Lettre en date du 16 avril 2009 adressée au greffier par l’ambassadeur de la Fédération de
Russie auprès du Royaume des Pays-Bas
[Traduction]
o
Conformément à l’ordonnance n 141 du 17 octobre 2008, la Fédération de Russie vous fait
tenir sous ce pli son exposé écrit sur la question soumise à la Cour internationale de Justice par
l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 63/3 («La déclaration unilatérale
d’indépendance des institutions provisoires d’administration autonome du Kosovo est-elle
conforme au droit international ?»).
Ci-joint également trente exemplaires d’un CD-ROM de quarante-deux pages.
Veuillez agréer, etc.
___________ EXPOSÉ ÉCRIT DE LA F ÉDÉRATION DE R USSIE
[Traduction]
TABLE DES MATIÈRES
I. Introduction........................................................................
........................................ ..................... 2
II. Juridiction de la Cour : caractère juridique de la question........................................3.....................
III. Droit applicable........................................................................
....................................................... 6
III.1. Droit international général ........................................................................
............................. 6
III.2. La résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité.............................................6....................
III.3. Corrélation entre le droit international général et la résolution 1244.......................8.............
IV. L’aspect factuel........................................................................
...................................................... 8
IV.1. La République socialiste fédérative de Yougoslavie et la Serbie...............................8..........
IV.2. Le «processus concernant le statut final» ....................................................9...................
......
IV.3. Le Kosovo et la désintégration de la RSFY.....................................................11.................
...
IV.4. Quelques conclusions préliminaires ...........................................................12...........
..............
IV.5. La situation factuelle au mois de février 2008................................................13.....................
V. La déclaration d’indépendance à la lumière de la résolution 1244 ...................................14............
V.1.Les références à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de la Yougoslavie
contenues dans la résolution 1244..............................................................14........
...................
V.2. Le «règlement définitif» : une solution non unilatérale .......................................16.................
V.3. Le «processus concernant le statut final» et le plan Ahtisaari.............................
...17...............
V.4. Le statut et les pouvoirs des IPAA........................................................................
.................. 18
VI. La déclaration d’indépendance à la lumière du droit international général..........................19.......
VI.1. Les principes de la souveraineté et de l’intégrité territoriale...............................19................
VI.2. Le droit à l’autodétermination ........................................................................
....................... 20
VI.3. L’autodétermination et l’intégrité territoriale...............................................20.......................
VI.4. L’application de ces critères au cas du Kosovo................................................22...................
VII. Conclusions ........................................................................
.......................................................... 27 - 2 -
I. NTRODUCTION
1. Par sa résolution 63/3, adoptée le 8 octobre 2008, l’Assemblée généra le des Nations Unies
a décidé, conformément à l’article 96, paragraphe 1, de la Charte des Nations Unies, de demander à
la Cour internationale de Jus tice de donner un avis consultatif sur la question suivante: «La
déclaration unilatérale d’indépendance des institu tions provisoires d’administration autonome du
Kosovo est-elle conforme au droit international ?»
2. Animée par son attachement profond et sincèr e aux principes de la primauté du droit dans
les relations internationales et du règlement pacifique des différends internationaux, la Fédération
de Russie a voté en faveur de cette résolution.
3. La Fédération de Russie a conscience de l’ augmentation du volume de travail de la Cour
qui a marqué ces dernières années. Ce phénomène reflète la confiance accrue de la communauté
des nations dans le processus judiciaire interna tional. Depuis 1989 la Russie a montré qu’elle est
conséquente a cet égard. En témoigne l’élar gissement de la portée de son acceptation de la
juridiction de la Cour. Aussi a-t-elle, pour la première fois, été citée, en 2008, comme défenderesse
devant cet organe judiciaire principal des Nati ons Unies. Quelle que soit la position que l’on
prenne à l’égard d’événements donnés et de procé
dures judiciaires particulières, le simple fait que
des problèmes internationaux aigus parviennent devant un prétoire correspond à une tendance qui
sans aucun doute contribuera à l’accomplissement des buts de la Charte des Nations Unies.
4. Au cours de la visite qu’il a rendue à la Cour le 2novembre2005, le président de la
Fédération de Russie a déclaré que «la Cour inte rnationale de Justice apporte une contribution
énorme à la prévention des conflits internati onaux et au règlement des différends pouvant
surgir… Les arrêts et les avis consultatifs de la Cour jouent un rôle capital dans le renforcement et
le développement des principes et normes du droit international et promeuvent une compréhension
claire des droits et des devoirs des Etats, exerçant ainsi un effet positif sur l’acceptation des normes
de droit international.»1 C’est dans cet esprit que la Fédéra tion de Russie présente cet exposé écrit
à la Cour, conformément à son ordonnance du 17 octobre 2008.
5. La présente espèce met en jeu quelques-uns des principes fondamentaux du droit
international contemporai:nla souveraineté des Etats, leur intégrité territoriale,
l’autodétermination. La Fédération de Russie a toujours apporté son plein soutien à ces principes.
Pour la Fédération de Russie ils revêtent une importance particulière, étant donné que, comme nous
le montre l’histoire, elle s’est développée comme un pays dont la diversité ethnique est
extrêmement large. Le préambule de sa Constitutio n contient en effet les dispositions suivantes:
«Nous, peuple multinational de la Fédération de Russie,…conservant l’unité de l’Etat
historiquement constituée, nous fondant sur les pr incipes universellement reconnus d’égalité et
d’autodétermination des peuples,…et nous r econnaissant comm2 une part de la communauté
mondiale, adoptons la Constitution de la Fédération de Russie» . Les peuples de la Fédération de
Russie ont choisi d’exercer leur droit à l’autodé termination à travers d’entités constitutives, telles
que des républiques et des régions autonomes, ains i qu’à travers d’entités locales autonomes de
nature nationale/culturelle. La Russie est un exemple frappant d’un pays où des peuples et groupes
ethniques divers coexistent pacifiquement à l’intérieur d’un seul Etat uni. La Fédération de Russie
croit que les mêmes principes peuvent et doivent êt re appliqués (et en fait le sont souvent) dans
1
Texte intégral disponible sur : http://www.constitution.ru/fr.index.htm.
2
Voir http://www.assembly-Kosova.org/common/docs/declaration_d_independance_f…. - 3 -
d’autres pays où des peuples divers ou des communautés ethniques vivent ensemble. C’est de ce
point de vue que la Russie a toujours vu la ques tion du Kosovo, dans la ferme croyance que cette
approche est solidement fondée sur les principes et règles du droit international applicables.
II. JURIDICTION DE LA C OUR : CARACTÈRE JURIDIQUE DE LA QUESTION
6. Aux termes de l’article96, paragraphe1, de la Charte des Nations Unies, l’Assemblée
générale des Nations Unies, «peut demander» à la Cour «un avis consultatif sur toute question
juridique». Par conséquent, pour donner suite à la requête qui lui a été adressée par la
résolution63/3, la Cour doit être sûre que la question formulée par l’Assemble générale est une
question juridique.
7. La Fédération de Russie rappe lle la jurisprudence constante de la Cour en ce sens qu’une
question est juridique si elle est libellée en te rmes juridiques, soulève des problèmes de droit
international et est susceptible de recevoir une réponse fondée en droit . 3
8. Il est évident que la présente requête remplit ces conditions.
9. En premier lieu la requête vise à établir spécifiquement si l’acte (ostensiblement) juridique
en question est en conformité avec le droit interna tional. La requête est donc libellée en termes de
droit.
10. En second lieu, il ne fait aucun doute que la question soulève des problèmes de droit
international. Le 17 février008, l’A ssemblée du Kosovo a adopté une déclaration
d’indépendance aux termes de la quelle elle «déclare que le Ko sovo est un Etat indépendant et
souverain» . Elle vise partant à produire des effets ju ridiques consistant en la création d’un nouvel
Etat au moyen d’une sécession qui le détache d’un Etat existant (la Serbie). La déclaration a donc
trait à des questions concernant la souveraineté des Etats et leur intégrité territoriale, de même que
le droit des peuples à l’autodétermination et des ques tions relatives à la sécession. Il s’agit là de
matières qui sont toutes situées dans le domaine du dr oit international. Qui plus est, elles touchent
à ce qui est incontestablement la base du système contemporain du droit international.
3Voir, entre autres, Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975 , p. 15, par. 15, Licéité de la menace
ou de l’emploi d’armes nuc léaires, avis consultatif, C.I.J.Recueil1996(I) , p. 233, par. 13 ; Conséquences juridiques de
l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004, p. 153, par. 37.
4Paragraphe 1 de la déclarationUne traduction française de la déclar ation est disponible sur: http://www.as
sembly-kosova.org/common/docs/declaration_d_independance_fr.pdf. - 4 -
11. La déclaration a eu des répercussions très significatives pour la communauté
internationale: un certain nombre d’Etats ont reconnu l’indépendance du Kosovo, alors que
d’autres y ont exprimé leur opposition. Aussi bien ceux qui soutiennent cette indépendance que
ceux qui s’y opposent affirment être guidés à cet égard par le droit international . 5
6
12. Sur le plan des faits , la déclaration a produit des effets que l’on ne peut nier. Elle ne
peut donc être rangée dans la même catégorie que certaines déclarations fréquemment adoptées par
des mouvements séparatistes sans produire le moindr e effet dans le domaine des faits ou du droit
7
(comme ce fut le cas de la déclaration adoptée par l’Assemblée provinciale du Kosovo en 1991) .
13. Le débat à l’Assemblée générale a montré que la plupart des délégations, aussi bien
celles en faveur de la résolution 63/3 que celles ayant des réserves à son égard, estimaient que le
problème va bien au-delà des aspects techniques, car il met en cause des questions juridiques plus
5
A titre d’exemples, voir les déclarations suivantes prononcées au Conseil de sécurité le 18 février 2008
(S/PV.5839) : Serbie: «Les institutions provisoires d’administrati on autonome de la province méridionale serbe du
Kosovo-Metohija, sous administration in térimaire de l’ONU, ont déclaré de f açon unilatérale et illégale leur
indépendance le dimanche 17 février. Cette déclaration il légale d’indépendance par le s Albanais du Kosovo constitue
une violation flagrante de la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité, qui réaffirme la souveraineté et l’intégrité
territoriale de la République de Serbie, y compris le Kosovo-Metohija» (p. 4) ; Fédération de Russie : «La déclaration du
17 février prononcée par l’Assemble locale de la province serbe du Kosovo est une violation flagrante des normes et des
principes du droit international, et surtout de la Charte des Nations Unies. Elle sape les fondements du système des
relations internationales. Cet acte illégal est une violation fl agrante de la souveraineté de la République de Serbie, des
accords auxquels on est parvenu au plus haut niveau au sein du Groupe de contact, du cadre constitutionnel du Kosovo, et
du document de base pour le règlement de la question du Kos ovo, à savoir la résolution 1244 (1999), ainsi que d’autres
résolutions pertinentes du Conseil de sécurité» (p.6); Libye: «La Libye est, et sera toujours favorable au respect total
des principes de la justice et du droit international, qui conacrent le plein respect de la souveraineté et de l’intégrité
territoriale de tous les Etats» (p.15);Costa Rica : «Nous sommes convaincus que la résolution 1244 (1999), dont les
annexes 1 et 2 énumèrent les principes généraux d’une solution politique à la crise du Kosovo de 1999, ainsi que
l’Accord intérimaire pour la paix et l’autonomie au Ko sovo fournissent un fondement juridique suffisant pour que
l’indépendance proclamée hier pui sse être reconnue» (p.18); Etats-Unis: «La déclaration d’indépendance du Kosovo
est la réponse juridique, légitime et logique au problème en cause. La déclaration du Kosovo est pleinement conforme à
la résolution 1244 (1999) et rec onnaît expressément que la résolution reste valide» (p.18); France: «Le Kosovo a
déclaré hier son indépendance. Conformément au droit international, il revient à chaque gouvernement de décider ou non
de reconnaître ce nouvel Etat. Dans une lettre adressée au président du Kosovo, le président de la République française,
M.Nicolas Sarkozy, vient avec effet immédiat de reconnaître le Kosovo comme un Etat s ouverain et indépendant»
(p. 20).
6
Voir, par exemple, S/2008/211, 28 mars 2008. Particulièreme nt le paragraphe 30: «Il est évident que la
déclaration d’indépendance du Kosovo a eu de profondes répercussions sur la situation dans le pays.»
7
J. Rigelheim, «Considerations on the International Reaction to the 1999 Kosovo Crisis», Revue belge de droit
international, 1999/2, p. 476. - 5 -
larges. Il a été observé également, à plusieurs reprises, qu’un des buts, ou des conséquences
possibles, de la requête était que l’avis de la Cour serait applicable à d’autres situations similaires . 8
14. La Fédération de Russie estime dès lors que la situation créée par la déclaration
d’indépendance du 17février2008 est régie par le dr oit international et que, par conséquent, la
déclaration peut être considérée comme conforme ou non conforme au droit international. La
question posée par la résolution63/3 de l’Asse mblée générale des Nations Unies peut donc
recevoir une réponse fondée en droit.
15. Il s’ensuit que la question est de nature juridique.
16. On a soutenu que la question est trop po litique pour pouvoir être résolue sur le plan
juridique . Mais une jurisprudence abondante de la Cour est clairement incompatible avec de telles
10
vues .
