Public sitting held on Friday 17 October 1997, at 10 a.m., at the Peace Palace, Vice-President Weeramantry, Acting President, presiding

Document Number
089-19971017-ORA-01-00-BI
Document Type
Incidental Proceedings
Number (Press Release, Order, etc)
1997/20
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Nori Corrige
Uncorrected

International Court m-n-rrnu'ol-- - *-".-- Cour internationale
of Justice de Justice

THE HÀGUE

YEAR 1997

Publicsitting

held on Friday17 Octom 1997,at 10 a-m., at the Peace Palace,

Vice-President hkemmantry, ActingPresident,presiding

in the caseconceraïhgQuestionsof Interpretation andApplicationof the
1971 liaantreCanventianarisingfrapntheAerial Incidentat Lockerbie

(LibyanArab Jamahiriyav. Mted Kingdan)

and

in the caseconceraïhgQuestionsof lizterpretatio and Applicationof the
1971 liaantreCanventionarisingfrcm theAerial Incidentat Lockerbie
(LibyanArab Jamahiriyav. UnitedStatesof America)

PreliminaryObjections

VERBATlMRECORD

Audiencepublique

tenuele vendredi 17 octobre1997, à 10 heures,au Palais de la Paix,

sous laprésidencede M. -try, vice-président,
faisantfonctionde président

en 1'affairerelative à Questionsd'interprétation et d'application de la
conventionde Montréalde 1971 résultant de 1'incidentaériende
Lockerbie(Jamahiriya arabelibyennec. Royaume-Uni)

en l'affairerelativeà Questionsd'interprétation et d'application de la

conventionde liaantréade 1971 résultantde 1'incident aériende
Lockerbie(Jamahiriya arabelibyenne c.Etats-Unisd'Amérique)

Exceptionspréliminaires

CC(MPTERENDUPresent: Vice-President Weeramantrcy,ing President
President Schwebel
Judges Cda
Bejaoui
Guillaume
Ranjeva
Herczegh
Shi
Fleischhauer
Koroma
Vereshchetin
Parr-Aranguren
Kooijmans

Rezek
Judgesad hoc Sir RobertJennings
El-Kosheri

Registrar Valencia-OspinaPrésents: M. Weeramantry,vice-présidentf,aisant fonctiode

présidenten l'affaire
M. Schwebel,président dela Cour
MM. Cda
Bedj aoui
Guillaume
Ranjeva
Herczegh
Shi
Fleischhauer
Koroma

Vereshchetin
Parra-Aranguren
Kooijmans
Rezek,juges
Sir RobertJerinings
M. El-Kosheri,juges adhoc

M. Valencia-Ospinag,reffierIlhe Governmenof the LibyanArab Jamahiriya is representedby:

H. E. Mr.HamedAhmedElhouderi, Ambassador, Secretaryof thePeople's
Officeof theGreatSocialist People's LibyanArabJamahiriya to
the Netherland,s

as Agent;

Mr.MohamedA. Aljady,

Mr.Abdulhamid Raeid,

as Counsel;

Mr.Abdelrazeg El-Murtadi Suleiman,Professor of PublicInternational

Law,Faculty of Law,University of Benghazi,

Mr. IanBrownlie, C.B.E., Q.C.,F.B.A.,Chichele Professorof Public
InternationaL law,Universityof Oxford,

Mr. JeanSalmon,Professor of Law emeritusU,niversitélibrede
Bruxelles,

Mr.EricSuy,Professor of InternationaLlaw,Catholic Universityof
Louvain(K.U.Leuven) ,

Mr.Eric David, Professor of Law,Université librede Bruxelles,

as Counseland Aavocates;

Mr. NicolasAngelet,Principal Assistant, Facultyof Law,Catholic
Universityof Louvain(K.U.Leuven),

Mrs.BarbaraDelcourt, Assistant, Facult of Social,Political and
EconomicSciences, Université libre de Bruxelles; Research Fellow,
Centreof InternationaL law andInstitute of EuropeanStudies,
Universitélibrede Bruxelles,

Mr. MohamedAwad,

Ilhe-t of the UnitedKingdcnnof Great Britainand
ihrtheznIreland is representedby:

SirF'rankliB nermanK.C.M.G., Q.C., Legal Adviserto the Foreign
and Commonwealt Office,

as Agent and Cauzçel;

TheRightHonourable the Lord Hard Q.C.,The LordAdvocate
for Scotland,Le Gouvexnenaentde laJamahiriya arabe libyenne serareprésenté par :

S. Exc.M. HamedAhrned Elhouderi, ambassadeur, secrétaire dubureau
populairede la Grande Jamahiriya arabe libyennp eopulairesocialiste
aux Pays-Bas,

came agent;

M. MohamedA. Aljady,

M. AbdulhamidRaied,

cm conseils;

M. AbdelrazegEl-Murtadi Suleiman, professeur de droitinternational
public à la facultéde droitde l'université de Benghazi,

M. Ian Brownlie,C.B.E.,Q.C.,F.B.A.,professeur de droit international

public, titulaire dela chaire Chichele à l'universitéd'Oxford,

M. Jean Salmon, professeur émérite d droit à l'universitélibrede
Bruxelles,

M. Eric Suy,professeur de droitinternational à l'Universitécatholique
de Louvain(K.U.Leuven),

M. Eric David,professeur de droit à l'université librede Bruxelles,

canne conseilset avocats;

M. NicolasAngelet,premier assistan t la facultéde droitde
l'université catholiquede Louvain (K.U.Leuven),

Mme BarbaraDelcourt,assistante à la faculté des sciencessociales,
politiqueset économiques de l'université librede Bruxelles,
collaboratrice scientifiq aueCentrede droitinternationae lt

à l'Institut d'étudee suropéennes del'Universitélibrede Bruxelles,

M. Mohamed Awad,

camne conseil 1ers.

Le Gomement du Royaume-Unisera représenté par :

Sir Franklin Berman,K.C.M.G., Q.C.,conseiller juridiquedu Foreign
and Cmonwealth Office,

cme agent et conseil;

le trèshonorable LorH dardie, Q.C., procureurgénéraldlEcosse,ProfessorChristopher Greenwood,Barrister,Professorof International
Law at the LondonSchoolof Economics,

Mr. DanielBethlehem, Barrister, London Schoolof Economics,

as Counsel;

Mr. AnthonyAust C.M.G.,

as Deputy Agent;

Mr. PatrickLaydenT.D.,

Mr. NormanMcFadyen,

Ms Sarah Moore,

Ms SusanHulton,

as Advisers,

Ms MaryaretMcKie,

The -t of the United Statesof America is represented by:

Mr. David R. Andrews,LegalAàviser,U.S. Departmentof State,

as Agent;

Mr. MichaelJ. Matheson,PrincipalDeputy Legal Adviser,
U.S. Departmentof State,

as Co-Agent;

Mr. John R. Crook,Assistant LegaA làviser,U.S. Department of State,

Mr. SeanD. Murphy,Counselorfor LegalAffairs,U.S. Embassy,The Hague,

Mr. OscarSchachter, Professorat the Columbia Universit Schoolof Law,

Ms ElisabethZoller,Professorat the Universityof Paris II,

as Counseland Advocates;

Mr. John J. Kim, Officeof the LegalAdviser,Department of State,

Mr. BrianMurtagh,U.S. Department of Justice,

as Counsel.M. ChristopherGreenwood, Barrister,professeurde droit international

à la LondonSchoolof Economics,

M. Daniel BethlehemB,arrister, London Schoolof Economics,

cme conseil;

M. AnthonyAust, C.M.G.,

canneagent adjoint;

M. PatrickLayden,T.D.,

M. NormanMcFadyen,

Mme SarahMoore,

Mme SusanHulton,

cornnconseil1ers,

Mme MargaretMcKie,

cannesecrétaire.

Le Go-ement des Etats-Unisd'Amériquesera représentépar :

M. DavidR. Andrews,conseillerjuridique du départementd'Etat
des Etats-Unis,

ccnnnagent;

M. MichaelJ. Matheson, conseiller juridiq adjointprincipal
du départementdlEtatdes Etats-Unis,

cannecoagent;

M. John R. Crmk, conseiller juridique adjoindtu départementdtEtat
des Etats-Unis,

M. SeanD. Murphy,conseiller charg des affaires juridique às
l'ambassade des Etats-Unis aP uxys-Bas,

M. OscarSchachter, professeurà la faculté dedroitde l'université
de Columbia,

Mme ElisabethZoller,professeur à l'universitéde Paris II,

cornnconseilset avocats;

M. John J. Kim,du bureaudu conseiller juridique d départementdlEtat
des Etats-Unis,

M. BrianMurtagh,du département de la justicedes Etats-Unis,
ccnnnconseils. - 8-

The VICE-PRESIDENT,acting as PRESIDENT: Pleasebe seated. The Court resumesits

sittingstodayto hear theoral submissionsofthe LibyanArabJamahiriyainthejurisdictionalphase .

ofthe cases against the United States of America andthe United Kingdom conceming Questions

ofInterpretationandApplicationofthe 1971MontrealConventionarisingj-om theAerialIncident

at Lockerbie. 1give the floor now to the Agent of the Libyan Arab Jamahiriya.

M. ELHOUDERI :

1.01. Monsieur le Président,Messieurs de la Cour. Permettez-moi tout d'abordde dire

combien je suis honoréde comparaître pour la premièrefois devant cette Cour prestigieuse en

qualité d'agentde la Jarnahiriya arabe libyenne.

Ce n'estpourtant pas la premièrefois que la Libye en appellelajustice de la Cour. Point

n'estbesoin d'insisteraujourd'hui surles circonstancesdifficiles,les préoccupations majet les

motifs qui sontà la base de la requête qumon paysa eu l'honneur d'adresser àla Cour en 1992

concernant le différend quil'oppose aux Etats-Unis et au Royaume-Uni sur l'interprétationet

l'applicationde la convention de Montréal.

1.02.Je saisis égalementcette occasionpour féliciterlesjuges qui ont été appeàsexercer

cettehaute responsabilitédepuisnotre dernière apparition devantla Cour.J'aidéjàpu féliciterle

juge Schwebel lors de son accessionà la présidencede la Cour. Je remercie son prédécesseulre

juge Bedjaoui pour la grandesagesseavec laquelle il a exercéses fonctions,etje salue également

M. le Vice-PrésidentWeerarnantryqui exerce les fonctions de Président dansla présente affaire.

Jetiens enfinà saluer la présenceau sein de laCour de sir Robert Jennings. C'estpour monpays

unhonneur exceptionnelque de pouvoir défendre sa cause devant uneCour qui rassembleen son

seinquatre présidentset anciens présidents.

1.03. Monsieur le Président, c'estavec regret que la Libye a pris connaissanceau mois de

juin 1995 des exceptionspréliminairessoulevéepsar les Etats-Uniset le Royaume-Uniportantsur

lacompétencede la Couret la recevabilitéde la requêtelibyenne. Nos conseils expliquerontà la

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Cour pourquoi ces exceptions,dont la Libye n'arriveàsaisir ni le bien-fondéni lesjustifications

juridiques, doivent être écartéeJ. ne m'étendraipas sur ce point qui sera développé parles

professeurs Salmon, David,Suy et Brownlie. Je me bornerai à direà ce stade, que nous avions

espéréque notre requêteserait comprise dans son sens constructif et qu'il n'y avait rien de

déraisonnable à demander que, par une décision,la Cour rappelle à chacun ses droits et ses

obligations. Malheureusement nous avons dûréaliser que,pour des raisons qu'il n'ya pas lieu

d'apprécier ici, les autres Parties n'ont pasvoulu qu'il ensoit ainsi.

1.04. Monsieurle Président, au coursdes exposésque nous avons entendusjusqu'à présent,

certainesaccusationsparticulièrementgravespour mon pays ont étéproférées àcette barre. Je n'ai

nullement l'intentionde les relever; nos conseilsy répondrontbrièvement. Je voudrais simplement

dire, ce que nombre de membresde la Cour savent déjà,c'estque mon pays a soutenu depuis les

annéessoixante-dix un grand nombre de mouvements de libération nationale dont certains

représentantssontaujourd'huichefsd'EtatoudegouvernementrespectéscommelePrésidentNelson

Mandela. A l'époque,pour les défendeurs,ces mouvements ou personnalités étaient parfois

qualifiésde terroristes. Nous ne regrettonsévidemment pasle soutien que nous avons apportéà

des peuples en lutte. Monsieur le Président,mon pays partage en mêmetemps les efforts

internationaux pour lutter contre le terrorisme aveugle qui frappe d'innocentesvictimes.

1.05.La Libye considèrequ'ilest de l'intérêt 'ensemble de la communauté internationale

que les rapports entre lesEtats soientétablisselonlesprincipes du droit et de lajustice. Monpays

a toujours attaché laplus grande importance l'actionde la Cour en ce domaine. Il est persuadé

que l'undes méritesde l'activitéde la Cour est de réduireles tensions et les difficultés dans des

matièresqui, pour êtredélicates,ne présententpas moins des aspectsqui se prêtentpar essence au

règlementjudiciaire.

1.06.En outre,iln'échappe pasà la Courque ledifférendquiopposelaLibye auxdéfendeurs

a des conséquencesgraves pour la vie de tout un peuple et affecte l'ensemblede la région. Elle

CR 97/20 LUK-LUS - 10-

s'est engagéedevant votre haute juridiction dans le désir devoir régler un différend dontle

prolongement cause à son peuple des souffrances immenseset injustifiées. b

1.07.Monsieur le Président,un règlement constructifconforme aux principesjuridiques en

vigueur, voilà ce que mon pays espèreet, a cette fin, il n'acesséd'avancerles propositionset de

suggérer des solutions, conciliantle droit national et les règles pertinentesdu droit international.

Mon pays a toujours fait confiance au rôle de toutes les organisations régionalesoncernéeset

accepte,en toute sincérité,leursinitiatisour réglerledifférend.Mon pays s'estexpriméau plus

haut niveau, par la voix du Guide de la Révolution, leColonel Moammar El Kadhafi, pour

demanderet mêmeexiger quelavérité soitfaite le plus rapidementpossible surcette tragédie, dont
*
la soufiance morale causée aux famillesdes victimes et au peuple libyen n'a duré que trop

longtemps. Malheureusement,toutesces propositionset initiativesconstructivesontétérepoussées

par les Etats défendeurs.

Aujourd'hui,devant la Cour internationale de Justice, la Libye reste fidèleses objectifs

initiaux:obtenir un règlementjuridictionnel du différend,basésur les règlespertinentesdu droit

international.

1.OS.Monsieurle Président,laLibyea répondu auxexceptionspréliminairesdesdéfendeurs

dans son exposé écritA. ce stade de la procédureet pour assister la Cour le mieuxpossible, nos

interventionsse limiterontàl'essentielconformément à l'article60du Règlement delaCour. Pour v

des raisons de facilité,le Royaume-Uni et les Etats-Unis, bien qu'ils soient demandeurs aux

exceptions, seront désignés ci-aprèsomme les défendeurs.Les références non mentionnéesdans

les exposés figurent dans les textesqui vous ont ététransmis.

