Résumé de l'arrêt du 10 octobre 2002

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13803
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Number (Press Release, Order, etc)
2002/0
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Résumés des arrêts, avis consDocument non officieles de la Cour
internationale de Justice

AFFAIRE DE LAFRONTIÈRE TER RESTRE ET MARITIME ENTRE LE
CAMEROUN ET LE NIGÉRIA (CAMEROUN c. NIGÉRIA; GUINÉE

ÉQUATORIALE INTERVENANT) (FOND)

Arrêt du 10 octobre 2002

Dans son arrêt sur l’affaire de laFrontière terrestre et Al-Khasawneh, Buergenthal, Elaraby, juges; M.Mbaye,
maritime entre le Cameroun et le Nigéria [Cameroun juge ad hoc;
c.Nigéria; Guinée équatoriale (intervenant)] lCoura CONTRE : M. Koroma, juge; M. Ajibola, juge
détermine le tracé de la frontière terrestre et maritime entre ad hoc;
le Cameroun et le Nigéria.
B) Par quatorze voix contre deux,
La Cour a demandé au Nigéria de retirer dans les plus Décide que le tracé de la frontière entre la
brefs délais et sans condition son administration et ses République du Cameroun et la République fédérale du
forces armées ou de police du secteur du lac Tchad relevant
de la souveraineté du Cameroun, ainsi que de la presqu’île Nigéria dans la région du lac Tchad est le suivant :
À partir d’un tripoint s itué dans le lac Tchad par
de Bakassi. Elle a en outre sollicité au Cameroun de retirer 14 04’59"9999 de longitude est et 13 o05’ de latitude
dans les plus brefs délais et sans condition toutes nord, la frontière suit une ligne droite jusqu’à
administration ou forces armées ou de police qui pourraient o
se trouver le long de la frontière terrestre allant du lac Tchad l’embouchure de la rivoère Ebedji, située par 142’ 12"
à la presqu’île de Bakassi, sur des territoires relevant, de longitude est et 12 32’17" de latitude nord, pour
conformément à l’arrêt, de la souveraineté du Nigéria. Ce ensuite rejoindre en ligne droite la bifurcation de la
rivière Ebedji, en un point situé par 14 o12’ 03" de
dernier a la même obligation en ce qui concerne les longitude est et 12º 30’ 14" de latitude nord;
territoires qui dans cette même zone relèvent de la
souveraineté du Cameroun. POUR: M.Guillaume, Président; M.Shi, Vice-
La Cour a pris acte de l’engagement, pris à l’audience Prmeident; MM.Oda, Ranjeva, Herczegh, Fleischhauer,
M Higgins, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek,
par le Cameroun, de «continue[r] à assurer sa protection Al-Khasawneh, Buergenthal, Elaraby, juges; M.Mbaye,
aux Nigérians habitant la péninsule [de Bakassi] et [à] ceux juge ad hoc;
vivant dans la région du lac Tchad ».
Enfin, la Cour a rejeté le surplus des conclusions du CONTRE : M. Koroma, juge; M. Ajibola, juge
Cameroun concernant la responsabilité internationale du ad hoc;
II. A) Par quinze voix contre une,
Nigéria. Elle a rejeté également les demandes
reconventionnelles du Nigéria. Décide que la frontière terres tre entre la République
La Cour était composée comme suit: M.Guillaume, du Cameroun et la République fédérale du Nigéria est
Président; M. hi, Vice-Prés ident; MMO . da, Ranjeva, délimitée, depuis le lac Tchad jusqu’à la presqu’île de
me Bakassi, par les instruments suivants :
Herczegh, Fleischhauer, Koroma, M Higgins, MM. Parra-
Aranguren, Kooijmans, Rezek, Al-Khasawneh, Buergenthal, i) de la bifurcation de la rivière Ebedji jusqu’au
juges; MMM . baye, Ajibola, Elaraby, juges ad hoc; mont Tamnyar, par les paragraphes 2 à 60 de la
M. Couvreur, Greffier. Déclaration Thomson-Marchand de 1929-1930, telle
qu’incorporée dans l’échange de notes Henderson-
* Fleuriau de 1931;
* *
ii)du mont Tamnyar jusqu’à la borne 64
Le texte intégral du dispositif se lit comme suit : mentionnée à l’article XII de l’Accord anglo-
allemand du 12avril 1913, par l’Ordre en conseil
« 325. Par ces motifs, britannique du 2 août 1946;
LAOUR,
iii)de la borne 64 jusqu’à la presqu’île de Bakassi,
I. A) Par quatorze voix contre deux, par les Accords anglo-allemands des 11mars et
Décide que la frontière entre la République du 12 avril 1913;
Cameroun et la République fédérale du Nigéria dans la POUR: M.Guillaume, Président; M.Shi, Vice-
région du lac Tchad est délimitée par la Déclaration Président; MM.Oda, Ranjeva, Herczegh, Fleischhauer,
Thomson-Marchand de 1929-1930, telle qu’incorporée me
M Higgins, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek,
dans l’échange de notes Henderson-Fleuriau de 1931; Al-Khasawneh, Buergenthal, Elaraby, juges;
POUR: M.Guillaume, Président; M.Shi, Vice- MM. Mbaye, Ajibola, juges ad hoc;
Président; MM.Oda, Ranjeva, Herczegh, Fleischhauer, CONTRE : M. Koroma, juge;
M meHiggins, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek,

248B’)unanimité, Al-Khasawneh, Buergenthal, Elaraby, juges; M.Mbaye,
juge ad hoc;
Décide que ces instruments doivent être interprétés
de la manière exposée aux paragraphes 91, 96, 102, 114, CONTRE: MM.Oda, Koroma, juges; M.Ajibola,
119, 124, 129, 134, 139, 146, 152, 155, 160, 168, 179, juge ad hoc;
184 et 189 du présent arrêt;
B) Par treize voix contre trois,
III. A) Par treize voix contre trois, Décide que, jusqu’au point G mentionné ci-dessous,

Décide que la frontière entre la République du la limite des zones maritimes relevant respectivement de
Cameroun et la République fédérale du Nigéria à la République du Cameroun et de la République fédérale
Bakassi est délimitée par les articles XVIII à XX de du Nigéria suit le tracé suivant :
l’Accord anglo-allemand du 11 mars 1913;
• partant du point d’intersection entre le milieu du chenal
POUR: M.Guillaume, Président; M.Shi, Vice- navigable de la rivière Akwayafé et la ligne droite
Président; MM.Oda, Ranjeva, Herczegh, Fleischhauer, joignant Bakassi Point et King Point indiquée au
me
M Higgins, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Al- pointIIIC) ci-dessus, la limite suit la “ligne de
Khasawneh, Buergenthal, El araby, juges; M.Mbaye, compromis” tracée conjointement par les chefs d’État du
juge ad hoc; Cameroun et du Nigéria à Yaoundé le 4 avril 1971 sur la
carte no 3433 de l’Amirauté britannique (Déclaration de
CONTRE : MM. Koroma, R ezek, juges; M. Ajibola,
juge ad hoc; Yaoundé II) et passant par douze points numérotés, dont
B) Par treize voix contre trois, les coordonnées sont les suivantes :

Décide que la souveraineté sur la presqu’île de Longitude Latitude
Bakassi est camerounaise;
point 1 : 8o 30’ 44" E, 4 40’ 28" N
POUR: M.Guillaume, Président; M.Shi, Vice- o o
Président; MM.Oda, Ranjeva, Herczegh, Fleischhauer, point 2 : 8 30’ 00" E, 4 40’ 00" N
M meHiggins, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Al- o o
point 3 : 8 28’ 50" E, 4 39’ 00" N
Khasawneh, Buergenthal, El araby, juges; M.Mbaye, point 4 : 8o 27’ 52" E, 4 38’ 00" N
juge ad hoc;
CONTRE : MM. Koroma, R ezek, juges; M. Ajibola, point 5 : 8o 27’ 09" E, 4 37’ 00" N
o o
juge ad hoc; point 6 : 8 26’ 36" E, 4 36’ 00" N
C) Par treize voix contre trois, o 26’ 03" E, 4 35’ 00" N
point 7 : 8
Décide que la frontière entre la République du point 8 : 8o 25’ 42" E, 4 34’ 18" N
Cameroun et la République fédérale du Nigéria à o o
Bakassi suit le thalweg de la rivière Akpakorum point 9 : 8 25’ 35" E, 4 34’ 00" N
o o
(Akwayafé), en séparant les îles Mangrove près d’Ikang point 10 : 8 25’ 08" E, 4 33’ 00" N
de la manière indiquée sur la carte TSGS 2240, jusqu’à point 11 : 8o 24’ 47" E, 4 32’ 00" N
une ligne droite joignant Bakassi Point et King Point;
point 12 : 8o 24’ 38" E, 4 31’ 26" N;
POUR: M.Guillaume, Président; M.Shi, Vice-
Président; MM.Oda, Ranjeva, Herczegh, Fleischhauer, • à partir du point 12, la limite suit la ligne adoptée dans la
M meHiggins, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Al-
déclaration signée par les cher s d’État du Cameroun et
Khasawneh, Buergenthal, El araby, juges; M.Mbaye, du Nigéria à Maroua le 1 juin 1975 (Déclaration de
juge ad hoc; Maroua), telle que modifiée par l’échange de lettres
CONTRE : MM. Koroma, R ezek, juges; M. Ajibola,
entre lesdits chefs d’État des 12juin et 17juillet 1975;
juge ad hoc; cette ligne passe par les points A à G dont les
IV. A) Par treize voix contre trois, coordonnées sont les suivantes :

Dit, après examen de la huitième exception
préliminaire du Nigéria dont elle a déclaré, par son arrêt Longitude Latitude
du 11juin 1998, qu’elle n’avait pas, dans les point A : 8 24’ 24" E, 4 31’ 30" N

circonstances de l’espèce, un caractère exclusivement point A1 : 8o 24’ 24" E, 4 31’ 20" N
préliminaire, que la Cour est compétente pour connaître
des demandes dont elle a été saisie par la République du point B : 8o24’ 10" E, 4 26’ 32" N
Cameroun en ce qui concerne la délimitation des zones
point C : 8o23’ 42" E, 4 23’ 28" N
maritimes relevant respectivement de la République du
Cameroun et de la République fédérale du Nigéria, et point D : 8o22’ 41" E, 4 20’ 00" N
que ces demandes sont recevables;
point E : 8 22’ 17" E, 4 19’ 32" N
POUR: M.Guillaume, Président; M.Shi, Vice- o o
Président; MM R.anjeva, Herczegh, Fleischhauer, point F : 8 22’ 19" E, 4 18’ 46" N
M me Higgins, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek, o o
point G : 8 22’ 19" E, 4 17’ 00" N;

249 POUR: M.Guillaume, Président; M.Shi, Vice- Koroma, M mHiggins, MM. Kooijmans, Rezek, Al-

Prmeident; MM.Oda, Ranjeva, Herczegh, Fleischhauer, Khasawneh, Buergenthal, El araby, juges; MM.Mbaye,
M Higgins, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Al- Ajibola, juges ad hoc;
Khasawneh, Buergenthal, El araby, juges; M.Mbaye, CONTRE : M. Parra-Aranguren, juge;
juge ad hoc; l’)unanimité,
CONTRE: MM. Koroma, R ezek, juges; M. Ajibola,
Rejette le surplus des conclusions de la République
juge ad hoc; du Cameroun concernant la responsabilité internationale
C’)unanimité, de la République fédérale du Nigéria;
Décide que, à partir du point G, la limite des zones l’)unanimité,
maritimes relevant respectivement de la République du
Rejette les demandes reconventionnelles de la
Cameroun et de la République fédérale du Nigério suit République fédérale du Nigéria. »
une ligne loxodromique ayant un azimut de 270 jusqu’à
la ligne d’équidistance qui passe par le milieu de la ligne *
joignant West Point et East Point; la limite rejoint cette * *
ligne d’équidistance en un point X de coordonnées
8o21’ 20" de longitude est et 4 17’ 00" de latitude nord; Le juge Oda joint une décl aration à l’arrêt; le juge
Ranjeva joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle;
D’)unanimité,
Décide que, à partir du point X, la limite des zones le juge Herczegh joint une déclaration à l’arrêt; le juge
maritimes relevant respectivement de la République du Koroma joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente; le
Cameroun et de la République fédérale du Nigéria suit juge Parra-Aranguren joint à l’arrêt l’exposé de son opinion
o individuelle; le juge Rezek joint une déclaration à l’arrêt; le
une ligne loxodromique ayant un azimut de 187 52’ juge Al-Khasawneh joint à l’arrêt l’exposé de son opinion
27"; individuelle; le juge ad hoc Mbaye joint à l’arrêt l’exposé de
V. A) Par quatorze voix contre deux,
son opinion individuelle; le juge ad hoc Ajibola joint à
Décide que la République fédérale du Nigéria est l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente.
tenue de retirer dans les plus brefs délais et sans
condition son administration et ses forces armées et de *
police des territoires relevant de la souveraineté de la * *
République du Cameroun conformément aux pointsI et
III du présent dispositif;
Historique de la procédure et conclusions des Parties
POUR: M.Guillaume, Président; M.Shi, Vice- (par. 1 à 29)
Président; MM.Oda, Ranjeva, Herczegh, Fleischhauer,
M meHiggins, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek, La Cour commence par exposer l’historique de la
Al-Khasawneh, Buergenthal, Elaraby, juges; M.Mbaye, procédure et les conclusions des Parties :
juge ad hoc; Le 29mars1994, le Cameroun a déposé au Greffe de la
Cour une requête introductive d’instance contre le Nigéria
CONTRE : M. Koroma, juge; M. Ajibola, juge au sujet d’un différend pr ésenté comme « port[ant]
ad hoc;
B’)unanimité, essentiellement sur la question de la souveraineté sur la
presqu’île de Bakassi». Le Cameroun exposait en outre
Décide que la République du Cameroun est tenue de dans sa requête que la «délimitation [de la frontière
retirer dans les plus brefs délais et sans condition toutes maritime entre les deux États était] demeurée partielle et
administration ou forces armées ou de police qui [que] les deux parties n’[avaient] pas pu, malgré de
pourraient se trouver sur des territoires relevant de la nombreuses tentatives, se mettre d’accord pour la
souveraineté de la République fédérale du Nigéria
conformément au pointII du présent dispositif. La compléter». Il priait en conséquence la Cour, «[a]fin
d’éviter de nouveaux incidents entre les deux pays,... de
République fédérale du Nigéria a la même obligation en bien vouloir déterminer le tr acé de la frontière maritime
ce qui concerne les territoires relevant de la souveraineté entre les deux États au-delà de celui qui avait été fixé en
de la République du Cameroun conformément au 1975 ».
point II du présent dispositif;
C) Par quinze voix contre une, La requête invoquait, pour fonder la compétence de la
Cour, les déclarations par lesquelles les deux Parties avaient
Prenadcte de l’engagement pris à l’audience par la accepté la juridiction de la Cour au titre du paragraphe2 de
République du Cameroun, par lequel celle-ci affirme l’Article 36 du Statut de la Cour.
que, “fidèle à sa politique traditionnellement accueillante Le 6juin 1994, le Cameroun a déposé au Greffe une
et tolérante”, elle “continuera à assurer sa protection aux
Nigérians habitant la péninsule [de Bakassi] et [à] ceux requête additionnelle «aux fins d’élargissement de l’objet
du différend » à un autre différend décrit comme « port[ant]
vivant dans la région du lac Tchad”; essentiellement sur la question de la souveraineté sur une
POUR: M.Guillaume, Président; M.Shi, Vice- partie du territoire camerounais dans la zone du lac Tchad ».
Président; MM.Oda, Ranjeva, Herczegh, Fleischhauer, Le Cameroun demandait également à la Cour de «préciser

250définitivement» la frontière entre les deux États, du lac pièces ultérieures se rapportant à l’intervention (par.1 de

Tchad à la mer, et la priait de joindre les deux requêtes et l’article 85 du Règlement de la Cour).
« d’examiner l’ensemble en une seule et même instance ». Des audiences publiques ont été tenues du 18février au
Ensuite, lors d’une réunion que le Président de la Cour a 21 mars 2002.
tenue avec les représentants des Parties, l’agent du Nigéria a Dans la procédure orale, les conclusions ci-après ont été
déclaré que son gouvernement ne s’opposait pas à ce que la
présentées par les Parties :
requête additionnelle soit considérée comme un Au nom du Gouvernement du Cameroun,
amendement à la requête initiale de façon que la Cour «La République du Cameroun a l’honneur de
puisse examiner l’ensemble en une seule et même instance; conclure à ce qu’il plaise à la Cour internationale de
par ordonnance du 16juin 1994, la Cour a indiqué qu’elle
ne voyait pas d’objection à ce qu’il soit ainsi procédé, et a Justice de dire et juger :
fixé les dates d’expiration des délais pour le dépôt des a ) Que la frontière terrestre entre le Cameroun et le
Nigéria suit le tracé suivant :
pièces écrites. o
Dans le délai fixé pour le dépôt de son contre-mémoire, • du point désigné par les coordonnées 13 5’ nord et
le Nigéria a déposé des ex ceptions préliminaires à la 14 5’ est, la frontière suit une ligne droite jusqu’à
compétence de la Cour et à la recevabilité de la requête. l’embouchure de l’Ebedji, située au point de
coordonnées 12 o32’ 17" nord et 14 12’ 12" est, point
Dans son arrêt du 11juin 1998 sur les exceptions défini dans le cadre de la Commission du bassin du
préliminaires du Nigéria, la Cour a dit qu’elle avait lac Tchad et constituant une interprétation
compétence pour statuer sur le fond du différend et que les
demandes du Cameroun étaient recevables. La Cour a rejeté authentique des Déclarations Milner-Simon du
sept des exceptions préliminaires soulevées par le Nigéria et 10illet 1919 et Thomson-Marchand des
a déclaré que la huitième n’avait pas un caractère 29 décembre 1929 et 31 janvier 1930, confirmées par
l’échange de lettres duja9nvier 1931;
exclusivement préliminaire et qu’elle statuerait sur celle-ci subsidiairement, l’embouchure de l’Ebedji est située
dans l’arrêt qu’elle rendrait sur le fond. au point de coordonnées 12 o31’ 12" nord et
Le 28octobre 1998, le Nigéria a présenté une demande 14o 11’ 48" est;
en interprétation de l’arrêt rendu par la Cour le 11 juin 1998
sur les exceptions préliminaires; cette demande a donné lieu • de ce point, elle suit le tracé fixé par ces instruments
jusqu’au “pic assez proéminent” décrit par
à une nouvelle affaire, distincte de la présente. Par arrêt du l’alinéa60 de la Déclara tion Thomson-Marchand et
25mars 1999, la Cour a décidé que la demande en connu sous le nom usuel de “mont Kombon”;
interprétation du Nigéria était irrecevable.
Le contre-mémoire du Nigéria, déposé dans le délai • du “mont Kombon”, la frontière se dirige ensuite
prorogé jusqu’au 31mai 1999, comprenait des demandes vers la “borne 64” visée au paragraphe 12 de
l’Accord germano-britannique d’Obokum du 12 avril
reconventionnelles. 1913 et suit, dans ce secteur, le tracé décrit à la
Par ordonnance du 30juin 1999, la Cour a déclaré section 6, paragraphe 1, du Nigeria (Protectorate
recevables les demandes reconventionnelles du Nigéria et a and Cameroons ) Order in Council britannique du
fixé les délais pour la suite de la procédure.
2 août 1946;
Le 30juin 1999, la Guinée équatoriale a déposé au • de la “borne 64”, elle suit le tracé décrit par les
Greffe une requête à fin d’intervention dans l’affaire, en paragraphes 13 à 21 de l’Accord d’Obokum du
vertu de l’Article 62 du Statut . Aux termes de cette requête, 12avril 1913 jusqu’à la borne 114 sur la rivière
l’objet de l’intervention sollicitée était de «protéger les Cross;
droits de la République de Guinée équatoriale dans le golfe
de Guinée par tous les moyens juridiques disponibles» et • de ce point, jusqu’à l’intersection de la ligne droite
joignant Bakassi Point à King Point et du centre du
d’«informer la Cour de la nature des droits et intérêts chenal navigable de l’Akwayafé, la frontière est
d’ordre juridique de la Guinée équatoriale qui pourraient déterminée par les paragraphes XVI à XXI de
être mis en cause par la décision de la Cour, compte tenu
des frontières maritimes revendiquées par les Parties à l’Accord germano-britannique du 11 mars 1913.
l’affaire soumise à la Cour ». La Guinée équatoriale b ) Que, dès lors, notamment, la souveraineté sur la
indiquait en outre qu’elle ne «cherch[ait] pas à devenir presqu’île de Bakassi d’une part et sur la parcelle
litigieuse occupée par le Nigéria dans la zone du lac
partie à l’instance ». Tchad d’autre part, en particulier sur Darak et sa région,
Par ordonnance du 21octobre 1999, la Cour, estimant
que la Guinée équatoriale avait suffisamment établi qu’elle est camerounaise.
avait un intérêt d’ordre juridi que susceptible d’être affecté c ) Que la limite des zones maritimes relevant
par un arrêt que la Cour rendrait aux fins de déterminer la respectivement de la République du Cameroun et de la
République fédérale du Nigéria suit le tracé suivant :
frontière maritime entre le Cameroun et le Nigéria, l’a
autorisée à intervenir dans l’instance dans les limites, de la • de l’intersection de la ligne droite joignant Bakassi
manière et aux fins spécifiées dans sa requête. La Cour a en Point à King Point et du cen tre du chenal navigable
outre fixé les dates d’expiration des délais pour le dépôt des de l’Akwayafé jusqu’au point “12”, cette limite est