17. Il s’ensuit que la Cour est compétente pour donner l’avis consultatif demandé.
8A/63/PV.22, 8 octobre 2008. Voir, à titre d’exemples, les déclarations de : Serbie : «Nous … pensons … qu’un
avis consultatif de la Cour fournirait un avis à de nombr eux pays qui se demandent en core comment considérer les
déclarations unilatérales d’indépendance au regard du droit international» (p. 1) ; Albanie : «L’engagement potentiel de la
Cour internationale de Justice (CIJ) da ns cette affaire unique en son genre, pourrait donner lieu à des interprétations
susceptibles d’élargir les cham ps d’application» (p. 4); Etats-Unis: «Nous sommes certains que la reconnaissance de
l’indépendance du Kosovo par un nombre croissant d’Etats est conforme au droit international. Nous pensons qu’il n’est
ni approprié ni juste de demander à la Cour de donner un av is sur une question qui relève essentiellement du jugement
des Etats Membres. Nous de mandons aux Membres de réfléchir aux conséquences potentielles si d’autres Membres ou
des mouvements séparatistes à l’in térieur de leurs pays invoquaient l’avis de la Cour, quel qu’il soit, pour justifier leurs
revendications pour ou contre l’indépendance» (p. 5) Roumanie : «Nous sommes certains que son avis [celui de la Cour]
sur la question soulevée dans le projet de résolution nous aidera à prendre des déci sions à l’avenir, en particulier lorsque
des questions fondamentales telles que la souveraineté et l’intégrité te rritoriale sont en jeu» (p.6); Egypte : «le
renforcement du rôle de l’ONU, et en particulier celui de l’Assemblée générale, lorsque l’examen de questions ayant trait
à la souveraineté et à l’intégr ité territoriale suppose une reconnaissance du rôle clef joué par la Cour internationale de
Justice» (p. 7); France: « la demande d’avis consultatif proposée par la Serbie ne nous paraît pas utile, car la situation
du Kosovo indépendant, reconnu par 48Etats souverains, nous paraît dépourvue d’incertitudes juridiques» (p.9)
Comores : «Attachée aux principes fondamentaux du respect de l’unité et de l’intégrité territoriale des Etats, l’Union des
Comores condamne toute forme de sécession remettant en cause ces principes fondamentaux de notre Organisation. Par
conséquent l’Union des Comores votera pour le projet de résolution» (p. 10); Costa Rica : «nous reconnaissons son
indépendance [celle du Kosovo] et assumons une position que nous estimons juridiqueme nt valable. Cependant,
précisément parce qu’il existe des divergences dans l’interprétation juridi que, nous sommes convaincus qu’un avis
consultatif de la Cour international de Justice ne peut être que positif.» (p. 10); Suisse: «La Suisse a décidé de
reconnaître l’indépendance du Kosovo après un soigneux examen des questions de droit inte rnational. Nous sommes
donc convaincus que la Cour internationale de Justice, après examen de tous le s aspects en question, confirmera la
conformité de la déclaration d’indépendance du Kosovo avec le droit international» (p. 15); El Salvador :
«ElSalvador…a confiance dans la vale ur de la contribution que pourra apporter la Cour internationale de Justice pour
régler ces questions délicates da ns le cadre du droit international, s’agissant de questions relatives à la souveraineté et à
l’intégrité territoriale des Etats» (p. 15).
9
«[L]a demande de la Serbie est mue essentiellem ent par des raisons politiques» (A/63/PV.22, p.3;
Royaume-Uni ) ; «Réduire à dessein la question complexe du Kosovo à sa plus si mple dimension, à savoir sa dimension
juridique, est une tentative de séparer cette question de son contexte» (ibid., p. 4, Albanie).
10 o
Demande de réformation du jugement n 158 du Tribunal administratif des Na tions Unies, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1973, p. 171, par. 14 ; Conditions de l’admission d’un Etat comme Membre des Nations Unies (article 4 de
la Charte), avis consultatif, 1948, C.I.J.Recueil1947-1948 , p. 61 ; Compétence de l’Asse mblée générale pour
l’admission d’un Etat aux Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 6-7 ; Certaines dépenses des Nations
Unies (article17, paragraphe2, de la Charte), avis cons ultatif, C.I.J.Recueil1962, p.155, par.13; Activités militaires
et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Améri que), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986,
p. 407, par. 32-34 ; Licéité de la menace ou de l’empl oi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I) ,
p. 233, par. 13 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 2004, par. 41. - 6 -
III. D ROIT APPLICABLE
18. Il est bien connu que, de l’avis de la Cour : «Pour répondre à la question que lui a posée
l’Assemblée générale, la Cour doit déterminer, après examen du large ensemble de normes de droit
international qui s’offre à elle, quel pourrait être le droit pertinent applicable.» 11
III.1. Droit international général
19. Comme il a été noté, la question dont la Cour est saisie concerne au moins des questions
telles que la souveraineté des Etats, l’intégrité territoriale et l’autodétermination.
20. Ces questions relèvent des principes et rè gles pertinents de droit international général
consacrés dans la Charte des Nations Unies (article 1, paragraphe 2, article 2, paragraphes 1, 4 et 7)
et d’autres instruments internationaux de nature fondamentale, y compris les pactes des droits de
12 13
l’homme de 1966 , la 14claration relative aux prin cipes du droit international de 1970 , l’acte
final d’Helsinki de 1975 , etc.
21. Plus récemment, les principes contenus dans ces instruments ont été réaffirmés dans le
Document final du Sommet mondial de 2005 15, dans lequel les «chefs d’Etat et de gouvernement»
réaffirmèrent leur volonté de :
«tout faire pour défendre l’égalité souveraine et le respect de l’intégrité territoriale et
l’indépendance politique de tous les Etats, de nous abstenir de recourir dans les
relations internationales à la menace ou à l’emploi de la force en violation des buts et
principes des Nations Unies et de prom ouvoir le règlement de s différends par des
moyens pacifiques et conformes aux principes de la justice et du droit international, le
droit de disposer d’eux-mêmes qui appar tient aux peuples encore sous domination
coloniale ou sous occupation étrangère, le pr incipe de non-ingérence dans les affaires
intérieures des Etats…» 16
22. Ces principes forment la base du système in ternational actuel. Il est de la plus haute
importance de tenir compte de ce que : «[d]ans leur interprétation et leur application, les principes
qui précèdent sont liés entre eux et chaque principe doit être interprété dans le contexte des autres
principes» .17
III.2. La résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité
23. Une autre source de droit qui est applicable à la situation au Kosovo, et qui est bien plus
spécifique que le droit international général, est la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité
(ci-après «larésolution 1244»). La résolution 1244 fut adoptée le 10 juin 1999, dans le sillage
11Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, ci-dessus note 10, par. 23.
12Résolution 2200 (XXI) de l’Assemblée générale, 16 décembre 1966.
13
Résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale, 24 octobre 1970.
14
Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, Acte final, 1août1975, texte disponible sur
www.osce.org/item/4046.html?lc=fr.
15Résolution 60/1 de l’Assemblée générale, 16 septembre 2005.
16Ibid., par. 5.
17Résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale, annexe, par. 2 du dispositif. - 7 -
immédiat des opérations militaires de l’OTAN c ontre la Yougoslavie et à la suite des accords
intervenus avec l’assistance de médiateurs intern ationaux, afin de créer un cadre intérimaire pour
l’administration du Kosovo et pour la réalisation d’efforts supplémentaires en vue de trouver une
solution durable au problème du Kosovo. La résolution 1244 plaçait le Kosovo sous l’autorité de
la Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK). La République
18
fédérale de Yougoslavie a ainsi été empêchée d’exercer ses pouvoirs souverains dans la province ,
cependant que l’intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie a été confirmée.
24. En adoptant la résolution 1244 le Conseil a agi en vertu du chapitre VII de la Charte des
Nations Unies. Les décisions énoncées dans la résolution 1244 doivent être acceptées et appliquées
par tous les Etats Membres, conformément à l’article25 de la Charte. Elles s’adressent aussi,
d’une manière non ambiguë, aux diri geants albanais du Kosovo et ont donc force obligatoire pour
eux.
25. Ayant été saisi de la question du Kosovo en 1999 et ayant adopté la résolution 1244, le
Conseil de sécurité a établi le cadre juridique spécial à l’intérieur duquel la situation au Kosovo
devrait se développer et par rapport auquel les événements correspondants devraient être appréciés.
26. Nonobstant les sérieux changements interv enus dans la situation au Kosovo et aux
alentours, la résolution 1244 n’a jamais été ni révoquée, ni amendée; elle demeure donc en
vigueur. A l’heure actuelle sa validité est reconnue par toutes les parties intéressées, y compris les
auteurs de la déclaration d’indépendance . 19
27. Les institutions établies aux termes de la résolution 1244, notamment la MINUK, à la
tête de laquelle se trouve le représentant spécial du Secrétaire général (RSSG), ont pris une série
d’actes d’exécution. Ces actes constituent aussi un moyen d’interprétation de la résolution, ainsi
qu’une partie du régime juridique qu’elle ét ablit. Ils comprennent le cadre constitutionnel
20
provisoire promulgué par le RSSG en 2001 . C’est dans ce cadre qu’ont été établies les
institutions provisoires d’auto-administration (IPAA). Elles sont donc secondaires et subordonnées
au régime juridique créé par la résolution 1244. En outre les actes du RSSG, ainsi que leur légalité,
doivent également être appréciés à la lumière de la résolution 1244.
18
«Les Nations Unies ont assumé…les pouvoirs classiques d’un Etat à l’intérieur du [Kosovo].» (C. Stahn ,
«The United Nations Transitional Administration in Kosovo and East Timor: A First Analysis», Max planck Yearbook of
United Nations Law, vol. 5, 2001, p. 119.)
19
Déclaration d’indépendance, par. 5 : «Nous saluons le soutien continu à notre développement démocratique
manifesté par la communauté internationale par le biais des présences internationales établies au Kosovo sur la base de la
résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité de l’Organisationde Nations Unies. Nous invitons et accueillons une
présence internationale civile chargée de superviser la mise en Œuvre du plan Ahtisaari et une mission pour l’Etat de droit
menée par l’Union européenne. Nous invitons et accueill ons également l’OTAN à garder un rôle dirigeant dans la
présence militaire internationale et à assumer les responsabilités qui lui ont été confiées par la résolution 1244 (1999) du
Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies etle plan Ahtisaari jusqu’à ce que les institutions du Kosovo
soient capables d’assumer ces responsabilités. Nous coopérerons pleinement avec ces présences au Kosovo pour assurer
la paix, la prospérité et la stabilité à venir au Kosovo». Par. 12 : «Nous affirmons clairement, explicitement et de manière
irrévocable, par la présente, que le Kosovo sera tenu juridiquement de respecteles dispositions contenues dans cette
déclaration, y compris en particulier le s obligations qui lui incombent aux termdu plan Ahtisaari. Dans tous ces
domaines, nous agirons en accord avec le s principes du droit international et avec les résolutions du Conseil de sécurité
de l’Organisations des Nations Unies, y compris la résolution 1244 (1999).»
20 Règlement MINUK n o2001/9 du 15 mai 2001, texte disponible sur http://www.icj-cij.org/docket/files
/141/15033.pdf?PHPSESSID=1c0a151ac7aa2acd4bfbbd6dec6b1860. - 8 -
28. La Fédération de Russie estime que la r ésolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité doit
être considérée comme le régime juridique spécial sur lequel la Cour peut fonder sa considération
de la requête.
III.3. Corrélation entre le droit international général et la résolution 1244
29. Comme le dispose l’article 24, paragraphe 2, de la Charte des Nations Unies, «le Conseil
de sécurité agit conformément aux buts et principes des Nations Unies». Il est à présumer que, en
adoptant la résolution 1244, le Conseil a agi en c onséquence, c’est-à-dire en tenant dûment compte
des principes de droit international consacrés au chapitre I de la Charte. Ceci est d’ailleurs
confirmé par la résolution elle-même, qui commence par les mots : «Le Conseil de sécurité, ayant à
l’esprit les buts et les principes consacrés par la Charte des Nations Unies…» Une seconde
référence aux principes de droit international figure dans le onzième paragraphe du préambule:
«Réaffirmant l’attachement de tous les Etats Membres à la souveraineté et à l’intégrité territoriale
de la République fédérale de Yougoslavie et de tous les autres Etats de la région, au sens de l’acte
21
final d’Helsinki…»
30. Dès lors la résolution 1244 et les principes de droit international doivent être considérés
comme s’apportant un soutien mutuel. Les principes de droit international sont comme la toile de
fond contre laquelle la résolution do it être interprétée et appliquée. D’autre part, dans le présent
cas les principes doivent être interprétés et appliqués en tenant dûment compte de la
résolution1244. Comme l’a signalé la Commissi on du droit international, «lorsque plusieurs
normes ont trait à une question unique, il convient, dans la mesure du possible, de les interpréter de
manière à faire apparaître un ensemble unique d’obligations compatibles…Ce droit [le droit 22
général] … continuera à orienter l’interprétation et l’application du droit spécial pertinent…»
IV. L’ ASPECT FACTUEL
31. Un compte-rendu détaillé des événements historiques dont est issue la situation qui règne
autour du Kosovo sera sans doute présenté à la Cour par les parties s’intéressant le plus à l’affaire.
Pour sa part la Fédération de Russie voudrait se co ncentrer sur certains aspects de l’ensemble des
précédents qui revêtent une importance particulière.
IV.1. La République socialiste fédérative de Yougoslavie et la Serbie
32. Depuis peu avant la fin des années 80, Belgrade poursuivit une politique visant à la
préservation de l’intégrité territoriale de la R SFY, de manière à éviter la répartition des terres
habitées par des Serbes de souche entre des Etats di fférents. La RFY prétendit être le continuateur 23
juridique de la RSFY. Cette prétention ne fut pas acceptée par la communauté internationale .
33. Depuis 2000, le nouveau gouvernement de la Yougoslavie n’a plus réclamé de continuité
avec la RSFY. Il a accepté le statut d’Etat juri diquement nouveau, un des successeurs de la RSFY.
21Les italiques sont de nous.
22Assemblée générale, Documents officiels, soixante etunième session, supplément n o10 (A/61/10), p.427
et 429.
