Public sitting held on Monday 6 March 2006, at 3 p.m., at the Peace Palace, President Higgins presiding

Document Number
091-20060306-ORA-02-00-BI
Document Type
Number (Press Release, Order, etc)
2006/10
Date of the Document
Bilingual Document File
Bilingual Content

CR 2006/10

International Court Cour internationale
of Justice de Justice

THHEAGUE LAAYE

YEAR 2006

Public sitting

held on Monday 6 March 2006, at 3 p.m., at the Peace Palace,

President Higgins presiding,

in the case concerning the Application of the Convention on the Prevention and Punishment

of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Serbia and Montenegro)

________________

VERBATIM RECORD
________________

ANNÉE 2006

Audience publique

tenue le lundi 6 mars 2006, à 15 heures, au Palais de la Paix,

sous la présidence de Mme Higgins, président,

en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro)

____________________

COMPTE RENDU

____________________ - 2 -

Present: Presieitgins
Vice-Presi-Kntasawneh

Ranjevaudges
Shi
Koroma
Parra-Aranguren

Owada
Simma
Tomka
Abraham

Keith
Sepúlveda
Bennouna
Skotnikov

Judges ad hoc AhmedMahiou
Kre Milenko ća

Couvrisrar

⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 3 -

Présents : Mme Higgins,président
AlKh.vsce-prh,ident

RaMjev.
Shi
Koroma
Parra-Aranguren

Owada
Simma
Tomka
Abraham

Keith
Sepúlveda
Bennouna
Sjoteiskov,

MM. Ahmed Mahiou,
KMrilenko ća, juges ad hoc

Cgoefferr,

⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 4 -

The Government of Bosnia and Herzegovina is represented by:

Mr. Sakib Softić,

as Agent;

Mr. Phon van den Biesen, Attorney at Law, Amsterdam,

as Deputy Agent;

Mr.Alain Pellet, Professor at the University of ParisX-Nanterre, Member and former Chairman of

the International Law Commission of the United Nations,

Mr. Thomas M. Franck, Professor of Law Emeritus, New York University School of Law,

Ms Brigitte Stern, Professor at the University of Paris I,

Mr. Luigi Condorelli, Professor at the Facultyof Law of the University of Florence,

Ms Magda Karagiannakis, B.Ec, LL.B, LL.M.,Barrister at Law, Melbourne, Australia,

Ms Joanna Korner, Q.C.,Barrister at Law, London,

Ms Laura Dauban, LL.B (Hons),

as Counsel and Advocates;

Mr. Morten Torkildsen, BSc, MSc, Tork ildsen Granskin og Rådgivning, Norway,

as Expert Counsel and Advocate;

H.E. Mr. Fuad Šabeta, Ambassadorof Bosnia and Herzegovina to the Kingdom of the Netherlands,

Mr. Wim Muller, LL.M, M.A.,

Mr. Mauro Barelli, LL.M (University of Bristol),

Mr. Ermin Sarajlija, LL.M,

Mr. Amir Bajrić, LL.M,

Ms Amra Mehmedić, LL.M,

Mr. Antoine Ollivier, Temporary Lecturer and Research Assistant, University of Paris X-Nanterre, - 5 -

Le Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine est représenté par :

M. Sakib Softić,

coagment;

M. Phon van den Biesen, avocat, Amsterdam,

comme agent adjoint;

M. Alain Pellet, professeur à l’Université de ParisX-Nanterre, membre et ancien président de la
Commission du droit international des Nations Unies,

M. Thomas M. Franck, professeur émérite à lafaculté de droit de l’Université de New York,

Mme Brigitte Stern, professeur à l’Université de Paris I,

M. Luigi Condorelli, professeur à la fact de droit de l’Université de Florence,

Mme Magda Karagiannakis, B.Ec., LL.B., LL.M.,Barrister at Law, Melbourne (Australie),

Mme Joanna Korner, Q.C.,Barrister at Law, Londres,

Mme Laura Dauban, LL.B. (Hons),

comme conseils et avocats;

M. Morten Torkildsen, BSc., MSc., Tork ildsen Granskin og Rådgivning, Norvège,

comme conseil-expert et avocat;

S. Exc. M. Fuad Šabeta, ambassadeur de Bosn ie-Herzégovine auprès duRoyaume des Pays-Bas,

M. Wim Muller, LL.M., M.A.,

M. Mauro Barelli, LL.M. (Université de Bristol),

M. Ermin Sarajlija, LL.M.,

M. Amir Bajrić, LL.M.,

Mme Amra Mehmedić, LL.M.,

M. Antoine Ollivier, attaché temporaire d’ense ignement et de recher che à l’Université de

Paris X-Nanterre, - 6 -

Ms Isabelle Moulier, Research Student in International Law, University of Paris I,

Mr. Paolo Palchetti, Associate Professor at the University of Macerata (Italy),

as Counsel.

The Government of Serbia and Montenegro is represented by:

Mr. Radoslav Stojanović, S.J.D., Head of the Law Council of the Ministry of Foreign Affairs of
Serbia and Montenegro, Professor at the Belgrade University School of Law,

as Agent;

Mr. Saša Obradović, First Counsellor of the Embassy of Serbia and Montenegro in the Kingdom of
the Netherlands,

Mr. Vladimir Cvetković, Second Secretary of the Embassy of Serbia and Montenegro in the
Kingdom of the Netherlands,

as Co-Agents;

Mr.Tibor Varady, S.J.D. (Harvard), Professor of Law at the Central European University,
Budapest and Emory University, Atlanta,

Mr. Ian Brownlie, C.B.E., Q.C., F.B.A., Member of the International Law Commission, member of
the English Bar, Distinguished Fellow of the All Souls College, Oxford,

Mr. Xavier de Roux, Master in law, avocat à la cour, Paris,

Ms Nataša Fauveau-Ivanović, avocat à la cour, Paris and member of the Council of the
International Criminal Bar,

Mr. Andreas Zimmermann, LL.M. (Harvard), Professor of Law at the University of Kiel, Director
of the Walther-Schücking Institute,

Mr. Vladimir Djerić, LL.M. (Michigan), Attorney at Law, Mikijelj, Jankovi ć & Bogdanovi ć,

Belgrade, and President of the International Law Association of Serbia and Montenegro,

Mr. Igor Olujić, Attorney at Law, Belgrade,

as Counsel and Advocates;

Ms Sanja Djajić, S.J.D., Associate Professor at the Novi Sad University School of Law,

Ms Ivana Mroz, LL.M. (Minneapolis),

Mr. Svetislav Rabrenović, Expert-associate at the Office of th e Prosecutor for War Crimes of the
Republic of Serbia, - 7 -

Mme Isabelle Moulier, doctorante en droit international à l’Université de Paris I,

M. Paolo Palchetti, professeur associé à l’Université de Macerata (Italie),

cocomnseils.

Le Gouvernement de la Serbie-et-Monténégro est représenté par :
M. Radoslav Stojanović, S.J.D., chef du conseil juridique du ministère des affaires étrangères de la
Serbie-et-Monténégro, professeur à la faculté de droit de l’Université de Belgrade,

coagment;

M. Saša Obradovi ć, premier conseiller à l’ambassade de Serbie-et-Monténégro au Royaume des

Pays-Bas,

M. Vladimir Cvetković, deuxième secrétaire à l’ambassade de Serbie-et-Monténégro au Royaume
des Pays-Bas,

comme coagents;

M. Tibor Varady, S.J.D. (Harvard), professeur de droit à l’Université d’Europe centrale de

Budapest et à l’Université Emory d’Atlanta,

M. Ian Brownlie, C.B.E., Q.C., F.B.A., membre de la Commission du droit international, membre
du barreau d’Angleterre, Distinguished Fellow au All Souls College, Oxford,

M. Xavier de Roux, maîtrise de droit, avocat à la cour, Paris,

Mme Nataša Fauveau-Ivanovi ć, avocat à la cour, Paris, et membre du conseil du barreau pénal
international,

M. Andreas Zimmermann, LL.M. (Harvard), professeur de droit à l’Université de Kiel, directeur de

l’Institut Walther-Schücking,

M. Vladimir Djeri ć, LL.M. (Michigan), avocat, cabinet Mikijelj, Jankovi ć & Bogdanovi ć,
Belgrade, et président de l’association de droit international de la Serbie-et-Monténégro,

M. Igor Olujić, avocat, Belgrade,

comme conseils et avocats;

Mme Sanja Djajić, S.J.D, professeur associé à la faculté de droit de l’Université de Novi Sad,

Mme Ivana Mroz, LL.M. (Minneapolis),

M. Svetislav Rabrenovi ć, expert-associé au bureau du procureur pour les crimes de guerre de la
République de Serbie, - 8 -

Mr. Aleksandar Djurdjić, LL.M., First Secretary at the Ministry of Foreign Affairs of Serbia and
Montenegro,

Mr. Miloš Jastrebić, Second Secretary at the Ministry of Foreign Affairs of Serbia and Montenegro,

Mr. Christian J. Tams, LL.M. PhD. (Cambridge), Walther-Schücking Institute, University of Kiel,

Ms Dina Dobrkovic, LL.B.,

as Assistants. - 9 -

M. Aleksandar Djurdji ć, LL.M., premier secrétaire au ministère des affaires étrangères de la
Serbie-et-Monténégro,

M. Miloš Jastrebi ć, deuxième secrétaire au ministère des affaires étrangères de la
Serbie-et-Monténégro,

M. Christian J. Tams, LL.M., PhD. (Cambridge), Institut Walther-Schücking, Université de Kiel,

Mme Dina Dobrkovic, LL.B.,

comme assistants. - 10 -

The PRESIDENT: Please be seated. Professor Condorelli.

M. CONDORELLI :

L EG ÉNOCIDE EST ATTRIBUABLE AU DÉFENDEUR ⎯ CONCLUSIONS JURIDIQUES (SUITE )
(DEUXIÈME PARTIE )

3. La Republika Srpska et la VRS : l’attribution de leurs
comportements au défendeur

La création de la Republika Srpska en tant que «part of the RFY»

1. Madame le président, Messieurs les juges, j’ai présenté ce matin à la Cour diverses

considérations relatives, d’une part, à un ensembled’activités attribuables à l’Etat yougoslave et

concernant tant la préparation du génocide que la mise en place des instruments par lesquels il

serait réalisé et, d’autre part, la participation active d’organes de jure de cet Etat dans la

perpétration effective du génocide. Il ne fait pade doute cependant que, à partir de la mise sur

pied de la Republika Srpska (d’abord sous le nom de République serbe de Bosnie-Herzégovine) et

la formation de l’armée serbo-bosniaque (VRS), c’est à l’action de ces deux entités, secondées par

des milices paramilitaires serbes, que va être due lréalisation de la grande majorité des crimes

dont l’ensemble forme le génocide. La thèse avan cée par le défendeur à cet égard devant votre

Cour est simple, sinon simpliste. Elle s’articule en deux volets.

2. Premier volet : les crimes allégués par la Bosnie-Herzégovine, soit ne se sont pas produits,

soit il n’a pas été prouvé qu’ils se sont produitdans la mesure prétendue et avec les modalités

indiquées, soit ils n’avaient pas les caractéristiques nécessaires ⎯ d’après la convention de 1948 ⎯

pour être qualifiés de génocide. Je ne vais pas bien entendu rouvrir ce dossier, après les

démonstrations approfondies qui ont été fournies à la Cour par écrit, puis oralement pendant la

semaine dernière et ce matin.

3. C’est le deuxième volet qu’il faut discuter maintenant : il consiste dans la négation par le

défendeur, non pas des actes criminels, mais de le ur attribution à la République fédérale de

Yougoslavie. A partir du moment où la Bosnie -Herzégovine est devenue indépendante et la JNA

s’est officiellement retirée du territoire bosniaque, les crimes qui y ont été commis ne sauraient

engager d’aucune façon la RFY, s’agissant de comportements prétendument non attribuables à cet - 11 -

Etat. Il s’est agi, en effet, allègue-t-on, soit d’actes de particuliers, soit de faits à imputer à des

entités (la Republika Srpska et son armée) qui n’étai ent pas des organes de la RFY, ni n’agissaient

en fait pour son compte.

4. Evidemment, le défendeur fait grand cas, à ce sujet, de l’arrêt Tadić du Tribunal pénal

international pour l’ex-Yougoslavie du 7mai1997, da ns lequel la Chambre de première instance

avait majoritairement (avec l’opinion dissidente de son président) affirmé que

«sur la base des éléments de preuve qui lui ont été présentés, … après le 19 mai 1992
les forces armées de la Republika Srpska ne pouvaient pas être considérées comme
des organes ou des agents de facto du Gouvernement de la RFY
1
(Serbie et Monténégro) que ce soit dans l’opština Prijedor ou de façon plus générale» .

Et le défendeur de reproc her à la Bosnie-Herzégovine ⎯ je l’ai déjà signalé ⎯ d’utiliser cet arrêt

de manière sélective et incorrect e, en accordant bien plus d’importance au point de vue du

juge-président dissident (Mme McDonald) qu’à la décision elle-même.

5. Le défendeur sait très bien, malheureus ement (pour lui), que son argument fondé sur

l’arrêt Tadić de1997 a entre-temps perdu sa force, depuis que la Chambre d’appel du Tribunal

pénal international pour l’ex-Yougos lavie, dans son arrêt du 15 juillet 1999, l’a réformé justement

sur le point cité. En se basant ⎯c’est important de le noter ⎯ sur les mêmes faits, l’organe

d’appel a conclu à la nature internationale du conflit en Bosnie-Herzégovine après le 19 mai 1992

parce que «les forces armées de la Republika Srpska doivent être considérées comme agissant sous

2
le contrôle global et au nom de la RFY» . Ce sera d’un grand intérêt d’entendre comment le

défendeur va commenter ce changement net de jurisprudence qui conforte objectivement de

manière tout à fait remarquable la position de la Bosnie-Herzégovine. Ceci dit, le demandeur est

bien conscient du fait que votre Cour n’est pas liée par les conclusions juridiques du Tribunal,

même si elles sont exactement in terminis, ceci d’autant plus que la Chambre d’appel du Tribunal a

indiqué qu’il s’écartait de votre jurisprudence pass ée. La Bosnie-Herzégovine escompte que votre

Cour se déterminera, en point de droit, de mani ère autonome, sachant par ailleurs que les faits sur

lesquels le Tribunal pénal s’est basé dans les deux arrêts sont à considérer comme établis et même

⎯ la Cour le constatera ⎯ encore mieux et plus largement établis aujourd’hui, grâce aux preuves

1 o
TPIY, Le procureur c. Tadić, affaire n IT-94-1-T, Chambre de première instance II, arrêt, 7 mai 1997, par. 607.
2TPIY, Le Procureur c. Tadić, affaire n IT-94-1-A, Chambre d’appel, arrêt, 15 juillet 1999, par. 162. - 12 -

recueillies et soumises à l’appréciation judiciaire au cours de procès plus récents devant le Tribunal

pénal international pour l’ex-Yougoslavie, ainsi qu’au cours de la présente procédure.

6. J’en viens donc, fermant cette courte pare nthèse, au deuxième volet. Comme vous l’avez

vu en lisant nos écritures, la Bosnie-Herzégovine est convaincue que l’ensemble des actes rentrant

dans la notion de génocide commis par la Republik a Srpska et son armée sont à considérer comme

attribuables à la RFY. Puisqu’il n’est pas disputé que, du point de vue de la Republika Srpska, son

armée est à qualifier comme faisant partie de son appareil organique, il convient ⎯ pour démontrer

le bien-fondé en droit de la conviction du demandeur ⎯ de se pencher sans plus tarder sur la

Republika Srpska, d’en étudier l’essence et d’analyser la nature réelle de ses relations avec la RFY

pendant les années du génocide. Je vous propo se de commencer l’examen de ces relations en

adoptant en tout premier lieu le point de vue de la Republika Srpska; puis on changera de

perspective et l’on regardera ces mêmes relations, pour ainsi dire, de l’autre point d’observation:

celui de la RFY.

7. Madame le président, le processus historique ayant amené à la proclamation de la

Republika Srpska est connu, ayant déjà fait l’objet d’études fouillées, ainsi que des présentations de

la semaine dernière. Je n’entends pas entrer dans des détails maintenant sur ce thème. Pour les

besoins de mon analyse, en effet, il suffit de remarquer que la création de la Republika Srpska

résulte de la rencontre de deux volontés. D’une part, la volonté de l’Etat serbo-monténégrin, au

nom de l’idéologie de la «Grande Serbie», de ma intenir son emprise sur les Serbes de Bosnie, et

sur le territoire bosniaque conçu co mme devant leur revenir, en évitant à tout prix qu’ils soient

⎯pour ainsi dire ⎯ «abandonnés» dans les mains d’un autre Etat indépendant à majorité non

serbe ressentie comme historiquement hostile, voire ennemie; d’autre part, la volonté des Serbes de

Bosnie de ne pas être coupés de la Serbie et de rester sous sa protection contre les dangers

qu’engendrerait (suivant des craintes très répandues) l’inclusion de leur territoire dans un Etat,

justement, majoritairement non serbe. Aux fi ns de mon propos, cepe ndant, la conformation

effectivement donnée à la RepublikaSrpska depuis qu’elle s’est formée compte plus que le

processus historique qui l’a engendrée et les motivations qui l’ont déterminée. Et pour étudier cette

conformation quoi de mieux que se pencher sur les documents fondateurs censés, non seulement

indiquer comment l’entité constituée allait être agencée, mais aussi quels furent les choix - 13 -

fondamentaux qui en inspirèrent la structure et le fonctionnement : je veux parler de la Constitution

de la Republika Srpska de l’époque et de quelques autres documents essentiels qui l’ont précédée et

sur la base desquels elle a été façonnée.

8. Le premier document que je vous prie de prendre en c onsidération est la première

déclaration de l’«Assemblée du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine», proclamée et instituée le

24octobre1991 par la réunion des seuls parlementa ires serbo-bosniaques décidés à réagir contre

les décisions majoritaires du Parlement de la Ré publique socialiste de Bosnie-Herzégovine menant

vers l’indépendance du pays. Outre la décisi on de tenir un référendum les 9 et 10novembre

suivants devant permettre à la volonté popul aire des Serbes de Bosnie de se manifester,

l’Assemblée adoptera le même jour la déclaration contenant ce passage :

«3. L’Assemblée du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine déclare
solennellement que le peuple serbe a des dro its historiques ainsi que des intérêts à
vivre dans un seul Etat fédéral avec d’autres parties du peuple serbe ainsi qu'avec

d’autres peuples ayant l3 même volonté. Pe rsonne ne pourra priver le peuple serbe de
ces droits et intérêts.»

