Public sitting held on Thursday 2 March 2006, at 3 p.m., at the Peace Palace, President Higgins presiding

Document Number
091-20060302-ORA-02-00-BI
Document Type
Number (Press Release, Order, etc)
2006/7
Date of the Document
Bilingual Document File
Bilingual Content

CR 2006/7

International Court Cour internationale
of Justice de Justice

THHEAGUE LAAYE

YEAR 2006

Public sitting

held on Thursday 2 March 2006, at 3 p.m., at the Peace Palace,

President Higgins presiding,

in the case concerning the Application of the Convention on the Prevention and Punishment

of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Serbia and Montenegro)

________________

VERBATIM RECORD
________________

ANNÉE 2006

Audience publique

tenue le jeudi 2 mars 2006, à 15 heures, au Palais de la Paix,

sous la présidence de Mme Higgins, président,

en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro)

____________________

COMPTE RENDU

____________________ - 2 -

Present: Presieitgins
Vice-PresiKntasawneh

Judges Ranjeva
Shi
Koroma
Parra-Aranguren

Owada
Simma
Tomka
Abraham

Keith
Sepúlveda
Bennouna
Skotnikov

Judges ad hoc AhmedMahiou
Milenko Kreća

Registrar Couvreur

⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 3 -

Présents : Mme Higgins,président
AlKh.vsce-prh,ident

RaMjev.
Shi
Koroma
Parra-Aranguren

Owada
Simma
Tomka
Abraham

Keith
Sepúlveda
Bennouna
Sjoteiskov,

MM. Ahmed Mahiou,
KMrilenko ća, juges ad hoc

Cgoefferr,

⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 4 -

The Government of Bosnia and Herzegovina is represented by:

Mr. Sakib Softić,

as Agent;

Mr. Phon van den Biesen, Attorney at Law, Amsterdam,

as Deputy Agent;

Mr.Alain Pellet, Professor at the University of ParisX-Nanterre, Member and former Chairman of

the International Law Commission of the United Nations,

Mr. Thomas M. Franck, Professor of Law Emeritus, New York University School of Law,

Ms Brigitte Stern, Professor at the University of Paris I,

Mr. Luigi Condorelli, Professor at the Facultyof Law of the University of Florence,

Ms Magda Karagiannakis, B.Ec, LL.B, LL.M.,Barrister at Law, Melbourne, Australia,

Ms Joanna Korner, Q.C.,Barrister at Law, London,

Ms Laura Dauban, LL.B (Hons),

as Counsel and Advocates;

Mr. Morten Torkildsen, BSc, MSc, Tork ildsen Granskin og Rådgivning, Norway,

as Expert Counsel and Advocate;

H.E. Mr. Fuad Šabeta, Ambassadorof Bosnia and Herzegovina to the Kingdom of the Netherlands,

Mr. Wim Muller, LL.M, M.A.,

Mr. Mauro Barelli, LL.M (University of Bristol),

Mr. Ermin Sarajlija, LL.M,

Mr. Amir Bajrić, LL.M,

Ms Amra Mehmedić, LL.M,

Mr. Antoine Ollivier, Temporary Lecturer and Research Assistant, University of Paris X-Nanterre, - 5 -

Le Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine est représenté par :

M. Sakib Softić,

coagment;

M. Phon van den Biesen, avocat, Amsterdam,

comme agent adjoint;

M. Alain Pellet, professeur à l’Université de ParisX-Nanterre, membre et ancien président de la
Commission du droit international des Nations Unies,

M. Thomas M. Franck, professeur émérite à lafaculté de droit de l’Université de New York,

Mme Brigitte Stern, professeur à l’Université de Paris I,

M. Luigi Condorelli, professeur à la faculté de droit de l’Université de Florence,

Mme Magda Karagiannakis, B.Ec., LL.B., LL.M.,Barrister at Law, Melbourne (Australie),

Mme Joanna Korner, Q.C.,Barrister at Law, Londres,

Mme Laura Dauban, LL.B. (Hons),

comme conseils et avocats;

M. Morten Torkildsen, BSc., MSc., Tork ildsen Granskin og Rådgivning, Norvège,

comme conseil-expert et avocat;

S. Exc. M. Fuad Šabeta, ambassadeur de Bosn ie-Herzégovine auprès duRoyaume des Pays-Bas,

M. Wim Muller, LL.M., M.A.,

M. Mauro Barelli, LL.M. (Université de Bristol),

M. Ermin Sarajlija, LL.M.,

M. Amir Bajrić, LL.M.,

Mme Amra Mehmedić, LL.M.,

M. Antoine Ollivier, attaché temporaire d’ense ignement et de recher che à l’Université de

Paris X-Nanterre, - 6 -

Ms Isabelle Moulier, Research Student in International Law, University of Paris I,

Mr. Paolo Palchetti, Associate Professor at the University of Macerata (Italy),

as Counsel.

The Government of Serbia and Montenegro is represented by:

Mr. Radoslav Stojanović, S.J.D., Head of the Law Council of the Ministry of Foreign Affairs of
Serbia and Montenegro, Professor at the Belgrade University School of Law,

as Agent;

Mr. Saša Obradović, First Counsellor of the Embassy of Serbia and Montenegro in the Kingdom of
the Netherlands,

Mr. Vladimir Cvetković, Second Secretary of the Embassy of Serbia and Montenegro in the
Kingdom of the Netherlands,

as Co-Agents;

Mr.Tibor Varady, S.J.D. (Harvard), Professor of Law at the Central European University,
Budapest and Emory University, Atlanta,

Mr. Ian Brownlie, C.B.E., Q.C., F.B.A., Member of the International Law Commission, member of
the English Bar, Distinguished Fellow of the All Souls College, Oxford,

Mr. Xavier de Roux, Masters in law, avocat à la cour, Paris,

Ms Nataša Fauveau-Ivanović, avocat à la cour, Paris and member of the Council of the
International Criminal Bar,

Mr. Andreas Zimmermann, LL.M. (Harvard), Professor of Law at the University of Kiel, Directo
r
of the Walther-Schücking Institute,

Mr. Vladimir Djerić, LL.M. (Michigan), Attorney at Law, Mikijelj, Jankovi ć & Bogdanovi ć,

Belgrade, and President of the International Law Association of Serbia and Montenegro,

Mr. Igor Olujić, Attorney at Law, Belgrade,

as Counsel and Advocates;

Ms Sanja Djajić, S.J.D., Associate Professor at the Novi Sad University School of Law,

Ms Ivana Mroz, LL.M. (Minneapolis),

Mr. Svetislav Rabrenović, Expert-associate at the Office of th e Prosecutor for War Crimes of the
Republic of Serbia, - 7 -

Mme Isabelle Moulier, doctorante en droit international à l’Université de Paris I,

M. Paolo Palchetti, professeur associé à l’Université de Macerata (Italie),

cocomnseils.

Le Gouvernement de la Serbie-et-Monténégro est représenté par :
M. Radoslav Stojanović, S.J.D., chef du conseil juridique du ministère des affaires étrangères de la
Serbie-et-Monténégro, professeur à la faculté de droit de l’Université de Belgrade,

coagment;

M. Saša Obradovi ć, premier conseiller à l’ambassade de Serbie-et-Monténégro au Royaume des

Pays-Bas,

M. Vladimir Cvetković, deuxième secrétaire à l’ambassade de Serbie-et-Monténégro au Royaume
des Pays-Bas,

comme coagents;

M. Tibor Varady, S.J.D. (Harvard), professeur de droit à l’Université d’Europe centrale de

Budapest et à l’Université Emory d’Atlanta,

M. Ian Brownlie, C.B.E., Q.C., F.B.A., membre de la Commission du droit international, membre
du barreau d’Angleterre, Distinguished Fellow au All Souls College, Oxford,

M. Xavier de Roux, maîtrise de droit, avocat à la cour, Paris,

Mme Nataša Fauveau-Ivanovi ć, avocat à la cour, Paris, et membre du conseil du barreau pénal
international,

M. Andreas Zimmermann, LL.M. (Harvard), professeur de droit à l’Université de Kiel, directeur de

l’Institut Walther-Schücking,

M. Vladimir Djerić, LL.M. (Michigan), avocat, cabinet Mikijelj, Jankovi ć & Bogdanovi ć,
Belgrade, et président de l’association de droit international de la Serbie-et-Monténégro,

M. Igor Olujić, avocat, Belgrade,

comme conseils et avocats;

Mme Sanja Djajić, S.J.D, professeur associé à la faculté de droit de l’Université de Novi Sad,

Mme Ivana Mroz, LL.M. (Minneapolis),

M. Svetislav Rabrenovi ć, expert-associé au bureau du procureur pour les crimes de guerre de la
République de Serbie, - 8 -

Mr. Aleksandar Djurdjić, LL.M., First Secretary at the Ministry of Foreign Affairs of Serbia and
Montenegro,

Mr. Miloš Jastrebić, Second Secretary at the Ministry of Foreign Affairs of Serbia and Montenegro,

Mr. Christian J. Tams, LL.M. (Cambridge),

Ms Dina Dobrkovic, LL.B.,

as Assistants. - 9 -

M. Aleksandar Djurdjić, LL.M., premier secrétaire au ministère des affaires étrangères de la
Serbie-et-Monténégro,

M. Miloš Jastrebić, deuxième secrétaire au ministère des affaires étrangères de la
Serbie-et-Monténégro,

M. Christian J. Tams, LL.M. (Cambridge),

Mme Dina Dobrkovic, LL.B.,

comme assistants. - 10 -

The PRESIDENT: Please be seated.

Mme STERN : Madame le président, Messieurs les juges, après avoir présenté ce matin les

faits relatifs aux viols et aux violences sexuelles, j’aborde maintenant le second volet de ma

plaidoirie et démontrer à la Cour que les viols et violences sexuelles sont des actes interdits en

vertu de l’article II de la convention sur le génocide.

II. LES VIOLS ET LES VIOLENCES SEXUELLES SONT DES ACTES INTERDITS
EN VERTU DE L ’ARTICLE IIDE LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE

39. Bien que les violences sexuelles ne soient pas expressément mentionnées dans la liste des

actes matériels de génocide de l’article II de la convention sur le génocide, ils peuvent cependant

s’inscrire dans chacune des catégories d’actes qui y sont énoncés. Les catégories d’actes qui sont

énoncées ont cependant été conçues de manière suffisamment générique et large pour pouvoir

englober toutes les formes de génocide que l’imag ination humaine serait susceptible de mettre au

point. On sait que pour que l’ actus reus du crime de génocide soit constitué, il est nécessaire que

les actes qui ont été commis s’inscrivent dans une seule des cinq catégories d’actes énumérées dans

la convention. Nous verrons ainsi que les viols et violences sexuelles, qui s’inscrivent tous dans les

actes prohibés à l’article II b) et à l’article II c) de la convention sur le génocide, peuvent

également, selon les circonstances de leur commission, s’inscrire dans l’une ou l’autre des trois

autres catégories d’actes visées par ce même article II. Il est tout d’abord indéniable que,

Dans cette affaire, tous les viols et violences sexuelles sont des actes de génocide en vertu de

l’article II b) de la convention sur le génocide, en tant qu’atteintes
graves à l’intégrité physique et mentale

40. A plusieurs reprises, l’Assemblée générale des NationsUnies a tenu à souligner les

1
«souffrances extraordinaires» endurées par les victimes de viols et de violences sexuelles. C’est

en effet sans conteste sous l’angle de l’article II b) de la convention que les viols et violences

sexuelles prennent leur résonance la plus signi ficative car l’on voit difficilement comment l’on

1Voir notamment documents Nations Unies, doc. A/RES/ 48/143, «Violset sévices dont les femmes sont
victimes dans les zones de conflit armé dans l’ex-Yougoslavie», 5 janvier 1994, préambule, al. 14; doc. A/RES/ 50/192,
«Viols et sévices dont les femmes sont victimes dans les zones de conflit armé dans l’ex-Yougoslavie», 23 février 1996,
par. 8. - 11 -

pourrait contester, sauf bien sûr à nier la réalité même de la commission de viols et de violences

sexuelles, que ceux-ci constituent la quintessence même des atteintes graves à l’intégrité physique

et mentale.

41. Les atteintes graves à l’intégrité physique s’entendent de toute forme de dommage

corporel, de tout acte qui porte atteinte à l’état ph ysique de la victime, de tout acte qui implique

certaines blessures physiques. Dans le cas de viols ou de violences sexuelles, est-il besoin de le

rappeler une des conséquences premières et immédiates du viol est tout d’abord celle d’une douleur

physique intense qui peut parfois confiner à une vé ritable «agonie» physique. Bien sur, au-delà de

la douleur physique immédiate ressentie par la victime, le viol peut, dans certains cas, entraîner

aussi des séquelles physiques, peut s’accompagner de problèmes gynécologiques importants, voire

irrémédiables, pouvant causer des stérilités. Il va encore sans dire que les actes de mutilation des

organes génitaux sont «constitutifs aussi d’atteint es graves à l’intégrité physique ou à la santé» 2

cela n’appellent pas, je crois, plus de commentaires. Il va encore sans dire que les souffrances

physiques que les viols et les violences sexue lles engendrent s’accompagnent de souffrances

psychiques et psychologiques incommensurables.

S4i2. les atteintes graves à l’intégrité mentale , bien entendu, visent les agressions non

physiques, il apparaît que celles-ci se poursuivent souvent bien au-delà même de la perpétration du

viol ou des violences sexuelles. Ressentis comme traduisant un profond mépris de celui qui le

commet envers sa victime, comme portant une grave atteinte à sa dignité, les viols et les violences

physiques s’analysent en effet en un véritable acte d’humiliation et de déshumanisation de la

victime, en ce qu’elles l’atteignent dans son essence la plus profonde, comme l’a résumé le

3
général Dallaire : «Massacres kill the body. Rape kills the soul» .

43. Les effets psychologiques du viol et autres formes d’agression sexuelle ont été

explicitement analysés dans le rapport de la Co mmission d’experts des NationsUnies, dans les

termes qui suivent :

2 Le procureur c. Dusko Tadic alias «Dule», affaire n IT-94-1-T, Chambre de première instance, jugement,
7 mai 1997, par. 243.