251 confirmée par la “ligne de compromis” reportée sur République fédérale du Nigéria ne sont fondées ni en fait
o
la carte de l’Amirauté britannique n 3433 par les ni en droit et de les rejeter. »
chefs d’État des deux pays le 4 avril 1971 Au nom du Gouvernement du Nigéria,
(Déclaration de Yaoundé II) et, de ce point 12 L«a République fédérale du Nigéria prie
jusqu’au point “G”, par la Déclaration signée à
Maroua le 1 erjuin 1975; respectueusement la Cour :
1) en ce qui concerne la presqu’île de Bakassi, de
• du point G, la ligne équitable suit la direction dire et juger :
indiquée par les points G, H (de coordonnées
8o21’16" est et 4 o17’ nord), I (7 o55’ 40" est et a) que la souveraineté sur la presqu’île appartient à
3o46’ nord), J(7 o12’8" est et 3 o12’ 35" nord), K la République fédérale du Nigéria;
(6o45’ 22" est et 3 1’ 5" nord), et se poursuit à partir b)que la souveraineté du Nigéria sur Bakassi
s’étend jusqu’à la frontière avec le Cameroun décrite au
de K jusqu’à la limite extérieure des zones maritimes chapitre 11 du contre-mémoire du Nigéria;
que le droit international place sous la juridiction
respective des deux Parties. 2) en ce qui concerne le lac Tchad, de dire et juger :
d ) Qu’en tentant de modifier unilatéralement et par a) que la délimitation et la démarcation proposées
sous les auspices de la Commission du bassin du lac
la force les tracés de la frontière définie ci-dessus sub
litterae a et c, la République fédérale du Nigéria a violé Tchad, n’ayant pas été rati fiées par le Nigéria, ne
et viole le principe fondamental du respect des frontières s’imposent pas à lui;
héritées de la colonisation (uti possidetis juris) ainsi que b) que la souveraineté sur les zones de la région du
ses engagements juridiques relativement à la lac Tchad définies au paragraphe 5.9 de la duplique du
délimitation terrestre et maritime. Nigéria et indiquées aux figures 5.2 et 5.3 en regard de

e ) Qu’en utilisant la force contre la République du la page 242 (y compris les agglomérations nigérianes
Cameroun, et, en particulier, en occupant militairement énumérées au paragraphe 4.1 de la duplique du Nigéria)
des parcelles du territoire camerounais dans la zone du appartient à la République fédérale du Nigéria;
lac Tchad et la péninsule camerounaise de Bakassi, en c) qu’en tout état de cause, du point de vue
procédant à des incursions répétées tout le long de la
juridique, le processus qui s’est déroulé dans le cadre de
frontière entre les deux pays, la République fédérale du la Commission du bassin du lac Tchad, et qui devait
Nigéria a violé et viole ses obligations en vertu du droit conduire à la délimitation et la démarcation de
international conventionnel et coutumier. l’ensemble des frontières dans le lac Tchad, est sans
f ) Que la République fédérale du Nigéria a le devoir préjudice du titre sur telle ou telle zone de la région du
lac Tchad qui revient au Nigéria du fait de la
exprès de mettre fin à sa présence tant administrative
que militaire sur le territoire camerounais et, en consolidation historique du titre et de l’acquiescement
particulier, d’évacuer sans délai et sans condition ses du Cameroun;
troupes de la zone occupée du lac Tchad et de la 3) en ce qui concerne les segments intermédiaires
péninsule camerounaise de Bakassi et de s’abstenir de de la frontière terrestre, de dire et juger :
tels faits à l’avenir.
a ) qu’il relève de la compétence de la Cour de
g )Qu’en ne respectant pas l’ordonnance en préciser définitivement le tracé de la frontière terrestre
indication de mesures conservatoires rendue par la Cour entre le lac Tchad et la mer;
le 15mars 1996, la République fédérale du Nigéria a b )que l’embouchure de la rivière Ebedji, qui
manqué à ses obligations internationales.
marque le point de départ de la frontière terrestre, se
h ) Que la responsabilité de la République fédérale trouve au point où le chenal nord-est de la rivière se jette
du Nigéria est engagée par les faits internationalement dans la formation appelée “Pond” sur la carte reproduite
illicites exposés ci-dessus et précisés dans les écritures et à la figure 7.1 de la duplique du Nigéria, point qui est
les plaidoiries orales de la République du Cameroun. situé par 12o 31’45" de latitude nord et 14 o 13’ 00" de
longitude est (selon le référentiel d’Adindan);
i ) Qu’en conséquence, une réparation est due par la
République fédérale du Nigéria à la République du c ) que, sous réserve des interprétations proposées au
Cameroun pour les préjudices matériels et moraux subis chapitre 7 de la duplique du Nigéria, la frontière terrestre
par celle-ci, selon les modalités à fixer par la Cour. entre l’embouchure de l’Ebedji et le point situé sur le
thalweg de l’Akpa Yafe qui fait face au point médian de
La République du Cameroun a par ailleurs l’honneur
de prier la Cour de bien vouloir l’autoriser à présenter l’embouchure de l’Archibong Creek est délimitée par les
une évaluation du montant de l’indemnité qui lui est due instruments frontaliers pertinents, à savoir :
en réparation des préjudices qu’elle a subis en i) les paragraphes 2 à 61 de la Déclaration
conséquence des faits internationalement illicites Thomson-Marchand, confirmée par l’échange de
attribuables à la République fédérale du Nigéria, dans lettres du 9 janvier 1931;

une phase ultérieure de la procédure. ii) l’ordonnance adoptée en conseil du 2août 1946
La République du Cameroun prie en outre la Cour de relative au Nigéria (protectorat et Cameroun) (art.6,
déclarer que les demandes reconventionnelles de la par. 1) et sa deuxième annexe;
252 iii)les paragraphes 13 à 21 de l’Accord de 5) en ce qui concerne les demandes du Cameroun
démarcation anglo-allemand du 12 avril 1913; et en matière de responsabilité étatique, de dire et juger :

iv) les articles XV à XVII du Traité anglo-allemand que, pour autant que le Cameroun maintient toujours
du 11 mars 1913; et chacune de ces demandes et que celles-ci sont
d ) que les interprétations proposées au chapitre7 de recevables, ces demandes ne sont fondées ni en fait ni en
la duplique du Nigéria, ainsi que les mesures connexes droit; et

présentées dans ladite duplique pour chacun des endroits 6) en ce qui concerne les demandes
où la délimitation prescrite par les instruments reconventionnelles du Nigéria telles que formulées dans
frontaliers pertinents est imparfaite ou incertaine, sont la sixième partie du contre-mémoire du Nigéria et au
confirmées. chapitre 18 de la duplique du Nigéria, de dire et juger :
4) en ce qui concerne la frontière maritime , de dire que le Cameroun est responsable envers le Nigéria à

et juger : raison des griefs exposés dans chacune de ces demandes,
a ) que la Cour n’a pas co mpétence pour connaître le montant de la réparation due à ce titre devant être
de la revendication maritime du Cameroun à partir du déterminé par la Cour dans un nouvel arrêt à défaut
point où la ligne que celui-ci revendique pénètre dans les d’accord entre les Parties dans les six mois suivant la
eaux sur lesquelles la Guinée équatoriale fait valoir des date du prononcé de l’arrêt de la Cour. »
prétentions à l’encontre du Cameroun, ou Au terme des observations orales qu’elle a présentées

subsidiairement que cette demande du Cameroun est sur l’objet de l’intervention, conformément au paragraphe3
irrecevable de ce fait; de l’article 85 du Règlement, la Guinée équatoriale s’est
b ) que la demande du Cameroun relative à une notamment exprimée comme suit :
délimitation de la frontière maritime basée sur le partage «[N]ous demandons à la Cour de ne pas délimiter de
global des zones maritimes dans le golfe de Guinée est frontière maritime entre le Cameroun et le Nigéria dans

irrecevable, et que les Parties sont tenues, en application des zones placées plus près de la Guinée équatoriale que
des articles 74 et 83 de la Convention des Nations Unies des côtes des deux Parties ou d’émettre un quelconque
sur le droit de la mer, de négocier de bonne foi en vue de avis susceptible de porter préjudice à nos intérêts dans le
parvenir à un accord sur une délimitation équitable de cadre de nos négociations relatives aux frontières
leurs zones maritimes respectives, une telle délimitation maritimes avec nos voisins… Préserver les intérêts de
devant tenir compte, notamment, de l’obligation de l’État tiers dans la présente procédure signifie que la
respecter les droits existants de prospection et délimitation établie par la Cour entre le Nigéria et le

d’exploitation des ressources minérales du plateau Cameroun doit nécessairemen t demeurer au nord de la
continental accordés par l’un e ou l’autre des Parties ligne médiane entre l’île de Bioko de la Guinée
avant le 29 mars 1994 sans qu’une protestation écrite ait équatoriale et le continent. »
été élevée par l’autre ainsi que les revendications
maritimes raisonnables d’États tiers; Le cadre géographique

c ) subsidiairement, que le Cameroun n’est pas fondé (par. 30)
en droit à revendiquer une délimitation de la frontière La Cour décrit ensuite le cadre géographique du
maritime basée sur un partage global des zones différend de la manière suivante :
maritimes dans le golfe de Guinée et que cette demande
est rejetée; Le Cameroun et le Nigéria sont des États situés sur la
d ) que, dans la mesure où la demande du Cameroun côte occidentale de l’Afrique.
Leur frontière terrestre s’ étend du lac Tchad au nord
concernant la frontière maritime peut être jugée jusqu’à la presqu’île de Bakassi au sud. Leurs côtes sont
recevable en la présente instance, la revendication par le
Cameroun d’une frontière maritime à l’ouest et au sud adjacentes et sont baignées par les eaux du golfe de
de la zone de chevauchement des concessions, telle Guinée.
qu’indiquée à la figure 10.2 de la duplique du Nigéria, Quatre États sont riverains du lac Tchad: le Cameroun,
est rejetée; le Niger, le Nigéria, et le Tchad. Les eaux du lac ont
beaucoup varié dans le temps.
e ) que les eaux territoriales respectives des deux
États ont pour frontière une ligne médiane située dans le Dans sa partie septentrionale, la frontière terrestre entre
Rio del Rey; le Cameroun et le Nigéria traverse des plaines chaudes et
f ) que, au-delà du Rio del Rey, les zones maritimes sèches aux alentours du lac Tchad, à environ 300 mètres
respectives des Parties seront délimitées par une ligne d’altitude. Puis elle parcourt des régions de montagnes, de
hautes terres cultivées ou de pâturages, arrosées par divers
tracée conformément au prin cipe de l’équidistance, cours d’eau. Elle descend ensuite par paliers jusqu’à des
jusqu’au point le plus proche où cette ligne rencontre la
frontière établie avec la Gu inée équatoriale suivant la régions de savane et de forêt, avant de rejoindre la mer.
ligne médiane à environ4 o6’de latitude nord et 8 o30’ La région côtière où aboutit la frontière terrestre dans sa
de longitude est; partie méridionale est celle de la presqu’île de Bakassi.
Cette presqu’île, située au fond du golfe de Guinée, est

253encadrée à l’ouest par la rivière Akwayafé et à l’est par le examine ensuite l’argumentati on du Nigéria fondée sur la

Rio del Rey. Elle constitue un milieu amphibie, caractérisé consolidation historique du titre qu’il revendique.
par une hydrographie, des ressources halieutiques et une
végétation de mangroves abondantes. Le golfe de Guinée, Question de savoir si une frontière s’imposant
qui présente un caractère co ncave au niveau des côtes du aux Parties a été établie
Cameroun et du Nigéria, est bo rdé par d’autres États, et en
(par. 41 à 55)
particulier par la Guinée équatoriale, dont l’île de Bioko fait Comme rappelé par la Cour, le Cameroun soutient que la
face aux côtes des Parties.
frontiore dans la région du lac Tcoad, à partir du point situé
Le contexte historique par 13 05’ de latitude nord et 14 05’ de longitude est, court
(par. 31 à 38) en ligne droite jusqu’à l’embouchure de l’Ebedji. Les
instruments applicables sont selon le Cameroun la
La Cour observe ensuite que le différend qui oppose les Déclaration Milner-Simon de 1919 et la Déclaration
Parties, pour ce qui a trait à leur frontière terrestre, s’inscrit Thomson-Marchand de 1929-1930, telle qu’incorporée dans
e
dans un contexte histerique marqué tout d’abord, au XIX et l’échange de notes Henderson-Fleuriau de 1931. Le Nigéria
au début du XX siècle, par l’action des puissances expose pour sa part qu’il n’existe pas de délimitation
européennes en vue du partage de l’Afrique, puis par complète dans la région du lac Tchad et que, tant par
l’évolution du statut des territoires en cause dans le cadre du consolidation historique que par acquiescement du
régime des mandats de la Société des Nations et de celui des Cameroun, il détient le titre sur les zones, dont trente-trois
tutelles de l’Organisation des NationsUnies, et enfin par
localités nommément désignées qu’il a indiquées dans sa
l’accession de ces territoires à l’indépendance. Cette histoire duplique.
est reflétée dans un certain nombre de conventions et de La Cour observe que les frontières coloniales dans la
traités, des échanges dipl omatiques, certains actes région du lac Tchad avaient fait l’objet, à la fin du XIX e et
administratifs, des cartes d’époque et divers documents, qui au début du XX esiècle, d’une série d’accords bilatéraux
ont été fournis à la Cour par les Parties.
entre l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne. À
Quant à la question de la délimitation de la frontière l’issue de la Première Guerre mondiale, une bande de
maritime entre les Parties, elle a une origine plus récente et territoire située à l’est de la frontière occidentale de l’ancien
son histoire met également en jeu divers instruments Cameroun allemand devint le Cameroun sous mandat
internationaux. britannique. Aussi fut-il nécessaire de redéfinir une
frontière, commençant dans le lac même, entre les territoires
La Cour donne alors quelques indications sur les
principaux instruments pertinents aux fins de déterminer le récemment placés sous mandats britannique et français. Ce
tracé de la frontière terrestre et maritime entre les Parties. fut chose faite avec la Déclaration Milner-Simon de 1919,
qui a le statut d’accord intern ational. Aux termes de cette
* déclaration, la France et la Grande-Bretagne convenaient :

Après avoir décrit le cadre géographique et historique «[de] déterminer la frontière séparant les territoires du
dans lequel s’inscrit le présent différend, la Cour passe à la Cameroun respectivement placés sous l’autorité de leurs
délimitation des différents secteu rs de la frontière entre le gouvernements, ainsi qu’elle est tracée sur la carte
Moisel au 1/300000 eannexée à la présente déclaration
Cameroun et le Nigéria. Pour ce faire, elle définit tout et définie par la description en trois articles également
d’abord le tracé de la frontière dans la région du lac Tchad. ci-jointe ».
Elle détermine ensuite ce tracé depuis le lac Tchad jusqu’à
la presqu’île de Bakassi, avant d’examiner la question de la Aucun tripoint précis dans le lac Tchad ne pouvait être
frontière à Bakassi et de la souveraineté sur la presqu’île. déduit des instruments antérieu rs, ceux-ci pouvant conduire
Puis la Cour se penche sur la question de la délimitation des à situer le tripoint à 13 o00’ ou 13º05’ de latitude nord,
tandis que le méridien était simplement décrit comme
zones maritimes relevant des deux États. Enfin, la dernière
partie de l’arrêt est consacrée aux questions de «passant à 35’ à l’est du centre de Kukawa». Ces données
responsabilité internationale soulevées par les Parties. furent éclaircies et précisées par la Déclaration Milner-
Simon, qui disposait :
«La frontière partira du point de rencontre des trois
La délimitation de la frontière dans la région anciennes frontières britannique, française et allemande
daTchad
(par. 40 à 70) placé dans le lac Tc had par 13°05’ de latitude nord et
approximativement 140 °5’ de longitude est de
Le Cameroun et le Nigéria étant en désaccord quant à Greenwich.
l’existence d’une délimitation définitive dans la région du De là, la frontière sera déterminée de la façon
lac Tchad, la Cour recherche t out d’abord si la Déclaration
suivante :
1. Par une ligne droite jusqu’à l’embouchure de
Milner-Simon de 1919 et les instruments concernant la l’Ebeji; ... »
délimitation dans cette région qui lui ont succédé sont à
l’origine d’une frontière s’imposant aux Parties. Elle
254 La carte Moisel au 1/300000 était présentée comme la tout le moins, la frontière dans la région du lac Tchad avait
carte ayant « servi pour décrire la frontière » et était annexée bien été délimitée et approuvée par la Grande-Bretagne et la