9. Un autre document du même jour, adopté par la même Assemblée, est intitulé «Décision

4
du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine de de meurer dans l’Etat commun de Yougoslavie» et fait

état de la détermination que «le peuple serbe de Bosnie-Herzégovine demeurera dans l’Etat

commun de Yougoslavie avec la Serbie, le M onténégro, les régions serbes autonomes de

Krajina…»

10. Madame le président, on le voit bien, la volonté exprimée avec force par les

représentants des Serbes de Bosnie n’est pas du tout d’aller vers la formation d’un nouvel Etat par

voie de sécession par rapport à la Bosnie-Herzégovine : ce que l’on veut, ce que l’on décide, est de

rester inclus dans l’Etat de tous les Serbes, et ce même si cette volonté ne pourra être réalisée

qu’aux dépens de l’intégrité terr itoriale de la Bosnie-Herzégovine , c’est-à-dire en violation des

principes fondamentaux du droit international. Cette ferme volonté est ré itérée et affichée avec

encore plus d’énergie dans la déclaration du 9janvier1992, par laquelle la même Assemblée

proclamera la «République du peup le serbe de Bosnie-Herzégovine» 5. La déclaration en question

3
Déclaration de l’Assemblée du peuple serbe de oosnie-Herzégovine, Sarajevo, 24 octobre 1991, publiéein
Gazette officielle du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine, n (15 janvier 1992), p. 5.
4Ibid., p. 1.

5Ibid., n 2/92 (27 janvier 1992). - 14 -

contient d’abord un préambule rappelant, entre autres, que le consentement du peuple

serbo-bosniaque à coexister avec les autres composantes ethniques dans la République de

Bosnie-Herzégovine avait été donné seulement à cond ition du maintien dans l’Etat fédéral, et que

par conséquent l’indépendance imminente força it le peuple Serbe «à défendre sa liberté, sa

souveraineté, son statut constitutif, sa dignité et son fu tur». Ensuite, le dispositif de la déclaration,

faisant référence au «plébiscite» du 9 et 10novemb re 1991 et à la volonté exprimée par le peuple

serbe de «demeurer dans l’Etat commun de Yougoslavie», et après avoir statué que «la République

du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine est établie et proclamée», indique en tant que premier

principe fondateur le suivant : «La République fait partie de l’Etat fédéra l de Yougoslavie en tant

qu’Etat constitutif.»

11. Ce principe fondamental est proclamé à nouveau à l’article 3 de la Constitution adoptée

finalement quelques semaines plus tard, le 28janvier 6. Dans le même document le principe en

question est développé et appliqué de multiples ma nières. Ainsi, par exemple, il est indiqué à

l’article6 que les citoyens de la Republika Srps ka ont également la nati onalité yougoslave et ont

aussi (ainsi que le spécifie l’article 34) le droit de se déclarer Yougoslaves. L’article 109 établit le

droit et le devoir de tous les citoyens de la Republika Srpska de protéger et défendre non seulement

la souveraineté et l’intégrité territoriale de la RepublikaSrpska, mais aussi celles de la

Yougoslavie, en coopérant avec la JNA et avec la défense terr itoriale. Les articles164 à167

prévoient les diverses procédures permettant aux organes compétents de la RepublikaSrpska de

participer à l’activité législative du Parlement yo ugoslave par la présentation de projets de loi.

Encore, l’article180 réglemente la désignation d es représentants des Serbes de Bosnie auprès des

divers organes représentatifs yougoslaves et l’ article181 prescrit, en particulier, les modes

d’élection des parlementaires de la Republika Srpska devant siéger au Parlement yougoslave.

12. On peut le voir aisément: le portrait que lors de sa naissance dessinait d’elle-même la

RepublikaSrpska dans sa propre C onstitution ne ressemble absolument en rien à celui d’un Etat

souverain, ainsi que le défendeur le prétend! A-t-on jamais vu un Etat souverain dont tous les

ressortissants ont ex lege la nationalité d’un autre Etat souvera in et ont le devoir de défendre ce

6 o
Ibid., n 3/92 (16 mars 1992). - 15 -

dernier par les armes ? A-t-on jamais vu un Etat prendre des dispositions au sujet de l’octroi ou du

maintien de la citoyenneté d’un autre Etat? A- t-on jamais vu un Etat souverain dont le droit

organise l’élection des membres de s assemblées parlementaires d’un autre Etat souverain pour y

représenter les intérêts du peuple du premier? En somme, la thèse soutenue par le défendeur

suivant laquelle la Republika Srpska aurait été un Etat sujet de droit international même à défaut de

reconnaissance (aucun autre Etat ne l’ayant en e ffet jamais reconnue, même pas la RFY), cette

thèse ne tient pas debout pour toutes les raisons que la réplique de la Bosnie-Herzégovine a

largement explicitées, mais avant tout parce que la loi fondamentale de la RepublikaSrpska

établissant son acte de naissance la réfute expressis verbis ! L’autoqualification d’Etat souverain

qu’en vue des accords de paix en gestation la RepublikaSrpska s’accordera plus tard, par un

7
amendement de sa Constitution , ne saurait rien changer à cela : il s’agissait en effet de se

proclamer indépendante par rapport à la Bosnie-H erzégovine, certes pas par rapport à la RFY dont

on s’était affiché au départ et on continuera de s’ afficher ultérieurement comme étant une partie!

Je rappelle le principe fondamental, «La République fa it partie de l’Etat fédéral yougoslave en tant

qu’Etat constitutif.»

13. Certes, les documents commentés, et en particulier la Constitution du 28janvier1992,

datent d’avant le retrait (officiel) de la JNA, qui devrait symboliser aussi le retrait de la RFY d’un

territoire faisant précédemment partie de sa propre sphère de souveraineté et devenu entre-temps

une partie du territoire d’un autre Etat nouvelleme nt indépendant. Cependant, si l’on étudie la

version consolidée de la Constitution de la Republika Srpska, datant du 17décembre1992 8(donc

sept mois après le retrait), on s’aperçoit que le te xte de janvier a subi, il est vrai, un toilettage

important, dans le but de fair e ressembler davantage la Repub likaSrpska, quant à son image

extérieure, à un vrai Etat. Mais la substance est re stée : est resté en particulier le principe d’après

lequel «Les citoyens de la République ont la nati onalité de la Yougoslavie ainsi que la nationalité

de la République» (art.6); mais surtout est resté le principe de base (art.3) prévoyant que «La

République est partie de la République fédérale de Yougoslavie.» Il y a, Madame et Messieurs les

juges, de quoi se poser la question: peut-on sér ieusement concevoir qu’un Etat soit souverain et

7 o
Ibid., n 28/94 (11 novembre 1994).
8Ibid., n 21/92 (31 décembre 1992). - 16 -

indépendant alors que, dans sa propre Constitu tion, il se proclame lui-même comme non

indépendant, donc non souverain? Alors qu’il s’a ffiche solennellement comme partie d’un autre

Etat souverain ?

14. Par souci d’être complet, je rappellerai que de toute façon, par la suite, les accords de

Dayton du 21 novembre 1995 règleront expressément par la négative la question de l’indépendance

de la RepublikaSrpska. En effet, en premier li eu l’articleX de l’accord-cadre statuera que la

République fédérale de Yougoslavie et la Bosn ie-Herzégovine «se reconnaissent l’une l’autre

9
comme Etats indépendants souverains à l’inté rieur de leurs frontières internationales» , les

frontières de la Bosnie-Herzégovine englobant évidemment l’ensemble du territoire de la

RepublikaSrpska. En deuxième lieu, il convient de rappeler que l’annexe4 de l’accord-cadre

proclame la Constitution de la Bo snie-Herzégovine, dont l’article III, paragraphe 3, lettre b, établit

explicitement que celle-ci prime sur les constitu tions des entités qui la composent (dont la

10
Republika Srpska) et remplace leurs dispositions qui ne seraient pas conformes : autrement dit, la

Bosnie-Herzégovine est un Etat fédéral disposant de l’attribut de sujet de droit international qui,

par contre, ne revient pas aux deux entités fédéré es, à savoir la RepublikaSrpska et la Fédération

(croato-musulmane) de Bosnie-Herzégovine. On sait d’ailleurs que depuis Dayton la conformité

de la Constitution de la Republik a Srpska avec celle de la Bo snie-Herzégovine est l’objet d’un

contrôle interne, effectué par la Cour cons titutionnelle de Bosnie-Herzégovine, mais également

d’un contrôle international réalisé, dans le ca dre du Conseil de l’Europe, grâce aux avis de la

«Commission de Venise», qui ont d’ailleurs été largement suivis et ont amené à l’adoption de

11
vagues d’amendements successifs .

15. Mais revenons à l’époque du génocide: co mme je l’ai déjà signalé, le portrait que

dessinait d’elle-même la Republika Sr pska ne ressemble en rien à celui d’un Etat souverain. Par

contre, il faut dire que le portrait esquissé appara ît parfaitement véridique si l’on prend au sérieux

l’intention proclamée de faire en sorte que la Republika Srpska reste une composante de l’Etat

9
A/50/790, p. 4.
10Ibid., p. 58.

11Par exemple, Commission de Venise, avis CD L (1996)070e-restrStrasbourg, 27 septembre 1966,
«Compatibility of the Constitution of the Republika Srpska with the Constitution of Bosnia and Herzegovina following
the adoption of amendments LIV-LXV by the National Assembly of Republika Srpska». - 17 -

fédéral, en somme une collectivité territoriale ( ou Etat fédéré) faisant partie d’un plus grand

ensemble étatique : exactement ce genre d’entité do nt les actes sont, d’après les principes de droit

international sur la responsabilité des Etats, attr ibuables à l’Etat fédéral, ainsi que l’indique

l’article 4 du texte de la Commission du droit international.

16. Cependant, Madame le président, Messieurs les juges, ce n’est pas tout de savoir

comment la Republika Srpska voyait ses propres relations avec la RFY : il faut être deux pour faire

un mariage ! Autrement dit, la volonté de la Republ ika Srpska d’être «une partie de la République

fédérale de Yougoslavie» n’au rait pu aboutir au résultat souha ité qu’à une condition: de

correspondre pleinement à la volonté de celle-ci.

17. Cette volonté était en fait était acquise d’avance, puisqu’on sait que la création de la RS a

été le fruit de l’impulsion politique de l’appare il gouvernemental de la République fédérale de

Yougoslavie et n’aurait pu être accomplie sans son action et son soutien. Cependant, l’inclusion

des Serbes de Bosnie, et du territoire censé comme de vant leur revenir, en tant que «partie de la

RFY» devait être réalisée par celle-ci de manière déguisée, de manière à respecter tout au moins en

apparence la séquence de résolutions obligatoi res du Conseil de sécurité exigeant, et de

l’Assemblée générale, le retra it du territoire de la Bosnie-Her zégovine. Cette apparence est

représentée justement par la mise sur pied d’un «Eta t» et d’une armée formellement séparés de la

République fédérale de Yougoslavie, mais en fait totalement soute nus par celle-ci et totalement

intégrés en substance dans sa propre structure or ganique. La jurisprudence du Tribunal pénal

international pour l’ex-Yougoslavie fourmille de témo ignages faisant état de ce plan, qui consistait

à tenter de tromper la communauté internationa le en masquant par une séparation affichée le

maintien de la pleine mainmise de la RFY sur la partie serbe de la Bosnie-Herzégovine: un

er
exemple entre tous, mais particulièrement éloquent, est l’arrêt Brdjanin du 1 septembre 2004, dont - 18 -

je citerai sous peu le passage le plus significatif (alors que je me suis permis, Madame le président,

12
de reproduire dans une note de bas de page un plus long extrait, très pertinent également) .

18. Soutien total, ai-je dit, intégration organi que. Voilà qui est facile à exposer devant votre

Cour, après les preuves écrasantes et concluantes qui ont été présentées aux moyens des plaidoiries

de la Bosnie-Herzégovine de la semaine dernière et d’aujourd’hu i même. Vous avez pu constater

que dans ce cas le mot «soutien» ne signifie p as appui, même très important, donné à une entité

ayant besoin d’aide extérieure pour mener une ac tion donnée. Ici «soutien» veut dire que l’entité

en question, la Republika Srpska, était tenue en vie depuis le tout début par la RFY, que la totalité

de ses moyens d’action, tant militaires que autres, lui étaient fournis par la RFY, qu’une telle action

s’inscrivait en entier à l’intérieur des choix de la RFY, en tant qu’instrument de la politique de

celle-ci.

La dépendance de la Republika Srpska de la RFY

19. Madame le président, perme ttez-moi de citer mot à mot le lib ellé du paragraphe 15 de la

résolution 49/10 du 8 novembre 1994 de l’Assemblée générale des Nations Unies : l’Assemblée

«[e]ngage toutes les parties, en particulie r, la RFY (SerbieetMonténégro), à se
conformer pleinement à toutes les résolutions du Conseil de sécurité concernant la

12Le procureur c. Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, jugement, 1 septembre 2004, non disponible en français pour
le moment.

«150. From 1991 onwards, the main objective of the SDS, as well as of the authorities in
Belgrade, was to preserve SFRY as a State and to ensure that Serbs would continue to live in a single
State38. The secession of BiH was expected to have a consequential impact on the SFRY and the

Bosnian Serbs who would find themselves in a minor ity and without a unified territory linked to the
Republic of Serbia. The importance given to the Po savina Corridor linking the Bosnian Serbs o382he
Bosnian Krajina to the FRY indicates the significance of the ties between the former and the latter .

151. The Trial Chamber is satisfied that, in th e months preceding the period covered in the
Indictment, the SFRY was already ma king preparations to cover-up the «overall control» it planned to
exercise on the Bosnian Serb Army once BiH gained independence and that this plan needed to be put in
place as international pressure on Belgrade mounted . . .

The Trial Chamber is satisfied that while the evidence may not have disclosed the exact details of
how the VRS related to the main command in Belgrade, it is nevertheless important to bear in mind that a
clear intention existed to mask the commanding role of the FRY:

«Undue emphasis upon the ostensible struct ures and overt declarations of the
belligerents, as opposed to a nuanced analysis of the reality of their relationships, may
tacitly suggest to groups who are in de facto co ntrol that responsibility or the acts of such
forces can be evaded merely by resort to a superficial restructuring of such forces or by a

facile declaration t393 the reconstituted fo rces are henceforth independent of their
erstwhile sponsors.»
The Trial Chamber is thus satisfied that the st eps taken to create a VRS independent of the JNA

were merely a ploy to fend off any potential accusations that the FRY was intervening in the armed
conflict taking place on the territory of BiH and to appease the requests of the international community to
cease all involvement in the conflict.» - 19 -

situation dans la République de Bosnie -Herzégovine et à respecter strictement
l’intégrité territoriale de cette dernière et conclut, à cet égard, que les activités visant à

réaliser l’intégration des territoires occupés de la Bosnie-Herzégovine aux systèmes de
l’administration, de l’armée, de l’enseignement, des transports et des
télécommunications de la République fédérative, qui équivaudrait à une occupation de
13
fait, sont illégales, nulles et non avenues et doivent cesser immédiatement» .

20. Les mots, vous l’avez entendu, sont nets et d’une pesanteur juridique indéniable. Par un

langage extrêmement ferme, l’Assemblée générale qualifie la situat ion qu’a créée la RFY dans les

territoires «occupés» (c’est le terme utilisé) de la Bosnie-Herzégovine, comme un but aboutissant

justement à une «occupation de fait». Cette oc cupation de fait, que l’Assemblée générale

condamne en exigeant qu’elle cesse immédiatement, est décrite comme étant le résultat d’activités

visant à réaliser l’intégration des territoires en question aux systèmes l’administration, l’armée,

l’enseignement, les transports, les télécommunications de la République fédérative.

21. Je crois, Madame le président, qu’on ne saurait résumer avec plus d’efficacité l’ensemble

des faits que les plaidoiries de la Bosnie-Herzégovine vous ont présentés et prouvés. Qu’il me soit

permis d’en rappeler les éléments principaux.

22. L’exposé de M. Torkildsen de ce matin, a mis en évidence, en premier lieu, l’inclusion

complète de la Republika Srpska dans les struct ures économiques, financières et monétaires de

laRFY, que les institutions gouvernementales de ce lle-ci organisaient, géra ient et contrôlaient

entièrement. Dans ce cadre, singulièrement emblém atique est le constat d’après lequel la Banque

nationale de la Republika Srpska (NBRS) était totalement subordonnée à la Banque nationale de

Yougoslavie (NBY) et, en particulier, recevait de celle-ci les moyens financiers pour la couverture

des déficits budgétaires de la Republika Srpska : d es moyens financiers provenant pour l’essentiel,

vous l’avez entendu, de l’émission de monnaie à Be lgrade. En somme, la Republika Srpska était

englobée et intégrée dans un espace économique uni que, gouverné à tous points de vue par les

autorités de la RFY. Et c’est clairement à cette unité complète de l’espace économique que

correspond l’intégration administrative, militaire, en matière d’enseignement, de transports, etc.,

dont l’Assemblée générale a fait état.

23. Vous remarquerez, Madame et Messieurs les juges, combien cette analyse en termes

d’unité et d’intégration correspond étonnement à celle que dressait le 9 janvier 1993 le président de

13
A/RES/49/10. - 20 -

la Serbie, Slobodan Miloševi ć lui-même, devant tout le leadership serbe (y compris celui de la

Republika Srpska) lors de la réunion du «Conseil de coordination des positio ns sur la politique

d’Etat» dont vous a parlé l’agent adjoint de la Bosnie-Herzégovine, Phon van den Biesen, le

3 mars dernier . Vous avez pu entendre les propos remarquables de M. Miloševi ć parlant de

l’unité de facto existante entre la RFY, la Republika Srps ka et la Republika Srpska Krajina sur le

plan «politique, militaire, économi que, culturel et éducatif» et rappelant que la question à poser

était : «how to legalise that unity… how to turn the situation, which de facto exists and could not be

de facto endangered, into being de facto and de jure».

24. L’exposé de M. Torkildsen a illustré égalem ent la situation budgétaire d’ensemble de la

Republika Srpska et montré que, par exemple en 1993, 99 % du budget de la RS était financé par

Belgrade et, de ces 99%, 95% était utilisé pour les dépenses militaires. Il en n’en allait pas

différemment pendant toute la péri ode du génocide. A cela, en plus, il faut ajouter les salaires de

tous les officiers de l’armée de Republika Srpska, qui étaient pris en charge ⎯ on y reviendra ⎯

directement par la FRY. C’est dire que non seulement l’argent nécessaire pour réaliser le génocide

venait tout entier de Belgrade, mais que Belgrade assurait en réalité chaque instant de survie de

la RS, quel que fût le domaine concerné, comme elle en avait assuré la mise sur pied.

25. Ce n’était donc pas une exagération de parler de soutien complet d’un côté et de

dépendance totale de l’autre ! Or la dimension de ce soutien et de cette dépendance est sans aucun

doute la confirmation la plus décisive que l’on puisse imaginer du fait que pour les dirigeants

gouvernementaux de Belgrade la RS représentait la longa manus de leur propre politique,

l’instrument parfaitement fiable de leur action en faveur de la «Grande Serbie».

26. Permettez-moi un court commentaire à pr opos de l’expression «dépendance totale» qui,

comme je viens de le montrer, r ésume très exactement la situation de la RS par rapport à la RFY.

