Public sitting held on Monday 19 February 2018, at 10 a.m., at the Peace Palace, President Yusuf presiding, in the case concerning Immunities and Criminal Proceedings (Equatorial Guinea v. France)

Document Number
163-20180219-ORA-01-00-BI
Document Type
Incidental Proceedings
Number (Press Release, Order, etc)
2018/2
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Bilingual Document File
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Non corrigé
Uncorrected
CR 2018/2
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LA HAYE THE HAGUE
ANNÉE 2018
Audience publique
tenue le lundi 19 février 2018, à 10 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de M. Yusuf, président,
en l’affaire relative aux Immunités et procédures pénales
(Guinée équatoriale c. France)
Exceptions préliminaires
________________
COMPTE RENDU
________________
YEAR 2018
Public sitting
held on Monday 19 February 2018, at 10 a.m., at the Peace Palace,
President Yusuf presiding,
in the case concerning Immunities and Criminal Proceedings
(Equatorial Guinea v. France)
Preliminary Objections
____________________
VERBATIM RECORD
____________________
- 2 -
Présents : M. Yusuf, président
Mme Xue, vice-présidente
MM. Owada
Abraham
Bennouna
Cançado Trindade
Mme Donoghue
M. Gaja
Mme Sebutinde
MM. Bhandari
Robinson
Crawford
Gevorgian
Salam, juges
M. Kateka, juge ad hoc
M. Couvreur, greffier
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- 3 -
Present: President Yusuf
Vice-President Xue
Judges Owada
Abraham
Bennouna
Cançado Trindade
Donoghue
Gaja
Sebutinde
Bhandari
Robinson
Crawford
Gevorgian
Salam
Judge ad hoc Kateka
Registrar Couvreur
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Le Gouvernement de la République de Guinée équatoriale est représenté par :
S. Exc. M. Carmelo Nvono Nca, ambassadeur de la République de Guinée équatoriale auprès du
Royaume de Belgique et du Royaume des Pays-Bas,
comme agent ;
M. Juan Olo Mba, ministre délégué de la justice de la République de Guinée équatoriale,
Mme Rimme Bosio Riokale, secrétaire d’Etat de la République de Guinée équatoriale,
S. Exc. M. Miguel Oyono Ndong, ambassadeur de la République de Guinée équatoriale auprès de
la France,
S. Exc. M. Lázaro Ekua, ambassadeur de la République de Guinée équatoriale auprès de la Suisse
et représentant permanent auprès de l’Office des Nations Unies et d’autres organisations
internationales à Genève,
M. Sergio Abeso Tomo, ancien président de la Cour suprême de justice de la République de Guinée
équatoriale,
comme membres de la délégation ;
M. Maurice Kamto, professeur à l’Université de Yaoundé II (Cameroun), avocat au barreau de
Paris, membre et ancien président de la Commission du droit international,
M. Jean-Charles Tchikaya, avocat au barreau de Bordeaux,
sir Michael Wood, K.C.M.G., membre de la Commission du droit international, membre du barreau
d’Angleterre,
comme conseils et avocats ;
M. Alfredo Crosato Neumann, Institut des hautes études internationales et du développement,
Genève,
M. Francisco Evuy Nguema Mikue, avocat de la République de Guinée équatoriale,
M. Francisco Moro Nve Obono, avocat de la République de Guinée équatoriale,
M. Didier Rebut, professeur à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas,
M. Omri Sender, George Washington University Law School, membre du barreau d’Israël,
M. Alain-Guy Tachou-Sipowo, chargé de cours, Université McGill et Université Laval,
comme conseils ;
Mme Emilia Ndoho, secrétaire à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale auprès du
Royaume de Belgique et du Royaume des Pays-Bas,
comme assistante.
- 5 -
The Government of the Republic of Equatorial Guinea is represented by:
H.E. Mr. Carmelo Nvono Nca, Ambassador of the Republic of Equatorial Guinea to the Kingdom
of Belgium and the Kingdom of the Netherlands,
as Agent;
Mr. Juan Olo Mba, Minister Delegate for Justice of the Republic of Equatorial Guinea,
Ms Rimme Bosio Riokale, State Secretary of the Republic of Equatorial Guinea,
H.E. Mr. Miguel Oyono Ndong, Ambassador of the Republic of Equatorial Guinea to France,
H.E. Mr. Lázaro Ekua, Ambassador to Switzerland and Permanent Representative to the
United Nations Office and other international organizations in Geneva,
Mr. Sergio Abeso Tomo, former President of the Supreme Court of Justice of the Republic of
Equatorial Guinea,
as Members of the Delegation;
Mr. Maurice Kamto, Professor at the University of Yaoundé II (Cameroon), member of the Paris
Bar, member and former chairman of the International Law Commission,
Mr. Jean-Charles Tchikaya, member of the Bordeaux Bar,
Sir Michael Wood, K.C.M.G., member of the International Law Commission, member of the
English Bar,
as Counsel and Advocates;
Mr. Alfredo Crosato Neumann, Graduate Institute of International and Development Studies of
Geneva,
Mr. Francisco Evuy Nguema Mikue, avocat of the Republic of Equatorial Guinea,
Mr. Francisco Moro Nve Obono, avocat of the Republic of Equatorial Guinea,
Mr. Didier Rebut, Professor at the University Paris 2 Panthéon-Assas,
Mr. Omri Sender, George Washington University Law School, member of the Israel Bar,
Mr. Alain-Guy Tachou-Sipowo, lecturer at McGill University and Université Laval,
as Counsel;
Ms Emilia Ndoho, secretary at the Embassy of Equatorial Guinea in the Kingdom of Belgium and
the Kingdom of the Netherlands,
as Assistant.
- 6 -
Le Gouvernement de la République française est représenté par :
M. François Alabrune, directeur des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des affaires
étrangères,
comme agent ;
M. Pierre Boussaroque, directeur adjoint des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des
affaires étrangères,
comme agent adjoint ;
M. Alain Pellet, professeur émérite à l’Université Paris Nanterre, ancien membre et ancien
président de la Commission du droit international, membre de l’Institut de droit international,
M. Hervé Ascencio, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne,
M. Pierre Bodeau-Livinec, professeur à l’Université Paris Nanterre,
M. Mathias Forteau, professeur à l’Université Paris Nanterre,
Mme Maryline Grange, maître de conférences en droit public à l’Université Jean Monnet à Saint
Etienne, Université de Lyon,
comme conseils ;
M. Ludovic Legrand, consultant juridique à la direction des affaires juridiques du ministère de
l’Europe et des affaires étrangères,
M. Julien Boissise, consultant juridique à la direction des affaires juridiques du ministère de
l’Europe et des affaires étrangères,
comme conseils adjoints ;
Mme Flavie Le Sueur, cheffe du bureau du droit économique, financier et social, de
l’environnement et de la santé publique à la direction des affaires criminelles et des grâces du
ministère de la justice,
Mme Diarra Dime Labille, conseillère juridique à l’ambassade de France aux Pays-Bas,
comme conseillères.
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The Government of the French Republic is represented by:
Mr. François Alabrune, Director of Legal Affairs, Ministry for Europe and Foreign Affairs,
as Agent;
Mr. Pierre Boussaroque, Deputy-Director of Legal Affairs, Ministry for Europe and Foreign
Affairs,
as Deputy-Agent;
Mr. Alain Pellet, Emeritus Professor at the University Paris Nanterre, former member and former
Chairman of the International Law Commission, member of the Institut de droit international,
Mr. Hervé Ascencio, Professor at the University Paris 1 Panthéon-Sorbonne,
Mr. Pierre Bodeau-Livinec, Professor at the University Paris Nanterre,
Mr. Mathias Forteau, Professor at the University Paris Nanterre,
Ms Maryline Grange, lecturer in Public Law at the Jean Monnet University in Saint Etienne,
University of Lyon,
as Counsel;
Mr. Ludovic Legrand, Legal Consultant, Directorate of Legal Affairs, Ministry for Europe and
Foreign Affairs,
Mr. Julien Boissise, Legal Consultant, Directorate of Legal Affairs, Ministry for Europe and
Foreign Affairs,
as Assistant Counsel;
Ms Flavie Le Sueur, Head of the Office of Economic, Financial and Social Law, the Environment
and Public Health, Directorate of Criminal Affairs and Pardons, Ministry of Justice,
Ms Diarra Dime Labille, Legal Counsellor, Embassy of France in the Netherlands,
as Advisers.
- 8 -
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte.
La Cour se réunit aujourd’hui pour entendre les Parties en leurs plaidoiries sur les exceptions
préliminaires soulevées par la France dans l’affaire relative aux Immunités et procédures pénales
(Guinée équatoriale c. France).
Je voudrais indiquer tout d’abord que, pour des raisons dont il m’a dûment fait part, le
juge Tomka n’est pas en mesure de siéger cette semaine.
La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de nationalité équato-guinéenne, la
Guinée équatoriale s’est prévalue du droit que lui confère le paragraphe 2 de l’article 31 du Statut,
et a désigné M. James Kateka pour siéger en qualité de juge ad hoc en l’affaire. M. Kateka a été
installé en cette qualité en 2016, au cours de la phase de l’affaire consacrée à la demande en
indication de mesures conservatoires.
*
Je vais maintenant rappeler brièvement les principales étapes de la procédure en l’affaire.
Le 13 juin 2016, la République de Guinée équatoriale a introduit une instance contre la
République française au sujet d’un différend ayant trait à l’immunité de juridiction pénale du
vice-président de la République de Guinée équatoriale, M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, ainsi
qu’au statut juridique de l’immeuble situé avenue Foch à Paris qui, selon la Guinée équatoriale,
abrite son ambassade en France.
Pour fonder la compétence de la Cour, la Guinée équatoriale invoque le protocole de
signature facultative concernant le règlement obligatoire des différends relatifs à la convention de
Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961 ainsi que la convention des Nations Unies
contre la criminalité transnationale organisée du 15 novembre 2000.
Par une ordonnance en date du 1er juillet 2016, la Cour a fixé au 3 janvier 2017 et au 3 juillet
2017, respectivement, les dates d’expiration des délais pour le dépôt d’un mémoire de la
Guinée équatoriale et d’un contre-mémoire de la France. Le mémoire de la Guinée équatoriale a été
déposé dans le délai ainsi prescrit.
- 9 -
Le 29 septembre 2016, la Guinée équatoriale, se référant à l’article 41 du Statut et aux
articles 73, 74 et 75 du Règlement, a présenté une demande en indication de mesures
conservatoires tendant à ce que la France suspende toutes les procédures pénales engagées contre le
vice-président équato-guinéen ; qu’elle veille à ce que l’immeuble situé au 42 avenue Foch à Paris
soit traité comme locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale en France et, en
particulier, garantisse son inviolabilité ; et qu’elle s’abstienne de prendre toute autre mesure qui
pourrait aggraver ou étendre le différend soumis à la Cour.
Par lettre datée du 3 octobre 2016, dans laquelle j’invoquais le paragraphe 4 de l’article 74
du Règlement, j’ai, en qualité de vice-président de la Cour, faisant alors fonction de président en
l’affaire, appelé l’attention de la France «sur la nécessité d’agir de manière que toute ordonnance
de la Cour sur la demande en indication de mesures conservatoires puisse avoir les effets voulus».
Par ordonnance du 7 décembre 2016, la Cour, après avoir entendu les Parties, a indiqué les
mesures conservatoires suivantes :
«La France doit, dans l’attente d’une décision finale en l’affaire, prendre toutes
les mesures dont elle dispose pour que les locaux présentés comme abritant la mission
diplomatique de la Guinée équatoriale au 42 avenue Foch à Paris jouissent d’un
traitement équivalent à celui requis par l’article 22 de la convention de Vienne sur les
relations diplomatiques, de manière à assurer leur inviolabilité.»
Le 31 mars 2017, dans le délai fixé au paragraphe 1 de l’article 79 du Règlement, la France a
soulevé des exceptions préliminaires à la compétence de la Cour. En conséquence, par ordonnance
du 5 avril 2017, la Cour, constatant qu’en vertu des dispositions du paragraphe 5 de l’article 79 du
Règlement la procédure sur le fond était suspendue, a fixé au 31 juillet 2017 la date d’expiration du
délai dans lequel la Guinée équatoriale pouvait présenter un exposé écrit contenant ses observations
et conclusions sur les exceptions préliminaires soulevées par la France. La Guinée équatoriale a
déposé un tel exposé dans le délai ainsi fixé, et l’affaire s’est alors trouvée en état pour ce qui est
des exceptions préliminaires.
*
Conformément au paragraphe 2 de l’article 53 de son Règlement, la Cour, après s’être
renseignée auprès des Parties qui n’y ont pas objecté, a décidé que des exemplaires des pièces de
- 10 -
procédure et documents annexés seraient rendus accessibles au public à l’ouverture de la procédure
orale. En outre, conformément à la pratique de la Cour, l’ensemble de ces documents sera placé dès
aujourd’hui sur le site Internet de la Cour.
*
Je constate la présence à l’audience des agents, conseils et avocats des deux Parties.
Conformément aux dispositions relatives à l’organisation de la procédure arrêtées par la Cour, les
audiences comprendront un premier et un second tours de plaidoiries. Le premier tour de
plaidoiries débute aujourd’hui et se terminera demain, mardi 20 février. Chaque Partie disposera
d’une séance de trois heures. Le second tour de plaidoiries s’ouvrira le mercredi 21 février et
s’achèvera le vendredi 23. Chaque Partie disposera d’une séance d’une heure et demie.
*
Ouverture du premier tour de plaidoiries de la France
Avant de donner la parole à l’agent de la France, j’aimerais indiquer que pour cette première
audience du premier tour de plaidoiries, la France pourra, si besoin est, déborder un peu au-delà de
13 heures, compte tenu du temps consacré à ma déclaration liminaire. Je donne à présent la parole à
M. François Alabrune, agent de la République française. Monsieur Alabrune, vous avez la parole.
*
M. ALABRUNE :
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, c’est pour moi un grand honneur
de représenter à nouveau la France devant vous. A l’heure d’engager les plaidoiries de la
République française dans la présente procédure incidente, je tiens à réaffirmer la confiance du
Gouvernement français dans la sagesse de votre haute juridiction, et à rappeler les relations
d’amitié et de respect mutuel qui unissent la France et la Guinée équatoriale, dont je salue les
représentants ici présents, en particulier mon collègue et ami l’ambassadeur Carmelo Nvono Nca.
- 11 -
2. La République française entend toutefois rappeler qu’elle n’a pas accepté la compétence
de la Cour, à quelque titre que ce soit, pour connaître des faits sur lesquels la République de
Guinée équatoriale souhaiterait que la Cour se prononce. La France l’a fait valoir au cours des
audiences sur les mesures conservatoires. Et c’est la raison pour laquelle elle a soulevé les
exceptions préliminaires sur lesquelles il est demandé à votre Cour de se prononcer.
Procédure pénale engagée en France
3. A ce stade de la procédure, il me paraît utile de vous informer des développements de la
procédure pénale en France intervenus depuis le dépôt des exceptions préliminaires, le
31 mars 2017.
4. Les audiences sur le fond devant le Tribunal correctionnel de Paris, initialement prévues
du 2 au 12 janvier 2017, ont été reportées à la demande des avocats de la défense et se sont tenues
du 19 juin au 6 juillet 2017. Et c’est le 27 octobre 2017 que le Tribunal correctionnel de Paris a
rendu son jugement, par lequel il a déclaré M. Teodoro Nguema Obiang Mangue coupable des faits
de blanchiment qui lui étaient reprochés, commis de 1997 jusqu’au mois d’octobre 2011, à Paris et
sur le territoire français1. Le Tribunal a condamné l’intéressé à une peine d’emprisonnement
délictuel de trois ans, assortie d’un sursis, ainsi qu’à une peine de 30 millions d’euros, également
assortie de sursis. Le Tribunal a en outre ordonné la confiscation de l’ensemble des biens saisis
dans le cadre de la procédure d’instruction, et notamment l’immeuble situé au 42 avenue Foch2. A
la suite du prononcé du jugement, M. Teodoro Obiang Mangue a fait appel de sa condamnation,
par la voie de ses conseils. Et le procureur de la République a ensuite interjeté appel.
5. Il convient de rappeler que l’appel, comme d’ailleurs le pourvoi en cassation, a un effet
suspensif, de sorte qu’il paralyse toute mise à exécution des peines prononcées à l’encontre de
M. Teodoro Obiang Mangue, y compris de la décision de confiscation. S’agissant de cette mesure
de confiscation, je rappelle que, dans son jugement du 27 octobre 2017, le Tribunal correctionnel
de Paris a pris dûment en considération l’ordonnance de la Cour. Il a souligné que «la procédure
pendante [devant la Cour internationale de Justice] rend impossible non pas le prononcé d’une
1 Jugement du Tribunal correctionnel de Paris, 27 octobre 2017, p. 105.
2 Ibid., p. 105-121.
- 12 -
peine de confiscation mais l’exécution par l’Etat français d’une telle mesure»3. Il convient par
ailleurs de rappeler que, quand bien même elle deviendrait définitive, la mesure de confiscation
emporterait uniquement la dévolution à l’Etat de la propriété de l’immeuble du 42 avenue Foch4,
sans préjudice de la situation prévalant en ce qui concerne l’occupation et l’usage des locaux.