1.09 Monsieur le Président,les exposés,que les conseils de la Libye auront l'honneurde

présenterpendant cetourde parole,viseront à préciserdavantagelespoints devueset les positions

de la Partie libyenne sur les principales questions du litige. Avec votre permission, Monsieurle

Président, nous comptonspouvoir présenterces positions aujourd'huidans l'ordre suivant :

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- le professeur A. El-Murtadi Suleiman, expliquera à la Cour le contexte du différend etles

raisons fondamentales qui expliquent la conduite des défendeursvis-à-vis de la Libye;

- le professeur Jean Salmonexposera àla Cour les enjeuxjuridiques de la présenteinstance;

- le professeur Eric David montrera que la Cour est compétentepour connaître du présent

différend;

- enfin, les professeurs Eric Suy et Ian Brownlie démontrerontque la requêtelibyenne est

recevable dans tous ses éléments.

1.IO.Monsieur le Président,Messieurs de la Cour, laLibye voudrait répéter saonfianceen

lasagessede laCour et de l'arrêtu'ellerendra,unarrêtquie,n précisantl'étadu droit international

sur une question particulièrementdélicate, contribuera sans doutela sérénitet à la qualitédes

rapports entre Etats.

En vousremerciant,Monsieurle Président,Messieursde la Cour,de labienveillanteattention

avec laquelle vous avez bien voulu suivre cet exposé préliminaire, je vouprie de bien vouloir

donner maintenant la parole au professeur El-Murtadi, merci.

The ACTING PRESIDENT: Thank you very much. 1 give the floor to Mr. El-Murtadi

Suleiman.

M. EL-MURTADI SULEIMAN :

Le contextedu diffërend

2.01. Monsieur le Président,Messieurs de laCour, c'est ungrand honneur d'êtreànouveau

devant la Cour et cette fois en qualitéd'agentde la Libye. La tâche qui m'aétéconfiéeest celle

d'expliquer à la Cour le contexte historique et politique du différend; à savoir les raisons

fondamentalesqui expliquent la ligne de conduite des Etats-Unis et du Royaume-Uni vis-à-visde

la Libye.

Monsieur le Président,les exceptions préliminaires soulevéespar les Etats-Unis et le

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Royaume-Uni doivent êtrecomprises àla lumièredes relations particulières entrela Libye et ces

deux Etats. Leurs attitudes ont toujours étéintransigeanteset ont eu pour effet de prolonger les

,
tensions et de retarder l'établisterelationsamicalesfondéessur lerespectmutuelet l'égalité

souveraine.

Ni le temps accordé,ni la nature incidente dela procédurene permettent d'aborderpar le

menu des péripéties,es prétentionset des affirmationsréfutéede manièredétailléedans nos

pièces écrites remisesa Cour. La Libye se doittoutefois de revenir sur certains aspectsfactuels

puisque tant les Etats-Unis que le Royaume-Uni continuent de consacrer des développements

importantsquine se limitentpasuneargumentationen droit, et qui conduisàune présentation
-
subjective et partiale de la Libye. Cette semaine,ici , n présentela Libye commeun Etat

terroriste qui tente d'éluderl'application dudroit.

2.02. Monsieurle Président,j'essaierai de vous démrans une première partieque cette

qualification assez ancienne, loin de s'appuyer surdes faits avérés,est dictéepar des intérêts

subjectifs, particuliers, qui constituent les véritablesmotifs du différendet en expliquent la

prolongation.

Dans une seconde partie, je m'attacheraintrer que le respect du droit et la volonté de

régler pacifiquementlesdifférensntconditionnéetconditionnentencorelesinitiativeslibyennes;

visant toutes une solutionjuste du différend.

1.Les véritables motifsdu différendentre la Libye et les défendeurs

2.03. Monsieurle Président,Messieurs delaCour, il est difficiled'isolerlesvéritablesmotifs

du différend des intérêts économiqueset géostratégidessEtats-Unis et du Royaume-Uniqui,

il est vrai, ont étéàimal à la suite du renversementde la monarchie en 1969.

D'un point de vue géostratégique,la Libye a étéune pièce maîtresse des positions

hégémoniquesdes Etats-Uniset du Royaume-Uni. C'estainsi que les deuxEtats,jusqu'àla fin des

annéessoixante,y ont maintenu des bases militaires importantes.

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D'unpoint de vue économique,la volontélibyennede consolider la souveraineté aeu pour

conséquence de supprimer les privilèges exorbitants dont bénéficiaientles Etats-Unis, le

Royaume-Uniet leurs sociétés commerciales. L'activité libyenneau sein dediverses organisations

internationales,et tout particulièrementdel'OPEP,n'estpas non plus étrangère à l'hostilité qului

ont témoignée les deux Etats.

Politiquement enfin, le soutien de la Libye aux mouvements de libérationnationale, et

particulièrement à l'égard du peuple palestiniens,on attachement aux principes du nouvel ordre

économique international,et aux revendicationspopulaires du tiers monde en général ont encore

été interprété csmme heurtant lesintérêts deE stats-Unis et du Royaume-Uni.

2.04. Ainsi, Monsieur le Président, bienavant l'émergencedu présent différendl,a Libye a

été classée su a liste des «ennemis» desEtats-Unis,à l'instar deCubaet duNicaragua. Elle a fait

l'objetd'uneincessante campagne de déstabilisationet de désinformation. La liste desmultiples

manŒuvreset calomnies est très longue.

La Libye ne reprendra pas ici cette liste mais quelques exemples qui peuvent illustrer l'état

desrelationsavec les défendeurs. Elle apporteraégalementquelquesprécisionsrelatives à certaines

allégations britanniqueset américainesrelevéesau cours de ce premier tour de plaidoiries.

2.05.Monsieur le Président,la Couraura ainsi pu entendreque la responsabilitéde la Libye

pour le meurtrede l'officierbritanniqueYvonne Fletcher en 1984,devant l'ambassade libyenne,est

établie.Undocumentairediffusépar unechaînebritanniquemet en doutecette thèseen s'appuyant

sur des considérations scientifiqueset techniques sérieuses reprisespar un journal non moins

sérieux'. Les coupsde feu qui ont tuél'officierne seraient pas partis de l'ambassadede Libye

contrairement à la version officielle.

2.06.A la suite desattentatsqui ontensanglantélesaéroportsdeVienneet de Romeen 1985,

'~uardian, 9 avril 1996reprisen annexe IIde la lettredu 10avril adresséeu présidendt u Conseilde
sécuritéparlereprksentant ermanentde laJamahiriyaarabe libyenneS,l19961269 ,1 avril1996.

CR 97/20 LUK-LUSl'administrationaméricaine aimpliqué1'Etatlibyenet adoptéune large gamme de sanctions. Les

déclarationsduministreautrichiende lajustice niant l'existencede preuvecontre la Libye n'ontpas i

eu raison de l'acharnementaméricain.

2.07. Ultérieurement,une démonstration deforce est organisée dans le golfede Syrte, en

mars 1986;l'affrontemententre lesforcesnavaleslibyennesetaméricainesfait 56mortset disparus

du cotélibyen.

2.08. Le mêmescénario se reproduit à la suite de l'attentat commisà Berlin dans la

discothèque «La Belle)),le5 avril 1986. Les Etats-Unis affirmenàl'époquedisposer de preuves

concernant l'implication de'Etatlibyen. Mais,à cette époque,cette piste n'estpas confirméepar

w
les autoritésjudiciaires allemandes chargéde l'enquête.

Unprocèsdevraitsedéroulerprochainementen Allemagne. Certainesautoritésaffirmentleur

scepticismequant à sonbondéroulementétand tonnéle manquedecollaborationde l'administration

américainequi refuse de fournir les preuves d'uneprétendueimplication libyenne2. La rétention

d'informationsdans le cadre de cette affaire s'expliqueselon certaines sources par le fait qu'un

certain nombre de personnes à Washington pensent que lescommunications interceptéessont

ambiguës et ne fournissent pas de preuve irréfutablede la complicitélibyenne3.

Pourtant,la Cour se souviendraque c'est surla base des prétenduespreuves d'implication de

la Libye dans cet attentat que les Etats-Unis, avec la complicitédu Royaume-Uni, ont bombardé

Tripoli et Benghazi. Permettez, Monsieur le Président,de rappeler à la Cour que l'opération

militaire «El Dorado Canyon)), lancéeen avril 1986,a fait de nombreusesvictimes civiles alors

qu'elle était censéeviser des objectifs militaireL'opération fut condamnéepar l'Assemblée

générale des NationsUnies (résolution du20 novembre 1986),le projet de résolutionsoumis au

Conseil de sécuritén'ayant pu être adopté évidemment à cause du veto des Etats-Unis et du

InternationalHeraldTribune,24 mai1996.

Warhingfon Post, 24mai1996.

CR 97/20 LUK-LUS - 15 -

Royaume-Uni.

2.09. Les Etats-Uniset le Royaume-Uni vontégalement utiliser leurdroit de veto lorsqu'il

seraquestion d'examinerlebien-fondédes accusationsaméricainesconcernantuneprétendueusine

d'armeschimiques arabe (située à l'Est de Tripoli). La Libye a proposéaux Nations Unies

d'organiserunevisite du site litigieux. Pour leurpart, lesAméricainsontbrandi, unenouvelle fois,

une menace d'interventionmilitaire.

2.10. De nouvelles menaces de recourir àla force ont encore étproférées durant le mois

d'avril1996. Cette fois, les Etats-Unis mettent en cause une nouvelle usiàeTarhunah près de

Tripolidont ils soutiennentqu'elle est destinéeroduire des armes chimiques; ils se sont même

déclarépsrêtsà recouriràl'armenucléairepour détruireles installationsen questionqui sonten fait

destinées à l'irrigation4. Lesautorités égyptienneset françaises ont demandéun complément

d'informationsaux autorités américaines avandte prendre position5. Mais une fois encore, sans

résultat..L'absenced'élémen ttngible a ainsi conduitle présidentMoubarakàconclure quetoute

cettehistoire étaitun mythe6.

2.11. Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, l'affaire de Lockerbie n'est qu'une

manŒuvred'intimidationdumêmetype. La pertinencedes filmsfournispar laLibye«The Maltese

DoubleCross))a été mise en doute par les défendeurs ensignalant que Coleman,interrogé dansle

document,aurait depuis admis qu'ilavait commis un parjure. On s'est biengardéde dire que cet

avŒufut obtenu de l'intéressécontre sa mise en liberté provisoire.

Quoi qu'ilen soit, la déclaration delord Hardiedans laquelle il affirme que «toute nouvelle

preuveserait prise enconsidérationettoute nouvelle pistesuggérépar unetelle preuveanalysée^^

NewYorkTimes,24 mai 1996.

IntenzannzanHoralld Tribune8avril1996.

Intem'onal Herald Tribune3,1 mai 1996.

Oral Submissionsof TheUnitedKingdom, Monday,13 October1997, CR 97/16, trad.p. 11.

CR 97/20 LUK-LUS - 16-

marque pour nous une évolution importante. Il faut en effet relever que, par le passé, cette

disponibilitéd'envisagerd'autrespistes ne s'est pasréellement vérifiée.d'hui,seules les

autorités allemandes ont décidé de rouvrilr'enquêtesur Lockerbiela lumièrede nouveaux

élémentss.

2.12. Les réactions américaines quiont suivi la destruction du Boeingde la TWA en

juillet 1996, méritent aussi d'être mentionnées. première réaction aévidemment été de

stigmatiser une nouvelle fois les «pays soupçonnésde soutenir le terrorisme)),au premier rang

! Alorsquetoutes lespossibilitésétaientouvertesconcernant
desquels,unbouc-émissaire, Libye

la cause de l'explosion du Boeingde la TWA, l'administration américaine àcor etàcri un
-
renforcement des sanctions, notamment contre la Libye.L'enquête a évolud éans plusieurs

directions. l'heureactuelle, c'estune défaillancetechniquequi est leplus souventinvoquéepour

expliquer ce terrible accidentg.

Nonobstant ces développements,leGouvernementaméricain aredoublé d'initiativespour

sanctionner les Etats qui commercent avec la Libye, l'Iranet Cuba; par les loisto1°et

Helms-Burton largement contestéespar la communauté internationale. Unetelle stratégiequi a

pousséun observateuràconclurequeleterrorismeétaitdevenu«l'alibide la guerre commerciale»";

ce dont la Libye n'ajamais doutéun seul instant.

2.13. L'Assembléegénérales'estégalement préoccupédee ces dérives. Danssa résolution w

du 17 décembre1996, elle a demandé

'Glurdian Weekly,13juillet 1997.

Neewsweek.19 mai 1997

10Docwnen t'actualiintem'ode, no19, 1"octobre1996,p. 77à 782, voirlaréactieuropéenne
du 21août 1996ibid., p782.

''LeMonde,30 juille1996.

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«à tous les Etats, en vue d'assurer l'applicationeffective des instrumentsjuridiques

pertinents,d'intensifier,selonqu'ilconviendra,l'échand'informationssurlesfaits liés
au terrorisme toutenévitantde dzfiser des informations inexactesunonvérij?ée~»'~.

La Libye ne peut que se réjouir decette prise de position et souhaite qu'elle inspirela

conduite future des défendeurs.

Les initiatives libyennes, visantàassurer le règlement des différendsavec les deux Etats

2.14.MonsieurlePrésident,Messieursde laCour,dansdes circonstancesoù lestensions sont

extrêmeset les menaces américaines de recourir à la force promptes à se réaliser,la Libye a

patiemmentet fréquemmentfait usagedes multiplesmoyensque les institutionsinternationalesont

mis a la dispositiondesEtats afin qu'ilsrèglentpacifiquementleursdifférends. Les lettres,plaintes

et autres documents soumis par la Libye au Conseil de sécurité ces vingt dernières annéet qui

avaient pour objectif de normaliser les relations et de réglerpacifiquement les différendssont là

pour en témoigner. Un tel règlement a été systématiquemententravé parles deux Etats.

La Libye n'acesséd'avancer des propositionsqui permettraient d'aplanirles tensions et de

faire en sorte que justice soit faite; elle est soutenue en cela par plusieurs Etats et organisations

internationales. A l'opposé,les Etats-Unis et le Royaume-Uni persistentbalayer d'unrevers de

main toutes les initiativesquelles qu'ellessoient et répèàel'envique seul le fait de ((livrerles

suspects))sera considéré commeun geste de bonne volonté.

2.15. Pourtant,Monsieur le Président,laLibye n'apas épargnéses efforts.D'abord,comme

elle l'amontrédans sonmémoire déposé en 1992,elle a pris toutes les mesures idoines pour faire

aboutir l'enquête(arrestation, garde à vue, désignation d'unjuge d'instruction, demande de

coopération internationale, etc.) et ce, dans lerespect du droit libyen et de la convention de

Montréal. Aucunede ces initiatives n'apermis de désamorcerle conflit.