3 Examination-in-Chief of Brent Beardsley, Former Aid to the Force Commander , General Roméo Dallaire,
UN Peace-keeping mission in Rwanda, Bagasora, Kabiligi, Ntabakuze, Nsengiyumva (ICTR-98-41-T), trial transcript of
3February 2004, cité par K. Askin, «Gender Crimes Jurisprudence in the ICTR. Positive Developments», Journal of
International Criminal Justice, vol. 3, n2005, p. 1008. - 12 -

«[l]e viol et les autres formes de violence ph ysique ne portent pas seulement atteinte
au corps de la victime. L’atteinte la plus grave est le sentiment de la perte totale de
contrôle sur les décisions et les fonctions corporelles les plus intimes et les plus

personnelles. Cette perte de contrôle porte atteinte à la dignité humaine de la victime
et explique l’efficacité du viol et des violences sexuelles en tant qu’inst
rument du
nettoyage ethnique.» 4

44. Les souffrances psychiques subséquentes aux viols et violences sexuelles

s’accompagnent d’importantes conséquences traumatiques ⎯que l’on désigne généralement sous

l’expression de «Rape Trauma Symptom» ⎯ qui peuvent persister tout au long de la vie de la

victime, qu’il s’agisse d’un état d’angoisse permanent, d’insomnies, de cauchemars incessants, de

dépression, de phobies ou encore de troubles conduisant les victimes à refuser toute relation

sexuelle. Ces angoisses sont peut-être à leur paro xysme, lorsqu’à la suite du viol, la femme est

enceinte. Une telle grossesse, résultant de te lles circonstances, crée un dilemme terrible pour la

femme qui la subit: elle est déchirée entre le dési r de garder son enfant, qui peut surgir du plus

profond de son être maternel, et la volonté de demander un avortement, ou, s’il est médicalement

trop tard pour un avortement, d’abandonner son enfa nt: il y a là un choix aussi dramatiquement

douloureux que le «choix de Sophie» 5, auquel nulle femme au monde ne voudrait jamais être

6
confrontée. Une étude, que la Bosnie-Herzégovine a cité dans sa réplique , faite par des médecins

d’une clinique gynécologique de Zagreb, où ont été accueillies un certain nombre de femmes

bosniaques violées, a mis en évidence ce profond traumatisme, lorsqu’elle a décrit comment ces

femmes vivaient leur grossesse :

«A la fin de presque toutes les séances, les femmes enceintes du présent groupe
d’étude demandaient qu’on les aide à se dé barrasser de ce «corps étranger». Elles
appelaient le fŒtus une «chose» et disaient qu’elles auraient préféré avoir une tumeur
7
plutôt qu’un bébé, parce qu’une tumeur est plus facile à extirper.»

«Une tumeur plutôt qu’un bébé», il m’est presque impossible de prononcer cette phrase, et pourtant

une femme en est arrivée à la prononcer, il n’y a pas si longtemps… Nombreux sont ceux qui, à

juste titre, soulignent cet aspect indicible de la souffrance psychique qui naît des violences

4
NationsUnies, rapport final de la commission d’expe rts des Nations Unies constituée conformément à la
résolution 780 (1992) du Conseil de sécurité, doc.S/1994674/Add.2, vol. V, 28 décembre 1994, «Viol et agression
sexuelle», par. 25, p. 12.
5
William Styron, Le choix de Sophie, Paris, Gallimard, 2005, 920 p. (coll. Folio).
6 Réplique de la Bosnie-Herzégovine, 23 avril 1998, chap. 7, par. 147.

7 Dragica Kozaric-Kovacic et al, «Rape, Torture and Traumatization of Bosnian and Croatian Women:
Psychological Sequelae», Amer. J. Orthopsychiat., vol. 65, njuillet 1995, p. 431-432 (réplique, annexe 78). - 13 -

sexuelles : Amnesty International a parlé de «wound to the soul » , un historien français a qualifié

9
quant à lui le viol, dans un ouvrage intitulé L’histoire du viol , de «meurtre psychique».

45. Ces conséquences psychologiques revêtent une acuité particulière au sein de la société

musulmane où la réputation des femmes occupe une place prégnante pour la réputation de la

famille. Au-delà de l’humiliation, au-delà de la so uffrance de la victime, c’est ce faisant toute la

communauté qui est frappée d’infamie. Ces considérations ont été on ne peut mieux illustrées par

le TPIR dans une affaire où il est souligné et je le cite :

«[l]’atteinte, quoique n’étant pas de nature à donner la mort à l’individu, [il s’agit

d’un viol] et bien que ne l’ayant pas donnée, devrait le handicaper au point de
l’empêcher de constituer une unité soci alement utile ou une unité socialement
existante du groupe» . 10

46. Ai-je besoin de souligner, Madame le pr ésident, après ce que je viens de rappeler, qu’il

est incontestable que les viols et violences sexuelles s’inscrivent dans le cadre des «atteintes graves

à l’intégrité physique et mentale» visées sous le chef d’accusation de génocide, à l’article II b) de la

convention. L’initiative d’une mention expresse de cette évidence revient au Tribunal pénal

international pour le Rwanda. Dans la fameuse affaire Akayesu, la première affaire dans laquelle

un génocide ait jamais été reconnu par un tribunal international, affaire dans laquelle il a effectué

un développement jurisprudentiel majeur en considér ant que la notion d’atteinte grave à l’intégrité

physique et mentale englobait, sans s’y limiter, «les actes de torture, que cette dernière soit

physique ou mentale, les traitements inhumains ou dégradants, le viol, les violences sexuelles, la

11
persécution» . S’agissant des viols et violences sexuelles, le TPIR a tenu à insister sur le fait que

ces actes :

8
«Amnesty International dénonce les viols qui se poursuivent en Bosnie», Le Monde, 23 janvier 1993, p.3
(réplique, annexe 86).
9
Georges Vigarello, Histoire immédiate, Paris, 1998.
10Le procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana , ICTR-95-1, Chambre de première instance II,

jugement, 21 mai 1999, par. 107; les italiques sont de nous.
11TPIY, Le procureur c. Jean-Paul Akayesu , ICTR-96-4-T, Chambre de prem ière instance I, jugement,

2septembre 1998, par.504; Le procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana, ICTR-95-1, Chambre de première
instance II, jugement, 21 mai 1999, par. 110; Le procureur c. Georges Andersen Nderubumwe Rutaganda, ICTR-96-3-T,
Chambre de première instance I, jugement, 6 décembre 1999, par.51; Le procureur c. Alfred Musema, ICTR-96-13,
Chambre de première instance I, jugeme nt et sentence, 27 janvier 2000, par. 156; Le procureur c. Ignace Bagilishema ,
ICTR-95-1A-T, Chambre de première inst ance I, jugement, 7 juin 2001, par.59; Le procureur c. Laurent Semanza ,
affaire n ICTR-97-20-T, Chambre de premiè re instance III, jugement et se ntence, 15 mai 2003, par.320-321; Le
o
percureur c. Juvénal Kajelijeli , affaire nCTR-98-44A-T, Chambre de premièreo instance II, jugement et sentence,
1 décembre 2003, par.815; Le procureur c. Sylvestre Gacumbitsi , affaire n TPIR-2001-64-T, Chambre de première
instance III, jugement, 17 juin 2004, par. 291. - 14 -

«sont bien constitutifs de génocide, au mê me titre que d’autres actes, s’ils ont été
commis dans l’intention spécifique de détruire, en tout ou en partie, un groupe
spécifique, ciblé en tant que tel. En effet, les viols et vi olences sexuelles constituent

indubitablement des atteintes graves à l’intégrité physique et mentale des victimes et
sont même, selon la Chambre, l’un des pires moyens d’atteinte à l’intégrité de la
victime, puisque cette dernière est doublem ent attaquée : dans son intégrité physique
12
et dans son intégrité mentale.»

47. De manière constante, la jurisprudence ultérieure des tribunaux pénaux internationaux

s’est inscrite dans la droite ligne de cette analyse et mentionne expressis verbis les violences

sexuelles et le viol sous le chef d’accusation d’«atteintes graves à l’intégrité physique et

13
mentale» . On en trouve d’ailleurs une confirmation r écente dans la jurisprudence du TPIY. Plus

particulièrement, dans l’affaire Krstic 14 où le Tribunal a considéré que «les traitements inhumains,

la torture, le viol, les violences sexuelles «cons tituent autant d’actes su sceptibles de causer des

atteintes physiques ou mentales graves» 15.

48. Au regard des considérations qui précèden t, on voit difficilement comment l’on pourrait

nier que le viol d’une femme musulmane de Bosnie est une «atteinte grave à l’intégrité physique ou

mentale» d’un membre du groupe des Musu lmans de Bosnie ou que des violences sexuelles

commises à l’égard d’hommes non serbes sont une «atteinte grave à l’intégrité physique ou

mentale» d’un membre du groupe des non serbes de Bosn ie. Il y a là une évidence. Cette atteinte

grave à l’intégrité physique et mentale l’est d’au tant plus qu’elle est pour ainsi dire sans fin,

comme en atteste l’émouvant témoignage d’une survivante du génocide rwandais que l’on peut lire

dans un livre bouleversant intitulé précisément «SurVivantes», dont je vous lis un extrait :

«Ces victimes subissent cet insupportable paradoxe: devoir leur survie à un
viol. La plupart du temps, les tueurs avai ent d’abord massacré leur famille en leur

présence, avant d’abuser d’elles et de les épargner. Un paradoxe et une remarquable
mise en scène de l’horreur: en effet, les tueurs les laissaient en vie pour qu’elles
vivent … un enfer pire que la mort … Pour que [et le pire est je crois là] pour que

survivre ne leur ait servi à rien… Elles ont tenu pendant le génocide… Elles ont tenu
pour survivre à cette horreur et maintenant qu’elles y sont parvenues, dix ans après,
elles sont dans une mort continue. Elles agonisent. La puissance [du] génocide, c’est

12TPIY, Le procureur c. Jean-Paul Akayesu , ICTR-96-4-T, Chambre de prem ière instance I, jugement,

2 septembre 1998, par. 731.
13TPIY, Le procureur c. Radovan Karadzic et Ratko Mladic, affaires n IT-95-5-R61 et IT-95-18-R61, examen
de l’acte d’accusation dans le cadre de l’article 61 du Règlement de procédure et de preuve, 11 juillet 1996, par. 93. Voir
TPIY, Le procureur c. Zejnil Delalic, Zdravko Mucic alias «Pavo», Hazim Delic, Esad Landzo alias «Zenga»
o
(«Celebici»), affaire n IT-96-21-T, Chambre de première instance II quater, jugement, 16 novembre 1998, par. 486.
14 Le procureur c. Radislav Krstic , affaire n IT-98-33, Chambre de première instance I, jugement, 2 août 2001,
par. 513.

15Ibid., par. 513. - 15 -

exactement cela : une horreur pendant, mais encore une horreur après . Ce n’est pas
la fin d’un génocide qui achève un génocide, parce qu’intérieurement, il n’y a jamais
de fin à un génocide. Il y a juste arrêt des tueries, des massa cres, des poursuites [ce
16
qui est évidemment est essentiel] mais il n’y a pas de fin à la destruction.»

Dans cette affaire, tous les viols et les violences sexuelles sont des actes de génocide en vertu

de l’article II c) de la convention sur le génocide (soumission intentionnelle
du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa
destruction physique totale ou partielle)

49. S’il est donc impossible de nier que les violences sexuelles entrent dans les prévisions de

l’article II b) de la convention sur le génocide, il apparaît tout aussi évident que, dans cette affaire,

tous les viols et violences sexuelles sont des actes de génocide en vertu de l’article II c) de la

convention sur le génocide qui se réfère à la soumission intentio nnelle du groupe à des conditions

d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle.

50. Il convient d’abord de préciser que cette dernière expression signifie les «moyens de

destruction par lesquels l’auteur ne cherche p as nécessairement à tuer immédiatement les membres

17
du groupe, mais qui, à terme, visent leur destruction physique» . L’expression tend ainsi à

désigner les moyens de destruction qui produisent des effets contre les membres du groupe, non pas

immédiatement mais de façon lente, et qui sont donc forcément beaucoup plus insidieux.

51. Le viol peut ainsi être considéré comme inclus dans les conditions d’existence devant

entraîner la destruction physique du groupe. Comme cela a été expressément considéré par

le TPIR :

«[l]a Chambre est d’avis que … les c onditions d’existence visées incluent,
notamment, le viol, la privation de nourriture, la réduction des services sanitaires [,

etc.] … , dès lors que ces mesures sont de na ture à entraîner la destruction du groupe
en tout ou en partie» 18.

52. Mais le TPIY également, dans l’acte d’accusation modifié émis par le procureur le

11 octobre 2002 contre le général Ratko Mladic a indiqué que celui-ci est accusé de complicité de

génocide pour avoir, par ses actes et omissions, pa rticipé à une entreprise criminelle qui visait une

16Esther Majawayo et Souad Belhaddad, SurVivantes. Rwanda Histoire d’un génocide , éd. de l’aube, poche
essai, 2004, p. 197; les italiques sont de nous.

17TPIR, Le procureur c. Jean-Paul Akayesu , ICTR-96-4-T, Chambre de première instance I, jugement,
2 septembre 1998, par. 505; Le procureur c. Alfred Musema, ICTR-96-13, Chambre de première instance I, jugement et
sentence, 27 janvier 2000, par. 157; Le procureur c. Georges Andersen Nderubumwe Rutaganda, ICTR-96-3-T, Chambre
de première instance I, jugement, 6 décembre 1999, par. 52.

18TPIR, Le procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana , ICTR-95-1, Chambre de première instance II,
jugement, 21 mai 1999, par. 116; les italiques sont de nous. - 16 -

forme de destruction partielle des Musulmans de Bosnie, et cette destruction partielle a été

effectuée notamment par :

«la soumission des Musulmans de Bosnie à des conditions d’existence calculées pour
entraîner leur destruction physique , par le fait de traitements cruels et inhumains,
notamment de tortures, de mauvais traite ments physiques et psychologiques et de
19
violences sexuelles…» .

Il est donc clair que les violences sexuelles font parties de ces conditions d’existence calculées pour

entraîner la destruction physique d’un groupe.