à la déclaraeion; une autre carte du Cameroun, au France. En outre, elle ne peut manquer d’observer que le
1/2 000 000 , était «attachée à la … description de la Nigéria fut consulté lors des négociations qui précédèrent
frontière ». son indépendance, puis à l’occasion des plébiscites par
La Cour relève que l’article premier du mandat conféré à lesquels allait être déterminé l’avenir des populations du
la Grande-Bretagne par la Société des Nations confirmait la Cameroun septentrional et du Cameroun méridional, et que
le Nigéria ne laissa entendre à aucun moment que, en ce qui
ligne précisée dans la Déclaration Milner-Simon, et que la concernait tant la région du lac Tchad que d’autres secteurs,
Déclaration Milner-Simon prévoyait déjà le droit, énoncé
dans le mandat, de modifier légèrement la ligne, d’un les frontières restaient à délimiter.
commun accord, soit du fait d’inexactitudes mises en La Cour estime en outre qu e les travaux menés par la
évidence dans la carte Moisel, soit dans l’intérêt des Commission du bassin du lac Tchad (CBLT) entre 1983 et
habitants. Ce droit et la ligne elle-même furent approuvés 1991 confirment cette interprétation. Elle ne saurait retenir
par le Conseil de la Société des Nations. De l’avis de la la thèse du Nigéria selon laquelle la CBLT aurait, de 1983 à

Cour, ces dispositions ne laissent à aucun moment entendre 1991, procédé à des opérations de délimitation aussi bien
que la ligne frontière n’avait pas été délimitée dans sa que de démarcation. L’étude des documents révèle que, bien
totalité. La Cour estime en outre que le libellé retenu, à que le termed«élimitatio»nait été employé
savoir «la délimitation sur le terrain de ces frontières épisodiquement pour introduire des clauses ou désigner des
…conformément aux dispositions de ladite déclaration», points de l’ordre du jour, c’est le terme « démarcation » qui
renvoie sans équivoque à une démarcation, nonobstant la est le plus souvent utilisé. Bien plus, la nature même des
terminologie employée. Était également reprise de la travaux réalisés relevait de la démarcation. La Cour observe

Déclaration Milner-Simon l’idée d’une commission de à cet égard que la CBLT mena pendant sept ans des travaux
frontière. Le fait qu’il ait été prévu que cette commission techniques de démarcation, en se fondant sur des
procéderait à la démarcation précise de la frontière instruments dont il était convenu qu’ils délimitaient la
présuppose également que celle-ci était considérée comme frontière dans le lac Tchad. Les questions de la localisation
ayant été pour l’essentiel délimitée. de l’embouchure de l’Ebedji et de la détermination de la
longitude du tripoint en des termes autres
Si les deux Puissances mandataires ne procédèrent pas, qu’« approximati[fs] » furent confiées à la CBLT. Rien
de fait, à une « délimitation sur le terrain » dans le lac Tchad
ou aux environs de celui-ci, elles continuèrent en revanche, n’indique que le Nigéria jugeait ces questions si
pour divers segments de la frontière, à préciser l’accord préoccupantes qu’il fallût cons idérer la frontière comme
autant que faire se pouvait. Ainsi, par la Déclaration « non délimitée » par les instruments évoqués. La Cour note
Thomson-Marchand de 1929-1930, laquelle fut par la suite qu’en ce qui concerne la frontière terrestre se dirigeant vers
approuvée et incorporée dans l’échange de notes le sud depuis l’embouchure de l’Ebedji, le Nigéria admet
qu’elle est définie par les instruments en question, tout en
Henderson-Fleuriau de 1931, la frontière séparant les deux
territoires sous mandat fut décrite de manière nettement plus estimant qu’il convient de remédier à certaines incertitudes
circonstanciée qu’elle ne l’av ait été jusqu’alors. La Cour et lacunes. De l’avis de la Cour, le Nigéria a suivi cette
considère que le fait que cette déclaration et cet échange de même approche en participan t aux travaux de démarcation
notes aient été préliminaires à de futurs travaux de de la CBLT entre 1984 et 1990.
démarcation d’une commission de frontière ne signifie pas, La Cour convient avec les Parties que le Nigéria n’est
contrairement à ce qu’affirme le Nigéria, que l’accord pas lié par le procès-verbal de bornage. Pour autant, cette

conclu en 1931 ne revêtait qu’un caractère constatation n’implique pas que les instruments juridiques
«programmatique». La Cour souligne en outre que la applicables aient été remis en question, ou qu’ils aient cessé
Déclaration Thomson-Marchand, telle qu’approuvée et de lier le Nigéria. En résumé, la Cour estime que la
incorporée dans l’échange de notes Henderson-Fleuriau, a le Déclaration Milner-Simon de 1919, ainsi que la Déclaration
statut d’accord international. Elle reconnaît certes que cette Thomson-Marchand de 1929-1930 incorporée dans
déclaration présentait quelques imperfections techniques et l’échange de notes Henderson-Fleuriau de 1931, délimitent
que certains détails restaient à préciser. Elle n’en estime pas la frontière entre le Cameroun et le Nigéria dans la région

moins que ladite déclaration établissait une délimitation qui du lac Tchad. La carte jointe par les parties à l’échange de
suffisait de manière générale à la démarcation. notes doit être considérée comme précisant d’un commun
Malgré les incertitudes entourant la longitude exacte du accord la carte Moisel. La région frontalière dans le lac
tripoint dans le lac Tchad ainsi que la localisation de Tchad est ainsi délimitée, encore que deux questions restent
l’embouchure de l’Ebedji, et bien qu’il n’ait été procédé à à examiner par la Cour, à savoir celle de la détermination
exacte de la longitude du tripoint Cameroun-Nigéria-Tchad
aucune démarcation dans le lac Tchad avant l’indépendance dans le lac Tchad, et celle de l’embouchure de l’Ebedji.
du Nigéria et celle du Cameroun, la Cour estime qu’il
ressort des instruments applicab les que, à partir de 1931 à

255Les coordonnées du tripoint Cameroun-Nigéria-Tchad chenaux, les Parties étant d’accord sur le fait que ce point se

et l’embouchure de l’Ebedji trouve sur la frontiore. Les coordonnées géographiqueso
(par. 56 à 61) dudit point sont 14 12’03" de longitude est et 12 30’ 14"
Le Cameroun, tout en admettant que le procès-verbal de de latitude nord.

bornage des frontières internationales dans le lac Tchad ne La consolidation historique du titre revendiqué
lie pas le Nigéria, prie néanmoins la Cour de dire et juger
que les propositions de la CBLT concernant le tripoint et par le Nigéria
l’embouchure de l’Ebedji «constitu[e]nt une interprétation (par. 62 à 70)
authentique des Déclarations Milner-Simon … et Thomson-
Marchand…, confirmées par l’échange de lettres du La Cour aborde ensuite les revendications du Nigéria
fondées sur sa présence dans certaines zones du lac Tchad.
9 janvier 1931 ». Elle rappelle que le Nigéria revendique la souveraineté sur
La Cour estime qu’elle ne saurait accéder à cette des zones du lac Tchad comprenant un certain nombre de
demande. À aucun moment les États ayant succédé à ces villages désignés par leurs noms. Le Nigéria explique que
instruments n’ont chargé la CBLT d’en donner une ces villages ont été établis soit sur ce qui constitue
interprétation authentique. En outre, le seul fait qu’il ait été
aujourd’hui le lit asséché du lac, soit sur des îles pérennes,
décidé, en mars 1994, que les résultats des travaux soit encore en des endroits qui ne sont des îles que durant la
techniques de démarcation devaient être adoptés par chacun saison des pluies. Le Nigéria affirme que sa revendication
des États membres conformément à son droit interne repose sur trois fondements s’appliquant à la fois
indique que la Commission n’était nullement à même de séparément et conjointement, et dont chacun se suffit à lui-
procéder, de son propre chef, à une «interprétation même :
authentique ».
«1) une occupation de longue durée par le Nigéria et
Cependant, après avoir examiné la carte Moisel annexée par des ressortissants nigérians, laquelle constitue une
à la Déclaration Milner-Simon de 1919 et la carte jointe à consolidation historique du titre;
l’échange de notes Henderson-Fleuriau de 1931, la Cour 2) une administration exercée effectivement par le
arrive aux mêmes conclusions que la CBLT et estime que le
tripoint se situe à 14 o04’59"9999 de longitude est, plutôt Nigéria agissant en tant que souverain, et l’absence de
o protestations;
qu’à « approximativement » 14 05’. Selon la Cour, la 3) des manifestations de souveraineté par le Nigéria,
différence minime qui sépare ces deux positions confirme parallèlement à l’acquiescement par le Cameroun à la
d’ailleurs que cette question n’a jamais revêtu une souveraineté du Nigéria sur Darak et les villages
importance telle qu’elle pût laisser la frontière
« indéterminée » dans cette région. avoisinants du lac Tchad ».
Le Cameroun, pour sa part, fait valoir que, titulaire d’un
La Cour observe ensuite que le texte de la Déclaration titre territorial conventionnel sur les zones contestées, il n’a
Thomson-Marchand de 1929-1930, incorporé en 1931 dans pas à démontrer l’exercice effectif de sa souveraineté sur
l’échange de notes Henderson-Fleuriau, se réfère à celles-ci, un titre conventio nnel valide prévalant sur
« l’embouchure de l’Ebedji ». Pour la Cour, tant le texte des
instruments susmentionnés que la carte Moisel annexée à la d’éventuelles effectivités contraires.
Déclaration Milner-Simon et celle jointe à l’échange de La Cour observe tout d’abord que les travaux de la
CBLT visaient à déboucher sur la démarcation d’ensemble
notes Henderson-Fleuriau montrent que les parties d’une frontière déjà délimitée. Le résultat du processus de
n’envisageaient l’existence que d’une seule embouchure. La démarcation ne lie certes pas le Nigéria, mais cette
Cour note en outre que les coordonnées de l’embouchure de
l’Ebedji, telles que calculées sur ces deux cartes, dans la circonstance est sans incidence juridique sur la délimitation
zone située immédiatement au nord de l’emplacement préexistante de la frontière. Il s’ensuit nécessairement que la
indiqué comme étant celui de Wulgo, sont remarquablement revendication du Nigéria fondée sur la théorie de la
consolidation historique du titre et sur l’acquiescement du
proches. Ces coordonnées sont en outre identiques à celles Cameroun doit être appréciée à la lumière de la conclusion à
retenues par la CBLT lorsque celle-ci a entendu localiser, à laquelle la Cour est ainsi déjà parvenue. Durant la procédure
partir des mêmes cartes, l’embouchure de l’Ebedji telle
qu’elle se présentait pour les parties en 1931. Le point ainsi orale, l’affirmation du Ca meroun selon laquelle les
identifié se trouve au nord aussi bien de l’«embouchure» effectivités nigérianes seraient contra legem a été écartée
proposée par le Cameroun, dans son argumentation par le Nigéria comme n’étant «qu’une pétition de principe
et un raisonnement circulaire». La Cour note toutefois que,
subsidiaire, pour le chenal occidental que de celle proposée dès lors qu’elle a conclu que la frontière dans le lac Tchad
par le Nigéria pour le chenal oriental. La Cour conclut de ce se trouvait délimitée bien avant que ne débutent les travaux
qui précède que l’embouchure de l’Ebedji, telle que
mentionnée dans les instruments confirmés dans l’échange de la CBLT, les éventuelles effectivités nigérianes doivent
de notes Henderson-Fleuriau de 1931, a pour coordonnées bien être considérées, du point de vue de leurs conséquences
14 o12’ 12" de longitude est et 12 32’ 17" de latitude nord. juridiques, comme des actes contra legem.
De là, la frontière doit se diriger en ligne droite jusqu’au La Cour indique ensuite que la théorie de la
consolidation historique a fait l’objet de nombreuses
point de bifurcation où la rivière Ebedji se sépare en deux

256 controverses et estime que cette notion ne saurait se Le tracé de la frontière terrestre depuis le lac Tchad
substituer aux modes d’acquisition de titre reconnus par le jusqu’à la presqu’île de Bakassi

droit international, qui tiennent compte de nombreux autres (par. 71 à 192)
facteurs importants de fait et de droit. Aussi bien les faits et Ayant examiné la question de la délimitation dans la
circonstances avancés par le Nigéria à l’égard des villages région du lac Tchad, la Cour aborde ensuite le tracé de la
du lac Tchad concernent-ils une période d’une vingtaine
d’années en tout état de cause trop brève au regard même de frontière terrestre du lac Tchad à la presqu’île de Bakassi.
la théorie invoquée. La Cour conclut que l’argumentation du
Nigéria sur ce point ne peut par suite être retenue. Instruments pertinents et tâche de la Cour
(par. 72 à 86)
La Cour constate que certaines des activités du Nigéria
o–rganisation de services publics de santé et Après avoir résumé les argu ments des Parties, la Cour
d’enseignement, maintien de l’ordre, administration de la constate que le Cameroun et le Nigéria s’accordent à
justice– pourraient, comme il le fait valoir, normalement considérer que la frontière te rrestre entre leurs territoires
être considérées comme des actes accomplis à titre de
respectifs depuis le lac Tchad a déjà fait l’objet d’une
souverain. Elle estime cependant que, puisque le Cameroun délimitation, celle-ci ayant été opérée, selon le cas, par la
détenait un titre préexistant sur cette région du lac, le critère Déclaration Thomson-Marchand incorporée dans l’échange
juridique applicable est l’existence ou non d’un de notes Henderson-Fleuriau de 1931, par l’Ordre en conseil
acquiescement manifeste du Cameroun au transfert de son britannique de 1946, et par les Accords anglo-allemands des
titre au Nigéria. 11mars et 12avril 1913. La Cour constate également qu’à
La Cour relève qu’elle a déjà eu à plusieurs reprises à se l’exception des dispositions relatives à Bakassi contenues

prononcer sur la relation juridique qui existe entre les dans les articles XVIII et suivants de l’Accord anglo-
«effectivités» et les titres. Dans l’affaire du Différend allemand du 11mars 1913, le Cameroun et le Nigéria
frontalier (Burkina Faso/République du Mali) , elle a reconnaissent l’un comme l’au tre la validité des quatre
souligné que sur ce point «plusieurs éventualités doivent instruments juridiques susmentionnés qui ont opéré cette
être distinguées ». Elle a notamment jugé que : délimitation. La Cour conclut qu’elle n’a donc pas à
examiner plus avant ces questi ons, s’agissant du secteur de
« Dans le cas où le fait ne correspond pas au droit, où la frontière allant du lac Tchad au point décrit à
le territoire objet du di fférend est administré
effectivement par un État autre que celui qui possède le l’article XVII in fine de l’Accord anglo-allemand de mars
titre juridique, il y a lieu de préférer le titulaire du titre. 1913. Elle a en revanche à revenir sur celles-ci en ce qui
Dans l’éventualité où «l’effectivité» ne coexiste avec concerne le secteur de la frontière terrestre situé au-delà de
aucun titre juridique, elle doit inévitablement être prise ce point, dans la partie de son arrêt consacrée à la presqu’île
en considération.» ( C.I.J. Recueil 1986, p.587, par.63; de Bakassi.

voir aussi Différend territorial (Jamahiriya arabe La Cour souligne que, indépendamment des questions
libyenne/Tchad), C.I. J. Recueil 1994, p7.5 à 76, qui viennent d’être évoquées, un problème a continué à
par. 38.) diviser les Parties au sujet de la frontière terrestre. Ce
La Cour souligne que c’est la première éventualité ainsi problème a trait à la nature et à l’étendue du rôle que la
envisagée, et non la seconde, qui correspond à la situation Cour est appelée à jouer quant aux secteurs de la frontière
terrestre dont les Parties ont débattu à différents stades de la
telle qu’elle se présente dans la présente affaire. En effet le procédure, au motif soit que les instruments de délimitation
Cameroun détenait le titre juridique sur le territoire se
trouvant à l’est de la frontière fixée par les instruments pertinents seraient défectueux , soit que l’interprétation de
applicables. Dès lors, la conduite du Cameroun sur le ceux-ci prêterait à discussion. Si la Cour a certes pu noter
territoire en cause n’est pertinente que pour déterminer s’il a que les positions des Parties en la matière ont connu une
acquiescé à une modification du titre conventionnel, évolution notable et se sont nettement rapprochées au cours
éventualité qui ne peut être entièrement exclue en droit. de la procédure, les Parties semblent être restées divisées sur
la question de savoir quelle doit être la mission exacte de la
La Cour estime ensuite que les éléments de preuve qui Cour à cet égard.
lui ont été soumis, tels qu’ils ressortent du dossier de
l’affaire, montrent que le Cameroun n’a pas acquiescé à Les Parties ont abondamment discuté de la différence
l’abandon de son titre sur la région en faveur du Nigéria. entre délimitation et démarcation et de la possibilité pour la
Elle en conclut donc que, pour l’essentiel, les effectivités Cour d’effectuer l’une ou l’autre de ces opérations. La Cour
observe que, ainsi qu’elle l’a relevé dans l’affaire du
invoquées par le Nigéria n’étaient pas conformes au droit et Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad)
que dès lors « il y a lieu de préférer le titulaire du titre ».
En conséquence, la Cour conclut que les localités situées (C.I.J. Recueil 1994 , p.28, par.56), la délimitation d’une
à l’est de la frontière confirmée dans l’échange de notes frontière consiste en sa « définition », tandis que la
Henderson-Fleuriau de 1931 sont demeurées sous démarcation d’une frontière, qui présuppose la délimitation
souveraineté camerounaise. préalable de celle-ci, consiste en son abornement sur le

