Exposé écrit de l'Irlande (traduction du Greffe)

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Lettre en date du 17 avril 2009 adressée au greffier par le chargé d’affaires ad interim de

l’ambassade d’Irlande auprès du Royaume des Pays-Bas

[Traduction]

J’ai l’honneur de transmettre à la Cour inte rnationale de Justice l’exposé écrit de l’Irlande

sur la question de la Conformité au droit international de la déclaration unilatérale
d’indépendance des institutions provis oires d’administration autonome du Kosovo , dont elle
voudra bien trouver ci-joint trente exemplaires imprimés et une version électronique sur CD-ROM,

accompagnés d’une lettre de M. James Kingston.

L’ambassade fera parvenir à la Cour les ex emplaires originaux de l’exposé dès qu’elle les
aura reçus des autorités compétentes de Dublin.

Veuillez agréer, etc.

___________ - 2 -

Lettre en date du 17 avril 2009 adressée au greffier par le conseiller juridique

en exercice de l’Irlande

[Traduction]

Me référant à votre lettre circulaire du 10 oc tobre 2008, dans laquelle il était indiqué que le

Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies avait informé la Cour de l’adoption par
l’Assemblée générale, le 8octobre2008, de la résolution63/3 pour la prier de rendre un avis
consultatif sur la question de la Conformité au droit international de la déclaration unilatérale

d’indépendance des institutions provisoires d’administration autonome du Kosovo, ainsi qu’à votre
lettre circulaire du 20 octobre 2008 relative au dépô t d’exposés écrits en la matière, j’ai l’honneur
de vous faire tenir ci-joint trente exemplaires de l’exposé écrit de l’Irlande, accompagnés d’une
version électronique sur CD-ROM.

Veuillez agréer, etc.

___________ E XPOSÉ ÉCRIT DU G OUVERNEMENT IRLANDAIS

[Traduction]

I. Introduction

1. Le 8octobre2008, par sa résolution63/3 (A/63/L.2), l’Assemblée générale des
Nations Unies a demandé à la Cour internationale de Justice de rendre, conformément à l’article 65
de son Statut, un avis consultatif sur la question suivante :

«La déclaration unilatérale d’indépendance des institutions provisoires
d’administration autonome du Kosovo est-elle conforme au droit international ?»

2. La résolution 63/3 de l’Assemblée généra le a été approuvée par 77voix contre6, avec
74 abstentions (dont celle de l’Irlande).

3. L’Irlande soumet le présent exposé écrit en application du paragraphe 2 de l’article 66 du

Statut et de l’ordonnance de la Cour datée du 17octobre2008, dans laquelle l’Organisation des
Nations Unies et ses Etats Membres sont déclarés susceptibles de fournir des renseignements sur la
question.

II. Contexte factuel et position de l’Irlande

4. Le 17 février 2008, l’Assemblée du Kosovo a adopté une résolution dans laquelle celui-ci
était déclaré être «une république démocratique, laïque et multiethnique, guidée par les principes de
1
non-discrimination et de protection égale devant la loi» . Elle s’est engagée à mettre en Œuvre les
obligations énoncées dans la proposition globale de règlement portant statut du Kosovo (la
«proposition Ahtisaari») , en mettant l’accent sur «celles qui protègent et promeuvent les droits des

communautés et de leurs membres».

5. Le 28févriersuivant, l’Irlande a rec onnu l’indépendance de la République du Kosovo.

Elle l’a fait après avoir longuement et soigneus ement pesé les facteurs politiques et juridiques
complexes entrant en ligne de compte.

6. En annonçant la reconnaissance du Kosovo par l’Irlande, le ministre des affaires
étrangères a évoqué certains éléments qui, à ses yeux, faisaient du Kosovo un cas unique. Ainsi

a-t-il déclaré :

«Nous déplorons que des années de né gociations n’aient débouché sur aucun

accord entre Belgrade et Pristina. La réalité est que la situation héritée du conflit de la
fin des années1990 a rendu le retour du Koso vo sous la tutelle serbe inconcevable,
balayant également tout espoir de parvenir au compromis longtemps recherché. Après

1Déclaration d’indépendance du Kosovo, 17février2008, dot le texte anglais peut êt re consulté à l’adresse
suivante : http://www.assembly-kosova.org/common/docs/declaration_independence.pdf (pour la version française, voir
le dossier de documents présentés par le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, pièce n

2Rapport en date du 26mars2007 établi par l’envoyé spécial du Secrétaire géné ral de l’Organisation des
NationsUnies sur le statut futur du Kosovo, contenant une proposition globale de règlement portant statut du Kosovo.
Nations Unies, doc. S/2007/168, http://www.un.org/french/documents/view_doc.asp?symbol=S/2007/168&Submi…
Recherche&Lang=F . - 2 -

près de neuf ans passés sous une administration provisoire dirigée par les
NationsUnies, plus de quatre-vingt-dix pour cent de la population kosovare veut
l’indépendance, une solution qui a également la faveur de la plupart de nos partenaires

européens, dont beaucoup ont déjà reconnu le Kosovo.

