Résumés des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la Cour
internationale de Justice
Document non officiel
AFFAIRE RELATIVE À LALICÉIT É DE L’EMPLOI DE LAFORCE
(YOUGOSLAVIE c. ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE) (MESURES CONSERVATOIRES)
Ordonnance du 2 juin 1999
Dans une ordonnance rendue en l’affaire relative à la MM.Shi, Koroma et Vereshchetin, juges, ont joint
Licéité de l’emploi de la force (Yougoslaviec. États-Unis des déclarations à l’ordonnan ce de la Cour. MM.Oda et
d’Amérique) la Cour a rejeté par douze voix contre trois la Parra-Aranguren, juges, y ont joint les exposés de leur
demande en indication de mesures conservatoires présentée opinion individuelle. M.Kreca, juge ad hoc, y a joint
par la République fédérale de Yougoslavie (RFY). l’exposé de son opinion dissidente.
Dans son ordonnance, la Cour, ayant indiqué qu’elle
n’avait manifestement pas co mpétence pour connaître de *
l’affaire, a décidé de s’endessaisir. Elle a ordonné par * *
douze voix contre trois que l’affaire soit rayée du rôle.
La Cour était composée comme su :it Rappel des faits
M. Weeramantry, Vice-Président, faisant fonction de Le 29 avril 1999, la Yougoslavie a déposé une requête
président; M.Schweb el, Président de la Cour; MM.Oda, introductive d’instance contre les États-Unis pour
Bedjaoui, Guillaume, Ranjeva, Herczegh, Shi, Fleischhauer,
Koroma, Vereshchetin, M meHiggins, MM. Parra- « violation de l’obligation de ne pas recourir à l’emploi de la
force», accusant cet État de bombarder le territoire
Aranguren, Kooijmans, juges; M.Kreca, juge ad hoc; yougoslave « conjointement avec d’autres États membres de
M. Valencia-Ospina, Greffier. l’OTAN». Le même jour, elle a présenté une demande en
indication de mesures conservatoires, priant la Cour
* d’ordonner aux États-Unis de «cesser immédiatement de
* * recourir à l’emploi de la force» et de «s’abstenir de tout
Le texte complet du dispositif de l’ordonnance est acte constituant un recours ou une menace de recours à la
ainsi libellé : force » contre la RFY.
« 34. Par ces motifs, Pour fonder la compétence de la Cour, la Yougoslavie
a invoqué l’article IX de la Convention pour la prévention et
CLOAUR, la répression du crime de génocide, adoptée par l’Assemblée
1) Par douze voix contre trois,
Rejette la demande en indication de mesures générale des Nations Unies le 9 décembre 1948, ainsi que le
paragraphe 5 de l’article 38 du Règlement de la Cour.
conservatoires présentée par la République fédérale de L’article IX de la Convention sur le génocide prévoit que les
Yougoslavie le 29 avril 1999; différends entre les partie s contractantes relatifs à
POU:RW.eeramantry, Vice-Président, faisant l’interprétation, l’applica tion ou l’exécution de la
fonction de président en l’affaire;.chwebel, Convention seront soumis à la Cour internationale de
Président de la Cour; MM.Oda, Bedjaoui, Guillaume, Justice. Quant au paragraphe 5 de l’article 38 du Règlement
me
Ranjeva, Herczegh, Fleischhauer, Koroma, M Higgins, de la Cour, il prévoit que lorsqu’un État dépose une requête
MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, juges; contre un autre État n’ayant pas accepté la compétence de la
CONTRE: MM.Shi, Vereshchetin, juges; M.Kreca, Cour, la requête est transmise à cet autre État, mais aucun
juge ad hoc; acte de procédure n’est effectué tant que cet État n’a pas
accepté la compétence de la Cour aux fins de l’affaire.
2) Par douze voix contre trois,
Ordonne que l’affaire soit rayée du rôle.
