installait constituaient un changement dans la situation au sens de l’article 76 du Règlement. Elle a conclu que les mesures conservatoires indiquées dans son ordonnance du 26 janvier 2024 ne couvraient pas intégralement les conséquences découlant de ce changement, ce qui justifiait une modification desdites mesures. Dans le dispositif, elle a réaffirmé les mesures conservatoires indiquées dans son ordonnance du 26 janvier 2024 et en a indiqué de nouvelles. Elle a prescrit à Israël, conformément aux obligations incombant à ce dernier au regard de la convention sur le génocide, et au vu de la dégradation des conditions de vie auxquelles étaient soumis les Palestiniens de Gaza, en particulier de la propagation de la famine et de l’inanition, de prendre toutes les mesures nécessaires et effectives pour veiller sans délai, en étroite coopération avec l’Organisation des Nations Unies, à ce que soit assurée, sans restriction et à grande échelle, la fourniture par toutes les parties intéressées des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence, notamment la nourriture, l’eau, l’électricité, le combustible, les abris, les vêtements, les produits et installations d’hygiène et d’assainissement, ainsi que le matériel et les soins médicaux, aux Palestiniens de l’ensemble de la bande de Gaza, en particulier en accroissant la capacité et le nombre des points de passage terrestres et en maintenant ceux-ci ouverts aussi longtemps que nécessaire. Elle a également prescrit à Israël de veiller, avec effet immédiat, à ce que son armée ne commette pas d’actes constituant une violation de l’un quelconque des droits des Palestiniens de Gaza en tant que groupe protégé au regard de la convention sur le génocide, y compris en empêchant, d’une quelconque façon, la livraison d’aide humanitaire requise de toute urgence. Enfin, elle a demandé à Israël de lui soumettre, dans un délai d’un mois à compter de la date de l’ordonnance, un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il aurait prises pour donner effet à celle-ci.
Le 10 mai 2024, l’Afrique du Sud a soumis à la Cour ce qu’elle a appelé une « demande urgente tendant à la modification et à l’indication de mesures conservatoires » visant à imposer à Israël de « cesser son offensive militaire dans le gouvernorat de Rafah » et de garantir « l’accès sans entrave à Gaza des représentants de l’ONU et autres personnels chargés de la fourniture d’aide et
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d’assistance humanitaire ». Dans son ordonnance du 24 mai 2024, la Cour a commencé par observer qu’elle considérait la nouvelle demande de l’Afrique du Sud comme une demande de modification de l’ordonnance du 28 mars 2024, et qu’il lui fallait par conséquent rechercher dans un premier temps si la situation qui avait motivé la décision énoncée dans cette précédente ordonnance avait depuis lors changé. Compte tenu des récents développements à Rafah, en particulier l’offensive militaire terrestre lancée par Israël le 7 mai 2024 et les déplacements successifs de grande ampleur de la population palestinienne de la bande de Gaza, déjà extrêmement vulnérable, qui en avaient résulté, la Cour a considéré qu’il y avait eu un changement dans la situation au sens de l’article 76 du Règlement. Elle a conclu que les mesures conservatoires indiquées dans son ordonnance du 28 mars 2024 ne couvraient pas intégralement les conséquences découlant de ce changement, ce qui justifiait une modification des mesures. Dans le dispositif, elle a réaffirmé les mesures conservatoires indiquées dans ses ordonnances des 26 janvier et 28 mars 2024 et en a indiqué de nouvelles. En particulier, elle a prescrit à Israël, conformément aux obligations incombant à ce dernier au regard de la convention sur le génocide, et au vu de la dégradation des conditions d’existence auxquelles étaient soumis les civils dans le gouvernorat de Rafah, d’arrêter immédiatement son offensive militaire, et toute autre action menée dans le gouvernorat de Rafah, qui serait susceptible de soumettre le groupe des Palestiniens de Gaza à des conditions d’existence pouvant entraîner sa destruction physique totale ou partielle. Elle a également prescrit à Israël de maintenir ouvert le point de passage de Rafah pour que puisse être assurée, sans restriction et à grande échelle, la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence, et de prendre des mesures permettant effectivement de garantir l’accès sans entrave à la bande de Gaza à toute commission d’enquête, toute mission d’établissement des faits ou tout autre organisme chargé par les organes compétents de l’Organisation des Nations Unies d’enquêter sur des allégations de génocide. Enfin, elle a demandé à Israël de lui soumettre, dans un délai d’un mois à compter de la date de l’ordonnance, un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il aurait prises pour donner effet à celle-ci.