L’Irlande a vigoureusement appuyé la proposition formulée l’an dernier par

l’envoyé spécial du Secrétaire général de l’Organisation des NationsUnies pour le
Kosovo, qui n’est autre que l’ancien président finlandais MarttiAhtisaari, lequel a
recommandé pour le Kosovo une indépendance encadrée par la communauté

internationale. Cette proposition contenait des dispositions détaillées concernant la
promotion et la protection des droits des communautés et de leurs membres. Je me
félicite que le Kosovo se soit engagé à mettre pleinement en Œuvre les
3
recommandations de M. Ahtisaari.» [Traduction du Greffe.]

III. Teneur du présent exposé

7. L’Irlande invite respectueusement la Cour à songer à ce qui suit lorsqu’elle examinera la
requête de l’Assemblée générale pour avis consultatif en la matière :

a) la Cour devrait faire usage de son pouvoir discrétionnaire pour refuser de rendre l’avis
consultatif demandé ;

b) à titre complémentaire ou subsidiaire, si elle ne décline pas sa compétence, elle devrait confiner
strictement son avis à la licéité de la déclaration unilatérale d’indépendance ;

c) la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo n’était pas illicite puisque le droit
international n’interdit pas de telles déclarations ;

d) à titre complémentaire ou subsidiaire, la d éclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo
n’était pas illicite puisqu’elle constituait un acte d’autodétermination face à des violations
graves ou fondamentales des droits de l’homme.

A. La Cour devrait faire usage de son pou voir discrétionnaire pour refuser de rendre l’avis

consultatif demandé

8. L’Irlande convient que la question posée à la Cour est une «question juridique» au sens de

l’article 96 de la Charte et de l’article 65 du Stat ut4 puisqu’elle est «libellé[e] en termes juridiques
et soulèv[e] des problèmes de droit international» . De plus, l’Irlande ne demande pas à la Cour de
déterminer si l’article10 de la Charte 5confère bien compétence à l’Assemblée générale dans ce

domaine.

9. Si elle ne conteste pas sa compétence et sa juridiction en la matière, l’Irlande exhorte
toutefois respectueusement la Cour à exercer s on pouvoir discrétionnaire pour refuser de rendre
l’avis demandé.

3Déclaration faite le 29février2008 par le ministre de s affaires étrangères, T.D. Dermot Ahern, pour annoncer

la reconnaissance par l’Irlande de la République du Kosovo.
4 Sahara occidental, avis consultatif , C.I.J. Recueil 1975, p.18, par.15, citLicéité de l’utilisation des
armes nucléaires par un Etat dansun conflit armé, avis consultatif , C.I.J. Recueil 1996, p. 73, par. 15 ; Licéité de la
menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 233, par. 13

5Ledit article confère à l’Assemblée générale une compétence à l’égard de toute question ou affaire entrant dans
les prévisions de la Charte. - 3 -

10. La Cour n’a certes encore jamais refusé de rendre un avis consultatif, mais elle n’a
jamais manqué de confirmer que son Statut lui la issait toute latitude pour décider de rendre ou non
6
l’avis demandé, une fois sa compétence établie pour ce faire . Elle dispose en effet d’un «pouvoir
discrétionnaire de refuser de donner un avis consultatif même lorsque les conditions pour qu’elle
7
soit compétente sont remplies» . Bien que, de manière générale ou en principe, un avis ne doive
pas être refusé, des «raisons décisives» peuvent tout de même conduire la Cour à s’abstenir de
rendre l’avis demandé —des raisons qui, de l’avis de l’Irl ande, existent effectivement dans la

présente affaire.

11. La Cour a déclaré que sa fonction consultative consistait à rendre un avis fondé en droit
«dès lors qu’elle a abouti à la conclusion que les questions qui lui sont posées sont pertinentes,

qu’elles ont un effet 9ratique à l’heure actuelle et que par conséquent elles ne sont pas dépourvues
d’objet ou de but» . La Cour se gardera de «substituer sa pr opre appréciation de l’utilité de l’avis
demandé à celle de l’organe qui le sollicite» 10, que l’avis consultatif visera au contraire à éclairer
11
sur le droit nécessaire à son action ou au bon exercice de ses fonctions .

12. L’Irlande est d’avis que la Cour ne devr ait donner son avis que lorsque celui-ci se révèle
nécessaire pour permettre à l’organe requérant de poursuivre ses travaux en sachant son action
12
conforme au droit international . Du point de vue de l’Irlande, cette considération devrait guider
la Cour dans sa décision d’exercer ou non, dans tel ou tel cas, son pouvoir discrétionnaire en
refusant de rendre un avis consultatif. Le statut du Kosovo n’est pas une question dont

l’Assemblée générale des Nations Unies est saisie à l’heure actue lle, et pour laquelle elle aurait
besoin d’éclaircissements juridiqu es afin de s’acquitter de ses fo nctions. C’est le Conseil de

sécurité de l’Organisation des Nations Unies qui est «activement saisi» de la question et, d’après sa
résolution 1244 (1999), c’est à lui que le Secrétaire général de l’Organisation doit rendre compte de
la mise en Œuvre de cette résolution 13. Non qu’elle conteste sa compétence formelle mais, à la

lumière de ces éléments—et en l’absence d’une demande d’avis consultatif émanant du Conseil
de sécurité—, l’Irlande considère que la Cour non seulement peut mais, surtout, doit exercer son

pouvoir discrétionnaire en ne rendant pas l’avis demandé dans le cas présent.