53. Cette considération mérite explications. Il faut tout d’abord rester conscients du fait déjà

souligné selon lequel les conséquences des viols et des violences sexuelles s’inscrivent bien au-delà

de l’atteinte portée à la victime dans son intégrité physique et mentale, s’inscrivent dans un cadre

plus général. Au-delà de l’individu visé, c’est en effet la fam ille tout entière à laquelle elle

appartient qui est visée. C’est au-delà de la fa mille le groupe dans son intégralité parce que la

structure sociale de toute la société est remise en cause.

En visant tout particulièrement les femmes, les viols et les violences sexuelles, au regard des

séquelles désastreuses dont j’ai parlé ce matin qu ’elles engendrent chez leurs victimes, détruisent

en effet le pilier symbolique du groupe, son soubassement sur lequel repose toute la structuration

de la vie familiale et sociale. On ne peut à cet égard qu’adhérer aux propos de Raphaël Lemkin qui

considérait que le génocide était caractéri sé dès lors que l’on était en présence d’un «coordinated

plan aiming at the destruction of essential foundations of the life of national groups, with the aim at

annihilating the groups themselves» 20. The destruction of essential foundations of the life of

national groups.

54. En s’attaquant au lien symbolique et généalogique sur lequel repose le groupe,

c’est-à-dire en définitive au pouv oir des femmes de donner la vie, les viols et violences sexuelles

remettent en cause ⎯ que l’on considère le refus des femmes victimes de viol de procréer ou leur

impossibilité physique d’avoir des enfants, consécutivement au viol ⎯ l’aptitude et la capacité

19 Le procureur c. Ratko Mladic, affaire n IT-95-5/18-I, acte d’accusation modifié, 11 octobre 2002, par.34,

al. c); les italiques sont de nous.
20R. Lemkin, Axis Rule in Occupied Europe, Washington, Carnegie Endowment for International Peace, 1944,
p. 79; les italiques sont de nous. - 17 -

physique du groupe à se reproduire et à se renouve ler, comme l’a si bien décrit une sociologue

française, Mme Véronique Nahoum-Grappe, dont je vais maintenant vous lire un extrait :

«vouloir faire le mal est aussi un travail intellectuel: toucher le point sensible, c’est
aussi connaître son espace sacré au sein de la culture de la victime. Or, le plus
souvent, ce à quoi tiennent le plus les famill es, et les communautés, ce sont les lieux

d’inscription du lien généalogique, en direction soit du passé,…soit de l’avenir
(enfants, sexualité des femmes…).Ces lieux sont donc les objets privilégiés des
crimes de profanation . On peut donc définir le crime de profanation comme une
21
tentative de toucher le lien généalogique là où le profanateur croit qu’il s’exprime.»

Même si cette volonté de profanation n’était san s doute pas consciemment présente dans l’esprit

des auteurs de violences sexuelles, du moins en ces termes, on ne peut que considérer qu’en

s’attaquant au soubassement symbolique du groupe que constitue la femme, en tant que vecteur de

vie, puisqu’elle est seule à même de donner la vie, les viols et violences sexuelles soumettent

effectivement le groupe à des conditions d’existence qui entraînent à terme son extinction.

Mais certaines violences sexuelles commises en Bosnie ont pris des formes très particulières.

Dans cette affaire, certains viols et violences sexuelles sont des actes de génocide
en vertu de l’article II a) de la convention sur le génocide
(qui vise les meurtres de membres du groupe)

55. Les viols et violences sexuelles peuvent en effet constituer un meurtre au sens de la

convention sur le génocide, et ce de plusieurs manières.

56. Les situations dans lesquelles les viols et violences sexuelles sont suivis de meurtres sont

fréquentes. La mort peut en effet en premier lieu constituer la conséquence irrémédiable et directe

d’une résistance de la victime à son agresseur, qui se «venge» de son refus en lui donnant ainsi

intentionnellement la mort; un tel acte a ét é rapporté par la commission d’experts des

NationsUnies, dans le rapport de laquelle on peut lire: «[d]es gardiens ont tué des femmes qui

opposaient une résistance et ce, souvent face à d’autres prisonniers» 22. Si cette résistance au viol

peut intervenir de manière directe lorsqu’il y a une relation entre la victime et son agresseur, elle

peut aussi prendre d’autres formes. C’est ainsi que le refus d’un homme d’obéir à un ordre des

soldats serbes qui lui enjoignaient de se livrer à un viol sur une jeune fille a également ent
raîné sa

21V. Nahoum-Grappe, «Purifier le lie n de filiation. Les viols systém atiques en ex-Yougoslavie, 1991-1995»,

Esprit, décembre 1996, p. 152; les italiques sont de nous.
22NationsUnies, rapport final de la commission d’experts des NatioUnies, doc. S/1994/674,
28 décembre 1994, par. 230, p. 55. - 18 -

mort. Cet exemple a été rapporté dans l’affaire Stakić, relative aux viols et violences sexuelles

commis dans le camp d’Omarska, et a été co rroboré de manière identique par le TPIY dans

23
l’affaire Bradnin , où il est relaté ce qui suit :

«[l]a «maison blanche» a été le théâtre de violences sexuelles le 26novembre1992.
Les gardiens ont tenté de forcer Mehmedalija Sarajli ć à violer une jeune fille. Il a

supplié : «Ne me faites pas cela. Elle pourra it être ma fille. Je suis un homme âgé.»
Les soldats ont répondu : «Tu n’as qu’à te servir de ton doigt.» Il y a eu un cri et des
bruits de coup, puis tout est devenu sile ncieux. Une minute ou deux plus tard, un

gardien est venu dans la pièce et a demandé que deux hommes forts aillent enlever le
corps. Son cadavre a été vu ensuite près de la maison blanche.» 24

57. La mort peut également, par l’entremise d’ une relation directe de cause à effet, bien sûr,

résulter de l’ampleur même des violences physiques subies par la victime, violence physique qui

sera d’autant plus intense que le s viols auront été commis, comme nous l’avons déjà décrit, de

manière répétée, de manière collective, violen ces qui peuvent donc avoir comme conséquence le

décès de la victime. La brutalité des sévices infligés, comme c’est le cas par exemple des

mutilations des organes génitaux, peut également entraîner la mort de celui qui en est victime. On

ne reviendra pas une nouvelle fois sur ce fait qui a déjà été relaté à la Cour.

58. La mort peut bien sûr encore résulter du suicide de la victime après que celle-ci ait subi

des viols et violences sexuelles. De nombreux rapports ont fait état des suicides de femmes qui ne

supportaient plus l’image des violences sexuelle s qu’elles avaient subies et qui se sentaient

incapables d’assumer le poids de l’humiliation et de la honte attachées au viol. On ne peut à cet

égard qu’entièrement souscrire aux pro pos du TPIY, formulés dans l’affaire Stakić que j’ai déjà

mentionnée, selon lesquels «[p]our une femme, le vi ol constitue de loin le crime suprême, parfois

pire que la mort, car il la couvre de honte» 25. Il faut à cet égard rappeler que ce concept de honte

est particulièrement présent dans la psychologi e des Musulmans pour lesquels l’honneur de la

famille est avant tout basé sur la bonne réputation des femmes, sur la chasteté. Ainsi que le résume

un auteur, Nawal El Saadawi, dans un ouvrage intitulé The Hidden Face of Eve. Women in the

Arab World, pour la communauté musulmane :

23 Le procureur c. Radoslvan Bradnin , affaire n IT-99-36-T, Chambre de prem ière instance II, jugement,
1erseptembre 2004, par. 516.

24 Le procureur c. Milomir Staki ć, affaire n IT-97-24-T, Chambre de première instance II, jugement,
31 juillet 2003, par. 236.

25TPIY, Le procureur c. Milomir Staki ć, affaire n IT-97-24-T, Chambre de première instance II, jugement,
31 juillet 2003, par. 803. - 19 -

«A man’s honour is safe as long as the female members of his family keep their
hymen intact. It is more closely related to the behaviour of the woman in the family,
than to his own behaviour… At the root of this…situation lies the fact that sexual

experience in the life of a man is a source of pride and a symbol of virility; whereas
sexual experience in the life of woman is a source of shame and a symbol of
26
degradation.»

59. Plutôt que de faire face l’infamie d’un viol, la femme musulmane peut parfois préférer se

donner la mort. C’est ainsi, pour ne donner qu’un exemple parmi d’autres, que le dernier rapport

de M.TadeuszMazowiecki, sur la situation d es droits de l’homme dans le territoire de

l’ex-Yougoslavie, relatif à la prise de Srebrenica, a expressément mentionné le suicide d’une jeune

fille de quatorze ans violée par des soldats serbes 27.

60. Il y a là autant d’exemples qui permettent de conclure sans difficultés que le viol, s’il

n’est pas en lui-même un meurtre, peut néanmoins constituer l’élément sous-jacent à la mort de la

personne qui en est victime, mort à la survenance de laquelle il est inextricablement lié par une

relation directe de cause à effet. Mais il y a plus encore, Madame le président, Messieurs les juges.

Dans cette affaire, certains viols et violences sexuelles sont des actes de génocide en vertu de
l’article II d) de la convention sur le génocide relatifs aux mesures

visant à entraver les naissances au sein du groupe

61. Selon la jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux, les mesures visant à entraver

les naissances au sein du groupe englobent, comme cela est indiqué dans l’affaire Akayesu «les

mutilations sexuelles, les stérilisations et les contraceptions forcées, la séparation des hommes et

28
des femmes et la prohibition des mariages» .

62. Signes symboliques de mépris envers l es femmes d’un groupe, signes symboliques de

prise de possession de celles-ci, les viols et violences sexuelles peuvent indéniablement s’inscrire,

vous en conviendrez, dans le cadre des «mesures visant à entraver les naissances» qui peuvent

résulter de différents éléments.

26Nawal El Saadawi, The Hidden Face of Eve. Women in the Arab World, Boston, Beacon Press, 1982, p. 31.
27
Nations Unies, rapport sur la situation des droits de l’homme dans le territoire de l’ex-Yougoslavie soumis par
M. Tadeusz Mazowiecki, rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, doc. E/CN.4/1996/9, 22 août 1995,
par. 45, p. 10.
28 o
TPIR, Le procureur c. Jean-Paul Akayesu, affaire n ICTR-96-4-T, Chambre de première instanoe I, jugement,
2 septembre 1998, par. 507; Le procureur c. Georges Andersen Nderubumwe Rutaganda , affaire n ICTR-96-3-T,
Chambre de première instanceI, jugement, 6décembre1999, par.53; Musema, Chambre de première instanceI,
jugement et sentence, 27 janvier 2000, par. 158. - 20 -

63. Il va en premier lieu sans dire que la séparation forcée des hommes et des femmes

musulmans de Bosnie-Herzégovine, telle qu’elle a systématiquement été opérée lors de la prise des

différentes municipalités par les forces serbes, comm e cela vous a déjà été longuement décrit, a,

selon toute vraisemblance, entraîné une diminuti on des naissances au sein du groupe, en raison de

leur absence de contacts physiques pendant de longs mois. Cette conséquence avait déjà été

mentionnée en son temps par Raphaël Lemkin, analysant la politique allemande envers les Juifs, en

ces termes: «[t]he birthrate of the undesired group is being further decreased as a result of the

separation of males from females by deporting them» 29.

64. Mais cette situation peut se perpétuer bien au-delà de la période de séparation. Il n’est

pas non plus besoin d’insister longuement sur le fait que les viols et violences sexuelles sont à

même de provoquer, pendant bien longtemps, une baisse des relations sexuelles, du fait que la

femme ou la jeune fille musulmane de Bosnie-H erzégovine violée sera soit rejetée par son mari,

soit ne trouvera pas de mari, ou encore du fait qu’un homme ayant subi de terribles violences

sexuelles ne cherche plus à se rapprocher d’une femme et à fond
er une famille.

65. En second lieu, les blessures et handicaps physiques que les viols et violences physiques

ont causé à la victime, le fait que fréquemment le s femmes souffrent de problèmes gynécologiques

dus aux violences sexuelles qui peuvent aller jus qu’à conduire à la stérilité, empêchent bien

évidemment, là aussi la reproduction des membres du groupe; et il en va de même de certaines

mutilations sexuelles subies par les hommes.

66. Si les éléments physiques visant à entraver les naissances au sein du groupe existent de

toute évidence, elles peuvent aussi être d’ordre morale. Les traumatismes psychologiques que les

viols et violences sexuelles engendrent chez les victimes peuvent en effet les conduire à ne pas ou à

ne plus vouloir avoir d’enfants, affectant ains i le renouvellement des générations. Cet aspect a

précisément été mis en relief par le TPIR dans l’affaire Akayesu déjà mentionnée plusieurs fois:

«[l]e viol peut être une mesure visant à entraver les naissances lorsque la personne violée refuse

29R. Lemkin, Axis Rule in Occupied Europe , Washington, Carnegie Endowment for International Peace, 1944,

p. 84 (réplique, annexe 84). - 21 -

subséquemment de procréer, de même que l es membres d’un groupe peuvent être amenés par

30
menaces ou traumatismes infligés à ne plus procréer» .

67. Autant d’éléments qui affectent incontestab lement le cycle normal de la reproduction de

la vie et qui mettent à long terme en cause le renouvellement des géné rations, pouvant de fait

conduire à une extinction physique du groupe.