2.16. La Libyea poursuivi seseffortsenproposantd'autres solutionsquitentent de concilier

12Résolutio2n0151 du 17décembre 1996,par. 4(lesitalituqessontde moi).

CR 97/20 LUK-LUS -18 -

le droit libyen, les droits des suspectsà un procès équitable, lesrègles pertinentes du droit

internationalainsi que les exigencesde la paix et de la sécurinternationales. L'ensemble deces

propositions sont exposées dansnos observations écrites,relevons simplement lesplus récentes.

Dansune lettredatéedu 27 janvier 1996,la Libye a proposé quedesobservateursneutresviennent

en Libye vérifierla réalité dela menace que la Libye ferait peser sur la paix et la sécurité

internationales pour son prétendu soutienau terrorisme international; elle a une nouvellefois

réclamé une enquête indépendante sulres circonstances exactes de l'explosionde l'appareil de la

Pan Am13.

Elle a fourni à la satisfaction des autoritésbritanniques des informations concernantses
rl
relations antérieures avecl'IRA'4. Dans l'enquête sur l'explosiondu DC 10 de I'UTA,le juge

d'instructionfrançais a été accueilliTripoli et a reçu les informations qu'ilsouhaitait,ce qui, aux

yeux de la Libye, est conforme à ses obligations d.ecoopérationaux termes de la convention de

Montréal".

Enfin, la Libye, loinde refuser que les suspects soientjugés,a encorerappeléau cours de

l'année 1996une de ses propositions consistant à les fairejuger au Palais de la Paix par desjuges

écossais etselon le droit écossaisl6

2.17. L'action ainsi menée parmon pays a conduit toutes les organisations régionales

concernées à soutenir les propositions libyennes visant à sortir de l'impassedans laquelle les w

Etats-Unis et le Royaume-Uni l'avaitconfinée.

l3S119961733 ,1janvier1996, p. 4. f

l4Ceteffortaété reconnupar leGouvernemenb tritanniqucomme étantun paspositif...,voiS11996173,
p. 3.

lSLe Monde, 6 juille1996,20 septembre 1996;IntemationalHeraZdTribune, 21-22 septembre 1996.

l6Lettredatéedu 10 avril1996,Sl19961269,11 avril1996, p.2.

CR 97/20 LUK-LUS La Ligue des Etats arabes qui compte 22 membres a, à plusieurs reprises, fait écho aux

initiatives libyennes en demandant aux Etats concernés d'y répondre favorablement 17.

L'Organisationdela Conférenceislamiqueq ,ui regroupe 52Etats a égalementapportéson

soutien à la Libye''.

L'Organisationde l'unité africainedont cinquante-trois Etats sont membres a également,

dansplusieurs résolutions,demandéaux parties concernéesd'accepterque les suspects soientjugés

dans un pays neutre19.

Le Mouvement des non-alignésqui regroupe plus de la moitié des Membres des

Nations Unies - soitcent treize Etats -a égalementsoutenulespositions libyennesendemandant

que soient prises en considération les alternatives soumises conjointementpar l'OUAet la Ligue

arabez0.

Ces déclarationscontiennenten outreun appel auConseil desécurité afin qu'illèvel'embargo

quipèselourdement sur lapopulation libyenne et s'inquiètedes menaces de recourir àla force qui

continuent d'être proférées.

2.18. Il convient égalementde relever la position du Vatican qui a repris en mars de cette

annéedes relations diplomatiques avec la Libye en arguant du faitqu'«avecla normalisation de ses

rapports avec la Libye, le Saint-Siège souhaite concourir à donner une impulsion particulière au

dialogue international..»"

l7Voirrésolution 5373 du27mars 1994, résolution 543 du 15septembre1994,résolution 5506du
21septembre 1995e ,t réunion dla Ligue et del'OUAle 11avril 1996,voir S119961369,
12avril 1996).

l824=réuniondesministres des affairesétrangèresD,ocumentd'actualitéintem'onale,
no5-1" mars 1996, p. 199-200.

l9Trente-troisièmesessionordinairede la conférenceeschefsd'Etatset de gouvernementsr ,éunionà

Harare, 2-4juin 1997.

12'conférence ministéried leMNA;déclaration finaleNew-Delhi, 4-8 avril 1997,Documents
d'actualitéinternationalesno 13-ler juillet 1997, p.458.

LeMonde, 12 mars 1997.

CR 97/20 LUK-LUS -20 -

2.19. Monsieur le Président,Messieursde la Cour, au terme de cet exposé, ilapparaît donc

clairement qu'

-
en premier lieu les réactions desdeux Etatà la suite de l'explosiontragique du Boeing

au-dessus de Lockerbie s'expliquepar des considérations géopolitiques etidéologiqueset

n'ont que peu de rapport avec la réalitédes faits; la Libye et les familles des victimes

attendenttoujoursque l'onéclaircisseles circonstancesexactes du drame. Nuln'ajamais pu

entrevoir les prétenduespreuves détenues parles services d'enquête américasans cette

affaire, comme dans d'autresd'ailleurs;

- en second lieu, la volonté de déstabiliserla Libye pousse les deux Etatà écarterles

w
procédures et les règles applicablesen matière derèglementpacifique des différends.

Monsieur le Président,je remercie la Cour d'avoirbien voulu m'écouavec patience etje

vousprie, MonsieurlePrésident,de bienvouloirdonnermaintenantlaparoleauprofesseur Salmon.

The ACTING PRESIDENT: Thankyou, Professor Suleiman. 1 give the floor now to

Professor Salmon.

M. SALMON :

Introduction relativaux enjeuxjuridiques

3.1. Monsieurle président, Messieurs de laCour, c'esttoujours un honneur pour un conseil
w
de pouvoir s'adressàrla Cour;je dois cette fois encore ceprivilègeau Gouvernementde laLibye

qui se présente nouveaudevant vous dans les affaires relatàvl'interprétatide la convention

de Montréal.

Pour saisir les enjeuxjuridiques fondamentauxde la présenteinstance, il est importantde

procéder àun rappel succinct de certains faits.

3.2. La question qui intéresse aujourd'huCour est celle de savoir si la convention de

Montréals'appliqueà des faits auxquelsje vais maintenant m'attacheret queje développeraidans

CR97/20 LUK-LUSleur contexte de droit international général.

3.3.La destructiontragique du vol PanAm 103s'estproduite le 21décembre1988.Environ

trois ans plus tard, le4 novembre 1991,une mise en accusation fut prononcéepar le grandjury

du district de Columbia et un mandat d'arrêf tut délivrépar le procureur d'Ecosse contre deux

citoyens libyens accusésd'avoir placé à bord de l'appareil un engin qui en aurait causé la

destruction. Ces accusations dramatiques ont consternéle Gouvernementlibyen.

Les actes d'accusationlui furent notifiés quatre jours plustard le 18 novembre 1991pour

ce qui concernait le Royaume-Uni et le 20 novembre 1991 pour les Etats-Unis. Dès le 18

novembre, à Tripoli, le secrétariàlajustice met en marche l'actionpénale.La mise en Œuvrede

laprocédured'entraidejudiciaire aveclespaysconcernésestamorcéeC . 'estdire avecquellecélérité

le Gouvernementlibyenprit l'accusation au sérieux et les choses en main. A défautde convention

d'entraidejudiciaire entreles Etats intéressésl,a demanded'entraidejudiciairelibyenne s'inscrivait

implicitement dans le cadre de la convention deMontréal.

Néanmoins huitjours plus tard, le 27 novembre 1991,sans se soucierle moins du mondede

la requêtedu juge libyen, les Gouvernementsdes Etats-Unis d'Amériqueet du Royaume-Uni

publient une déclaration commune dontle contenu est le suivant :

«Les Gouvernements britannique et américain déclarent ce jour que le
Gouvernement libyendoit :

- livrer,afin qu'ilssoienttraduits enjustice, tous ceux qui sontaccusésde ce crime

et assumer la responsabilité des agents libyens;

- divulguer tous les renseignements en sa possession sur ce crime, y compris les
noms de tous les responsables, et permettre le libre accès à tous les témoins,
documentset autres preuvesmatériellesy compristous les dispositifsd'horlogerie

restants;

- verser les indemnitésappropriées.

Nous comptons que la Libye remplira ses obligations promptementet sans réserve.))'

CR 97/20 LUK-LUS 3.4. Il est inutile,je pense, d'insistersur le caractèretrèsMXcsiècle dece langageet sur ce

qu'unetelle forme recouvre de dictatorial et d'arrogant.Mais, comme on va le voir, la forme

correspondparfaitement au fond. Ce langageétaitd'ailleurs accompagnéd ,e lapart des deuxEtats

de menaces de recours àla force àpeine voilées2.M. le professeur Brownlie aura l'occasioncet

après-midide revenir sur ce point.

Ce qui va caractériser ensuitele comportementdes deux Etats, c'està la fois le non-respect

dudroit internationalet le non-respect desrègles relativesau règlementdes différends. C'estàces

deux points queje voudrais m'attacher ce matin.

1. Le non-respect du droit international

Ce non-respect est illustré tantà l'égarddes règlessur la responsabilité internationaldes

Etats qu'à l'égardde celles relatives au respect des droits de l'homme.

A. Violations des règlessur la responsabilité internationale

3.5. Ce n'est pas a cette Cour qu'il faut rappeler les règles élémentaired su droit de la

responsabilité internationale desEtats. Comme l'a décritle projet de la Commissiondu droit

international.

(Article 1

Tout fait internationalement illicite d'un Etat engage sa responsabilité
internationale))

et

(Article 3

Il y a fait internationalementillicite de 1'Etatlorsq:e

Voir mémoire libyendu 20 décembre 1993,par. 2.8.

CR97/20 LUK-LUS a) uncomportementconsistanten uneaction ou enuneomissionestattribuabled'après
le droit internationaà l'Etat;et

b) cecomportementconstitueuneviolationd'uneobligationinternationaledecetEtat)).

Il en résulte,qu'afin de pouvoir engager laresponsabilité internationale de la Libye il

convenait de prouver qu'ily avait un fait illicite, et que ce fait étaitimputableet Etat.

A cet effet, il convenait d'abord de prouver laculpabilité des citoyenslibyens. Aucune de

ces conditions n'étaitréaliséeen l'espèce puisqueles défendeursse bornaient à des accusationset

poussaient la naïvetéou l'outrecuidance jusqu'à demander que la Libye fournisse les preuves

matérielles de leurs allégations.

A supposercette preuve rapportée- cettepreuve de culpabilitérapportée,ce qui n'était pas

le cas - il fallait encore prouver l'imputation auGouvernement libyen des actes des personnes

accuséeset, encoreune fois selonlesprincipesdu droit de la responsabilitéinternationale,de deux

choses l'une,

a) ou bien il s'agissait depersonnes privéeset il fallait montrer que la Libye n'avaitpas exercéun

devoir de vigilance àl'égardde menéesterroristes qu'elle auraitconnueset qu'elleaurait pu -

dans les circonstances - prévenir;

b) oubien ilfallaitprouver qu'il s'agissait d'acs'agentsdu Gouvernementlibyenoude personnes

qui, sans êtreagents de cet Etat, avaient en l'espèceagi pour le compte del'Etatlibyen.

Sur ce dernier point, Monsieurle Président,Messieurs de la Cour, le Gouvernementlibyen

a lui-mêmefacilitéla tâche aux défendeurs- bien qu'il niât queles deux personnes accusées

eussent fait partie de ses services secretsn s'engageant,par une garantieformelle expriméele

27 février1992, à indemniser les victimes si la preuve étaitrapportéeque des citoyens libyens

avaient participéà ce crime.

Mais cette culpabilité,et la responsabilitédu Gouvernement libyenqui aurait pu s'ensuivre,

n'ontété prouvéespar personne. Il n'ya que desaccusations,proféréea svec assurancecertes,avec

un bluff inouï qui entraînera ultérieurement l'adhésiones membres du Conseil de sécuritém , ais

CR 97/20 LUK-LUS -24 -

dont la fragilité a été évoqulrgementdepuis dans la presse,àla télévision mêmedans des

ouvrages entièrement consacrésàla question. D'autrespistes très sérieusesont été avancs.e

Gouvernement libyen ne reviendra pas sur cet aspect des choses auquel il a fait brièvement écho

dans ses écriturespour répondre d'ailleurs aux allégations des défendeurs.

Il n'en demeure pas moins qu'auxyeux de ces derniers la Libye est considérée comme

responsableet somméederépareravantque les conditionsd'unetelle responsabilitésoientétablies.

L'aff~rmationremplace la démonstration.

B. Violationsdes règles élémentairedses droits de I'hommà unprocès équitable

3.6. Indépendammentde 1'Etatlibyen, lescitoyenslibyensen causesontaussijugésd'avance
w
et condamnés avant toutprocès puisque1'Etatlibyen est somméde prouver et de réparer leurs

prétendusméfaits. Quereste-t-il de dans ces conditionsde la présomption d'innoce?cEt quel

procès équitable des Etats capablesde tels procédéspeuvent-ils prétendrefrir aux accusé?

Comment un jury, matraquédepuis des annéespar une idéologieofficielle déchaînée contrela

Libye, peut-il hésiteronsidérercommeprésumées coupablesces personnes, donton publie des

photos patibulaires, pour lesquelles on offre quatre millions de dollars pour celui qui ira les

chercher, ressortissants d'unEtat sanctionnéparONUpour leurs crimes ?

Monsieur le Président, Messieurs de laCour, on mesure combien,dans ces conditions, les

professionsde foi et les incantationssur les vertus et l'impdesjuges écossaisou desjuges
w

américainssont dérisoires.

Ce serait une violation manifeste du droit procèséquitable que delivrer des accusés

dans des circonstancesde ce genre. On sait que dans une situation analogue l'Irlandes'estrefusée

d'extrader vers le Royaume-Uni des membres de TIRAégalement condamné s l'avancepar une

mise en condition de l'opinion publique.

L'article 3 du traité modèle d'extradition adopté par l'Assembge néralede l'ONU le

14 décembre 1990 (A/Res 451116)dispose égalementque :

CR 97/20 LUK-LUS ((L'extraditionne sera pas accordée ...jl Si l'individu dont l'extradition est
demandée ...ne bénéficieraitpas des garanties minimales prévues,au cours des

procédurespénales,par l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques.))
Ces procédés montrentque les Etats défendeurs nesont pas plus respectueuxdes droits de

l'hommequ'ils ne lesont des droits des Etats faibles.

A ce stade de mon exposé ilest sans-doute opportunde redresserla lectureerronéequi a pu

êtrefaite de la lettre du 29 septembre 1993 adresséepar M. Omar Mustafa Almuntasser, le

secrétairepour les affaires étrangèreset la coopérationinternationalede la Libye, au Secrétaire

générad le l'ONU3. Dans cettelettre, ce ministre, devant les assurances donnéespar les autorités

britanniquesqui lui avaient étcommuniquéespar le Secrétairegénéral, fié t tatde son souhaitque

les deux suspectsacceptentvolontairementde se livrer eux-mêmes et fit savoir qu'il les engageait

à lefaire. Encorefallait-ilqueleurs avocatsfussentconvaincusque lesgarantiesétaientsuffisantes.

