COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
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Résumé
Document non officiel
Résumé 2008/5
Le 18 novembre 2008
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Croatie c. Serbie)
Exceptions préliminaires
Résumé de l’arrêt du 18 novembre 2008
Historique de la procédure et conclusions des Parties (par. 1-22)
La Cour rappelle que, le 2 ju illet 1999, la Croatie a déposé une requête contre la République
fédérale de Yougoslavie (dénommée ci-après la «RFY») au sujet d’un différend concernant des
violations alléguées de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide,
approuvée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1948 (dénommée ci-après la
«convention sur le génocide» ou «la Conven tion»). La requête invoquait comme base de
compétence de la Cour l’article IX de cet instrument.
Par ordonnance en date du 14septembre1999, la Cour a fixé au 14mars2000 la date
d’expiration du délai pour le dépôt du mémoire de la Croatie, et au 14septembre2000 la date
d’expiration du délai pour le dépôt du contre-mémoire de la RFY. Par ordonnance en date du
10 mars 2000, le président de la Cour, à la dema nde de la Croatie, a reporté au 14 septembre 2000
la date d’expiration du délai pour le dépôt du mémoire et, en conséquence, au 14 septembre 2001 la
date d’expiration du délai pour le dépôt du contre-mémoire de la RFY. Par ordonnance en date du
27 juin 2000, la Cour a reporté, respectivement, au 14 mars 2001 et au 16 septembre 2002 les dates
d’expiration des délais pour le dépôt du mémoire de la Croatie et du contre-mémoire de la RFY.
La Croatie a dûment déposé son mémoire dans le délai ainsi prorogé.
La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de la nationalité des Parties, chacune d’elles
s’est prévalue du droit que lui confère le paragrahe3 de l’article31 du Statut de procéder à la
désignation d’un juge ad hoc pour siéger en l’affaire : la Croatie a désigné M. Budislav Vukas, et la
RFY M. Milenko Kreća.
Le 11 septembre 2002, dans le délai prescrit au paragraphe 1 de l’article 79 du Règlement tel
qu’adopté le 14avril1978, la RFY a présenté des exceptions préliminaires portant sur la
compétence de la Cour pour connaître de l’affa ire et sur la recevabilité de la requête. En
conséquence, par ordonnance du 14novembre2002, la Cour a indiqué que, en vertu des
dispositions du paragraphe3 de l’article79 de son Règlement te l qu’adopté le 14avril1978, la
procédure sur le fond était suspendue et a fixé au 29 avril 2003 la date d’expiration du délai pour la
présentation, par la Croatie, d’un exposé écrit ontenant ses observations et conclusions sur les
exceptions préliminaires soulevées par la RFY. La Croatie a déposé son exposé dans le délai ainsi
fixé. - 2 -
Par lettre datée du 5 février 2003, la RFY a info rmé la Cour que, à la suite de l’adoption et
de la promulgation par l’Assemblée de la RFY, le 4 février 2003, de la charte constitutionnelle de
la Serbie-et-Monténégro, le nom de l’Etat de la «République fédérale de Yougoslavie» était
désormais «Serbie-et-Monténégro». Après l’a nnonce des résultats d’un référendum tenu au
Monténégro le 2m 1a2i006 (conformément à la charte constitutionnelle de la
Serbie-et-Monténégro), l’Assemblée nationale de la République du Monténégro a adopté le
3 juin 2006 une déclaration d’indépendance.
Par lettres en date du 6mai2008, le greffier a informé les Parties que la Cour les priait
d’examiner, à l’audience, la question de la capacité du défendeur à être partie à une instance devant
la Cour au moment du dépôt de la requête, étant donné que la question n’avait pas été traitée en tant
que telle dans les pièces de procédure.
Des audiences publiques ont été tenues du 26 au 30 mai 2008. A la fin de la procédure orale,
les Parties ont présenté à la Cour les conclusions finales suivantes :
Au nom du Gouvernement de la Serbie,
à l’audience du 29 mai 2008 :
«Pour les raisons exposées dans ses pièces de procédure et dans ses plaidoiries,
la Serbie prie la Cour de dire et juger :
1. que la Cour n’a pas compétence
ou, à titre subsidiaire,
2. a)que les demandes se rapportant à des actes ou omissions antérieurs au
27 avril 1992 ne relèvent pas de la compétence de la Cour et sont irrecevables ; et
b) que les demandes relatives
⎯ à l’exercice de poursuites à l’encontre de certaines personnes se trouvant sous la
juridiction de la Serbie,
⎯ à la communication de renseignements sur le sort des citoyens croates portés
disparus, et
⎯ à la restitution de biens culturels
ne relèvent pas de la compétence de la Cour et sont irrecevables.»
Au nom du Gouvernement de la Croatie,
à l’audience du 30 mai 2008 :
«Sur la base des faits et des arguments juridiques présentés dans nos
observations écrites et dans nos plaidoiries, la République de Croatie prie
respectueusement la Cour internationale de Justice :
1. de rejeter les première, deuxième et troisième exceptions préliminaires de la
Serbie, sauf la branche de la deuxième ex ception qui porte sur la demande tendant
à ce que M. Slobodan Milošević soit traduit en justice, et, en conséquence,
2. de dire et juger qu’elle est compétente pour statue r sur la requête déposée par la
République de Croatie le 2 juillet 1999.» - 3 -
Identification de la Partie défenderesse (par. 23-34)
La Cour indique qu’elle doit d’abord identifier la Partie dé fenderesse qui comparaît devant
elle. Elle précise que, par une lettre en date du 3 ju in 2006, le président de la République de Serbie
(ci-après dénommée la «Serbie») a informé le Secrétaire général de l’Organisation des
NationsUnies que, à la suite d’ un référendum tenu le 21mai2006, l’Assemblée nationale de la
République du Monténégro avait adopté une déclaration d’indépendance, et que
«la République de Serbie assure[rait] la c ontinuité de la qualité de Membre de la
communauté étatique de Serbie-et-Monténégro au sein de l’Organisation des
Nations Unies, y compris au sein de tous les organes et organisations du système des
NationsUnies, en vertu de l’article 60 de la charte constitutionnelle de la
Serbie-et-Monténégro».
Le président de la République de Serbie a en outre indiqué que, «au sein de l’Organisation
des NationsUnies, la dénomination «République de Serbie» d[evait] désormais être utilisée à la
place de l’appellation «Serbie-et-Monténégro»», et ajouté que la République de Serbie
«conserv[ait] tous les droits et assum[ait] toutes les obligations de la communauté étatique de
Serbie-et-Monténégro qui découlent de la Charte des Nations Unies».
La Cour rappelle que, par des lettres datées du 19 juillet 2006, le greffier a prié l’agent de la
Croatie, l’agent de la Serbie et le ministre des affaires étrangères du Monténégro de communiquer à
la Cour les vues de leurs gouvernements sur les conséquences qu’il y aurait lieu d’attacher aux
développements rappelés ci-dessus quant à la dénomin ation de la Partie défenderesse en l’espèce.
Elle relève que, par une lettre en date du 22ju illet2006, l’agent de la Serbie a précisé que, selon
son gouvernement, «c’[était] d’a bord au demandeur qu’il incomb[ait] de prendre position et de
décider s’il souhait[ait] maintenir sa demande initiale visant à la fois la Serbie et le Monténégro, ou
procéder différemment». Par une lettre en da te du 29novembre2006, le procureur général du
Monténégro, a indiqué que le «Monténégro ne p[ouva it] pas avoir la qualité de défendeur» dans le
cadre du différend porté devant la Cour. Celle-ci note en outre que, par une lettre en date du
15mai2008, l’agent de la Croatie a confirmé que l’instance introduite par la Croatie le
2 juillet 1999 «se poursui[vai]t à l’encontre de la République de Serbie en tant que partie
défenderesse», et que cette conclusion s’entendait «sans préjudice de l’éventuelle responsabilité de
la République du Monténégro et de la possibilité que soit introduite une instance distincte contre
celle-ci».
La Cour précise que les faits et événements auxquels se rapportent les conclusions de la
Croatie au fond remontent à une époque où la Serbie et le Monténégro faisaient partie du même
Etat. Elle relève par ailleurs que la Serbie a r econnu la «continuité entre la Serbie-et-Monténégro
et la République de Serbie». Le Monténégro, en revanche, est un nouvel Etat qui a été admis en
tant que tel au sein de l’Organisation des Nations Unies. Il n’assure pas la continuité de la
personnalité juridique internationale de la communauté étatique de Serbie-et-Monténégro.
La Cour rappelle le principe fondamental selon lequel aucun Etat ne pe ut être soumis à sa
juridiction sans y avoir consenti. Elle indi que que, dans sa lettre du 29novembre2006, le
Monténégro a fait clairement savoir qu’il ne consen tait pas à la compétence de la Cour à son égard
aux fins du présent différend. En outre, selon la Cour, il résulte clairement des événements qu’elle
a rappelés que le Monténégro n’assure pas la co ntinuité de la personnalité juridique de la
Serbie-et-Monténégro; il ne saurait donc, à ce titre, avoir acquis la qualité de partie défenderesse
dans la présente instance. La Cour relève enfin que le demandeur n’a pas, dans sa lettre du
15 mai 2008, prétendu que le Monténégro demeurait partie à la présente instance.
La Cour conclut donc que la Serbie est seule défenderesse en l’espèce. - 4 -
Présentation générale de l’argumentation des Parties (par. 35-42)
La Cour observe que, dans sa requête, la Croatie, se référant à des actes ayant eu lieu
pendant le conflit qui s’est déroulé entre1991 et1995 sur le territoire de l’ex-République
fédérative socialiste de Yougoslavie (dénommée ci -après la «RFSY»), a affirmé que la RFY avait
commis des violations de la convention sur le génocide. Le Gouvernement de la RFY a contesté la
recevabilité de la requête ainsi que la compétence de la Cour en vertu de l’articleIX de la
convention sur le génocide et ce, sur plusieurs fondements.
La Cour note que, en ce qui concerne la questi on de la capacité du défendeur de participer à
la présente instance en vertu de l’article 35 du Stat ut, le défendeur a soutenu qu’il n’avait pas cette
capacité dès lors que, comme la Cour l’a confirmé en 2004 dans les affaires relatives à la Licéité de
l’emploi de la force , il n’était pas membre de l’Organisation des NationsUnies avant le
1 novembre2000 et qu’il n’était, en conséquence, p as partie au Statut à la date du dépôt de la
requête, le 2juillet1999. La Croatie a, quant à elle, soute nu que la RFY était Membre de
l’Organisation des NationsUnies à la date du dé pôt de la requête et que, même dans le cas
contraire, le statut de la Serbie au sein de l’Organisation en1999 n’avait aucune incidence sur la
présente procédure, le défendeur en étant devenu Membre en 2000 et ayant, dès lors, valablement
acquis la capacité de participer à l’instance.
La Cour rappelle que le dé fendeur a soulevé une exception préliminaire relative à sa
compétence en vertu de l’article IX de la conventio n sur le génocide. Dans sa requête, la Croatie a
soutenu que les Parties étaient toutes deux liées par la convention sur le génocide en tant qu’Etats
successeurs de la RFSY. La Serbie a fait valoir que la compétence de la Cour en la présente
affaire, introduite le 2juillet1999, ne saurait être fondée sur l’articleIX de la convention sur le
génocide, au motif que la RFY n’avait en aucune manière été liée par cet instrument avant le
10juin2001, date à laquelle sa no tification d’adhésion et la réserve à l’articleIX dont elle est
assortie avaient pris effet.