6Voir, par exemple, Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, supra, par. 14.
7
Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 2004, p. 156, par. 44.
8
Voir, par exemple, ibid., supra, par. 44.
9
Sahara occidental, supra, par. 73.
10Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, supra, par. 62 ; Licéité
de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, supra, par. 15.

11Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, supra, par. 50 :

«L’objet de la requête dont la Cour est saisieest d’obtenir de celle-c i un avis que l’Assemblée
générale estime utile pour exercer comme il convient ses fonctions. L’avis es t demandé à l’égard d’une
question qui intéresse tout particulièrement les Nations Unies, et qui s’insc rit dans un cadre bien plus

large que celui d’un différend bilatéra l. Dans ces conditions, la Cour estime que rendre un avis n’aurait
pas pour effet de tourner le principe du consentement au règlement judiciaire et qu’elle ne saurait dès lors,
dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, refuser de donner un avis pour ce motif.»

Voir également Licéité de la menace ou de l’em ploi d’armes nucléaires, supra , par.15: «La finalité de la
fonction consultative n’est pas de régler — du moins pas directement — des différends entre Etats, mais de donner des
conseils d’ordre juridique aux organes et institutions qui en font la demande.»
12
«Pour la Cour, son rôle en donnant son avis est de permettre à l’organe qui le sollicite de poursuivre ses travaux
en sachant son action conforme au droit international», Rosalyn Higgins, Problems and Process: International Law and
How We Use It (1994), p. 198.
13
Résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité de l’Or ganisation des Nations Unie s, adoptée le 10juin1999,
Nations Unies, doc. S/RES/1244 (1999), par. 20 et 21. - 4 -

B. Si elle ne décline pas sa compétence, la Cour devrait confiner strictement son avis à la
licéité de la déclaration unilatérale d’indépendance

13. La question posée à la Cour dans la résolution 63/3 de l’Assemblée générale est: «La
déclaration unilatérale d’indépendance des institu tions provisoires d’administration autonome du
Kosovo est-elle conforme au droit international ?» L’Irlande pense que, si la Cour devait consentir

à donner un avis consultatif, elle devrait se borner à cette seule question-là.

14. Dans son opinion individuelle sur l’Edification d’un mur, le juge Owada a indiqué que la
Cour devait songer à l’opportunité judiciaire non seulement pour répondre à la question de savoir si
elle devait accéder à la demande d’avis cons ultatif, mais également pour déterminer comment
14
exercer cette compétence . A ses yeux, le «critère déterminant de l’opportunité judiciaire doit être
pour la Cour de s’assurer que répondre sous la form e d’un avis consultatif relatif à l’objet de la
requête ne revient pas à statuer sur l’objet même du différend bilatéral qui existe incontestablement
15
à l’heure actuelle» . Partant, si le fait que l’affaire «se rattache aussi à un différend bilatéral» ne
doit pas en lui-même empêcher la Cour d’exercer sa compétence, ce fait va tout de même

«infléchir l’ensemble de la procédure su ivie par la Cour en l’espèce; en d’autres
termes, dans cette procédur e consultative, la Cour doit avant tout s’attacher à
présenter, certes, les conclusions en droit qu’elle aura objectivement tirées, mais dans

la stricte mesure du nécessaire et d’une manière qui soit utile à l’organe qui l’a saisie,
à savoir l’Assemblée générale, permettant à celui-ci de s’acquitter de ses fonctions
relativement à la situation qui est à l’origine de la demande, et s’abstenir de statuer sur
16
l’objet du différend entre les parties concernées» .

15. Cette approche est conforme à l’objet même des avis consultatifs, à savoir que :

«L’Assemblée générale n’a pas eu pour but de porter devant la Cour, sous la

forme d’une requête pour avis consultatif, un différend ou une controverse juridique,
afin d’exercer plus tard, sur la base de l’avis rendu par la Cour, ses pouvoirs et ses
fonctions en vue de régler pacifiquement ce différend ou cette controverse. L’objet de

la requête est tout autre: il s’agit d’ obtenir de la Cour un avis consultatif que
l’Assemblée générale estime utile pour pouvoir exercer comme il convient ses
fonctions.» 17

14
Conséquences juridiques de l’édification d’un mu r dans le territoire pales tinien occupé, supra, opinion
individuelle du juge Owada, par. 10 :

«Si l’existence d’un différend bilatéral ne doidonc pas lui interdire d’ exercer sa compétence
dans les procédures consultatives au nom de l’opportunité judiciaire, j’estime toutefois que la Cour doit
tenir compte de l’existence éventuelle d’un différend bilatéral pour apprécier jusqu’à quel point elle doit
exercer sa compétence dans ces procé dures consultatives et de quel le manière elle doit le faire .» (Les
italiques sont de nous.)

