REQUÊTE INTRODUCTIVE D’INSTANCE
À Monsieur le Greffier de la Cour internationale de Justice (ci-après la « Cour »), le soussigné, dûment autorisé par le Gouvernement de la République du Nicaragua, déclare ce qui suit :
1. Conformément aux articles 36 et 40 du Statut de la Cour et à l’article 38 de son Règlement, j’ai l’honneur de soumettre la présente requête introductive d’instance au nom de la République du Nicaragua (ci-après le « Nicaragua ») contre la République fédérale d’Allemagne (ci-après l’« Allemagne »). En application de l’article 41 du Statut et conformément à l’article 73 du Règlement de la Cour, la requête est accompagnée d’une demande tendant à ce que la Cour indique des mesures conservatoires pour protéger les droits invoqués ci-après contre le risque de préjudice imminent et irréparable auquel ils sont exposés.
I. INTRODUCTION
2. La présente requête fait référence aux graves violations de normes impératives du droit international, tant conventionnel que coutumier, qui sont commises dans le Territoire palestinien occupé, en particulier dans la bande de Gaza, et aux obligations qui en découlent pour la communauté internationale.
3. Dans la présente requête, le Nicaragua prie la Cour de dire et juger que l’Allemagne, par son comportement s’agissant des graves violations de normes impératives du droit international qui sont commises dans le Territoire palestinien occupé, a) a non seulement manqué à son obligation de prévenir le génocide qui a été perpétré et continue d’être perpétré contre le peuple palestinien — y compris les Palestiniens de la bande de Gaza qui fait partie dudit Territoire —, mais a aussi contribué à la commission de ce génocide en violation de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (ci-après la « convention sur le génocide ») ; b) ne s’est pas conformée aux obligations que lui impose le droit international humanitaire, qui découlent tant des conventions de Genève de 1949 et de leurs protocoles de 1977 que des principes intransgressibles du droit international humanitaire, en manquant de faire respecter ces normes fondamentales en toutes circonstances ; c) a manqué à d’autres normes impératives du droit international général, notamment en prêtant aide ou assistance au maintien de la situation illicite que constitue l’occupation militaire continue de la Palestine, y compris l’attaque illicite dont celle-ci fait actuellement l’objet à Gaza, et d) a manqué à d’autres normes impératives du droit international général, notamment en prêtant aide ou assistance en ce qui concerne le régime illicite d’apartheid et la négation du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, et en n’empêchant pas ceux-ci.
4. La communauté internationale connaît bien la situation de la Palestine en tant que territoire occupé, et la Cour examine actuellement les Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, à la demande de l’Assemblée générale des Nations Unies1. En 2004, bien avant la plus récente offensive d’Israël contre la bande de Gaza, la Cour avait réaffirmé que la Palestine était un territoire occupé, et que le peuple palestinien avait le droit de disposer de lui-même2. Elle avait également rappelé que tous les États étaient dans l’obligation de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de cette situation3.
1 Assemblée générale des Nations Unies, résolution 77/247, Pratiques israéliennes affectant les droits humains du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, 30 décembre 2023.
2 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 182-183, par. 118.
3 Ibid., p. 200, par. 159.
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L’Allemagne avait alors méconnu cette obligation et a aggravé ce manquement en continuant d’aider et d’assister Israël après ses dernières violations en date, plus flagrantes encore, de normes impératives du droit international général et d’obligations conventionnelles.
5. La bande de Gaza est un élément constituant du territoire palestinien occupé par Israël, comme le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies l’a exposé dans sa résolution 2720 (2023), « [s]oulignant qu[’elle] fai[sai]t partie intégrante du territoire occupé en 1967 et réitérant la vision de la solution des deux États, la bande de Gaza faisant partie de l’État palestinien »4. Cette petite étendue de terre abrite plus de deux millions de réfugiés palestiniens qui ont été chassés, ou dont les ascendants ont été chassés de leurs terres ancestrales à la création de l’État d’Israël, lequel les a expulsés. Ce territoire a été soumis à des actions de l’armée ou des forces de sécurité et à un contrôle israéliens si intenses, surtout au cours des vingt dernières années, que cela lui a valu d’être qualifié de « prison à ciel ouvert »5 et d’« enfer sur Terre »6. Le crime d’apartheid envers le peuple palestinien et la violation de son droit à l’autodétermination ont également été largement attestés7, et tout aussi largement dénoncés8, Israël ayant proclamé et organisé un État juif excluant des millions de Palestiniens qui sont méthodiquement discriminés, expropriés, confinés, séparés de force et assujettis depuis plus de cinquante ans9.
6. C’est dans ce contexte que, le 7 octobre 2023, des forces paramilitaires palestiniennes du Hamas ont attaqué les colonies d’implantation israéliennes situées dans les territoires palestiniens occupés de Sderot, Kfar Azza, Nir Oz et Be’ri. De manière générale, la communauté internationale concevait qu’Israël avait le droit de réagir et de protéger ses citoyens. Il était compréhensible que des États tels que l’Allemagne, amis de l’État d’Israël, soutinssent une riposte appropriée à cette attaque, mais cela ne saurait justifier l’adoption d’un comportement contraire au droit international. Dans son avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire
4 Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies, doc. S/RES/2720 (2023), 22 décembre 2023.
5 Voir, par exemple, “Israel occupation makes Palestinian territories ‘open-air prison’, UN expert says”, Reuters, 11 July 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.reuters.com/world/middle-east/israel-occupation-makes-palestinian-territories-open-air-prison-un-expert-2023-07-11/ (dernière consultation le 20 février 2024).
6 “Gaza Children Living in ‘Hell on Earth’ Secretary-General Tells General Assembly, as Calls for End to Violence Crescendo, News of Israel-Hamas Ceasefire Breaks”, United Nations, GA/12325, 20 May 2021, accessible à l’adresse suivante : https://press.un.org/en/2021/ga12325.doc.htm (dernière consultation le 20 février 2024).
7 Voir, par exemple, rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires occupés palestiniens depuis 1967, Michael Lynk, doc. A/HRC/49/87, 12 août 2022 ; Israeli Practices towards the Palestinian People and the Question of Apartheid, Palestine and the Israeli Occupation, Issue No. 1, E/ESCWA/ECRI/2017/1 (2017) ; « L’apartheid israélien envers le peuple palestinien : un système cruel de domination et un crime contre l’humanité », Amnesty International, 2022, accessible à l’adresse suivante : https://www.amnesty.org/fr/documents /mde15/5141/2022/fr/ ; A Threshold Crossed: Israeli Authorities and the Crimes of Apartheid and Persecution, Human Rights Watch, 2021, accessible à l’adresse suivante : https://www.hrw.org/report/2021/04/27/threshold-crossed/israeli-authorities-and-crimes-apartheid-and-persecution ; “A regime of Jewish supremacy from the Jordan River to the Mediterranean Sea: this is apartheid”, B’Tselem, 2021, accessible à l’adresse suivante : https://www.btselem.org/publications/fulltext/202101_this_is_apartheid ; Joint Parallel Report to the United Nations Committee on the Elimination of Racial Discrimination on Israel’s Seventeenth to Nineteenth Periodic Reports, Al-Haq and others, 2019, accessible à l’adresse suivante : https://mezan.org/en/post/44996/Joint-Parallel-Report-to-the-United-Nations-Committee-on-the-Elimination-of-Racial-Discrimination-on-Israel%E2%80%99s-Seventeenth-to-Nineteenth-Periodic-Reports (dernière consultation le 20 février 2024).
8 Voir, par exemple, Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, compte rendu, CR 2024/4, p. 82-87, par. 23-41 (État de Palestine — Negm) ; CR 2024/5, p. 11-14, par. 7-18 (Afrique du Sud — Madonsela), p. 18-19, par. 12-18, et p. 20, par. 22-24 (Afrique du Sud — Stemmet) ; CR 2024/6, p. 13-17, par. 1-16 (Belize — Webb) ; CR 2024/8, p. 31-32, par. 21-25 (Gambie — Jallow) ; CR 2024/9, p. 24, par. 26-28 (Iran — Najafi) ; CR 2024/10, (Koweït — Al-Nasser), p. 18, par. 6 ; CR 2024/11, p. 10-12, par. 2-9 (Namibie — Dausab), p. 13-17, par. 8-25 (Namibie — Okowa), p. 63-64, par. 57-63 (Qatar — Al-Qahtani), et CR 2024/12, p. 60-61, par. 31-32 (Syrie — Al Arsan).
9 Ibid.
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palestinien occupé, la Cour elle-même avait souligné qu’Israël « d[eva]it faire face à des actes de violence indiscriminés, nombreux et meurtriers, visant sa population civile [et qu’i]l a[vait] le droit, et même le devoir, d’y répondre en vue de protéger la vie de ses citoyens »
10. Elle avait cependant aussitôt ajouté que « [l]es mesures prises n’en d[evai]ent pas moins demeurer conformes au droit international applicable »11. La Cour a formulé cette mise en garde concernant l’étendue des mesures permissibles dans le contexte de la construction d’un mur dans le territoire occupé, situation qui n’est guère comparable à ce qui se produit actuellement dans la bande de Gaza.
7. Le 7 octobre 2023, Israël a lancé dans le Territoire palestinien occupé, en particulier à Gaza, une offensive militaire de la plus grande ampleur, qui a été décrite comme étant l’une des « plus destructrices de ces dernières années »12. Au 23 février 2024, 29 782 Palestiniens au moins avaient été tués à Gaza et 70 043 autres blessés, soit au total plus de cent mille personnes tuées, blessées ou portées disparues rien que dans l’enclave13, où il n’y a de surcroît aucun hôpital pleinement fonctionnel14. Depuis le 7 octobre 2023, 1,7 million de personnes ont été déplacées de force, la majorité d’entre elles — 1,4 million — se trouvant actuellement dans le gouvernorat de Rafah, base des opérations humanitaires15. Rafah est maintenant considéré comme le plus grand camp de réfugiés au monde16 et risque à tout moment de faire l’objet de l’invasion terrestre annoncée par Israël, alors même qu’il n’existe à Gaza aucun endroit où les réfugiés pourraient se mettre à l’abri.
8. L’offensive à Gaza a été diffusée en direct dans le monde entier, et la communauté internationale a assisté en temps réel au meurtre illicite de civils et à la punition collective qui leur était infligée. Le Gouvernement allemand a eu connaissance dès le début, tout comme le public du monde entier, des événements sans précédent qui se produisaient et du fait que ces actes du Gouvernement israélien étaient constitutifs de violations graves de normes impératives du droit international universellement acceptées.
9. Les graves violations du droit international humanitaire étaient manifestes dès le commencement. Les déclarations faites, entre autres, par le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies17, une pluralité d’États18, la présidente du Comité international de la Croix-Rouge
10 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 195, par. 141.
11 Ibid.
12 “Israel’s military campaign in Gaza seen as among the most destructive in recent history, experts say”, Associated Press, 11 January 2024, accessible à l’adresse suivante : https://apnews.com/article/israel-gaza-bombs-destruction-death-toll-scope-419488c511f83c85baea22458472a796 (dernière consultation le 20 février 2024).
13 Hostilities in the Gaza Strip and Israel, Flash Update 126, OCHA, 26 February 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.ochaopt.org/content/hostilities-gaza-strip-and-israel-flash-update-126 (dernière consultation le 26 février 2024).
14 Ibid.
15 Hostilities in the Gaza Strip and Israel, Flash Update 116, OCHA, 12 February 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.ochaopt.org/content/hostilities-gaza-strip-and-israel-flash-update-116 (dernière consultation le 20 février 2024).
16 Voir BBC interview of Jan Egeland, Secretary General of the Norwegian Refugee Council, 9 February 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.youtube.com/watch?v=376DNQx_HvE (dernière consultation le 20 février 2024).
17 Secretary General’s remarks to the press on the situation in the Middle East, 9 October 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/sg/en/content/sg/speeches/2023-10-09/secretary-generals-remarks-the-press-the-situation-the-middle-east (dernière consultation le 20 février 2024).
18 “Which countries have criticised Israeli attacks on Gaza?”, Aljazeera, 15 October 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.aljazeera.com/news/2023/10/15/which-countries-have-criticised-israeli-attacks-on-gaza (dernière consultation le 20 février 2024).
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(CICR)
19 et l’Union européenne20 depuis le 9 octobre 2023, date de l’annonce du siège de Gaza, ne laissaient planer aucun doute quant à l’illicéité des actes qui devaient suivre.
10. Au 19 octobre 2023, Israël avait déjà soumis Gaza à un « siège complet »21, détruit des quartiers entiers et des mosquées22, bombardé des écoles23 — y compris celles administrées par l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) qui servaient de refuges à la population civile — et perpétré 136 attaques contre des services de santé24, tout en menant une vaste campagne de déshumanisation du peuple palestinien. À ce stade-là, les déclarations faites par des responsables israéliens aux plus hauts niveaux étaient bien connues de la communauté internationale, y compris de l’Allemagne25.
11. C’était en outre sur le fondement de certains de ces faits, notamment ceux survenus en octobre 2023, que la Cour, dans le contexte de l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza, est parvenue à la conclusion qu’un préjudice grave et irréparable risquait d’être causé au « droit des Palestiniens de Gaza d’être protégés contre les actes de génocide et les actes prohibés connexes visés à l’article III et [a]u droit de l’Afrique du Sud de demander qu’Israël s’acquitte des obligations lui incombant au titre de la convention »26. La Cour a également souligné que « la situation humanitaire catastrophique dans la bande de Gaza risqu[ait] fort de se détériorer encore avant qu’elle rend[ît] son arrêt définitif »27.
12. Compte tenu de tous les articles de presse et enregistrements vidéo publics des atrocités diffusés en temps réel, des déclarations de responsables internationaux sur les conséquences de ces événements et même de l’ordonnance rendue le 26 janvier par la Cour, qui reposait sur une description complète des agissements d’Israël à Gaza, l’Allemagne ne peut nier avoir eu connaissance de l’illicéité grave du comportement de cet État, ni contester que cette connaissance avait rendu applicables pour elle les obligations, découlant du droit international, de prévenir le génocide, de ne pas prêter aide et assistance aux fins de sa commission ni de s’en rendre complice,
19 Targeting civilians leads to further spirals of violence and hatred, ICRC, 11 October 2023, accessible à l’adresse suivante : https://blogs.icrc.org/ir/en/2023/10/israel-and-the-occupied-territories-targeting-civilians-leads-to-further-spir als-of-violence-and-hatred/ (dernière consultation le 20 février 2024).
20 Israel/Gaza: Press remarks by High Representative Josep Borrel after informal meeting of EU Foreign Affairs Ministers, 10 October 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.eeas.europa.eu/delegations/chile/israelgaza-press-remarks-high-representative-josep-borrell-after-informal-meeting-eu-foreign-affairs_en?s=192 (dernière consultation le 20 février 2024).
21 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), mesures conservatoires, ordonnance du 26 janvier 2024, par. 52.