La Cour observe que la Serbie a également soutenu que la requête de la Croatie était
irrecevable pour autant qu’elle se rapportait à d es actes ou omissions antérieurs à la proclamation
de l’indépendance de la RFY le 27 avril 1992. La Serbie a ainsi déclaré que les actes ou omissions
antérieurs à la naissance de la RFY ne sauraient lui être attribués. La Croatie a, pour sa part,
indiqué que, bien que l’exception préliminai re de la Serbie formulée à l’alinéa2 a) de ses
conclusions finales ait été présentée comme une exception d’irrecevabilité, la Serbie semblait en
réalité soutenir que la Cour n’avait pas compétence ratione temporis à l’égard d’actes ou
d’événements antérieurs au 27 avril 1992. A cet égard, la Croatie s’est référée à l’arrêt de la Cour
du 11juillet1996 dans lequel celle-ci a déclaré que , en l’absence de toute réserve à cet effet, il
n’existait pas de limitation temporelle à l’applic ation de la convention sur le génocide et à
l’exercice de sa compétence en vertu de celle-ci. A l’audience, la Serbie a soutenu à titre
subsidiaire que la Cour n’avait pas compétence ratione temporis pour connaître d’actes ou
d’événements antérieurs au 27 avril 1992, date à la quelle elle a vu le jour, au motif qu’il s’agissait
là de la date la plus ancie nne à laquelle la RFY aurait pu deve nir liée par la convention sur le
génocide.
La Cour note enfin que la Serbie a affirmé que les demandes formulées aux alinéas a), b)
et c) du second chef de conclusions figurant dans le mémoire de la Croatie, relatives,
respectivement, à la traduction en justi ce des personnes (y compris SlobodanMiloševi ć)
soupçonnées d’avoir commis des actes de génocid e, aux personnes portées disparues et à la
restitution des biens culturels étaient «irrecevable[s] et sans objet».
La Cour examine ces arguments tour à tour. - 5 -
Bref historique du statut de la RFY vis-à-vis de l’Organisation des Nations Unies (par. 43-51)
La Cour rappelle brièvement le processus de désintégration de la RFSY au début des
annéesquatre-vingt-dix et les décisions de l’Organisation des NationsUnies relatives au statut
juridique de la RFY. Elle indique notamment que, sur la recommandation du Conseil de sécurité,
l’Assemblée générale a adopté le 22 septembre 1992 sa résolution 47/1, par laquelle il a été décidé
que la RFY devrait présenter une demande d’admi ssion à l’Organisation des NationsUnies et ne
participerait pas aux travaux de l’Assemblée générale. La Cour note que «la situation sui generis
dans laquelle se trouvait la RFY» pe ndant la période allant de1992 à2000 (ainsi que la Cour l’a
qualifiée dans un arrêt qu’elle a rendu en 2003) a pris fin par une lettre en date du 27 octobre 2000,
adressée au Secrétaire général de l’Organisati on des NationsUnies par M.Koštunica, qui venait
d’être élu président de la RFY, lettre par la quelle celui-ci demandait l’admission de la RFY à
l’Organisation des Nations Unies. Cette adhésion a pris effet le 1 novembre 2000.
Pertinence des décisions antérieures de la Cour (par. 52-56)
La Cour fait observer que la question du statut et de la situation, à l’égard du Statut de la
Cour et de la convention sur le génocide, de l’Et at connu sous le nom de RFY à l’époque du dépôt
de la requête a été abordée dans plusieurs d écisions antérieures. En l’affaire relative à
l’Application de la convention pour la prévention et la ré pression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c.Serbie-et-Monténégro) , la Cour s’est prononcée sur deux demandes en
indication de mesures conservatoires (ordonnances du 8avril et du 13septembre1993), sur des
exceptions préliminaires (arrêt du 11juillet1996), et elle a rendu une décision au fond (arrêt du
26février2007). En l’affaire de la Demande en revision de l’arrêt du 11juillet1996 en l’affaire
relative à l’Application de la convention pour la prév ention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine Yocu.goslavi e), exceptions préliminaires (Yougoslavie c.
Bosnie-Herzégovine), la Cour a rendu un arrêt le 3février 2003. Dans le cadre des affaires
relatives à la Licéité de l’emploi de la force introduites par la RFY contre dix Etats membres de
l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, la Cour a, dans les arrêts qu’elle a rendus le
15décembre2004 dans huit d’entre elles, retenu les exceptions préliminaires au motif que le
demandeur n’avait pas la capacité d’ester devant elle.
Les Parties à la présente instance ayant cité ces différentes décisions à l’appui de leurs thèses
respectives, la Cour juge utile de préciser d’emblée dans quelle mesure elle estime que cette
jurisprudence est pertinente aux fins de trancher les questions dont elle est saisie.
La Cour précise que, bien que certaines des questions de fait et de droit examinées dans les
affaires susmentionnées se posent aussi en la prés ente espèce, aucune de ces décisions n’a été
rendue dans une affaire opposant les Parties à la présen te instance (la Croatie et la Serbie), de sorte
que, ainsi qu’elles le reconnaissent, la question de l’autorité de la cho se jugée ne se pose pas
(article59 du Statut de la Cour). Pour autant que les décisions en question contiennent des
conclusions de droit, la Cour indique qu’elle en tiendra compte, comme elle le fait habituellement
de sa jurisprudence; autrement dit, quoique ces d écisions ne s’imposent pas à elle, la Cour ne
s’écartera pas de sa jurisprudence établie, sauf si elle estime avoir pour cela des raisons très
particulières.
Exception préliminaire à la compétence de la Cour (par. 57-119)
⎯ Questions liées à la capacité d’être partie à la procédure (par. 57-92)
La Cour examine d’abord la question de sa voir si les Parties remplissent les conditions
générales auxquelles les articles34 et35 du Statut subordonnent la capacité de participer à une
procédure devant elle. - 6 -
La Cour note qu’il n’est pas contesté, et qu’ il ne fait aucun doute, que les deux Parties
remplissent la condition posée à l’article 34 du Statut : la Croatie et la Serbie sont des Etats aux fins
du paragraphe1 de l’article34. Elle relève en outre qu’il n’est ni contesté ni contestable que la
Croatie remplissait à la date de l’introduction de sa requête, le 2juillet1999, une condition
suffisante, aux termes de l’article35 du Statut, pour que la Cour lui soit «ouverte»: elle était, à
cette date, Membre des Nations Unies et donc, à ce titr e, partie au Statut de la Cour. La question
est de savoir si la Serbie satisfait, aux fins de la présente affaire, aux conditions de l’article 35 du
Statut, dans son paragraphe1 ou da ns son paragraphe2, et si elle a, eu égard à ce qui précède,
qualité pour participer à la présente procédure devant la Cour.
Après avoir exposé les positions des Parties à cet égard, la Cour souligne une nouvelle fois
que, aucune décision antérieure ne possédant pa r elle-même une quelconque autorité de chose
jugée dans la présente affaire, la question de la capacité du défendeur doit être examinée à nouveau,
dans le contexte du différend qui lui est soumis.
La Cour estime qu’il y a lieu de se pencher sur la question de l’accès à la Cour de la Serbie
sur la base du paragraphe 1 de l’article 35 avant de se livrer à un quelconque examen sur la base du
paragraphe2. Elle se demande ensuite si la réalisation des conditions prévues à l’article35 du
Statut doit s’apprécier exclusivement à la date d’introduction de la requête, ou si elle peut être
appréciée, au moins dans les circonstances propres à la présente affaire, à une date postérieure, et
er
plus précisément une date postérieure au 1 novembre 2000.
La Cour précise que, dans de nombreuses affaires, elle a rappelé quelle était, à cet égard, la
règle générale dont elle fait application, à savoir que «[s]a compétence … doit normalement
s’apprécier à la date du dépôt de l’acte introductif d’instance». Elle relève toutefois que, comme sa
devancière, la Cour permanente de Justice internationale (CPJI), elle a aussi fait preuve de réalisme
et de souplesse dans certaines hypothèses où les conditions de sa compétence n’étaient pas toutes
remplies à la date de l’introduction de l’instan ce mais l’avaient été postérieurement, et avant
qu’elle ne décide sur sa compétence. Elle ra ppelle que, dans son arrêt rendu le 30août1924 sur
l’exception d’incompétence soulevée par le défendeur dans l’affaire des Concessions Mavrommatis
en Palestine, la CPJI s’est ainsi exprimée :
«il faut … examiner … la question de savoir si la validité de l’introduction d’instance
peut être mise en doute parce qu’elle est antérieure à l’époque où le protocoleXII
[annexé au traité de Lausanne] est devenu applicable. Tel n’est pas le cas. Même si,
avant cette époque, la juridiction de la Cour n’existait pas pour la raison que
l’obligation internationale visée à l’article 11 [du mandat pour la Palestine] n’était pas
encore en vigueur, il aurait été toujours possible, pour la partie demanderesse, de
présenter à nouveau sa requête, dans les mêmes termes, après l’entrée en vigueur du
traité de Lausanne ; et alors on n’aurait pu lu i opposer le fait en question. Même si la
base de l’introduction d’instance était déf ectueuse pour la raison mentionnée, ce ne
serait pas une raison suffisante pour débouter le demandeur de sa requête. La Cour,
exerçant une juridiction internationale, n’est pas tenue d’attacher à des considérations
de forme la même importance qu’elles pourraient avoir dans le droit interne. Dans ces
conditions, même si l’introduction avait ét é prématurée, parce que le traité de
Lausanne n’était pas encore ratifié, ce fait aurait été couvert par le dépôt ultérieur des
o o
ratifications requises.» (Arrêt n 2, 1924, C.P.J.I. série A n 2, p. 34.)
La Cour poursuit en rappelant que, dans sa propre jurisprudence, la même idée apparaît à
l’Œuvre dans l’affaire du Cameroun septentrional (Cameroun c.Royaume-Uni) ( exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J.Recueil1963 , p.28), ainsi que dans celle des Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui -ci (Nicaragua c.Etats-Unis d’Amérique) dans le
passage où il est indiqué qu’«[i]l n’y aurait aucun sens à obliger maintenant le Nicaragua à entamer
une nouvelle procédure sur la base du traité [d’amitié de1956] ⎯ce qu’il aurait pleinement le
droit de faire» (compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 428-429, par. 83). - 7 -
Enfin, la Cour note qu’elle s’est plus récemment trouvée en présence d’une situation
comparable lorsqu’elle a statué sur les exceptions préliminaires dans l’affaire relative à
l’Application de la convention pour la prévention et la ré pression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c.Yougoslavie) ( exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil1996(II) ,
p.595). Le défendeur soutenait que la convention sur le génocide ⎯ base de compétence ⎯
n’était devenue applicable dans les relations entre les parties que le 14décembre1995, date à
laquelle, par l’effet des accords de Dayton-Paris, elles se seraient reconnues mutuellement, alors
que la requête avait été introduite le 20 mars 1993, soit plus de deux ans et demi auparavant.
La Cour a ainsi répondu à l’argument :
«En l’occurrence, quand bien même il serait établi que les Parties, qui étaient
liées chacune par la convention au moment du dépôt de la requête, ne l’auraient été
entre elles qu’à compter du 14décembre 1995, la Cour ne saurait écarter sa
compétence sur cette base dans la mesure où la Bosnie-Herzégovine pourrait à tout
moment déposer une nouvelle requête, identique à la présente, qui serait de ce point de
vue inattaquable.» (Ibid., p. 614, par. 26.)