De même, au paragraphe 2 :

«pour apprécier non seulement si elle est fondée en droit à exercer sa compétence en tant qu’organe
judiciaire dans le contexte précis de l’espèce, mais aussi en quoi il est opportun pour elle de le faire du
point de vue de la politique judiciaire. C’est dire, au moins de mon point de vue, qu’elle sera amenée à
s’arrêter longuement sur tous les aspects propres aux ci rconstances particulières de la cause, en allant au
besoin au-delà des arguments avancés par les participants.»
15
Ibid., par. 13.
16Ibid., par. 14.

17Sahara occidental, supra, par. 39 ; les italiques sont de nous. - 5 -

16. Le juge Owada a d’ailleurs, tout en s oulignant l’importance car dinale de ne «jamais
oublier la situation d’ensemble qui forme la toile de fond de l’édification du mur», également posé
comme principe général ou comme point de départ que «la demande d’avis consultatif porte sur
18
une question déterminée et que la Cour doit traiter cette question et cette question uniquement» .

17. L’Irlande est d’avis que—conformément au but des avis consultatifs tel qu’exposé
ci-dessus—, si elle doit rendre un avis consultatif en l’espèce, la Cour devrait—pour reprendre
les termes de la décision précitée — se confiner à :

«[la] conclusio[n] en droit qu’elle aura objectivement tiré[e], mais dans la stricte
mesure du nécessaire et d’une manière qui soit utile à l’organe qui l’a saisie, à savoir

l’Assemblée générale, perm ettant à celui-ci de s’ac quitter de ses fonctions
relativement à la situation qui est à l’origine de la demande, et s’abstenir de statuer sur
l’objet du différend entre les parties concernées» . 19

C. La déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo n’était pas illicite puisque le droit

international n’interdit pas de telles déclarations

18. L’Irlande pense que, d’une manière généra le, le droit international n’autorise ni ne

condamne les déclarations unila térales d’indépendance (sécession s). En l’absence d’une telle
interdiction — et sauf illicéité causée, dans un cas donné, par la violation de normes impératives ou
du principe de non-intervention—, les déclara tions unilatérales d’indépendance ne sont pas

contraires au droit international. En application du droit international et sous cet angle-là, la
déclaration unilatérale d’indépe ndance du Kosovo devrait dans ces circonstances être considérée
comme un acte non prohibé par le droit international.

19. Pour l’Irlande, le droit international est généralement muet ou neutre au sujet de la licéité

de la sécession. Lauterpacht s’est exprimé en ce sens, à savoir que :

«Le droit international reconnaît comme sources de droits et d’obligations les

faits et situations qui ne découlent pas d’actes interdits et condamnés par lui comme
illicites. Ainsi, par exemple, faire sécession d’un Etat existant est certes contraire au
droit de l’Etat concerné, mais non au droit international.» 20

Il ajoute qu’«une sécession réussie de l’Etat d’origine constitue un fait qui n’est pas contraire au
droit international» .21

20. Le juge Rosalyn Higgins, ancien président de la Cour, a également estimé que :

22
«cette conception de l’autodétermination ne signifie pas pour autant que de
nouvelles frontières ne puissent jamais être reconnues. Même si, contrairement aux

hypothèses politiques de l’époque, l’autodétermination ne donne pas aux minorités un

18 Conséquences juridiques de l’édification d’un mu r dans le territoire pales tinien occupé, supra, opinion
individuelle du juge Owada, par. 27.
19
Ibid., par. 14.
20
Hersch Lauterpacht, Recognition in International Law (1948), p. 409.
21Ibid., p. 6.

22Répondant à la question de savoir si l’autodétermination «doit être tenue pour limitée à un exercice de droits au
sein de la frontière héritée». - 6 -

blanc-seing pour faire sécession, le droit interna tional ne contient aucune règle qui
interdise la sécession ou la formation de nouveaux Etats. Le principe de l’ uti

possidetis veut que les Etats acceptent leurs frontières telles qu’héritées de l’ère
coloniale. Il ne fait nullement obliga tion aux groupes minoritaires de rester à

l’intérieur d’une entité qui les maltraite ou au sein de laquelle ils ne se sentent guère
représentés. Si une minorité établit de fait un Etat indépendant, ou en intègre un autre
qui existe déjà, la communauté internati onale reconnaîtra cette nouvelle réalité en
23
temps voulu, lorsque sa pérennité sera avérée.»

Nombre d’autres juristes considèrent eux aussi que le droit international est muet sur le thème de la
24
sécession .

21. Ce point de vue est également partagé par la Cour suprême du Canada qui, dans sa
décision sur le Renvoi relatif à la sécession du Québec , a indiqué que «[l]e droit international ne
25
prévoit pas de droit de sécession unilatérale, mais il n’en nie pas explicitement l’existence» .

22. Certes, l’Irlande en convient, il bien ét abli que l’illicéité peut naître d’une sécession
tentée au mépris de normes im pératives du droit international . De même, et selon le principe de

jus cogens interdisant le recours à la menace ou à l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale
ou l’indépendance politique de tout Etat, la déclaration sur les relations amicales confirme que
nulle acquisition territoriale résultant de la menace ou de l’emploi de la force par un Etat contre un
27
autre ne sera reconnue comme licite . Mais la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo

23Higgins, supra, p. 125 ; les italiques sont dans l’original.
24
Par exemple, Oppenheim fait lui aussi une distinction entre ce qui est licite en droit interne et ce qui l’est en
droit international, déclarant: «bien qu’une rébellion suppose une violation du dr oit de l’Etat concerné, il n’y a pas
violation du droit international du simple fait qu’un régime rebell e tente de renverser le gouvernement de l’Etat ou de
faire sécession de ce dernier» (L. F. L. Oppenheim, International Law, 9 éd. (1992), vol. I : Peace, p. 161-162.