22 “Israel bombed more than 200 locations in Gaza”, Aljazeera, 10 October 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.aljazeera.com/news/liveblog/2023/10/9/israel-hamas-war-live-news-israel-orders-complete-siege-of-gaza-strip (dernière consultation le 20 février 2024).
23 Gaza: UNRWA school sheltering displaced families hit, 17 October 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.unrwa.org/newsroom/official-statements/gaza-unrwa-school-sheltering-displaced-families-hit (dernière consultation le 20 février 2024).
24 Gaza: UN Experts decry bombing of hospitals and schools as crimes against humanity, call for prevention of genocide, 19 October 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.ohchr.org/en/press-releases/2023/10/gaza-un-experts-decry-bombing-hospitals-and-schools-crimes-against-humanity (dernière consultation le 20 février 2024).
25 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), mesures conservatoires, ordonnance du 26 janvier 2024, par. 51-52.
26 Ibid., par. 54.
27 Ibid., par. 72.
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et de faire respecter le droit international humanitaire et d’autres normes impératives du droit international.
13. L’Allemagne a apporté un appui politique, financier et militaire à Israël28 en ayant pleinement conscience, au moment où elle donnait son autorisation, que les équipements militaires pourraient servir à celui-ci pour commettre de graves violations du droit international, et en méconnaissant ses propres obligations. En particulier, le matériel militaire ayant permis à Israël de perpétrer des actes génocidaires et d’autres atrocités se composait notamment de fournitures destinées les unes à un usage immédiat et les autres à être stockées, l’Allemagne ayant en outre donné des assurances qu’elle continuerait de fournir des équipements tels que munitions, technologies et divers composants nécessaires à l’armée israélienne.
14. Le Gouvernement allemand a également suspendu l’aide qu’il apporte à l’UNRWA. Depuis sa mise en place par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1949, cet organisme est le plus important pourvoyeur d’aide aux millions de réfugiés palestiniens. Par conséquent, outre que l’Allemagne soutient un État qui manque à nombre des normes les plus fondamentales et les plus sacrées du droit international, sa décision de discontinuer le financement qu’elle assure à l’UNRWA compromet la possibilité d’apporter une assistance effective aux victimes des atrocités que commet ainsi Israël.
15. L’Allemagne est pleinement consciente des conséquences fatales que la suspension du financement de l’UNRWA aura pour les Palestiniens, surtout ceux qui se trouvent actuellement à Gaza. La cessation ou la forte réduction des activités de cet organisme facilitera la commission et la dissimulation de graves violations du droit international. Non seulement cela revient en soi à manquer aux obligations de prévenir le génocide et de faire respecter par autrui les lois de la guerre, mais cela dénote aussi une plus grande implication dans la facilitation de ces activités illicites.
16. Chacune des parties contractantes à la convention sur le génocide est tenue par celle-ci de tout mettre en oeuvre pour prévenir la commission d’un génocide. Ainsi que la Cour elle-même l’a précisé, « l’obligation de prévention et le devoir d’agir qui en est le corollaire prennent naissance, pour un État, au moment où celui-ci a connaissance, ou devrait normalement avoir connaissance, de l’existence d’un risque sérieux de commission d’un génocide »29. Depuis octobre 2023, il existe un risque reconnu de génocide du peuple palestinien et, avant tout, de la population de la bande de Gaza. Or, en envoyant du matériel militaire, puis en cessant de financer l’UNRWA qui apporte un appui essentiel à la population civile, l’Allemagne facilite la commission de ce génocide et, en tout état de cause, a manqué à son obligation de tout mettre en oeuvre pour en prévenir la commission, ces deux éléments distincts fondant sa responsabilité.
17. De même, en tant que haute partie contractante aux conventions de Genève de 1949, l’Allemagne est liée par ces instruments ainsi que par les principes intransgressibles du droit international humanitaire relativement à tout conflit armé. Elle a cependant manqué de se conformer
28 L’Allemagne se tient aux côtés d’Israël — et s’engage en faveur d’une désescalade, site Internet du Gouvernement fédéral, 22 décembre 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.bundesregierung.de/breg-fr/actualites/l-allemagne-se-tient-aux-c%C3%B4t%C3%A9s-d-isra%C3%ABl-et-s-engage-en-faveur-d-une-d%C3%A9sescalade-2228300 ; voir également Germany announces financial assistance to Israel: a move with potential regional implications, BNN Breaking, 27 November 2023, accessible à l’adresse suivante : https://bnnbreaking.com/politics/germany-announces-financial-assistance-to-israel-a-move-with-potential-regional-implications/ (dernière consultation le 20 février 2024).
29 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 222, par. 431.
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à ses obligations, notamment celle de faire respecter le droit humanitaire ainsi que l’impose l’article premier commun aux quatre conventions de Genève de 1949, et aux règles coutumières, y compris les obligations de ne pas encourager les parties à un conflit armé à commettre des violations du droit international humanitaire et d’exercer dans la mesure du possible son influence pour faire cesser ces violations
30. Ce manquement est d’autant plus répréhensible s’agissant d’Israël que, selon ses propres dires, l’Allemagne a avec celui-ci des relations privilégiées qui lui permettraient d’influer utilement sur son comportement.
18. Par ses actes et ses omissions, l’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en tant que partie à nombre de conventions relatives au droit des conflits armés, d’une part, et à la convention de 1948 sur le génocide, d’autre part, ainsi qu’à ses obligations découlant des normes impératives du droit international coutumier. Chacun de ces manquements constitue « un fait illicite à caractère continu »31, de sorte que l’Allemagne est tenue de mettre immédiatement fin au soutien qu’elle fournit à Israël et de cesser de pratiquer avec lui le commerce d’armes qui pourraient servir à la commission d’un génocide, de crimes contre l’humanité, de violations graves des conventions de Genève de 1949, d’attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil et protégés comme tels, ou d’autres crimes de guerre, de mettre immédiatement fin à l’assistance qu’elle apporte à Israël, et de coopérer pour faire respecter le droit international et traduire en justice les auteurs de ces atrocités.
19. C’est dans le contexte décrit ci-dessus que le Nicaragua, conscient des obligations erga omnes qui lui incombent, a décidé de saisir la Cour de la question.
II. COMPÉTENCE DE LA COUR
20. La compétence de la Cour est fondée sur l’article 36 de son Statut. Le Nicaragua et l’Allemagne ont tous deux fait une déclaration d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour en vertu du paragraphe 2 de cet article.
21. La déclaration du Nicaragua, telle qu’elle a été modifiée le 23 octobre 2001, est assortie d’une seule réserve, qui dispose comme suit :
« Le Nicaragua ne reconnaîtra ni la juridiction ni la compétence de la Cour internationale de Justice à l’égard d’aucune affaire ni d’aucune requête qui auraient pour origine l’interprétation de traités, signés ou ratifiés, ou de sentences arbitrales rendues, avant le 31 décembre 1901. »
Le présent différend n’entre pas dans les prévisions de cette réserve.
22. Dans sa déclaration du 30 avril 2008, l’Allemagne a reconnu la compétence de la Cour à l’égard de
« tous les différends qui se produiraient après la signature de la présente déclaration, au sujet de situations ou de faits ultérieurs à cette date, [sauf] :
30 CICR, bases de données sur le droit international humanitaire, droit international humanitaire coutumier, règle 144.
31 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 138-139, par. 177.
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i) Lorsque les parties au différend sont convenues ou pourraient convenir d’avoir recours à une autre méthode de règlement pacifique ou lorsque le différend a été soumis à une autre méthode de règlement pacifique choisie par toutes les parties ;
ii) Lorsque le différend :
a) Porte sur le déploiement de forces armées à l’étranger, la participation à un tel déploiement ou des décisions connexes, en résulte ou y est lié ;
ou
b) Porte sur l’utilisation à des fins militaires du territoire de la République fédérale d’Allemagne, y compris son espace aérien, ainsi que les zones maritimes sur lesquelles elle exerce des droits souverains et sa juridiction, en résulte ou y est lié ;
iii) En cas de différend à l’égard duquel toute autre partie en cause a accepté la juridiction obligatoire de la Cour internationale de Justice uniquement en ce qui concerne ledit différend ou aux fins de celui-ci ; ou lorsque l’instrument d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour au nom d’une autre partie au différend a été déposé ou ratifié moins de 12 mois avant le dépôt de la requête portant le différend devant la Cour. »
23. Ces réserves ne trouvent pas à s’appliquer en l’espèce.
24. L’autre base de la compétence de la Cour pour connaître du présent différend est le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut et l’article IX de la convention sur le génocide, à laquelle le Nicaragua32 et l’Allemagne33 ont tous deux adhéré. Ce second article dispose comme suit :
« Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la responsabilité d’un État en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête d’une partie au différend. »
25. Ni le Nicaragua ni l’Allemagne n’ont fait de réserve à l’article IX de cette convention.
26. Conformément à sa jurisprudence bien établie, l’existence d’un différend est une condition sine qua non pour que la Cour exerce sa compétence. Un différend est « un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts » entre des parties34. Pour établir l’existence d’un différend, la Cour « tient notamment compte de l’ensemble des déclarations ou documents échangés entre les parties »35.
32 Circulaire de l’Organisation des Nations Unies du 13 février 1952, C.N.6.1952.TREATIES ; Nations Unies, Recueil des traités (RTNU), vol. 120, p. 300.
33 Nations Unies, RTNU, vol. 201, p. 369.
34 Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I. série A no 2, p. 11.
35 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2022 (II), p. 502, par. 64. Voir également Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 443-445, par. 50-55.
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27. Le Nicaragua a informé l’Allemagne de ses griefs dans une note verbale36 en date du 2 février 2024 que son ministère des affaires étrangères a adressée à celui de l’Allemagne, par l’entremise des missions permanentes des deux États à New York. Dans cette note, il a notamment déclaré ce qui suit :
« [L]e Nicaragua prie instamment le Gouvernement allemand de cesser immédiatement de fournir des armes, munitions, technologies ou composants à Israël, car il est plausible que ceux-ci soient utilisés aux fins de la commission ou de la facilitation de la commission de violations de la convention sur le génocide, y compris, mais pas seulement, d’actes de génocide, de tentative de génocide, de complicité de génocide et d’entente en vue de commettre le génocide.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
En outre, le fait que l’Allemagne ait récemment annoncé suspendre son financement de l’UNRWA, duquel la population de Gaza est extrêmement tributaire, démontre lui aussi que, dans le scénario actuel, le Gouvernement allemand continue de méconnaître ses obligations et de faciliter activement la commission par Israël de violations des règles de droit international, causant un préjudice grave et immédiat au peuple palestinien, surtout aux Gazaouis, et à la communauté internationale dans son ensemble. En particulier, cet acte contribue à la punition collective infligée aux Palestiniens et aux objectifs patents consistant à forcer la population palestinienne à quitter les territoires palestiniens occupés, notamment Gaza, et à l’empêcher d’exercer son droit à l’autodétermination.
Le Nicaragua estime que ces faits révèlent un manquement flagrant et systématique de l’Allemagne à ses obligations découlant de la convention de 1948 sur le génocide. Il a donc le droit et le devoir, en sa qualité d’État partie à cet instrument, de demander l’exécution par l’Allemagne des obligations que lui impose cette convention, ainsi que la Cour l’a dit au sujet des obligations erga omnes partes. En conséquence, le Nicaragua adoptera, conformément au droit international, toutes les mesures qu’il juge appropriées, notamment la saisine de la Cour internationale de Justice, pour obtenir que ce texte international fondamental soit respecté.
De plus, le Nicaragua estime que l’Allemagne a méconnu et continue de méconnaître les obligations découlant du droit international humanitaire, y compris, mais pas seulement, des conventions de Genève de 1949, de leurs protocoles additionnels et du droit international coutumier. L’article premier commun auxdites conventions impose expressément aux hautes parties contractantes de “respecter et … faire respecter la … Convention en toutes circonstances”, ce qui comprend l’obligation de prendre activement des mesures pour tenter de faire respecter les règles par les autres parties contractantes.
Dans cet esprit, le Nicaragua transmet par écrit ses griefs concernant des violations par l’Allemagne de ses obligations découlant des conventions de Genève de 1949, notamment la convention du 12 août 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre et son protocole additionnel de 1977, et, de manière générale, du droit international humanitaire et du droit international coutumier, y compris le droit de l’occupation, résultant de ce que l’Allemagne a manqué de prévenir et a facilité la commission de violations du droit international par Israël dans le cadre des opérations
36 Note Verbale from the Ministry of Foreign Affairs of Nicaragua to the German Federal Foreign Office, 2 February 2024 (annexe 1).
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que celui-ci a dirigées contre les Palestiniens dans les territoires palestiniens occupés, en particulier à Gaza. »
28. L’Allemagne a accusé réception de la communication susmentionnée du Nicaragua par une note verbale en date du 14 février 2024 remise à la mission permanente du Nicaragua auprès de l’Organisation des Nations Unies à New York37.
29. En sus, le Gouvernement du Nicaragua a annoncé dans un communiqué de presse
« sa décision de tenir [l’Allemagne] pour responsable, au regard du droit international, de violations flagrantes et systématiques de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, du droit international humanitaire et du droit coutumier, dont le droit de l’occupation dans les territoires palestiniens occupés, en particulier la bande de Gaza ».
Il y précisait, notamment, que le Nicaragua avait adressé à l’Allemagne une note verbale lui rappelant qu’elle était tenue de prévenir le génocide et que la plausibilité qu’il en fût commis un ne faisait plus de doute, compte tenu de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires que la Cour avait rendue, tout en priant instamment le Gouvernement allemand de suspendre son assistance et son soutien à Israël au vu des circonstances38.
30. L’Allemagne a fait référence aux griefs du Nicaragua au cours d’une conférence de presse ordinaire tenue par le Gouvernement fédéral allemand le 7 février 2024. Priée, d’une part, d’accuser réception de la note verbale envoyée par le Gouvernement nicaraguayen et, d’autre part, de dire comment l’Allemagne entendait réagir aux mesures évoquées par le Nicaragua, la porte-parole du ministère des affaires étrangères a déclaré ceci : « Nous avons connaissance d’un communiqué de presse. Je ne peux confirmer ici aucune autre mesure à laquelle vous faites allusion. En dehors de cela, nous rejetons bien évidemment le contenu du communiqué de presse. »39
31. Il existe donc entre le Nicaragua et l’Allemagne un différend qui a trait notamment, mais pas seulement, à l’interprétation et à l’application de la convention sur le génocide, des conventions de Genève de 1949 — et en particulier la convention (IV) relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre — et de leurs protocoles additionnels de 1977, des principes et règles coutumières de droit international, y compris les principes intransgressibles du droit international humanitaire et les normes impératives du droit international général, faisant intervenir l’interdiction de la discrimination raciale et de l’apartheid, en raison du comportement de l’Allemagne. Ce différend découle du fait que, tout en ayant pleinement connaissance des actes illicites, l’Allemagne :
37 Note from the Permanent Mission of Germany to the United Nations to the Permanent Mission of Nicaragua to the United Nations, 14 February 2024 (annexe 2).