La Cour relève que la Croatie se prévaut de cette jurisprudence, dont elle soutient qu’elle est
parfaitement transposable en l’espèce, alors que la Serbie combat cette thèse, avançant que la
jurisprudence précitée n’est pas applicable en l’espèce pour deux raisons. En premier lieu, la
Serbie relève que dans tous les précédents cités, le défendeur n’était pas la seule partie à ne pouvoir
remplir l’une des conditions nécessaires pour que la Cour se déclare compétente à la date de
l’introduction de l’instance; elle n’a cependant pas choisi d’en ti rer argument. En second lieu et
surtout, selon la Serbie, cette jurisprudence ne serait pas applicable dans le cas où la condition qui
fait défaut est relative à la capacité d’une partie à participer à une procédure devant la Cour,
conformément aux articles 34 et 35 du Statut. D’ailleurs, ajoute la Serbie, dans ses arrêts de 2004
relatifs à la Licéité de l’emploi de la force , la Cour n’a pas fait application de la «doctrine
Mavrommatis», puisque, après avoir constaté qu ’à la date de l’introduction des requêtes le
demandeur n’était pas partie au Statut de la Cour et n’avait donc pas le droit d’accèser celle-ci, elle
s’est déclarée incompétente, alors même qu’elle avait mentionné le fait que, le 1 novembre 2000,
le demandeur était devenu Membre des Nations Unies.
La Cour relève que, en ce qui concerne le premier des deux arguments susmentionnés, il
importe peu, eu égard à la logique qui inspire la jurisprudence précitée de la Cour issue de l’arrêt
de 1924 rendu en l’affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine, que la partie qui ne remplit
pas l’une des conditions de sa compétence soit la demanderesse ou la défenderesse ou bien les deux
à la fois ⎯ comme dans l’hypothèse où la clause compromissoire invoquée comme base de
compétence n’entre en vigueur qu’après l’introducti on de l’instance. La Cour n’aperçoit pas de
raison convaincante pour que les manques du demande ur soient susceptibles d’être couverts en
cours d’instance alors que ceux du défendeur ne le seraient pas. En effet, ce qui importe, c’est que,
au plus tard à la date à laquelle la Cour statue sur sa compétence, le demandeur soit en droit, s’il le
souhaite, d’introduire une nouvelle in stance, dans le cadre de laquelle la condition qui faisait
initialement défaut serait remplie. En pareil cas, cela ne servirait pas l’intérêt d’une bonne
administration de la justice d’obliger le demandeur à recommencer la procédure ⎯ou à en
commencer une nouvelle ⎯ et il est préférable, sauf circonstances spéciales, de constater que la
condition est désormais remplie.
S’agissant du second argument, la Cour admet que tous les précédents cités concernent des
cas où la condition faisant initialement dé faut était relative à la compétence ratione materiae ou
ratione personae dans le sens étroit, et non à la questi on de l’accès à la Cour, qui touche à la
capacité d’une partie de prendre part à une procédur e devant elle dans quelque affaire que ce soit.
Toutefois, la Cour précise qu’elle ne saurait souscrire à la thèse extrême plaidée par la Serbie, à
savoir que, lorsqu’elle est saisie par un Etat qui ne remplit pas les conditions d’accès de l’article 35,
ou à l’encontre d’un Etat qui ne remplit pas les mêmes conditions, elle serait même privée de la - 8 -
compétence de sa compétence, c’est-à-dire de la compétence pour décider si elle est compétente ou
non. La Cour rappelle que, dans tous les cas, el le possède la compétence de sa compétence (voir
article 36, paragraphe 6, du Statut).
La Cour ajoute que, ce qui est plus importan t encore, elle ne saurait accueillir l’argument de
la Serbie selon lequel le défaut c onsistant dans l’absence, dans le chef d’une partie, d’accès à la
Cour, est tellement rédhibitoire qu’il ne saurait en aucun cas être couvert par un événement
survenant en cours d’instance ⎯tel que l’acquisition par cette par tie de la qualité de partie au
Statut de la Cour, qui lui manquait initialement. Elle relève que, dans ces conditions, on n’aperçoit
pas pourquoi les arguments tirés d’une bonne administra tion de la justice, qui sont à la base de la
jurisprudence Mavrommatis, ne seraient pas également pertinen ts en la présente espèce. Il ne
servirait pas l’intérêt de la justice de mettre le demandeur dans l’obligation, s’il souhaite persévérer
dans ses prétentions, d’entamer une nouvelle procédure. Selon la Cour, peu importe à cet égard la
condition qui, à la date d’introduction de l’inst ance, faisait défaut, l’empêchant ainsi, à ce
moment-là, d’exercer sa compétence, dès lors qu’elle a été remplie par la suite.
La Cour note qu’il est vrai qu’elle n’a pas apparemment tenu compte, dans ses arrêts
de 2004, du fait que la Serbie-et-Mont énégro était devenue à cette date partie au Statut : elle s’est
en effet déclarée incompétente pour la seule ra ison que le demandeur n’avait pas accès à elle
en 1999, date d’introduction des requêtes, sans aller plus loin dans son raisonnement. Mais si, dans
ces affaires, la Cour s’en est tenue strictement à la règle générale selon laquelle sa compétence
s’apprécie à la date du dépôt de l’acte introductif d’instance, sans introduire l’élément de souplesse
qui résulte des autres décisions précitées, c’est en raison de considérations propres à ces affaires.
Elle relève notamment qu’il était clair que la Se rbie-et-Monténégro n’av ait pas l’intention de
maintenir ses demandes sous la forme de nouvelles requêt es. Selon la Cour, cet Etat soutenait
lui-même devant elle qu’il n’était pas, et n’avait ja mais été, lié par l’article IX de la convention sur
le génocide, pourtant la base de compétence qu’il avait initialement invoquée dans ces affaires. La
Cour estime que c’est le souci d’économie de procédure, qui est une composante des exigences de
bonne administration de la justice, qui justifie , dans les cas appropriés, l’application de la
jurisprudence issue de l’arrêt Mavrommatis. Cette jurisprudence vise à éviter la multiplication
inutile des procédures. La Cour poursuit en précisant que si, dans la présente affaire, la Croatie lui
demande d’appliquer la jurisprudence issue de l’arrêt Mavrommatis, une telle demande n’avait pas
été, et ne pouvait pas logiquement être, formulée par l’Etat requérant en 2004.
La Cour conclut donc qu’elle était ouverte à la RFY le 1 ernovembre 2000. Aussi serait-elle
en mesure de se déclarer compétente si elle conclu ait que la Serbie était liée par l’article IX de la
convention sur le génocide le 2ju illet1999, date d’introduction de la présente instance, et l’était
restée au moins jusqu’au 1 novembre 2000.
Compte tenu de la conclusion qui précède, la question de savoir s’il a été satisfait aux
conditions mentionnées au paragraphe 2 de l’article 35 est dépourvue de pertinence en l’espèce.
⎯ Questions liées à la compétence ratione materiae (par. 93-117)
La Cour se penche ensuite sur la question de sa compétence ratione materiae, qui fait l’objet
de la deuxième branche de la première exception pr éliminaire présentée par la Serbie, tendant à ce
que la Cour déclare qu’elle n’a pas compétence. Elle relève que Serbie qualifie cet élément de la
question comme relevant de la compétence ratione personae.
La Cour rappelle que la Croatie invoque co mme base de compétence l’articleIX de la
convention sur le génocide, et que les Parties s’accordent sur le fait que la Croatie est partie à cet
instrument, qu’elle l’était à toutes les époques pertinentes, et qu’elle n’a formulé aucune réserve
excluant l’application de l’article IX. - 9 -
La Cour note que, dans son exception préliminai re, la Serbie indique qu’elle n’était pas,
quant à elle, partie à la convention à la date du dépôt de la requête introductive d’instance (le
2juillet1999); elle affirme ne l’être devenue qu’en juin 2001, par voie d’adhésion. En outre, la
notification d’adhésion de la RFY, datée du 6 ma rs 2001 et déposée le 12 mars 2001, était assortie
d’une réserve aux termes de laquelle la RFY «ne se consid[érait] pas liée par l’articleIX de la
convention».
La Cour commence par rappeler que, selon sa ju risprudence constante, s’il est démontré
qu’un titre de compétence existait à la date de l’introduction de l’inst ance, la caducité de
l’instrument établissant sa juridiction ou le retrait dont il peut ultérieurement faire l’objet sont sans
effet sur sa compétence. Elle ajoute que si, par conséquent, le 2juillet1999, date à laquelle
l’instance a été introduite, la RFY était partie à la convention sur le génocide, y compris
l’articleIX, et si elle a continué d’être liée par cet article au moins jusqu’au 1 ernovembre 2000,
date à laquelle elle est devenue partie au Statut de la Cour, alors la Cour continue d’avoir
aujourd’hui compétence.
La Cour se penche sur l’histoire du lien qu’ont entretenu avec la convention, tout d’abord, la
RFSY et, par la suite, le défendeur. Elle exam ine notamment une déclaration formelle adoptée au
nom de la RFY le 27 avril 1992, ainsi qu’une not e officielle datée du même jour et communiquée
avec cette déclaration au Secrétaire général de l’ Organisation des Nations Unies. Elle note que la
RFY ne se considérait pas comme l’un des Etats su ccesseurs de la RFSY nés de la dissolution de
cette dernière mais comme l’unique Etat conti nuateur, conservant la personnalité de l’ex-RFSY,
avec pour conséquence que les autres Etats issus de l’ex-Yougoslavie étaient des Etats nouveaux,
habilités toutefois à revendiquer des droits d’Etat s successeurs. La RFY a maintenu cette ligne de
conduite jusqu’à un changement de gouvernemen t intervenu en2000, qui a été suivi d’une
demande d’admission à l’Organisation des Nations Unies en tant que nouveau Membre.
La Cour examine la nature de la déclaration et de la note de 1992 et leur effet sur la situation
de la RFY vis-à-vis de la convention sur le génocid e. Elle considère tout d’abord qu’il ne saurait
faire de doute, à en juger par la conduite ultérieu re des personnes qui étaient chargées des affaires
de la RFY, que cet Etat considérait la déclaration comme faite en son nom, et qu’il faisait siens et
acceptait les engagements qu’elle contenait. La Cour se demande ensuite si «le contenu de [la
déclaration et de la note de1992] est…suffisamment précis relativement à la question
particulière» de l’acceptation d’obligations conventi onnelles internationales. Elle relève que la
déclaration et la note de1992 n’indiquaient pas simplement que la RFY respecterait certains
engagements; cette dernière précisait que ces engagements étaient ceux «que la République
fédérative socialiste de Yougoslavie a[vait] pris à l’échelon international» ou «dans le cadre des
relations internationales». S’il est donc vrai que les traités visés n’étaient pas nommément
désignés, la déclaration renvoyait toutefois à une catégorie d’instruments qui était alors
parfaitement identifiable, à savoir celle des «engage ments» conventionnels qui liaient la RFSY au
moment de sa dissolution. Selon la Cour, il ne fait aucun doute que la convention sur le génocide
était l’un de ces «engagements». La Cour poursuit en indiquant qu’il existe une distinction entre la
nature juridique de la ratification d’un traité ou de l’adhésion à celui-ci et celle du processus par
lequel un Etat devient lié par un traité en tant qu’Etat successeur ou le demeure en tant qu’Etat
continuateur. L’adhésion ou la ratification est un acte de volonté pur et simple par lequel l’Etat
exprime son intention d’accepter des obligations nouvelles et d’acquérir des droits nouveaux aux
termes d’un traité, acte effectué par écrit et dans les formes prévues par celui-ci (voirarticles15
et16 de la convention de Vienne sur le droit des traités). Dans le cas de la succession ou de la
continuité, en revanche, l’acte de volonté de l’Etat s’inscrit dans un contexte préexistant et revient
pour l’Etat intéressé à reconnaître que certaines conséquences juridiques découlent dudit contexte,
de sorte que tout document produit par cet Etat peut, dès lors qu’il s’agit essentiellement d’une
confirmation, être soumis à des exigences forme lles moins rigoureuses. Cette idée trouve son
expression à l’article 2 g) de la convention de Vienne de 1978 sur la succession d’Etats en matière
de traités, qui définit la «notification de succession» comme s’entendant, «par rapport à un traité
multilatéral, d’une notification, quel que soit son libellé ou sa désignation , faite par un Etat - 10 -
successeur, exprimant le consentement de cet Etat à être considéré comme étant lié par le traité».