De même, Hannum n’a jamais manqué de constater le silence du droit international au sujet de la sécession : voir,
par exemple, «The right of self-determination in the twenty-first century» (1998), Washington and Lee Law Review ,
vol. 55, p. 773 : «Le droit international ne prévoit tout simp lement pas de droit de sécession… Evidemment, il n’interdit
pas non plus la sécession.»

Voir aussi, par exemple, le bilan et le compte rendu fait par le rapporte ur de la conférence d’Amsterdam
consacrée aux peuples et aux minorités en droit international, 18-20juin 1992, Refugee Studies Centre RSC/A-21.1
HAN, p.4: «En l’état actuel des choses, le droit internat ional est neutre, c’est-à-dire qu’il n’appuie ni n’interdit la
sécession, encore que les spécialistes soient de plus en plus nombreux à affirmer l’existence d’un tel droit ou à plaider en

sa faveur.»
Pour d’autres sources faisant autorité, voir, par exemple, Christopher Bo rgen, «Introductory Note to Kosovo’s
Declaration of Independence» (2008), ILM, vol. 47, p. 461 :

«Depuis la création de l’Organi sation des Nations Unies, diplomates et juristes ont fait valoir
qu’un droit à l’autodétermination n’était pas synonyme d’un droit général de sécession. Admettre la
sécession parmi les solutions disponibles aurait en effet été contraire à un principe cardinal des
NationsUnies, qui tend à protéger l’intégrité territorial e des Etats. Cela étant, nul ne peut dire que le

droit international condamne la sécession. Il est plutôt largement silencieux en la matière.»
25Dans l’affaire de l’article 53 de la Loi sur la Cour suprême, L.R.C. (1985), ch. S-26; et dans l’affaire d’un
renvoi par le gouverneur en conseil au sujet de certaines questions ayant trait à la sécession du Québec du reste du
Canada formulées dans le décret C.P. 1996-1497 en date du 30septembre1996 (le «Renvoi relatif à la sécession du

Québec») (1998), Recueil de la Cour suprême, vol. 2, p. 217, par. 112.
26Ti-Chiang Chen, The International Law of Recognition (1951), p. 429.
27
Activités militaires et param ilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c.Etats-Unis d’Amérique),
fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 100, par. 190, où la Cour a confirmé que la prohibition internationale de l’emploi de la
force constituait «un exemple frappant d’une règle de droit international qui relève du jus cogens». Déclaration relative
aux principes du droit international touc hant les relations amicales et la coopération entre les Etats, adoptée par

l’Assemblée générale en 1970, Nations Unies,erésolution 2625 (XXV) de l’A ssemblée générale. James Crawford, The
Creation of States in International Law , 2 éd. (2006), p.148, où il est conclu que , de ce fait, «une entité créée en
violation des règles régissant l’emploi de la force en pareilles circonstances ne sera pas considérée comme un Etat». - 7 -

n’entre pas dans le cadre dans ces exceptions-là, puisqu’elle n’a pas été faite au mépris de normes
impératives du droit international.

23. Le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies peut également déclarer la
tentative de sécession illicite dans tel ou tel cas, par exemple lorsque celle-ci porte atteinte en

elle-même au principe de l’auto détermination, comme dans le c as de la Rhodésie du Sud et du
Transkei, entre autres exemples 28. Dans le cas de la Rhodésie du Sud, en effet, le Conseil de

sécurité déclara expressément que la déclara tion d’indépendance de1965 était dépourvue de
validité juridique, qualifia le gouve rnement minoritaire d’«autorités illégales» et «pri[a] tous les
Etats de ne pas reconnaître ce régime minoritaire raciste illégal» . 29

24. La situation du Kosovo n’est pas illicite. Le Conseil de sécurité n’a rien déclaré de tel

dans sa résolution1244 (1999) où, loin de régler l’ issue des négociations sur le statut définitif, il
s’est au contraire borné à confirmer dans les anne xes que, en attendant un règlement définitif, un
«cadre politique intérimaire» devait assurer une au tonomie substantielle au Kosovo tout en tenant
30
compte de l’intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie .

25. Pour l’Irlande, la structure de ces arrangements donne à penser que les principes de la
souveraineté et de l’intégrité territoriale de la RFY devaient entrer en ligne de compte au stade de
l’établissement des institutions provisoires d’admini stration autonome (ce qui a bien été le cas), et

non au stade du «règlement définitif» (qui n’est pas expressément soumis à la même condition).
Dans le cas contraire, il aurait été préjugé de ce règlement, dont les modalités devaient encore être

définies dans le cadre d’un processus politique «vi31ant à déterminer le statut futur du Kosovo, en
tenant compte des accords de Rambouillet» , cette référence supposant que l’indépendance faisait
partie des issues possibles.