Dans cette affaire, certains viols et violences sexuelles sont des actes de génocide en vertu de
l’article II e) de la convention sur le génocide qui invoque le transfert forcé
d’enfants du groupe à un autre groupe

68. Si le viol et les violences sexuelles pe uvent indéniablement être envisagés sous la

dénomination de «viols destructifs» et c’est ceux que j’ai décrit le plus souvent jusqu’à présent, ils

peuvent également revêtir, dans certains cas, une autre dimension, qui est généralement envisagée

sous la dénomination de «viols procréatifs», qui ont pour but d’entraîner une grossesse for
cée en

vue de modifier la composition ethnique d’une popu lation. Que l’on me pe rmette de rapporter ici

les propos de la sociologue française déjà citée :

«l’entreprise de nettoyage ethnique ne vise pas seulement l’élimination de l’autre dans
l’espace, mais aussi dans le passé et le futur… Elle vise non pas sa mort seulement,
mais son «éradication» et donc son impossible recommencement… Le violeur veut

déloger, éradiquer et concevoir à nouveau à son image le germe alternatif. La
souillure du viol veut non pas la mort de l’autre, trop douce, mais défaire sa
naissance, recommencer sa conception en rempl açant cet autre collectif «génétique»

par soi… Le terme d’éradication est pertinent: ce sont bien les racines qui sont
l’objet de ce nettoyage à fond qu’est le viol . Elles ne repousseront plus puisqu’une
greffe alternative a été implantée dans la matrice.» 31

69. La Cour aura sans doute remarqué que cette référence aux racines a également été

évoquée hier par LauraDauban lorsqu’elle a indiqué qu’après avoir détruit une mosquée, les

Serbes ont tenu à aller plus loin et à en faire disparaître les fondations elles-mêmes. Pour ce qui est

des grossesses forcées, on peut rappeler ici que dans les sociétés patriarcales, c’est l’ascendance

paternelle qui est déterminante pour fonder celle de l’enfant et que seule l’ethnie du père est donc

prise en compte. Cette spécificité des sociétés patriarcales a été reconnue par le TPIR, qui a

souligné que

30 Le procureur c. Jean-Paul Akayesu , affaire n ICTR-96-4-T, Chambre de prem ière instanceI, jugement,

2 septembre 1998, par. 508.
31Véronique Nahoum-Grappe, «Purifier le lien de filiation. Les vios systématiques en ex-Yougoslavie,
1991-1995», Esprit, décembre 1996, p. 157-158 (réplique, annexe 87); les italiques sont de nous. - 22 -

«([d]ans le contexte de sociétés patriarcales, où l’appartenance au groupe est dictée par
l’identité du père, un exemple de mesure visant à entraver les naissances au sein du

groupe est celle du cas, où durant un viol, une femme dudit groupe est délibérément
ensemencée par un homme d’un autre groupe, dans l’intention de l’amener à donner
naissance à un enfant, qui n’appartiendra pas alors au groupe de sa mère» . 32

Je n’entrerai pas ici dans un dé bat ethnologique, étant juriste et non ethnologue, et je ne me

prononcerai donc pas sur le caract ère de société patriarcale ou non de la société musulmane de

Bosnie. Qu’il me soit juste permis de dire, Madame et Messieurs de la Cour, que quelles que

soient les structures élémentaires d’une société, ce qui importe c’est le discours de celui qui prétend

par sa semence donner une lignée nouvelle à l’enfant à naître, bien plus que les réalités médicales

ou scientifiques.

70. Quoi qu’il en soit, comme la Bosnie-Herzégovi ne en a déjà fait état dans sa réplique, de

nombreux rapports intern ationaux ont mentionné l’existence de ces grossesses forcées, que le

33
défendeur, dans sa duplique, met encore en doute . Il va sans dire que pour les mêmes raisons

qu’il est difficile de donner une estimation précise du nombre exact de viols et de violences

sexuelles, comme je l’ai déjà dit, le nombre de grossesses forcées s’avère également extrêmement

difficile à établir, en raison du manque avéré de témoignages, de la conspiration du silence qui

entoure la naissance de ces enfants sur lesquels l’opprobre est jeté dès la naissance.

71. Le rapporteur spécial Mazowiecki a par exemple rapporté que le nombre d’avortements

avait grandement augmenté en 1992 34. Là encore, les chiffres quels qu’ils soient sont certainement

sous-estimés en raison du manque de témoignages directs, des avortements cachés qui ont eu lieu

sans soins hospitaliers, des accouchements secrets dans la nature suivis de l’abandon de l’enfant.

72. Les grossesses forcées trouvent certainement toute leur place au sein de la politique de

nettoyage ethnique génocidaire mise en Œuvre par les forces serbes. Qu’il nous soit permis de nous

référer ici encore une fois, à l’affaire Kunarac, dans laquelle le TPIY relate le fait qui suit, qui a été

confirmé en appel 35 :

32 TPIR, Le procureur c. Jean-Paul Akayesu, affaire n ICTR-96-4-T, Chambre de première instance I, jugement,
2 septembre 1998, par. 508.
33
Duplique de la Serbie-et-Monténégro, 22 février 1999, par. 3.3.5.23.
34
Nations Unies, rapport sur la situation des droits de l’homme dans le te rritoire de l’ex-Yougoslavie soumis par
M.Tadeusz Mazowiecki, rapporteur spécial de la Commi ssion des droits de l’homme, en application de la
résolution 1992/S-1/1 de la Commission en date du 14 août 1992, doc. E/CN.4/1993/50, 10 février 1993, annexe II, p. 66,
par. 9 et p. 67, par. 14-16.
35 os
Le procureur c. Dragoljub Kunarac, Radomir Kovac et Zoran Vukovic , affaires n IT-96-23 et IT-96-23/1-A,
Chambre d’appel, arrêt, 12 juin 2002, p. 82-84, par. 238-246. - 23 -

«Kunarac savait aussi que les femmes musulmanes étaient particulièrement
visées, puisqu’il en a conduit plusieurs à ses hommes et qu’il a lui-même violé
certaines d’entre elles…En violant FWS-183, l’accusé lui a dit qu’elle devrait

apprécier d’être «baisée par un Serbe». Après que lui et un autre soldat l’eurent
violée, Kunarac s’est moqué d’elle et a ajouté qu’elle aurait un bébé serbe, dont elle
36
ne saurait jamais qui était le père.»

Cette volonté de désintégration portée à l’intérieur même du groupe en tant que tel, aujourd’hui

avérée par un jugement du TPIY, avait déjà été signalée par la Bosnie dans sa réplique qui avait

noté que la commission d’experts avait établi qu’ une femme musulmane avait été violée pendant

six mois presque tous les jours par trois ou quatre soldats, qui lui disaient «qu’elle donnerait

naissance à un petit Tchetnik qui tuerait les Musulmans quand il serait grand» 37.

73. Le fait qui a été également rapporté, sel on lequel, au-delà des grossesses forcées, pour

des raisons purement ethniques, les femmes musulmanes enceintes étaient détenues dans les camps

jusqu’à ce qu’elles ne soient plus en état d’avorter constitue également un procédé témoignant de la

volonté de modifier la composition du groupe national des Musulmans de Bosnie-Herzégovine, par

la naissance accrue d’enfants prétendument non musulmans.

74. Ainsi, lors de l’acte d’accusation de Karadzi ć et Mladić, rendue dans le cadre de

l’article61, le TPIY a reconnu cette pratique en déclarant: «certains camps étaient spécialement

consacrés aux viols dans le but de la procréation forcée d’enfants serbes, les femmes étant souvent

détenues jusqu’à ce qu’il fut trop tard pour avorter … Il apparaît que l’ob jectif de nombreux viols

était la fécondation forcée.» 38

75. Les grossesses forcées peuvent donc servir aussi cet objectif d’une modification ethnique

du groupe visé dans la mesure où elles conduisen t à l’accroissement par la violence d’un groupe

(serbe) au détriment d’un autre (Musulmans de Bosnie-Herzégovine). Il est ainsi possible de

considérer que ces grossesses fo rcées aboutissent à un transfert forcé d’enfants à naître du groupe

vers un autre groupe.

36 Le procureur c. Dagoljub Kunarac, Radomir Kovac et Zoran Vukovic, affaires n osIT-96-23 et IT-96-23/1,

Chambre de première instance II, jugement, 22 février 2001, par. 583.
37Réplique de la Bosnie-Herzégovine, 23 avril 1998, chap. 7, par. 176.

38TPIY, Le procureur c. Radovan Karadzic et Ratko Mladic , affaires n IT-95-5-R61 et IT-95-18-R61, examen
de l’acte d’accusation dans le cadre de l’article 61 du Règlement de procédure et de preuve, 11 juillet 1996, par. 64; les
italiques sont de nous. - 24 -

76. Si la Serbie-et-Monténégro a, à cet égard, fait valoir, dans sa dupliq
e 39, que l’enfant né

d’une grossesse forcée ne pourrait en quelque manière que ce soit être considéré comme Serbe et

accueilli au sein de la communauté serbe, la Bosn ie-Herzégovine tient pour sa part à faire valoir

également que l’enfant en question ne pourra pas plus être considéré comme un véritable

Musulman au sein de la communauté musulmane de Bosnie-Herzégovine. Dès lors, même si le

sort de ces «enfants de la honte» demeure incertain et qu’il est probable qu’ils aient, dans certains

cas, été abandonnés par leurs mères biologiques, il n’en demeure pas moins vrai, que dans ce cas

comme dans le cas contraire, ils ne pourront cer tainement pas être considérés comme appartenant

au groupe des Musulmans de Bosnie-Herzégovine dans lequel ils ne seront pas élevés.

77. Au final, on peut donc bien consid érer que certains viols infligés aux femmes

musulmanes de Bosnie-Herzégovine en vue d’en gendrer des procréations forcées peuvent être

envisagés sous l’angle des mesures dont l’intention proclamée ⎯même si elle n’est pas

nécessairement suivie d’effet ⎯ est d’assurer le transfert d’enfants à naître d’un groupe à un autre

groupe. En ce sens, ces grossesses forc ées s’inscrivent clairement dans le cadre de la politique de

nettoyage ethnique génocidaire du groupe des Musulmans de Bosnie-Herzégovine. Je voudrais

ajouter que, même si la Cour ne souscrit pas à cette analyse de ce qui peut être considéré, comme je

l’ai dit, un «transfert d’enfants d’un groupe à un autre», un transfert d’enfants à naître d’un groupe

à un autre, il n’en reste pas moins que, ce qui comp te, c’est l’intention proclamée. Cette intention

proclamée qui doit toujours bien être distinguée de la réalisation effective de l’intention qui se

cachait derrière ces pratiques de grossesses forcées et qui est clairement une intention génocidaire,

une intention de détruire en tout ou en partie le groupe visé.

*

* *

78. Ainsi, si les violences sexuelles ne sont pas mentionnées, comme je l’ai dit au début de

cette plaidoirie, dans l’article II, nul ne pourra nier qu’ils peuvent être poursuivis sous chacune des

39
Duplique de la Serbie-et-Monténégro, 22 février 1999, par. 3.3.5.23. - 25 -

catégories mentionnées dans la convention. Le TPIY l’a d’ailleurs justement considéré dans

l’affaire Furundzija, lorsqu’il a dit que selon le contexte da ns lequel il intervenait, un viol pouvait

être poursuivi en tant que génocide. Je lis un extrait très important de cette décision :

«[l]e viol est explicitement prévu à l’article 5 du Statut du Tribunal international
comme un crime contre l’humanité. Il peut également constituer une infraction grave

aux conventions de Genève, une violation des lois ou coutumes de la guerre ou un acte
de génocide, si les éléments nécessaires constitutifs sont réunis, et faire l’objet de
poursuites en tant que tel.»40

79. Si le viol peut être considéré comme un crime contre l’humanité il peut aussi, nous

venons de l’entendre, être considéré comme un ac te de génocide. Bien sûr, pour qu’il soit

considéré comme un acte de génocide, il faut qu’il soit accompagné de l’intention de détruire en

tout ou en partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux. C’est l’existence de cette

intention que la Bosnie-Herzégovine va à présent s’attacher à démontrer à la Cour.

III.L ES VIOLS ET LES VIOLENCES SEXUELLES ONT ÉTÉ COMMIS

AVEC UNE INTENTION GÉNOCIDAIRE

80. Madame le président, Messieurs les juges, avant de vous montrer en quoi les viols et les

violences sexuelles commis en Bosnie-Herzégovine peuvent être qualifiés d’actes de génocide, je

voudrais, en quelques rapides commentaires, tenter d’aller au cŒur de cette notion, que chacun

croit connaître. Mon collègue Tom Franck vous a d écrit ce matin cette notion de génocide, si je

puis dire, de l’intérieur, telle que l’ont interprétée les deux tribunaux ad hoc. Pour ma part, je vais,

à sa suite, poursuivre cette quête des contours du c oncept de génocide, en l’approchant pour ainsi

dire aussi de l’extérieur, pour le différencier de ce qu’il n’est pas.

Les contours du concept de génocide

81. Avant de pouvoir appréhender n’importe quel concept, il est souvent indispensable de le

confronter avec des concepts voisins, pour en percevoir la spécificité, pour en trouver l’essence

même. C’est cette voie que je vais suivre en c onfrontant brièvement la notion de génocide avec

celle de crime de guerre et celle de crime contre l’humanité. La distinction crime de guerre/acte de

génocide tout d’abord est importante, car bien souve nt ceux qui nient la spécificité de ce qui s’est

40Le procureur c. Anto Furundzija,affaire n IT-95-17/1-T10, Chambre de première instance II, jugement,
10 décembre 1998, par. 17; les italiques sont de nous. - 26 -

passé en Bosnie-Herzégovine, disent, «certes il y a eu des viols, mais ce ne sont là que des crimes

de guerre, qui se produisent dans toutes les guerres». La distinction crime contre l’humanité/acte

de génocide est elle aussi particulièrement éclaira nte et nécessaire dans notre affaire parce que si

les deux notions présentent des caractéristiques communes, et cela sera très important, l’une, propre

au génocide, est cependant irréductible à l’autre, le crime contre l’humanité.

La distinction entre le crime de guerre et le gé nocide: dans notre affaire, les viols et les
violences sexuelles ne sont pas de «simples» crimes de guerre, mais sont des actes de
génocide

82. Le génocide, comme nous le rappelle l’artic le I de la convention sur le génocide, peut

être commis en temps de paix ou en temps de gue rre. Les actes de violence sexuelle, dont j’ai

longuement parlé, ont été commis en temps de conflit. Et la tentation peut donc être forte de les

«disqualifier» si j’ose dire en crimes de guerre. Ce que je voudrais cependant rappeler avec force à

votre Cour est le fait que ce n’est pas parce qu’il y a eu un conflit armé, ce n’est pas parce qu’il y a

eu une guerre entre la Serbie-et-Monténégro et la Bosnie, comme vous l’a d’ailleurs longuement

rappelé l’agent adjoint de la Bosnie, ce n’est pas parce qu’il y a eu ce conflit armé qu’un génocide

n’a pas été commis. Le défendeur d’ailleurs n’ a pas manqué de mettre un tel argument en avant,

déclarant que c’est une guerre, ce n’est pas un génocide. Ainsi par exemple dans sa réplique, il

écrit :

«[l]es divers comptes rendus d’activités militaires menées par des unités de l’armée
populaire yougoslave [la Cour aura, je pense, noté au passage que le défendeur

reconnaît ainsi l’implication de l’armée yougoslave dans les
événements] … concernent exclusivement des incidents liés à une guerre civile . Les
divers documents présentés par le Gouvernem ent bosniaque dans cette partie de la
réplique [nous dit le défendeur] ne témo ignent d’aucune intention de commettre un

génocide… Ces documents, comme ils l’ 41 indiquent clairement, concernent
exclusivement des «activités de combat».»