6. S’agissant du déroulement de la procédure devant les juridictions françaises, je souhaite
appeler votre attention sur le fait que la manière dont elle vous avait été présentée lors des
audiences sur les mesures conservatoires tenues en octobre 2016 a été entièrement confirmée dans
les faits :
 La France avait d’abord précisé que l’audience prévue pour le 24 octobre 2016 était une
audience à «caractère uniquement procédural», et non pas une «première audience» sur le fond
marquant le début du procès de M. Nguema Obiang Mangue, contrairement à la présentation
que la Guinée équatoriale en avait faite et d’ailleurs continue de faire dans ses observations sur
les exceptions préliminaires5. Et la présentation faite par la France a été avérée puisque les
audiences sur le fond n’ont eu lieu, comme je l’ai indiqué, que du 19 juin au 6 juillet 2017.
 Il avait été également relevé qu’«[u]ne éventuelle première condamnation de
M. Nguema Obiang Mangue ne pourra[it] … pas intervenir en tout état de cause avant la fin du
premier trimestre de l’année» suivante, c’est-à-dire de l’année 20176. Et, là aussi, cette
présentation était exacte puisque ce n’est en réalité que le 27 octobre 2017, c’est-à-dire à la fin
du second semestre de l’année 2017, qu’a finalement été rendu le jugement en première
instance condamnant l’intéressé.
 Il avait été mentionné qu’une éventuelle condamnation de celui-ci à une peine
d’emprisonnement serait vraisemblablement assortie de sursis, M. Obiang Mangue n’ayant
auparavant jamais été condamné en France, et donc qu’il «ne pourrait pas faire l’objet d’un
mandat d’arrêt»7 ; or cela correspond bien au jugement du Tribunal correctionnel de Paris, qui
3 Jugement du Tribunal correctionnel de Paris, 27 octobre 2017, p. 86.
4 Article L1124-1 du code général de la propriété des personnes publiques.
5 Voir observations écrites de la Guinée équatoriale (ci-après «OGE»), par. 1.2.
6 CR 2016-15, p. 15, par. 42 (Alabrune).
7 Ibid., p. 15, par. 43 (Alabrune).
- 13 -
a effectivement assorti la peine d’emprisonnement d’un sursis et n’a donc pas ordonné
l’arrestation de M. Obiang Mangue.
 Il avait été précisé par ailleurs qu’en cas de condamnation il pourrait être fait appel par simple
déclaration au Greffe du Tribunal correctionnel8, et donc que l’exécution de la décision ne
serait pas possible en raison de l’effet suspensif de l’appel, et ce «pendant toute la durée de la
procédure d’appel»9 ; et c’est bien la situation actuelle.
 Il avait enfin été indiqué que «le délai moyen actuel pour fixer une audience d’appel est d’un
an à compter de la décision du juge de première instance», et donc qu’en l’espèce, au regard du
déroulement de la procédure, «les audiences devant la Cour d’appel n’interviendront, selon
toute vraisemblance, qu’au cours de l’année 2018»10 ; et c’est bien ce qui devrait être le
cas  avec même la possibilité que ces audiences ne se tiennent qu’en 2019.
La chronologie judiciaire qui vous avait été présentée par la France, au cours des audiences sur les
demandes de mesures conservatoires, s’est donc entièrement confirmée.
7. La France a par ailleurs pleinement respecté l’obligation à laquelle elle était tenue en vertu
de l’ordonnance de la Cour du 7 décembre 2016 d’assurer aux locaux du 42 avenue Foch «un
traitement équivalent à celui requis par l’article 22 de la convention de Vienne sur les relations
diplomatiques, de manière à assurer leur inviolabilité»11.
8. Il convient de relever à ce titre que la décision qu’avait prise le Tribunal correctionnel de
Paris, le 2 janvier 2017, de ne pas reporter l’examen de l’affaire au fond, dans l’attente d’une
décision finale de la Cour internationale de Justice, ne traduit pas une quelconque méconnaissance
par les juridictions françaises de l’ordonnance de la Cour, comme cela a pu être suggéré par la
Guinée équatoriale12. La poursuite de cette procédure pénale en France n’entre pas en effet en
contradiction avec la mesure conservatoire ordonnée par la Cour puisque la Cour a rejeté la
8 CR 2016-15, p. 15, par. 44 (Alabrune).
9 Ibid., p. 16, par. 46. Voir aussi exceptions préliminaires de la République française (ci-après «EPF»), p. 19,
par. 41.
10 Ibid., p. 16, par. 47.
11 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), mesures conservatoires, ordonnance du
7 décembre 2016, C.I.J. Recueil 2016 (II), p. 1171, par. 99.
12 OGE, par. 1.6.
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demande de la Guinée équatoriale visant à la suspension de la procédure judiciaire engagée en
France à l’encontre de M. Nguema Obiang Mangue13.
9. La France s’interroge à ce titre sur l’interprétation de l’ordonnance que la Guinée
équatoriale tente de faire prévaloir. Le jour du prononcé de l’ordonnance, le porte-parole du
Gouvernement de la République de Guinée équatoriale déclarait en effet que la Cour avait
«reconnu clairement le caractère diplomatique de l’immeuble situé 42 avenue Foch», qu’elle avait
reconnu que «l’Etat de Guinée équatoriale [était] le propriétaire légitime de l’immeuble, avec tous
ses meubles», et que cela impliquait donc que «la partie française [devait] retirer définitivement
l’accusation contre le vice-président de la République de Guinée équatoriale»14. Un mois après le
prononcé de l’ordonnance, le président de la République de Guinée équatoriale écrivait par ailleurs
au président de la République française une lettre, en date du 19 janvier 2017. Dans cette lettre il
affirmait qu’
«[à] la suite de l’Ordonnance rendue le 7 décembre 2016 par la Cour internationale de
Justice ayant imposé, à l’unanimité des juges, à la France d’assurer l’inviolabilité de
l’immeuble du 42, avenue Foch, la France pourrait valablement notifier à
l’Ambassade que la France en a pris acte et que cette adresse est désormais considérée
par les deux Etats comme le siège de la mission de la République de Guinée
équatoriale en France»15.
C’est également l’approche adoptée par la Guinée équatoriale dans les notes verbales adressées aux
autorités françaises depuis que la Cour a rendu son ordonnance le 7 décembre 201616.
10. Il va sans dire que la France ne partage pas cette lecture de l’ordonnance de la Cour.
L’ordonnance n’a pas en effet reconnu le caractère diplomatique de l’immeuble situé 42, avenue
Foch ; elle a seulement exigé que, «dans l’attente d’une décision finale en l’affaire», ces locaux
jouissent «d’un traitement équivalent à celui requis par l’article 22 de la convention de Vienne, de
manière à assurer leur inviolabilité»17. La Cour ne s’est pas par ailleurs prononcée sur la question
13 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), mesures conservatoires, ordonnance du
7 décembre 2016, C.I.J. Recueil 2016 (II), p. 1151, par. 9, et p. 1160, par. 50.
14 Voir EPF, par. 73.
15 Lettre du président de la République de Guinée équatoriale au président de la République française, 19 janvier
2017, reproduite en annexe 4 aux OGE, p. 144.
16 Note verbale de l’ambassade de Guinée équatoriale en France n° 069/2017, reproduite en annexe 6 aux OGE,
p. 151.
17 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), mesures conservatoires, ordonnance du
7 décembre 2016, C.I.J. Recueil 2016 (II), p. 1170, par. 94.
- 15 -
du propriétaire de l’immeuble, ni des meubles qui s’y trouvaient  meubles à propos desquels la
Guinée équatoriale n’a d’ailleurs présenté aucune demande dans la présente affaire. Enfin, il
convient de rappeler à nouveau que l’ordonnance de la Cour n’implique nullement que la France
mette fin aux procédures engagées à l’encontre de M. Obiang Mangue. C’était l’une des mesures
conservatoires demandées par la Guinée équatoriale18, mais la Cour l’a rejetée. Et dans leurs
réponses aux lettres et notes verbales adressées par la République de Guinée équatoriale, les
autorités françaises ont rappelé de manière stricte les termes de l’ordonnance de la Cour19.
L’objet du différend et la compétence de la Cour
11. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, je souhaiterais à présent
formuler une remarque générale sur l’approche de la Guinée équatoriale vis-à-vis de
l’établissement de la compétence de la Cour en la présente affaire.
12. Selon la Guinée équatoriale «[d]ans les circonstances de la présente espèce, la Cour est
appelée, une fois la question de sa compétence réglée, à trancher l’ensemble du différend qui
oppose la Guinée équatoriale à la France et non une partie seulement de celui-ci»20. La Guinée
équatoriale parait ainsi d’ores et déjà anticiper une phase ultérieure de la procédure  celle relative
au fond , préjugeant la décision que pourra prendre la Cour sur les exceptions préliminaires
soulevées par la France.
13. Or, avant de discuter du fond, il faut établir une base de compétence. Lorsque la Cour se
trouve saisie d’une requête sur le fondement de clauses compromissoires, sa compétence est
strictement circonscrite aux différends entrant dans les prévisions des instruments conventionnels
sur lesquels l’Etat demandeur entend se fonder. Conformément à une jurisprudence bien établie de
la Cour, celle-ci ne peut donc exercer sa compétence qu’après s’être assurée que tel est bien le
cas21.
18 Demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires, 29 septembre 2016, par. 19.
19 Voir lettre du président de la République française au président de la République de Guinée équatoriale,
16 février 2017, reproduite en annexe 5 aux OGE, p. 147 ; note verbale n° 2017-158865/PRO/PIDC, 2 mars 2017,
reproduite en annexe 7 aux OGE, p. 155 ; note verbale n° 2017-465600/PRO/PIDC, 18 juillet 2017, reproduite en
annexe 10 aux OGE, p. 167.
20 OGE, par. 1.47.
21 Voir notamment, Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Belgique), mesures conservatoires,
ordonnance du 2 juin 1999, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 137, par. 28 ; Plates-formes pétrolières (République islamique
d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 810, par. 16.
- 16 -
14. L’approche de la France est ainsi entièrement conforme à la jurisprudence de la Cour. Le
reproche que lui adresse la Guinée équatoriale d’avoir «une vision extraordinairement stricte de la
compétence de la Cour»22 est donc mal fondé.
15. Il n’est donc pas admissible que des allégations de violations de principes du droit
international coutumier, tels que les principes d’égalité souveraine et de non-ingérence dans les
affaires intérieures ou encore des immunités des Etats, soient invoquées devant vous sur le
fondement de rattachements conventionnels artificiels. Cela est d’autant moins admissible si une
telle invocation est faite au service d’intérêts particuliers. Admettre une telle démarche saperait,
selon l’expression que j’emprunte à votre Cour, «à la base un édifice juridique patiemment
construit par l’humanité au cours des siècles et dont la sauvegarde est essentielle … au
développement ordonné des relations entre ses membres»23.
16. Or, aucun des actes que la Guinée équatoriale impute à la France n’est susceptible
d’entrer dans les prévisions de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques ou dans
celles de la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée. Si la
Guinée équatoriale persiste à invoquer ces deux conventions, c’est uniquement pour pouvoir se
prévaloir des clauses compromissoires qui y sont attachées. Il ne suffit cependant pas que soit
invoqué, de manière abstraite, un tel lien juridictionnel entre le demandeur et le défendeur ; il faut
encore que les prétentions du demandeur entrent, de façon raisonnable, dans les prévisions des
instruments conventionnels visés. Et ce n’est pas le cas en l’espèce.
17. La compétence de la Cour doit être appréciée dans les strictes limites de l’objet du
différend dont elle a été saisie. Même si les conclusions de la Guinée équatoriale dans son mémoire
et ses observations sur les exceptions préliminaires tendent à élargir l’objet du différend défini dans
la requête, ainsi que mes collègues auront l’occasion de le relever, il convient de rappeler que ce
différend porte, d’une part, sur le point de savoir si M. Teodoro Nguema Obiang Mangue
bénéficiait d’une immunité faisant obstacle à l’exercice de poursuites pénales en France à son
encontre et, d’autre part, si la Guinée équatoriale pouvait imposer que l’immeuble situé 42, avenue
22 Voir OGE, par. 0.10.
23 Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran), arrêt,
C.I.J. Recueil 1980, p. 42-43, par. 92.
- 17 -
Foch bénéficie d’un statut diplomatique sans l’accord de la France24. Or un tel différend n’est pas
susceptible d’entrer dans les prévisions des dispositions conventionnelles invoquées, que ce soit
celles de la convention contre la criminalité transnationale organisée ou celles de la convention de
Vienne sur les relations diplomatiques.
18. C’est ce qui, si vous le voulez bien, sera démontré par le professeur Hervé Ascensio
 qui traitera de l’absence de compétence de la Cour sur le fondement de la convention des
Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée , et par le professeur Pierre Bodeau-
Livinec  qui traitera de l’absence de compétence de la Cour sur le fondement de la convention de
Vienne sur les relations diplomatiques. En conclusion du premier tour de plaidoiries de la
République française, le professeur Alain Pellet montrera que le dépôt de la requête de la Guinée
équatoriale procède d’une approche abusive.
19. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre
attention et vous prie de bien vouloir appeler maintenant à la barre le professeur Hervé Ascensio.
Le PRESIDENT : Merci, Monsieur l’agent. Je donne à présent la parole à Monsieur le
professeur Hervé Ascencio. Vous avez la parole.
M. ASCENSIO :
Convention de Palerme
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, c’est un grand honneur pour moi
de paraître ce matin devant votre Cour au nom de la République française.
2. Dans sa requête introductive d’instance, la République de Guinée équatoriale invoque,
comme fondement à la compétence de la Cour, l’article 35, paragraphe 2, de la convention des
Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, dite également convention de
Palerme. La France estime, quant à elle, que les demandes de la requérante ne concernent en rien
l’application ou l’interprétation de cette convention ; elle a donc soulevé une exception
préliminaire contestant la compétence matérielle de la Cour sur ce fondement.
24 Requête introductive d’instance de la République de Guinée équatoriale (ci-après «RGE»), par. 0.2.
- 18 -
3. Les récentes observations de la requérante du 31 juillet 2017 s’inscrivent dans la
continuité de ses précédentes écritures. Les arguments avancés visent à élargir indûment le champ
des obligations conventionnelles, de manière à créer artificiellement un lien entre les dispositions
de la convention de Palerme et les poursuites menées devant les juridictions françaises, sur le
fondement du droit français, à l’encontre de M. Teodoro Obiang Mangue. La République de
Guinée équatoriale méconnaît ainsi les termes du traité, son objet et son but.
4. Dans l’ordonnance en date du 7 décembre 2016, au paragraphe 48, la Cour a très
clairement présenté les obligations issues de la convention de la façon suivante :
«Aux termes de la Convention, les Etats parties doivent, s’ils ne l’ont pas déjà
fait, inscrire dans leur législation les infractions pénales de nature transnationale
énumérées par ledit instrument, et prendre part au mécanisme de coopération
internationale qui y est visé.»
La Cour en a déduit que le différend n’entrait pas prima facie dans les «prévisions de la convention
contre la criminalité transnationale organisée»25.
5. La France partage cette analyse. Elle souligne à nouveau que le différend porté devant la
Cour n’a pas pour objet l’inscription en droit français des infractions pénales mentionnées dans la
convention. Quant à la coopération, elle constate que les griefs de la Guinée équatoriale à cet égard
sont tout à fait récents et reviennent à modifier l’objet même de la requête. De surcroît, comme on
le verra, invoquer un article ou une combinaison d’articles de la convention ne suffit pas à rendre
plausible l’existence d’un différend juridique à leur propos, ni à justifier la compétence de la Cour.
6. Conformément à l’Instruction de procédure VI, cette plaidoirie se concentrera sur les
arguments développés par la requérante dans ses dernières écritures, tout en rappelant les points
saillants de la position française. Ceci conduit en premier lieu à revenir sur les caractéristiques
générales de la convention (I), car l’argumentation de la République de Guinée équatoriale consiste
pour l’essentiel à les faire oublier. Un second temps sera consacré aux obligations spécifiques
désormais invoquées par la requérante et montrera que ces obligations sont sans rapport avec le
différend soumis à la Cour (II).
25 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), mesures conservatoires, ordonnance du
7 décembre 2016, C.I.J. Recueil 2016 (II), p. 1160, par. 50.
- 19 -
I. LA GUINÉE ÉQUATORIALE MÉCONNAÎT LES CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES
DE LA CONVENTION
7. Les caractéristiques générales de la convention méritent tout d’abord d’être rappelées, car
elles sont méconnues par la Guinée équatoriale.