26. L’Irlande soutient que, par suite de ce qui précède, la déclaration unilatérale

d’indépendance du Kosovo n’était pas contraire au droit international, puisque ce dernier n’interdit
pas de telles déclarations d’une manière générale et que les exceptions à cette règle—en cas
d’infraction à des normes impératives et/ou de cons tat d’illicéité par le Conseil de sécurité, sur la

base de cette infraction — ne s’appliquent pas.

28 Voir, par exemple, Oppenheim, supra, p. 162, note 1.

29 Résolutions 216 (12novembre1965) et 217 (20novembre 1965) du Conseil de sécurité de l’Organisation des
Nations Unies. Il convient de rappeler qu e l’obstacle à l’établissement de la Rhodésie en tant qu’Etat indépendant tenait

à ce que «la déclaration d’indépendance du gouvernement minor itaire était et restait frappée de nullité à l’échelle
internationale, puisque contraire au princi pe de l’autodétermination». Crawfordsupra, p.130. Voir également, par
exemple, la résolution 541 (1983) dans laquelle le Conseil de sécurité qualifie de «nulle» la proclamation d’indépendance
de la République turque de Chypre-Nord ( http ://www.un.org/french/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES
/541(1983)&TYPE=&referer=http ://www.un.org/french/documents/sc/res/1983/cs83.htm&Lang=F). Voirenoutrela
déclaration comme «nulle et non avenue» de l’indépend ance du Transkei, dans la résolution 31/6A (1976) de
l’Assemblée générale, approuvée par le Conseil de sécurité dans sa résolution 402 (197:)
http ://www.un.org/french/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/31/6&Lang=F.

30 Annexes 1 et 2, y compris le principe d’un «[p]rocessus politique menant à la mise en place d’un accord-cadre
politique intérimaire prévoyant pour le Kosovo une auto nomie substantielle, qui tienne pleinement compte
des … principes de souveraineté et d’intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie».

31 Résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies, supra, par. 11, al. e). - 8 -

D.A titre complémentaire ou subsidiaire, la déclaration unilatérale d’indépendance du
Kosovo n’était pas illicite puisqu’elle constituait un acte d’autodétermination face à des

violations graves ou fondamentales des droits de l’homme

27. La Cour a déclaré plus tôt «qu’il n’y a[vait ] rien à redire à l’affirmation … selon laquelle

le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, tel qu’il s’est développé à partir de la Charte et de la
pratique de l’Organisation des Nations Unies, est un droit opposable erga omnes … [et qu’]il
s’agi[ssai]t là d’un des principes essenti els du droit international contemporain» 32. Seule la portée

de ce droit est donc en cause ici.

28. L’Irlande estime que, hors contexte coloni al, le droit à l’autodétermination n’est pas
synonyme d’un droit unilatéral de sécession pour les parties constitutives des Etats existants : «en

droit international, le droit à l’ autodétermination est censé être exercé par des peuples, à l’intérieur
d’Etats souverains existants, et conformément au principe du maintien de l’intégrité territoriale de
ces Etats» 33. Dès lors, «nul droit de sécession n’existe en présence d’un gouvernement
34
représentatif» et un Etat dont le gouvernement assure une représentation égalitaire à l’ensemble
des peuples situés au sein de son territoire respecte le principe de l’autodétermination, méritant
35
ainsi la protection de son intégrité territoriale prévue par le droit international .

29. Cela étant, dès l’avènement de l’aut odétermination, un droit exceptionnel de sécession
s’est esquissé dans certaines décisions rendues en la matière, comme dans le cadre de l’arbitrage
des années 1920-1921 concernant les îles Åland, la commission internationale de juristes ayant

alors conclu à «l’absence d’un droit de séces sion sauf «abus manifeste et continu du pouvoir
souverain au détriment d’un pan de la population»» . Cette décision «milite en faveur du principe
juridique international de la carence de souveraineté, c’est-à-dir e lorsqu’un territoire est si mal
37
gouverné par l’Etat que la sécession est permise» .

30. L’Irlande est d’accord avec la Cour suprême du Canada sur le fait que, «en droit
international, le droit à l’aut odétermination est censé être exercé par des peuples, à l’intérieur

d’Etats souverains existants, et conformément au principe du maintien de l’intégrité territoriale de
ces Etats», et que, «[l]orsque cela n’est pas possi ble, un droit de sécession peut naître, dans les
circonstances exceptionnell es examinées ci-après» 38. Cette exception à la règle générale, qui

ménage un droit de sécession en cas de violations graves ou fondamentales des droits de l’homme,
«ne naît que dans des cas extrêmes dont les circonstances sont par ailleurs soigneusement

32
Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 102, par. 29.
33 Cour suprême du Canada, Renvoi relatif à la sécession du Québec, supra, par. 122.

34 Higgins, supra, p. 115.

35 Dans la mesure requise par la déclaration sur les relations amicales. Voir également, par exemple, Ved Nanda,
«Self-determination under International Law: Validity of Claims to Secede» (1981), Case Western Reserve Journal of
International Law, vol. 13, p. 269-270 :

«En conséquence, un Etat doit être doté d’un «gouvernement repr ésentant le peuple dans son
ensemble», puisqu’il s’agit là de la condition à remp lir avant de pouvoir être protégé contre «toute action
ruinant ou entamant…[son] intégrité territoriale ou son unité politique». Ainsi, dans certaines
circonstances spéciales, le principe de l’autodéterm ination doit avoir priorité sur celui, antagonique, de

l’intégrité territoriale.»
36 Borgen, supra.