257terrain. En l’espèce, les Parties ont reconnu l’existence et la Tarmoa et que la frontière partant du marais d’Agzabam
validité des instruments dont l’objet était d’opérer la doit suivre ce bras jusqu’à son confluent avec la rivière

délimitation entre leurs territoires respectifs; par ailleurs, les Ngassaoua.
deux Parties ont insisté à de multiples reprises sur le fait
qu’elles ne demandaient pas à la Cour de procéder à des La rivière Keraua (Kirewa ou Kirawa)
opérations de démarcation, celles-ci devant être effectuées (par. 92 à 96)
par leurs propres soins à un stad e ultérieur. La tâche de la
Cour n’est donc ni de procéder à une délimitation de novo La Cour constate que, dans la région de la rivière Keraua
de la frontière, ni de démarquer celle-ci. (Kirewa ou Kirawa), l’interprétation du paragraphe18 de la
Déclaration Thomson-Marchand soulève des difficultés,
La tâche dont le Cameroun a saisi la Cour aux termes de dans la mesure où le texte de cette disposition se contente de
sa requête est de « préciser définitivement » (les italiques
sont de la Cour) le tracé de la frontière terrestre tel qu’il a faire passer la frontière par « la rivière» Keraua, alors que
été fixé dans les instruments de délimitation pertinents. De la rivière est divisée à cet en droit en deux chenaux: un
l’avis de la Cour, la frontière terrestre ayant été délimitée chenal occidental et un chenal oriental. La Cour estime que
sa tâche consistera donc à identifier le chenal par lequel la
par différents instruments juridiques, il échet certes, aux fins Déclaration Thomson-Marchand fait passer la frontière.
de préciser définitivement son tracé, de confirmer que ces
instruments lient les Parties et sont applicables. Toutefois, Après avoir rejeté certains des arguments de chacune des
contrairement à ce que le Came roun a laissé entendre à Parties, la Cour constate que la carte Moisel fait passer la
certains stades de la procédure, la Cour ne saurait remplir la frontière, comme le relève le Nigéria, juste à l’est de deux
mission qui lui a été confiée en l’espèce en s’en tenant à une villages dénommés Schriwe et Ndeba, qui se trouvent à
telle confirmation. En effet, dès lors que le contenu même l’emplacement actuel des villages de Chérivé et Ndabakora,
et qu’elle laisse en territoire nigérian. Or, seul le chenal
de ces instruments fait l’obj et d’un différend entre les oriental remplit cette condition. La Cour en conclut que le
Parties, la Cour, pour préciser définitivement le tracé de la
frontière en question, doit nécessairement se pencher plus paragraphe 18 de la Déclaration Thomson-Marchand doit
avant sur ceux-ci. Le différend qui oppose le Cameroun et le être interprété comme faisant passer la frontière par le
Nigéria sur certains points de la frontière terrestre entre le chenal oriental de la rivière Keraua.
lacTchad et Bakassi ne consiste en réalité en rien d’autre
qu’en un différend sur l’interprétation ou l’application de tel La rivière Kohom

ou tel passage des instruments de délimitation de cette (par. 97 à 102)
frontière. C’est ce différend que la Cour s’attache à trancher. La Cour constate que le paragraphe 19 de la Déclaration
À cette fin, elle examine successivement chacun des points Thomson-Marchand pose tout d’abord le problème de
en litige.
l’identification du cours de la rivière Kohom, par lequel doit
passer la frontière. Après une étude minutieuse du matériau
Limani cartographique à sa disposition, la Cour arrive à la
(par. 87 à 91) conclusion que, ainsi que l’affirme le Nigéria, c’est bien la
La Cour constate que, dans la région de Limani, rivière Bogaza qui prend sa source dans le mont Ngosi, et
non la rivière Kohom. La tâche de la Cour est donc de
l’interprétation de la Déclaration Thomson-Marchand déterminer quel est le tracé que les rédacteurs de la
soulève des difficultés. En effet, alors que celle-ci ne se
réfère dans cette zone qu’à « une rivière », il existe plusieurs Déclaration Thomson-Marchand ont entendu donner à la
bras de rivière entre le marais d’Agzabam et le «confluent frontière dans cette région en la faisant passer par une
situé à environ 2kilomètres au nord-ouest [du village de rivière dénommée « Kohom ».
Limanti (Limani)] » (par. 14 de la Déclaration). Afin de localiser le cours du Kohom, la Cour se penche
tout d’abord sur le texte de la Déclaration Thomson-
Une étude attentive du texte de la Déclaration Thomson-
Marchand ainsi que des cartes et du matériau fournis par les Marchand, dont la lecture ne lui paraît pas déterminante. La
Parties a amené la Cour aux conclusions suivantes. Tout Cour souligne qu’elle a, partant, dû avoir recours à d’autres
d’abord, la Cour observe que le deuxième bras à partir du moyens d’interprétation. Elle a ainsi étudié attentivement le
nord, préconisé par le Cameroun pour le tracé de la croquis, établi en mars 1926 par des fonctionnaires français
frontière, ne saurait être retenu. Le bras méridional proposé et britannique, qui a servi de base à la rédaction des
paragraphes 18 et 19 de la Déclaration Thomson-Marchand.
par le Nigéria pose d’autres problèmes. La Cour ne saurait La Cour s’estime en mesure de déterminer, sur la base d’une
dès lors pas davantage retenir ce bras. La Cour constate en
revanche qu’il existe un autre bras de la rivière, appelé comparaison des indications données par le croquis avec les
Nargo sur la feuille «Ybiri N.W.» de la carte DOS cartes fournies par les Parties, que le cours du Kohom par
reproduite à la page 23 de l’atlas annexé à la duplique du lequel la Déclaration Thomson-Marchand fait passer la
Nigéria, qui remplit les conditions posées par la Déclaration frontière est celui indiqué par le Cameroun. Elle relève
Thomson-Marchand. En conséquence, la Cour conclut que toutefois que la ligne frontiè re réclamée par le Cameroun
dans cette région va au-delà de la source de la rivière qu’elle
la «rivière» visée au paragraphe 14 de la Déclaration a identifiée comme étant le Kohom. De même, la Cour
Thomson-Marchand est le bras coulant entre Narki et

258estime qu’elle ne saurait faire abstraction du fait que la de ce point, la frontière suit le tracé de «ligne erronée de
Déclaration Thomson-Marchand prévoit explicitement que partage des eaux» jusqu’au poino marquant la fin de cette
la frontière doit passer par une rivière qui prend sa source ligne, qui se trouve par 13 30’55" de longitude est et
dans le mont Ngosi. Afin de respecter la Déclaration 10o 15’46" de latitude nord. Entre ces deux points, le tracé
Thomson-Marchand, il échet dès lors d’assurer la jonction de la frontière est celui qui est indiqué sur la carte jointe au
entre la source de la rivière Kohom telle qu’identifiée par la présent arrêt, qui a été établie par la Cour en opérant le

Cour et la rivière Bogaza, qui prend sa source dans le mont report de la « ligne erronée de partage des eaux » de la carte
Ngosi. En conséquence, la Cour conclut qu’il convient Moisel sur la première édition de la feuille «UbaN.E.» de
d’interpréter le paragraphe 19 de la Déclaration Thomson- la carte DOS au 1/50000 e du Nigéria. Ensuite, la frontière
Marchand comme faisant passer la frontière par la rivière recommence à suivre la ligne de partage des eaux correcte
Kohom, telle que la Cour l’a identifiée, jusqu’à sa source vers le sud.
o o
située par 13 44’24" de longitude est et 10 59’ 09"de
latitude nord puis, de ce point, par une ligne droite orientée Kotcha (Koja)
vers le sud et rejoignant le mont marqué à une altitude de (par. 120 à 124)
861 mètres sur la carte au 1/50 000 e constituant la figure 7.8
en regard de la page 334 de la duplique du Nigéria –mont La Cour constate que, dans la région de Kotcha, la
o o difficulté provient uniquement de ce que, comme le
situé par 13 45’45" de longitude est et 10 59’ 45" de reconnaît le Nigéria, le village nigérian de Kotcha s’est
latitude nord –, avant de suivre le cours de la rivière Bogaza
dans la direction sud-ouest jusqu’au sommet du mont Ngosi. étendu du coté camerounais de la frontière. Comme la Cour
a déjà eu l’occasion de l’indi quer à l’égard du village de
Turu, elle n’a pas compétence pour modifier une ligne
La ligne de partage des eaux de Ngosi à Humsiki frontière délimitée, même dans l’hypothèse où un village
(Roumsiki)/Kamale/Turu (les monts Mandara) auparavant situé d’un coté de la frontière se serait étendu
(par. 103 à 114)
au-delà de celle-ci. Il appartiendra en revanche aux Parties
La Cour constate que le problème dans la région de trouver une solution aux problèmes qui en résulteraient,
s’étendant de Ngosi à Roumsiki a pour origine le fait que le aux fins d’assurer le respect des droits et intérêts de la
Cameroun et le Nigéria appliquent différemment les population locale.
dispositions des paragraphes 20 à 24 de la Déclaration
En conséquence, la Cour conclut que la frontière dans la
Thomson-Marchand. Dans ce secteur, la tâche de la Cour est région de Kotcha, visée aux paragraphes 26 et 27 de la
donc de déterminer le tracé de la frontière en se référant aux Déclaration Thomson-Marchand, passe par la ligne de
termes de la Déclaration T homson-Marchand, c’est-à-dire partage des eaux, et cela y co mpris à proximité directe du
essentiellement à la ligne de crête, à la ligne de partage des village de Kotcha, où les terres cultivées se trouvant du côté
eaux et à des villages devant être situés de part et d’autre de
camerounais de la ligne de partage des eaux demeurent en
la frontière. La Cour examine cette question tronçon par territoire camerounais.
tronçon, et conclut que, dans la région allant de Ngosi à
Humsiki, la frontière suit le tracé décrit par les paragraphes La source de la rivière Tsikakiri
20 à 24 de la Déclaration Thomson-Marchand tels que
précisés par la Cour. (par. 125 à 129)
La Cour constate que l’interprétation du paragraphe27

Du mont Kuli à Bourha/Maduguva (la ligne erronée de la Déclaration Thomso n-Marchand soulève des
de partage des eaux de la carte Moisel ) difficultés dans la mesure où la rivière Tsikakiri possède
(par. 115 à 119) plusieurs sources, alors que la Déclaration indique
seulement que la frontière passe par «la source» du
La Cour relève que le texte du paragraphe 25 de la Tsikakiri, sans donner d’indication quant à celle à retenir.
Déclaration Thomson-Marchand, sur l’application duquel
les Parties sont en désaccord, prévoit très expressément que La Cour observe qu’il y a tout lieu de penser que les
rédacteurs de la Déclaration, en se référant à la source du
la frontière doit passer par «la ligne erronée de partage des Tsikakiri, ont entendu retenir un point aisément
eaux indiquée par la carte Moisel ». Un tracé clair ayant été reconnaissable, aussi bien sur une carte que sur le terrain, et
donné à la frontière par les auteurs de la Déclaration, la note que l’une des sources du Tsikakiri se démarque des
Cour ne saurait s’écarter de ce tracé.
autres, à savoir celle qui est la plus élevée. En conséquence,
Après avoir étudié avec soin la carte Moisel, la Cour elle conclut que la frontière dans la région visée au
conclut qu’il convient d’interpré ter le paragraphe 25 de la paragraphe 27 de la Déclaration Thomson-Marchand part du
Déclaration Thomson-Marchand comme faisant passer la point de coordonnées 13 o 17’50" de longitude est et
frontière du mont Kuli au point marquant le début de « ligne 10o 03’32" de latitude nord qui se trouve aux abords de
erronée de partage des eaux», situé par 13 o31’ 47" de
o Dumo. Puis, de ce point, la frontière rejoint par une ligne
longitude est et 10 27’48" de latitude nord, point qu’elle droite le point que la Cour a interprété comme étant la
rejoint en suivant la ligne correcte de partage des eaux. Puis, « source du Tsikakiri » mentionnée par la Déclaration, avant
de suivre le cours de cette rivière.

259De la borne frontière n o6 à Wammi Budungo venant de la chaîne des Balakossa». Elle conclut ensuite

(par. 130 à 134) que les paragraphes 37 et 38 de la Déclaration Thomson-
La Cour constate que l’interprétation des paragraphes 33 Marchand doivent être interprétés comme faisant passer la
frontière par le tracé décrit au paragraphe 1 du procès-verbal
et 34 de la Déclaration Thomson-Marchand soulève une Logan-Lebrun, tel que représenté par le Nigéria sur les
difficulté dès lors que ces dispositions font passer la figures7.15 et 7.16 en regard des pages 346 et 350 de sa
frontière par trois bornes dont à tout le moins deux ont
aujourd’hui disparu. duplique.

Après avoir analysé avec soin le texte de l’Accord Nomberou (Namberou)-Banglang
anglo-allemand de 1906, ainsi que le matériau (par. 147 à 152)
cartographique que lui ont four ni les Parties, afin de
retrouver la position de ces trois bornes, la Cour conclut que La Cour constate que la fin du paragraphe 38 de la
les paragraphes 33 et 34 de la Déclaration Thomson- Déclaration Thomson-Marchand soulève des difficultés
Marchand doivent être interprétés comme faisant passer la d’interprétation en ce qu’elle contient des erreurs matérielles
o
frontière par les poinos de coordonnées ci-après : 12 o53’ 15" fondamentales; elle relève en outre que, cependant, seule la
de longitude est et 9o 04’19" de latitude nord, 12 o51’ 55" partie de la frontière située au sud de la source du
de longitude est et 9 01’ 03" de latitude nord, et 12 49’ 22" Nomberou pose problème. Au nord de ce point, le
de longitude est et 8o58’ 18" de latitude nord. Cameroun et le Nigéria sont en effet d’accord pour faire
passer la frontière par le cours du Nomberou, tel que cela est
confirmé par le tracé de la frontière sur les cartes
Le Maio Senche
(par. 135 à 139) camerounaises et nigérianes.
La Cour estime que, au sud de la source, c’est la ligne
La Cour constate que la difficulté, dans la région du frontière proposée par le Nigéria qui doit être préférée. Cette
Maio Senche à laquelle le paragraphe 35 de la Déclaration ligne est par ailleurs plus favorable au Cameroun que celle
Thomson-Marchand s’applique, consiste à identifier la ligne
de partage des eaux, dont les deux Parties ont proposé des qui figure sur ses propres cartes, et ce dernier ne s’y est pas
représentations cartographiques différentes. opposé. La Cour en conclut que le paragraphe 38 in fine de
la Déclaration Thomson-Marchand doit être interprété
La Cour, après étude du matériau cartographique que lui comme faisant passer la frontière par le cours de la rivière
ont fourni les Parties, observe que la ligne de partage des Namberou jusqu’à sa source, puis de ce point, par une ligne
eaux, comme le soutient le Nigéria, passe entre le bassin du droite, jusqu’au Hosere Tapere tel que localisé par la Cour.
Maio Senche et celui de deux rivières qui se trouvent plus
au sud.
Tipsan
(par. 153 à 155)
Jimbare et Sapeo
(par. 140 à 146) La Cour observe que, à l’audience, les Parties se sont
accordées pour reconna ître que la frontière doit passer par
La Cour constate que l’interprétation des paragraphes 35 une ligne parallèle à la route Fo rt-Lamy-Baré et distante de
à 38 de la Déclaration Thomson-Marchand soulève des
difficultés, en ce que la description de la frontière qu’ils celle-ci de 2 kilomètres à l’ ouest, comme le prévoit le
paragraphe 41 de la Déclaration Thomson-Marchand. La
contiennent semble d’une part comporter une série d’erreurs Cour prend acte de cet accord. Elle précise toutefois, pour
matérielles et, d’autre part, dans certains passages, être en lever toute ambiguïté, qu’il convient d’identifier le point
contradiction avec la représentation faite de cette frontière d’aboutissement de ce segment de la frontière, à savoir le
sur la carte de 1931 annexée à la Déclaration. La Cour point situé sur le Mayo Tipsal «à environ 2 kilomètres au
relève toutefois qu’en ce qui concerne la région au nord de
Nananoua visée au paragraphe 36 de la Déclaration sud-ouest du point où le Mayo Tipsal est traversé par oa
piste», comme correspondant aux coordonnées 12 12’ 45"
Thomson-Marchand, les Parties sont d’accord pour de longitude est et 7o58’ 49" de latitude nord.
considérer que les rivières dont la frontière suit le cours sont
le Leinde et le Sassiri. De même, les représentations
cartographiques de ce segment de la frontière proposées par Le franchissement du Mayo Yim
les Parties correspondent en tout point. Au sud de (par. 156 à 160)

Nananoua, il n’existe par contre pas d’accord entre le La Cour confirme que la frontière, dans la région du
Cameroun et le Nigéria. franchissement du Mayo Yim, suit le tracé visé aux
La Cour conclut tout d’abord que les paragraphes 35 et paragraphes 48 et 49 de la Déclaration Thomson-Marchand.
36 de la Déclaration Thomson-Marchand doivent être
interprétés comme faisant passer la frontière par le Hosere
La région des monts Hambere
Bila, qu’elle a identifié comme étant le «pic du sud des (par. 161 à 168)
monts [Alantikas]» visé au paragraphe35, puis de ce point La Cour constate que les paragraphes 60 et 61 de la
par le cours de la rivière Leinde et par le cours de la rivière
Sassiri «jusqu’à son confluen t avec le premier ruisseau Déclaration Thomson-Marchand soulèvent des problèmes
260d’interprétation dans la mesure où ils font passer la frontière frontière à partir de cette ligne de crête. Elle relève que

par «un pic assez proéminent», sans plus de précision, et l’Ordre en conseil de 1946 contient un grand nombre
que l’emplacement de ce pic fait l’objet d’une divergence de d’informations sur le tracé de la frontière dans cette région.
vues entre les Parties. Après avoir attentivement étudié les cartes qui lui ont été
La Cour observe que les paragraphes 60 et 61 fournies par les Parties, la Cour conclut que, d’est en ouest,
contiennent un certain nombre d’indications utiles pour la frontière suit en premier lieu la ligne de partage des eaux
aux travers des monts Hambere, depuis le mont Tamnyar
retrouver le «pic assez proéminent» qui y est visé. Après
avoir étudié avec le plus grand soin les cartes fournies par jusqu’à ce que cette ligne atteigne la ligne de crête marquant
les Parties, la Cour conclut que le paragraphe 60 de la l’ancienne frontière franco-britannique. Conformément à
Déclaration Thomson-Marchand doit être interprété comme l’Ordre en conseil de 1946, la frontière suit ensuite cette
faisant passer la frontière par la ligne de partage des eaux ligne de crête vers le sud, puis vers l’ouest-sud-ouest
aux travers des monts Gesumi ou Hambere, telle jusqu’à la source de la rivière Namkwer. La frontière
emprunte alors le cours de la rivière Namkwer jusqu’à son
qu’indiquee sur la feuille NB-32-XVIII-3a-3b de la carte au confluent avec la rivière Mburi, à 1mille au nord de Nyan.
1/50 000 du Cameroun établie en 1955 par l’IGN et
produite en l’instance par le Nigéria, jusqu’au pied du mont De ce point, la frontière suit le cours de la rivière Mburi.
Tamnyar, mont que la Cour a identifié comme constituant le Elle se dirige d’abord vers le nord sur une distance
« pic assez proéminent » visé par la Déclaration. approximative de 2 kilomètres, puis emprunte un cours sud-
ouest sur environ 3kilomètres et ensuite ouest-nord-ouest
dans un secteur où la rivièr e porte également le nom de
Des monts Hambere à la rivière Mburi (Lip et Yang) Maven ou Ntum. Elle s’infléchit alors, quelque 2 kilomètres
(par. 169 à 179)
plus loin, pour suivre une direction plein nord, là où la
La Cour constate que l’interprétation de l’Ordre en rivière Mburi est aussi appelée Manton ou Ntum.
conseil de 1946 soulève deux difficultés essentielles dans la
région allant du «pic assez proéminent» visé par la Bissaula-Tosso
Déclaration Thomson-Marchand à la rivière Mburi. La
première difficulté consiste à opérer la jonction entre les (par. 180 à 184)
lignes fixées par chacun des deux textes et, en particulier, à La Cour constate que la difficulté dans la région de
Bissaula-Tosso est de déterminer quel est l’affluent de la
identifier le pic qualifié par l’Ordre en conseil de
«proéminent», sans plus de précision. La seconde consiste rivière Akbang qui coupe la route Kentu-Bamenda, et est
à déterminer le tracé de la frontière au-delà de ce point. par conséquent l’affluent par lequel l’Ordre en conseil fait
La Cour observe qu’à défaut de pouvoir désigner un passer la frontière.
mont en particulier, elle a toutefois été en mesure La Cour conclut qu’il convie nt d’interpréter l’Ordre en
conseil de1946 comme faisant passer la frontière par le
d’identifier la ligne de crête à laquelle ce mont doit
appartenir. Cette crête commence à l’endroit où la ligne de point où l’affluent sud de la rivière Akbang, tel qu’identifié
partage des eaux qui passe aux travers des monts Hambere par la Cour, coupe la route Kentu-Bamenda, puis de ce point
oblique brutalement vers le sud au lieu dénommé Galadima par l’affluent sud jusqu’à son confluent avec la rivière
Wanderi sur la figure 7.37 de la duplique du Nigéria, pour Akbang.
se diriger plein sud jusqu’aux environs du point indiqué

comme étant Tonn Hill sur la même figure. L’intention des La rivière Sama
rédacteurs de l’Ordre en conseil était de faire passer la (par. 185 à 189)
frontière par cette ligne de crête. En conséquence, la Cour
estime qu’il lui échet d’opérer la jonction entre le mont visé La Cour constate que, dans la région de Sama,
au paragraphe 60 de la Déclaration Thomson-Marchand, à l’interprétation de l’Ordre en conseil soulève des difficultés
savoir le mont Tamnyar, et cette ligne de crête. La Cour dès lors qu’il existe deux affluents de la rivière Sama et que
celle-ci «se divise en deux», en deux endroits, sans qu’il
souligne que la ligne de partage des eaux aux travers des soit précisé quel est l’endroit à retenir pour la fixation de la
monts Hambere, sur laquelle se trouve le mont Tamnyar, se frontière.
prolonge naturellement jusqu’à la ligne de crête qui marque
l’ancienne frontière franco-britannique et à partir de laquelle La Cour estime que la lecture du texte de l’Ordre en
commence la partie de la frontière délimitée par l’Ordre en conseil britannique de1946 lui permet de conclure que
conseil de 1946. La jonction entre les secteurs de la frontière celui-ci doit être interprété comme faisant passer la frontière
par la rivière Sama jusqu’au point où aboutit son premier
délimités par chacun des deux textes peut dès lors être affluent, point de coordonnées 10 o10' 23" de longitude est
opérée en suivant, depuis le mont Tamnyar, cette ligne de o
partage des eaux telle qu’indiquée sur la feuille NB-32- et 6 56' 29" de latitude nord, que la Cour a identifié comme
XVIII-3a-3b de la carte au 1/50000 e du Cameroun établie étant celui, visé par l’Ordre en conseil, où la rivière Sama
en 1955 par l’IGN et produite en l’instance par le Nigéria. « se divise en deux », puis, de ce point, par une ligne droite
jusqu’au point le plus élevé du mont Tosso.
La Cour examine ensuite la question du tracé de la