On sait que celles-ci furent considéréepar eux comme ne pouvantêtre adéquateq su'àcondition

que leprocès aitlieu, même avecdesjuges écossais,mais dansun territoireneutre et de préférence

au Palais de laPaixà La Haye. Le Gouvernementlibyen s'attacha désormai scettesolutionet aux

autres propositions analoguesauxquelles M. le professeur Murtadi a fait allusion il y a quelques

instants, et qui sont de natureassurer aux intéressésun procèséquitable.

Pour le Gouvernementlibyen, il s'agissaitainsi de trouver, dans la ligne des demandes du

Conseil de sécuritéune réponseadéquateet raisonnablesusceptiblede dépasserles contradictions

entre la Libye et les deux défendeurs.

Ce type de solution étaitdéjàenvisagépar lejuge El-Kosheri dans son opiniondissidente

qu'iljoignit aux arrêtsde la Cour du 14 avril 1992 sur les demandes en indication de mesures

conservatoires. Les défendeursont citéavec délectationle paragraphe 64 de l'opinion où le

juge El-Kosheriexpliquaitlesraisons pourlesquelles,à sonavis,lestribunaux libyensne pourraient

constituerun forum conveniens.Ils n'ontsoufflémot des paragraphes 61 à63 de la même opinion

CR 97/20 LUK-LUS -26 -

où lejuge démontraitque les tribunauxdu Royaume-Uniet des Etats-Unis ne pouvaient prétendre

assurer aux suspects un procès équitable.Pourquoi? C'est une petite devinette dont la Cour

trouvera sans doute facilement la réponse.

II. Le non-respectdes règlessur le règlement pacifiquedes différends

3.7. Voit-on plus de respect du droit internationalpar les défendeursen ce qui concerne la

procédure derèglementde ce litige ?

On constate au contraire une volonté systématiqd'échapperau règlementjudiciaire.

3.8.1) Il n'estpas contesté qu'il exentre les pays concernésune convention spécifique,

la convention de Montréal,spécialementconçue pour traiter des préventionsde ce type. Cette W

convention reste- jusqu'à cejou- un instrumentjuridique de prédilection dansla luttecontre

le terrorisme aérien.Chaqueannée- et encorepar sa résolution1/10 du 17 décembre1996 -

l'Assemblée générad les Nations Unies recommande àtous les Etatsd'envisageàtitre prioritaire

d'en devenir partie et d'adapter leur législationnationale pour établir la compétencede leurs

tribunaux pour juger les auteurs d'actes terroristes et d'apporteraide et soutien aux autres Etats

ces fins. Il est aussi constant qu'iln'existe pas, parailleurs, de convention d'extradition entre la

Libye et lestats défendeurs.Toute collaborationinternationalepénaleentre les intéresdonc

pour basejuridique naturelle oubien la convention deMontréaloubien leur consentement mutuel

fondé surle principe d'égalisouverainedes Etats. w

L'action de la Libye s'estinscrite immédiatementdans le droit fil des dispositions de la

convention de Montréal.

3.9.2) Au contraire, le Royaume-Uniet les Etats-Unis ont dès l'originemis sur pied une

stratégie destinéeécarterla convention de Montréal.Ils n'en fontpas mystère4.Cette stratégie

4Voirpar exemple exposéoral de M. Murphy, par.2.21.

CR 97/20 LUK-LUS -27 -

apparaît immédiatement, puisque l'ultimatumest lancé huit jours après la communication

diplomatique àla Libye des actes de procédure interne.

Cetexte est significatifd'unétatd'esprit. Les défendeursentendentobtenirla«livraison»(le

mot est joli) des prétendus suspects,par l'intimidationet, s'ille faut par coercition.C'est ceque

M. Murphy appelle pudiquementdes ((initiativesdiplomatiques))'.Si les défendeursavaientsuivi

la seule voie que les relations juridiques entre eux et la Libye leur offrait, la convention de

Montréal,ils auraient dû procéderà une demande d'extradition en bonneet due forme. La Libye

aurait étéalors en droitde ne pasy satisfaire,puisque la conventionde Montréalest gouvernpar

le principeau?dedere autjudicareet qu'ils'agit en l'occurrencede ressortissants libyens.

Les défendeursentendaient demêmeéviter toute coopérationjudiciaire avecla Libye, qui

pourtant présentaitun caractère obligatoireen vertu de la convention. De plus, ce recours aurait

permis à la fois un contrôlepar la Libye des affirmations proféréeset une collaboration à la

recherche de la vérité.

La communication diplomatique,cette mesure d'intimidation, accompagnée de menaces à

peine voiléesn'ayantpas portéses fruits, le Royaume-Uni et les Etats-Unis vont accentuer leur

pression et tenter de procéder à une novation par une transformation de leurs demandes,

incontestablementcontrairesaux droits de la Libye en vertu de la conventionde Montréal,en une

demande émanantdu Conseil de sécurité.

3.10. Devant cet ensemble de menaces, et comme les divergences d'appréciationsur

l'applicationde la conventiondeMontréaél taientdésormaispatentesl,aLibyes'appuyasur la clause

compromissoire prévoyantla compétencede la Cour internationale de Justice, pour tenter de les

résoudre.

'«~i~lomaticInitiativeforthe SurforTrialof the Suspects))(par.2.22 de sonexposeoraldu 14 octobre).

CR 97/20 LUK-LUS -28 -

3.11. A cet égard, la Cour sera attentive au fait que l'intéressantedémonstration de

M. Bethlehem sur la chronologie des faits a le méritede mettre en pleine lumièrela course de

vitesse qui a eu lieu entre un pays en voie de développement luttacontre deux super-puissances

pour faire reconnaître ses droits par une méthode de règlemenp tacifique des différends.

Il convientà ce propos d'examiner brièvemenu tn moyen que les défendeursont invoqué à

diverses reprises:il s'agitdu retard avec lequellaLibyeaurait invoquéla conventiondeMontréal,

à savoir le 11janvier 19926alors que la question avait éportée à la connaissance duConseildès

le 16novembre 1991.

Lachronologieprésentép ear lesdéfendeurspèche cependantparomissionsurcertainsaspects
w
essentiels:lepremierEtat qui a soumisla question deLockerbieau Conseil de sécuritéc,e ne sont

ni le Royaume-Uni,ni les Etats-Unis,c'est laLibye, dans une lettre datéedu 16novembre 1991'.

Il est intéressant d'observer que dans cettelettre, la Libye, confrontéepour la premièrefoià la

diffusion deuxjours plus tôt des accusationsportées contre elle et contreses ressortissants, presse

d'embléele Royaume-Uni et les Etats-Unis :

«to be govemed by the logic of law, by wisdom and by reason and to seek the
judgment of impartialcommissionsof inquiryor ofthe InternationalCourtofJustice))'

(les italitques sont de moi).

Une lettre relative au drame de Lockerbie est égalementtransmisepar la Libye au Conseil

desécurité etàl'AssembléegénéraledesNation Usnies,deux jours plustard, le20 novembre 19919. v

Ce n'estque le 20 décembre,un mois plus tard, que les défendeurset la France déposerontaux

6 ~ D. Betlehem,ibid., p. 44, par.3.18; aussi,p. 53, par.3.42; M. Chr.Greenwood,ibid., p. 66, 72, 76, par.4.32,
4.47-4.49, 4.63;.R. Crook,CR97/18, p. 34, par.3.11.

'DO=.ONU Sl23221,mémoireduRoyaume-Uni,annexeno43.

'Ibid.

Doc. ONU Al461660 etSl23226, ibid.annexe 44.

CR 97/20 LUK-LUS - 29 -

Nations Uniesles documentsrelatifs à l'affaire'';leurmise en circulation au Conseil desécuriet

à l'Assemblée générale a lie lu31 décembre.

Mais laveille, laLibye a déjàécrità I'OACIpour signalerque les accusationslancéescontre

elle sont«des violations de tous les instrumentsjuridiques sur lesquels sont fondées lesactivités

intéressant l'aviationcivile internationale»". Sans doute, c'est onzejours plus tard, le

1janvier 1992,que la Libye invoquerapour lepremièrefois, de manière explicite,la convention

de Montréal. Mais, commenous l'avonsdéjàsouligné, la demandede coopérationjudiciaire du

18novembrereposait déjà implicitementsur ce seul texte de coopération judiciaire existant entre

les Etats intéressés.

Telle est la chronologie exacte des faits, une chronologie qui, comme on levoit, est assez

éloignée dece qu'ona qualifié de ((deliberatestrategy to forestall further action by the Security

Coun~il»'~.C'estau contraireunevision correctede lacollaborationentre leConseilet la Cour qui

est envisagée dèsl'originepar la Libye.

En ce qui concerne le point technique du prétendu retard à invoquer la convention de

Montréal,et pour autant que de besoin, la Libye se bornera à rappeler que dans l'affairedes

Activitésmilitaires etparamilitaires au Nicaraguaoù les Etats-Unisavaient attendu bien plus que

Il jours pour invoquercomme base de compétence dela Cour un traitéd'amitié, de commerce et

de navigation de 1956,la Cour avait dit que

«le fait de ne pas avoir invoquéle traitéde 1956commetitre de compétencedansla
requêten'empêche pas en soi de s'appuyersur cet instrumentdans le mémoire^.'^

'ODoc. ONU Al461825-828 etSl23306-26309,ibid.,annexes 5-8.

Observations de laibyesur lesexceptionspréliminairedsuRoyaume-Uni ,2 décembre 1995,p.49.

l2Mr. J. R. Crook,CR 97/18, p.34, par.3.11.

13C.I.JRecueil 1984,arrê tu 26 novembre 1984,p. 426,par. 80.

CR 97/20 LUK-LUS -30 -

3.12.Sans laisserà la Libye la possibilité defairetraiter selonles procéduresnormalescette

questionjuridique del'applicationdelaconventionde Montréal, lesdéfendeursontpousséun projet

de résolutionqui sera adoptéele 21 janvier 1992par le Conseil de sécurité sousle numéro731.

Le paragraphe 3 de cette résolutiondemandaitaux autorités libyennes((d'apporterimmédiatement

une réponsecomplèteet effective))aux demandes - en particulier celles des deux Etats.

3.13.C'estdansces conditions que la Libye, le 3 mars 1992,a saisi la Cour pour obtenir de

celle-ci une décision sur les droitsqu'elleestime déteniret sur les obligations qàises yeux,

incombent aux défendeursen vertu de la convention de Montréal.

Par une demande distincte du mêmejour, la Libye a introduit une requêteen mesures
J

conservatoires devant la Cour.

PourempêcherlaCour de se prononcersur les questionsjuridiques soulevées,lesdéfendeurs

ont alors fait adopterrle Conseil de sécurité- alors que l'affaireavait plaidée, qu'ellétait

subjudicae et que la décision dela Cour n'était pas encore rendue - une résolution748 du

30 mars 1992.

On connaît le reste. Sans se prononcer sur sa compétenceau principal, la Cour,par ses

ordonnances [du 14avril 19921,estima ne pas pouvoir faire droit aux demandes d'indication de

mesures conservatoiresréclamées parla Libye (C.I.J.Recueil 1992,p. 16,par. 40).

Comme la Libye n'entendait cependant pas se plieraux injonctions des Etats-Unis et du w

Royaume-Uni, ces derniers sont parvenus à faire prendre par le Conseil de sécuritéune

résolution883 (1993) imposant des sanctions à la Libye.

Que les Etats-Unis utilisent le Conseil,chaque fois qu'ilsle peuvent, commeun instrument

de leur politique étrangèren'est un secret pour personne. Comme l'écrivaitFred Hiatt dans le

WashingtonPost du 26 août 1996,

CR 97/20 LUK-LUS «Bush recognized, as has Clinton, that the U.N. can be a useful instrument of

U.S. diplomacy and a force multiplier, and one that can never, because of U.S. veto
rights, be turned against America.»14

3.14. Monsieur le président,Messieurs de la Cour, tout ceci est bien surprenant. On se

croirait sur une autre planète- celle sans-douteoù serait bien établile nouvel ordre international

dont on chantait les louanges ? Voici, en effet, qu'unEtat se trouve victime de sanctions sur base

de la seule affirmation qu'il aurait -peut-être - commis un acte illicite. Voici que la

non-livraison de ressortissants suspectéspar des super-puissancesdevient une menace à la paix!

3.15. Il fautàcet égard,méditerun avis du 10 août 1972,dans lequel le servicejuridique

du département politique fédéral suisse exprimaitdes vues, à mes yeux, fort sensées :

((2.L'acte illicitedoitêteûmentconstaté.Danslapratiqueinternationalesuivie
au XIXesiècle,il arrivait qu'unEtat, qui était généralementung erande puissance, se
réservâtlafacultédequalifierunilatéralemend t 'illicitelecomportementd'unautreEtat,
qui était généralemen utne puissance plusfaible. Il lui appliquait alors des sanctions

en dépit descontestations de ce deuxièmeEtat sur la qualification de l'acte. Cette
pratique,quiévoque lesplusmauvais souvenirsde la vieinternationale,ne correspond
plus aux exigences des relations interétatiquesactuelles.On ne saurait concevoir de
sanctions à notre époque sansun mécanismeobjectif qui permette de constater
préalablementavec toutes les garantiesvoulues la violationd'une règle internationale.

De plus, l'Etatauquel on fait grief d'unetelle violation devrait avoir toute faculté de
s'expliqueret de sejustifier devantl'organeappeléà rendre la décision.))(ASDI,1977,
p. 237.)

Et le Servicejuridique du Département politiquefédéral de poursuivre :

((3.Mêmesi l'onn'adhéraitpas à la conclusion négative découland t u chiffre
précédento ,n devrait en tout cas admettre,en accord avec l'étatactuel du droit, que
l'applicationde sanctions est inadmissible lorsqu'uneprocédure de règlement des
différendsexisteentre l'Etatauteuret l'Etatvictimede l'acteilliciteallégu. n d'autres

termes, l'applicationd'un mécanisme de sanction à desEtats tiers seraitde toute façon
exclue entre Etats qui auraient souscrit aux clauses de règlementjudiciaire des
conventionsde La Haye et de Montréalou qui seraient liéspar la clausefacultativede
l'article36 du Statut de la Cour internationalede Justice (RS 0.193.501) ouenfin qui
auraientconcluunaccordbilatéraldeconciliation,de règlementarbitraloujudiciaire.))

(ASDI,1977,p. 237.)

l4Page A 13.

CR 97/20 LUK-LUS -32 -

L'Institut dedroit international,en 1934,avait déjàdit des choses du style,àpropos

des représailles etla Commissiondu droit internationala adopté uneposition analoguedans son

article 48 sur la responsabilitéinternationale.

