Public sitting held on Friday 12 October 2012, at 10 a.m., at the Peace Palace, President Tomka presiding, in the case concerning the Frontier Dispute (Burkina Faso/Niger)

Document Number
149-20121012-ORA-01-00-BI
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Number (Press Release, Order, etc)
2012/23
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Uncorrected

CR 2012/23

Cour internationale International Court
de Justice of Justice

LAAYE THHEGUE

ANNÉE 2012

Audience publique

tenue le vendredi 12 octobre 2012, à 10 heures, au Palais de la Paix,

sous la présidence de M. Tomka, président,

en l’affaire du Différend frontalier
(Burkina Faso/Niger)

________________

COMPTE RENDU
________________

YEAR 2012

Public sitting

held on Friday 12 October 2012, at 10 a.m., at the Peace Palace,

President Tomka presiding,

in the case concerning the Frontier Dispute
(Burkina Faso/Niger)

____________________

VERBATIM RECORD
____________________ - 2 -

Présents : M. Tomka,président
Sepúl.vvace-poé,ident

OwMaMa.
Abraham
Keith
Bennouna

Skotnikov
Crnçadoe
Yusuf
Greenwood

XuMe mes
Donoghue
Gaja.
Sebutinede

Bhgn.dari,
MaMhiou.
jDgesdet, ad hoc

Cgoefferr,

⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 3 -

Present: Presient ka
Vice-Presipeúnltveda-Amor

Judges Owada
Abraham
Keith
Bennouna

Skotnikov
Cançado Trindade
Yusuf
Greenwood

Xue
Donoghue
Gaja
Sebutinde

Bhandari
Judges ad hoc Mahiou
Daudet

Registrar Couvreur

⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 4 -

Le Gouvernement du Burkina Faso est représenté par :

S. Exc. M. Jerôme Bougouma, ministre de l’administration territoriale, de la décentralisation et de
la sécurité,

comme agent ;

S. Exc. Mme Salamata Sawadogo/Tapsoba, ministre de la justice, garde des sceaux,

S. Exc. M. Frédéric Assomption Korsaga, ambassadeur du Burkina Faso auprès du Royaume des
Pays-Bas,

comme coagents ;

S. Exc. M. Alain Edouard Traoré, ministre de la communication, porte-parole du Gouvernement,

comme conseiller spécial ;

Mme Joséphine Kouara Apiou/Kaboré, directrice générale de l’administration du territoire,

M. Claude Obin Tapsoba, directeur général de l’Institut géographique du Burkina Faso,

M. Benoît Kambou, professeur à l’Université de Ouagadougou,

M. Pierre Claver Hien, historien, chercheur au centre national de la recherche scientifique et
technologique,

comme agents adjoints ;

M.MathiasForteau, professeur à l’Université ParisOuest, Nanterre-La Défense, membre de la

Commission du droit international,

M. Alain Pellet, professeur à l’Université Paris Ouest, Nanterre-La Défense, ancien président de la
Commission du droit international, membre associé de l’Institut de droit international,

M. Jean-Marc Thouvenin, professeur à l’Université Pa ris Ouest, Nanterre-La Défense, directeur du
Centre de droit international de Nanterre, avocat au barreau de Paris (cabinet Sygna Partners),

comme conseils et avocats ;

M. Halidou Nagabila, ingénieur topographe,

M. André Bassolé, expert en géomatique,

M. Dramane Ernest Diarra, administrateur civil,

e
M Benoît Sawadogo, avocat à la Cour,

M Héloïse Bajer-Pellet, avocat au barreau de Paris,

M. Romain Pieri, chercheur en droit international,

M.LudovicLegrand, chercheur au Centre de dr oit international de Nanterre (CEDIN), juriste

(cabinet Sygna Partners),

M. Simplice Honoré Guibila, directeur général des affaires juridiques et consulaires,

M. Daniel Bicaba, ministre conseiller à l’ambassade du Burkina Faso à Bruxelles,

comme conseillers. - 5 -

The Government of Burkina Faso is represented by:

H.E. Mr. Jérôme Bougouma, Minister for Territorial Administration, Decentralization and Security,
Asgent;

H.E. Ms Salamata Sawadogo/Tapsoba, Minister of Justice and Keeper of the Seals,

H.E.Mr. Frédéric Assomption Korsaga, Ambassador of Burkina Faso to the Kingdom of the

Netherlands,
Cso-Agents;

H.E. Mr. Alain Edouard Traoré, Minister of Communication, Government Spokesman,

as Special Adviser;

Ms Joséphine Kouara Apiou/Kabore, Director-General of Territorial Administration,

Mr. Claude Obin Tapsoba, Director-General of the Geographical Institute of Burkina,

Mr. Benoît Kambou, Professor at the University of Ouagadougou,

Mr. Pierre Claver Hien, Historian, Researcher at the National Science and Technology Research
Centre,

Dseputy-Agents;

Mr.Mathias Forteau, Professor at the University of Paris Ouest, Nanterre-La Défense, Member of
the International Law Commission,

Mr. Alain Pellet, Professor at the University of Paris Ouest, Nanterre-La Défense, former Chairman
of the International Law Commission, associate member of the Institut de droit international,

Mr.Jean-Marc Thouvenin, Professor at the University of Paris Ouest, Nanterre-La Défense,
Director of the Centre de droit international de Nanterre (CEDIN), member of the Paris Bar
(Cabinet Sygna partners),

as Counsel and Advocates;

Mr. Halidou Nagabila, Surveying Engineer,

Mr. André Bassolé, Geomatics Expert,

Mr. Dramane Ernest Diarra, Civil Administrator,

Maître Benoît Sawadogo, Avocat à la Cour,

Maître Héloïse Bajer-Pellet, member of the Paris Bar,

Mr. Romain Pieri, International Law Researcher,

Mr. Ludovic Legrand, Researcher at the Centre de droit international de Nanterre (CEDIN), Lawyer
(Cabinet Sygna partners),

Mr. Simplice Honoré Guibila, Director-General of Legal and Consular Affairs,

Mr. Daniel Bicaba, Minister-Counsellor, Embassy of Burkina Faso in Brussels,
Asdvisers. - 6 -

Le Gouvernement du Niger est représenté par :

S. Exc. M. Mohamed Bazoum, ministre d’Etat, ministre des affaires étrangères, de la coopération,
de l’intégration africaine et des Nigériens à l’extérieur, président du comité d’appui aux conseils
du Niger,

comme chef de la délégation et agent ;

S. Exc. M. Abdou Labo, ministre d’Etat, ministre de l’intérieur, de la sécurité publique, de la
décentralisation, et des affaires religieuses,

comme coagent ;

S. Exc. M Karidio Mahamadou, ministre de la défense nationale,

S. Exc. M. Marou Amadou, ministre de la justice, garde des sceaux, porte-parole du gouvernement,

S. Exc. M. Issaka Djibo, ambassadeur de la République du Niger auprès du Royaume des

Pays-Bas,

comme coagents adjoints ;

M.Sadé Elhadji Mahaman, conservateur des archives et bibliothèques, coordonnateur du

secrétariat permanent du comité d’appui aux conseils du Niger,

comme agent adjoint ;

M.JeanSalmon, professeur émérite de l’Université libre de Bruxelles, membre de l’Institut de
droit international, membre de la Cour permanente d’arbitrage,

comme conseil principal ;

M. Maurice Kamto, professeur agrégé de droit public , avocat au barreau de Paris, ancien doyen de
la faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université de Yaoundé II, ancien président et
membre de la Commission du droit internationa l, membre associé de l’Institut de droit

international,

M.PierreKlein, professeur de droit et directeur adjoint du Centre de droit international de
l’Université libre de Bruxelles,

M.AmadouTankoano, professeur de droit internatio nal, enseignant-chercheur et ancien doyen de
la faculté de sciences économiques et juridiqu es de l’Université AbdouMoumouni de Niamey
du Niger,

comme conseils ;

Mme MartynaFalkowska, chercheuse au Centre de droit international à l’Université libre de
Bruxelles,

comme assistante des conseils ; - 7 -

The Government of Niger is represented by:

H.E.Mr. Mohamed Bazoum, Minister of State for Foreign Affairs, Co-operation, African
Integration and Nigeriens Abroad, Chairman of the Support Committee to Counsel for Niger,

as Head of the Delegation and Agent;

H.E.Mr.Abdou Labo, Minister of State for the Interior, Public Security, Decentralization and
Religious Affairs,

as Co-Agent;

H.E. Mr. Karidio Mahamadou, Minister of National Defence,

H.E. Mr. Marou Amadou, Minister of Justice, Keeper of the Seals, Government Spokesman,

H.E. Mr. Issaka Djibo, Ambassador of Niger to the Kingdom of the Netherlands,

as Deputy Co-Agents;

Mr.Sadé Elhadji Mahaman, Curator of Archives and Libraries, Co-ordinator of the Permanent
Secretariat of the Support Committee to Counsel for Niger,

as Deputy Agent;

Professor Jean Salmon, Professor emeritus of the Université Libre de Bruxelles, Member of the
Institut du droit international, member of the Permanent Court of Arbitration,

as Lead Counsel;

Professor Maurice Kamto, Professor agrégé of public law, member of the Pa ris Bar, former Dean

of the Faculty of Law and Political Science at the University of YaoundéII, former Chairman
and Member of the International Law Commissi on, associate member of the Institut de droit
international,

Professor Pierre Klein, Professor of Law at the Université Libre de Bruxelles, Deputy-Director of
the Centre of International Law,

Professor Amadou Tankoano, Professor of International Law, former Dean of the Faculty of

Economic and Legal Science, Lecturer and Re searcher at Abdou Moumouni University in
Niamey, Niger,

as Counsel;

MsMartyna Falkowska, Researcher at the Centre of International Law, Université Libre de
Bruxelles,

as Assistant; - 8 -

Le général Maïga Mamadou Youssoufa, gouverneur de la région de Tillabéri,

M.AmadouTcheko, directeur général des affaires juridiques et consulaires au ministère des
affaires étrangères, de la coopéra tion, de l’intégration africaine et des Nigériens à l’extérieur,
coordinateur adjoint du comité d’appui aux conseils du Niger,

Le colonelMahamaneKoraou, secrétaire permanent de la commission nationale de frontières,
membre du comité d’appui aux conseils du Niger (en retraite),

M. Mahamane Laminou Amadou Maouli, magistrat, rapporteur du comité d’appui aux conseils du

Niger,

M.HassimiAdamou, ingénieur géomètre principa l, directeur général de l’Institut géographique
national du Niger, membre du comité d’appui aux conseils du Niger,

M.HamadouMounkaila, ingénieur géomètre princi pal à la commission nationale des frontières,
membre du comité d’appui aux conseils du Niger,

M. Mahamane Laminou, ingénieur géomètre principal, expert à l’institut géographique national du

Niger, membre du comité d’appui aux conseils du Niger,

M. Soumaye Poutia, magistrat, membre du comité d’appui aux conseils du Niger,

M. Idrissa Yansambou, directeur des archives nationales du Niger, membre du comité d’appui aux
conseils du Niger,

M. Belko Garba, ingénieur géomètre, membre du comité d’appui aux conseils du Niger,

Le général Yayé Garba, ministère de la défense nationale, membre du comité d’appui aux conseils
du Niger,

M. Seydou Adamou, conseiller technique du ministre d’Etat, ministre des affaires étrangères, de la

coopération, de l’intégration africaine et des Nigériens à l’extérieur,

M. Abdou Abarry, directeur général des relations bilatérales au ministère des affaires étrangères, de
la coopération de l’intégration africaine et des Nigériens à l’extérieur,

Le colonel Harouna Djibo Hamani, directeur de la coopération militaire, des opérations et du
maintien de la paix au ministère des affaires étrangères, de la coopération, de l’intégration
africaine et des Nigériens à l’extérieur,

comme experts ;

M. Ado Elhadji Abou, ministre conseiller à l’ambassade du Niger à Bruxelles,

M. Chitou Boubacar, chargé du protocole à l’ambassade du Niger à Bruxelles,

M. Salissou Mahamane, agent comptable du comité d’appui aux conseils du Niger,

M.AbdoussalamNouri, secrétaire principal au secrétariat permanent du comité d’appui aux
conseils du Niger,

Mme Haoua Ibrahim, secrétaire au secrétariat permanent du comité d’appui aux conseils du Niger,

comme personnel d’appui. - 9 -

General Maïga Mamadou Youssoufa, Governor of the Region of Tillabéri,

Mr.Amadou Tcheko, Director-General of Legal and Consular Affairs at the Ministry of Foreign
Affairs, Co-operation, African Integration and Nigeriens Abroad, Deputy Co-ordinator of the
Support Committee to Counsel for Niger,

Col. (retired) Mahamane Koraou, Permanent Secretary to the National Boundaries Commission,
member of the Support Committee to Counsel for Niger,

Mr.Mahamane Laminou Amadou Maouli, Magistra t, Rapporteur of the Support Committee to

Counsel for Niger,

Mr.Hassimi Adamou, Chief Surveyor, Director-Gen eral of the National Geographical Institute of
Niger (NGIN), member of the Support Committee to Counsel for Niger,

Mr. Hamadou Mounkaila, Chief Surveyor at the National Boundaries Commission, member of the
Support Committee to Counsel for Niger,

Mr.Mahamane Laminou, Chief Surveyor, Expert at the National Geographical Institute of Niger

(NGIN), member of the Support Committee to Counsel for Niger,

Mr. Soumaye Poutia, Magistrat, member of the Support Committee to Counsel for Niger,

Mr.Idrissa Yansambou, Director of the National Archives of Niger, member of the Support
Committee to Counsel for Niger,

Mr. Belko Garba, Surveyor, member of the Support Committee to Counsel for Niger,

General Yayé Garba, Ministry of National Defe nce, member of the Support Committee to Counsel
for Niger,

Mr. Seydou Adamou, Technical Adviser to the Minister of State for Foreign Affairs, Co-operation,

African Integration and Nigeriens Abroad,

Mr.Abdou Abarry, Director-General of Bilatera l Relations, Ministry of Foreign Affairs,
Co-operation, African Integration and Nigeriens Abroad,

Col. Harouna Djibo Hamani, Director of Milita ry Co-operation and Peace-Keeping Operations,
Ministry of Foreign Affairs, Co-operation, African Integration and Nigeriens Abroad,

as Experts;

Mr. Ado Elhadji Abou, Minister-Counsellor, Embassy of Niger in Brussels,

Mr. Chitou Boubacar, Protocol Officer, Embassy of Niger in Brussels,

Mr. Salissou Mahamane, Accountant of the Support Committee to Counsel for Niger,

Mr.Abdoussalam Nouri, Principal Secretary, Perm anent Secretariat of the Support Committee to

Counsel for Niger,

MsHaoua Ibrahim, Secretary, Permanent Secretariat of the Support Committee to Counsel for
Niger,

as Support Staff. - 10 -

Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. L’audi ence est ouverte et nous allons entendre la

suite du premier tour de plaidoiries de la République du Niger. Je donne la parole, comme j’ai

promis hier, à Monsieur le professeur Salmon. Vous avez la parole, Monsieur.

M. SALMON : Merci, Monsieur le président.

L E POSTULAT DE LA LIGNE DROITE

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’ai eu l’occasion de montrer

hier que le premier postulat de la Partie adverse, selon lequel la frontière entre le Niger et le

Burkina Faso aurait été déterminée pour l’essentiel par des lignes de caractère artificiel et arbitraire

ne repose sur aucun fondement. Je m’attacher ai aujourd’hui au deuxième postulat de

l’argumentation du BurkinaFaso, à savoir que la frontière serait constituée par une succession de

lignes droites dans le secteur de Téra. Ce fondement n’est pas plus solide. Si, pour ce qui concerne

le secteur de Say, le Niger ne conteste pas que sa forme traditionnelle soit pour l’essentiel formée

de lignes droites, il le conteste en revanche, s’agissant du secteur de Téra. Nous examinerons l’un

après l’autre ces deux secteurs.

A. Le Niger ne conteste pas que les contours du cercle de Say contiennent
de nombreuses lignes droites

2 . Commençons par le cercle de Say: il est indiscuté que ses contours sont formés de

nombreuses lignes droites. Tous les croquis que l’on possède de ce cercle depuis 1909 en font foi.