Le droit international n’impose d’ ailleurs à l’Etat aucune forme particulière pour exprimer une
revendication de continuité. La Cour relève que la déclaration de1992 n’était pas libellée de la
manière dont le sont les actes juridiques par lesquels il est reconnu qu’un Etat peut devenir partie à
une convention multilatérale. Elle fait toutefois observer que, pour constituer un moyen valable et
effectif par lequel l’Etat déclarant peut assumer des obligations en vertu de la convention, une
déclaration n’a pas à être strictement conforme à l’ensemble des formalités requises.
La Cour se demande ensuite si la déclarati on et la note de 1992, considérées conjointement
avec tout autre comportement concordant de la Serbie, indiquent une telle acceptation unilatérale
des obligations de la convention sur le génocide et ce, dans le contexte particulier de la présente
espèce, par un processus équivalent à une succession au statut de la RFSY. Elle estime que la
déclaration de 1992 doit être considérée comme ayant eu les effets d’une notification de succession
à des traités, alors même que l’intention politique qui la sous-tendait était différente. La Cour
estime en outre qu’il ressort clairement du comportement de la Serbie après la communication de la
déclaration qu’elle se considérait elle-même liée pa r la convention sur le génocide. Elle relève
notamment que, entre la déclaration de1992 et la da te du dépôt de la requête de la Croatie, ni la
RFY ni aucun autre Etat susceptible d’être intére ssé par la question n’a contesté que la RFY était
partie à la convention sur le génocide, sans r éserve, et aucun autre événement, pendant cette
période, n’a eu la moindre incidence sur la situatio n juridique découlant de ladite déclaration. Le
1 novembre2000, la RFY a été admise en qualité de nouveau Membre à l’Organisation des
NationsUnies mais elle n’a, à l’époque, ni retir é ni prétendu retirer la déclaration et la note
de 1992, qui étaient inspirées de sa thèse selon laquell e elle assurait la continuité de la personnalité
juridique de la RFSY. La Cour fait observer que, jusqu’en mars 2001, la RFY ne prit aucune autre
mesure contraire au statut qu’elle prétendait être le sien depuis 1992, à savoir celui d’un Etat partie
à la convention sur le génocide. Le 12 mars2001, elle a déposé auprès du Secrétaire général une
notification d’adhésion à la convention sur le génocide assortie d’une réserve à l’article IX.
En résumé, la Cour considère qu’il convient, comp te tenu de la teneur de la déclaration et de
la note du 27 avril 1992 ainsi que du comportement c oncordant de la RFY tant au moment de leur
rédaction que tout au long des années 1992 à 2001, d’attribuer précisément à ces documents l’effet
qu’ils étaient, selon elle, censés avoir d’après leur libellé, à savoir que, à compter de cette date,
laRFY serait liée, en tant que partie, par les obligations découlant de toutes les conventions
multilatérales auxquelles la RFSY étai t partie au moment de sa dissolution, à moins, bien sûr, que
celle-ci n’eût formulé de manière régulière des r éserves limitant ses obligations. La Cour relève
qu’il est admis que la convention sur le génocide fa isait partie de ces conve ntions et que la RFSY
n’avait formulé aucune réserve à son égard. La RFY a donc accepté en1992 les obligations
découlant de cette convention, y compris l’article IX qui prévoit la compétence de la Cour; cet
engagement relatif à la compétence liait le défe ndeur à la date d’introduction de la présente
instance. Dans le contexte des événements qui se sont produits, cela signifie que la déclaration et
la note de 1992 ont eu l’effet d’une notification de succession de la RFY à la RFSY à l’égard de la
convention sur le génocide. La Cour conclut que, sous réserve des exceptions plus spécifiques
formulées par la Serbie, qui sont examinées dans la suite de l’arrêt, elle avait, à la date
d’introduction de la présente instance, compétence pour connaître de l’affaire sur la base de
l’articleIX de la convention sur le génocide. Cette situation est r estée inchangée au moins
er
jusqu’au 1 novembre2000, date à laquelle la Serbie -et-Monténégro est devenue Membre de
l’Organisation des Nations Unies et donc partie au Statut de la Cour.
Ayant établi que les conditions de sa compétence sont remplies et ce, sans préjudice de ses
conclusions relatives aux autres exceptions préliminaires présentées par la Serbie, la Cour conclut
que la première exception préliminaire selon laquelle «la Cour n’a pas compétence» doit être
rejetée. - 11 -
Exception préliminaire à la compétence de la Cour et à la recevabilité ratione temporis
(par. 120-130)
La Cour en vient ensuite à l’examen de la deuxième exception préliminaire, énoncée à
l’alinéa 2 a) des conclusions finales de la Serbie, selon laquelle «les demandes fondées sur les actes
ou omissions antérieurs au 27avril1992» ⎯c’est-à-dire avant la création formelle de la
«République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro)» ⎯«ne relèvent pas de la
compétence de la Cour et sont irrecevables».
La Cour note que l’exception préliminaire est présentée à la fois comme une exception
d’incompétence et comme une exception d’irrecevabilité des demandes. Elle rappelle que la base
de compétence invoquée par la Croatie est l’article IX de la convention sur le génocide et qu’elle a
déjà établi que la Croatie et la Serbie étaient t outes deux parties à ladite convention à la date de
l’introduction de l’instance (le 2juillet1999). La Serbie soutient toutefois que la Cour n’a pas
compétence en vertu de l’article IX ou qu’elle ne saurait exercer cette compétence pour autant que
la demande de la Croatie a trait à des «actes ou omissions antérieurs au 27avril1992», ce qui
revient à dire que la compétence de la Cour est limitée ratione temporis.
De l’avis de la Cour, les questions de compétence et de recevabilité soulevées par
l’exception préliminaire ratione temporis de la Serbie constituent, en la présente affaire,
deuxquestions indissociables. La première est celle de savoir si la Cour a compétence pour
déterminer si des violations de la convention su r le génocide ont été commises, à la lumière des
faits antérieurs à la date à laquelle la RFY a commencé à exister en tant qu’Etat distinct, ayant à ce
titre la capacité d’être partie à cet instrument ; cela revient à se demander si les obligations en vertu
de la convention étaient opposables à la RFY an térieurement au 27avril1992. La seconde
question, qui porte sur la recevabilité de la demande concernant ces faits, et qui a trait à
l’attribution, est celle des conséquences à tirer quant à la responsabilité de la RFY à raison desdits
faits en vertu des règles générales de la res ponsabilité des Etats. Pour que la Cour puisse se
prononcer sur chacune de ces questions, elle devra disposer de davantage d’éléments.
Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que l’exception préliminaire ratione temporis
soulevée par la Serbie n’a pas, dans les ci rconstances de l’espèce, un caractère exclusivement
préliminaire.
Exception préliminaire concernant la traduc tion de certaines personnes en justice, la
communication de renseignements sur les citoyens croates portés disparus et la restitution de
biens culturels (par. 131-144)
La Cour en vient enfin à l’examen de la troisième exception soulevée par la Serbie, selon
laquelle
«les demandes relatives à l’exercice de poursu ites à l’encontre de certaines personnes
se trouvant sous la juridiction de la Serb ie, à la communication de renseignements sur
le sort des citoyens croates portés disparus et à la restitution de biens culturels ne
relèvent pas de la compétence de la Cour et sont irrecevables».
⎯ Traduction de certaines personnes en justice
La Cour rappelle que, dans la demande énoncée à l’alinéa a) du second chef de conclusions
figurant dans son mémoire, la Croatie la prie de dire et juger que la Serbie est tenue de :
«prendre sans délai des mesures efficaces pour traduire devant l’autorité judiciaire
compétente ses citoyens ou d’autres personnes se trouvant sous sa juridiction sur
lesquels pèse une forte présomption d’avoir commis les actes de génocide visés à
l’alinéa a) du paragraphe 1, ou l’un quelconque des autres actes visés à l’alinéa b) du - 12 -
paragraphe 1 [des conclusions de la Croatie], et en particu lier l’ancien président de la
République fédérale de Yougoslavie SlobodanMiloševi ć, et de veiller à ce qu’ils
soient dûment sanctionnés à raison de leurs crimes s’ils sont déclarés coupables».
La Cour relève que la Croatie a adapté ses c onclusions pour tenir compte de ce que l’ancien
président Slobodan Miloševi ć avait été transféré au Tribunal pénal international pour
l’ex-Yougoslavie (TPIY) après le dépôt du mémoire et qu’il était ensuite décédé. En outre, la
Croatie reconnaît que cette demande est désormais sans objet en ce qui concerne un certain nombre
d’autres personnes que la Serbie a transférées au TPIY, mais elle maintient qu’un différend
continue de l’opposer à la Serbie au sujet des personnes qui n’ont été déférées ni à un tribunal
compétent en Croatie ni au TPIY pour répondre d es actes ou omissions faisant l’objet de la
présente instance. La Serbie soutient pour sa part, et c’est le premier fondement de son exception,
qu’en fait, il ne reste qu’une personne encore en fuite accusée par le TPIY d’avoir commis des
crimes en Croatie, et que les accusations portées à son encontre ne concernent pas des actes de
génocide, mais des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.
Ayant examiné les arguments de chacune des Parties, la Cour précise qu’elle considère que
le premier fondement de l’exception de la Serbie a essentiellement trait à la recevabilité : il revient
à affirmer, à la lumière des faits de l’espèce tels qu’ils se présentent aujourd’hui, que la demande
est sans objet, au sens où la Croatie n’aurait pas démontré que des personnes accusées de génocide,
soit par le TPIY soit par des juridictions croates, se trouvent actuellement sur le territoire de la
Serbie ou sous le contrôle de ce lle-ci. L’exactitude de cette a ffirmation est une question qui se
posera à la Cour lorsqu’elle examinera les demandes de la Croatie au fond. La Cour rejette par
conséquent l’exception et considère qu’il ne subsiste aucune question de recevabilité.
⎯ Communication de renseignements sur les citoyens croates portés disparus
La Cour rappelle que le demandeur l’a priée, à l’alinéa b) de son second chef de conclusions,
de dire et juger que la Serbie est tenue de :
«communiquer sans délai au demandeur toutes les informations en sa possession ou
sous son contrôle sur le sort des ressorti ssants croates portés disparus à la suite des
actes de génocide dont [la Serbie] s’est rendue responsable et, plus généralement,
coopérer avec les autorités de la Républiq ue de Croatie en vue de déterminer
conjointement ce qu’il est advenu de ces personnes ou de leurs dépouilles».
La Cour relève que, selon la Serbie, dès lors que les actes commis en Croatie dont il s’agit ici
ne constituent pas un génocide, les obligations d écoulant de la convention sur le génocide ne
s’appliquent pas. La Serbie a également appelé l’attention sur la coopération entre les deux Etats
en ce qui concerne la localisation et l’identification des personnes portées disparues ⎯ coopération
tant directe que s’inscrivant dans le cadre des travaux de la commission internationale pour les
personnes disparues ⎯, et sur l’existence d’accords bilatéraux conclus entre les deux Etats en vertu
desquels ceux-ci sont tenus d’échanger des renseignements sur les personnes disparues.
