Timor oriental (Portugal c. Australie)
VUE D'ENSEMBLE DE L'AFFAIRE
Le 22 février 1991, le Portugal a déposé une requête introductive d’instance contre l’Australie au sujet de « certains agissements de l’Australie se rapportant au Timor oriental », en rapport avec la conclusion entre l’Australie et l’Indonésie, le 11 décembre 1989, d’un traité créant une zone de coopération dans un secteur maritime situé entre « la province indonésienne du Timor oriental et l’Australie septentrionale ». Selon la requête, l’Australie aurait, par son comportement, méconnu l’obligation de respecter les devoirs et les compétences du Portugal en tant que puissance administrante du Timor oriental et le droit du peuple du Timor oriental à disposer de lui-même. En conséquence, d’après la requête, l’Australie aurait engagé sa responsabilité internationale, tant à l’égard du peuple du Timor oriental que du Portugal. Pour fonder la compétence de la Cour, la requête fait référence aux déclarations par lesquelles les deux Etats ont accepté la juridiction obligatoire de la Cour ainsi qu’il est prévu au paragraphe 2 de l’article 36 de son Statut. Dans son contre-mémoire, l’Australie a soulevé des questions relatives à la compétence de la Cour et à la recevabilité de la requête.
La Cour a rendu son arrêt le 30 juin 1995. Elle a tout d’abord examiné l’exception de l’Australie selon laquelle il n’existerait pas véritablement de différend entre l’Australie et le Portugal. L’Australie soutenait en effet que l’affaire, telle que présentée par le Portugal, était artificiellement limitée à la question de la licéité du comportement de l’Australie et que le véritable défendeur était l’Indonésie, et non l’Australie. Elle faisait observer que le Portugal et elle-même avaient accepté la juridiction obligatoire de la Cour conformément au paragraphe 2 de l’article 36 de son Statut, mais que tel n’était pas le cas de l’Indonésie. La Cour a constaté à ce sujet qu’il existait un différend d’ordre juridique entre les deux Etats. La Cour a ensuite fait porter son examen sur l’exception principale de l’Australie, selon laquelle la requête du Portugal obligerait la Cour à se prononcer sur les droits et obligations de l’Indonésie. L’Australie soutenait que la Cour ne pourrait statuer si, pour ce faire, elle était dans l’obligation de se prononcer sur la licéité de l’entrée et du maintien de l’Indonésie au Timor oriental, sur la validité du traité de 1989 entre l’Australie et l’Indonésie, ou sur les droits et obligations de l’Indonésie aux termes dudit traité, même si la Cour n’avait pas à décider de la validité de celui-ci. A l’appui de sa thèse, l’Australie invoquait l’arrêt de la Cour dans l’affaire de l’Or monétaire pris à Rome en 1943.
Après avoir examiné attentivement l’argumentation du Portugal tendant à dissocier le comportement de l’Australie de celui de l’Indonésie, la Cour est parvenue à la conclusion qu’il ne lui serait pas possible de porter un jugement sur le comportement de l’Australie sans examiner d’abord les raisons pour lesquelles l’Indonésie n’aurait pas pu licitement conclure le traité de 1989 alors que le Portugal aurait pu le faire ; l’objet même de la décision de la Cour serait nécessairement de déterminer si, compte tenu des circonstances dans lesquelles l’Indonésie est entrée et s’est maintenue au Timor oriental, elle pouvait ou non acquérir le pouvoir de conclure au nom de celui-ci des traités portant sur les ressources de son plateau continental. La Cour a donc considéré qu’elle ne pouvait rendre une telle décision en l’absence du consentement de l’Indonésie.
La Cour a ensuite rejeté l’argument additionnel avancé par le Portugal selon lequel, les droits que l’Australie aurait violés étant opposables erga omnes, le Portugal pouvait exiger de l’Australie, prise individuellement, le respect de ces droits. A cet égard, la Cour a considéré qu’il n’y avait rien à redire à l’affirmation du Portugal selon laquelle le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est un droit opposable erga omnes. Elle a ajouté que le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes avait été reconnu par la Charte des Nations Unies et dans la jurisprudence de la Cour, et qu’il s’agissait là de l’un des principes essentiels du droit international contemporain. Toutefois, la Cour a estimé que l’opposabilité erga omnes d’une norme et la règle du consentement à la juridiction sont deux choses différentes, et qu’elle ne pouvait en tout état de cause statuer sur la licéité du comportement d’un Etat lorsque la décision à prendre implique une appréciation de la licéité du comportement d’un autre Etat qui n’est pas partie à l’instance.
La Cour a alors examiné un autre argument du Portugal qui reposait sur le postulat que les résolutions de l’Organisation des Nations Unies, et en particulier celles du Conseil de sécurité, pouvaient être lues comme imposant aux Etats l’obligation de ne reconnaître à l’Indonésie aucune autorité à l’égard du Timor oriental et de ne traiter, en ce qui concerne ce dernier, qu’avec le Portugal. Le Portugal prétendait que ces résolutions constitueraient des « données » sur le contenu desquelles la Cour n’aurait pas à statuer de novo. La Cour a pris note notamment du fait que pour les deux Parties le Territoire du Timor oriental demeurait un territoire non autonome et son peuple avait le droit à disposer de lui-même, mais a estimé que lesdites résolutions ne sauraient cependant être considérées comme des « données » constituant une base suffisante pour trancher le différend qui opposait les Parties. Il découle de l’ensemble de ce qui précède que la Cour aurait nécessairement dû statuer, à titre préalable, sur la licéité du comportement de l’Indonésie. Or, les droits et obligations de l’Indonésie auraient dès lors constitué l’objet même de l’arrêt, rendu en l’absence du consentement de cet Etat, ce qui serait allé directement à l’encontre du principe selon lequel « la Cour ne peut exercer sa juridiction à l’égard d’un Etat si ce n’est avec le consentement de ce dernier ». La Cour a en conséquence constaté qu’elle n’avait pas à se pencher sur les autres exceptions de l’Australie et qu’elle ne pouvait se prononcer sur les demandes du Portugal au fond.
Cette vue d’ensemble de l’affaire est donnée uniquement à titre d’information et n’engage en aucune façon la Cour.