Les cartes et croquis antérieurs à 1927

3. Envisageons tout d’abord la période antéri eure aux textes de1927 [projection de l’atlas

des cercles, cercle de Say de janvier1926 1], la carte qui est projetée pour le moment est celle du

cercle de Say, janvier 1926, issue de l’atlas des cercles. Il n’est pas inutile de signaler que, pendant

toute la période coloniale, l’atlas des cercles, réa lisé cercle par cercle, jouissait à la fois d’une très

grande popularité et d’une très grande autorité. A défaut de réédition, il servit de référence aux

administrateurs coloniaux jusqu’à la parution d es cartes IGN dès 1960. La forme du cercle de Say

1
MN, annexe D 6. - 11 -

est très spécifique. Sa limite orientale est constituée par le fleuve Niger, au sud-est, la Mékrou, au

nord-ouest ⎯ de l’autre côté ⎯, la Sirba jusqu’à Bossébangou et, à partir de ce point-là : des lignes

droites. La limite remonte en ligne droite au nord-ouest pour former un saillant englobant divers

villages puis descend en ligne droite au sud où, à hauteur du parallèle de Say, elle change de

direction. Elle prend alors la direction sud-ouest et, en trois segments de droites, rejoint la Mékrou.

Vous voyez donc qu’à part les fleuves, tout est ligne droite. Cette forme est traditionnelle.

2
[Projection du croquis de Boutiq1909 .] En témoigne un croquis antérieur du capitaineBoutiq

3
de 1909. [Projection du croquis de l’administrateur Truchard de 1915 .] La même forme apparaît

ensuite sur le croquis de l’administrateurTruchard de1915 [projection de la feuille cercle de Say

4
de la carte deBlondel Larougery de juin 1926 ] et encore sur la cartede BlondelLarougery de

juin 1926. Nous sommes donc à l’aube de nos problèmes.

4. Il y a tout lieu de penser que c’est en ayant ces cartes et croquis sous les yeux que les

auteurs de l’arrêté du 31août1927 vont décrire toutes les limites du cercle de Say en termes de

segments de droites, mises à part les limites fluviales : cet arrêté du 31 août 1927 ⎯ qui se trouve

o
au dossier des juges sous l’onglet n 2 ⎯ énumère ces limites comme suit :

«Au nord et à l’est par la limite actuelle avec le Niger (cercle de Niamey), de

Sorbohaoussa à l’embouchure de la Mékrou ;

Au nord-ouest par la rivièreSirba de puis son embouchure jusqu’au village de

Bossébangou. A partir de ce point, un saillant, comprenant sur la rive gauche de la
Sirba les villages de Alfassi, Kouro, Takalan, Tankouro ;

Au sud-ouest une ligne partant approximativement de la Sirba à hauteur du
parallèle de Say pour aboutir à la Mékrou ;

5
Au sud-est, par la Mékrou de ce point jusqu’à son confluent avec le Niger.»

[Projection de la carte nouvelles frontières du 6 octobre1927.] Il en ira de même dans la

représentation de Say dans la carte «nouvelle frontière suivant erratum du 5octobre1927» sur

laquelle je reviendrai tout à l’heure; elle fut transmise au département et aux deux colonies le

2MN, annexe D 1.
3
MN, annexe D 4.
4MN, annexe D 9.

5MN, annexe B 26. - 12 -

6
lendemain de l’adoption de l’ erratum, soit le 6 octobre 1927 . Selon l’erratum, la ligne venant de

la borne astronomique de Tao atteint

«la rivièreSirba à Bossébangou. Elle remonte presque aussitôt vers le nord-ouest
laissant au Niger, sur la rive gauche de cette rivière, un saillant comprenant les
villages de Alfassi, Kouro, Tokalan, Tankouro; puis, revenant au sud, elle coupe de

nouveau la Sirba à hauteur du parallèle de Say. De ce point la frontière, suivant une
direction est-sud-est , se prolonge en ligne droite jusqu'à un point situé à

1200mètresouest du village de Tchenguiliba. [Vient ensuite la description des
limites nord du canton de Botou] jusqu’au point où elle rencontre l'ancienne limite des
cercles de Fada et de Say , [qui comme vous le voyez est aussi une ligne droite]
7
qu’elle suit jusqu'à son intersection avec le cours de la Mékrou.»

5. On constate donc que la seule altération apportée à la forme traditionnelle du cercle de Say

par l’erratum du 5 octobre 1927 est l’extraction du canton de Botou qui reste en Haute-Volta.

Les cartes postérieures

6. Les cartes postérieures conservent au cercle de Say ses limites traditionnelles sauf à en

extraire le canton de Botou. Et je peux citer ma intenant quelques cartes, il en va ainsi de la carte

routière de la colonie de la Haute-Volta de1927 8, celle de Niamey de1927 9, la carte murale de

10 e 11
l’AOF de 1928 , la carte de Niamey, 13 éd. 1934 [projection de la carte de Niamey 1946] et la

carte de Niamey1946 12. Seule cette dernière carte est projetée et vous permet de percevoir la

persistance du tracé traditionnel. Il résulte de ce qui précède que les limites du cercle de Say sont

pour l’essentiel constituées de lignes droites. Cela s’explique par diverses raisons: la nature est

hostile, la zone peu peuplée ; les cartes elles-mêmes portent la mention «zone inexplorée».

B. Le Niger conteste en revanche que la limite entre le cercle de Dori et
celui de Tillabéry soit composée de lignes droites

7. A l’opposé de sa position à l’égard des limite s du cercle de Say, le Niger conteste que la

limite dans le secteur de Téra, entre le cercle de Do ri et celui de Tillabéry soit composée de lignes

6MN, annexe D 13.
7
MN, annexe C 27.
8
MN, annexe D 11.
9
MN, annexe D 10.
10MN, annexe D 14.

11MN, annexe D 19.
12
MN, annexe D 20. - 13 -

droites. C’est ce que nous nous attacherons à dém ontrer maintenant. Comprenons-nous bien. La

démonstration qui va suivre n’a pas pour but de défendre l’un ou l’autre des tracés que l’historique

va faire apparaître, mais simplement de prouve r que quel que soit celui que l’on adopte, il est

incompatible avec la thèse des lignes droites prônée par nos confrères.

La construction inexacte du Burkina

o
8. [Projection du croquis n 15 du mémoire du BurkinaFaso, MBF, p.159.] Ainsi que le

montre le croquis n o15 inséré dans son mémoire 13, le BurkinaFaso construit deux lignes droites

entre le point6 et ce qu’il désigne comme le point P. La première ligne droite s’étire depuis le

point 6 jusqu’à Tao en passant par le point 7 ; la seconde va de Tao au point P. Cette présentation

de la limite peut être contestée par des arguments textuels, historiques et cartographiques.

1) Argumentstextuels

9. Envisageons d’abord les arguments textue ls. Contrairement à ce que l’on a vu pour le

cercle de Say, s’agissant de la limite Dori/Tillabéry le texte de l’ erratum ne contient aucune

mention de lignes droites. [Ce texte se trouve dans le dossier des j uges sous l’onglet n o3.]

Rappelons sa formulation :

«Une ligne partant des hauteurs de N’ Gouma, passant au guédeKabia (point
astronomique), au montd’Arounskoye, au montdeBalébanguia, à l’ouest des ruines
du village de Tokébangou, au montdeD oumafende et à la borne astronomique de

Tong-Tong; cette ligne s’infléchit ensuite vers le sud-est pour couper la piste
automobile de Téra à Dori et à la borne astronomique de Tao située à l’ouest de la
mare d’Ossolo et atteindre la rivière Sirba à Bossébangou.» 14

Dans toute cette partie du texte, il n’y a qu’ un mot, un seul, qui indique un changement de

direction, c’est le verbe «s’infléchir» ; vous allez voi r comment l’autre Partie le conçoit. [Fin de la

o
projection croquis n 15.]

10. Les coordonnées des points6 et7 ne posent pas de problèmes. Aux deux points les

Parties ont posé des bornes. Le secteur en litige commence à Tong
-Tong.

[Projection d’un extrait de l’annexe cartographique n o36, MBF.]

13
MBF, p. 159.
14MN, annexe B 27. - 14 -

Néanmoins comme on peut le voir dans l’extrait de l’annexe cartographique n o36 de son

mémoire, le BurkinF aaso place sur un même segment de droite les point6 s

(mont de Doumafende), le point 7 (Tong-Tong) et Tao. Ceci dans l’évidente volonté d’accorder à

cette partie de la frontière le caractère d’un premier segment de droite. Il s’agit manifestement

d’une violence faite au texte sacré puisque l’ erratum disposait expressis verbis , après la borne

astronomique de Tao, que «cette ligne s’infl échit ensuite vers le sud-est». Il n’y a aucun

infléchissement sur le croquis burkinabé.

11. Les explications confuses données par le professeurForteau pour justifier cette ligne

droite sont vraiment confondantes. En premier lie u, le Niger aurait lui-même accepté la solution

15
d’une ligne droite lors des projets de compromis de 1988/1991 . Nous y voilà. Ceci n’est

évidemment en rien convaincant, c’est plutôt un aveu implicite de la part du Burkina Faso, puisque

ce compromis s’écartait de l’application de l’erratum. Par ce compromis, le Niger ne reconnaissait

évidemment pas qu’il y avait là un quelconque infléchissement.

Second argument de M.Forteau, en second lieu, il y aurait infléchissement après

16
Tong-Tong . Mais oui, en effet, bien après : au point suivant, Tao. De qui se moque-t-on ? Aux

termes de l’erratum, elle devait s’infléchir non pas après Tao, mais avant, entre Tong-Tong et Tao,

ce qu’elle ne fait aucunement sur la représentation qu’en donne la Partie adverse.

Enfin, troisième argument. Le Niger en arriverait lui aussi à deux segments de droites. Et le

professeurForteau de conclure de façon compléte ment surréaliste «les deux Parties sont donc au

moins d’accord désormais sur un point : l’interprétation correcte de l’ erratum de 1927 est que le

segment de la frontière qui arrive à Tong-Tong comme celui qui en repart sont des lignes

droites» 17! Mais le Niger, qui utilise ici un point limite intermédiaire ⎯ la borne de Vibourié, ne

soutient évidemment pas qu’il s’agit d’une interprétation de l’ erratum, puisqu’il s’en écarte, et

présenter les choses ainsi s’apparente à un travestissement peu glorieux.

12. De la borne astronomique de Tao à Bossébangou, l’ erratum n’indique pas de points

intermédiaires. Le Burkina en induit qu’il s’agit d’une ligne droite. Contrairement au secteur de

15CR 2012/20, p. 26, par. 61 (Forteau).
16
Ibid., p. 27, par. 62.
17Ibid., p. 27, par. 64 et 65. - 15 -

Say, on ne retrouve pourtant pas ici dans l’erratum de terminologie de nature géométrique.

Comme le Niger l’a soutenu tout au long des négociations, si le texte de l’ erratum impliquait une

figure géométrique entre Tong-Tong et Bossébangou en passant par Tao, ce serait plutôt un arc de

cercle qu’imposerait l’expression infléchissement. Le Burkina Faso ignore des infléchissements là

où le texte les prévoit et voit des lignes droites là où le texte ne le dit pas. Ce sont probablement

des problèmes oculaires qui se soignent. C’est une lecture paradoxale, au surplus pour une Partie

qui sacralise le texte des actes de 1927.

2) Arguments historiques : cantons, limites des cercles à l’époque

13. Pas plus les arguments historiques que l es arguments textuels ne laissent prévoir une

ligne droite de Tong-Tong à Tao, ni a fortiori de Tao à la limite du cercle de Say. On sait que,

selon le décret du président de la République du 28 décembre 1926 18, il s’agissait de rattacher à la

colonie du Niger

«2) les cantons du cercle de Dori qui relevaient autrefois du Niger, dans la région de
Téra et de Yatacala, et qui ont été dé tachés par l’arrêté du gouverneur général du
22 juin 1910».

On possède une bonne idée de la limite de 1910 par les actes préparatoires auxquels nous avons

19
déjà fait allusion. Ainsi, le procès-verbal du 2février1927 désignait nommément les cantons

visés dans le décret de 1926.

Le commandant de cercle de Dori, qui était présent à cette réunio
n, écrira le

17décembre1927 que ces limites «avaient été dé terminées au moyen de la carte du capitaine

20
Coquibus» . C’est la même carte qui sera utilisée par les commandants de cercles Delbos (Dori)

et Prudon (Tillabéry) en juin 1927 quand ils parcourront la limite à la demande du gouverneur de la

Haute-Volta 21. Et le chef de cabinet du gouverneur d’aj outer que ceci devait se faire «en suivant

22
simplement tracéCoquilin [c’est-à-dire C oquibus] et examiner situation population» . Une telle

18MN, annexe B 23.
19
MN, annexe C 7.
20
MN, annexe C 20.
21MN, annexe C 11.

22MN, annexe C 12. - 16 -

méthode et de telles recommandations semblent assez incompatibles avec l’hypothèse que l’on se

préparerait à créer de toute pièce une ligne droite dans cet espace.

14. Les rapports du commandant de cercle de Tillabéry, Prudon 23, et du commandant de

cercle de Dori, Delbos 24, présentent l’intérêt de confirmer que ces deuxadministrateurs

cheminèrent ensemble en juin1927 le long de la limite traditionnelle, le croquis du

capitaine Coquibus en main. Il est intéressant de suivre ce cheminement. Il est représenté par un

croquis de Delbos de juin 1927 25. [Projection.] Le croquis de Prudon est analogue . On y voit un

tracé légèrement recourbé et en dessous une espèce de triangle; d’ailleurs tout à fait enbas une

espèce de triangle assez prononcé ou trapèze assez prononcé. Le croquis de Prudon est analogue.

Toutefois, un rapport de Delbos du 27août adressé au lieutenant gouverneur de la

Haute-Volta proposera un projet d’arrêté accompagné d’un tracé, adopté, dit-il, de concert avec son

collègue de Tillabéry. [Projection de ce croquis.] Ce tracé est plus anguleux et, si vous me

permettez l’expression, «zigzagant» ⎯ on ne le voit guère d’ailleurs ⎯ que sur son premier

27
croquis de juin1927 . Il s’agit d’une limite qui, depuis le point triple à l’ouestd’Alfassi sur

28
la Cirba jusqu’à Tao change cinq fois de direction de manière anguleuse . Il en résulte que les

commandants de Dori et de Tillabéry s’éloignèrent du croquis Coquibus que l’un [Prudon] trouvait

29
sur certaine partie du parcours «idéal» , et que l’autre, Delbos, estimait qu’il portait «des lignes

30
conventionnelles» . [Fin de la projection.]

Un croquis ultérieur de Delbos envoyé à Ouagadougou le 17 décembre 1927 [insertion de ce

croquis], lorsqu’il fut au courant des décisions prises à Dakar et mis en possession de la carte

«nouvelle frontière», présente le mérite de montrer à la fois le cheminement considéré comme

23
Du 4 août 1927, MN, annexe C 15.
24
Du 27 août 1927, MN, annexe C16. On ne possède pas son rapport de tournée du mois dejuin, mais bien le
croquis au 500 000 de l’itinéraire suivi qui y était joint.
25
MN, annexe C 14.
26
MN, annexe D 3.
27MN, annexe C 16.

28Voir croquis particulièrement géométrique en annexe à la lettre du 27 août 1927, MN, annexe C 16.

29Prudon, MN, annexe C 15.
30
Delbos, MN, annexe C 20. - 17 -

limite traditionnelle par les deuxadministrateurs [enbleu] et le tracé de la ligneCoquibus

31
[en rouge] . Dans le récit de cette mission le commandant Prudon conclut

«A part cette légère modification [c elle donc du triangle du début], formée par
des frontières naturelles, la délimitation du cercle qu’avait faite le lieutenant Coquibus
est bien celle que nous avons suivie et qui est reconnue par les divers chefs des
32
cantons limitrophes des deux colonies intéressées.»

Ce rapport et le croquis du 27décembre sont intéres sants car ils montrent la différence entre la

ligne Coquibus de Nababori à Kabia de forme incurvée et celle suivie et adoptée par les

administrateurs qui, sur une partie du parcours, fait un détour pour suivre un massif montagneux. Il

suffit néanmoins d’un coup d’Œil sur ces croquis pour voir que ni l’un ni l’autre n’est une ligne

droite. [Fin de la projection.]

15. Le Burkina émet des doutes sur le fait qu’il y ait eu un accord entre les administrateurs et

soutient que leurs propositions ne furent pas rete nues. On a vu que peu importe toutefois qu’elles

ne soient pas parvenues àDakar ou y soient arri vées trop tard. Peu importe que la mesure de

l’accord professée parDelbos soit incertaine. Il est évident que ces projets n’ont joué aucun rôle

dans la délimitation retenue par le gouverneur général et le Ni ger n’a d’ailleurs jamais soutenu une

telle hypothèse. Là n’est pas l’intérêt de ces échanges de communications. Le point essentiel est

qu’ils nous éclairent sur la forme de la limite de 1910 entre Tao et le pointtriple. Les documents

sont formels; ce n’est pas une ligne droite. Nous pouvons donc en conc lure provisoirement que

deuxtracés des limites de cantons furent alors envisagés: ou bien les deuxadministrateurs se

réfèrent au croquis de Coquibus, ou bien ils élaborent un projet d’arrêté commun formé d’une ligne

brisée. Dans aucun des cas le tracé de la limite n’a le profil d’une ligne droite.