8. La première de ces caractéristiques est que la convention sur la criminalité transnationale
organisée contient uniquement des obligations de légiférer et un mécanisme de coopération
judiciaire. Elle fait partie de ces conventions en matière pénale qui visent non pas à ériger un
comportement en crime de droit international, mais à harmoniser les législations pénales internes à
propos de certaines infractions et permettre une bonne coopération entre les autorités judiciaires
des Etats parties. D’autres conventions partagent cette caractéristique, notamment en matière de
lutte contre la corruption ou le terrorisme. La doctrine utilise à leur propos l’expression de «droit
pénal transnational» pour rendre compte de leur but commun26. Chaque convention a par ailleurs
un objet propre, circonscrit par les comportements que les Etats parties doivent ériger en infraction
pénale dans leur ordre juridique interne. Celui de la convention de Palerme concerne les infractions
mentionnées en son article 3 et définies par les articles 2, 5, 6, 8 et 23. Voici quels seront le but et
l’objet de la convention.
9. De plus, les obligations conventionnelles visant à l’harmonisation ne concernent pas
l’intégralité du droit pénal interne ni de la procédure pénale interne applicables aux comportements
visés. Elles portent seulement sur les infractions et les titres de compétence. Elles obligent les Etats
parties à faire en sorte que leur droit interne soit conforme à leurs prescriptions, c’est-à-dire que les
actes soient incriminés par leur législation pénale et que leurs juridictions disposent des titres de
compétence requis. C’est ce qu’il convient de comprendre par l’expression récurrente dans la
convention de «mesures législatives et autres mesures nécessaires» ou encore de «mesures
nécessaires» que les Etats parties doivent «adopter» ou «établir». Les obligations internationales se
bornent ici à requérir un certain état du droit interne, qui doit être rendu conforme, ou maintenu
26 Neil Boister, An Introduction to Transnational Criminal Law, Oxford University Press, Oxford, 2012, xlix-
301 pages ; Neil Boister and Robert J. Currie (dir. publ.), Routledge Handbook of Transnational Criminal Law,
Routledge, London/New York, 2015, 458 pages ; Robert Cryer, Hakan Friman, Darryl Robinson, An Introduction to
International Criminal Law and Procedure, Cambridge University Press, troisième édition, 2014, p. 329-352 (chap. 14) ;
Jessica Simone Roher, Nicola Dalla Guarda, Maryam Khalid, Transnational Crime: law, theory, and practice at the
crossroads, Routledge, London/New York, 2017, x-260 pages.
- 20 -
conforme, aux prescriptions de la convention. Or, le droit français est conforme à ces prescriptions.
On rappellera d’ailleurs que l’incrimination du blanchiment préexistait à la convention.
10. La deuxième caractéristique générale de la convention est que, en dehors des dispositions
sur la coopération judiciaire, les obligations conventionnelles portent seulement sur le cadre
juridique général et non sur les poursuites que les autorités judiciaires nationales peuvent
déclencher à propos de comportements illicites précis. Or, la République de Guinée équatoriale ne
conteste pas le cadre juridique général du droit français ; elle cherche plutôt à attraire les poursuites
déclenchées contre M. Teodoro Obiang Mangue dans l’orbite de la convention. Ces poursuites ne
sont pourtant pas fondées sur la convention de Palerme mais sur le droit français. Elles ne
constituent pas l’exécution d’une obligation conventionnelle. Lorsqu’un Etat déclenche, dans son
ordre interne, des poursuites portant sur une infraction mentionnée dans la convention, il n’exécute
pas cette convention ; il fait seulement application des règles de son propre ordre juridique dans un
cas d’espèce.
11. Cela est énoncé dans la convention elle-même, à l’article 11, paragraphe 6, dans les
termes suivants projection no 1 : art. 11, par. 6 :
«Aucune disposition de la présente convention ne porte atteinte au principe
selon lequel la définition des infractions établies conformément à celle-ci et des
moyens juridiques de défense applicables ainsi que d’autres principes juridiques
régissant la légalité des incriminations relève exclusivement du droit interne d’un Etat
Partie et selon lequel lesdites infractions sont poursuivies et punies conformément au
droit de cet Etat Partie.»
Fin de la projection no 1
Cette caractéristique est si fondamentale qu’elle est reprise à l’article 12, paragraphe 9, à propos de
la confiscation et de la saisie. Début de la projection no 2 : art. 12, par. 9 :
«Aucune disposition du présent article ne porte atteinte au principe selon lequel
les mesures qui y sont visées sont définies et exécutées conformément au droit interne
de chaque Etat Partie et selon les dispositions dudit droit.»
12. Le texte de la convention fait donc apparaître une césure très nette entre, d’une part, les
obligations internationales, qui portent sur l’établissement d’un cadre juridique général, et, d’autre
part, l’application de ces règles générales dans des affaires données, laquelle relève exclusivement
du droit interne. Cela est parfaitement cohérent avec l’objet et le but de la convention. Fin de la
projection no 2
- 21 -
13. Malgré cela, la République de Guinée équatoriale soutient que la mise en oeuvre du droit
pénal français par les juridictions françaises à l’occasion d’affaires déterminées constituerait une
«exécution» ou encore une «application» de la convention. La requérante méconnaît ainsi la nature
des obligations conventionnelles. Elle les étire très au-delà du texte de la convention à seule fin
d’établir un lien avec la procédure judiciaire en cours visant M. Teodoro Obiang Mangue. Ce
procédé imprègne l’intégralité de son argumentation. On en donnera pour illustration l’allégation
suivante, figurant au paragraphe 2.19 de ses observations : «Lorsque la France poursuit certaines
infractions en exécution de la Convention, l’exercice de l’action publique doit respecter les
principes de l’égalité souveraine et de la non-intervention.»27
14. Il s’agit là d’un raccourci argumentatif qui ignore deux points essentiels pour la
compétence de la Cour : premièrement, la convention ne contient aucune disposition obligeant un
Etat partie à exercer les poursuites dans un cas déterminé ; deuxièmement, lorsque les autorités
judiciaires françaises exercent l’action publique, elles le font en vertu du droit français et non en
«exécution» de la convention. Il n’existe donc pas de lien entre le déclenchement de ces poursuites
et l’exécution des obligations de la convention.
15. La troisième caractéristique générale concerne le champ des obligations
conventionnelles : ce champ ne couvre pas les immunités internationales. A vrai dire, il s’agit là
d’une caractéristique que la convention partage avec la plupart des traités dont l’objet principal est
de définir une infraction pénale. Comme l’a relevé le professeur Sean Murphy, rapporteur spécial
de la Commission du droit international des Nations Unies sur les crimes contre l’humanité, dans
son troisième rapport : «Les traités portant sur des infractions n’abordent généralement pas la
question de l’immunité, en s’en remettant à cet égard aux traités relatifs aux immunités de certaines
catégories de représentants ou au droit international coutumier.»28 Pour illustrer cette
caractéristique, il cite expressément la convention sur la criminalité transnationale organisée, avec
quatorze autres conventions du même genre29.
27 Voir OGE, par. 2.19.
28 Commission du droit international, soixante-neuvième session, «Troisième rapport sur les crimes contre
l’humanité», par Sean D. Murphy, rapporteur spécial, Nations Unies, doc. A/CN.4/704, 23 janvier 2017, p. 134, par. 281.
29 Ibid.
- 22 -
16. Malgré cela, la République de Guinée équatoriale entretient la confusion et tente
d’élargir le champ de la convention de Palerme aux immunités internationales par son
interprétation de l’article 4 de la convention.
Début de la projection no 3 : art. 4
17. Dans l’ordonnance du 18 décembre 2016, la Cour énonce que l’article 4 a vocation à
intervenir seulement en raison de «la manière dont les Etats parties exécutent leurs obligations au
titre de la convention» ; et ces obligations devraient être contenues dans d’autres articles30. Dans
ses observations, la République de Guinée équatoriale acquiesce, mais seulement «dans une
certaine mesure» dit-elle31. Elle présente certes l’article 4 comme une disposition en relation avec
les autres dispositions de la convention, mais avec de grandes ambiguïtés. En effet, elle maintient
que l’article 4 se réfère non pas à des principes, mais contient une obligation. Cela lui permet de
mettre cette disposition au même niveau que les véritables obligations, celles contenues dans les
autres articles de la convention, et d’évoquer un possible conflit d’obligations en certaines
circonstances. La solution consisterait alors à s’abstenir d’exécuter une obligation conventionnelle
dans un cas donné, ajoute-t-elle32.
18. Cette lecture est incompatible avec le texte de l’article 4, paragraphe 1. Celui-ci évoque
non pas une «obligation» mais des principes, lesquels portent non pas sur l’application de la
convention en général, mais sur l’exécution d’obligations spécifiques figurant dans les autres
articles. Le choix des termes et le lien exprès avec les «obligations» de la convention montrent que
l’article 4 n’a pas pour fonction de faire obstacle à l’exécution d’une obligation conventionnelle. Il
est seulement susceptible d’intervenir à l’intérieur du cadre des obligations posées par les autres
articles de la convention, sans élargir leur champ à des questions qu’ils n’abordent pas. Or, aucune
obligation conventionnelle ne porte sur les immunités internationales. Les immunités
internationales sont autre chose que la définition d’une infraction pénale, autre chose que
l’établissement d’un titre de compétence juridictionnelle et autre chose qu’un mécanisme de
coopération judiciaire. Fin de la projection no 3
30 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), mesures conservatoires, ordonnance du
7 décembre 2016, C.I.J. Recueil 2016 (II), p. 1160, par. 49.
31 Voir OGE, par. 2.3.
32 Ibid., par. 2.18.
- 23 -
19. Au demeurant, aucune disposition de la convention ne mentionne même les immunités
conférées par le droit international public à certaines personnes en raison de leurs fonctions
officielles. Les seules immunités dont il est question, à l’article 18 et à l’article 26, sont d’un autre
genre. Elles sont conférées par le droit interne à des personnes privées en raison de leur coopération
à une enquête ou une procédure judiciaire. L’immunité mentionnée à l’article 18, paragraphe 27,
est accordée par un Etat aux personnes se déplaçant sur son territoire pour un témoignage, une
expertise ou une autre forme de déposition, et ce, pendant la durée de leur déplacement.
L’immunité mentionnée à l’article 26, paragraphe 3, consiste, dans certains systèmes juridiques, à
exempter de poursuites une personne qui contribue de manière substantielle à une enquête ou à des
poursuites. Aucune de ces deux hypothèses ne correspond au genre d’immunité invoqué par la
Guinée équatoriale dans la présente affaire, à savoir une immunité internationale.
20. La République de Guinée équatoriale soutient encore que la question de l’établissement
de la compétence pénale est «inextricablement liée» à celles des immunités internationales33. Ceci
est conceptuellement inexact et contraire à la jurisprudence de la Cour. Dans l’arrêt du 14 février
2002 en l’affaire du Mandat d’arrêt, il est dit que «les règles gouvernant la compétence des
tribunaux nationaux et celles régissant les immunités juridictionnelles doivent être soigneusement
distinguées»34. L’immunité, pour citer votre jurisprudence, «revêt un caractère procédural»35.
Contrairement à ce qu’affirme la Guinée équatoriale, l’immunité internationale n’est donc pas une
«exception» à la compétence36 ; elle est un motif d’irrecevabilité susceptible d’être soulevé dans
une affaire spécifique devant une juridiction nationale compétente. La compétence d’une juridiction
et l’immunité sont des concepts juridiques séparés et sans lien. La convention sur la criminalité
transnationale organisée traite de la compétence juridictionnelle, mais ne traite pas des immunités
internationales, pas plus qu’elle ne traite des aspects de la procédure pénale autres que la
coopération judiciaire, ou des principes généraux de la responsabilité pénale, ou encore des peines.
33 Voir OGE, par. 2.59.
34 Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, C.I.J. Recueil 2002,
p. 25-26, par. 59.
35 Ibid., par. 60.
36 Voir OGE, par. 2.57.
- 24 -
II. LES OBLIGATIONS SPÉCIFIQUES INVOQUÉES SONT SANS RAPPORT
AVEC LE DIFFÉREND SOUMIS À LA COUR
21. Il convient maintenant d’examiner les obligations spécifiques que la requérante
mentionne en relation avec l’article 4 et qui justifieraient selon elle la compétence matérielle de la
Cour sur le fondement de la convention. Dans ses observations du 31 juillet 2017, la
Guinée équatoriale les a classées en quatre rubriques. Nous suivrons la même structure et
montrerons qu’aucune de ces obligations n’est en rapport avec le différend soumis à la Cour.
22. La première rubrique porte sur les «poursuites pénales» et ne se réfère qu’à l’article 11,
paragraphe 2, de la convention début de la projection no 4 : art. 11, par. 2. Celui-ci incite les Etats
parties à l’exercice optimal de tout pouvoir judiciaire discrétionnaire dans un souci d’efficacité. La
Guinée équatoriale soutient que cette disposition obligerait la France «à soumettre des affaires à ses
autorités compétentes»37. La République française a expliqué, dans le mémoire déposé au soutien
de ses exceptions préliminaires, que cette disposition visait des indications générales de politique
pénale afin de garantir l’effectivité générale de la loi38. Elle s’est appuyée pour cela sur la règle
d’interprétation figurant à l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités. Cette
signification est confirmée par le Guide législatif adopté par les Nations Unies pour l’application de
la convention39. Fin de la projection no 4
23. La République de Guinée équatoriale ne conteste pas véritablement ces arguments. Elle
se contente de faire référence à deux autres articles de la convention, l’article 3, qui ne contient pas
d’obligation mais précise le champ de la convention, et l’article 16, qui ne porte ni sur la
compétence juridictionnelle ni sur les infractions, mais sur la coopération judiciaire. Elle en tire des
conséquences tout à fait inattendues. Selon elle, «chaque fois qu’un Etat partie entame des
procédures pénales contre un individu pour la prétendue commission d’une infraction prévue par la
Convention, il exécute cette obligation»40. On a déjà dit qu’une telle lecture ne correspond pas aux
caractéristiques générales de la convention. De surcroît, elle est directement contraire au
37 Voir OEG, par. 2.28.
38 EPF, par. 121.
39 Guides législatifs pour l’application de la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale
organisée et des protocoles s’y rapportant, Nations Unies, New York, 2005, p. 142, par. 262.
40 OEG, par. 2.35.
- 25 -
paragraphe 6 du même article, déjà mentionné41 ; celui-ci pose le principe selon lequel les
infractions sont poursuivies en vertu du droit interne. Enfin, on ne distingue aucune contradiction
entre les écritures de la France dans le présent différend et les positions prises dans d’autres
enceintes à propos d’autres conventions, telles que rapportées par la requérante dans ses
observations. La France y exposait les règles générales de son droit interne relatives au pouvoir du
ministère public.
24. La deuxième catégorie d’obligations invoquées par la requérante vise l’incrimination du
blanchiment et l’établissement d’une compétence pénale en ce domaine. Elles figurent aux
articles 6 et 15 de la convention. Début des projections nos 5 et 6 : art. 6, par. 1
25. La République de Guinée équatoriale recourt à cet égard à son procédé habituel
consistant à mélanger les concepts. Elle soutient dans ses observations, et même assez
longuement42, que l’adoption des mesures nécessaires fait référence à la législation «telle
qu’interprétée et appliquée dans la pratique»43. Elle prétend ensuite que cette pratique doit
s’étendre non seulement aux immunités en général, mais encore à l’appréciation faite par les
autorités françaises des immunités alléguées par M. Teodoro Obiang Mangue dans une procédure
judiciaire en cours. Or, l’application des règles générales à un cas d’espèce n’entre pas dans le
champ de la convention. Qui plus est, les articles 6 et 15 ne disent pas un mot des immunités. Fin
des projections no 5 et 6 et début de la projection no 7 : art. 15, par. 1 (extrait)
26. Au demeurant, les observations de la République de Guinée équatoriale ne sont pas
cohérentes. Lorsqu’elles décrivent l’obligation figurant à l’article 15, elles parlent très justement
d’«établissement de la compétence pénale»44. Tel est effectivement le contenu de l’obligation
invoquée : s’assurer que la compétence, à raison de différents liens de rattachement, est bien établie
dans l’ordre juridique interne. Cela ne va pas au-delà. Ni l’article 15 ni l’article 6 ne portent sur le
déclenchement de poursuites dans des affaires déterminées sur la base de la compétence ainsi
41 Voir supra, par. 12.
42 OEG, par. 2.42-2.51
43 Ibid., par. 2.42.
44 Ibid., par. 2.40.
- 26 -
établie. La part du droit international réside seulement dans l’incrimination du blanchiment par le
droit interne et dans l’établissement des titres de compétence correspondants.