261Question de la frontière à Bakassi Vieux-Calabar. Le Traité conclu avec ces derniers ne
et de la souveraineté sur la presqu’île précisait pas sur quel territoire la couronne britannique

(par. 193 à 225) entendait étendre «ses bonnes grâces et sa bienveillante
Après avoir rappelé les conclusions finales de chacune protection », ni sur quel territoire chacun des rois et chefs du
des Parties, la Cour relève que selon le Cameroun l’Accord Vieux-Calabar, signataires du Traité, exerçait son pouvoir.
Selon la Cour, la Grande-Bretagne se faisait toutefois une
anglo-allemand du 11mars1913 fixait le tracé de la idée assez exacte des territoires sur lesquels les rois et chefs
frontière entre les Parties dans la région de la presqu’île de du Vieux-Calabar ont, à diff érentes époques, exercé leur
Bakassi, plaçant cette dernière du côté allemand de la autorité, comme de leur rang.
frontière. Le Cameroun se fonde à cet effet sur les
articlesXVIII à XXI dudit Acco rd, et ajoute que lors de Le Nigéria a soutenu que le titre même du Traité de
l’accession à l’indépendance du Cameroun et du Nigéria, 1884 et la mention faite, à son articleI, de l’exercice d’une
«protection» montrent que la Grande-Bretagne n’était pas
cette frontière serait devenue la frontière entre les habilitée à faire davantage que protéger et, en particulier,
deuxÉtats, qui succédaient aux puissances coloniales et se n’était pas habilitée à céder le territoire concerné à des États
trouvaient liés par le principe de l’ uti possidetis. La Cour
note également que le Nigéria, pour sa part, ne conteste pas tiers : « nemo dat quod non habetI ». À ce propos, la Cour
que le sens de ces dispositions était bien d’attribuer la tient à faire observer que le statut juridique international
presqu’île de Bakassi à l’Allemagne. Il soutient toutefois d’un «traité de protection» c onclu sous l’empire du droit
que lesdites dispositions n’ont jamais été mises en pratique, alors en vigueur ne saurait être déduit de son seul titre.
Certains traités furent ainsi conclus avec des entités qui
et se trouvaient même dépourvues de validité pour divers conservèrent, dans le cadre de ces traités, la souveraineté qui
motifs, même si les autres articles de l’Accord du était antérieurement la leur au regard du droit international,
11mars1913 sont demeurés valides. Le Nigéria fait valoir
que le titre de souveraineté sur Bakassi dont il se réclame que ces territoires aient ensuite été appelés «protectorats»
appartenait initialement aux rois et chefs du Vieux-Calabar. ou «États protégés». En Afrique subsaharienne, des
Selon lui, le Traité de protectorat conclu le «traités de protection» furent conclus non pas avec des
10septembre1884 entre la Gr ande-Bretagne et les rois et États, mais avec d’importants chefs indigènes exerçant un
pouvoir local sur des parties identifiables de territoire.
chefs du Vieux-Calabar ne co nférait à la Grande-Bretagne Considérant un traité de ce type dans une autre région du
que certains pouvoirs limités; il ne transférait en aucune monde, MaxHuber, siégeant comme arbitre unique en
manière à celle-ci la souveraineté sur les territoires des rois
et chefs du Vieux-Calabar. Le Nigéria soutient que la l’affaire de l’Île de Palmas, devait dire :
Grande-Bretagne, ne possédant pas la souveraineté sur ces «il n’y a pas là d’accord entre égaux; c’est plutôt une
territoires en1913, ne pouvait les céder à un tiers. La Cour forme d’organisation intérieure d’un territoire colonial,
relève à ce propos que, selon le Cameroun, le Traité conclu sur la base de l’autonomie des indigènes… Et c’est
[ainsi] la suzeraineté exercée sur l’État indigène qui
le 10 septembre 1884 entre la Grande-Bretagne et les rois et
chefs du Vieux-Calabar ét ablissait un protectorat devient la base de la souveraineté territoriale à l’égard
colonial » et, « dans la pratique de l’époque, il n’y avait que des autres membres de la communauté des nations.»
peu de différences de fond, au plan international, en termes (Revue générale de droit international public , t.XLII,
d’acquisition territoriale, entre les colonies et les 1935, p. 187.)
protectorats coloniaux». C’était plus au regard du droit La Cour fait observer que ces concepts ont également
interne des puissances coloniales que du droit international
trouvé leur expression dans son avis consultatif concernant
qu’il aurait existé, selon le Cameroun, des différences de le Sahara occidental. La Cour déclara à cette occasion que,
fond entre le statut de col onie et celui de protectorat à l’égard de territoires qui n’étaient pas terrae nullius, mais
colonial. étaient habités par des tribus ou des peuples dotés d’une
Le Cameroun ajoute que l’élément clef du protectorat organisation sociale et politique, «on voyait dans [l]es
colonial était le «postulat de souveraineté extérieure de accords avec les chefs locaux …un mode d’acquisition
dérivé » (Sahara occidental, avis consultatif,
l’État protecteur», qui se manifestait «de différentes
manières, mais principalement par l’acquisition et l’exercice C.I.J. Recueil 1975, p.39, par.80). La Cour souligne que,
de la capacité et de la compétence de céder une partie des même si ce mode d’acquisition ne correspond pas au droit
territoires couverts par les protectorats par des traités international actuel, le principe du droit intertemporel
internationaux, sans aucune intervention de la population ou impose de donner effet aujourd’hui, dans la présente
de l’entité en question ». instance, aux conséquences juridiques des traités alors
intervenus dans le delta du Niger.
La Cour observe tout d’abord que, à l’époque de la
Conférence de Berlin, les Puissances européennes signèrent De l’avis de la Cour, de nombreux éléments amènent à
de nombreux traités avec des chefs locaux, et que la Grande- considérer que le Traité de1884 conclu avec les rois et
Bretagne en conclut quelque trois cent cinquante avec les chefs du Vieux-Calabar n’était pas un traité de protectorat
chefs locaux du delta du Nige r. Parmi ces traités figuraient international. Le Nigéria a lui-même été dans l’incapacité de
ceux conclus en juillet1884 avec les rois et chefs d’Opobo faire état d’un rôle quelconque joué, après la conclusion du
Traité de1884, par les rois et chefs du Vieux-Calabar dans
et, en septembre de la même année, avec les rois et chefs du

262des domaines pertinents aux fins de la présente instance. La 11 mars 1913, la presqu’île de Bakassi serait demeurée sous
Cour relève en outre que l’une des caractéristiques d’un la souveraineté des rois et ch efs du Vieux-Calabar. Ni la

protectorat international réside dans des rencontres et Société des Nations, ni les NationsUnies ne considérèrent
discussions régulières entre la puissance protectrice et les que telle était la situation. De même, la Cour fait observer
dirigeants locaux du protectorat . En la présente espèce, il a qu’elle n’a connaissance d’au cun élément qui tendrait à
été indiqué à la Cour que le Nigéria «ne peut pas dire que prouver que le Nigéria pensait, au moment de
de telles rencontres n’ont jamais eu lieu, ni le contraire [, et l’indépendance, avoir acquis Bakassi des rois et chefs du
que] les documents qui permettraient de répondre à la Vieux-Calabar. Le Nigéria, au moment de son accession à
question n’existent probablement plus…». La Cour note l’indépendance, ne souleva d’ailleurs lui-même aucune

également qu’il n’est fait mention du Vieux-Calabar dans question concernant l’étendue de son territoire dans cette
aucun des divers Ordres en conseil qui énumèrent les région. La Cour relève en particulier que rien n’aurait pu
protectorats et États protégés, et ce, quelle qu’en soit la date. permettre au Nigéria de croire que le plébiscite ayant eu lieu
En outre, aucun élément n’a été présenté à la Cour qui au Cameroun méridional en 1961, sous la surveillance des
donnerait à penser qu’en1913 les rois et chefs du Vieux- Nations Unies, ne concernait pas Bakassi. La Cour relève en
Calabar auraient émis quelque protestation que ce fût, ni outre que cette ligne frontière fut à son tour reconnue par le

qu’en 1960 ils auraient pris des mesures en vue de transférer Nigéria, lorsque celui-ci vota en faveur de la résolution de
un territoire au Nigéria lors de l’accession de ce dernier à l’Assemblée générale 1608 (XV), qui à la fois mettait un
l’indépendance. La Cour conclut par conséquent que, au terme au régime de tutelle et entérinait le résultat du
regard du droit qui prévalait à l’époque, la Grande-Bretagne, plébiscite. Peu de temps après, dans sa note verbale n o570
en1913, pouvait déterminer sa frontière au Nigéria avec en date du 27mars1962 adressée au Cameroun, le Nigéria
l’Allemagne, y compris pour ce qui est de sa partie aborda la question d’un certain nombre de concessions
méridionale. pétrolières. Il ressort du croquis annexé à cette note que le

La Cour examine ensuite le traitement réservé, bloc «» auquel celle-ci fait référence est situé
entre1913 et1960, au segmen t méridional de la frontière directement au sud de la presqu’île de Bakassi. Ce bloc est
définie par l’Accord anglo-allemand du 11 mars 1913. décrit comme se trouvant au large du Cameroun. Cette
Le Cameroun soutient que la période du mandat et de la communauté de vues quant à l’appartenance du titre sur
Bakassi perdura jusqu’à la fin des années 70, lorsque les
tutelle, ainsi que le processus d’accession à l’indépendance Parties engagèrent des discussions concernant leur frontière
qui a suivi, montrent que la communauté internationale avait maritime. La Cour estime qu’il ressort clairement de chacun
reconnu l’appartenance de la presqu’île de Bakassi au
Cameroun. Le Nigéria fait valoir pour sa part que, pendant de ces documents que les Parties tenaient pour établi que
toute la période où le Traité de 1884 est demeuré en Bakassi appartenait au Camero un. Le Nigéria, s’appuyant
vigueur, la Grande-Bretagne n’a jamais eu le pouvoir de sur les vues de ses experts et de ses plus hautes
céder Bakassi. De ce fait, il pr étend que, pour nombreuses personnalités politiques, considérait Bakassi comme
relevant de la souveraineté du Cameroun. La Cour conclut
qu’aient pu être les activités britanniques relatives à Bakassi en conséquence qu’à cette époque le Nigéria avait admis
sous le régime de mandat ou de tutelle, elles n’auraient pu qu’il était lié par les articlesXVIII àXXII de l’Accord
détacher Bakassi du protectorat du Nigéria.
La Cour note que, à l’issue de la Première Guerre anglo-allemand du 11mars19 13, et avait r econnu que la
mondiale, l’Allemagne renonça à ses possessions coloniales. souveraineté sur la presqu’île de Bakassi était camerounaise.
En vertu du Traité de Versailles, les possessions allemandes La Cour estime que cette comm unauté de vues entre les
Parties se trouve également reflétée par la répartition
du Cameroun furent partagées entre la Grande-Bretagne et géographique des concession s pétrolières accordées par
la France. En1922, la Grande -Bretagne accepta le mandat l’une et l’autre jusqu’en199 1. La Cour tient également
de la Société des Nations pour «la partie du Cameroun compte d’un certain nombre de demandes officielles
[l’ancienne colonie allemande] qui est située à l’ouest de la
ligne fixée dans la déclaration [Milner-Simon] signée le formulées jusque dans les années quatre-vingts par
10 juillet 1919 ». Bakassi se trouvait nécessairement l’ambassade du Nigéria à Yaoundé ou par les autorités
consulaires nigérianes en vu e d’effectuer des tournées
couverte par les termes de ce mandat. Lorsque, à l’issue de auprès de leurs ressortissants résidant à Bakassi.
la Seconde Guerre mondiale et après la création de Pour toutes ces raisons, la Cour juge que l’Accord
l’Organisation des NationsUnies, le régime des mandats
céda la place au régime de tutelle, la situation territoriale anglo-allemand du 11mars1913 était valide et applicable
demeura exactement la même. C’est ainsi que, pour toute la dans son intégralité.
période comprise entre1922 et1961 (année où prit fin le La Cour aborde ensuite les autres bases sur lesquelles le
régime de tutelle), Bakassi fit partie du Cameroun Nigéria fonde sa revendication sur Bakassi. Le Nigéria fait à
cet égard valoir «trois fondements [de son] titre sur la
britannique. La frontière entre Bakassi et le Nigéria,
indépendamment des arrangements d’ordre administratif, presqu’île de Bakassi, distincts mais intimement liés», à
demeura une frontière internationale. savoir :
La Cour n’est pas en mesu re d’accepter l’affirmation du « i) l’occupation de longue date de ce territoire par le
Nigéria selon laquelle, jusqu’à l’indépendance de celui-ci Nigéria et des ressortissants nigérians[, qui] constitue
e1n961, et malgré l’A ccord anglo-allemand du une consolidation historique du titre et confirme le

263 titre originel des rois et chefs du Vieux-Calabar l’existence d’un titre nigérian, ce qui peut en partie
dévolu au Nigéria au moment de l’indépendance; expliquer l’absence de protestations du Cameroun à l’égard

ii) la possession paisible par le Nigéria en qualité de des activités du Nigéria dans les domaines de la santé, de
souverain, possession qu i n’a suscité aucune l’éducation et de la fiscalité. La Cour note également que
protestation de la part du Cameroun; et dès son indépendance le Cameroun déploya des activités qui
iii) les manifestations de souveraineté du Nigéria, en démontraient qu’il n’entendait nullement abandonner son
titre sur Bakassi. Au vu de ce qui précède, la Cour estime
même temps que l’acquiescement du Cameroun à la que le Nigéria n’aurait pu agir à titre de souverain avant la
souveraineté nigériane sur la presqu’île de Bakassi ». fin des années 70, dans la mesure où il ne se considérait pas
Le Nigéria souligne en particulier que le titre fondé sur
la consolidation historique ainsi que sur l’acquiescement lui-même comme détenteur d’un titre sur Bakassi, et que,
pendant la période écoulée depuis l’accession à pour la période postérieure à cette date, les éléments de
preuve ne permettent pas de conclure à un acquiescement du
l’indépendance du Nigéria «constitue un titre indépendant Cameroun à l’abandon de son titre en faveur du Nigéria.
sur Bakassi qui se suffit à lui-même ». Le Cameroun affirme Pour toutes ces raisons, la Cour ne saurait davantage faire
pour sa part qu’un titre conventionnel licite ne saurait être droit aux deuxième et troisième fondements invoqués par le
supplanté par ce qui, à ses yeux, ne constitue rien de plus
qu’un certain nombre de prétendues effectivités. Nigéria à l’appui de sa revendication d’un titre sur Bakassi.
La Cour rappelle tout d’abord la conclusion à laquelle La Cour conclut en conséquence que la frontière entre le
Cameroun et le Nigéria à Bakassi est délimitée par les
elle est parvenue auparavant concernant un titre ancien sur articles VIII XX de l’Accord anglo-allemand du
Bakassi remontant aux rois et chefs du Vieux-Calabar. 11mars1913 et que la souveraineté sur la presqu’île est
Selon elle, il s’ensuit que, au moment de l’indépendance du camerounaise.
Nigéria, il n’existait aucun titre nigérian susceptible d’être
ensuite confirmé par une «longue occupation». Au
contraire, au moment de son indépendance, le Cameroun a La frontière maritime entre le Cameroun et le Nigéria
succédé au titre sur Bakassi tel qu’établi par l’Accord anglo- (par. 226 à 307)

allemand du 11 mars 1913. La Cour considère également La Cour passe ensuite à la frontière maritime entre le
que l’invocation de la consolidation historique ne saurait en Cameroun et le Nigéria.
tout état de cause conférer au Nigéria un titre sur Bakassi, Dans les conclusions finales qu’il a présentées le
dès lors que l’«occupation» de la presqu’île était contraire
à un titre conventionnel préexistant détenu par le Cameroun 21mars2002, au terme de la procédure orale, le Cameroun
et qu’au surplus cette possession ne s’inscrivait que dans prie la Cour de confirmer que «la limite des zones
maritimes relevant respectivement de la République du
une période limitée. Cameroun et de la République fédérale du Nigéria suit le
Ensuite, la Cour traite conjointement d’autres aspects du tracé suivant», tracé qu’il décr it en détail dans les deux
deuxième et du troisième fondements du titre invoqués par sous-paragraphes du point c de ses conclusions. Le Nigéria
le Nigéria. soutient que la Cour devrait s’abstenir de procéder, même