La Cour estime que la question de savoir quels remèdes appropriés
elle pourrait ordonner
dans l’exercice de la compétence que lui conf ère l’articleIX de la convention dépend
nécessairement des conclusions auxquelles elle pourrait en temps utile parvenir quant à des
violations de la convention par le défendeur. Dès lors qu’il s’ agit là d’une question relevant
essentiellement du fond, et qui est subordonnée à la question principale de responsabilité que
soulève la demande, elle n’est pas de nature à fair e l’objet d’une exception préliminaire, et la Cour
conclut que l’exception préliminaire soulevée par la Serbie, pour autant qu’elle se rapporte à la
demande formulée à l’alinéa b) du second chef de conclusions de la Croatie, doit être rejetée. - 13 -
⎯ Restitution de biens culturels
l’alinéa c) de son second chef de conclusions, que la Serbie conteste également, le
demandeur prie la Cour de dire et juger que la Serbie est tenue de «[lui] restituer sans délai … tout
bien culturel relevant de sa juri diction ou de son contrôle saisi da ns le cadre des actes de génocide
dont elle porte la responsabilité».
Là encore, ayant examiné les arguments des Parties, la Cour estime que la question de savoir
quels remèdes appropriés elle pourrait ordonner dépend nécessairement des conclusions auxquelles
elle pourrait en temps utile parvenir quant à des viol ations de la convention par le défendeur ; cette
question n’est pas de nature à faire l’objet d’une exception préliminaire. La Cour en conclut donc
que l’exception préliminaire soulevée par la Serb ie, pour autant qu’elle se rapporte à la demande
formulée à l’alinéa c) du second chef de conclusions de la Croatie, doit être rejetée.
⎯ Conclusion
La Cour conclut que la troisième exception pré liminaire que soulève la Serbie doit donc être
rejetée dans son intégralité.
Suite de la procédure (par. 145)
Ayant établi qu’elle a compétence, la Cour indique qu’elle examinera l’exception
préliminaire dont elle a conclu qu’elle n’avait p as un caractère exclusivement préliminaire lors de
la phase du fond. Conformément au paragraphe 7 de l’article 79 de son Règlement tel qu’adopté le
14 avril 1978, la Cour fixera ultérieurement les délais pour la suite de la procédure.
Dispositif (par. 146)
m«Pifs,
L A C OUR ,
1) Par dix voix contre sept,
Rejette la première exception préliminaire soulev ée par la République de Serbie, en ce
qu’elle a trait à sa capacité de participer à l’in stance introduite par la requête de la République de
Croatie ;
POUR : Mme Higgins, président; M. Al-Khasawneh, vice-président; MM. Buergenthal,
Simma, Tomka, Abraham, Ke ith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, juges ; M. Vukas,
juge ad hoc ;
CONTRE :MM. Ranjeva, Shi, Koroma, Parra-Aranguren, Owada, Skotnikov, juges ;
M. Kréca, juge ad hoc ;
2) Par douze voix contre cinq,
Rejette la première exception préliminaire soulev ée par la République de Serbie, en ce
qu’elle a trait à la compétence ratione materiae de la Cour, en vertu de l’article IX de la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide, pour connaître de la requête de la
République de Croatie ;
POUR : Mme Higgins, président; M. Al-Khasawneh, vice-président; MM. Buergenthal,
Owada, Simma, Tomka, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, juges ;
M. Vukas, juge ad hoc ; - 14 -
CONTRE : MM. Ranjeva, Shi, Koroma, Parra-Aranguren, juges ; M. Kréca, juge ad hoc ;
3) Par dix voix contre sept,
Dit que, sous réserve du point4 du présent dis positif, la Cour a compétence pour connaître
de la requête de la République de Croatie ;
POUR : Mme Higgins, président; M. Al-Khasawneh, vice-président; MM. Buergenthal,
Simma, Tomka, Abraham, Ke ith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, juges ; M. Vukas,
juge ad hoc ;
CONTRE : MR. anjeva, Shi, Koroma, Parra-Aranguren, Owada, Skotnikov, juges ;
M. Kréca, juge ad hoc ;
4) Par onze voix contre six,
Dit que la deuxième exception préliminaire soul evée par la République de Serbie n’a pas,
dans les circonstances de l’espèce, un caractère exclusivement préliminaire ;
POUR : Mme Higgins, président; M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Ranjeva,
Buergenthal, Owada, Simma, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, juges ;
M. Vukas, juge ad hoc ;
CONTRE :MM. Shi, Koroma, Parra-Aranguren, Tomka, Skotnikov, juges ; M. Kréca,
juge ad hoc ;
5) Par douze voix contre cinq,
Rejette la troisième exception préliminaire soulevée par la République de Serbie.
POUR : Mme Higgins, président; M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Ranjeva,
Buergenthal, Owada, Simma, Tomka, Ab raham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna,
juges ; M. Vukas, juge ad hoc ;
CONTRE : MM. Shi, Koroma, Parra-Aranguren, Skotnikov, juges ; M. Kréca, juge ad hoc.»
*
M. le juge Al-Khasawneh, vice-président , joint à l’arrêt l’exposé de son opinion
individuelle; MM. les juges Ranjeva, Shi, Koro ma et Parra-Aranguren joignent une déclaration
commune à l’arrêt ; MM. les juges Ranjeva et Owada joignent à l’arrêt les exposés de leur opinion
dissidente; MM. les juges Tomka et Abraham joignent à l’arrêt les exposés de leur opinion
individuelle; M. le juge Bennouna joint une déclaration à l’arrêt; M.lejugeSkotnikov joint à
l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente ; M. le juge ad hoc Vukas joint à l’arrêt l’exposé de son
opinion individuelle ; M. le juge ad hoc Kreća joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente.
___________ Annexe au résumé n 2008/5
Opinion individuelle du vice-président Al-Khasawneh
Le vice-président joint une opinion individuelle dans laquelle il reconnaît la compétence de
la Cour pour se prononcer quant au fond de l’affaire, mais n’approuve pas deux des prémisses sur
lesquelles l’arrêt de la Cour est fondé, selon les quelles i)la République Fédérale de Yougoslavie
(RFY) n’avait pas accès à la Cour entre le moment de sa création et celui de son admission à
l’Organisation des NationsUnies (ONU) en tant que nouveau Membre et ii)ce défaut peut être
couvert par une interprétation novatrice du principe Mavrommatis.
Le vice-président relève que la première de ces deux prémisses est fondée sur l’arrêt rendu
en 2004 dans les affaires de la licéité de l’emploi de la force (arrêt de 2004), dans lesquelles, à la
lumière de l’admission de la RFY à l’ONU en2000, la Cour était parvenue à une clarification
rétroactive du statut de la RFY révélant que ce lle-ci n’avait pas été membre de l’ONU dans la
période comprise entre1992 et2000. Rappelant son désaccord avec le raisonnement adopté dans
l’arrêt de2004, le vice-président affirme que l’arrêt rendu en2007 dans l’affaire relative à
l’application de la convention su r le génocide n’a pas dissipé les contradictions présentes dans
l’arrêt de2004 mais les a masquées en invoquant le principe de l’autorité de la chose jugée. Le
vice-président exprime son regret de voir qu’en l’esp èce, la Cour a choisi de recourir de nouveau à
l’arrêt de2004 au lieu de ne plus l’invoquer, et fait état des implications morales et logiques de
l’escamotage collectif de la RFY, qui a duré huit ans. La seconde prémisse à propos de laquelle le
vice-président exprime son désaccord est l’interp rétation faite par la majorité du principe
Mavrommatis, principe en vertu duquel la Cour n’exige pas qu’une nouvelle requête soit déposée
s’il existe, à la date de l’introduc tion de l’instance, un défaut procédural pouvant être couvert par
un acte ultérieur du demandeur. Le vice-président rappelle la suite d’événements pertinents en la
présente affaire, notamment l’admission de la RFY à l’Organisation des NationsUnies en
novembre 2000 ; le dépôt par la RFY, le 6 mars 2001, d’un instrument d’adhésion à la convention
sur le génocide contenant une réserve à son article IX ; et l’objection formulée à cette réserve par la
Croatie au motif que la RFY était déjà «liée par la Convention depuis qu’elle [était] devenue l’un
des cinq Etats successeurs égaux». Le vice-président estime que cette réserve, à moins de ne pas
être valable, fait obstacle à l’invocation du principe Mavrommatis, et que son invalidation serait
une condition préalable pour que la Cour ait compétence ratione materiae en vertu dudit principe.
Dès lors qu’il n’a pas été conclu dans le présent arrêt que la réserve n’était pas valable, le
vice-président estime que tout raisonnement fondé sur le principe Mavrommatis n’a aucun sens.
Le vice-président conclut en rappelant que, selon lu i, la RFY était un Etat continuateur de la
RFSY jusqu’en 2000, date à laquelle elle est de venue un Etat successeur et s’est trouvée liée par la
convention sur le génocide du fait de la ratificat ion de cet instrument par la RFSY. Pour
l’ensemble de ces raisons, le vice-président retiendrait la compétence de la Cour.
Déclaration commune de MM. les juges Ranjeva, Shi, Koroma et Parra-Aranguren
Dans leur déclaration commune, les juges Ranjeva, Shi, Koroma et Parra-Aranguren
concluent que le présent arrêt est dépourvu de va lidité et de cohérence, et qu’il est même contra
legem.
Les auteurs de la déclaration commune font observer qu’une question cruciale à laquelle la
Cour devait répondre dans le cadre de cette phase de l’instance était celle de savoir si elle était
ouverte au défendeur, la Serbie, à la date du dé pôt de la requête le 2juillet1999, une question
qu’ils estiment à la fois préalable à celle de la compétence et tout au ssi fondamentale. Ils
soulignent que, d’après le Statut, tout Etat doit être admis à ester devant la Cour pour pouvoir être
partie à une affaire contentieuse. - 2 -
Les juges rappellent que, dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force, la
Cour avait conclu que, à la date du dépôt de sa re quête le 29avril1999, la Serbie-et-Monténégro
n’était pas membre de l’Organisation des Nations Unies et n’avait donc pas accès à elle au titre du
paragraphe1 de l’article35 du Statut. Su ivant ce raisonnement, ils estiment donc que la
Serbie-et-Monténégro ne devait pas davantage a voir accès à la Cour lorsque la Croatie déposa le
2juillet1999 sa requête dans la pr ésente affaire. Ils relèvent qu e les autres arrêts rendus par la
Cour au sujet d’instances parallèles n’infirment pas ce point de vue mais militent au contraire en ce
sens. Nonobstant ces conclusions, notent les aute urs de la déclaration commune, la Cour s’est
estimée fondée dans le présent arrêt à exercer sa compétence en l’espèce en se réclamant de
l’affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine , dans laquelle la Cour permanente de Justice
internationale avait statué que, «[m]ême si la ba se de l’introduction d’instance était défectueuse
pour la raison mentionnée, ce ne serait pas une rais on suffisante pour débouter le demandeur de sa
requête» (arrêt n 2, 1924, C.P.J.I. série A n° 2, p. 34), car, «exerçant une juridiction internationale,
[elle] n’[était] pas tenue d’attacher à des considérations de forme la même importance qu’elles
pou[v]aient avoir dans le droit interne» (ibid.).