Comme je l’ai rappelé ce matin, c’est bien cet te expression que votre Cour avait utilisée au

paragraphe110 de l’arrêt de 1986 en l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au

Nicaragua et contre celui-ci : elle y avait laissé comprendre que, si la «totale dépendance » des

14
Phon van den Biesen, «The Respondent's continued presence», CR 2006/8, par. 72. - 21 -

contras par rapport à l’aide des Etats- Unis avait été prouvée, il au rait été alors «juridiquement

15
fondé d’assimiler les contras à un organe du Gouvernement des Etats-Unis…» .

27. Je compte revenir par la suite sur les c onséquences juridiques précises qu’il convient de

tirer dans le cas présent, à la lumière des enseigne ments de votre Cour, de la «totale dépendance»

de la RS (et de son armée) par rapport à la RFY. Pour l’heure, je me bornerai à remarquer combien

il apparaît extravagant de parler, à propos de la Republika Srpska, d’Etat indépendant, non reconnu

mais pourvu ⎯ainsi que l’allègue le défendeur 16 ⎯ des «conditions of stat ehood». Extravagant,

cette fois-ci, non pas seulement à cause des mots in scrits dans les normes fondamentales de la RS,

mais à cause de (lâchons le mot qui convient) l’e ffectivité : l’effectivité d’une dépendance totale,

complète de Belgrade, d’où venait la quasi-totalité des moyens de subsistance. Déjà à la lumière

des seuls éléments évoqués jusqu’ici la Republik a Srpska rappelle singulièrement ce genre de

situations que décrivait, dans son septième rapport à la Commission du droit international

17
de 1978 , le professeur RobertoAgo, lorsqu’il faisa it valoir que «[p]arfois l’entité que l’on

voudrait présenter comme un Etat ou un gouvernement à part est en fait une entité entièrement

soumise dans son action à l’Etat l’ayant créée…». Et Ago de poursuivre: «[l]es agissements des

organes de l’entité en question sont alors direct ement attribuables à ce dernier Etat…au même

titre que ceux de ses organes ou, à la rigueur, que ceux d’une collectivité territoriale, d’une région,

d’un territoire soumis à dépendance coloniale». On notera combien ces mots sont appropriés par

rapport à notre cas : le cas d’une Republika Srpska qui se proclame une composante d’un autre Etat

et qui est effectivement traitée comme telle par celui-ci, par une prise en charge intégrale qui ferait

rêver n’importe quelle collectivité territoriale jouissant ex jure d’un tel statut !

28. Les données de fait montrant la dépenda nce totale de la Republika Srpska de la

République fédérale de Yougoslavie rendent en outre parfaitement superflu de discuter encore une

fois de la question de savoir si les accords de Dayton impliquent ⎯comme le défendeur le

prétend ⎯ la reconnaissance de la Republika Srpska en tant qu’Etat séparé et indépendant. Les

parties contractantes de l’accord-cadre, on le sait, sont trois (la Bosnie-Herzégovine, la Croatie et

15
Affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et cocelui-ci (Nicaragua c.Etats-Unis
d’Amérique) ,fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 62, par. 110.
16
Contre-mémoire, p. 122 et suiv.; duplique, p.578
17Annuaire de la Commission du droit international, 1978, vol. II-1, p. 52, par. 64, note 105. - 22 -

la RFY); toutefois, il est vrai, d’une part, que le texte fait référence à la Republika Srpska dans son

préambule, en prenant note de l’accord de celle -ci pour que la FRY signe pour son compte les

parties pertinentes du plan de paix 18; d’autre part, l’accord-cadre fait également renvoi, pour

diverses questions spécifiques, à des annexes comportant le paraphe (inter alii) de la

RepublikaSrpska. Mais le but de cette implication de la RS, à l’instar de celle de la Fédération

(croato-musulmane) de Bosnie-Herzégovine, n’était de toute évidence pas celui de leur reconnaître

le statut d’Etats indépendants, étant donné qu’a u contraire, justement, les accords de Dayton

définissent expressément la Republika Srpska et la Fédération comme des composantes de cet Etat

«indépendant et souverain» qu’est la République de Bosnie-Herzégovine : c’est là un point que j’ai

mis au clair il y a quelques minutes (voir plus haut , par.14). Le but était d’associer tous les

acteurs, quelle que fût leur nature, au processu s de paix pour en augmenter au maximum les

chances de succès : c’est là une pratique tout à fait courante du Conseil de sécurité. D’ailleurs, on

sait bien que, pour éviter toute équivoque quant au statut de la Republika Srpska, celle-ci ne fut pas

admise à prendre place en son propre nom à la ta ble des négociations, et non plus à signer les

accords de Dayton.

29. Deux observations supplémentaires s’impos ent à ce dernier sujet, concernant la

négociation et la conclusion des accords de paix. Po ur ce qui est de la négociation, il est tout à fait

remarquable que des représentants de la Republika Srpska aient pu y participer exclusivement en

tant que membres de la déléga tion yougoslave ayant à sa tête le président de la Serbie,

Slobodan Milošević : voilà un arrangement qui rappelle de près la pratique suivie par bon nombre

d’Etats fédéraux qui, lorsqu’il s’agit de participer à des conférences internationales devant négocier

des traités empiétant sur les compétences de le urs entités fédérées, a cceptent d’inclure des

représentants de celles-ci dans la délégation na tionale. Quant à la conclusion des accords de

Dayton, ce fut la République fédérale de Y ougoslavie qui donna l’assurance écrite aux autres

parties qu’elle prendrait toutes les mesures nécessai res «to ensure that the Republika Srpska fully

respects and complies with commitments…» 1. Voilà une assurance donnée à bon escient, au vu de

18
A/50/790, p. 2.
19Voir réplique, p.465 et suiv., pour la référence aux di fférentes lettres de représentants de la RFY comportant
cette formule, et figurant en tant qu’annexes aux accords de Dayton (A/50/790). - 23 -

la plénitude des moyens dont la République fédéra le de Yougoslavie disposait pour obtenir de la

Republika Srpska qu’elle fasse ce qu’il fallait faire ! Si la RFY acceptait de jouer le rôle de garant

absolu, se déclarant carrément en mesure d’«assurer» (to ensure) le résultat voulu, c’est qu’elle

avait (et reconnaissait qu’elle avait) des arguments absolument décisifs pour orienter la conduite de

la Republika Srpska! Des arguments infiniment plus lourds que l’invocation d’une simple

promesse, comme celle résultant indirectement de la demande faite par la Republika Srpska à la

RFY pour que celle-ci assume «le rô le de garant de l’exécution par la Republika Srpska de toutes

les obligations qu’elle a contractées» (lettre du 20 novembre 1995, figurant en annexe aux accords

de Dayton 20).

30. Il ne vaut vraiment pas la peine d’a llonger le discours, quant au prétendu statut

d’indépendance de la Republika Srpska. Il n’est pas utile non plus de se fourvoyer en discutant en

détail l’argument que le défendeur croit pouvoir tirer du seul cas qu’il cite dans lequel la Republika

Srpska aurait refusé de s’incliner face aux pr essions de la RFY, à savoir lorsque l’acceptation du

plan «Vance-Owen» était sur le tapis en 1993 21. Un seul cas de désaccord ! Mais dans n’importe

quel système fédéral, que ce soit celui des Etats-Un is, du Canada, de la Suis se ou de la Fédération

de Russie, ce serait le rêve pour le gouvernem ent fédéral de voir une quelconque unité fédérée

s’opposer sérieusement à lui en une unique occasi on! D’ailleurs le fait que, malgré le refus

d’obtempérer, la Republika Srpska ait continué à jouir du soutien éperdu de la RFY, engendre bien

des soupçons !

31. Mais passons. Passons d’ autant plus que le défendeur ⎯se rendant sans doute compte

de la faiblesse évidente de la thèse d’après laque lle, avant les accords de Dayton, la RS aurait été

un Etat souverain ⎯ reconnaît que le statut d’Etat n’est finalement pas décisif aux fins de

22
l’attribution : il a d’ailleurs raison sur ce point, puisqu’on sait qu’il peut fort bien arriver qu’un

Etat engage sa responsabilité internationale du fait d’ un autre Etat, ainsi que le confirment divers

articles du texte de la Commission du droit in ternational sur la responsabilité, par exemple

l’article16, etc. En revanche, ce qui pour le défendeur est décisif et que, à partir ⎯ dit-il ⎯ du

20A/50/790, p. 109.
21
Contre-mémoire, p. 287-290; réplique, p. 805-807.
22Duplique, p. 579, par. 3.2.3.9. - 24 -

début mars1992 d’importantes parties du territoir e de la Bosnie-Herzégovine auraient été

contrôlées par les forces armées de la Republika Srps ka et non pas (ou plus) par celles de la RFY.

La RS ⎯ allègue-t-on ⎯ avait son propre appareil militaire et celui-ci n’était pas subordonné à

Belgrade.

32. La réfutation de cette thèse est déjà cho se faite, au vu des preuves concluantes fournies

par la Bosnie-Herzégovine concerna nt la dépendance totale de la Republika Srpska de Belgrade

dans tous les domaines, ainsi que je viens de l’in diquer. Toutefois, une réfutation spécifique peut

être aisément faite, au vu des preuves, spécifiques elles aussi, qui se sont accumulées devant les

yeux de la Cour en ce qui concerne précisément les forces armées de la Republika Srpska, à savoir

la VRS.

Les forces armées de la Republika Srpska et leur relation avec l’appareil militaire du

défendeur

33. Madame le président, Messieurs les j uges, permettez-moi de dresser une liste non

complète des éléments de fait qui vous ont été prouvés par la Bosnie-Herzégovine, concernant

l’appareil militaire de la Republika Srpska, la VRS, et ses rela tions avec l’armée yougoslave (JNA

d’abord, puis VJ par la suite).

1) L’armée de la Republika Srpska a été intégralement créée, et de toutes pièces, par Belgrade, qui

avait préalablement destiné à cela une partie de l’armée fédérale yougoslave (JNA): le

2district militaire. C’est celui-ci, avec son personnel militaire, son organisation, son

commandant général (le général Mladi ć) et son état-major, qui a été rebaptisé d’un nouveau

nom. Tout le personnel concerné avait été so igneusement choisi de manière à pouvoir compter

sur sa loyauté à la cause serbe. Des rajouts de personnel militaire provenant de Belgrade ont été

ensuite octroyés pendant toute la période concernée, et des roulements d’hommes entre les deux

armées ont eu lieu sur une base routinière.

2) L’armée de la Republika Srpska a été richemen t dotée par la JNA, au moment de sa formation

en 1992, de tout l’armement, l’équipement, le matériel nécessaires pour pouvoir fonctionner.

3) Tous les officiers de la VRS sont restés encadrés dans l’ administration militaire de la RFY, qui

a continué à s’occuper à tous points de vue de la gestion de leur carrière militaire, de leur

situation personnelle, et ceci même après les acco rds de Dayton. Leurs salaires, ainsi que ceux - 25 -

de tous les autres militaires sous contrat, ont continué à être payés sans interruption par

Belgrade, y compris (jusqu’en 2002) en ce qui concerne le commandant suprême de cette

armée, le général Mladi ć. Il en allait de même concernant les retraites, y compris pour le

général Mladić (qui l’a reçue jusqu’en novembre 2005). Suivant les nécessités, des officiers ont

exercé leurs fonctions en passant de la VRS à la JNA (puis VJ) et vice versa. En somme,

l’ensemble de l’appareil de commandement de la Republika Srpska pe ndant les années du

génocide et au-delà était formé d’officiers qui gardaient leur statut de membres des forces

armées de la RFY, donc d’organes de jure de celle-ci, et qui étaient destinés par leur hiérarchie

à servir en Bosnie-Herzégovine, auprès de la VRS. Ceci est vrai, en particulier, pour les

membres de l’état-major de cette armée, y compris tous les officiers supérieurs qui sont

actuellement sub judice devant le Tribunal pénal pour l’ ex-Yougoslavie (comme le général

Dragomir Milosevi ć ou le colonel Pandurevi ć), voire qui ont été déjà condamnés pour des

crimes se rapportant aux faits de Srebrenica de1995 (comme le général Krsti ć, le

lieutenant-colonel Obrenović et le capitaine Momir Nicolić), voire qui sont toujours recherchés,

on le sait bien, comme le général Mladi ć, commandant général de la VRS depuis le début de sa

formation, pendant toutes les années du génocide et après, qui est accusé ⎯comme on le

sait ⎯ de génocide justement pour tout ce qui s’est passé en Bosnie-Herzégovine de1992

jusqu’au massacre de Srebrenica en 1995.

4) A partir de 1992 et pendant l’entière période du génocide, la VRS a continué à recevoir de

Belgrade l’armement, le matériel, l’approvi sionnement et les services requis pour son

fonctionnement. Des canaux directs pour l’envoi des demandes, la véri fication des besoins,

l’acheminement et la distribution du matéri el militaire ou autre, sont restés ouverts et

régulièrement utilisés suivant des procédures standardisées.

5) La VRS a toujours agi de concert avec la JN A (puis VJ), dans le cadre d’une planification

stratégique et opérationnelle globale décidée à Belgrade. Lors de ses opérations, elle a

systématiquement joui de l’assistance, de l’appui , des services (y compris de renseignements),

de la surveillance aérienne de la part des or ganismes compétents de l’Etat et de l’armée

fédérale. L’échange d’informations sur les opérations militaires accomplies a eu lieu sur une - 26 -

base routinière. Des rapports détaillant à Belgrade les divers engagements militaires des forces

armées serbo-bosniaques ont été régulièrement présentés.

6) De nombreuses opérations ont été effectuées conjointement, en organisant et exécutant une

division du travail appropriée.

34. Madame le président, les raisons ayant am ené la RFY à doter la Republika Srpska d’une

armée distincte en apparence de la JNA (puis VJ), nous les connaissons fort bien, nous les

connaissons déjà : je rappelle à ce su jet le passage très éloquent de l’arrêt Brdjanin de 2004, dans

lequel la Chambre de première inst ance s’est déclarée convaincue que ⎯ je vais le citer en anglais

puisqu’il n’y a pas dans le site du Tribunal le texte français :

«the steps taken to create a VRS independent of the JNA were merely a ploy to fend
off any potential accusations that the FR Y was intervening in the armed conflict

taking place on the territory of Bosnia-Herze govina and to appease the23equests of the
international community to cease all involvement in the conflict» .

35. Maintenant, si l’on met ensemble tous les éléments de fait que je viens de classer de

façon systématique, il est aisé de comprendre très exactement quelle a été la technique utilisée par

la RFY pour se feindre respectueuse des impératifs ve nant de la communauté internationale tout en

poursuivant dans les faits sans changements réels (quoique avec des adaptations purement

extérieures) sa politique et son action : il s’est agi tout simplement de tenter de masquer la réalité

en coupant avec une partie consis tante de son armée le lien juridique formel, mais en gardant

absolument intacte l’entière substance de ce lien. La JNA (plus tard VJ) et l’armée de la Republika

Srpska, en somme, n’étaient qu’apparemment deux armées séparées coopérant entre elles: elles

formaient en réalité une seule armée. Autrement dit, toutes les composantes de la VRS ont gardé

sur le plan de l’effectivité leur statut d’orga ne de la RFY et ont continué à opérer en tant

qu’éléments de la «structure or ganique» de cet Etat, alors que l’ étiquetage juridique correspondant

était effacé et remplacé par un autre, purement artificiel parce que dépourvu de toute effectivité,

d’organe d’un Etat différent, la Republika Srpska. Une Republika Srpska qui n’était à son tour rien

d’autre qu’un simple instrument dans les mains de la RFY, comme je l’ai déjà démontré.

36. Madame le président, Messieurs les juges, la Bosnie-Herzégovine est convaincue que la

Cour voudra arracher un tel camouflage, mettre en pl eine lumière la vérité dont on s’employait à

23TPIY, Le procureur c. Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, jugement, 1 septembre 2004, par. 151. - 27 -

cacher les traits et condamner fermement la te ntative de la RFY de berner la communauté

internationale. Ce faisant la Cour harmonise ra sa voix avec celle des organes politiques des

Nations Unies qui ont su reconnaître eux aussi la vérité que la RFY essayait de dissimuler derrière

une façade fictive, ainsi que le démontrent les nombreuses résolutions de l’Assemblée générale et

du Conseil de sécurité que nous avons citées au cour s de nos plaidoiries. Le chemin juridique à

suivre est, qu’il me soit permis de le suggérer, aisé, ainsi que je l’ai relevé ce matin dans mon

introduction. C’est le chemin que la Commission du droit international a indiqué en mettant en

exergue par des mots suggestifs un principe solidement ancré dans la conscience de la communauté

internationale, celui d’après lequel: «un Etat ne saurait, pour se soustraire à sa responsabilité du

fait d’une entité qui agit véritablement en tant qu’un de ses organes, se contenter de dénier ce statut

24
à l’entité en question en invoquant son droit interne» .

37. Or justement, ainsi que nous l’avons dé montré, la VRS a agi pendant les années du

génocide «véritablement» en tant qu’organe de la RFY et à tous points de vue. A tous points de

vue la VRS se plaçait, sur le plan de l’effectivité, à l’intérieur de l’appareil organique dudit Etat et,

du fait même de mener un ensemble d’opérations militaires, exerçait au nom de l’Etat des

prérogatives de puissance publique relevant de la fonction exécutive. En somme, la VRS opérait

⎯ malgré son étiquetage ⎯ «as a State organ within the organic structure of the State». Tous ses

actes, toutes les opérations qu’elle a menées au cours du conflit en Bosnie-Herzégovine, sont à

qualifier, suivant les principes de droit interna tional, comme des faits attribuables à la RFY,

générateurs de la responsabilité internationale de celle-ci.

La Republika Srpska et la VRS en tant qu’organes du défendeur

38. Madame le président, Messieurs les jug es, je me suis permis de vous présenter la

conclusion d’après laquelle tant la RS que la VR S (la Republika Srpska que son armée) des années

du génocide sont à qualifier, du point de vue du dr oit international, comme des organes de la RFY,

et ce bien que cet Etat ait agencé à l’époque son dr oit interne de façon à leur dénier formellement

ce statut afin d’éviter que leurs agissements engage nt sa responsabilité internationale. Il s’agit en

somme, j’insiste, exactement du type de situation auquel la Commission du droit international avait

24Rapport de la Commission du droit international, cinquante-troisième session, 2001, A/56/10, p. 95, par. 11) du

commentaire de l’article 8. - 28 -

songé lorsqu’elle avait soigneusement formulé l’ article4, deuxième paragraphe, du texte des

articles sur la responsabilité internationale des Etat s, dans le but de mettre en évidence qu’un Etat

ne saurait se mettre à l’abri de la responsabilité internationale du fait de ses organes par la

manipulation (frauduleuse ou non) de son droit interne.