Dans chacune de ces trois ordonnances, la Cour s’est dite gravement préoccupée par le sort des personnes enlevées pendant l’attaque en Israël le 7 octobre 2023 et détenues depuis lors par le Hamas et d’autres groupes armés, et a demandé la libération immédiate et inconditionnelle de ces otages.
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J’en viens à présent à l’ordonnance rendue par la Cour le 30 avril 2024 sur la demande en indication de mesures conservatoires présentée par le Nicaragua le 1er mars 2024, en même temps que sa requête introductive d’instance contre l’Allemagne, en l’affaire concernant des Manquements allégués à certaines obligations internationales relativement au Territoire palestinien occupé. Le demandeur affirme, dans cette affaire, que chacune des parties contractantes à la convention sur le génocide est tenue par cet instrument de faire tout son possible pour prévenir la commission d’un génocide, et allègue que l’Allemagne, en fournissant un appui politique, financier et militaire à Israël et en cessant de financer l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), facilite la commission d’un génocide et a manqué à son obligation de tout mettre en oeuvre pour en prévenir la commission. Dans sa demande en indication de mesures conservatoires, le Nicaragua avançait que des mesures conservatoires étaient nécessaires de toute urgence pour obtenir que l’Allemagne suspende son assistance militaire à Israël, étant donné que cette aide était utilisée ou pouvait l’être pour commettre ou faciliter la commission de violations de la convention sur le génocide dans la bande de Gaza, et qu’elle rétablisse son soutien de l’UNRWA. Pour parvenir à sa décision sur la demande du Nicaragua, la Cour a tenu compte, dans son ordonnance, de divers facteurs, notamment les précisions fournies par l’Allemagne concernant son cadre juridique national relatif à la fabrication, à la commercialisation et à l’exportation d’armes de guerre et d’autres matériels militaires, ainsi que la diminution apparente, depuis novembre 2023,
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de la valeur des équipements pour lesquels des licences d’exportation d’armes en Israël avaient été octroyées par le Gouvernement allemand. S’agissant de la décision de l’Allemagne de suspendre son soutien de l’UNRWA concernant les opérations de celui-ci à Gaza, la Cour a relevé, tout d’abord, que les contributions à l’UNRWA avaient un caractère volontaire. Elle a ensuite observé que, selon les informations que l’Allemagne lui avait fournies, aucun nouveau versement ne devait être effectué par celle-ci dans les semaines suivant l’annonce de sa décision de suspendre ses contributions financières le 27 janvier 2024. Elle a enfin noté que l’Allemagne avait dit avoir soutenu des initiatives visant à financer les travaux de l’Office, et fourni un appui financier et matériel à d’autres organisations opérant dans la bande de Gaza.
En conclusion, au vu des informations factuelles et des arguments juridiques présentés par les Parties, la Cour a estimé que les circonstances n’étaient pas, à l’heure actuelle, de nature à exiger l’exercice de son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires en vertu de l’article 41 du Statut.
Avant d’énoncer cette conclusion, la Cour a cependant rappelé que, dans son ordonnance en indication de mesures conservatoires du 26 janvier 2024 en l’affaire Afrique du Sud c. Israël, elle avait noté que l’opération militaire conduite par Israël à la suite de l’attaque du 7 octobre 2023 avait fait « de très nombreux morts et blessés et causé la destruction massive d’habitations, le déplacement forcé de l’écrasante majorité de la population et des dommages considérables aux infrastructures civiles ». Elle a également indiqué, dans son ordonnance en l’affaire Nicaragua c. Allemagne, qu’elle demeurait profondément préoccupée par les conditions désastreuses dans lesquelles vivaient les Palestiniens de la bande de Gaza. La Cour a rappelé que, selon l’article premier commun aux conventions de Genève, tous les États parties avaient l’obligation de « respecter et [de] faire respecter » ces instruments « en toutes circonstances ». De cette disposition résulte l’obligation de chaque État partie auxdites conventions, « qu’il soit partie ou non à un conflit déterminé, de faire respecter les prescriptions des instruments concernés ». En outre, la Cour a jugé particulièrement important de rappeler à tous les États les obligations internationales qui leur incombent en ce qui concerne le transfert d’armes à des parties à un conflit armé, afin d’éviter le risque que ces armes soient utilisées pour commettre des violations des conventions susmentionnées, et précisé que toutes ces obligations incombaient à l’Allemagne en tant qu’État partie auxdites conventions lorsqu’elle fournit des armes à Israël.