3.16.Encore une fois on ne peut que constater de lapart desdeux grands un dédainpour le

respect du droit et une propensionimposer leurs vues par le recours au primatdes rapports de

force. On assiste ainàun double détournementde procédure: l'utilisatàodesfinspersonnelles

du mécanismedu Conseil de sécuritépour occulter le différendbilatéral sous un différend

prétendumentinternationald'unepart, latentative d'écarar cettenouvelleméthode ljuridiction

de la Cour d'autrepart.
*

3.17.Le premier détournementde procédureconsiste en l'utilisatàodes fins personnelles

du mécanismedu Conseil de sécuritépour occulter le différendbilatéral sous un différend

prétendumentinternational.

La novation est, toutefois, purement apparente. Les membres de la Cour qui sont tous des

expertsdesaffairesinternationalessaventparfaitementbienque si lesEtats-Uniset leRoyaume-Uni

consentaient à accepter les propositions qui leur sont faites par plusieurs organisations

internationalesrégionales d'une enquête internatiompartialeet d'unjuge international neutre,

le conflit serait depuis longtempsréglé.

Les deux Etats prétendentque la Libyeen s'opposantau Conseil s'opposerait volonté de w

la Communautéinternationale :ainsi la déclarationde M. Gnehm - s'exprimantau nom des

Etats-Unis- à la tribune de l'Assembléegénéraledes Nations Unies le1"octobre ou celle de

M. Hollis le même jour.

«Le refus de la Libyede satisfaireaux exigencesdu Conseil de sécuritédonne
une idéedu respect de ce payà I'égarde l'ONU. Le fait d'esquiver ses obligations
ne conduira pasà une solution du problèmeentre la Libye et la Communautédes

nations.))A/51PV. 17,p. 30.)

«II ne s'agit pasen l'espèced'undifférend entrele Gouvernementlibyen et un
certain nombre de pays. Il s'agit dela nécessitépour la Communautéinternationale
de réagir aux actes de terrorismeinternational(Ibid M..Hollis, Royaume-Uni.)

CR 97/20 LUK-LUS - 33 -

La Libye s'opposeraitauxNations Unies ? A lacommunautéinternationale ? Pouradmettre

cela il faudrait considérer que ces expressionsexcluenttousles Etats membresqui se sont rangés

du côtéde la Libye. Il faudrait alors considérer que nefont pas partie de la communauté

internationale: la Ligue arabe1', l'Organisatide l'unitéafricaine, la Conférenceislamiqueet les

pays non alignésI6.Mais sans-doute, est-ce un nouvel avatar du nouvel ordre international?

3.18.Monsieurle Président,Messieurs de la Cour,chacun sait quetout le systèmeestbloqué

par l'obstinationde deux Etats et ceci en dépitdes appels de la grande majoritédes Membres des

Nations Unies.

Faut-il rappeler lestrois options proposéesau Consede sécuritépar laconférencedes chefs

d'Etatde l'OUA à Harare en juin 1997 ?

«Pour contribuer à la recherche d'unesolution rapide et juste au confli...la
ConférencesouhaitequeleConseilde sécurité puisseexaminerlesvoieset moyensde

résoudrerapidement la crise et, à cet effet, lui soumet les propositions suivantes
adoptées conjointement avec les Etats arabes,et soutenue par le groupe des Pays
non-alignés :

Première option : tenir le procèsdes deux suspectsdansun pays tiers et neutre,

à désignerpar le Conseil de sécurité.

Deuxième option : faire juger les deux suspects au siège de la Cour
internationale de Justice (CIJ)à La Haye, selon la loi écossaise et par des juges
écossais.

Troisièmeoption :mettre surpiedun Tribunal pénalspécialpourjuger les deux
suspects à La Haye, au siège dela Cour internationale de Justice.))

Si le Conseil de sécurits'estdéclaré((Convaincuque les responsables d'actesde terrorisme

international doivent être traduits enjustice)) conviction que, pour sa part, la Libye partage

"~ésolution5373 du 27 mars 1954 du Conseil de la Ligue arabe (SI19941373 du 31mars 1994);

rCsolutio5506 du 21 septembre 1995duConseil de laLigue (SI19951834du4 octobre 1995).

'6~ésolutiodu 27 avril1995 (S/1995/381du 10mai 1:"afairandimpartialtrialof thoseaccused,to be held in
a neutralcountryagreeduponby al1parties".

CR 97/20 LUK-LUS - 34 -

entièrement- il n'apas - commel'expliquera ultérieuremenlte professeur Suy - endossételle

qu'ellelasolutionque les défendeursveulent imposer. En particulier, iln'ajamais eu l'occasionde

se prononcer sur la solution d'un tribunalinternational impartial, qu'illui est offert de désigner

lui-même.

Ce serait une solution adéquate pourque justice soit rendueà la foisà la mémoiredes

victimes qui exige que la lumièresoit faite et au droit des accusésjustice impartiale. Il n'y

a pas lieu de penser que n'étaientl'obstination des Etats-Unis et du Royaume-Uni, les autres

membres du Conseil de sécurités'opposeraientaux solutions proposéespar la majoritéde la

communautéinternationale.
1
Mais, hélas, la mémoire dev sictimes et le droit des accuséà une justice réunissant les

garanties requisespar le droit international, lesEtats-Unis et le Royaume-Unimontrent bienqu'ils

n'enont cure : àcroire qu'ils ne veulent pascourir le risque d'uneenqextérieureindépendante

et d'un jugement impartialqui minerait des condamnations proféréessur des bases suspectes au

départ dans le but purement politique d'abattre un régimequi refuse de se soumettre à leur

obédience.

3.19. Le second détournement de procédure est illustré parla tentative d'écarter parcette

nouvelle méthode la juridiction dela Cour.

Dans ledélaiprévupour le dépôtdu contre-mémoireau fond :Royaume-Uniet Etats-Unis w

soulèvent des exceptionspréliminaires. C'est une nouvelle manoeuvrp eour que la Cour ne se

prononce pas au fond.

Onveut ainsi vider la clausejuridictionnelle de la convention deMontréaldetout effet. On

prétendqu'iln'ya pas de différendsurlabase de la convention de Montréal, leprofesseurDavid

répondra dansun instant à ces allégations.

On soutient,ce qui est toutfait inexact, M. le professeur Suy le montrera, cet après-midi,

que la Libyedemande l'annulationdes résolutionsdu Conseil de sécurité. n ajoutel'épouvantail

CR 97/20 LUK-LUS -35 -

que, si la Cour examine au fond la requêtelibyenneelle s'opposerait ainsiau Conseil, de peuà,

vrai dire, que la Cour - organe principal des Nations Unies - ne rappelle que le Conseil de

sécuritéest aussi tenu par le droit international; queces résolutionsne sont pas nécessairement

incompatiblesavec le respect de la convention de Montréalou estime nécessaire d'interprételres

décisionsdu Conseil dans un sens qui ne soit pas contraire ces textes de droit international.

Ainsi la preuve est faite que la prétentiondes demandeurs de voir la justice rendue par la

livraison des prétendus suspects est un prétexteet que le but est de conforter un pouvoir

discrétionnaireetarbitrairefondésurune utilisationpartisaneduchapitre VI1lorsquel'onest laplus

grandepuissance du monde.

3.20. Encore faut-il sauter le dernier obsta:échapper àtout contrôlejuridictionnel.

La question est de savoirsi lajustice internationaleva accepterde cautionnerde son autorité

l'ensembledes dénis dedroit que je viens d'évoquer,si elle va donner un blanc-seingà de telles

manoeuvres ?

La Libye, pour sa part, a montréà plusieurs reprises qu'elleétait dispoàélivrer son sort

à la Cour pour des questions importantes de délimitationmaritime ou territoriale. Elle a toujours

exécuté les décisionsde la Cour, même lorsqu'ellel sui étaient défavorables, ce quin'est pas,je

pense, le cas de tout le monde.

Ce moucheron a l'audaced'affronteraujourd'hui l'aigleet le lion et de porter l'affairedevant

vous.

Tout compte fait, Monsieur le Président,Messieurs de la Cour, si ce procèsentre la Libye

et ces deux grands cache un conflit avec des institutions,ce n'estpas celui de la Libye contre le

Conseilde sécuritém , ais celui des Etats-Unis et du Royaume-Unicontre la Cour.

Je remercie la Cour de sa bienveillante attention. M.David serala disposition de la Cour

je suppose après l'interruption. MerciMonsieur le Président.

CR 97/20 LUK-LUS - 36 -

The ACTING PRESIDENT: Thankyou, Professor Salmon. This might be a convenient

stage for Ourmid-morning break. The Court will adjourn for 15 minutes.

L'audience est suspenduede IIh 22 à Il h 37.

The ACTING PRESIDENT: Please be seated. 1nowgive the floor to Mr. David.

M. DAVID :Merci, Monsieur le Président.

La compétencede la Cour

4.1. Monsieur le Président, Messieursde la Cour, c'esttoujours un honneurde s'adàesser W

la Cour, c'estaussi un grand honneur d'avoirété càoceteffet par laLibye, et c'estun honneur

particulier de défendre une causeoù les intérêtsdroit se conjuguent ceux d'un peuplequi

depuis plus de cinq ans endure une situation dedétressedont on imaginemalétendue.

4.2. La tâche qui m'incombe aujourd'ionsisteàmontrerque laCour est compétentepour

connaître du présentdifférendconformément à l'article 14, paragraphe 1 de la convention de

Montréal.Ce point a étéexposé dans larequête introductive d'instaee la Libye en 1992et il

a été répété dalnesmémoire déposé sur lfeond en 1993.

Des exceptions préliminaires ayant été soulevpar les défendeursdans leurs mémoires

w
soumis le 20juin 1995,la Libye y a répondudans ses observations datées du22 décembre1995.

4.3. La Libye constate que la motivationdes exceptionsn'apasintégralementreprise au

cours des plaidoiries orales des défendeurs;la Libye se bornera àrépondreaux arguments

présentés oralemenptar les défendeurs,sans préjudicebien sûr des moyens développsans les

observations écrites libyennes.

CR 97/20 LUK-LUS - 37 -

4.4. Monsieurle Président,Messieursde la Cour, un des défendeursa souligné la simplicité

de l'affaire1et c'estun point sur lequel la Libye est d'accordmême si elle n'entire pas les mêmes

conséquences :le 21 décembre1988,un avion civilaméricainde laPan Am était détruit enplein

vol à la suite d'un attentat. Trois ans plus tard, le Royaume-Uni et les Etats-Unis accusaient

officiellement la Libye d'être responsable de cet attentat, et ils la sommaient de leur livrer deux

citoyens libyens présentés comml ees auteurs présumés.

Or laLibye, lesEtats-Uniset leRoyaume-Uniétaientet sonttoujours parties à laconvention

de Montréal qui organisela coopérationdes Etats dans la répressiondes actes illicites de violence

dirigéscontre lasécurité de l'aviationcivile. L'attentatde Lockerbiecorrespondantexactementaux

infractions viséespar la convention,celle-ci devrait s'appliquera la demande anglo-américainede

coopération.

4.5.C'estdonc,en effet,un problème simple,et cependant,ce qui est simplepourquiconque

sait lire un texte ne l'est pas pourles Etats-Unis et le Royaume-Uniqui ne veulent pas appliquer

la Convention de Montréal pourun ensemblede raisons assez disparates quel'on peutrésumeren

quatre groupes d'arguments, à savoir :

primo : le présentdifférendne relèverait pas dela convention deMontréal;

segundo : rien n'interdiraitauxEtats-UnisetauRoyaume-Unidechercher àexercerleurjuridiction

pénale à l'égarddes accusés surla base du droit internationalgénéral, et en dehors de

la convention de Montréal;

tertio : la soumission de la question auConseil de sécurité excluraittout différendentre les

parties fondé surl'applicationde la convention de Montréal;

quarto : mêmesi la Cour pouvait connaître du différend,elle serait en tout cas incompétente

pour se prononcer sur des questions sans rapport avec le champ d'application de la

convention de Montréal.

'Lord Hardie, CR 97/16, p. 21, par. 2.2.

CR 97/20 LUK-LUS - 38 -

4.6. MonsieurlePrésident, Messieurs de la Courn ,ousallonsvoir qu'aucunde cesarguments

ne résisteà une analyse sérieuse. Jeprie par avance la Cour d'excuserle temps que prendra cette

réfutation. Je vaiscommencerpar le premiergroupe d'arguments, à savoir le présentdifférendne

relèveraitpas de la convention de Montréal.

1. Le présent différend ne relèverap itas de la conventionde Montréal

4.7. La Libye ne répétera pas cequ'ellea déjàécritsur l'existenceobjectived'undifférend

entre les défendeurs et elleà propos de l'interprétation oude l'application de la convention de

Montréal2.L'existenced'untel différendrésulte déjà de la simple relation des événementosù l'on

voit d'une part la Libye réclamerl'applicationde la convention, d'autrepart les défendeurss'y .ir

soustraire et déposer des exceptionsde compétencepour faire échec à l'applicationde cette

convention3. On est doncbienen présenced'undifférend, àsavoircommelaCour l'adit à diverses

reprises, et encore récemmentdans l'affairerelative au Timororiental,

"un désaccordsur un point de droit ou de fait, un conflit, une opposition de thèses
juridiques ou d'intérêts entre les partiesw4.

4.8. Aujourd'hui,à supposerque la Courne se satisfasseplus de la simpleconstatationd'une

opposition de thèses juridiques, le test de l'affaire des Plateformes pétrolièreà5 laquelle les

défendeursse sont largement référésc 6e, test oblige le requérantntrer que lesviolations dont

il se plaint entrent dans les prévisionsdu traitéqu'ilinvoque. Onva voir que tel est le casen
*

'Observationsde laLibye(22déc.1995) surlesexceptions préliminairdes Royaume-Unip ,ar. 2.6-2.11
etdesEtats-Unis, par.2.5-2.10.

4Timor oriental,arrê,C.I.J.Recueil1995, p. 99,par. 22.

'C.I.J.Recueil1996, arrêdu 12décembre 1996 ex, ceptionpréliminaire, par.16.

%of. Chr. Greenwood,CR97/16,p. 57et suiv.,par. 4.5,4.9 à 4.12, 4.34, 4.38et suiv.;
M. M. J. Matheson, CR97/19,p. 50 à 51,par. 6.19et 6.21.

CR 97/20 LUK-LUS - 39 -

usantdemoyensdestinés àempêcher l'applicationde laconventionde Montréal, lesdéfendeurssont

nécessairement conduits à violer cette dernière.

4.9. Le temps impartiaux plaidoiriesde laLibye ne permettantpas d'entrerdans le détail de

toutes lesdispositionspertinentesde la conventionde Montréal,on sebornera à relever qu'aumoins

cinq d'entre ellessont directement applicablesau drame de Lockerbie et à la présenteinstance,à

savoir, les articlespremier,5,paragraphe2,7, 8,paragraphe 3 et 11,paragraphe 1. Je commence

par l'articlepremier:

1) L'affairesoumise à laCourrepose sur l'imputationà desressortissantslibyensd'une "infraction

pénale"ayant consisté à placer, commele dit l'articlepremier de la convention, "illicitement

et intentionnellement...sur un aéronefen service ...un dispositif ou des substances propres

àdétruireleditaéronef',undispositifayanteffectivementdétruitcetaéronef. Onconstatedonc

que :

- ce fait est visé parl'articlepremier de la convention;

- celle-ci est spécifiquementdestinéeà prévenirce type de comportement ainsi que le souligne

d'ailleurs lepréambulede la convention; et enfin que

-
cette convention est en vigueur et lie toutes les parties.