27. Hormis ces tentatives d’étirement des obligations conventionnelles sans égard pour les
termes de la convention, la requérante développe un seul autre argument pour établir un lien avec
les immunités, et ce, uniquement à propos de l’article 15. Cet argument ne consiste pas à interpréter
cette disposition, mais à mentionner un rapport présenté par le Secrétaire général des Nations Unies
à la conférence des Etats parties à la convention de Palerme45. Ce rapport ne prend aucune position
juridique. Il se contente de décrire les remarques faites par certains Etats à un questionnaire. La
République de Guinée équatoriale ne précise pas quelle est la valeur juridique de ce rapport ni à
quel titre il faudrait le prendre en considération aux fins d’interpréter l’article 15 de la convention
de Palerme conformément aux règles coutumières d’interprétation des traités. La République
française, quant à elle, s’en tient à la règle générale d’interprétation énoncée à l’article 31 de la
convention de Vienne sur le droit des traités, à savoir le sens ordinaire des termes de l’article 15,
compris dans leur contexte et à la lumière de l’objet et du but du traité. Or, l’article 15 ne dit mot
des immunités et la convention de Palerme vise seulement à harmoniser les législations relatives à
certaines infractions et à permettre la coopération judiciaire. Fin de la projection no 7
28. La République de Guinée équatoriale conclut ses observations sur l’incrimination du
blanchiment et l’établissement d’une compétence pénale en ce domaine par une remarque sibylline
sur «l’étendue excessive de la compétence pénale française». Elle va jusqu’à affirmer, sans aucun
fondement, que la France reconnaîtrait la compétence de la Cour à ce propos46. Il convient de
rappeler que, dans le mémoire au soutien de ses exceptions préliminaires, la France a très
clairement contesté les remarques faites par la Guinée équatoriale à propos de la compétence des
juridictions françaises. Il est «flagrant», écrivait-elle, qu’elles vont «très au-delà de l’objet du
différend»47. Les remarques de la Guinée équatoriale sur cette question étaient jusqu’alors
présentées comme liées au seul article 4, entendu de façon autonome. Le fait qu’elles soient
désormais faites au titre de l’article 15 ne modifie en rien la position de la France : la compétence
45 OEG, par. 2.58.
46 Ibid., par. 2.60.
47 EPF, par. 45. Voir également par. 57.
- 27 -
des juridictions françaises ne fait pas partie du différend soumis à la Cour. Comme l’a rappelé
l’agent, ce différend, tel qu’il est défini dans la requête de la Guinée équatoriale, porte seulement
sur l’immunité de M. Teodoro Obiang Mangue et sur le statut de l’immeuble sis 42, avenue Foch.
29. En troisième lieu, la requérante invoque les articles 12 et 14 de la convention début de la
projection no 8 : art. 12, par. 1-2 à propos de la confiscation, la saisie et la disposition de
l’immeuble sis 42, avenue Foch. Elle prétend que les obligations conventionnelles justifieraient la
compétence de la Cour pour connaître des allégations relatives aux immunités diplomatiques de cet
immeuble et aux immunités des biens de l’Etat fin de la projection no 8 — début de la projection
no 9 : art. 14, par. 1. Là encore, la République de Guinée équatoriale entretient la confusion : les
articles 12 et 14 prévoient seulement l’établissement par les Etats parties d’un cadre juridique
général, permettant la saisie, la confiscation et la disposition du produit des infractions dont traite la
convention. Cela correspond à l’état du droit français. Fin de la projection no 9
30. La République de Guinée équatoriale mentionne encore, au soutien de sa thèse consistant
à élargir le champ des obligations conventionnelles aux immunités internationales, une «note
interprétative» proposée par le comité spécial sur l’élaboration de la convention à propos de
l’article 12 début de la projection no 10 : (à nouveau) art. 12, par. 1-248. Cette note au statut
incertain n’est pas reprise dans le texte de la convention. Sa formulation est assez contournée
puisqu’elle recourt au conditionnel et porte non pas directement sur la convention mais sur les
travaux préparatoires. Il est dit qu’«il conviendrait d’indiquer dans les travaux préparatoires» que
l’interprétation de l’article «devrait» tenir compte d’un principe relatif à l’immunité des biens de
l’Etat49. Cet élément de la négociation, à propos de ce que les travaux préparatoires devraient être,
mentionne certes l’immunité de certains biens. Pour autant, le texte de la convention n’a pas été
modifié et l’article 12 ne porte pas sur les immunités. Il suffit pour s’en convaincre de s’en remettre
à la règle générale d’interprétation de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités.
Comme le prévoit l’article 32 de la même convention, il n’est justifié de recourir à des éléments
complémentaires pour interpréter un texte que si les méthodes de l’article 31 aboutissent à un sens
ambigu ou obscur, ou encore à un résultat manifestement absurde ou déraisonnable. Tel n’est pas le
48 OGE, par. 2.65.
49 Nations Unies, doc. A/55/383/Add.1, par. 21.
- 28 -
cas ici : le sens clair des termes de l’article 12 est celui d’une harmonisation des systèmes
juridiques des Etats parties afin de permettre la confiscation et la saisie, rien de plus. Fin de la
projection no 10
31. Les violations de la convention alléguées par la requérante dans la quatrième et dernière
rubrique de ses observations relèvent de la coopération judiciaire. Elles ne sont apparues sous cette
forme qu’avec lesdites observations. Sans doute la République de Guinée équatoriale, consciente
des faiblesses de son argumentation sur le terrain de la convention de Palerme, a-t-elle cherché à
augmenter ses chances en allongeant la liste des violations supposément commises par la
République française. Toutefois, aucun lien n’est établi à cet égard entre le présent différend et les
prévisions de la convention.
32. Un premier grief est formulé, consistant à «ne pas avoir pris en considération
l’information fournie par les autorités équato-guinéennes depuis 2010, et plus récemment le
19 janvier 2017, selon laquelle aucune des infractions principales reprochées au vice-président de
la Guinée équatoriale n’a été commise en Guinée équatoriale50. En conséquence de la non-prise en
considération de cette information, la France aurait violé les articles 4, 15, paragraphe 5, et 18,
paragraphe 1, de la convention. Début de la projection no 11 : art. 15, par. 5
33. Quel est le rapport entre ces affirmations et l’objet du différend, à savoir l’immunité de
M. Teodoro Obiang Mangue et le statut de l’immeuble sis 42, avenue Foch ? Il n’y en a pas. Là
encore, la République de Guinée équatoriale cherche à étendre le différend, alors que celui-ci ne
porte ni sur la compétence des juridictions françaises pour poursuivre une infraction de
blanchiment commise sur le sol français, ni sur le rapport entre infraction de blanchiment et
infraction dite «principale», et encore moins sur les actes d’une personne dans une affaire donnée.
L’argument ne saurait dès lors être accueilli.
34. Au surplus, la Guinée équatoriale suggère que les autorités judiciaires françaises auraient
été tenues d’adopter un certain comportement à la suite de cette communication. Or, l’article 15,
paragraphe 5, parle seulement de consultation, «selon qu’il convient» ; il ne prévoit notamment pas
d’obligation de mettre un terme aux poursuites à la demande d’un autre Etat. Fin de la projection
50 OGE, par. 2.70.
- 29 -
no 11] [Début de la projection no 12 : art. 18, par. 1. Quant à l’article 18, paragraphe 1, également
mentionné, il porte sur l’entraide judiciaire : on ne comprend pas le rapport avec la compétence des
juridictions françaises. Fin de la projection no 12
35. Un second grief relatif à la coopération judiciaire entre la France et la Guinée équatoriale
est formulé pour la première fois dans les observations du 31 juillet 2017. Il porte sur la demande
d’entraide judiciaire française du 14 novembre 2013, qui aurait été «faite de manière contraire à
l’article 4 de la convention»51. Or, dans sa requête, la Guinée équatoriale n’a jamais allégué qu’un
différend avec la France existerait à ce sujet. C’est à propos du déclenchement des poursuites
judiciaires qu’elle invoque une supposée «atteinte à l’immunité» de M. Teodoro Obiang Mangue52.
Les modalités de la demande d’entraide du 14 novembre 2013 n’entrent donc pas dans le champ du
différend soumis à la Cour.
36. Qui plus est, la Guinée équatoriale fait seulement référence à l’article 4 de la convention.
On en est alors réduit aux conjectures : faut-il considérer que cet article est invoqué comme
obligation autonome ou en lien avec l’article 18 ? Dans le premier cas, on sait que l’article 4 ne
s’applique qu’à propos de l’exécution d’une obligation spécifique. Dans le second, il faudrait
préciser quelle obligation spécifique de l’article 18 est en cause et fait l’objet d’un différend réel.
Or, lorsque les magistrats français ont adressé une demande d’entraide judiciaire aux autorités
judiciaires équato-guinéennes, ils n’ont mis en oeuvre aucune obligation conventionnelle : ils se
sont bornés à utiliser une faculté, celle de recourir aux méthodes de la coopération judiciaire
internationale. Les autorités judiciaires équato-guinéennes, quant à elles, avaient toute latitude pour
communiquer leur position relative à une immunité de M. Teodoro Obiang Mangue.
37. En conclusion, aucune obligation pesant sur la France au titre de la convention sur la
criminalité transnationale organisée n’est en cause dans le différend porté devant cette Cour par la
République de Guinée équatoriale. La convention de Palerme ne saurait fonder la compétence
matérielle de la Cour dans la présente affaire, et ce, pour aucun des griefs invoqués.
Monsieur le président, ici s’achève ma plaidoirie. Je remercie les membres de la Cour pour
leur attention et vous prie d’appeler le professeur Pierre Bodeau-Livinec à la barre. Il exposera la
51 OGE, par. 2.71.
52 RGE, par. 3.
- 30 -
position de la République française à propos de la convention de Vienne sur les relations
diplomatiques.
Le PRESIDENT : Je vous remercie. Avant d’appeler le professeur Pierre Bodeau-Livinec à
la barre, je crois que c’est le moment approprié pour marquer une pause de quinze minutes. Donc,
l’audience est suspendue.
L’audience est suspendue de 11 h 15 à 11 h 30.
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience reprend et je donne maintenant la
parole au professeur Bodeau-Livinec. Vous avez la parole.
M. BODEAU-LIVINEC :
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, c’est un grand honneur pour moi
de paraître aujourd’hui devant la Cour au nom de la République Française.
2. Le professeur Ascensio vient de démontrer le défaut de compétence de la Cour pour
connaître des demandes de la République de Guinée équatoriale sur le fondement de la convention
de Palerme. Il me revient à présent d’examiner si la Cour a compétence pour juger au fond des
demandes que la Guinée équatoriale entend fonder sur le protocole de signature facultative à la
convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Aux termes de l’article premier de ce
protocole [début de la projection no 1],
«Les différends relatifs à l’interprétation ou à l’application de la Convention
relèvent de la compétence obligatoire de la Cour internationale de Justice, qui, à ce
titre, pourra être saisie par une requête de toute partie au différend qui sera elle-même
Partie au présent Protocole.»
3. Dans ses observations sur les exceptions préliminaires, la Guinée équatoriale reproche à la
France de tenir un raisonnement «pour le moins confus»53 sur la question qui nous occupe,
c’est-à-dire celle de savoir s’il existe entre les deux Etats un différend relatif «à l’interprétation ou à
l’application de la Convention» de 1961, relevant comme tel, conformément à l’article premier du
53 Voir OGE, par. 3.6.
- 31 -
protocole facultatif, «de la compétence obligatoire de la Cour internationale de Justice»54. Je me
permets de citer le passage le plus critique des observations de la Guinée équatoriale sur ce point :
«D’une part, la France dit que le différend doit relever des prévisions de la
[Convention], d’autre part, elle conteste que la question de savoir si un immeuble doit
bénéficier des immunités en fait partie sous prétexte que ce n’est pas le véritable objet
du différend. Soit le critère est que le différend relève des prévisions de la Convention,
soit il est celui du «véritable différend», du reste non défini»55.
4. Il n’y a, à dire vrai, ni confusion ni contradiction dans l’argumentation de la France.
Celle-ci ne fait que reprendre et appliquer la jurisprudence bien connue de la Cour. Dans l’affaire
de la Compétence en matière de pêcheries, la Cour a souligné que, lorsque «des contestations
surgissent quant à l’objet réel du différend dont [elle] est saisie»56, il lui incombe «de définir
elle-même, sur une base objective, le différend qui oppose les parties, en examinant la position de
l’une et de l’autre. … La Cour détermine elle-même quel est le véritable différend porté devant
elle.»57
5. De même, ce n’est pas la France qui «interprète l’exigence de la relation entre le différend
et la Convention comme imposant au demandeur de prouver que le différend relève «des prévisions
de la Convention de Vienne»»58. C’est la jurisprudence de la Cour qui le requiert. Dans son arrêt
relatif à l’exception préliminaire soulevée par les Etats-Unis dans l’affaire des Plates-formes
pétrolières, la Cour a en effet expliqué que, lorsque
«les parties s’opposent sur la question de savoir si le différend surgi entre les deux
Etats … est un différend «quant à l’interprétation ou à l’application» [d’un] traité …,
la Cour ne peut se borner à constater que l’une des Parties soutient qu’il existe un tel
différend et que l’autre le nie. Elle doit rechercher si les violations du
traité … alléguées … entrent ou non dans les prévisions de ce traité et si, par suite, le
différend est de ceux dont la Cour est compétente pour connaître ratione materiae.»59
6. Contrairement à ce que suggère la Guinée équatoriale, le critère du «véritable différend»
et celui des «prévisions» du traité ne sont donc pas alternatifs ; ils s’inscrivent dans une suite
54 Protocole de signature facultative à la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques concernant le
règlement obligatoire des différends, Nations Unies, Recueil des traités (RTNU), 18 avril 1961, vol. 500, p. 241.
55 OGE, par. 3.6.
56 Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998,
p. 448, par. 29.
57 Ibid., p. 448-449, par. 30-31 ; les italiques sont de nous.
58 OGE, par. 3.6.
59 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 810, par. 16.
- 32 -
logique : pour que la compétence de la Cour soit établie ratione materiae sur le fondement du
protocole à la convention du 18 avril 1961, il faut nécessairement que le «véritable différend»
existant entre les parties entre «dans les prévisions» de cette convention. Or, tel n’est pas le cas en
la présente espèce. D’une part en effet, la question qui divise effectivement les Parties  celle du
statut juridique de l’immeuble du 42, avenue Foch à Paris  n’est en rien réglée par la convention
de Vienne (I). D’autre part, et contrairement à ce que le requérant veut faire croire, aucun différend
n’oppose les deux Etats quant à l’inviolabilité des locaux de la mission diplomatique de
Guinée équatoriale en France (II). Ce sont les deux points que je me propose, Monsieur le
président, d’aborder successivement à présent. [Fin de la projection no 1]
I. LE VÉRITABLE DIFFÉREND OPPOSANT LA GUINÉE ÉQUATORIALE ET LA FRANCE
AU SUJET DE L’IMMEUBLE DU 42, AVENUE FOCH N’ENTRE PAS
DANS LES PRÉVISIONS DE LA CONVENTION DE VIENNE
7. Mesdames et Messieurs les juges, quel est l’objet véritable du différend opposant la
Guinée équatoriale à la France au sujet de l’immeuble du 42, avenue Foch à Paris ? Pour reprendre
les termes d’une jurisprudence bien établie, qui a encore été récemment reprise dans l’arrêt relatif à
l’Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique :
«C’est … à la Cour qu’il appartient de définir, sur une base objective, l’objet du
différend qui oppose les parties, c’est-à-dire de «circonscrire le véritable problème en
cause et de préciser l’objet de la demande» (Essais nucléaires (Australie c. France),
arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 262, par. 29 ; Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande
c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 466, par. 30).»60
8. Dans la présente affaire, il est évident que le «véritable problème en cause»  et le seul
qui oppose la Guinée équatoriale à la France au sujet de l’immeuble du 42, avenue Foch 
consiste à savoir si cet immeuble devait être considéré comme faisant partie des locaux de la
mission diplomatique équato-guinéenne durant la période critique. L’était-il au moment du
déclenchement des poursuites visant M. Obiang Mangue en France, le 1er décembre 201061 ou
encore à la date des perquisitions judiciaires ou, enfin, au jour de la saisie pénale immobilière de
l’immeuble le 19 juillet 2012 ? La Guinée équatoriale l’affirme, tout en ayant beaucoup varié quant
à la date précise à laquelle ce bâtiment aurait acquis un tel statut. La France, pour sa part, l’a
60 Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), exception préliminaire, arrêt,
C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 602, par. 26.
61 Voir le jugement du Tribunal correctionnel de Paris, 32e chambre correctionnelle, 27 octobre 2017, p. 16.
- 33 -
toujours et constamment réfuté. Il y a donc bien un différend entre les Parties sur ce point. Mais,
pour que la Cour en tire compétence sur le fondement du protocole facultatif à la convention de
1961, il faudrait que la violation que la France aurait commise en ne reconnaissant pas ce statut
hypothétique entre bien dans les prévisions de la convention. Tel n’est pas le cas, Monsieur le
président, et c’est ce que je vais m’attacher à montrer à présent.
