Requête introductive d'instance

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REQUÊTE

INTRODUCTIVE D'INSTANCE

enregistrée au Greffe de la Cour le 3 mars 1992

QUESTIONS D'INTERPRÉTATION ET D'APPLICATION DE LA CONVENTION

DE MONTRÉAL DE 1971 RÉSULTANT DE L'INCIDENT AÉRIEN DE LOCKERBIE

(JAMAHIRIYA ARABE LIBYENNE c. ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE)

1992
Rôle général
n° 89

1. LE SECRÉTAIRE DU BUREAU POPULAIRE DE LA GRANDE JAMAHIRIYA
ARABE LIBYENNE POPULAIRE ET SOCIALISTE AUPRÈS DU ROYAUME DES
PAYS-BAS AU GREFFIER DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

[Traduction]

Le 3 mars 1992.

Au nom de la Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste, et conformément à l'article
40, paragraphe 1, du Statut de la Cour, j'ai l'honneur de faire connaître à la Cour que la Libye
entend par la présente déposer des requêtes introduisant des instances contre le Gouvernement
des Etats-Unis d'Amérique et le Gouvernement du Royaume-Uni [ Les deux requêtes ainsi
déposées ont été publiées sé parément sous la présente forme. [ Note du Greffe ].] ,
respectivement, concernant l'application ou l'interprétation des dispositions de la convention
pour la répression d'actes illicites dirigés contre la sécurité de l'aviation civile signée a

Montréal le 23 septembre 1971.

Par des documents séparés qui seront déposés ultérieurement, la Libye présentera également à
la Cour des demandes en indication de mesures conservatoires en application de l'article 41 du
Statut de la Cour et des articles 73, 74 et 75 du Règlement de la Cour.

Comme il est indiqué dans les requêtes, conformément à l'article 40 du Règlement de la Cour,

le Gouvernement libyen informe la Cour que son agent sera le soussigné et que son domicile
élu est le suivant: Al Faitouri Sh. Mohamed, secrétaire du bureau populaire de la Grande
Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste, 28, avenue Victoria, 1050 Bruxelles,
Belgique.

Respectueusement,

le secrétaire du bureau populaire

auprès des Pays-Bas, (Signé) AL FAITOURI Sh. Mohamed.

__________

II. REQUÊTE INTRODUCTIVE D'INSTANCE

[Traduction]

Le 3 mars 1992.

J'ai l'honneur de me référer a l'article 14, paragraphe 1, de la convention pour la répression

d'actes illicites dirigés contre la sécurité de l'aviation civile signée à Montréal de 23 septembre
1971 (ci-après dénommée la << convention de Montréal >>).

En vertu de la compétence ainsi conférée à la Cour, je lui soumets par les présentes, au nom
du Gouvernement de la Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste (ci-après dénommée
la << Libye >>) et conformément à l'article 40, paragraphe 1, du Statut de la Cour et à l'article
38 du Règlement de la Cour, une requête introduisant une instance contre le Gouvernement

des Etats-Unis d'Amérique dans l'affaire suivante.

I. EXPOSÉ DES FAITS

Le 21 décembre 1988, l'appareil assurant le vol 103 de la Pan Am s'écrasa à Lockerbie, en
Ecosse.

Le 14 novembre 1991, un jury d'accusation du tribunal fédéral de district du District of
Columbia engagea des poursuites contre deux ressortissants libyens (ci-après dénommés les
<<accusés>>) pour avoir, notamment, fait placer une bombe à bord de l'avion assurant le 21
décembre 1988 le vol 103 de la Pan Am de Londres à New York, bombe dont l'explosion
avait provoqué la destruction de l'appareil.