16. Le BurkinaFaso balaye l’ensemble de ces actes préparatoires ci-dessus évoqués d’un

revers de main en affirmant que le Gouvernement de Dakar ne les a pas pris en compte ou ne les a

«délibérément pas pris en considération» 33 au profit d’une nouvelle ligne formée de segments de

droite. Si les doutes concernant l’impact des rapports des commandants de cercles et de leur projet

de limite peuvent être partagés, il n’en est rien d es procès-verbaux de février 1927. On a vu que le

31MN, annexe C 14.
32
MN, annexe C 15.
33CMBF, p. 24, par. 1.22.4. - 18 -

gouverneurBrévié s’était impliqué sur le terrain en février1927 et que ses services avaient pris

l’initiative d’envoyer dès le 27juin1927 àDakar un projet d’arrêté (dont nous n’avons au

demeurant pas le texte) 34. L’importance jouée par la carte Coquibus qui reflétait le tracé de la ligne

de1910 exigée par le décret de1926 est avérée da ns le procès-verbal du 27février1927 et il est

plus que probable dans l’ erratum d’octobre1927. Sur ce dernier point, dans sa lettre du

17 décembre 1927, Delbos relève en effet ce qui suit :

o
«Les limites telles qu’elles sont mentionnées par le Journal Officiel n °1021
(sic ⎯il s’agit du JO1201 ) sont la copie exacte du pro cès-verbal qui a été signé en

ma présenceT àéra par Monsieur le gouverneu rrévié et Monsieur
l’inspecteurLeffiliatre. Elles avaient été déterminées au moyen de la carte du
capitaine Coquibus qui ne portaient que des lignes conventionnelles … » 35

La carte «nouvelle frontière» pour le secteur de Téra reproduit le tracé incurvé que l’on a constaté

dans les croquis des administrateurs. En réalité, le seul aspect nouveau de la limite d’octobre 1927,

outre le retour à la ligne de 1910 pour le secteur Téra, est le fait que le canton de Botou demeure en

Haute-Volta. C’est bien ce que confirme la lettr e du 2avril1927 de la direction des affaires

politiques et administratives au gouverneur du Niger.

3) Argumentscartographiques

17. Le dossier cartographique est-il plus favorable à la thèse des deux segments de droite

défendue par la Partie adverse? Nous ne revi endrons sur ce que nous avons dit à propos de la

ligne Coquibus et du projet des administrateurs.

La carte nouvelle frontière de 1927 [projection de cette carte]

18. Il faut en revanche mentionner, avant t out, une carte capitale (que les membres de la

Cour trouveront sous l’ongletn°12). L’illustratio n la plus évidente de la situation résultant de

l’erratum du 5 octobre 1927 est la carte intitulée «Afrique occidentale française : nouvelle frontière

de la Haute-Volta et du Niger (suivant erratum du 5octobre1927 à l’arrêté en date du

31 août 1927)», échelle 1/1 000 000 36. Il s’agit, comme l’expr ime bien son intitulé, d’une

34MN, annexe C 13.
35
MN, annexe C 20.
36MN, annexe D 13). - 19 -

illustration de l’erratum du 5 octobre 1927. Elle fut réalisée par le service géographique de l’AOF.

Le Burkina Faso s’efforce de contester la portée et la valeur de cette carte, puisque le tracé des

37
limites qui y figure est en complète contradiction avec ses thèses . S’appuyant entre autres sur le

prononcé de la Chambre de la Cour inte rnationale de Justice dans l’affaire du Différend frontalier

(Burkina Faso/République du Mali) 3, le Burkina Faso conteste dans ses écritures que cette carte

39
puisse constituer une illustration des textes de 1927 . C’est pourtant le cas, ainsi que le Niger en a

fait la démonstration dans son mémoire 40.

19. Il est vrai qu’à l’occasion de ce litige, le Ma li, qui avait lui-même soumis cette carte à la

Chambre ⎯je m’en souviens fort bien, car comme m on ami Pellet, je me trouvais dans cette

affaire, mais bien entendu de l’autre côté ⎯, n’avait pas caché que ladite carte ne donnait aucun

renseignement sur l’organisme officiel qui l’avait établie ou l’autorité administrative qui en aurait

approuvé le tracé 41.

La Chambre adopta néanmoins à propos de ce tte carte une position nuancée, en dépit de

cette faiblesse :

«La Chambre n’attribue pas à la carte soumise par le Mali l’autorité d’un

document explicatif de l’arrêté et de son erratum ⎯ document qui aurait été émis avec
le visa des autorités coloniales ⎯ mais elle considère que cette carte n’en constitue

pas moins un élément de preuve non négligeable . En effet, même s’il ne peut être
établi que ladite carte avait été éditée par l’administration coloniale, il reste que
l’auteur de cette carte avait acquis ⎯après avoir lu les textes réglementaires et

éventuellement consulté les cartes qui lui étaient accessibles ⎯ une compréhension
très claire de l’intention sous-jacente aux te xtes, ce qui lui avait permis de traduire

ensuite lui-même cette intention sur une carte.» (Ibid.)

On sait maintenant, par la découverte aux archives nationales du Sénégal 42 d’un document dont les

membres de la Cour trouveront copie au dossier des juges sous l’onglet n°11, que cette carte

présente des liens étroits avec le texte de l’ erratum de 1927. Cette carte est incontestablement

officielle ; elle avait bien été éditée par l’autor ité administrative. Elle fut adressée au moyen d’un

37Voir, par exemple, MBF, par. 1.76, puis à partir du paragraphe 4.91.

38Arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 554.
39
MBF, par. 4.91.
40
MN, par. 5.7.
41Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 646, par 171.

42MN, annexe C 17. - 20 -

bordereau d’envoi ⎯que vous avez sous les yeux ⎯ par le chef du cabinet militaire

(deuxième section) au directeur des affaires politiques et administratives à Dakar le 6 octobre 1927,

c’est-à-dire le lendemain de la date d’adoption de l’ erratum, avec «copie au département et aux

deux colonies intéressées» 43. Même si la carte n’était pas formellement annexée au texte, tout

indique que l’administration du gou vernement général de l’AOF y voy ait le reflet de ce qu’elle

venait d’édicter. Et pour reprendr e les termes de la Chambre, comme il est désormais avéré, cette

carte est un «document qui a été émis avec le visa des autorités coloniales», elle possède «l’autorité

d’un document explicatif de l’arrêté et de son erratum». On se souviendra par ailleurs que lorsque

le gouverneur de la Haute-Volta transmit à l’administrateur Delbos le texte de l’erratum, il y joignit

cette carte, que le destinataire contesta d’ ailleurs sur certains points dans sa réponse du

17 décembre 1927 44. Ultérieurement, en 1932, Roser, le commandant du même cercle deDori

⎯dont je reparlerai cet après-midi ⎯ se réfère à cette carte dont il a établi un agrandissement

au 1/500 000 pour son usage sur le terrain 45. On verra tout à l’heure l’importance qu’il lui accorde

pour interpréter la limite coloniale.

20. En dépit de sa petite échelle, qui ne représente les 150 kilomètres séparant Tong-Tong du

point triple Dori/Tillabéry/Say que par quelque 15 centimètres ⎯ ce qui ne permet guère de donner

des détails ⎯ la carte «nouvelle frontière» autorise au mo ins deux conclusions intéressantes. La

première ⎯ainsi que vous pouvez le voir ⎯, c’est que la forme, quoique que tout à fait

schématique, de la limite est cel le d’une ligne recourbée et non de deux segments de droites. La

seconde, c’est que le point triple en tre les cercles de Dori, Tillabéry et Say se trouve à la pointe du

46
saillant, là où ne cesse de le dire le Niger et non à Bossébangou .

21. L’importance de cette carte est reflét ée dans le fait que plusieurs cartes produites

ultérieurement, notamment par le service gé ographique de l’AOF, maintiendront ce profil

jusqu’aux cartes élaborées par l’IGN en 1958 et publiées en 1960: c’est le cas notamment d’une

43Ibid.
44
MN, annexe C 20.
45MN, annexe C 45.

46Voir MN, par. 7.14 et suiv. - 21 -

carte de Niamey de 1934 47et de 1946. L’importance de cette ca rte est aussi reflétée par le silence

abyssal maintenu à son égard par le Burkina Faso au cours du premier tour de la phase orale.

La carte IGN de 1960

22. Comme on le verra en détail, lorsque nous examinerons le secteur de Téra, l’IGN dans

ses cartes de 1960, suivant une tout autre méthodologie, n’adoptera en rien la théorie de deux lignes

droites dans ce secteur.

23. Il résulte de tout ce qui précède que la prétention du Burkina Faso que, de Tong-Tong à

Tao et de Tao à Bossébangou, la limite est constituée de deux lignes droites est non fondée. De ce

fait, la présomption que la distance entre deux points est normalement représentée par une ligne

droite n’est d’aucun secours dans ce secteur.

Monsieur le président, ainsi se termine mon intervention de ce matin ⎯enfin je vous

reparlerai en fin de matinée. Je remercie la Cour pour sa bienveillante atten tion et je vous prie de

bien vouloir passer la parole au professeur PierreKlein qui examinera le troisième postulat de

l’argumentation du Burkina Faso selon lequel les textes de 1927 constituent un titre clair.

Le PRESIDENT: Merci, Monsieur le prof esseur. Je donne la parole à Monsieur le

professeur Pierre Klein. Vous avez la parole.

M. KLEIN : Je vous remercie, Monsieur le président.

L E POSTULAT DU BURKINA FASO SELON LEQUEL LE TITRE EST CLAIR

1. Monsieur le président, Mesdames et Messi eurs de la Cour, c’est un honneur pour moi

d’intervenir dans la présente instance, une nouvelle fois au nom de la République du Niger. Ainsi

que mes collègues vous l’ont rappelé, l’approche du dossier qu’a choisie la partie adverse consiste

à ne prendre en compte, aux fins de la délimitation de la frontière dans le secteur en litige, que les

textes de 1927, qui se voient ainsi reconnaître une autor ité quasi biblique. Il devrait en être ainsi,

selon nos contradicteurs, en raison du fait que ces te xtes sont parfaitement clairs. C’est le dernier

des postulats avancés par le Burkina Faso dont je voudrais vous démontrer l’inanité ce matin.

47
MN, annexe D 19. - 22 -

2. Heureux doivent être nos contradicteurs, car ils baignent dans la lumière. A lire les

48 49
écritures de la Partie adverse , et à entendre ses conseils , rarement le travail de juristes appelés à

identifier un tracé frontalier aura-t-il été aussi si mple que dans la présente affaire. Selon le

Burkina Faso, en effet, l’arrêté général du 31 août 1927 et son erratum constituent «un titre clair et

50 51
non contesté» , qui «[définit complètement] la limite entre les Parties» . Le texte de l’ erratum,

nous a exposé le professeurForteau en début de cette semaine, «décrit de manière concise et

limpide» le tracé frontalier 52. La tâche de la Cour serait donc elle aussi particulièrement simple : la

délimitation de la frontière commune aurait été opérée par les textes de 1927 et devrait être

considérée, je cite encore le Burkina Faso, comme «étant acquise» 53. Il ne resterait de ce fait à la

Cour qu’à «préciser l’interprétation de ces instrume nts afin de permettre la matérialisation de la

54
frontière entre les deux pays» . Et même le travail d’interprétation qui vient d’être évoqué n’est-il

sans doute pas vraiment requis non plus, tant la clarté des textes de 1927 s’avère aveuglante. Dans

son mémoire, la Partie adverse écrit ainsi, à prop os d’une réunion des experts des deux Etats qu’«il

ne s’agissait pas à proprement parler d’«interpréter» le texte de l’arrêté et de son erratum ; ce texte

ne soulevait en réalité aucune difficulté entre les Parties, lesquelles souhaitaient simplement

reporter sur la carte la description que le texte donne de la frontière» 55. Par identité de

raisonnement, voilà donc une fin d’année qui s’annonce paisible pour vous, Mesdames et

Messieurs de la Cour, puisqu’il vous suffira de «reporter sur la carte la description que le texte

donne de la frontière», une tâche qui ne s’annonce pas trop épuisante.

Face à de telles évidences, que faire sinon s’inclin er, se laisser porter par la lumière ? C’est

manifestement à ce constat que seraient arrivés les deux Etats, à en croire toujours la Partie

48Voir en particulier MBF, p. 57, par. 2.8.

49Voir notamment CR 2012/20, p. 13, par. 58 (Pellet).

50MBF, p. 59, par. 2.13.

51MBF, p. 57, par. 2.8.

52CR 2012/20, p. 19, par. 27 (Forteau).
53
MBF, p. 2, par. 0.3.
54
Ibid.
55
MBF, p. 42, par. 1.59. - 23 -

adverse, qui écrit à ce propos que «[l]es parties n[’]ont d’ailleurs pas contesté» que l’arrêté de 1927

56
«délimite la frontière entre [elles] de manière précise dans le … secteur» qui demeure en litige .

3. Que faut-il penser de cette argumentation, séduisante en apparence, comme la simplicité

peut l’être parfois? A vrai dire, je crains, M onsieur le président, Mesdam es et Messieurs de la

Cour, de devoir assez rapidement dissiper les illusions que vous avez pu commencer à entretenir

quant à votre programme de fin d’année. L’argument du BurkinaFaso selon lequel les textes de

1927 sont parfaitement clairs, se suffisent à eux- mêmes, et doivent simplement voir leurs énoncés

reportés sur une carte pour aboutir à la déterminati on de la frontière entre les Parties n’est rien

d’autre qu’un postulat qui se voit en l’occurrence contredit par de très nombreux éléments. Un

travail d’interprétation des textes est de ce fait indispensable, et la détermination du sens de leurs

énoncés ne peut être opérée qu’en s’appuyant sur des éléments extrinsèques, au premier rang

desquels la pratique des autorités coloniales et les représentations cartographiques de l’époque.

Ceci a d’ailleurs toujours été évident dans le cadre des travaux des gr oupes d’experts des deux

Parties, chargés de la détermination du tracé front alier. A titre d’exemple, le compte rendu de la

réunion des techniciens tenue en 1986, sur lequel le BurkinaFaso s’appuie pour affirmer, dans

l’extrait de son mémoire que je viens de cite r, qu’«il ne s’agissait pas à proprement parler

d’«interpréter» le texte de l’arrêté et de son erratum», ce compte rendu donc exposait en réalité que

57
les deux délégations «ont d’abord procéd é à l’interprétation» des textes de 1927 . On conviendra

que c’est là une bien singulière façon de rendre compte de ces travaux ⎯ et de la tâche des experts.

Ce seul exemple montre en tout cas qu’il ne s’agit pas ici d’opposer au postulat avancé par la Partie

adverse ⎯postulat selon lequel les textes de 1927 seraient parfaitement clairs et se suffiraient à

eux-mêmes ⎯ un autre postulat ⎯ selon lequel ces textes seraient ob scurs et insuffisants, sans que

cette affirmation requière aucune démonstration. Tout au contraire, si le Niger remet en cause cette

thèse de la clarté immanente des textes en question, c’est que de très nombreux documents

confirment les lacunes et les obscurités des énoncés de 1927, qui ne peuvent de ce fait suffire à eux

seuls à identifier le tracé frontalier. Je voudrai s, si vous le permettez, détailler maintenant avec

vous ces différents éléments. Les premières difficu ltés sont liées à l’indétermination de certaines

56
MBF, p. 101, par. 4.8.
57
MBF, annexe 69. - 24 -

formules utilisées dans la partie des textes de 1927 qui nous intéresse ici (A). Par ailleurs, dans

toute une série de situations, il apparaît que même si les énonc és de 1927 ne suscitent pas de

problèmes de compréhension sur un plan purement linguistique, leur caractère lapidaire ou

imprécis a généré des incertitudes constantes quant au cheminement exact du tracé de limites dans

le secteur en litige (B). On verra de ce fait dans un dernier temps que les textes de 1927 se révèlent

à divers égards insuffisants, et qu’il est impossible de prétendre que l’on se trouve ici en présence

d’une délimitation qui aurait été opérée il y a tr ès exactement 85ans de façon complète et

satisfaisante, et qu’il suffirait de «reporter sur une carte» (C).