23Voir, par exemple, la résolution du Conseil de sécurité 757 (1992), 30mai1992, onzième paragraphe du
préambule, et la résolution du Conseil de sécurité 777 (1992) , 19 septembre 1992, troisième paragraphe du préambule et
paragraphe1 du dispositif, ainsi que la résolution47/1 dl’Assemblée générale, 22septembre1992, paragraphe1 du
dispositif. - 9 -
Sur la base de cette prémisse, il demanda son admission comme membre des Nations Unies, et fut
admis comme tel par l’Organisation . 24
34. La Yougoslavie du vingt-et-unième siècle est ainsi un Etat nouveau, tant au plan
politique qu’au plan juridique. Par conséquent, son approche principale de la question du Kosovo,
à savoir qu’il doit continuer d’être partie intégrante de la Serbie, demeure intacte.
35. Les nouvelles autorités de Belgrade ont solennellement proclamé leur «engagement
solennel … de se conformer aux buts et principes énoncés dans la Ch25te des Nations Unies et de
s’acquitter de toutes les obligations qu’elle contient» . Elles ont, en particulier, «souscrit
pleinement à la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité», qu’elles considèrent «comme la
26
principale et unique base d’une solution juste et durable» . Depuis lors, elles ont participé d’une
façon active dans tous les processus de négociati on pertinents, bien qu’elles eussent pu soutenir,
maintes fois, que la résolution 1244 n’a pas été exécutée de manière satisfaisante dans la mesure où
elle concernait le statut du Kosovo en tant que partie intégrante de la RFY et la protection des
droits de la population de souche serbe du Kosovo.
IV.2. Le «processus concernant le statut final»
36. Au début de la décennie commençant en 2000, la communauté internationale est partie,
pour le règlement de la questi on du Kosovo, du principe suivant lequel, avant que puissent
commencer des négociations sur le statut final du Kosovo, un certain nombre de «normes» devaient
être appliquées. Cette approche changea après que le Secrétaire général des Nations Unies eut
27
proposé, dans son rapport sur les activités de la MINUK du 23mai2005 , que soit entrepris un
«examen global» qui devrait «porter sur la réalité politique actuelle et sur les conditions préalables
28
au lancement du processus concernant le statut futur» 29 . Les débats au Conseil de sécurité ont
montré qu’il y avait de l’appui en faveur de cette idée .
37. L’«examen global» fut entrepris par Kai Eide , qui a conclu dans les termes suivants : «Il
n’y aura pas de moment privilégié pour aborder la question du statut futur du Kosovo. La question
demeurera particulièrement sensible. Pourtant, une évaluation d’ensemble porte à conclure qu’il
est temps d’entamer ce processus...» 30
38. Au cours des débats au Conseil de sécurité sur le rapport Eide, le premier ministre de la
Serbie-et-Monténégro, Vojislav Kostunica, s’est exprimé en ces termes : «J’indique également que
mon pays ne doute pas que le Conseil de sécurité s’a ppuiera sur le principe de la souveraineté et de
24 Résolution 55/12 de l’Assemblée générale, 1 novembre 2000.
25 S/PV.4215, 31 octobre 2000, p. 2.
26 S/PV.4225, 16 novembre 2000, p. 24.
27
S/2005/335, 23 mai 2005.
28
Ibid., par. 22.
29 S/PV.5188, 27 mai 2005. Cette réunion du Conseil a probablement été la première où certaines délégations ont
mentionné l’indépendance du Kosovo comme un résultat possible du processus concer nant le statut fi nal. Mais on a
souligné que la solution devrait être négociée entre Pristina et Belgrade. Dans le même temps la délégation de
Serbie-et-Monténégro exprima des réserves sur la convenance de commencer le pro cessus concernant le statut final et
réitéra clairement son opposition à l’option de l’indépendance. La Chine et l’Argentine ont également fait observer que
toute solution finale devait respecter l’intégrité territoriale de la Serbie-et-Monténégro.
30
S/2005/635, 7 octobre 2005, p. 5. - 10 -
l’intégrité territoriale des Etats démocratiques pour définir le cadre des négociations sur le statut
futur du Kosovo-Metohija et leur fixer le mandat de l’instituer en province à l’intérieur de l’Etat
31
internationalement reconnu qu’est la Serbie-et-Monténégro.»
La séance aboutit à une déclaration du préside nt disposant, entre autres, que «le Conseil
apporte son appui au Secrétaire général, qui se propose d’entamer le processus politique devant
aboutir au statut futur du Kosovo, comme pré vu dans la résolution 1244 (1999). Le Conseil
32
réaffirme le cadre de la résolution» .
33
39. Peu après, le Groupe de contact s’est mis d’accord sur des «Principes directeurs» . Il y
était prévu, entre autres, qu’«un règlement négocié devrait être une priorité pour la communauté
internationale… Le Conseil de sécurité … devra approuver la décision finale sur le statut du
Kosovo.» 34
40. Martti Ahtisaari fut nommé comme Envoyé spécial du Secrétaire général «sur le statut
35
futur du Kosovo». Ses efforts aboutirent au projet connu sous le nom de plan Ahtisaari , lequel
était basé sur les conclusions que M. Ahtisaari ava it tiré des négociations, à savoir que : les parties
ne pouvaient pas aboutir à une solution convenue ; la réintégration du Kosovo dans la Serbie n’était
pas une option viable ; l’administration internationa le ne pouvait pas être continuée indéfiniment ;
la seule option viable était «l’indépenda nce sous supervision internationale» 36. M.Ahtisaari
37
exhorta le Conseil de sécurité «à approuver» sa «proposition» . Toutefois le Conseil de sécurité
ne put prendre de décision sur le plan . 38
41. Malgré d’évidentes divergences entre le pl an Ahtisaari et la position que la Serbie avait
adoptée dès le début du «processus concernant le statut final», Belgrade accepta la poursuite des
négociations, sous la direction de la «Troïka» composée des repr ésentants des Etats-Unis, de la
Fédération de Russie et de l’Union européenne . Ces débats n’ont pas abouti à une solution
négociée.
31
S.PV.5289, 24 octobre 2005, p. 9.
32
S.PV.5290, 24 octobre 2005, p. 2.
33Le groupe de contact, établi au début des années 90, était composé de l’Alle magne, les Etats-Unis, la
Fédération de Russie, la France, l’Italie et le Royaume Uni.
34S/2005/709, 10 novembre 2005, p. 2.
35S/2007/168 et Add.1, 26 mars 2007.
36Ibid.
37
S/2007/168, par. 16.
38
S/PV.5673, du 10 mai 2007. Un certa in nombre de délégations s’opposaien t au plan, cependant que presque
toutes celles qui l’appuyaient estimaient qu’il devait être endossé par le onseil de sécurité. Vo ir, par exemple, les
déclarations de la Belgique: «Les Albanais du Kosovo…ont fait part de leur appui sans réserves à la proposition de
règlement de M. Ahtisaari …et ils comptent sur le Conseil de sécurité pour parven ir rapidement à une solution» (p. 2);
Pérou : «Ma délégation sera en mesure d’appuyer un projet de résolution du Conseil avalisant la proposition de l’Envoyé
spécial» (p. 5) ; France : «Il nous semble que le Conseil dispose désormais de propositions détaillées et réalistes… Nous
pensons qu’il appartient maintenant au Conseil de prendre se s responsabilités pour assurer le succès d’un processus qu’il
a initié» (p. 6) ; Ghana : «Reconnaissant que la question du Statut du Ko sovo doit être réglée au plus vite, nous sommes
favorables, dans le principe, à l’adoption d’une résolution consécutive à la présentation d’ une proposition de règlement
global par l’Envoyé spécial» (p.9); Panama: «Je demande que soit prise en considération la possibilité que le Conseil
adopte dès à présent le programme de gouve rnement du président Ahtisaari» (p.9); Italie: «J’attends avec intérêt de
travailler avec tous les autres membres du Conseil en vue de parvenir au consensus nécessaire pour une solution gérable
et durable au Kosovo» (p. 10) ; Royaume Uni : «nous avons entendu les représentants du Kosovo déclarer qu’ils allaient
appliquer les propositions de M.Ahtisari. Le rôle du Consei l consiste à assumer ses respons abilités, à soutenir la seule
vision viable pour l’avenir du Kosovo» (p. 12). - 11 -
42. Depuis 2000 la RFY ainsi que, par la suite, la Serbie, a été un partenaire de bonne foi de
la communauté internationale en ce qui concerne la question du Kosovo. Plus d’une fois elle
accepta des propositions qui allaient à l’encontre de sa propre vision, et ce malgré des actes de
violence répétés commis contre des personnes d’ethni e serbe au Kosovo, malgré l’exclusion totale
de la Serbie de la vie politique dans le Kosovo (bien que la MINUK fût censée assurer l’autonomie
pour le Kosovo à l’intérieur de la RFY) et malgré la politique suivie continuellement par certains
acteurs internationaux qui cherchaient à créer une atmosphère propre à susciter chez les Albanais
du Kosovo de fermes espoirs d’accéder bientôt à l’indépendance 39 et à faire accroire que la Serbie
posait des obstacles artificiels sur cette voie. Néanmoins le processus aboutit au plan Ahtisaari,
lequel était clairement en contradiction avec le principe de la sauvegarde de l’intégrité territoriale
de la Serbie et avec l’obligation de parvenir à une solution négociée. Cette contradiction est
corroborée, entre autres, par les références au plan contenues dans le préambule du plan et dans six
des douze paragraphes dont se compose le dispositif de la déclaration d’indépendance du Kosovo , 40
adoptée unilatéralement. Qui pourrait, de bonne foi, faire des reproches à la Serbie pour n’avoir
pas accepté une proposition qui manifestement s’ attaquait à la base même de sa souveraineté,
particulièrement si l’on tien compte de ce que la pos ition que la Serbie avait défendue tout au long
du processus était bien connue de toutes les parties intéressées ?
IV.3. Le Kosovo et la désintégration de la RSFY
43. Eu égard aux considérations précédentes, la Fédération de Russie ne partage pas la
manière de voir de certains Etats et certains auteurs qui voient dans la tentative de sécession faite
par le Kosovo en 2008 l’aboutissement du processus de désintégration de la République socialiste
fédérative de Yougoslavie 41. La Fédération de Russie est convaincue que sur les plans politi
que,
historique et, particulièrement, juridique, cette opinion est mal fondée.
39S/2007/768, 3 janvier 2008, par. 8. Voir aussi B. Knoll, The Legal Status of Territories Subject to
Administration by International Organisations, Cambridge, 2008, p. 260 : «Les messages envoyés à Pristina au cours des
négociations n’ont pas…été conçus de bonne foi; par conséque nt ils ont fait naître des expectatives qui ne pourraient
pas être satisfaites lorsque le processus toucherait à sa fin.»
40
Déclaration d’indépendance, douziè me paragraphe du préambule: «Confirmant que les recommandations de
l’Envoyé spécial des Nations Unies, Martti Ahtisaari, offrent au Kosovo un cadre complet pour son développement futur
et sont conformes aux normes europ éennes les plus élevées en matière de droits de l’homme et de bonne
gouvernance…» ; par. 1 : «Cette déclaration reflète la volonté du pe uple et est en conformité avec les recommandations
de l’Envoyé spécial des Nations Unies, Martti Ahtisaari, et avec sa Proposition globale de Règlement portant statut du
Kosovo» ; par. 3 : «Nous acceptons intégralement les obligations du Kosovo découlant du plan Ahtisaari et approuvons le
cadre qu’il propose pour guider le Kosovo dans les années à venir» : par. 4 : «La Constitution intégrera tous les principes
pertinents du plan Ahtisaari et sera adoptée dans le cadre d’ un processus démocratique réfléchi» ; par. 5 : «Nous invitons
et accueillons une présence internationale civile chargée de superviser la mise en Œuvre du plan Ahtisaari…Nous
invitons et accueillons également l’OTAN … à assumer les re sponsabilités qui lui ont été confiées par la résolution 1244
du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies et le plan Ahtisaari jusqu’à ce que les institutions du Kosovo
soient capables d’assumer ces responsabilités ; par. 8 : «Le Ko sovo aura comme frontières internationales celles que fixe
l’annexeVIII du plan Ahtisaari et respecte ra pleinement la souveraineté et l’intégrité territoriale de tous ses voisins»;
par.12: «Nous affirmons clairement, explicitement et de manière irrévocable, par la présente, que le Kosovo sera tenu
juridiquement de respecter les dispositions contenues dans cette déclaration, y co mpris en particulier les obligations qui
lui incombent aux termes du plan Ahtisaari.»
41Voir, par exemple, au procès-verbal de la séance de l’Assemblée générale à laquelle la résolution 63/3 a été
adoptée (A/63/PV.22), les déclarations suivantes : Royaume Uni : «la question devra être examinée avec en toile de fond
le contexte intégral de la dissolution de la Yougoslavie, dans la me sure où cela affecte le Kosovo, en commençant par la
décision unilatérale de Belgrade en 1989 de retirer au Kosovo son autonomie, ju squ’aux événements actuels» (p. 2);
Etats-Unis: «Il faut voir le Kosovo dans le contexte de la dissolution violente de l’ex-Yougoslavie dans les années 90»
(p. 5) ; France : «Cette déclaration d’indépendance a marqué l’achèvement d’une séquence historique particulière, qui est
celle de l’éclatement violent de l’ex-Yougoslavie au cours des années 90»(p. 9). Voir aussi le «plan Ahtisaari»,
S/2007/168, par. 16 : «En mettant ainsi le point final au dernier épisode de la dissolution de l’ancienne Yougoslavie, nous
permettrons à la région d’entamer un nouveau chapitre de son histoire.» - 12 -
44. La désintégration de la RSFY au début d es années 90 est importante si l’on veut se faire
une idée juste sur la question dont il s’agit, et ce pour plusieurs raisons. La principale en est que la
question de l’indépendance du Kosovo ne s’est p as sérieusement posée pendant le processus. Par
exemple, dans les avis de la commission Badinter 42, largement reconnus comme étant les
documents jouissant de la plus grande autorité a43 regard des problèmes juridiques se posant à la
suite de l’éclatement de la Yougoslavie , le mot «Kosovo» n’apparaît nulle part. De même, les
auteurs qui ont traité des problèmes juridiques soulevés par la dissolution de la Yougoslavie, que ce
soit en 1991-1992 ou plus tard, n’ont jamais parlé du Kosovo comme d’une entité dont on pouvait
réclamer l’indépendance . Le 4 juillet 1992, la commission Badinter, sans avoir á aucun moment
porté son attention sur la 45estion du Kosovo, déclar a «que le processus de dissolution de la RSFY
est maintenant achevé» .