39. Il m’incombe maintenant de souligner à toute fin utile que le principe de droit

international en matière d’attribution qui est pertin ent ici, et dont la Bosnie-Herzégovine vous prie

de faire application, n’est donc pas celui que la Commission a souhaité codifier à l’article 8 de son

texte relatif aux situations dans lesquelles les agis sements de particuliers sont à considérer comme

des faits d’Etat. En effet, l’ensemble des actions accomplies par la RS et par la VRS n’ont rien à

voir avec les comportements de personnes ou groupes de personnes privées, lesquels sont attribués

à l’Etat du fait d’avoir été effectué suivant les instructions ou les directives ou sous le contrôle

d’organes de l’Etat. Ici, au contraire, ces actions sont à considérer comme effectuées directement

par des organes de l’Etat yougoslave: ce qu’étaient justement, au plan de l’effectivité, tant la

Republika Srpska que son armée.

40. Ai-je besoin de préciser que l’acceptati on par votre Cour des conclusions à peine

présentées ne requiert aucun changement de jurisprude nce de votre part sur le thème que traite la

Commission du droit international en son article 8 auquel je viens de me référer ? Permettez-moi

d’être extrêmement clair à ce sujet: la Bosnie-Herzégovine ne vous demande nullement

d’abandonner ce qu’il est devenu habituel d’appeler le « Nicaragua test», ni ne vous demande de le

remplacer par ce qu’on appelle couramment le « Tadić test», tout simplement parce qu’aucun des

deux ⎯tels qu’ils ont été formulés ⎯ n’est pertinent pour apprécier le bien-fondé desdites

conclusions.

41. Pour ce qui est du « Nicaragua test», en effet, il saute aux yeux que la situation de fait

que la Bosnie-Herzégovine vous a présentée, concer nant la Republika Srpska et ses forces armées,

n’est absolument pas comparable, même pas de très loin, à la situation des contras au Nicaragua :

les contras n’étaient pas des ressortissants américains; ils ne faisaient pas partie d’un appareil

organique pseudo-étatique hiérarchisé, relié de ma nière structurelle à celui des Etats-Unis; ils ne

combattaient pas pour rattacher le territoire du Ni caragua à celui des Etat s-Unis; ils n’exerçaient

pas sur une partie du territoire nicaraguayen un cont rôle territorial stable et effectif comportant - 29 -

l’exercice ⎯illégal, bien sûr ⎯ de toutes les fonctions de puissance publique (y compris la

fonction législative), et ainsi de suite. Il va de soi qu’on ne saurait appréhender une situation aux

caractéristiques tellement différentes à l’aide d’un principe juridique conçu pour permettre d’établir

à quelles conditions des comportements de particul iers, qu’ils soient isolés ou en groupe, sont à

considérer des faits d’un Etat.

42. Quant au «Tadić test» ⎯ permettez-moi d’utiliser cette expression ⎯ tel que proposé par

le TPIY en 1999, il est vrai qu’il a été formulé en songeant exactement à la situation factuelle qui

est sub judice devant vous. Cependant, la question juridique qui était sur le tapis devant le Tribunal

ne saurait nullement être assimilée à celle qui vous est posée aujourd’hui : il s’agissait là de décider

si le conflit qui a sévi en Bosnie-Herzégovine éta it à qualifier d’interne ou d’international, et ce

afin d’identifier les règles applicables en matière de responsabilité pénale individuelle pour crimes

de guerre, et non pas pour juger de la responsabilité internationale d’un Etat pour fait illicite; de

plus, dans le cas présent le fait illicite en discu ssion est le génocide, qui est un crime dont la

perpétration ne suppose nullement l’ existence d’un conflit armé, qu’il soit interne ou international.

Mais surtout le TPIY a placé le problème relatif à la qualification de la relation entre les forces

armées de la RFY et celles de la Republika Srps ka dans un contexte qui n’est pas pertinent pour

juger le bien-fondé de la thèse de la Bosnie-Herzégovine que je viens de vous illustrer : à savoir, la

thèse d’après laquelle la Republika Srpska et son armée étaient à l’époque critique des organes du

défendeur, et non pas des entités extérieures à son appareil organique, quoique agissant pour son

compte. En effet, ni le « Nicaragua test», ni la conception du «contrôle général» (ou « Tadić test»)

ne sont utiles pour juger le bien-fondé de cette thèse, étant donné qu’ils sont conçus afin de régler

les problèmes d’attribution à l’Etat des comporte ments de simples particuliers ou de groupes non

susceptibles d’être qualifiés comme organes de l’Et at. Ce n’est pas celle-là la question que la

Bosnie-Herzégovine vous demande de régler maintenant : la questi on à régler, bien différente, est

celle de savoir quand et à quelles conditions on peut définir comme organes de l’Etat des entités

que cet Etat évite de qualifier ainsi dans le but d’échapper à la responsabilité internationale.

43. Bien entendu, s’il devait arriver que votre Cour ne soit pas convaincue de la thèse que je

viens de vous exposer, concernant la nature orga nique de la relation entre la Republika Srpska et

son armée, d’une part, et le défendeur, d’autre part, il resterait à envisager la possibilité que - 30 -

l’attribution au défendeur des actes de la RS et de son armée intervienne sur une autre base: à

savoir, justement celle dont il est question à l’article8 des articles de la Commission du droit

internationale. Le professeur Pellet viendra tout à l’heure vous présenter des remarques à ce sujet.

44. Je ferme la parenthèse et je reviens à la thèse que je vous ai présentée: la RS et son

armée étaient donc à qualifier d’organes de la RF Y. La Cour voudra sans doute considérer que la

pratique internationale offre des précédents instru ctifs à ce sujet. Il s’agit de toute une série

d’affaires bien connues, sur la base desquelles la doctrine a élaboré des concepts tournant autour de

ce que le professeur Brownlie a appelé de façon suggestive «The Puppet State Scenario». Au cŒur

de ce scénario il y a l’idée suivant laquelle (j’utilise les mots du professeur Brownlie) :

«A State cannot avoid legal responsibilit y for its illegal acts of invasion, of
military occupation, and for subsequent developments, by setting up, or permitting the
25
creation of, forms of local administration, however these are designated.»

45. Ce sont là des concepts dont la pratique in ternationale a fait maintes applications : ainsi,

par exemple, il est aisé de juger la jurispruden ce de la Cour européenne des droits de l’homme,

dans les affaires dites «chypriotes» qu’a cit ées vendredi dernier le professeur Pellet, comme

exprimant l’idée d’après laquelle la République chypriote du nord est en substance un Etat fantoche

dont les actes engagent la responsabilité internationa le de la Turquie. Ces concepts sont aussi

largement acceptés par la doctrine: on pourrait citer, par exemple, parmi les classiques, à part

Roberto Ago dont j’ai déjà u tilisé un extrait, Franco Capotorti 26, Krystyna Marek 27ou

28
James Crawford . Quant à la Commission du droit intern ational, j’ai déjà rappelé que c’est

notamment la réflexion sur ces thèmes qui l’a amen ée à retenir le libellé ouvert de l’article4 du

texte sur la responsabilité de l’Etat. Un libellé ouvert qui s’accorde pleinement avec la notion

suivant laquelle «puppet governments ar e organs of the occupant and, as such, form part of his

legal order» 29. Il s’accorde aussi, le texte de la Commission, et toujours pleinement, avec le

concept que l’on peut exprimer en paraphrasant le langage utilisé par votre Cour dans son arrêt

25I. Brownlie, State Responsibility: The Problem of Delegation , in Völkerrecht zwischen normativen Anspruch
und politischer Realität. Festschrift Zemanek, Berlin, 1994, p. 301.
26
F. Capotorti, L’occupazione nel diritto di Guerra, Milano, 1949, p. 92.
27
K. Marek, Identity and Continuity of States in Public International Law, Genève, 1968, p. 114.
28J. Crawford, The Criteria for Statehood in International Law , British Yearbook of International Law , 1977,
p. 120.

29K. Marek, op. cit. - 31 -

de1986 en l’affaire nicaraguayenne, déjà citée a uparavant: au vu de leur situation de «totale

dépendance» de la RFY, il est assurément fondé d’assimiler tant la RS que la VRS à des organes du

Gouvernement de la RFY.

4. Les «unités paramilitaires» opérant contre les non-Serbes en Bosnie-Herzégovine :
l’attribution de leurs comportements au défendeur

46. Il me reste encore, Madame et Messieurs de la Cour, à vous entretenir sur les diverses

forces, autres que la JNA (VJ) et l’armée de la Republika Srpska, qui ont très activement participé

à la perpétration du génocide en Bosnie-Herzégovine, en y ajoutant ⎯vous l’avez entendu ⎯

encore plus d’atroce cruauté. Ces forces peuve nt être toutes regroupées sous la dénomination de

«formations paramilitaires serbes». Après la masse écrasante de preuves que la

Bosnie-Herzégovine vous a présentées par écrit et or alement à leur sujet, après les constatations

judiciaires dont nous sommes redevables à l’ Œuvre du Tribunal pénal international pour

l’ex-Yougoslavie (même à défaut encore de jugement s de fond concernant leurs leaders), il ne me

faut pas beaucoup de mots pour démontrer que t ous leurs agissements doivent être attribués,

suivant les principes pertinents du droit international, à l’Etat défendeur.

47. Les formations paramilitaires en questi on peuvent être divisées en deux catégories:

celles envoyées en Bosnie-Herzégovine depuis la Serbie et celles formées sur place.

48. La première catégorie est faite de groupes recrutés, entraînés, armés, organisés par

Belgrade justement pour participer à la guerre génocidaire. De nombreux indices et preuves qui

ont été présentés à votre Cour indiquent que certains de ces groupes dépendaient d’appareils

gouvernementaux de la République fédérale de Yo ugoslavie, à savoir, le MAP (le ministère des

affaires intérieures) pour ce qui est des Scorpions et des Bérets rouges, et la JNA pour les Tigres

d’Arkan (Garde volontaire de Serbie). Un autre groupe, le Mouvement tchetnik (ou Aigles blancs)

de Sešelj, était directement relié au président Miloševi ć. Il est établi au-del à de tout doute que ces

formations ont opéré sur le terrain de concert avec les armées régulières, c’est-à-dire tant la JNA

(tant l’armée fédérale) que l’armée de la Republik a Srpska, sur la base d’une division du travail

programmée qui a, dans l’ensemble, fonctionné avec une efficacité redoutable. Autrement dit, les

groupes en question faisaient partie intégrante du dispositif militaire serbe, étaient déployés et

agissaient sous les ordres d’autorités militaires ou gouvernementales de la RFY et Œuvraient de - 32 -

façon coordonnée avec les autres corps militaires pour la réalisation du but prescrit à l’action de

tous: l’élimination par tous les moyens des non-Serbes des zones du territoire de la

Bosnie-Herzégovine dont il avait été décidé qu’elles devaient revenir aux Serbes.

49. La deuxième catégorie embrasse les group es et formations paramilitaires locales de

toutes sortes qui se sont constitués en Bosnie-Herzé govine suite à la distribution des armes par la

JNA aux Serbes de Bosnie. Dans sa duplique le défendeur admet que les autorités de la RS ont

incorporé tous ces groupes dans les structures de la VRS, en les plaçant sous le commandement de

celle-ci ou du ministère des affaires intérieures de la Republika Srpska; ceci au moyen d’une

décision de la présidence de la Republika Srpska datant du 13 juin 1992 30. Je rappelle à toutes fins

utiles que cette incorporation a fait aussi l’objet d’une vérification spécifique très documentée de la

part du TPIY, dans un important arrê t de 2004 que j’ai déjà cité : cel ui de la Chambre de première

31
instance en l’affaire Brdjanin . Il va de soi que l’inclusion o fficielle des groupes en question dans

la structure organique de la Republika Srpska et de son armée est décisive, sous le profil de

l’attribution de leurs comportements: elle e ngendre à coup sûr la conséquence que lesdits

comportements ne sauraient être distingués juri diquement, aux fins de l’imputation, de ceux

adoptés directement par la Republika Sr pska et par son armée. Je pr ie la Cour de considérer que

l’admission du défendeur, dont je viens de faire état, rend cette conclusion incontestable.

50. En somme, Madame le président, l’entr eprise génocidaire aux dépens des non-Serbes de

Bosnie-Herzégovine a demandé à la RFY un énorme effort qui a comporté l’utilisation de

ressources matérielles et humaines immenses. Quant aux ressources humaines, le constat de

l’insuffisance de l’armée régulière (la VJ et la VRS, dont on a vu qu’elles composaient en fait une

seule armée) a convaincu qu’il fallait avoir rec ours à des moyens supplémentaires et a amené les

pouvoirs publics a organiser, financer, armer et soutenir des bandes et des groupes armés certes

«irréguliers», mais dont le leadership dépendait d’un commandement st ratégique et opérationnel,

30Duplique, p.569, par.3.2.2.4. Le texte de la«Decision on Prohibition of Forming and Activities of Armed
Groups and Individuals in the Territory of the Republicwhich are not under the Unique Command of the Army or

Militia», odoptée par la présidence de la République se rbe de Bosnie-Herzégovine le 13 juin 1992, figure à
l’annexe n R10, p. r89/r90 de la duplique.
31TPIY, Le procureur c. Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, arrêt, 1 septembre 2004, par. 97 et note 218. - 33 -

exercé par des organes du défendeur, assurant la coordination constante de leur action avec celle de

l’armée.

51. Madame et Messieurs les juges, vous êtes bien placés pour savoir que la question de la

responsabilité internationale de l’Etat par rappor t à l’action de groupes armés irréguliers et de

milices paramilitaires se pose malheureusement bi en souvent, et s’est d’ ailleurs posée encore

dernièrement à vous. A l’heure qu’il est, je n’ai p as l’intention de discuter amplement en général,

de ce thème, en évoquant systématiquement toute la jurisprudence, la pratique et la doctrine. Ce

choix se justifie du fait des particularités absolume nt singulières, sinon uniques, de l’affaire qui est

sub judice maintenant. En effet, votre Cour n’est p as confrontée ici au cas si fréquent des bandes

armées ou des mercenaires envoyés à l’étranger, en mission agressive ou de subversion, à la place

de contingents armés réguliers que l’Etat d’envoi pr éfère ne pas engager dans ce genre de mission.

Il ne s’agit pas non plus du cas des milices locales, financées et appuyées le cas échéant depuis

l’étranger, qui s’installent sur une partie du te rritoire d’un Etat en profitant des faiblesses de

l’appareil étatique, que ce soit ou non pour fair e sécession. Dans le cas présent, nous avons en

revanche un Etat refusant d’évacuer un territoir e anciennement soumis à sa souveraineté, mais

devenu entre-temps partie intégrante de l’assiette te rritoriale d’un autre Etat, et qui maintient tant

directement qu’indirectement sur ce territoire occupé toute son emprise étatique ainsi que tout son

appareil de puissance publique afin d’y mener un génocide visant à «nettoyer» le territoire

concerné des ethnies qu’il considère comme enne mies. Les formations paramilitaires employées

dans ce but par la RFY n’étaient donc pas des su bstituts des organes de l’Etat, mais des outils

appelés à compléter la panoplie des moyens dont l’Et at se servait pour réaliser le but visé: des

outils dont l’usage devait être et a été effectivem ent coordonné de façon appropriée avec celui des

autres moyens d’action.

52. Madame le président, il me semble que l es situations les plus proches (ou les moins

lointaines) de celle que je viens de décrire, auxquelles l’on peut songer en tant que précédents,

concernent les violations des droits de l’hom me perpétrées par des formations paramilitaires

agissant sur le territoire d’un Etat avec la complicité , l’appui et le soutien d’organes de cet Etat,

dans le but de combattre la ré bellion ou d’annihiler l’opposition par des méthodes illégales. Ainsi,

par exemple, la Commission intera méricaine des droits de l’hom me, dans son troisième rapport - 34 -

32
du 26 février 1999 sur la situation des droits de l’homme en Colombie, n’a pas hésité à envisager

la responsabilité de l’Etat dans les cas de «joint activity between the military and the paramilitary,

particularly when carried out with know ledge by superiors»: dans ces cas ⎯ a-t-elle

33
conclu ⎯ «the members of the paramilitary groups clearly act as State agents» . Mais elle a arrêté

la même conclusion aussi lorsque les liens entre militaires et paramilitaires sont suffisamment forts,

même s’il n’y a pas d’opérations conjointes : elle a fait l’exemple de liens qui «permit the State’s

security forces to request that the paramilitary ex ecute certain tasks and the paramilitary may, in

turn, demand from the Military Forces the right to undertake criminal activity with impunity» 3.

Ensuite, dans l’affaire du massacre de Riofrio, la Commission a considéré que les paramilitaires

auteurs de ce massacre étaient à considérer comme d es agents de l’Etat colombien, ayant constaté

qu’il s’était agi justement d’une «joint opera tion with the knowledge of superior officers» 35. J’ai à

peine besoin de souligner combien ces concepts sont à propos dans le cas qui nous occupe

présentement.

53. Il est intéressant également de noter que le rapporteur spécial de la Commission des

droits de l’homme des NationsUnies sur le thème «exécutions extrajudiciaires, sommaires ou

arbitraires», le professeur Philip Alst on, dans son rappor t du 22 décembre 2004 36, est parvenu aux

mêmes conclusions, concernant les critères à utiliser pour décider, au sujet des groupes

paramilitaires et des divers types de milices ou d’escadrons de la mort qui réalisent ce genre

d’exécutions sommaires, quelles sont les conditions autorisant à les considérer comme des organes

ou agents de l’Etat dont les comportements engagent la responsabilité internationale du même Etat.

32 OEA/Ser.L/V/II.102, doc.9 rev.1 du 26 février 1999, par. 258-262.

33 Ibid., par. 258.
34
Ibid., par. 259 et 262.
35
Inter-American Commission on Human Rights, Report. No.62/01, case 11/654, Riofrio Massacre, Colombia,
du 6 avril 2001.
36 E/CN.4/2005/7, 22 décembre 2004, par. 65 et suiv. Voir spécialement le paragraphe 69 :

«The most important category of non-State actor within the context of this mandate are those
groups which, although not government officials as such, nonetheless operate at the behest of the
Government, or with its knowledge or acquiescence , and as a result are not subject to effective

investigation, prosecution, or punishment. Param ilitary groups, militias, death squads, irregulars and
other comparable groups are well known to the reader s of the Special Rapporteur’s reports. There is no
legal complexity in relation to this group because inso far as the Government is directly implicated its
legal responsibility is engaged.» - 35 -

5. Conclusion

54. J’en viens à mes conclusions, Madame le président, Messieurs les juges. Permettez-moi

de les tirer sur la base de ce que je viens de vous exposer.

55. Le demandeur vous a démontré que toutes les forces serbes à l’action desquelles est dû le

génocide contre les non-Serbes de Bosnie-Herzégovi ne, à savoir tant celles venant du territoire

yougoslave que celles locales, tant les armées régulières que les fo rmations paramilitaires, doivent

être considérées comme des organes de la RFY, dont les comportements sont par conséquent

attribuables à celle-ci et en engagent sa responsabilité internationale.

