Exposé contenant les observations des Iles Marshall

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20151015_statement_en
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Incidental Proceedings
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13990

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

OBLIGATIONS RELATIVES À DES NÉGOCIATIONS CONCERNANT LA CESSATION
DE LA COURSE AUX ARMES NUCLÉAIRES ET LE DÉSARMEMENT NUCLÉAIRE

(ILES MARSHALL c. ROYAUME-UNI)

EXPOSÉ CONTENANT LES OBSERVATIONS DES ÎLES MARSHALL SUR LES
EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES SOULEVÉES PAR LE ROYAUME-UNI

15OCTOBRE 2015

[Traduction du Greffe] T ABLE DES MATIÈRES

Page

Introduction........................................................................................................................................ 1

I. L’existence d’un différend............................................................................................................ 1

a) La République des Iles Marshall n’était pas tenue d’informer le Royaume-Uni avant
de déposer sa requête............................................................................................................... 2

b) Rien dans la jurisprudence récente de la Cour ne vient étayer la position du
Royaume-Uni........................................................................................................................... 5

c) Il existe un différend en l’espèce............................................................................................. 9

i) Les griefs formulés par les Iles Marshall............................................................................ 9

ii) L’opposition du Royaume-Uni......................................................................................... 10

iii)L’existence d’un différend................................................................................................ 12

II. Les déclarations faites en vertu de la clause facultative ............................................................. 13

a) Introduction............................................................................................................................ 13

b) Uniquement en ce qui concerne le différend ou aux fins de celui-ci..................................... 14

c) Moins de douze mois............................................................................................................. 16

III. L’exception ratione temporis..................................................................................................... 18

IV. Les tiers absents......................................................................................................................... 24

a) Introduction............................................................................................................................ 24

b) Les motivations des Iles Marshall.......................................................................................... 24

c) Le véritable objet de la requête.............................................................................................. 25

d) Le principe énoncé en l’affaire de l’Or monétaire dans la jurisprudence de la Cour............ 26

e) Le principe énoncé dans l’affaire de l’Or monétaire ne s’applique pas en l’espèce ............. 27

V. La décision sollicitée par la République des Iles Marshall dépasse-t-elle le cadre de la
fonction judiciaire de la Cour ?................................................................................................... 29

a) Aspects juridiques.................................................................................................................. 29

b) Conséquences pratiques de la décision demandée................................................................. 32

VI. Conclusions................................................................................................................................ 35 INTRODUCTION

1. Le 24 avril 2014, la République des Iles Marshall a déposé une requête concernant le
manquement du Royaume-Uni aux obligations qui lui incombent envers elle au titre du traité sur la
non-prolifération des armes nucléaires de 1968 et du droit international coutumier. L’affaire a été
inscrite au rôle de la Cour en tant qu’affaire des Obligations relatives à des négociations
concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire

(Iles Marshall c. Royaume-Uni). Par ordonnance du 16 juin 2014, la Cour a fixé au 16 mars 2015 et
au 16 décembre 2015, respectivement, les dates d’expiration des délais pour le dépôt du mémoire des
Iles Marshall et du contre-mémoire du Royaume-Uni. Le 15 juin 2015, ce dernier a soulevé des
exceptions préliminaires à la requête, priant la Cour «de dire et juger que la demande présentée par
la République des Iles Marshall [était] irrecevable, ou qu’elle n’a[vait] pas compétence pour en
connaître» (par. 114 des exceptions préliminaires du Royaume-Uni). Par ordonnance du
19 juin 2015, la Cour a fixé au 15 octobre 2015 la date d’expiration du délai dans lequel la

République des Iles Marshall pourrait présenter un exposé contenant ses observations sur les
exceptions préliminaires soulevées par le Royaume-Uni. Le présent exposé écrit est déposé
conformément à ladite ordonnance et dans le délai fixé par la Cour.

2. Le Royaume-Uni soulève cinq exceptions, qui sont énoncées au paragraphe 6 du premier
chapitre de ses exceptions préliminaires et répétées, sous forme résumée, au dernier chapitre de

cette pièce. Dans ses quatre premières exceptions, il allègue que la Cour n’a pas compétence ; à
titre subsidiaire, s’agissant de la première (le fait qu’il n’existerait pas de différend entre les Parties)
et de la quatrième (l’absence de certaines tierces parties), il soutient que les demandes des
Iles Marshall ne sont pas recevables. La cinquième exception soulevée par le Royaume-Uni, quant
à elle, semble revêtir un caractère sui generis, puisqu’elle repose sur l’idée que, si elle avait tout de
même compétence et que les demandes présentées par les Iles Marshall étaient bel et bien

recevables, la Cour devrait néanmoins et «en tout état de cause» refuser d’exercer sa compétence.

3. Quoique certaines des exceptions soulevées par le Royaume-Uni puissent avoir une
incidence sur le fond de l’affaire, la République des Iles Marshall répondra tour à tour à chacune
d’elles dans le présent exposé écrit. Elle se réserve cependant le droit de demander à la Cour, dans
le cadre de la procédure orale devant s’ouvrir au mois de mars 2016, de déclarer que les exceptions

en cause n’ont pas, dans les circonstances de l’espèce, un caractère exclusivement préliminaire au
sens de l’article 79 du Règlement et que leur examen sera reporté au stade du fond.

4. Le présent exposé écrit se compose de six chapitres : les cinq premiers sont consacrés aux
différentes exceptions soulevées ; dans le sixième sont énoncées les conclusions de la République
des Iles Marshall, notamment celle tendant à ce que la Cour rejette l’ensemble de ces exceptions.

I. L’EXISTENCE D UN DIFFÉREND

5. Dans ses exceptions préliminaires du 15 juin 2015, le Royaume-Uni soutient que la Cour
n’a pas compétence pour connaître de la présente affaire au motif qu’il n’existe, entre les Parties,
aucun différend susceptible de faire l’objet d’un règlement judiciaire. Il invoque trois arguments
principaux à l’appui de cette thèse. - 2 -

6. En premier lieu, le Royaume-Uni soutient qu’il existe un principe de droit international

coutumier 1elon lequel un Etat qui entend introduire une instance contre un autre Etat doit l’en
informer , ce qui aurait pour conséquence qu’il ne peut exister aucun différend juridique si l’Etat
qui soumet le différend n’a pas porté celui-ci à la connaissance de l’autre. Il allègue que ce
principe est énoncé à l’article 43 des Articles de la Commission du droit international (ci-après la

«CDI») sur la responsabilité de l’Etat et que son existence est confirmée par les instruments
juridiques régissant l’activité d’autres cours et tribunaux internationaux.

7. En second lieu, le Royaume-Uni affirme qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que

celle-ci a souscrit à l’exigence de notification de toute réclamation en tant que condition préalable à
l’existence d’un différend susceptible de faire l’objet d’un règlement judiciaire . Pour étayer son
affirmation, il s’appuie sur les récents arrêts rendus dans les affaires Géorgie c. Russie et Belgique

c. Sénégal.

8. Enfin, le défendeur soutient que les Iles Marshall n’ont pas démontré qu’il existait un
différend entre les Parties à la date du dépôt de leur requête . Plus précisément, les Iles Marshall

n’ont pas notifié leurs griefs au défendeur, ce qui, de l’avis du Royaume4Uni, suffit à empêcher le
différend allégué de pouvoir faire l’objet d’un règlement judiciaire .

9. Nous examinerons tout à tour chacun de ces arguments et montrerons qu’ils sont tout
simplement infondés :

a) il n’existe aucun principe général imposant à un Etat qui entend introduire une instance contre

un autre Etat de notifier son intention à ce dernier ;

b) l’existence d’une condition générale de notification préalable des griefs ou de l’intention
d’engager une procédure n’est pas étayée par la jurisprudence de la Cour, dont il ressort au

contraire que, en fonction des circonstances de l’affaire, la Cour fait preuve de souplesse
lorsqu’elle détermine l’existence d’un différend juridique ;

c) les éléments de preuve sont suffisants pour démontrer que, au moment du dépôt de la requête, il

existait bien un différend concernant le respect par le Royaume-Uni de son obligation de
poursuivre de bonne foi et de mener à terme des négociations conduisant au désarmement
nucléaire dans tous ses aspects, sous un contrôle international strict et efficace.

a) La République des Iles Marshall n’était pas tenue d’informer le Royaume-Uni
avant de déposer sa requête

10. Le Royaume-Uni concède implicitement que, le jour du dépôt de la requête des
Iles Marshall, il contestait en fait (ce qui est encore le cas aujourd’hui) l’intégralité des demandes
des Iles Marshall. Pour nier l’existence d’un différend entre les Parties, il s’appuie donc sur la
prétendue existence d’une exigence de notification préalable. Celle-ci constituerait un principe

coutumier et, partant, serait d’application générale. Le défendeur n’explique pas totalement ce
qu’est, selon lui, le contenu précis de ce principe. Sans établir pour autant une distinction claire, il

1
Exceptions préliminaires du Royaume-Uni (ci-après «EPRU»), p. 14, par. 29.
2Ibid., p. 18, par. 38.

3Ibid., p. 22, par. 46.
4
Ibid., p. 24, par. 53. - 3 -

5
se réfère tantôt à une condition de notification préalable de l’intention d’introdu6re une instance ,
tantôt à une exigence plus large de notification préalable de griefs . Quoi qu’il en soit, la
République des Iles Marshall soutient que le Royaume-Uni n’a pas démontré l’existence d’un tel

principe coutumier et que celle d’une exigence aussi stricte n’est pas étayée par la jurisprudence de
la Cour.

11. Le Royaume-Uni tente de démontrer l’existence d’un principe général de notification
préalable de l’intention d’introduire une instance en s’appuyant sur l’article 43 des Articles de la
CDI sur la responsabilité de l’Etat . Or, une lecture superficielle du libellé de cette disposition

suffit à montrer que celle-ci ne traite absolument pas des conditions auxquelles il doit être satisfait
pour saisir une juridiction internationale d’un différend ; même dans son commentaire, la CDI ne
fait pas la moindre référence à cette question . Il est donc patent que le Royaume-Uni cherche à

mélanger deux questions distinctes aux seules fins de son argumentation, et cette tentative est
vouée à l’échec. La CDI a toujours veillé à préciser que ses Articles n’avaient pas pour fonction
d’énoncer les conditions à remplir pour saisir une cour ou un tribunal international d’un différend.

A cet égard, elle a ainsi précisé ce qui suit : «Les présents articles ne traitent pas des problèmes de
compétence des cours et tribunaux internationaux, ni en général des conditions de recevabilité des
instances introduites devant eux.» 9

12. La notification au sens de l’article 43 n’est pas une condition pour que soit engagée la

responsabilité d’un Etat. Comme l’a souligné la CDI, «l’obligation générale de réparer naît
automatiquement dès la commission d’un fait internationalement illicite et ne dépend pas, en
elle-même, de la formulation d’une exigence ou d’une protestation par un Etat» . Si un Etat lésé

manque de notifier ses griefs au titre de l’article 43, cela peut certes avoir certaines conséquences
au regard du droit de la responsabilité de l’Etat . Cependant, contrairement à ce que semble
avancer le Royaume-Uni, ces conséquences ne présentent guère d’intérêt pour la seule question ici

à l’examen, c’est-à-dire celle de savoir si la notification préalable d’une réclamation constitue une
condition à laquelle il doit être satisfait pour soumettre un différend à la Cour internationale de
Justice. L’article 43 ne traite tout simplement pas de cette question. Il est d’ailleurs significatif

que cette disposition n’exclue pas la possibilité de notifier une réclamation au moyen du dépôt,
devant une juridiction internationale, d’une requête contre l’Etat auteur d’un fait illicite.

13. La Cour ne s’est jamais référée à l’article 43 ni à la règle qui y est énoncée pour
déterminer l’existence d’un différend, ce que le Royaume-Uni ne peut que reconnaître . Le 12

défendeur invoque un prononcé tiré de l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire de Certaines terres à
phosphates à Nauru, mais il est évident que celui-ci ne présente aucun intérêt pour la question à
l’examen, puisqu’il concerne celle, différente, de savoir si le temps écoulé avait rendu irrecevable

5
EPRU, p. 14, par. 29.
6 Ibid., p. 18, par. 38.

7 L’article 43 est ainsi libellé : «1. L’Etat lésé qui invoque la responsabilité d’un autre Etat notifie sa demande à
cet Etat. 2. L’Etat lésé peut préciser notamment : a) Le comportement que devrait adopter l’Etat responsable pour mettre
fin au fait illicite si ce fait continue ; b) La forme que devrait prendre la réparation, conformément aux dispositions de la
deuxième partie.»

8 Annuaire de la Commission du droit international (2001), vol. II, deuxième partie, p. 128 et suiv.
9
Ibid., p. 129.
10
Ibid., p. 97.
11 Ibid., p. 128 («le fait qu’un Etat lésé à qui est notifiée une violation ne réagit pas peut entraîner des
conséquences juridiques, voire éventuellement la perte du droit d’invoquer la responsabilité par renonciation ou

acquiescement»).
12 EPRU, p. 18, par. 38. - 4 -

la requête de Nauru . La question qui se posait en l’affaire de Certaines terres à phosphates à

Nauru était en effet de savoir si la correspondance entre les parties suffisait à réfuter l’allégation
selon laquelle les demandes de Nauru étaient irrecevables au motif que trop de temps s’était écoulé
sans que Nauru ne les présente. Telle n’est pas la question en la présente espèce.

14. Pour tenter de démontrer l’existence d’une condition générale et stricte de notification
préalable de l’intention d’introduire une procédure, le Royaume-Uni se réfère également aux
articles 283 et 286 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (ci-après, la

«CNUDM»), ainsi qu’à d’autres instruments contenant des dispositions similaires. Citant un
extrait de la sentence rendue par le tribunal constitué en application de l’annexe VII de la CNUDM
dans l’affaire opposant Maurice au Royaume-Uni, il soutient que l’article 283 de la CNUDM

«résume un principe salutaire d’application générale», conformément auquel un Etat ne devrait14
«pas être pris totalement par surprise par l’introduction d’une procédure obligatoire» .

15. La tentative du Royaume-Uni pour déduire un principe d’application générale de
l’article 283 de la CNUDM et d’autres dispositions similaires est indéfendable et n’est aucunement
étayée par la jurisprudence des cours et tribunaux internationaux. Dans la sentence rendue en

l’affaire opposant Maurice au Royaume-Uni, il n’est pas fait la moindre allusion à l’éventuelle
existence d’un tel principe général. Le tribunal a ainsi veillé à ne mentionner que le seul
article 283 comme fondement de la condition d’un échange de vues préalable . Contrairement à
ce que soutient le Royaume-Uni, cette disposition énonce une règle spécifique au régime de la

CNUDM. En outre, s’il s’agissait d’une règle générale, il aurait été superflu de l’énoncer dans cet
instrument. Plutôt que de résumer un principe général, l’article 283 établit une exception à la règle.
Ainsi que l’a judicieusement relevé M. le juge Treves, cet article

«constitue une exception au droit international général qui, comme l’a déclaré la CIJ
dans son arrêt relatif à l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le
Cameroun et le Nigéria , ne contient pas de règle selon laquelle l’épuisement des

relations diplomatiques ou le fait même d’entamer des négociations d17lomatiques
serait un préalable à la saisine d’une cour ou d’un tribunal» . (Les italiques sont de
nous.)

16. Comme le sous-entendait M. le juge Treves, la Cour internationale de Justice a toujours
nié l’existence d’une condition générale de notification préalable de l’intention d’introduire une

procédure. Dans l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria
(Cameroun c. Nigéria), elle a ainsi précisé qu’il «n’exist[ait] en droit international aucune
obligation spécifique pour les Etats d’informer les autres Etats parties au Statut qu’ils [avaient]
l’intention de souscrire à la clause facultative ou qu’ils [avaient] souscrit à ladite clause».

