Application de la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie)
VUE D'ENSEMBLE DE L'AFFAIRE
Le 12 août 2008, la République de Géorgie a introduit une instance devant la Cour contre la Fédération de Russie concernant les « actes commis [par celle‑ci] sur le territoire de la Géorgie et dans les environs, en violation de la CIEDR [convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale de 1965] ». La Géorgie a soutenu que la Fédération de Russie,
« en raison des actions commises par l’intermédiaire de ses organes et agents d’Etat, et d’autres personnes et entités exerçant une autorité gouvernementale, et par l’intermédiaire des forces séparatistes d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie et d’autres agents agissant sur ses instructions et sous sa direction et son contrôle, s’[était] rendue responsable de violations graves des obligations fondamentales que lui impose la CIEDR, notamment aux articles 2, 3, 4, 5 et 6 ».
Elle a invoqué, comme base de compétence de la Cour, l’article 22 de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
La requête de la Géorgie était accompagnée d’une demande en indication de mesures conservatoires à l’effet de sauvegarder les droits qu’elle tenait de la CIEDR « s’agissant de protéger ses ressortissants des violences à caractère discriminatoire que leur inflige[aie]nt les forces armées russes opérant de concert avec les milices séparatistes et des mercenaires étrangers ».
Le 15 août 2008, eu égard à la gravité de la situation, le président de la Cour, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 74 du Règlement, a invité instamment les Parties « à agir de manière que toute ordonnance de la Cour sur la demande en indication de mesures conservatoires puisse avoir les effets voulus ».
A la suite d’audiences publiques qui se sont tenues du 8 au 10 octobre 2008, la Cour a rendu une ordonnance sur la demande en indication de mesures conservatoires présentée par la Géorgie. Elle a conclu qu’elle avait prima facie compétence en vertu de l’article 22 de la CIEDR pour connaître de l’affaire et elle a ordonné aux Parties
« en Ossétie du Sud, en Abkhazie et dans les régions géorgiennes adjacentes, … [de] s’abstenir de tous actes de discrimination raciale contre des personnes, des groupes de personnes ou des institutions, … [de] s’abstenir d’encourager, de défendre ou d’appuyer toute discrimination raciale pratiquée par une personne ou une organisation quelconque, … [de] faire tout ce qui [était] en leur pouvoir … afin de garantir, sans distinction d’origine nationale ou ethnique, i) la sûreté des personnes, ii) le droit de chacun de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat, iii) la protection des biens des personnes déplacées et des réfugiés [et de] faire tout ce qui [était] en leur pouvoir afin de garantir que les autorités et les institutions publiques se trouvant sous leur contrôle ou sous leur influence ne se livrent pas à des actes de discrimination raciale à l’encontre de personnes, groupes de personnes ou institutions ».
La Cour a également indiqué que « [c]haque Partie s’abstiendra[it] de tout acte qui risquerait de porter atteinte aux droits de l’autre Partie au regard de tout arrêt que la Cour pourrait rendre en l’affaire, ou qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend porté devant elle ou d’en rendre la solution plus difficile ». Enfin, la Cour a ordonné à chaque partie « [de l’]informer de la manière dont elle assur[ait] l’exécution des mesures conservatoires ».
Le 1er décembre 2009, la Fédération de Russie a déposé quatre exceptions préliminaires d’incompétence.
Dans son arrêt du 1er avril 2011, la Cour a commencé par examiner la première exception préliminaire de la Fédération de Russie, qui consistait à dire qu’il n’existait entre les deux Etats aucun différend touchant l’interprétation ou l’application de la CIEDR à la date à laquelle la Géorgie avait déposé sa requête. Elle a conclu qu’aucun des documents ou déclarations fournis ne permettait d’établir qu’un différend concernant des actes de discrimination raciale avait existé en juillet 1999. La Cour a cependant conclu que les échanges qui ont eu lieu le 10 août 2008 entre les représentants de la Géorgie et de la Fédération de Russie au Conseil de sécurité, les accusations formulées les 9 et 11 août par le président de la Géorgie et la réponse qui leur a été donnée le 12 août par le ministre russe des affaires étrangères attestaient que, ce jour‑là, c’est‑à‑dire le jour où la Géorgie a déposé sa requête, un différend relatif au respect par la Fédération de Russie de ses obligations en vertu de la CIEDR invoquées par la Géorgie existait entre ces deux Etats. La première exception préliminaire soulevée par la Fédération de Russie a donc été rejetée.
Dans sa deuxième exception préliminaire, la Fédération de Russie a fait valoir que les exigences de procédure relatives à la saisine de la Cour, posées à l’article 22 de la CIEDR, n’avaient pas été respectées. Aux termes de cette disposition, « [t]out différend entre deux ou plusieurs Etats parties touchant l’interprétation ou l’application de la présente convention qui n’aura pas été réglé par voie de négociation ou au moyen des procédures expressément prévues par ladite convention sera porté, à la requête de toute partie au différend, devant la Cour internationale de Justice pour qu’elle statue à son sujet, à moins que les parties au différend ne conviennent d’un autre mode de règlement. » La Cour a tout d’abord fait observer que la Géorgie n’avait pas prétendu que, avant de la saisir, elle avait eu recours, ou tenté d’avoir recours, aux procédures expressément prévues par la CIEDR. Aussi a‑t‑elle limité son examen à la question de savoir s’il avait été satisfait à la condition préalable de négociation.
En déterminant ce qui constitue des négociations, la Cour a observé que celles‑ci se distinguaient de simples protestations ou contestations.
La Cour a relevé que des négociations avaient bien eu lieu entre la Géorgie et la Fédération de Russie avant la naissance du différend. Toutefois, en l’absence de différend sur des questions relevant de la CIEDR avant le 9 août 2008, lesdites négociations ne sauraient être réputées avoir porté sur ces questions et, dès lors, étaient dénuées de pertinence pour l’examen de la deuxième exception préliminaire de la Fédération de Russie auquel la Cour procédait. La Cour a donc conclu qu’il n’avait été satisfait à aucune des conditions énoncées à l’article 22 de la CIEDR, lequel ne saurait donc fonder sa compétence en l’affaire. En conséquence, la deuxième exception préliminaire de la Fédération de Russie a été retenue.
Ayant retenu la deuxième exception préliminaire de la Fédération de Russie, la Cour a conclu qu’elle n’avait pas à se pencher ni à se prononcer sur les autres exceptions à sa compétence soulevées par le défendeur, et qu’elle ne pouvait pas connaître du fond de l’affaire. En conséquence, l’ordonnance du 15 octobre 2008 indiquant des mesures conservatoires a cessé de produire ses effets dès le prononcé de l’arrêt de la Cour.
Cette vue d’ensemble de l’affaire est donnée uniquement à titre d’information et n’engage en aucune façon la Cour.