56. A l’appui de cette conclusion générale , la Bosnie-Herzégovine a invoqué dans sa

réplique un argument juridique important sur lequel il me semble utile de revenir rapidement. Cet

argument est basé sur des principes de droit international général relatifs au droit des conflits armés

qui sont codifiés aux articles 43 et 91 du premier protocole additionnel aux conventions de Genève

de1949, adopté le 8juin1977. A toute fin utile , je rappelle que les Parties au présent différend

figurent toutes deux parmi les parties contractantes du protocole en question.

57. Dans votre arrêt du 19 décembre dernier en l’affaire Congo c. Ouganda , la Cour a fait

une application tout à fait remarquable de l’ar ticle 91 du premier protocole de1977. Vous avez

jugé que

«D’après une règle bien établie, de caractère coutumier, énoncée à l’article 3 de
la quatrième convention de LaHaye concerna nt les lois et coutumes de la guerre sur
terre de1907 ainsi qu’à l’ar ticle 91 du protocole additio nnel I aux conventions de

Genève de1949, une partie à un conflit armé 37st responsable de tous les actes des
personnes qui font partie de ses forces armées.»

58. Dans le même arrêt vous avez eu l’occasion de souligner que la responsabilité d’un Etat

pour les actes des membres de ses forces armées est engagée que ceux-ci, que ces membres, aient

agi d’une manière conforme aux instructions données ou en outrepassant leur mandat. Vous avez

tenu également à mettre en évidence une notion généralement acceptée de longue date: celle

d’après laquelle «en vertu du statut et de la foncti on militaire» le comportement des officiers et des

soldats doit être considéré comme un comportement d’un organe de l’Etat même au cas où il est

38
effectué à titre individuel . Dans l’arrêt en question, par c ontre, vous n’avez pas eu besoin de

37
Affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt
du 19 décembre 2005, par. 214.
38Ibid., par. 213. - 36 -

préciser qui sont exactement ces «personnes qui font parties [des] forces armées» d’un Etat, dont la

totalité des comportements lui est donc attribuable.

59. Au vu des particularités de la présente af faire, en revanche, il est utile de se pencher

justement sur la question de savoir comment doivent être définies les «forces armées» d’un Etat.

Cette définition apparaît à l’article 43 du même pr emier protocole additionnel de 1977. Le libellé

est le suivant : «Les forc es armées d’une partie à un conflit se co mposent de toutes les forces, tous

les groupes et toutes les unités armés et organisés qui sont placés sous un commandement

responsable de la conduite de ses subordonnés devant cette partie…»

60. Madame le président, Messieurs les juges, toutes les forces et tous les groupes armés

engagés activement dans le génocide contre les non-Serbes de Bosnie-Herzégovine, qu’ils aient fait

partie des armées régulières ou de formations paramilitaires, répondent pleinement à cette

définition. Toutes et tous se caractérisaient par le ur organisation militaire. Toutes et tous étaient

placés sous un commandement approprié pour ce type d’ organisation. Pour toutes et tous on peut

constater qu’ils Œuvraient sous les ordres de commandants soumis à la direction et au

commandement d’organes de la RFY. Pour to utes et pour tous s’impose donc la conclusion

d’après laquelle il s’agit d’organes de l’Etat défendeur, dont tous les comportements sont

attribuables à cet Etat et en engagent la responsabilité internationale.

61. Madame le président, Messieurs les juges, j’en ai terminé avec ma plaidoirie. Je

m’imagine que vous souhaitez que l’on passe maintenant à quelques minutes de repos pour vous et

vous voudrez, Madame le président, donner la parole ensuite au professeur Alain Pellet ? Merci.

The PRESIDENT: Thank you very much, Prof essor Condorelli. May I just check with

Professor Pellet that that suits him or does he wi sh to have a break? Professor Pellet, do you think

it is better for the Court to rise now for ten minutes? Thank you.

The Court adjourned from 4.20 p.m. to 4.30 p.m. - 37 -

The PRESIDENT: Please be seated. Professor Pellet.

M. PELLET: Thank you very much, Madam President. Madame le président, donc, puisque

vous le souhaitez, Messieurs les juges,

L E DÉFENDEUR A ENGAGÉ SA RESPONSABILITÉ INTERNATIONALE (SUITE )

1. Mon collègue et ami Luigi Condorelli, avec sa fougue et son talent habituels, a montré que

le défendeur était responsable du génocide perpétré contre les populations non serbes de

Bosnie-Herzégovine tout simplement parce qu’il en était lui-même l’auteur. Ce sont ses organes,

qu’ils fassent partie de l’organigramme officiel de la RFY ⎯comme la JNA ou les MUP (les

ministères de l’intérieur) yougoslave et serbe ⎯ ou qu’ils remplissent en fait cette fonction, comme

la Republika Srpska et les forces paramilitaires, qui ont commis les actes constitutifs du génocide

(et c’est l’actus reus) avec l’intention de détruire en tout ou en partie un groupe national, ethnique,

racial ou religieux, comme tel ⎯groupe défini négativement comme étant composé de tous les

éléments non serbes des zones sous contrôle de la «Republika Srpska», voulue «ethniquement

pure», c’est le mens rea, étant entendu que les Musulmans ont été les plus durement affectés par

cette politique génocidaire.

2. Nous allons nous intéresser maintenant à la fois aux autres modalités d’attribution au

défendeur du crime de génocide et à sa responsab ilité pour les autres actes é numérés à l’article III

de la convention de 1948. Je vais, dans un premier temps, montrer que, même si vous ne

considériez pas que la responsabilité du défendeur est engagée par l’action de ses organes, elle n’en

demeurerait pas moins établie du fait qu’il a dirigé et contrôlé le comportement génocidaire des

personnes, groupes et entités qui l’ont commis. Puis, dans un second temps, j’aborderai la

question, distincte, des «actes anc illaires» au génocide, au sujet desquels j’ai essayé de «faire le

point» en droit vendredi dernier, mais sans entrer da ns le détail des faits les constituant, et qui sont

eux aussi attribuables au défendeur. - 38 -

I. Le génocide a été perpétré sous la direction ou le contrôle
de la Serbie-et-Monténégro

3. En ce qui concerne le premier point, Madame le président, la thèse selon laquelle le

génocide a été perpétré sous la direction ou le contrôle de la Serbie-et-Monténégro, je ne me

dissimule pas que le rôle qui m’a été imparti au sein de l’équipe de plaidoirie de la

Bosnie-Herzégovine est un peu ingrat : il cons iste à vous expliquer essentiellement … ce que nous

ne plaidons pas! En tout cas, je suis un peu comme l’arrière ou même le gardien de but sur un

terrain de football ou de rugby, qui n’intervient que lorsque le ballon s’a pproche trop près du but

⎯ même si, en l’occurrence, nous ne savons pas très bien où se trouve le ballon puisque, jusqu’à

présent, l’équipe adverse s’est montrée très parcimonieuse dans ses écritures (et surtout dans sa

duplique) en matière d’argumentation juridique, si bien que notre stratégie doit être à la fois

«offensive» et «défensive».

4. Notre thèse fondamentale a été exposée ce matin et tout à l’heure par le professeur

LuigiCondorelli, qui est lui un avant-centre dans notre équipe: ce sont les organes du défendeur

qui ont été les auteurs du génocide. Ce n’est donc que subsidiairement, «i n the alternative», que

nous faisons valoir que, si vous n’étiez pas convain cu par cette argumentation, la responsabilité de

la Serbie-et-Monténégro n’en serait pas moins engagée du fait que, comme l’énonce avec concision

mais clairement l’article8 des articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat pour fait

internationalement illicite :

«Le comportement d’une personne ou d’ un groupe de personnes est considéré
comme un fait de l’Etat d’après le droit international si cette personne ou ce groupe de

personnes, en adoptant ce comportement, ag it en fait sur les instructions ou les
directives ou sous le contrôle de cet Etat.»

Deux remarques liminaires s’imposent cependant.

39
5. En premier lieu, j’y ai insisté vendredi dernier , un génocide est composé de, ou, peut-être

plus exactement, se manifeste par, une série d’actes ⎯ceux qui sont énumérés à l’articleII de la

convention de 1948, mais il s’agit d’un crime gl obal qui ne saurait se décomposer en multiples

comportements isolés les uns des autres. C’est son caractère massif et systématique et l’intention

qui l’inspire, qui en font la terrifiante spécificité. Dès lors, si vous considérez qu’un ou des organes

de la RFY ont été parties prenantes au génocide, pour l’avoir conçu ou mis en Œuvre, le défendeur

39
CR 2006/7, p. 35-37, par. 66-70. - 39 -

en est l’auteur (ou, en tout cas, le coauteur si vous estimiez que des entités juridiquement distinctes

au regard du droit international y ont participé) et il est responsable à ce titre, à titre d’auteur. Le

principe de la responsabilité ne fait dans ce cas auc un doute; et si l’on peut se demander si cela n’a

pas de conséquence en ce qui concerne les modalit és de la réparation, je montrerai demain matin

que ceci n’est sans doute pas le cas.

6. Seconde remarque liminaire: comme mon collègue et ami LuigiCondorelli l’a montré

d’une façon qui me paraît irréfutable, il est clair que des organes ⎯ des organes de jure, de la RFY

ont, sans aucun doute, participé au génoc ide perpétré contre les non-Serbes de

Bosnie-Herzégovine: la présidence et, d’abord, le président de la Serbie, l’ont conçu et ont

constamment contrôlé les opérations de sa mise en Œuvre; la JNA, puis la VJ, son armée, y ont

activement participé; et la même chose est vraie des ministères de l’intérieur et des forces de police

tant de la RFY elle-même que de la République de Serbie. Dès lors, ma remarque précédente

prend tout son sens : la responsabilité du défendeur est, de toute façon, engagée par les actes de ses

organes, définis comme tels par son droit intern e, conformément à la règle indiscutable énoncée à

l’article 4 des articles de la CDI.

7. En ce qui concerne les autres acteurs de ce drame horrible, la Republika Srpska et son

armée, la VRS, d’une part, et les unités param ilitaires serbes, d’autre part, il me semble que

LuigiCondorelli a montré, de façon convaincante, qu’elles doivent être considérées, elles aussi,

comme des organes de la RFY. Au demeurant si, «par impossible» comme l’on dit, vous n’en étiez

pas convaincus, Madame et Messieurs les juges, ce ci n’aurait guère de conséquence concrète: la

responsabilité du défendeur n’en serait pas moins en gagée, en vertu du principe énoncé, non pas à

l’article 4, mais à l’article 8 cette fois, des articles de la CDI.

8. Pour l’établir, je partirai de l’ arrêt de la Cour dans l’affaire des Activités militaires et

paramilitaires. Ceci peut vous paraître paradoxal, Ma dame le président, puisque, comme j’ai

essayé de l’expliquer vendredi, le test Nicaragua n’est pas intégralement transposable à la présente

espèce. Mais il y a deux aspects bien distincts dans la décision de votre haute juridiction de 1986 :

⎯ d’une part, et c’est la substance même de ce fa meux «test», sans doute le plus strict que l’on

puisse imaginer en matière d’attribution, vous avez examiné les modalités du contrôle exercé

par les Etats-Unis et avez constaté que les contras ne dépendaient pas totalement d’eux; aussi - 40 -

exigeantes que soient les conditions posées dans l’arrêt de1986, il m’apparaît que, sous cet

angle, tant les unités paramilitaires qui ont accompli leur sinistre besogne en

Bosnie-Herzégovine ou la Republik a Srpska elle-même et son arm ée, la VRS, les remplissent

⎯ ces conditions ⎯ sans difficulté;

⎯ d’autre part, il y a la question de savoir jusq u’à quel degré le contrôle en question doit

s’exercer: doit-il porter sur chaque acte génocid aire commis par ces entités ou peut-on, dans

les circonstances de la cause, se borner à consta ter l’existence d’une dépendance globale?

C’est à ce second point de vue qu’il faut, je crois, comme je l’ai dit, «oublier Nicaragua», non

pas parce que ce serait un «mauvais test», mais parce qu’il n’est pas pertinent en matière de

génocide, comme Luigi Condorelli vient de le redire.

9. Je reviendrai sur ce second aspect, que j’ai déjà évoqué la semaine dernière 4, après avoir

rappelé les éléments qui permettent de parler de dépendance ⎯ ce que je peux faire d’ailleurs assez

brièvement car ils sont essentiellement les mêmes que ceux mis en avant par le

professeurCondorelli pour établir qu’il s’agissait en fait, à l’époque, d’organes de facto de la

Yougoslavie.

1. La Republika Srpska et la VRS

10. Madame le président, les Serbes de Bosnie-Herzégovine proclament leur

«indépendance» (et il faut, bien sûr, mettre le mot entre guillemets) le 28 février 1992 ⎯ à une date

où le territoire qu’ils veulent rendre ethniqueme nt pur est massivement occupé par l’armée

yougoslave, la JNA 41, et c’est là, assurément, un élément permettant à l’évidence de considérer

qu’à cette date en tout cas, Belgrade exerçait un contrôle amplement suffisant pour que rien ne

puisse s’y faire sans son accord 42. Ensuite il est vrai, la JNA est censée s’être retirée, le

43
19mai1992, à la suite d’une vigour euse demande du Conseil de sécurité . Tant dans ses

40CR 2006/8, p. 33-37, par. 60-71.
41
o Voir réplique de la Bosnie-Herzé govine, p. 790, par. 85 (citant TPILe procureur c. Duško Tadi ć, affaire
n IT-94-1-T, Chambre de première instance, jugement, 7 mai 1997, par. 124).
42
Voir CoDH, Loizidou c. Turquie, exceptions préliminaires, 23 mars 1995, Recueil des arrêts et décisions ,
1995, série A, n 310, par. 62, p. 24 ou(fond), 18 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions , série A, 1996-VI,
p.2234-2235, par. 52, et p. 2235-2236, par. 56; voir aussi Chypre c. Turquie, requête n 25781/94, arrêt, 10 mai 2001,
Recueil des arrêts et décisions , série A, 2001-IV, p. 261, pa76. Voir aussi, par analogie,Activités armées sur le
territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt du 19 décembre 2005, par. 178.

43S/RES/752 (1992), 15 mai 1992. - 41 -

écritures 44 que lors de ses plaidoiries orales 45, la Bosnie-Herzégovine a montré que ce retrait

46
⎯ pudiquement appelé «redéploiement» (relocation) par le défendeur ⎯ était purement

cosmétique et ne correspondait à aucune réalité comme mon ami Luigi Condorelli vient encore de

le rappeler :

⎯ en réalité, il s’est agi d’un simple changement de nom, l’armée de la Republika Srpska, la

47
VRS, pure «fiction juridique» selon les mots de la juge McDonald du TPIY , ayant

simplement succédé à la JNA, préalablement ethniquement «épurée», «nettoyée» de ses

éléments non serbes (je continue, Madame le président, à avoir du mal à prononcer ces mots :

épuration, nettoyage…) 48;

⎯ à la suite de cette mascarade ⎯ car c’est bien de cela qu’il s’agit ⎯ tout l’encadrement de cette

49
armée a continué à recevoir sa solde et ses promotions de Belgrade (exclusivement) ; quant

aux hommes de troupe, ils étaient payés officiellement par les autorités de Pale ⎯ encore pas

tous ⎯ mais les fonds pour ce faire provenaient, eux aussi, exclusivement de la RFY comme

50
cela ressort avec une grande clarté de l’exposé qu’a fait ce matin M. Torkildsen ; de plus, la

51
VRS était ravitaillée en armes et munitions depuis la RFY ; le Conseil de sécurité n’a du reste

pas été dupe puisque par une nouvelle résoluti on, du 30 mai 1992 cette fois, la résolution 757

(1992), il a exigé que «des mesures soient pri ses concernant les unités de l’armée populaire

yougoslave en Bosnie-Herzégovine, y compris la di ssolution et le désarmement…» et pris des

44Voir mémoire, sect. 2.3.6, p. 77-81 ou réplique, chap. 8, sect. 4, p. 554-573.

45CR 2006/2 (Van den Biesen), p. 40-42, par. 37-44; CR 2006/4 (Karagiannakis), p. 15, par. 21-22.
46
Contre-mémoire, sect. 3.1., p. 245.
47 o
Opinion jointe à TPIY, Le procureur c. Tadić, affaire n IT-94-1-T, Chambre de première instance, 7 mai 1997,
p. 5; voir aussi la position de la majorité, par.115-117 et TPIY, Le procureur c.Karadži ć et Mladić, affaires
nosIT-95-5-R61 et IT-95-5-R61, Chambre de première instance, examen des actes d’accusation dans le cadre de
l’article 61 du Règlement de procédure et de pre uve, 11 juillet 1996, par. 58 ou 77. Voir aussi Le procureur c. Brdjanin,
affaire n IT-99-36-T, Chambre de première instance, 1 septembre 2004, par. 150-151.

48Cf. mémoire, p.65-66, par. 2.3. 3.2 et p. 247, par. 6.2.3.1; réplique, p.557-562, par.147-155; CR2006/2

(Vanden Biesen), p. 38, par. 31; CR2006/4 (Karagiannakis) , p. 15, par. 21; CR2006/8 (Van den Biesen), p.40-42,
par. 7-11.
49
Réplique, p. 649-652, par. 308-311; CR 2006/8 (Van den Biesen), p. 42, par. 12 et p. 44-47, par. 19-30.
50Voir aussi : mémoire, p. 85-93, par. 2.3.8.1-2.3.8.6; réplique, chap. 8, sect. 8, p. 646-650, par. 304-307.

51Cf. mémoire, p.81-83, par.2.3.7.1; réplique, p.807, par.127 et chap . 8, sect. 7, p. 632-636, par. 279-285;
CR2006/2 (Van den Biesen), p. 41, par. 41 et p.46-47, par. 61-66; CR 2006/4 (Karagiannakis), p. 12-14, par. 10-17;

CR 2006/8 (Van den Biesen), p. 40-42, par. 7-11 et p. 54-55, par. 60-64. - 42 -

sanctions à l’encontre de la RFY pour ne s’être pas conformée à ses demandes précédentes 52,

sanctions qui ne seront levées qu’après les accords de Dayton-Paris de 1995;

⎯ et des unités de la VJ (nouveau nom de l’ armée yougoslave) ont continué, massivement,

systématiquement, à prêter un concours décisif aux opérations d’épuration ethnique menées en

53
Bosnie-Herzégovine , y compris (mais pas seulement) à Srebrenica où elles ont joué un rôle

crucial 54.

L’examen du rôle des ministères yougoslave et ser be de l’intérieur et des forces de police en

55
dépendant permet de faire les mêmes constatations .