13
Voir la citation reproduite dans les EPRU, p. 15, par. 31 (Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru
c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 254-255, par. 36).
14EPRU, p. 17-18, par. 37.

15 Maurice c. Royaume-Uni, sentence du 18 mars 2015, par. 382 http://www.pca-cpa.org/MU-UK
%2020150318%20Awardd4b1.pdf?fil_id=2899.
16
Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 275 et suiv. par. 56.
17Affaire du Navire «Louisa» (Saint-Vincent-et-les-Grenadines c. Royaume d’Espagne), mesures conservatoires,

ordonnance du 23 décembre 2010, TIDM Recueil 2008-2010, p. 89 (opinion dissidente de M. le juge Treves). - 5 -

et que «le Cameroun n’était pas … tenu d’informer le Nigeria de son intention de saisir la Cour» . 18

Cette dernière déclaration, qui suffit à rejeter l’affirmation du Royaume-Uni, reflète la position
bien établie de la Cour, qui

«constate que l’article 60 du Statut, d’après sa teneur, n’exige pas que l’existence de la
contestation se soit manifestée d’une certaine manière, par exemple par des

négociations diplomatiques. Il paraît bien désirable qu’un Etat ne procède pas à une
démarche aussi sérieuse que l’assignation d’un autre Etat devant la Cour, sans avoir
auparavant, dans une mesure raisonnable, tâché d’établir clairement qu’il s’agit d’une

différence de vues qui ne peut être dissipée autrement. Mais, vu la teneur du texte, la
Cour estime ne pas pouvoir exiger que la contestation se soit formellement
manifestée ; à son avis, il doit suffire que les deux gouvernements aient en fait
19
manifesté des opinions opposées quant au sens et à la portée d’un arrêt de la Cour.»
(Les italiques sont de nous).

17. Enfin, on mentionnera l’avis exprimé par M. Rosenne sur cette question : «Ni le droit
international général ni le Statut n’exige du demandeur potentiel qu’il informe le défendeur
potentiel de son intention d’introduire une instance» . 20

b) Rien dans la jurisprudence récente de la Cour ne vient étayer
la position du Royaume-Uni

18. Le Royaume-Uni soutient que la Cour, dans sa jurisprudence récente, a souscrit à la
stricte exigence de notification préalable de toute réclamation en tant que condition préalable à

l’existence d’un différend. Afin d’étayer cette assertion, il se fonde exclusivement sur deu21arrêts,
rendus respectivement dans les affaires Géorgie c. Russie et Belgique c. Sénégal . Ainsi que cela
sera démontré, la Cour n’a toutefois reconnu ni dans l’une ni dans l’autre de ces décisions

l’existence d’une règle générale stricte qui imposerait aux Etats de notifier leurs réclamations aux
défendeurs avant d’introduire une instance devant elle. Au surplus, en s’attachant uniquement à ces
deux arrêts sans tenir compte du contexte des différends qui les sous-tendaient, le Royaume-Uni

s’est livré à un exposé fort sélectif des critères employés par la Cour aux fins de déterminer s’il
existe un différend. Or, un examen plus large et plus minutieux de la jurisprudence de celle-ci
suffit à démontrer que, en prenant en considération le contexte et les circonstances propres à

chaque espèce, la Cour a, en règle générale, abordé cette question avec une grande souplesse.

19. En l’affaire Belgique c. Sénégal, l’unique question que la Cour ait traitée à cet égard était

celle de savoir si le premier avait invoqué un quelconque manquement à des obligations découlant
du droit international coutumier. C’est seulement parce que la Belgique n’avait pas formulé de
réclamation en ce sens — et non parce qu’elle avait omis de la notifier au Sénégal — que la Cour a

jugé que, au moment du dépôt de la requête, il n’existait aucun différend entre les par22es ayant trait
au manquement à des obligations au regard du droit international coutumier . Contrairement à ce

18 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 297, par. 39.

19Interprétation des arrêts n 7 et 8 (usine de Chorzów), arrêt n 11, 1927, C.P.J.I. série A n 13, p. 10-11 ; voir
également Demande en revision et en interprétation de l’arrêt du 24 février 1982 en l’affaire du Plateau continental
(Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 218, par. 46.
20
S. Rosenne, The Law and Practice, 2006, p. 1154.
21
EPRU, p. 18, par. 38.
22 Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt,
C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 444-445, par. 54-55. - 6 -

que prétend le Royaume-Uni, l’arrêt reste muet sur l’existence d’une condition générale de

notification préalable de toute réclamation. En outre, la situation en la présente espèce se distingue
clairement de celle de l’affaire Belgique c. Sénégal, les Iles Marshall ayant formulé leurs
réclamations relatives aux manquements du défendeur aux obligations qui lui incombent en
application du TNP et du droit international coutumier avant de déposer leur requête . 23

20. En l’affaire Géorgie c. Russie, la Cour s’est livrée à une analyse assez approfondie des
documents présentés par les parties en vue d’établir l’existence d’un différend. Cette approche doit

toutefois être replacée dans son contexte. La situation qui sous-tendait l’affaire avait en effet donné
lieu à plusieurs différends entre les parties, et ce, au sujet d’un large éventail de questions . Etant
donné que seul l’article 22 de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de

discrimination raciale (ci-après la «CIEDR») pouvait servir de fondement à la compétence de la
Cour, celle-ci devait établir l’existence d’un différend conformément aux termes de cette
disposition. De plus, contrairement au TNP ou au droit international coutumier, la CIEDR impose

expressément aux parties de prendre certaines mesures d’ordre procédural avant de porter un
différend devant la Cour. Si les éléments qui précèdent expliquent pourquoi celle-ci a examiné
attentivement les nombreux documents et déclarations soumis par les Parties, il n’en demeure pas
moins qu’elle a indiqué avoir appliqué, dans cette affaire, le critère habituel aux fins de déterminer

l’existence d’un différend, critère qui consistait à rechercher si les réclamations formulées par la
Géorgie concernant l’interprétation et à l’application de la CIEDR s’étaient heurtées à l’opposition
manifeste de la Fédération de Russie . En revanche, il n’est fait mention nulle part dans l’arrêt

d’une exigence générale de notification préalable de toute réclamation.

21. Non seulement la Cour n’a jamais — pas même dans ses arrêts les plus récents —

reconnu l’existence de pareille exigence, mais elle a aussi, ainsi que le révèle l’examen de sa
jurisprudence, systématiquement veillé à ne pas fixer des critères trop stricts pour déterminer
l’existence d’un différend, précisant qu’il «s’agi[ssait là] d’une question de fond, et non de
forme» . Aussi convient-il, aux fins d’examiner deux points qui semblent pertinents en la présente

espèce, de garder à l’esprit cette absence de formalisme dans l’approche suivie par la Cour.

22. Le premier point est la possibilité de voir un différend «se cristalliser» par suite de la
formulation, par un Etat, d’une réclamation contre le comportement constant d’un autre Etat,
possibilité que le Royaume-Uni semble contester. Celui-ci allègue en effet que l’Etat contre lequel
une réclamation est dirigée doit en avoir connaissance, et qu’il doit avoir l’occasion d’y répondre . 27

Or, rien dans la jurisprudence de la Cour n’étaye l’argument selon lequel ces conditions devraient
être systématiquement réunies. Bien au contraire, la Cour semble déjà avoir établi l’existence d’un
différend en ne prenant en considération que les réclamations formulées par un Etat contre le

comportement constant d’un autre.

23
Voir ci-après, par. 32-36.
24Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 85, par. 32.

25Ibid.
26
Ibid., p. 84, par. 30.
27
EPRU, p. 21, par. 44. - 7 -

23. En l’affaire du Sud-Ouest africain, la Cour a ainsi indiqué que, pour établir l’existence

d’un différend, il convenait de démontrer «que la réclamation de l’une des parties se heurt[ait] à
l’opposition manifeste de l’autre» . Ce dictum n’exclut en rien la possibilité qu’un différend
découle de la simple formulation, par un Etat, d’une réclamation contre le comportement d’un

autre, comme l’a confirmé le juge Morelli dans l’opinion dont il ajoint l’exposé à ce même arrêt. Le
juge Morelli a ainsi souligné que l’on pouvait également conclure à l’existence d’un différend dans
une situation «où il y a[vait], en premier lieu, une conduite de l’une des parties réalisant l’intérêt de
29
celle-ci ; conduite à laquelle l’autre partie oppos[ait] sa protestation» , ajoutant ce qui suit en
référence à l’affaire dont était alors saisie la Cour :

«Il est bien possible de penser qu’il existe, dans l’espèce, l’un des éléments

constitutifs du différend, élément consistant dans la conduite suivie en fait par
l’Afrique du Sud dans l’exercice du Mandat sur le Sud-Ouest africain. Il faut donc
voir si cet élément s’est combiné avec l’autre élément nécessaire pour qu’un différend

puisse être considéré comme existant, c’est-à-dire avec une attitude opposée de la part
de 1’Ethiopie et du Libéria ou bien de la part de l’un ou de l’autre de ces deux Etats.
Une telle attitude ne pourrait consister que dans une manifestation de volonté : soit
dans une prétention préalable ayant pour objet une conduite de l’Afrique du Sud

contraire à 30lle suivie en fait ; soit dans une protestation subséquente contre une telle
conduite.» (Les italiques sont de nous.)

Le juge Fitzmaurice était du même avis :

«peu importe, comme l’a dit M. Morelli, que la demande vienne d’abord et le rejet
(exprès ou résultant d’un certain comportement) ensuite, ou que le comportement soit

le premier à apparaître et soit suivi d’une plai31e, d’une protestation ou d’une
prétention à laquelle il n’est pas fait droit» .

24. En l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria, la Cour
a précisé qu’

«un désaccord sur un point de droit ou de fait, un conflit, une opposition de thèses

juridiques ou d’intérêts ou le fait que la réclamation de l’une des parties se heurte à
l’opposition manifeste de l’autre ne d[evaient] pas nécessairement être énoncés
expressis verbis. Pour déterminer l’existence d’un différend, il est possible, comme en

d’autres domaine32 d’établir par inférence quelle est en réalité la position ou l’attitude
d’une partie.»

25. Même si la Cour ne l’a pas indiqué expressément, il ressort clairement de ce prononcé
que l’attitude d’une partie peut être déduite de son comportement constant, de sorte qu’un différend

28Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt,

C.I.J. Recueil 1962, p. 328 (et, tout récemment, Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader
(Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 442, par. 46).
29Ibid., p. 567 (opinion dissidente du juge Morelli).

30Ibid., p. 568.
31
Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), C.I.J. Recueil 1963, p. 110 (opinion individuelle du
juge Fitzmaurice).
32 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions
préliminaires, arrêt
, C.I.J. Recueil 1998, p. 315, par. 89 et suiv. - 8 -

se cristallise lorsqu’un autre Etat formule une réclamation ou une protestation contre ce

comportement.

26. Le second point est la question de savoir si l’existence du différend tel que défini dans la
requête pourrait également être démontrée par les positions que les parties ont exposées devant la
Cour. Le Royaume-Uni semble contester cette possibilité et, pour étayer ses vues, renvoie à l’arrêt
33
que celle-ci a rendu en l’affaire Belgique c. Sénégal . La Cour n’a toutefois jamais adopté une
position rigidesur cettequestion.

27. Dans l’ordonnance rendue le 28 mai 2009 en l’affaire Belgique c. Sénégal, il était
indiqué ce qui suit :

«au stade actuel de la procédure il appartient d’abord à la Cour d’établir si, prima
facie, un tel différend existait à la date du dépôt de la requête, puisque, en règle
générale, c’est à cette date que, selon la jurisprudence de la Cour, sa compétence doit
34
s’apprécier» .

28. Dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire Géorgie c. Russie, la Cour a ensuite observé que,
35
«[e]n principe, le différend d[evait] exister au moment où la requête [lui était] soumise» , dictum
que l’on retrouve en l’affaire Belgique c. Sénégal . 36

29. Si le différend doit — du moins «en règle générale» ou «en principe» — exister à la date
du dépôt de la requête, rien ne s’oppose à ce que le comportement ou les vues ultérieurs des parties

soient pris en considération pour déterminer si un différend existait à cette date. De fait, la Cour a 37
souvent tenu compte des échanges de vues intervenus entre les parties en cours d’instance ,
notamment dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le

Cameroun et le Nigéria :

«Le Nigéria est en droit de ne pas avancer, au présent stade de la procédure, des
arguments qu’il considère comme relevant du fond, mais en pareille circonstance la

Cour se trouve dans une situation telle qu’elle ne saurait se refuser à examiner les
conclusions du Cameroun par le motif qu’il n’existerait pas de différend entre les deux
Etats. Du fait de la position prise par le Nigéria, l’étendue exacte de ce différend ne

saurait être déterminée à l’heure actuelle ; un différend n’en existe pas moins entre les

33
EPRU, p. 13, par. 28.
34 Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), mesures
conservatoires, ordonnance du 28 mai 2009, C.I.J. Recueil 2009, p. 148, par. 46.

35 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt.I.J. Recueil 2011 (I), p. 85, par. 30.

36 Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt,
C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 442, par. 46.
37
Voir, notamment, Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria),
C.I.J. Recueil 1998, p316 -317, par. 93 ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 614-615, par. 29 ; Certains biens
(Liechtenstein c. Allemagne), C.I.J. Recueil 2005, p. 19, par. 25. Voir également, en ce qui concerne la détermination
de l’objet du différend, l’affaire relative à l’Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), arrêt,
24 septembre 2015, par. 26. - 9 -

deux Parties, à tout le moins en ce qui concerne les bases juridiques de la frontière, et
38
il appartient à la Cour d’en connaître.»

c) Il existe un différend en l’espèce

30. Contrairement à ce que soutient le Royaume-Uni, il ne fait aucun doute que, au moment
du dépôt de la requête, il existait un différend entre la République des Iles Marshall et le
Royaume-Uni au sujet du respect par celui-ci de l’obligation — que lui imposent tant l’article VI

du TNP que le droit international coutumier — de poursuivre de bonne foi et de mener à terme des
négociations conduisant au désarmement nucléaire dans tous ses aspects, sous un contrôle
international strict et efficace. L’existence de ce différend est attestée par l’attitude opposée des

Parties quant à la question de savoir si le Royaume-Uni a ou non respecté cette obligation. En
témoigne notamment le fait que, alors que le Royaume-Uni n’a cessé de soutenir que son
comportement était parfaitement conforme aux obligations que lui imposent l’article VI du TNP et
le droit international coutumier, les Iles Marshall ont affirmé que, de même que tous les Etats dotés

d’armes nucléaires, il avait manqué à ladite obligation.

31. Dans les paragraphes suivants seront examinées i) la position des Iles Marshall et ii) celle

du Royaume-Uni en ce qui concerne la question qui constitue l’objet du présent différend, afin de
démontrer qu’elles sont opposées ; le fait que iii) les documents que le demandeur a versés au
dossier suffisent amplement à démontrer qu’il existait un différend entre les Parties au moment du

dépôt de la requête.

i) Les griefs formulés par les Iles Marshall

32. Ces dernières années, les Iles Marshall ont maintes fois fait part de leur préoccupation
quant au respect, par l’ensemble des Etats dotés d’armes nucléaires, de leur obligation de

poursuivre de bonne foi des négociations conduisant au désarmement nucléaire. Elles ont en
particulier, dans plusieurs déclarations publiques, exhorté ces Etats à assumer leurs responsabilités
en vue d’un désarmement effectif et sûr. La déclaration faite à cet effet par le ministre des affaires
étrangères de la République des Iles Marshall en 2013, lors de la réunion de haut niveau des
39
Nations Unies sur le désarmement nucléaire, est citée dans le mémoire . Une déclara40on similaire
a été faite par les Iles Marshall à la conférence d’examen du TNP de 2010 . A cette occasion, les
Iles Marshall ont également indiqué qu’elles «ne tolèrer[aient] rien de moins que le strict respect
41
par les Parties des obligations juridiques que leur impose le TNP» .

