Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro)
VUE D'ENSEMBLE DE L'AFFAIRE
Le 20 mars 1993, la République de Bosnie-Herzégovine a déposé une requête introductive d’instance contre la République fédérative de Yougoslavie au sujet d’un différend concernant d’une part une série de violations alléguées de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1948, et d’autre part diverses questions qui, selon la Bosnie-Herzégovine, seraient liées à ces violations. La requête invoque comme base de compétence l’article IX de la convention sur le génocide. Ultérieurement ont été également invoquées par la Bosnie-Herzégovine certaines bases supplémentaires de compétence.
Le 20 mars 1993, dès après le dépôt de sa requête, la Bosnie-Herzégovine a présenté une demande en indication de mesures conservatoires en vertu de l’article 41 du Statut et, le 1er avril 1993, la Yougoslavie a présenté des observations écrites sur la demande de mesures conservatoires de la Bosnie-Herzégovine, dans lesquelles elle a à son tour recommandé à la Cour d’indiquer à la Bosnie-Herzégovine des mesures conservatoires. Par une ordonnance du 8 avril 1993, la Cour, après avoir entendu les Parties, a indiqué certaines mesures à l’effet de protéger des droits conférés par la convention sur le génocide. Le 27 juillet 1993, la Bosnie‑Herzégovine a présenté une nouvelle demande en indication de mesures conservatoires et, le 10 août 1993, la Yougoslavie a également présenté une demande en indication de mesures conservatoires. Par une ordonnance du 13 septembre 1993, la Cour, après avoir entendu les Parties, a réaffirmé les mesures indiquées dans son ordonnance du 8 avril 1993 et a déclaré que ces mesures devaient être immédiatement et effectivement mises en œuvre. Puis, dans le délai prorogé au 30 juin 1995 pour le dépôt de son contre-mémoire, la Yougoslavie, se référant au paragraphe 1 de l’article 79 du Règlement, a présenté des exceptions préliminaires portant et sur la recevabilité de la requête et sur la compétence de la Cour pour connaître de l’affaire.
Dans son arrêt du 11 juillet 1996, la Cour a rejeté les exceptions préliminaires soulevées par la Yougoslavie et a dit qu’elle avait compétence pour statuer sur le différend sur la base de l’article IX de la convention sur le génocide, écartant les bases complémentaires de compétence invoquées par la Bosnie-Herzégovine. Elle a notamment constaté que ladite convention liait les deux Parties et qu’il existait entre celles‑ci un différend d’ordre juridique entrant dans les dispositions de l’article IX.
Par une ordonnance du 23 juillet 1996, le président de la Cour a fixé au 23 juillet 1997 la date limite pour le dépôt par la Yougoslavie de son contre-mémoire sur le fond. Ce dernier a été déposé dans le délai prescrit et contenait des demandes reconventionnelles par lesquelles la Yougoslavie priait notamment la Cour de dire et juger que la Bosnie‑Herzégovine était responsable d’actes de génocide commis contre les Serbes en Bosnie‑Herzégovine et d’autres violations établies par la convention sur le génocide. La Bosnie‑Herzégovine ayant contesté la recevabilité desdites demandes reconventionnelles au regard du paragraphe 1 de l’article 80 du Règlement, la Cour s’est prononcée sur la question, déclarant, dans son ordonnance du 17 décembre 1997, que les demandes reconventionnelles étaient recevables comme telles et faisaient partie de l’instance en cours. Une réplique de la Bosnie-Herzégovine et une duplique de la Yougoslavie ont été par la suite déposées dans les délais impartis par la Cour et son président. Au cours des années 1999 et 2000, divers échanges de correspondance sont intervenus au sujet de nouvelles difficultés de procédure apparues dans l’instance. En avril 2001, la Yougoslavie a informé la Cour qu’elle entendait retirer ses demandes reconventionnelles. La Bosnie‑Herzégovine n’ayant soulevé aucune objection à cet égard, le président de la Cour, par ordonnance du 10 septembre 2001, a pris acte du retrait par la Yougoslavie des demandes reconventionnelles qu’elle avait présentées dans son contre-mémoire. Le 4 mai 2001, la Yougoslavie a soumis à la Cour un document intitulé « Initiative présentée à la Cour aux fins d’un réexamen ex officio de sa compétence », dans lequel elle faisait valoir que la Cour n’était pas compétente ratione personae à l’égard de la Serbie-et-Monténégro et, en second lieu, priait respectueusement la Cour de « surseoir à statuer sur le fond tant qu’elle ne se ser[ait] pas prononcée sur la [présente] demande », autrement dit sur la question de compétence ainsi soulevée. Le 1er juillet 2001, elle a également déposé une demande en revision de l’arrêt du 11 juillet 1996 que la Cour a jugée irrecevable par arrêt du 3 février 2003. Dans une lettre datée du 12 juin 2003, le greffier a fait connaître aux Parties à l’affaire la décision de la Cour selon laquelle elle ne pouvait pas surseoir à statuer sur le fond ainsi que le défendeur l’en avait priée.