38 Press Release of the Government of Nicaragua, 1 February 2024 (annexe 3). Également accessible à l’adresse suivante : https://www.el19digital.com/articulos/ver/titulo:148879-gobierno-de-nicaragua-impedir-y-detener-el-genocidio -en-palestina (dernière consultation le 20 février 2024).
39 Voir Statements by the German Federal Foreign Office at the Government Press Conference, 7 February 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.auswaertiges-amt.de/de/newsroom/regierungspressekonferenz/2643166 (les italiques sont de nous) (dernière consultation le 20 février 2024) (annexe 4).
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a manqué et continue de manquer à son obligation de prévenir le génocide dont la Cour a jugé plausible40 qu’il soit perpétré contre le peuple palestinien ;
a facilité et continue de faciliter la violation de la convention sur le génocide en prêtant aide et assistance à Israël, notamment en lui fournissant des armes qui seraient ou pourraient être utilisées pour commettre un génocide, et en suspendant le financement de l’UNRWA ;
a manqué et continue de manquer de faire respecter les conventions de Genève de 1949 et leurs protocoles additionnels en prêtant aide et assistance à Israël, notamment en lui fournissant des armes qui seraient ou pourraient être utilisées pour commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, des violations graves des conventions de Genève de 1949, des attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil et protégés comme tels, ou d’autres crimes de guerre ;
a manqué et continue de manquer à ses obligations en vertu du droit international général en prêtant assistance à Israël dans la commission de violations graves de normes impératives liant tous les États ;
ne s’est pas conformée à ses obligations internationales en manquant de poursuivre, de traduire en justice et de punir les personnes responsables, ou accusées, de graves crimes de droit international, notamment de crimes de guerre et d’apartheid, qu’il s’agisse ou non de ressortissants allemands.
III. FAITS
A. Le contexte
32. Le Territoire palestinien occupé comprend la bande de Gaza et la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et se trouve sous occupation depuis 1967. Il est soumis à un régime d’apartheid qui distingue deux populations auxquelles s’appliquent deux régimes juridiques différents fondés sur la race (« judéité »). Une multitude de lois discriminatoires dans tous les domaines de la vie civile a fait des Palestiniens des citoyens de seconde zone. Ce système juridique double — qui, pris dans son ensemble, constitue un apartheid — a pour conséquence pratique que les Palestiniens se voient dénier des droits fondamentaux de la personne humaine tels que la liberté de circulation et la liberté de résidence et sont privés de soins médicaux et d’éducation, outre que des restrictions sévères leur sont imposées dans l’accès à l’emploi, à l’entreprise, à l’agriculture et à la terre41. À Gaza, cette situation a été encore aggravée depuis au moins 2008.
33. La bande de Gaza a une superficie de 365 km2 et comprend cinq gouvernorats ; elle compte environ 2,3 millions d’habitants, dont la moitié sont des mineurs et 30 % ont moins de 15 ans42. Depuis 2007, Israël la soumet à un blocus aérien, maritime et terrestre après l’avoir déclarée
40 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), mesures conservatoires, ordonnance du 26 janvier 2024, par. 54.
41 Israeli Practices towards the Palestinian People and the Question of Apartheid, Palestine and the Israeli Occupation, Issue No. 1, E/ESCWA/ECRI/2017/1 (2017), p. 40.
42 Rapport de la rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Francesca Albanese, doc. A/78/545, 2023, par. 1.
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« territoire hostile »
43 et y a imposé des conditions de vie qui ont amené la population tout entière en-dessous du seuil de pauvreté.
34. Bien qu’il prétende s’être « désengagé » unilatéralement de Gaza en 200544, les circonstances actuelles ont confirmé qu’Israël n’a jamais cessé d’exercer son contrôle sur l’espace aérien, les eaux territoriales, les points de passage terrestres, l’eau, l’électricité et tous les aspects de la vie civile et de l’infrastructure de ce territoire. Depuis 18 ans, Israël y impose de sévères restrictions à la circulation des personnes et des biens, entrave et contrarie systématiquement toutes les activités économiques45, en particulier l’agriculture46, et a fait de la pêche une activité où l’on risque sa vie47. En outre, avant les hostilités actuelles, les Gazaouis avaient déjà subi, au cours des 13 dernières années, quatre offensives menées par des forces militaires israéliennes qui leur étaient considérablement supérieures48. Dans ces conditions, le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies a pu dire en 2021 de la situation à Gaza que, « s’il y a un enfer sur Terre, c’est la vie des enfants à Gaza »49.
35. La dernière offensive militaire, qui a commencé en octobre 2023 dans le Territoire palestinien occupé, en particulier à Gaza, a créé une situation qui dure encore et s’aggrave chaque jour. Comme l’a dit la Cour, cette offensive s’est traduite par des pertes civiles massives, la destruction systématique de plus de 70 % des infrastructures civiles50 — y compris des hôpitaux, des écoles, des lieux de culte, des abris, des universités et des locaux des Nations Unies — et un siège complet entraînant la rupture de l’approvisionnement en nourriture, en eau, en combustible et en électricité. Selon l’Organisation des Nations Unies, au moins 29 782 Palestiniens avaient été tués et
43 Behind the Headlines: Israel Designates Gaza a “Hostile Territory”, Ministry of Foreign Affairs of Israel, 24 September 2007, accessible à l’adresse suivante : https://www.gov.il/en/Departments/General/behind-the-headlines-israel-designates-gaza-a-hostile-territory (dernière consultation le 20 février 2024).
44 Privation arbitraire de liberté dans le territoire palestinien occupé : l’expérience des Palestiniens derrière les barreaux et au-dehors, rapport de la rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Francesca Albanese, doc. A/HRC/53/59, 2023, par. 16.
45 Pour un aperçu général de la situation, voir, par exemple, le rapport sur l’assistance de la CNUCED au peuple palestinien : évolution de l’économie du Territoire palestinien occupé, document des Nations Unies TD/B/EX(72)/2, 8 août 2022.
46 Ibid, par. 36.
47 “Fishing and Farming in Gaza is a Deadly Business”, Inter Press Service, 8 June 2015, accessible à l’adresse suivante : https://www.ipsnews.net/2015/06/fishing-and-farming-in-gaza-is-a-deadly-business/ (dernière consultation le 20 février 2024).
48 “The deepening costs of 4 Gaza wars in 13 years, in 4 Charts”, Associated Press, 25 August 2021, accessible à l'adresse suivante : https://apnews.com/article/middle-east-united-nations-israel-palestinian-gaza-hamas-186d89b5fa8ae1 71c166f6162d6ea3da (dernière consultation le 20 février 2024).
49 “Gaza Children Living in ‘Hell on Earth’ Secretary-General Tells General Assembly, as Calls for End to Violence Crescendo, News of Israel-Hamas Ceasefire Breaks”, 20 May 2021, accessible à l’adresse suivante : https://press.un.org/en/2021/ga12325.doc.htm (dernière consultation le 20 février 2024).
50 Voir, par exemple, Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), mesures conservatoires, ordonnance du 26 janvier 2024, par. 46 ; “Widespread destruction by Israeli Defence Forces of civilian infrastructure in Gaza”, Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, 8 février 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.ohchr.org/en/press-releases/2024/02/widespread-destruction-israeli-defence-forces-civilian-infrastructure-gaza ; “The numbers that reveal the extent of the destruction in Gaza”, The Guardian, 8 January 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.theguardian.com/world/2024/jan/08/the-numbers-that-reveal-the-extent-of-the-destruction-in-gaza (dernière consultation le 20 février 2024).
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70 043 blessés à Gaza au 26 février 2024
51. Actuellement, aucun hôpital n’est entièrement opérationnel à Gaza, où 12 des 36 hôpitaux fonctionnent encore, mais seulement partiellement52. Des rapports ont en outre fait état d’un siège persistant des hôpitaux en général53. Les mauvaises conditions sanitaires contribuent également à la détérioration de la santé des habitants de Gaza, où plus de 500 000 cas d’infections respiratoires aiguës et d’autres maladies infectieuses ont été signalés, un quart de la population étant ainsi affectée54.
36. Au début du mois de février 2024, l’Organisation des Nations Unies a « repéré des poches de faim et d’inanition profondes dans le nord de Gaza, où l’on pense que la population est au bord de la famine »55. Le 21 février 2024, la directrice exécutive du Programme alimentaire mondial (PAM) a annoncé la suspension de toutes les livraisons d’aide alimentaire dans le nord de Gaza. Elle a expliqué que son organisation avait « dû faire le choix impossible de suspendre les distributions d’aide dans le nord de Gaza. Le désespoir y a[vait] atteint un niveau inimaginable, sur fond de besoins humanitaires immenses. La famine n’[étai]t pas inévitable, mais si les choses ne chang[eai]ent pas, elle le sera[it] »56. À Rafah, la situation devient de plus en plus invivable, et l’on rapporte que les habitants sont réduits à un tel désespoir qu’ils ont commencé à intercepter les camions transportant l’aide alimentaire pour s’emparer de leur cargaison57. La poursuite envisagée des bombardements dans une zone aussi peuplée, conjuguée à une invasion terrestre, aurait des conséquences irréversibles pour les Palestiniens, et à vrai dire pour le monde entier.
37. Pour résumer, la vie des civils à Gaza est devenue impossible à cause de l’ampleur des destructions subies, des bombardements aveugles par voie aérienne, terrestre et maritime et du blocage de l’aide humanitaire par Israël58.
B. Violations graves par l’Allemagne de ses obligations, y compris de normes impératives
38. Le Gouvernement allemand a apporté un soutien politique, militaire et financier à Israël alors qu’il savait que l’opération militaire lancée dans le Territoire palestinien occupé, en particulier
51 Hostilities in the Gaza Strip and Israel, Flash Update 126, Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’Organisation des Nations Unies (OCHA), 26 February 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.ochaopt.org/content/hostilities-gaza-strip-and-israel-flash-update-126 (dernière consultation le 26 février 2024).
52 Hostilities in Gaza Strip and Israel — reported impact Day 142, OCHA, 26 February 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.ochaopt.org/content/hostilities-gaza-strip-and-israel-reported-impact-day-142 (dernière consultation le 26 février 2024).
53 Hostilities in the Gaza Strip and Israel, Flash Update 112, OCHA, 6 February 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.ochaopt.org/content/hostilities-gaza-strip-and-israel-flash-update-112 (dernière consultation le 21 février 2024).
54 Hostilities in the Gaza Strip and Israel, Flash Update 123, OCHA, 21 February 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.ochaopt.org/content/hostilities-gaza-strip-and-israel-flash-update-123 (dernière consultation le 21 février 2024).
55 Compte X de Philippe Lazzarini, accessible à l’adresse suivante : https://twitter.com/UNLazzarii/ status/1755586807876485227. Voir aussi “Denied Access to Deliver Supplies to North Gaza for Over Two Weeks: UNRWA Chief”, The Wire, 9 February 2024, accessible à l’adresse suivante : https://thewire.in/world/denied-access-to-deliver-supplies-to-north-gaza-for-over-two-weeks-unrwa-chief (dernière consultation le 20 février 2024).
56 Hostilities in the Gaza Strip and Israel, Flash Update 123, OCHA, 21 February 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.ochaopt.org/content/hostilities-gaza-strip-and-israel-flash-update-123 (dernière consultation le 21 février 2024).
57 Ibid.
58 Ibid.
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à Gaza, était menée au mépris total du droit international humanitaire, du droit international des droits de l’homme et de la convention sur le génocide, entre autres sources de droit international. L’Allemagne a commis de graves violations de ses obligations internationales engageant sa responsabilité internationale, dont des violations de normes impératives du droit international général. De plus, elle n’a rien fait pour mettre fin aux actes illicites perpétrés par Israël contre les Palestiniens, et a au contraire soutenu Israël en lui fournissant des aides de toutes sortes, y compris une aide militaire qui serait utilisée pour commettre de graves crimes de droit international, notamment des armes antichars, des munitions pour mitrailleuses, des détonateurs, des charges propulsives, des véhicules terrestres et des technologies pour le développement, la fabrication, le maniement, l’entretien et la réparation d’armes
59.
39. L’Allemagne, comme la communauté internationale, a eu connaissance des violations commises par Israël dès que celles-ci ont commencé de se produire, peu après le 7 octobre 2024. Dès le début de l’assaut militaire contre Gaza, des bulletins d’information largement diffusés reprenaient les déclarations de responsables israéliens traitant les Palestiniens d’« animaux humains »60 et annonçant publiquement que Gaza serait soumise à un « siège complet » et qu’on n’y trouverait « pas d’électricité, pas de nourriture, […] pas de combustible »61. En outre, Israël a décidé de ne plus fournir d’eau et annoncé que l’approvisionnement en électricité, combustible et eau ne reprendrait pas tant que les otages n’auraient pas été libérés62.
40. L’annonce faite par Israël, au début de son assaut militaire, qu’il prendrait pour cible la population civile, ce qui constituait manifestement une punition collective, a été immédiatement condamnée par l’Organisation des Nations Unies, les gouvernements et la société civile. Le Secrétaire général s’est dit « bouleversé par l’annonce faite aujourd’hui qu’Israël lancera[it] un siège complet de la bande de Gaza, où rien ne pourrait entrer — pas d’électricité, pas de nourriture, pas de combustible » ; il a rappelé à Israël que « les opérations militaires d[evai]ent être menées dans le strict respect du droit international humanitaire ». Il s’est également dit alarmé par les informations faisant état de « plus de 500 Palestiniens, dont des femmes et des enfants, tués à Gaza et de plus de 3 000 blessés ». Il a encore déclaré que, moins de 48 heures après le début de l’assaut militaire israélien, des missiles israéliens avaient déjà frappé des centres de santé, des immeubles résidentiels, une mosquée et deux écoles de l’UNRWA qui abritaient des réfugiés63.
41. Dès les premiers jours de l’offensive israélienne, le haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité a évoqué cette situation et déclaré ce qui suit : « Comme je l’ai dit, certaines de leurs actions — et l’Organisation des Nations Unies l’a
59 “Report on 2023: German weapons for 20 million to Israel”, ZDF heute, 17 January 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.zdf.de/nachrichten/politik/ausland/waffenlieferungen-deutschland-israel-100.html (annexe 5) et “A request for ammunition from Israel plunges the German government into a dilemma”, NZZ, 17 January 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.nzz.ch/international/munitionsanfrage-aus-israel-stuerzt-deutsche-regierung-in-ein-dilemma-ld.1774619 (annexe 6). Voir aussi Written questions to the Federal Government in December 2023, Question no. 12/531, 9 January 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.bmwk.de/Redaktion/DE/Parlamentarische-Anfragen/2023/12/12-531.pdf?__blob=publicationFile&v=8 (annexe 7).
60 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), mesures conservatoires, ordonnance du 26 janvier 2024, par. 52.