33. Le Royaume-Uni tente de minimiser l’importance de ces déclarations , qui ne saurait

pourtant être contestée ; celles-ci — qui ont été faites au plus haut niveau et s’adressaient à tous les
Etats dotés d’armes nucléaires — mettent clairement l’accent sur l’obligation juridique pesant sur
lesdits Etats de s’acquitter de leur obligation de poursuivre de bonne foi des négociations
conduisant au désarmement nucléaire. Ces déclarations illustrent la position des Iles Marshall sur

38
Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 317, par. 93.
39Mémoire, p. 43, par. 98.

40 Déclaration de l’ambassadeur, M. Phillip Muller, à la conférence d’examen du TNP de 2010, 6 mai 2010,
http://www.reachingcriticalwill.org/images/documents/Disarmament-fora/n…
MarshallIslands.pdf («Nous exhortons les Etats dotés d’armes nucléaires à intensifier leurs efforts pour assumer leurs
responsabilités en vue d’un désarmement effectif et sûr»).
41
Ibid.
42
EPRU, p. 22, par. 47. - 10 -

cette question. Elles contribuent également à replacer dans leur contexte les initiatives que le
demandeur a prises par la suite.

34. Le 13 février 2014, à la deuxième conférence sur l’impact humanitaire des armes

nucléaires, les Iles Marshall ont expressément et publiquement déclaré qu’elles estimaient que les
Etats dotés d’armes nucléaires ne respectaient pas leur obligation de poursuivre de bonne foi des
négociations conduisant au désarmement nucléaire. Le texte de cette déclaration est reproduit à
l’annexe 72 du mémoire. Il illustre on ne peut plus clairement la teneur du grief formulé par la
République des Iles Marshall. Le comportement visé y est clairement décrit, à savoir le fait que ces

Etats ne se sont pas engagés dans des négociations conduisant à un désarmement nucléaire. Le
fondement juridique du grief formulé à leur égard y est tout aussi clairement indiqué, à savoir
l’obligation juridique qui incombe à chaque Etat en application de l’article VI du traité de
non-prolifération et du droit international coutumier. Bien que le Royaume-Uni ne soit pas
nommément désigné dans cette déclaration, le grief est formulé sans équivoque à l’encontre de tous

les Etats détenteurs d’un arsenal nucléaire, ce qui, de toute évidence, inclut le défendeur.

35. La déclaration du 13 février 2014 constitue une preuve manifeste de l’existence d’un
grief des Iles Marshall ayant trait à l’objet du présent différend. Il est incontestable qu’un grief
peut être formulé dans une déclaration faite dans le cadre d’une conférence internationale. La Cour

s’est fréquemment appuyée sur des décla43tions faites dans des enceintes internationales pour
déterminer l’existence d’un différend . De surcroît, étant donné la teneur de l’obligation en cause
— une obligation de négocier qui concerne l’ensemble des Etats — et la nature de celle-ci — une
obligation erga omnes visant à protéger l’intérêt commun de tous les Etats et, de fait, de l’humanité
tout entière —, la raison pour laquelle les Iles Marshall ont préféré formuler leur grief lors d’une

conférence multilatérale consacrée à l’impact des armes nucléaires plutôt que dans un contexte
bilatéral est tout à fait évidente.

36. Le Royaume-Uni ne semble pas contester que la déclaration du 13 février 2014 réunisse

tous les éléments constitutifs d’un grief. L’exceptio44qu’il soulève porte principalement sur le fait
que le demandeur ne l’a pas informé de ce grief . Toutefois, comme cela a été démontré, les
Iles Marshall n’avaient aucune obligation d’en informer le Royaume-Uni, et une notification
préalable ne constitue une condition nécessaire à l’existence d’un différend.

ii) L’opposition du Royaume-Uni

37. Tout au long de l’exposé de ses exceptions préliminaires, le Royaume-Uni s’efforce de
faire accroire que, non seulement la requête des Iles Marshall l’a pris par surprise, mais que, plus
généralement, il a été surpris par l’affirmation selon laquelle son comportement n’était pas

conforme aux obligations que lui imposent l’article VI du TNP et le droit international coutumier.
Or cette affirmation n’est pas nouvelle. Ces dernières années, le Gouvernement du Royaume-Uni a
en effet été prié à plusieurs reprises d’exprimer ses vues quant à la conformité de son
comportement à son obligation de poursuivre de bonne foi des négociations conduisant au
désarmement nucléaire. Dans des déclarations faites au plus haut niveau politique, il a

systématiquement contesté toute allégation de non-respect de cette obligation.

43
Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 121, par. 118.
44EPRU, p. 23, par. 48. - 11 -

38. En décembre 2005, Rabinder Singh et Christine Chinkin, du cabinet Matrix Chambers,
ont fourni un avis juridique à une organisation non gouvernementale sur la question de savoir si le
remplacement du système Trident constituerait une violation du droit international coutumier et de
45
l’article VI du TNP . Ils ont estimé que cela serait probablement le cas. Au cours d’un débat
parlementaire qui s’est tenu le 27 février 2006, le ministre de la défense, John Reid, a été prié
d’exprimer ses vues sur cet avis. Il a répondu en ces termes :

«Je suis convaincu que la dissuasion nucléaire actuelle est conforme aux
obligations juridiques du gouvernement. Celui-ci veillera à ce que toute décision prise

quant au remplacement du système de dissuasion nucléaire actuel soit elle aussi
pleinement conforme à nos obligations juridiques internationales, y compris celles qui
découlent du traité de non-prolifération.» 46

39. Le 19 octobre 2010, au cours d’un débat parlementaire, le premier ministre,

David Cameron, a été prié d’exposer la position du gouvernement sur la question de savoir si le
remplacement du système nucléaire Trident devrait être considéré comme illicite au regard du
TNP, ce à quoi il a répondu : «[n]os propositions sont conformes à l’esprit et à la lettre du traité de
47
non-prolifération» . Dans une lettre datée du 27 septembre 2013, le ministre de la défense a par
ailleurs estimé que «[l]e renouvellement de [la] dissuasion nucléaire [britannique était] pleinement
conforme aux obligations découlant du traité [c’est-à-dire le TNP]» . Dans une étude publiée par

la Chambre des communes intitulée «The Trident Successor Programme : An Update» [«Mise à
jour relative au programme de remplacement du système Trident»], il est en outre précisé ce qui

suit :

«Les gouvernements successifs ont assuré que le remplacement du système

Trident était compatible avec les obligations que le TNP impose au Royaume-Uni,
affirmant que le traité n’interdisait nullement de moderniser les systèmes d’armement
existants et ne prévoyait pas non plus de calendrier explicite pour procéder au
49
désarmement nucléaire» .

40. Le Royaume-Uni a également soutenu de manière constante que l’approche progressive

du désarmement était la meilleure façon de progresser — et de fait, la seule —, rejetant toute
initiative exigeant que des négociations multilatérales soient engagées . Cette position revient elle

aussi à soutenir que le Royaume-Uni se conforme à l’article VI du TNP.

45
«The Maintenance and Possible Replacement of the Trident Nuclear Missile System», Joint Opinion of
Rabinder Singh QC and Professor Christine Chinkin of Matrix Chambers, 19 décembre 2005
(http://www.acronym.org.uk/docs/0512/doc06.htm).
46
Débat à la Chambre des communes, 27 février 2006, col. 2W (http://www.publications.
parliament.uk/pa/cm200506/cmhansrd/vo060227/text/60227w01.htm#60227w01.html_spnew3).
47 Débat à la Chambre des communes, 16 octobre 2010, col. 814 (http://www.publications.

parliament.uk/pa/cm201011/cmhansrd/cm101019/debtext/101019-0001.htm).
48 Lettre du ministre d’Etat aux forces armées, Andrew Robathan, en date du 27 septembre 2013
(https://www.gov.uk/government/publications/mod-response-about-the-uks-n…).

49 The Trident Successor Programme: An Update, Commons Briefing papers SN06526, 10 mars 2015, p. 14
(http://researchbriefings.parliament.uk/ResearchBriefing/Summary/SN06526…).

50Voir, par exemple, déclaration conjointe de la France, du Royaume-Uni et des Etats-Unis à la réunion de haut
niveau des Nations Unies sur le désarmement nucléaire, 26 septembre 2013, http://www.reachingcriticalwill.org/
images/documents/Disarmament-fora/HLM/26Sep_UKUSFrance.pdf ; mémoire, par. 77. - 12 -

41. Ce bref aperçu de quelques déclarations et autres documents officiels suffit à établir
a) que le Gouvernement du Royaume-Uni sait depuis longtemps qu’il est accusé de manquer, par
son comportement, aux obligations qui lui incombent au regard de l’article VI du TNP et du droit

international coutumier ; b) qu’il a néanmoins continué de se comporter de la même manière ; et
c) qu’il a défendu son comportement en niant systématiquement toute allégation selon laquelle
celui-ci pourrait constituer une violation des obligations que lui imposent le TNP et le droit
international coutumier. Chose importante, ce comportement n’a pas changé à la suite du dépôt de
la requête par les Iles Marshall en la présente affaire ; un simple survol de quelques déclarations
51
formulées dans l’exposé des exceptions préliminaires suffit à le confirmer . C’est dans ce contexte
que l’existence claire d’un différend entre les Iles Marshall et le Royaume-Uni doit être examinée.

iii) L’existence d’un différend

42. Les Iles Marshall soutiennent qu’il est permis de considérer que les conditions de
l’existence d’un différend sont réunies lorsqu’un Etat formule une réclamation ou une protestation
à l’égard du comportement d’un autre Etat. Comme cela a été démontré, cette approche est
conforme aux critères généraux employés par la Cour pour déterminer l’existence d’un différend.

La possibilité de s’appuyer sur le comportement d’une partie et la réclamation ou la protestation
émise par l’autre partie pour démontrer qu’il existe un différend est tout particulièrement justifiée
lorsque l’Etat qui a adopté le comportement en cause a abondamment et clairement fait connaître
qu’il considérait celui-ci comme licite au regard d’un ensemble de règles particulier et que la

réclamation de l’autre Etat vise précisément à s’opposer à cette allégation. En l’espèce, l’existence
d’un désaccord sur un point de droit apparaît d’emblée clairement. Aux fins de démontrer
l’existence d’un différend, il n’est pas nécessaire qu’il ait été répondu à la réclamation.

43. Dans leur déclaration du 13 février 2014, les Iles Marshall ont mentionné sans ambiguïté

le manquement de tous les Etats détenteurs d’arsenaux nucléaires à leur obligation de poursuivre de
bonne foi des négociations conduisant au désarmement nucléaire. Au vu du comportement du
Royaume-Uni et de la position adoptée par la République des Iles Marshall à cet égard, le
demandeur affirme qu’un différend oppose clairement les Parties, au moins depuis la date de cette

déclaration. Ce différend continue d’exister aujourd’hui, ainsi que cela ressort des vues exprimées
par le Royaume-Uni dans ses exceptions préliminaires en ce qui concerne le bien-fondé des griefs
formulés par les Iles Marshall.

44. Quoique, pour les raisons qui viennent d’être exposées, le comportement du défendeur et
la réclamation du demandeur constituent des éléments suffisants pour établir l’existence d’un
différend, les Iles Marshall soutiennent que celle-ci peut être établie même en appliquant les
conditions très strictes avancées par le Royaume-Uni, à savoir que l’Etat dont le comportement fait
l’objet d’une réclamation doit avoir connaissance du grief de l’autre partie de manière à avoir la
52
possibilité d’y répondre . Le Royaume-Uni affirme en effet qu’il n’était pas présent à la
conférence de Nayarit au cours de laquelle la déclaration a été faite, mais pas qu’il n’avait pas
connaissance de cette déclaration avant le dépôt de la requête . De fait, le défendeur ne saurait
prétendre qu’il n’en avait pas connaissance au seul motif qu’il n’était pas présent à la conférence.
La question de savoir si le Royaume-Uni pouvait (ou devait) avoir connaissance de cette

déclaration doit être examinée à la lumière du contexte spécifique dans lequel celle-ci a été faite.

51
EPRU, p. 2-3, par. 4-5.
52Ibid., p. 21, par. 44.

53Ibid., p. 23, par. 48. - 13 -

45. Les conférences sur l’impact humanitaire des armes nucléaires font désormais partie des
plus importantes enceintes multilatérales où sont examinés les risques liés aux armes nucléaires.

S’il est vrai que le Royaume-Uni n’a pas envoyé de représentant à la deuxième conférence qui s’est
tenue à Nayarit, l’importance qu’il attache à cette initiative multilatérale est attestée par le fait que,
quelques mois plus tard, il a activement participé à la troisième conférence qui s’est tenue à
54
Vienne . Près de 150 Etats ont participé à la conférence de Nayarit. Tous les documents y
afférents, y compris les déclarations faites par les Etats, ont été mis à la disposition du public et
peuvent encore être facilement téléchargés sur l’Internet . 55

46. Au vu de ce qui précède, force est de conclure qu’il est raisonnable de considérer que le
Royaume-Uni a eu connaissance de la déclaration faite par les Iles Marshall. Exiger des éléments
de preuve plus rigoureux reviendrait à reconnaître qu’une notification préalable des griefs est

requise. Or il a été démontré que ni le droit international général ni la jurisprudence de la Cour
n’imposent une telle condition.

47. De surcroît, l’existence d’un différend entre les Parties à la présente espèce peut aussi
être confirmée par la position adoptée par le Royaume-Uni en ce qui concerne le bien-fondé des
griefs formulés par les Iles Marshall dans leur déclaration de Nyarit, puis dans leur requête et leur
mémoire. Bien qu’elles soient d’avis qu’il existe suffisamment d’éléments attestant qu’un

différend entre les Parties existait déjà au moment du dépôt de la requête, les Iles Marshall
soutiennent par ailleurs que, à la lumière des circonstances particulières de la présente affaire, la
Cour serait fondée à se reporter aux échanges qu’ont eus les Parties au cours de la présente instance

pour confirmer l’existence de ce différend.

48. Pour les raisons exposées ci-dessus, la République des Iles Marshall conclut qu’il ne fait

aucun doute qu’un différend d’ordre juridique existait au moment où elle a déposé sa requête.