A. L’indétermination de certaines formules utilisées dans les textes de 1927

4. Monsieur le président, Mesdames et M essieurs de la Cour, force est de reconnaître

d’emblée que certaines formules ou expressions u tilisées dans les textes de 1927 se révèlent en

elles-mêmes très peu claires. Deux exemples au moins d’obscurités de ce type peuvent être relevés

dans la partie de l’ erratum du 5octobre1927 qui entend décrire la limite intercoloniale dans le

secteur en litige. Vous en trouverez le texte, je vous le rappelle, dans le dossier des juges, sous

l’onglet n o3.

5. Pour rappel, ce texte décrit une ligne «par tant des hauteurs de N’Gouma» pour atteindre

«la borne astronomique de Tong-Tong», et indique que «cette ligne s’infléchit ensuite vers le

58
sud-est» . Un peu plus loin, l’ erratum dispose que cette ligne, suivant une direction sud-est,

«attein[t] la rivièreSirba à Bossébangou» pour ensuite «remonte[r] presque aussitôt vers le

nord-ouest» 59. Faut-il rappeler, tout d’abord, que les deux Parties à la présente instance se sont

60
longtemps opposées sur le sens qu’il convena it de donner au verbe «s’infléchir» . Pour le Niger,

l’idée d’inflexion renvoyait à une ligne de form e courbe, le professeurSalmon vient de vous le

rappeler. Le Burkina, pour sa part, ne voyait dans l’expression que l’idée d’un changement de

direction entre deux droites successives 61. Et ainsi que le professeur Salmon vient également de le

rappeler, c’est encore à une interprétation différe nte du terme «s’infléchir» que semble maintenant

58
MN, annexe B esp. 27.
59
Ibid.
60Voir CMN., p. 29, par. 1.1.27.

61MN, annexe A 5, p. 3 et MBF, p. 109-132. - 25 -

se référer la Partie adverse, en illustrant sa reve ndication dans le secteur en cause par une droite

62
parfaitement rectiligne . Ces différences de compréhension du concept d’inflexion renvoient donc

manifestement ici à une difficulté d’ordre linguistique. C’est le sens même du terme utilisé dans le

texte de 1927 qui pose problème, indépendamment de toute question de contexte ou d’application

dans le cas d’espèce.

6. Un constat du même ordre peut être fait en ce qui concerne les termes «remonte presque

aussitôt», utilisés par l’erratum pour décrire le cheminement de la limite après l’avoir fait atteindre

la rivière Sirba à Bossébangou. Le moins que l’ on puisse dire est que cette expression ne constitue

pas un modèle de rigueur et de précision pour la description d’un tracé frontalier. Et qu’elle

s’avère sujette à des interprétations largement divergentes. Il en est d’autant plus ainsi que, d’après

le texte de l’erratum , la ligne qui séparait les deux colonies devait suivre une direction sud-est

jusqu’à Bossébangou, avant de «remonte[r] presque aussitôt vers le nord-ouest».

[Illustration animée concomitante d’une ligne descendant vers le sud-est avant de remonter vers le

nord-ouest.]

A plusieurs reprises au cours des négociations entre les deux Parties, les représentants du

Niger ont fait part de la perplex ité dans laquelle les plongeait cet é noncé, en faisant valoir qu’une

ligne qui descendait vers le sud-est avant de re monter presque aussitôt vers le nord-ouest ne

pouvait que s’annuler, ce qui menait à un résultat absurde 63.

[Fin de la projection. Projection d’un croquis avec tracé d’une ligne remontant «presque aussitôt»

vers le nord-ouest.]

Mais même en tenant compte de la formulation exacte de l’ erratum, du fait qu’il se réfère à

une ligne qui remonte non pas aussitôt, mais «presque aussitôt» dans la direction opposée à celle

dont elle provient, ne faudrait-il pas s’attendre à ce que le tracé qui résulte de cette description soit

du type de celui que vous voyez maintenant projeté devant vous ?

[Fin de la projection. Projection avec illustration de la ligne suivant la Sirba.]

Pourtant, c’est à une interprétation tout à fait différente —et, il faut le dire, beaucoup plus

libérale— de ces termes que se livre la Partie adverse, en adoptant tout simplement pour ce

62
MBF, annexe cartographique n° 36 ; CMN, p. 39-40.
63MN, annexe, A 5, p. 3. - 26 -

segment de limite le tracé de la carte IGN de 1960 suivant d’abord le cours de la rivière Sirba, puis

s’en détachant pour atteindre la pointe du saillant. Nos contradicteurs tentent de justifier ce tracé

au regard du texte de l’erratum. Le professeur Thouvenin, dans sa plaidoirie de mardi matin, nous

exposait ce qui suit: «[l]e texte mentionne que la frontière doit effectuer sa remontée «vers» le

nord-ouest, ce qui se comprend comme signifiant qu’elle pointe dans le secteur nord-ouest, mais

pas nécessairement précisément nord-ouest» 64. Si l’on suit donc bien le raisonnement, un texte qui

dit «remonte presque aussitôt vers le nord-ouest » ne doit pas se comprendre comme signifiant que

l’on s’oriente ensuite «nécessairement précisément » vers le nord-ouest, pour reprendre les termes

du professeur Thouvenin, mais bien que la ligne «pointe dans le secteur nord-ouest». Tout ceci, on

en conviendra, est en effet d’une très grande clar té… Et cette lecture témoigne aussi éloquemment

de la fidélité sans faille dont nos contradicteurs font montre à l’égard des termes de l’erratum.

[Fin de la projection.]

Ces divergences d’interprétation illustrent en tout cas on ne peut plus clairement le fait que

certains des termes employés dans l’ erratum de 1927 manquaient en eux-mêmes de précision et se

prêtaient à des interprétations contradictoires. D’autres exemples pourraient encore être donnés de

telles formulations ambiguës —alors même qu’il ne s’agit que d’un texte de quelques lignes. On

pourrait ainsi mentionner encore les termes «à haut eur du parallèle de Say», qui se retrouvent deux

lignes plus loin, et qui ont eux aussi donné lieu à d es lectures divergentes de la part des deux Etats,

tant avant 65 que dans le cadre de la présente procédure . J’y reviendrai d’ailleurs cet après-midi.

7. En réalité, les flottements terminologi ques des textes de1927 avaient déjà frappé les

administrateurs coloniaux, dès la fin des années 1920. Pour n’en donner qu’un exemple, dans une

lettre adressée au commandant de cercle de Tillabé ry, le commandant de cercle de Dori -- du côté

Haute-Volta, donc-- écrivait: «Ne pensez-vous pas que, puisque l’arrêté et l’ erratum de

délimitation du Niger et de la Haute-Volta emploient parfois les mots: presque, environ,

sensiblement, ils ne cherchent pas l’exactitude absolue ?» 67.

64
CR 2012/21, p. 23, par. 56 (Thouvenin).
65
MN, p. 115, par. 7.32.
66Voir en particulier CR 2012/21, p. 16-17, par. 24-29 (Thouvenin).

67MN, annexe C 24. - 27 -

De toute évidence, ce qui était obscur pour l es autorités de la colonie de la Haute-Volta

en1929 est maintenant devenu parfaitement clair pour les conseils du BurkinaFaso… Il est

d’ailleurs piquant de constater que les différents termes que je viens d’évoquer constituent très

exactement le type de formule dont l’utilisation dans les textes offici els visant à établir des

délimitations a par la suite été clairement déc onseillée par le service géographique de l’AOF en

68
raison de la grande imprécision des expressions en cause . Dans un courrier de 1942, le chef de ce

service géographique indiquait ainsi que

«[t]oute description de frontière comportant des textes tels que «la ligne nord-sud …,
la ligne laissant à l’est les villages de…, la ligne prenant une direction sud-est…»

présente un caractère d’imprécision telle qu’elle nécessite en Europe, pay69connu, la
réunion de commissions bilatérales et un gros travail d’abornement» .

L’auteur de la lettre suggérait donc de pro céder autrement pour éviter ces inconvénients, en

particulier en se référant aux cours d’eau et aux chaînes de crêtes. Ici encore, on ne peut manquer

d’être interpellé par le fait que les conseils du Burkina érigent en véritable modèle légistique les

textes de1927, alors que le type même de fo rmules qui y étaient utilisées était clairement

déconseillé par les services géographiques colonia ux. On le voit, le constat auquel on vient

d’arriver pourrait à lui seul suffire à priver de t out fondement la thèse de nos contradicteurs selon

laquelle le titre constitué par les textes officiels de 1927 est clair et qu’il suffit d’en faire la lecture

pour identifier le tracé frontalier dans la zone en litige. Pourtant, il y a bien plus. Comme je

voudrais le détailler avec vous maintenant, outre ces difficultés de nature strictement linguistique,

les textes de1927 génèrent des incertitudes en rais on du caractère lapidaire et imprécis de leurs

énoncés.

B. Les incertitudes résultant du caractère lapidaire et imprécis des énoncés de 1927

8. Les problèmes d’ordre linguistique ou termi nologique que je viens d’évoquer sont bien

réels. Pour autant, ils n’affectent pas nécessai rement tous les énoncés des textes de1927. Dans

leur majorité, ceux-ci sont en effet clairs —si on limite la portée de ce terme à la seule sphère

linguistique. Mais un texte clair sur le plan linguistique peut parfaitement se révéler problématique

68
Lettre du 8 mai 1942, MN, annexe C 66.
69Ibid. - 28 -

lorsqu’il s’agit de le mettre en pratique— en d’autres termes, lorsqu’il s’agit de mettre en

adéquation ses énoncés avec la réalité du terrain. Et à cet égard aussi —voire même encore

plus— les textes de1927 ont très rapidement mont ré leurs limites, si vous me permettez cette

expression.

9. Le Niger a montré dans ses écritures l’intensité des critiques adressées au texte de

l’erratum d’octobre 1927 par les administrateurs des deux colonies concernées 70. Je me limiterai à

en rappeler ici quelques exemples. En avril1932 , le commandant de cercle de Dori écrit au

gouverneur de la Haute-Volta —la colonie dont son cercle dépend— pour lui proposer ce qu’il

appelle des «[s]olutions possibles à la question pos ée par la rédaction insuffisante et défectueuse

des textes officiels» 71.

Je me permets d’attirer l’atten tion des membres de la Cour su r le fait, qu’une fois encore,

cette appréciation émane des autorités de la colonie de la Haute-Volta. Dans un rapport de 1934, le

commandant du même cercle relève qu’en plusieurs endroits, «la délimitation des deux

72
circonscriptions est théorique et fort imprécise» . Mais c’est sans doute le chef de subdivision de

Téra (côté Niger, cette fois) qui formule de telles préoccupations de la façon la plus acide dans un

rapport de1952, où il mentionne l’arrêté du 31août1927, et son erratum, «dont l’imprécision le

dispute à l’inexactitude [et qui] est à l’origine d es incessants palabres de limites entre cultivateurs

73
du Yagha et du Diagourou» .

On pourrait multiplier les exemples de critiques de ce type et l’utilisation d’autres termes

74
aussi peu flatteurs pour décrire les textes de1927 . Il est donc manifeste que les premiers

concernés par l’application de ces textes officiels ⎯c’est-à-dire les administrateurs des entités

limitrophes des deux colonies ⎯ n’étaient pas vraiment éblouis par la grande clarté que nos

contradicteurs prêtent à ces instruments… La lumière ne semble pas s’être faite davantage dans les

années qui ont suivi, puisqu’on retrouve au dossier plusieurs documents postérieurs aux

indépendances dans lesquels les autorités des nouveaux Etats —et j’insiste, des deux Etats

70MN, p. 26 et suiv.
71
MN, annexe C 45.
72
MN, annexe C 55.
73
MN, annexe C 74.
74Voir MN, p. 27-28. - 29 -

75
stigmatisent encore l’«imprécision» de la fron tière en dépit de l’existence des textes de1927 .

Mais quelle est, en réalité, la source de ces insatis factions? Plusieurs doc uments de la période

coloniale, mais aussi les travaux de la commissi on technique mixte d’aborne ment de la frontière,

permettent de mieux la cerner.

10. Avant tout, il ne fait aucun doute que le caractère lapidaire des énoncés des textes

de1927 a suscité d’importantes difficultés. Une correspondance de1953 émanant du cercle

76
deTillabéri évoque ainsi les «lacunes des textes officiels» . Il pouvait difficilement en aller

autrement dès lors qu’on ne dispose que d’un text e d’une dizaine de lignes pour décrire un tracé

frontalier s’étendant sur plusieurs centaines de kilomè tres au total. La Partie adverse a tenté de

contrer cet argument en avançant la thèse selon la quelle, en l’absence de précisions, la frontière

devait suivre des lignes droites entre les diffé rents points géographiques mentionnés dans les

77
textes . Le professeur Salmon vous a, je pense, amplement démontré ce matin à quel point cette

théorie était artificielle et ne se voyait au cunement confirmée par un quelconque élément du

dossier, en particulier en ce qui concerne le secteur de Téra. Je ne m’y a ttarderai donc pas, si ce

n’est pour observer qu’on peut évidemment se demander pourquoi les administrateurs coloniaux

critiquaient avec une telle constance et avec une te lle virulence l’imprécision des textes de 1927 si

ceux-ci édictaient des limites suivant des lignes droites facilement identifiables.

11. Un autre facteur manifeste d’incertitude en ce qui concerne l’application des textes en

cause réside dans la difficulté — et souvent dans l’impossibilité pure et simple — d’identifier sur le

terrain les lieux ou les accidents géographiques ment ionnés dans l’arrêté, te l que corrigé par son

erratum. Ce problème s’est révélé dans toute son ampleur dans le cours des travaux de la

commission mixte. Le Niger a par exemple rappelé dans ses écritures l’échec auquel ont abouti les

membres de la commission dans leur tentative de localiser sur le terrain le mont d’Arounskoye et le

78
mont de Balébanguia, pourtant clairement mentionnés dans l’ erratum . Ilenestallédemême

pour l’identification de l’emplacement des «ruin es du village de Tokébangou», en dépit de pas

75Voir notamment MN, annexe C 92.
76
MN, annexe C 78.
77MBF, p. 110 et suiv.

78CMN, p. 37, par. 1.1.27. - 30 -

79
moins de troismissions de terrain , comme l’a très pertinemment rappelé le professeurPellet

mardi matin 80. De même encore, les experts ont retrouvé les coordonné es de deux bornes

81
astronomiques différentes à Tao (alors que le texte parle de «la borne astronomique de Tao») . Et

mieux encore, aucune de ces bornes n’a pu être retrouvée sur le terrain.

12. Il faut encore mentionner un dernier fact eur d’incertitude qui affecte les textes de 1927.

Celui-ci réside dans l’erreur de fait qui affecte ces actes lorsqu’ils font passer la limite

intercoloniale par la localité de Bossébangou. Je reviendrai plus en détail sur ce point cet

après-midi. Qu’il me soit seulement permis de relever dès maintenant que cette inexactitude avait,

elle aussi, été dénoncée dès le lendemain de l’adopt ion des textes de 1927 par les autorités locales.

En décembre1927, le commandant de cercle de Dori —en Haute-Volta, faut-il encore le

rappeler?— critique ainsi avec virulence cette partie du texte de l’ erratum en relevant qu’en

réalité, la limite intercoloniale dans ce secteur va «jusqu’à Nababori atteignant à l’ouest d’Alfassi

le cercle de Say et non à Bossébangou qui est plus haut» 82.

13. On le voit, on est donc bien loin ici du titre clair, précis et complet que le Burkina Faso

se plaît à voir dans le texte de l’arrêté gé néral du 31août1927, te l que corrigé par son erratum.

Bien au contraire, on ne peut que constater que les énoncés mêmes de l’arrêté corrigé sont dans

certains cas formulés de manière ambiguë, et se prêt ent à des interprétations très diverses. Et dans

d’autres cas, même en l’absence de semblable difficulté linguistique, c’est la mise en application

concrète des textes sur le terrain qui a posé probl ème, en particulier en raison de l’impossibilité

d’identifier concrètement la localisation de tout e une série de lieux mentionnés dans les textes.

Inversement, les textes de 1927 ne font aucune mention de toute une série d’autres lieux identifiés à

l’époque sur le terrain, ce qui ne contribue évide mment pas à faciliter leur mise en Œuvre concrète.

Enfin, l’erreur qui affecte le texte de l’ erratum lorsqu’il fait courir la limite intercoloniale jusqu’à

la rivière Sirba à Bossébangou constitue encore un autre facteur qui mine sa fiabilité. Au postulat

du Burkina, selon lequel le texte de l’arrêté corrigé de 1927 est clair et précis, le Niger oppose donc

79Ibid.
80
CR 2012/21, p. 34, par. 26.
81MN, annexe C 105.