Les auteurs de la déclaration commune critiquent pour les raisons suivantes la façon, erronée
selon eux, dont la Cour a appliqué ce dictum énoncé en l’affaire Mavrommatis. Tout d’abord, ils
exposent que le principe Mavrommatis ne s’applique pas à la présente affaire puisqu’il n’était pas
question de l’accès à la Cour dans cette affaire-là. Ils considèrent ensuite que, en l’espèce, la
question n’est pas d’ordre «procédural», comme tel était le cas dans l’affaire Mavrommatis (où il
s’agissait de savoir ce qu’une partie avait déposé ou pouvait déposer), mais revêt incontestablement
un caractère préliminaire et fondamental (touchant au statut de cette partie au titre de la Charte des
NationsUnies et du Statut de la Cour). De leur point de vue, si une par tie peut remédier à une
erreur procédurale, elle ne peut en revanc he pas modifier purement et simplement une
caractéristique fondamentale du statut juridique de la partie adverse. Ils indiquent ensuite que
l’affaire Mavrommatis et toutes celles qui s’inscrivent dans sa lignée se rapportaient à des défauts
dont l’effet était très limité dans le temps, ce qui n’ est pas le cas dans la présente affaire. Enfin, ils
relèvent que le principe concerné en l’affaire Mavrommatis a été appliqué lorsque c’était le
demandeur ou les deux parties, mais pas uniquement le défendeur, qui avaient manqué de satisfaire
à l’une des conditions nécessaires pour que la Cour se déclare compétente à la date de
l’introduction de l’instance.
Dans ces conditions, l’usage qui est fait de l’affaire Mavrommatis ne leur semble pas
approprié : ils estiment que la Cour aurait dû déte rminer par elle-même si les Parties avaient accès
à elle à l’époque pertinente, en prenant pour point de départ la date du dépôt de la requête de la
Croatie. Les auteurs de la déclaration commune c onstatent que la Cour, bien qu’elle reconnaisse
dans un premier temps que sa compétence doit être appréciée par rapport à la date du dépôt de
l’acte introductif d’instance, se contredit ensuite en avançant que les conditions juridictionnelles
peuvent être tenues pour satisfaites à la date où e lle examine sa compétence ou à celle du dépôt du
mémoire du demandeur. Les auteurs de la déclaration commune font valoir que la jurisprudence de
la Cour n’étaye ni l’une ni l’autre de ces approches.
Les auteurs de la déclaration déclarent ég alement craindre que la manière dont il a été
procédé ne porte atteinte à l’égalité entre le de mandeur et le défendeur du point de vue de leur
accès à la Cour, rappelant qu’il s’agit là de l’ un des principes fondamentaux de la justice
internationale.
Ils notent aussi que la position de la Cour va même à l’encontre de la situation factuelle
présentée par le demandeur lui-même, qui a décl aré dans une lettre da tée du 27mai1999 que la
Serbie-et-Monténégro n’était pas admise à ester devant la Cour. Compte tenu de ce qui précède, ils
concluent que, en affirmant à présent sa compéten ce en l’espèce, la Cour va à l’encontre non
seulement du droit mais aussi de la situation factuelle exposée par le demandeur. - 3 -
Les auteurs de la déclaration commune cont estent au surplus le raisonnement tenu par la
Cour quant à la cohérence de ses arrêts. Ils relève nt que, à trois reprises au moins, la Cour répète
que les décisions rendues dans le cadre d’instan ces antérieures (n’opposant pas exactement les
mêmes parties) ne sont certes pas revêtues de l’auto rité de la chose jugée au titre de l’article 59 de
son Statut, mais qu’elle «ne s’écartera pas de sa jurisprudence établie, sauf si elle estime avoir pour
cela des raisons très particulières» (par. 53 ; voir également par. 54 et 76). La Cour justifie ensuite
sa position actuelle, qui est contraire à celle qu’e lle avait adoptée dans les instances de 2004, en
expliquant que le demandeur n’avait alors pas soulevé la question, contrairement au demandeur en
l’espèce qui, lui, l’a soulevée. Les auteurs de la déclaration commune déclarent n’être guère
convaincus par ce raisonnement, soulignant que l’ accès n’est pas une condition à laquelle il peut
être satisfait sur simple requête du demandeur, mais constitue au contraire un élément fondamental
tenant au statut d’une partie et que, si la Serbie n’avait pas accès à la Cour en 2004, la Croatie ne
peut aucunement lui offrir pareil accès dans la pr ésente affaire en se bornant à soumettre à la Cour
une demande en ce sens.
Les juges Ranjeva, Shi, Koro ma et Parra-Aranguren concluent en conséquence que, puisque
le défendeur en l’espèce ne satisfaisait pas, à la date d’introduction de l’instance, en1999, aux
conditions requises pour avoir accès à la Cour, la Cour ne saurait exercer une compétence qu’elle
n’a pas.
Opinion dissidente de M. le juge Ranjeva
La nature judiciaire de la fonction juridic tionnelle de la Cour inte rnationale de Justice
explique la difficulté rencontrée par le juge Ranj eva à accepter une continuité de solution dans la
présente affaire alors que la majorité de la C our s’est fondée sur une solution de continuité
jurisprudentielle. Le présent arrêt a remis en cause la règle d’airain de la compétence: la base
consensuelle de compétence lorsqu’il est raccroché à la jurisprudence dite Mavrommatis.
Sur le plan historique, la jurisprudence Mavrommatis se fonde sur un des principes
cardinaux des traités de paix de Versailles: en matière de compétence ratione personae, il était
difficile de reconnaître aux Etats vaincus (l’Alle magne et les puissances centrales), l’égalité des
droits avec les Etats vainqueurs ; la Cour permanente de Justice internationale pouvait alors avoir le
caractère d’une juridiction quasi-d’attribution. Si la Cour avait délibérément construit sa solution
sur une perspective de crise dans le cadre du chapitr e VII, il n’aurait pas été aberrant de retenir la
compétence ratione personae de la Cour.
La différence de traitement entre le demande ur et le défendeur manque de base directe car
elle remet en définitive en cause l’égalité d’accès entre le demandeur et le défendeur. Dans un
système de juridiction d’attribution, qui n’est pas la Cour internationale de Justice, chaque
justiciable doit être assuré de pouvoir trouver un j uge pour résoudre ses différends, et ce, dans un
cadre hors consensuel. En revanche, dans une juridiction à la base de compétence consensuelle, il
n’est pas nécessaire de disposer de pendant à l’ article 35 s’agissant du défendeur. Une fois les
conditions identiques à celles requises par le dema ndeur satisfaites, il revient aux participants
d’établir, selon la voie judiciaire, le consentement juridictionnel du défendeur.
Dans la présente affaire, la difficulté principale était relative au glissement de la continuité
de la personnalité internationale de la RFSY et de la Serbie à la succession d’Etats retenue par la
Cour. Contrairement à l’approche théorique de la succession à laquelle l’arrêt s’est livré, le
problème se limitait à l’examen de la succession à l’ar ticle IX de la convention sur la prévention et
la répression du crime de génocide dans les relations entre la Croatie et la Serbie. La lettre de la
représentation permanente de la Croatie auprès des Nations Unies en date du 16février 1994,
document qui n’est pas pris en considération dans l’arrêt, représentait une objection à la
continuation de la pers onnalité revendiquée par la RFY dans sa déclaration du 27avril1992 et sa
portée sur l’article IX aurait dû faire l’objet d’un examen minutieux. - 4 -
L’analyse de l’objection croate révèle plusieur s aspects de ce documents: le rejet de la
continuation de la personnalité de la RFSY, l’ acceptation de la continuité des obligations
conventionnelles et la mise en demeure de la RFY de répondre aux offres de la Croatie. En
d’autres termes, la Croatie considère sa lettre co mme opposable dans les termes qu’elle a définis ;
tandis que l’exclusion de la continuité de la personnalité internationale remet en cause toute
dimension organique et institutionnelle en rapport avec les Nations Unies. C’est dans ce cadre que
s’inscrit le sort de l’article IX, clause détachable du système d’obligations de la convention sur la
prévention et la répression du crime de génocide. La distinction établie par la Croatie entre la
continuité des obligations conventionnelles et la discontinuité de la personnalité internationale de la
RFSY et de la Serbie non suspecte pro rationae temporis . Aussi y avait-il lieu de s’assurer du
consentement juridictionnel qui n’avait pas à être discuté dans l’affaire relative à l’ Application de
la convention pour la prévention et la répr ession du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro) et qui pouvait être déduit d’une simple conclusion judiciaire logique.
Enfin, l’application de la jurisprudence Mavrommatis n’était pas appropriée. La présente
affaire a été introduite par requête unilatérale mais non par voie de compromis ; ensuite l’initiative
de la correction dans la jurisprudence invoquée re lève de la compétence exclusivement potestative
de la Partie demanderesse. Aussi, les conditions reprises par l’arrêt Mavrommatis ne sont-elles pas
satisfaites ? Or, il s’agit d’un point de droit préalable.
En tout état de cause, une décision d’incompétence que le juge Ranjeva aurait accueillie avec
soulagement, compte tenu de la nature de la Cour internationale de Justice, ne dispensait pas pour
autant la Serbie de l’obligation de répondre en dr oit international des viol ations de la convention
sur la prévention et la répression du crime de génocide.
Opinion dissidente de M. le juge Owada
Dans son opinion dissidente, le jugeOwada conclut que la Cour n’a pas compétence pour
connaître de la présente affaire dont la République de Croatie l’a saisie, puisque lorsque celle-ci a
déposé une requête introductive d’instance à l’encont re de la République de Serbie, cette dernière
n’avait pas qualité pour participer à la procédure.
Le juge Owada expose tout d’abord les répercu ssions juridiques qu’ont en l’espèce les arrêts
rendus en 2004 dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force et l’arrêt de 2007 en
l’affaire relative à l’ Application de la conven tion pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro). Il souligne en particulier que,
contrairement à ceux de 2004, l’arrêt de2007 était subordonné à une conclusion expresse déjà
rendue sur la compétence ⎯ celle qui figurait dans l’arrêt de 1996 en l’affaire ⎯ et fait valoir que,
comme dans les affaires jugées en2004, il n’exis te manifestement en l’espèce aucune conclusion
expresse ayant ainsi force de chose jugée.
Le jugeOwada examine ensuite le principe app liqué dans le présent arrêt, dit «le principe
Mavrommatis», qui consiste d’après le demandeur à ce que quatre conditions fondamentales soient
réunies à un moment donné (premièrement, la sa isine; deuxièmement, le fondement de la
demande; troisièmement, le consentement à la compétence et, quatrièmement, l’accès à la Cour),
l’ordre dans lequel cela se produit étant une question de pure forme qui n’a aucune incidence sur la
compétence de la Cour. Le juge Owada poursuit en examinant les huit a ffaires dans lesquelles ce
principe a été invoqué, soit eo nomine soit implicitement, ce dont il conclut que :
a) en dépit de la formule souvent citée qui figure dans l’arrêt rendu en l’affaire des Concessions
Mavrommatis en Palestine, formule dont il est fait une généralité, cette affaire-là avait été jugée
sur une base tout à fait différente, la présente affaire ne faisant intervenir du point de vue
juridique aucune situation analogue dans laquelle le principe dit Mavrommatis pourrait trouver
à s’appliquer ; - 5 -
b) dans chacune des affaires ultérieures où ce principe a été invoqué, il était question d’une
absence initiale de consentement qui, était-il allégué, avait vicié le fondement de la compétence
de la Cour mais auquel un acte ou un événement ultérieur avait remédié. Aucun précédent ne
peut justifier une généralisation du principe, sel on laquelle la jurisprudence issue de l’arrêt
Mavrommatis s’appliquerait à toutes sortes de défauts procéduraux.
c) Les raisons de s’écarter d’une application strict e des règles procédurales varient d’une affaire à
l’autre, et chacune des affaires dans lesquelles la Cour a accepté de s’en écarter se caractérise
par des motifs qui lui sont propres et par des limites intrinsèques, mais dans toutes les affaires,
le problème fondamental résidait dans l’absence in itiale de consentement en tant qu’obstacle à
la compétence.
d) La jurisprudence de la Cour ne comprend aucune affaire dans le cadre de laquelle le principe dit
Mavrommatis aurait été interprété comme s’étenda nt à la totalité des «défauts procéduraux»
apparus dans les affaires portées devant elle. Les «défauts procéduraux» qui étaient en cause
dans les affaires pertinentes tenaient le plus souvent à des vices techniques allégués concernant
d’une manière ou d’une autre l’élément du c onsentement à l’époque de l’introduction de
l’instance, sans jamais toucher à des questions telles que celles de la capacité des parties d’ester
devant la Cour.
e) Dans toutes les affaires dans lesquelles le principe a été appliqué, il s’agissait de déterminer si
le lien consensuel de compétence établi par la suite était suffisant pour satisfaire à la condition
essentielle pour que la Cour puisse exercer sa juridiction.