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Enfin, permettez-moi de dire quelques mots de l’ordonnance rendue par la Cour le 23 mai 2024 sur la demande en indication de mesures conservatoires déposée par le Mexique, en même temps que sa requête du 11 avril 2024, en l’affaire de l’Ambassade du Mexique à Quito (Mexique c. Équateur). Cette affaire concerne des événements qui se sont produits le 5 avril 2024 et autour de cette date, lorsque des membres armés des forces équatoriennes de sécurité ont pénétré dans l’ambassade du Mexique sans l’autorisation de la cheffe de mission, ont maîtrisé le chef de mission adjoint et ont emmené de force M. Glas Espinel, ancien vice-président de l’Équateur à qui le Mexique avait octroyé l’asile politique. Dans sa demande, le Mexique priait notamment la Cour d’ordonner à l’Équateur de s’abstenir de toute atteinte à l’inviolabilité des locaux de la mission et des demeures privées d’agents diplomatiques du Mexique, et de prendre les mesures nécessaires pour assurer la protection et le respect de ces lieux, ainsi que des biens et des archives qui s’y trouvent. En examinant cette demande, la Cour a tenu compte de certaines assurances fournies par l’Équateur au Mexique, par écrit ainsi qu’à l’audience tenue le 1er mai 2024, le défendeur ayant notamment garanti au demandeur, conformément à la convention de Vienne sur les relations diplomatiques et aux autres règles pertinentes du droit international, la protection et la sécurité pleines et entières des locaux, des biens et des archives de la mission diplomatique du Mexique à Quito, et l’ayant autorisé à vider les locaux de cette mission et les demeures privées de ses agents diplomatiques. La Cour a considéré
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que les assurances données par l’Équateur couvraient les préoccupations exprimées par le Mexique dans sa demande. S’agissant de ces assurances, elle a réaffirmé que les déclarations unilatérales pouvaient donner naissance à des obligations juridiques, et que les États intéressés pouvaient tabler sur ces déclarations unilatérales et étaient fondés à exiger que l’obligation ainsi créée soit respectée. Elle a également réaffirmé que, dès lors qu’un État avait pris un tel engagement quant à son comportement, il devait être présumé qu’il s’y conformerait de bonne foi.
À la lumière de ce qui précède, la Cour a considéré qu’il n’y avait, pour l’heure, pas d’urgence, en ce sens qu’il n’existait pas de risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits revendiqués par le demandeur.
Elle a observé que les conditions pour l’indication de mesures conservatoires énoncées dans sa jurisprudence étaient cumulatives. Ayant constaté que l’une de ces conditions n’était pas remplie, elle n’était donc pas tenue de rechercher si les autres l’étaient.
La Cour a conclu que les circonstances, telles qu’elles se présentaient alors à elle, n’étaient pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir d’indiquer, en vertu de l’article 41 du Statut, des mesures conservatoires.
Elle a néanmoins insisté sur l’importance fondamentale des principes consacrés par la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, rappelant en particulier que, dans la conduite des relations entre États, il n’était pas d’exigence plus fondamentale que celle de l’inviolabilité des diplomates et des ambassades.
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Monsieur le président,
La Cour a entamé son délibéré sur le fond de l’affaire de la Délimitation terrestre et maritime et souveraineté sur des îles (Gabon/Guinée équatoriale), après avoir tenu des audiences publiques en septembre et octobre 2024. Elle délibère également sur les exceptions préliminaires soulevées par l’État défendeur dans les deux affaires relatives à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, la première introduite par l’Arménie contre l’Azerbaïdjan, et la seconde, par l’Azerbaïdjan contre l’Arménie.
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Monsieur le président,
Excellences,
Mesdames et Messieurs les délégués,
Avant de conclure mon propos, je voudrais communiquer à l’Assemblée quelques informations sur certaines questions importantes.