61 Ibid.
62 “The Middle East, including the Palestinian Question: Consultations on the Situation in Gaza and Israel”, Security Council Report, 12 October 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.securitycouncilreport.org/ whatsinblue/2023/10/the-middle-east-including-the-palestinian-question-consultations-on-the-situation-in-gaza-and-israel.php (dernière consultation le 20 février 2024).
63 “Middle East Crisis: Guterres appeals for an end to ‘vicious cycle of bloodshed, hatred and polarization’”, 9 October 2023, accessible à l’adresse suivante : https://news.un.org/en/story/2023/10/1142082 (dernière consultation le 20 février 2024).
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déjà relevé —, comme couper l’eau, l’électricité et la nourriture à une foule de civils, sont contraires au droit international. Donc oui, il y a des actions qui ne sont pas conformes au droit international. »
64 La présidente du CICR a elle aussi condamné immédiatement l’annonce de ce blocus illicite65. Même à ce stade précoce, il ressort clairement de la chaîne des événements que l’Allemagne pouvait difficilement ne pas être au courant des graves violations du droit international humanitaire commises par Israël, notamment dans le cadre de ce que l’on a appelé « l’une des frappes aériennes les plus massives » ayant jamais visé Gaza, et ce d’autant plus qu’Israël les revendiquait ouvertement66.
42. Le 10 octobre, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a réclamé l’ouverture d’un corridor humanitaire, faisant observer que « les hôpitaux ne p[ouvai]ent pas fonctionner sans combustible ni électricité ». Le 11 octobre, la centrale électrique de Gaza a épuisé ses réserves de fioul et le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) a prévenu qu’« une grave pénurie d’eau potable touchait plus de 650 000 personnes ». Le même jour, le Secrétaire général a déclaré que « les fournitures essentielles nécessaires à la survie, notamment le combustible, la nourriture et l’eau, d[evai]ent pouvoir entrer dans la bande de Gaza »67.
43. Ces événements cruciaux ont amené le Conseil de sécurité à convoquer, le 13 octobre, une réunion d’urgence au cours de laquelle le Secrétaire général a demandé qu’un « accès humanitaire immédiat dans tout Gaza » soit garanti et rappelé que « même les guerres ont des règles [et que] le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme doivent être respectés et défendus ». Il est tout aussi important de noter que le Secrétaire général a appelé les parties, et tous « ceux qui [avaie]nt de l’influence sur elles, [à] faire tout ce qui [étai]t en leur pouvoir pour atteindre [les objectifs] »68.
44. Tandis que l’Organisation des Nations Unies et d’autres organisations internationales déploraient les agissements illicites d’Israël, le chancelier allemand réaffirmait, le 12 octobre 2023, le soutien sans réserve de l’Allemagne à une campagne militaire israélienne qui était déjà menée visiblement sans discrimination. Dans un discours au Bundestag, il a déclaré ce qui suit : « En ce moment, il n’y a qu’une seule place possible pour l’Allemagne : la place aux côtés d’Israël. C’est ce que nous voulons dire lorsque nous déclarons que la sécurité d’Israël est une raison d’État allemande. »69 Dans le même discours, le chancelier a annoncé que « l’ensemble de la coopération
64 Israel/Gaza: Press remarks by High Representative Josep Borrell after informal meeting of EU Foreign Affairs Ministers, 10 October 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.eeas.europa.eu/delegations/chile/israelgaza-press-remarks-high-representative-josep-borrell-after-informal-meeting-eu-foreign-affairs_en?s=192 (dernière consultation le 20 février 2024).
65 Targeting civilians leads to further spirals of violence and hatred, CICR, 11 October 2023, accessible à l’adresse suivante : https://blogs.icrc.org/ir/en/2023/10/israel-and-the-occupied-territories-targeting-civilians-leads-to-further-spirals-of-violence-and-hatred/ (dernière consultation le 20 février 2024).
66 “The Middle East including the Palestinian Question: Consultations on the Situation in Gaza and Israel”, Security Council Report, 12 October 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.securitycouncilreport.org /whatsinblue/2023/10/the-middle-east-including-the-palestinian-question-consultations-on-the-situation-in-gaza-and-israel.php (dernière consultation le 20 février 2024).
67 Ibid.
68 Secretary-General’s remarks to the press on the situation in the Middle East, 13 October 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/sg/en/content/sg/speeches/2023-10-13/secretary-generals-remarks-the-press-the-situation-the-middle-east (dernière consultation le 20 février 2024).
69 Government statement by Federal Chancellor Olaf Scholz on the situation in Israel to the German Bundestag, 12 October 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.bundesregierung.de/breg-de/service/newsletter-und-abos/bulletin/regierungsrklaerung-von-bundeskanzler-olaf-scholz-2230150 (annexe 8). Voir aussi “Scholz: Germany’s “only place” now is at Israël’s side”, Deutsche Welle, 12 October 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.dw.com/en/scholz-germanys-only-place-now-is-at-israels-side/a-67072963 (dernière consultation le 20 février 2024).
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pour le développement avec les territoires palestiniens fai[sai]t l’objet d’un examen » et que « tant que cet examen ne sera[it] pas terminé, [l’Allemagne] ne pourra[it] pas fournir de nouveaux fonds pour cette coopération »
70.
45. Lorsque le chancelier a prononcé son discours au Bundestag, l’Allemagne avait déjà autorisé la mise à la disposition d’Israël de deux drones Heron, la livraison de gilets pare-balles et de matériel sanitaire et l’hospitalisation d’Israéliens blessés dans des hôpitaux allemands, en même temps qu’elle suspendait la fourniture de fonds indispensables aux Palestiniens71. Les deux drones Heron, déjà présents en Israël, ont été immédiatement utilisés contre les Palestiniens. La capacité de ces drones à causer des destructions massives72 est illustrée dans une vidéo publiée le 11 octobre par les forces de défense israéliennes sur leur compte X (anciennement Twitter) officiel73. Selon leur constructeur, ces drones peuvent « effectuer une série de missions stratégiques, dont la collecte de renseignement, la surveillance, l’acquisition de cibles et la reconnaissance, en utilisant diverses charges utiles, avec un niveau élevé de fiabilité »74.
46. La ministre allemande des affaires étrangères a déclaré ce qui suit : « Le Gouvernement fédéral se tient fermement aux côtés de nos amis israéliens. La sécurité d’Israël est une raison d’État allemande. C’est dans cet esprit que j’ai offert à Israël tout notre soutien dans tous les domaines. »75 La fermeté avec laquelle l’Allemagne défend les actions illicites d’Israël a également été confirmée le 11 octobre 2023 par la porte-parole adjointe du gouvernement fédéral qui, à une conférence de presse, a été interrogée sur le point de savoir si l’Allemagne partageait la position de l’Organisation des Nations Unies et du haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité sur l’illicéité du siège complet de Gaza. La porte-parole adjointe a répondu : « Pour nous, dans cette situation où Israël a été attaqué par le Hamas de manière aussi brutale, la
70 Ibid.
71 “Germany says it is reviewing Israel request for warship ammunition”, Middle East Monitor, 12 October 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.middleeastmonitor.com/20231012-germany-says-it-is-reviewing-israel-request-for-warship-ammunition/. Voir aussi “Germany clears Israel’s use of two Heron TP combat drones, source says”, Reuters, 11 October 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.reuters.com/world/germany-clears-use-two-heron-tp-combat-drones-by-israel-spiegel-2023-10-11/ (dernière consultation le 20 février 2024).
72 À ce jour, Israël a largement utilisé des drones pour bombarder de manière indiscriminée et disproportionnée la bande de Gaza, y compris des civils et des bâtiments protégés. Par exemple, le 10 janvier 2024, une ambulance de la Société du Croissant-Rouge a été frappée par un drone qui a tué six personnes, dont les deux blessés soignés par le personnel médical. Plus récemment, le 6 février 2024, un convoi alimentaire de l’UNRWA qui attendait d’entrer dans le nord de Gaza a été touché par la marine israélienne, comme l’a confirmé le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, qui a déclaré : « Nos opérations humanitaires continuent de se heurter à des refus d’accès, à des retards, à des obstacles et à de multiples dangers, y compris des tirs à balles réelles. L’un de nos convois a été endommagé par l’artillerie navale israélienne en début de semaine ». Voir “Israeli drone killed 6 in ambulance: Palestine Red Crescent Society”, Deccan Herald, 10 January 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.deccanherald.com/world/israeli-drone-killed-6-in-ambulance-palestine-red-crescent-society-2844053 ; “A food convoy waiting to move into northern Gaza was hit by Israeli naval gunfire”, 6 février 2024, accessible à l’adresse suivante : https://palestine.un.org/en/259747-food-convoy-waiting-move-northern-gaza-was-hit-israeli-naval-gunfire ; Secretary-General’s Press Conference on 2024 Priorities, 8 February 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/sg/en/content/sg/press-encounter/2024-02-08/secretary-generals-press-conference-2024-priorities (dernière consultation le 20 février 2024).
73 Footage of the overnight strikes with the drones as release by the IDF on 11 October 2023, in X account, accessible à l’adresse suivante : https://twitter.com/IAFsite/status/1712330858848268368. Voir aussi “Israel Air Force Seeks ‘German Approval’ To Fight Hamas With Its Deadly Heron Drones ; Here’s Why”, The Eurasian Times, 12 October 2023, accessible à l'adresse suivante : https://www.eurasiantimes.com/israel-air-force-seeks-german-approval-to-fight-hamas-with-its-deadly-heron-drones-heres-why/ (dernière consultation le 20 février 2024).
74 Heron TP MALE Unmanned Aerial System, accessible à l’adresse suivante : https://www.iai.co.il/p/heron-tp (dernière consultation le 20 février 2024).
75 Speech by the Federal Minister for Foreign Affairs, Annalena Baerbock, at the beginning of the questioning of the Federal Government before the German Bundestag, 11 October 2023, accessible à l'adresse suivante : https://www.bundesregierung.de/breg-de/service/newsletter-und-abos/bulletin/rede-der-bundesministerin-des-auswaertigen-annalena-baerbock--2229732 (annexe 10).
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solidarité avec Israël est primordiale et nous soulignons que celui-ci a le droit de réagir à cette attaque et de se défendre. »
76 Alors que les médias avaient prévenu ce jour-là que les représailles aériennes menées par des avions de chasse avaient déjà réduit à l’état de ruines de nombreuses parties de l’enclave et que des résidences, des bâtiments administratifs, des mosquées et des universités avaient été bombardés, l’Allemagne n’a nullement donné à entendre que le siège complet de Gaza par Israël n’était pas conforme au droit international77.
47. Début octobre 2023, le ministre allemand de la défense a aussi confirmé qu’Israël avait également demandé « des munitions pour [se]s navires de guerre » et que l’Allemagne allait « examiner plus avant cette demande avec les Israéliens »78. Selon le ministre de la défense, « [l]es Israéliens se batt[ai]ent là-bas pour défendre leur existence »79. Il convient de noter que la veille de cette annonce, la marine israélienne avait « frappé des zones centrales de la bande de Gaza le long de la côte méditerranéenne et des zones résidentielles de la ville de Khan Younès »80.
48. Le 17 octobre 2023, on estimait déjà que 1 200 enfants palestiniens étaient morts en 10 jours d’hostilités, soit l’équivalent d’un enfant palestinien tué toutes les 15 minutes81. À peine deux jours plus tard, face à la force meurtrière et illicite employée par Israël contre les Palestiniens, la communauté internationale a modifié son discours et, ne s’inquiétant plus seulement de violations du droit humanitaire, a mis en garde contre le risque de génocide.
49. Le 19 octobre, neuf rapporteurs spéciaux de l’Organisation des Nations Unies ont déclaré publiquement et sans ambages :
« Nous sonnons l’alarme : Israël mène une campagne qui donne lieu à des crimes contre l’humanité à Gaza. Au vu des déclarations faites par des dirigeants politiques israéliens et leurs alliés, conjuguées aux opérations militaires menées à Gaza et à
76 Government Press Conference, 11 October 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.bundesregierung.de/breg-de/aktuelles/regierungspressekonferenz-vom-11-oktober-2023-2229600 (dernière consultation le 20 février 2024) (annexe 11).
77 “Israel Air Force Seeks ‘German Approval’ To Fight Hamas With Its Deadly Heron Drones ; Here's Why”, The Eurasian Times, 12 October 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.eurasiantimes.com/israel-air-force-seeks-german-approval-to-fight-hamas-with-its-deadly-heron-drones-heres-why/ (dernière consultation le 20 février 2024).
78 “Germany says it is reviewing Israel request for warship ammunition”, Middle East Monitor, 12 October 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.middleeastmonitor.com/20231012-germany-says-it-is-reviewing-israel-request-for-warship-ammunition/. Voir aussi “Germany’s unique relationship with Israel”, Deutsche Welle, 15 October 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.dw.com/en/israel-and-germanys-reason-of-state-its-complicated/a-67094861 (dernière consultation le 20 février 2024).
79 “Germany says it is reviewing Israel request for warship ammunition”, Middle East Monitor, 12 October 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.middleeastmonitor.com/20231012-germany-says-it-is-reviewing-israel-request-for-warship-ammunition/ (dernière consultation le 20 février 2024).
80 “Israeli Navy strikes central, coastal areas of Gaza Strip”, AA News, 10 October 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.aa.com.tr/en/middle-east/israeli-navy-strikes-central-coastal-areas-of-gaza-strip/3013552 (dernière consultation le 20 février 2024).
81 “Hundreds of Palestinian men, women, and children killed at Al-Ahli Hospital”, Defense for Children International-Palestine, 18 October 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.dci-palestine.org /hundreds_of_palestinian_men_women_and_children_killed_at_al_ahli_hospital (dernière consultation le 20 février 2024).
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l’intensification des arrestations et des meurtres en Cisjordanie, il existe également un risque de génocide du peuple palestinien. »
82
Cette mise en garde est intervenue douze jours seulement après le début du conflit. Les experts alertaient le monde contre la faillite morale et juridique que constituait son impuissance à prévenir le génocide en cours dans le Territoire palestinien occupé. Cela n’a pas empêché l’Allemagne de continuer à soutenir Israël.
50. Qui plus est, le 27 octobre, le Comité de l’Organisation des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale a fait part de « [s]a vive inquiétude quant à la nette augmentation des propos haineux à caractère raciste et déshumanisants tenus à l’égard des Palestiniens depuis le 7 octobre »83, confirmant ainsi le risque de génocide. L’Allemagne est restée impassible.