Les allégations figurant dans l'acte d'accusation constituent une infraction pénale aux fins de
l'article premier de la convention de Montréal, qui, dans sa partie pertinente, dispose ce qui
suit:

<< Commet une infraction pénale toute personne qui illicitement et intentionnellement:

a) accomplit un acte de violence à l'encontre d'une personne se trouvant à bord d'un aéronef

en vol, si cet acte est de nature à compromettre la sécurité de cet aéronef;

b) détruit un aéronef en service ou cause à un tel aéronef des dommages qui le rendent inapte
au vol ou qui sont de nature à compromettre sa sécurité en vol;

c) place ou fait placer sur un aéronef en service, par quelque moyen que ce soit, un dispositif

ou des substances propres à détruire ledit aéronef ou à lui causer des dommages qui le rendent
inapte au vol ou qui sont de nature à compromettre sa sécurité en vol >>.

Ledit acte d'accusation a été communiqué à la Libye.Au moment de la communication de l'acte d'accusation à la Libye, ou peu de temps après, les
accusés se trouvaient sur le territoire libyen et ils ne l'ont pas quitté depuis.

Après avoir été informée de l'acte d'accusation, la Libye prit les mesures nécessaires pour
établir sa compétence aux fins de connaître des infractions alléguées. La Libye prit aussi des

mesures pour assurer la présence des accusés en Libye en vue de l'engagement de poursuites
pénales et elle ouvrit une enquête préliminaire afin d'établir les faits.

Les enquêteurs libyens tentèrent d'obtenir des informations des autorités des Etats-Unis et
firent savoir qu'ils étaient prêts à se rendre aux Etats-Unis ou dans d'autres pays pour
examiner les moyens de preuve ou coopérer aux enquêtes menées dans ces pays. Le
Gouvernement libyen adressa aussi des communications à l'Attorney General des Etats-Unis

et au président du jury d'accusation qui avait délivré l'acte d'accusation afin de solliciter leur
coopération dans le cadre des investigations judiciaires libyennes. La Libye n'a reçu aucune
réponse à ces initiatives et les Etats-Unis et leurs responsables de l'application des lois ont
refusé de coopérer de quelque façon que ce soit aux investigations libyennes.

II n'existe aucun traité d'extradition en vigueur entre la Libye et les Etats-Unis. En

conséquence, la Libye n'a pas extradé l'un ou l'autre des accusés. La Libye ne les a pas non
plus remis, malgre les efforts déployés par les Etats-Unis pour presser la Libye de le faire.

La Libye a soumis l'affaire à ses autorités compétentes pour l'exercice de l'action pénale; ces
autorités prendront leur décision dans les mêmes conditions que pour toute infraction de droit
commun de caractère grave conformément aux lois libyennes.

Le 17 janvier 1992, la Libye a adressé à M. James Baker, secrétaire d'Etat des Etats-Unis, une
lettre de M. Ibrahim Mohammed Al Bechari, secrétaire du comité populaire pour les
communications étrangères et la coopération internationale. Dans cette lettre, M. Al Bechari
signalait que la Libye avait pris les mesures nécessaires, relativement à l'incident, prévues par
la convention de Montréal. M. Al Bechari indiquait aussi que les demandes qui avaient été
adressées aux autorités compétentes des Etats-Unis pour les prier de prêter leur aide aux
autorités judiciaires libyennes étaient restées sans réponse et il invitait les Etats-Unis à

consentir à l'arbitrage conformément à l'article 14, paragraphe 1, de la convention de
Montréal.

Les Etats-Unis ne répondirent pas officiellement à cette lettre. Néanmoins, après l'envoi de
celle-ci, I'ambassadeur des Etats-Unis auprès de l'Organisation des Nations Unies déclara qu'il
s'agissait d'une situation << à laquelle les procédures habituelles ne peuvent manifestement
pas s'appliquer>> (S/PV.3033, 21 janvier 1992, p. 78); il ajouta: << II ne s'agit pas ici d'une

question de divergence d'opinion ou de démarche pouvant faire l'objet de médiation ou être
negociée>> (ibid, p. 78) et <<ni la Libye ni en fait aucun aucun autre Etat ne peut chercher à
dissimuler son appui au terrorisme international derrière les principes traditionnels du droit
international et de la pratique des Etats >> (ibid., p. 80).

Ainsi, malgré les efforts déployés par la Libye pour régler la question dans le cadre du droit

international, y compris la convention de Montréal, les Etats-Unis ont rejeté cette voie et
persistent dans une attitude visant à faire pression sur la Libye pour qu'elle remette les
accusés.