37 Ana Filipa Vrdoljak, «Self-Determination and Cultural Ri ghts», F.Francioni et M.Scheinin (dir.publ.),
Cultural Human Rights (2008), p. 46.

38 Renvoi relatif à la sécession du Québec, supra, par. 122. - 9 -

39
définies», et ce uniquement «en dernier recours» . Elle ne peut être admise «que dans le cas où,
au sein d’un Etat, la majorité soumet une population à une répression telle que la séparation
40
constitue la seule issue possible» , ou lorsqu’un peuple «subit une discrimination si forte qu’il
n’est plus possible d’exiger de lui qu’il reste dans l’Etat» . 41

31. Il convient de noter que—même avant sa déclaration unilatérale d’indépendance—le

Kosovo était déjà perçu comme un territoire dans cette situation :

«Il existe une autre catégor ie possible d’entités susceptibles

d’autodétermination, à savoir celles ra ttachées à une métropole mais gouvernées de
telle manière qu’elles se trouvent en fait privées de toute autonomie—en d’autres

termes, ce sont les territoires qui font 42objet d’une carence de souveraineté. Tel est
par exemple le cas … du Kosovo.»

32. L’Irlande estime que ces éléments sont à a ppliquer de concert—que ce droit ne peut
naître, en dernier recours, qu’en cas de violations graves et fondamentales des droits de l’homme,

auxquelles s’ajoute un facteur de discrimination (c’est-à-dire lorsque les autorités centrales
empêchent un groupe donné d’exercer véritablement son droit à l’autodétermination interne) . 43

33. En décidant de reconnaître le Kosovo, l’ Irlande a conclu qu’il s’agissait effectivement

d’un cas sui generis satisfaisant à ces conditions. Elle a tenu compte d’un certain nombre de
paramètres, dont les suivants :

i) le statut du Kosovo dans le cadre de la Constitution de la République fédérative socialiste
de Yougoslavie. Bien que la Constitution de 1974 fît d’elles des provinces autonomes
situées au sein de la Serbie, «à l’aune de la plupart des critères de droit constitutionnel, le
44
Kosovo et la Voïvodine étaient cependant des organes fédéraux à part entière» . Leur

39
Ibid., par. 126 et 134.
40
Bilan de la conférence d’Amsterdam de 1992, supra, p. 4.
41Christian Tomuschat, Modern Law of Self-Determination (1993), p.26. Voir ég alement Hannum qui, bien

qu’opposé à l’idée d’un droit de sécession d’une manière générale, concède que :
«Il existe deux cas de figure dans lesquels la sécession devrait recueillir l’agrément de la

communauté internationale, à savoir, premièrement, lorsque des droits de l’homme sont bafoués de
manière massive et discriminatoire, frisant l’ampleur du génocide. Si aucun cha ngement d’attitude n’est
vraisemblablement à attendre du gouvernement central, ou si la majorité de la population soutient la
répression, la sécession peut cons tituer le seul recours efficace pour le groupe acculé… Une seconde
exception pourrait éventuellement autoriser la séce ssion, lorsque des revend ications raisonnables
d’autonomie locale ou de droits de minorités sont rejetées de manière arbitraire par un gouvernement
central, sans nécessairement aller de pair avec des violations à grande échelle. Cette exception n’entrerait

toutefois en ligne de compte qu’en cas de rejet de revendications minimales, les Etats ou l’Organisation
des Nations Unies ne pouvant substituer leur propre appréciation de ce qui est politiquement raisonnable à
celle des parties concernées.» («The Specter of Secession: Responding to Claims for Ethnic
Self-Determination» (1998), Foreign Affairs, vol. 11, p. 16.)
42
Crawford, supra, p. 126.
43
Antonio Cassese, Self-Determination of Peoples: A Legal Appraisal Summary of Exception to the Right to
Territorial Integrity (1995), p. 119-120 :

«Lorsque les autorités centrales d’un Etat souverain s’obstinent à refuser à un groupe religieux ou
racial son droit de participation, bafouant de manière flagrante et systématique ses droits fondamentaux et
excluant toute possibilité d’aboutir à un règlement pacifique dans le cadre de la structure étatique…le
groupe concerné peut faire sécession…dès lors qu’il est devenu évident que toute tentative
d’autodétermination interne a échoué ou est vouée à l’échec.»
44
Noel Malcolm, Kosovo: A short history (1998), p. 327. - 10 -

autonomie ne se limitait pas à une autonomie à l’intérieur de la Serbie, passant aussi par
une représentation directe «au sein des principales instances fédérales yougoslaves» 45. La

Constitution prévoyait expressément la «parfa ite égalité des républiques et provinces
autonomes dans leur participation à la fédération, les décisions fédérales devant être prises
«conformément aux principes adoptés par les républiques et provinces autonomes»» 46.