La convention, dont l'Assemblée généra dlees NationsUnies ne cesse de répéter qu'elle doit

êtreratifiéepartoute la communautéinternationale7 - M. Salmony a fait allusion il y a quelques

instants- doit donc s'appliqueret ce n'est pas parce que les Etats-Unis et le Royaume-Uni

s'abstiennent dei'invoquer qu'elle ne s'appliqueas. Dans l'avissur i'Applicabilitde l'obligation

d'arbitrage en vertude lasection21 de l'accorddu 26juin 1947relatif au siègede l'ONU,la Cour

a dit que le fait de ne pas invoquer un traité

'Voirles résolutiondsel'Assemblée génés rulreleterrorisme internatiolar exemple.,40161,
9 décembre 1985;44/29, 4 décembre 1989;46/51, 9 décembre 1991;49/60, 9 décembre 1994;51/210,
17 décembre 1996; toutes cesrésolutionsnt étadoptée sar consensus.

LUK-LUS "pourjustifier sa conduite au regard du droit international n'empêche paqsue les

attitudesopposées des parties fassentnaîtreun différendau sujet de l'interpréoution
de l'applicationdu traité".'

Autrementdit, lefaitde ne pas invoquerune règleàpropos d'unesituationdonnéen'empêche

pascette règlede régircettesituationsi celle-cien relève objectivementequiest lecas à moins

de ne pas appeler un chat un chat.

Passons aux articles 5, paragraphe2, et 7.

2) L'article5,paragraphe 2, de laconventionoblige 1'Etatà établirsa compétencepourconnaître

de tout fait viséàl'article premiersi l'Etatrefuse d'extraderl'auteurde ce fait, et l'article7

oblige 1'Etaà exercercette compétences'ilrefuse d'extrader l'auteur du fait; autremendtit, ces

1
deux dispositions combinéesl'une à l'autre reconnaissentà l'Etat un droit, Monsieur le

Président,Messieurs de la Cour, de choisir entre l'extraditionet la poursuite.

Certes, commel'adit le professeur Greenwood9,le Royaume-Uni ne conteste pas à la

Libye ledroit d'exercerce droit..Quantau Dr. Murphy, ilne songe qu'audroit desEtats-Unis

de poursuivre, pourvu que la Libye leur livre les accusés etil ne voit pas en quoi la Libye

pourrait se plaindre d'une violation deses droitselle''. Bref, tout le mondea des droits et

il n'y aurait pas de différend ce sujet. La Libye constate que la réalitéest pourtant bien

différente.

En effet, si l'onregarde attentivement ce que font les défendeurs,on voit qu'aulieu de w

jouer loyalement lejeu de la convention de Montréalen permettant a la Libye de poursuivre

les accusésconformément à ce que la convention prévoit, ils commencentpar ignorer la

conventionet comme cela les place en dehors de la convention,ils s'adressentau Conseil de

sécuritépour que celui-ci obligela Libyeà leur livrer les accusés; autrement dit,ils agissent

v visconsuliatdu 26avril1988, C.ZJ.. Recueil1988, p. 28, par. 38.

Vrof. Chr.Greenwood, CR 97/16, p. 71, par. 4.44.

'"Dr.S. Murphy,CR 97/18, p. 25 et 26, par. 2.31.

CR 97/20 LUK-LUS -41 -

de manièreàpriver la Libye de la libertéde choix que lui accordela convention de Montréal

àl'instarde toutes les conventions importantesde droit pénalinternational;or cette libertéde

choix est un droit protégépar la convention; l'actiondes défendeursaboutit violer ce droit

et il est donc inexact de prétendrequ'onlaisse la Libye le droit et le pouvoir de poursuivre

les accusés.

3) Je passe àl'article8,paragraphe 3. Cet article dispose que l'infraction àil'articlepremier

donne lieu à extraditiondans les conditions prévuespar le droit de 1'Etatrequis; ce renvoi au

droit de 1'Etatrequis est évidemment essentiel; présentlui aussi dans tous les instruments

modernes dedroitpénalinternational,cerenvoipermet àl'Etatrequisde refuseruneextradition

contraire à son droit national; en l'espèce,le droit libyen, comme beaucoup de systèmes

romano-germaniques,exclut l'extraditiondes nationaux; la Libye est donc fondée à refuser

l'extradition desdeux accusés aux défendeurs.

Le professeur Greenwoodet le Dr. Murphy semblent acceptercette thèse;seloneux, le

Royaume-Uniet les Etats-Unisn'ontjamais prétenduque l'article 8, paragraphe 3 obligeait la

Libye à extrader les suspects, et ils ne voient donc pas en quoi les défendeursauraientviolé

cette disposition".

C'estpourtantsimple :iciaussi,ens'adressantauConseildesécurité pourtenterd'obtenir

que le Conseil oblige la Libyeà leur livrer les accusés,les défendeursprivent la Libye d'un

droiq tui lui est explicitementreconnu par la convention de Montréalcomme dans toutes ses

conventions-soeurs - le droit de ne pas extrader une personne lorsque la loi interne l'exclut;

la non-extraditiondesnationauxest unexempletypiquede cequeprévoientdenombreuseslois

internes; or,enmanŒuvrant pourcontournercette interdiction,enagissant detelle manièreque

la Libye doive livrer les accusés aux défendeurs,eux-ci violentévidemmentla convention.

"prof. Chr. Greenwood,CR 97/16,p. 71, par. 4.46; Dr. S. Murphy, CR 97/18,p. 26, par. 2.33.

CR97/20 LUK-LUS - 42 -

4) Venons-en en enfin à l'article11. L'article11, paragraphe 1, prévoitque les Etats parties

s'accordentl'entraidejudiciairelapluslargepossible,et,surcettebase légale,laLibyedemande

l'assistancedes défendeurspour menerà bien la procédurepénalequ'elle a engagéecontreles

accusés;or en se bornant àenvoyer à la Libye une simple copie de l'exposédes faits et du

mandat d'arrêt, ledéfendeurs neremplissent pas leur devoir d'assistance etde coopération

judiciaire en matièrepénalecar ces documents ne contiennentaucun élément de preuveont

lajustice libyenne pourrait se servir.

On nous dit alors que la Libye n'a pas invoqué l'article 11, paragraph1, dans sa

correspondance avec le Royaume-Uni12;ceci est à la fois légeret surprenan: voudrait-on

suggérerque cette omission empêcherait la convention de s'appliquer et que les services

judiciairesd'Ecosse ne connaissaient pas la loi, fût-elle internati?..leLa qualité des

juristes britanniques, nous en avons eu la preuve au cours de ces dernièresjournées,nous

permet d'endouter, et detoute façon,cen'estpas parcequ'un texte lél'est pasinvoquéqu'il

ne s'appliquepas, ainsi quenous l'avonsdéjàobservé.

On nous dit aussi, du côtéaméricaincette fois, que1'Etatrequis, en vertu mêmede

l'article 1paragraphe 1injne (quelesEtats-Unisacceptentalorsd'appliquerpour les besoins

de la cause), on nous dit donc que l'Etat requis n'est pas obligé de fournirune aide qui

contreviendraià saloinationale,etenparticulierdedélivrerdesinformationsconfidentielle^'^; -

il faut toutefois constater qu'apparemment c'estl'ensembledu dossier qui est confidentiel

puisque les Etats-Unis n'ont fourni aucune information; au-delà des questions qu'une

confidentialitéaussigénéralet aussi absolue soulèvequanà la soliditédu dossier de preuve,

on se borneraa observer pour les besoinsdu présentexercice qu'iln'apas édémontré que

12Pro. hr. Greenwood,CR 97/16, p. 72, par. 4.50.

I3Dr.S. Murphy,Cr 7/18, p. 29 et 30,etsuiv.1

CR 97/20 LUK-LUS -43 -

toute forme d'assistancejudiciaire des Etats-Unisàla Libye aurait violé en l'espècele droit

américain auquel renvoiel'article 11, paragraphe1.

4.10.Monsieur le Président,Messieurs de la Cour, les élémentsqui précèdent montrent que

le drame de Lockerbie est bel et bien une situation viséeà l'article premierde la convention de

Montréalet que lesmanŒuvresdes défendeursvisant àporter cette situation au Conseil de sécurité

conduisentnécessairement à violer des droitsque la conventionde Montréalconfère à la Libye. En

s'adressant au Conseil de sécuritépour tenter d'obtenir qu'il oblige la Libye à adopter un

comportement différent de celuique la convention autorise, les défendeurs mènent eneffet une

action incompatible avec les dispositions précitées dela convention. Entre les défendeurs et la

Libye, il existe doncobjectivement,je le répète,un différendvisépar l'article 14,paragraphe,de

la convention de Montréal. En reprenant mutatis mutandis ce que la Cour avait dit dans l'affaire

des Plates-formes pétrolières,nous pourrions dire ceci:

"[La conventionde 19711met àlacharge de chacunedesPartiesdesobligations
diversesdansdes domainesvariés. Touteaction de l'unedesParties incompatibleavec
cesobligations est illicite, quelsquesoientles moyensutiliséàcetteJin.»14(C'est moi
qui souligne.)

La convention de Montréalénonce des «normes applicables au cas particulier» et celles-ci,

ces normes, couvrent très exactement «les actions menées))par les défendeurscontre la Libye".

4.11.Il y a doncde multiples raisons pour conclureque la convention de Montréals'applique

au drame de Lockerbie et à certaines de ses conséquences; le refus des défendeurs d'accepter ce

point de vue et la volonté inversede la Libye constituent un différend,un différend dontla Cour

peut connaître sur la base de l'article 14,paragraphe 1 de la convention.

*

14C.I.J.Recueil1996, arrêdu 12 décembre 1996,exceptionpréliminairep,ar.21.

l5Ibid., par.36.

CR 97/20 LUK-LUS -44 -

4.12. Nous pouvons maintenant envisagerle deuxième grouped'argumentsdes défendeurs,

arguments selon lesquels rien, et certainement pasla convention de Montréal, neles empêcherait

de chercherà exercer leurjuridiction péàal'égardes accusés surla base du droit international

II. Rien n'interdirait aux Etats-Unis et au Royaume-Uni de chercher à exercer leur
juridiction pénalà l'égard desaccuséssur la base du droit international général

4.13.D'après les Etats-Uet leRoyaume-Uni, la conventionde Montréaln'empêcheraptas

un Etat de demander la livraison d'une personneen dehors du mécanisme prévu par la convention

deMontréal.L'argumentcomportetrois points. Premier point,laLibye ne pourraitpas seplaindre
w
du fait que les défendeurssoumettent le drame de Lockerbie au Conseil de sécurité.Deuxième

point, la convention de Montréaln'auraitpas un caractère delexposterior et de lexspecialis par

rapportà la Charte. Troisièmepoint, c'esten vain que la Libye invoquerait ici l'article33 de la

Charte. Examinons, si vous le voulez bien, chacun de ces points.

Premier point:

A. Le prétendu droitdes défendeursde soumettre le drame de Lockerbie au Conseil de
sécurité

4.14.Monsieur le Présidentet Messieurs de la Cour, il est exact que la convention de

Montréaln'interdîtpas expressémentunEtatpartied'invoquerunmécanismeautreque celuiprévu
-

par la convention pour demanderà un autre Etat partie la livraison d'unepersonne soupçonnée

d'avoircommisun fait visé parla convention. Toutefois, pour quece mécanismedistinctde celui

prévupar le droit commun puisse être utilisé afin d'écarqui est de règle,il faut l'accordde

l'Etatfondéàse prévaloirde la règle communeaux parties. On ne change pas les règlesdujeu en

cours de jeu sans l'acceptationde tous lesjoueurs. A défautd'un tel accord, 1'Etatrequis est

l6Prof.Chr.Greenwood, CR 97/16, p. 61 suiv., pa4.19à 4.25 et 4.3Dr. S.Murphy, CR 97/18,
p. 17et suivpar. 2.4 et 2.7 à 2.27.

CR 97/20 LUK-LUS - 45 -

parfaitementjustifiéàrejeter ce qui est dérogatoire ouexorbitantau droit commun, 1'Etatrequisest

fondé à obtenirreconnaissancede son droit de voir appliquer les mécanismesspécialementconçus

et spécialement acceptésà cet effet.

C'est particulièremenvraidansuneaffairecommecelle-cioù iln'existepasd'obligationpour

un Etat de livrer une personne à un autre Etat en dehors d'un traité d'extradition,et où toute

l'économie de laconventiondeMontréal confirme la prééminend ce la souverainetéde'Etatrequis

pour accorder ou refuserà un autre Etat l'extraditiond'une personnerecherchéepour un fait visé

par la convention.

4.15. 11 est significatif qu'à la suite de la tentative terroriste d'assassinat du

présidentMoubarak d'Egyptesurvenueen Ethiopie le 26 juin 1995 et qu'à lasuite de la fuite des

auteurs présumésde l'attentat au Soudan, le Conseil de sécurité, dans sarésolution

du 30 janvier 1996à laquelle les défendeursont fait allusion,il est significatif que le Conseil de

sécurité ademandéau Gouvernementsoudanais de prendre lesmesuresnécessairespour ((extrader

en Ethiopie .. lestrois suspects))réfugiés au Soudane,t ce ((conformémeatu Traitéd'extradition

conclu en 1964 entre l'Ethiopie et le Soudan))". Autrement dit, le Conseil de sécurité a

honnêtementappliqué lesrèglesdu jeu. 11a honnêtementrenvoyéles parties au mécanisme sur

lequel elles s'étaiententendues pour l'extradition.

Il n'ya pas de raison pour qu'ilen aille autrement ici.

4.16. La Libye et les défendeurs ontconvenu in temporenon suspect0que la répression

internationaled'unattentat commiscontre la sécuritédl'aviationcivile seraitsoumiseun régime

juridique propre. La survenance d'un telattentat est le fait-condition nécessaireplicationde

la convention. Dèslors que ce fait est réalisé, chades Etats concernésesten droit d'exigerde

'' S/Rés.1044, 30 janvier1996, par.4 a);dans le même sens, SIRés.1054 et1070des26 avrilet
16 août1996 es itlatiqusontde moi.

CR 97/20 LUK-LUS l'autreEtat qu'ilappliquele mécanismequ'ilsont conventionnellementélaboré et acceptépour ce

type de fait.

A défaut d'acceptationpar la Libye et les défendeurs d'un mécanismd ee livraison des

suspects autre que celui prévupar la convention de Montréal,les défendeurset la Libye restent

tenus par celui de la convention de Montréal. Donc,celle-ci s'appliqueet conformément à son

article 14, la Cour est compétentepour dire si les réclamationslibyennes baséessur l'application

de cette convention sontfondéesou non.