II. Compétence de la CourL'article 36, paragraphe 1, du Statut de la Cour dispose que la compétence de la Cour <<
s'étend à ... tous les cas spécialement prévus ... dans les traités et conventions en vigueur>>.
En tant que Membres de l'Organisation des Nations Unies, la Libye et les Etats-Unis sont
parties au Statut, qui forme partie intégrante de la Charte.

La Libye et les Etats-Unis sont aussi parties à la convention de Montréal, qui a été en vigueur
a l'égard des deux Parties pendant toute la période pertinente en l'espèce.

L'article 14, paragraphe 1, de la convention de Montréal, dispose:

<< 1. Tout différend entre des Etats contractants concernant l'interprétation ou l'application de
la présente convention qui ne peut pas être règle par voie de négociation est soumis a

l'arbitrage, à la demande de l'un d'entre eux. Si, dans les six mois qui suivent la date de la
demande d'arbi trage, les parties ne parviennent pas à se mettre d'accord sur l'organisation de
l'arbitrage, l'une quelconque d'entre elles peut soumettre le différend à la Cour internationale
de Justice, en déposant une requête conformément au Statut de la Cour~. >>

A la lumière des faits qui ont été exposés, et ainsi qu'il sera plus amplement développé dans

des conclusions ultérieures, il est clair qu'il existe un différend entre la Libye et les Etats-Unis
concernant l'interprétation ou l'application de la convention de Montréal. Tandis que la Libye
a indiqué de façon répétée qu'elle remplit ses obligations au regard de la convention, les Etats-
Unis ont clairement montré qu'ils n'entendent pas agir dans le cadre fixé par la convention
mais au contraire obtenir par la force que les accusés leur soient remis, en violation des
dispositions de la convention. De plus, en refusant de fournir les détails de leur enquête aux
autorités compétentes en Libye ou de coopérer avec elles, les Etats-Unis ont également

manqué au devoir d'entraide judiciaire envers la Libye stipulé à l'article 11, paragraphe 1, de
la convention de Montréal. II existe en conséquence un différend concernant l'interprétation
ou l'application de la convention.

II apparait également que ce différend ne peut pas être règle par voie de négociation. La Libye
a indiqué clairement, au moyen de différentes ouvertures diplomatiques devant le Conseil de
sécurité de l'Organisation des Nations Unies et ailleurs, qu'elle est disposée à soumettre le

règlement du différend à un arbitrage international neutre. Les Etats-Unis ont persisté à
refuser cette voie et ont affirmé avec insistance, en violation de la convention de Montréal,
que seuls leurs propres tribunaux, ou ceux du Royaume-Uni, sont compétents pour connaître
de l'affaire. Le refus des Etats-Unis de donner une réponse positive à la lettre de la Libye en
date du 17 janvier 1992 atteste de leur désintérêt pour un règlement négocié. En conclusion, il
n'a pas été possible de régler le présent différend par voie de négociation, conclusion
renforcée par le fait que la Libye et les Etats-Unis n'ont pas de relations diplomatiques.

De même, et par suite de l'absence totale de réaction positive des Etats-Unis à la proposition
d'arbitrage faite par la Libye, les Parties n'ont pu se mettre d'accord sur l'organisation d'un
arbitrage pour régler le différend. Eu égard à l'urgence qu'il y a à remédier aux violations
continues par les Etats-Unis de la convention de Montréal et au refus des Etats-Unis de se
soumettre à une procédure d'arbitrage, la Libye considère que la Cour est compétente pour

connaître des griefs de la Libye contre les Etats-Unis au regard de la convention de Montréal.

iii. Les griefs de la Libye

En saisissant la Cour du présent différend, la Libye fait valoir les griefs ci-après:a) La convention de Montréal est la seule convention pertinente en vigueur entre les Parties
qui traité des infractions énumérées à l'article premier précité. En conséquence, les Etats-Unis
sont tenus de se conformer aux dispositions de la convention de Montréal relatives à
l'incident.