Cette égalité ressort également de l’obligation constitutionnelle d’obtenir le consentement
non seulement des républiques mais aussi des provinces autonomes pour toute
47
modification de territoires, de frontières ou de limites , ce qui resta la règle jusqu’aux
amendements adoptés dans les années 1989 et 19 90 par l’Assemblée de Serbie, qui eurent
pour effet d’abolir cette autonomie . 48

ii)La période prolongée d’administration internationale, instaurée par la résolution
1244(1999) du Conseil de sécurité de l’Or ganisation des Nations Unies, y compris la

dévolution progressive des pouvoirs de la MINUK aux autorités locales dans le cadre d’un
processus politique visant à détermin er le futur statut du Kosovo 49 — le maintien d’une

telle administration internationale n’ayant en outre pas été jugé viable sur le long terme.

iii) Les graves violations des droits de l’ho mme que les autorités serbes avaient coutume de

faire subir aux Albanais du Kosovo—et dont le Conseil de sécurité a fait état dans sa
résolution 1244 en prenant note de la «situati on humanitaire grave» et de la «menace pour
la paix et la sécurité internationales» qui était en jeu—ainsi que la résolution54/183 de

l’Assemblée générale des NationsUnies sur la situation des droits de l’homme au
Kosovo . 50

iv) La volonté d’indépendance claire et écrasante de plus de 90 % de la population kosovare.

v) l’absence d’autres recours ou issues possibles, après tant d’années à négocier et un tel
engagement international, l’envoyé spécial de l’Organisation des NationsUnies ayant
lui-même conclu que la réintégration à la Se rbie n’était pas une solution viable, que le

maintien de l’administration internationa le ne l’était pas davantage et qu’une

45 Ibid.
46
Heike Kreiger (dir. publ.), The Kosovo Conflict and International Law (2001), p. 1.
47
L’article 5 de la Constitution de 1974 de la RFSY était ainsi libellé :
«Le territoire de la République fédérative social iste de Yougoslavie form e un tout unifié qui se

compose des territoires des républiques socialistes. Le territoire d’une république ne saurait être modifié
sans son consentement, pas plus que le territoire d’une province autonome sans le consentement de ladite
province. Les frontières de la République fédérative socialiste de Yougoslavie ne sauraient être modifiées
sans le consentement de la provin ce autonome concernée ni, du reste, sans le co nsentement de toutes les
républiques et provinces autonomes. Les frontières entre les républiques ne pe uvent être modifiées que
d’un commun accord et, si ce changement a également une incidence sur le territoire d’une province
autonome, avec l’accord de cette dernière.» (Traduit et réimprimé dans Kreiger, supra, p. 3.)

48 Malcolm, supra, p.343 et suiv. A cet égard, il peut être noté qu’«il est souvent tenu pour acquis que
l’autonomie ne peut être révoquée unilatéralement par legouvernement central une fois qu’ elle a été établie par voie
constitutionnelle». Marc Weller, Contested Statehood: Kosovo’s Struggle for Independence (2009), p. 10.

49 Voir, par exemple, le cadre constitutionnel pour un gouvernement autonome provisoire, UNMIK/REG/2001/9,
15 mai 2001.

50 «Condamnant les violations graves des droits de l’ homme commises au Kosovo à l’encontre des
Albanais de souche avant l’arrivée du personnel de la Mission d’administration intérimaire des
NationsUnies au Kosovo et des troupes de la présence internationale de sécurité , la Force de paix au
Kosovo, ainsi qu’en témoignent d’abondantes informations signalant des cas de torture, des tirs aveugles

et systématiques, des déplacements forcés de nombreux civils, des ex écutions sommaires et la détention
illégale d’Albanais du Kosovo perpétrés par la police et les forces armées yougoslaves,».
Résolution54/183 de l’Assemblée générale des Nations Unies, 29 février 2000, Nations Unies,
doc. A/RES/54/183. - 11 -

indépendance encadrée par la communauté interna tionale constituait la seule issue réaliste
51
pour le Kosovo .

34. Compte tenu de toutes les circonstances, l’Irlande est d’avis que la situation du Kosovo

représente un cas sui generis d’autodétermination face à des violations graves ou fondamentales
des droits de l’homme.

IV. Conclusion

35. Telles sont les questions qui, de l’avis de l’Irlande, sont importantes et pertinentes pour

le fond de la question posée, la Cour étant ainsi respectueusement exhortée :

i) à faire usage de son pouvoir discrétionnaire pour ne pas rendre l’avis consultatif demandé

en la matière ou, sinon,

ii) à supposer qu’elle décide tout de même de donner un avis consultatif dans le cas présent :

⎯ à se confiner strictement à la question de la licéité de la déclaration unilatérale
d’indépendance ;

⎯ à conclure que la déclaration unilatérale d’ indépendance du Kosovo n’était pas illicite puisque
le droit international n’interdit pas de telles déclarations ; et,

⎯ à titre complémentaire ou subsidiaire, à conclure que la déclaration unilatérale d’indépendance
du Kosovo n’était pas illicite puisqu’elle cons tituait un acte d’autodétermination face à des
violations graves ou fondamentales des droits de l’homme.

___________

51Rapport de l’envoyé spécial, supra, par. 6-14.

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Exposé écrit de l'Irlande (traduction du Greffe)

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