51. Au début du mois de novembre 2023, on a appris que les autorisations d’exportation de matériel de défense allemand vers Israël avaient presque été décuplées par rapport à l’année précédente84, pour un montant atteignant 303 millions d’euros. À cela s’ajoute que 185 des 218 licences d’exportation individuelles ont été délivrées, à titre prioritaire, après les événements du 7 octobre 2023 en Israël, notamment pour des systèmes de défense aérienne et des équipements de communication85. Le 12 novembre 2023, le chancelier allemand a déclaré publiquement qu’il s’opposait à un cessez-le-feu pourtant indispensable : « Je ne pense pas que les appels à un cessez-le-feu immédiat ou à une longue pause — ce qui reviendrait au même — soient justifiés »86. Quatre jours plus tard, le 16 novembre 2023, 37 rapporteurs spéciaux, experts indépendants et membres de groupes de travail des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies sonnaient l’alarme face à la rhétorique « visiblement génocidaire et déshumanisante maniée par de hauts responsables gouvernementaux israéliens »87.
82 “Gaza : UN experts decry bombing of hospitals and schools as crimes against humanity, call for prevention of genocide”, 19 October 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.ohchr.org/en/press-releases/2023/10/gaza-un-experts-decry-bombing-hospitals-and-schools-crimes-against-humanity (dernière consultation le 20 février 2024).
83 United Nations Comittee on the Elimination of Racial Discrimination, Statement 5 (2023), accessible à l’adresse suivante : https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/15/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=INT%2FCERD%2FSW A%2F9904&Lang=en (dernière consultation le 20 février 2024). Voir aussi Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), mesures conservatoires, ordonnance du 26 janvier 2024, par. 53.
84 En outre, en 2022, l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm a conclu, à l’issue d’une enquête approfondie, que l’Allemagne avait exporté depuis 2013 plus de 1 000 moteurs de chars diesel qui ont été utilisés dans les chars Merkava-4 et les véhicules blindés de transport de troupes Namer, de construction israélienne, qui sont eux aussi déployés actuellement à Gaza. Voir “Europe ‘aiding and assisting’ Israel’s war in Gaza with key weapons”, Euronews, 3 November 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.euronews.com/2023/11/03/europe-aiding-and-assisting-israels-war-in-gaza-with-vital-weapons (dernière consultation le 20 février 2024).
85 “German military exports to Israel up nearly 10-fold as Berlin fast-tracks permits”, Reuters, 8 November 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.reuters.com/world/europe/german-military-exports-israel-up-nearly-10-fold-berlin-fast-tracks-permits-2023-11-08/ (dernière consultation le 20 février 2024).
86 “Germany’s Scholz spurns calls for Gaza ceasefire ; UK defense chief backs IDF efforts”, The Times of Israel, 12 November 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.timesofisrael.com/germanys-scholz-spurns-calls-for-gaza-ceasefire-uk-defense-chief-defends-idf-efforts/ (dernière consultation le 20 février 2024).
87 Gaza: UN experts call on international community to prevent genocide against the Palestinian people, 16 November 2023, accessible à l’adresse suivante : https://reliefweb.int/report/occupied-palestinian-territory/gaza-un-experts-call-international-community-prevent-genocide-against-palestinian-people (dernière consultation le 20 février 2024). Voir aussi Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), mesures conservatoires, ordonnance du 26 janvier 2024, par. 53.
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52. Les appels publics à cesser le carnage ont été nombreux et se sont poursuivis. Par exemple, le 6 décembre 2023, le Secrétaire général a adressé l’avertissement suivant au Conseil de sécurité :
« Aucun endroit n’est sûr à Gaza.
Les bombardements des Forces de défense israéliennes sont constants et les gens n’ont ni abri ni produits de première nécessité pour survivre.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La situation se dégrade rapidement ; elle pourrait se transformer en une catastrophe aux conséquences potentiellement irréversibles pour l’ensemble des Palestiniens »88.
Le Secrétaire général a répété cet avertissement un mois plus tard, le 5 janvier 2024, faisant observer que « [l]es vagues de morts et de destructions … continu[ai]ent, hélas, de déferler avec la même intensité »89. Tout aussi préoccupé, le commissaire général de l’UNRWA déclarait, dans son rapport du 17 janvier 2024 faisant suite à sa quatrième visite à Gaza : « Chaque fois que je me rends à Gaza, je vois de mes yeux les habitants s’enfoncer toujours plus dans le désespoir, luttant chaque minute pour leur survie. »90
53. Ce nonobstant, l’Allemagne a continué de soutenir Israël91. Fin 2023, le gouvernement allemand avait délivré des licences d’exportation de matériel militaire à Israël pour un montant total de 326 505 156 euros92. En janvier 2024, des médias allemands ont rapporté qu’Israël avait demandé des obus pour blindés, en particulier 10 000 obus de précision Rheinmetall de 120 millimètres93. Der Spiegel a annoncé que l’Allemagne avait accepté de donner une suite favorable à cette demande en puisant dans ses propres stocks afin de pouvoir faire face à l’« urgence »94. Selon les informations communiquées par le gouvernement allemand, les licences d’exportation accordées entre
88 Lettre du Secrétaire général adressée au Président du Conseil de sécurité, Nations Unies, doc. S/2023/962, 6 décembre 2023) ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), mesures conservatoires, ordonnance du 26 janvier 2024, par. 67.
89 Nations Unies, doc. S/2024/26, 8 janvier 2024 ; voir aussi Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), mesures conservatoires, ordonnance du 26 janvier 2024, par. 68.
90 “The Gaza Strip: the struggle for daily survival amid death, exhaustion and despair”, 17 January 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.unrwa.org/newsroom/official-statements/gaza-strip-struggle-daily-survival-amid-death-exhaustion-and-despair (dernière consultation le 20 février 2024).
91 En outre, des entreprises allemandes feraient des bénéfices grâce au conflit et travailleraient en étroite collaboration avec des entreprises israéliennes telles qu’Elbit Systems au développement de systèmes d’artillerie automatique et de drones de combat, ce qui implique nécessairement un financement public étant donné que l’industrie de l’armement dépend principalement des décisions de défense nationale et des fonds mis à disposition par le gouvernement. Elbit Systems est l’une des trois plus grandes entreprises de défense israéliennes et joue un rôle essentiel dans l’opération en cours. Voir “German arms exports, including to Europe, Israel and Ukraine, at record levels”, World Socialist Web Site, 8 January 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.wsws.org/en/articles/2024/01/09/ba50-j09.html (dernière consultation le 20 février 2024).
92 Voir annexe 7.
93 “Germany likely to send tank ammo to Israel”, The Defense Post, 18 January 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.thedefensepost.com/2024/01/18/germany-tank-ammo-israel/ (dernière consultation le 20 février 2024).
94 “German government examines delivery of tank ammunition to Israel”, Der Spiegel, 16 January 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.spiegel.de/politik/deutschland/gaza-krieg-bundesregierung-prueft-lieferung-von-panzermunition-an-israel-a-0f0ce68d-7752-4b8e-81eb-9bd3a5692eeb (annexe 12) ; “Germany likely to send tank ammo to Israel”, The Defense Post, 18 January 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.thedefensepost. com/2024/01/18/germany-tank-ammo-israel/ (dernière consultation le 20 février 2024).
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janvier 2024 et le 15 février 2024 concernaient du matériel militaire pour un montant de 9 003 676 euros
95.
54. Récemment, des responsables de l’Union européenne et diverses autorités nationales ont dénoncé l’incompatibilité des exportations d’armes à destination d’Israël avec le droit international. Le haut représentant de l’Union européenne, Josep Borrell, a déclaré ce qui suit :
« Écoutez, je ne prétends pas être en charge de la politique étrangère des États-Unis, j’en ai bien assez avec la politique étrangère de l’Union européenne. Mais soyons logiques : combien de fois avez-vous entendu les dirigeants et les ministres des affaires étrangères les plus éminents du monde entier dire : “Trop de gens se font tuer” ? Le président [des États-Unis, Joe] Biden a dit [que] trop c’était trop, que c’était hors de proportion. Eh bien, si vous pensez que trop de gens se font tuer, peut-être devriez-vous alors livrer moins d’armes, afin d’empêcher que tant de gens ne se fassent tuer. N’est-ce pas logique ? En 2006, pendant la guerre contre le Liban, les États-Unis ont déjà pris cette décision. Ils ont déjà pris la décision de suspendre leurs livraisons d’armes à Israël parce qu’Israël ne voulait pas arrêter la guerre. C’est exactement la même chose qui se passe aujourd’hui. Tout le monde se rend à Tel-Aviv en suppliant : “S’il vous plaît, ne faites pas cela, protégez les civils, n’en tuez pas autant.”
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Donc, je ne sais pas. Chaque État membre est maître de sa politique étrangère. Mais il est un peu contradictoire de continuer à dire qu’il y a trop de gens qui se font tuer : “Trop de gens se font tuer. S’il vous plaît, faites attention aux gens. S’il vous plaît, n’en tuez pas autant”. Arrêtez de dire “s’il vous plaît” et faites quelque chose. »96
55. Dans une affaire concernant l’exportation par les Pays-Bas vers Israël de pièces détachées d’avions de combat F-35, la cour d’appel de La Haye a conclu qu’il existait « de nombreuses indications qu’Israël a[vait] violé le droit humanitaire de la guerre » et a « ordonné à l’État [néerlandais] de cesser dans un délai de sept jours à compter de la signification d[e l’]arrêt toute exportation (effective) et tout transit de pièces détachées de F-35 qui aurait Israël pour destination finale »97.
56. Il ressort clairement de tout ce qui précède que l’Allemagne a apporté et continue d’apporter un soutien politique, financier et militaire à Israël98 en sachant pertinemment qu’il est plausible qu’Israël commette actuellement de graves violations du droit international qui sont facilitées par ce soutien, et au mépris de ses propres obligations. En particulier, l’Allemagne fournit à Israël du matériel, des composants et des technologies militaires en ayant pleinement conscience
95 German Bundestag, shorthand report, 153rd meeting, 21 February 2024, p. 19573, accessible à l’adresse suivante : https://dserver.bundestag.de/btp/20/20153.pdf (annexe 13).
96 European Union External Action Service, Informal Foreign Affairs Council (Development): Remarks by High Representative Josep Borrell at the press conference, 12 February 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.eeas.europa.eu/eeas/informal-foreign-affairs-council-development-remarks-high-representative-josep-borrell-press_en (dernière consultation le 26 février 2024).
97 Netherlands, Court of Appeal The Hague, 12 February 2024, ECLI:NL:GHDHA:2024:191, par. 5.16 et 6. Decision (annexe 14).
98 “Germany stands by Israel – and is seeking to bring about a de-escalation”, Federal Government Website, 22 December 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.bundesregierung.de/breg-en/news/germany-stands-by-israel-and-is-seeking-to-bring-about-a-de-escalation-2228294 (dernière consultation le 20 février 2024).
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qu’ils seront utilisés contre les Palestiniens de Gaza et pour commettre de graves crimes de droit international, en violation grave de règles fondamentales du droit international.
C. Le soutien additionnel de l’Allemagne à la punition collective des Palestiniens
57. Le soutien politique, militaire et financier accordé par l’Allemagne à Israël — alors que cet État commettait plausiblement et ouvertement un génocide — contraste violemment avec sa décision, prise au début du conflit et sans autre forme de procès, de suspendre son aide financière bilatérale aux Palestiniens99 et plus particulièrement, avec des conséquences désastreuses, son aide financière à l’UNRWA, l’organisme international chargé de distribuer l’aide apportée au Territoire palestinien occupé. Comme on le verra, le comportement de l’Allemagne a encore accru la vulnérabilité de la population palestinienne, en particulier les Gazaouis, et contribué au risque très présent de préjudice irréparable.
58. Le 27 janvier 2024, l’Allemagne a informé l’UNRWA qu’elle suspendait son financement en raison des allégations d’Israël concernant l’implication présumée de 12 employés de l’organisme dans les événements du 7 octobre100. Cette information a été confirmée publiquement par le ministère allemand des affaires étrangères, qui a souligné que « pour le moment et jusqu’à la fin de l’enquête, l’Allemagne, en coordination avec d’autres pays donateurs, n’approuvera[it] aucun nouveau financement pour l’UNRWA à Gaza », avant de préciser que, « en tout état de cause, aucune nouvelle décision de financement n’[étai]t actuellement pendante »101. Il est inquiétant de constater que l’Allemagne a pris ces mesures le lendemain même du jour où la Cour a rendu une ordonnance en indication de mesures conservatoires prescrivant à Israël de « prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d’existence auxquelles [étaie]nt soumis les Palestiniens de la bande de Gaza »102. La décision de l’Allemagne a inévitablement affaibli la situation de l’UNRWA et compromis l’acheminement de l’aide à Gaza, et, dans les faits, a donné à Israël un feu vert pour poursuivre ses actions illicites contre Gaza et le Territoire palestinien occupé.
59. Israël n’avait pas communiqué103 et n’a toujours pas communiqué104 à l’UNRWA ou à la communauté internationale le moindre élément de preuve venant étayer ses allégations, et non seulement ses prétendus renseignements n’ont pas fait l’objet d’une vérification indépendante, mais
99 Voir par. 44 ci-dessus et note de bas de page 70.
100 UNRWA’s lifesaving aid may end due to funding suspension, 27 January 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.unrwa.org/newsroom/official-statements/unrwa%E2%80%99s-lifesaving-aid-may-end-due-funding-suspension (dernière consultation le 20 février 2024).
101 Joint statement on UNRWA by the Federal Foreign Office and the Federal Ministry for Economic Cooperation and Development, 27 January 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.auswaertiges-amt.de/ en/newsroom/news/-/2641762 (dernière consultation le 20 février 2024).
102 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), mesures conservatoires, ordonnance du 26 janvier 2024, par. 86 4).
103 Why donors should not suspend aid to UNRWA, UNRWA, 8 February 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.unrwa.org/newsroom/official-statements/why-donors-should-not-suspend-aid-unrwa (dernière consultation le 20 février 2024) ; “US intelligence casts doubt on Israeli claims of UNRWA-Hamas links, report says”, The Guardian, 22 February 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.theguardian.com/world/2024/feb/22/us-intelligence-unrwa-hamas (dernière consultation le 25 février 2024).
104 “UNRWA Chief Tells Haaretz: We Take Israel’s Claims of Hamas Infiltration Seriously, but Yet to See Evidence Against Gaza Employees”, Haaretz, 20 February 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.haaretz.com/israel-news/2024-02-20/ty-article-magazine/.premium/unrwa-chief-waiting-for-israels-evidence-on-hamas-infiltration-of-gaza-employees/0000018d-c5fc-db3b-a9cf-cdfdfd5a0000 (dernière consultation le 20 février 2024).