9. Comme je me suis permis de le rappeler en ouverture de mon propos, la Cour a précisé,
dans l’affaire des Plates-formes pétrolières, le critère selon lequel sa compétence devait être établie
lorsque les parties sont en désaccord sur le point de savoir si le différend qui les oppose est relatif à
l’interprétation ou à l’application d’un traité. Dans un tel cas de figure, la Cour ne peut se borner à
constater les divergences des parties mais «doit rechercher si les violations du
traité … alléguées … entrent ou non dans les prévisions de ce traité»62.
10. Ce que l’on appelle couramment désormais le «test des Plates-formes» est bien connu et
a d’ailleurs inspiré d’autres juridictions que la Cour. Dans deux affaires récentes, celle du Louisa et
celle du Norstar, le Tribunal international du droit de la mer en a, par exemple, fait application aux
fins d’apprécier sa compétence ratione materiae. Le Tribunal explique ainsi que
«pour qu’il puisse décider si un différend qui oppose les deux Parties en la présente
espèce concerne l’interprétation ou l’application de la Convention, il lui faut établir un
lien entre les faits allégués par le [demandeur] et les dispositions de la Convention
qu’il invoque et démontrer que ces dispositions sont de nature à fonder ses
prétentions»63.
Dans ces deux affaires, le Tribunal a appliqué méthodiquement cette condition à chacune des
dispositions expressément invoquées par le demandeur. Dans la première, celle du Louisa, il a
conclu qu’«à la date du dépôt de la requête, il n’existait pas de différend entre les Parties relatif à
l’interprétation ou à l’application de la Convention et, par conséquent, qu’il n’a[vait] pas
compétence ratione materiae pour connaître de cette affaire»64. Dans la seconde, celle du Norstar,
62 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 810, par. 16.
63 Navire «Norstar» (Panama c. Italie), exceptions préliminaires, arrêt, TIDM Recueil 2016, par. 110. Voir aussi
Navire «Louisa» (Saint-Vincent-et-les Grenadines c. Royaume d’Espagne), arrêt, TIDM Recueil 2013, p. 34, par. 99.
64 Ibid., p. 46, par. 151.
- 34 -
le Tribunal a considéré que seules deux dispositions de la Convention, parmi toutes celles qu’avait
invoquées le Panama, étaient pertinentes en l’espèce65.
11. Ces exemples en témoignent, le test des Plates-formes est tout à fait fonctionnel et doit
conduire à un examen rigoureux des liens effectifs qui existent entre les violations alléguées et des
dispositions spécifiques du traité considéré. Dans ses observations, la Guinée équatoriale se borne
pourtant à expliquer que
«[son] Mémoire invoque la base conventionnelle de la compétence de la Cour ainsi
que les dispositions conventionnelles pertinentes dont l’interprétation et l’application
sont à l’origine du différend. C’est ce qui est demandé à une partie qui saisit la Cour
sur la base des clauses conventionnelles.»66
12. Le test des Plates-formes exige cependant plus que cela : il incombe au demandeur de
démontrer que les violations alléguées sont susceptibles d’entrer dans les prévisions du traité qu’il
invoque, en l’occurrence la convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques. La
Guinée équatoriale ne le fait jamais, en ce sens qu’elle ne parvient pas à montrer en quoi la France,
en refusant de reconnaître le caractère diplomatique de l’immeuble du 42, avenue Foch, serait
susceptible d’avoir commis une violation d’une disposition précise de la convention de Vienne.
13. A ce stade, il me semble utile de revenir sur une affirmation assez révélatrice que le
demandeur a formulée dans ses observations. Alors qu’elle évoque la définition des «locaux de la
mission» énoncée à l’article premier, alinéa i), de la convention, la Guinée équatoriale précise ce
qui suit : «Bien que la disposition n’indique pas une procédure d’établissement des locaux de la
mission diplomatique, il n’y a pas pour autant de vide juridique comme voudrait le faire croire la
France.»67 Mais, Monsieur le président, la France n’a jamais cherché à faire croire une telle chose
et, d’ailleurs, le demandeur est bien en peine d’étayer cette affirmation par une référence adéquate.
Nous n’avons rien dit ni insinué de tel, pour une raison simple et essentielle : si la convention ne
fixe aucun régime d’établissement des locaux de la mission  ce qu’admet la
Guinée équatoriale  c’est parce qu’elle n’entend pas régir cette question. Le point de savoir si un
65 Voir Navire «Norstar» (Panama c. Italie), exceptions préliminaires, arrêt, TIDM Recueil 2016, par. 132.
66 OGE, par. 3.3.
67 Ibid., par. 3.14.
- 35 -
immeuble donné est réservé à usage diplomatique reste en dehors du cadre conventionnel. Cela ne
signifie pas pour autant qu’il existe un vide juridique.
14. La lecture du préambule de la convention de 1961 suffit en réalité à résoudre le problème
artificiellement créé par la Guinée équatoriale. Les traités de codification, tels que la convention de
Vienne sur le droit des traités ou, plus récemment, la convention des Nations Unies sur l’immunité
juridictionnelle des Etats et de leurs biens, précisent très fréquemment dans leur préambule que
«les règles du droit international coutumier continuent de régir les questions qui n’ont pas été
réglées dans les dispositions de la présente Convention»68. La convention de 1961, comme celle de
1963 sur les relations consulaires, comporte une mention liminaire semblable, encore qu’elle soit
rédigée de façon plus précise [début de la projection no 2] : «les règles du droit international
coutumier doivent continuer à régir les questions qui n’ont pas été expressément réglées dans les
dispositions de la présente Convention»69.
15. La répartition qui s’opère ainsi est limpide ; elle ne laisse subsister aucun vide juridique
pour la question qui nous occupe. Soit les conditions dans lesquelles un Etat doit reconnaître la
destination diplomatique d’un immeuble donné sont expressément réglées par les dispositions de la
convention, soit elles ne le sont pas et elles doivent alors continuer de relever de la coutume. Dans
le premier cas, il serait normal de considérer qu’un différend entre deux Etats sur la reconnaissance
du statut diplomatique d’un immeuble puisse entrer dans les prévisions de la convention ; dans le
second cas en revanche, une telle conclusion s’avérera impossible. [Fin de la projection no 2]
16. Pour tenter de contourner cet obstacle, la Guinée équatoriale propose une lecture pour le
moins audacieuse de l’article premier, alinéa i), de la convention de Vienne. Le texte de ce dernier
alinéa, qui clôt un article uniquement consacré à la définition des termes employés dans le traité,
est le suivant : [début de la projection no 3]
«i) L’expression «locaux de la mission» s’entend des bâtiments ou des parties
de bâtiments et du terrain attenant qui, quel qu’en soit le propriétaire, sont utilisés aux
fins de la mission, y compris la résidence du chef de la mission.»
68 Convention des Nations Unies sur l’immunité juridictionnelle des Etats et de leurs biens, 2 décembre 2004,
dernier alinéa du préambule. Voir aussi, à titre d’exemple, les derniers alinéas préambulaires de la convention sur les
missions spéciales du 8 décembre 1969, de la convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 ou encore de
la convention de Vienne sur la succession d’Etats en matière de traités du 23 août 1978.
69 Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, 18 avril 1961, dernier alinéa du préambule.
- 36 -
Il s’agit là, Mesdames et Messieurs les juges, d’une disposition «descriptive»70, comme le souligne
l’une des spécialistes éminentes du droit diplomatique. L’alinéa i) reste dépourvu de portée
prescriptive, au sens où il ne prétend pas consacrer une procédure particulière qui permettrait de
déterminer quand et comment des bâtiments peuvent acquérir le statut de «locaux de la mission».
Comme le précise l’auteur que je viens d’évoquer, Mme la professeure Eileen Denza, «[t]he one
definition contained in Article 1 which is clearly objective in character is the definition of «the
premises of the mission»»71.
17. La Guinée équatoriale cherche pourtant à tirer de cette simple définition objective des
conséquences tout à fait inattendues. Après avoir d’abord soutenu que l’alinéa i) «peut s’entendre
comme autorisant l’autodéfinition par l’Etat accréditant des locaux de sa mission diplomatique»72,
elle précise ensuite plus directement que, de son point de vue, «l’article premier, alinéa i), de la
convention établit que les locaux des services diplomatiques sont ceux qui sont désignés comme
tels par l’Etat accréditant à l’Etat accréditaire»73. Dès lors, elle considère que l’article premier,
alinéa i) établit un régime d’établissement des locaux de la mission diplomatique dit-elle
«déclaratif»74, régime qui se comprendrait comme suit :
«Aussitôt que l’immeuble est affecté par l’Etat accréditant à des fins de mission
diplomatique, et au moins en l’absence de conditions claires et incontestées imposées
par l’Etat accréditaire à tous les Etats accréditants, sans discrimination, l’Etat
accréditaire devrait lui reconnaître l’inviolabilité.»75
Pour la Guinée équatoriale, la conclusion est simple : dès lors que la France ne souscrit pas à cette
thèse «déclarative», il y aurait «incontestablement un différend entre les deux parties au sujet de
l’interprétation de l’article 1er, alinéa i)»76 de la convention.
18. Mesdames et Messieurs de la Cour, cette présentation de l’article premier, alinéa i), défie
l’entendement. Il suffit de lire une fois encore le libellé de la disposition que vous avez sous les
70 Eileen Denza, Diplomatic Law. Commentary on the Vienna Convention on Diplomatic Relations, Oxford
University Press, Oxford, quatrième édition, 2016, p. 16.
71 Ibid.
72 OGE, par. 1.61 ; les italiques sont de nous. Voir aussi par. 3.15.
73 Ibid., par. 1.63.
74 Ibid. par. 3.14.
75 Ibid.
76 Ibid., par. 1.63.
- 37 -
yeux pour se convaincre qu’elle ne consacre en aucun cas le triomphe de cette thèse «déclarative».
En proposant une interprétation de l’alinéa i) aussi caricaturale et invraisemblable, nos éminents
contradicteurs cherchent simplement à créer de manière artificielle un différend susceptible
d’entrer dans les prévisions de la convention de Vienne.
19. Monsieur le président, la question qui nous occupe n’a rien à voir avec un problème
d’interprétation de la convention de Vienne. Comme je l’ai rappelé tout à l’heure, il existe bel et
bien un différend entre les Parties au sujet du statut juridique de l’immeuble du 42, avenue Foch.
Toutefois, la convention ne comporte aucune disposition fixant les conditions dans lesquelles la
reconnaissance du caractère diplomatique d’un immeuble donné doit s’opérer. La question du
régime d’identification des locaux diplomatiques est réglée par la pratique des Etats, en dehors de
la convention. Dès lors, le différend qui oppose la Guinée équatoriale à la France au sujet de
l’immeuble du 42, avenue Foch n’entre pas dans les prévisions de la convention de 1961 ; il n’est
pas justiciable de la procédure prévue par l’article premier de son protocole facultatif. [Fin de la
projection n° 3]
20. Ce protocole ne confère par ailleurs aucune compétence à la Cour pour connaître de
violations alléguées des obligations coutumières applicables aux relations diplomatiques. Je ne me
lancerai donc pas dans l’identification de telles règles. Je me bornerai simplement à rappeler que ce
sont les prérogatives et les compétences souveraines normalement exercées par l’Etat accréditaire
sur son territoire  et non pas celles de l’Etat accréditant  qui se trouvent encadrées et limitées
par l’attribution du statut diplomatique à un immeuble donné. En vertu du droit coutumier, «[l]es
limitations de l’indépendance des Etats ne se présument … pas»77 : dans le domaine qui nous
occupe aujourd’hui, ce fameux dictum de votre devancière demeure parfaitement exact. Prétendre
le contraire revient à commettre un abus de droit. C’est ce que montrera le professeur Pellet
lorsqu’il me succédera à la barre tout à l’heure.
77 Lotus, arrêt no 9, 1927, C.P.J.I. série A no 10, p. 18.
- 38 -
II. AUCUN DIFFÉREND N’EXISTE ENTRE LA GUINÉE ÉQUATORIALE ET LA FRANCE
AU SUJET DU RÉGIME D’INVIOLABILITÉ PRÉVU
PAR LA CONVENTION DE VIENNE
21. Avant de lui céder la place, je dois encore préciser, Mesdames et Messieurs de la Cour,
qu’aucun différend n’oppose la Guinée équatoriale à la France quant aux autres dispositions de la
convention de Vienne invoquées par le demandeur. C’est le second aspect de mon intervention
devant vous ce matin. A dire vrai, la Guinée équatoriale entretient un certain flou quant à
l’identification précise des articles de la convention à l’appui desquels elle entend démontrer que la
France aurait commis les violations qu’elle allègue. Je me garderai bien de chercher à
«psychanalyser les propos ou les silences de la Guinée équatoriale»78, comme celle-ci l’a
curieusement reproché à la France dans ses observations et je me bornerai à citer les passages les
plus significatifs de son argumentaire sur ce point.
22. La requête introductive d’instance s’ouvre par une présentation de l’objet du différend.
Le passage ici pertinent est le suivant :
«Le différend entre la Guinée équatoriale et la France, qui découle de certaines
procédures pénales en cours en France, concerne … le statut juridique de l’immeuble
qui abrite 1’Ambassade de Guinée équatoriale en France, tant comme locaux de la
mission diplomatique que comme propriété de 1’Etat. … A ce jour, ces procédures ont
aussi donné lieu, entre autres, à la saisie de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris,
qui est la propriété de la Guinée équatoriale et utilisé à des fins de sa mission
diplomatique en France. Ces procédures violent la Convention de Vienne du 18 avril
1961 sur les relations diplomatiques»79.
23. Monsieur le président, cette présentation me paraît devoir soulever d’emblée deux
observations. Premièrement, la question de savoir si l’immeuble du 42, avenue Foch est, ou non,
propriété de l’Etat équato-guinéen est indifférente au regard du régime établi par la convention de
Vienne. Comme le rappelle le demandeur lui-même dans ses observations : «il ne ressort ni de la
convention de Vienne, ni d’aucune autre règle de droit international, que chaque Etat doit avoir la
propriété des locaux de sa mission diplomatique»80 ; ce point ne fait donc pas l’objet de
divergences entre les Parties.
24. Deuxièmement, les écritures de la Guinée équatoriale montrent bien à quel point elle a lié
le sort de l’immeuble du 42, avenue Foch à celui des procédures pénales engagées en France contre
78 Voir OGE, par. 3.23.
79 Voir RGE, p. 1, par. 2-3 ; les italiques sont de nous.
80 OGE, par. 3.24.
- 39 -
M. Teodoro Nguema Obiang Mangue. La tentative de maquiller précipitamment l’immeuble
comme un local diplomatique n’avait d’ailleurs d’autre but que de le soustraire aux conséquences
de ces poursuites ; le professeur Pellet y reviendra dans quelques minutes. Pour l’heure, il suffira de
constater que, pas davantage que la convention de Palerme, la convention de Vienne n’offre une
base de compétence matérielle permettant à la Cour d’apprécier la licéité des procédures pénales
françaises.
25. La poursuite de la lecture de la requête introductive d’instance ne permet pas de se faire
une idée beaucoup plus précise du fondement juridique des griefs reprochés à la France. La
Guinée équatoriale y avance simplement que :
«par le fait de ses autorités judiciaires qui ont saisi un immeuble utilisé aux fins de la
mission diplomatique de la Guinée équatoriale en France, et faute de reconnaître
l’immeuble comme locaux de la mission diplomatique, la République française a violé
ses obligations à 1’égard de la Guinée équatoriale en vertu de la Convention de
Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961, notamment son article 22»81.
La Guinée équatoriale n’est guère plus prolixe dans son mémoire : elle se borne à y indiquer que
«[l]e différend devant la Cour concern[ait] l’interprétation et l’application de plusieurs dispositions
de la convention de Vienne, y compris, sans s’y limiter, l’article 1, alinéa i), et l’article 22»82.
Alors, je n’évoquerai pas l’article premier, alinéa i), plus longtemps que je ne viens de le faire,
puisqu’il n’impose aucune obligation à la France de reconnaître le statut diplomatique d’un
immeuble donné et n’est donc d’aucun secours au demandeur. Avant d’en venir à l’article 22, je
dirai toutefois un mot des autres dispositions de la convention, évoquées subrepticement dans le
mémoire sans jamais y être expressément identifiées. Les observations de la Guinée équatoriale
lèvent en effet le voile sur ce mystère, dans des termes qui méritent certainement d’être cités :
«Comme il a été constamment soutenu par la Guinée équatoriale, le présent
différend concerne non seulement l’interprétation et l’application de l’article 1er,
alinéa i), et de l’article 22 de la Convention de Vienne, mais aussi d’autres
dispositions de la Convention. La question de savoir si des locaux constituent des
«locaux de la mission» est également pertinente pour l’application des dispositions
telles que l’article 20 (drapeau et emblème de l’Etat accréditant), 21 (facilitation de
l’acquisition des locaux) et 23 (exemption d’impôts).»83
81 RGE, p. 11, par. 38 ; les italiques sont de nous.
82 Mémoire de la République de Guinée équatoriale (ci-après «MGE»), p. 78, par. 5.46 ; les italiques sont de
nous. Voir aussi OGE, par. 0.9.
