PRÉSIDENCE JAPONAISE DU CONSEIL DE SÉCURITÉ DE L’ONU — RÉUNION SPÉCIALE PROMOTION ET RENFORCEMENT DE L’ÉTAT DE DROIT DANS LE MAINTIEN DE LA PAIX ET DE LA SÉCURITÉ INTERNATIONALES : L’ÉTAT DE DROIT PARMI LES NATIONS
Le 12 janvier 2023, 10 heures (heure normale de l’Est)
ALLOCUTION DE S. EXC. MME LA JUGE JOAN E. DONOGHUE, PRÉSIDENTE DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire général,
Excellences,
Je suis reconnaissante au Japon, et en particulier à son ministre des affaires étrangères, S. Exc. M. Hayashi, d’avoir organisé une réunion spéciale sur l’état de droit parmi les nations, à laquelle j’ai l’honneur de participer par visioconférence depuis le siège de la Cour internationale de Justice à La Haye, aux Pays-Bas. Je suis particulièrement sensible au privilège d’intervenir après le Secrétaire général, que je remercie pour son exposé si riche en informations.
Mon intervention aujourd’hui sera centrée sur le rôle que joue le règlement pacifique des différends dans la promotion de l’état de droit.
Au cours des dernières décennies, les Etats Membres se sont progressivement efforcés de définir et confirmer leur adhésion à l’état de droit et aux principes de la Charte des Nations Unies. Un résultat majeur de leurs efforts a été la déclaration sur les relations amicales que l’Assemblée générale a adoptée par consensus en 1970. Cette déclaration proclame un certain nombre de principes, parmi lesquels celui qui veut que les Etats «règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en danger»1. La relation entre l’obligation de règlement pacifique des différends et l’interdiction du recours à la force ou à la menace de la force a été à nouveau abordée, douze ans plus tard, dans la déclaration de Manille sur le règlement pacifique des différends internationaux, qui prévoit que «[n]i l’existence d’un différend ni l’échec d’une procédure de règlement pacifique d’un différend n’autorise l’un quelconque des Etats parties à un différend à avoir recours à la force ou à la menace de la force»2.
Parmi les principaux objectifs que visait l’Assemblée générale quand elle a adopté sa déclaration sur les relations amicales figurait celui de «favoris[er] le règne du droit parmi les nations et notamment l’application universelle des principes consacrés dans la Charte [des Nations Unies]»3. Depuis lors, le terme «état de droit», qui ne figure pas dans la Charte elle-même, a été employé dans
1 Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies, résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970 de l’Assemblée générale, deuxième principe. Voir aussi le paragraphe 3 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies : «Les Membres de l’Organisation règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en danger» ; et le paragraphe 4 du même article : «Les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies.»).
2 Déclaration de Manille sur le règlement pacifique des différends internationaux, 15 novembre 1982, section I, par. 13.
3 Résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970 de l’Assemblée générale, à laquelle est annexée la déclaration sur les relations amicales.
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de nombreuses résolutions et de nombreux rapports émanant de l’Organisation. La teneur de l’«état de droit» en tant que celui-ci s’applique au niveau national a bénéficié d’une élaboration importante, même si, y compris dans le contexte national, différentes définitions en ont été proposées. Ainsi, par exemple, certaines définitions mettent l’accent sur des normes substantielles telles que l’égalité devant la loi, tandis que d’autres privilégient des éléments structurels tels que le contrôle de l’action du pouvoir exécutif par un pouvoir judiciaire indépendant.
En revanche, on s’accorde généralement à dire que la notion d’état de droit ne se transpose pas facilement du niveau national au niveau international. Cette difficulté apparaît clairement lorsque l’on considère le rôle que joue le juge dans les progrès de l’état de droit. Au niveau national, un élément bien connu de l’état de droit est la contrainte qu’un appareil judiciaire habilité à annuler pour excès de pouvoir les actes de l’organe exécutif exerce, de par son existence et son fonctionnement, sur ce que l’on a pu appeler «l’autorité par ailleurs toute-puissante en matière de gouvernement» qui est dévolue à l’Etat4. Dans un système national, bien évidemment, l’organe exécutif et ses différentes entités n’ont pas la faculté de se soustraire à la juridiction des tribunaux nationaux en refusant leur consentement. Au niveau international, par contre, les Etats peuvent se soustraire au règlement obligatoire et contraignant des différends internationaux en refusant de donner leur consentement à un règlement judiciaire. Il s’ensuit que, du fait de cette contrainte structurelle, le règlement judiciaire international est beaucoup moins solide que le règlement judiciaire par des juridictions nationales indépendantes.