POU:RW.eeramantry, Vice-Président, faisant Raisonnement de la Cour
fonction de président en l’affaire;.chwebel, Dans son ordonnance, la Cour souligne tout d’abord
Président de la Cour, MM.Oda, Bedjaoui, Guillaume, qu’elle est « profondément préoccupée par le drame humain,
Rameeva, Herczegh, Shi, Fleischhauer, Koroma, les pertes en vies humaines et les terribles souffrances que
M Higgins, M. Kooijmans, juges; connaît le Kosovo et qui constituent la toile de fond» du
CONTRE : MM. Vereshchetin, Parra-Aranguren, différend, «ainsi que par les victimes et les souffrances
juges; M. Kreca, juge ad hoc. » humaines que l’on déplore de façon continue dans
l’ensemble de la Yougoslavie». Elle se dit également
* «fortement préoccupée par l’emploi de la force en
* * Yougoslavie» qui, «dans le s circonstances actuelles ...
131soulève des problèmes très graves de droit international». en tout état de cause responsables des actes contraires au
En gardant « présents à l’esprit les buts et les principes de la droit international, y compris au droit humanitaire, qui leur
Charte des Nations Unies, ainsi que les responsabilités qui seraient imputables» et que «tout différend relatif à la
lui incombent, en vertu de ladite Charte et [de son] Statut, licéité de tels actes doit être réglé par des moyens pacifiques
dans le maintien de la paix et de la sécurité», la Cour dont le choix est laissé aux parties conformément à
« estime nécessaire de souligner que toutes les parties qui se l’Article33 de la Charte». Dans ce cadre, «les parties
présentent devant elle doivent agir conformément à leurs doivent veiller à ne pas aggraver ni étendre le différend».
obligations en vertu de la Charte des Nations Unies et des La Cour réaffirme que «lorsqu’un tel différend suscite une
autres règles du droit international, y compris du droit menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte
humanitaire ». d’agression, le Conseil de sécurité est investi de
La Cour rappelle ensuite qu’elle n «’a pas responsabilités spéciales en vertu du Chapitre VII de la
automatiquement compétence pour connaître des différends Charte ».
juridiques» entre États et que «l’un des principes
fondamentaux de son Statut est qu’elle ne peut trancher un Déclaration du juge Shi
différend entre des États sans que ceux-ci aient consenti à sa Tout comme la majorité, M. Shi pense que la Cour n’a
juridictin. Elle ne peut indiquer de mesures pas dans les instances que la Yougoslavie a introduites
conservatoires sans que sa co mpétence en l’affaire ait été
établie prima facie. contre la France, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni
À propos de l’article IX de la Convention sur le compétence prima facie pour indiquer les mesures
génocide, la Cour indique qu’il n’est pas contesté que tant la conservatoires sollicitées par le demandeur et qu’il est
même encore plus évident qu’il en va de même dans les
Yougoslavie que les États-Unis sont parties à cette instances introduites contre l’Espagne et les États-Unis.
Convention, mais qu’en ratifiant la Convention le Il estime cependant que la Cour, confrontée à une
25novembre 1988, les États-Unis ont fait une réserve.
Celle-ci stipule qu’en ce qui concerne l’article IX, pour situation de grande urgence découlant de l’emploi de la
qu’un différend auquel les États-Unis sont partie puisse être force en Yougoslavie et contre celle-ci et saisie des
soumis à la juridiction de la Cour, « le consentement exprès demandes en indication de mesures conservatoires
présentées par le demandeur, aurait dû faire une déclaration
des États-Unis est nécessaire dans chaque cas». Or, en générale exhortant les Parties à agir conformément aux
l’espèce, les États-Unis ont i ndiqué qu’ils n’ont pas donné obligations qui sont les leurs en vertu de la Charte des
ce consentement et qu’ils ne le donneront pas. La Nations Unies et de toutes les autres règles de droit
Convention sur le génocide n’interdisant pas les réserves et
la Yougoslavie n’ayant pas présenté d’objection à la réserve international applicables à la situation et tout au moins à ne
formulée par les États-Unis, la Cour considère que pas aggraver ou étendre leurs différends, indépendamment
l’articleIX ne constitue manifestement pas une base de de la conclusion à laquelle la Cour pourrait parvenir sur sa
compétence prima facie avant de rendre son arrêt définitif.