83. Un combat peut-être, Madame le préside nt, Messieurs les juges, mais un combat dont

l’objectif ultime est l’élimination en tout ou en partie des Musulmans de Bosnie des territoires

revendiqués par la Serbie-et-Monténégro, un combat qui a intensivement utilisé, comme une de ses

armes, les violences sexuelles précisément. Lorsque dans l’affaire Kunarac, le TPIY cherchait

l’intention qui se trouvait derrière tous les actes de violence sexuelle, il l’a précisément décrite

41
Duplique de la Serbie-et-Monténégro, par. 3.2.3.39. - 27 -

42
comme «l’intention de venir à bout des Musulm ans par tous les moyens, y compris criminels» .

L’«intention de venir à bout» n’est qu’une autre façon de dire l’intention de détruire en tout ou en

partie. Ainsi, pour ne prendre que l’exemple c oncernant l’un des trois accusés, Kunarac, il a été

reconnu que les viols faisaient clairement partie intégrante de la stratégie de nettoyage ethnique :

«Kunarac savait aussi que les femmes musulmanes étaient particulièrement
visées, puisqu’il en a conduit plusieurs à ses hommes et qu’il a lui-même violé

certaines d’entre elles. Durant l’un de ces viols, il a exprimé aussi bien en actes qu’en
paroles, l’idée que ces violences faites aux femmes musulmanes étaient pour les
Serbes un moyen, parmi d’autres, d’affirmer leur supériorité et leur victoire sur les
43
Musulmans...»

Un moyen parmi d’autres d’affirm er la supériorité et la victoi re sur les Musulmans, nous savons

trop ce que cela signifie : cette victoire ne peut êt re que la disparition des Musulmans, en tant que

groupe, des territoires convoités par la Serbie.

84. Cette nécessité d’une différenciation nette entre le crime de guerre et le génocide, entre le

viol qualifié, si j’ose dire, de «simple» crime de guerre et le viol qualifié d’acte de génocide, en

raison d’une intention subjective différente, a été affirmée tant par le TPIR que par le TPIY.

85. Dès la première affaire jugée par le TPIR, l’affaire Akayesu, souvent mentionnée, celui-ci

a bien indiqué que même si les Tutsis massacrés appartenaient éventuellement aux FPR ⎯ les

Forces patriotiques rwandaises ⎯ qui étaient en lutte avec le pouvoir hutu, ce n’était pas en raison

de ce conflit militaire qu’ils avaient été tués, mais bien en raison de leur appartenance à l’ethnie

tutsie :

«[i]l est clair que les victimes n’ont pas été choisies en raison de leur identité

personnelle, mais bien en raison de leur a ppartenance audit groupe. Les victimes ont
été en définitive des membres du groupe choi sis en tant que tels… Il apparaît alors
clairement que les massacres survenus au Rwanda en1994 visaient un objectif

déterminé: celui d’exterminer les Tutsi, choisis spécialement en raison de leur
appartenance au groupe Tutsi, et non pas parce qu’ils étaient des combattants
du FPR.» 44

86. Ce fait de l’existence distincte par ra pport à la guerre d’une politique de nettoyage

ethnique pouvant être qualifiée de génocide a été reconnue également dans la décision d’examen

42
TPIY, Le procureur c. Dagoljub Kunarac, Radomir Kovac et Zoran Vukovic , affaires IT-96-23 et IT-96-23/1,
Chambre de première instance II, jugement, 22 février 2001, par. 582.
43Ibid., par. 583.

44 Le procureur c. Jean-Paul Akayesu , ICTR-96-4-T, Chambre de première instance I, jugement,
2 septembre 1998, par. 125-126. - 28 -

des actes d’accusation contre Karadzi ć et Mladi ć rendue le 11 juillet 1996 dans le cadre de

l’article61, le jour même, bien lointain, où la Cour internationale de Justice rejetait toutes les

exceptions préliminaires soulevées par l’Etat qui s’appelait alors République fédérale de

Yougoslavie (Serbie-et-Monténégro). Cette reconna issance a été faite en des termes on ne peut

plus clairs :

«[e]nfin, la Chambre considère qu’il est im portant de souligner une caractéristique
générale de la politique de nettoyage ethnique. Ainsi que le montrent les conclusions
du premier rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme,

MT. adeuszMazowiecki…se trouvent à ce stade confirmées: le «nettoyage
ethnique» paraît bien avoir été, en Bosnie-Herzégovine, non pas une conséquence de
la guerre [initiée par le SDS et ses alliés militaires], mais bien le but de celle-ci.» 45

87. Dans d’autres jugements également, le TPIY a indiqué que ce n’est pas parce qu’il y

avait une guerre, que ne pouvaient être commis d’autres crimes tels que des crimes contre

l’humanité ou des actes de génocide. Ainsi, dans le jugement rendu par la Chambre de première

instance dans l’affaire Kunarac et autres, elle fait bien cette différence :

« Peu importe que l’agression serbe ait également eu des buts militaires et
territoriaux, puisque le critère du «conflit armé» n’est pas synonyme de celui

d’«attaque dirigée contre une population civile». Toutefois, si l’on estime que cet
élément fait partie des éléments généraux constitutifs de crimes contre l’humanité, la
politique à l’origine de l’attaque serbe visa it à conquérir une suprématie totale face

aux Musulmans de la région, et, finalement, à créer une région serbe homogène. Cet46
politique supposait également dans cette optique l’expulsion par la terreur» .

Il va sans dire que les viols constituaient un moyen par excellence de semer la terreur, et donc un

moyen privilégié de la politique de nettoyage ethnique. Il est clair également que ce n’est pas parce

que bien souvent des viols et des violences sexuelles sont commis en temps de guerre et peuvent de

ce fait être qualifiés de crimes de guerre, que dans le cas particulier qui nous occupe, ces viols et

violences sexuelles ne peuvent pas être qualifiés, compte tenu des circonstances dans lesquelles ces

actes ont été commis, comme des crimes contre l’humanité ou des actes de génocide. Nous voici

menés au seuil de la seconde distinction dont je voulais parler.

45TPIY, Le procureur c. Radovan Karadzic et Ratko Mladic , affaireIT-95-5-R61 et IT-95-18-R61, examen
de l’acte d’accusation dans le cadre de l’article 61 du Règlement de procédure et de preuve, 11 juillet 1996, par. 64; les
italiques sont de nous.

46Le procureur c. Dagoljub Kunarac, Radomir Kovac et Zoran Vukovic, affaires noIT-96-23 et IT-96-23/1,
Chambre de première instance II, jugement, 22 février 2001, par. 579. - 29 -

La distinction entre le crime contre l’humanité et l’acte de génocide: dans notre affaire, les
viols et les violences sexuelles ne sont pas «seulement» des crimes contre l’humanité, ils
sont aussi des actes de génocide

88. Pour préciser les contours du crime c ontre l’humanité, je vous demanderai de vous

pencher un instant avec moi sur l’affaire Nikolic. Dans l’acte d’accusation contre Nikolic, sont

énumérés les éléments essentiels nécessaires pour qu’un acte puisse être qualifié de crime contre

l’humanité :

«[t]out d’abord, les actes criminels doivent avoir pour objet une population civile

spécifiquement identifiée comme un groupe pa r les auteurs de ces actes. En second
lieu, les actes criminels doivent s’inscrire dans une certaine organisation et s’insérer
dans un contexte systématique. S’il n’est pas nécessaire qu’ils soient liés à une

politique instituée à un niveau étatique au sens classique, ils ne peuvent pas être le seul
fait d’individus isolés. Enfin, la perpétra tion des actes criminels, considérés dans leur
ensemble, doit présenter une certaine ampleur et une certaine gravité.» 47

89. Il ressort de cet extrait qu’il y a donc tr ois éléments constitutifs de l’acte du crime contre

l’humanité :

⎯ il doit être intentionnellement dirigé contre une population civile identifiée comme un groupe

par les auteurs de cet acte;

⎯ il doit être organisé ou systématique;

⎯ il doit enfin être d’une certaine gravité.

90. Mais le génocide, vous le savez, doit lui aussi réunir ces trois éléments: il doit être

intentionnellement dirigé contre une population civile, identifié comme un groupe par les auteurs

de ces actes, il doit être organisé ou systématique, il doit être d’une certaine gravité. Mais cela ne

suffit pas, pour qu’il y ait génocide, il faut en pl us une intention spécifique, «l’intention spéciale de

détruire un groupe, sans laquelle, que lle[s] que soi[en]t l’atrocité d’un acte … il ne peut être

48
qualifié de génocide» . C’est en ce sens que Stephan Glaser a pu écrire que le génocide se

présentait comme «un cas aggravé, ou qualifié, de crime contre l’humanité» 49, comme une forme

47 TPIY, Le procureur c. Dragan Nikolic , examen de l’acte d’accusation dans le cadre de l’article 61 du
Règlement de procédure et de preuve, affaire nT-94-2-R61, 20 octobre 1995, par. 26.
48
Observation du représentant de la République fédéra tive du Brésil lors des travaux préparatoires de la
convention sur le génocide, in document NationsUnies, comptes re ndus analytiques des séances de la
Sixième Commission de l’Assemblée générale des Nations Un ies du 21 septembre au 10 décembre, documents officiels
de l’Assemblée générale, p. 109.
49
S. Glaser, Droit international pénal conventionnel , Bruxelles, Bruylant , 1970, p. 109, cité in
NicodèmeRuhashyankiko, rapporteur spécial, Etude sur la question de la prévention et la répression du crime de
génocide, Sous-Commission de la lutt e contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités,
Nations Unies, doc. E/CN.4/Sub.2/416, 4 juillet 1978, par. 393. - 30 -

extrême, en quelque sorte, du crime contre l’humanité. C’est en vertu de cette intention spécifique,

qui distingue le génocide des autres crimes, que le TPIR a pu considérer dans l’affaire Kambanda,

que le génocide constituait le «crime des crimes» 50. Autrement dit, s’il n’ existe pas de frontière

rigide entre le crime contre l’humanité et le génocide, mais plutôt une sorte de continuum , le

génocide n’en constitue pas moins, pour repr endre les propos du TPIY dans l’affaire Stakic, «un

crime unique en son genre en raison de l’accent mi s sur l’intention spécifique. Le génocide se

caractérise donc et se distingue de tous les au tres crimes par ce que l’on pourrait appeler un

51
««surcroît» d’intention» , cette intention que j’ai déjà mentionnée, de «détruire un groupe

national, racial, ethnique, ou religieux, en tout ou en partie, en tant que tel». Il nous faut donc, au

delà des faits, montrer maintenant qu’était présente derrière les actes relatés devant vous depuis le

début de la semaine, cette intention spécifique. Autrement dit, pour qu’il y ait génocide, il faut que

les violences sexuelles soient commises dans l’in tention de détruire un groupe national, racial,

ethnique ou religieux comme tel. Et je vais re prendre très rapidement les différents éléments

constitutifs de cette intention spécifique.

Les contours de l’intention génocidaire : les violences sexuelles doivent être commises dans

l’intention de détruire un groupe national, racial, ethnique, ou religieux comme tel

Les violences sexuelles doivent être commises tout d’abord dans l’intention de détruire

91. Il faut tout rappeler, comme cela a déjà été souligné ce matin par mon collègue

Tom Franck, que la destruction d’un groupe peut être effectuée de différentes manières. La notion

de «destruction» s’entend bien sûr dès la destruction physique et biologique. Mais n’oublions pas

que le concept est plus large. Le concept de destruction n’est pas limité au meurtre des membres

du groupe, il inclut également d’autres types d’actes commis dans l’intention de détruire la viabilité

du groupe et au premier rang de ces actes, bien entendu, les viols et les violences sexuelles 52. Il va

50 o
TPIR, Le procureur c. Jean Kambanda, affaire n IT-97-23-S, Chambre de prem ière instance I, jugement
portant condamnation, 4 septembre 1998, par. 16; TPIR dans Le procureur c. Omar Serushago, affaire n ICTR-98-39-5,
sentence, 5 février 1999, par.15. Voir plus récemment la reprise de cette expression dans l’opinion partiellement
dissidente du juge Wald jointe à l’arrêt Le procureur c. Goran Jelisic , affaire n IT-95-10, Chambre de première

instanceo, jugement, 14 décemb re 1999, par.2 et par le TP IY lui-même dans l’affaire Le procureur c. Milomir Stakic ,
affaire n IT-97-24-T, Chambre de première instance II, jugement, 31 juillet 2003, par. 502.
51 o
Le procureur c. Milomir Stakic , affaire nIT-97-24-T, Chambre de première instance II, jugement,
31 juillet 2003, par. 520.
52 o
Voriencesens,Le procureur c. Vidoj e Blagojevic, Dragon Jokic, affaire n IT-02-60-T, jugement,
17 janvier 2005, par. 666; Le procureur c. Radislav Krstic, affaire n IT-98-33, Chambre de première instanceI,
jugement, 2 août 2001, par. 580. - 31 -

donc à cet égard sans dire que les viols et les violences sexuelles peuvent constituer un moyen

permettant, à terme, la destru ction biologique du groupe. Nous faisons à cet égard nôtres les

propos du TPIR formulés dans l’affaire Akayesu, lorsqu’il a dit :

«[c]es viols ont eu pour effet d’anéantir physiquement et psychologiquement les
femmes Tutsies, leur famille et leur communauté. La violence sexuelle fait partie
intégrante du processus de destruction par ticulièrement dirigé contre les femmes

Tutsies et ayant contribué de manière spéc ifique à leur anéantissement et à celui du
groupe tutsi considéré comme tel.» 53

92. De la même façon, la Bosnie-Herzégovine demande à votre Cour, de reconnaître que les

violences sexuelles faisaient partie intégrante du processus de destruction du groupe des

Musulmans de Bosnie, baptisé nettoyage ethnique. Mais il faut aussi que les violences sexuelles

soient commises dans l’intention de détruire un groupe.