82MN, annexe C 20. - 31 -

une vision beaucoup plus réaliste de ce titre, dont les limites ont bien été mises en évidence dès le

lendemain de son adoption —ou presque. Rien, da ns le dossier, ne vient confirmer la thèse

développée par la Partie adverse. Tout, au contra ire, montre que l’application concrète des textes

de référence a sans cesse posé problème, que ce soit au cours de la période coloniale ou après

l’accession des deux Etats à l’indépendance. Plutôt que d’adhérer à la vision des textes de1927

comme pourvoyeurs infaillibles de clarté développ ée par le BurkinaFaso, il apparaît de ce fait

nettement plus raisonnable de méditer ce proverbe médiéval: «La lumière montre l’ombre et la

vérité le mystère». D’ombres, il ne manque effectivement pas dans ce dossier pour la

détermination de nombreuses portions de la frontière en litige. Et la vérité, telle que la révèlent

tous les documents administratifs, est sans nul doute que le tracé de la limite dans les secteurs en

cause est largement mystérieux, si l’on entend en tout cas s’appuyer pour le déterminer sur les seuls

textes de 1927.

Tout ceci montre bien qu’il n’est pas raisonna ble de prétendre que ces textes ont opéré une

délimitation complète de la frontière dans le sect eur qui nous intéresse, qu’il suffirait de reporter

sur une carte, comme l’affirment nos contradicteurs. Toute l’histoire de la limite intercoloniale

dans le secteur en litige va très clairement à l’en contre de cette thèse. Au contraire de ce

qu’affirme la Partie adverse, les insuffisances des énoncés de 1927 imposent de prendre en compte

d’autres éléments en vue de procéder à une délimitation de la frontière entre les deux parties.

Ce sera là le dernier point de mon intervention de ce matin.

C. Les insuffisances des textes de 1927 et la nécessité de prendre en compte d’autres éléments
en vue de procéder à une délimitation de la frontière entre les deux parties

14. Monsieur le président, Mesdames et Messieu rs de la Cour, la question de savoir si les

textes de 1927 sont — ou ne sont pas — clairs et précis, se suffisent — ou pas — à eux-mêmes a

en réalité deux ordres d’implications cruciales dans la présente instance. D’une part, celle du rôle

qu’il revient à la Cour de jouer dans le règlem ent du différend. D’autre part, celle des sources ou

instruments auxquels il pourra être fait appel en vue d’identifier le tracé de la frontière entre les

deux Etats dans le secteur en cause. Je voudrais détailler brièvement ces deux points.

15. Le rôle de la Cour, tout d’abord, a été réduit à la portion congrue par le BurkinaFaso.

Comme on l’a déjà rappelé, il s’agirait simplement de concrétiser une ligne déjà clairement établie - 32 -

83
et bien acceptée par les Parties . Le Burkina semble être allé un peu plus loin dans son

contre-mémoire, en écrivant que «la tâche de la Cour dans la présente affaire est ⎯ et est

seulement ⎯ de préciser le tracé dans la mesure ⎯et la mesure seulement ⎯ où celui-ci serait

84
«insuffisant»» .

Mais en réalité, cette ouverture n’est qu’appa rente, puisque la Partie adverse estime par

ailleurs que les dénonciations des insuffisances de l’ erratum par le Niger ne sont fondées que sur

des «postulats» et que l’on se retrouve en l’occu rrence face à ce que la Partie adverse appelle un

«titre juridique solide» 85. S’il admet la possibilité théorique d’un travail d’interprétation, le

Burkina l’exclut cependant en pratique, en maintena nt que les textes de1927 sont clairs et que le

Niger «voit de l’obscurité dans [leur] simplicité» 86. Le professeur Pellet n’a pas dit autre chose

dans sa plaidoirie de lundi en commençant par affirmer qu’il «ne prétend … pas que l’ erratum ne

se prête pas à interprétation ⎯ c’est le propre de tout texte juridique que d’être interprété», ajoute-

t-il7. Pourtant, le champ de l’interprétation se révèle encore une fois bien réduit. Le

professeur Pellet referme aussitôt ⎯ presque aussitôt, serais-je tenté de dire ⎯, par le rappel de la

88
maxime interpretatio cessat in claris , la porte qu’il avait entrouverte quelques instants plus tôt.

Ce que proposerait le Niger serait non pas de l’inte rprétation, mais une revision pure et simple des

89
textes de 1927 . Mais, Monsieur le président, sur quelle base décider que le texte est «clair» et dès

lors insusceptible d’interprétation ? Sur la base de la lecture qu’en fait le Burkina, et lui seul, grâce

aux vues particulièrement éclairées de ses conseils ? Ou en prenant en compte le dossier et tous les

éléments qui le composent? On ne pourrait alors que constater que l’approche de nos

contradicteurs sur ce point se révèle totalement dépourvue de fondement. Comment parler de ligne

clairement établie alors qu’on vient de voir que les lacunes et l’imprécision des textes de 1927 ont

été dénoncées à d’innombrables reprises depuis leur adoption? Comment parler de ligne bien

83MBF, par. 0.3 et 0.19, notamment.

84 CMBF, p. 6, par. 0.8.

85 CMBF, p. 41, par. 1.49.

86 CMBF, p. 43, par. 1.54.

87 CR 2012/19, p. 64, par. 47.

88 Ibid.

89 Ibid. - 33 -

acceptée par les Parties alors que celles-ci, qui n’on t pourtant pas ménagé leurs efforts depuis leur

accession à l’indépendance en vue d’aboutir à la détermination et à la matérialisation du tracé de

leur frontière commune, ne sont jamais parvenues à s’accorder sur ce tracé dans le secteur en

litige ? Comment concilier cette thèse de problèmes d’interprétation virtuellement inexistants avec

la préoccupation exprimée par le premier ministre du Burkin a Faso lorsqu’il suggérait en

février 2006 «l’option de la saisine conjointe de la Cour internationale de Justice qui pourra statuer

90
sur les points de divergences d’interprétation des textes coloniaux qui persistent» ?

Tous ces éléments montrent que, à l’évidence, il ne s’agit pas ici d’une «simple» opération

de concrétisation d’une frontière déjà bien identifiée et acceptée par les Parties. Ce qui est en cause

en l’espèce, c’est l’élucidation de textes que tous ⎯ tous, sauf nos contradicteurs ⎯ s’accordent à

considérer comme obscurs sur bien des points, et de façon plus générale la détermination du tracé

frontalier dans la zone en litige au moyen des dive rs instruments de droit international que la Cour

peut mobiliser à cette fin. Ceci nous mène donc au second point que j’identifiais plus tôt, à savoir

celui des sources ou instruments auxquels il pourra être fait appel en vue de déterminer ce tracé.

16. A cet égard, le constat d’imprécision des textes de 1927 que je viens de dresser emporte

une conséquence essentielle. Il rend indispensable le recours à des éléments extrinsèques à ces

textes en vue de permettre leur in terprétation. C’est dans cette pe rspective que le Niger a appuyé

son argumentation sur divers docum ents de la période coloniale, tels que cartes, rapports et

correspondances administratives. Cela vous a dé jà été exposé en termes généraux par le

professeurSalmon hier, et le professeurKamto reviendra dans quelques instants sur ce point, et

plus généralement sur la question des relations en tre titres et effectivités dans le présent litige. Je

ne m’y attarderai donc pas davantage.

17. En conclusion, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, il est donc

manifeste que les textes de 1927 ne constituent pas le titre clair et autosuffisant que se plaisent à y

voir nos contradicteurs. Tout au contraire, ces textes font usage d’un certain nombre de termes et

d’expressions dont le contenu exact est pour le moins difficile à déterminer. Et plus encore, leur

caractère lapidaire et imprécis, ainsi que l’erre ur de fait qu’ils perpétuent dans le secteur

90
MN, annexe A 11. - 34 -

de Bossébangou, ont donné lieu à de très nombreuses incertitudes quant à l’identification exacte du

tracé de limites qu’ils étaient censés énoncer. De nombreux documents, tant antérieurs que

postérieurs aux indépendances, le montrent au-delà de tout doute. Il est donc indéniable que ces

textes présentent des lacunes, d es «insuffisances», pour reprendr e la terminologie de l’accord

de1987, qui imposait en pareille situation de se ré férer à d’autres instruments pour identifier le

tracé frontalier, dont la carte IGN de 1960. Contrairement à ce que prétendent nos contradicteurs,

il n’y a donc rien dans l’approche du Niger qui s’écarte des principes qui sont applicables à la

détermination du tracé frontalier encore en litige. Et contrairement à ce que nos contradicteurs

paraissent souhaiter également, vous ne pourrez pas vous contenter, Mesdames et Messieurs de la

Cour, d’être simplement les «bouches de la loi» , pour reprendre une expression qui renvoie le juge

à un rôle d’application mécanique de textes législatifs parfaitement clairs. Ceux dont il est question

ici ne le sont pas, et un travail d’interprétation, mais aussi de complément des textes applicables par

le recours à d’autres sources, s’avère indispensable. C’est donc à une tâche de délimitation, au

plein sens du terme ⎯mais aussi au sens le plus classique du terme ⎯ que la Cour est ici

confrontée, une tâche qu’elle est évidemment parfaitement équipée pour mener à bien. Mon

collègue le professeurKamto reviendra de façon pl us détaillée sur ce point tout à l’heure, en

particulier en ce qui concerne la latitude dont la Cour dispose pour l’interprétation d’instruments de

délimitation.

Pour l’heure, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, il ne me reste qu’à

vous remercier pour votre aimable attention. Je vou s prie, Monsieur le président, de bien vouloir

passer la parole au professeur Kamto, dès maintenant ou après la pause.

Le PRESIDENT: Merci beaucoup. C’est ap rès la pause que je donnerai la parole au

professeur Kamto. Je déclare une pause de 20 minutes. L’audience est suspendue.

L’audience est suspendue de 11 h 20 à 11 h 50.

Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. Mons ieur le professeurKamto, vous avez la

parole. - 35 -

M. KAMTO : Merci, Monsieur le président.

C ONSÉQUENCES SUR LES RELATIONS TITRE /EFFECTIVITÉS :LE RÔLE DES EFFECTIVITÉS
DANS LA PRÉSENTE AFFAIRE

Introduction

1. Monsieur le président, Mesdames et Me ssieurs de la Cour, il m’échoit maintenant

d’exposer pourquoi la République du Niger pense que le titre de 1927 ne permet pas à lui tout seul

de déterminer de manière précise le tracé de l’en semble de la frontière litigieuse, et pourquoi les

effectivités et la pratique frontalière ont un rôle important à jouer dans la présente espèce.

2. Pour le BurkinaFaso, «la limite entre les Parties a été complétement définie par l’arrêté

général …du 31août1927 auquel s’est substitué l’ erratum du 5octobre1927, et elle n’a jamais

91
été modifiée depuis lors» . La question des insuffisances de ce texte du droit colonial et de

l’imprécision de la frontière entre les deux pays qui en résulte, soulevée par le Niger, serait donc un

faux problème, selon nos contradicteurs.

3. Le BurkinaFaso a semblé faire un p as timide dans la bonne direction dans son

contre-mémoire en considérant, comme le professeur Klein l’a rappelé tout à l’heure, que «la tâche

de la Cour dans la présente affaire est ⎯et est seulement ⎯de préciser le tracé dans la

92
mesure ⎯et la mesure seulement ⎯où celui-ci serait «insuffisant» . De même, à la fin de ses

plaidoiries de mardi matin, le professeur Pellet a réussi un véritable tour de force en invoquant une

«double carence du terrain et de la carte» 93 à propos de la localisation du village de Tokébangou. Il

reprend à son compte les conclusions du rapport des experts de la commission technique mixte

d’abornement de 1988 qui reconnaissait «l’impossibilité d’exploiter le texte de base [il s’agit de

l’erratum]» et se tournait vers la carteIGN de 1960, sans pourtant y trouver davantage de

satisfaction, puisque cette carte ne mentionne pas le village de Tokébangou. Je rappelle que

Tokébangou fait partie d’un secteur de la frontière qui n’est plus litigieux mais ici est en cause la

méthodologie suivie. Notre collègue peut alors co nclure: «En d’autres termes, les experts ont

91MBF, p. 57, par. 2.8.
92
CMBF, p. 6, par. 0.8.
93CR 2012/21, p. 35, par. 20. - 36 -

refusé de faire prévaloir le tracé de la carte sur celui de l’ erratum alors même que celui-ci est

insuffisant ⎯ mais préférer la carte n’eût pas été conforme à ce texte de référence» 94.

4. Le serpent se mord la queue, a-t-on envie de dire ; car, qu’essaie de vous dire la Partie

adverse, Mesdames et Messieurs les juges : que face à un texte insuffisant ou imprécis, les experts

avaient choisi de ne pas appliquer une carte el le-même lacunaire parce qu’ ils tenaient à rester

fidèles au texte dont l’imprécision les avait amenés à examiner la possibilité d’appliquer la carte.

Franchement, on peut faire moins compliqué et plus convaincant. Si l’ erratum est insuffisant et

que la carte n’est pas d’un grand secours parce que muette sur ce point, cela signifie que les experts

ont effectué le tracé sur d’autres bases que ces deux documents dont ils se sont manifestement

écartés. Mais cela, le Burkina Faso ne peut pas le dire parce qu’il ruinerait alors sa thèse fictive de

la fidélité absolue au texte de l’ erratum, laquelle fidélité exclut la recevabilité de tout autre

document, à moins qu’il ne soit accepté d’accord parties.

5. Au demeurant, pour bien minimiser la portée de ce cas de Tokébangou par rapport à son

approche générale de l’affaire, la Partie adverse s’est empressée de préciser qu’à propos de

Tokébangou, «[i]l s’agit d’un cas exceptionnel dans lequel l’ erratum ne se suffit pas à lui-même

95
alors que le tracé de la carte ne permet pas de l’interpréter» . Pour le reste, le Burkina Faso campe

sur sa position initiale exposée dans son mémoire 96puis dans son contre-mémoire . 97

6. Pour nos contradicteurs, il suffirait qu’il existe un texte portant délimitation de la frontière,

que ce texte soit désigné «titre juridique» pour qu’il soit à l’abri des insuffisances et des difficultés

d’application que celles-ci engendrent. Seule une telle conception de l’exercice a pu amener nos

contradicteurs à continuer à faire croire, s’agissant de l’ erratum de 1927, que l’on est «en présence

d’un texte dont la clarté ne laisse rien à désire r, [que la Cour] est tenue d’appliquer tel qu’il est» 98,

reprenant en cela les termes de l’avis consulta tif rendu par la Cour permanente de Justice

internationale dans l’affaire de l’Acquisition de la nationalité polonaise.

94 Ibid., p. 35, par. 22.
95
Ibid., p. 35, par. 21.
96
MBF, conclusions, par. 5.1 et 5.2.
97 CMBF, conclusions, par. 5.1.

98 Voir CR 2012/19, p. 64, par. 47 (Pellet). - 37 -

7. Le Niger aurait voulu que les choses fussent au ssi simples. Mais elles ne le sont pas,

comme mon collègue, le professeurPierreKlein l’a montré ce matin. Comme chacun le sait, la

détermination du cours d’une frontière n’est pas une opération purement abstraite, ni un exercice

purement académique. Même quand la délimitation repose sur un texte juridique, il faut encore

s’assurer qu’elle donne lieu à un tracé précis de la frontière. C’est pourquoi, lorsque la Cour est

saisie d’un différend frontalier, elle s’assure t oujours que le titre dont se prévalent les parties

fournit assez de renseignements permettant de déterminer le tracé exact de la frontière sur tout son

cours, et non pas seulement sur certaines parties de celle-ci.

8. Plusieurs affaires de délimitation portées devant la Cour ont eu pour cause un désaccord

entre les parties au sujet de l’interprétation ou de l’imprécision de l’instrument juridique de

délimitation. C’est exactement le cas dans la présente espèce qui, comme je vais le montrer dans

un instant, correspond à la quatrième hypothèse envisagée par la Chambre de la Cour dans l’affaire

du Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali). Dans cette affaire à laquelle, faut-il le

rappeler, le Burkina Faso était partie, la Chambre de la Cour a relevé que,

«[o]utre les textes et les cartes énumérées …, les Parties ont invoqué à l’appui de leurs

thèses respectives les «effectivités coloniales» , autrement dit le comportement des
autorités administratives en tant que pre uve de l’exercice effectif de compétences
territoriales dans la région pendant la période coloniale» ( Différend frontalier

(Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 585, par. 63).

9. La Chambre a reconnu que le rôle joué pa r les «effectivités» dans cette affaire-là était

«complexe», et a décidé d’indiquer d’emblée «en des termes généraux, la relation juridique qui
99
existe entre les «effectivités» et les titres servant de base à la mise en Œuvre de l’ uti possidetis» .