II. LES DÉCLARATIONS FAITES EN VERTU DE LA CLAUSE FACULTATIVE

a) Introduction

49. La République des Iles Marshall convient que la déclaration du Royaume-Uni doit être
interprétée «telle qu’elle se présente», en tenant compte des mots effectivement employés , et 56

considère que toute intention du défendeur à cet égard doit directement découler de sa
formulation .57

50. Le Royaume-Uni «avance deux arguments» censés démontrer que les déclarations faites
par les Parties en vertu de la clause facultative font échec à la compétence de la Cour en l’espèce.
Ni l’un ni l’autre de ces arguments n’est toutefois pertinent, et les accusations catégoriques du

54Voir l’intervention du Royaume-Uni à la conférence de Vienne, 8-9 décembre 2014 (http://www.bmeia.gv.at/

fileadmin/user_upload/Zentrale/Aussenpolitik/Abruestung/HINW14/Statements/HINW14_Statement_UK.pdf).
55http://reachingcriticalwill.org/disarmament-fora/hinw/nayarit-2014/stat….
56
Voir EPRU, par. 77.
57
Voir l’affaire relative à l’Incident aérien du 10 août 1999 (Pakistan c. Inde), C.I.J. Recueil 2000,
p. 31 (par. 44). - 14 -

défendeur selon lesquelles les demandes de la République des Iles Marshall seraient
58
«fallacieu[ses]» ou auraient un «caractère discutable»sont dépourvues de fondement .

b) Uniquement en ce qui concerne le différend ou aux fins de celui-ci

51. Le soussigné Tony de Brum, ministre marshallais des affaires étrangères, assure à la
Cour, en sa qualité de coagent de la République des Iles Marshall, que celle-ci n’a pas déposé sa

déclaration «uniquement en ce qui concerne [le présent] différend» avec le Royaume-Uni «ou aux
fins de celui-ci», et que tel n’a jamais été son objectif. Au-delà de cette assurance  et plus
fondamentalement , le mot «uniquement» employé dans cette réserve joue un rôle décisif aux
59
fins présentes et, même si le Royaume-Uni reconnaît se fonder sur des indices «circonstantiel[s]» ,
la position qu’il défend n’en est pas moins erronée tant d’un point de vue juridique que factuel.

52. A titre liminaire, la République des Iles Marshall observe que le Royaume-Uni convient
que, dans la réserve précitée, le mot «uniquement» modifie l’une et l’autre des expressions «en ce
qui concerne» et «aux fins de» . Or rien dans la déclaration des Iles Marshall ne limite aux fins du

présent différend leur acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour.

53. Non seulement la République des Iles Marshall n’a d’aucune manière procédé à une telle
limitation, mais le fait qu’elle ait introduit des instances distinctes contre l’Inde et le Pakistan
démontre qu’elle n’entendait pas reconnaître la juridiction obligatoire de la Cour uniquement aux
fins du présent différend avec le Royaume-Uni. La République des Iles Marshall n’a pas non plus

dénoncé sa déclaration après l’avoir déposée, pas plus qu’elle ne l’a modifiée ou limitée.

54. De fait, si la Cour devait s’intéresser à la question au-delà de la déclaration du
demandeur — ce qu’elle n’a nul besoin de faire —, elle trouverait nombre d’éléments attestant que,
depuis bien des années, la République des Iles Marshall évoquait publiquement la possibilité de la
saisir d’une instance relative au changement climatique, ce qu’attestent par exemple certains
61
articles de presse citant le ministre de Brum, coagent en la présente espèce . Parmi les
déclarations faites par celui-ci au nom de la République des Iles Marshall et relayées par la presse
figure notamment celle du 5 avril 2013 concernant le changement climatique :

«Nous entendons ainsi remuer ciel et terre pour voir aboutir notre quête de
justice. Et si cela signifie saisir la CIJ — la Cour internationale de Justice —, eh bien,
62
nous n’excluons pas de le faire.»

Ces propos ont été tenus avant que la République des Iles Marshall ne dépose sa déclaration auprès
du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.

58Voir EPRU, par. 60, 62.
59
Ibid., par. 60.
60
Voir ibid., par. 8, point 3), p. 33, et par. 79.
61[Ndt : note de bas de page omise dans l’original.]

62Voir, par exemple, Pacific RISA  Managing Climate Risk in the Pacific, Hawaii Conference on Pacific
Islands Climate Change Featured in ClimateWire [programme régional intégré de la science et de l’évaluation des îles
du Pacifique  Gérer le risque climatique dans l’océan Pacifique, conférence de Hawaii sur le changement climatique
dans les îles du Pacifique couverte par ClimateWire], 9 avril 2013, peut être consulté en anglais sur le site Internet
suivant : http ://www.pacificrisa.org/2013/04/09/hawaii-conference-on-pacific-islands-cli…-
climatewire/. - 15 -

55. De fait, la déclaration précitée cadrait parfaitement avec la décision bien antérieure de la
République des Iles Marshall de compter la saisine de la Cour internationale de Justice au nombre

des possibilités juridiques s’offrant à elle pour faire face à la menace que représente pour ses
citoyens le changement climatique, menace qui va jusqu’à mettre en danger la survie du pays. Dès
le 12 juin 2010, dans un reportage consacré à cette question et intitulé «If seas swallow island state, is
it still a nation?» [«Si les eaux venaient à engloutir un Etat insulaire, s’agirait-il toujours d’une

nation ?»], la NBC précisait ainsi que «[l]e gouvernement marshallais a[vait] pris une première
mesure pour s’attaquer au problème en consultant le Center for Climate Change Law de l’université
Columbia de New York», citant la déclaration ci-après de Mme Dessima Williams, ambassadeur de
Grenade auprès de l’Organisation des Nations Unies et président d’un groupe de petites nations

insulaires :

«certains pays envisagent de recourir à des moyens juridiques, comme par exemple la
saisine de la Cour internationale de Justice ou d’autres enceintes, afin de faire valoir
63
leurs droits, même si cela risque de se révéler pour le moins difficile» .

56. Toujours en 2010, le Service de liaison des Nations Unies avec les organisations non

gouvernementales a annoncé que la mission de la République des Iles Marshall auprès de l’ONU
avait organisé, conjointement avec le Center for Climate Change Law de l’université Columbia, une
conférence à New York intitulée «Threatened Island Nations : Legal Implications of Rising Seas
and Changing Climate» [«Nations insulaires menacées : conséquences juridiques de l’élévation du

niveau des mers et du changement climatique»], qui devait se tenir du 23 au 25 mai 2011. Dans
son compte rendu, le Service de liaison indiquait que, au cours de l’année 2010,

«le Gouvernement de la République des Iles Marshall a[vait] entamé une collaboration

avec M. Michael Gerrard, directeur du Center for Climate Change Law de
l’université Columbia, «en vue d’étudier des moyens créatifs de faire face aux
problèmes juridiques auxquels se heurt[aient] les nations insulaires de faible altitude
dans le cadre de l’élévation du niveau des mers due au changement climatique». En

juillet, le centre en question a[vait] lancé un appel à contributions en perspective de la
conférence de mai 2011, et il évalu[ait] actuellement les soixante-dix-sept propositions
internationales reçues à cette occasion.» 64

57. Ce processus s’est poursuivi en 2012 ; dans le même temps, la possibilité de demander
un avis consultatif à la Cour était sérieusement étudiée . Le 6 février 2012, la station Radio
New Zealand International rapportait ainsi que, «[e]ntre autres Etats, les Palaos et les Iles Marshall
66
appel[aient] à saisir la Cour de la première affaire au monde relative au changement climatique» .

58. L’acceptation, par la République des Iles Marshall, de la juridiction obligatoire de la

Cour est donc l’aboutissement d’un long processus, qui n’est pas lié à la présente instance et ne
saurait tomber sous le coup de la réserve («uniquement en ce qui concerne ledit différend ou aux
fins de celui-ci») dont le Royaume-Uni a assorti sa déclaration.

63
http ://www.nbcnews.com/id/40534684/ns/us_news-environment/t/if-seas-swallow-is….
Vhg1AP1dGcw.
64 https ://unngls.org/index.php/un-ngls_news_archives/2010/730-threatened-island-nations-legalimplications-
of-rising-seas-and-a-changing-climate.

65 Voir, par exemple, http ://blogs.law.columbia.edu/climatechange/2012/09/26/bangladesh-argues-for-
icj-hearing-on-climate-change-damages/.
66
http ://www.radionz.co.nz/international/pacific-news/202370/climate-change-lega…-
compelling-for-international-court-ruling. - 16 -

59. Sur le fond, aucun des faits et moyens juridiques qu’invoque le Royaume-Uni ne vient
étayer l’argument qu’il a avancé au sujet de cette réserve. Plutôt que de renvoyer à la position
exprimée par quelque juridiction, le défendeur se borne à citer une version tronquée de l’un de ses

propres arguments, qu’il avait fo67ulé en l’affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force
(Yougoslavie c. Royaume-Uni) . Il existe toutefois trois grandes différences au moins entre cette
affaire et le présent différend opposant la République des Iles Marshall au Royaume-Uni.
Premièrement, ainsi que le montre la partie omise de l’argument que celui-ci avait présenté en

l’affaire antérieure, le «conseil de la RFY a[vait] expressément déclaré au stade des mesures
conservatoires que l’objectif de la RFY était d’accepter la compétence de la Cour dans le différend
de l’espèce» . Or, la République des Iles Marshall n’a rien indiqué de tel dans sa déclaration.

60. Deuxièmement, en assortissant sa déclaration d’une réserve qui en limitait strictement la
portée temporelle, la RFY entendait «accepter la compétence de la Cour en ce qui concerne l’action
militaire du Royaume-Uni et des autres défendeurs tout en excluant de la compétence de la Cour

[ses propres] actions ... qui avaient provoqué cette action militaire». Autrement dit, s’agissant de
l’action militaire alléguée du Royaume-Uni, la RFY avait accepté la compétence de la Cour
uniquement à l’égard du comportement de celui-ci, et non d’un quelconque élément de son propre
comportement qui l’aurait suscité. Là encore, tel n’est pas le cas de la déclaration de la République

des Iles Marshall. Au surplus, si la RFY avait limité sa déclaration pour une raison bien précise —
à savoir éviter que ses propres actions ne soient examinées —, il n’en va pas de même en l’espèce.
La limite temporelle fixée par la République des Iles Marshall revêt en effet un caractère on ne peut
plus pragmatique, puisqu’elle correspond à la date à laquelle le pays a été admis en tant que

membre souverain à l’Organisation des Nations Unies.

61. Enfin, troisièmement, la RFY avait déposé sa requête trois jours à peine après sa
déclaration, ce qui — ainsi que la Cour l’avait indiqué — était «manifestement» incompatible avec
69
la réserve distincte de douze mois dont le Royaume-Uni avait assorti sa déclaration . La
République des Iles Marshall, quant à elle, a présenté sa requête plus de douze mois après avoir
déposé sa déclaration d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour. En tout état de cause,
la date d’introduction de l’instance ne permet de tirer aucune conclusion quant à la question de

savoir si la République des Iles Marshall accepte la compétence de la Cour «uniquement» aux fins
de la présente espèce.

c) Moins de douze mois

62. Le Royaume-Uni soulève, avant de finalement y renoncer, l’idée que la requête de la
République des Iles Marshall tomberait sous le coup de la réserve excluant de la compétence de la

Cour «[t]out différend à l’égard duquel ... l’acceptation de la juridiction obligatoire de [celle-ci] au
nom d’une autre partie au différend a été déposée ou ratifiée moins de douze mois avant la date du
dépôt de la requête» . Comme l’indique cette volte-face, l’exclusion énoncée dans la déclaration
du défendeur ne prive pas la Cour de sa compétence en l’espèce. Bien que le Royaume-Uni fonde
expressément son exception d’incompétence sur d’autres bases, la République des Iles Marshall

entend, à ce stade, répondre brièvement à l’argument selon lequel elle aurait introduit sa requête
«moins de douze mois» après avoir déposé sa déclaration.

67
Voir EPRU, par. 81.
68Voir l’affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Royaume-Uni), exceptions
préliminaires du Royaume-Uni,20 juin 2000, par. 4.27 (les italiques sont des Iles Marshall).

69Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Royaume-Uni)exceptions préliminaires, ordonnance du
2 juin 1999, C.I.J Recueil 1999 (I), par. 25.
70
Voir EPRU, par. 61-62. - 17 -

63. La réserve du Royaume-Uni vise uniquement à exclure les cas dans lesquels la
juridiction obligatoire de la Cour a été acceptée «moins de» douze mois avant le dépôt d’une

requête. La République des Iles Marshall ayant introduit la sienne le 24 avril 2014, il convient
donc de rechercher si elle a déposé ou ratifié sa déclaration d’acceptation moins de douze mois
avant cette date. La réponse à cette question est bien évidemment négative, puisque la déclaration

en cause a été soumise le 24 avril 2013.

64. La raison d’être de ce que le Royaume-Uni qualifie de «clause de protection d’une durée

de douze mois» est exposée dans l’extrait ci-après du Hansard. Au vu de l’arrêt rendu en l’affaire
du Droit de passage, dans lequel la Cour avait jugé que le Statut ne prescrivait aucun délai entre le
dépôt par un Etat d’une déclaration d’acceptation de sa juridiction et d’une requête , 71
M. Selwyn Lloyd, secrétaire d’Etat aux affaires étrangères du Royaume-Uni, s’était adressé en ces

termes au Parlement :

«Dans sa formulation initiale, notre déclaration [d’acceptation de la juridiction
obligatoire] se contentait, me semble-t-il, de nous contraindre à comparaître devant la

Cour dans des procédures introduites par des Etats ayant déposé une déclaration
d’acceptation équivalente. L’une des nouvelles réserves du Royaume-Uni y apporte
un complément indispensable en excluant spécifiquement les cas où l’autre partie a

accepté la juridiction obligatoire de la Cour aux seules fins d’un différend particulier.
La déclaration exclut également, pour des raisons largement similaires, les cas où
l’autre partie n’a déposé son acceptation permanente de la juridiction de la Cour que
relativement peu de temps, soit moins de douze mois, avant d’engager l’instance
72
devant la Cour.»

65. Cet extrait du Hansard montre donc que la réserve dont le Royaume-Uni a assorti sa

déclaration exclut les cas dans lesquels une partie n’a accepté la juridiction obligatoire que
«relativement peu de temps, soit moins de douze mois, avant d’engager l’instance devant la Cour».

73
66. Toute interprétation «naturelle et raisonnable» , à la lumière de l’arrêt rendu en l’affaire
du Droit de passage et compte tenu de ce que le demandeur a déposé sa déclaration d’acceptation
le 24 avril 2013 , porte à conclure que le fait que celui-ci ait introduit sa requête le 24 avril 2014 ne
saurait faire entrer en jeu la «clause de protection d’une durée de douze mois» dont le

Royaume-Uni a assorti sa déclaration.

67. Que ce soit pour les raisons qui précèdent ou pour d’autres motifs, le Royaume-Uni a

toutefois renoncé à ce moyen en précisant vouloir «fonder» ses exceptions d’incompétence et
d’irrecevabilité sur d’autres arguments, et non sur la simple question technique selon laquelle le
critère d’exclusion des «moins de douze mois» empêcherait la Cour de connaître de la présente

71
Affaire du Droit de passage sur territoire indien, exceptions préliminaires, arrêt du 26 novembre 1957,
C.I.J. Recueil 1957, p. 146-147 :
«Un Etat qui accepte la compétence de la Cour doit prévoir qu’une requête puisse être introduite
contre lui devant la Cour par un nouvel Etat déclarant le jour même où ce dernier dépose une déclaration
d’acceptation entre les mains du Secrétaire général. C’est en effet ce jour-là que le lien consensuel qui

constitue la base de la disposition facultative prend naissance entre les Etats intéressés ... le Statut ne
prescrit aucun délai entre le dépôt par un Etat d’une déclaration d’acceptation et d’une requête.»
72Hansard, débats de la Chambre des communes, 1957, vol. 577, col. 469-568 (les italiques sont de nous).

73Affaire de l’Anglo-Iranian Oil Co., compétence, arrêt du 22 juillet 1952, C.I.J. Recueil 1952, p. 93, 104.
74
Référence : C.N.261.2013.TREATIES-I.4 (Notification dépositaire), peut être consultée sur le site Internet
suivant : https ://treaties.un.org/doc/Publication/CN/2013/CN.261.2013-Frn.pdf. - 18 -

espèce . Il a été bien avisé de le faire, comme de ne pas inclure ce point dans ses conclusions

finales. C’est qu’en effet, il n’y avait là aucune embuscade.