83 OGE, par. 1.57.
- 40 -
26. Mesdames et Messieurs les juges, voilà qui ne laisse pas de surprendre ! La
Guinée équatoriale n’avait jamais prétendu jusqu’à présent qu’un différend l’opposerait à la France
quant à l’interprétation ou à l’application des articles 20, 21 et 23 de la convention de Vienne.
L’article 20 est uniquement évoqué dans le mémoire pour soutenir que la Guinée équatoriale a,
dit-elle, «la liberté de placer sur un immeuble tout signe qui permette aux agents de l’Etat
accréditaire d’identifier les locaux de sa mission diplomatique»84 ; il n’est nulle part affirmé que la
France y aurait contrevenu. Il en va de même en ce qui concerne l’article 21, qui est uniquement
mentionné dans les écritures du demandeur pour rappeler que l’Etat accréditant n’est pas obligé
d’être propriétaire des locaux de sa mission diplomatique85, ce que la France n’a jamais contesté.
Quant à l’article 23, enfin, nous n’en avons trouvé nulle trace jusqu’à son évocation impromptue, et
d’ailleurs non étayée, dans le passage des observations que je viens de citer. Quand bien même la
Guinée équatoriale chercherait-elle ainsi à étendre indûment l’objet du différend, il n’existe donc,
sur la base de ces trois dispositions, aucune violation alléguée susceptible d’entrer dans les
prévisions de la convention de Vienne. Le différend que tente de vous soumettre la
Guinée équatoriale sur ces points n’existe, tout simplement, pas.
27. Dans votre ordonnance en indication de mesures conservatoires, vous avez d’ailleurs
simplement et prudemment noté «que les droits apparemment en litige [étaient] susceptibles de
relever de l’article 22 de la convention de Vienne, qui garantit l’inviolabilité des locaux
diplomatiques»86 sans considérer d’autres dispositions de la convention. C’est donc sur cet article
que je vais à présent me pencher et, plus précisément, sur le point de savoir si son application fait
véritablement l’objet d’un différend entre les Parties. Par souci de clarté, le texte de l’article 22 est
projeté sur l’écran [début de la projection n° 4] ; il ne sera, toutefois, pas directement utile puisqu’il
n’existe pas davantage de différend entre les Parties qui puisse entrer dans les prévisions de cette
disposition.
28. Il est vrai, pourtant, que la Guinée équatoriale fait grand cas de l’article 22 au fil de ses
écritures. Dans ses observations notamment, elle indique d’emblée que «le Protocole de signature
84 MGE, par. 8.18.
85 Ibid., par. 8.32.
86 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), mesures conservatoires, ordonnance du
7 décembre 2016, C.I.J. Recueil 2016 (II), p. 1164-1165, par. 67.
- 41 -
facultative est pertinent pour le différend concernant l’inviolabilité de l’immeuble sis au 42 avenue
Foch à Paris en tant que locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale en France»87.
Plus loin, elle précise qu’«à ce stade, la question la plus importante, qui constitue la préoccupation
majeure de la Guinée équatoriale, est la violation flagrante de l’article 22 de la Convention»88.
29. Le but que poursuit ici le demandeur semble clair : convaincre la Cour qu’un différend
l’oppose à la France quant à l’inviolabilité d’un local relevant de sa mission diplomatique à Paris,
différend qui serait par nature relatif à l’interprétation ou à l’application de la convention de Vienne
et, plus précisément, à l’article 22 de celle-ci. Cette stratégie consiste à faire passer le caractère
diplomatique du 42, avenue Foch comme un fait acquis pour mieux mettre en exergue les
violations hypothétiques par la France du régime d’inviolabilité que prévoit la convention. Cette
manoeuvre, du reste, n’est pas propre à la présente procédure. Ou, pour être plus exact, il semble
que la Guinée équatoriale utilise désormais les développements de la procédure devant la Cour
 quitte à les maltraiter sans vergogne  pour tenter de faire croire que le régime de l’article 22
serait applicable à l’immeuble du 42, avenue Foch. Permettez-moi, Monsieur le président, d’en
donner deux exemples. [Fin de la projection n° 4]
30. Je commencerai par la lettre évoquée tout à l’heure par M. Alabrune, l’agent de la
République française, que le président de la République de Guinée équatoriale a adressée à son
homologue français le 19 janvier 2017, soit un peu plus d’un mois après votre ordonnance. Je fais
référence, plus précisément, à la «Note en vue d’un règlement diplomatique du différend» qui
accompagne ce courrier. Je me permets de citer intégralement la proposition qui y figure au sujet
du «siège de la mission diplomatique de la République» de Guinée équatoriale :
«A la suite de l’Ordonnance rendue le 7 décembre 2016 par la Cour
internationale de Justice ayant imposé, à l’unanimité des juges, à la France d’assurer
l’inviolabilité de l’immeuble du 42, avenue Foch, la France pourrait valablement
notifier à l’Ambassade que la France en a pris acte et que cette adresse est désormais
considérée par les deux Etats comme le siège de la mission de la République de
Guinée équatoriale en France.»89
87 OGE, par. 0.6 ; les italiques sont de nous.
88 Ibid., par. 1.57.
89 Lettre du président de la République de Guinée équatoriale au président de la République française, 19 janvier
2017, reproduite en annexe 4 aux OGE, p. 144 ; les italiques sont de nous.
- 42 -
31. Cette proposition est pour le moins singulière. Pour encourager la France à procéder à la
reconnaissance tant convoitée du 42, avenue Foch, il suffirait selon la Guinée équatoriale qu’elle
prenne acte de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue par la Cour, comme si
cette ordonnance avait établi le caractère diplomatique de l’immeuble. Cette étrange conviction
paraît à présent bien ancrée dans la stratégie de la Guinée équatoriale. J’en veux pour preuve un
second exemple tiré de la correspondance officielle de la Guinée équatoriale. Dans une note
verbale qu’elle a adressée à la direction du protocole du ministère français des affaires étrangères le
6 juillet 2017 pour protester contre la poursuite du procès pénal intenté en France contre M. Obiang
Mangue, la Guinée équatoriale prétend de nouveau que l’ordonnance de la Cour, «qui s’impose à la
France, lui fait obligation de garantir la protection et l’inviolabilité de l’immeuble sus-cité en tant
que locaux de sa Mission Diplomatique»90. C’est donc la Cour, si je comprends bien, et non plus
seulement la Guinée équatoriale qui exigerait de la France qu’elle entérine le caractère
diplomatique de l’immeuble du 42, avenue Foch.
32. Il n’en est évidemment rien, Monsieur le président, et je vous prie de m’excuser de
devoir, pour le montrer, citer les termes que vous avez rappelés tout à l’heure, puisque ce sont ceux
que la Cour a retenus dans son ordonnance du 7 décembre 2016. L’unique mesure conservatoire
prononcée en l’espèce se lit comme suit :
«La France doit, dans l’attente d’une décision finale en l’affaire, prendre toutes
les mesures dont elle dispose pour que les locaux présentés comme abritant la mission
diplomatique de la Guinée équatoriale au 42 avenue Foch à Paris jouissent d’un
traitement équivalent à celui requis par l’article 22 de la convention de Vienne sur les
relations diplomatiques, de manière à assurer leur inviolabilité»91.
33. Ces termes, ce sont ceux que les autorités françaises  qu’il s’agisse du président de la
République92 ou des directions compétentes du ministère des affaires étrangères93  ont repris
dans leurs réponses aux lettre et notes verbales que je viens d’évoquer. A cette occasion, le
protocole du ministère a tenu à rappeler que
90 Note verbale n° 300/2017, reproduite en annexe 9 aux OGE, p. 163.
91 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), mesures conservatoires, ordonnance du
7 décembre 2016, C.I.J. Recueil 2016 (II), p. 1171, par. 99 ; les italiques sont de nous.
92 Lettre du président de la République française au président de la République de Guinée équatoriale, 16 février
2017, reproduite en annexe 5 aux OGE, p. 147.
93 Note verbale n° 2017-158865/PRO/PIDC, 2 mars 2017, reproduite en annexe 7 aux OGE, p. 155 et note
verbale n° 2017-465600/PRO/PIDC, 18 juillet 2017, reproduite en annexe 10 aux OGE, p. 167.
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«la question du statut de l’immeuble situé au 42 avenue Foch à Paris 16ème est au
centre du différend porté par la Guinée équatoriale devant la Cour. Suivant sa position
constante, la France ne considère pas l’immeuble situé 42 avenue Foch à Paris 16ème
comme faisant partie des locaux de la mission diplomatique de la République de
Guinée équatoriale en France»94.
34. Tel est bien le coeur du différend qui oppose la Guinée équatoriale à la France. Tenter de
le présenter comme un différend portant sur le respect de l’inviolabilité due aux locaux
diplomatiques est un artifice qui vise à trouver une base conventionnelle à la compétence de la
Cour. Pour étayer cette démarche, le demandeur multiplie dans ses observations des pétitions de
principe qu’il ne prend jamais la peine de démontrer. Selon lui, «[l]a question de savoir si
l’immeuble du 42 avenue Foch bénéficie du régime de l’article 22 de la convention de Vienne ne
peut que relever des prévisions de cette Convention. C’est le différend que la Guinée équatoriale
soumet précisément à la Cour»95. Plus loin, la Guinée équatoriale affirme encore qu’«[i]l serait
étrange de conclure que la question de savoir si un immeuble constitue des locaux de la mission
aux fins de l’application de l’article 22, n’est pas relative à l’interprétation ou à l’application de la
Convention»96.
35. Ce que je trouve pour ma part étrange, Monsieur le président, est d’affirmer qu’une
question qui n’est pas réglée par la convention de Vienne entre pourtant dans les prévisions de
celle-ci. Comme je l’ai indiqué il y a quelques minutes, le préambule de cet instrument est très clair
[début de la projection n° 5 (identique à la projection n° 2)] : la Convention ne prétend pas régir
l’ensemble du droit diplomatique et les questions qu’elle ne règle pas «expressément» restent
régies par le droit international coutumier. Tel est le cas des conditions d’établissement des locaux
diplomatiques : dès lors qu’elles ne sont pas spécifiées dans la convention, l’on voit mal comment
leur non-respect éventuel pourrait entrer dans les prévisions de celle-ci. La seule question
susceptible d’en relever au titre de l’article 22 consisterait à savoir si le régime d’inviolabilité qu’il
prévoit a été correctement mis en oeuvre par l’Etat accréditaire au regard des locaux de l’Etat
accréditant effectivement utilisés à des fins diplomatiques et reconnus comme tels. Mais
l’immeuble du 42, avenue Foch ne présente nullement cette qualité. Il ne suffit pas à cet égard de
94 Note verbale n° 2017-158865/PRO/PIDC, 2 mars 2017, reproduite en annexe 7 aux OGE, p. 155.
95 OGE, par. 3.7 ; les italiques sont de nous.
96 Ibid., par. 3.22 ; les italiques sont de nous.
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dire, comme le fait la Guinée équatoriale, «que l’article 22 de la convention s’applique à
l’immeuble sis au 42, avenue Foch, parce que cet immeuble fait partie des locaux de sa mission»97
ou encore d’affirmer que le caractère préalable de la question du statut de l’immeuble «relève de la
simple logique»98. Encore faut-il fonder la compétence de la Cour ratione materiae, et donc
montrer que la résolution de cette question particulière (celle du statut des locaux) procède bel et
bien de la convention de Vienne. Pour l’ensemble des raisons que je viens d’invoquer, il n’en est
rien. [Fin de la projection n° 5]
36. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, je vous remercie de l’attention
que vous avez bien voulu me prêter. Monsieur le président, je vous prie de bien vouloir appeler à la
barre le professeur Pellet, qui poursuivra la présentation des arguments de la France.
LE PRESIDENT : Je vous remercie. Je donne la parole à Monsieur le professeur
Alain Pellet. Vous avez la parole.
M. PELLET : Merci, Monsieur le président.
LE CARACTÈRE ABUSIF DE LA REQUÊTE
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, lors des audiences sur les
mesures conservatoires demandées par la Guinée équatoriale nous avions montré :
 que les activités de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, en cause dans cette affaire, ne
pouvaient, ni de près ni de loin, se rattacher à l’exercice de quelconques fonctions officielles99 ;
 que ces activités n’entraient à l’évidence pas dans le champ de la convention de Vienne de
1961 sur les relations diplomatiques et ne sauraient justifier d’aucune immunité à ce titre100 ;
 que cette absence d’immunité s’étendait sans aucun doute aux biens, meubles et immeubles,
acquis dans ces circonstances101 ; et,
 en particulier, à l’immeuble du 42, avenue Foch102.
97 OGE, par. 3.29.
98 Ibid., par. 3.31.
99 CR 2016/15, p. 20-21, par. 9 (Pellet) ; CR 2016/17, p. 8-11, par. 3-9 (Pellet). Voir aussi EPF, p. 50-52.
100 CR 2016/15, p. 19, par. 4-15 (Pellet).
101 CR 2016/15, p. 26-28, par. 19-23 (Pellet). Voir aussi EPF, p. 75-80.
- 45 -
2. De l’ensemble de ces constatations, nous avions tiré la conséquence que, non seulement la
Cour n’avait pas compétence pour se prononcer sur les demandes de la Guinée équatoriale
considérées une à une, mais aussi que sa requête elle-même est irrecevable, elle vise à couvrir des
activités constitutives d’abus de droit, et le fait de vous saisir à cette fin constitue un abus flagrant
de procédure103. Dans votre ordonnance du 7 décembre 2016, sans conclure expressément au
caractère abusif de votre saisine, vous avez estimé n’avoir pas, prima facie, compétence pour vous
prononcer sur l’immunité de M. Obiang104, tout en considérant qu’il existait entre les Parties «un
différend susceptible d’entrer dans les prévisions de la convention de Vienne et de concerner
l’interprétation ou l’application de son article 22»105, position également prise prima facie. L’Etat
requérant ayant maintenu ses demandes dans son mémoire106, nous maintenons, de notre côté, que
la Cour est incompétente pour en connaître individuellement, comme mes collègues et amis
Hervé Ascensio et Pierre Bodeau-Livinec l’ont montré, mais aussi que, considérée dans son
ensemble, la requête équato-guinéenne vous saisissant constitue, par elle-même, un abus de
procédure. La Guinée équatoriale affecte de s’en offusquer et, espérant sans doute arroser
l’arroseur, va jusqu’à affirmer : «En réalité, le seul fait d’avancer ces arguments pourrait être
considéré comme un abus de procédure»107  sans, il est vrai, tirer la moindre conséquence de
cette remarque «atmosphérique».
3. Avant de rappeler notre position sur le caractère abusif de la saisine de la Cour en la
présente instance (II), il me paraît nécessaire de procéder à une mise au point sur la consistance et
la portée des notions d’abus de droit et de procédure, dont les conditions sont pleinement réunies
dans notre affaire (I).
102 CR 2016/15, p. 10, par. 13 (Alabrune) ; p. 23, par. 16, p. 26, par. 19 (Pellet) ; CR 2016/17, p. 12-13, par. 11-12
(Pellet). Voir aussi EPF, p. 53-54.
103 CR 2016/15, p. 31, par. 29-31 (Pellet) ; CR 2016/17, p. 12, par. 11-12 (Pellet).
104 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), mesures conservatoires, ordonnance du
7 décembre 2016, C.I.J. Recueil 2016 (II), p. 1160, par. 50.
105 Ibid., par. 68.
106 Voir MGE, p. 181-182.
107 OGE, par. 1.69.
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I. LES CONDITIONS D’UN DOUBLE ABUS  DE DROIT ET DE PROCÉDURE  SONT
RÉUNIES EN LA PRÉSENTE ESPÈCE
4. D’abord, Monsieur le président, pour dissiper un malentendu  qu’il soit réel ou, lui
aussi, «atmosphérique»  je me demande comment les interprètes vont traduire ce mot qui ne
semble pas avoir d’équivalent en anglais !  la Guinée équatoriale s’indigne que nous mettions en
doute sa bonne foi108. J’ai toujours pensé qu’il était assez vain de se lancer des accusations
mutuelles de mauvaise foi dans votre prétoire. En tout cas, pas une fois, dans nos plaidoiries
d’octobre 2016, nous n’avons utilisé l’expression «mauvaise foi». Nous n’y recourrons pas non
plus aujourd’hui. Que l’on parle d’abus de droit ou de procédure, il s’agit toujours de notions
objectives que l’on peut déduire des circonstances sans qu’il soit nécessaire de porter un jugement
de valeur sur les intentions de leur auteur. Le test n’est pas celui de la bonne ou de la mauvaise foi,
mais du caractère raisonnable ou non de la saisine du juge au regard de l’ensemble des
circonstances de la cause. Comme on l’a écrit, «[t]he “reasonable judge” formulation is in itself
sufficient»109. Et tel est bien le grief que nous faisons à la Guinée équatoriale : elle vous demande
de rendre une décision qu’aucun juge raisonnable ne pourrait être enclin à prendre110.