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ils ont été jugés « peu fiables »
105. Bien qu’aucune preuve ne lui ait été transmise, l’UNRWA a annoncé qu’il avait immédiatement mis fin aux contrats des accusés106, en précisant que cette décision prise dans le seul intérêt de sa mission ne saurait passer pour une reconnaissance de culpabilité — laquelle ne pourrait être établie qu’à l’issue d’une enquête107. De plus, le commissaire général de l’UNRWA a lancé une enquête administrative confiée au bureau des services de contrôle interne de l’Organisation des Nations Unies et a également accepté la constitution d’un groupe d’examen indépendant dirigé par l’ancienne ministre française des affaires étrangères Catherine Colonna108. Il a exhorté Israël à coopérer avec l’enquête du bureau des services de contrôle interne afin que la vérité puisse être établie de manière indépendante et qu’il en soit rendu compte dans un rapport d’ici la fin avril 2024109. Bien que ceux dont les contrats ont pris fin représentent [0,1] % des quelque 13 000 employés de l’UNRWA à Gaza, moins de 24 heures après qu’Israël eut fait part de ses allégations, l’Allemagne décidait de suspendre son financement de l’UNRWA, tout en continuant d’apporter à Israël tout type de soutien, en particulier sur le plan militaire.
60. L’UNRWA est le principal organisme humanitaire à Gaza, où plus de deux millions de personnes dépendent de lui pour leur survie110, et son travail ne peut être effectué par aucun autre organisme à l’heure actuelle. Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies l’a d’ailleurs clairement souligné :
« Premièrement, l’UNRWA ne travaille pas seulement à Gaza, il travaille en Jordanie, au Liban, en Syrie, en Cisjordanie, où le système scolaire des Palestiniens est garanti par l’UNRWA, le système de santé est garanti par l’UNRWA, les besoins vitaux sont garantis par l’UNRWA. Je ne vois aucune autre organisation qui pourrait faire tout cela, dans tous ces pays, au pied levé. Mais en particulier, à Gaza, la distribution humanitaire effectuée par les Nations Unies a pour pierre angulaire les 3 000 employés gazaouis de l’UNRWA affectés aux secours d’urgence. Bien entendu, il y a d’autres employés, qui enseignaient ou qui exerçaient d’autres fonctions et ne le font plus
105 “US intelligence casts doubt on Israeli claims of UNRWA-Hamas links, report says”, The Guardian, 22 February 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.theguardian.com/world/2024/feb/22/us-intelligence-unrwa-hamas (dernière consultation le 25 février 2024). Voir aussi “‘Unproven allegations’ : U.K. ‘s Channel 4 slams Israel’s charge against UNRWA”, Haaretz, 7 February 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.haaretz.com/israel-news/2024-02-07/ty-article/unproven-allegations-u-k-channel-4-slams-israels-charge-against-unrwa/0000018d-837c-d636-adef-cffe76790000 (dernière consultation le 20 février 2024) ; “Israel’s evidence of UNRWA Hamas allegations examined”, Channel 4, 5 February 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.channel4.com/news/israels-evidence-of-unrwa-hamas-allegations-examined (dernière consultation le 20 février 2024) ; “Report finds ‘no evidence’ in key dossier to support Israel’s UNRWA allegations”, Truthout, 6 February 2024, accessible à l’adresse suivante : https://truthout.org/articles/report-finds-no-evidence-in-key-dossier-to-support-israels-unrwa-allegations/ (dernière consultation le 20 février 2024).
106 L’UNRWA a également expliqué que la mort de deux des accusés avait été confirmée, qu’un troisième n’avait pas encore été identifié et qu’un quatrième n’était pas un employé des Nations Unies.
107 “To protect the Agency’s ability to deliver humanitarian assistance, I have taken the decision to immediately terminate the contracts of these staff members and launch an investigation in order to establish the truth without delay. Any UNRWA employee who was involved in acts of terror will be held accountable, including through criminal prosecution.” Voir Serious allegations against UNRWA staff in the Gaza Strip, UNRWA, 26 January 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.unrwa.org/newsroom/official-statements/serious-allegations-against-unrwa-staff-gaza-strip (dernière consultation le 20 février 2024).
108 Why donors should not suspend aid to UNRWA, UNRWA, 8 February 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.unrwa.org/newsroom/official-statements/why-donors-should-not-suspend-aid-unrwa (dernière consultation le 20 février 2024).
109 Letter from the Commissioner-General to the President of the UN General Assembly, UNRWA, 22 February 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.unrwa.org/newsroom/official-statements/letter-commissioner-general-president-general-assembly (dernière consultation le 25 février 2024).
110 UNRWA’s lifesaving aid may end due to funding suspension, UNRWA, 27 January 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.unrwa.org/newsroom/official-statements/unrwa%E2%80%99s-lifesaving-aid-may-end-due-fund ing-suspension (dernière consultation le 20 février 2024).
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aujourd’hui, mais il y a ces 3 000 employés gazaouis qui constituent la pierre angulaire de la distribution humanitaire à l’intérieur de Gaza. Aucune autre organisation n’a une présence notable à Gaza ni rien qui soit à la hauteur de la situation. Il n’y a par conséquent aucune autre organisation qui serait en mesure de remplacer [l’UNRWA à] Gaza, d’occuper cette place. »
111
61. L’UNRWA est financé presque entièrement par des contributions sur lesquelles, bien qu’elles fussent volontaires à l’origine, il a toujours pu compter pour remplir son mandat. La seule exception est une subvention très limitée provenant du budget ordinaire de l’Organisation des Nations Unies, qui sert exclusivement à couvrir ses frais administratifs. En d’autres termes, l’UNRWA ne pourra pas faire son travail si des donateurs, à l’instar de l’Allemagne, suspendent leurs contributions, car celles-ci représentent 95 % de son budget total. En fait, l’Allemagne est le deuxième plus grand bailleur de fonds de l’UNRWA après les États-Unis112.
62. L’UNRWA a ceci d’unique parmi les organismes des Nations Unies qu’il fournit ses services directement aux Palestiniens. Il assure, entre autres, des secours d’urgence et des soins de santé primaires en général, des soins prénataux et postnataux, des soins aux nourrissons, des campagnes de vaccination, des services de diagnostic et de laboratoire, le suivi de maladies chroniques, des soins ambulatoires et hospitaliers, des services spécialisés (cardiologie, ophtalmologie, obstétrique, gynécologie, etc.) et des services de réadaptation et de physiothérapie. Autrement dit, si l’UNRWA devait cesser ses activités, les Gazaouis se retrouveraient sans services d’urgence au beau milieu d’une opération militaire qui ne distingue ni les civils ni les lieux protégés. Cela équivaudrait pour eux à une peine de mort. Comme l’a déclaré le directeur de l’UNRWA à Gaza : « Il est difficile d’imaginer que les Gazaouis survivront à cette crise sans l’UNRWA »113.
63. À cela s’ajoute que, dans le cadre de son programme de santé environnementale, l’UNRWA contrôle la qualité de l’eau potable, assure l’assainissement et lutte contre les vecteurs pathogènes et les rongeurs dans les camps de réfugiés. Les services communautaires de santé mentale destinés aux Palestiniens qui ont subi le traumatisme des déplacements ainsi que de multiples actes de violence sont tout aussi importants. Ils revêtent une importance particulière pour les enfants, notamment les enfants souffrant de handicaps mentaux qui sont des bénéficiaires privilégiés du programme. Lorsque les temps sont moins difficiles, l’UNRWA fournit également aux enfants et aux jeunes des services éducatifs couvrant l’enseignement primaire et l’enseignement professionnel afin de leur permettre de survivre. Il offre aussi des services de microcrédit et des programmes d’entrepreneuriat dans une économie qui était déjà au bord de l’asphyxie. En bref, il n’existe aucun aspect de la vie palestinienne dans lequel l’UNRWA ne soit pas actif et indispensable.
64. Le 1er février 2024, l’UNRWA a annoncé que, en raison de la suspension de son financement, il serait « contraint de mettre fin à [se]s opérations d’ici à la fin du mois … non seulement à Gaza, mais aussi dans toute la région »114. Cela signifie que rien qu’à Gaza, 2,2 millions de personnes qui sont déjà exposées à un risque imminent de famine atteindraient le point de non-retour et que les décès par inanition surviendraient rapidement en très grand nombre seraient ainsi
111 Press Conference by Secretary-General Antonio Guterres at United Nations Headquarters, 8 February 2024, accessible à l’adresse suivante : https://press.un.org/en/2024/sgsm22130.doc.htm (dernière consultation le 20 février 2024).
112 UNRWA website, https://www.unrwa.org/our-partners/government-partners (dernière consultation le 20 février 2024).
113 The Gaza Strip: Humanitarian crisis deepens at a time funding suspensions put UNRWA aid operations in peril, UNRWA, 1 February 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.unrwa.org/newsroom/news-releases/gaza-strip-humanitarian-crisis-deepens-time-funding-suspensions-put-unrwa-aid (dernière consultation le 20 février 2024).
114 Ibid.
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concernées non seulement les personnes déjà exposées à un risque imminent de famine, mais aussi le demi-million de personnes restantes qui sont actuellement en phase 5 (catastrophe), classification qui, dans la pratique, renvoie à un manque extrême de nourriture, à l’inanition et à l’épuisement des moyens de survie, et les 1,17 million de personnes en phase 4 (urgence)
115. Ces chiffres incluent 1 million d’enfants, dont 17 000 sont non accompagnés ou ont été séparés de leurs parents et dépendent entièrement de l’aide apportée par le personnel de l’UNRWA, non seulement sur les plans physique mais aussi affectif et mental116. Ce risque a été délibérément créé et entretenu par Israël, mais de nouveaux décès peuvent encore être évités si des mesures sont prises dès maintenant.
65. Le 22 février 2024, le commissaire général de l’UNRWA a informé le président de l’Assemblée générale que cet organisme avait « atteint un point de rupture, du fait des appels répétés d’Israël à [le] démanteler … et de la suspension de son financement par les donateurs à un moment où les besoins humanitaires à Gaza n’[avaie]nt jamais été plus criants », et que par conséquent « la capacité de l’Office à remplir le mandat que lui a[vait] confié l’Assemblée générale par sa résolution 302 [étai]t gravement compromise »117.
66. L’Allemagne a parfaitement conscience que sa décision de cesser de financer l’UNRWA aura sur le plan pratique un impact fatal qui revient à infliger une punition collective à des millions de Palestiniens, en particulier les Gazaouis qui seront condamnés à la famine, à l’inanition et à la maladie. Par son comportement, l’Allemagne non seulement ne respecte pas le droit humanitaire et ne prévient pas le génocide, mais elle contribue aussi activement à des violations de ces règles fondamentales et à la perpétuation du système d’apartheid et de la discrimination institués contre le peuple palestinien et contre son droit à l’autodétermination.
IV. LES REMÈDES SOLLICITÉS
67. Tout en se réservant le droit de réviser, compléter ou modifier la présente requête, le Nicaragua prie respectueusement la Cour de dire et juger que l’Allemagne :
1) a manqué et continue de manquer aux obligations qui lui incombent en vertu de la convention sur le génocide, en particulier celles prévues à l’article premier, en s’abstenant, en toute connaissance de cause, de prévenir le génocide en cours du peuple palestinien, en particulier les Gazaouis ;
2) a manqué et continue de manquer aux obligations qui lui incombent en vertu de la convention sur le génocide, en particulier celles prévues à l’article premier, non seulement en s’abstenant de prévenir le génocide en cours, mais aussi en fournissant à Israël une aide, y compris du matériel militaire, qui serait et pourrait être utilisée par Israël pour commettre le génocide, et en retirant sa contribution à l’aide financière aux victimes que distribue l’UNRWA ;
3) a manqué et continue de manquer aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article premier de la quatrième convention de Genève et des principes intransgressibles du droit humanitaire, non seulement en ne veillant pas à ce que les prescriptions de cette convention soient respectées, mais encore en fournissant une aide, y compris du matériel militaire, qui serait et pourrait être utilisée pour commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, des infractions graves aux
115 Hostilities in Gaza Strip and Israel — reported impact Day 142, OCHA, 26 February 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.ochaopt.org/content/hostilities-gaza-strip-and-israel-reported-impact-day-142 (dernière consultation le 26 février 2024).
116 Ibid.
117 Letter from the Commissioner-General to the President of the UN General Assembly, UNRWA, 22 February 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.unrwa.org/newsroom/official-statements/letter-commissioner-general-president-general-assembly (dernière consultation le 25 février 2024).
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conventions de Genève de 1949, des attaques dirigées contre des biens de caractère civil ou des personnes civiles et protégées comme telles, ou d’autres crimes de guerre, en violation des obligations qui lui incombent en vertu des conventions de Genève de 1949 et du droit international coutumier, et en retirant son aide financière à l’UNRWA ;
4) a manqué et continue de manquer aux obligations qui lui incombent en vertu du droit international humanitaire, non seulement en ne veillant pas à ce que cet ensemble de règles énonçant le principe élémentaire d’humanité soit respecté par Israël, mais aussi en prêtant aide et assistance à Israël et en retirant son aide financière à l’UNRWA ;
5) a manqué et continue de manquer à ses obligations conventionnelles et coutumières, y compris celle de faciliter la réalisation du droit du peuple palestinien à l’autodétermination et d’y coopérer, en fournissant à Israël une aide, et en particulier du matériel militaire, qui est utilisée pour dénier ce droit au peuple palestinien et qui, en outre, contribue à l’imposition et au maintien d’un régime d’apartheid ;
6) a violé et continue de violer le droit international en refusant de poursuivre, faire juger et punir les personnes responsables ou accusées de crimes graves de droit international, y compris les crimes de guerre et le crime d’apartheid, que ces personnes soient ou non des nationaux allemands ;
7) doit mettre immédiatement fin à ses manquements aux obligations internationales susmentionnées ;
8) doit donner des assurances de non-répétition de ses manquements aux obligations susmentionnées ;
9) doit réparer intégralement le préjudice causé par son fait internationalement illicite.
V. DEMANDE EN INDICATION DE MESURES CONSERVATOIRES
68. En vertu de l’article 41 du Statut de la Cour, et conformément aux articles 73, 74 et 75 de son Règlement, le Nicaragua demande à la Cour d’indiquer des mesures conservatoires. Compte tenu de la nature erga ommes des droits en cause ainsi que du préjudice extrême et irréparable que subit actuellement le peuple palestinien — en particulier la population gazaouie — et conformément au paragraphe 1 de l’article 74 du Règlement de la Cour, il la prie d’examiner cette demande en priorité.
69. La présente demande concerne la situation dramatique que connaît le peuple palestinien, en particulier à Gaza. La récente annonce d’une intervention militaire imminente à Rafah — où plus d’un million de personnes, chassées du nord de la bande de Gaza par Israël, ont trouvé un refuge relatif — confirme que le conflit continue de s’intensifier. Comme la Cour le sait, 1,7 million des 2,3 millions d’habitants continuent d’être déplacés de force, et la majorité d’entre eux, soit 1,4 million de réfugiés, se trouvent dans le gouvernorat de Rafah, qui sert également de base à l’ensemble des opérations humanitaires118.
70. Le ministre israélien de la défense a déclaré sans équivoque que « [c]haque terroriste qui se cache à Rafah devrait savoir qu’il connaîtra le même sort que celui réservé à ceux de Khan Younès, de la ville de Gaza et de tout autre lieu de la bande de Gaza : la reddition ou la mort ». De fait, comme il n’a eu aucune honte à le rappeler, la mort règne en maître dans le reste de Gaza, qu’Israël a
118 Hostilities in the Gaza Strip and Israel, Flash Update 116, OCHA, 12 February 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.ochaopt.org/content/hostilities-gaza-strip-and-israel-flash-update-116 (dernière consultation le 20 février 2024).