III. L’EXCEPTION RATIONE TEMPORIS

68. Le Royaume-Uni conteste que, le 24 avril 2014, un quelconque différend juridique
l’opposait aux Iles Marshall relativement au sens et à la portée de l’article VI du TNP ou aux

obligations de désarmement nucléaire découlant du droit international coutumier, aux droits
souverains des Iles Marshall en vertu de ces règles et, en particulier, à l’allégation de celles-ci selon
laquelle il manquait à ces obligations. Le Royaume-Uni soutient toutefois paradoxalement que, si

pareil différend juridique existait, il concernerait des faits et situations antérieurs à l’acquisition par
les Iles Marshall de tous droits et obligations juridiques au titre de l’article VI du TNP ou du droit
international coutumier, et donc antérieurs à toute obligation juridique dont le Royaume-Uni est
tenu de s’acquitter à l’égard du demandeur en application de ces mêmes règles. Ainsi que la

République des Iles Marshall le démontrera dans la présente section, cet argument est erroné.

69. Pour l’essentiel, la position du Royaume-Uni peut se résumer comme suit : «les faits
«générateurs» ou qui sont la «cause réelle» du différend allégué sont largement antérieurs au
17 septembre 1991, ce qui prive la Cour de compétence ratione temporis à l’égard du différend
dans son ensemble» . Cette position est fondée sur la déclaration faite par les Iles Marshall en

vertu de la clause facultative, qui limite la juridiction de la Cour aux «différends nés après le
17 septembre 1991, au sujet de situations ou de faits postérieurs à cette date» . 77

70. Dans la présente section, trois dates cruciales doivent être clairement distinguées :

i) le 17 septembre 1991, date à laquelle la République des Iles Marshall est devenue membre

de l’Organisation des Nations Unies, et «date critique» en ce qui concerne la réserve
ratione temporis du demandeur à la compétence de la Cour ; 78

ii) le 30 janvier 1995, date à laquelle la République des Iles Marshall est devenue partie au
TNP, établissant ainsi la relation conventionnelle avec le Royaume-Uni au titre de cet
instrument ; et

iii) le 8 juillet 1996, date de l’avis consultatif de la Cour sur la question de la Licéité de la
menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, qui a clarifié le sens et la portée de l’article VI

75Voir EPRU, par. 62.

76Ibid., par. 75.
77
Le 17 septembre 1991 est la date à laquelle les Iles Marshall sont devenues membre de l’Organisation des
Nations Unies. Il convient de noter que les précédentes déclarations faites par le Royaume-Uni en vertu de la clause
facultative indiquaient la date de l’adhésion du Royaume-Uni à l’Organisation des Nations Unies, soit le 24 octobre 1945,
comme la date critique aux fins de sa réserve ratione temporis. Voir, par exemple, K. R. Simmonds, «The United
Kingdom and the Optional Clause», International and Comparative Law Quarterly, vol. 18 (1969), p. 769.
78
Le Conseil de sécurité n’a pas mis fin à l’accord de tutelle des Nations Unies pour la République des
Iles Marshall avant le 22 décembre 1990. Voir la résolution 683 (1990) du Conseil de sécurité, qui peut être consultée
sur le site Internet suivant : http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/683(1990). Voir également la
résolution 704 (1991) du Conseil de sécurité, dans laquelle celui-ci a recommandé à l’Assemblée générale d’admettre les
Iles Marshall comme membre de l’Organisation des Nations Unies ; cette résolution peut être consultée sur le site
Internet suivant : http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/704(1991). Le président du Conseil de
sécurité a déclaré que la résolution 704 «marqu[ait] l’une des étapes finales du processus qui d[evait] permettre à la
République des Iles Marshall de s’intégrer pleinement à la communauté internationale, processus qui a[vait] reçu une
impulsion décisive lorsque le Conseil de sécurité a[vait] adopté le 22 décembre 1990 la résolution 683 (1990) qui mettait
fin au régime de tutelle pour les îles Marshall». - 19 -

du TNP et reconnu que les obligations relatives aux négociations en matièr79de
désarmement nucléaire relevaient du droit international coutumier .

71. Le Royaume-Uni a développé sa position en formulant les allégations suivantes :
l’hypothétique différend «porte, en réalité, sur le comportement qui aurait été [le sien] à partir du
5 mars 1970, date d’entrée en vigueur du TNP, jusqu’à aujourd’hui» ; «la République des

Iles Marshall soutient qu[’il] s’est, par un comportement de mauvaise foi remontant au moins aux
années 1970 et 1980, rendu coupable d’un manquement continu» ; et, se référant à l’affaire des
Phosphates du Maroc et à celle relative à Certains biens (Liechtenstein c. Allemagne), «la

République des Iles Marshall est dans l’incapacité d’établir que [son] comportement
récent … diffère des positions qui étaient les siennes auparavant, ni qu’il constitue une situation
nouvelle qui s’est fait jour après le 17 septembre 1991» . 82

72. La demande des Iles Marshall n’est pas fondée sur une ligne de conduite remontant à

1970. Les éléments qui ont été passés en revue dans la section II de la requête retracent, à titre de
contexte historique, le développement du programme d’armement nucléaire du Royaume-Uni à
partir des années 1950 et la manière dont cet Etat envisage le désarmement nucléaire depuis les

années 1970 ; ils ont mené aux faits et situations ultérieurs qui sont directement pertinents à l’égard
des droits dont les Iles Marshall peuvent se prévaloir en ce qui concerne l’article VI du TNP et le
droit international coutumier. Comme la Cour permanente l’a précisé dans l’affaire de la

Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie, «un différend peut présupposer l’existence d’une
situation ou d’un fait antérieur, mais il ne s’ensuit pas que le différend s’élève au sujet de cette
situation ou de ce fait» .83

73. Le différend juridique qui oppose les Iles Marshall au Royaume-Uni n’est pas même

fondé sur une ligne de conduite remontant au 17 septembre 1991. Il ressort en effet clairement des
arrêts rendus par la Cour permanente dans l’affaire de la Compagnie d’électricité de Sofia et de
Bulgarie puis par la Cour sur le fond de l’affaire du Droit de passage que les faits ou situations

qui constituent les «faits générateurs» ou sont la «cause réelle» du différend entre les Parties ne se
sont pas fait jour  et n’auraient pas pu se faire jour  avant que les Iles Marshall n’acquièrent
des droits et obligations juridiques au titre de l’article VI du TNP et du droit international

coutumier, et que le Royaume-Uni n’ait, en conséquence, des obligations à l’égard des
Iles Marshall découlant de ces mêmes règles, obligations qui sont clairement nées après le
17 septembre 1991.

74. Dans l’affaire du Droit de passage, la Cour a énoncé le critère fondamental selon lequel

il y a lieu de faire une distinction «entre les situations ou faits qui constituent la source 86s droits
revendiqués par l’une des Parties et les situations ou faits générateurs du différend» . En l’espèce,
il ne fait aucun doute que les droits que revendique la République des Iles Marshall à l’égard du

Royaume-Uni au titre de l’article VI du TNP ne pouvaient exister avant l’adhésion de celle-ci au

79C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 226.
80
EPRU, par. 64.
81
Ibid., par. 65.
82Ibid., par. 72.

83C.P.J.I. série A/B n 77, p. 82.
84
Ibid.
85
Droit de passage sur territoire indien (Portugal c. Inde), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1960, p. 6.
86Ibid., p. 35. - 20 -

traité, et que ceux auxquels elle prétend à l’égard de ce même Etat au titre du droit international
coutumier sont nés avec la règle coutumière en question. Il va de soi que les faits ou situations

susceptibles d’avoir engendré un différend concernant ces droits ne pouvaient se produire qu’après
la naissance de ces derniers. En d’autres termes, l’adhésion du demandeur au TNP et l’émergence
de la règle coutumière ont créé «une nouvelle situation» 87 dans la relation que les Iles Marshall

entretiennent avec le Royaume-Uni, et c’est dans le contexte de cette nouvelle situation que le
présent différend s’est fait jour.

75. Même si le Royaume-Uni est partie au TNP depuis l’entrée en vigueur de celui-ci le
5 mars 1970, il n’avait aucune relation juridique avec les Iles Marshall au regard de ce traité avant
que celles-ci n’y adhèrent. En conséquence, le Royaume-Uni n’avait, en application de cet
instrument, aucune obligation envers le demandeur avant le 30 janvier 1995, date à laquelle celui-ci

est devenu partie au traité. Et, bien évidemment, les Iles Marshall n’avaient aucun droit ni
obligation au titre du TNP avant le 30 janvier 1995.

76. Autrement dit, seul le comportement postérieur à l’adhésion des Iles Marshall au TNP en
janvier 1995 peut constituer le «fait générateur» ou la «cause réelle» du différend juridique qui les
oppose au Royaume-Uni au sujet du sens et de la portée de l’article VI du TNP et de leur allégation
selon laquelle le Royaume-Uni commet une violation de cet article. De même, seul le

comportement postérieur à la naissance de l’obligation de droit international coutumier consistant à
poursuivre de bonne foi des négociations en vue du désarmement nucléaire peut constituer le «fait
générateur» ou la «cause réelle» du différend juridique opposant les Iles Marshall et le

Royaume-Uni au sujet du sens et de la portée de cette obligation, et du manquement à celle-ci, au
regard du droit international coutumier.

88
77. Cette thèse est étayée par l’arrêt que la Cour a rendu en l’affaire Belgique c. Sénégal .
En réponse à l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Sénégal, la Cour a en effet reconnu que la
Belgique n’était en droit d’invoquer que les violations de la convention contre la torture qui
s’étaient produites après la date à laquelle cet Etat était devenu partie à la convention :

«Selon la Cour, la Belgique est en droit de lui demander, à compter du
25 juillet 1999, date à laquelle elle est devenue partie à la convention, de se prononcer
sur le respect par le Sénégal de son obligation au titre du paragraphe 1 de l’article 7.» 89

78. De fait, aux fins de la présente instance, il est une autre date importante, à savoir le
8 juillet 1996, prononcé de l’avis consultatif de la Cour sur la question de la Licéité de la menace
90
ou de l’emploi d’armes nucléaires . La Cour y a précisé la manière dont il fallait interpréter
l’article VI et souligné que celui-ci imposait des obligations juridiques de moyen et de résultat qu’il
convenait de respecter.

87
Certains biens (Liechtenstein c. Allemagne), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 25, par. 49.
88 Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt,
C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 422.

89Ibid., par. 104.
90
C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 226. - 21 -

91 92
79. S’appuyant sur cet avis consultatif dans sa requête comme dans son mémoire , la
République des Iles Marshall a souligné que, s’agissant de l’article VI du TNP, elle s’attachait

«tout particulièrement» au fait que le Royaume-Uni ne respectait pas les prescriptions que la Cour
avait énoncées à l’unanimité en se fondant sur son analyse de la double obligation contenue dans
cette disposition , à savoir qu’«[i]l existe une obligation de poursuivre de bonne foi et de mener à

terme des négociations conduisant au désarmem94t nucléaire dans tous ses aspects, sous un
contrôle international strict et efficace.»

80. De même, les faits ou situations qui constituent les «faits générateurs» ou la «cause
réelle» du différend entre les Iles Marshall et le Royaume-Uni en ce qui concerne les obligations

découlant du droit international coutumier ne sauraient être antérieurs à l’existence de la règle
coutumière en cause, qui a été reconnue le 8 juillet 1996, date de l’avis consultatif dans lequel la
Cour a formulé la conclusion unanime précitée . 95

81. Tant dans leur requête que dans leur mémoire, les Iles Marshall ont indiqué très

clairement que, s’agissant de l’existence de l’obligation de droi96international coutumier et de ses
incidences, l’avis consultatif de la Cour était déterminant .

82. En ce qui concerne le différend relatif à l’article VI du TNP  instrument auquel les
Iles Marshall ont adhéré le 30 janvier 1995  et celui qui porte sur l’obligation de droit

international coutumier reconnue dans l’avis consultatif du 8 juillet 1996, les faits ou situations qui
en sont les «faits générateurs» ou la «cause réelle» sont donc survenus bien après la date critique du
17 septembre 1991, lorsque les Iles Marshall sont devenues membre de l’Organisation des

Nations Unies.

83. En conséquence, l’invocation par le Royaume-Uni de l’affaire des Phosphates du Maroc,
et des affaires relatives à Certains biens et à la Licéité de l’emploi de la force est erronée.

84. Dans l’affaire des Phosphates du Maroc, la Cour permanente avait fondé sa décision sur
le fait que le différend avec l’Italie trouvait son origine dans un acte unique et instantané  à

savoir une mesure législative de 1920  qui ne datait pas de la période pertinente. Une position
juridique adoptée à l’égard de cet acte ne pouvait pas être isolée de la législation . 97

85. En l’espèce, toutefois, les faits et situations qui constituent la cause réelle du présent

différend sont indissociablement liés à l’adhésion de la République des Iles Marshall au TNP le
30 janvier 1995 et à l’avis consultatif du 8 juillet 1996, et ils sont sans rapport avec un quelconque
acte du Royaume-Uni antérieur au 17 septembre 1991 ou à la naissance de certaines obligations

incombant à celui-ci à l’égard des Iles Marshall en application du TNP.

91
Voir, par exemple, paragraphes 2, 84, 85 et 101 de la requête.
92Voir, par exemple, paragraphes 2, 13, 140, 141, 185 et 188 du mémoire.

93Avis consultatif, voir ci-dessus note n 90, par. 100.

94Ibid., par. 105, point 2F.
95
Ibid.
96Voir, par exemple, paragraphes 87 à 89 de la requête et paragraphes 196 à 198 du mémoire.

97Phosphates du Maroc, arrêt, 1938, C.P.J.I. série A/B n 74, p. 25-26. - 22 -

86. Dans l’affaire relative à Certains biens (Liechtenstein c. Allemagne), la Cour a jugé que
le différend était inextricablement lié à la convention de règlement de 1952 et que les décisions
rendues dans les années 1990 par les tribunaux allemands en l’affaire du Tableau de Pieter van
Laer ne pouvaient être dissociées de certains éléments, dont ladite convention. En conséquence,

ces décisi98s ne pouvaient être regardées comme étant à l’origine ou constituant la cause réelle du
différend .

87. En l’espèce, toutefois, même si les demandes formulées au titre du TNP sont

inextricablement liées à cet instrument, qui est entré en vigueur le 5 mars 1970 et auquel le
Royaume-Uni est partie depuis lors, la date critique aux fins de déterminer le «fait générateur» ou
la «cause réelle» du différend juridique entre les Iles Marshall et le Royaume-Uni en ce qui
concerne le comportement de celui-ci au regard de l’article VI ne peut être antérieure au 30 janvier
1995, date à laquelle les Iles Marshall ont adhéré au traité.

88. Pour étayer son affirmation selon laquelle la cause réelle du différend réside dans des
faits ou événements antérieurs au 17 septembre 1991, le Royaume-Uni tente de redéfinir l’objet du
présent différend. Il soutient qu’il est demandé à la Cour de se prononcer sur la licéité d’un

comportement né avant la date critique et qui s’est poursuivi après celle-ci. La stratégie est claire :
en insistant sur l’existence d’un comportement continu, le Royaume-Uni tente de convaincre la
Cour que les faits qui constituent la cause réelle du différend sont survenus avant la date critique du
17 septembre 1991.