45. En conséquence la question de savoir si le Kosovo a droit à l’indépendance ou non doit
être examinée indépendamment de l’éclatement de la RSFY.
IV.4. Quelques conclusions préliminaires
46. Les événements qui se sont produits en 1991-1992 ont traduit un fonctionnement
défectueux des institutions fédérale s de la Yougoslavie. La cri se de 1999 était le résultat de
politiques du président Milošević et des Etats membres de l’OTAN qui étaient toutes pour le moins
critiquables. Après 2000, une situation entièrement nouvelle a vu le jour dans la région: la
population albanaise du Kosovo n’était plus exposée aux risques de discrimination, ce qui se devait
aussi bien au régime instauré conformément à la résolution 1244 qu’a ux changements politiques
intervenus dans la nouvelle Serbie.
47. Pour ces raisons la Fédération de Russie cro it que, au regard tant de la politique que du
droit, la question de savoir si le Kosovo aurait pu, en février 2008, faire sécession de la Serbie doit
être examinée en fonction des réalités survenues après l’adoption de la résolution 1244 et non sur la
base de théories périmées se remontant au début des années 90.
42 o
Conférence pour la paix en Yougosla vie, Commission d’arbitrage, Avis, n 1-3, Revue générale de droit
international public, t. XCVI (1992), p. 264-269.
43
Au début des années 90, ils ont été caractérisés co mme étant «équilibrés et impartiaux», comme un «exemple
devant être employé comme un élément pour la mise au point de mécanismes permettant de régler les conflits
ethno-territoriaux». (A. Pellet, «The Opinions of the Ba dinter Arbitration Committee: A Second Breath for the
Self-Determination of Peoples», European Journal of International Law, 1992, p. 181), et comme «rendant possible une
interprétation juridique compréhensive du statut d’Etats successeurs à l’ancienne Yougoslavie». (D. Türk, «Recognition
of States: A Comment», European Journal of International Law , vol. 4, 1993, p. 69), ou bien comme «la quasi-totalité
des décisions judiciaires que nous ayons sur laquestion de la dissolution des Etats». (P. SzaszThe Fragmentation of
th
Yugoslavia, The American Society of Interna tional Law, Proceedings of the 88 Annual Meeting, Wa shington, D.C.,
1994, p. 34).
44
L’autodétermination n’a pas été jugée applicable à des enclaves définies territorialement à l’intérieur
d’anciennes entités fédérales où une minorité formait une majorité locale. Les ex emples les plus frappants en sont le
Kosovo et Krajina». (M. Weller, «The International Response to the Dissolution of the Socialist Federal Republic of
Yugoslavia», American Journal of International Law, vol.86, 1992, p.606; «Les Kosovars n’étaient généralement pas
considérés comme ayant un droit à l’autodétermination (du moin s sous la forme du droit de créer un Etat indépendant)».
(C. Greenwood, «Humanitarian Intervention: the Case of Kosovo», Finnish Yearbook of International Law , 1999,
p.146); «On n’a nulle part accepté que des groupes se tr ouvant à l’intérieur des Républiques membres aient un droit à
faire sécession. Un tel droit n’a pas non plus été reconnu à d’au tres entités territoriales à l’intérieur de l’ex-Yougoslavie,
y compris par exemple la zone au tonome du Kosovo». (J.Crawford, Creation of States in International Law , Oxford,
2006, p.400). Voir aussi R. Iglar, «The Constitutional Crisis in Yugoslavia and the International Law of
Self-Determination: Slovenia’s and Croatia’s Right to Secede», Boston College International and Comparative Law
Review, vol. XV, 1992, n° 1, p. 213-239.
45 o
Avis n 8, voir note 42, p. 588-589. - 13 -
IV.5. La situation factuelle au mois de février 2008
48. Ces réalités, telles qu’elles se présentaient en février 2008, peuvent être résumées de la
manière suivante.
49. La vaste majorité des Albanais de souche déplacés étaient rentrés chez eux. Des progrès
sensibles avaient été accomplis dans les domaines de la construc tion d’institutions démocratiques
d’auto-administration au Kosovo et de l’application des «normes». Le niveau de la violence avait
décru.
50. Les problèmes les plus inquiétants avaient trait à la situation de la communauté ethnique
serbe. Sur 200 000 Serbes déplacés, moins de 20 000 étaient retournés 46. Les IPAA n’avaient pas
réussi à assurer la participation des serbes dans la vie publique du Kosovo. Par ailleurs elles
avaient, dans une mesure considérable, perdu le contrôle sur une partie importante des territoires
47
peuplés par des serbes et avoisinant la Serbie p48prement dite . Des incidents de violence contre
des serbes se produisaient régulièrement .
51. On avait en fait dénié à la Serbie tout rôle dans l’administration du Kosovo. Elle s’en est
plaint plus d’une fois, ainsi que de la situation des Serbes ethniques au Kosovo. La Serbie s’était
néanmoins conformée pleinement à la résolution et, ce qui mérite d’être signalé, avait assumé des
obligations clairement définies de ne pas recourir à la force pour résoudre le problème du Kosovo.
Il ne fait aucun doute qu’à l’heure actuelle la Se rbie ne pose aucune menace d’emploi de la force
ou de quelque autre forme d’oppression que ce soit contre le Kosovo.
52. Il convient d’ajouter que, tout au long de cette période, et jusqu’à près de la fin de 2008,
le Kosovo est demeuré dans un état de considér able dépendance vis-à-vis du fonctionnement des
46
HCNUR, Almost 100 Roma return to Kosovo city, News Release, 18octobre2007, disponible sur
http://www.unhcr.org/news/NEWS/47176e492.html.
47A titre d’exemple, on peut rappeler que, comme rapporté par le Secrétaire général des Nations Unis en
novembre2007, trois régions à majorité serbe ont entièrement boycotté les élections à l’ Assemblée du Kosovo; leur
population s’en est remise à la Serbie pour la fourniture des services de base (S/2007/768, par. 5 et 30). Après l’adoption
de la déclaration d’indépendance, «les Serbes du Kosovo, appuyés par les autorités serbes, ont étendu leur boycott des
institutions du Kosovo au Service de la douane de la MINUK, au Service de Police du Kosovo (SPK), à l’Administration
pénitentiaire, à l’appareil ju diciaire, à l’administration municipale et aux chemins de fer de la MINUK» (S/2008/211,
28 mars 2008, par. 8).
48»Une sécurité relative a été progressive ment assurée dans tout le Kosovo, ma is au prix de la consolidation de
divisions inter-ethniques et de ségrégation». (A. Yannis, Kosovo under International Administration: An Unfinished
Conflict, Athènes, 2001, p. 37.) Des incident s de violence contre les Serbes ont été signalés dans presque tous les
rapports du Secrétaire général des Nati ons Unies sur les activités de la MI NUK. A propos d’une série d’actes
particulièrement intenses qui eurent lieu en mars 2004 le Secrétaire général eut ceci à dire: «La période examinée a été
caractérisée par des actes de violence généralisée qui se sont produits au Kosovo en mars, actes qui ne sont restés ni sans
réponse ni sans conséquences. La flambée de violence a porté un sérieux revers à la stabilisation et à la normalisation au
Kosovo. Les attaques menées par des extrémistes albanais contre des groupes serbes, roms et ashkali faisaient partie
d’une campagne organisée, généralisée et ciblée. Celles cont re les Serbes du Kosovo se sont produites dans l’ensemble
du Kosovo et ont visé principalement des groupes qui avaient fait le choix de rester au Kosovo en 1999 ainsi que
quelques réfugiés revenus chez eux depuis peu. Des installations ont été détruites, des bâtiments publics, dont des écoles
et des dispensaires, ont été saccagés, de s groupes ethniques ont été encerclés et me nacés et des familles chassées de leur
domicile. Des villages entiers ont été évacués et de nombreu ses maisons réduites en cendres après le départ de leurs
habitants. Dans certains cas, les attaquants ont tenté d’occuper illégalemen t les maisons abandonnées, voire d’en
revendiquer la propriété.» (S/2004/348, 30 avril 2004, par. 2.)
Dans un rapport en date de novembre 2007 le Secrétaire gé néral s’est exprimé en ces termes: «Des actes de
violence inter-ethnique sont toutefois à signaler: des coups de feu ont été tirés contre des maisons occupées par des
Serbes du Kosovo et des cocktails Molotov ont été lancés sur l’église orthodoxe serbe de G jilan/Gnjilane.» (S/2007/768,
par. 9.) - 14 -
présences internationales. Il suffit de signaler à cet égard que, pour ce qui est des institutions
assurant l’ordre, le nombre des effectifs des forces de police de la KFOR et de la MINUK dépassait
nettement celui de la police recrutée lo calement et du Corps de protection du Kosovo 49. Les
recettes fiscale50locales provenant des impôts étaient inférieures au budget des présences
internationales . (Ceci soulève, entre autres, le point de savoir si le Kosovo remplissait les
conditions nécessaires pour constituer un Etat.)
53. Dans l’ensemble la situation n’a guère changé.
V. L A DÉCLARATION D ’INDÉPENDANCE À LA LUMIÈRE DE LA RÉSOLUTION 1244
V.1. Les références à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de la Yougoslavie
contenues dans la résolution 1244
54. La résolution 1244 contient de nombreuses références à la souveraineté et à l’intégrité
territoriale de la République fédérale de Y ougoslavie, ou bien à l’au to-administration et
l’autonomie à l’intérieur de celle-ci :
⎯ le onzième paragraphe du préambule : «Réaffirmant l’attachement de tous les Etats membres à
la souveraineté et à l’intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie et de tous
les autres Etats de la région, au sens de l’acte final d’Helsinki et de l’annexe 2 à la présente
résolution» ;
⎯ le paragraphe 4 du dispositif : «Confirme qu ’une fois ce retrait achevé, un nombre convenu de
militaires et de fonctionnaires de police yougosla ves et serbes seront autorisés à retourner au
Kosovo pour s’acquitter des fonctions prévues à l’annexe 2» ;
⎯ le paragraphe 10 du dispositif: «Autorise le S ecrétaire général, agissant avec le concours des
organisations internationales compétentes, à établir une présence internationale civile au
Kosovo afin d’y assurer une administration intéri maire dans le cadre de laquelle la population
du Kosovo pourra jouir d’une autonomie substan tielle au sein de la République fédérale de
Yougoslavie…» ;
⎯ le septième paragraphe de l’annexe1: «Proces sus politique menant à la mise en place d’un
accord-cadre politique intérimaire prévoyant pour le Kosovo une autonom ie substantielle, qui
tienne pleinement compte des accords de Ram bouillet et des principes de souveraineté et
49Les effectifs du Service de police du Kosovo sont au nombre d’environ 7000, ceux du Corps de protection du
Kosovo de 3000 (ce corps est en voie d’être remplacé par la Force de sécurité du Kosovo, dont les effectifs ne dépassent
pas non plus 2500 personnels actifs), comparés à la KFOR eà la Police de la MINUK, dont les effectifs s’élèvent à
14000 et 2000, respectivement. (V oir, par exemple, le rapport S/2007/76. 1-23. Voir aussi sur
http://www.nato.int/issues/kosovo,/index.htm.)
50
Le budget annuel consolidé du Kooovo, opéré par les in stitutions provisoires, s’élève à environ 900millions
d’euros (Règlement de la MINUK n 2008/13, du 29 février 2008, annexe I, texte disponible sur
http://www.unmikonline.org/regulations/unmikgazette/02english/ E2008regs/RE2008_13_schedules.pdf).
Le budget de la MINUK s’élève à environ US $ 200m illions. (Résolution 62/262 de l’Assemble générale,
22 juillet 2008, par. 16.)
Le budget de la Mission Etat de droit de l’Union Eur opéenne (EULEX) s’élève à environ 200 millions d’euros
pour 16 mois (Action commune 2008/124/PESC, 4 février 20 08, sur la Mission «Etat de droit» menée par l’union
européenne au Kosovo, Journal officiel de l’Union européenne, L. 42, 16 février 2008, p. L.42/ 97, article 16).