Permettez-moi d’abord de vous donner un bref aperçu des modifications apportées pendant la période considérée au Règlement de la Cour. La Cour a en particulier apporté certaines modifications aux dispositions de son Règlement relatives à l’intervention. Ces modifications, entrées en vigueur
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le 1er juin 2024, avaient notamment pour objet de clarifier les procédures en matière de délais applicables aux interventions. Je rappelle que les délais pour le dépôt d’une requête à fin d’intervention en vertu de l’article 62 du Statut et d’une déclaration d’intervention en vertu de l’article 63 du Statut sont énoncés aux articles 81 et 82 du Règlement de la Cour. Par suite de la révision de ces deux articles, les États désireux d’intervenir doivent le faire en temps voulu, c’est-à-dire au plus tard à la date fixée pour le dépôt de la dernière pièce de procédure écrite, ou, si l’intervention concerne des exceptions préliminaires, à la date fixée pour le dépôt de l’exposé écrit des observations et des conclusions sur les exceptions préliminaires. En outre, le Règlement tel que modifié permet à la Cour de décider si les États qui interviennent en vertu de l’article 63 du Statut pourront présenter leurs observations au cours de la procédure orale, en application du paragraphe 2 de l’article 86 du Règlement, ou s’il est suffisant qu’ils les présentent par écrit.
Ces dernières années, la Cour a constaté que les États manifestaient un intérêt croissant pour la possibilité d’intervenir dans des affaires contentieuses. Il est d’autant plus important, dans ce contexte, de veiller à ce que les règles de procédure en la matière soient parfaitement claires pour les États désireux d’intervenir, et de permettre à la Cour d’organiser la conduite de ces affaires de manière rationnelle et efficace.
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Si vous le permettez, j’en viens maintenant au fonds d’affectation spéciale au bénéfice du programme relatif aux Judicial Fellows de la Cour, qui, comme vous le savez, a été créé en 2021 par le Secrétaire général, à la demande de l’Assemblée générale, pour améliorer la diversité géographique du programme en octroyant des bourses aux candidats sélectionnés ressortissants de pays en développement et nommés par des universités sises dans ces pays. Je rappelle que le programme relatif aux Judicial Fellows permet aux universités intéressées de présenter des étudiants en droit récemment diplômés qui pourront se voir accorder la possibilité de poursuivre leur formation dans un cadre professionnel à la Cour pendant une dizaine de mois. Celle-ci accepte généralement chaque année jusqu’à quinze participants issus de diverses universités à travers le monde. Au cours des quelques années qui se sont écoulées depuis la création du fonds, grâce aux généreuses contributions reçues, l’initiative a connu un franc succès, puisque dix Judicial Fellows ont à ce jour fait usage du fonds. L’année dernière et l’année précédente, trois des quinze Judicial Fellows en étaient bénéficiaires, et je suis enchanté de dire que la promotion 2024-2025 compte quatre Judicial Fellows boursiers. C’est un privilège pour la Cour de pouvoir accueillir en son sein de jeunes juristes talentueux grâce à un programme désormais conçu pour fonctionner de manière inclusive et représentative. À ce jour, des ressortissants du Brésil, de la République du Congo, de l’Érythrée, de l’Inde, de la République islamique d’Iran, du Kenya, des Philippines, de l’Afrique du Sud, de la Tunisie et de la Türkiye ont reçu une bourse au titre du fonds. Il va sans dire que la poursuite du succès du fonds d’affectation spéciale dépend entièrement de la générosité renouvelée des donateurs, qu’il s’agisse d’États, d’institutions financières internationales, d’organismes donateurs, d’organisations intergouvernementales et non gouvernementales ou de personnes physiques et morales.
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J’ajouterai, pour conclure sur ce point, que le programme relatif aux Judicial Fellows dans son ensemble continue de susciter un très vif intérêt. Ainsi, pour l’année en cours, 83 établissements ont présenté 131 candidats admissibles au programme.
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J’aimerais à présent vous communiquer les dernières informations relatives au problème de la présence d’amiante au Palais de la Paix, où la Cour a son siège. Je rappelle que les craintes concernant ce potentiel danger sanitaire remontent à 2016, lorsque la présence d’amiante a été constatée dans l’édifice de l’emblématique Vredespaleis. Dans les années qui ont suivi, le Gouvernement des Pays-Bas a présenté différentes propositions visant à répondre à ces craintes. En l’état actuel des choses, plutôt que de se lancer dans des travaux de désamiantage et de rénovation complets, il est prévu que les autorités néerlandaises adoptent une approche plus limitée. En décembre 2022, elles ont nommé un coordonnateur de projet chargé de la mise en oeuvre de la première étape du nouveau plan. La Cour et le pays hôte continuent de se concerter en vue de déterminer, au moyen d’un accord, le cadre de gouvernance applicable et les modalités de mise en oeuvre de ce plan, tout en garantissant la sécurité des juges et des fonctionnaires, ainsi que la continuité des activités de la Cour. La principale préoccupation dont celle-ci a fait part à l’État hôte pendant ces concertations est qu’il soit garanti que ses juges et fonctionnaires puissent travailler dans un environnement sans risque, et que ses activités judiciaires ne soient pas indûment entravées alors que son calendrier est extrêmement chargé. En outre, le Palais de la Paix ayant plus de cent ans, indépendamment du problème de l’amiante, des travaux d’entretien et de rénovation s’imposent pour que la Cour ait l’assurance de pouvoir s’acquitter de sa fonction judiciaire dans un espace pourvu des équipements modernes requis. Gardant ces éléments à l’esprit, la Cour espère que la poursuite de ses discussions avec l’État hôte aboutira à des résultats positifs.