11. Mais le contrôle de la Republika Srpska par la RFY n’est pas seulement militaire.

Comme M. Torkildsen l’a montré ce matin, ce pseudo-Etat est entièrement dépendant de la création

d’instruments monétaires par la Banque nationale de Yougoslavie à laquelle la Banque nationale de

56
la Republika Srpska, dont l’existence était fort virtuelle, est entièrement subordonnée . Je me

borne à rappeler à cet égard les termes du comp te rendu de la réunion de décembre1994 des

gouverneurs des Banques nationales de Yougoslavie, de la Republika Srpska et de la Republika

Srpska Krajina: «La Banque nationale de Yougo slavie exerce sur les activités de la Banque

nationale de la Republika Srpska … un contrôle exclusif dont les modalités sont fixées par elle.» 57

C’est que, comme le proclamait Miloševi ć dans une déclaration à l’agence de presse Yugoslav

News, le 11 mai 1993: «Serbia has lent a great, great d eal of assistance to the Serbs in Bosnia.

Owing to that assistance they have achieved most of what they wanted.» 58

52Voir aussi les résolutions de l’Assemblée générale 46/242 du 25 août 1992 et 47/121 du 18 décembre 1992.

53Voir mémoire, p. 31, par.2.2.2.15, p. 36, par. 2.2.2.18, p.48-49, par. 2. 2.5.3, p.52-53, par. 2.2.5.12, p.35,
par.2.2.5.7, p. 53, par. 2.2.5.14; réplique, p.573-596, par.166-205; CR2006/ 2 (Van den Biesen), p.36, par.23;
CR2006/5 (Karagiannakis), p. 24, par. 12, p. 31-32, par. 35- 37, p. 34, par. 43; CR 2006/8 (Van den Biesen), p.50-52,

par. 37-47.
54Voir mémoire, p. 35, par. 2.2.2. 16; réplique, p.594-596, par.201-204; CR2006/4 (Van den Biesen), p.39,

par. 11 et p. 40-43, par. 16-24.
55Voir mémoire, sect.2.3.4, p.66-71; réplique, chap . 8, sect. 6, p. 474-478, par. 24-30 et p. 597-612,

par.206-238; CR2006/2 (Van den Biesen), p.49-51, par. 71-74; CR2006/4 (Karagiannakis), p. 13, par. 15-16;
CR 2006/4 (Van den Biesen), p. 46, par. 36; CR 2006/8 (Van den Biesen), p. 53, par. 53.
56
Voir réplique, chap.8, sect.9, p.674-685, par. 346-368; CR2006/4 (Karagiannakis), p.20-21, par. 41-45;
CR 2006/8 (Van den Biesen), p. 49, par. 35.
57
Compte rendu officiel de la réunion des gouverneurs de la Banque nationale de Yougoslavie, de la Banque
nationale de la Republika Srpska et de la Banque nationale de la Republika Srpska Krajina, 5 décembre 1994, cité dans la
réplique, p. 680, par. 358 et annexe 226, p. 2.
58 o
TPIY, Le procureur c. Milooevi ć, affaire n IT-02-54-T, décision relative à la demande de jugement
d’acquittement, 16 juin 2004, pièce n C4721. - 43 -

12. Plus généralement encore, l’impulsion et la direction politiques et idéologiques de

Belgrade ont été constantes durant la préparation et toute la période «active» de l’épuration

ethnique. Pour n’en donner que quelques exemples :

⎯ c’est lors d’une réunion à Belgrade, te nue sous la présidence de Miloševi ć en juillet 1991, que

la politique d’épuration ethnique fut arrêtée ; 59

⎯ c’est lors d’une autre réunion, toujours à Belgra de, qu’il fut convenu au plus haut niveau entre

le président fédéral, le président de la Républi que de Serbie, le président de la République du

Monténégro, le chef d’état-major de la JNA, le président, le vice-président et le président de

l’Assemblée de la Republika Srpska, ainsi que le membre serbe de la présidence de la RFY,

qu’il fut décidé, le 30 avril 1992, que le général Mladi ć devait prendre la direction de l’armée

60
en Bosnie-Herzégovine ;

⎯ en outre, comme le montre le compterendu de la réunion des leaders serbes de Serbie, de la

Krajina et de Bosnie-Herzégovine du 9 janvier 1993 que M. van den Biesen a analysé vendredi,

ces derniers, Karadžić en particulier, se montrent soucieux de protéger la «mère patrie» et ce

dernier déclare que, comme convenu, «if we would be in a situation to endanger the position of

61
the mother country ⎯ Serbia and Montenegro [, w]e would cut our boat loose» ⎯ si l’on se

déclare prêt à couper les amarres, c’est qu’amarres il y avait…; et,

⎯ last but not least, la Republika Srpska a été représentée, lors des négociations de Dayton,

en 1995, Luigi Condorelli l’a évoqué tout à l’heure, par «le président Slobodan Milošević, chef

de la délégation de la Républi que fédérale de Yougoslavie» qui , par des lettres adressées aux

ministères des affaires étrangères de divers pays, a donné l’assurance que la RFY «prendra

toutes les mesures nécessaires…pour faire en sorte que la RepublikaSrpska respecte

62
intégralement les dispositions des annexes [la concernant] et s’y conforme totalement» . Quel

aveu, Madame le président !

59
Voir CR 2006/4 (Karagiannakis), p. 11, par. 5-7.
60CR 2006/4 (Van den Biesen), p. 26-27, par. 17-18.

61CR 2006/8 (Van den Biesen), p. 58, par. 78; témoignage de M. Lilić, TPIY, Le procureur c. Milošević, affaire
n IT-02-54, CR du 17 juin 2003, p. 2572.

62S/1995/999, 30 novembre 1995, p. 131. - 44 -

13. Il est difficile de ne pas voir dans cette accumulation de liens (de subordination) de la

Republika Srpska et de son armée avec la RFY, au tre chose qu’une situation de dépendance totale

63
permettant de qualifier ces entités d’organes du défendeur . Mais si ce n’était pas la conclusion à

laquelle vous deviez aboutir, Madame et Messieurs de la Cour, vous devriez certainement en

déduire que, contrairement aux contras dans l’affaire des Activités militaires, tant la VRS que la

Republika Srpska étaient placées sous le contrôle du défendeur ⎯ un contrôle qui, conformément à

la règle codifiée à l’article 8 des articles de la CDI de 2001, entraîne sa responsabilité pour les

comportements de ces entités, contraires à la c onvention sur le génocide. La déclaration de

Radovan Karadži ć, durant la quarantième session de l’Assemblée de la Republika Srpska

des10et11mai 1994, sonne aussi comme un aveu: «Without Serbia nothing would have

64
happened, we don’t have the resources and would not have been able to make war.»

2. Les forces paramilitaires serbes opérant en Bosnie-Herzégovine

14. L’examen des liens entre les forces para militaires serbes opérant en Bosnie-Herzégovine

et la RFY conduit aux mêmes constatations.

15. Comme Luigi Condorelli l’a rappelé tout à l’heure, elles relèvent de deux catégories

distinctes. Les unes, formées sur place, ont ét é intégrées dans la VRS, l’armée des Serbes de

Bosnie-Herzégovine; il n’y a donc pas lieu de s’inte rroger de manière particulière sur la nature de

leurs liens juridiques avec le défendeur: elles s ont contrôlées par lui de la même manière que la

VRS l’est. Les autres se sont formées en RFY et ont exercé leur Œuvre de mort dans les territoires

contrôlés par les Serbes de Bosnie-Herzégovine qu ’elles ont fortement contribué à «nettoyer» des

populations non serbes qui y vivaient.

16. Magda Kagiannakis a montré ce matin le rô le essentiel que ces formations paramilitaires

ont joué dans le génocide commis contre les populations musulmanes de Bosnie-Herzégovine. Or

ces «forces spéciales» de sinistre mémoire, les «Scorpions», les «Tigres» d’Arkan, les «Tchetniks»

de Sešelj, d’autres encore, sont des créatures de Belgrade :

63Cf. Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 62, par. 109.

64Quarantième session de l’Assemblée de la Republika Srpska, 10-11 mai 1994, Br čo, ERNs
0215-2482-0215-2616, Karadžić: 0215-2533. Voir aussi le rapport de R. Donia, expert, affaireIT-02-54-T, p. 62,
CR p. 23144. - 45 -

⎯ elles ont été formées et placées sous contrôle du ministère serbe de l’intérieur en vertu des lois

sur les affaires intérieures et la défense na tionale adoptées par le Parlement national serbe

les 17 et 18 juillet 1991 ; 65

⎯ elles ont été armées, équipées et entraînées par la JNA et le MUP (le ministère de l’intérieur

66
serbe) ; et

⎯ elles agissaient de concert avec le s forces armées et la politique offi cielle de la RFY et étaient

placées en ces occasions sous les ordres d’officiers de ces deux armes 67.

17. L’existence de ces liens très étroits a ét é condamnée tant par l’Assemblée générale,

notamment par ses résolutions 48/88 du 20 déce mbre 1993 et 49/10 du 3 novembre 1994, que par

le Conseil de sécurité qui a exigé (en vain), dans sa résolution 819 (1993) du 16 avril 1993, «que la

République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) cesse immédiatement la fourniture

d’armes, d’équipement et de services de caractère militaire aux unités paramilitaires serbes dans la

Bosnie-Herzégovine».

18. Le doute n’est guère permis, Madame le président: les forces paramilitaires serbes

étaient certainement, elles aussi, placées sous le c ontrôle du défendeur. Et la comparaison avec les

constatations faites par la Cour dans l’affaire du Nicaragua est édifiante :

⎯ dans celle-ci, les bandes d’opposition armées au gouvernement sandiniste se sont formées, ou

s’étaient formées, indépendamment de toute inte rvention des Etats-Unis et avant que ceux-ci

leur fournissent une aide illicite 68; dans notre affaire, les forces paramilitaires serbes ont été

créées avec le soutien actif du gouvernement de Belgrade;

65 Official Gazette of the Republic of Serbia , 25 et 27 juillet 1991, Le procureur c. Miloševi ć, affaire
no IT-02-54-T, pièce n P352, onglet 24 et pièce n P526, onglet 21; voir aussi réplique, p. 616, par. 247.

66Voir mémoire, p. 67-68, par. 2.3.4. 2 et p. 274, par. 6.4.2.1, p. 276, par. 6.4.2.5; réplique, p.602-604,
par.218-221; p.615-625, par.246-264; p.632-636, par. 279-285 ou p. 784, par.68-69; CR 2006/2 (Vanden Biesen),
p. 49, par. 72.

67Mémoire, p. 35, par. 2.2.2.16, p. 48, par. 2.2.5.3; réplique, p.602-604, par.218- 221 ou p. 623, par. 263; voir
aussi, p.566-573, par.265-278 ou p.784- 785, par.70-71. CR 2006/2 (Van den Biesen), p. 49, par. 70, CR/2006/9,
os
(Karagiannakis). Voir au ssi, en particulier, TPIY, Le procureur c. Karadži ć et Mladi ć, affaire n IT-95-5-R61 et
IT-95-18-R61, examen des actes d’accusation dans le cadre de l’article 61 du Règlement de procédure et de preuve,
par. 56.
68
Voir Activités militaires et par amilitaires au Nicaragua et contre ce lui-ci (Nicaragua c.Etats-Unis
d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 53-55, par. 93-94 et p. 61-62, par. 108. - 46 -

69
⎯ les contras ont participé seuls aux opérations arm ées illicites sur le territoire du Nicaragua ;

les forces paramilitaires serbes ont agi de concert et sous le commandement de l’armée ou de la

police du défendeur sur le territoire bosniaque;

⎯ dans son arrêt de 1986, la Cour a déclaré n’avoir pas été «convaincue que l’ensemble des

opérations lancées par la force contra, à chaque étape du conflit, obéissait à une stratégie et à

des tactiques qui auraient toutes été élaborées par les Etats-Unis» 70; dans l’affaire qui nous

occupe, c’est le gouvernement de Belgrade qui in spire et mène à bien la hideuse épuration

ethnique dont les forces paramilitaires ne sont ⎯ parmi d’autres ⎯ que des exécutants.

19. Comme la Republika Srpska, comme la VJ, les forces paramilitaires serbes n’étaient, en

réalité, à l’époque où le génocide a été commis, que des organes, des déme mbrements de l’Etat

défendeur. Mais, ici encore, si vous ne l’admettie z pas, Madame et Messieurs les juges, force

serait de constater qu’ils n’en étaient pas moins sous le contrôle, global et ferme, de celui-ci, ce qui

suffit à engager sa responsabilité.

3. La pertinence du contrôle global

20. Ceci étant, Madame le président, je le reconnais bien volontiers, nous n’avons pas établi

que chacun des actes par lesquels le génocide s’est manifesté avait été ordonné à Belgrade

⎯même si certains l’ont indiscutablement été co mme en ce qui concerne l’établissement d’une

71
zone exclusivement serbe de 50kilomètres au-delà de la Drina ou les monstrueux massacres de

Srebrenica 72. Ce serait d’ailleurs une preuve impossible, une probatio diabolica. D’abord, il y a

trop d’actes génocidaires, trop de meurtres, de vi ols, de mauvais traitements systématiques,

constituant autant d’atteintes gr aves à l’intégrité physique ou mentale des populations nonserbes

des territoires contrôlés par les Serbes. Ensuite et surtout, cette preuve, je le crois très

profondément, ne doit pas être exigée en l’espèce co mpte tenu des caractéristiques si particulières

du crime de génocide.

69
Voir ibid., p. 60, par. 102.
70Ibid., p. 61, par. 106.

71TPIY, Le Procureur c Deronji ć, interrogatoire de l’accusé, affaire IT-02-61-S, CR du 27 janvier 2004,
p. 117.

72Voir réplique, p. 583, par. 185 (artic le de presse attestant des ordres de Belgrade dans l’attaque de la Bosnie
orientale), p. 595, par. 203 ou CR 2006/4 (Van den Biesen), p. 38, par. 9. - 47 -

21. Dès lors en effet que le génocide n’ est pas une addition de violations du droit

international détachables les unes des autres, mais un manquement gravissime à une norme

impérative du droit international général qui se manifeste par un ensemble (l’anglais le dit mieux :

un [ou une? Le français pose, décidément plus de problèmes de masculin/féminin que

l’anglais…], un ou une pattern) de comportements contraires au droit international inspirés par une

intention unique, on ne peut pas ⎯et on ne doit pas ⎯ se focaliser sur chacun de ces cas

particuliers. De même, l’élém ent subjectif du génocide, le mens rea , c’est-à-dire l’intention

génocidaire, ne peut être que global. De même au ssi, l’attribution de ces actes et de cette intention

ne peut, elle aussi, que reposer sur des critères qui ne peuvent être que globaux.

22. Il me semble d’autant plus vain d’essayer de décomposer le génocide en vue de procéder

à l’opération d’attribution en une multitude d’act es que, en l’espèce, l’épuration ethnique a été une

entreprise commune: pensée et initiée à Belgrade, elle a été menée à bien ⎯ «à mal» serait

sûrement plus exact… ⎯ conjointement par le Gouvernement de la RFY et par ses auxiliaires

73
(surrogates) ⎯ même si le défendeur n’aime pas ce mot ⎯ en Republika Srpska.

23. Toutes ces raisons, Madame le président, n’autorisent qu’une seule conclusion: le

défendeur est responsable du crime de génocid e perpétré contre les populations non serbes ⎯ et

particulièrement musulmanes ⎯ de Bosnie-Herzégovine. Il l’est, comme l’a montré le professeur

LuigiCondorelli, sur le fondement de la règle é noncée à l’article4 des articles de la CDI parce

qu’il a agi par ses organes, ceux que son droit inte rne reconnaît comme tels, bien sûr, mais aussi

ceux qui, tout en n’étant pas définis comme tels, le sont en réalité, comme la Republika Srpska et

son armée, d’une part, et comme les groupes pa ramilitaires serbes, d’au tre part. Mais sa

responsabilité se trouverait tout autant engagée si vous ne reteniez pas cette analyse, Madame et

Messieurs de la Cour, et si vous vous fondiez non pas sur la règle d’attribution énoncée à l’article 4

des articles de la CDI mais sur celle figurant à l’article8. Et ceci, au fond, ne change,

concrètement, rien à l’affaire.

73
Voir contre-mémoire, p. 321, par. 5.1.14; voir aussi réplique, p. 782, par. 61. - 48 -

II. Les actes ancillaires au génocide sont attribuables au défendeur

24. J’en viens maintenant, Madame le président, aux actes autres que le génocide proprement

dit, énumérés à l’article III de la convention de 1948 que j’aborderai dans l’ordre suivant :

⎯ d’abord, l’incitation directe et publique à commettre le génocide;

⎯ ensuite, l’entente en vue de commettre le génocide;

⎯ enfin, la complicité dans le génocide.

25. Mais un problème préalable se pose, que je n’ai fait qu’effleurer dans ma plaidoirie de

vendredi: comment ces différents faits générate urs de responsabilité se combinent-ils avec le

principal, celui qui est au centre des conclusi ons de la Bosnie-Herzégovine, la commission du

génocide lui-même? A vrai dire le problèm e se pose différemment en ce qui concerne la

complicité, d’une part, l’incitation et l’entente, d’autre part.

26. S’agissant des deux dernières, il s’agit clairement de deux chefs de responsabilité

distincts, qui se situent en amont du génocide. C’ est très clairement le cas pour l’incitation, qui

peut, certes, continuer pendant que le génocide est en cours de façon à, si j’ose dire, «raviver

l’ardeur» des exécutants, mais qui peut aussi ⎯et ce sera en général le cas ⎯ être préalable au

«passage à l’acte». Du reste, le TPIR n’a pas hésité à faire du génocide, d’une part, de l’incitation,

74
d’autre part, des chefs d’accusation et de condamnation distincts . Il en va de même pour

l’entente, le common plan en vue de commettre le génocide qui, comme j’ai déjà eu l’occasion de

le dire 75, constitue aussi un chef d’inculpation distin ct, comme la pratique du TPIR le montre

76
également .

27. Tel n’est pas le cas en ce qui concerne la complicité: selon le Tribunal pénal

international pour le Rwanda : «une même personne ne peut pas être à la fois l’auteur principal et le

complice d’un fait spécifique. Le même fait repr oché à un accusé ne peut donc être à la fois

constitutif de génocide et de complicité dans le génocide» 77. Ceci rejoint du reste à nouveau la

position prise, par la Cour e lle-même, dans l’affaire des Activités militaires (dans laquelle

74Cf. TPIR, Le procureur c. Eliézer Niyitegeka , affaire n ICTR-96-14-T, jugement portant condamnation,

16 mars 2003, par. 480.
75CR 2006/8, p. 25, par. 43.

76Cf. TPIR, Le procureur c. Kambada , affaire n ICTR 97-23-S, jugement, 4 septembre 1998, par.40 ou
Le procureur c. Eliézer Niyitegeka, affaire nR-94-T, jugement, 16 mai 2003, par. 480.

77TPIR, Le procureur c. Alfred Musema , affaire n ICTR-96-13, Chambre de prem ière instance, jugement et
sentence, 27 janvier 2000, par. 175. - 49 -

78
cependant, curieusement, elle semble app liquer le même raisonnement à l’incitation ⎯ mais, de

toute manière, le problème se pose, à cet égard, différemment dans notre espèce puisque l’article III

de la convention opère expressément la distinction entre incitation, d’une part, et complicité,

d’autre part).