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délibérément réduit à un tas de décombres en procédant à la fois à des bombardements indiscriminés et à la démolition planifiée de l’infrastructure civile. Il ne s’y trouve plus d’immeubles résidentiels où revenir, plus d’hôpitaux et plus de réserves de vivres. Le 21 février 2024, le PAM a suspendu toute fourniture d’aide alimentaire dans le nord de Gaza et, le 26 février, il a été rapporté que « des gens nourrissaient leurs enfants avec des aliments pour animaux »
119.
71. Le 21 février, 19 responsables du Comité permanent interorganisations ont fait une déclaration conjointe dans laquelle ils recensaient les dix impératifs pour empêcher une nouvelle catastrophe à Gaza, dont l’un est que « l’UNRWA, pierre angulaire des opérations humanitaires à Gaza, reçoive les ressources dont il a besoin pour apporter une assistance vitale »120. Ils ont également souligné qu’« [u]ne nouvelle escalade de la violence dans cette zone densément peuplée [Rafah] ferait de nombreuses victimes et pourrait porter un coup fatal à l’action humanitaire déjà très affaiblie. Aucun endroit n’est sûr à Gaza. » La déclaration conjointe était notamment signée par le secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires (OCHA), la directrice exécutive du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), la secrétaire générale adjointe et directrice exécutive d’ONU Femmes, la directrice exécutive du PAM, le directeur général de l’OMS, le directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), la présidente-directrice générale de Save the Children, la directrice exécutive du Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP), le haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et le directeur exécutif par intérim du Programme des Nations Unies pour les établissements humains (ONU-Habitat)121.
72. Qui plus est, le 23 février 2024, 34 rapporteurs spéciaux, experts indépendants et membres de groupes de travail des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies ont publié un communiqué de presse appelant à un arrêt immédiat des exportations d’armes à destination d’Israël, en observant ce qui suit :
« Tous les États doivent “faire respecter” le droit international humanitaire par les parties à un conflit armé, comme l’exigent les conventions de Genève de 1949 et le droit international coutumier … En conséquence, les États doivent s’abstenir de transférer toute arme ou munition — ou pièce détachée pour des armes — dont, compte tenu des faits ou des comportements antérieurs, il est attendu qu’elles serviront à commettre des violations du droit international.
De tels transferts sont interdits même si l’État exportateur n’entend pas que les armes soient utilisées en violation du droit — ou ne sait pas avec certitude qu’elles le seront — dès lors qu’il existe un risque manifeste de cet ordre ».
73. Les experts ont également affirmé avec force que « tout transfert à Israël d’armes ou de munitions qui seraient utilisées à Gaza est susceptible de violer le droit international humanitaire et doit cesser immédiatement », car « Israël a contrevenu de façon répétée au droit international ». À cet égard, les experts ont rappelé l’ordonnance en indication de mesures conservatoires du 26 janvier 2024 et les obligations qu’ont les États en vertu de la convention sur le génocide, laquelle leur impose
119 Hostilities in the Gaza Strip and Israel, Flash Update 126, OCHA, 26 February 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.ochaopt.org/content/hostilities-gaza-strip-and-israel-flash-update-126 (dernière consultation le 26 février 2024).
120 Statement by Principals of the Inter-Agency Standing Committee - Civilians in Gaza in extreme peril while the world watches on: Ten requirements to avoid an even worse catastrophe, IASC, 21 February 2024, accessible à l’adresse suivante : https://interagencystandingcommittee.org/inter-agency-standing-committee/statement-principals-inter-agency-standing-committee-civilians-gaza-extreme-peril-while-world (dernière consultation le 25 février 2024).
121 Ibid.
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de mettre en oeuvre tous les moyens raisonnablement à leur disposition en vue d’empêcher le génocide « en particulier lorsqu’ils exercent une influence de par leurs relations politiques, militaires, économiques ou autres », relevant à ce sujet que les États-Unis et l’Allemagne étaient « de loin, les plus grands exportateurs d’armes, et [que] les livraisons [avaie]nt augmenté depuis le 7 octobre 2023 »
122.
74. Bien que, au vu des faits, l’imminence d’une catastrophe humanitaire totale ne fasse aucun doute, l’Allemagne continue d’apporter une aide politique, financière et militaire à Israël, tout en cessant dans le même temps de financer l’organisme chargé de fournir l’aide humanitaire, y compris les services d’urgence dont le besoin se fait cruellement sentir en période d’hostilités. Ces faits mettent également en lumière la nécessité urgente de mieux protéger les droits de la population palestinienne, qui sont aussi les droits erga omnes du Nicaragua, en empêchant la fourniture supplémentaire à Israël d’armes, de composants, de technologies ou de tout autre soutien qui permettraient la poursuite des violations de normes impératives du droit international.
A. La nécessité impérieuse d’adopter des mesures conservatoires
75. Ainsi qu’il a été exposé plus haut, il existe des circonstances impérieuses exigeant que la Cour indique des mesures conservatoires dès que possible.
76. Il y a quelques semaines, la Cour elle-même a dit que « la population civile de la bande de Gaza demeur[ait] extrêmement vulnérable » et que l’opération militaire menée par Israël avait « notamment fait des dizaines de milliers de morts et de blessés et causé la destruction d’habitations, d’écoles, d’installations médicales et d’autres infrastructures vitales, ainsi que des déplacements massifs de population »123. La Cour a également souligné que « 15 % des femmes qui accouch[ai]ent dans la bande de Gaza [étaie]nt susceptibles de souffrir de complications » et qu’on « prévoyait une augmentation des taux de mortalité maternelle et néonatale en raison du manque d’accès aux soins médicaux »124.
77. Les dernières informations en date ne font que confirmer le risque grave de détérioration dont la Cour a établi l’existence. Selon l’Organisation des Nations Unies, le bilan considérable des victimes civiles continue de s’alourdir, au moins 29 782 Palestiniens ayant été tués à Gaza et 70 043 autres, blessés125. Faute d’hôpitaux pleinement opérationnels à Gaza, où 12 des 36 hôpitaux fonctionnent encore mais seulement partiellement126, il n’y a actuellement aucun moyen de répondre aux besoins de la population en matière de soins de santé ; les services de prophylaxie sont dans l’incapacité de fonctionner et Israël ne permet pas à l’aide humanitaire, y compris les fournitures de première nécessité, d’être acheminée de manière fluide à Gaza. Lors d’une intervention à la dernière séance du Conseil de sécurité, le 22 février, le secrétaire général de Médecins sans frontières (MSF)
122 “Arms exports to Israel must stop immediately: UN experts”, 23 February 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.ohchr.org/en/press-releases/2024/02/arms-exports-israel-must-stop-immediately-un-experts (dernière consultation le 26 février 2024).
123 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), mesures conservatoires, ordonnance du 26 janvier 2024, par. 70.
124 Ibid., par. 7[1].
125 Hostilities in the Gaza Strip and Israel, Flash Update 126, OCHA, 26 February 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.ochaopt.org/content/hostilities-gaza-strip-and-israel-flash-update-126 (dernière consultation le 26 février 2024).
126 Hostilities in the Gaza Strip and Israel — reported impact Day 142, OCHA, 26 February 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.ochaopt.org/content/hostilities-gaza-strip-and-israel-reported-impact-day-142 (dernière consultation le 26 février 2024).
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a dit ce qui suit aux membres du Conseil : « [c]es dommages psychologiques poussent des enfants d’à peine 5 ans à nous dire qu’ils préféreraient mourir »
127.
78. Ce sont là les conséquences directes des violations du droit international humanitaire, de la convention sur le génocide et de normes impératives du droit international général commises par Israël et facilitées par l’Allemagne, qui se produisent alors qu’en raison de la décision de celle-ci et d’autres États de le priver de financement, l’UNRWA risque de devoir cesser ses activités ce mois-ci.
B. La compétence prima facie de la Cour
79. Conformément à sa jurisprudence constante, la Cour peut indiquer des mesures conservatoires « si les dispositions invoquées par le demandeur semblent prima facie constituer une base sur laquelle sa compétence pourrait être fondée, mais elle n’a pas besoin de s’assurer de manière définitive qu’elle a compétence quant au fond de l’affaire »128.
80. Comme il l’a noté dans sa requête, le Nicaragua fonde la compétence de la Cour principalement sur le paragraphe 2 de l’article 36 du Statut et sur l’acceptation par l’Allemagne et lui-même de la juridiction obligatoire de la Cour. À la lumière de ces déclarations, la compétence de la Cour pour connaître de tous types de questions juridiques soumises par les Parties à l’affaire est établie.
81. La compétence de la Cour est également fondée sur l’article IX de la convention sur le génocide, qui dispose ce qui suit :
« Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la responsabilité d’un État en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête d’une partie au différend. »
82. Ni l’Allemagne ni le Nicaragua n’ont formulé de réserve à l’article IX de la convention sur le génocide.
83. Il appartient à la Cour, pour établir sa compétence prima facie, de vérifier si les griefs du demandeur sont « susceptibles d’entrer dans les prévisions » des conventions et règles coutumières invoquées par celui-ci de telle manière que « le différend est de ceux dont la Cour pourrait avoir compétence pour connaître ratione materiae »129. Compte tenu de la principale base de compétence invoquée en l’espèce, à savoir les déclarations faites par les Parties au titre du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut pour tous les différends d’ordre juridique, cette condition est automatiquement
127 “Children as young as five in Gaza want to die”, The Daily Star, 24 February 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.thedailystar.net/news/world/news/children-young-five-gaza-want-die-3551226?amp (dernière consultation le 25 février 2024).
128 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), mesures conservatoires, ordonnance du 26 janvier 2024, par. 15.
129 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2016, C.I.J. Recueil 2016 (II), p. 1159, par. 47.
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remplie s’il existe entre le Nicaragua et l’Allemagne un différend qui n’entre pas dans les prévisions des réserves dont les Parties ont assorti leur déclaration d’acceptation de la juridiction de la Cour.
84. Qui plus est, un différend existe entre le Nicaragua et l’Allemagne au sujet des mesures prises par celle-ci relativement à la situation, amplement établie, qui règne dans le Territoire palestinien occupé, notamment dans la bande de Gaza. L’existence de ce différend ressort clairement des déclarations publiques des deux Parties et est attestée en particulier par la note verbale que le Nicaragua a adressée à l’Allemagne le 2 février, le communiqué de presse et la réaction publique des autorités allemandes, dont la teneur a été décrite aux paragraphes 27 à 30 ci-dessus.
C. Les droits dont la protection est recherchée, leur plausibilité et le lien entre ces droits et les mesures sollicitées
85. Aux fins de l’indication de mesures conservatoires au titre de l’article 41 de son Statut, la Cour n’a pas à établir de façon définitive l’existence de droits reconnus appartenant au Nicaragua. Elle doit seulement déterminer dans quelle mesure les droits revendiqués dont la protection est recherchée sont des droits « plausibles », à savoir s’ils sont « fondés sur une interprétation possible » des normes invoquées130, et s’il existe un lien entre lesdits droits et les mesures sollicitées.
86. Le Nicaragua et l’Allemagne, en leur qualité de parties à la convention sur le génocide, se sont tous deux engagés à prévenir le génocide, ce qui nécessite non seulement de ne pas prêter aide et assistance à la commission de cette abomination, mais aussi de fournir aide et assistance aux victimes afin d’éviter que ce crime odieux n’ait d’autres conséquences. Comme la Cour l’a relevé, l’obligation de prévenir « pren[d] naissance, pour un État, au moment où celui-ci a connaissance, ou devrait normalement avoir connaissance, de l’existence d’un risque sérieux de commission d’un génocide »131. Plus précisément, la Cour a dit que
« la prohibition du génocide et des autres actes énumérés à l’article III, parmi lesquels la complicité, met à la charge des États une obligation négative — celle de ne pas commettre les actes prohibés — tandis que le devoir de prévention met à la charge des États des obligations positives — faire de leur mieux pour que ces actes ne se produisent pas »132.
87. Le Nicaragua et l’Allemagne sont également parties à la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Indépendamment de cet engagement conventionnel, le droit international coutumier interdit la discrimination raciale, la ségrégation et l’apartheid et reconnaît ces interdictions comme étant des normes impératives du droit
130 Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), mesures conservatoires, ordonnance du 28 mai 2009, C.I.J. Recueil 2009, p. 152, par. 60.
131 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 222, par. 431.
132 Ibid., p. 223, par. 432.
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international
133. Eu égard à la nature impérative de ces règles, qu’il s’agisse de discrimination raciale ou d’apartheid, les États ont un intérêt commun à veiller à ce qu’il soit mis fin aux violations commises et sont en droit de s’attendre à ce que les États coopèrent dans ce but.
88. De surcroît, l’article premier commun aux conventions de Genève ainsi que, plus généralement, les protocoles additionnels à celles-ci, le droit international coutumier et les principes intransgressibles du droit international humanitaire obligent les États à ne pas prêter aide et assistance aux parties à un conflit armé qui contreviennent au droit international humanitaire, mais aussi à veiller au respect de ces normes.
89. La Cour a rappelé expressément que, en ce qui concerne le génocide comme le droit humanitaire, tous les États ont un intérêt commun à ce que ces normes soient respectées.
90. En ce qui concerne la convention sur le génocide, la Cour a dit ce qui suit :
« [d]ans une telle convention, les États contractants n’ont pas d’intérêts propres ; ils ont seulement, tous et chacun, un intérêt commun, celui de préserver les fins supérieures qui sont la raison d’être de la convention. Il en résulte que l’on ne saurait, pour une convention de ce type, parler d’avantages ou de désavantages individuels des États, non plus que d’un exact équilibre contractuel à maintenir entre les droits et les charges. La considération des fins supérieures de la Convention est, en vertu de la volonté commune des parties, le fondement et la mesure de toutes les dispositions qu’elle renferme. »134
91. Quant aux règles du droit international humanitaire invoquées, en particulier l’article premier commun aux conventions de Genève de 1949, la Cour a considéré ce qui suit :
« 157. En ce qui concerne le droit international humanitaire, la Cour rappellera que, dans son avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, elle a indiqué qu’“un grand nombre de règles du droit humanitaire applicable dans les conflits armés sont si fondamentales pour le respect de la personne humaine et pour des ‘considérations élémentaires d’humanité’...”, qu’elles “s’imposent … à tous les États, qu’ils aient ou non ratifié les instruments conventionnels qui les expriment, parce qu’elles constituent des principes intransgressibles du droit international coutumier” (C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 257, par. 79). De l’avis de la Cour, les règles en question incorporent des obligations revêtant par essence un caractère erga omnes.