89. Le présent différend n’a cependant pas pour objet de savoir si le Royaume-Uni, de par le
comportement qu’il a eu avant la date critique, est l’auteur d’un fait illicite continu. La République
des Iles Marshall ne demande pas à la Cour de dire que le comportement suivi par le Royaume-Uni
avant cette date constituait un manquement à ses obligations envers elle au regard de l’article VI ou

du droit international coutumier. Du reste, elle ne serait pas fondée à présenter pareille demande
car il n’existait aucune relation juridique entre les Parties sur ces questions avant, i) s’agissant de
l’article VI, son adhésion au TNP le 30 janvier 1995 ; et, ii) s’agissant du droit international
coutumier, l’existence des Iles Marshall en tant qu’Etat souverain puis la reconnaissance par la

Cour, dans son avis consultatif, de ce que l’obligation concernant les négociations en matière de
désarmement nucléaire fait partie du droit international coutumier.

90. L’objet du présent différend est de savoir si l’on peut considérer que, au moment du

dépôt de la requête, le comportement du Royaume-Uni constituait un manquement aux obligations
qui incombaient à cet Etat envers les Iles Marshall au regard de l’article VI et du droit international
coutumier. Pour se prononcer sur ce différend, la Cour est fondée à prendre en compte les actes et
le comportement du Royaume-Uni à compter du moment où une relation juridique a été établie
entre les Parties relativement aux questions en cause.

91. De ce point de vue, il n’y a aucune comparaison possible entre le différend soumis par la
Serbie dans l’affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force et celui dont les Iles Marshall ont
saisi la Cour en l’espèce.

98Certains biens (Liechtenstein c. Allemagne), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2005, par. 51.

99Voir, ci-dessus, note n 78. - 23 -

92. Dans l’affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force, relevant que les
bombardements en question avaient débuté le 24 mars 1999, la Cour a jugé que le différend

juridique entre la RFY et les Etats de l’OTAN était né avant la date critique du 25 avril 1999 et que
la RFY ne pouvait soutenir que chaque attaque aérienne100 compris les bombardements postérieurs
à cette date, avait donné lieu à un différend distinct .

93. En l’espèce, cependant  et contrairement à ce qu’affirme le Royaume-Uni , le
différend juridique entre les Parties concerne le sens et la portée de l’article VI du TNP et de
l’obligation de droit international coutumier à l’examen, ainsi que la question de savoir si le
Royaume-Uni viole les droits des Iles Marshall à cet égard, droits que celles-ci ont acquis

respectivement lorsqu’elles ont adhéré au TNP en 1995 (en ce qui concerne l’article VI du TNP) et
lorsque la Cour a rendu son avis consultatif reconnaissant ladite règle coutumière en 1996. Le
différend juridique que les Iles Marshall ont présenté à la Cour ne porte pas sur la question de
savoir si le Royaume-Uni manque à «une obligation continue [lui] incombant … depuis le 5 mars
1970» . Comment pourrait-il en être ainsi alors que le Royaume-Uni n’avait aucune obligation à

l’égard des Iles Marshall au titre du TNP avant le 30 janvier 1995 ?

94. En l’affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force, la Cour, a précisé ce qui suit :

«Considérant que la circonstance que ces bombardements se soient poursuivis
après le 25 avril 1999 et que le différend les concernant ait persisté depuis lors n’est
pas de nature à modifier la date à laquelle le différend avait surgi; que des différends
distincts n’ont pu naître par la suite à l’occasion de chaque attaque aérienne; et qu’à ce

stade de la procédure, la Yougoslavie n’établit pas que des différends nouveaux,
distincts du différend initial, aient surgi entre les Parties après le 25 avril 1999 au
sujet de situations ou de faits postérieurs imputables [au défendeur]…» 102

95. Le fait qu’un différend opposait déjà la Yougoslavie aux défendeurs avant la date
critique a été déterminant pour conduire la Cour à conclure que la poursuite de ce même différend
par des attaques aériennes ultérieures ne permettait pas d’échapper à la réserve ratione temporis.
En l’espèce, en revanche, les Iles Marshall n’avaient aucun différend avec le Royaume-Uni

concernant l’article VI avant leur adhésion au TNP en 1995 et elles ne cherchent à obtenir aucun
jugement déclaratoire et aucune prescription visant le comportement du défendeur au regard de
l’article VI avant cette date. De même, aucun différend n’opposait les Parties quant à l’obligation
de droit international coutumier avant que la Cour n’en reconnaisse l’existence à l’unanimité dans

son avis consultatif. Les Iles Marshall ne sollicitent pas non plus de jugement déclaratoire ou de
prescription visant le comportement du défendeur au regard de cette obligation de droit
international coutumier avant la date dudit avis. Le raisonnement suivi par la Cour dans l’affaire
relative à la Licéité de l’emploi de la force ne fait donc nullement obstacle aux demandes des
Iles Marshall.

96. En conclusion, même si le différend juridique a effectivement trait à des obligations
continues qui incombent au Royaume-Uni à l’égard des Iles Marshall et au manquement continu
de celui-ci à ces obligations à l’égard des Iles Marshall (et non, comme le dit le Royaume-Uni

100
Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Belgique), mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999,
C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 124, par. 29.
101EPRU, par. 74.

102Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Belgique), mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999,
C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 134-135, par. 29 (les italiques sont de nous). - 24 -

dans ses exceptions préliminaires, à «une obligation continue»), les faits ou situations qui en
constituent les «faits générateurs» ou la «cause réelle» se sont produits bien après la date critique

en l’espèce, à savoir le 17 septembre 1991, lorsque les Iles Marshall ont rejoint l’Organisation des
Nations Unies.

IV. L ES TIERS ABSENTS

a) Introduction

97. Dans ses exceptions préliminaires, le Royaume-Uni soutient que la Cour n’a pas
compétence pour connaître de la présente affaire et que les demandes formulées par les Iles
Marshall dans leur requête sont irrecevables car elles «mettent directement et immanquablement en
103
cause les intérêts d’Etats qui ne sont pas parties à l’instance» , invoquant à cet 104rd le principe
énoncé par la Cour dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire de l’Or monétaire .

98. Il sera démontré dans la présente section que cette exception est infondée et qu’elle doit

par conséquent être rejetée. Auparavant, il convient cependant de faire trois observations
liminaires afin de réfuter certaines allégations formulées par le Royaume-Uni à propos de ladite
exception. Ces observations concernent, respectivement, a) les motivations qui auraient conduit les

Iles Marshall à soumettre le présent différend à la Cour ; b) l’objet de la requête des Iles Marshall ;
et c) l’allégation du Royaume-Uni selon laquelle «la Cour considère qu’il n’y a plus lieu de faire —
et ne fait plus — une application stricte du critère de l’«objet même» énoncé en l’affaire de l’Or
monétaire» .105

b) Les motivations des Iles Marshall

99. Le Royaume-Uni soutient que la véritable motivation qui sous-tend le présent différend
est que les Iles Marshall n’ont pas pu obtenir réparation des Etats-Unis à raison des problèmes
sanitaires causés à leur population par les radiations. S’appuyant sur un article de presse prétendant
exposer les vues d’un représentant et d’un ancien responsable politique des Iles Marshall , le 106

Royaume-Uni estime qu’«[i]l n’est donc pas interdit de penser que, à travers l’instance introduite
contre [lui], la République des Iles Marshall manifeste en réalité son ressentiment à l’égard des
Etats-Unis» .107

100. Point n’est besoin pour les Iles Marshall d’examiner cette allégation formulée par le
Royaume-Uni au fond pour démontrer à la Cour qu’elle est tout à fait gratuite. Que la frustration

des représentants des Iles Marshall qui aurait été évoquée dans une coupure de presse soit réelle ou
non, les véritables raisons de la présente procédure sont celles que le demandeur a présentées dans
la requête par laquelle il a introduit cette procédure contre le Royaume-Uni et continue de la mener.
En tout état de cause, il suffit d’observer ici que cette allégation est dépourvue de toute pertinence

aux fins de l’application du principe énoncé dans l’affaire de l’Or monétaire. De fait, le
Royaume-Uni n’a pas même tenté d’exposer les conséquences juridiques que, selon lui, la Cour
devrait tirer de la motivation qui aurait poussé les Iles Marshall à déposer leur requête. Cela n’est
guère surprenant, puisque, ainsi que la Cour a eu l’occasion de le rappeler,

103EPRU, p. 36, par. 83.
104
Ibid., p. 36 et suiv.
105Ibid., p. 45, par. 102.

106Ibid., p. 37, par. 85.
107
Ibid., p. 38, par. 88. - 25 -

«[l]’objet de la saisine de la Cour est le règlement pacifique de tels différends. La
Cour se prononce en droit et n’a pas à s’interroger sur les motivations d’ordre

politique qui peuvent amener un Etat, à un moment d108é ou dans des circonstances
déterminées, à choisir le règlement judiciaire.»

c) Le véritable objet de la requête

101. Le Royaume-Uni cherche à faire accroire que l’objet de la requête des Iles Marshall
n’est pas son comportement, mais celui de tous les Etats dotés d’armes nucléaires. A cette fin, il

formule plusieurs allégations tendant à suggérer que sa position ne peut — aux fins de l’arrêt et des
remèdes sollicités par les Iles Marshall — être distinguée de celle de tous les Etats dotés d’armes
nucléaires. En résumé, il soutient a) qu’il «ne peut mener et encore moins conclure [des]
109
négociations [sur le désarmement nucléaire] à lui seul» ; b) que, puisque seuls les Etats dotés
d’armes nucléaires peuvent prendre des mesures de désarmement nucléaire, les demandes
présentées en l’espèce par les Iles Marshall portent sur les relations qu’il entretient avec l’ensemble
des autres Etats dotés d’armes nucléaires 110; et c) que, comme l’atteste le fait que les Iles Marshall

ont déposé des requêtes contre tous les Etats dotés d’armes nucléaires, ce que le demandeur
cherche en réalité à obtenir de la Cour, c’est «une décision enjoignant aux Etats dotés d’armes
nucléaires d’engager et de conclure des négociations entre eux» . 111

102. Contrairement à ce que soutient le Royaume-Uni, la requête déposée en l’espèce par les
Iles Marshall le vise spécifiquement. Par les termes employés dans sa requête, le demandeur
conteste uniquement le comportement du défendeur, affirmant que, par ce comportement, celui-ci

manque à l’obligation qui lui incombe envers les Iles Marshall au titre de l’article VI du TNP et du
droit international coutumier. Contrairement à ce que prétend le Royaume-Uni, il est tout
simplement faux de dire que le respect de cette obligation exige la participation de tous les Etats

dotés d’armes nucléaires. Il ne fait aucun doute qu’un Etat ne peut à lui seul mener et conclure des
négociations. Néanmoins, si cet Etat a l’obligation de poursuivre de bonne foi et de mener à terme
des négociations conduisant au désarmement nucléaire dans tous ses aspects, sous un contrôle
international strict et efficace — comme c’est indéniablement le cas du Royaume-Uni —, il n’y a

aucune raison de rejeter une demande tendant à obtenir une décision judiciaire sur la question de
savoir si celui-ci se conforme ou non à cette obligation. Le Royaume-Uni a, à tout le moins,
l’obligation de s’employer véritablement à poursuivre de telles négociations de bonne foi, et ce,

quel que soit le comportement des autres Etats dotés d’armes nucléaires. Il existe de nombreuses
enceintes dans lesquelles le Royaume-Uni peut poursuivre des négociations en vue de parvenir à un
désarmement nucléaire total, la grande majorité de la communauté internationale étant favorable à
ce que de telles négociations débutent . 112

103. L’on ne saurait pas non plus considérer que la requête porte uniquement sur les
relations qu’entretient le Royaume-Uni avec l’ensemble des autres Etats dotés d’armes nucléaires.

L’obligation de poursuivre de bonne foi et de mener à terme des négociations conduisant au
désarmement nucléaire s’impose au Royaume-Uni à l’égard de toutes les parties au TNP — et, en

108
Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1988, p. 92, par. 52. Voir également, concernant la distinction entre l’objectif poursuivi par le demandeur
et l’objet du différend soumis par lui, Obligation de négocier un accès à l'océan Pacifique (Bolivie c. Chili), arrêt,
24 septembre 2015, par. 32.
109
EPRU, p. 40, par. 92.
110Ibid., par. 93.

111Ibid., p. 42, par. 97.
112
Voir infra, par. 126. - 26 -

vertu du droit international coutumier, à l’égard de tous les Etats du monde — y compris, bien
entendu, les Iles Marshall . 113 Les réclamations formulées par le demandeur sont fondées
exclusivement sur la relation juridique qu’il entretient avec le Royaume-Uni.

104. Enfin, il est tout simplement faux de dire que, en déposant une requête contre le
Royaume-Uni, les Iles Marshall cherchent en fait à obtenir une décision visant tous les Etats dotés
d’armes nucléaires. Une fois encore, la question soumise à la Cour est celle de savoir si, du fait de
son propre comportement, le Royaume-Uni a manqué à l’obligation que lui imposent le TNP et le

droit international coutumier à l’égard des Iles Marshall. Rien dans la requête ne saurait être
interprété comme une demande faite à la Cour de se prononcer sur la question de savoir si les
autres Etats dotés d’armes nucléaires, qu’ils aient ou non été attraits devant la Cour, ont également
manqué à leurs obligations, ou de prescrire à ces Etats de mener et de conclure des négociations
entre eux.

105. En soutenant que le comportement du Royaume-Uni ne peut être apprécié isolément de
celui des autres Etats dotés d’armes nucléaires et que, partant, le véritable objet de la requête est la
licéité du comportement de l’ensemble de ces Etats, le défendeur avance un argument artificiel

dont le seul objectif est de l’aider à démontrer que les conditions d’application du principe énoncé
en l’affaire de l’Or monétaire sont réunies. Ainsi que cela sera expliqué ci-après, ce principe ne
s’applique pas au présent différend, mais il suffit de relever à ce stade que l’hypothèse sur laquelle
repose l’argument du Royaume-Uni est manifestement erronée. L’obligation erga omnes de

poursuivre de bonne foi des négociations conduisant au désarmement nucléaire s’applique au
Royaume-Uni, comme elle s’applique à chacune des parties au TNP ou, en vertu du droit
international coutumier, à chaque Etat, quel que soit le comportement d’autres Etats à l’égard de
cette même obligation. Autrement dit, le fait que d’autres Etats puissent avoir manqué à
l’obligation de négocier n’exclut pas et ne saurait exclure la possibilité que la Cour examine

indépendamment le point de savoir si le Royaume-Uni se conforme à cette même obligation. Rien
ne porte à croire que cette obligation soit d’une nature telle qu’elle ne saurait être invoquée contre
un seul Etat ou un certain nombre d’entre eux, pas plus que le fait que d’autres Etats puissent avoir
manqué à leur obligation de négocier en vue du désarmement nucléaire n’exclut la possibilité de
demander réparation à un Etat ou de porter la question du respect de cette obligation par cet Etat

devant une juridiction internationale. Comme cela a été observé,

«si la présence de tous les Etats responsables était requise, la nécessité de l’existence
d’un lien juridictionnel entre l’Etat demandeur et l’ensemble des Etats défendeurs

aurait probablement pour con114uence que ces derniers bénéficieraient tous d’une
immunité juridictionnelle» .

d) Le principe énoncé en l’affaire de l’Or monétaire dans la jurisprudence de la Cour

106. Selon le Royaume-Uni, «ainsi que cela ressort de sa jurisprudence, la Cour considère
qu’il n’y a plus lieu de faire  et ne fait plus  une application stricte du critère de l’«objet
même» énoncé en l’affaire de l’Or monétaire» . Loin de constituer une interprétation correcte de
la jurisprudence de la Cour, cette allégation apparaît comme une tentative plutôt poussive de

convaincre la Cour de s’écarter de sa jurisprudence établie.