Elle a dégagé alors quatre hypothèses qui font désormais autorité en la matière. Partant du postulat

qu’on aurait affaire en l’espèce à un titre parfait, le Burkina Faso défend la première hypothèse où

un titre clair «prime dès lors sur d’éventuelles effectivités contraires» 100.

10. Pour le Niger en revanche, c’est la quatrième de ces hypothèses qui correspond à la

situation à laquelle on est confronté dans la présente affaire. Nous sommes bien dans la situation

où, comme l’a dit la Chambre de la Cour dans cette affaire Burkina Faso/République du Mali, «le

99
Ibid.
100MBF, p. 49, par. 2.16. - 38 -

titre juridique n’est pas de nature à faire apparaître de façon précise l’étendue territoriale sur

laquelle il porte. Les «effectivités» peuvent alors jouer un rôle essentiel pour indiquer comment le

titre est interprété dans la pratique des Etats.» (Ibid., p. 587, par. 63.)

11. Manifestement, le Burkina Faso n’a pas prêt é attention à ce passage de l’arrêt. Pour lui,

le Niger ne serait pas fondé à exploiter, comme il le fait, les nombreux documents de nature variée

de la période coloniale, et même postcoloniale, pour étayer son argumentation et défendre le tracé

de la frontière qu’il propose. Cette position est d’autant plus difficile à comprendre que nos

contradicteurs ne peuvent ignorer que la Cour ne se prive pas d’examiner un désaccord portant sur

le tracé d’une frontière même déjà définie par un traité international, en accueillant divers

documents fournis par les Parties à l’appui de leurs prétentions respectives.

12. Dans ce genre d’affaires, la Cour a, de jurisprudence constante, procédé à l’examen de

tous les éléments pertinents susceptibles de déterminer l’intention des parties au sujet du tracé exact

de la frontière, sur la base de l’instrument juridi que en question. Ces éléments sont généralement

constitués des travaux préparatoires dudit instrument de délimitation et de la cartographie qui

l’accompagne, mais aussi des «effectivités». C’est encore la Chambre de la Cour en l’affaire du

Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali) qui en donne une parfaite illustration,

lorsqu’elle déclare: «La Chambre doit indiquer le tracé de la frontière litigieuse sur la base des

documents et autres preuves qui lui sont présentés par les Parties.» (Ibid., p. 588, par. 65.)

13. Je voudrais montrer dans cette partie des plaidoiries du Niger :

⎯ premièrement, que le Burkina Faso adopte une position vis-à-vis des documents produits par le

Niger qui soulève en réalité la question de l’admissibilité des preuves dans la présente affaire ;

⎯ deuxièmement, que l’arrêté de 1927 et son erratum, dont on ne saurait nier l’importance dans la

présente affaire en tant que titre juridique, ne sont que des éléments de preuve parmi d’autres ;

⎯ troisièmement, que la Cour accepte de préciser le tracé d’une frontière, quand bien même

celle-ci est déjà définie par un texte juridiquement non contesté par les Parties.

I. La question de l’admissibilité des preuves dans la présente affaire

14. Mesdames et Messieurs de la Cour, le Bu rkina Faso a une conception très aérienne de la

détermination du tracé d’une frontière. Son unique bouée de sauvetage, c’est l’ erratum à l’arrêté - 39 -

de 1927. Il s’y accroche avec l’énergie du désespoir. Même quand la Partie adverse semble lâcher

prise, c’est pour s’accrocher aussitôt à un autre texte, l’accord de 1987, qui a le mérite, à ses yeux,

de conforter l’arrêté de 1927 tel que modifié par l’erratum. Selon le Burkina Faso, en effet,

«[l’]article 2 de l’accord de 1987 ne se borne pas à reconnaître la prééminence du tracé
découlant du titre frontalier que constitue l’arrêté de1927 et son erratum; en cas
d’insuffisance de ces actes, il limite en outre la possibilité de recourir à d’autres

documents pour établir le tracé de la frontière à, d’une part «la carte à1/200000 de
l’Institut géographique national de France, édition 1960» et/ou, le cas échéant, à «tout
autre document pertinent accepté d’accord parties»» 10.

Hors cet article 2 de l’accord de 1987, point de salut en matière de preuve.

15. En soutenant un tel point de vue, le Bu rkina Faso pose en réalité le problème de

l’admissibilité des preuves dans la présente espèc e. Cette constatation repose sur deux arguments

avancés par la Partie adverse. Selon elle,

⎯ premièrement, les documents présentés par le Niger ne font pas partie de ceux qui sont

expressément mentionnés à l’article 2 de l’accord de 1987 précité, et ils n’ont pas été non plus

adoptés d’accord parties au sens du même article 2 dudit accord 102 ;

⎯ deuxièmement, certains de ces documents émanent de la période de 1932 à 1947, période où la

Haute-Volta n’existait plus; tout acte passé pendant cette période serait inopérant, du fait

qu’en 1947 la Haute-Volta a été rétablie dans ses limites de 1932 103.

16. Je vais répondre successivement à ces deux arguments.

A.L’argument du Burkina Faso va à l’encont re du principe de la libre admissibilité des
preuves

17. Mesdames et Messieurs de la Cour, pour le Burkina Faso, tout document non accepté

d’accord parties est irrecevable comme moyen de preuve dans la présente espèce ⎯ autant dire

tous les documents fournis par le Niger. Vous avez écouté la rengaine, Mesdames et Messieurs les

juges, d’une plaidoirie à l’autre 104. La Partie adverse reste, sur ce point, bloquée en 1987 lorsque

101
CMBF, p. 42, par. 1.51.
102CMBF, p. 8, par. 0.13.

103Voir notamment, CMBF, p. 122, par. 4. 38.

104Voir, par exemple, CR2012/19, p.65, par. 42(Pellet); plaidoiries de MM.Thouvenin, ibid., p35, par.20,
p. 40, par. 42, p. 41, par. 46 et 47 ; Forteau, ibid., p. 53, par. 27, p. 58, par. 42 ; voir également CR 2012/21, p. 12, par. 5
(Thouvenin). - 40 -

les deux Etats arrêtaient dans l’accord du 28 mars 1987 les documents à prendre en compte dans le

cadre de l’exercice bilatéral de démarcation. C ontrairement à ce que déclare le BurkinaFaso, le

105
Niger «n’ignore» ni ne minimise les termes de l’accord de 1987 , pas plus qu’il ne se délie de ses

engagements au titre de cet accord. Il tient simplement cet accord pour ce qu’il est: un traité

bilatéral conclu dans le cadre d’un processus technique et diplomatique bilatéral de démarcation de

la frontière commune des deux Etats. Au contra ire du BurkinaFaso, le Niger est conscient que

l’on n’est plus désormais dans un cadre de négociations bilatérales.

18. Manifestement, la Partie adverse se tr ompe d’époque, mais également de cadre dans

lequel se déroule maintenant la recherche d’une solution à la dé limitation de la frontière litigieuse.

Le différend frontalier entre les deux pays est déso rmais porté devant cette Cour qui a été saisie

⎯ dois-je le rappeler ⎯ en 2009, sur la base du compromis du 24 février. Il fait donc l’objet d’une

procédure judiciaire sur des bases juridiques tout à fait différentes de la procédure bilatérale

commencée en 1964, et dont l’accord de 1987 ne fut du reste qu’un épisode.

19. En droit international, le principe bien connu en matière des preuves est celui de la libre

admissibilité de celles-ci : tous les modes de preuve sont recevables et il n’existe généralement pas

de règle d’exclusion liée à leur nature. Ce prin cipe est bien établi aussi bien par divers textes

106 107 108
internationaux que par la jurisprudence et la doctrine . En pratique, on observe une

tendance avérée des parties à accorder d’importantes compétences en matière de preuve aux

105Voir CR 2012/19, p. 24, par. 24 (Thouvenin).
106
Voir notamment, articleII, alinéa5 de la conven tion Grande-Bretagne/Etats-Unis du 24 janvier 1903 (cité
dans Recueil des sentences arbitrales (RSA) vol. XV, p. 303) ; article 3 du protocole Etats-Unis ⎯ Haïti du 28 mai 1884 ;
article III, alinéa 2, du protocole Allemagne ⎯ Vénézuela du 7 mai 1903 ; article 88 du règlement de procédure du TAM

franco-allemand du 2 avril 1920.
107Voir notamment, sentence du 31mars1926, RSA, vol. IV, p. 359 ; Concessions Mavrommatis à Jérusalem,
o o o
arrêt n 5, 1925, C.P.J.Io sérieA n 5, p.29 et séroeC, n 7-II, p.33; Certains intérêts allemands en Haute-Silésie
polonaise, fond, arrêt n 7, 1926, C.P.J.I. sérieA n 7, p. 73 ; Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex,
arrêt, 1932, C.P.J.I. sérieA/B n o 46, p. 156-157 ; Détroit de Corfou (Royaume-Un i c.Albanie), fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 1949, p. 17 ; CEDH, arrêt du 18 janvier 1978, série A n25, p. 79-80.

108Voir l’opinion de Max Huber à l’occasion des discussi ons des membres de la Cour permanente de Justice
internationale sur certaines dispositions du règlement de ladite, dans C.P.J.I. série D n addendum (1926), p. 250 ; voir
dans le même sens et à la même occasion l’opinion de Nyholm et Anzilotti( ibid., p.117 et p.129-130); voir par

ailleurs : Joseph C. Witenberg, «La théorie des preuves devant le s juridictions internationales», Recueil des cours de
l’Académie de droit international (RCADI) , 1932-II, p. 87-88 ; Charles de Visscher, Problèmes d’interprétation
judiciaire en droit international public, Paris, Pedone, 1963, p.31 ; Durward V. Sandifer, Evidence before international
tribunals, revised edition, Charlottesville, University Press of Virginia, 1975, p.189-190; H. W.A. Thirlway, «Evidence
before International Courts and Tribunals», in R. Bernhardt (dir. publ.), Encyclopedia of Public International Law, vol. I,
Amsterdam, 1981, p.59-60; GérardNiyungeko, La preuve devant les juridictions internationales, Bruxelles, Bruylant,

2005, p. 239-319. - 41 -

109
tribunaux arbitraux. Il en a été ainsi notamment dans les affaires Rann of Kutch (Inde/Pakistan) ,

Guinée/Guinée Bissau 110, Guinée Bissau/Sénégal 111, et dans l’affaire de la Laguna del Desierto

112
(Argentine/Chili) . L’analyse de cette pratique internationale a amené à dire que l’

«on peut affirmer sans trop de risque de se tromper que la pratique juridictionnelle
internationale donne aval à l’existence du principe de libre appréciation de la preuve

par le tribunal … [Cette] jurisprudence s’est toujours montrée peu enthousiaste envers
les règles restrictives pour l’admission et l’appréciation des preuves par l’organe
chargé de décider, parmi les moyens de preuve différents, sur la priorité de l’un ou de
113
l’autre d’entre eux.»

20. En règle générale, un moyen de preuve ne peut être écarté que s’il est exclu dans une

convention générale sur laquelle repose la compétence du tribunal ou dans un compromis de saisine

d’une juridiction internationale. Dans la présente espèce, les choses sont on ne peut plus claires.

L’article 6 du compromis du 24 février 2009 dispose :

«Les règles et principes du droit international qui s’appliquent au différend sont
ceux énumérés au paragraphe1 de l’article38 du Statut de la Cour internationale de

Justice, ycompris le principe de l’in tangibilité des frontières héritées de la
colonisation et l’accord du 28 mars 1987.»

21. Comme on peut le constater, Monsieur le président, cette disposition est rédigée en des

termes très ouverts. Le droit applicable au présent litige ne se limite donc pas au principe de

l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. Il ne se limite pas non plus aux

dispositions de l’accord de mars 1987, lequel n’est qu’une des sources particulières que les Parties

ont voulu mettre en évidence, sans qu’elle ait la pr imauté sur d’autres sources, puisque l’article6

précité n’établit aucune hiérarchie entre celles-ci. Le droit applicable en la présente espèce, ce sont

bien les règles et principes de droit international en général, y compris le droit de la preuve devant

la Cour. Dèslors, il n’y a pas lieu qu’en interpré tant un texte qui se rapporte à des négociations

entre les Parties, la Cour se départisse des règles générales applicables devant elle en la matière.

109
Voir l’accord d’arbitrage de 1965 entre l’Inde et le Pakistan; texte publié dInternational Law Materials
(ILM), 1968, p. 6.
110Voir article6 du compromis d’arb itrage de 1983; text e publié dans la Revue générale de droit international

public (RGDIP), 1986, p. 489.
111Voir article 6 du compromis d’arbitrage de 1985 ; texte publié dans la RGDIP, 1990, p. 207-208.

112 Voir articXI du compromis d’arbitrage de 1991 entre l’Argentine et le Chili cité par
Luis Ignacio Sanchez Rodriguez, «L’uti possidetis et les effectivités dans les conttieux territoriaux et frontaliers»,
Recueil de l’Académie de droit international (RCADI), vol. 263, 1997 p. 173-174.

113Luis Ignacio Sanchez Rodriguez, op. cit. - 42 -

22. Mesdames et Messieurs de la Cour, une chose est, pour des Etat s limitrophes, d’arrêter

dans le cadre d’un accord bilatéral le type de do cuments devant servir aux travaux de démarcation

de leur frontière commune. C’est ce que le Niger et le Burkina ont fait en se référant

successivement aux textes de1927, à la carteIG N de1960 et aux documents pertinents acceptés

d’accord parties. Autre chose est, pour un Etat partie à un différend, de produire à la Cour tous les

éléments de preuve au soutien de ses prétentions. C’est ce que le Niger a fait, à bon droit, dans la

présente affaire.

23. C’est donc à tort, Monsieur le président, que le Burkina Faso reproche au Niger ce qu’il

appelle sa «propension à réinventer un tracé front alier sur la base de documents divers dont la

pertinence est écartée par l’accord de 1987» 114. Somme toute, le Burkina Faso reconnaît lui-même

qu’il y a entre les Parties «des désaccords sur la mise en Œuvre des règles applicables» et qu’il en

résulte «des divergences qui sont au cŒur du présent différend en ce qui concerne la délimitation de

115
la frontière» .

24. Mais, même au bénéfice de cette démonstration, la question n’est apparemment pas

complètement réglée, puisque le Burkina Faso écar te en outre les documents portant sur la période

de 1932 à 1947, motif pris qu’à cette période la Ha ute-Volta n’existait plus, et qu’elle a été rétablie

en 1947 dans ses frontières de 1932.

B. Les documents portant sur la période de 1932 à 1947 seraient dépourvus de pertinence

25. Cet argument ne peut prospérer, Mesdames et Messieurs de la Cour. Ce n’est pas parce

que la Haute-Volta n’existait pas pendant cette période que les limites entre les cercles avaient

disparu. Or, pendant la période en question, il y a eu de nombreux documents illustrant la pratique

coloniale de la limite, notamment :

⎯ le procès-verbal Garnier-Lichtenberger du 27avril1935 portant règlement du litige territorial

à Sinibellabé 116 ;

114
CMBF, p. 8, par. 0.13.
115
Ibid., p. 9, par. 0.14.
116MN, annexe C 57. - 43 -

⎯ la lettre du 9mai1935 du commandant de cercle deDori au gouverneur du Niger faisant

référence audit procès-verbal 117;

⎯ la lettre du 10mai1935 du chef de subdivi sion deTéra au commandant de cercle

118
de Tillabéry ;

⎯ la lettre du 9mai1935 du commandant de cercle de Dori, encore que celle-ci ne fait état que

d’un croquis de M.Roser qui datait du 4avril19 32, c’est-à-dire d’une période antérieure à la

disparition de la Haute-Volta 119.

26. Le BurkinaFaso les écarte prestement, comme chaque fois qu’il est gêné par un

document. Ainsi, dans ses plaidoiries de lundi après-midi, le professeurForteau, évoquant un

procès-verbal du 13avril1935 «conclu par l’administrateurGarnier du cercle deDori et

l’adjointd’appuiLichtenberger du cercle deTéra», dans lequel se trouverait l’origine de la borne

de Vibourié, affirme :

«le procès-verbal a été conclu en1935, da te à laquelle la Haute-Volta avait cessé

d’exister. Celle-ci a été recréée en1947 dans ses limites de1932 ⎯ce qui a pu se
passer en1935 est donc une fois de plus dépourvu de tout effet juridique sur le tracé
des limites de la Haute-Volta et du Niger.» 120

Pourtant, dans l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali , le

Burkina avait invoqué lui-même plusieurs documents du même genre, datant de la même période,

et la Chambre de la Cour les avait, à juste titre, pr is en compte dans l’examen de l’affaire. Plus

précisément, tout au long de l’arrêt du 22 décembre 1986, il est question notamment d’une lettre du

19 février 1935, d’un échange de lettr es et d’un arrêté du 27 novembre 1935 121. A aucun moment,

dans le cadre de la procédure en question, le Bu rkina Faso n’a exprimé d’états d’âme quant au fait

que ces documents dataient d’une période durant laquelle la colonie de la Haute-Volta n’existait

plus.