Les violences sexuelles doivent être commises dans l’intention de détruire un groupe

93. On sait que la convention sur le génocide ne protège pas tous les groupes, il se limite à la

protection des groupes nationaux, ethniques, raciaux ou religieux. Ces groupes ne sont pas

clairement définis. L’approche généralement retenue par la jurisprudence pour apprécier

l’appartenance des victimes à un tel groupe, repose sur un critère subjectif : «c’est la stigmatisation,

par la collectivité, du groupe en tant qu’entité ethnique, raciale ou nationale distincte, qui permettra

de déterminer si la population visée constitue, pour les auteurs présumés, un tel groupe», comme

54
cela avait été souligné dans l’affaire Jelisic . Mais je voudrais aussi attirer l’attention de la Cour

sur une distinction faite dans cette même affaire, où il était souligné que la stigmatisation du groupe

visé par une politique génocidaire pouvait s’effect uer de deux façons distinctes, soit selon des

critères positifs, soit selon des critères négatifs :

«[u]ne «approche positive» consistera pour les auteurs du crime à distinguer le groupe
en raison de ce qu’ils estiment être les caractéristiques nationales, ethniques, raciales,
religieuses propres à ce groupe. Une «approche négative» consistera à identifier des

individus comme ne faisant pas partie d’un groupe auquel les auteurs du crime

53
Le procureur c. Jean-Paul Akayesu , ICTR-96-4-T, Chambre de première instance I, jugement,
2 septembre 1998, par. 731; Le procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana , ICTR-95-1, Chambre de première
instance II, jugement, 21 mai 1999, par.95; Le procureur c. Alfred Musema, ICTR-96-13, Chambre de première
instance I, jugement et sentence, 27 janvier 2000, par. 933; les italiques sont de nous.
54 o
Le procureur c. Goran Jelisic , affaire n IT-95-10, Chambre de première instance I, jugement,
14 décembre 1999, par. 70; Le procureur c. Radislav Krstic , affaire nT-98-33, Chambre de première instance I,
jugement, 2 août 2001, par.557; Le procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana , ICTR-95-1, Chambre de
première instance II, jugement, 21 mai 1999, par. 98. - 32 -

considèrent appartenir et qui présente selon eux des caractéristiques nationales,

ethniques, raciales ou religieuses propres, l’ensemble des individus ainsi rejetés
constituant, par exclusion, un groupe distinct. La Chambre…estime qu’il est

conforme à l’objet et au but de la co nvention de considérer que ses dispositions
protègent aussi les groupes définis par l’exclusion, si c’est ainsi qu’ils sont stigmatisés
par les auteurs de l’acte.» 55

94. Dans la présente espèce, il n’est pas besoin de s’attarder longuement sur le fait que même

si tous les non-Serbes étaient visés, le groupe le plus visé par les différents actes incriminés a été

expressément identifié, à maintes reprises par le TPIY, comme le «groupe national des Musulmans

de Bosnie» 56.

Les violences sexuelles doivent viser le groupe en tant que tel

95. Je ne reviendrai pas longuement sur ce point déjà développé ce matin. Je dirai

simplement qu’il est donc nécessaire que le groupe ait été pris comme cible en tant que tel , en

57
raison de ses caractéristiques propres, en tant qu’entité distincte . Le TPIR a également rappelé

cette dimension dans l’affaire Akayesu, en ces termes :

«la perpétration de l’acte incriminé dépasse alors sa simple réalisation matérielle, par

exemple le meurtre d’un individu en particulie r peut s’insérer dans la réalisation d’un
dessein ultérieur, qui est la destruction to tale ou partielle du gr oupe dont l’individu
58
n’est qu’une composante» .

Si le but du ou des auteurs du génocide consiste en e ffet à détruire en tout ou partie le groupe en

s’attaquant à une victime, ce n’est donc pas bien sû r à la victime qu’il s’attaque, mais au groupe

59
lui-même, c’est le groupe ciblé qui, au final, constitue la victime «ultime» du génocide.

55 o
Le procureur c. Goran Jelisi ć, affaire n IT-95-10, Chambre de première instance I, jugement,
14 décembre 1999, par. 71.
56 o
TPIY, Le procureur c. Radislav Krsti ć, affaire n IT-98-33, Chambre do premiè re instance I, jugement,
2 août 2001, par. 560; TPIY, Le procureur c. Radislav Krsti ć, affaire n IT-98-33-A, Chambre d’appel, arrêt,
19 avril 2004, par. 591. Voir aussi Le procureur c. Goran Jelisić, affaire n IT-95-10, Chambre de première instanceI,
jugement, 14 décembre 1999, par. 72.

57 Le procureur c. Milomir Staki ć, affaire n IT-97-24-T, jugement, Chambre de première instanceII,
31 juillet 2003, par. 521; Le procureur c.Goran Jelisić , affaire nIT-95-10, Chambre de première instanceI, jugement,
14 décembre 1999, par. 79; Le procureur c.Slobodan Milosevi ć, affaire n IT-02-54-T, Chambre de première instanceI,

décision relative à la requête aux fins d’obtenir un jugement d’acquittement, 16 juin 2004, par. 123.
58 Le procureur c. Jean-Paul Akayesu , ICTR-96-4-T, Chambre de prem ière instanceI, jugement,

2 septembre 1998, par. 522.
59Le procureur c. Dusko Sikirica, Damir Dose n, Dragan Kolundzija (Sikirica et consorts) , affaire n IT-95-8,

jugement relatif aux requêtes d’acquittement présentées par la défense, 3 septembre 2001, par. 89. - 33 -

Les violences sexuelles doivent tendre à détruire le groupe en tout ou en partie

96. Il est admis que la destruction recherchée ne doit pas nécessairement concerner la totalité

du groupe mais qu’elle peut viser, nous le savons bien, la destruction du groupe en partie . La

question se pose alors de savoir quelle est la proporti on du groupe que l’on peut définir ainsi. Si

aucun seuil quantitatif n’est exigé, la jurisprudence constante des tribunaux pénaux internationaux

considère cependant qu’il est nécessaire que les actes commis aient visé au moins une partie

60
«substantielle» du groupe» de manière à ce que la destruction envisagée affecte l’ensemble du

groupe dans son entièreté , dans sa plénitude. Ce critère de «substantialité» recouvre différents

aspects. D’une part, on peut considérer qu’une partie du groupe est «subs tantielle» parce qu’elle

représente, en termes quantitatifs, une forte propor tion du groupe en question. D’autre part, on

peut considérer qu’une partie du groupe est «substa ntielle» parce qu’elle comprend, cette fois d’un

point de vue qualitatif, les membres les plus représentatifs de la communauté visée. Le fait qu’une

partie spécifique du groupe s’avère embléma tique du groupe tout entier ou qu’elle s’avère

essentielle à sa pérennité ou à sa survie, comme le sont les femmes, permet à cet égard de

considérer qu’il s’agit d’une partie substantielle du groupe. Mais cette analyse peut encore être

complétée, comme n’a pas manqué de le faire le TPIY, qui a indiqué que l’éradication d’une partie

du groupe pouvait aussi s’entendre de l’éradication du groupe se trouvant dans une zone

géographique donnée. Il a donc également présenté une analyse d’un point de vue géographique,

selon laquelle une partie substantie lle du groupe peut être une pa rtie du groupe située dans une

zone géographique délimitée :

«[l]a Chambre constate qu’il est admis que le génocide peut être perpétré dans le cadre

d’une zone géographique ré duite… La Chambre avait adopté une semblable position
dans sa décision relative à l’examen de l’acte d’accusation déposé contre
Dragan Nikolić dans le cadre de l’article61. Da ns cette affaire, la Chambre avait

estimé possible de fonder l’accusation de génocide sur des événements qui se sont
déroulés dans la seule région de Vlasenica. La Chambre estime, au regard de l’objet
et du but de la convention ai nsi que de l’interprétation ultérieure qui en a été donnée,

60 o
En ce sens, TPIY, Le procureur c. Goran Jelisi ć, affaire n IT-95-10, ohambre de première instanceI,
jugement, 14décembre 1999, par.82 et TPIY, Le procureur c. Goran Jelisić, affaire n IT-95-10-A, Chambre d’appel,
arrêt, 5 juillet 2001, par.72. Pour la jurisprudence du TPIR en ce sens, vLe procureur c. Clément Kayishema et
Obed Ruzindana, ICTR-95-1, Chambre de première inst ance II, jugement, 21 mai 1999, par.97; Le procureur
c. Ignace Bagilishema, ICTR-95-1A-T, Chambre de première inst ance I, jugement, 7 juin 2001, par. 64; Le procureur c.
Laurent Semanza, affaire n ICTR-97-20-T, jugement et sentence, Cham bre de première inst ance III, 15 mai 2003,
par. 316. - 34 -

que la coutume internationale reconnaît la qualification de génocide même lorsque la
volonté d’extermination ne touche qu’une zone géographique réduite.» 61

Cette conception, Madame le président, Messieurs les juges, me paraît cruciale dans cette affaire.

Elle a d’ailleurs été mise en Œuvre de façon spectaculaire dans l’affaire Krstić où il a été décidé

qu’un génocide avait été commis à l’encontre des seuls «Musulmans de Srebrenica ou des

62
Musulmans de Bosnie orientale» . J’ai ainsi repris très rapidement les contours de l’intention

génocidaire. Mais cette intention si essentielle à l’existence du génocide, comment la prouver ? Je

pense qu’il est temps, Madame le président, que je m’arrête et que je continue après la pause.

The PRESIDENT: Yes, Professor Stern. We will rise for ten minutes.

The Court adjourned from 4.15 to 4.25 p.m.

The PRESIDENT: Please be seated.

Mme STERN: Madame le président, Messieurs le s juges, j’ai terminé la plaidoirie en ce

début d’après-midi par la question de savoir si l’intention si essentielle à l’existence du génocide

existait et surtout comment il fallait la prouver. C’est ce à quoi je vais m’attacher maintenant.

La preuve de l’intention génocidaire des actes de violences sexuelles :
un faisceau d’indices

97. De l’aveu même du TPIR dans l’affaire Akayesu, l’intention est «un facteur d’ordre

63
psychologique qu’il est difficile, voire impossible d’appréhender» . Dans la pratique, on

comprendra aisément que la preuve de l’inten tion génocidaire s’avère extrêmement difficile à

établir. Peu d’auteurs de génocide, à l’exception d’Hitler, annoncent en effet à la face du monde

leur volonté de détruire un groupe déterminé. Si le critère de l’ intention ne peut pas pour autant

être purement et simplement présumé 64, faute de quoi le génocide perdrait sa spécificité, et que la

61 Le procureur c. Goran Jelisi ć, affaire n IT-95-10, Chambre de première instance I, jugement,

14 décembre 1999, par. 83.
62 Le procureur c. Radislav Krsti ć, affaire n IT-98-33, Chambre de première instance I, jugement, 2 août 2001,
o
par. 560; Le procureur c. Radislav Krstić, affaire n98-33-A, Chambre d’appel, arrêt, 19 avril 2004, par. 23.
63 Le procureur c. Jean-Paul Akayesu , ICTR-96-4-T, Chambre de première instance I, jugement,
o
2 septembre 1998, par. 523. Voir également TPIY, Le procureur c. Goran Jelisic , affaire nIT-95-10, Chambre de
première instance I, jugement, 14 décembre 1999, par. 101.
64
Le procureur c. Jean-Paul Akayesu , ICTR-96-4-T, Chamboe de première instance I, jugement,
2 septembre 1998; par. 521; Le procureur c. Goran Jelisic , affaire n IT-95-10, Chambre de première instanceI,
jugement, 14 décembre 1999, par. 78. - 35 -

preuve de l’intention doit être rapportée, il s’ avère toutefois admis, selon une jurisprudence

constante, que cette preuve peut ressortir de l’effet conjugué d’un certain nombre d’éléments, de

circonstances factuelles du crime 65, et que l’on peut donc dire que l’intention peut être déduite d’un

faisceau d’indices concordants.

98. Les indices qui permettent de rapporter, sans contestation possible, la preuve de

l’intention génocidaire, ont été identifiés dans de nombreuses décisions ou jugements, tant du TPIY

que du TPIR, nous en avons cité beaucoup dans notre ré plique mais je ne les reprendrai pas. Je me

bornerai à citer ici un jugement récent du TPIY qui résume en substance les éléments conjugués

permettant de conclure à l’existe nce de l’intention spécifique au crime de génocide. Ainsi, dans

l’affaire Jelisic, le TPIY a-t-il considéré que la preuve de l’intention spécifique :

«peut, à défaut d’éléments de preuve directs et explicites, procéder d’un certain

nombre de faits et de circonstances, tels le contexte général, la perpétration d’autres
actes répréhensibles systématiquement diri gés contre le même groupe, l’ampleur des

atrocités commises, le fait de viser systématiquement certaines victimes en raison de
leur appartenance à un groupe particulier ou la récurrence d’actes destructifs et
discriminatoires» . 66

99. Il convient alors de mettre en exergue les éléments probants s’agissant des actes de viols

et de violences sexuelles commis en Bosnie-Herzégovine qui nous permettront de démontrer qu’ils

se sont bien inscrits dans le cadre du dessein général de la destruction, en partie, du groupe des

Musulmans de Bosnie-Herzégovine, en tant que tel.