compétence en l’affaire, même prima facie. Aucune disposition du Statut ou du Règlement
Au sujet du paragraphe 5 de l’article 38 de son
règlement, la Cour souligne qu’en l’absence de n’interdit à la Cour d’agir ainsi. De plus, étant donné les
consentement des États-Unis, elle ne saurait avoir responsabilités que la Charte et le Statut qui fait partie
compétence en l’espèce sur cette base, même prima facie. intégrante de celle-ci attribuent à la Cour dans le cadre
général du maintien de la paix et de la sécurité, une telle
La Cour conclut qu’elle «n’a manifestement pas déclaration relève des pouvoirs implicites que possède la
compétence pour connaître de la requête de la Cour dans l’exercice de sa fonction judiciaire. La Cour, à
Yougoslavie» et qu’elle «ne saurait dès lors indiquer l’évidence, n’a pas saisi l’occasion de jouer le rôle qu’on
quelque mesure conservatoire que ce soit». Elle ajoute que
«dans un système de juridiction consensuelle, maintenir au attend d’elle pour le maintien de la paix et de la sécurité
rôle général une affaire sur laquelle il apparaît certain que la lorsque le besoin s’en fait le plus sentir.
De plus, contrairement à ce qu’elle a fait dans la
Cour ne pourra se prononcer au fond ne participerait récente affaire LaGrand (Allemagne c. États-Unis
assurément pas d’une bonne administration de la justice ». d’Amérique), dans une situation présentant un moindre
La Cour rappelle enfin qu’il «existe une distinction
fondamentale entre la questio n de l’acceptation par un État degré d’urgence que celle dont elle est actuellement saisie,
de la juridiction de la Cour et la compatibilité de certains la Cour n’a pas exercé, ainsi que le lui avait demandé la
Yougoslavie, le pouvoir de se prononcer d’office sur la
actes avec le droit internati onal ». « [L]a compétence exige demande en indication de mesures conservatoires de celle-
le consentement; la compatibilité ne peut être appréciée que ci, sur la base du paragraphe 1 de l’article 75 de son
quand la Cour examine le fond, après avoir établi sa règlement.
compétence et entendu les deux parties faire pleinement
valoir leurs moyens en droit ». Elle souligne que « les États, Pour ces motifs, M.Shi se voit dans l’obligation de
qu’ils acceptent ou non la juridi ction de la Cour, demeurent voter contre le paragraphe 1 du dispositif des six
ordonnances.
132 Déclaration du juge Koroma leurs obligations en vertu de la Charte des Nations Unies.
Ce pouvoir découle de sa responsabilité qui est d’être la
Dans sa déclaration, M.Koroma fait observer qu’il
s’agit peut-être des affaires les plus graves dont la Cour ait gardienne du droit international ainsi que de considérations
jamais été saisie, s’agissant de l’indication de mesures essentielles d’ordre public. L’autorité d’un tel appel de la
conservatoires. Il relève que ces mesures, selon la «Cour mondiale», qui se situerait dans le droit fil des
dispositions de l’Article 41 de son Statut, du paragraphe 4
jurisprudence, ont pour objet de prévenir la violence et le de l’article 74 et du paragraphe 1 de l’article 75 de son
recours à l’emploi de la force, de sauvegarder la paix et la règlement, pourrait avoir pour effet de donner à réfléchir
sécurité internationales ainsi que de jouer un rôle important aux Parties engagées dans un conflit militaire sans précédent
dans le mécanisme de règlement des différends que prévoit
la Charte des Nations Unies. Aussi l’indication de telles dans l’histoire de l’Europe depuis la fin de la Seconde
mesures est-elle, selon lui, l’une des fonctions les plus Guerre mondiale.
La Cour était instamment priée de faire prévaloir la
importantes de la Cour. règle de droit dans le contexte de violations flagrantes sur
Mais l’octroi de telles mesures, souligne M.Koroma, une grande échelle du droit international, y compris de la
ne peut se faire qu’en conformité avec le Statut de la Cour.