113
Voir également infra, par. 128.
114G. Gaja, «The Protection of the General Interests in the International Community. General Course on Public
International Law», Recueil des cours, vol. 364 (201[2]), p. 118.

11EPRU, p. 45, par. 102. - 27 -

107. A l’appui de ses propos, le Royaume-Uni invoque tout d’abord les opinions dissidentes

dont certains juges ont joint l’exposé à l’arrêt rendu en l’affaire Nauru, puis laisse entendre que les
conclusions formulées par la Cour en l’affaire du Timor oriental constituent un revirement par
rapport à la position que celle-ci avait précédemment adoptée en l’affaire Nauru. Pareille
allégation est dépourvue de fondement. La situation dans l’affaire du Timor oriental se distinguait

clairement de celle de l’affaire Nauru. Le Royaume-Uni se réfère également à la jurisprudence de
la Cour relative à la protection des intérêts d’Etats tiers dans les différends de délimitation
maritime, mais cela n’est pas pertinent aux fins de déterminer la portée du principe énoncé en

l’affaire de l’Or monétaire en ce qui concerne les différends relatifs à la responsabilité d’un Etat.

108. Dans l’affaire Nicaragua c. Etats-Unis, la Cour a déclaré que «[l]es circonstances de

l’affaire de l’Or monétaire marqu[ai116t vraisemblablement la limite du pouvoir de la Cour de
refuser d’exercer sa juridiction» . Dans l’affaire Nauru, elle a précisé le champ d’application du
principe de l’Or monétaire en en excluant un ensemble de circonstances qui sont manifestement

pertinentes aux fins de la présente espèce. Le critère énoncé en l’affaire Nauru, sur lequel nous 117
reviendrons ultérieurement, a par la suite été constamment confirmé et invoqué par la Cour .
Cette jurisprudence n’étaye pas l’allégation selon laquelle celle-ci aurait assoupli les critères
permettant de déterminer si les intérêts d’Etats tiers constituent l’objet même d’un différend. Dans

l’arrêt qu’elle a très récemment rendu en l’affaire Croatie c. Serbie, la Cour a au contraire limité
l’application du principe énoncé dans l’affaire de l’Or monétaire, en l’excluant lorsque le tiers
concerné est un Etat qui n’existe plus . 118

e) Le principe énoncé dans l’affaire de l’Or monétaire ne s’applique pas en l’espèce

109. Dans l’affaire de l’Or monétaire, la Cour a établi qu’elle ne pouvait exercer sa
compétence si un Etat tiers pouvait être considéré comme ayant un intérêt légitime dans un
différend dont elle était saisie et si cet intérêt juridique «[était] non seulement touché[] par une
décision, mais constitu[ait] l’objet même de ladite décision» . 119 A l’époque, elle s’est ainsi

abstenue d’exercer sa compétence car elle ne pouvait connaître du différend principal entre l’Italie
et le Royaume-Uni sans statuer sur une question préliminaire essentielle ayant trait à la
responsabilité internationale d’un autre Etat, en l’occurrence l’Albanie, qui n’était pas partie à

l’instance. De même, dans l’affaire du Timor oriental, elle a estimé qu’elle ne saurait

«exercer la compétence qu’elle tient des déclarations faites par les Parties
conformément au paragraphe 2 de l’article 36 de son Statut car, pour se prononcer sur

les demandes du Portugal, elle devrait statuer à titre préalable sur la licéité 120
comportement de l’Indonésie en l’absence de consentement de cet Etat» .

116Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),

compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 431, par. 88.
117Voir, par exemple, Timor oriental (Portugal c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt, 30 juin 1995, C.I.J.
Recueil 1995, p. 104-105 ; Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda),
arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 238, par. 203 ; Application de l’accord intérimaire du 13 septembre 1995 (ex-République
yougoslave de Macédoine c. Grèce), arrêt, C.I.J. Recueil 2011, p. 661, par. 43 ; Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), arrêt, 3 février 2015, par. 116.

118Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie),
arrêt, 3 février 2015, par. 116.
119
Affaire de l’or monétaire pris à Rome en 1943 (Italie c. France, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et
d’Irlande du Nord et Etats-Unis d’Amérique), question préliminaire, arrêt du 15 juin 1954, C.I.J. Recueil 1954, p. 32.
120
Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt du 30 juin 1995, C.I.J. Recueil 1995, p. 105, par. 35. - 28 -

110. Dans l’affaire Nauru, la Cour a délimité le champ d’application du principe énoncé en
l’affaire de l’Or monétaire en reconnaissant que ce dernier s’applique uniquement lorsque

l’examen de la responsabilité d’un Etat tiers est une condition préalable à la détermination de la
responsabilité de l’Etat défendeur. Elle a commencé par observer ce qui suit :

«[l]a Cour n’estime pas qu’il ait été démontré qu’une demande formée contre l’un des

trois Etats seulement doive être déclarée irrecevable in limine litis au seul motif
qu’elle soulève des questions relatives à l’administration du Territoire à laquelle
participaient deux autres Etats. En effet, il est indéniable que l’Australie était tenue

d’obligations en vertu de l’accord de tutelle, dans la mesure où elle était l’un des trois
Etats qui constituaient l’autorité administrante, et rien dans la nature de cet accord
n’interdit à la Cour de connaître d’une demande relative à la méconnaissance desdites
obligations par l’Australie.» 121

La Cour a ensuite établi une distinction entre la situation de l’affaire Nauru et celle de l’affaire de
l’Or monétaire :

«[d]ans la présente espèce, la détermination de la responsabilité de la Nouvelle-
Zélande ou du Royaume-Uni n’est pas une condition préalable à la détermination de la
responsabilité de l’Australie, seul objet de la demande de Nauru» , 122

ajoutant que,

«[d]ans la présente affaire, toute décision de la Cour sur l’existence ou le contenu de la
responsabilité que Nauru impute à l’Australie pourrait certes avoir des incidences sur

la situation juridique des deux autres Etats concernés, mais [que] la Cour n’aura[it] pas
à se prononcer sur cette situation juridique pour prendre sa décision sur les griefs
formulés par Nauru contre l’Australie» . 123

111. Le Royaume-Uni tente de se distancier de la conclusion formulée par la Cour en
l’affaire Nauru. Il soutient que, si, dans cette affaire, les réclamations du demandeur portaient

uniquement sur le comportement de l’Australie, celles des Iles Marshall en la présente e124ce
portent sur le comportement de l’ensemble des Etats dotés d’armes nucléaires . Comme cela a
déjà été démontré, cet argument est dépourvu de tout fondement. Par les termes qu’il emploie dans
sa requête, le demandeur conteste uniquement le comportement du défendeur, et non celui de

l’ensemble des Etats dotés d’armes nucléaires. De fait, la position des Iles Marshall est plus solide
encore que celle de Nauru dans l’affaire de Certaines terres à phosphates. Dans cette dernière
affaire, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni étaient conjointement responsables de
125
l’administration de Nauru . En la présente affaire, il n’existe pas, entre le Royaume-Uni et les
autres Etats dotés d’armes nucléaires, de relation juridique analogue ou comparable.

112. Au vu de ce qui précède, il apparaît clairement que, pour déterminer si le principe
énoncé en l’affaire de l’Or monétaire s’applique en l’espèce, la question essentielle est de savoir si
la détermination de la responsabilité d’un Etat tiers, qu’il s’agisse ou non d’un Etat doté d’armes

121 Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 1992, p. 258-259, par. 48.
122
Ibid., p. 261, par. 55.
123Ibid., p. 261-262, par. 55.

124EPRU, par. 94.
125
Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 1992, p. 258, par. 47. - 29 -

nucléaires, est une condition préalable à la détermination de la responsabilité du Royaume-Uni. Le
simple fait de formuler ainsi correctement la question suffit à démontrer que l’exception soulevée
par le Royaume-Uni ne saurait être retenue.

113. Aucune conclusion relative à la situation juridique des autres Etats dotés d’armes
nucléaires n’est requise pour que la Cour puisse rechercher si le défendeur manque aux obligations

que lui imposent l’article VI du TNP et le droit international coutumier à l’égard des Iles Marshall.
Aucun des comportements énumérés au paragraphe 98 des exceptions préliminaires présentées par
le défendeur n’impose de statuer préalablement sur la responsabilité d’un autre Etat . 126 Le
Royaume-Uni invoque par exemple des déclarations qu’il a faites conjointement avec d’autres

Etats dotés d’armes nucléaires. Or, il ressort clairement de l’arrêt rendu en l’affaire Nauru que le
principe énoncé en l’affaire de l’Or monétaire ne s’applique pas lorsque le comportement en cause
peut être attribué simultanément à l’Etat défendeur et à des Etats tiers. En pareil cas, il est permis
de penser qu’une décision de la Cour pourrait peut-être avoir des conséquences sur les autres Etats,

mais non qu’elle nécessite qu’il soit statué, à titre préliminaire, sur la responsabilité de ces Etats.
Le Royaume-Uni mentionne également des accords qu’il a conclus avec d’autres Etats dotés
d’armes nucléaires. Là encore, pour déterminer si, en concluant ces accords, le défendeur a
manqué aux obligations qui lui incombent au titre de l’article VI du TNP et du droit international

coutumier à l’égard des Iles Marshall, la Cour n’a pas besoin de se prononcer, à titre préalable, sur
la licéité du comportement des autres parties auxdits accords. Sur ce point, la situation diffère de
celle de l’affaire du Timor oriental, puisque, dans cette dernière, pour pouvoir examiner la
demande du Portugal, la Cour devait se prononcer sur la licéité de l’entrée de l’Indonésie et du
127
maintien de sa présence sur le territoire du Timor oriental . La même conclusion vaut a fortiori
pour tout comportement où le lien entre la position du Royaume-Uni et celle d’Etats tiers est plus
ténu, voire créé de toutes pièces aux fins de l’argumentation du défendeur.

114. Pour toutes les raisons exposées dans la présente section, les Iles Marshall prient la
Cour de dire et juger que le principe énoncé en l’affaire de l’Or monétaire ne s’applique pas au
présent différend et que, partant, l’exception soulevée par le défendeur doit être rejetée.

V.L A DÉCISION SOLLICITÉE PAR LA R ÉPUBLIQUE DES ILES M ARSHALL
DÉPASSE -T-ELLE LE CADRE DE LA FONCTION JUDICIAIRE DE LA C OUR ?

115. Dans sa cinquième exception préliminaire, le Royaume-Uni affirme que la Cour peut

refuser d’exercer sa compétence en l’espèce et qu’elle devrait le faire, car les demand128de la
République des Iles Marshall n’entrent pas dans le cadre de sa fonction judiciaire . Nous
examinerons tout d’abord certains aspects juridiques de l’argument avancé par le Royaume-Uni,
puis les conséquences pratiques de la décision sollicitée par la République des Iles Marshall.

a) Aspects juridiques

116. Cet argument apparaît en grande partie comme une tentative de reformuler en des

termes légèrement différents celui que le Royaume-Uni a déjà 129senté au sujet de l’absence
d’autres Etats à la procédure, et qui a été examiné plus haut . Il est à présent suggéré que, en

126EPRU, p. 43-44, par. 98.
127
Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt du 30 juin 1995, C.I.J. Recueil 1995, p. 105, par. 34.
128EPRU, partie III D).
129
Voir supra, p. 35-42. - 30 -

130
l’absence d’autres parties, un arrêt ne serait pas «effectivement applicable» . Les Iles Marshall
relèvent cependant que, dans cette version, l’argument du Royaume-Uni consiste semble-t-il à dire
que la Cour devrait exercer une sorte de pouvoir discrétionnaire pour que l’affaire ne se poursuive

pas, même 131celle-ci relève de sa compétence et répond aux critères de recevabilité qu’elle
applique . Cet argument porte donc davantage sur le fait que la Cour ne devrait pas connaître de
l’affaire, plutôt que sur le fait qu’elle ne peut pas le faire. Or, la Cour n’a jamais considéré qu’elle

détenait pareil pouvoir discrétionnaire en matière contentieuse.

117. Il est certes arrivé que la Cour refuse de poursuivre son examen lorsque, selon les
132
termes qu’elle a employés en l’affaire du Cameroun septentrional , elle était dans l’incapacité de
«rendre un arrêt effectivement applicable». Dans cette affaire, l’accord sur lequel le Cameroun
pouvait fonder son argumentation n’existait plus. Celui-ci n’avait pas demandé réparation pour des

violations antérieures de l’accord désormais éteint, et «[t]out arrêt qu[e la Cour] [aurait pu]
prononcer [aurait été] sans objet» . Or, en la présente espèce, la situation est fort différente. Le
TNP est toujours en vigueur, et la décision que sollicitent les Iles Marshall est bel et bien

«effectivement applicable», comme nous l’expliquerons dans la seconde partie de la réponse à la
question à l’examen.

118. Le Royaume-Uni a affirmé «qu[e la Cour] pouvait, dans des cas appropriés, prononcer
un jugement déclaratoire, et que, pour déterminer s’il y avait lieu de le faire, elle examinerait si sa
134
décision demeurerait applicable dans l’avenir ou serait susceptible d’avoir des «conséquences»» .
Les déclarations sollicitées par les Iles Marshall auront effectivement des «conséquences»,
puisqu’elles détermineront ce que le Royaume-Uni devra (éventuellement) faire et s’abstenir de

faire pour se conformer à l’article VI du TNP et au droit international coutumier.

119. Le Royaume-Uni a également soutenu «qu[e la Cour] n’avait pas simplement pour
fonction de fournir une base d’action politique ; lorsqu’elle tranchait un différend au fond, l’une ou
l’autre partie (ou les deux) devait en fait être à même de prendre des mesures visant le passé ou
135
l’avenir, ou de ne pas en prendre, de sorte qu’il y ait exécution de l’arrêt de la Cour» . La
question est donc de savoir si l’effet d’un arrêt serait «simplement … de fournir une base d’action
politique». Tel n’est pas le cas en l’espèce, où le TNP comme le droit international coutumier

fournissent une base d’action juridique.

130 EPRU, par. 104. Dans l’absolu, le Royaume-Uni ne semble pas contester la compétence de la Cour pour

prononcer le type de remède (des déclarations et une prescription) sollicité par les Iles Marshall. Il avance apparemment
l’argument selon lequel, en la présente instance, pareille décision ne produirait pas d’effet et que, partant, la Cour devrait
s’abstenir de statuer. En ce qui concerne, d’une manière générale, le pouvoir de la Cour de prendre des mesures
correctives, celui de rendre des jugements déclaratoires et d’adresser des prescriptions aux parties, il suffit à ce stade de
renvoyer au récent examen de la question en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt du 26 février 2007, C.I.J. Recueil
2007 (I), p. 232-237 et points 5 à 8 du dispositif, et en l’affaire relative à la Chasse à la baleine dans l’Antarctique
(Australie c. Japon ; Nouvelle‑ Zélande (intervenant)), arrêt du 31 mars 2014, C.I.J. Recueil 2014, par. 245 et point 7 du
dispositif.

131EPRU, par. 104 et 112.
132
Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt du 2 décembre 1963,
C.I.J. Recueil 1963, p. 33. La Cour était particulièrement préoccupée, selon ses propres termes, par le «devoir … qui
consiste à sauvegarder sa fonction judiciaire», ibid., p. 38.
133
Ibid., p. 38.
134
EPRU, par. 106, point e).
135Ibid., point g). - 31 -

136
120. Le Royaume-Uni laisse entendre que «[l]es bases de ce principe de l’applicabilité
effective des arrêts ont été posées par la Cour permanente dans la procédure consultative de
l’Interprétation de l’accord gréco-bulgare du 9 décembre 1927 ». Les Iles Marshall ont cherché

en vain dans cet avis les «bases» auxquelles le Royaume-Uni fait référence, et, en particulier
quelque base applicable à la présente instance. Cette procédure n’était pas une affaire contentieuse
mais une demande d’avis consultatif soumise par le Conseil de la Société des Nations. La

compétence de la Cour se limitait donc aux questions formulées par celui-ci.