La Cour indique que la question d’ordre juridique partiellement, à la délimitation demandée par le Cameroun,
consistant à déterminer dans quelle mesure des effectivités premièrement parce que celle-ci toucherait à des zones
peuvent amener à considérer qu’un titre appartient à un État revendiquées par des États tiers (huitième exception
plutôt qu’à un autre n’est pas la même que celle consistant à préliminaire) et, deuxièmement, parce que la condition
déterminer si de telles effectivités peuvent permettre de relative à des négociations préalables n’a pas été remplie.
supplanter un titre conventionnel établi. Ainsi que la La Cour examine tout d’abord cette argumentation du
Chambre de la Cour constituée en l’affaire du Différend
Nigéria.
frontalier (Burkina Faso/République du Mali) l’a clairement
indiqué, dans l’éventualité où il existe un conflit entre Huitième exception préliminaire du Nigéria
effectivités et titre juridique, il y a lieu de préférer le titre (par. 237 et 238)
(arrêt, C.I.J.Recueil1986 , p.586 et 587, par.63). La Cour
estime que la question d’ordre juridique qui se pose Après avoir résumé les thèses et arguments de chacune
véritablement en l’espèce est de savoir si la conduite du des Parties, la Cour fait d’abor d observer que la conclusion
Cameroun en tant que détenteur du titre peut être considérée qu’elle a formulée dans son arrêt du11juin1998 sur la

comme une forme d’acquiescement à la perte du titre huitième exception préliminaire du Nigéria, selon laquelle
conventionnel dont celui-ci avait hérité lors de son celle-ci «n’a[vait] pas, dans les circonstances de l’espèce,
accession à l’indépendance. La Cour rappelle que, en1961- un caractère exclusivement pr éliminaire», l’oblige à
1962, le Nigéria reconnaissait clairement et publiquement le considérer cette exception prélim inaire avant de poursuivre
titre du Cameroun sur Bakassi. Cette position perdura au l’examen au fond. Puisque le Nigéria maintient son
moins jusqu’en 1975, année de la signature par le Nigéria de exception, la Cour doit statuer sur celle-ci.
la Déclaration de Maroua. Aucune effectivité nigériane à
La Cour observe, pour commencer, que sa compétence
Bakassi antérieure à cette date ne saurait revêtir une repose sur le consentement de s parties. Aussi la Cour ne
quelconque portée juridique aux fins de démontrer peut-elle se prononcer sur les droits d’États tiers qui ne sont

264pas parties à l’instance. Dans la présente affaire, il existe des sur ceux où il y a chevauchem ent de concessions, cette

États non parties à l’instance dont les droits pourraient être condition a été remplie. Ilesoutient en revanche que les eaux
affectés, à savoir la Guinée équatoriale et SaoTomé-et- situées au sud des 4 et 3 parallèles de latitude nord, voire
Principe. Ces droits ne pourraient être déterminés par une du 2 parallèle, n’ont jamais fait l’objet d’une quelconque
décision de la Cour que si la Guinée équatoriale et tentative de négociation avec le Nigéria ou, pour autant que
SaoTomé-et-Principe devenaient parties à l’instance. Or, si le sache ce dernier, avec n’importe quel autre État affecté.
la Guinée équatoriale a effectivement demandé –et a été
La Cour souligne que, dans son arrêt du 11juin1998,
autorisée– à intervenir, c’est seulement en tant que non- elle avait relevé que des négociations entre les
partie à l’instance. SaoTomé-et-Principe a choisi de Gouvernements du Cameroun et du Nigéria concernant la
n’intervenir à aucun titre. délimitation maritime dans son ensemble – jusqu’au point G
La Cour estime que, en particulier dans le cas de et au-delà– s’étaient déroul ées dès les années 70, sans
délimitations maritimes intéressant plusieurs États, la toutefois déboucher sur un accord. Cela étant, les articles 74

protection offerte par l’article 59 du Statut peut ne pas être et 83 de la Convention des NationsUnies sur le droit de la
toujours suffisante. En l’espèce, il est possible que l’article mer n’exigent pas, de l’avis de la Cour, que les négociations
59 ne protège pas suffisamment la Guinéeéquatoriale ou en matière de délimitation aboutissent; comme à chaque fois
SaoTomé-et-Principe contre les effets –même indirects que le droit international impose de telles négociations,
– d’un arrêt affectant leurs droits. Il s’ensuit que, pour celles-ci doivent être menées de bonne foi. La Cour
déterminer la frontière maritime entre le Cameroun et le réaffirme la conclusion à laquelle elle était parvenue
Nigéria, la Cour doit veiller à ne pas adopter une position concernant les exceptions prél iminaires, à savoir que des

susceptible d’affecter les droits de la Guinée équatoriale et négociations ont effectivement eu lieu. En outre, si, à la
de SaoTomé-et-Principe. Par ailleurs, s’agissant de la suite de l’échec de telles négociations, une procédure
question spécifique du tripoint, la Cour constate que les judiciaire est engagée, les articles 74 et 83 de la Convention
deux Parties s’accordent à consid érer qu’elle ne devrait pas sur le droit de la mer n’imposent pas de suspendre l’instance
fixer un tel point. Elle n’a, en effet, pas le pouvoir de le pour engager de nouvelles négociations si, au cours de
faire. En déterminant quelque ligne que ce soit, la Cour doit l’instance, l’une des parties modi fie sa demande. Il est bien

en tenir compte. entendu exact que la Cour n’est pas une enceinte de
La Cour conclut qu’elle ne saurait statuer sur les négociations. En pareil cas, cependant, la nouvelle demande
demandes du Cameroun dans la mesure où celles-ci ne pourrait être considérée que sous un angle purement
pourraient affecter les droits de la Guinée équatoriale et de judiciaire. Toute autre solution ne ferait que retarder et
SaoTomé-et-Principe. Néanmoins, la simple présence de compliquer le processus de délimitation des plateaux
continentaux et des zones économiques exclusives. La
ces deux États, dont les droits pourraient être affectés par la
décision de la Cour, n’empêche pas en soi celle-ci d’avoir Convention sur le droit de la mer ne prescrit pas une telle
compétence pour procéder à une délimitation maritime entre suspension de la procédure engagée.
les Parties à l’instance portée devant elle, c’est-à-dire le Quant aux négociations avec la Guinéeéquatoriale et
Cameroun et le Nigéria; mais la Cour devra rester SaoTomé-et-Principe, la Cour conclut que les articles74
pleinement consciente, comme toujours dans des situations et 83 de la Convention sur le droit de la mer ne l’empêchent

de ce type, des limites qu’une telle présence impose à sa pas de tracer la frontière maritime entre le Cameroun et le
compétence. Nigéria en l’absence de négoci ations préalables intervenues
simultanément entre les quatre États concernés.
Argumentation du Nigéria selon laquelle la condition La Cour conclut donc qu’elle est à même de procéder à
relative à des négociations préalables la délimitation de la frontière maritime entre le Cameroun et

n’a pas été remplie le Nigéria dans la mesure où les droits de la
(par. 239 à 245) Guinéeéquatoriale et de SaoTomé-et-Principe n’en sont
pas affectés.
Le Nigéria affirme en outre que, aux termes du
paragraphe 1 de l’article74 et du paragraphe 1 de
l’article83 de la Convention des Nations Unies sur le droit La frontière maritime jusqu’au point G
de la mer, les parties à un différend relatif à une délimitation (par. 247 à 268)
maritime doivent tout d’abord s’efforcer de régler par voie La Cour aborde ensuite la demande du Cameroun
de négociation le litige qui les oppose. Pour le Nigéria, ces
tendant au tracé d’une ligne précise de délimitation
dispositions posent une règle de fond, non une condition maritime. Elle examine tout d’abord le secteur de la
préalable d’ordre procédural. La négociation serait prescrite frontière maritime allant jusqu’au point G.
comme la méthode appropriée – celle à laquelle il La Cour note que, selon le Cameroun, la frontière
conviendrait de recourir avant toute autre– pour parvenir à maritime camerouno-nigériane est divisée en deux secteurs.
une délimitation maritime équitable, et la Cour ne
constituerait pas une enceinte de négociations. Le Nigéria Le premier, qui va de l’embouchure de la rivière Akwayafé
jueru’au pointG fixé par la Déclaration de Maroua du
reconnaît que, dans la mesure où le différend frontalier 1 jun975, aurait été délimité par des accords
maritime porte sur des secteurs aux alentours du pointG et internationaux valides conclus entre les Parties. Concernant

265ce secteur, le Cameroun demande simplement à la Cour de déclaration, puisque la ligne qui y est décrite est confirmée
confirmer cette délimitation, que le Nigéria chercherait à par les dispositions de la Déclaration de Maroua, qui évoque

présent à remettre en question. Le secteur au-delà du dans son troisième paragraphe le «point12… situé à la
point G reste à délimiter et le Cameroun demande à la Cour limite de la frontière maritime adoptée par les deux chefs
d’y fixer les limites des zones respectives des Parties, de d’État le 4 avril 1971 ».
façon à mettre fin, complètement et définitivement, au La Cour estime que la Déclaration de Maroua constitue
différend qui les oppose. La délimitation du premier secteur, un accord international conclu par écrit entre États et traçant
de l’embouchure de la rivière Akwayafé jusqu’au pointG,
repose principalement, selon le Cameroun, sur trois une frontière; elle est donc régie par le droit international et
constitue un traité au sens de la Convention de Vienne sur le
instruments juridiques internationaux: l’Accord anglo- droit des traités (voir art. 2, par. 1), à laquelle le Nigéria est
allemand du 11 mars 1913, l’Accord entre le Cameroun et le partie depuis1969 et le Cameroun depuis1991, et qui en
Nigéria du 4avril1971, constitué de la Déclaration de tout état de cause reflète le droit international coutumier à
YaoundéII et de la carte n°3433 y annexée, et la cet égard. La Cour indique qu’elle ne saurait souscrire à la
Déclaration de Maroua du 1 erjuin 1975. La Cour relève thèse selon laquelle la Déclaration de Maroua ne serait pas
ensuite que le Nigéria n’opère, quant à lui, aucune
valide au regard du droit international du fait qu’elle a été
distinction entre la zone située en deçà et celle située au- signée par le chef d’État du Ni géria alors en fonction, mais
delà du pointG. Il nie l’existence d’une délimitation qu’elle n’a jamais été ratifiée. Elle observe en effet que
maritime jusqu’à ce dernier, et soutient que l’ensemble de la même si, dans la pratique internationale, les modalités
délimitation reste à établir de novo . Le Nigéria invoque d’entrée en vigueur d’un traité prévoient souvent une
toutefois des arguments spécifiques en ce qui concerne la procédure en deux étapes consistant à signer puis à ratifier
zone située en deçà du pointG, qu’il y a lieu d’examiner, l’instrument, il est également des cas dans lesquels un traité
selon la Cour, dans cette partie de l’arrêt. Se fondant sur sa
entre en vigueur dès sa signature. De l’avis de la Cour, la
revendication de souveraineté sur la presqu’île de Bakassi, Déclaration de Maroua est entrée en vigueur immédiatement
le Nigéria soutient tout d’abord que la frontière maritime le à la date de sa signature.
séparant du Cameroun doit commencer dans le Rio del Rey La Cour examine ensuite l’argumentation du Nigéria
et suivre la ligne d’équidistan ce jusqu’à la pleine mer. La tirée de la méconnaissance des règles constitutionnelles de
Cour ayant déjà conclu que la souveraineté sur la presqu’île
de Bakassi appartient au Cameroun et non au Nigéria, il ce pays relatives à la conclusion des traités. À cet égard elle
n’est pas nécessaire d’examiner davantage cet argument du rappelle que le paragraphe 1 de l’article 46 de la Convention
de Vienne sur le droit des traités dispose que «[l]e fait que
Nigéria. Le Nigéria fait valoir en outre que, même si les le consentement d’un État à être lié par un traité a été
prétentions du Cameroun sur Bakassi étaient légitimes, la exprimé en violation d’une disposition de son droit interne
frontière maritime revendiquée par ce pays aurait dû prendre concernant la compétence pour conclure des traités ne peut
en compte les puits et autres installations situés de part et être invoqué par cet État comme viciant son
d’autre de la ligne résultant de la pratique pétrolière, et
n’entraîner à cet égard aucune modification du statu quo. consentement». Certes, poursuit la Cour, ce paragraphe
Concernant la Déclaration de Yaoundé II, le Nigéria précise ensuite qu’il en est ainsi «à moins que cette
violation n’ait été manifeste et ne concerne une règle de son
soutient qu’il ne s’agissait pas d’un accord ayant force droit interne d’importance fondamentale», le paragraphe
obligatoire. De même, le Nigéria considère la Déclaration suivant disposant quant à lui qu’«[u]ne violation est
de Maroua comme dépourvue de validité juridique. manifeste si elle est objectivement évidente pour tout État se
La Cour souligne tout d’abord qu’elle a déjà conclu que comportant en la matière conformément à la pratique
l’Accord anglo-allemand du 11mars1913 était valide et
habituelle et de bonne foi». Les règles relatives au pouvoir
applicable dans son intégralité, et que par suite le titre de signer des traités au nom d’un État sont des règles
territorial sur la presqu’île de Bakassi appartenait au constitutionnelles d’une importance fondamentale.
Cameroun. Il en découle que la frontière maritime entre le Cependant, si la capacité d’un chef d’État à cet égard est
Cameroun et le Nigéria se trou ve à l’ouest de la presqu’île restreinte, cette restriction n’est manifeste au sens du
de Bakassi, et non à l’est, dans le Riodel Rey. Il en résulte paragraphe 2 de l’article 46 que si, à tout le moins, elle a été
également que l’«ancrage » terrestre de la frontière rendue publique de manière appropriée. Cela est d’autant
maritime entre les Parties se situe à l’intersection de la ligne
plus nécessaire que les chefs d’État font partie des
droite joignant Bakassi Point et King Point avec le milieu du personnes qui, aux termes du paragraphe2 de l’article7,
chenal navigable de la rivière Akwayafé, conformément aux sont considérées comme représentant leur État «[e]n vertu
articles XVIII et XXI de l’Accord anglo-allemand. de leurs fonctions et sans avoir à produire de pleins
La Cour observe qu’ il ressort des documents pouvoirs». À propos de l’argument nigérian que le
communiqués à la Cour par les Parties que, quelle qu’ait pu Cameroun savait ou aurait dû savoir que le chef d’État du

être à l’origine l’intention des signataires, la Déclaration de Nigéria n’avait pas le pouvoir d’engager juridiquement le
Yaoundé II fut remise en question à plusieurs reprises par le Nigéria sans en référer au Go uvernement nigérian, la Cour
Nigéria après sa signature et après la réunion de la relève qu’un État n’est pas juridiquement tenu de s’informer
Commission mixte de délimitation de juin1971. Point n’est des mesures d’ordre législatif ou constitutionnel que
toutefois besoin de décider séparément du statut de cette prennent d’autres États et qui sont, ou peuvent devenir,

266importantes pour les relations internationales de ces économique exclusive et le pl ateau continental auxquels il

derniers. pourrait prétendre seraient quasiment inexistants, en dépit
Dans ces circonstances, la Déclaration de Maroua aussi du fait que sa côte pertinente est plus longue que celle du
bien que la Déclaration de YaoundéII doivent être Nigéria. La Cour observe que, tout en reconnaissant qu’en
considérées comme des inst ruments contraignants qui l’espèce il convient de déterminer une frontière maritime
imposent une obligation juridique au Nigéria. Point n’est unique, le Nigéria rejette la ligne du Cameroun, dont il
estime qu’elle a été construite au mépris des règles et
donc besoin pour la Cour d’examiner l’argument du Nigéria
relatif à la pratique pétrolière dans le secteur situé en deçà concepts fondamentaux du droit international, et qu’il
du pointG. La délimitation maritime entre le Cameroun et qualifie de fantaisiste. Le Nigéria critique à la fois la
le Nigéria doit être ainsi considérée comme ayant été établie construction de cette ligne et son «équité» à la lumière de
sur une base conventionnelle, jusqu’au point G inclus, par la jurisprudence. Selon lui, elle pêche principalement à cinq
l’Accord anglo-allemand du 11 mars 1913, la Déclaration de égards: la nature même de la ligne; les côtes pertinentes
utilisées pour sa construction; le traitement réservé aux îles
YerundéII du 4avril1971 et la Déclaration de Maroua du dans cette construction; la définition de la zone pertinente
1 juin1975, et suit le tracé ci-a près: à partir de la ligne
droite joignant Bakassi Point et King Point, la frontière suit pour la délimitation; la méthode suivie pour la construction
la «ligne de compromis» reportée conjointement par les de la ligne. Le Nigéria soutient en outre que la conduite des
chefs d’État du Cameroun et du Nigéria le 4avril1971 sur Parties en matière d’octroi et d’exploitation de concessions
la carte n 3433 de l’Amirauté britannique jointe à la pétrolières, à l’origine de lignes de facto, joue un rôle
Déclaration de YaoundéII, ligne joignant douze points crucial dans l’établissement des frontières maritimes. Selon
lui, la Cour ne peut, dans la zone à délimiter, redistribuer les
numérotés, dont les coordonnées précises furent déterminées
par la Commission mixte réunissant les deux pays à Lagos concessions pétrolières résultant de la pratique suivie par le
en juin1971; à partir du point12 de cette ligne de Nigéria, la Guinéeéquatoriale et le Cameroun, concessions
compromis, le tracé de la fron tière court jusqu’au pointG dont elle doit, au moment de déterminer le tracé de la
précisé dans la Déclaration de Maroua du 1 erjuin 1975, tel frontière maritime, respecter la configuration. La Guinée
que modifié par l’échange de lettres entre les chefs d’État du équatoriale, note la Cour, demande que la frontière qui sera
fixée par celle-ci n’empiète en aucun cas sur la ligne
Cameroun et du Nigéria des 12 juin et 17 juillet 1975.
d’équidistance entre ses propres côtes et celles du Cameroun
La frontière maritime au-delà du point G et du Nigéria, laquelle serait, selon elle, «une expression
(par. 269 à 307) raisonnable de ses droits et intérêts d’ordre juridique qui ne
doit pas être transgressée dans des procédures [auxquelles
La Cour examine ensuite la frontière maritime au-delà elle] n’est pas partie». Elle formule un certain nombre de
du point G, point à partir duquel aucune délimitation de critiques précises à l’encontre de «la ligne équitable»
frontière maritime n’a fait l’objet d’un accord.
proposée par le Cameroun, dont elle déclare par ailleurs
La Cour relève que pour le Cameroun, il s’agit d’un n’avoir eu connaissance qu’en décembre 1998.
problème classique de délimitation maritime entre États La Cour relève tout d’abord que les zones maritimes sur
dont les côtes sont adjacentes et qui n’ont pu s’accorder sur lesquelles elle doit se prononcer dans cette partie de l’arrêt
le tracé de la limite entre leurs zones économiques se situent au-delà de la limite extérieure des mers
exclusives et leurs plateaux continentaux respectifs, même
territoriales des deux États. Elle rappelle par ailleurs que les
si les circonstances spéciales de la situation géographique Parties conviennent qu’elle est appelée à se prononcer sur la
sont ici particulièrement marquées et si la Cour doit délimitation maritime conformément au droit international.
également tenir compte des intérêts d’États tiers. En ce qui Tant le Cameroun que le Nigéria sont parties à la
concerne l’opération de délimitation, le Cameroun soutient Convention des Nations Unies sur le droit de la mer du
que le droit de la délimitation des frontières maritimes est 10 décembre 1982, qu’ils ont ratifiée respectivement le
dominé par le principe fondamental selon lequel toute
19novembre1985 et le 14août1986. Les dispositions
délimitation doit aboutir à une solution équitable. À l’appui pertinentes de cette convention sont donc applicables et, en
de cette affirmation, le Cameroun invoque le paragraphe1 particulier, les articles 74 t3, qui concernent la
des articles 74 et 83 de la Convention de 1982 sur le droit de délimitation du plateau continental et de la zone
la mer ainsi qu’un certain nombre de décisions de la Cour économique exclusive entre des États dont les côtes sont
ou de tribunaux arbitraux. Le Cameroun en conclut donc adjacentes ou se font face. Le paragraphe 1 de chacun de ces
qu’il n’existe pas de méthode unique en matière de
articles dispose qu’une telle délimitation doit être effectuée
délimitation maritime; le choix de toute méthode en ce de manière à «aboutir à une so lution équitable». La Cour
domaine doit tenir compte des circonstances propres à note également que, dans leurs écritures, les Parties ont
chaque affaire. Le Cameroun insiste sur le fait que le marqué leur accord pour que la délimitation entre leurs
principe de l’équidistance n’est pas un principe de droit espaces maritimes soit opérée au moyen d’une ligne unique.
coutumier s’imposant automatiquement dans toute
délimitation de la frontière maritime entre États dont les La Cour souligne qu’elle a eu l’occasion de préciser à
diverses reprises quels sont le s critères, principes et règles
côtes sont adjacentes, en faisan t observer que, si une ligne de délimitation applicables à la détermination d’une ligne
était tracée en appliquant strictement l’équidistance, la zone unique couvrant plusieurs zones de juridiction qui