À cet égard et compte tenu de sa jurisprudence, la Cour ne Charte des NationsUnies. Au lieu d’agir avec diligence et,
fera pas droit à une demande en indication de mesures si nécessaire, en sa qualité de « principale gardienne du droit
conservatoires lorsqu’elle n’a pas compétence prima facie international », la majorité de la Cour, plus d’un mois après
que les demandes ont été présentées, les a rejetées d’emblée
ou lorsque d’autres circonstances s’opposent à leur à l’égard de l’ensemble des affaires qui avaient été
prononcé. soumises, y compris celles dans lesquelles la compétence
Il estime toutefois que la Cour, organe judiciaire prima facie de la Cour aurait clairement pu être établie. En
principal des Nations Unies dont la principale raison d’être
demeure le maintien de la paix et de la sécurité outre, cette décision a été prise dans une situation dans
laquelle l’intensification délibérée des bombardements des
internationales, a une obligation claire et nette de contribuer zones les plus fortement peuplées continue de causer sans
au maintien de la paix et de la sécurité internationales et de répit des pertes en vies humaines parmi les non-combattants
fournir le cadre judiciaire, qui doit permettre de résoudre un ainsi que des maux physiques et psychologiques à la
conflit juridique, tout particulièrement lorsque celui-ci non population dans l’ensemble de la Yougoslavie.
seulement menace la paix et la sécurité internationales mais
engendre aussi des souffrances humaines énormes et des Pour les raisons qui précèd ent, M.Vereshchetin ne
pertes en vies humaines qu’on ne cesse de déplorer. C’est peut souscrire à l’inaction de la Cour à cet égard, bien qu’il
concède que, dans certaines des affaires introduites par le
pourquoi il se joint aux autres membres de la Cour pour demandeur, la base de compétence de la Cour, à ce stade de
appeler à un règlement pacifique du conflit conformément à la procédure, peut susciter le doute, et que dans le cas de
l’Article 33 de la Charte et pour exhorter les Parties à ne pas l’Espagne et des États-Unis, elle est inexistante.
aggraver ni étendre le différ end et à respecter le droit
international, y compris le droit humanitaire et les droits de
l’homme de tous les citoyens yougoslaves. Opinion individuelle du juge Oda
M.Oda appuie la décision de la Cour de rejeter les
Déclaration du juge Vereshchetin demandes en indication de mesures conservatoires
présentées par la République fédérale de Yougoslavie contre
Les circonstances extraord inaires dans lesquelles la les dix États défendeurs. M.Oda approuve la décision de la
Yougoslavie a présenté sa demande en indication de Cour de rayer de son rôle gé néral les affaires relatives à
mesures conservatoires imposaient la nécessité de réagir l’Espagne et aux États-Unis, mais, dans les huit autres
immédiatement. La Cour aurait dû exprimer sa profonde
préoccupation devant les événements douloureux, les pertes affaires, il a voté contre le paragraphe du dispositif de
en vies humaines et les graves violations du droit l’ordonnance par lequel la Cour a indiqué qu’elle
international qui se produisaient et qui, lorsque la demande «[r]éserv[ait] la suite de la procédure», car il estime que
ces huit affaires devraient aussi être rayées du rôle général
a été déposée, étaient déjà une question de notoriété de la Cour à ce stade de la procédure.
publique. Il n’est pas convenable que l’organe judiciaire
principal des Nations Unies, dont la raison d’être est Selon M. Oda, la République fédérale de Yougoslavie
d’apporter une solution pacifique aux différends n’est pas membre des Nations Unies et n’est pas en
internationaux, garde le silence dans une telle situation. conséquence partie au Statut de la Cour internationale de
Même si, en fin de compte, la Cour parvient à la conclusion Justice. Pour ce seul motif, la Cour aurait dû conclure à
l’irrecevabilité des requêtes présentées par la République
que, à cause des contraintes que lui impose son Statut, elle fédérale de Yougoslavie, qui de ce fait auraient dû être
ne peut pas indiquer de mesures conservatoires en bonne et rayées du rôle général de la Cour.