Le budget d’ensemble de la KFOR n’est pas aisé à consulter, mais le nombre de ses personnels fait penser que ses
dépenses sont sensiblement plus élevées que celles de la MINUK et d’EULEX. - 15 -
d’intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie et des autres pays de la région,
et la démilitarisation de l’ALK» ;
⎯ le paragraphe 5 de l’annexe 2 : «Mise en place, en vertu d’une décision du Conseil de sécurité
de l’Organisation des Nations Unies et dans le cadre de la présence international civile, d’une
administration intérimaire pour le Kosovo permettant à la population du Kosovo de jouir d’une
autonomie substantielle au sein de la République fédérale de Yougoslavie» ;
⎯ le paragraphe 6 de l’annexe 2 : «Après le retr ait, un effectif convenu de personnel yougoslave
et serbe sera autorisé à revenir afin d’accomp lir les tâches suivantes … maintenir une présence
aux principaux postes frontière» ;
⎯ le paragraphe 8 de l’annexe 2: «Un processu s politique en vue de l’établissement d’un
accord-cadre politique intérimaire prévoyant pour le Kosovo une autonom ie substantielle, qui
tienne pleinement compte des accords de Rambou illet et du principe de la souveraineté et de
l’intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie…» ;
55. Il convient de relever que les accords de Rambouillet susmentionnés visaient à «établir
les institutions du Kosovo autonome et démocrati que fondées dans le respect de l’intégrité
territoriale et de la souveraineté de la République fédérale de la [FRY]» 51. Ils prévoyaient
explicite52nt que la RFY et la République de Se rbie au Kosovo auraient certains pouvoirs au
Kosovo et contenaient d’autres dispositions dans le sens que le Kosovo devait demeurer partie
intégrante non seulement de la RFY mais aussi de la Serbie . 53
56. Il est remarquable que, tout au contraire de ce qui est le cas des notions de souveraineté,
d’intégrité territoriale et d’autonomie, ni le concept d’autodétermination du peuple du Kosovo, ni la
possibilité d’une sécession, ne sont mentionnés nulle part dans la résolution. Les références y
contenues à l’autonomie et à l’auto-administra tion indiquent que les auteurs de la résolution
entendaient s’en tenir à la terminologie utilisée pour décrire un statut spécial applicable à un
territoire se trouvant à l’intérieur d’un Etat. A supposer même que le Conseil de sécurité, ou
quelques-uns de ses membres, aient entendu impli quer que le droit à l’autodétermination était
applicable à la population du Kosovo, c’était l’aspect interne de l’autodétermination qu’ils auraient
eu à l’esprit. Et il convient de souligner qu’au ssi bien le Conseil que ses membres ont évité
l’utilisation de la notion d’autodétermination en tant que telle.
57. Les observations précédentes montrent que la résolution était fondée sur l’idée que le
Kosovo devait continuer d’être une partie intégrante de la RFY et de la Serbie, quels que fussent les
pouvoirs conférés à l’administration internationale et quelle que fût l’ampleur de l’autonomie du
Kosovo.
51S/1999/648, 7 juin 1999, p. 5.
52
Ibid., p. 6-7.
53
Ibid., par exemple, chapitre 1, article 1.7 (p. 6), VII.4.a.v. (p. 15), article IX (p. 16). En outre, «ein
unabhängiges Kosovo wurde zu keinem Zeitpunkt der Verhanhandlungen von der internationalen Gemeinschaft ins Auge
gefasst. Diese Haltung zieht sich wie eine rote Linie von den Holbrooke-Miloševi ć-Abkommen bis zu den
Verhandlungen im Rambouillet.» (Dans le courant des négo ciations un Kosovo indépendant ne fut à aucun moment
envisagé par la communauté internationale. Cet état de choses demeura constant et invariable tout au long de la période
allant de l’accord Holbrooke-Miloševi ć aux négociations à Rambouillet), K. Kaser, Die Verhandlungen im Rambouillet
und Paris: Die Fragen der Souveränität Jugoslawi ens und der Unabhängigkeit für Kosovo, Südosteuropa, 2000, n 1-2,
p. 52. - 16 -
58. L’attachement à la souveraineté et à l’inté grité territoriale de la RFY était clairement
fondé sur des principes du droit international. C’est pourquoi la Fédération de Russie croit que,
aux fins de l’interprétation de la résolution, il existe une présomption extrêmement forte en faveur
de l’intégrité territoriale de la RFY et, plus tard, de la Serbie, en tant qu ’Etat continuateur de la
FRY.
V.2. Le «règlement définitif» : une solution non unilatérale
59. Aux termes des alinéas a) et c) du paragraphe 11 de la résolutio1244,
l’auto-administration et l’autonomie du Kosovo doivent être assurées «pending a final/political
settlement» («en attendant un règlement défin itif/politique»). Au stade final du processus
politique, la présence civile internationale de vrait superviser le transfert des pouvoirs des
institutions provisoires à des institutions établies «dans le cadre d’un règlement politique» (par. 11
[f]). Ces dispositions sont citées pour appuyer la thèse suivant laquelle l’indépendance du Kosovo
n’était pas exclue par la résolution.
60. Mais un «settlement» («règlement»), que le terme soit pris dans son sens ordinaire ou de
manière a se référer spécifiquement au droit inte rnational et aux relations internationales, est
communément quelque chose sur quoi des parties sont convenues ou qui a été décidé par une 54
autorité compétente. Le terme est défini comme «an agreement composing differences» (un
accord par lequel des différences sont réglées), ou bien comme «an agreement ending a dispute or
55
lawsuit» (un accord mettant fin à un différend ou à un procès) . Cette manière de voir est
particulièrement pertinente dans le contexte du «règlement pacifique des différends», aux fins
duquel la négociation est retenue co mme la première option que doi vent considérer les parties
(article33 de la Charte des Nations Unies). En outre, dans le cas présent, la résolution 1244 se
réfère elle-même à un règlement négocié: «Les négociations en tre les parties en vue d’un
règlement ne devraient pas retarder ni perturber la mise en place d’institutions
d’auto-administration démocratiques.» (Annexe 2, par. 8.)
61. En plus de la négociation, l’article33 de la Charte énumère, parmi les moyens de
règlement des différends, l’«enquête», la «m édiation», la «conciliatio n», l’«arbitrage», le
«règlement judiciaire», et le «recours aux or ganismes et accords régionaux». Ces méthodes ont
toutes une caractéristique commune : elles envisagent la participation d’un tiers, dûment autorisé à
faciliter les négociations ou à trancher la question.
62. Ce que la liste exclut, c’est une décision un ilatérale de la part de l’une des parties au
56
différend .
63. Par conséquent, même si l’on admet que la résolution 1244 n’exclut pas l’indépendance
du Kosovo en tant que modalité de «règlement définitif», un tel règlement devait être négocié entre
54Merriam-Webster Online Dictionary, http ://www.merriam-webster.com/dictionary/settlement.
55Black’s Law Dictionary , 7th ed., St. Paul, Minnesota, 1999, p. 1377. Voir auCompact Oxford English
Dictionary, http://www.askoxford.com/concise_oed/settlement?view=uk:“an official agreement intended to settle a
dispute or conflict’’ (un accord officiel visant à régler un différend ou un conflit).
56En 2005 J. Friedrich s’est exprimé ainsir la question: «Un règlement futur doit.pour le moins , rendre
hommage au droit d’autodétermination en respectant la volonté du peuple du Kosovo» («UNMIK in Kosovo, Struggling
with Uncertainty», Max planck Yearbook of United Nations Law , vol. 9, 2005, p. 252 ; les italiques sont de nous). Ceci
laisse entendre, a contrario, qu’il s’en fallait de beaucoup que la volonté du peuple du Kosovo fût devenue le seul facteur
dont on devait tenir compte. Cette manière de voir est d’auta nt plus importante que l’auteur préconise l’indépendance à
la suite du règlement - 17 -
les parties ou, à tout le moins, faire l’objet d’une décision de la part d’un organe compétent habilité
à cet effet conformément au droit international. Comme indiqué plus haut à la section intitule
«Situation factuelle», toutes les parties prenantes ont considéré le Conseil de sécurité comme étant
57
un tel organe . Ceci est corroboré par le paragraphe19 de la résolution, par lequel le Conseil
«décide que la présence internationale civile et la présence de sécurité sont établies pour une
période initiale de 12mois, et se poursuivront ensuite tant que le Conseil n’en aura pas décidé
58
autrement» . C’est dans ce cadre que le plan Ahtisaari a été présenté au Conseil aux fins de son
approbation.
64. En bref, quelle que fût la procédure qui serait adoptée, la résolution1244 et le régime
qu’elle établissait partaient de la prémisse que le règlement final ne pouvait pas prendre la forme
d’une décision unilatérale de l’une des parties.
V.3. Le «processus concernant le statut final» et le plan Ahtisaari
65. Nous en venons maintenant au «processus c oncernant le statut final», lancé en2005 et
dont trois éléments importants, objet de commentaires à la section précédente relative à la situation
factuelle, sont à noter.
66. En premier lieu, la décision de lancer le processus concernant le statut final a été prise en
pleine connaissance du fait que la Serbie-et-Monténégro s’opposait résolument à l’indépendance du
Kosovo. Le plan Ahtisaari n’en envisageait pas moins l’indépendance, quoiqu’elle dût être
supervisée internationalement.
67. De plus, il était prévu que le statut final serait négocié entre Belgrade et Pristina. Mais le
plan n’a pas été acceptable pour la Serbie. Les raisons en étaient évidentes et, comme il a été
signalé à la section précitée, on ne peut rien reprocher à la Serbie à cet égard. Le plan était en effet
voué à l’échec, puisque son auteur opta pour ignorer la position de base de l’une des parties.
68. En troisième lieu, le dénouement des négoc iations devait être endossé par le Conseil de
sécurité. Mais celui-ci n’a pas retenu le plan Ahtisaari.
69. Le plan est donc resté en deçà de toutes l es conditions qui avaient été fixées au moment
du lancement du processus et ne peut être consid éré comme une base adéquate aux fins d’un
règlement.
57
Voir également B. Knoll, op. cit., p. 252: «Au début des efforts dplomatiques qui ont commencé à être
déployés résolument au milieu de 2005 on percevait une co nception plus large, à savoir l’idée que des efforts de
médiation menés par un tiers aboutiraient, idéalement, à approbation par le Conseil de sécurité, dans une résolution
basée sur le chapitre VII de la Charte de l’ONU, d’un traité plurilatéral général ( ou multilatéral limité) entre les parties.
Les parties à l’acte de détermination des frontières politiques permanentes qu’aurait le territoire du Kosovo à l’avenir
devaient inclure la Serbie, titulaire d’un droit de réversion portant sur l’exercice de pouvoirs souverains, d’une part, et les
institutions locales du Kosovo, d’autre part, avec l’appui que d’une manière ou d’une autre prêterait la MINUK.»
Ecrivant juste avant l’adoption de la déclaration d’indépendance, cet auteur, après avoir insisté sur le fait que
«l’importance d’une solution négociée de la situation du Kosovo a été largem ent soulignée, se demande: «Mais le
Conseil de sécurité pourrait-il avoir transféré un titre souverain en l’absence d’une solution négociée?» L’auteur
parvient alors, mais non sans difficulté, à la conclusion que le Conseil de sécurité pourrait le faire. Il ne dit rien du tout
sur une option unilatérale. (Op. cit., p. 272 et suiv. ; les italiques sont de l’auteur.)
58Les italiques sont de nous. - 18 -
V.4. Le statut et les pouvoirs des IPAA
70. Les institutions provisoires d’administra tion ont été établies conformément au cadre
constitutionnel provisoire (CCP) promulgué par le RSSG en 2001 59. Leur but était d’assurer la
mise en Œuvre dans la pratique des dispositions de la résolution 1244 relatives à
auto-administration. Le CCP disposait expr essément que «l’exercice des responsabilités des
institutions provisoires d’administration autonome au Kosovo ne peut empêcher en aucun cas le
Représentant spécial du Secrétaire général de statuer en dernier ressort sur la mise en Œuvre de la
résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité» (dix ième paragraphe du préambule). Au chapitre 2
du CCP il était prévu que «[l]es institutions pr ovisoires d’administration autonome et leurs
fonctionnaires: exercent leurs attributions conf ormément aux dispositions de la résolution1244
(1999) du Conseil de sécurité». Les IPAA furent investies de pouvoirs d’une portée qui, tout en
étant ample, était circonscrite de manière stricte. Certains pouvoirs étaient réservés spécifiquement
au RSSG, cependant qu’au chapitre12 il était pr évu de manière non ambiguë que «l’exercice des
responsabilités des institutions provisoires du go uvernement autonome en application du cadre
constitutionnel n’entame ni ne limite les pouvoirs du Représentant spécial du Secrétaire général de
garantir l’application intégrale de la réso lution 1244 (1999) du Conseil de sécurité de
l’Organisation des Nations Unies, notamment de superviser les institutions provisoires du
gouvernement autonome, ses responsables et ses représentations, et de prendre les mesures
appropriées dès qu’une décision prise par les institu tions provisoires est en contradiction avec la
résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité ou avec le cadre constitutionnel». Dans l’exercice de
ces pouvoirs le RSSG pouvait dissoudre l’Assemblée du Kosovo (art.8.1. b)). Il continua
également d’exercer l’autorité législative supr ême, puisqu’il promulguait les lois adoptées par
l’Assemblée (art.9.1.45) et ava it le droit d’apporter des modifications au cadre constitutionnel
(art. 14.3).
71. Ces règles de base du cadre constitutionn el témoignent de la portée limitée des
responsabilités des IPAA, ainsi que de leur caractère juridique secondaire. Elles n’ont pas été
conçues, par exemple, comme une manifestation de la souveraineté du peuple du Kosovo. Elles
ont été créées pour accomplir un rôle spécial et , à l’évidence, sur une base temporaire, pour
fonctionner tant que la résolution 1244 demeurerai t en vigueur, ou pour aussi longtemps que le
60
RSSG le considérerait approprié .
72. Pour toutes ces raisons, la proclamati on d’indépendance outrepassait le mandat des
IPAA. De plus, comme les IPAA devaient se conformer au CCP et à la résolution 1244, la
déclaration d’indépendance constitua non seulement un excès de pouvoir mais encore une violation
du droit que les IPAA étaient tenues de respecter.