267coïncident. Ils trouvent leur expression dans la méthode dite côte pertinents aux fins de la présente délimitation ne
des principes équitables/circonstances pertinentes. Cette présentent aucune concavité particulière.

méthode, très proche de celle de La Cour observe ensuite que le Cameroun affirme
l’équidistance/circonstances spéciales applicable en matière également que la présence de l’île de Bioko constitue une
de délimitation de la mer territoriale, consiste à tracer circonstance pertinente qui doit être prise en compte par la
d’abord une ligne d’équidistance puis à examiner s’il existe Cour aux fins de la délimitation. L’île de Bioko réduirait en
des facteurs appelant un ajustement ou un déplacement de effet sensiblement la projection des côtes du Cameroun vers
cette ligne afin de parvenir à un «résultat équitable». La
Cour observe qu’elle appliquera la même méthode dans la le large. Le Nigéria estime, ici encore, qu’il n’appartient pas
à la Cour de compenser le Cameroun pour les désavantages
présente espèce. dont il pourrait souffrir en conséquence directe de la
Avant de pouvoir tracer une ligne d’équidistance et situation naturelle dans le secteur.
d’examiner s’il existe des circonstances pertinentes qui La Cour indique qu’en l’espèce, l’île de Bioko relève de
pourraient rendre nécessaire d’ajuster celle-ci, la Cour doit la souveraineté de la Guinée équatoriale, un État qui n’est
néanmoins déterminer quelles sont les côtes pertinentes des
pas partie à l’instance. La question des effets de l’île de
Parties à partir desquelles seront fixés les points de base qui Bioko sur la projection de la façade maritime camerounaise
serviront à la construction de la ligne d’équidistance. En vers le large se pose donc entre le Cameroun et la Guinée
l’espèce, la Cour ne saur ait accepter l’affirmation du équatoriale et non entre le Came roun et le Nigéria, et n’est
Cameroun selon laquelle il conviendrait, d’une part, pour pas pertinente aux fins de la délimitation qui occupe la
délimiter sa frontière maritime avec le Nigéria, de prendre Cour. Dès lors, la Cour ne co nsidère pas que la présence de
en considération la côte du golfe de Guinée d’Akasso
(Nigéria) au capLopez (Gabon) et, d’autre part, de ne pas l’île de Bioko constitue, comme le soutient le Cameroun,
une circonstance qui justifierait le déplacement de la ligne
tenir compte de la majeure partie des côtes de l’île de Bioko. d’équidistance.
Établis selon les principes susmentionnés, les points de base Le Cameroun invoque enfi n la disparité entre la
permettront de déterminer la ligne d’équidistance entre les longueur de ses côtes et celles du Nigéria dans le golfe de
côtes pertinentes des deux États. Comme la Cour a déjà eu Guinée comme circonstance pe rtinente justifiant le
l’occasion de l’exposer, cette ligne d’équidistance ne peut
cependant pas se prolonger au -delà d’un point où elle déplacement de la ligne de délimitation vers le nord-ouest.
pourrait affecter les droits de la Guinée équatoriale. Le Nigéria estime pour sa part que le Cameroun ne respecte
pas les critères de proportionnalité de longueur des côtes qui
La Cour examine ensuite s’il existe des circonstances devraient plutôt jouer en faveur du Nigéria.
qui pourraient rendre nécessaire d’ajuster cette ligne La Cour relève qu’en l’espèce, quelles que soient les
d’équidistance afin d’aboutir à un résultat équitable. La
Cour se doit d’insister à ce propos sur le fait que délimiter côtes du Nigéria à prendr e en considération comme
avec le souci d’aboutir à un résultat équitable, comme le pertinentes, les côtes pertinentes du Cameroun telles que
décrites au paragraphe291 ne sont pas plus longues que
requiert le droit international en vigueur, n’équivaut pas à celles du Nigéria. Par voie de conséquence, il n’y a pas lieu,
délimiter en équité. La jurisprudence de la Cour montre en à ce titre, de déplacer la ligne d’équidistance en faveur du
effet que, dans les différen ds de délimitation maritime, Cameroun.
l’équité ne constitue pas une méthode de délimitation mais
uniquement un objectif qu’il convient de garder à l’esprit en La Cour constate que, avant de se prononcer sur la ligne
effectuant celle-ci. La configuration géographique des de délimitation entre le Cameroun et le Nigéria, elle doit
espaces maritimes que la Cour est appelée à délimiter est encore traiter la question, soulevée par le Nigéria, de savoir
si la pratique pétrolière des Parties fournit des indications
une donnée. Elle ne constitue pas un élément que la Cour utiles aux fins de la délimitation de leurs zones maritimes
pourrait modifier, mais un fait sur la base duquel elle doit respectives.
opérer la délimitation.
La Cour relève à cet égard que, selon le Cameroun, la Le Nigéria affirme en effet que la pratique des États en
concavité du golfe de Guinée en général et des côtes matière de concessions pétrolières joue un rôle déterminant
pour l’établissement de frontières maritimes. Il estime en
camerounaises en particulier crée un effet d’enclavement du particulier que la Cour ne peut, par le biais de la
Cameroun qui constitue une circonstance spéciale à prendre délimitation maritime, opérer une redistribution de ces
en compte dans le processus de délimitation. Pour sa part, le concessions pétrolières entre les États parties à la
Nigéria conteste qu’il revienne à la Cour de compenser le
Cameroun pour les désavantages dont il pourrait souffrir en délimitation. Le Cameroun relève, quant à lui, que
conséquence directe de la situation naturelle dans le secteur. l’existence de concessions pétrolières ne s’est jamais vu
Il insiste sur le fait que l’objet du droit international n’est reconnaître une importance particulière en matière de
délimitation maritime en droit international.
pas de remodeler la géographie. La Cour conclut que dans l’ensemble, il ressort de sa
La Cour conclut que, bien qu’elle ne conteste pas que la propre jurisprudence et de celle des tribunaux arbitraux que,
concavité des côtes puisse constituer une circonstance
pertinente pour la délimitation, elle doit néanmoins rappeler si l’existence d’un accord exprès ou tacite entre les parties
qu’il ne peut en aller ainsi que lorsque cette concavité existe sur l’emplacement de leurs concessions pétrolières
dans le secteur à délimiter. Elle constate que les secteurs de respectives peut indiquer un consensus sur les espaces

268maritimes auxquels elles on t droit, les concessions forces armées et une administration nigérianes sont

pétrolières et les puits de pétrole ne sauraient en eux-mêmes installées dans ces zones sur des territoires qui,
être considérés comme des circonstances pertinentes conformément à l’arrêt, relèvent de la souveraineté du
justifiant l’ajustement ou le déplacement de la ligne de Cameroun. Le Nigéria ajoute à propos de la création de la
délimitation provisoire. Ils ne peuvent être pris en compte commune de Bakassi que, si la Cour devait reconnaître la
que s’ils reposent sur un accord exprès ou tacite entre les souveraineté du Cameroun sur ces zones, il n’y aurait rien
parties. En la présente espèce, il n’existe aucun accord entre d’irréversible dans les dispositions adoptées à cet égard par

les Parties en matière de concessions pétrolières. La Cour le Nigéria. Le même raisonnement vaut bien entendu dans
estime partant que la pratique pétrolière des Parties ne les autres domaines de l’administration civile comme en ce
constitue pas un facteur à prendre en compte aux fins de la qui concerne les forces armées ou de police. La Cour
délimitation maritime en l’espèce. constate que le Nigéria est tenu de retirer dans les plus brefs
Étant également parvenue à la conclusion qu’il n’existait délais et sans condition son administration et ses forces
armées et de police du secteur du lacTchad relevant de la
aucun autre motif qui aurait pu rendre nécessaire un souveraineté du Cameroun ainsi que de la presqu’île de
ajustement de la ligne d’équidistance afin de parvenir à un
résultat équitable, la Cour décide que la ligne d’équidistance Bakassi.
aboutit à un résultat équitable aux fins de la délimitation du La Cour observe de plus que le Cameroun est tenu de
secteur dans lequel elle a compétence pour se prononcer. retirer dans les plus brefs délais et sans condition toutes
administration ou forces armées ou de police qui pourraient
La Cour note cependant que le pointG, qui a été défini se trouver, le long de la frontière terrestre allant du lac
per les deux Parties dans la Déclaration de Maroua du
1 juin 1975, n’est pas situé sur la ligne d’équidistance entre Tchad à la presqu’île de Bakassi, dans les zones relevant,
le Cameroun et le Nigéria, mais à l’est de cette ligne. Le conformément à son arrêt, de la souveraineté du Nigéria. Le
Cameroun est par conséquent en droit de demander que du Nigéria a la même obligation en ce qui concerne toutes
poinGt la limite des zones maritimes relevant administration ou forces armées ou de police qui pourraient
se trouver, le long de la frontière terrestre allant du
respectivement de chacune des Parties rejoigne la ligne lacTchad à la presqu’île de Bakassi, dans les zones
d’équidistance. La Cour considère donc qu’à partir du
point G la ligne de délimitation doit rejoindre directement la relevant, conformément à l’arrêt, de la souveraineté du
ligne d’équidistance au point de coordonnées 8 o21' 20" de Cameroun.
longitude est et 4o17' 00" de latitude nord qui sera appelé X. La Cour note en outre que l’exécution de son arrêt
Cette limite s’infléchit au point X et se prolonge vers le sud donnera aux Parties une occasion privilégiée de coopération
le long de la ligne d’équidistance. La ligne d’équidistance dans l’intérêt des populations concernées afin notamment

retenue par la Cour ne saurait toutefois se poursuivre très au que celles-ci puissent continuer de bénéficier de services
large. La Cour a déjà déclaré qu’elle ne pouvait pas prendre scolaires et de santé comparables à ceux dont elles jouissent
de décision qui puisse affecter les droits de la Guinée actuellement. Une telle coopération sera particulièrement
équatoriale, qui n’est pas partie à l’instance. Dans ces utile en vue du maintien de la sécurité lors du retrait de
circonstances, la Cour ne s’estime pas en mesure de faire l’administration et des forces armées et de police nigérianes.
plus qu’indiquer, à partir du pointX, la direction générale Le 21 mars 2002, l’agent du Cameroun a rappelé par ailleurs

de la limite des zones maritimes relevant de chacune des devant la Cour que «plus de troismillions de Nigérians
Parties. Celle-ci suit une ligne loxodromique ayant un vivent sur le sol camerounais où ils exercent, sans restriction
azimut de 187º 52' 27". aucune, diverses activités, bien intégrés qu’ils sont dans la
société camerounaise». Puis il a affirmé «que, fidèle à sa
Conclusions du Cameroun relatives à la responsabilité politique traditionnellement accu eillante et tolérante, le
Cameroun continuera à assurer sa protection aux Nigérians
internationale du Nigéria et demandes
reconventionnelles du Nigéria concernant habitant la péninsule [de Bakassi] et [à] ceux vivant dans la
la responsabilité internationale du Cameroun région du lac Tchad». S’agissant de zones dans lesquelles
(par. 308 à 324) résident de nombreux ressortissants nigérians, la Cour prend
acte avec satisfaction de l’engagement ainsi pris.
La Cour examine enfin les conclusions du Cameroun Par ailleurs, la Cour n’accueille pas les conclusions du
relatives à la responsabilité internationale du Nigéria et les
demandes reconventionnelles du Nigéria concernant la Cameroun visant à l’obtention de garanties de non-répétition
responsabilité internationale du Cameroun. Le Cameroun pour l’avenir, estimant qu’elle ne saurait envisager
l’hypothèse dans laquelle une des Parties ne respecterait pas
développe à cet égard deux séries de conclusions distinctes la souveraineté territoriale de l’autre Partie, une fois la
concernant, d’une part, la région du lac Tchad et la frontière terrestre et maritime entre les deux États ayant été
presqu’île de Bakassi, d’autre part, les autres secteurs de la précisée de manière définitive et obligatoire par la Cour.
frontière.
La Cour rappelle qu’aux paragraphes57, 60, 61 et 225 Dans les circonstances de l’espèce, la Cour estime de
plus que, du fait même de son arrêt et de l’évacuation du
de son arrêt, elle a fixé la frontière entre les deux États dans territoire camerounais occupé pa r le Nigéria, le préjudice
la région du lac Tchad et dans la presqu’île de Bakassi. Elle subi par le Cameroun en raison de l’occupation de son
note que le Nigéria ne conteste pas qu’à l’heure actuelle des territoire aura en tout état de cause été suffisamment pris en

269compte. La Cour ne recherche donc pas si et dans quelle frontière maritime. Après avoir dit que Bakassi faisait partie
mesure la responsabilité du Nigéria est engagée à l’égard du du Cameroun, la Cour n’aurait rien dû ajouter dans son

Cameroun du fait de cette occupation. arrêt. Il n’y avait nullement lieu pour la Cour de présenter
Enfin, au sujet des divers incidents frontaliers, la Cour les deux tableaux de coordonnées relatifs à la mer
constate qu’aucune des Parties n’apporte de preuves territoriale, puisque aucune des deux Parties n’avait soulevé
suffisantes des faits qu’elle avance ou de leur imputabilité à cette question particulière.
l’autre Partie. Elle ne saur ait par suite accueillir ni les S’agissant de la frontière du plateau continental, la Cour

conclusions du Cameroun ni les demandes a rendu une décision établissant une ligne différente de
reconventionnelles du Nigéria fondées sur les incidents chacune de celles revendiquées par les Parties. Les erreurs
invoqués. commises par la Cour dans le traitement de la frontière
maritime viennent peut-être du fait qu’elle n’a pas compris
* le droit gouvernant cette question. Pour M.Oda, il n’existe
aucune règle ou principe juridique qui prescrive la
Déclaration du juge Oda reconnaissance d’une ligne donnée comme étant la seule et

M.Oda souscrit pleinement aux conclusions auxquelles unique acceptable en droit interna tional. La ligne frontière
est parvenue la Cour sur les principaux points à trancher délimitant concrètement le plateau continental doit être
dans la présente affaire, à savo ir la presqu’île de Bakassi et définie par voie de négociation, pourvu qu’elle respecte les
règles de l’équité. MO. d a déclare en outre que la
la frontière terrestre dans le lac Tchad puis du lac Tchad à la Convention de Genève de 1958 sur le plateau continental
mer, même s’il doit exprimer certaines réserves d’ordre fournit un principe directeur aux fins des négociations entre
technique. les Parties: celles-ci doivent chercher une «solution
M.Oda émet des réserves plus sérieuses sur la décision
prise par la Cour au pointIV du dispositif concernant les équitable en vertu de la règle appelée « ligne
demandes relatives à la «frontière maritime», qui ne d’équidistance (médiane)+ci rconstances spéciales». La
Convention des Nations Unies de 1982 sur le droit de la mer
sauraient être considérées comme des questions principales a tenté de préciser davantage la question au paragraphe 1 de
dans le présent différend. Il ne partage l’avis de la Cour que son article83, qui prévoit que la délimitation du plateau
sur un nombre de questions limité et n’a voté qu’en faveur continental doit être ef fectuée par voie d’accord
des alinéas B), C) etD) du pointIV, dans la mesure où les conformément au droit international…afin d’aboutir à une
limites qui y sont tracées ne sont pas totalement inadéquates
et n’entraînent aucun effet préjudiciable. Il relève un certain solution équitable ».
nombre d’erreurs de forme et de fond commises non Pour M.Oda, un grave ma lentendu prévaut dans les
milieux universitaires au sujet de l’interprétation du
seulement par le requérant, mais également par la Cour. paragraphe2 de l’article83 de la Convention de1982. En
Du point de vue de la forme, M.Oda souligne que l’on premier lieu, cette disposition n’entre pas dans le cadre de la
ne saurait considérer que, dans ses requêtes de 1994, le
Cameroun demandait à la Cour de se prononcer sur un clause attributive de compétence constituée par le
quelconque «différend d’ordre juridique» relatif à une paragraphe1 de l’article36 du Statut de la Cour. En
deuxième lieu, le fait que les négociations relatives au tracé
frontière maritime au sens du paragraphe 2 de l’article 36 du de la frontière aient échoué ne signifie pas nécessairement
Statut de la Cour. Il demandait seulement que soit tracée une qu’un «différend d’ordre juridique» ait surgi. En troisième
frontière. Dans son arrêt de 1998, la Cour a commis une lieu, le paragraphe 2 de l’article 83 ne saurait être interprété
erreur en rejetant les excepti ons préliminaires du Nigéria et comme conférant une juridiction obligatoire aux institutions
en décidant qu’un différend pouvait être soumis à la Cour de
manière unilatérale par le Cameroun. Le requérant, le énumérées à l’article 287, partie XV. M. Oda affirme que la
Cameroun, a changé d’attitude dans la suite de la procédure Cour pourrait agir en qualité d’instance tierce si les Parties
lui demandaient conjointement de tracer la frontière, mais la
en formulant sa propre revendication maritime, définie par présente instance a été intr oduite par le Cameroun de
des coordonnées cartographiques. Cette erreur de procédure manière unilatérale et les Parties n’ont même pas entamé de
a placé l’affaire tout entière sous un éclairage très différent. négociations. La Cour ne pouvait engager de procédure
C’est pourquoi M.Oda a voté contre le pointIVA) du obligatoire impliquant une décision contraignante, et ne
dispositif de l’arrêt.
pouvait « trancher » dans un sens ou dans un autre.
Du point de vue du fond, M. Oda souligne que la Cour et
le requérant ont manqué d’opérer la distinction Opinion individuelle du juge Ranjeva
fondamentale qui existe entre la mer territoriale et la zone
du plateau continental, qui relèvent de deux régimes Souscrivant aux dispositifs et aux conclusions de l’arrêt,
juridiques différents. M.Oda estime que pour ce qui est de M.Ranjeva est satisfait de l’engagement pris par les deux
la frontière à l’intérieur de la mer territoriale, le différend Parties, sous les auspices du Secrétaire général de
entre les deux Parties porte en réalité uniquement sur le l’Organisation des NationsUnies, de se conformer à l’arrêt
de la Cour dans l’affaire de la Frontière terrestre et
statut de la presqu’île de Bakassi (c’est-à-dire sur la
question de savoir si la frontière entre le Cameroun et le maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun
Nigéria passe à l’ouest ou à l’est de Bakassi), et non sur une