due forme conformément aux dispositions de l’Article 41 du
Statut à l’égard de l’un ou l’ autre des États défendeurs, la Il examine toutefois ensuite la question de savoir si la
Cour a le pouvoir inhérent, à tout le moins, d’enjoindre République fédérale de Yougoslavie aurait pu présenter les
immédiatement aux Parties de ne rien faire qui puisse requêtes dans ces affaires sur le fondement de certains
aggraver ou étendre le conflit et d’agir conformément à instruments juridiques, à supposer que celle-ci puisse être
133considérée comme partie au Statut. Après avoir examiné aurait dû avoir le droit de désigner autant de juges ad hoc
i)le sens de la clause facultative du Statut de la Cour; ii)le pour prendre place sur le sièg e, étant donné qu’il faut
contexte des traités conclus en 1930 et 1931 avec la assurer une égalité entre l’État demandeur et les États
Belgique et les Pays-Bas respectivement; et iiil)a défendeurs qui comptent un juge de leur nationalité sur le
Convention sur le génocide de 1948, il conclut qu’aucun de siège et qui font cause commune. Le droit naturel à une
ces instruments ne confère à la Cour compétence pour représentation égale au sein de la Cour, traduction du
connaître de l’une ou l’autre de ces dix requêtes. principe fondamental de l’égalité des parties, signifie
concrètement que la République fédérale de Yougoslavie
Tout comme la Cour, M. Oda pense que celle-ci doit, aurait dû avoir le droit de désigner cinq juges ad hoc car
faute de disposer d’une base de compétence, rejeter les
demandes en indication de mesures conservatoires dans les cinq des dix États défendeurs (les États-Unis, le Royaume-
dix instances. La Cour ayant décidé qu’elle n’a pas Uni, la France, l’Allemagne et les Pays-Bas) comptent sur le
compétence pour connaître de ces affaires, fût-ce prima siège un juge de leur nationalité.
facie, cela ne peut signifier, selon lui, qu’elle n’a aucune Concurremment, si l’on suit la jurisprudence constante
compétence que ce soit à l’égard de ces affaires. Il s’ensuit, de la Cour, aucun des États défendeurs n’a le droit de
selon M.Oda, que les requêtes doivent être rejetées à ce désigner un juge ad hoc (Juridiction territoriale de la
stade de la procédure non seulement dans les affaires commission internationale de l’Oder; Régime douanier
concernant l’Espagne et les États-Unis où la Cour conclut à entre l’Allemagne et l’Autriche).
son incompétence manifeste, mais aussi dans toutes les Point n’est besoin de souligner la très grande
autres affaires puisqu’elle a relevé qu’elle n’avait même pas importance des questions susmentionnées, car il est évident
compétence prima facie. qu’elles ne voient pas leurs effets se limiter à la procédure,
M.Oda signale aussi que la distinction opérée par la mais qu’elles peuvent aussi avoir des conséquences
Cour entre les requêtes –qui ont pratiquement le même concrètes d’une portée considérable.
objet– résulte simplement des positions différentes que les Selon M.Kreca, la Cour a accordé une grande
États ont pu adopter à l’égard des divers documents qu’il y a importance au critère de l’impératif humanitaire dans sa
lieu d’appliquer pour déterminer la compétence de la Cour. jurisprudence récente relativ e à l’indication de mesures
Or cette distinction aboutira à un résultat différent pour la
conservatoires, en particulier dans les affaires touchant
suite de la procédure dans chacune de ces instances. Pour directement des personnes physiques. Par sa seule force, ce
M.Oda, il s’agit là d’une situation illogique, qui étaye sa critère a permis d’écarter certaines règles pertinentes tant de
conviction que les dix affaires au raient dû être rejetées à ce procédure que de fond qui s’appliquaient à l’indication de
stade de la procédure, pour la totalité de leurs éléments. mesures conservatoires (voir par exemple l’affaire
LaGrand). Ainsi, les considératio ns d’ordre humanitaire,
indépendamment des normes du droit international en
Opinion individuelle du juge Parra-Aranguren
MP. arra-Aranguren rappelle que l’article 79 du matière de droits de l’homme et de libertés, ont d’une
Règlement de la Cour prévoit que toute exception à la certaine manière acquis une signification juridique
autonome; elles ont échappé à la sphère de la morale et de la
compétence de la Cour, de la part du défendeur, doit être philanthropie pour pénétrer dans le domaine du droit.