5. Cette mise au point faite, il me faut aborder deux autres questions qui peuvent sembler
avoir un caractère essentiellement doctrinal, mais qui ont des effets pratiques dans notre affaire et
sur lesquelles nos amis de l’autre côté de la barre entretiennent la confusion :
 la première porte sur la définition même des notions d’abus de droit et de procédure et sur les
relations qu’elles entretiennent l’une avec l’autre ;
 la seconde concerne les rapports que ces deux notions entretiennent avec l’incompétence de la
Cour que nous alléguons.
A. La confusion entretenue par la Guinée équatoriale sur les notions
d’abus de droit et d’abus de procédure
6. Monsieur le président, en matière de définitions, plusieurs choses doivent être notées
 que nos contradicteurs semblent, ou veulent, ignorer.
108 OGE, p. 4, par. 0.11, p. 30, par. 1.68.
109 G.D.S. Taylor, «The Content of the Rule against Abuse of Rights in International Law», British Yearbook of
International Law, vol. 46 (1972-1973), p. 334.
110 Voir ibid. citant sir Gerald Fitzmaurice, p. 329.
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7. Il convient de rappeler d’abord que les notions d’abus de droit d’une part et d’abus de
procédure d’autre part ne sont pas synonymes même si elles entretiennent l’une avec l’autre des
rapports étroits. Selon la définition généralement admise, que je tire du Dictionnaire Salmon, l’abus
de droit est l’«[e]xercice par un Etat d’un droit, d’un pouvoir ou d’une compétence d’une manière
ou dans un but qui ne correspondent pas aux finalités de ce droit, de ce pouvoir ou de cette
compétence, par exemple dans le but d’échapper à une obligation internationale»111. Quant à l’abus
de procédure, c’est une forme particulière d’abus de droit ; il se produit dans le cadre d’une
instance arbitrale ou juridictionnelle, lorsque le titulaire d’un droit de saisine ou d’un droit
procédural112 l’utilise à des fins autres que celle pour laquelle il a été conçu. C’est, ici, la saisine de
la Cour qui est abusive.
8. Dans notre affaire, les deux notions (d’abus de droit et d’abus de procédure) sont présentes
mais à des titres et — dirai-je — à des moments différents : en tentant par tous les moyens de
couvrir les agissements de M. Obiang du manteau des immunités et d’en faire bénéficier les biens
qu’il a acquis par ce biais, l’Etat requérant a commis et continue de commettre des abus de droit.
L’abus de procédure, lui, intervient avec la saisine de la Cour dont la mission est certes de régler
les différends qui lui sont soumis ; encore faut-il que ces différends aient une apparence de
vraisemblance et que le fondement invoqué à l’appui de la compétence de la Cour ne soit pas
totalement artificiel. D’ailleurs, comme l’a écrit un «publiciste reconnu» que la Guinée équatoriale
s’est plu à citer113, «[t]he introduction of an action that has no chance to proceed, either because it
clearly lacks a basis of jurisdiction or because the arguments on the merits are manifestly
insufficient, may be viewed as an abuse of process»114. Et tel est précisément le cas dans notre
affaire. La requête équato-guinéenne formée en l’absence manifeste de toute voie de droit et en vue
de couvrir des abus de droit commis par ailleurs constitue un abus de procédure115.
111 Jean Salmon (sous la dir. de), Dictionnaire de droit international public, Bruylant/AUF, Bruxelles, 2001,
p. 3-4.
112 Sur la distinction, voir Hervé Ascensio, «Abuse of Process in International Investment Arbitration», Chinese
Journal of International Law, vol. 13, 2014, p. 767.
113 OGE, par. 1.75.
114 Hervé Ascensio, «Abuse of Process in International Investment Arbitration», Chinese Journal of International
Law, vol. 13, 2014, p. 767.
115 Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1992, p. 255, par. 38.
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9. De même  et j’en reviens aux abus de droit initiaux, nous ne contestons nullement que
les diplomates et les locaux diplomatiques d’un Etat étranger bénéficient d’immunités étendues ;
encore faut-il qu’il s’agisse de diplomates, ce qui n’est évidemment pas le cas de M. Obiang, dont
les biens ne sont dès lors pas non plus couverts par la moindre immunité diplomatique. Et ceci seul
importe car, à la date-critique (celle des premières investigations), l’immeuble du 42, avenue Foch
ne pouvait pas, à l’évidence, être considéré comme une mission diplomatique. A cette date, aucune
notification relative au caractère diplomatique de l’immeuble n’avait été adressée au protocole du
ministère français des affaires étrangères. Comme l’a constaté le Tribunal correctionnel de Paris
dans son jugement du 17 octobre dernier :
«Les constatations sur les lieux ont confirmé que Teodoro NGUEMA OBIANG
MANGUE avait la libre disposition de ce bien immobilier. A l’inverse, aucun
document officiel concernant l’Etat de Guinée Equatoriale ou permettant de penser
que cet immeuble pouvait servir comme lieu de représentation officielle n’a été
découvert.»116
10. La tentative de maquiller précipitamment l’immeuble en local diplomatique n’avait bien
sûr pas d’autre but que de le soustraire aux conséquences de ces poursuites. Le jugement du
Tribunal correctionnel de Paris est éloquent sur ce point : 18 voitures de luxe entreposées dans la
cour de l’immeuble et des parkings avoisinants sont saisies par la justice française les 28 septembre
et 3 octobre 2011117 ; lorsque les enquêteurs reviennent sur place le 5 octobre, ils découvrent des
affichettes de fortune indiquant «République de Guinée équatoriale  locaux de l’ambassade».
Elles y avaient été apposées la veille118.
11. Il est un autre élément commun aux notions d’abus de droit et de procédure : par
hypothèse, l’abus n’est pas une question de pur fait, il n’apparaît qu’à la lumière des circonstances
dans lesquelles il est perpétré.
12. Au paragraphe 1.69 de ses observations écrites, la Guinée équatoriale se plaint de la
«variété» des arguments invoqués par la France à l’appui du moyen qu’elle tire de l’abus de
procédure. Et d’affirmer que «[c]hacun de ces arguments est complètement dépourvu de
fondement». Nous avons montré, dans nos exceptions préliminaires et par la voix des collègues qui
116 Tribunal correctionnel de Paris, 32e chambre correctionnelle, 27 octobre 2017, p. 31.
117 Voir ibid., p. 24.
118 Ibid., p. 31.
- 49 -
m’ont précédé que «chacun de ces arguments» est fondé. Mais ici, ce n’est pas la question ; c’est
l’accumulation, la conjonction, de ces circonstances qui permet d’affirmer qu’il y a abus.
13. De même, contrairement à ce qu’affirme la Guinée équatoriale en une formule un peu
curieuse, nous ne prétendons pas qu’il y a abus de procédure «parce que la France avait refusé
d’accepter la compétence de la Cour sur la base du forum prorogatum en 2012»119, mais nous
constatons que la requête déposée le 13 juin 2016 présente de grandes similarités avec celle de
2012, qui ne reposait que sur un appel au forum prorogatum. Et ceci constitue  parmi d’autres 
l’un des éléments qui témoignent de la stratégie élaborée par la Guinée équatoriale à seule fin de
contourner l’absence de consentement de la France à la compétence de la Cour.
14. Comme l’a relevé le professeur Ascensio, la préoccupation d’éviter un risque systémique
«est au centre du concept d’abus de procédure»120. En tentant d’abuser des immunités
diplomatiques garanties par la convention de 1961, dont la Cour a eu l’occasion de rappeler
l’«importance capitale pour le maintien de bonnes relations entre Etats dans le monde
interdépendant d’aujourd’hui»121 et en saisissant votre haute juridiction d’une requête artificielle
faisant fi du principe du consentement à la compétence, la Guinée équatoriale fait courir un double
risque systémique non seulement au droit des relations diplomatiques, mais aussi à celui du
règlement des différends par la voie judiciaire. Car, comme vous y avez insisté, «la saisine de la
Cour est une chose, l’administration de la justice en est une autre»122, qui doit s’exercer en tenant
compte «des limitations inhérentes à l’exercice de la fonction judiciaire dont la Cour, en tant que
tribunal, doit toujours tenir compte»123.
B. Les faux problèmes soulevés par la Guinée équatoriale
15. Monsieur le président, la Guinée équatoriale oppose une objection récurrente à
l’invocation par la France de l’abus de droit ou de l’abus de procédure au double prétexte
119 OGE, par. 1.73.
120 H. Ascensio, «Abuse of Process in International Investment Arbitration», Chinese Journal of International
Law, vol. 13, 2014, p. 780.
121 Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran), arrêt,
C.I.J. Recueil 1980, p. 42, par. 91.
122 Nottebohm (Liechtenstein c. Guatemala), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1953, p. 122.
123 Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963,
p. 29.
- 50 -
(d’ailleurs peu cohérent) d’une part, qu’il s’agirait d’un problème de fond et non d’une question de
compétence et, d’autre part, qu’en tout état de cause cela concernerait non pas la compétence de la
Cour mais la recevabilité de la requête, que nous n’avons pas expressément contestée dans nos
exceptions préliminaires. Faux problème dans les deux cas, Monsieur le président.
a) La distinction, ici indifférente, entre compétence et recevabilité
16. Commençons par le second. Dans ses observations, la Guinée équatoriale tient à
«rappeler que la France n’a pas soulevé d’exceptions préliminaires à la recevabilité» de sa
requête124. Ce constat relève d’une conception extrêmement formaliste du droit des exceptions
préliminaires. Certes, l’article 79, paragraphe 1, du Règlement actuellement en vigueur, relatif aux
«exceptions préliminaires», évoque «[t]oute exception à la compétence de la Cour ou à la
recevabilité de la requête ou toute autre exception». Mais, pour sa part, l’article 36, paragraphe 6,
du Statut se borne à prévoir, avec une concision de bon aloi, que, «[e]n cas de contestation sur le
point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide». «[S]i la Cour est compétente»: il n’est
pas question ici de recevabilité alors même que cette disposition, l’article 36, est le fondement
juridique de toutes les exceptions préliminaires, qu’elles portent sur l’incompétence de la Cour,
l’irrecevabilité de la requête, ou toute autre chose. C’est cette disposition unique qui permet à la
Cour de s’assurer aussi bien de sa compétence stricto sensu que de la validité de sa saisine. Au
demeurant, ce n’est qu’en 1972 que la distinction entre compétence et recevabilité fut introduite
dans le Règlement.
17. Comme la Commission du droit international l’a très justement relevé, «[l]a distinction
entre compétence et recevabilité n’est pas toujours claire et ces termes sont parfois employés de
manière interchangeable»125. L’examen de la jurisprudence de la Cour ne contredit pas ce constat.
Dès l’affaire des Concessions Mavrommatis, la CPJI avait estimé n’avoir «pas à se demander … si
compétence et juridiction, … et fin de non-recevoir, doivent être considérées toujours et partout
124 OGE, par. 1.79.
125 Rapport final du Groupe d’étude de la Commission du droit international sur la clause de la nation la plus
favorisée (A/70/10), Annuaire de la Commission du droit international, 2015, vol. II, p. 198-199, par. 167. Voir aussi :
H. Thirlway, «The Law and Procedure of the International Court of Justice», British Yearbook of International Law.,
2000, vol. 71, p. 80-81 ; R. Kolb, La Cour internationale de Justice, Paris, Pedone, 2010, p. 227-231 ; C. Tomuschat,
«Article 36», in A. Zimmermann, C. Tomuschat, K. Oellers-Frahm (sous la dir. de), The Statute of the International
Court of Justice. A Commentary, Oxford, Oxford University Press, 2012, deuxième édition, p. 647 ; M. Shaw, Rosenne’s
Law and Practice of the International Court (1920-2015), Leiden/Boston, Brill/Nijhoff, 2016, vol. II, p. 873-874.
- 51 -
comme des expressions synonymes»126. Et, plus récemment, dans l’affaire du Cameroun
septentrional, vous avez jugé qu’il n’était pas «nécessaire d’examiner chacune des exceptions ni de
déterminer si elles portent toutes sur la compétence ou la recevabilité ou si elles sont fondées sur
d’autres motifs», en faisant remarquer que «[p]endant les plaidoiries, les Parties elles-mêmes n’ont
guère fait de distinction entre «compétence» et «recevabilité»»127. Et cela est fort logique : que
vous accueilliez une exception d’incompétence ou d’irrecevabilité, l’effet est le même : il en résulte
que vous ne pouvez pas vous prononcer au fond, que vous n’avez pas «juridiction». Par ailleurs, il
est de jurisprudence que certaines exceptions peuvent être qualifiées à la fois d’exception
d’incompétence et d’exception d’irrecevabilité128. Du reste, lorsque le problème s’est posé dans le
passé vous n’avez pas hésité à requalifier l’exception et à en examiner le bien-fondé, sans vous
arrêter à l’erreur de qualification qu’aurait pu commettre l’Etat objectant129. Incompétence ou
irrecevabilité, cela n’a guère d’incidence sur les conséquences qu’il vous appartient de tirer des
abus de droit et de procédure commis par l’Etat requérant ni sur la conclusion qu’ils
appellent nécessairement, à savoir un refus de la Cour de connaître du différend au fond.
18. Vous ne sauriez vous arrêter davantage à une autre controverse qu’amorce la
Guinée équatoriale lorsqu’elle semble considérer que l’existence d’un abus de droit relève
exclusivement du fond de l’affaire et serait sans incidence à ce stade de la procédure. Ainsi,
écrit-elle dans ses observations :
«tout argument relatif à ce que la Guinée équatoriale n’aurait pas agi de manière
appropriée pour défendre les droits que le droit international lui accorde … soulève
126 Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I. série A no 2, p. 10.
127 Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963,
p. 27. Voir aussi Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I. série A no 2, p. 10. ; Pajzs, Csáky,
Esterházy, arrêt, 1936, C.P.J.I. série A/B no 68, p. 51 ; Demande en revision et en interprétation de l’arrêt du 24 février
1982 en l’affaire du Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne),
arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 216, par. 43 ; Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar
c. Bahreïn), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 23-24, par. 43.
128 Demande en revision et en interprétation de l’arrêt du 24 février 1982 en l’affaire du Plateau continental
(Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 216, par. 43 ;
Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), compétence et recevabilité,
arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 23-24, par. 43. Voir aussi, par exemple, Renée Rose Levy and Gremcitel S.A. v. Republic of
Peru, sentence du 9 janvier 2015, CIRDI no ARB/11/17, par. 181.
129 Voir notamment Interhandel (Suisse c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1959, , p. 26 ; Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception
préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 177, par. 29 ; Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 456,
par. 120 ; Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles
marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 123, par. 48.
- 52 -
des questions qui relèvent du fond de l’affaire et ne peuvent pas être abordées dans le
cadre de cette procédure incidente»130.
19. En conséquence, selon nos contradicteurs, la France ne pourrait attirer votre attention, à
ce stade, par exemples sur le fait que le vice-président Obiang ne saurait se prévaloir de la qualité
de diplomate131 ou sur la chronologie des prétendues tribulations juridiques du 42, avenue Foch132.
Ces objections témoignent d’une double incompréhension de la notion même d’abus de droit et de
sa portée.
20. En premier lieu, comme je l’ai rappelé il y a quelques instants133, l’existence d’un abus
 de droit ou de procédure  ne peut se déduire que des circonstances dans lesquelles il est
commis. En l’espèce, la France vous prie de constater, notamment, que les circonstances
rocambolesques dans lesquelles l’immeuble du 42, avenue Foch serait devenu l’ambassade de la
Guinée équatoriale à Paris ne permettent pas de prendre au sérieux les assertions de nos
contradicteurs à cet égard. Le fait est abusif ; l’argumentation de la Guinée équatoriale est abusive ;
la saisine de votre Cour pour en connaître l’est également.
21. En d’autres termes, ce ne sont pas les différents éléments que la France a portés à
l’attention de votre haute juridiction, considérés individuellement, qui constituent un abus de
procédure. En revanche, pris dans leur ensemble, ils établissent que le recours de la
Guinée équatoriale à la Cour est abusif car il procède en réalité d’une stratégie visant à utiliser de
manière totalement artificielle le principe des immunités diplomatiques au profit d’une personne
qui n’est pas un diplomate, pour entraver les poursuites pénales engagées à son encontre en France
et soustraire les biens personnels qu’il y a acquis afin de faire échec à leur éventuelle
confiscation134.