A la suite d’audiences publiques tenues entre le 27 février 2006 et le 9 mai 2006, la Cour a rendu son arrêt au fond le 26 février 2007. Elle a commencé par examiner les nouvelles questions relatives à la compétence soulevées par le défendeur et découlant de son admission en 2001 en qualité de nouveau membre de l’Organisation des Nations Unies. La Cour a affirmé qu’elle avait compétence sur la base de l’article IX de la convention sur le génocide, estimant, en particulier, que son arrêt de 1996 — dans lequel elle s’était déclarée compétente sur cette base — bénéficiait du principe « fondamental » de l’autorité de chose jugée qui garantit « la stabilité des relations juridiques » et qu’il était dans l’intérêt de chacune des parties « qu’une affaire qui a[vait] d’ores et déjà été tranchée en sa faveur ne soit pas rouverte ». La Cour a ensuite procédé à des constatations de fait détaillées sur la matérialité des atrocités alléguées et, dans le cas où celles‑ci seraient établies, si elles pouvaient être qualifiées de génocide. Après avoir déterminé que des meurtres de masse et d’autres atrocités avaient été perpétrés au cours du conflit dans l’ensemble du territoire de la Bosnie‑Herzégovine, la Cour a conclu que ces actes n’étaient pas accompagnés de l’intention spécifique qui caractérise le crime de génocide, à savoir l’intention de détruire le groupe protégé, en tout ou en partie. La Cour a néanmoins jugé que les meurtres commis à Srebrenica en juillet 1995 l’avaient été avec l’intention spécifique de détruire en partie le groupe des Musulmans de Bosnie‑Herzégovine présents dans ce secteur et que les événements intervenus à cet endroit constituaient effectivement un génocide. La Cour a conclu à l’existence de preuves corroborées indiquant que la décision de tuer la population masculine adulte de la communauté musulmane de Srebrenica avait été prise par des membres de l’état‑major de la VRS (l’armée de la Republika Srpska). Cependant, les éléments de preuve soumis à la Cour ne démontraient pas que les actes de la VRS pouvaient être attribués au défendeur selon les règles du droit international de la responsabilité des Etats. Néanmoins, la Cour a conclu que la République de Serbie avait violé l’obligation de prévenir le génocide de Srebrenica que lui imposait l’article premier de la convention sur le génocide. Elle a fait observer que cette obligation requiert des Etats ayant connaissance, ou devant normalement avoir connaissance, de l’existence d’un risque sérieux de commission d’actes de génocide de mettre en œuvre tous les moyens qui sont raisonnablement à leur disposition en vue d’empêcher le génocide, dans les limites de ce que leur permet la légalité internationale.
La Cour a ajouté que le défendeur avait violé son obligation de punir les auteurs du génocide, notamment en manquant de coopérer pleinement avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) au sujet du transfert du général Ratko Mladić pour y être jugé. Ce manquement constituait une violation des obligations incombant au défendeur en vertu de l’article VI de la convention sur le génocide.
S’agissant de la demande de réparation formée par la Bosnie-Herzégovine, la Cour a conclu que, dès lors qu’il n’avait pas été prouvé que le génocide de Srebrenica aurait été effectivement empêché si la Serbie avait tenté de le prévenir, l’indemnisation n’apparaissait pas comme le moyen approprié de réparer le manquement à l’obligation de prévenir le génocide à Srebrenica. Elle a considéré que la forme de réparation la plus appropriée consistait à faire figurer dans le dispositif de l’arrêt une déclaration indiquant que la Serbie avait manqué de se conformer à l’obligation de prévenir le crime de génocide. En ce qui concerne l’obligation de punir les actes de génocide, la Cour a dit qu’inclure dans le dispositif une déclaration indiquant que la Serbie avait violé les obligations lui incombant en vertu de la convention, et qu’elle devait encore transférer au TPIY les personnes accusées de génocide et coopérer pleinement avec ledit Tribunal, constituait une satisfaction appropriée.
Cette vue d’ensemble de l’affaire est donnée uniquement à titre d’information et n’engage en aucune façon la Cour.