De son examen de la jurisprudence formulée en l’affaire Mavrommatis, le jugeOwada
conclut que la souplesse avec laquelle le consentement juridictionnel a été traité n’a jamais été
appliquée à la question de l’accès à la Cour, qui écha ppe au consentement des parties, et ne devrait
pas être ainsi appliquée dans le présent arrêt.
Examinant enfin la question de savoir si le fait que la RFY/Serbie soit le défendeur en
l’espèce, alors qu’elle était le demandeur dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la
force qui ont été jugées en 2004, devrait faire une différence du point de vue juridique dans le cadre
de la présente affaire, le juge Owada conclut par la négative, notant que toute conclusion contraire
donnerait lieu à une inégalité de traitement entre le demandeur et le défendeur devant la Cour.
Opinion individuelle de M. le juge Tomka
1. Le juge Tomka a voté en faveur de toutes les conclusions de la Cour à l’exception d’une
seule. Il s’est senti dans l’obligation de voter cont re le point4 du paragra phe 146 de l’arrêt, dans
lequel la Cour a conclu que la deuxième exception préliminaire, par laquelle la Serbie soutenait que
les demandes de la Croatie fondées sur des actes ou omissions antérieurs au 27avril1992
outrepassaient la compétence de la Cour et étaient irrecevables, «n’a[vait] pas, dans les
circonstances de l’espèce, un caractère exclusivement préliminaire».
2. Le juge Tomka examine d’abord les arguments des Parties sur cette question. La Serbie
prétend que les actes en question ayant été commis avant que la République fédérale de
Yougoslavie (RFY), Etat dont elle assure à présen t la continuité de la personnalité juridique
internationale, n’ait vu le jour en tant qu’Etat ⎯ lequel aurait ainsi pu devenir partie contractante à
la convention sur le génocide ⎯, ceux-ci ne relèvent pas de la compétence de la Cour et sont
irrecevables. La Croatie invoque l’arrêt rendu en 1996 dans l’affaire Bosnie-Herzégovine - 6 -
c. Yougoslavie, où la Cour a conclu avoir compétence à l’ égard de tous les «faits pertinents qui se
sont déroulés depuis le début du conflit dont la Bo snie-Herzégovine a été le théâtre». Ce conflit a
éclaté au printemps1992 alors que celui qui se déroulait en Croatie avait déjà commencé à
l’été 1991.
3. Le juge Tomka poursuit en présentant des observations sur certaines questions abordées
dans l’arrêt de 1996 et sur leur pertinence en l’esp èce. Il souscrit à l’avis de la Cour sur les
circonstances qui distinguent la présente affaire de celle qui a donné lieu à l’arrêt de1996. Il
convient avec la Cour qu’il y a lieu, en l’espèce, de tirer des conséquences du fait que la RFY n’est
devenue un Etat et partie à la convention sur le génocide que le 27 avril 1992. Il ajoute qu’en 1996,
ni le demandeur ni le défendeur n’ont soulevé la question de savoir si la RFY était partie à la
convention sur le génocide ; la Cour n’a pas davantage pris position quant à la date exacte à
laquelle celle-ci y était devenue pa rtie. Le juge Tomka fait observer qu’en1996, la Cour s’est
contentée de conclure que la RFY était liée par la Convention le 20 mars 1993, date du dépôt de la
requête. Il note que la Cour a rappelé la déclaration faite le 27 avril 1992 par la RFY, dans laquelle
celle-ci prétendait assurer la continuité de la personnalité juridique internationale de la RFSY et
promettait de «respecter strictement tous les engagements» de cet Etat, et que la Cour a conclu que
l’intention de la RFY était de demeurer liée par les obligations internationales de la RFSY.
4. De l’avis du juge Tomka, la conclusion de la Cour selon laquelle «la question de la portée
temporelle de sa compétence est étroitement liée à ces aspects relatifs à l’attribution…et il
convient donc de l’examiner en tenant compte de ces éléments» (arrêt, par. 124), est spécieuse. Il
considère que la Cour ne traite que sommairement de la question de l’attribution des actes
antérieurs au 27 avril 1992 dans son arrêt et que, ce faisant, elle diffère sa décision sur l’exception
d’incompétence qui, selon elle, revêt un caractère ratione temporis.
5. Le juge Tomka poursuit en rappelant l’argument de la Croatie selon lequel la RFY était un
successeur et non l’Etat continuateur de la RFSY, et que la Serbie est donc «partie à la convention
sur le génocide par l’effet de la succession depuis le début de son existence en tant qu’Etat». Il
note que la Cour a souscrit à la thèse de la Croa tie sur ce point (arrêt, par.117), et a conclu en
conséquence que le 27 avril 1992, la RFY était devenue partie à la convention sur le génocide.
6. Le juge Tomka souligne qu’il n’est pas dout eux que la convention sur le génocide lie la
RFSY depuis le 12 janvier 1951, date de son entrée en vigueur, et qu’elle s’est appliquée de façon
continue à l’intégralité de son territoire. Il insi ste sur le fait que jamais, au cours du conflit qui a
commencé en1991 et pris fin en1995, la Convent ion n’a cessé d’être applicable sur ce territoire.
Il explique qu’il en est ainsi puisque tant que la RFSY continuait d’exister, elle demeurait partie à
la Convention et que, lorsque ses républiques cons tituantes ont fait sécession l’une après l’autre,
elles y sont devenues partie par voie de succession à compter de la date à laquelle elles ont assumé
la responsabilité de leurs relations internationales. Partant, il n’y a pas eu d’interruption ni de
coupure dans la protection conférée par la Convent ion durant le conflit armé, bien qu’elle ait dû
être appliquée par différents Etats dans différentes périodes au cours du processus de dissolution de
la RFSY.
7. Le juge Tomka considère que la question soumise à la Cour ne concerne pas l’application
rétroactive de la Convention mais l’interpréta tion de la clause compromissoire contenue à
l’article IX de la Convention et la détermination de la compétence ainsi conférée à la Cour. Sur ce
point, il commence par rappeler les arguments de la Croatie, qui reposent sur l’articleIX de la
Convention. Le juge Tomka estime que pour releve r de l’article IX susdit, le différend doit porter - 7 -
sur l’interprétation ou l’application de la Conven tion par les parties contractantes, non par l’Etat
prédécesseur d’une partie contractante, et ne do it pas non plus concerner son application par une
entité qui n’était pas l’Etat partie à la Convention, et qui n’a vu le jour en tant qu’Etat et n’y est
devenue partie que plus tard.
8. Le juge Tomka rappelle l’article4 des ar ticles sur la responsabilité de l’Etat pour fait
internationalement illicite de la Commission du droit international, qui dispose que le
comportement d’un organe d’une unité territoriale de l’Etat est considéré comme un fait de cet Etat
et qu’il engage ainsi la respon sabilité internationale de ce dernie r. Le juge Tomka indique que
lorsque cet Etat cesse d’exister, la question de la succession à la responsabilité peut se poser ; de la
même façon, lorsqu’une unité territoriale d’un Etat prédécesseur fait sécession et devient un Etat
indépendant, la question de la responsabilité de l’Etat séparé pour les actes commis par les organes
de cette entité avant qu’il ne se constitue lui-mê me en Etat peut se poser. Il estime cependant
qu’aucune de ces deux questions ne relève de la compétence de la Cour aux termes de l’article IX
de la convention sur le génocide.
9. Le juge Tomka conclut que la question des conséquences qu’il y aurait lieu de tirer du fait
que la RFY est devenue un Etat et partie à la convention sur le génocide le 27avril1992 est une
question juridique qui devrait être tranchée à ce st ade de la procédure, et que la réponse à cette
question n’appelle pas de complément d’information. Il souligne que la longueur notable de la
procédure ainsi que l’examen répété par la Cour de questions relatives au statut juridique de la RFY
et à sa participation à la convention sur le génoc ide attestent de ce que toutes les informations
nécessaires lui ont été soumises.
10. Le juge Tomka souligne en outre pour conclure que ses observations sont fondées sur le
fait que la RFY (à présent la Serbie) est un Etat su ccesseur et non l’Etat continuateur de la RFSY.
Selon lui, cette conclusion sur l’étendue de la compétence de la Cour n’implique pas que soient
dégagés de leur responsabilité ceux qui ont commis de si nombreuses atrocités lors du conflit armé
sur le territoire de la Croatie ; elle n’exclut pas non plus la responsabilité de l’Etat auquel peuvent
être imputés les actes des auteurs de ces atrocités. Compte tenu de la distinction fondamentale
entre l’acceptation de la compétence de la Cour par les Etats et la conformité de leurs actes avec le
droit international, il souligne que les Etat s demeurent responsables d’actes qui leur sont
imputables et qui sont contraires au droit internati onal, quand bien même de tels actes auraient été
commis à une époque pour laquelle la Cour n’a p as compétence. Enfin, il fait observer que bien
que plusieurs personnes aient été inculpées par le procureur du Tribunal pénal international pour
l’ex-Yougoslavie au titre des atrocités commises en Croatie, aucune d’elles n’a été accusée de
crime de génocide; au vu de cela, il se demande par quels moyens la Croatie établira devant la
Cour, dont la procédure n’est pas pénale, qu’un cr ime de génocide a été perpétré. Il considère
toutefois que cette question doit être réservée au stade du fond.
Opinion individuelle de M. le juge Abraham
Le juge Abraham exprime son accord avec le dispositif de l’arrêt, ainsi qu’avec les motifs
par lesquels la Cour a rejeté l’exception d’incompétence de la Serbie tirée de ce que cet Etat n’était
pas partie à la convention sur le génocide, y compris son article IX, à la date de l’introduction de la
requête.
En revanche, le juge Abraham se dissocie des motifs par lesquels l’ arrêt rejette l’argument
du défendeur selon lequel il n’avait pas, à la date d’introduction de la requê te, la capacité d’avoir
«accès à la Cour» en vertu de l’article 35 du Statut. - 8 -
Il estime en effet que les longs développements que consacre l’arrêt à cette question, en vue
de démontrer que le défendeur remplit, pour les besoins de la présente instance, la condition
er
d’«accès à la Cour» du fait de son admission aux NationsUnies le 1 novembre 2000, étaient en
réalité inutiles, car les conditions de l’article 35 du Statut ne s’appliquent pas à une partie
défenderesse à l’instance, mais seulement à celle qui saisit la Cour.