158. La Cour soulignera par ailleurs qu’aux termes de l’article 1er de la quatrième convention de Genève, disposition commune aux quatre conventions de Genève, “[l]es
133 Statut de Rome de la Cour pénale internationale, RTNU, vol. 2187, p. 160, art. 7, par. 1, al. j) ; convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, 7 mars 1966 (entrée en vigueur le 4 janvier 1969), RTNU, vol. 660, p. 195 (ratifiée par Israël le 3 janvier 1979), art. 3 ; convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid, RTNU, vol. 1015, p. 243 (entrée en vigueur le 18 juillet 1976), art. 2 et 5 ; protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux du 8 juin 1977, RTNU, vol. 1125, p. 3, art. 85, par. 4, al. c) ; Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie, par. 4) du commentaire de l’article 40 ; Projet de conclusions sur la détermination et les conséquences juridiques des normes impératives du droit international général (jus cogens), rapport de la Commission du droit international, soixante-treizième session (18 avril-3 juin et 4 juillet-5 août 2022), doc. A/77/10, par. 8) du commentaire de la conclusion 23 et son annexe.
134 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), mesures conservatoires, ordonnance du 23 janvier 2020, C.I.J. Recueil 2020, p. 17, par. 41, qui cite Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951, p. 23.
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Hautes Parties contractantes s’engagent à respecter et à faire respecter la présente convention en toutes circonstances”. Il résulte de cette disposition l’obligation de chaque État partie à cette convention, qu’il soit partie ou non à un conflit déterminé, de faire respecter les prescriptions des instruments concernés. »
135
92. Aussi le Nicaragua cherche-t-il, par sa requête, à protéger ses droits « plausibles » découlant des obligations erga omnes énoncées par la convention sur le génocide mais également par les conventions de Genève de 1949 et leurs protocoles additionnels, ainsi que des droits découlant du droit international général, en particulier les principes inaliénables du droit international humanitaire.
93. Les mesures conservatoires sollicitées par le Nicaragua sont directement liées aux droits « plausibles » invoqués. Elles visent à obtenir que l’Allemagne respecte ses obligations de ne pas faciliter la commission d’un génocide ou d’actes de génocide, et de prévenir la commission d’un génocide et les violations du droit international humanitaire.
D. Le risque de préjudice irréparable et le besoin urgent de protéger les droits
94. Le risque de préjudice irréparable et le besoin urgent de protéger les droits du peuple palestinien, en particulier dans la bande de Gaza, sont bien connus et ont été établis par la Cour dans l’ordonnance qu’elle a rendue le 26 janvier 2024 en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël). Dans cette ordonnance, la Cour a considéré ce qui suit :
« [L]a population civile de la bande de Gaza demeure extrêmement vulnérable. [La Cour] rappelle que l’opération militaire conduite par Israël après le 7 octobre 2023 a notamment fait des dizaines de milliers de morts et de blessés et causé la destruction d’habitations, d’écoles, d’installations médicales et d’autres infrastructures vitales, ainsi que des déplacements massifs de population … Elle note que cette opération est toujours en cours et que le premier ministre d’Israël a annoncé, le 18 janvier 2024, que la guerre “durera[it] encore de longs mois”. Aujourd’hui, de nombreux Palestiniens de la bande de Gaza n’ont pas accès aux denrées alimentaires de première nécessité, à l’eau potable, à l’électricité, aux médicaments essentiels ou au chauffage. »136
95. Pas plus tard que le 16 février 2024, un communiqué de presse publié sur le site Internet de la Cour reproduisait le texte suivant d’une communication adressée par celle-ci aux Parties à l’affaire précitée :
« La Cour note que les événements intervenus tout récemment dans la bande de Gaza, et en particulier à Rafah, “entraîneraient une aggravation exponentielle de ce qui est d’ores et déjà un cauchemar humanitaire aux conséquences régionales insondables”, ainsi que l’a indiqué le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (Remarks to the General Assembly on priorities for 2024 (7 Feb. 2024)).
135 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 199-200, par. 157-158.
136 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), mesures conservatoires, ordonnance du 26 janvier 2024, par. 70.
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Cette situation alarmante exige la mise en oeuvre immédiate et effective des mesures conservatoires indiquées par la Cour dans son ordonnance du 26 janvier 2024, qui sont applicables à l’ensemble de la bande de Gaza, y compris Rafah, et ne nécessitent pas l’indication de mesures additionnelles.
La Cour souligne que l’État d’Israël demeure pleinement tenu de s’acquitter des obligations lui incombant au titre de la convention sur le génocide et d’exécuter ladite ordonnance, notamment en assurant la sûreté et la sécurité des Palestiniens dans la bande de Gaza. »
96. Comme il est rappelé dans les paragraphes ci-dessus, la Cour a déjà établi que la situation en cours, à savoir l’offensive armée actuellement menée par Israël dans le Territoire palestinien occupé, présente un risque de préjudice irréparable.
97. Dans l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), la convention sur le génocide était le seul titre de compétence et les violations de cet instrument étaient le seul fondement de l’indication de mesures conservatoires. Le crime odieux de génocide s’entend de violations du droit humanitaire commises dans l’intention de détruire un groupe de personnes. Nonobstant la difficulté de prouver l’élément d’intentionnalité qui est nécessaire pour qu’il y ait génocide, les faits pris en considération dans cette affaire ont conduit la Cour à conclure que ce qui se produit actuellement à Gaza est un génocide « plausible ».
98. En l’espèce, la compétence élargie conférée par le paragraphe 2 de l’article 36 du Statut à l’égard de cette demande suppose que les droits à protéger ne sont pas seulement ceux consacrés par la convention sur le génocide, mais aussi ceux garantis par le droit international conventionnel et le droit international humanitaire coutumier. En conséquence, étant donné que la présente demande est fondée sur les mêmes faits essentiels que ceux qui ont conduit la Cour, dans l’affaire susmentionnée, à conclure à la plausibilité d’un génocide et au besoin urgent d’indiquer des mesures conservatoires, il s’ensuit nécessairement que la violation des normes humanitaires des conventions de Genève, en particulier de la quatrième convention, et d’autres normes impératives du droit international, est également plausible. En droit, toute violation de la convention sur le génocide emporte nécessairement violation des conventions de Genève et du droit international humanitaire.
99. Compte tenu de ce qui précède, étant donné que les risques pour les droits que le Nicaragua cherche à protéger touchent les vies de centaines de milliers de personnes, il est impératif et urgent que la Cour indique des mesures conservatoires qui s’appliqueront directement et clairement à l’Allemagne.
100. Le droit applicable à la présente demande en indication de mesures conservatoires est clair. La Cour a « le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires lorsqu’un préjudice irréparable risque d’être causé aux droits en litige dans une procédure judiciaire ou lorsque la méconnaissance alléguée de ces droits risque d’entraîner des conséquences irréparables »137. Il y a urgence « s’il existe
137 Voir, par exemple, Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, C.I.J. Recueil 2022 (I), p. [226], par. 65.
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un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits revendiqués avant que la Cour ne rende sa décision définitive »
138.
E. Les mesures conservatoires sollicitées
101. Au vu des faits exposés ci-dessus, le Nicaragua, en sa qualité d’État partie à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, aux quatre conventions de Genève de 1949, à savoir, la convention pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne, la convention pour l’amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer, la convention relative au traitement des prisonniers de guerre et la convention relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, ainsi qu’à leurs protocoles de 1966 et à d’autres traités pertinents de protection des droits de l’homme et relatifs au droit international humanitaire, et en sa qualité de membre de la communauté internationale des États liés par les normes impératives du droit international, prie respectueusement la Cour d’indiquer de toute urgence, dans l’attente de sa décision au fond dans la présente affaire, les mesures conservatoires suivantes relativement à la participation de l’Allemagne au génocide plausible en cours et aux violations graves du droit international humanitaire et d’autres normes impératives du droit international général qui sont commises dans la bande de Gaza :
1) L’Allemagne doit suspendre immédiatement son aide à Israël, notamment son assistance militaire dont la fourniture de matériel militaire, dans la mesure où cette aide pourrait servir à commettre des violations de la convention sur le génocide, du droit international humanitaire ou d’autres normes impératives du droit international général, telles que le droit du peuple palestinien à l’autodétermination et son droit de ne pas être soumis à un régime d’apartheid ;
2) L’Allemagne doit immédiatement tout mettre en oeuvre pour que les armes déjà livrées à Israël ne soient pas utilisées pour commettre un génocide ou contribuer à des actes de génocide, ni d’une manière qui enfreindrait le droit international humanitaire ;
3) L’Allemagne doit immédiatement faire tout son possible pour se conformer aux obligations que lui impose le droit humanitaire ;
4) L’Allemagne doit revenir sur sa décision de suspendre son financement de l’UNRWA de manière à se conformer aux obligations qui lui incombent de prévenir le génocide et les actes de génocide ainsi que de prévenir la violation des droits humanitaires du peuple palestinien, y compris l’obligation de faire tout son possible pour que l’aide humanitaire parvienne au peuple palestinien, plus particulièrement à Gaza ;
5) L’Allemagne doit coopérer pour faire cesser les violations graves de normes impératives du droit international en mettant fin au soutien qu’elle apporte à Israël, notamment en cessant de lui fournir du matériel militaire qui pourrait servir pour commettre de graves crimes de droit international, et continuer d’apporter à l’UNRWA le soutien sur lequel cet organisme compte et dont ses activités sont tributaires.
102. Conformément au paragraphe 4 de l’article 74 du Règlement de la Cour, et à la lumière du caractère extrêmement urgent de la situation à Gaza, le Nicaragua prie respectueusement le président de la Cour, en attendant que celle-ci se réunisse, d’inviter l’Allemagne à prendre toutes les mesures nécessaires, et notamment à cesser tout acte qui pourrait être constitutif de violations de la convention sur le génocide, des conventions de Genève de 1949 et de leurs protocoles additionnels,
138 Ibid., par. 66.
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et d’autres normes impératives du droit international, ou faciliter la commission de telles violations, de manière que toute ordonnance de la Cour puisse avoir les effets voulus.
VI. RÉSERVE DE DROITS
103. Le Nicaragua se réserve le droit de réviser, compléter ou modifier la présente requête et ses conclusions, ainsi que de désigner un juge ad hoc.
VII. DÉSIGNATION D’UN AGENT
104. Aux fins de la présente requête, le Gouvernement de la République du Nicaragua a désigné M. l’ambassadeur Carlos Argüello Gómez en qualité d’agent, comme l’atteste la communication datée du 1er mars 2024 adressée à la Cour par le ministre des affaires étrangères du Nicaragua, dont une copie est jointe à la présente (annexe 15). Toutes les communications relatives à la présente affaire doivent être adressées à l’agent à l’adresse suivante : Eisenhowerlaan 112, 2517 KM, La Haye.
La Haye, le 1er mars 2024.
L’agent de la République du Nicaragua,
Carlos J. ARGÜELLO GÓMEZ.
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LISTE DES ANNEXES
Annexe 1
Note Verbale from the Ministry of Foreign Affairs of Nicaragua to the German Federal Foreign Office, 2 February 2024
Annexe 2
Note from the Permanent Mission of Germany to the United Nations to the Permanent Mission of Nicaragua to the United Nations, 14 February 2024
Annexe 3
Press Release of the Government of Nicaragua, 1 February 2024 (https://www.el19digital.com/articulos/ver/titulo:148879-gobierno-de-nicaragua-impedir-y-detener-el-genocidio-en-palestina)
Annexe 4
Statements by the German Federal Foreign Office at the Government Press Conference, 7 February 2024 (extract) (https://www.auswaertiges-amt.de/de/newsroom/regierungspressekonferenz/2643166)
Annexe 5
“Report on 2023: German weapons for 20 million to Israel”, ZDF heute, 17 January 2024 (https://www.zdf.de/nachrichten/politik/ausland/waffen lieferungen-deutschland-israel-100.html
Annexe 6
“A request for ammunition from Israel plunges the German government into a dilemma”, NZZ, 17 January 2024 (https://www.nzz.ch/international/munitions anfrage-aus-israel-stuerzt-deutsche-regierung-in-ein-dilemma-ld.1774619)
Annexe 7
Written questions to the Federal Government in December 2023, Question no. 12/531, 9 January 2024 (https://www.bmwk.de/Redaktion/DE/ Parlamentarische-Anfragen/2023/12/12-531.pdf?__blob=publicationFile&v=8)
Annexe 8
Government statement by Federal Chancellor Olaf Scholz on the situation in Israel to the German Bundestag, 12 October 2023 (https://www.bundes regierung.de/breg-de/service/newsletter-und-eabos/bulletin/regierungs erklaerung-von-bundeskanzler-olaf-scholz-2230150)
Annexe 9
German Bundestag, Motion for a resolution of the SPD, CDU/CSU, Alliance 90/The Greens and FDP parliamentary groups on the issuance of a government statement by the Federal Chancellor on the situation in Israel, Document 20/8736, 10 October 2023 (https://dserver.bundestag.de/btd/20/087/20087 36.pdf)
Annexe 10
Speech by the Federal Minister for Foreign Affairs, Annalena Baerbock, at the beginning of the questioning of the Federal Government before the German Bundestag, 11 October 2023 (https://www.bundesregierung.de/breg-de/service /newsletter-und-abos/bulletin/rede-der-bundesministerin-des-auswaertigen-annalena-baerbock--2229732)
Annexe 11
Government press conference, 11 October 2023 (extracts) (https://www.bundes regierung.de/breg-de/aktuelles/regierungspressekonferenz-vom-11-oktober-2023-2229600)
Annexe 12
“German government examines delivery of tank ammunition to Israel”, Der Spiegel, 16 January 2024 (https://www.spiegel.de/politik/deutschland/gaza-krieg-bundesregierung-prueft-lieferung-von-panzermunition-an-israel-a-0f0ce68d-7752-4b8e-81eb-9bd3a5692eeb)
Annexe 13
German Bundestag, shorthand report, 153rd meeting, 21 February 2024 (extract) (https://dserver.bundestag.de/btp/20/20153.pdf)
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Annexe 14
Netherlands, Court of Appeal The Hague, 12 February 2024, ECLI:NL:GHDHA:2024:191 (extract)
Annexe 15
Appointment of Agent
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ATTESTATION
Je soussigné, agent de la République du Nicaragua, certifie que les documents figurant dans la liste ci-dessous sont des copies exactes et conformes des documents originaux et que les traductions anglaises établies par le Nicaragua sont fidèles aux documents joints en annexe de la requête introductive d’instance de la République du Nicaragua contre la République fédérale d’Allemagne à raison de violations de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, des conventions de Genève de 1949 et de leurs protocoles additionnels, de principes intransgressibles du droit international humanitaire et d’autres normes impératives du droit international général relativement au Territoire palestinien occupé, en particulier la bande de Gaza.
La Haye, le 1er mars 2024.
L’agent de la République du Nicaragua,
Carlos J. ARGÜELLO GÓMEZ.
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Requête introductive d'instance et demande en indication de mesures conservatoires