28. Ces différences entre les trois catégori es d’infractions en cause ont évidemment des

conséquences en ce qui concerne les conclusions de la Bosnie-Herzégovine ⎯qui seront du reste

légèrement modifiées sur ce point à la fin des audi ences car celles figurant dans sa réplique ne sont

79
pas explicites à cet égard ⎯ alors même qu’il ressort très clairement du paragraphe181 du

chapitre 10 80 de la réplique, que la Bosnie-Herzégovi ne ne conclut à la constatation de la

responsabilité de la Serbie pour complicité dans le génocide «que de manière très subsidiaire» (only

very subsidiarily) dans l’hypothèse ⎯ improbable ⎯ où la Cour ne pourrait constater que le

défendeur a, lui-même, commis le génocide c ontre les Musulmans et les autres populations

non serbes de Bosnie-Herzégovine, soit par ses orga nes, soit par le fait de personnes ou de groupes

de personnes placés sous son contrôle.

29. Je commencerai, Madame le président, si vous le voulez bien, par :

1. L’incitation directe et publique à commettre le génocide

30. Celle-ci est expressément visée à l’article III c) de la convention de 1948 auquel renvoie,

tout aussi expressément, l’articleIX. Mais, la convention fût-elle muette , une telle incitation à

commettre un fait internationalement illicite n’en se rait pas moins génératrice de la responsabilité

du défendeur : dans l’affaire du Nicaragua, la Cour a relevé que les Etats-Unis avaient, au titre des

«principes généraux du droit humanitaire dont les c onventions [de Genève de 1949] ne sont que

l’expression concrète», «l’obligation de ne p as encourager des personnes ou des groupes prenant

part au conflit au Nicaragua à agir en violation» des dispositions fondamentales de celles-ci 81. Il en

résulte que, dès lors que la Cour a compétence pour trancher «les différends entre les parties

78
Activités militaires et param ilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c.Etats-Unis d’Amérique),
fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 64, par. 114.
79
Voir réplique, p. 972, par. 7.2.
80Réplique, p. 828-829.

81 Activités militaires et param ilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c.Etats-Unis d’Amérique),
fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 114, par. 220. - 50 -

contractantes relatifs à…l’application ou l’exécuti on» de la convention, elle l’aurait, même en

l’absence de toute précision, pour constater la responsabilité de la Serbie-et-Monténégro à ce titre.

31. Comme je l’ai rappelé vendredi, on ne pe ut s’attendre dans le monde contemporain à ce

qu’un Etat appelle ouvertement à l’éradication, fût- elle partielle, d’un groupe humain. Aussi bien

n’est-ce pas ainsi que la jurisprudence interprète l’alinéa c) de l’articleIII de la convention, y

compris lorsque des individus sont en cause 82. Elle admet que l’appel puisse être «codé» mais

parfaitement déchiffrable dans le contexte culturel dans lequel l’incitation est faite.

32. Deux aspects doivent être soulignés à cet égard. En premier lieu, les autorités de

Belgrade, dont nous avons noté à plusieurs repris es qu’elles étaient soucieuses d’une certaine

83
respectabilité internationale ⎯ aussi peu respectables qu’elles fussent à l’époque ⎯ doivent être

considérées comme ayant incité au génocide en prop ageant l’idéologie de la Grande Serbie et en

appelant à la création d’un «Etat de tous les Se rbes» où ceux-ci seraient «entre eux», sans devoir

cohabiter avec des ethnies non serbes et non ortho doxes. En second lieu, les autorités de la

Republika Srpska, ont, pour leur part, très ouvertemen t appelé à pratiquer, sur le territoire qu’elles

contrôlaient, une politique de terreur à l’encontre de ces populations, et tout particulièrement des

Musulmans, de façon à assurer la «pureté ethnique» de ces zones, donc de les y détruire en tant que

groupe. Ce faisant, que ce soit en tant qu’organes de la RFY ou qu’entité placée sous son contrôle,

ces autorités ont engagé la responsabilité de celle-ci. Ces deux aspects sont cependant

indissociables.

33. Mon collègue et ami M e van den Biesen a montré, il y a une semaine que le génocide a

été préparé par la dissémination de l’idéologie de la Grande Serbie et la campagne corrélative à

84
l’encontre des populations non serbes de l’ex-Yougoslavie . L’un des instruments de cette

propagande ultranationaliste a été le mémorandum de l’Académie yougoslave des arts et des

85
sciences de 1986 . Il insistait sur les menaces pesant contre les Serbes, la séparation entre

plusieurs Etats dont ils étaient victimes et appe lait à la revanche contre «le génocide physique,

82
CR 2006/8, p. 23-24, par. 39-41.
83
Voir mémoire, p.85-93, section 2.3.8; voir aussi CR2006/2, (Van den Biesen), p.46-47, par. 62-64 ou
CR 2006/8 (Van den Biesen), p. 57, par. 72, et p. 59-60, par. 82.
84CR 2006/2 p. 28-32. Voir aussi mémoire, p. 59-61, sect. 2.3.1, et réplique, p. 55-68, chap. 4, sect. 1.

85Contre-mémoire, annexe 92. Voir mémoire, p. 60-61, par. 2.3.1.3.-2.3.1.4 et réplique, p. 56-58, par. 5. - 51 -

politique, juridique et culturel de la population serbe au Kosovo et au Metohija», présenté comme

«une défaite pire que toute autre défaite lors des guerres d’indépendance menées par la Serbie

depuis le premier soulèvement serbe en 1804 jusqu’au soulèvement de 1941» . 86

34. Madame le président, cette rhétorique de la haine a été parfaitement décrite par la

Chambre de première instance du TPIY dans le jugement Tadić du 7mai1997 dont il n’est pas

inutile de citer quelques extraits mais dont je me permets, Madame et Messieurs les juges de vous

inviter à relire tous les passages pertinents: ils ét ablissent, de manière rigoureuse, le lien entre la

propagation de l’idéologie de la Grande Serbie et la politique d’épuration ethnique; ces passages

(en particulier les paragraphes85 à 96 du jugement ) sont reproduits dans la réplique de la

Bosnie-Herzégovine 87. Je lis néanmoins les passages les plus révélateurs même si c'est un peu

long :

«88. Cette campagne de propagande [en faveur de la Grande Serbie]

s’accompagna d’un autre mouvement, qui démarra dès1989, avec la célébration du
600 anniversaire de la bataille du Kosovo. Au moment de cette célébration, les
médias sous domination serbe déclarèren t que les Serbes avaient été abandonnés à

eux-mêmes lors de l’invasion de l’empi re ottoman… Les dangers liés à une
communauté musulmane «intégriste et po litisée» étaient également présentés comme
une menace. Au début de la désintégration de l’ex-Yougoslavie, le thème traité par les

médias sous domination serbe était que «si les Serbes devenaient une population
minoritaire pour une raison ou pour une autre, ... toute leur existence risquait de se
voir mise en péril, en danger ... et que par conséquent leur seule alternative serait de
mener une guerre totale contre tous les autres ou, à défaut, de se retrouver, comme par

le passé, dans un camp de concentration du type de Jasenovac».

89. Au début des années quatre-vingt -dix, des rassemblements, auxquels
participèrent des dirigeants serbes, furent organisés pour défendre et promouvoir cette

idée. En1992, Radoslav Br đanin, président de la cellule de crise de la région
autonome serbe de Banja Luka, déclarait que 2% était le pourcentage maximum de
non-Serbes qu’il était possible de tolérer da ns cette région. Il préconisait de se

débarrasser des non-Serbes de la région en trois étapes: 1)par la création de
conditions de vie impossibles qui les incite raient à partir de leur propre chef,
notamment par la pression et par la terreur; 2) par la déportation et le bannissement et

3)par la liquidation des non-Serbes restants qui ne correspondraient pas à ses vues
pour la région.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

91. Avec le temps, cette propagande a gagné en intensité, les non-Serbes étant
régulièrement accusés d’être des extrémistes complotant le génocide des Serbes. Les
périodiques de Belgrade publiaient des récits tirés de l’ancienne histoire serbe et

destinés à inspirer des sentiments nationalistes; Slobodan Kuruzovi ć, le commandant

86
Ibid., p. 128.
87
P. 65-68, par. 15. - 52 -

de la défense territoriale (TO) de Prijedor, qui dirigea par la suite le journal local,

Kozarski Vjesnik, et le camp de Trnopolje, déclara : «la défense des intérêts du peuple
serbe de la Republika Srpska sera la pr emière ligne directrice de ma politique
éditoriale». On disait aux Serbes, au travers d’articles de presse, d’annonces,

d’émissions télévisées et de proclamations publiques, qu’il leur fallait s’armer pour se
protéger contre la menace incarnée par les intégristes musulmans, et que Croates et
Musulmans étaient en train de préparer leur extermination. Les émissions de Belgrade

répandaient la peur chez les non-Serbes, car seule la nation serbe y était présentée sous
un jour favorable, la JNA étant censée avoir pris fait et cause pour eux.
VojislavSeselj, Zeljko Raznjatovic, aussi c onnu sous le nom d’«Arkan», et d’autres

dirigeants politiques serbes disaient à la radio et à la télévision que, pour les Serbes, la
seconde guerre mondiale n’était pas terminée.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

94. Cette campagne de propagande se poursuivit jusqu’en 1993…» 88

35. Vous aurez remarqué, Madame le président , que le Tribunal mène son analyse sans faire

de distinction entre la propagande venue de Be lgrade et les appels très ouverts au génocide des

responsables serbes de Bosnie-Her zégovine. Et à juste titre : l’épuration ethnique par le génocide

programmé des non-Serbes (et des Musulmans en particulier) est un dessein global dont il est

impossible de dissocier les acteurs. Plus crypté chez les dirigeants de Belgrade, le discours est plus

brutal chez leurs affidés de Bosnie-Herzégovine ⎯ mais il est essentiellement le même.

36. Depuis son jugement Tadić, le TPIY a eu l’occasion de confirmer et de compléter son

er
analyse. Dans son jugement Brdjanin du 1 septembre 2004 ⎯que je me propose de citer assez

longuement, toujours en anglais, car, comme je l’ai déjà indiqué, cette décision n’est

malheureusement toujours pas disponible en français ⎯ le Tribunal a, en particulier,

soigneusement analysé, les «Six objec tifs stratégiques» énoncés par Karadži ć devant l’Assemblée

des Serbes de Bosnie, dont nous avons déjà beaucoup parlé 89. Il en analyse ainsi le contenu :

«77. The Trial Chamber is satisfied beyond reasonable doubt that the first
strategic goal entailed the permanent removal of a significant part of the non-Serb
population from the territory of the planned Bosnian Serbian state. When the policy

discussions at the 16th session of the Assembly of the Republic of the Serb People of
Bosnia and Herzegovina on the movement of population are seen in connection with
the inflammatory, combative and der ogatory comments towards the non-Serb

population of Bosnia and Herzegovina made during that same session, it becomes
evident that non-Serbs are viewed as a consta nt threat and that significant numbers of
them were to be permanently removed fro m the territory claimed by the Bosnian

88TPIY, affaire n IT-94-1-T, Chambre de première instance, arrêt, 7 mai 1997, p. 30-35.

89Seizième session de l’Assemblée des Serbes de Bosnie, 12 mai 1992, ERNs 0190-8511 – 0190-8514, Karadžić,
0190-8517 – 0190-8526. Voir CR2006/4 (Karagiannakis), p.18 -20, par. 36-40, CR2006/5 (Karagiannakis), p. 24,
par. 10, CR 2006/5 (Dauban), p. 55, par. 33. - 53 -

Serbs. A comment by Dragan Kalinic, a delegate from Sarajevo and later Health

Minister of the Republic of the Serb People of Bosnia and Herzegovina, is of note:

«Have we chosen the option of war or the option of negotiation? I

say this with a reason, and I must add that, knowing who our enemies are,
how perfidious they are, how they cannot be trusted until they are
physically, militarily destroyed and crushed, which of course implies
eliminating and liquidating their key people.»

78. The 16th session of the Assembly of the Republic of the Serb People of
Bosnia and Herzegovina represents the culmination of a political process. At this

session, not only were the strategic goals of the Serbian people of Bosnia and
Herzegovina articulated, but the Assembly of the Republic of the Serb People of
Bosnia and Herzegovina also took a fundame ntal step towards the implementation of

these goals ….

79. The Trial Chamber is convinced that the six strategic goals of the Serbian
People of Bosnia and Herzegovina articul ated at the 16th session of the Assembly

[Assembly of the Republic of the Serb Pe ople of Bosnia and Herzegovina] were far
from political rhetoric. They constituted th e political manifesto of the Bosnian Serb
leadership and turned out to be the drivi ng factor behind the actions of the Bosnian

Serb armed 90rces, shaping the events in Bosnia and Herzegovina from May1992
onwards.»

37. Etendant son analyse à l’ensemble de la propagande serbe, le Tribunal ajoute :

«80. Prior to the outbreak of the armed conflict, the SDS started waging a
propaganda war which had a disastrous impact on the people of all ethnicities, creating

mutual fear and hatred and particularly inciting the Bosnian Serb population against
the other ethnicities. Within a short period of time, citizens who had previously lived
together peacefully became enemies and ma ny of them, in the present case mainly
Bosnian Serbs, became killers, influenced by a media, which by that time, was already

under the control of the Bosnian Serb lead ership. The use of propaganda was an
integral part of the implementation of the Strategic Plan and created a climate where
people were prepared to tolerate the commission of crimes and to commit crimes.» 91

38. Le même scénario s’est reproduit dans le nord et dans l’est de la Bosnie-Herzégovine.

Et, bien entendu, tout cela est dûment étayé pa r des preuves solides auxquelles renvoient les très

nombreuses notes de bas de page qui émaillent le jugement du Tribunal ⎯comme la plupart des

décisions de cette juridiction.

39. Quant au rôle des autorités de la RFY da ns ces incitations à la haine ethnique et au

génocide, il est crucial, comme le TPIY, toujours, l’a parfaitement mis en lumière dans sa décision

relative à la demande d’acquittement de Milošević du 16 juin 2004, dans laquelle il souligne le

contrôle exercé sur les médias par le président de la République de Serbie, le «Leader de tous les

Serbes» :

90 o er
TPIY, Le procureur c. Brdjanin, affaire n IT-99-36-T, jugement, 1 septembre 2004, par. 75-79.
91Ibid., par. 80; voir aussi particulièrement les paragraphes 82 et 83. - 54 -

«255. The Accused [that is Milošević] manipulated the Serbian media to impose
nationalist propaganda in order to justify the creation of a Serbian State. The Accused
kept the Serbian press under tight surveilla nce, with independent media channels

given less than one-tenth of the national media space in the interest of foreign policy.
General Morillon believed that the Accused was responsible for sowing fear of past

atrocities in the Yugoslav population, ther eby unleashing «dogs» which escaped his
control and contributed to the tragic events.

«256. Mr. Jović testified that

«for more than a decade, the Accu sed was the main political figure in

Serbia. He held absolute authority within the people and within the party,
and he had the possibility of having a decisive role on all decisions made.
And by the same token, he was in a way the main actor of everything that

came to pass during that period of time.»

Mr. Jović gave evidence that «[t]his period of our history was marked, without any

doubt, by the Accused. In every sense, he w as the key figure, the main actor in this
Serbian tragedy...» Professor de la Brosse gave evidence that Mr. Jovi ć, in his book

entitled Last Days of the SFRY, stated,

«For years, [the Accused] paid th e biggest attention to the media,

especially television. He personally appointed editors-in-chief of the
newspapers and news programmes, es pecially directors-general of the
radio and television... He was deeply convinced that citizens formed

their view of the political situation on the basis of what they were
presented and not on the basis of their real material and political position.
What is not published has not happened at all ⎯ that was [Miloševi ć’s]
92
motto.»»

40. Sur le terrain ⎯c’est-à-dire dans les régions de Bosnie-Herzégovine contrôlées par les

Serbes ⎯ ces diatribes contre ces «forces obscures» «qui sont en train de détruire la Serbie et la

Yougoslavie» 93 sont relayées de manière plus brutale encore par les Serbes de Bosnie 94. La

maintenant tristement fameuse déclaration de Radovan Karadži ć lorsqu’il s’adresse pour la

dernière fois au Parlement bosniaque le 14 octobre 1991 en est la quintessence :

«Vous voulez faire parcourir à la Bosnie -Herzégovine la même route d’enfer et

de misère sur laquelle la Slovénie et la Croatie se sont engagées. Attention, vous allez
entraîner la Bosnie-Herzégovine en enfer et allez entraîner l’annihilation, l’élimination

du peuple musulman parce que les Musulmans ne peuvent pas se défendre s’il y a la 95
guerre. Comment voulez-vous empêcher que les gens soient tués en Bosnie ?»

92TPIY, Le procureur c. Milošević, affaire n IT-02-54-T, 16 juin 2004, par. 255-256. Voir aussi Le procureur c.
Tadić, affaire nT-94-1-T, arrêt, 7 mai 1997, par. 130.

93Intervention de Miloševi ć à Radio Belgrade, 14 heures, 10 décembre 1991, BBC Summary of World
Broadcasts, 12 décembre 1991, réplique, annexe 12 [traduction du Greffe].

94Voir par exemple les déclarations de Karadži ć et Mladi ć citées dans la réplique, p.59-60, par. 7, ou celles
d’officiers de la JNA, ibid., p. 61, par. 9.

95TPIY, Le procureur c. Karadži ć et Mladi ć, affaires noIT-95-5-R61 et IT-95-18-R61, examen des actes
d’accusation dans le cadre de l’article 61 du Règlement de procédure et de preuve, p. 24, par. 48. - 55 -

41. Il paraît clair, Madame le président, que les organes du défende ur ont incité, très

directement et très publiquement, à commettre le génocide. Il en va de même en ce qui concerne

l’entente, à laquelle j’en arrive maintenant.

2. L’entente en vue de commettre le génocide

42. Comme je l’ai indiqué vendredi dernier 9, il s’agit ici de savoir si, indépendamment des

liens étroits qui unissent les acteurs du génocide, liens si étroits que les uns ⎯ la Republika Srpska,

son armée et sa police, les forces param ilitaires qui sévissent en Bosnie-Herzégovine ⎯ doivent

être considérés comme les organes de l’autre, la RFY, ou, à tout le moins, comme agissant sous son

contrôle; la question est de savoir s’il existe en tre eux un «plan concerté» en vue de commettre le

génocide. Je rappelle que cette violation spécifique de la convention de 1948 est avérée même si ce

plan ⎯ comme c’est le cas ici ⎯ a été conçu par un seul des protagonistes, les autres y adhérant,

97
en paroles ou par leurs actes .