Cette interprétation s’appuie sur le texte mê me de l’article35, sur l’examen des travaux
préparatoires, sur la pratique antérieure de la Cour, enfin et surtout sur des motifs tirés de la logique
et de la finalité du texte. En particulier, interp réter l’article35, ainsi que semble le faire l’arrêt,
comme s’appliquant uniformément au demandeur et au défendeur, aboutit à créer une inégalité
entre deux Etats parties à une même convention comportant une clause compromissoire, lorsque
l’un d’eux est partie au Statut de la Cour et l’ autre non, à l’avantage du second. En effet, celui-ci
pourrait à tout moment mettre en Œuvre la clause compromissoire en saisissant la Cour et en
déposant à cette fin la déclaration prévue par la résolution9 (1946) du Conseil de sécurité, tandis
que le premier Etat ne pourrait pas mettre en Œuvre la même clause compromissoire par sa seule
volonté, puisqu’il suffirait à son adversaire de re fuser de déposer la d éclaration pour se mettre à
l’abri de la juridiction de la Cour.
En outre, le juge Abraham exprime son désaccord avec la manière dont la Cour a appliqué en
l’espèce la jurisprudence Mavrommatis. S’il admet qu’il est en principe possible de considérer que
le défaut d’accès à la Cour à la date de l’introduction de l’instance ⎯ par une partie à laquelle cette
condition est applicable ⎯peut être couvert en cours d’instan ce si la condition nécessaire vient à
être remplie avant que la Cour ne statue sur sa compétence, c’est à la condition qu’à cette dernière
date il soit établi que le demandeur pourrait, s’ il le souhaitait, introdui re une nouvelle requête
identique en substance à la précédente, qui ne pourrait se heurter à aucune objection relative à la
compétence de la Cour. La jurisprudence Mavrommatis se justifie en effet par le souci d’économie
de procédure. Cela aurait dû cond uire la Cour, en l’espèce, à statuer sur les effets de la réserve
faite en 2001 par la Serbie à l’ar ticle IX de la convention sur le génocide, et à constater sa nullité,
ce que la Cour a refusé de faire. En raisonnant comme elle le fait, et en se satisfaisant de ce que la
condition d’«accès» était remplie le 1 enovembre2000, à une date à laquelle la Serbie était
certainement encore liée par l’artic leIX de la convention sur le génocide, la Cour fait plus
qu’apporter une exception raisonnable au principe selon lequel sa compétence doit s’apprécier à la
date d’introduction de la requête, elle l’abroge purement et simplement, tout en prétendant le
maintenir.
Déclaration de M. le juge Bennouna
Le juge Bennouna a voté en faveur de la compétence de la Cour pour examiner au fond la
requête de la Croatie, dans la mesure où la République fédérative de Yougoslavie (RFY) est liée
par la convention sur le génocide depuis 1992 et qu’ elle est devenue Membre des Nations Unies et
partie au Statut de la Cour (en tant que Serbie-et-Monténégro) depuis le 1 ernovembre 2000, même
si cela est intervenu après l’introduction d’instance par la Croatie le 2 juillet 1999.
La Cour, partant de sa jurisprudence pour pa rvenir à cette conclusion, se devait d’aller au
bout de son raisonnement et d’examiner l’adhésion de la Serbie à la conven tion sur le génocide, le
6 mars 2001, avec une réserve à l’article IX qui lui attribue compétence. Ce faisant, la Cour aurait
conclu que la Serbie ne pouvait a dhérer à un traité auquel elle est déjà partie depuis 1992 et, par
conséquent, qu’il ne devait être pr is aucun compte ni de cette adh ésion ni surtout de la réserve qui
l’accompagne. De l’avis de M. Bennouna, la Cour aurait ainsi renforcé la motivation de l’arrêt, qui
demeure en l’état lacunaire et donc insatisfaisante. - 9 -
Opinion dissidente de M. le juge Skotnikov
Du point de vue du juge Skotnikov, la Cour aurait dû faire droit à la première exception
préliminaire soulevée par la Serbie dans la mesu re où elle porte sur la capacité du défendeur de
participer à l’instance introduite par la Croatie. Il désapprouve la décision de la Cour de s’écarter
de la règle générale selon laquelle la compétence de la Cour doit être appréciée à la date de
l’introduction de l’instance. Il ne partage pas la conclusion de la Cour selon laquelle l’admission
ultérieure de la Serbie à l’Organisation des Nations Unies remédie à son défaut de qualité pour agir
à la date de l’introduction de l’instance par la Cr oatie. Le juge Skotnikov relève que l’exception
Mavrommatis à la règle générale susmentionnée, su r laquelle la Cour fait fond, porte
exclusivement sur des défauts liés au consentement des parties. Le droit d’une partie d’ester devant
la Cour n’implique pas un tel consentement et, par conséquent, l’absence de ce droit ne constitue
pas un défaut susceptible d’être couvert par l’application de la jurisprudence Mavrommatis.
Le juge Skotnikov souscrit à la conclusion de la Cour selon laquelle la Serbie était partie à la
convention sur le génocide au moment où elle a dé posé la requête. Cela étant, cette Convention,
ainsi que la Cour l’a indiqué dans ses arrêts sur la Licéité de l’emploi de la force, n’est pas un traité
en vigueur au sens du paragraphe 2 de l’article 35 du Statut de la Cour. Elle ne saurait donc ouvrir
l’accès à la Cour à une partie qui n’est pas membre de l’Organisation des Nations Unies au moment
où l’instance est introduite.
La majorité a, selon le juge Skotnikov, aussi commis une erreur en reportant au stade du
fond l’examen de la question soulevée par la Serb ie dans sa deuxième exception préliminaire, celle
de savoir si la Cour avait compétence pour exam iner des faits ou événem ents antérieurs au
27 avril 1992 (date de la naissance de la RFY). Le juge Skotnikov relève que la Serbie a également
affirmé que, même si la Cour a compétence, celle-ci ne saurait être exercée en ce qui concerne des
événements antérieurs à cette date. Cette affirmation constitue une exception à la recevabilité des
demandes de la Croatie. Le juge Skotnikov souligne que la question de la recevabilité soulevée par
la Serbie ne peut devenir pertinente que si la C our a compétence pour examiner ces faits. La Cour
doit d’abord trancher la question de la compétence. C’est uniquement si la réponse est affirmative
que, dans l’exercice de sa compétence, la Cour sera en mesure de juger si elle peut tenir compte des
événements antérieurs à la naissance de la RFY, et notamment se pencher sur des questions
relatives à l’attribution de la responsabilité.
La Cour justifie son hésitation à examiner au préalable la question de la compétence en
déclarant que, «[p]our…[pouvoir] se prononcer sur chacune de ces questions [compétence et
recevabilité], elle devra disposer de davantage d’él éments», sans pour autant indiquer quel élément
manque en ce qui concerne la question de la compét ence. L’insistance de la Cour sur le caractère
«indissociable» des questions de compétence et de recevabilité (la deuxième question, selon la
Cour, recouvre des aspects de l’a ttribution au défendeur des faits qui ont eu lieu dans la période
antérieure au 27avril1992) laisse entendre que la question de l’attribution de la responsabilité
pourrait être examinée conjointement avec celle de la compétence et influer sur la décision de la
Cour au sujet de cette dernière. Mais même si la responsabilité est établie en vertu des règles
générales de la responsabilité de l’Etat, cela ne saurait automatiquement entraîner la compétence de
la Cour, laquelle repose sur le consentement, contrairement à l’établissement de la responsabilité de
l’Etat.
La Cour a jugé que l’Etat défendeur avait acqui s le statut de partie à la convention sur le
génocide ⎯selon ce qu’il convient de considérer comme un processus de succession ⎯ le
27 avril 1992, date à laquelle il vit le jour. Il endécoule que la Cour ne saurait avoir compétence
pour examiner tous faits ou événements antérieurs à cette date. - 10 -
Opinion individuelle de M. le juge ad hoc Vukas
Le demandeur, la République de Croatie, est devenu Membre de l’Organisation des
NationsUnies et donc partie au Statut de la Cour internationale de Justice le 22mai1992. Le
défendeur, la République de Se rbie, ainsi que la République du Monténégro décidèrent, le
27 avril 1992, de créer la «Répub lique fédérale de Yougoslavie» (RFY). Ce nouvel Etat, composé
de deux ex-Républiques de la République fédérative socialiste de Yougoslavie (RFSY), chercha à
assurer la continuité de la personnalité internationale de la Yougoslavie et de sa qualité de Membre
de l’Organisation des Nations Unies. Les Nations Un ies ne furent pas satisfaites de cette décision.
La RFY ne fut donc pas autorisée à prendre part à l’Assemblée générale, mais elle fut cependant
considérée comme un Membre de l’Organisation et donc comme une partie au Statut de la Cour.
La RFSY fut partie à la convention pour la prévention et la répressi on du crime de génocide
(la convention sur le génocide) à compter de son entrée en vigueur le 12janvier1951. Après la
dissolution de la RFSY, la Croatie et la RFY firent part, en 1992, de leur décision de lui succéder
en qualité de parties à la convention sur le génocide (sans aucune réserve).
Compte tenu des faits susmentionnés, il est manifeste que la Croatie avait qualité pour
introduire l’instance contre la RFY le 2juillet1 999. Sa requête ne concerne pas uniquement les
actes et omissions postérieurs à la création de la RFY le 27 avril 1992 et ce, pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, la Croatie et la Serbie avaient l’obligation de prévenir et de punir le crime de
génocide en leur qualité d’entités fédérales de la RFSY ⎯ laquelle était partie à la convention sur
le génocide. En outre, les dispositions de cette Convention ont pendant longtemps relevé du droit
international coutumier général de caractère impératif. Enfin, nombre des actes de génocide à
propos desquels la Croatie a introduit l’instance furent commis dès 1991, mais la souffrance des
victimes s’est poursuivie pendant les années suivantes.
Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Kreća
Le juge Kre ća estime que les conditions pertinentes pour que la Cour ait compétence en la
présente espèce ne sont pas remplies.
A la date de l’introduction de l’instance, le défendeur n’était pas membre de l’Organisation
des NationsUnies, condition pour tant déterminante pour qu’il ait qualité pour agir dans les
circonstances de la présente affaire. Or, le «principe Mavrommatis», qui repose sur des
considérations d’économie de procé dure, ne saurait, sur le fond, couvrir le défaut de qualité pour
agir du défendeur, dès lors qu’il s’agit d’une condition nécessaire et d’importance primordiale.
En ce qui concerne la base de compétence, le juge Kre ća estime que, à l’époque pertinente,
la convention sur le génocide n’était pas applicable entre les Parties. En effet, après avoir été
admis à l’Organisation des NationsUnies le 1 enovembre2000, le défendeur, agissant sur
invitation du Secrétaire général en sa qualité de dépositaire de traités multilatéraux, a exprimé son
consentement à être lié par la Conventi on le 6mars2001. Selon le juge Kre ća, la déclaration
de 1992 dont la Cour a estimé, dans des affaires étroitement liées à la présente, qu’elle permettait
de considérer que le défendeur était partie à la convention sur le génocide, ne saurait produire de
tels effets et ce, pour plusieurs raisons.
Le juge Kreća précise qu’il ne peut souscrire à la conclusion formulée par la majorité quant à
l’étendue de la compétence ratione temporis de la Cour. Selon lui, seul un Etat existant lié par une
obligation internationale peut commettre ou se voi r attribuer un acte internationalement illicite
engageant sa responsabilité internationale. Or, le défendeur n’a commencé à exister en tant que
personne juridique internationale ⎯ne se trouvant plus dans la situation hybride et controversée
qui était la sienne au cours de la période allant de 1992 à 2000 ⎯ qu’en novembre 2000, à la suite
de son admission au sein de l’Organisation des Nations Unies. - 11 -
En ce qui concerne les trois questions soulevées dans l’exception concernant la traduction de
certaines personnes en justice, la communication de renseignements sur les citoyens portés disparus
et la restitution de biens culturels, le juge Kreća estime qu’elles n’entrent pas dans les prévisions de
l’article IX de la convention sur le génocide.
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Résumé de l'arrêt du 18 novembre 2008