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Monsieur le président,
Avant de conclure mon discours, je souhaiterais revenir brièvement sur la situation budgétaire de la Cour. Comme ma prédécesseuse l’a fait observer dans le discours qu’elle a prononcé devant vous l’année dernière, jamais la Cour n’a été davantage sollicitée par la communauté internationale, ainsi qu’en témoigne le grand nombre d’affaires actuellement inscrites à son rôle. La Cour se félicite évidemment de la confiance renouvelée dont elle jouit, mais l’accroissement constant de sa charge de travail met sous tension les ressources budgétaires de l’institution. La Cour et le Greffe ont tout mis en oeuvre, ces dernières années, pour faire face à cette augmentation considérable du volume de travail, notamment en repensant et en rationalisant les méthodes de travail internes et en mettant en place, dans toute la mesure possible, des procédés économes en ressources. Force est toutefois de constater que la situation n’est plus tenable. C’est pourquoi la Cour sollicite une augmentation modeste mais essentielle des ressources mises à sa disposition pour 2025. Elle demande que lui soit alloué un montant supplémentaire de 1,1 million de dollars des États-Unis, soit une augmentation de 3,4 % par rapport au budget approuvé pour 2024. Bien que le comité consultatif pour les questions administratives et budgétaires ait recommandé à l’Assemblée de n’accorder qu’une partie de ces crédits, je suis convaincu que la Cour a su démontrer, dans les échanges qu’elle a eus avec les États Membres au cours des derniers mois, que les postes supplémentaires qu’elle demande lui sont essentiels pour pouvoir continuer de s’acquitter de sa mission. Si les crédits y afférents n’étaient pas
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accordés, cela se répercuterait sur le fonctionnement du Greffe et de la Cour dans son ensemble. Il ne fait guère de doute que les conséquences d’une telle décision retomberaient finalement sur vous, les États, qui êtes les principaux « usagers » de la Cour, sous la forme de retards et d’arriérés, ainsi que d’une détérioration du service et de l’appui auquel la Cour vous a habitués.
C’est pourquoi j’engage les États Membres à apporter leur soutien à cette demande de crédits, en ayant à l’esprit le rôle essentiel que joue la Cour pour le règlement pacifique des différends.
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Cet appel à la mobilisation s’inscrit dans le droit fil de l’exhortation à soutenir la mission de la Cour exprimée dans le pacte pour l’avenir, ce texte historique et transformateur adopté par cette Assemblée le mois dernier, qui annonce d’importantes réformes devant permettre à l’Organisation des Nations Unies d’être mieux à même de répondre aux difficultés et aux conflits dans un monde en rapide mutation. Je rappellerai en particulier que, au titre de la mesure 17 de ce pacte, les États Membres s’engagent à s’acquitter de leur obligation de se conformer aux décisions de la Cour et reconnaissent le rôle positif de cette dernière pour trancher les différends entre États. Ils annoncent en outre leur décision de prendre les mesures voulues pour que la Cour puisse s’acquitter pleinement et efficacement de son mandat et de faire connaître le rôle qui est le sien dans le règlement pacifique des différends. Cet attachement sans faille aux travaux de l’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies est fort apprécié par la Cour, à l’heure où celle-ci s’efforce, elle aussi, selon la vision tournée vers l’avenir du Secrétaire général, de s’adapter aux besoins qui sont ceux de la communauté internationale en ce XXIe siècle.
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Monsieur le président,
Excellences,
Mesdames et Messieurs les délégués,
Ainsi s’achèvent mes observations. Je vous remercie de m’avoir offert cette occasion de m’adresser à vous aujourd’hui et je présente à l’Assemblée générale tous mes voeux de succès pour sa soixante-dix-neuvième session.
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Discours de S. Exc. M. Le juge Nawaf Salam, président de la Cour internationale de Justice, à l’occasion de la soixante-dix-neuvième session de l’Assemblée générale des Nations Unies