59
Aux termes du paragraphe 6 de la résolution 1244, le Représentant spécial a été nommé pour assurer «la mise
en place de la présence internationale civile». Dans la pratique il est devenu le chef de la MINUK. Conformément à son
propre Règlement no1991/1 du 25 juillet 1999 (S/1999/987, du 16septembre 1999, p.14), «tous les pouvoirs législatifs
et exécutifs afférents au Kosovo, y comp ris l’administration de l’ordre judiciai re, [étaient] conférés à la MINUK et
exercés par le Représentant spécial su Secrétaire général». «Le pouvoir législatif du RSSG paraît être absolu, au regard
tant du contenu du processus législatif que de son aspect formel.» (T. Irmscher, «The Legal Framework for the Activities
of the United Nations Interim Administration in Kosovo: The Charter, Human Rights and the Law of Occupation»,
German Yearbook of International Law, 2001, p. 357.)
60Voir par exemple J. Ringelheim, op. cit., p. 537-538 : «La présence internationale … garantit la suspension de
l’autorité de la RFY, mais met aussi des entraves à son remplacement par une souveraineté différente, car, en attendant la
détermination du statut final du Kos ovo, les pouvoirs civils suprêmes seront exercés par des agents nommés par les
Nations Unies, non par des représentants locaux indépendants.» - 19 -
73. Sur la base de ces considérations, la Fédération de Russie estime que la déclaration
d’indépendance du 17 février 2008 n’est pas en co nformité avec la résolution 1244 (1999) du
Conseil de sécurité.
VI. L A DÉCLARATION D ’INDÉPENDANCE À LA LUMIÈRE DU DROIT INTERNATIONAL GÉNÉRAL
74. Comme il a été indiqué plus haut, la résolution 1244 et le droit international général ne se
contredisent pas. Au contraire, ils doivent être interprétés de manière harmonieuse.
75. La Fédération de Russie estime toutefois qu’il est important de montrer que, même si elle
est considérée à la lumière du droit internatio nal général plutôt que sur la base de la
résolution 1244, la déclaration unilatérale d’indépendance n’est pas conforme au droit.
VI.1. Les principes de la souveraineté et de l’intégrité territoriale
76. La déclaration d’indépendance visait à ét ablir un nouvel Etat par la séparation d’une
partie du territoire de la République de Serbie. Elle était donc, à première vue, contraire à la norme
qui préserve l’intégrité territoriale de la Serbie.
77. L’intégrité territoriale est un attribut inaliénable de la souveraineté de l’Etat 61.
L’article 2, paragraphe 4, de la Charte des Nations Unies interdit la menace ou l’emploi de la force
contre l’intégrité territoriale de tout Etat. Ce principe a été développé par la déclaration des
principes de 1970, laquelle dispose dans son préamb ule, entre autres, que «toute tentative visant à
rompre partiellement ou totalement l’unité nationa le et l’intégrité territoriale d’un Etat ou d’un
62
pays…est incompatible avec les buts et principes de la Charte» . L’acte final d’Helsinki a
également reconnu l’intégrité territoriale comme un des principes des relations internationales
modernes, engageant ainsi les Etats membres de la CSCE à s’abstenir de tout acte contre l’intégrité
territoriale ou l’unité de tout Etat.
78. On a observé que «le principe de l’intégrité territoriale des Etats, ce grand principe de la
paix, indispensable à la stabilité territoriale, …a acquis aujourd’hui le caractère d’une norme
63
universelle, péremptoire» et qu’«un des éléments essentiels du principe de l’intégrité territoria64
consiste en ce qu’il fournit une garantie contre tout démembrement du territoire de l’Etat» .
61
Pour les Etats le respect de leur intégrité territoriale revêt une importance capitale. C’est la conséquence de la
reconnaissance de leur égalité souveraine. Un des éléments essentiels du principe de l’intégrité territoriale est qu’elle
fournit une garantie contre tout démemb rement du territoire. Il ne s’agit pas seulement du respect de la souveraineté
territoriale, mais encore de son intégrité. (M. Kohen, «Introduction», da ns M. Kohen, dir. de publ., Secession:
International Law Perspectives, Cambridge et New York, 2006, p. 6. (Le mot en italiques figure ainsi dans l’original.)
62
Les italiques sont de nous.
63 A. Pellet, op. cit., p. 180.
64 M. Kohen, op. cit., p. 6. - 20 -
VI.2. Le droit à l’autodétermination
79. Point n’est besoin de c iter ici la description classique 65 de la manière dont le principe de
l’autodétermination est apparu et a évolué avant et particulièrement après la seconde guerre
mondiale, et a continué d’évoluer à travers la Charte des Nations Unies, les pactes de 1966, la
66
déclaration des principes de67970, l’acte final d’Helsinki de 1975 ou la charte de Paris pour une
nouvelle Europe de 1990 . Il suffit de rappeler que la Cour a reconnu l’autodétermination comme
«un des principes essentiels du droit international contemporain» 68. Initialement conçu comme un
moyen de bénéficier les peuples sous contrôle colonial ou sous d’autres formes de domination
étrangère, le principe est à l’heure actuelle unive rsellement reconnu comme étant applicable à tous
les peuples.
80. Au-delà de cette idée générale, un con sensus semble exister entre les Etats et les
académiciens sur, à tout le moins, les points suivants :
⎯ le droit à l’autodétermination doit être exer cé par le choix libre du peuple intéressé sans
interférence extérieure ;
⎯ le droit à l’autodétermination peut être exercé par l’établissement d’un Etat indépendant, ou
par la création d’un statut politique particulier à l’intérieur d’un Etat existant ;
⎯ le droit inclut la poss69ilité de déterminer lib rement le développement économique, social et
culturel du peuple .
81. L’on s’accorde généralement à reconnaître qu’une population d’un territoire sous tutelle
ou mandat, d’un territoire ne s’administrant pas lui-même, ou d’un Etat existant, prise dans son
ensemble, réunit sans conteste les conditions n écessaires pour être considérée comme un peuple
ayant le droit à l’autodétermination. La question de savoir si, et dans quelles conditions, un groupe
ethnique ou autre établi à l’intérieur d’un Etat existant peut être considéré comme un peuple est très
controversée.
VI.3. L’autodétermination et l’intégrité territoriale
82. Il convient de rappeler que les principes du droit international doivent être appliqués les
uns à la lumière des autres, de manière à aboutir à une interprétation des plus harmonieuses des
divers principes dans une situation donnée.
83. La base de la corrélation entre l’autodétermin ation et l’intégrité territoriale est ce qui est
connu comme la «clause de sauvega rde», laquelle a fait sa première apparition dans la déclaration
des principes de 1970 et a été modifiée quelque pe u dans la déclaration de Vienne adoptée par la
conférence mondiale sur les droits de l’homme de 1993: le droit à l’autodétermination «ne devra
65
Voir, par exemple, A. Cassese, Self-determination of Peoples: A Legal reappraisal, Cambridge et New York,
1995 ; J. Crawford, op.cit., p.108-148 ; J. Summers, Peoples and International Law, Leiden et Boston, 2007, p. 141-254 ;
H. Hannum, Autonomy, Sovereignty and Self-Determination, Philadelphie, 1990, p. 27-49.
66
Voir aussi les notes 12-14.
67Texte disponible sur http://www.un.org/depts/dhl/unpulse/index.htm.
68Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 39, par. 29.
69
Voir, par exemple, S. Chernichenko, V. Kotlyar, Ongoing Global Legal Debate on Self-Determination and
Secession: Main Trends , dans J. Dahlitz, dir. de pubSecession and international Law , Nations Unies, New York et
Genève, 2003, p. 77. - 21 -
pas être interprété comme autorisant ou encourag eant aucune mesure de nature à démembrer le
territoire ou compromettre, en totalité ou en part ie, l’intégrité territoriale ou l’unité politique
d’Etats souverains et indépendants respectueux du pr incipe de l’égalité de droits et du droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes et, partant, dotés d’un gouvernement représentant l’ensemble de la
population appartenant au territoire, sans distinction aucune» . 70
84. Ce passage implique qu’un Etat qui r especte les droits des peuples vivant dans son
territoire est protégé par le principe de l’intégrité territoriale contre l’application du droit à
l’autodétermination sous forme de sécession («autodétermination externe») . Comme l’a déclaré
la Cour suprême du Canada dans l’affaire de la sécession du Québec , «le principe de
l’autodétermination en droit intern ational a évolué dans le respect de l’intégrité territoriale des
Etats existants» . De nombreux auteurs qui traitent de l’autodétermination sont d’avis que, ou
bien le système postcolonial ne reconnaît pas un droit à la sécession du tout, ou que, tout au moins,
il existe une présomption ou une forte préférence pour l’intégrité territoriale . 73
85. Il est important de noter que le droit à l’autodétermination peut être exercé à l’intérieur
d’un Etat existant. Cette «autodétermination interne» jouit en fait d’une préférence dans le monde
74
post-colonial . Aux termes de l’avis précité de la Cour suprême du Canada, «[l]es sources
reconnues du droit international établissent que le droit d’un peuple à disposer de lui-même est
normalement réalisé par voie d’autodétermination interne»; «il n’y a pas nécessairement
incompatibilité entre le maintien de l’intégrité territoriale d’Etats existants…et le droit d’un
‘peuple’ de disposer complètement de lui-même» . 75
86. Reste encore à examiner le point de savoir s’il existe une possibilité de sécession dans le
cas où l’Etat concerné «ne se conduit pas en conformité avec le principe de l’égalité de droits et du
droit des peuples à disposer d’eux-mêmes» et par conséquent ne possède pas «un gouvernement
représentant l’ensemble du peuple». La sécession unilatérale conformément aux dispositions qui
ont été citées de la déclaration de 1970 a été qualifiée de «sécession corrective».
87. Il importe de souligner que les auteurs qui reconnaissent l’existence de ce droit admettent
qu’il ne peut être exercé que dans des circonstances extrêmes, où des actes violents de
discrimination sont continuellement perpétrés contre le peuple dont il s’agit et toutes les
70Nations Unies, doc. A/CONF.157/23.
71J. Crawford, op.cit., p. 118-119 et p. 418 ; A. Cassese, op.cit., p. 112.
72Texte disponible sur http://scc.lexum.umontreal.ca/fr/1998/1998rcs2-217/1998rcs2-217.html.
73
Par exemple, « hors du contexte colonial, il n’est ps reconnu que le principe de l’autodétermination donne
naissance à des droits unilatéraux de sécession au profit de parties intégrantes d’Etats i ndépendants». (J. Crawford,
op. cit., p. 415) ; «le concept de sécession est étranger au droit à l’autodétermination, qui continue d’exister en faveur des
peuples dans l’ère post- coloniale» (R. Higgins, «Self-determination and Secession», dans Secession and International
Law, voir note 69, p. 36); «Le principe de l’intégrité terririale des Etats souverains étai t considéré comme sacré et
continue de l’être… Toute autorisation accordée pour qu’une sécession s’effectue doit être interprétée de manière très
stricte» (A. Cassese, op. cit ., p.112); «Il ne faut jamais décider à la légère de mettre en danger des structures
gouvernementales existantes» (C. Tomuschat, «Self-Determination in a Post-Colonial World», dans M. Tomuschat, dir.
de publ., Modern Law of Self-determination, Dordrecht et Boston, 1993, p. 11).
74
Un exemple frappant est donné par la recommandation générale XXI ( 48) adoptée par le Comité pour
l’élimination de la doscrimination raci ale le 8mars1996, Assemblée générale, Documents officiels, cinquante et unième
session, supplément n 18 (A/51/18), p. 133-134.
75
Voir note 72, p. 537, par. 130. Voir aussi, par exemple, C. Tomuschat, op. cit ., p.16-17: «Le droit
international ne peut et ne doit pas promouvoir des mouvements sécessionnistes… Son but doit être plutôt celui de
réconcilier les revendications légitimes des Etats…par la création de structures politiques adéquates…Un droit
«fédéral» à l’autodétermination pourrait fonctionner comme un catalyseur de ce genre.» - 22 -
possibilités de solution du problème à l’intérieur de l’Etat existant ont été épuisées. La sécession a
été considérée comme une mesure de dernier r essort, où l’existence même du peuple, ou ses
76
caractéristiques distinctives, sont en danger . Comme il a été signalé dans l’affaire du Québec, «le
droit à l’autodétermination externe (qui pourrait … prendre la forme de la revendication d’un droit
de sécession unilatérale) ne naît que dans des cas ex trêmes dont les circonstances sont par ailleurs
77
soigneusement définies» .
88. A cet égard, la Fédération de Russie est d’avis que le but princi pal de la «clause de
sauvegarde» est de servir de garantie de l’intégrité territoriale des Etats. La clause peut certes être
interprétée dans le sens qu’elle autorise la sécession dans certaines conditions. Mais ces cas
exceptionnels doivent être limités à ceux où les circonstances sont tout à fait extrêmes, telles
qu’une attaque armée directe menée par l’Etat parent et mettant en danger l’existence même du
peuple en question. Dans tout autre cas tous les efforts possibles doivent être déployés pour apaiser
la tension entre l’Etat parent et la communauté et hnique concernée dans le cadre des institutions de
l’Etat existant.
VI.4. L’application de ces critères au cas du Kosovo
89. Il faut maintenant se pencher sur la question de savoir si le Kosovo, ou sa population, ont
le droit de faire sécession de la Serbie en vertu du droit à l’autodétermination.
90. Il faut noter, en premier lieu, qu’aucune question concernant l’autodétermination ne s’est
posée au cours des années 1991-1992, durant lesquell es la RSFY était en voie de désintégration.
En fait les deux avis de la commission Badinter et la majorité des auteurs considèrent que le
processus était, plutôt qu’une manifestation du dr oit des peuples à l’autodétermination, celle d’un
défaut de fonctionnement des autorités fédé rales qui amena la fin de la fédération 78 . De plus le
76
C. Tomuschat définit ces circonstances comme «discrim ination structurelle … équivalent à un grave préjudice
affectant … des vies humaines» («Secession and Self-Determination», dans Secession: International Law Perspectives ,
voir note 61, p. 41) et «comme un grave et permanen t abus du pouvoir [de l’Etat].» (Tomuschat, dans Secession :
International Law Perspectives, cf. note 73, p. 11.)