Deuxième point :

B. Le caractèrede lex specialis et de lexposterior de la convention de Montréal

4.17.La Libye voitdans la conventionde Montréalune lexposterior ou une lexspecialispar

rapport àlaCharte. Lesdéfendeurscontestentce point de vue :pour eux, laprimautéfonctionnelle

et logique de la convention de Montréalsur la Charte dont l'hypothèsed'un attentat contre la

sécurité del'aviation civileinternationale, cette primauténe résisterait paà l'article103 de la

Charte".

4.18. Monsieur lePrésident,Messieursde la Cour,en affirmant le caractèrede lex specialis

oude lexposterior de laconvention de Montréal,la Libye n'essayepas de prétendreque le Conseil

desécurité nepourraitjamais substituersonaction à cellerésultantde i'applicationd'uneconvention
w
internationale. La Libyene dit pas cela, mais la Libye estime que l'interventiondu Conseil de

sécuritédoiêt treconsidérédeans uncertainordonnancementdelasociété internationale, unesociété

où chacun des acteurs doitjouer son rôle, et uniquement le rôle qui lui étéassigné,un système

aussi où chaque instrumentdoit remplir lafonctionqui lui est propre et uniquementcelle-là. C'est

le refus obstinéd'admettreles rôles et fonctions respectifs des uns et des autres qui conduit les

l8Prof.Chr.Greenwood ,R 97/16,p. 64et 65, par4.26 à4.29;Mr. J.R. Crook,CR97/19, p. 10et 11,
par. 3.27à 3.32.

CR 97/20 LUK-LUS -47 -

défendeurs àvouloir faire primer l'actiondu Conseil de sécurité sul'applicationde la convention

de Montréal.

4.19. Lerôle du Conseilde sécurités ,elon l'article39 de laCharte,consistà intervenir dans

lescas extrêmes où lapaix et la sécuritinternationalessont menacés.La fonction de laconvention

de Montréal,on l'a dit, est d'organiser la répressiondes attentats terroristes commis contre la

sécurité del'aviationcivile internationale.

Or il ne suffit pas de dire qu'unattentat menace la paix et la sécuritéinternationalespour

qu'on soit fondé à en saisir le Conseil de sécurité, enécarter automatiquementles normes qui

gouvernent cet attentat- la conventionde Montréal- et distraire l'affaire deson (juge naturel))

- ici, la Cour internationalede Justice.

4.20. Pourrappel, laconventiondeMontréalaétéconclue en 1971,soit quelquevingt-six ans

aprèsla signature de la Charte des Nations Unies. Si réellement,l'intentiondes auteurs de cette

dernière (la Charte) avait été de confierau Conseil de sécuritéle soin de réglertout incident

international,on ne voit vraiment pas trèsbien pourquoi lestats auraientconclu cette convention

et tant d'autres traitéspour réglementer leursrelations. C'est pour celaque très naturellement le

système dela convention de Montréalapparaît, par rapport au systèmede la Charte des Nations

Unies, à la fois commeune Iexposterior et commeune lexspecialis;c'estpour cela aussique dans

les domaines qui relèvent de cette convention, celle-ci doità priori l'emportersur les systèmes

prévuspar la Charte, sauf application de l'article 103 dans les cas qui seront définispar le

professeur Brownlie.

4.21. Il est intéressant de constater que les exemples citéspar un des défendeurspour

contester l'idéequ'untraitécomme la convention deMontréalpuisse apparaître comme une lex

specialis ou une lexposterior19, il est intéressantd'observerqueces exemples loin d'affirmer cette

l9ProfessorC. Greenwood, CR 97/16, p. 65,par. 4.28.

CR 97/20 LUK-LUS -48 -

thèsela confirment. On nousa ainsi rappelé,il y a trois jours, que le Conseil de savaitté

adoptédes résolutionsqui se substituaient au droit normalementapplicable sans tenir compte du

caractèrespécialoupostérieurdece droitnormalementapplicablepar rapportlaCharte.On a cité

ainsi les résolutions (par. 3) et 757(par. Il) qui limitaientletrafic aériensanstenir comptede

la convention de Chicago ou d'autres instrumentspertinents, mais on ne nous a pas dit que ces

résolutions concernaient des mesuresd'embargo aéridans la guerre du Golfeet dans le conflit

yougoslave;on a cité la résolution(par. 12-30)qui limitaitlanavigation surleDanube,malgré

l'existenced'untraitéqui prévoit laliberté denavigation sur ce fleuve mais on s'estabstenu de

préciserqu'ils'agissaitencoredemesuresd'embargodansleconflityougoslave;onacitélacréation
J
des tribunaux pénauxinternationaux, malgré l'existdes conventions de Genèvede 1949 qui

énoncentla règleaut dedere autjudicare, mais on voit immédiatementqu'ils'agissaitdans un cas

toujours du conflit yougoslave,le Tribunal pénal pour l'ex-Yougoet dans l'autre,le Tribunal

pénalpour leRwanda, il s'agissaitde ce qu'ona appelé, hélasl,e ((troisièmegénocide du!

Bref, commentne pas voir dans tous ces cas où l'ona effectivement éla lex specialis

normalement applicable, comment ne pas voir qu'on se trouvait d'une part dans des situations

typiques de menacecontre la paix et la sécuritéinternati,'autrespart dansdes situationsoù

aucun problème depreuve ou d'imputationdes faits ne se posait comme ilse pose pour le drame

de Lockerbie !En d'autrestermes, si tout le monde savait ce qui s'estpassé dansles conflits du
-

Koweit, de Yougoslavie oudu Rwanda, il n'enva pas de mêmedu drame de Lockerbie où l'on

prêteà la Libye ouà certains de ses ressortissants des comportementsque contredisent presque

chaque mois de nouvelles révélations. Dases situationsde ce genre, il est inaproprié deparler

de menace contre la paixpropos d'imputations douteuseset il impoàtfortioride résoudreces

questions dans le cadre du droit propre, du droit spécifiquementapplicableèce.

J'aborde présentle troisièmepoint qui concerne le rôle de l'article33 de la Charte

CR 97/20 LUK-LUS -49 -

C. Le rôle de l'article33 de la Charte

4.22. L'article 33 de la Charte confirme la primautéfonctionnelle de la convention de

Montréalpar rapport à la Charte. C'est eneffet ce qui résulte del'emploides mots «avant tout))

figurant dans cet article. Pour rappel, celui-ci prévoitque mêmesi un différendmenace la paixet

la sécuritéinternationales, même dans ce cas là:

((1.Les parties ...doivent en rechercher la solution, avant tout, par voie de
négociation, d'enquête,de médiation, de conciliation, d'arbitrage, de règlement
judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux,ou par d'autresmoyens
pacifiques de leur choix.)) (Les italiques sont de moi.)

4.23. Ceci montre que, mêmesi la convention de Montréal n'estpas le seul instrument

applicable à laprésenteaffaire,il n'enest pas moinsprioritaire, et ilfaut logiquement logiquement

commencerpartenterd'enépuiserlespossibilitésavand terecourirauConseil desécuritéC . 'est une

obligation qui résulte tant dela lettre et de l'espritde l'article33 de la Charte que de l'obligation

générale d'exécuterde bonnefoi tout traitéenvigueur (conventiondeVienne surledroitdestraités,

art. 26 et déclarationrelative aux principes du droit internationaltouchant les relationsamicaleset

la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies, 7' principe,

ARésolution 2625, 24 octobre 1970).

Ce n'estque dans i'hypothèseoù la conventionn'estpas correctementappliquéeet que cette

inapplicationde laconventionmenace la paixet la sécuritéinternationaleq sue l'onpeut alors saisir

le Conseil de sécurité. Maisl'exerciceet i'applicationcorrecte du droit international exigent que

l'oncommencel'on commence par appliquerles instruments pertinentsque les Etatsont pris la peine

de conclure avant de suggérerqu'ilssont inutiles. 11est contraireà toute logiquejuridique d'agir

comme les défendeurs qui saisissent immédiatementle Conseil de sécurité sans utiliserla

convention spéc8quementapplicable.

4.24. Les Etats-Unis font toutefois valoir que l'article33 ne s'appliqueraitpas ici car son

champd'applicationse limiteraitau chapitreVI de la Chartealors qu'onse trouverait dans le cadre

CR 97/20 LUK-LUS - 50 -

duchapitreVIIZ0.Cetteinterprétationétroitedoit êtejetée d'abord,parce qu'ientpouracquis

ce qui restà démontrer, et ensuiteparce qu'ellene s'accordeni avec la lettrede la disposition,ni

avec son esprit.

L'interprétation américaipart de l'àpriori qu'onse trouve bel et bien dans une situation

relevant du chapitre VII, mais s'ilest vrai que le Conseilde sécuritéasuivi lesdéfendeurs surce

point, il seradémontré cetaprès-midi par les professeurs et Brownlie quecette qualification

autoritaire est trèscontestable au regard des faits de la cause.

Si i'onexamine maintenant de plus prèsla lettre, le texte de l'article33, on constate qu'il

s'appliqueà((toutdifférenddont la prolongation est susceptible de menacerle maintien de la paix
*
et de lasécuritinternationales»,c'est-à-direune situationqui peut ràla fois du chapitre VI

etdu chapitre VII. L'article33 est donc une disposition liminairegénqu'ilserait absurde de

confiner au seul chapitre VI.

En réalité,si on élève un petitpeu le débat,on voit que l'article33 apparaît comme un

développementde l'article2, paragraphe 3, de la Charte sur l'obligation des Etats de régler

pacifiquement leurs différends;son champ d'applicationdevrait donc,eu de choses près,se

confondre avec celui de l'article2, paragraphe 3; or, prétendreque l'article33 se limite au

chapitre VI, c'est comme si l'ondisait que i'article2, paragraphe 3, se limite au chapitre

Charteoù il se trouve et ne s'appliqueplus dèsqu'onsort de ce chapitre. Ce n'est manifestemen-

pas le sens que l'onpeut raisonnablementdonneà cette disposition.

4.25. La Libye reconnaît pourtant que l'article33ne devrait sans doute pas s'appliquerdans

l'hypothèseoù la Libye refuserait de traduire en justice ses ressortissants ou dans l'hypothèseoù

elle ne leur ferait qu'une parodie de procès débouchant surun acquittement ou une peine

symboliquealors que leur culpabilité serait éta:en pareil cas, la Libye n'appliqueraitpas de

Mr. J.R. Crook,CU, CR 97/19, p. 14, pa3.45-3.48.

CR 97/20 LUK-LUS - 51 -

bonne foila convention de Montréal2'.

Or, loin de chercher à esquiver d'éventuelles responsabilités, laibye, on l'a déjàdità

diverses reprises, multiplie les efforts pour entreprendreun véritable pràcl'égard desaccusés,

un procèsqui pourrait être suivipar l'ensemble dela communauté internationalem, ais ce sont les

défendeurs qui font obstruction à l'exercicedes compétencesdu juge libyen en refusant de lui

apporter la moindre coopération.

En attendant, tant que la Libye déclare etmaintient qu'elleveut appliquer sérieusementla

convention, il n'existe pasde raisonjuridique pour mettre en doutecet engagemenP2.

4.26. Si les défendeurs considèrentque la conventionest inefficace, qu'ilsle prouvent. Or

ils ont beau chanter sur tous les tons que la Libye est impliquéedans i'attentatde Lockerbie, ils

répètent àl'envieun refrain connu, ils ne prouvent rien. Et lorsque laLibye témoigneau contraire

de sa bonne foi en proposant,par souci de conciliation,que les suspects soienttraduits devant les

juridictions pénalesd'unEtat neutre ou devant une tribunal pénal international,il est hautement

significatif que les Etats-Unis et le Royaume-Uni n'ont rien d'autre à répondrequ'un silence

méprisant,et tous comptes faits, suspect.

Le fait pour les Etats Unis et le Royaume-Uni des'adresserau Conseil de sécuriténe suffit

donc pas à écarter l'application de la convention de Montréal qui demeure un obstacle

incontournable, un obstacle par lequel il faut passeravanttoub) ...

* *

4.27. Monsieur le Président,Messieurs de la Cour, ayant montréque les défendeursne

pouvaient passer outre aux dispositions de la convention de Montréal,nous pouvons quant nous,

passer à la troisième catégoried'arguments avancéspar les défendeurspour faire échec à la

2'Cf:opinion dissidentedu JugeBedjaoui,Ordonnancedu 14 avril1992, C.I.J.Recueil 1992,p. 37 et 147.

22Cfopinion dissidentedu JugeAjibola,ibid., p. 86-87, 191.

CR 97/20 LUK-LUScompétencede la Cour, à savoir, le fait qu'ily aurait un différendnon entre eux et la Libye, mais

entre le Conseil de sécurité etla Libye.

III. La soumission de la question au Conseil de sécurité exclurait tout différend entre les
parties fondésur l'application de la convention de Montréal

4.28.SelonlesEtats-UnisetleRoyaume-Uni,laprésenteaffaireayantétésoumise auConseil

de sécurité, elle relèverait exclusivemend te ce dernier, et exclurait toute application de la

conventionde M~ntréal~~.

4.29. L'exceptionsoulevée est fortproche des précédentese ,t comme on l'arappelé,ce n'est

pasparce que l'affairea étésoumise auConseilde sécuritéque la conventiondeMontréal cessede 'W

s'appliquer

- dèslors que les faits de la cause relèventde la convention,

- dèslors qu'iln'apas été démontré que pour de tels faits, cette conventionrestait inefficace,

et

- dèslors qu'il paraîtdifficile de soutenir qu'ily a menace contre lapaix lorsqu'un Etat- la

Libye - se borne à réclamerle respect, le simple respect du droit internationaà,savoir le

respect d'uneconvention ..

4.30. Ce que lesdéfendeurs suggèrenttoutefois,c'estque l'affaire étanttraitéepar le Conseil

.J
de sécuritéi,l y auraitun différendnon plus entre eux et laLibye, maisentre leConseilde sécurité

et la Libye.

4.31. C'est une exception classique que le Royaume-Uni avait déjàvainement tenté de

souleverdans l'affaire duCameroun septentrional. A l'époque,la Cour l'avaitrapidementécartée

en se bornant à dire qu'ellen'avait pas

23~rof. hr. Greenwood,CIJ,CR 97/16, p. 74,par. 4.55-4.59;Prof. E.Zoller, CR 97/19, p. 32, par.5.1.

CR 97/20 LUK-LUS «à se préoccuperde savoir si un différendportant sur le mêmeobjet a existéou non
entre la Républiquedu Camerounet les Nations Unies ou l'Assemblée Générale. De
l'avisde la Cour, il suffit de constaterque ...les positions opposées des Partiespour

ce qui concerne l'interprétationet I'applicationdes articles pertinents de l'accordde
tutelle révèlentl'existence entrele Cameroun et le Royaume-Uni, à la date de la
requête, d'un différend ausens admis par lajurisprudence de la Cour.. .»24

Dans la présente affaire, il serait encore plus artificiel de soutenir qu'au différend

défendeurskibye se serait substituéun différendConseil de sécuritékibye. Non seulement, l'un

n'exclut pas l'autre, mais une analyse objective de la réalitémontre que le différend

défendeurskibye est la condition même dudifférendConseil de sécuritéLibye à supposer que

celui-ci existe. M. Suymontrera d'ailleurs qu'iln'ya pas de différend entre leConseil de sécurité

et la Libye.