L’existence d’une intention génocidaire est bien présente derrière les viols
et les violences sexuelles

L’existence d’une intention génocidaire générale n’est pas un non-dit total en l’espèce

100. J’ai dit, il y a un instant, que rarement les génocidaires indiquent leur intention comme

l’a fait Hitler. Mais, même si nous n’avons pas, pour ainsi dire, d’ouvrage de référence annonçant

65
Le procureur c. Jean-Paul Akayesu , ICTR-96-4-T, Chambre de première instance I, jugement,
2 septembre 1998, par. 523-524; Le procureur c. Georges Andersen Nderubumwe Rutaganda, ICTR-96-3-T, Chambre de
première instanceI, jugement, 6 décembre 1999, par.525; Le procureur c. Alfred Musema, ICTR-96-13, Chambre de
première instanceI, jugement et sentence, 27 janvier 2000, par.166-167. Pour le TPIY, voir Le procureur c.
Radovan Karadzić et Ratko Mladić, affaire noIT-95-5-R61 et IT-95-18-R61, examen de l’acte d’accusation dans le cadre

de l’article61 du Règlement de procédure et de preuve, 11 juillet 1996o par.94-95; Le procureur c. DuskoSikirica,
Damir Dosen, Dragan Kolundzija (Sikirica et consorts) , affaire n IT-95-8, jugement relatif aux demandes
d’acquittement présentées par la défense, 3 septembre 2001, par.61; Le procureur c. RadislavKrstic , affaire
n IT-98-33-A, Chambre d’appel, arrêt, 19 avril 2004, par. 34.
66 o
Le procureur c. Goran Jelisic , affaire n IT-95-10oA, Chambre d’appel, arrêt, 5 juillet 2001, par.47. Voir
également TPIY, Le procureur c. Goran Jelisic , affaire n IT-95-10, Chambre de première instanceI, jugement,
14 décembre 1999, par. 73. - 36 -

le génocide des Musulmans de Bosnie, il faut re marquer qu’il y a toujours dans un groupe, celui

qui parle, celui qui ose nommer les choses, même les choses innommables. Dans le groupe des

dirigeants serbes qui ont conçu et organisé le gé nocide qui nous occupe, c’est-à-dire ceux qui ont

conçu le nettoyage ethnique en Bosnie-Herzégovine , celui qui parle, c’est Karadzic, mais, comme

l’on dit, les autres n’en pensent pas moins. C’est donc Karadzic qui annonce, devant le Parlement

bosniaque, que toute résistance à la domination serbe conduira «the Muslim people to their

67
annihilation» . C’est cela, le but ultime de tout ce qui s’est passé en Bosnie. Mais il s’agit-là

encore que du langage de la menace, non de celui de la prédiction. La volonté de détruire le groupe

des non-Serbes de Bosnie a été expr imé encore bien plus clairement par le même Karadzic dans

une conversation téléphonique qui a été mentionnée par l’agent adjoint dès le premier jour des

plaidoiries et dans lequel il n’y a plus la mo indre place pour le doute sur les intentions des

dirigeants serbes : «[i]n just a couple of days, Sarajevo will be gone and there will be five hundred

thousand dead, in one month Muslims will be annihilated» 68. Cette volonté de détruire le groupe

des non-Serbes et en particulier des Musulmans de Bosnie n’est pas restée confinée dans les hautes

sphères dirigeantes, mais s’est diffusée parmi les Serbes. D’abord je remarque que l’ensemble des

hautes sphères dirigeantes avait la même intention mais si elle ne le disait pas toujours aussi

clairement. On se souvient, on vous l’a déjà répé té plusieurs fois d’un au tre coup de téléphone où

Milosevic lui-même disait «don’t stand in Kara dzic’s way», ce qui signifie que ses intentions

génocidaires clairement exprimées étaient aussi les siennes. Mais cette volonté de détruire comme

je viens de le dire n’est pas restée confinée dans les hautes sphères, elle s’est diffusée parmi les

Serbes comme il ressort de la décision rela tive à l’examen de l’acte d’accusation de Karadzić et

Mladić rendue dans le cadre de l’article 61. Cet examen mentionne

«l’atmosphère de discrimination et d’hostilité à l’égard des non-Serbes, imposée à

toute la région par les dirigeants serbes, était bien connue à Kozarac. Après la prise de
la localité de Prijedor, mais avant l’attaque de Kozarac, il était fréquent d’entendre des

67Discours de Radovan Karadzic devant le Parlement de la Bosnie-Herzégovine en date du 14 octobre 1991, cité
in TPIY, Le procureur c. Slobodan Milosevic, affaire n-02-54-T, Chambre de première instance I, décision relative à
la requête aux fins d’obtenir un jugement d’acquittement, 16 juin 2004, par. 241.

68TPIY, Le procureur c. Slobodan Milosevic, affaire n IT-02-54-T, Chambre de première instanceI, décision
relative à la requête aux fins d’obtenir un jugement d’acquittement, 16 juin 2004, par.241, exposé613, tab.89
(communication interceptée avec Momcilo Mandic, en date du 13 octobre 1991). - 37 -

Serbes, s’exprimant à la radio de la poli ce, évoquer … la nécessité de détruire ces
69
«Balijas»» (Balija étant un terme péjoratif qualifiant les Musulmans).

101. Mais, il y a bien d’autres éléments qui démontrent, sans l’ombre d’un doute que

l’intention génocidaire était bel et bien présente derrière les viols et les violences sexuelles qui, je

le dis et je le répète, je le dirai et je ne le répète rai jamais assez, ont joué un rôle si central dans le

nettoyage ethnique. Il est incontestable qu’il y avait un système organisé de viol et de violences

sexuelles, organisé selon un schéma déterminé, «A Pa ttern of Rape». Nous allons rapidement

rappeler les principaux aspects de ce schéma général.

L’intention de détruire le groupe peut se déduire de la gravité et du caractère massif des viols
et des violences sexuelles commis à l’égard des membres du groupe des Musulmans de
Bosnie

102. Ai-je besoin de m’attarder une fois de pl us sur le caractère généralisé, sur l’ampleur de

la commission des viols et des violences sexuelles commis sur tout le territoire de la

Bosnie-Herzégovine qui j’ai mis en évidence au dé but de notre plaidoirie ce matin? Les viols et

les violences sexuelles commis en Bosnie-Herzégovine n’ont pas, tant s’en faut, constitué des actes

sporadiques, isolés, qui auraient été perpétrés dans le cadre de la situation chaotique d’un conflit

armé. Là encore, pour montrer ce caractère orga nisé, on peut invoquer l’examen en vertu de

l’article61 de l’acte d’accusation contre Karadzić et Mladi ć, qui souligne cette part tout à fait

prédominante prise par les viols et les violences sexuelles dans la manifestation de l’intention

génocidaire :

«certaines modalités de la mise en Œuvre du projet de nettoyage ethnique révèlent

apparemment une intention aggravée. Ainsi, la massivité des effets destructeurs, le
seul nombre des victimes sélectionnées du fait de leur appartenance à un groupe
conduirait à penser que l’intention de détr uire le groupe, au moins en partie, est

constituée. En outre, la spécificité de cer tains moyens de nettoyage ethnique tend à
signaler que leur perpétration vise à attei ndre les fondements même du groupe ou ce
que l’on considère comme tels. Le viol systématique des femmes, confirmé par un

certain nombre d’éléments soumis à la Cour, vise dans certains cas, par la conception
forcée, à la transmission à l’enfant d’une identité ethnique nouvelle.» 70

Mais cette intention de détruire le groupe peut se déduire aussi de la sélection des victimes des

viols et des violences sexuelles.

69TPIY, Le procureur c. Radovan Karadzi ć et Ratko Mladi ć, affaires n IT-95-5-R61 et IT-95-18-R61, examen
de l’acte d’accusation dans le cadre de l’ article 61 du Règlement de procédure et de preuve, 11 juillet 1996, par. 154; les

italiques sont de nous.
70TPIY, Le procureur c. Radovan Karadzic et Ratko Mladic , affaires n IT-95-5-R61 et IT-95-18-R61, examen
de l’acte d’accusation dans le cadre de l’article 61 du Règlement de procédure et de preuve, 11 juillet 1996. - 38 -

L’intention de détruire le groupe peut se déduire de la sélection des victimes des viols et des
violences sexuelles

103. Si l’intention génocidaire s’avère dans bien des cas difficilement décelable, la sélection

des victimes la révèle indéniablement, du moins dans notre affaire. Là encore, le fait avéré par de

nombreux rapports internationaux, corroboré par des jugements eux aussi nombreux du TPIY, que

les viols et les violences sexuelles ont systématiquement et presque exclusivement ⎯ ce «presque»

pour tenir compte des actes isolés de viols et de violences sexuelles commis à l’encontre de

71
Serbes ⎯ mais donc que les viols ont été presque exclusivement dirigés contre des non-Serbes ,

contre les hommes, les enfants et les femmes non ser bes et en particulier Musulmans de

72
Bosnie-Herzégovine . Ce fait révèle indéniablement le caractère discriminatoire de ces crimes.

Plus précisément, les viols et violences sexuelles ont principalement été dirigés contre les femmes,

je l’ai déjà dit à plusieurs reprises, et il est bien évident qu’elles ne peuvent qu’être considérées

comme une composante importante et une «par tie substantielle» du gr oupe des Musulmans de

Bosnie tant parce que, quantitativement, elles constituent une forte quotité du groupe, les femmes

sont la moitié du monde, portent la moitié du ciel. Que parce que, qualitativement, elles constituent

là aussi, comme je l’ai déjà dit, une part sy mbolique et représentative du groupe visé. Cette

intention génocidaire est particulièrement nette, d’ailleurs, lorsque les femmes violées, humiliées,

font partie des intellectuelles, comme cela a été souligné par la femme détenue dans le camp

d’Omarska, que vous avez vue hier sur les quel ques minutes de vidéo. La violence sexuelle à

l’égard des femmes fait partie inté grante de la politique génocidaire , car elle vise le groupe, et on

ne peut à cet égard qu’adhérer, encore une fo is, aux conclusions auxquelles est parvenu le TPIR

dans l’affaire Akayesu, à propos des femmes tutsies mais qui pe ut tout aussi bien, être transposée

aux femmes du groupe des Musulmans de Bosnie -Herzégovine, conclusion selon laquelle, et je

cite :

«[c]ette représentation de l’identité ethnique par le sexe montre très clairement que les

femmes Tutsies ont été assujetties à des vi olences sexuelles du seul fait qu’elles

71 Le procureur c. Miroslav Kvocka, Milojica Kos, Mlado Radic, Zoran Zigic, Dragoljub Prcac, affaire
noIT-98-30/1-T, Chambre de première in stance I, jugement, 2 novembre 2001 (affairKvocka et consorts ⎯ Camps
d’Omarska et de Keraterm), par. 197.

72TPIY, Le procureur c. Miroslav Kvocka, Milojica Kos, Mlado Radic, Zoran Zigic, Dragoljub Prcac, affaire
n IT-98-30/1-T, Chambre de première in stance I, jugement, 2 novembre 2001 (affairKvocka et consorts ⎯ Camps
d’Omarska et de Keraterm), par. 197. - 39 -

étaient Tutsies. La violence sexuelle était une étape dans le processus de destruction 73
de son moral, de la volonté de vivre de ses membres et de leurs vies elles-mêmes.»

Je soutiens donc devant cette Cour que la violence sexuelle faite aux femmes non serbes de Bosnie

et en particulier aux femmes musulmanes, était une étape dans le processus de destruction du moral

du groupe, de sa volonté de vivre et de leur vie e lle-même. Mais il y a encore d’autres éléments

dans ce faisceau d’indices qui peut mettre en lu mière cette intention génocidaire. Je pense que

dans notre hypothèse l’intention de détruire le groupe peut également se déduire de l’absence de

prévention et de punition des viols et des violences sexuelles.

L’intention de détruire le groupe peut également se déduire de l’absence de prévention et de

punition des viols et des violences sexuelles

104. Il n’est pas nécessaire, de revenir sur le fait, qui a été amplement manifesté à travers les

extraits de jugement que j’ai lus, de revenir sur le fait que les chefs n’ont pas empêché les viols et

que leurs auteurs n’ont pas été sanctionnés. Qu’il me soit simplement permis de rappeler que cette

absence de prévention a été reconnue par le TPIY, s oulignant l’implication, la tolérance immédiate

des actes de viols et de violences sexuelles, notamment par le commandant de l’un des camps de

détention, Dragan Nikolic. Selon le TPIY :

«l’accusé a abusé de son pouvoir notamment vis-à-vis des femmes détenues au camp
de Susica. Il a personnellement emmené des femmes de tous âges du hangar, les
laissant à la merci d’individus dont ils savaient qu’ils allaient les violer ou leur infliger
74
des violences sexuelles…»

105. Mais il y a plus, il y a même eu des ordres de viols, des ordres de commettre des

violences sexuelles, comme en témoignent les constatations effectuées dans le jugement Kunarac

dans lequel le TPIY rapporte que «FWS-48 a déclaré que des sold ats lui avaient dit qu’ils avaient

75
reçu l’ordre de violer leurs victimes» , ou encore dans le jugeme nt rendu par le TPIY dans

l’affaire Todorovic¸ qui était chef de la police de Bosanski Samac, où sont relatés les faits qui

suivent :

«[l]e témoin A a déclaré avoir été conduit au poste de police de Bosanski Samac, où
Stevan Todorovic l’a battu et lui a donné des coups de pied dans les parties génitales.

73TPIR, Le procureur c. Jean-Paul Akayesu , ICTR-96-4-T, Chambre de première instance I, jugement,
2 septembre 1998, par. 732.

74 Le procureur c. Dragan Nikolic , affaire n IT-94-2-S, Chambre de première instance II, jugement portant
condamnation, 18 décembre 2003, par. 194.

75TPIY, Le procureur c. Dagoljub Kunarac, Radomir Kovac et Zoran Vukovic , affaires nsIT-96-23 et
IT-96-23/1, Chambre de première instance II, jugement, 22 février 2001, par. 39. - 40 -

Puis on a conduit le témoin A auprès d’un 76 autre homme et StevanTodorovic lui a
donné l’ordre de lui «mordre le pénis».»

106. De plus, il n’est, là encore, guère besoin d’insister sur l’impunité la plus totale dont ont

bénéficié les auteurs de viols et de violences sexuelles. Mais je voudrais également vous indiquer

que l’intention de détruire le groupe peut se déduire des analyses du TPIY et ce point est

extrêmement important.