117
MN, annexe C 58.
118
MN, annexe C 59.
119MN, annexe C 67.

120CR 2012/20, p. 23, par. 48.
121
Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J., Recueil 1986, p. 581, par. 52 ; p. 584-5,
par. 60 ; p. 594-5, par. 75 ; p. 601, par. 87 ; p. 602, par. 89 ; p. 603, par. 91 ; p. 605, par. 95 ; p. 607, par. 98 ; p. 626,
par. 135 ; p. 631, par. 144 ; p. 636, par. 135. - 44 -

27. Bien plus, ⎯ et paradoxalement ⎯ le professeur Jean-MarcThouvenin, dans ses

plaidoiries de lundaiprès-midi, exploite abondamment un rapport du 9 avril936 du

médecincapitaineFabry qui, à la vérité, ne dit d’ailleurs pas grand-chose sur le cours de la

frontière dans cette zone, mais raconte seulement quelques scènes de la vie quotidienne en rapport

avec la rivière Sirba, distante de 500mètres environ du village de Bossébangou. Que faut-il

comprendre, Mesdames et Messieurs les juges ? Que certains documents produits entre1932

et1947 seraient recevables, voire pertinents, aux fins de la présente affaire et d’autres pas?

Comment expliquer une telle sélectivité? A l’évidence, l’inconstance et la versatilité ne se

trouvent pas toujours du côté où on les croit.

28. Il est dès lors pour le moins surprenant qu’en ce qui concerne les moyens de preuve et

sans doute plus encore leur utilisation, la Partie adverse ait pu dire, non sans une certaine

outrecuidance je dois dire, que la «stratégie judiciaire» du Niger ne repose sur aucun «principe

juridique» 122; que si le mémoire du Niger fait preuve de constance «c’est dans l’inconstance», en ce

123
qu’il «ne suit aucune méthode claire» , notamment à propos des documents qu’il invoque pour la

détermination du tracé de différents segments de la frontière. A la manière d’un instituteur

sourcilleux, le Burkina Faso corrige sévèrement la copie du Niger. Mais c’est un instituteur dont la

vue baisse manifestement, et qui tient sans doute la copie à l’envers; sinon il se serait rendu

compte, Monsieur le président, que la stratégie judiciaire du Niger est de produire à la Cour tous les

documents qui peuvent l’éclairer dans sa tâche; de les analyser minutieusement afin d’indiquer

ceux qui, à son avis, permettent d’étayer et de compléter utilement les textes de 1927 aux fins de la

détermination, secteur par secteur, du tracé exact de la frontière litigieuse. Il se serait probablement

rendu compte qu’en 1987 déjà, le Burkina Faso et le Niger étaient tous deux conscients que l’arrêté

de 1927, tel que modifié par l’ erratum, et la carteIGN de 1960, pourraient ne pas être suffisants

pour déterminer le tracé de la frontière litigieuse dans tous les secteurs; et que c’est sans doute

pour cela qu’ils avaient inclus une référence aux documents adoptés d’accord parties.

29. Le BurkinaFaso reproche au Niger ⎯dans les termes fort flatteurs dont il est

coutumier ⎯de faire preuve «d’une conception singuliè re, particulièrement laxiste, subjective et

122
CMBF, p. 40, par. 1.47.
123Ibid., p. 47, par. 1.65. - 45 -

incertaine de l’expression «en cas d’insuffisance de l’arrêté et de son erratum» qui figure à

124
l’article 2 tant de l’accord du 28 mars 1987 que de son protocole» .

Le Niger a beau démontrer la pertinence des documents qu’il produit aux fins du règlement

complet du présent litige, rien n’y fait; la Partie adverse reste enfermée dans le contexte des

travaux de la commission mixte, en 1987, alors qu’elle ferait bien d’ouvrir les yeux et de réaliser

que l’on est dans un tout autre contexte ⎯ devant la Cour internationale de Justice, en 2012.

30. Concrètement, il y a lieu d’établir le tracé de la partie de la frontière qui reste contestée

en recourant aux effectivités découlant de l’hist orique et de la composition des cantons, de la

cartographie et de quelques accords résultant de la pratique coloniale reconnaissant explicitement

ou implicitement les points frontaliers notamment dans ce secteur encore litigieux. Le Niger

exposera dans la suite de ses plaidoiries comment cette combinaison de l’ erratum à l’arrêté de

1927, des effectivités et de la pratique frontalière permet, d’après lui, de régler clairement et

définitivement le différend dans cette partie de la frontière. Dès à présent, il me revient de montrer

que, si important qu’il soit aux fins du règlemen t du présent différend frontalie r, l’arrêté de 1927,

modifié par son erratum, n’est qu’un élément de preuve parmi d’autres.

II. L’arrêté de 1927 et son erratum sont un élément de preuve, parmi d’autres,
de la limite-frontière

31. Mesdames et Messieurs les Membres de la Cour, dans la présente affaire, le «legs

colonial» à la date critique est ⎯le Niger l’a montré ⎯imprécis et lacunaire. Bref, il recèle des

«imperfections» qui ne permettent pas de déterminer le tracé exact de la frontière dans tous les

secteurs. Nous avons montré que dans la présente espèce, aucun élément de preuve ne peut être

exclu. En conséquence, aucun élément d’effectiv ité ou de la pratique frontalière produits par le

Niger ne doit être écarté.

32. Je vais dès lors m’employer maintenant à montrer :

⎯ en premier lieu, que l’arrêté de 1927 et son erratum sont un fait au regard du droit international

et, comme tel, ne s’imposent pas à la Cour en tant que règles de droit ; ils constituent, de l’avis

124
CMBF, p. 37-38, par. 1.41 et p. 44, par. 1.57. - 46 -

du Niger, un élément de preuve, important certes, mais un élément de preuve qui ne saurait

exclure tous les autres éléments de preuve ;

⎯ en second lieu , qu’en choisissant de ne pas recourir aux documents historiques ainsi qu’aux

éléments factuels pour étayer son interprétati on de l’arrêté de 1927, tel que modifié par son

erratum, le Burkina Faso s’est abstenu de contribuer pleinement à la manifestation de la vérité

judiciaire dans la présente affaire.

A. L’arrêté de 1927 et son erratum sont un fait et une preuve parmi d’autres éléments de
preuve

33. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, à lire et à écouter le

BurkinaFaso, tout ce qui n’est pas dans l’ erratum à l’arrêté de 1927 n’existe pas. Pourtant cela

existe, et le BurkinaFaso ⎯comme le Niger d’ailleurs ⎯ n’y peut rien; cela existe et doit

concourir à la détermination d’un tracé frontalier précis, suivant une démarche juridique conforme

à la jurisprudence de cette Cour. Les allégations répétées de la Partie adverse au soutien de la thèse

125
d’un titre clair, «se suffi[sant] à lui-même» , ne peuvent effacer les insuffisances du texte de

1927. Ce qui n’était pas précis en 1927 ne peut l’être devenu en 1932 au moment de la dissolution

de la Haute-Volta, ni en 1947 au moment de la reconstitution de cette colonie, ni encore moins en

1960 au moment de l’accession à l’indépendance des Parties à la présente instance.

34. Il est dès lors important de se pencher sur le statut exact de l’arrêté de 1927 et de son

erratum dans la présente espèce. L’arrêt rendu par la Chambre de la Cour, le 22décembre1986,

dans l’affaire du Différend frontalier (BurkinaFaso/République du Mali) a, ici encore, une

importance particulière. Que dit la Chambre au sujet du statut de ces textes de 1927 qui ⎯ je le

rappelle ⎯ étaient déjà en cause dans cette affaire ? Elle est sans la moindre ambiguïté : «l’arrêté

et son erratum n’ont d’autre valeur que celle d’un élément de preuve» ( Différend frontalier

(Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J.Recueil1986 , p.591, par.72). La Chambre dit

cela en conséquence logique de ce qui est, d’apr ès elle, le statut du droit colonial en droit

international, en l’occurrence dans le droit de la délimitation entre deux anciennes colonies d’une

même puissance coloniale. Selon la Chambre de la Cour,

125
CMBF, p. 73, par. 3.23. - 47 -

«le droit international [ne fait] aucun renvoi au droit établi par un Etat colonisateur

non plus qu’à aucune règle juridique étab lie unilatéralement par un Etat quelconque ;
le droit interne français (et plus particulière ment celui que la France a édicté pour ses
colonies ou territoires d’outre-mer) peut interv enir, non en tant que tel (comme s’il y

avait un continuum juris, un relais juridique entre ce droit et le droit international),
mais seulement comme un élément de fait, parmi d’autres, comme moyen de preuve et
de démonstration de ce qu’on a appelé le «l egs colonial», c’est-à-dire l’«instantané

territorial» à la date critique» (ibid., p. 568, par. 30).

35. Tel est le statut que la jurisprudence désormais bien établie de cette Cour donne aux actes

du droit colonial en rapport avec le droit international: «un élément de fait», Mesdames et

Messieurs de la Cour ; un simple élément de fait, ai-j e envie de dire. En cela, la Cour reste dans la

continuité de la jurisprudence de sa devancière, la Cour permanente de Justice internationale, qui

déclarait, dans l’affaire de Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise : «Au regard du

droit international et de la Cour qui en est l’organe, les lois nationales sont de simples faits,

manifestement de la volonté et de l’activité des Etats, au même titre que les décisions judiciaires ou

les mesures administratives.» (Fond, arrêt n o7, 1926, C.P.J.I. série A n 7, p. 19.) Un élément de

fait donc, mais, soulignons-le également, «un élémen t de fait parmi d’autres». L’arrêté de 1927 et

son erratum ne valent donc en eux-mêmes que comme «p reuve de la limite qui avait «valeur de

fait» à l’époque», comme l’a dit la Ch ambre de la Cour dans l’affaire Burkina Faso/République du

Mali précitée. Si cet acte de droit interne est affecté par une erreur de fait, comme c’est le cas en

l’espèce pour l’erratum dans le secteur de Bossébangou, il n’a pas sa place, en tant qu’élément de

fait, dans le dossier de la présente affaire. M on collègue, le professeur Klein, y reviendra de façon

détaillée dans sa plaidoirie de cet après-midi.

B. Le choix du Burkina Faso de se dispenser du fait

36. Comme la Cour a sans doute pu le constater, le contre-mémoire du Burkina Faso est pour

l’essentiel basé sur les documents fournis par le Niger. Il n’est donc pas étonnant que nos

adversaires dans la présente affaire expriment leur «embarras face au mémoire nigérien», et qu’ils

ne puissent donner, de leur propre aveu, que des «réponses sommaires» 126. Ce n’est pas, comme ils

le prétendent avec leur extrême courtoisie hab ituelle, parce que les écritures du Niger reposeraient

126CMBF, p. 1, par. 0.2. - 48 -

sur «une suite d’affirmations et d’approximations» dépourvues «de fondements juridiques et de

127
cohérence dans l’argumentation» .

37. L’embarras de la Partie adverse au deme urant manifeste dans son contre-mémoire, c’est

qu’en critiquant les nombreux documents fourni s par le Niger, notamment pour étayer les

conclusions tirées de l’accordDelbos/Prudon de 1927 jusqu’en 1960, elle concède de manière

sibylline ⎯ c’est dit entre parenthèses ⎯ que les divers «exemples» donnés par le Niger à l’appui

de sa thèse sont «sans doute [les] fruits de recherches poussées par la Partie nigérienne» 128.

38. Même convaincu de la perfection du titre que constituent l’arrêté de 1927 et son erratum,

le BurkinaFaso aurait pu, Monsieur le président , choisir la deuxième hypothèse envisagée par la

Chambre de la Cour dans l’affaire Burkina Faso/République du Mali, dans la relation

titre/effectivité. Il s’agit de celle où les effec tivités confirment le titre. Mais non, Mesdames et

Messieurs les juges, la Partie adverse s’agrippe à son titre granitique et n’apporte pas le moindre

élément d’effectivité ou de la pratique frontalière pour conforter ses positions.

39. Evidemment, je ne peux croire que c’est pa r légèreté que le Burkina Faso a choisi, à cet

égard, une démarche opposée aussi radicalement à celle du Niger en renonçant à interroger les

archives. Ce ne peut être que le choix raisonné d’une stratégie judiciaire qui attend de la Cour

qu’elle règle cette affaire d’une phrase, d’une seule phrase, confirmant un tracé qui, à ses yeux, est

d’une parfaite précision.

40. Mais en choisissant cette posture, en se me ttant en congé de la recherche documentaire,

la Partie adverse s’est enfermée dans ses certit udes au sujet des textes de 1927, si éblouissants de

clarté que l’on n’y voit pas toujours clair. Ce fai sant, elle s’est abstenue d’apporter à la Cour les

éléments qui auraient pu l’aider à l’établissement de la vérité judiciaire. Le Niger ne peut que le

regretter. Il se trouve simplement que la Cour ne s’interdit pas d’exercer sa fonction de juger et de

répondre à la demande de trancher tels points liti gieux d’une frontière même déjà délimitée,

seulement parce qu’une des Parties estime qu’il n’y a pas matière à litige.

41. La Cour l’a fait, même dans une affa ire où la frontière était déterminée par des

instruments juridiques internationaux non contest és par les Parties, avec un examen minutieux de

127
CMBF, p. 1, par. 0.2.
128CMBF, p. 30, par. 1.27. - 49 -

l’ensemble du matériau disponible, et au besoin en procédant à des vérifications par ses propres

moyens. C’est ce que je vais montrer maintenant, dans cette dernière partie de mes plaidoiries.

III. La Cour accepte de préciser le tracé d’une frontière déjà délimitée

42. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le Burkina Faso rappelle dans

son mémoire que la «primauté du titre» sur les e ffectivités et la pratique frontalière «a été
129
confirmée de manière éclatante dans l’affaire Cameroun c.Nigéria» . Le BurkinaFaso garde

cependant le silence sur le fait que dans cette affaire, la Cour a aussi interprété le titre juridique à la

lumière de divers documents produits par les Partie s, et des réalités du terrain. Elle a accepté de

préciser plusieurs segments d’une frontière par ailleurs déjà déterminée par un instrument juridique

dont aucune des deux Parties au différend ne contestait la validité . Que la Cour daigne me

permettre de citer intégralement le passage per tinent de l’arrêt du 10octobre2002 dans ladite

affaire :

«La tâche dont le Cameroun a saisi la Cour aux termes de sa requête est de
«préciser définitivement» (les italiques sont de la Cour) le tracé de la frontière terrestre
tel qu’il a été fixé dans les instruments de délimitation pertinents. La frontière

terrestre ayant été délimitée par différents instruments juridiques, il échet certes, aux
fins de préciser définitivement son tracé, de confirmer que ces instruments lient les
Parties et sont applicables. Toutefois, contrairement à ce que le Cameroun laisse

entendre à certains stades de la procédure, la Cour ne saurait remplir la mission qui lui
a été confiée en l’espèce en s’en tenant à une telle confirmation. En effet, dès lors que
le contenu même de ces instruments fait l’objet d’un différend entre les Parties, la
Cour, pour préciser définitivement le tr acé de la frontière en question, doit

nécessairement se pencher plus avant sur ceux-ci. Le différend qui oppose le
Cameroun et le Nigeria sur certains points de la frontière terrestre entre le lac Tchad et
Bakassi ne consiste en réalité en rien d’au tre qu’en un différend sur l’interprétation ou

l’application de tel ou tel passage des instruments de délimitation de cette frontière.
C’est à ce différend que la Cour s’attachera maintenant.» (Frontière terrestre et
maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c.Nigéria; Guinée équatoriale

(intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 359-360, par. 85.)

43. La Cour procède ensuite à un certain nombre de constatations dans cet exercice

d’interprétation aux fins de préci ser la frontière. Je ne citera i que deux exemples parmi les plus

éloquents 13.

129
MBF, p. 61, par. 2.18.
130Voir aussi les développements de l’arrêt de la Cour le tracé de la frontière dans le secteur de la Keraua,
Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria; Guinée équatoriale (intervenant)),
arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 363 et 364, par. 93 et 94 ; et dans le secteur de Ngosi à Humsiki (ibid., p. 365, par. 95 et 96). - 50 -

44. Premier exemple . Sur la frontière dans le secteu r de la rivièreKohom, le Nigéria

prétendait que le paragraphe17 de la déclarationThomson-Marchand de 1931 ⎯qui était le titre

juridique dans cette affaire-là ⎯ était «défectueux». La Cour en a convenu et a déclaré que sa

tâche «est donc de déterminer le tracé que les ré dacteurs ont entendu donner à la frontière dans

cette région en la faisant passer par une rivière dénommée «Kohom»» (ibid., p. 366, par. 100).