Sur le plan international, c’est la conduite des Etats qui détermine en grande partie si l’état de droit est respecté. Si les Etats croient à ce qu’ils disent quand ils proclament leur adhésion à l’état de droit au plan international, il leur incombe alors de faire preuve de retenue et de patience. Ils s’interdisent en effet de régler leurs différends en recourant à la menace ou à l’emploi de la force et doivent être disposés à soumettre la légalité de leur conduite à l’appréciation des cours et tribunaux internationaux.
L’état de droit parmi les nations exige que les Etats incorporent des priorités collectives systémiques dans leurs conceptions de l’intérêt national, même en cas de tension apparente entre ces priorités plus larges et certains objectifs à court terme concernant une situation particulière5.
Chacun aujourd’hui, dans cette salle du Conseil, sait parfaitement que les Etats accordent le plus grand prix à leur autonomie et s’attachent à conserver tous les leviers du pouvoir qu’ils possèdent. Nous savons aussi que les dirigeants nationaux accordent souvent un degré de priorité plus élevé à des objectifs à court terme et locaux qu’à des intérêts plus larges et à plus long terme. Au niveau international, la notion d’état de droit est constamment déchirée entre ces deux tendances contradictoires. Or ce n’est pas le moment pour l’état de droit d’agiter le drapeau blanc de la reddition. En effet, la manière dont les Etats Membres participent à l’action judiciaire internationale peut avoir un impact significatif sur la réalisation de l’état de droit au plan international. Permettez-moi de formuler quelques observations concrètes sur ce point.
Premièrement, les Etats qui adhèrent vraiment à l’état de droit doivent confier aux cours et tribunaux internationaux le règlement judiciaire de leurs différends. Quand un Etat se soustrait au règlement obligatoire d’un différend par une tierce partie, ses invocations de l’état de droit sonnent creux.
Deuxièmement, l’adhésion au règlement international des différends signifie plus que la simple acceptation de la juridiction. Les Etats doivent aussi participer aux procédures qui peuvent
4 A. Watts, «The International Rule of Law», German Yearbook of International Law, vol. 36, 1993, p. 16.
5 Voir R. McCorquodale, «Defining the International Rule of Law: Defying Gravity?», International Comparative Law Quarterly, vol. 65, 2016 ; A. Watts, «The International Rule of Law», German Yearbook of International Law, vol. 36, 1993.
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être intentées contre eux. S’ils estiment qu’un organe particulier n’est pas compétent pour connaître d’un différend, ils devraient comparaître devant cet organe et faire valoir leurs arguments en ce sens.
Troisièmement, l’état de droit exige des Etats qu’ils appliquent systématiquement les décisions des cours et tribunaux internationaux qui sont obligatoires à leur égard, même s’ils ne sont pas d’accord avec une décision. Il est encourageant de constater que, jusqu’à présent, ils se sont conformés à la grande majorité des décisions de la Cour.
Pour finir, l’état de droit au plan international exige des Etats qu’ils se montrent constants dans leur disposition à soumettre leur conduite au jugement des cours et tribunaux internationaux, même si des décisions judiciaires défavorables les exposent, sur le plan intérieur, aux pressions de ceux qui voudraient les voir se soustraire à la juridiction de ces cours et tribunaux.
Il pourra certes paraître plus difficile à des dirigeants nationaux de prendre les mesures concrètes que je suggère aujourd’hui que de se contenter de proclamer l’importance de l’état de droit. C’est pourtant en entretenant et en renforçant un solide système de règlement judiciaire international que l’on servira au mieux les intérêts stratégiques à long terme des Etats qui adhèrent à l’état de droit.
Pour conclure, je note que la notion d’état de droit au niveau international ne s’applique pas seulement aux Etats, mais aussi aux organes des organisations internationales, y compris la Cour internationale de Justice. Je ne peux pas demander aux Etats Membres de redoubler d’efforts pour aligner leur conduite sur l’état de droit sans souligner que les cours et tribunaux internationaux doivent eux aussi faire leur part, en statuant sur les différends dont ils sont saisis en toute conscience et impartialité, conformément au droit international et dans les limites de la compétence que leur confère le consentement des Etats. Les juges de la Cour internationale de Justice prennent ces responsabilités au sérieux et sont conscients de l’importance du rôle que leur attribue la Charte dans la poursuite des buts fondamentaux de l’Organisation.
Je vous remercie de votre attention.
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Discours de S. Exc. Joan E. Donoghue, présidente de la Cour internationale de Justice, à l’occasion d’une réunion spéciale du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies sur le thème de la promotion et du renforcement de l’état de droit dans le cadre des activités de maintien de la paix et de la sécurité internationales, et la question particulière de la primauté du droit entre les nations