Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires
VUE D'ENSEMBLE DE L'AFFAIRE
Par une lettre en date du 19 décembre 1994, enregistrée au Greffe le 6 janvier 1995, le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies a officiellement communiqué au Greffe la décision prise par l’Assemblée générale, par sa résolution 49/75 K adoptée le 15 décembre 1994, de soumettre à la Cour, pour avis consultatif, la question suivante : « Est-il permis en droit international de recourir à la menace ou à l’emploi d’armes nucléaires en toute circonstance ? » La résolution priait la Cour de rendre son avis « dans les meilleurs délais ». Des exposés écrits ont été déposés par vingt-huit Etats, puis des observations écrites sur ces exposés ont été présentées par deux Etats. Au cours de la procédure orale, qui s’est déroulée en octobre et novembre 1995, vingt-deux Etats ont présenté des exposés oraux.
Le 8 juillet 1996, la Cour a rendu son avis consultatif. Après avoir conclu qu’elle avait compétence pour donner un avis sur la question posée et qu’il n’existait aucune raison décisive pour user de son pouvoir discrétionnaire de ne pas donner l’avis, la Cour a déterminé que le droit applicable qui était le plus directement pertinent était le droit relatif à l’emploi de la force, tel que consacré par la Charte des Nations Unies, et le droit applicable dans les conflits armés, ainsi que tous traités concernant spécifiquement l’arme nucléaire que la Cour pourrait considérer comme pertinents.
La Cour a ensuite examiné la question de la licéité ou de l’illicéité d’un recours aux armes nucléaires à la lumière des dispositions de la Charte qui ont trait à la menace ou à l’emploi de la force. Elle a notamment observé que ces dispositions s’appliquent à n’importe quel emploi de la force, indépendamment des armes employées. Elle a mentionné en outre que le principe de proportionnalité ne peut pas, par lui-même, exclure le recours aux armes nucléaires en légitime défense en toutes circonstances. Mais, en même temps, un emploi de la force qui serait proportionné conformément au droit de la légitime défense doit, pour être licite, satisfaire aux exigences du droit applicable dans les conflits armés, dont en particulier les principes et règles du droit humanitaire. Elle a précisé que les notions de « menace » et d’« emploi » de la force au sens de l’article 2, paragraphe 4, de la Charte vont de pair, en ce sens que si, dans un cas donné, l’emploi même de la force est illicite — pour quelque raison que ce soit — la menace d’y recourir le sera également.
La Cour s’est ensuite penchée sur le droit applicable dans les situations de conflit armé. D’un examen du droit coutumier et conventionnel, elle a conclu que l’emploi d’armes nucléaires ne peut pas être regardé comme spécifiquement interdit sur la base de ce droit. Elle n’a par ailleurs pas trouvé d’interdiction spécifique du recours aux armes nucléaires dans les traités qui prohibent expressément l’emploi de certaines armes de destruction massive. La Cour est ensuite passée à l’examen du droit international coutumier à l’effet d’établir si on pouvait tirer de cette source de droit une interdiction de la menace ou de l’emploi des armes nucléaires en tant que telles. Constatant que les membres de la communauté internationale étaient profondément divisés sur le point de savoir si le non-recours aux armes nucléaires pendant les cinquante dernières années constituait l’expression d’une opinio juris, elle n’a pas estimé pouvoir conclure à l’existence d’une telle opinio juris. L’apparition, en tant que lex lata, d’une règle coutumière prohibant spécifiquement l’emploi des armes nucléaires en tant que telles se heurtait aux tensions qui subsistaient entre, d’une part, une opinio juris naissante et, d’autre part, une adhésion encore forte à la pratique de la dissuasion. La Cour s’est ensuite attachée à la question de savoir si le recours aux armes nucléaires devait être considéré comme illicite au regard des principes et règles du droit international humanitaire applicable dans les conflits armés, ainsi que du droit de la neutralité. Elle a mis en exergue deux principes cardinaux : a) le premier établit la distinction entre combattants et non-combattants ; les Etats ne doivent jamais prendre pour cible des civils, ni en conséquence utiliser des armes qui sont dans l’incapacité de distinguer entre cibles civiles et cibles militaires ; b) selon le second, il ne faut pas causer des maux superflus aux combattants ; les Etats n’ont donc pas un choix illimité quant aux armes qu’ils emploient. La Cour a également cité la clause de Martens, selon laquelle les personnes civiles et les combattants restent sous la sauvegarde et sous l’empire des principes du droit des gens, tels qu’ils résultent des usages établis, des principes de l’humanité et des exigences de la conscience publique.
La Cour a indiqué que, si l’applicabilité aux armes nucléaires des principes et règles du droit humanitaire ainsi que du principe de neutralité n’était pas contestée, les conséquences qu’il y avait lieu d’en tirer étaient en revanche controversées. Elle a relevé que, eu égard aux caractéristiques uniques des armes nucléaires, l’utilisation de ces armes n’apparaît guère conciliable avec le respect des exigences du droit applicable dans les conflits armés. La Cour a été amenée à constater que « [a]u vu de l’état actuel du droit international, ainsi que des éléments de fait dont elle dispose, [elle] ne peut cependant conclure de façon définitive que la menace ou l’emploi d’armes nucléaires serait licite ou illicite dans une circonstance extrême de légitime défense dans laquelle la survie même d’un Etat serait en cause ». La Cour a enfin ajouté qu’il existe une obligation de poursuivre de bonne foi et de mener à terme des négociations conduisant au désarmement nucléaire dans tous ses aspects, sous un contrôle international, strict et efficace.
Cette vue d’ensemble de l’affaire est donnée uniquement à titre d’information et n’engage en aucune façon la Cour.