22. A cet égard, je relève d’ailleurs que, dans une lettre adressée le 19 janvier 2017 à son
homologue français dont il a déjà été question, le président de la République de Guinée équatoriale
s’est déclaré d’avis que le différend qui nous occupe pourrait être réglé en faisant application de la
130 OGE, par. 1.76 ; voir aussi par. 1.81-1.82.
131 CR 2016/16, p. 8-9, par. 5-8, p. 24, par. 7-8 (Pellet).
132 OGE, par. 1.83.
133 Voir ci-dessus, par. 11-12.
134 Voir ci-dessus, par. 10.
- 53 -
convention bilatérale sur la protection des investissements conclue entre les deux pays en 1982135.
On ne saurait admettre plus clairement que les biens en cause constituent des biens privés.
b) L’erreur de la Guinée équatoriale sur les conséquences d’un abus de procédure
23. Monsieur le président, la seconde erreur que commet la Guinée équatoriale concerne les
effets que produit un abus de procédure. En en faisant une question de fond, elle entend vous
convaincre que la sanction d’un tel abus ne serait pas l’incompétence de la Cour mais, semble-t-il,
la responsabilité de son auteur avec les conséquences qui en résultent notamment en matière de
réparation.
24. Ce n’est pas le cas. La France vous prie de constater que, en vous saisissant, la
Guinée équatoriale commet un abus de procédure ayant pour objet de faire couvrir par la Cour
l’utilisation indue, abusive, que fait l’Etat requérant du droit des immunités diplomatiques. La
sanction d’un tel abus n’est pas la réparation mais bien l’incompétence.
25. Certes, il se trouve qu’à ce jour la Cour de céans n’a pas encore constaté l’existence d’un
abus de procédure ; elle n’a donc pu en tirer concrètement de conséquences. Toutefois, vous n’avez
jamais rejeté une telle exception au prétexte qu’elle relèverait du fond de l’affaire, admettant ainsi
qu’un argument fondé sur un abus de procédure est recevable au stade des exceptions
préliminaires. S’il est établi, comme c’est le cas en l’espèce, il doit nécessairement en résulter
l’incompétence de la Cour pour se prononcer sur la requête136.
26. Plus positivement, dans le domaine du droit de l’investissement où le recours à la notion
d’abus de procédure est devenu courant, les tribunaux arbitraux concluent systématiquement à leur
incompétence (ou à l’irrecevabilité de la requête) lorsqu’ils en constatent l’existence. Les
professeurs Gaillard et Ascensio en donnent de nombreux exemples dans les études qu’ils ont
135 Lettre du président de la République de Guinée équatoriale au président de la République française en date du
19 janvier 2017, reproduite en annexe 4 aux OGE, p. 144.
136 Droit de passage sur territoire indien (Portugal c. Inde), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1957,
p. 147-148 ; Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1992, p. 255, par. 38.
- 54 -
consacrées spécifiquement à cette question137. A titre d’illustration, je citerai la sentence rendue en
2009 par un tribunal CIRDI dans l’affaire Phoenix c. République tchèque :
«the Claimant’s initiation and pursuit of this arbitration is an abuse of the system of
international ICSID investment arbitration. … It follows from these findings that the
Tribunal lacks jurisdiction over the Claimant’s request.»138
Et, plus récemment, un autre tribunal CIRDI, constitué dans l’affaire Renée Rose Levy c. Pérou, a
conclu à l’existence d’un abus de procédure et estimé que «[t]herefore the Tribunal is precluded
from exercising jurisdiction over this dispute»139.
II. LE CARACTÈRE DOUBLEMENT ABUSIF DE LA REQUÊTE
DE LA GUINÉE ÉQUATORIALE
27. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’ai souligné à plusieurs
reprises que la notion d’abus de droit était doublement pertinente dans le cadre de notre affaire.
Elle l’est parce que, en vous saisissant, la Guinée équatoriale espère vous faire légitimer le
stratagème par lequel elle s’est efforcée de faire passer le 42, avenue Foch pour un local
diplomatique (A). Elle l’est aussi parce qu’elle a rattaché l’affaire dont elle vous a saisis à des bases
de compétence artificielles, sans lien sérieux avec les faits de la cause (B).
A. La requête de la Guinée équatoriale vise à conforter
une situation d’abus de droit
28. A vrai dire, Monsieur le président, la Guinée équatoriale n’a, à aucun moment, cherché à
contredire notre position selon laquelle le recours à votre haute juridiction vise à conforter une
situation d’abus de droit.
29. Comme la France l’a montré, dans ses exceptions préliminaires, l’utilisation faite, en
l’espèce, par la Guinée équatoriale des dispositions de la convention de Palerme et de celle de
Vienne sur les relations diplomatiques est abusive, qu’il s’agisse de la revendication d’immunités
en faveur de M. Obiang ou de l’immeuble du 42, avenue Foch140. Il appartient à la Cour de mettre
137 E. Gaillard, «Abuse of Process in International Arbitration», ICSID Review, 2017, p. 1-21 ; H. Ascensio,
«Abuse of Process in International Investment Arbitration», Chinese Journal of International Law, vol. 13, 2014,
p. 763-785.
138 Phoenix Action, Ltd. v. The Czech Republic, sentence du 15 avril 2009, CIRDI n° ARB/06/5, par. 144-145 ;
les italiques sont de nous.
139 Renée Rose Levy and Gremcitel SA v. Republic of Peru, sentence du 9 janvier 2015, CIRDI n° ARB/11/17,
par. 195 ; les italiques sont de nous.
140 EPF, p. 37-39, par. 80-86.
- 55 -
le holà à une telle entreprise  qui bafoue la raison d’être des immunités diplomatiques  et il lui
appartient de le faire dès le stade des exceptions préliminaires, dont la vocation première est
d’éviter de prolonger indûment une procédure portée à tort devant elle141.
30. Ainsi que j’ai eu l’occasion de l’exposer lors des audiences relatives à la demande en
indication de mesures conservatoires142, et comme la France l’a montré dans ses exceptions
préliminaires143, la Guinée équatoriale cherche en l’espèce à se prévaloir de droits et d’obligations
internationales de manière abusive afin de faire obstacle aux procédures judiciaires engagées en
France ou, en tout cas, de les retarder autant que faire se peut. C’est évidemment le cas de la
transformation soudaine et inattendue d’une résidence particulière en «locaux de la mission». Les
nominations de son propriétaire à des responsabilités politiques de plus en plus éminentes à mesure
que progressait l’enquête pénale doivent également retenir l’attention. La France ne conteste
évidemment pas ces décisions politiques purement internes à la Guinée équatoriale  mais il s’agit
d’un élément contextuel qui n’est pas dépourvu d’un certain intérêt. Le tableau comparatif qui met
en parallèle les chronologies de la progression de l’enquête pénale française, les évolutions de la
carrière politique de M. Obiang et celles des affectations prétendues du 42, avenue Foch sont
suffisamment troublantes pour constituer (parmi d’autres) un indice des abus que la Cour ne saurait
tolérer. Ce tableau se trouve au dernier onglet de votre dossier.
B. La requête de la Guinée équatoriale constitue un recours abusif
à la Cour internationale de Justice
31. Monsieur le président, la requête de la Guinée équatoriale est abusive non seulement
parce qu’elle a un objet abusif en soi, elle l’est aussi car elle ne repose sur aucune base juridique
raisonnable. Votre saisine, en l’espèce, n’est ni plus ni moins qu’un moyen d’utiliser la Cour
comme une caisse de résonance permettant à l’Etat requérant de donner une grande publicité à ses
arguments alors même que votre incompétence pour en connaître relève de l’évidence  avec,
141 Voir notamment Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant
de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1998, déclaration commune de MM. Guillaume et Fleischhauer, p. 141-142.
142 Voir CR 2016/15, p. 23-32, par. 17-25 (Pellet).
143 EPF, p. 37-40, par. 80-88.
- 56 -
sans doute aussi, le secret espoir de ralentir, voire de paralyser, la procédure pénale engagée en
France.
32. Nos contradicteurs, qui reprochent à la France d’avoir «une vision extraordinairement
stricte de la compétence de la Cour»144, font grand cas de l’existence d’un différend entre les deux
Etats. Voilà qui, assurément, ne fait pas de doute ! Mais il ne suffit pas qu’existe un différend entre
deux Etats pour que la Cour ait compétence pour le trancher. Il faut encore que les parties aient
donné leur accord à cette fin sous l’une des formes envisagées par l’article 36 du Statut. Oserais-je
rappeler à nouveau la célèbre formule de l’Or monétaire : «la Cour ne peut exercer sa juridiction à
l’égard d’un Etat si ce n’est avec le consentement de ce dernier»145 ? Sans consentement, point de
compétence...
33. Or ni l’une ni l’autre des conventions que la Guinée équatoriale croit pouvoir invoquer à
l’appui de votre compétence n’est susceptible d’établir celle-ci. D’autant moins que l’Etat
requérant néglige le lien très fort qui existe entre ce qui peut apparaître, superficiellement, comme
deux volets distincts de notre affaire : la prétendue immunité pénale dont bénéficierait M. Obiang
d’une part et le sort de l’immeuble du 42, avenue Foch, d’autre part.
34. Afin de porter devant la Cour le premier de ces deux volets  qui constitue assurément
le coeur du litige opposant les Parties , la Guinée équatoriale s’est efforcée de trouver une
accroche conventionnelle. Pour cela, elle a jeté son dévolu sur la convention de Palerme. Ainsi que
la Cour l’a elle-même souligné dans son ordonnance en date du 7 décembre 2016, il est très
apparent que «le différend allégué n’a pas trait à la manière dont la France a exécuté ses obligations
au titre des articles 6, 12, 14 et 18 de la convention invoqués par la Guinée équatoriale ; il semble
en réalité porter sur une question distincte» ; et, dès lors, avez-vous ajouté, «il n’existe pas, prima
facie, de différend entre les Parties susceptible d’entrer dans les prévisions de la convention contre
la criminalité transnationale organisée, et donc de concerner l’interprétation ou l’application de
l’article 4 de celle-ci»146. Certes, il ne s’agissait que de constatations prima facie, mais rien dans les
144 OGE, par. 0.10 ; voir aussi par. 0.12.
145 Or monétaire pris à Rome en 1943, question préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1954, p. 32 ; les italiques sont
de nous.
146 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), mesures conservatoires, ordonnance du
7 décembre 2016, C.I.J. Recueil 2016 (II), par. 49-50.
- 57 -
observations ou les plaidoiries de la Guinée équatoriale ne peut vous conduire à infirmer cette
position, que, du reste, elle ne s’emploie pas sérieusement à réfuter. Déjà, dans son mémoire, après
avoir rappelé les termes de l’ordonnance, elle s’était bornée à relever que «cette conclusion de la
Cour a donné lieu à des vues divergentes parmi les juges» et elle a proclamé sèchement, sans
chercher à s’en justifier plus avant, qu’«elle considère pourtant que cette disposition incorpore les
règles de droit international coutumier concernant les immunités»147.
35. La Guinée équatoriale se montre un peu moins cavalière dans ses observations.
Changeant d’avis, elle se déclare même «d’accord, dans une certaine mesure avec ce qui est
affirmé dans [l]e paragraphe [49 de l’ordonnance]», mais elle ne parvient pas à dissimuler, comme
Hervé Ascensio l’a montré à nouveau148, à quel point l’invocation de la convention de Palerme
comme base de compétence est artificielle. Je n’y reviens pas sinon pour souligner qu’à suivre les
raisonnements, passablement emberlificotés, de la Guinée équatoriale, qui trouvent leur ancrage
dans l’article 4, un nombre infini de différends sans rapport aucun avec la convention autre que de
toucher à la souveraineté de l’Etat  si on sait ce que cela veut dire , relèveraient de la
compétence de la Cour ; tel n’est assurément pas le sens et la portée de cette disposition. Mais je
souhaite insister sur un autre point : comme la Guinée équatoriale le reconnaît elle-même, cet
instrument est le seul qu’elle invoque à l’appui de votre compétence pour connaître de ses
demandes concernant l’immunité pénale de M. Obiang149.
36. Ceci relève en effet de l’évidence : la convention de Vienne de 1961 ne concerne que les
immunités diplomatiques et, quels que soient ses titres et l’éminence de ses fonctions, M. Obiang
n’est pas un diplomate. Point n’est besoin de s’appesantir : le protocole de signature facultative, qui
envisage la soumission à la Cour des seuls «différends relatifs à l’interprétation ou à l’application
de la Convention»150 ne peut fournir aucune base à votre compétence à ce sujet. Donc, Mesdames
et Messieurs de la Cour, vous ne pouvez pas non plus vous prononcer sur le volet des «immunités
pénales» de l’affaire.
147 MGE, p. 63-64, par. 5.9-5.10.
148 Voir aussi EPF, p. 41-54.
149 CR 2016/16, p. 10, par. 10 (Wood).
150 Article premier.
- 58 -
37. Mais ce n’est pas la fin de la question car cela retentit sur votre compétence à l’égard de
l’autre «volet», celui qui concerne l’immeuble du 42, avenue Foch. Celui-ci a été acquis par
M. Obiang et cette acquisition est l’un des éléments qui ont justifié les poursuites pénales
diligentées à son encontre. Dès lors, il est impossible, il est abusif, de dissocier ces deux volets :
c’est pour échapper aux poursuites pénales intentées contre cette personne agissant à titre privé que
la Guinée équatoriale a tenté de soustraire l’immeuble en question à la justice française en essayant,
contre toute raison, de le faire passer pour un local de son ambassade. En soi c’est un abus. Mais,
de toute manière, vous ne pourriez vous prononcer sur cet aspect de l’affaire sans vous interroger
sur le bien-fondé des poursuites : vous n’avez pas compétence à leur égard or ce sont elles, et elles
seules, qui sont en cause ; les perquisitions qui ont eu lieu 42, avenue Foch en sont indissociables.
38. Nous avons écrit au paragraphe 159 de nos exceptions préliminaires que la compétence
de la Cour sur la base de la convention de Vienne (mais cela vaut tout autant pour la convention de
Palerme) ne pourrait être établie «que si le demandeur était en mesure de «prouver l’existence d’un
rapport raisonnable entre ce traité et les demandes présentées à la Cour»». La Guinée équatoriale
nous reproche d’introduire de ce fait un «nouveau critère»151, qui serait «sans pertinence aux fins de
l’établissement de la compétence de la Cour»152. Or nous n’avons rien inventé : la France n’a fait
ici que citer l’arrêt de la Cour elle-même sur sa compétence dans l’affaire des Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci153...
39. Ce critère s’inscrit d’ailleurs dans la droite ligne de votre jurisprudence définissant les
limites dans lesquelles il est possible d’accepter prima facie, au stade des exceptions préliminaires,
la version des faits donnée par un requérant154. Or, dans la présente espèce, les dispositions des
traités sur lesquelles la Guinée équatoriale prétend fonder ses réclamations ne sont, à l’évidence,
151 OGE, par. 3.20.
152 OGE, par. 3.21.
153 Voir Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 427, par. 81. Voir également EPF, p. 67, par. 159.
154 Voir Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception
préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 810, par. 16 et opinion individuelle de Mme la juge Higgins, p. 856-857,
par. 32-35 ; voir aussi Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), mesures conservatoires,
ordonnance du 13 juillet 2006, C.I.J. Recueil 2006, opinion individuelle de M. le juge Abraham, p. 140-141, par. 10.
- 59 -
pas «de caractère suffisamment plausible pour permettre la conclusion que l[es] réclamation[s
équato-guinéennes] [soient] fondée[s] sur le[s] traité[s]»155 qu’elle invoque.
40. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, peu importe que l’exception
que la France a tirée de l’abus de procédure commis par la Guinée équatoriale soit relative à la
compétence de la Cour ou à l’irrecevabilité de la requête  voire constitue une exception ne
pouvant être «class[ée] peut-être à strictement parler» ni dans l’une ni dans l’autre catégorie156. En
tout cas, cette exception fait obstacle à l’exercice de votre juridiction dans la présente espèce et
s’ajoute, sans les éclipser, à celles qui vous ont été présentées par mes deux collègues et amis.
41. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, cette présentation, que je vous
remercie d’avoir écoutée avec attention, clôt le premier tour des plaidoiries de la République
française.
Le PRESIDENT : Voilà, comme vous le dites, que votre intervention met fin au premier tour
de plaidoiries de la France. La Cour se réunira de nouveau demain, à 10 heures, pour entendre la
Guinée équatoriale en son premier tour de plaidoiries. L’audience est levée.
L’audience est levée à 12 h 55.
___________
155 Cf. Ambatielos (Grèce c. Royaume-Uni), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1953, p. 18.
156 Voir Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 259, par. 22, et Essais nucléaires
(Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 463, par. 22. Voir aussi Différend territorial et maritime
(Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 851, par. 49.

Document Long Title

Public sitting held on Monday 19 February 2018, at 10 a.m., at the Peace Palace, President Yusuf presiding, in the case concerning Immunities and Criminal Proceedings (Equatorial Guinea v. France)

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