4.32.Que lasaisinedu Conseil desécurité n'excluepas ledifférenddéfendeurskibye est une

évidence.Non seulement,le différenddéfendeurskibye s'estformé avantla saisine du Conseilde

sécuritém , ais il s'estperpétuéaprès quele Conseil de sécurité a adoptéses résolutions73 1, 748

Commenous l'avonsrelevé,ilexisteentre lesParties «uneoppositionde thèses juridique^))'^

où d'un côtél,es défendeurssoutiennentque laconvention de Montréalne s'appliquepas et que la

Libye doit leur livrer les suspects, de l'autre côté, Libye estime que la convention s'appliqueet

que conformément à celle-ci, la Libye ne doit pas livrer les suspects aux défendeurs. Ily a donc

bien oppositionde thèsesjuridiques entreles Parties, c'est-à-dire«différend» selonla définitionde

cette notion donnéepar la Cour.

4.33. Ce différendn'apas disparu du fait de la saisine du Conseil par les défendeurs. Ce

différenda aucontrairesubsistédanslamesureoù les défendeursont continué àrejeterl'application

de la convention de Montréaltout en exigeant que la Libye leur livre les suspects impliquésdans

-- - --
24Cameroun septentrional, ar, .I.J. Recueil1963,p. 27.

ZS~irnoorriental,arrêt,C.I.J.Recueil 1995,p. 99, par. 22.

CR 97/20 LUK-LUS - 54 -

l'attentat de Lockerbie, alors que la Libye continuait,elle,à réclamerl'application de cette

convention et, conformément àcelle-ci, son droià elle dejuger ces personnes, le droit de ne pas

les livrer aux défendeurs et le droitd'obtenir l'entraide judiciairela plus large possible, sans

préjudice, biensûr, de toute autre solution convenue entre les défendeurset la Libye pour le ,

jugement des accusés.

4.34. En réalité, sun différend opposaitle Conseil de sécurité à la Libye- quod non -,

ilrésulteraitdu différenddéfendeurshibye, ou si l'onpréfêrel,e différenddéfendeurskibyeserait

la condition du différend Conseil desécuritéaibye.

En effet :le dramede Lockerbie,lavolontéde laLibye dejuger les suspectsoud'obtenirune
1
solution protectrice de leurs droits, la volonté dene pas les livrer aux défendeurs,et d'obtenir

l'entraidejudiciaire la plus largepossible, en sens inverse la volontédes défendeursd'obtenirla

«livraison»des suspectset de lesjuger eux-mêmes sontautantde questionsréglées spécifiquement

par la convention de Montréalet relevant par conséquent de cetteconvention.

Or, c'est parce que d'un côté la Libye veut appliquer cette convention à la demande

anglo-américainede «livraison»dessuspectset d'unautrecôtélesdéfendeursrefusent l'application

de cette convention qu'il existe objectivement un différendsur son application. Le différend

n'existerait pas si, soit la Libye acceptait de livrer purement et simplement les suspects aux

défendeursen dehors de toute convention particulière, soitles défendeursacceptaient d'appliquer
w

loyalement la convention de Montréalet de ne plus réclamerla ((livraison))des suspects.

La Libyerefusant de se plieraux injonctionsillégalesdesdéfendeurs,cesderniersontdécidé

d'utiliserlaforce institutionnelledu Conseilde sécurité. Cesontoncbien lesvolontésantagonistes

des deux Parties sur l'application ou l'inapplicatde la conventionde Montréalqui conditionnent

ce que les défendeurs appellent le différend Conseilde sécuritékibye.

4.35. Pourtant, un tel différendn'existe pas. On rappellera que la présente questiona été

inscriteà l'ordre dujour du Conseil de sécuritéàla suite de lettresadresséesau Secrétairegénéral

CR 97/20 LUK-LUS - 55 -

des Nations Unies notammentpar le Royaume-Uni et les Etats-Unis, lettres qui demandaient à la

Libye de leurlivrer lesdeuxaccusész6;orleConseil de sécurité n'ajamais traitéla questioncomme

s'ils'agissaitd'undifférend entrelui, le Conseil, et la Libye.

D'ailleurs,un simplecoup d'Œil surla saisine et lesrésolutionsdu Conseilde sécuritmontre

que celui-ci traite d'un dzflérenddéfendeurs/libyeet que le prétendudifférend Conseil de

sécuritéLibye - c'est-à-direplus exactement le traitement de la question de Lockerbie par le

Conseilde sécurité - n'estque consécutifau différenddéfendeurs-Libye;leConseil de sécurité ne

s'occupera évidemmentplus de la question de Lockerbie le jour où se résoudra le différend

défendeurskibye. On imagine mal, en effet, que le Conseil de sécurité continue à traiter de la

questionsi soitlesdéfendeursacceptentd'appliquer laconventiondeMontréal,soit laLibyeconsent

à leur livrer les suspects.

Le différend entre leRoyaume-Uni et les Etats-Unis, d'unepart, la Libye, d'autre part,

conserve doncune complèteautonomiejuridique2'et laCourpeut en connaîtrede manière séparée

ainsi qu'ellel'adéjàreconnu dans le passé pourd'autresaffaires2'.

4.36. Certes, les Etats-Unis et le Royaume-Uni sous-entendentque même s'ilexiste un

différend autonome entre euxet la Libye - ce qui est le cas-, il serait inutiluee la Cour le

résolve quantau fond eu égardaux résolutions 748 et883 du Conseil de sécurité combinées aux

effets des articles5 et103 de la Charte. Je n'évoqueraipas ce pointqui seraabordé tout à l'heure

par les professeurs Suy et Brownlie.

26Do~O. NUS/23307,22 décembre1991;Sl23308,31dkcembre 1991,inMemoirelibyen (fond),annexes45 et 46;voir

dkterminationde l'ordredu jour du Conseil lsa3033' séance,21 janvier 1992,StPV.3033,provisoire, p.3 in
mkmoire libyen (fond), annexe83.

27Questionsd'interprétation et d'application de la coe Montréal,ordonnance du 14 avril 1992, opinion
dissidente de Bedjaoui, C.I.J.Recueil 1992, p. 34 et 144,par. 4.

28Carnerousneptentrional,arrét.C.I.J.Recueil1963,p. 27;PersonneldiplomatiqueeàTéhéranaa,rrét,C.I.J.,
Recueil1980, p. 20, par.

CR 97/20 LUK-LUS -56 -

4.37. Monsieur le Président, Messieurs de la Couri,l existait clairement un différendentre

les défendeurset la Libye sur l'applicationde la convention de Montréal avantl'adoptionde la

résolution748- ce que les défendeurs nesemblentd'ailleurspascontester. La saisinedu Conseil

de sécurité parles défendeursn'aévidemment pastransforméce différenden un différend Conseil

de sécuritékibye. A moins de considérerque leConseil desécuritéserait subrogé aujourd'hui aux

droits et obligations..des Etats-Uniset du Royaume-Uni- ce qui ne manqueraitsans doute pas

de surprendre quelque peu la communautéinternationale.. .

Mais si nous restons sérieux,on voit bien que le différendentre les défendeurset la Libye

n'apas disparuet que la Cour est toujoursfondéeà en connaître,conformément àl'article14de la

convention.

4.38.Monsieur le Président, Messieursde la Cour,nous arrivons enfin au quatrièmegroupe

d'argumentsdes défendeurssurl'incompétence de la Courà connaîtrede certainesréclamationsde

la Libye parce qu'elles seraient,leur estime, de toute façon trop éloignéesde la convention de

Montréal.

IV. Selon les défendeurs,même si la Cour pouvait connaîtredu différend, elle seraiten tout
cas incompétentepour se prononcer sur des questions qui, selon eux, sont sans rapport
avec le champ d'application de la convention de Montréalz9

4.39. Ces arguments concernent les réclamationslibyennes figurant dans l'acteintroductif w

d'instanceet portant d'unepart sur lesmesuresde contrainteimposéesàla Libyepar lesdéfendeurs

(A), d'autrepart sur l'opposabilitéla Libye des résolutionsdu Conseil de sécurit(B).

Considérons séparémens t,i vous le voulez bien, ces deuxréclamationsde laLibye.

A. Selon la première réclamation,la Cour peut connaître des mesures de contrainte
imposées à la Libye par les défendeurs

4.40.Les défendeursne se sontguère étendus sur cepointdans leurs plaidoiriesorales et la

29~rofesseGreenwood,CR 97/16,p.61,par.4.16.

CR 97/20 LUK-LUS -57 -

Libye peut donc êtrebrève. LaLibye prend en tout cas acte avec satisfactiondes déclarationsde

l'Agentbritanniquesuggérantque leRoyaume-Unin'ajamais voulu utiliser laforce contre la Libye

pourla solutionde laprésenteaffaire3'.LesEtats-Unisn'ont cependantpasfaitla même déclaration,

et pour cause, comme l'arappelé tout à l'heure leprofesseur El-Murtadi.

4.41. Surla compétencede la Cour pour connaître de ce type de fait, il suffit d'observer que

la convention de Montréalne peut être dissociédeu droit international générale,t notamment du

droit international des traités.

Le principe de l'interdictionde la contrainteénonotamment à l'article52de laconvention

de Vienne de 1969sur le droit des traités propos de la conclusiondes traités, doncla contrainte

sur laconclusion des traités,ce principe s'appliqueavec d'autantplusde forceleur exécution.Si

comme le stipulel'article26 de cette convention,«[t]outtraitéen vigueur lie les parties et doit être

exécuté de bonnefoi»,cettedisposition- cetarticle 26- estàfortioriviolée lorsqu'uEtatpartie

à une convention recourt à la menace pour forcer son CO-contractantà renoncer aux droits qu'il

possèdeen vertu de cette convention.

C'estexactementcequ'ontfait lesEtats-Unislorsqu'ils ontàdiversesreprises,laisséentendre

((qu'aucuneoption n'étaitexclue))pour contraindre la Libye leur livrer les suspects en dépit des

droits que la convention de Montréal reconnaît la Libye.

L'évaluationde la légalitéde ces mesuresfait donpartie, inextricablement,du différendsur

la convention de Montréal,et à ce titre, la Cour est parfaitement fondàen connaître.

B. Selon la deuxième réclamation dela Libye, la Cour peut connaître des plaintes de la
Libye relatives àl'inopposabilité des résolutiondsu Conseil de sécurité

4.42. Selonles défendeurs, laCour serait incompétentepour se prononcer sur l'opposabilité

des résolutions duConseil de sécurité à la Libye car sa compétenceserait limitée à la seule

interprétation dela conventionde Montréal,et que cela n'englobepas la question de l'opposabilité

30~iFr.Berman,ibid., 19par. 1.15.

CR97/20 LUK-LUS -58 -

des résolutionsdu Conseil de sécurité.

4.43. Ce raisonnement, Monsieurle Président, Messieursde la Cour, occulte le fait que ce

sontles Etats-Unis et le Royaume-Uniqui invoquentleurpropre interprétationdesditesrésolutions

pour ne pas appliquer la convention deMontréal. Ces résolutions apparaissentcomme un motif

d'exclusionde la convention de Montréale ;t si c'estle cas, elles font donc partie du différendsur

l'applicationde la convention de Montréal. Si, par exemple, les Etats-Uniset le Royaume-Uni

invoquaientl'étadt e détresse, laforcemajeure,une contre-mesureou l'état denécessitépour ne pas

appliquer la convention, le différend porteraitsur ces exceptions et la Cour serait fondéeà en

connaître au titre de sa compétence à trancher tout différend concernant l'application dela

convention alors que la convention de Montréalne parle pourtant ni de détresse,ni de force

majeure, ni de contre-mesureou d'état denécessité.

La Cour est dèslors compétente, iciaussi, pour diresi, dans les circonstancesde l'espèce, il

est exact que les résolutionsinvoquéep sar les défendeurssont opposables à la Libye.

**

4.44. Monsieur le Président, Messieursde la Cour,arrivéau terme de notre argumentation

sur la compétence de la Cour, nous constatons qu'aucune des exceptions soulevéespar les

Etats-Unis et le Royaume-Uni n'empêchs eérieusementla Cour de connaître du fond du différend

sur l'applicationdela conventionde Montréal.Nos observationspeuvent se résumer comme suit:

- les problémesde livraisonet dejugement des accusésrelèventpar essence de la conventionde

Montréal,et par conséquent,la Cour est fondée à en connaître à moins de chercher dans la

convention des restrictions et des exceptions qui ne ressortent ni du texte, ni de son esprit, ni

des travaux préparatoires;

- le droit allégupar les Etats-Uniset le Royaume-Unide porter l'affaireau Conseil de sécurité

n'écartepas pour autant l'application de la convention;

- le traitement de l'affaire par leConseil de sécurne transforme pas le différend actuel entre

LUK-LUS - 59 -

les défendeurs etla Libye en un prétendudifférend entre leConseil de sécurité etla Libye;

- partant, enfin, la compétencedela Courà trancher un différendsurla base de la convention de

Montréall'autorise àrégleraussi les questions qui y sont intimement liées, notammentcelles

relatives aux menaces d'emploi dela force émanantdes défendeura sinsi quecelles concernant

l'inopposabilité la Libye des résolutionsdu Conseil de sécurité.

4.45. En conclusion, rien dans la présente affairene permet d'écarterl'application dela

convention de Montréal. Ce n'est ni parceque les Etats-Unis et le Royaume-Uni s'abstiennent

d'invoquerla convention,ni même parce que le Conseilde sécuritéagitcomme si cette convention

n'existaitpas que la convention cesse d'existeret de produire ses effets.

Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, les défendeurs manient - bien

involontairement - le même humour que mon illustre compatriote, lepeintre René Magritte, qui

intitule l'unde ses tableaux représentantune pipe ((Cecin'est pasune pipe.)) C'est unemanière

pour Magritte de dire que les hommes ne veulent pas voir la réalitéqui est sous leurs yeux.

Pourtant, l'enfantqui regarde le tableau sait bien, lui, que c'estune pipe qui est peinte sur la toile.

De même,tout juriste de bonne foi sait que le drame de Lockerbie est le type mêmede fait pour

lequel la convention deMontréal a été conclue.

**

4.46. Monsieurle Président,Messieursde la Cour, permettez-moide vous remercier pour la

patience dont vous avez fait preuve tout au longde cet exposéet de l'attentionque vous avez bien

voulu m'accorder.

The ACTINGPRESIDENT: Thankyou, Professor David. We shall resumethe proceedings

at 3 o'clockthis aftemoon.

TheCourtrose at 12.45 a.m.

CR 97/20 LUK-LUS

Document Long Title

Public sitting held on Friday 17 October 1997, at 10 a.m., at the Peace Palace, Vice-President Weeramantry, Acting President, presiding

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