b) Conformément a l'article 5, paragraphe 2, de la convention de Montréal, la Libye est
habilitée à prendre les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître
des infractions ci-dessus énoncées dans le cas où comme en l'occurrence, I'auteur présumé de
l'une d'elles se trouve sur son territoire et n'est pas extradé conformément à l'article 8 de la
convention. Par leurs actions et leurs menaces contre la Libye, les Etats-Unis tentent, en
violation de l'article 5, paragraphe 2, de la convention, d'empêcher la Libye d'établir sa
compétence légitime pour connaître de la question.

c) Conformément a l'article 5, paragraphe 3, de la convention, la Libye est habilitée à exercer
sa compétence pénale pour connaître de la question conformément à ses lois nationales. Par
leurs actions et leurs menaces, les Etats-Unis tentent d'empêcher la Libye d'exercer ce droit,
en violation de la convention

d) Conformément à l'article 7 de la convention, la Libye est tenue de soumettre l'affaire à ses
autorités compétentes pour l'exercice de l'action pénale—ce qu'elle a déjà fait. En s'efforcant
de contraindre la Libye à remettre les accusés, les Etats-Unis tentent d'empêcher la Libye de
remplir ses obligations a cet égard, en violation de la convention.

e) Conformément à l'article 8, paragraphe 2, de la convention,1'extradition est subordonnée au
droit de l'Etat requis. Comme stipulé à l'article 493 A) du code libyen de procédure pénale, le

droit libyen interdit l'extradition des nationaux libyens. II en résulte qu'il n'existe aucune base,
ni en droit libyen ni en application de la convention de Montréal, justifiant l'extradition des
accusés hors du territoire de la Libye, et les efforts des Etats-Unis aux fins contraires
constituent une violation de cette disposition de la convention de Montréal.

f) Conformément a l'article 11, paragraphe 1, de la convention, les Etats-Unis sont tenus
d'accorder à la Libye, en sa qualité d'Etat contractant, I'entraide judiciaire la plus large

possible dans toute procédure pénale engagée par elle au sujet des infractions énumérées à
l'article premier. En refusant d'accorder leur aide, les Etats-Unis ont viole leurs obligations au
regard de la convention de Montréal.

g) Les Etats-Unis sont tenus par leurs obligations juridiques résultant de la convention de
Montréal, lesquelles lui imposent d'agir en conformité avec la convention, et seulement en
conformité avec elle, pour toute question relative au vol PA 103 et aux accusés. La Libye

affirme qu'elle s'est totalement conformée à ses propres obligations au regard de la
convention, tandis que les Etats-Unis ont violé, et continuent de violer, ces obligations.

iv. Décision demandée

En conséquence, tout en se réservant le droit de compléter et modifier s'il y a lieu la présente

conclusion en cours de procédure, la Libye prie la Cour de dire et juger:

a) que la Libye a satisfait pleinement à toutes ses obligations au regard de la convention de
Montréal;b) que les Etats-Unis ont violé, et continuent de violer, leurs obligations juridiques envers la
Libye stipulées aux articles 5, paragraphes 2 et 3, 7, 8, paragraphe 2, et 11 de la convention de
Montréal;

c) que les Etats-Unis sont juridiquement tenus de mettre fin et de renoncer immédiatement à

ces violations et à toute forme de recours à la force ou à la menace contre la Libye, y compris
la menace de recourir à la force contre la Libye, ainsi qu'à toute violation de la souveraineté,
de l'intégrité territoriale et de l'indépendance politique de la Libye.

La Libye demandera ultérieurement à la Cour, dans un document distinct d'indiquer,
d'urgence, des mesures conservatoires.

La Libye a désigné le soussigné en qualité d'agent aux fins de la présente procédure. Toutes
communications relatives à la présente affaire devront être envoyées à M. Al Faitouri Sh.
Mohamed, secrétaire du bureau populaire de la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et
socialiste, 28, avenue Victoria, 1050 Bruxelles, Belgique.

Respectueusement,

l'agent de la Jamahiriya arabe libyenne

populaire et socialiste,

(Signé) Al Faitouri Sh. Mohamed.

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