270c. Nigéria), engagement confirmatif de leur consentement lequel cette dernière accordait expressément sa
juridictionnel au regard du droit judiciaire international. «bienveillante protection» aux populations du Vieux-

M.Ranjeva exprime des réserves à l’égard de l’analyse Calabar, et en confirmant au contraire la validité de
que fait l’arrêt aux paragraphes 203 et 209. L’arrêt, en effet, l’Accord anglo-allemand de 1913, par lequel la Grande-
se réfère aux règles du droit intertemporel pour justifier la Bretagne cédait à l’Allemagne le territoire des populations
compétence du Royaume-Uni dans la détermination de la du Vieux-Calabar sans le consentement de ces dernières, a
frontière du Nigéria avec le Cameroun (par.209). Le refus choisi de consacrer la réalité politique plutôt que la validité
juridique. Il estime que le Traité de 1884 n’autorisait pas la
du caractère international des accords conclus par le Grande-Bretagne à transférer le territoire des populations du
Royaume-Uni avec les chefs du Vieux-Calabar justifiait-il la
référence au concept de «droit qui prévalait à l’époque»? Vieux-Calabar sans le consentement de ces dernières; or,
Tout juriste ne pourrait en effet qu’être surpris devant la dans la mesure où tel est l’effet qu’aurait eu le Traité anglo-
perversion par la Cour du principe fondateur du droit allemand de 1913, la Cour aurait dû considérer celui-ci
international. En effet, pacta non servanda sunt, lorsqu’il comme défectueux. C’est donc à tort que la Cour a confirmé
s’agit d’accords avec les chefs ou personnalités éminentes le titre du Cameroun fondé sur l’Accord anglo-allemand de
1913.
de «nation» non « civilisées » au sens du droit
international. «L’unilatéralisme» juridique a déjà fait M. Koroma ne saurait non plus souscrire à la réponse de
l’objet de critiques dans la doctrine. Dans l’affaire du la Cour concernant la principale revendication du Nigéria
Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), la sur Bakassi et les villages des environs du lac Tchad,
Chambre a directement fait a pplication du droit colonial, revendication fondée sur la consolidation historique et
qu’elle reconnaissait comme tel et source de droit l’exercice d’une autorité effective.
applicable. Aussi aurait-il été préférable de séparer les deux
Il estime que la consolidation historique, si elle est
sphères du droit dans la présente affaire: le droit établie par les éléments de preuve invoqués, demeure un
international dans les relations entre les puissances fondement valide de titre territorial. À son sens, les modes
coloniales européennes et le droit colonial dans les rapports d’acquisition d’un tel titre ne se limitent pas à ce que la
entre la métropole et les territoires coloniaux. Cour appelle, dans son arrêt, les modes «reconnus». Si tel
était le cas, des concepts comme «la prescription», «la

Déclaration du juge Herczegh reconnaissance », « l’estoppel ou la forclusion» ou encore
Dans sa déclaration, MH . erczegh ne trouve pas «l’acquiescement» n’auraient pas trouvé place dans la
justifiées les observations critiques faites au paragraphe 238 jurisprudence internationale. Autrement dit, un long usage
établi, s’il est conjugué à un ensemble complexe d’intérêts
des motifs de l’arrêt, concernant l’insuffisance dans certains et de relations qui tendent par eux-mêmes à rattacher un
cas de la protection des intérêts d’ordre juridique des États territoire et confirmé par le s preuves d’un acquiescement,
tiers offerte par l’article 59 du Statut. fonde en droit un titre territorial. La Cour l’a reconnu dans

Opinion dissidente du juge Koroma sa jurisprudence. Dès lors, en l’espèce, il incombait au
Nigéria de prouver le bien-fondé de sa revendication, et à la
Dans son opinion dissidente, M.Koroma reconnaît le Cour d’apprécier si les éléments de preuve avancés
rôle essentiel joué par la Cour en tant qu’instance de militaient en faveur de cette revendication. M.Koroma
règlement pacifique des différends, en particulier constate que le Nigéria a produit des éléments de preuve
non négligeables pour démontrer la consolidation historique
territoriaux et frontaliers entre États voisins, différends qui dont il se réclame et les effectivités qui, selon lui, le lient à
ont tendance à s’exacerber, avec des conséquences
dévastatrices pour les pays concernés. À son sens, la presqu’île de Bakassi et aux villages des environs du lac
cependant, si la Cour veut remplir efficacement la mission Tchad; il a également démontré l’existence d’un
qui lui est assignée en tant qu ’organe judiciaire, elle doit acquiescement. La Cour aura it dû examiner ces éléments,
fonder ses décisions sur la mi se en Œuvre des instruments afin de déterminer s’ils permettaient d’établir le titre, au lieu
de considérer avant tout «l’étiquette» sous laquelle les
pertinents et des principes applicables du droit international, preuves lui avaient été soumises. La Cour a fait observer
et en particulier du principe fondamental pacta sunt qu’hormis dans l’affaire des Pêcheries (Royaume-Uni c.
servanda, selon lequel tout traité en vigueur est opposable
aux parties contractantes à celui-ci, qui sont tenues de le Norvège), «la notion…n’a jamais été utilisée comme
mettre en pratique de bonne foi. Il estime que la Cour ne fondement d’un titre territorial dans d’autres affaires
saurait s’appuyer sur d’autres principes que ceux-là et contentieuses, que ce soit dans sa propre jurisprudence ou
déplore qu’en cette occasion, la majorité des membres de la dans celle d’autres organes juridictionnels». Même s’il en
allait ainsi –et tel n’est pas le cas–, ce qui aurait dû
Cour se soient écartés du dro it et des principes juridiques l’emporter aux yeux de la Cour, c’était les éléments de
dont se nourrit le reste de l’a rrêt, lequel n’est dès lors pas
fondé en droit. preuve eux-mêmes, plutôt que l’appellation qui leur avait
M.Koroma constate que la Cour, en ne reconnaissant été donnée.
pas la validité du Traité de1884 conclu entre les rois et Selon M.Koroma, c’est l’approche adoptée par la Cour
chefs du Vieux-Calabar et la Grande-Bretagne, Traité par au moment d’examiner le droit et les preuves matérielles
produites devant elle qui rend sa décision défectueuse. Cette

271approche a conduit la Cour à confirmer à tort le titre du Opinion individuelle du juge Al-Khasawneh
Cameroun fondé sur l’accord anglo-allemand de 1913, et à
M. Al-Khasawneh approuve le raisonnement suivi par la
écarter la revendication de souveraineté territoriale du Cour aux paragraphes214 à216 de l’arrêt. Il estime
Nigéria fondée sur le titre originel et la consolidation toutefois qu’il était inutile et malvenu que la Cour revienne
historique. M.Koroma estime que si elle avait accordé sur les questions soulevées pa r l’Accord entre la Grande-
l’attention qu’elles méritaient aux questions de titre originel,
de consolidation historique et d’exercice d’une autorité Bretagne et l’Allemagne de1913 et le Traité de protectorat
effective, la Cour, à la lumière des éléments de preuve qui de1884 entre la Grande-Bretagne et les rois et chefs du
lui étaient soumis, serait parvenue à une conclusion Vieux-Calabar. En effet, il est difficile, tant d’un point de
vue moral que juridique, de concilier le devoir de protection
différente en ce qui concerne Bakassi et les villages des avec l’aliénation ultérieure de la totalité du territoire de
environs du lac Tchad. l’entité protégée.
En conclusion, M.Koroma souligne que dès lors qu’il
s’agit d’un règlement judiciaire de différends territoriaux et Dans son arrêt, la Cour ne fait pas la distinction entre
frontaliers, la Cour est tenue d’appliquer un traité valide protectorat et colonie; elle conclut que la Grande-Bretagne
obtint la souveraineté sur la presqu’île de Bakassi par un
ainsi que les principes pertinents du droit international si mode d’acquisition dérivé. Les questions fondamentales
elle entend que son arrêt soit considéré comme fondé en soulevées dans l’affaire portent donc sur l’interprétation du
droit. Traité de1884 et de la pratique ultérieure des Parties. Ces

Opinion individuelle du juge Parra-Aranguren deux éléments ne sauraient être écartés par l’invention d’une
sous-catégorie artificielle de protectorats appelée
M.Parra-Arranguren déclare que son vote en faveur du «protectorats coloniaux», dans laquelle le titre est censé
dispositif de l’arrêt, à l’exception du point V B), ne saurait être transmis automatiquement, indépendamment des
être considéré comme une adhésion à l’intégralité du dispositions du Traité.

raisonnement suivi par la Cour pour parvenir à ses Les décisions relatives au Sahara occidental et à l’Île de
conclusions. Il explique également qu’il a voté contre le Palmas ne soutiennent en rien la conclusion à laquelle
point V B) en se fondant sur le principe bien établi selon parvient la Cour. La sentence de l’ Île de Palmas confond
lequel «la Cour a le devoir de répondre aux demandes des notamment l’inégalité de statut et l’inégalité de pouvoir, en
parties telles qu’elles s’expriment dans leurs conclusions soutenant que la suzeraineté exercée sur l’État indigène
finales, mais aussi celui de s’abstenir de statuer sur des devient la base de la souveraineté territoriale de la puissance
points non compris dans lesdites demandes ainsi protectrice. En outre, cette généralisation excessive sous-

exprimées», comme la Cour l’a rappelé très récemment, le entend que l’on considère que les territoires des chefs
14 février 2002 (affaire relative au Mandat d’arrêt du locaux devinrent pratiquement des colonies ou que les chefs
11avril 2000, (République démocratique du Congo devinrent des vassaux des États placés sous la suzeraineté de
c. Belgique), arrêt, C.I.J.Recueil 2002 , par. 43). Ni le la puissance coloniale protectrice indépendamment du fait
Cameroun ni le Nigéria n’ont demandé à la Cour dans leurs que l’État protecteur y exerçait un pouvoir symbolique et
conclusions de prendre acte de l’engagement pris par le que lesdits chefs furent souvent reconnus par la suite comme
ayant qualité de souverains dans leurs relations avec l’État
Cameroun d’assurer sa protection aux Nigérians habitant la
presqu’île de Bakassi. Aussi estime-t-il que la Cour aurait protecteur. On peut par ailleurs douter que cette
dû s’abstenir de prendre acte d’un tel engagement dans le généralisation sur la suzeraineté et la vassalité des
dispositif de l’arrêt, même si e lle était en droit de l’aborder protectorats coloniaux puisse véritablement être confirmée
dans l’exposé de ses motifs, comme elle l’a fait au par la pratique des États à l’époque. Cette manière de voir
paragraphe 317 de l’arrêt. est de plus fondée sur la notion d’« altérité » et aboutit à une
application presque régionale du droit intertemporel. M. Al-
Khasawneh insiste sur le fait que les traités de protection
Déclaration du juge Rezek
constituaient parfois une premièreétape vers la réalisation
M.Rezek s’est séparé de la majorité concernant la d’un titre colonial à part entière mais que, jusqu’à ce qu’il
question de la souveraineté sur la presqu’île de Bakassi et en soit ainsi, et en l’absence de dispositions pouvant être
les eaux adjacentes. interprétées comme conférant un titre, lesdits traités
Il en expose la raison principale dans sa déclaration:à n’étaient rien de plus qu’un moyen de pression. Ce constat
son sens, il est inacceptable que le Traité conclu en 1884 est corroboré par plusieurs exemples tirés de la pratique des
entre la Grande-Bretagne et les rois et chefs du Vieux-
États à l’époque du congrès de Berlin, en particulier celle de
Calabar ne soit pas considéré comme un traité, car il est la Grande-Bretagne.
évident que même les puissan ces coloniales, à l’époque Même en admettant, pour les besoins de
considérée, devaient faire preuve d’un minimum de bonne l’argumentation, que la C onférence de Berlin approuva
foi.

272effectivement le comportement des puissances coloniales à des longs et variés développements que les Parties y ont
l’égard des protectorats coloniau x, cette pratique est-elle consacrés et de sa grande importance en Afrique.

opposable aux Parties à la présente instance? Cette question S’agissant de la frontière terrestre entre le lac Tchad et
doit être examinée à la lumière du principe du droit Bakassi, de la délimitation mariti me et de la question de la
intertemporel. Historiquement, la notion de protection, qui responsabilité, mes conclusions sont quelque peu différentes
remonte au juriste romain Ulpien, exclut la notion de de celles auxquelles la Cour est parvenue.
propriété et recouvre des éléments de tutelle. Après1885,
les États commencèrent à déformer, dans leur pratique, la
notion classique de protection pour en faire un instrument Opinion dissidente du juge Ajibola

du colonialisme. Cette déformation doit-elle vraiment être En l’affaire relative à la Frontière terrestre et maritime
prise en compte dans l’application de la règle entre le Cameroun et le Nigéria, M. Ajibola a voté en faveur
intertemporelle? En outre, la règle pacta sunt servanda, qui de la décision de la Cour sur la question de la délimitation
constitue l’un des principes les plus importants du droit maritime au-delà du point G, d écision que la Cour a fondée
international, ne devrait-elle pas continuer à s’appliquer? sur le principe de l’équidistance tel qu’il se dégage de sa
jurisprudence et du droit international. Il approuve
Le droit intertemporel n’est pas aussi figé que certains également le rejet par la Cour de la demande du Cameroun
juristes aiment à le dire. La règle intertemporelle n’est pas
non plus une règle bien définie qui peut faire l’objet d’une concernant la responsabilité internationale du Nigéria. Selon
application systématique; elle recouvre plutôt une idée lui, la demande était plutôt prématurée en ce qu’elle
complexe qui ne trouva pas sa place dans la Convention concernait des actes qui auraient été commis sur un territoire
deVienne de1969 sur le droit des traités, qui fut en litige, litige sur lequel la Cour ne s’était pas encore
systématiquement rejetée dans les décisions de la Cour prononcée. C’est pour cette même raison que M.Ajibola
approuve la décision de la Cour de rejeter la demande
européenne des droits de l’homme, écartée par certaines reconventionnelle du Nigéria concernant la responsabilité
décisions de la Cour internationale de Justice, et abandonnée
dans le domaine des crimes internationaux. En bref, la Cour internationale du Cameroun.
se fonde, à tort, sur une notion bancale pour céder Bakassi à M.Ajibola désapprouve toutefois la décision de la Cour
l’Allemagne. selon laquelle la souveraineté territoriale sur la presqu’île de
Bakassi appartient au Cameroun. Pour lui, la reconnaissance
Pour conclure, le Traité de1884 avait valeur juridique par la Cour du titre revendiqué par le Cameroun sur la base
au plan international: il portait sur la protection et non pas
sur un titre colonial, et les rois et chefs du Vieux-Calabar de l’Accord anglo-allemand de1913 est contestable du fait
avaient qualité pour s’engager dans des relations que les articles XVIII à XXII de cet instrument, sur lesquels
conventionnelles. Les termes mêmes du Traité laissent le Cameroun fonde ses prétentions, sont nuls et non avenus
penser que ses auteurs n’avaient pas l’intention de céder la et sont séparables de l’Accord. Il ajoute que la Cour a
souveraineté territoriale. La situation est restée inchangée manqué de tirer dans son arrêt les conséquences de
l’argumentation du Nigéria fondée sur la consolidation
jusqu’en1913, lorsque la Grande-Bretagne céda Bakassi à historique et les effectivités. Selon lui, la valeur probante du
l’Allemagne. La cession aurait exigé des pouvoirs liés à la
souveraineté territoriale que la Grande-Bretagne ne détenait Traité du 10 septembre 1884 conclu entre les rois et chefs
pas. La position des rois et chefs du Vieux-Calabar ne fut du Vieux-Calabar et la Grande-Bretagne corrobore
pas affaiblie par le Traité lui-même. Toutefois, leur manifestement la thèse du Nigé ria: cet instrument indique
comportement ultérieur et le fait qu’il ne protestèrent pas clairement qu’à tous les moments pertinents ayant précédé
obligent M.Al-Khasawneh à c onclure qu’il donnèrent leur l’indépendance du Nigéria, la souveraineté territoriale sur la
presqu’île de Bakassi appartenait en réalité aux rois et chefs
consentement à cette cession : volenti non fit injuria. du Vieux-Calabar et que le Traité était un traité de

Opinion individuelle du juge Mbaye protection, qui ne portait aucunement cession de la
souveraineté territoriale à la Grande-Bretagne. Celle-ci ne
Pour essayer de mieux percevoir le différend qui a pouvait dès lors céder le moindre droit sur le territoire à
opposé deux pays frères en Afrique, j’ai émis quelques l’Allemagne ni, par la suite, au Cameroun indépendant.
observations générales en guise d’introduction à mon MA.jiboaagalemenvtoté contre la décision de la
opinion.
Cour concernant la délimitation de la frontière dans le lac
Je partage les conclusions de la Cour en ce qui concerne Tchad. Selon lui, la Cour n’a pas accordé suffisamment
«la région du lac Tchad et Bakassi». Des titres existent d’attention à la thèse du Nigéria fondée sur la consolidation
quant à la souveraineté sur ces parties de territoires. C’est le historique et les effectivités et conférant à celui-ci le titre sur
Cameroun qui possède ces titres qui l’emportent sur les les 33 villages revendiqués.
effectivités. M.Ajibola fait valoir que, selon lui, la conclusion à

Mais je regrette que la Cour se soit abstenue de recourir laquelle la Cour est parvenue en l’espèce ne va pas dans le
au principe du «respect des frontières coloniales» à cause sens de l’évolution de sa propre jurisprudence, en particulier

273au regard de l’affaire du Différend frontalier (Burkina paragraphe63 de l’arrêt rendu en l’affaire précitée. Selon

Faso/République du Mali). Il estime que la Cour, en faisant M. Ajibola, la Cour a méconnu les trois dernières phrases de
sienne la thèse partiale du Cameroun, n’a tenu compte, ce paragraphe, prescrivant de tenir invariablement compte
lorsqu’elle a pris sa décision, que d’une partie du des effectivités.

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Résumé de l'arrêt du 10 octobre 2002

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