121. Il avait été demandé à la Cour permanente de se prononcer sur l’existence d’un

différend entre les deux Etats et, dans l’affirmative, de répondre à une question complémentaire.
Ayant répondu par la négative à la première question, la Cour n’a pas examiné la seconde et s’y est
même expressément refusée, malgré une demande spécifique en ce sens de la Grèce et de la
138 139
Bulgarie ; y accéder aurait en effet consisté à ouvrir une procédure consultative à des Etats .
Le cas d’espèce  une affaire contentieuse  est fort différent.

122. De même, l’invocation par le Royaume-Uni des arrêts rendus dans les affaires des
Essais nucléaires 140 n’étaye pas l’argument du défendeur. A l’époque, la majorité de la Cour

(contre une dissidence marquée) a considéré que, la France s’étant engagée, en dehors de l’enceinte
de la Cour, à cesser ses essais atmosphériques, et rien ne laissant supposer qu’elle ne respecterait
pas cet engagement, lesdites affaires étaient devenues sans objet. Il n’existait plus de «différend».
141
Le raisonnement de la Cour était que les déclarations de la France avaient «éliminé le différend»
et que, celui-ci «ayant disparu, la demande … ne comport[ait] plus d’objet» . En la présente2
espèce, en revanche, le différend n’a pas disparu. En outre, rien dans les arrêts relatifs aux Essais

nucléaires ne vient à l’appui de l’opinion du Royaume-Uni selon laquelle la Cour disposerait d’une
manière de pouvoir discrétionnaire résiduel lui permettant de refuser de statuer dans une affaire
contentieuse. La Cour a au contraire déclaré ce qui suit :

«Cela n’est pas à dire que la Cour ait la faculté de choisir parmi les affaires qui
lui sont soumises celles qui lui paraissent se prêter à une décision et de refuser de

statuer sur les autres. L’article 38 du Statut dispose que la mission de la Cour est «de
régler conformément au droit international les différends qui lui sont soumis» ; en
dehors de l’article 38 lui-même, d’autres dispositions du Statut et du Règlement

indiquent aussi que la Cour ne peut exercer sa compétence contentieuse que s’il existe
réellement un différend entre les parties. En n’allant pas plus loin en l’espèce la Cour

136
EPRU, par. 105.
137C.P.J.I. série A/B n 45, p. 68.

138Ibid., p. 87.
139
Ibid.
140
Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt du 20 décembre 1974, C.I.J. Recueil 1974, p. 253, par. 59 ;
Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 457, par. 62.
141 Essais nucléaires (Australie c. France), p. 271, par. 55 ; Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France),
p. 476, par. 58.

142 Essais nucléaires (Australie c. France), p. 271, par. 56 ; Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France),
p. 476, par. 59. - 32 -

ne fait qu’agir conformément à une interprétation correcte de sa fonction
143
judiciaire.»

123. En résumé, les affaires sur lesquelles se fonde le Royaume-Uni ne sont pas pertinentes
en l’espèce et, contrairement à ce que celui-ci avance, n’étayent pas l’existence d’un pouvoir
discrétionnaire de la Cour de ne pas statuer. Si la procédure de l’Interprétation de l’accord gréco-

bulgare du 9 décembre 1927 contenait les bases d’un pouvoir discrétionnaire général, la Cour ne
les a pas développées par la suite. Elle a au contraire nié l’existence d’un tel pouvoir.

b) Conséquences pratiques de la décision demandée

124. Le Royaume-Uni fait valoir que la décision sollicitée par la République des

Iles Marshall «n’aurai[t] aucune conséquence pratique144, partant, ne saurai[t] entrer dans le cadre
de la fonction judiciaire régulière de la Cour» . Bien au contraire, une telle décision exigerait
d’importants changements de comportement de la part du Royaume-Uni, comme nous le

démontrerons ci-après en ce qui concerne la première conclusion de la République des
Iles Marshall, mais cela vaut également pour les autres déclarations sollicitées, ainsi que pour la
prescription que le demandeur prie la Cour d’adresser au défendeur.

125. Dans leur première conclusion, les Iles Marshall

«prie[nt] la Cour de dire et juger a) que le Royaume-Uni a manqué et continue de
manquer aux obligations internationales qui lui incombent en vertu du TNP, et en
particulier de son article VI, en s’abstenant de poursuivre de bonne foi et de mener à

terme des négociations conduisant à un désarmement nucléaire d145 tous ses aspects
effectué sous un contrôle international strict et efficace» .

Ainsi qu’elle l’a exposé dans son mémoire, la République des Iles Marshall affirme que ce
manquement découle en partie de l’opposition du Royaume-Uni à l’ouverture de négociations
multilatérales sur un désarmement nucléaire complet . Si la Cour concluait que le comportement
du Royaume-Uni à cet égard n’était pas conforme à l’article VI du TNP, le défendeur devrait le

modifier pour se mettre en conformité avec cet article. Comme la Cour l’a fait observer, toute
décision de sa part selon laquelle une action n’est pas conforme à une obligation juridique
internationale «entraîne une conséquence juridique, celle de mettre fin à une situation
147
irrégulière» . De même, l’article 30 des articles de la Commission du droit international sur la
responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite 148 dispose que «[l]’Etat responsable du
fait internationalement illicite a l’obligation : a) d’y mettre fin si ce fait continue».

143 Essais nucléaires (Australie c. France), p. 271, par. 57 ; Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France),

p. 477, par. 60. Voir également l’opinion dissidente commune de MM. Onyeama, Dillard, Jiménez de Aréchaga et sir
Humphrey Waldock, Essais nucléaires (Australie c. France), p. 322 ; Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France),
p. 505 («Il n’est pas laissé à [la] discrétion [de la Cour] de choisir les affaires contentieuses sur lesquelles elle statuera ou
ne statuera pas.»).
144EPRU, par. 109.

145Mémoire, par. 239, point a).
146
Ibid., par. 210.
147
Affaire Haya de la Torre (Colombie/Pérou), arrêt du 13 juin 1951, C.I.J. Recueil 1951, p. 82.
148RésolutionA/RES/56/83 de l’Assemblée générale des Nations Unies (28 janvier 2002), annexe. - 33 -

La Cour a déclaré qu’«[elle] ne saurait s’occuper de choisir entre les mesures pratiques
qu’un État peut prendre pour se conformer à un arrêt» . Ce nonobstant, eu égard à l’argument

avancé par le Royaume-Uni, la République des Iles Marshall exposera ci-après les possibilités qui
s’offrent actuellement au défendeur d’agir en conformité avec son obligation de poursuivre des

négociations de bonne foi, afin de démontrer qu’une conclusion de la Cour aurait manifestement
des «conséquences» et serait «effectivement applicable» . 150

126. La «poursuite» de négociations exige tout d’abord qu’un effort soit accompli pour les
151
engager. Ainsi que cela a été précisé dans le mémoire de la République des Iles Marshall , l’un
des sens ordinaires du verbe «poursuivre» est le suivant : «chercher à aboutir à quelque chose ou à
atteindre quelque chose» ; «tenter d’obtenir ou de favoriser, s’employer à la réalisation de quelque
152
chose (circonstance, événement, condition, etc.)» ; «viser à, tendre à» . Selon un autre sens du
terme, une fois ouvertes, les négociations sont «poursuivies». A cet égard, les enceintes

internationales offrent au Royaume-Uni nombres d’occasions de faire un véritable effort pour
contribuer à ce que soient engagées des négociations sur un désarmement nucléaire complet, au
lieu de s’y opposer comme il l’a fait jusqu’à ce jour. Des résolutions appelant à l’ouverture de
153
telles négociations sont examinées chaque année à l’Assemblée générale , et une conférence de
haut niveau des Nations Unies sur le désarmement nucléaire se tiendra au plus tard en 2018 . 154

Lors de la Conférence annuelle du désarmement, des propositions sont formulées puis intégrées
dans le programme de négociations sur un désarmement nucléaire complet . 155 La prochaine

conférence quinquen156e d’examen du TNP aura lieu en 2020, soit cinquante ans après l’entrée en
vigueur du TNP .

127. Faire droit à la première conclusion présentée par la République des Iles Marshall aurait
pour conséquence pratique d’enjoindre au Royaume-Uni de soutenir, d’une manière générale,

149 o
Cameroun septentrional, supra note n 132, p. 37, renvoyant à l’affaire Haya de la Torre. Voir l’affaire Haya
de la Torre, supra note n 147, p. 83. Voir l’affaire du Droit de passage sur territoire indien, fond, supra note n 85,
p. 37 («[L]’exercice journalier du droit de passage tel qu’il est énoncé par le Portugal, avec obligation correspondante à la
charge de l’Inde, peut donner lieu à de délicates questions d’application ; mais cela ne constitue pas, aux yeux de la Cour,
un motif suffisant pour conclure à l’impossibilité d’une reconnaissance judiciaire de ce droit sur la base de l’article 38 (I)

du Statut.»).
150Cameroun septentrional, supra note 132, p. 37.

151Par. 212.

152 «Oxford English Dictionary», peut être consulté à l’adresse suivante : http://www.oed.com/view/Entry/
155076?redirectedFrom=pursue#eid [consulté le 19 août 2015].

153Voir MIM, par. 133, 135 et 136.
154
Ibid., par. 135.
155
Les propositions prennent généralement la forme de positions formulées par les gouvernements lors de la
Conférence du désarmement, parallèlement aux résolutions de l’Assemblée nationale telles que la résolution
A/RES/69/58, citée dans le mémoire, par. 135. En 2015, une proposition relative à un désarmement nucléaire
complet a cependant été incluse dans le «projet de programme de travail pour la session de 2015» soumis par la
présidence mexicaine de la Conférence du désarmement le 10 février 2015, CD/2014,
http://daccess-ods.un.org/TMP/9189333.319664.html, consulté le 11 octobre 2015). Le Royaume-Uni ne soutient pas

ces propositions. Voir l’allocution devant la Conférence du désarmement de la baronne Anelay, ministre des affaires
étrangères et du Commonwealth, 3 mars 2015 http://www.unog.ch/80256EDD006B8954/(httpAssets)/
DFEE253392200C7DC1257DFD005ACEEC/$file/1344+UK.pdf (consultée le 11 octobre 2015). Ainsi que cela
ressort de ce discours, la position adoptée de longue date par le Royaume-Uni est de donner la priorité à des négociations
relatives à un traité sur l’arrêt de la production de matières fissiles (FMCT). Au sujet du FMTC, voir MIM, par. 160 et
note n 257.

156 Au sujet de la conférence d’examen du TNP de 2010, voir MIM, par. 127 et notes n 201 et 202. La
conférence de 2015 n’a pu aboutir à un accord sur un rapport final. Voir le communiqué de presse des Nations Unies

«Consensus Eludes Nuclear Non-Proliferation Treaty Review Conference as Positions Harden on Ways to Free
Middle East of Mass Destruction Weapons», 22 mai 2015, http://www.un.org/press/en/2015/dc3561.doc.htm
(consulté le 11 octobre 2015). - 34 -

l’ouverture de négociations sur le désarmement nucléaire. Bien que cela ne requière pas d’action

particulière, comme de voter en faveur d’une résolution donnée de l’Assemblée générale,
l’orientation générale serait parfaitement claire. De plus, cela exigerait du Royaume-Uni qu’il
participe activement et de bonne foi aux négociations, une fois celles-ci engagées.

128. Contrairement à ce que prétend le Royaume-Uni, les Etats dotés d’armes nucléaires ne
sont pas les seuls acteurs visés par l’article VI et les obligations de droit international coutumier
relatives à la poursuite de bonne foi et à la conclusion de négociations sur le désarmement

nucléaire. En outre, ainsi que cela ressort de manière tout à fait frappante des conférences
humanitaires de ces dernières années, l’élimination des armes nucléaires représente pour
l’ensemble des Etats un enjeu vital et ceux-ci ont une latitude croissante pour agir en ce sens . 157

Les Etats qui ne sont pas dotés de pareilles armes sont assurément disposés à participer aux
négociations, et ils l’ont montré à maintes occasions.

158
129. L’affirmation du Royaume-Uni selon laquelle la participation aux négociations de
tous les Etats possédant des arsenaux nucléaires serait nécessaire est, elle aussi, erronée. Les
négociations pourraient commencer avec la participation de certaines puissances nucléaires, voire

une seule, d’autres ayant la possibilité de s’y joindre ultérieurement. De même, il pourrait être
prévu dans un traité sur le désarmement nucléaire que celui-ci n’entrera en vigueur que lorsque
certains Etats l’auront ratifié 159 ou de subordonner le respect de certaines obligations par les
premiers participants à l’adhésion ultérieure d’autres Etats. Il convient également de rappeler que

le Royaume-Uni pourrait satisfaire à l’obligation de «poursuite» des négociations, au sens où il
«s’emploierait à ce que celles-ci soient engagées», indépendamment de la position d’autres Etats
dotés d’armes nucléaires.

130. Par sa première conclusion, la République des Iles Marshall cherche à obtenir un
jugement déclaratoire ayant à l’avenir des effets à la fois pratiques et juridiques. Cela vaut

également pour ses autres conclusions. Les constatations judiciaires sont une forme courante de
décision, et elles sont souvent considérées comme constituant en elles-mêmes un remède
suffisant . Le détail de pareilles constatations relève du fond, mais il peut parfaitement être fait

droit à une demande de jugement déclaratoire. Il en va de même de la prescription sollicitée par le
demandeur, dont le détail peut être examiné au stade du fond. L’objection soulevée par le
Royaume-Uni selon laquelle les demandes de la République des Iles Marshall n’entrent pas dans le
cadre de la fonction judiciaire de la Cour est totalement infondée et devrait être rejetée.

157En témoigne l’engagement humanitaire proposé par l’Autriche. Depuis le 7 octobre 2015, cet engagement a
été approuvé ou soutenu par 119 pays. Il se lit notamment comme suit : «[Nous demandons] à tous les États parties au
TNP [de] réaffirmer leur engagement en faveur de la mise en œuvre intégrale, dans les meilleurs délais, des obligations
que leur impose l’article VI du Traité et, à cette fin, [de] recenser les mesures efficaces propres à combler le vide
juridique eu égard à l’interdiction et à l’élimination des armes nucléaires…» Voir www.hinw14vienna.at (consulté le
9 octobre 2015).

158EPRU, par. 110.
159
L’article XIV du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires dispose que celui-ci doit être ratifié par
les 44 Etats indiqués à l’annexe 2 pour entrer en vigueur. Voir http://ctbto.org/fileadmin/content/treaty/treaty_text.pdf
(consulté le 11 octobre 2015).
160Voir, par exemple, l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du
o
crime de génocide, supra note n 130. - 35 -

VI. C ONCLUSIONS

131. Considérant l’exposé qui précède, la République des Iles Marshall prie la Cour :

 de rejeter les exceptions préliminaires soulevées par le Royaume-Uni ; et

 de dire et juger :

i) qu’elle a compétence pour connaître des demandes présentées par les Iles Marshall ; et

ii) que lesdites demandes sont recevables.

Fait le 15 octobre 2015

Le coagent de la République des Iles Marshall
devant la Cour internationale de Justice,

(Signé) M. Tony A. DE BRUM .

Le coagent de la République des Iles Marshall
devant la Cour internationale de Justice,

(Signé) M. Phon van den Biesen.

___________

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Exposé contenant les observations des Iles Marshall

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