Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad)
VUE D'ENSEMBLE DE L'AFFAIRE
Le 31 août 1990, la Jamahiriya arabe libyenne a procédé à la notification au Greffe d’un accord qu’elle avait conclu le 31 août 1989, à Alger, avec le Tchad, dans lequel il était notamment prévu qu’à défaut d’un règlement politique du différend territorial opposant les deux Etats ceux-ci s’engageaient à soumettre ce différend à la Cour. Le 3 septembre 1990, le Tchad a pour sa part déposé une requête introductive d’instance contre la Jamahiriya arabe libyenne fondée sur l’accord susmentionné et, à titre subsidiaire, sur le traité franco-libyen d’amitié et de bon voisinage du 10 août 1955. Les Parties ont ultérieurement convenu que l’instance avait en fait été introduite par deux notifications successives du compromis que constituait l’accord d’Alger. La procédure écrite a donné lieu au dépôt, par chacune des Parties, d’un mémoire, d’un contre-mémoire et d’une réplique, accompagnés de volumineuses annexes, et la procédure orale s’est déroulée aux mois de juin et de juillet 1993.
La Cour a rendu son arrêt le 3 février 1994. La Cour a tout d’abord relevé que la Libye considérait qu’il n’existait pas de frontière et demandait à la Cour d’en déterminer une. Quant au Tchad, il considérait qu’il existait une frontière et demandait à la Cour de dire quelle était cette frontière. La Cour a ensuite évoqué les lignes revendiquées par le Tchad et par la Libye, telles qu’indiquées sur le croquis no 1 reproduit dans l’arrêt ; la Libye fondait sa revendication sur une imbrication de droits et de titres : ceux des populations autochtones, ceux de l’Ordre senoussi, ceux de l’Empire ottoman, ceux de l’Italie et enfin ceux de la Libye elle-même ; le Tchad revendiquait une frontière sur la base du traité susmentionné de 1955 ; subsidiairement, le Tchad se fondait sur les effectivités françaises, que ce soit en relation avec les traités antérieurs ou indépendamment de ceux-ci.
La Cour a observé que les deux Parties reconnaissent que le traité de 1955 entre la France et la Libye constituait le point de départ logique de l’examen des questions portées devant elle. Aucune des Parties ne mettait en question la validité de ce traité, et la Libye ne contestait pas davantage le droit du Tchad d’invoquer contre elle toute disposition du traité concernant les frontières du Tchad. L’une des questions spécifiquement visées était celle des frontières, celles-ci faisant l’objet de l’article 3 et de l’annexe I. La Cour a relevé que, si une frontière résultait de ces dispositions, il était de ce fait répondu aux questions soulevées par les Parties. L’article 3 prévoit que la France et la Libye reconnaissent que les frontières séparant, entre autres, les territoires de l’Afrique équatoriale française du territoire de la Libye sont celles qui résultent d’un certain nombre d’actes internationaux en vigueur à la date de la constitution du Royaume-Uni de Libye et reproduits à l’annexe I au traité. De l’avis de la Cour, il ressortait des termes du traité que les Parties reconnaissaient que l’ensemble des frontières entre leurs territoires respectifs résultait de l’effet conjugué de tous les actes définis à l’annexe I. En concluant le traité, les parties ont reconnu les frontières auxquelles le texte de ce traité se référait ; la tâche de la Cour était donc de déterminer le contenu exact de l’engagement ainsi pris. La Cour a précisé à cet égard que rien n’empêchait les parties au traité de décider d’un commun accord de considérer une certaine ligne comme une frontière, quel qu’ait été son statut antérieur. S’il s’agissait déjà d’une frontière, celle-ci était purement et simplement confirmée
Pour la Cour, et contrairement à ce qu’alléguait la Jamahiriya arabe libyenne, il était clair que les parties étaient d’accord pour considérer ces actes comme étant en vigueur aux fins de l’article 3 car, dans le cas contraire, elles ne les auraient pas fait figurer à l’annexe. Etant parvenue à la conclusion que les parties contractantes avaient entendu, par le traité de 1955, définir leur frontière commune, la Cour a examiné quelle était cette frontière. Elle a donc procédé à l’étude minutieuse des instruments pertinents en l’espèce, à savoir : a) à l’est de la ligne du 16e degré de longitude, la déclaration franco-britannique de 1899 — qui définit une ligne limitant la zone (ou sphère d’influence) française au nord-est vers l’Egypte et la vallée du Nil, déjà sous contrôle britannique — et la convention entre la France et la Grande-Bretagne, signée à Paris le 8 septembre 1919 — qui résout la question de l’emplacement de la limite de la zone française au titre de la déclaration de 1899 ; b) à l’ouest de la ligne du 16e méridien, l’accord franco-italien (échange de lettres) du 1er novembre 1902 — qui renvoie à la carte annexée à la déclaration du 21 mars 1899. La Cour a précisé que ladite carte ne pouvait être que celle du Livre jaune publié par les autorités françaises en 1899 et sur laquelle figurait une ligne en pointillé indiquant la frontière de la Tripolitaine.
La Cour a ensuite décrit la ligne qui résulte de ces actes internationaux pertinents. Examinant les attitudes adoptées ultérieurement, à l’égard de la question des frontières, par les Parties, elle est arrivée à la conclusion que celles-ci avaient reconnu l’existence d’une frontière déterminée et avaient agi en conséquence. Se référant enfin à la disposition du traité de 1955 selon laquelle celui-ci avait été conclu pour une durée de vingt années, et qu’il pouvait y être mis fin unilatéralement, la Cour a indiqué que ledit traité devait être considéré comme ayant établi une frontière permanente, et observé que lorsqu’une frontière a fait l’objet d’un accord sa persistance ne dépend pas de la survie du traité par lequel ladite frontière a été convenue.
Cette vue d’ensemble de l’affaire est donnée uniquement à titre d’information et n’engage en aucune façon la Cour.