La suite du raisonnement de la Cour est fort in téressante pour la présente affaire, car la Cour

explique sa démarche. Elle affirme :

«101. Afin de localiser le cours du Kohom, la Cour s’est tout d’abord penchée
sur le texte de la déclaration Thompson-Marchand. La lecture de celle-ci ne s’est pas

révélée déterminante. La Cour a, partant, dû avoir recours à d’autres moyens
d’interprétation. Elle a ainsi étudié attentivement le croquis, établi en mars 1926 par
des fonctionnaires français et britannique, qui a servi de base à la rédaction des
paragraphes18 et19 de la déclarationThompson-Marchand. » ( Ibid., p.366-367,

par. 101.) (Les italiques sont de nous.)

45. C’est précisément une telle démarche que le Niger prie la Cour d’adopter dans la

présente espèce, par identité des motifs.

46. Deuxième exemple. Sur la frontière dans le secteur de Jimbare et Sapeo, le Nigéria

relevait tout d’abord que le texte de la déclar ationThomson-Marchand est, «à bien des égards,

défectueux» en ce qui concerne le tracé de la partie de la frontière terrestre décrit aux

paragraphes35 et38 de ladite déclaration, et prop osait de le clarifier. Selon lui, «l’intention des

Gouvernements français et britannique était depuis 1920 ⎯ c’est-à-dire 11 ans avant l’adoption de

la déclaratioThomson-Marchand ⎯d’attribuer Jimbare à la France et Sapeo à la

Grande-Bretagne».

Le Nigéria rappelait à cet effet que,

«le 12novembre1920, à la suite d’une missi on de délimitation sur le terrain, une
proposition conjointe allant dans ce sen s avait été signée par W.D.K.Mair,

responsable de district britannique, et le capitaine LouisPition, représentant de
l’administration française (dénommée la «proposition conjointe Mair-Pition»)».

Cette même proposition aurait été ensuite reprise dans un document signé le 16octobre1930,

connu sous le nom de «procès-verbal Logan-Le Brun» . Ce document, établi après la rédaction de

la déclaration Thomson-Marchand, mais avant sa signature, «aurait eu pour but de remédier sur le - 51 -

terrain aux difficultés posées par le texte de cette de rnière et aurait depuis lors été respecté par les

deux Parties» (ibid., p. 382, par. 141).

Le Nigéria affirmait par ailleurs qu’une partie des propositions faites dans ledit procès-verbal

avaient été introduites dans la carte de1931 jointe à la déclaration . Pour lui, «c’est dès lors la

carte, et non le texte de la déclaration, qui devrait être pris en compte, dans la mesure où ce dernier

«ne concorde pas avec l’abondante pratique observ ée sur le terrain depuis troisquarts desiècle»

(ibid., p. 381-382, par. 141).

47. Pour le Cameroun, en revanche, il convenait «de s’en tenir au texte de la

déclaration Thompson-Marchand» (ibid., p. 382, par. 142).

48. Ecoutons, Mesdames et Messieurs de la C our, la réponse de la Cour telle qu’elle se

dégage des paragraphes143, 144 et145 de son arrêt du 10octobre2002 ( ibid., p.382-383) . Au

paragraphe 143, la Cour déclare :

«La Cour constate que l’interprétation des paragraphes 35 à 38 de la déclaration
Thompson-Marchand soulève des difficultés, en ce que la description de la frontière

qu’ils contiennent semble, d’une part, comporter une série d’erreurs matérielles et,
d’autre part, dans certains passages, être en contradiction avec la représentation faite
de cette frontière sur la carte de 1931 annexée à la déclaration.» (Les italiques sont de
nous.)

49. Au paragraphe 144, elle explique :

«La Cour se penchera d’abord sur la région deSapeo. Après avoir étudié

attentivement les cartes fournies par les Parties et le procès-verbal Logan-Le Brun, la
Cour constate que, comme le Nigéria le soutient, c’est bien la ligne frontière décrite
dans ce procès-verbal, et non celle décrite dans la déclaration Thompson-Marchand,
qui a été reprise sur la carte de 1931 jointe à la déclaration. La Cour note par ailleurs

que dans la pratique Sapeo a toujours été considéré comme se trouvant en territoire
nigérian.» (Les italiques sont de nous.)

50. Au paragraphe 145 enfin, elle poursuit et conclut :

«Se penchant ensuite sur la situation deJimbare, la Cour note que,
contrairement à ce qui s’est passé pour Sapeo, la révision de la frontière contenue

dans le procès-verbal Logan-Le Brun n’a pas été transposé sur la carte de 1931 jointe
à la déclaration Thompson-Marchand, pour ce qui concerne la région de Jimbare. Le
tracé de la frontière sur la carte est celui décrit dans la déclaration. La Cour estime
néanmoins que c’est également le tracé d écrit dans le procès-verbal Logan-LeBrun

qui doit ici prévaloir. Comme la Cour vient de le déterminer, le tracé Logan-Le Brun
correspond en effet à l’intention des rédacteu rs de la déclaration dans l’ensemble de
cette région.» (Les italiques sont de nous.) - 52 -

51. Comme vous pouvez le constater, Mesdames et Messieurs les juges, la limpidité de la

démarche de la Cour dans cette affaire Cameroun c. Nigéria balaie le moindre doute, s’il en

subsistait encore, sur le fait que votre Cour précise et rectifie le tracé d’une frontière déjà définie

par un instrument juridique non contesté par les par ties, en tant que titre juridique aux fins de la

détermination du tracé de la frontière. Bien plus , l’arrêt du 10octobre200 2 montre que la Cour

interprète le titre à la lumière des données physiques ou géographiques, des accords locaux conclus

à la suite des missions de terrain, mais aussi des cartes et de la pratique frontalière; la Cour

identifie les erreurs matérielles dans le titre et lescorrige afin d’obtenir le tracé le plus conforme

possible à l’intention des auteurs du titre juridique.

52. Le Niger prie respectueusement la Cour de procéder de la même manière dans la

présente affaire. En faisant cela, la Cour rester a simplement fidèle à sa propre jurisprudence, dont

rien ne justifie qu’elle s’en écarte dans la présente espèce. En faisant cela, la Cour s’acquittera

complètement de sa mission de régler le différend qui lui a été soumis d’une manière qui ne laisse

point la place à des zones d’ombre et, ce faisant, d’éliminer les difficultés d’application de sa

décision.

53. Monsieur le président, Mesdames et Messieu rs de la Cour, j’ai bien conscience d’avoir

mis votre attention à rude épreuve. J’espère que ce ne fut pas un calvaire. J’implore par avance

votre indulgence et vous remercie bien vivement de votre patience. Monsieurle président, ceci

marque la fin de mes plaidoiries. Vous voudrez bien donner la parole au professeur Jean Salmon

afin qu’il expose les arguments du Niger relatifs au secteur frontalier de Téra.

Je vous remercie une fois de plus de votre bienveillante attention.

Le PRESIDENT: Merci, Monsieur le professeur. Je passe la parole au professeur Salmon

afin qu’il commence la plaidoirie sur la limite da ns le secteur de Téra. Vous avez la parole,

Monsieur. - 53 -

M. SALMON :

L A LIMITE DANS LE SECTEUR DE T ÉRA

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est à un cheminement le long

de la limite que vont maintenant vous convier les conseils du Niger. Je vous présenterai la situation

dans le secteur de Téra, mon collègue Pierre Klein celle relative au secteur de Say.

2. Etant entendu que dans le secteur deTéra , les théories du BurkinaFaso de droites

artificielles et claires se sont révélées sans f ondement, nous nous trouvons dans une situation où il

faut rechercher quelle était la limite ouest du cercle deTillabéry entre deuxpoints distant de

150kilomètres: Tong-Tong et le point d’aboutissem ent de la limite lorsqu’elle rejoint le cercle

de Say.

3. L’élément de base qu’il ne faut jamais oublie r est le décret du président de la République

du 28 décembre 1926 qui fait revenir la zone de Té ra (limite sud du cercle de Tillabéry) à celle de

ses cantons tels qu’ils existaient lorsqu’ils étaien t nigériens entre1899 et1910. De cette région

⎯dont le professeurTankoano a retracé l’origine ⎯ on possède quelques croquis. [Projection

CMN, fig. 1, p. 22, ou croquis C 37.] Le premier est un croquis qui rassemble les cantons de la

131
subdivision deTéra au sein du cercle deDori . On y discerne, en jaune, la limiteouest qui va

nous devenir familière. [Projection du croquis Boutiq , CMN, fig. 2, face à la p. 28.] Le deuxième

132
croquis est celui du capitaine Boutiq de 1909 qui montre uniquement le segment où cette limite

rejoint le cercle de Say à la pointe nord du saillant . Le troisième est celui du capitaineCoquibus,

133
dont on possède des indications indirectes par le croquisDelbos du 17décembre1927 .

[Projection du croquisDelbos du 17décembre1927.] Sur ce croquis, on discerne à nouveau la

même limite d’allure incurvée, en rouge. [Fin de la projection.]

Les textes de 1927 ne nous éclairent pas beaucoup. Sur ce parcours, l’arrêté du 31 août 1927

retenait les points suivants: Tong-Tong, un croisement sur la piste automobile de Téra à Dori, et

enfin la limite du cercle de Say aux environs et au Sud de Boulkalo [projection de la carte

131
MN, annexe C 37.
132
MN, annexe D 1.
13MN, annexe C 20. - 54 -

«nouvelle frontière»]. L’ erratum n’est pas plus disert. Pour l’ illustrer, on utilisera la carte

134
«nouvelle frontière» au 1/1000000 qui fut transmise, on l’a vu, à tous les intéressés le

6octobre1927. Trois points aussi: la borne astronomique de Tong-Tong(1), la borne

astronomique de Tao (2) et le point d’arrivée à la limite du cercle de Say (3) sur le saillant.

La carte «nouvelle frontière» montre bien la même allure générale incurvée de la ligne et a le

mérite de donner une représentation exacte de son a rrivée à la limite du cercle de Say à la pointe

nord du saillant ; mais étant donné cette échelle, très peu de détails topographiques apparaissent sur

cette carte.

4. Comme on l’a déjà longuement souligné , cela fait peu d’indices pour donner un sens à un

texte lacunaire sur quelque 150kilomètres de parc ours. Comme on l’a montré plus tôt, deux

méthodes se combinent pour identifier plus précisément la limite.

La première consiste à s’appuyer sur les trav aux des administrateurs qui, tout au long de la

période coloniale, ont eu à résoudre les problèmes concrets qui se posaient à propos des limites de

leur cercle, et la seconde qui nous appelle à suivre la ligne IGN de 1960.

Pour ce qui concerne les administrateurs, ils enregistraient les limites traditionnelles, en

conservant en quelque sorte une limite de fait, qu’ils avaient pratiquée depuis des années.

L’inexactitude et l’imprécision de l’erratum , son absence de clarté, son caractère lacunaire

conduisirent les administrateurs de part et d’autre de la limite, agissant de concert ⎯ j’y insiste ⎯,

à y suppléer en maintenant la limite traditionnelle des cantons de leurs cercles ou subdivisions

respectifs.

Un document fourni par la Partie adverse est très illustratif du rôle reconnu par les autorités

deDakar à ces administrateurs. Le 7juin1938, la direction des affaires politiques et

administratives de l’AOF s’adressant au chef du cabinet militaire (c’est-à-dire le service

géographique) lui demandait un croquis comportant la division en cantons de divers cercles, dont

135
celui de Say et celui de Tillabéry . La réponse du cabinet militaire est éclairante :

«La révision de l’atlas des cercles est actuellement en cours d’exécution, mais il
s’agit là d’un travail de très longue hale ine qui demandera la participation des

134MN, annexe D 13.

135Note n° 521/CM2 du service géographique en date du 25 juin 1938, au sujet des croquis demandés
par le capitaine Urvoy (CMBF, annexe n o5). - 55 -

autorités administratives locales, qui seules act uellement sont en mesure de définir,

tout au moins d’une manière approximative, les limites des cantons. Ces limites n’ont
en effet, dans la plupart des cas, jamais été définies par des textes et résultent d’un état
de fait.»136

C’était reconnaître officiellement ⎯ par les autorités générales de l’AOF ⎯ la légitimité du

rôle subsidiaire des administrateurs pour interpré ter et donc préciser sur le terrain les textes

lacunaires. Ce faisant, les administrateurs ne modifient pas le texte comme le prétend le

Burkina Faso 137, ce qui aurait nécessité un nouvel acte officiel, mais ils l’interprètent, comblant

ainsi les lacunes dans le respect du décret du président de la République de1926 qui était à

l’origine de la limite.

5. La seconde méthode consiste à utiliser la carte IGN. Celle-ci, on s’en souviendra était

déjà évoquée dans le cadre des travaux de la commission mixte et du traité du 28mars1987. Ce

dernier disait qu’«[e]n cas d’insu ffisance de l’arrêté et de son erratum, le tracé sera celui figurant

138
sur la carte à 1/200 000 de l’Institut géographique national de France, édition 1960» . C’était en

quelque sorte lui accorder un statut de titre subsidiaire.

Il ne faut pas oublier que le soin mis à cette époque à l’élaborer ne s’était pas limité aux

aspects purement cartographiques ; la carte indique avec précision les limites coloniales telles que

ses auteurs purent les constater sur place lors des opérations de complètement sur la base des

renseignements obtenus auprès des autorités locales. De plus, comme les données de la carte IGN

sont celles les plus proches de la date critique de l’ uti possidetis juris, et la carte ayant été

confectionnée au 1/200000, il a semblé au Niger qu’il était légitime de prendre pour base cette

source subsidiaire, en particulier dans ce secteur.

On aboutit à la même conclusion en prenan t pour guide non pas les règles qui étaient

applicables pour la commission mixte, mais en adopt ant les règles générales du droit international,

ainsi que la Chambre de la Cour les a décrites dans l’affaire Burkina Faso/République du Mali :

«la Chambre ne saurait retenir les indicati ons fournies par la carte quand elles sont
contredites par d’autres indications dignes de foi sur les intentions de la puissance

coloniale. Cependant, en tenant compte de la date à laquelle les levés ont été effectués
et de la neutralité de la so urce, la Chambre considère que , si toutes les autres preuves

136 o
CMBF, annexe n 6.
137
Voir, par exemple, CMBF, par. 1.34 et 1.39.
138MN, annexe A.4. - 56 -

font défaut ou ne suffisent pas pour faire apparaître un tracé précis, la valeur probante
de la carte de l’IGN de vient déterminante.» ( Différend frontalier (Burkina

Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 586, par. 62; les italiques sont
de nous.)

En conséquence, comme le Niger l’a écrit dans son mémoire :

«sauf à découvrir ⎯je parle ici pour ce secteur ⎯des déviations anormales par
rapport aux textes, des failles évidentes dans l’information sur les limites des cantons,

et sous réserve de l’attention qu’il convient d’apporter aux hésitations des auteurs de
la carte lorsqu’ils ont eu recours à des cr oisillons discontinus, ces résultats devraient
en principe servir de guide pour détermin er le cours de la limite intercoloniale
139
en 1960» .

6. Le Niger a scrupuleusement suivi cette politique en ne s’écartant de la ligne IGN que pour

des motifs dont on verra pour chacun, dans les déve loppements qui suivent, qu’ils sont fondés en

droit :

⎯ à Vibourié, du fait de l’existence d’une borne co loniale dont les auteurs de la carte n’avaient

pas eu connaissance ;

⎯ à Petelkolé, du fait d’un accord postérieur à l’indé pendance relatif à des travaux routiers et à

l’établissement d’un poste frontière commun ;

⎯ à Oussaltan, du fait de renseignements datant de la période coloniale non contredits d’ailleurs

par la carte qui fait apparaître à cet endroit de prudents croisillons discontinus ;

⎯ et, enfin, au point d’arrivée de la limite à celle du cercle de Say pour un ensemble de raisons

qui seront exposées par le professeur Klein.

Alors, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, comme vous avez été très

sages, vous aurez droit à la suite de ce conte durant l’après-midi.

Le PRESIDENT: Merci, Monsieur le professeur. La Cour se réunira de nouveau cet

après-midi à 15 heures. L’audience est levée.

L’audience est levée à 13 heures.

___________

139
MN, p. 91, par. 6.16.

Document Long Title

Public sitting held on Friday 12 October 2012, at 10 a.m., at the Peace Palace, President Tomka presiding, in the case concerning the Frontier Dispute (Burkina Faso/Niger)

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