présentée par écrit dans le délai fixé pour le dépôt du contre- Dans la présente instance, il semble que l’«impératif
mémoire. La Cour statue sur de telles exceptions
préliminaires ainsi qu’il est prévu au paragraphe 7 de humanitaire » ait perdu la position juridique autonome qu’il
l’article 79. La Cour n’a pas le pouvoir discrétionnaire de avait ainsi acquise. Ce fait doit être souligné étant donné les
s’écarter des règles arrêtées par cet article. Or la présente circonstances particulières de l’espèce. À la différence des
instance n’est pas encore parvenue au stade où le défendeur affaires jugées récemment par la Cour, l’«impératif
humanitaire» dont il est question ici a pour objet le sort
peut présenter des exceptions préliminaires. Aussi M. Parra- d’une nation entière, au sens littéral. La République fédérale
Aranguren estime-t-il que, lorsqu’elle statue sur une de Yougoslavie et les groupes nationaux et ethniques qui la
demande en indication de mesures conservatoires, la Cour
ne peut ni rendre d’arrêt définitif sur la compétence ni composent sont soumis depuis maintenant plus de deux
ordonner la radiation de l’affaire de son rôle. mois à des attaques continues de la part d’une «armada»
aérienne redoutable et très organisée, commandée par les
États les plus puissants de la terre. De plus, l’arsenal utilisé
Opinion dissidente de M. Kreca, juge ad hoc dans les attaques dirigées contre la Yougoslavie comprend
Dans son opinion dissidente, M.Kreca met l’accent des armes dont les effets ne sont limités ni dans l’espace ni
dans le temps, comme l’uranium appauvri, qui causent des
sur les points suivants :
MK. reca estime qu’aucune des fonctions de dommages irréparables et d’une portée considérable à la
l’institution du juge ad hoc visant à assurer l’égalité au sein santé de l’ensemble de la population.
de la Cour n’a été respectée dans ce cas particulier. Il M.Kreca fait valoir que les première et deuxième
découle de la lettre et de l’esprit du paragraphe 2 de «déclarations interprétatives» formulées par les États-Unis
à l’égard de l’article II sont en réalité des réserves
l’Article 31 du Statut de la Cour, si on l’applique au cas
d’espèce, que la Yougoslavie, en tant qu’État demandeur, incompatibles avec l’objet et le but de la Convention sur le
134génocide. Plus précisément, les articles II, III et IV de la peut mener à la « soumission ... du groupe à des conditions
Co nvention sur le génocide, à tout le moins, appartiennent d’existence » qui entraînent « sa destruction physique »
au jus cogens. Les normes du jus cogens sont prééminentes; (Convention sur le génocide, art. II).
ellesont donc pour effet de frapper de nullité tout acte, qu’il Certes, précise M. Kreca, il peut être soutenu que les
soit unilatéral, bilatéral ou multilatéral, qui n’est pas en actes de cette nature servent à affaiblir les capacités
conformité avec elles. Cette conclusion logique, fondée sur mi litaires de la République fédérale de Yougoslavie. On ne
la nature impérative ou absolument obligatoire des normes saurait toutefois considérer cette explication comme un
du jus cogens qui expriment dans le domaine normatif les
valeurs fondamentales de l’ensemble de la communauté argument sérieux. En effet, on risque facilement d’être
amené à soutenir, si on se laisse emporter par cette
internationale, a notamment été confirmée dans les affaires argumentation, que la puissance militaire se compose après
du Plateau continental de la mer du Nord. La seule façon tout de personnes, et que le fait de tuer sur une grande
d’écarter la sanction de la nullité en ce qui concerne la échelle des civils peut être tenu pour une sorte de mesure de
réserve des États-Unis à l’égard de l’article IX de la précaution visant à empêcher le maintien ou, en cas de
Convention sur le génocide est peut-être l’interprétation mobilisation, l’accroissement de la puissance militaire d’un
selon laquelle la nullité ne frappe que les « déclarations
État.
interprétatives » et qu’elle n’a pas d’incidence juridique sur M. Kreca rappelle en outre que, dans le cadre de
la réserve elle-même. Cependant, une telle interprétation procédures incidentes, la Cour ne peut et ne doit pas se
seraitcontraire au principe fondamental d’indivisibilité des soucier d’établir s’il y a effectivement intention d’imposer à
actes en contradiction avec la norme du jus cogens, qui est un groupe des conditions qui menacent sa survie. Eu égard à
énoncé au paragraphe 5 de l’article 44 de la Convention de
Vienne sur le droit des traités. l’objet des mesures conservatoires, on peut dire qu’à ce
stade de la procédure il suffit de démontrer que, lors de
M. Kreca est d’avis que l’emploi de la force armée à bo mbardements à grande échelle, il existe un risque objectif
grande échelle, particulièrement à l’encontre d’objets et de que soient créées des conditions dans lesquelles la survie du
moyens qui sont des éléments essentiels d’une vie normale, group e est menacée.
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Résumé de l'ordonnance du 2 juin 1999