A. Cassese propose, pour déterminer si un droit à la sécession existe, les critères suivants: lorsque les autorités
centrales … refusent, de manière persistante, de donner de droits de participatio n à un groupe religieux ou racial, foulent
aux pieds, de manière grave et systématique, leurs droits f ondamentaux, et leur dénient la possibilité de parvenir à un
règlement pacifique dans le cadre de la structure de l’Etat» (op. cit. p. 119).
Un schéma similaire a été proposé par O. Schachter : «1. La communauté qui prétend avoir droit à faire sécession
doit avoir une identité distincte de celle du reste du pays et habiter une région qui dans une large mesure est en faveur de
la séparation…; 2. La communauté a été soumise à des pra tiques de discrimination politique et économique de nature
systématique ; 3. Le régime central a rejeté des propositions raisonnables visant à accorder à la communauté en question
une certaine autonomie et un statut tenant co mpte de sa nature de groupe minoritaire» ( Micronationalism and Secession,
dans Recht zwischen Umbruch und Bewahrung, Berlin etc., 1995, p. 185.)
D. Murswiek a abordé la question sur un plan plus général : «Il doit y avoir, au moins, un droit à la sécession s’il
ne paraît pas possible de préserver l’existence d’un peuple qui est titulaire du droit à l’autodétermination dans un certain
territoire si ce n’est par sa séparation pa r sécession de l’Etat existant.» Il sou ligne qu’il «ne peut y avoir un droit a la
sécession dans tout cas de discrimination, particulièrement s’il existe encore des chances de voir la discrimination arrêtée
par les autorités étatiques si on le leur demande.» (D. Murswiek, The Issue of a Right of Secession – Reconsidered , dans
Modern Law of Self-determination, voir note 73, p. 26-27.)
Voir aussi G. Seidel, A New Dimension of the Right to Self-determination in Kosovo?, dans C.Tomuschat, dir.
de publ., Kosovo and the International Community: a Legal Assessment, La Haye etc., 2002, p. 203-215.
77
Voir note 72, p. 536, par. 126. Voir aussi l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire
Loizidou c. Turquie, du 18 décembre 1996, opinion individuelle du juge Wilhaber, auquel s’est joint le juge Ryssdal.
78 o o
Avis n 1, voir note 42, p. 264-265, et avis n 8, voir note 42, p. 588-589 ; J. Ringelheim, op. cit., p. 495. Voir
aussi J. Crawford, op. cit, p. 400-401 ; A. Cassese, op. cit, p. 269-270 ; C. Tomuschat, Secession and Self-Determination,
op. cit., p. 32. - 23 -
Kosovo n’était pas une république constitutive de la RSFY, et la paralysie de celle-ci n’a pas
affecté le fonctionnement de la République de Serbie. Il s’ensuit que la logique de la dissolution de
la RSFY ne s’appliquait pas au Kosovo.
91. Mais même si l’on suppose que la dissolution de la RFSY se soit faite par application du
79
droit des peuples à l’autodétermination , de l’analyse de son système constitutionnel il ressort que
la population du Kosovo n’a jamais été cons idérée comme un peuple jouissant d’un droit à
l’autodétermination équivalent au droit à l’indépendance. Aux termes de la toute première phrase
des «Principes Fondamentaux» de la Constitution de la RSFY de 1974, «les peuples de
Yougoslavie, partant du droit de chaque peuple à l’autodétermination, y compris le droit à la
sécession,…se sont unis en une République fédérale de nations (naroda) et nationalités
(narodnosti) libres et égales…» Aux termes de l’artic le premier de cette Constitution, «la RSFY
est un Etat fédéral ⎯communauté étatique de nations lib rement unies et de leurs Républiques
socialistes, ainsi que des provinces socialistes au80nomes de Voïvodine et de Kosovo qui font
partie de la République socialiste de Serbie...» On voit ainsi que seules les Républiques
constitutives étaient considérées comme pouva nt invoquer le droit des peuples à
l’autodétermination, cependant que le Kosovo constituait une province autonome établie dans
l’intérêt d’un groupe ethnique (narodnost) n’ayant pas le statut d’ un peuple aux fins de la
Constitution.
92. En ce qui concerne la crise de 1999, il faut examiner l’idée mise en avant par certains et
suivant laquelle, par suite de ces événements, la Serbie aurait perdu le droit de gouverner 81 Kosovo
et la remise du Kosovo sous l’autorité de la Serbie ne serait pas une option viable . Il est frappant
que des arguments de ce type n’aient fait leur apparition que quelques années après 1999 82. En
cette année-là ni le droit des Albanais du Kosovo à l’autodétermination, ni l’option consistant à
rendre le Kosovo indépendant, n’ont jamais ét é mentionnés par aucune des parties prenantes
comme étant des solutions possibles.
93. On peut en dire autant de tous les documents officiels qui ont vu le jour durant le conflit.
83
Depuis l’adoption, le 9 mars 1998 , de la déclaration du Groupe de contact et jusqu’à l’adoption
de la résolution 1244, ce sont des concepts diffé rents qui ont été couramment mis en avant comme
étant le but de la communauté internationale. Parmi eux ont figuré une autonomie substantielle
(«substantial autonomy»), une auto-administration significative («meaningful self-government») ou
un statut rehaussé («upgraded status») pour le Kosovo, mais toujours à l’intérieur de («within») la
79A. Pellet, op. cit.; B. Bagwell, «Yugoslavian Constitutional Qu estions: Self-determination and Secession of
Member Republics», Georgia Journal of International Law and Politics, vol. 21, 1991, p. 489.
80«Ustav Socijalističke Federativne Republike Jugoslavjie», in Službeni list Socijalističke Federativne Republike
Jugoslavije, godina XXX, broj 9, Beograd, č tvtak, 21 fèbruar 1974. Pour des citati ons en anglais et une analyse, voir,
entre autres, B. Bagwell, op. cit.
81Plan Ahtisaari, S/2007/168.
82
Par exemple J. Kokott, «Human Right s Situation in Kosovo», 1989-1999, dans Kosovo and the International
Community: A Legal Assessment , voir note 76, p. 1-35; G. Seidel, op. cit., p. 203-215. Ces deux articles, publiés
en 2002, sont à comparer avec les vues de N. Levrat, qui écrivait en 2000 : «Ilin d’être certain que la situation du
Kossovo [sic] puisse relever du droit des peuples à disposd’eux-mêmes…» («D’une exigence de légalité dans les
relations internationales contemporaines», dans «La crise des Balkans de 1999 : Les dimensions historiques, politiques et
juridiques du conflit du Kosovo», sous dir. de Ch.-A. Morand, Bruxelles et Paris, 2000, p. 263).
83S/1998/223, 12 mars 1998. - 24 -
République fédérale de Yougoslavie, ou en respect ant sa souveraineté et son intégrité territoriale
(«respecting [its] sovereignty and territorial integrity») . 84
94. Les observations précédentes s’appliquent également aux arguments avancés pour
justifier l’opération militaire menée par l’OTAN en 1999. Les déclarations politiques défendant la
légitimité de l’opération, ainsi que la majorité d es opinions publiées par les juristes sur la matière,
n’avaient rien à dire sur le droit des Albana is du Kosovo à l’autodétermination. On invoquait
plutôt le concept général des droits de l’homme, ou les droits des minorités, ou bien l’idée d’une
catastrophe humanitaire.
95. Ainsi, Javier Solana, Secrétaire général de l’OTAN, dans une conférence de presse du
23 mars 1999, a dit ce qui suit : «Nous agissons à la suite du refus opposé par le gouvernement de
la République fédérale de Yougoslavie aux exigences de la communauté internationale, qui sont les
suivantes : acceptation du règlement politique provisoire qui a été négocié à Rambouillet ; respect
total des limites imposées aux forces armées et aux forces de police spéciales serbes conformément
à l’accord du 25octobre; arrêt de l’usage excessif et disproportionné de la force au
Kosovo… Cette action militaire aura pour but d’in terrompre les violentes attaques … et d’affaiblir
85
leur capacité de prolonger la catastrophe humanitaire.» La réticence qui a caractérisé l’attitude de
l’OTAN et de ses membres quant à la possible invocation de l’autodétermination et de la sécession
86
a fait l’objet de nombreux commentaires .
84Voir également J. Ringelheim, op. cit. p. 481 : «Les arguments juridiques av ancés de part et d’autre ressortent
clairement: les leaders albanais revendiquaient le statut d’un peuple ayant droit à l’autodétermination et, partant, à
l’indépendance. Les autorités y ougoslaves ont riposté en affirman t qu’il ne s’agissait que d’une minorité nationale …
Quant aux Etats tiers, ils ont très soigneusement évité tout e référence à l’autodéterminat ion ou à la protection due aux
minorités.» (Les italiques sont de l’auteur.) Aux pages 500-501 l’auteur, après avoir démontré que la communauté
internationale ne considérait pas les Albanais du Kosovo comme constituant un «peuple» ayant droit à
l’autodétermination, conclut en ces termes: «Il y avait unconsensus frappant entre les Et ats au sujet du règlement qui
devait être promu pour le Kosovo. En accord avec leur posit ion initiale, ils continuaient à rejeter les réclamations par
lesquelles les kosovars albanais demandaient à être reconnus comme constituant un Etat.»
De même E. Lagrange admet: «Le Conseil de sécurité ne put se ressaisir du dernier des conflits nés sur le
territoire de l’ex-Yougoslavie qu’en refoulant, à la qualification, la notion de régime discriminatoire et, au dispositif, celle
d’autodétermination». L’auteur mentionne «la solution que les membres du Conseil, à l’époque, étaient d’accord pour
décourager: l’indépendance». («La Mission intérimaire des Nations Unies au Kosovo, nouvel essai d’administration
directe d’un territoire», Annuaire français de droit international, vol. XLV, 1999, p. 338-343.)
85
Voir http://www.nato.int/docu/pr/1999/p99-040e.htm. A. Cassese ( Ex Injuria Jus Oritur: Are we moving
towards International Legitimation of Forcible Humanitarian Countermeasures in the World Community? European
Journal of International Law, vol. 10, 1999, p.23-30) men tionne l’autodétermination comme possible justification de
l’opération de l’OTAN, mais souligne que “pour important et crucial qu’il puisse être, on ne doit permettre que le respect
des droits de l’homme et de l’autodéte rmination des peuples mette la paix en danger» (p.25). De même N.Levrat
(op. cit., p. 262-266) traite de la possible légitimité de l’opératio n de l’OTAN à la lumière de l’autodétermination, en n’y
voyant qu’une option théorique.
86«Il est à remarquer que ni le Conse il de sécurité ni les Etats membres de l’OTAN se sont référés à un droit à
l’autodétermination au Kosovo comme tel.» (C. Greenwood, op. cit., p. 154.)
«Il est significatif qu’aucun des pays intervenants n’ait vu le conflit en termes d’une tentative de sécession… On
doit noter que…les Etats membres de l’OTAN ont clairement indi qué que leur campagne n’ appuyait pas des objectifs
sécessionnistes.» (G. Nolte, «Secession and External Intervention», dans Secession International Law Perspectives, voir
note 61, p. 93.) «On pourrait se demander si le droit à l’au todétermination confère aux Kosovars un droit de sécession.
Toutefois, l’opération des Etats de l’OTAN ne visait pas au soutien de la création d’un Etat indépendant. La souveraineté
et l’intégrité de la République fédéra le de la Yougoslavie furent confirmées dans toutes les phases du conflit.»
(R. Uerpmann, «La primauté des droits de l’homme : li céité ou illicéité de l’intervention humanitaire», dans Kosovo and
the International Community: A Legal Assessment, voir note 76, p. 68.) - 25 -
876. De possibles justifications pour l’interv ention militaire de 1999 sont mises en avant par 88
S. Sur , L. Henkin, R. Wedgwood, J. Charney, C. Chinkin, R. Falk, T. Franck, M. Reisman ,
89 90 91 92 93 94
B. Simma , C.95ay , 96Kohen , O.Co97en et B.Delcour98 , J.F.Fl99ss , H.Shinoda 100,
A. Roberts , N K. risch , F.rancioni , VL.owe , C. uicherd , ME.. ’Connell ,
A. Sofaer 101, Y. Nouvel 102, P. Weckel 103, N. Valticos 104 , F. Dubuisson 105, N. Rodley et B.
106
Çalt . Chose remarquable, aucun de ces auteurs ne mentionne le droit à l’autodétermination.
97. On peut donc conclure qu’en 1999, tout comme en 1991, la communauté internationale
n’a pas pris comme prémisse le droit à l’autodéterm ination des Albanais du Kosovo, ou de toute la
population du Kosovo. La résolution 1244 a établi l’administration des Nations Unies au Kosovo
pour sauvegarder les droits de l’homme et pour mettre fin à une situation qui avait été caractérisée
87
S. Sur, The Use of Force in the Kosovo Affair and International Law, Paris, 2001.
88
«Editorial Comments: NATO’s Kosovo Intervention», American Journal of International Law , vol.93, 1999,
p. 824-862.
89
B. Simma, «NATO, the UN and the Use of Force: Legal Aspects», European Journal of International Law,
vol. 10, 1999, p. 1-22.
90
C. Gray, «The Legality of NATO’s Military Action in Kosovo: Is There a Right of Humanitarian
Intervention ?», dans International Law in the Post-Cold War World, «Essays in Memory of Li Haopei», Sienho Yee et
Wang Tieya, dir.de publ., Londres et New York, 2001, p. 240-253.
91M. Kohen, «L’emploi de la force et la crise du Kosovo: vers un nouveau désordre juridique international»,
Revue belge de droit international, 1999, p. 132-137.