43. Il va de soi que les liens entre la commission du génocide et l’entente en vue de le

commettre sont étroits. Comme l’a noté la Chambre d’appel du TPIY dans l’affaire Jelisić :

«l’existence d’un plan ou d’une politique n’ est pas un élément juridique constitutif du
crime de génocide. Toutefois, lorsqu’il s’agit d’établir une intention spécifique,
l’existence d’un plan ou d’une politique pe ut, dans la plupart des cas, avoir son

importance. Les éléments de preuve peuve nt ne pas exclure ou peuvent même établir
cette existence, laquelle peut, à son tour, aider à prouver le crime.» 98

44. C’est sans doute dans la base factuelle pour le plaidoyer de culpabilité de Mme Plavši ć,

ancienne coprésidente de la Republika Srpska, auquel M Van den Biesen a fait référence dans sa

99
plaidoirie de lundi dernier , que l’entente entre les dirige ants serbes de la RFY, de

Bosnie-Herzégovine et de Croatie, a été dé finie avec le plus de précision concise ⎯je cite de

nouveau en anglais :

«13. Numerous individuals participated in devising and executing the objective
of ethnic separation by force, including Slobodan Miloševi ć, Radovan Karadži ć,

Momcilo Krajisnik, and Ratko Mladic. Among these individuals there were
differences as to both their knowledge of the details concerning the conception and

96
CR 2006/8, p. 24-26, par. 42-44.
97Voir ibid., p. 26, par. 44.

98TPIY, Le procureur c. Jelisić, affaire n IT-95-10, arrêt, 5 juillet 2001, par. 48. Voir aussi TPIR, Le procureur
c. Obed Ruzindana et Clément Kayishema, affaire n ICTR-95-1-A, Chambre d’appel, décision orale, 1 juin 2001.

99CR 2006/2 (Van den Biesen), p. 33, par. 14. - 56 -

implementation of this objective and th eir participation in conceiving and
implementing its execution…

«14. Certain members of the Bosnian Se rb leadership collaborated closely with
Slobodan Miloševi ć in the conception and execution of the objective of ethnic

separation by force. The two princi pal leaders of the Bosnian Serbs,
Radovan Karadžić and Momcilo Krajisnik frequently came to Belgrade to consult
with, take guidance from or arrange for support from Miloševi ć in achieving this end.

The army of Republika Srpska (VRS) was fina nced and logistically supported by the
political and military leadership in Belgrade, with whom it collaborated and
100
cooperated in order to execute the objective of ethnic separation by force.»

45. Certes, Mme Plavši ć mentionne ici des individus, mais ceux-ci sont les présidents de

leurs entités respectives: la Serbie, Etat fédéral de la RFY, la Republika Srpska et la Republika

Srpska Krajina. Et c’est à ce titre qu’ils se concertent et s’entendent.

46. Cette concertation et cette entente sont constantes avant et durant toute la période du

«nettoyage ethnique». En mars 1991, durant une réunion secrète tenue à Karadjordjevo, Milošević

et Tudjman, le président de la Croatie, s’accord ent sur une division de la Bosnie-Herzégovine sur

des bases ethniques, ce qui se traduira, en mai de l’année suivante par les six «objectifs

stratégiques» que j’ai évoqués tout à l’heure et qui confirment la plan ification minutieuse des

101
opérations . Auparavant, en juillet 1991, avait eu lie u l’importante réunion, dont il a été déjà

102
question à cette barre , entre Miloševi ć, Babić et Karadži ć, durant laquelle Miloševi ć intima à

M. Babić, président de la Republika Srpska Krajin a, de ne pas se mettre dans le chemin

103
de Karadzić (not to «stand in Radovan’s way») . De plus, comme l’a rappelé le TPIY, «le SDS se

trouvait en contact, au moins depuis l’automne 1991 avec les autorités fédéra les, dominées par la

Serbie, et la JNA. Ces contacts visaient, par l’armement des populations serbes et l’organisation

d’une intervention plus directe de la JNA à permettre la prise de pouvoir du SDS sur le territoire de

la Bosnie-Herzégovine» 10.

100TPIY, affaire n IT-00-39&40-PT, 30 septembre 2002, par. 13-14.

101Sur ce point, voir CR 2006/4 (Karagiannakis), p.18-20, pa r. 36-40, et les nombreuse s références aux procès
Milošević et Brđjanin.

102CR 2006/4 (Karagiannakis), p. 11, par. 5-7.
103 o
Sur tous ces faits, voir notamment, TPIY, Le procureur c. Milošević, affaire n IT-02-54-T, décision relative à
la demande d’acquittement, 16 juin 2004, par. 252-254.
104 os
TPIY, Le procureur c. Karadžić et Mladić, affaires n IT-95-5-R61 et IT-95-18-R61, Chambre de première
instance, examen des actes d’accusation dans le cadre de l’ article 61 du Règlement de procédure et de preuve, p.31-32,
par. 55. - 57 -

47. Comme l’a constaté le Tribunal pénal dans le jugement Brdjanin : «Throughout 1991 and

into 1992, the Bosnian Serb leadership communicated with the SFRY leadership on strategic policy

105
in the event that the BiH would become independent» . Et les contacts constants entre

Slobodan Milošević et Radovan Karadži ć dont témoignent, notamment, les écoutes téléphoniques

versées au procès du premier 106confirment l’entente entre la RFY et la Republika Srpska 107.

48. Mais cette entente est plus large. L’exis tence du «conseil de concertation en matière de

politique de l’Etat» est une illustration éclatante de plan concerté existant entre toutes les

composantes du «leadership» serbe. C’est ce conseil dont vous a entretenu M.van den Biesen

108
vendredi à propos de la discussion du plan Vance-Owen, le 9 janvier 1993 . Ce conseil, qui a

probablement été créé durant l’année 1992 et s’est réuni à sept reprises en 1992 et 1993 109, était

composé, sous les auspices du président de la RFY, des présidents de la Serbie, du Monténégro, des

dirigeants de la Republika Srpska et de la Re publika Srpska Krajina, du chef d’état-major de

l’armée yougoslave, et du commandant de l’armée de la Republika Srpska, en l’occurrence Mladić.

Nous n’avons pas toutes les minutes des réunions de ce conseil, mais celles qui sont en notre

possession, sont parlantes: c’est bien d’une en tente en vue de réussir l’épuration ethnique ⎯ qui

n’est, dans notre affaire que le nom, à peine pudique, du génocide ⎯ qu’il s’agit.

49. Dans sa décision du 16 juin 2004 relativ e à la demande d’acquittement de Miloševi ć, la

Chambre de première instance a admis que :

«a Trial Chamber could be satisfied beyond reasonable doubt that there existed a joint

criminal enterprise, which included members of the Bosnian Serb leadership , whose
aim and intention was to destroy a part of the Bosnian Muslim population, and that

genocide was in fact committed in Brcko, Prijedor, Sanski Most, Srebrenica, Bijeljina,
Kljuc and Bosanski Novi» 110.

And the Chamber concluded that:

105TPIY, Le procureur c. Brđjanin, affaire n o IT-99-36-T, Chambre de première instance II, jugement,
er
1 septembre 2004, par. 151.
106TPIY, Le procureur c. Milošević, affaire n IT-02-54, pièce n P613.

107Voir aussi réplique, p. 475, par. 25; p.47 8-482, par.31-36 ou p.765-767, par.12-18; CR 2002/4

(Karagiannakis), «Préparatifs militaires et politiques», p. 10 et suiv.
108CR 2006/8 (Van den Biesen), p.55-60, par. 65-83; voir les minutes rendues publiques au cours du procès
o o
Krajišnio, affaire n IT-00-39 et 40-PT, pièce n P65, onglet 219 et le témoignage de M. Lili ć dans le procès Milošević,
affaire n IT-02-54-T, 17 juin 2003, CR, p. 22574-22579.
109
Témoignage de M. Lilić, ibid., p. 22577.
110 o
Affaire n IT-02-54-T, par. 246; les italiques sont de moi. - 58 -

«a Trial Chamber could be satisfied beyond reasonable doubt that the Accused [that is
Milošević, the President of Serbia] was a particip ant in the joint criminal enterprise,
found by the Trial Chamber … to include the Bosnian Serb leadership, and that he

shared with its partici111ts the aim and in tention to destroy a part of the Bosnian
Muslims as a group» .

50. Certes, Madame et Messieurs les juges, vous n’êtes pas liés par les constatations

juridiques faites par le Tribunal d’à côté. Mais , au vu des preuves de fait qu’il a recueillies et

authentifiées et de celles que nous avons essayé de vous présenter par ailleurs, il paraît difficile,

pour dire le moins, de ne pas considérer que le défendeur doit être tenu pour internationalement

responsable de son obligation de ne pas s’entendre en vue de commettre un génocide.

3. La complicité dans le génocide

51. J’en arrive maintenant, Madame le pr ésident, au troisième et dernier des «actes»

énumérés à l’article III de la convention de1948, qui sont pertinents dans la présente affaire, «la

complicité dans le génocide», visée à l’alinéa e) de cette disposition.

52. Je l’ai déjà dit, mais je le rappelle : nous ne l’invoquons qu’à titre tout à fait subsidiaire,

par précaution en quelque sorte, au cas où vous ne seriez pas convaincus, Madame et Messieurs les

juges, que la RFY a été le principal auteur du génocide, point sur lequel la Bosnie-Herzégovine,

pour sa part, ne nourrit aucun doute.

53. Au demeurant, il ne faut pas s’exagérer la différence existant entre les deux types de

responsabilité. D’abord, si la complicité est pa rfois décrite comme une «participation secondaire»,

comme on l’a écrit, «when applied to genocide, there is nothing «secondary» about it. The

«accomplice» is often the real villain, and the «p rincipal offender» a small cog in the machine.» 112

Telle est aussi l’opinion de la Chambre d’appel du TPIY qui, dans l’affaire Tadić, a déclaré :

«Bien que le crime puisse être physiquement commis par certains membres du
groupe …, la participation et la contribution des autres membres du groupe est souvent
essentielle pour favoriser la perpétration des crimes en question. Il s’ensuit que sur le

plan de l’élément moral, la gravité d’une telle participation est rarement moindre
⎯ ou différente ⎯ de celle des personnes ayant effectivement exécuté les actes
visés.» 113

111
Ibid., par. 288.
112
William A. Schabas, Genocide in International Law, Cambridge UP, 2000, p. 286.
113Affaire n IT-94-1-A, arrêt, 15 juillet 1999, par. 191. - 59 -

54. Ensuite, les règles de la responsabilité internationale sont les mêmes: il s’agit de

deux faits internationalement illicites, distincts, mais qui doivent être établis selon le même schéma

et qui produisent les mêmes conséquences.

55. Enfin, les faits qui pourraient vous permettr e, Madame et Messieurs de la Cour, d’établir

la complicité du défendeur dans le génocide sont les mêmes que ceux que la Bosnie-Herzégovine

vous a présentés dans ses écritures et tout au long des plaidoiries orales.

56. Qu’un génocide ait été commis, dans les zones contrôlées par les Serbes, contre les

populations non serbes de Bosnie-Herzégovine, et tout particulièrement contre les Musulmans, ne

fait aucun doute. Mes collègues l’ont longue ment établi la semaine dernière. Que la

Serbie-et-Monténégro, sous son nom de RFY, y ait pr is part ne fait pas non plus de doute. Ensuite

tout est question d’appréciation et de degré. Etant donné le rôle d’impulsion des autorités de

Belgrade, leur contrôle constant et total sur celles de Pale, l’imp lication massive de la JNA puis de

la VJ et de la police yougoslave dans les opérations d’épuration ethnique en Bosnie-Herzégovine, il

paraît fort difficile de ne pas voir dans la RFY l’auteur principal du génocide. Mais, le seuil

minimal de l’alternative est de considérer, ou ser ait de considérer, qu’elle n’en a été que les

complices: elle y a participé, je le répète, en ta nt qu’Etat, massivement, intentionnellement, et en

pleine connaissance de ce qui se passait.

57. Ceci explique, Madame le président, pourquoi, contrairement à la manière dont j’ai

procédé pour l’incitation et l’entente, qui sont d es violations de la convention «cumulatives» en ce

sens qu’elles entraînent la responsabilité de leurs au teurs indépendamment de leur participation au

génocide, je ne reprendrai pas ici les faits pertinents : ils sont les mêmes que ceux qui ont conduit le

professeur Condorelli à démontrer que la responsabilité du défendeur était engagée par les actes de

ses organes, ou moi-même, à montrer qu’elle l’était ⎯et c’est déjà une position alternative ⎯

parce que la RFY contrôlait les activités de ses féaux en Bosnie-Herzégovine.

58. Sur un point cependant, une précision me paraît s’imposer. Il me semble que nous avons

démontré, sans que le doute soit permis, que les autorités yougoslaves étaient animées d’une

114
intention génocidaire . Comme je l’ai dit vendredi, cette intention (mens rea) est sans doute

11Voir mémoire, p. 218-231, sect. 5.3; réplique, p. 348- 373, chap. 6, par. 1-63 ou CR 2006/6 (Franck), p. 29-34,

par. 8-20. - 60 -

nécessaire pour que l’on puisse parler de «complicité dans le génocide» au sens de l’article III e) de

la convention de 1948 115. Mais même si nous ne vous avions pas convaincus sur ce point, Madame

et Messieurs de la Cour, vous n’en devriez p as moins considérer que le défendeur s’est rendu

complice de génocide car il a aidé, sous de multiples formes, les Serbes de Bosnie-Herzégovine à le

116
commettre .

59. Ici encore, on retrouve l’affaire du Nicaragua, dans laquelle la Cour a décidé qu’à défaut

d’être responsables des actes des contras, les Etats-Unis l’étaient pour l’aide multiforme qu’ils leur

117
avaient apportée . Le moins que l’on puisse dire est que cette aide diversifiée et décisive est

présente aussi dans notre affaire; la RFY a :

⎯ armé, équipé, approvisionné entièrement l’armée de la Republika Srpska, la VRS;

⎯ soutenu massivement, financièrement et économiquement, cet Etat fantoche;

⎯ participé, par ses propres forces armées et sa police, aux opérations d’épuration ethnique;

⎯ créé ou suscité la création de groupes paramilita ires serbes, entraîn és et commandés par ses

propres militaires et policiers, groupes param ilitaires qui ont appuyé ces mêmes opérations

⎯ et qui l’ont fait avec une sauvagerie particulière.

60. Les condamnations répétées des organes d es Nations Unies témoignent de la conviction

de la communauté internationale quant à l’exis tence et à l’importance du soutien continu apporté

par Belgrade aux Serbes de Bosnie. Pour n’en donner que deux exemples (mais parmi beaucoup

d’autres) :

⎯ le 16 avril 1993, le Conseil de sécurité «[ e]xige … que la République fédérative de

Yougoslavie (Serbie et Monténégro) cesse immédiatement la fourniture d’armes, d’équipement

et de services de caractère militaire aux un ités paramilitaires serbes de Bosnie dans la

République de Bosnie-Herzégovine» 11;

⎯ pour sa part, l’Assemblée générale qui avait déjà, le 18 décembre 1992 condamné «l’appui

direct et indirect de l’armée populaire yougoslave [aux] actes agressifs dans la République de

115
Voir CR 2006/8, p. 27, par. 48.
116
Ibid., p. 28, par. 49.2.
117Voir Activités militaires et paramilitaies au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c.Etats-Unis
d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 63, par. 110, p. 65, par. 116, ou p. 146, par. 292.3.

118S/RES/819 (1993); voir aussi : S/RES/820 (1993), 17 avril 1993 ou S/RES/838 (1993), 10 juin 1993. - 61 -

Bosnie-Herzégovine» 119renouvelle cette condamnati on dans sa résolution 48/88 du

20décembre1993, et exige «que la Républiq ue fédérative de Yougoslavie (Serbie et

Monténégro) cesse immédiatement de fournir des armes, du matériel et des services à caractère

militaire aux unités paramilitaires serbes de Bosnie».

61. Tout ceci, Madame le président, c’est bien au minimum de la complicité, et de la

complicité très massive. Et si, par impossible, la Cour devait considérer que cette aide tous azimuts

a été dispensée sans le mens rea propre au génocide, il est, pour le moins, totalement exclu de

penser que la RFY ignorait qu’elle était utilisée afin de le commettre.

62. Il me faut récapituler, Madame le pr ésident. Nous vous avons présenté, Madame et

Messieurs les juges, toutes les hypothèses juridiquement envisageables :

⎯ vous pourriez considérer que le défendeur s’est rendu complice de génocide parce qu’il a

fourni une aide massive et multiforme aux Se rbes de Bosnie-Herzégovine, sans partager leur

objectif de détruire en tout ou en partie, dans les zones contrôlées par eux, les groupes

ethniques non serbes et, en particulier, les Mu sulmans; cette hypothèse minimale nous paraît

tout sauf crédible;

⎯ vous pourriez aussi estimer que la Serbie-e t-Monténégro (alors RFY) a été complice dans le

génocide, du fait de cette même aide, disp ensée non seulement en pleine connaissance de

cause, mais aussi en partageant l’objectif d’ér adication de toute présence non serbe sur le

territoire de la Republika Srpska; c’est certainement le cas, mais cette deuxième hypothèse

repose sur une grave sous-estimation du rôle de direction des autorités de Belgrade dans le

génocide;

⎯ vous pourriez également tenir le défendeur pour responsable du génocide commis par les

entités agissant en fait sur ses instructions ou ses directives ou sous son contrôle; ceci aussi est

exact mais rend mal compte de la situation factuelle et juridique réelle : d’une part, les organes

définis comme tels par le droit de la RFY ont, eux-mêmes, participé, directement, activement et

massivement, aux actes qui constituent le génoc ide commis en Bosnie-Herzégovine; d’autre

part, cette approche minimise l’étroitesse des liens existant entre les autorités

119
A/RES/47/121. - 62 -

serbo-monténégrines et les autorités fantoches qui ont sévi dans les régions contrôlées par les

Serbes;

⎯ c’est pourquoi, Madame le président, il nous se mble que la seule conclusion raisonnable qui

peut être tirée des faits que nous vous avons présentés est de considérer que ces entités

dépendaient totalement de la RFY et doivent être assimilées à un organe du gouvernement de

celle-ci; c’est en cette qualité qu’ils ont, avec ses or ganes officiels, perpétré le génocide qui est

attribuable au défendeur et qui entraîne sa responsabilité.

63. Si vous le voulez bien, Madame le préside nt, je reviendrai demain à cette barre pour

indiquer quelles sont les conséquences que cette constatation devrait avoir, après que le

professeurCondorelli aura complété notre présentati on des violations de la convention de1948

commises par le défendeur et montré qu’il a, en réalité, reconnu sa responsabilité. Je vous

remercie, Madamele président.

The PRESIDENT: Thank you, Professor Pellet. The Court will now rise and will resume at

10 o’clock tomorrow morning.

The Court rose at 5.55 p.m.

___________

Document Long Title

Public sitting held on Monday 6 March 2006, at 3 p.m., at the Peace Palace, President Higgins presiding

Links