92O. Corten et B. Delcourt, «La guerre du Kosovo: le droit international renforcé?», L’observateur des
o
Nations Unies, n 8, 2000, p. 133-147.
93
J.F. Flauss, «La primarité des droits de la personne: licéité ou illicéité de l’in tervention humanitaire?», dans
Kosovo and the International Community: A Legal Assessment, voir note 76, p. 87-102.
94
H. Shinoda, «The Politics of Legitimacy in Intern ational Relations: A Critical Examination of NATO’s
Intervention in Kosovo», Alternatives, vol. 25, 2000, p. 515-536.
95 o
A. Roberts, «NATO’s Humanitarian War over Kosovo», Survival, vol. 41, 1999, n 3, p.102-123.
96
N. Krisch, «Unilateral Enforcement of the Colle ctive Will: Kosovo, Iraq, and the Security Council» ,
Max planck Yearbook of United Nations Law, vol. 3, 1999, p. 79-86.
97
F. Francioni, «Of War, Humanity and Ju stice: International Law After Kosovo», Max Planck Yearbook of
United Nations Law, vol. 4, 2000, p. 107-126.
98V. Lowe, «International Legal Issues Arising in the Kosovo Crisis», dans International Law in the Post-Cold
War World, «Essays in Memory of Li Haopei», voir note 90, p. 278-288.
99C. Guicherd, «International Law and the War in Kosovo», Survival, vol. 41, 1999, n 2, p. 19-34.
100E. O’Connell, «The UN, NATO and International Law after Kosovo», Human Rights Quarterly, vol. 22, 2000,
p. 57-89.
101A. Sofaer, «International Law and Kosovo», Stanford Journal of International Law, vol. 36, 2000, p. 1-21.
102Y. Nouvel, «La position du Conseil de sécurité face à l’action militaire engagée par l’OTAN et ses Etats
membres contre la République Fédérale de Yougoslavie», Annuaire français de droit international , vol.XLV, 1999,
p. 292-307.
103
P. Weckel, «L’emploi de la force contre la Yougoslavie ou la Charte fissurée», Revue générale de droit
international public, 2000, vol. 1, 2000, p. 19-36.
104
N. Valticos, «Les droits de l’homme, le droit internationa l et l’intervention militaire en Yougoslavie», Revue
générale de droit international public, vol. 1, 2000, p. 5-17.
105
F. Dubuisson, «La problématique de la légalité de l’opération ‘Force alliée’ contre la Yougoslavie : enjeux et
questionnements», dans Droit, légitimation et politique extérieure: L’Europe et la guerre du Kosovo , O. Corten et
B. Delcourt, dir. de publ., Bruxelles, 2000, p.149-206.
106N. Rodley, B. Cali, «Kosovo Revisited: Humanitarian Intervention on the Fault Lines of International Law»,
Human Rights Law Review, vol. 7, 2007, p. 275-297. - 26 -
comme une menace contre la paix et la sécurité internationale, plutôt que pour permettre au peuple
du Kosovo d’exercer son droit à l’autodétermination 107.
98. La question qui se pose est donc celle de savoi r si, au mois de février 2008, la situation
avait changé au point que le peuple du Kosovo av ait acquis un droit à l’autodétermination qui le
conduirait à la sécession. Autrement dit, peut-on considérer que les circonstances, telles qu’elles se
présentaient en 2008, méritaient d’être qualifiées d’extrêmes ?
99. Il faut clairement répondre par non. Il ne fait aucun doute que la situation existant sur le
terrain en 2008 était incomparablement meilleure qu’en 1999.
100. En fait la résolution 1244 a été adoptée précisément pour att
eindre ce but: pour
empêcher que la situation continue à se dégrader, pour rétablir la paix et la sécurité internationales
et pour permettre à la population du Kosovo de jouir à nouveau de ses droits fondamentaux.
Comme on l’a indiqué plus haut, depuis lors le régime politique à Belgrade a changé. La
Serbie-et-Monténégro a cessé de revendiquer le dr oit de continuer la pers onnalité juridique de la
RSFY et a été admise aux Nations Unies comme un Etat nouveau. Ce nouvel Etat, actuellement
réduit à la Serbie, partage les valeurs universelles de la démocratie et des droits de l’homme. Il n’a
cessé d’assurer qu’il est prêt à octroyer au Kos ovo une autonomie substan tielle («substantial») 108
107Certains auteurs mentionnent le droit à l’autodétermination comme étant applicable au Kosovo, mais
seulement sous sa forme interne. Ainsi, selon J. Currie: «Ni l’OTAN ni se s Etats membres n’ont à aucun moment
pertinent endossé une forme quelconque d’autodétermination externe pour le Ko sovo. Ils ont préféré plutôt mettre
l’accent sur la nécessité d’avoir une autodétermination in terneplus poussée». «NATO’s Humanitarian Intervention in
Kosovo: Making or Breaking International Law?», dans Canadian Yearbook of International Law, 1998, p. 327.
Selon Tomuschat, «l’autonomie pour une communauté humaine donnée ne peut êt re inventée par le Conseil de
sécurité s’il ne peut s’appuyer sur le droit international géné ral. En conclusion, la résolution 1244 du Conseil de sécurité
peut être considérée comme constituant la première décision fo rmalisée de la communauté internationale par laquelle il
est reconnu qu’une communauté hum aine existant à l’intérieur d’un Etat so uverain, peut, dans des circonstances
spécifiques, jouir d’un droit à l’ autodétermination» («Secession and Self-determination», dans Secession: International
Law Perspectives, voir note 61, p. 36).
J.Charney est encore plus direct: «Dans l’affaire du Ko sovo, la communauté internati onale a, pour l’essentiel,
endossé les demandes d’autonomie mises en avant par les Albanais du Kosovo». (Self-determination, Chechnya, Kosovo
and East Timor, Vanderbilt Journal of Transnational Law, vol. 34, 2001, p. 458.)
Ces manières de voir ne sont pas entièrement erronées. Mais elles ne paraissent pas tenir compte du fait que
l’autonomie et l’auto-administration ne sont pas nécessairemen t des manifestations d’un droit à l’autodétermination. On
trouve un exemple d’autonomie qui est sans rapport avec l’autodétermination dans le système constitutionnel de la Serbie
elle-même. Les raisons pour lesquelles la province autonome de Vojvodina, dont 65 % de la population est composée de
serbes de souche, jouit d’autonomie, sont en grande partie historiques.
Quelques auteurs se sont prononcés en faveur de la sécession du Kosovo en tant qu’exercice du droit à
l’autodétermination, tout en reconnaissant que la communauté internationale n’appuyait pas l’idée. (T. Bagget, Human
Rights Abuses in Yugoslavia: to Bring an End to Political Oppression, the International Community Should Assist in
Establishing an Independent Kosovo, Georgia Journal of International and Comparative Law, vol. 27, 1999, p. 457-476 ;
P. Szasz, The irresistible Force of Self-d etermination Meets the Impregnable Fo rtress of Territorial Integrity: A
Cautionary Fairy Tale about Clashes in Kosovo and Elsewhere , Georgia Journal of International and Comparative Law,
vol. 28, 1999, p. 1-8 ; J. Merriam, Kosovo and the Law of Humanitarian Intervention, Case Western Reserve Journal of
International Law, vol. 33, 2001, p. 111-154.
108
Telle est l’importance accordée à l’idée que le Kos ovo doit jouir d’une «autonomie substantielle» dans le
cadre du système constitutionnel de la Se rbie que cette autonomie est prévue au second paragraphe du préambule de la
Constitution de la République de Serbie du 8 novembre 2006 (http://www.srbija.gov.rs/cinjenice_o_srbiji//ustav.php). - 27 -
109
ou même illimite («unlimited») . La Serbie a agi de bonne foi au cours de négociations où les
autres parties essayaient de lui imposer des solutions inacceptables. De plus Belgrade a pris des
engagements clairs de ne pas employer la for ce au Kosovo. Cette position a été réitérée même
après l’adoption de la déclaration d’indépendance.
101. Il n’y a absolument aucun motif raisonnable pour considérer qu’en 2008 il existait une
menace d’oppression, extrême ou non, exercée par la Serbie contre les Albanais du Kosovo. Et la
situation n’a pas changé depuis lors.
102. En 1999 la communauté internationale a à l’unanimement confirmé l’intégrité
territoriale de la République fédérale de Yougosla vie. Immédiatement ap rès que les événements
furent qualifiés de génocide et de nettoyage ethni que, la communauté internationale a considéré
que la présomption en faveur de l’intégrité territo riale n’avait pas été infirmée. La Fédération de
Russie est partant convaincue que, la situation su r le terrain étant considérablement meil110re
en2008 qu’en 1999, la présomption était, de toute évidence, encore valable en 2008 . Et elle
continue de l’être à l’heure actuelle.
103. Bref, la situation ne commence même pas de s’approcher des circonstances extrêmes,
seuil à partir duquel le droit à l’autodétermination pourrait être invoqué.
104. Pour ces raisons la déclaration unilatérale d’indépendance n’est pas en conformité avec
le droit international.
VII. C ONCLUSIONS
Sur la base de ce qui précède, la Fédération de Russie déclare :
1. La question que pose l’Assemble générale est de nature juridique; la Cour a donc
compétence pour donner un avis consultatif sur elle.
109
Kosovo’s Independence Nothing else but Violent Partition of Serbia, communiqué de presse du Gouvernement
de Serbie, du 19 novembre 2007, texte disponible sur h ttp://www.srbija.gov.rs/vesti/vest.php?pf=1&id=40900. Ceci
démontre que l’idée avancée par certains et suivant laquelle l’adoption de la nouvelle constitution de Serbie liait les
mains des négociateurs serbes n’est pas fondée. Confor mément à l’article182 de la Constitution, l’autonomie
substantielle du Kosovo doit être réglée par une loi spéciale. Il est évident que cette loi peut avoir pour base un règlement
négocié.
110Dans une logique similaire, R. Higgins: Self-determination and Secession, dans Secession and International
Law, voir note 69. En particulier à la page 37: «Pendant une certaine période il y a eu certes, dans l’opinion publique
internationale, une sympathie généralisée en faveur de l’idée qu’il était raisonnable de considérer que le Kosovo avait
besoin de faire sécession de la Serbie. Mais les gouvernements continuaient de privilégier l’unité territoriale et, par suite
de l’évolution de la situation au il des années, on a perdu de vue la quest ion des possibles conditions préalables
nécessaires pour qu’on puisse réellement parler de sécession». Des observations quasiment identiques peuvent se trouver
dans l’article de J. Friedrich UNMIK in Kosovo: Struggling with Uncertainty, voir note 56, p. 251-252, bien que l’auteur
présente par la suite des arguments en faveur de l’indépendance sur la base d’un règlement négocié.
Pareille évaluation a été présentée d’un point de vue politique: «Le support dont l’ idée de l’indépendance
jouissait sur le plan politique et qui pendant le printemps et l’hiver 1999 était vigoureux, se mble avoir perdu une partie
considérable de sa force. La continuation de la violence cont re les Serbes n’avait cessé d’apporter de l’eau au moulin de
ceux qui s’opposent à l’indépendance du Kosovo. La consolidation progressive de l’administration internationale au
Kosovo et l’effondrement du régime de Miloševi ć n’ont eu d’autre effet que celui d’accroître l’influence de ceux qui ne
veulent pas voir davantage de désintégration dans la région.» (A. Yannis, op.cit., p. 58.) - 28 -
2. Le droit applicable à la question comprend le droit international général et la
résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité des Nations Unies.
3. La déclaration unilatérale d’indépendan ce du Kosovo n’est pas en conformité avec la
résolution 1244, et ce pour les raisons suivantes :
⎯ les multiples références à l’intégrité territori ale de la République fé dérale de Yougoslavie
contenues dans la résolution 1244 et l’absence de références à la possibilité que le Kosovo
devienne indépendant, créent, aux fins de l’interprétation, une forte présomption en faveur de
l’intégrité territoriale ;
⎯ même si l’on admettait que la résolution 1244 n’exclut pas la possibilité de l’accès du Kosovo
à l’indépendance en tant que modalité d’un règlem ent final, la résolution elle-même ainsi que
les positions régulièrement adoptées par les Etat s indiquent que le règlement doit être le
résultat d’un accord négocié par les parties ou d’une décision du Conseil de sécurité. La
résolution exclut la possibilité que le règlement final soit le résultat d’un acte unilatéral ;
⎯ les institutions provisoires d’auto-administr ation ont été créées dans le cadre de la
résolution1244 et sont tenues de s’y conformer. En déclarant l’indépendance elles ont
outrepassé très considérablement leur compétence.
4. La déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo n’est pas conforme au droit
international général, et ce pour les raisons suivantes :
⎯ en dehors du contexte colonial, le droit interna tional permet la sécession d’une partie d’un Etat
contre la volonté de celui-ci seulement dans le cadre de l’autodétermination des peuples, et
seulement dans des circonstances extrêmes, où le peuple dont il s’agit est continuellement
soumis aux formes les plus graves de l’oppressi on, qui met en danger l’existence même du
peuple ;
⎯ la population du Kosovo n’a pas été considérée comme ayant le droit à l’autodétermination, du
moins sous la forme de la sécession, ni en 1991-1992, ni en 1999 ;
⎯ en 2008 il n’existait pas de circonstances extrêm es et, en particulier, la population du Kosovo
ne confrontait aucun risque d’o ppression. Puisque la question de l’autodétermination sous la
forme de la sécession ne se posait pas en 1999, à plus forte raison ne se pose-t-elle pas en 2008.
Pour ces raisons, la Fédération de Russie considère que la déclaration unilatérale
d’indépendance adoptée par les institutions proviso ires d’auto-administration du Kosovo n’est pas
conforme au droit international.
___________
Exposé écrit de la Fédération de Russie (traduction du Greffe)