L’intention de détruire le groupe peut se déduire des analyses du TPIY

107. Même si le TPIY a rarement reconnu la qualification de génocide, l’intention

génocidaire apparaît dès que l’on a une vue d’ensemble de ce qui s’est passé en

Bosnie-Herzégovine, comme seule la Cour peut l’avoir.

108. Vous me permettrez à cet égard de reprendre ici l’analyse de l’affaire Kunarac avec

laquelle j’ai commencé ma plaidoirie. Dans cette affaire, il m’apparaît évident que le TPIY s’est en

effet explicitement référé à l’intention d’atteindre le groupe en tant que tel . Il est important de

citer ici un extrait des conclusions du TPIY: «[ l]a Chambre de première instance est convaincue

que les crimes commis par les trois accusés faisaient partie de l’attaque dirigée contre la population

77
civile musulmane…» .

109. Le TPIY ne s’est cependant pas arrêté pas là, il a poursuivi son analyse, dans les termes

suivants :

«[d]e même, à en juger par la conduite dont il leur a été fait grief et qui a été établie

devant la Chambre de première instance, ils savaient (il s’agit toujours des trois
mêmes accusés) qu’une attaque dirigée contre la population civile musulmane était en
cours et ils ont choisi d’y participer activement. Ils ont maltraité des jeunes filles et

des femmes musulmanes, et seulement des Musulmanes, justement parce qu’elles
étaient Musulmanes. Ils ont donc pleinement approuvé l’attaque lancée par les Serbes
pour des motifs ethniques contre la population civile musulmane, et toutes leurs

actions faisaient manifestement partie de cette attaque et avaient pour effet de la
perpétuer.» 78

110. Est donc établie l’intention de viser un groupe des Musulmans de Bosnie en tant que tel,

nécessaire à la reconnaissance de l’existence d’un crime contre l’humanité. Le TPIY a reconnu, et

76 o
Le procureur c. Stevan Todorovic , affaire n IT-95-9/1-S, Chambre de première instance I, jugement portant
condamnation, 31 juillet 2001, par. 38.
77TPIY, Le procureur c. Kunarac, Kovac et Vukovic , Chambre de première instance, jugement, 22février 2001,
par. 570.

78TPIY, Le procureur c. Kunarac, Kovac et Vukovic , Chambre de première instance, jugement, 22février 2001,
par. 592. C’est le TPIY qui souligne. - 41 -

j’y insiste, l’intention d’atteindre une population civile, mais encore plus précisément, l’intention

d’atteindre un groupe particulier de cette popula tion civile, dégageant ainsi les critères du crime

contre l’humanité discriminatoire, extrêmement proche du génocide.

111. La Cour, quant à elle, n’a alors qu’un pas de plus à faire, devant cette accumulation de

crimes contre l’humanité, imputables comme cela sera plus amplement démontré dans les jours qui

viennent par mes collègues Alain Pellet et Luigi Condorelli, au même Etat. Et bien ce pas consiste

à reconnaître que, par leur accumulation même, ces crimes contre l’humanité discriminatoires

constituent un génocide.

112. Cette possibilité de découvrir l’intenti on génocidaire par la répétition d’actes qui, en

eux-mêmes, ne constituent pas un génocide, a été re connue dans la décision relative à l’examen de

l’acte d’accusation de Karadzić et Mladić rendue le 11 juillet 1996. D’après le Tribunal :

«[l]’intention spécifique au crime de génocide n’a pas à être clairement exprimée.
Comme l’avait noté cette Chambre dans l’affaire Nikolic précitée, elle peut être inférée
d’un certain nombre d’éléments, tels la doctrine générale du projet politique inspirant

les actes susceptibles de relever de la définition de l’article4 ou la répétition d’actes
de destruction discriminatoires.» 79

Ce dernier point, Madame le président, Messieurs les juges, est d’une importance capitale. Même

s’il n’est pas dans mon rôle de soulever les arguments du défendeur, je tiens par avance à réfuter ce

que je l’entends déjà argumente r pour empêcher que votre Cour ne reconnaisse l’existence d’un

génocide : il invoquera ⎯ une fois n’est pas coutume ⎯ l’abondante jurisprudence du TPIY, où les

condamnations pour viols et violences sexuelles en tant que crimes contre l’humanité sont très

nombreuses, alors que ces mêmes faits de violences sexuelles n’ont été qualifiés comme actes de

80
génocide que dans des actes d’accusation sans que ce chef d’incrimination n’ait à ce jour été

retenu dans un jugement. Il est bien clair que cet argument n’a aucune valeur, et que, par

application de cette même jurisprudence que je viens de citer, votre Cour ⎯ et peut-être seule votre

Cour ⎯ face à cette répétition de violences sexuelles, selon les mêmes schémas, qui vus isolément

ont été qualifiés déjà de crimes contre l’humanité, peuvent sans la moindre difficulté, vus dans leur

ensemble, entrer dans la catégorie des crimes de génocide. N’oublions pas que les éléments

79TPIY, Le procureur c. Radovan Karadzi ć et Ratko Mladi ć, affaire n IT-95-5-R61 et IT-95-18-R61, examen
de l’acte d’accusation dans le cadre de l’article 61 du Règlement de procédure et de preuve, 11 juillet 1996, par. 94.

80TPIY, Le procureur c. Ratko Mladi ć, affaire n IT-95-5/18-I, acte d’accusation modifié, 11octobre2002,
par. 34, al. b); TPIY, Le procureur c. Slobodan Milosević, acte d’accusation amendé, 21 avril 2004, par. 32, al. c). - 42 -

matériels sous-jacents au crime contre l’humanité et au crime de génocide sont les mêmes et que

l’intention nécessaire aux crimes contre l’humanité lorsqu’il s’agit d’un crime discriminatoire n’est

séparée que de façon infinitésimale de l’intention génocidaire.

113. Cette idée ⎯finalement bien évidente, mais parfois oubliée comme beaucoup

d’évidences ⎯ selon laquelle une accumulation de crim es contre l’humanité peut aboutir à un

génocide, a déjà été exprimée par la Commission du droit international, dans son commentaire sur

la notion d’acte composite inclus dans la déclaration de 2001 sur la responsabilité des Etats :

«[s]i le fait composite est constitué par une série d’actions ou d’omissions définie dans
son ensemble comme illicite, cela n’exclut pas pour autant la possibilité que chacun

des faits qui constituent la série soit lui-même illicite au regard d’une autre obligation.
Par exemple, le fait illicite du génocide est généralement constitué d’une série de faits
qui sont eux-mêmes internationalement illic ites [sous-entendu, qui sont des crimes
81
contre l’humanité ou d’autres crimes d’ailleurs]…»

114. Ce n’est donc qu’en ayant en vue le plan et la politique généralisée et systématique de

nettoyage ethnique génocidaire mis en Œuvre par la Serbie-et-Monténégro qu’il est possible de

conclure que, de même que le transfert forcé de populations, de même que le meurtre des

Musulmans de Bosnie, les viols et violences se xuelles ont constitué un élément clé de la mise à

exécution de ce plan, dont l’objectif général visa it l’expulsion définitive des habitants non serbes

du territoire du futur Etat serbe en Bosnie-Herzégovi ne et qu’ils ont été commis, à la lumière du

faisceau d’indices concordants que je viens de rappele r, dans l’intention de détruire, en tout ou en

partie, le groupe des non-Serbes et en particulier, le groupe des Musulmans de

Bosnie-Herzégovine.

*

* *

115. Longtemps considérés comme une sorte d’e xutoire de la libido des soldats et conçus

comme inévitables dans le contexte des conf lits armés, les viols et violences sexuelles ont

longtemps été relégués au rang d’actes «innomés et i nvisibles». L’incrimination directe des viols

81Commentaire de la Commission du droit international sous l’article15, intitulé «Violation constituée par un
fait composite», des articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, in J. Crawford, Les articles
de la CDI sur la responsabilité de l’Etat, Paris, Pedone, 2003, n 9, p. 171. - 43 -

et violences sexuelles en tant que crimes contre l’humanité dans le Stat ut des tribunaux pénaux

internationaux a certes constitué une étape importa nte dans la voie de la manifestation de la

réprobation et de la condamnation in ternationales de ces actes abjects, mais ce n’est pas suffisant.

C’est en restant conscient du fait que la révélation et la reconnaissance de tous les crimes est

indispensable pour assurer la complétude du pro cessus de réconciliation en cours, que l’Histoire

attend plus de vous, Madame le président, Messieu rs les juges. Elle attend une avancée nouvelle

mais nécessaire du droit.

116. Elle attend, comme la Bosnie-Herzégovine vient de s’attacher à vous le démontrer, qu’il

soit enfin reconnu, au sein de votre prétoire, que les viols et violences sexuelles, au-delà de la

qualification de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité qu ’ils peuvent incontestablement

revêtir, peuvent également, compte tenu des circ onstances dans lesquelles ils ont été perpétrés,

recevoir la qualification d’actes de génocide. C es circonstances sont précisément réunies en la

présente espèce.

117. Au terme de cette plaidoirie, la Bosn ie-Herzégovine espère avoir, dans un premier

temps, démontré à suffisance à la Cour que les viols et violences sexuelles pouvaient s’inscrire

dans chacune des catégories d’actes matériels constitutifs du génocide.

118. Elle espère avoir aussi, dans un second temps, démontré à la Cour que ces viols et

violences sexuelles, loin d’être des actes isolés, des actes opportunistes, tels qu’ils ont été perpétrés,

massivement et systématiquement, se sont inscrits , à part entière, dans le cadre d’une politique

généralisée et systématique de nettoyage ethnique génocidaire, politique qui n’a pu être mise en

Œuvre qu’au plus haut niveau de l’Etat, et qu’ils on t servi le dessein ultime qui était de détruire, en

tout ou en partie plutôt, le groupe des Musulm ans de Bosnie-Herzégovine qui résidait sur le

territoire convoité par les forces serbes, en vue de l’établissement d’une grande Serbie. C’est ainsi

que la Bosnie-Herzégovine soutient que le nettoyage ethnique tel que pratiqué sur son territoire

particulier par une intense politique de viols et de violences sexuelles ne se distingue pas d’un

génocide: le nettoyage ethnique commis en Bosn ie-Herzégovine, en particulier à travers les viols

et les violences sexuelles est un génocide.

119. Ce faisant, la Bosnie-Her zégovine prie donc la Cour de désigner les viols et violences

sexuelles perpétrés en Bosnie-Herzégovine contre le groupe des non-Serbes, et particulièrement le - 44 -

groupe des Musulmans de Bosnie-Herzégovine, pour ce qu’ils ont été en l’occurrence : des actes de

génocide dont la responsabilité est avant tout une responsabilité étatique qui incombe à la

Serbie-et-Monténégro, qui doit bien sûr coexiste r avec l’établissement de responsabilités pénales

internationales mais qui ne saurait pour autant être dissoute purement et simplement dans celles-ci.

Seule la reconnaissance de la responsabilité de la Serbie-et-Monténégro dans la présente espèce

s’avère, me semble-t-il, au-delà de sa fonc tion symbolique, juridiquement à même de jouer

82
pleinement son rôle «d’instance permettant de réparer les déchirures du tissu social» , pour

reprendre la très belle et très juste expression d’un philosophe français.

Je vous remercie, Madame le président, Messieu rs les juges, et vous demande de donner la

parole à mon collègue Tom Franck.

The PRESIDENT: Thank you, Professor Stern. I give the floor now to Professor Franck.

Mr.FRANCK: Thank you, Madam President, distinguished Members of the Court, may it

please the Court.

R ECONNECTING THE FACTS TO THE LAW OF G ENOCIDE

1. You will be relieved, as am I, that this iour last pleading in this round on the facts and

law pertaining to genocide itself. We have been proceeding on a sort of double track in our

pleadings so far. The first track has focused on the facts. We have been providing you with

evidence of what happened during the dark years of war forced on Bosnia by a government in

Belgrade determined to carve up the country and establish the frontiers of a Greater Serbia from

which the non-Serb population, to quote Mrs. Plavsi ć, “one way or another” , would have been, to

quote Mr. Karadzić, “eliminated”.

2. These facts we have presented to you are not hearsay or conjecture. They have been

brought to the Bar of the Court, primarily, only after they have already gone through a reliable

filter of verification. That is, they are found in resolutions of the General Assembly or the Security

Council of the United Nations, where one may presume that they were introduced by States that

had reason to know the facts through their representation in the areas of ongoing conflict, and that

82P. Bouretz, discours prononcé lors de la séance in augurale du séminaire de philosophie du droit de 1991-1992,

tenue à l’Institut des hautes études sur la justice, le 4 novembre 1991. - 45 -

they were adopted, usually by overwhelming majorities ⎯ sometimes by unanimity ⎯ after careful

scrutiny by the Foreign Offices of the Member Stat es. Or they are facts that were reported to

United Nations organs by experts who had arrived at the facts by careful investigation, frequently

in the affected areas, after interviewing victims a nd witnesses. Then, there are the facts that have

been vetted by the International Criminal Tribunal for the former Yugoslavia. These are facts that

have withstood the rigorous testing of a virile adversary process and met the requirements of proof

beyond a reasonable doubt. Occasionally, we have introduced evidence of witnesses who have

testified at the Criminal Tribunal, sometimes during varies stages of its proceedings that are not yet

completed. We have tried to flag those for you for their relatively untested value.

3. These are our “witnesses” as to the facts. B ecause they are so prominent, these witnesses,

so credible, and so unanimous, we felt no need to supplement them by calling eye-witnesses, or

victims, in person.

4. Our other track, during this phase of our pleadings, has been to present the law of

genocide. What was written by the Convention’s drafters, what was intended by them, and what

has undoubtedly been made of their effort by tribunals interpreting the text ⎯ the ICJ, ICTY and

ICTR. These Courts and Tribunals have been speci fically given jurisdiction to apply and interpret

the Genocide Convention, all too often in the li ght of specific, horrendous new affronts to its

civilizing mission.

5. So, we have been proceeding along these two tracks: the facts and the law. The facts and

the law pertaining to what? We have sought, in th is early part of our pleadings, simply to make

clear, from detailed recitations of facts and the law, that genocide was committed in Bosnia. In the

next part of our pleadings, we will strive to make equally clear that this genocide is attributable to

the Respondent.

6. But, first, we must be sure that the fact s we have presented are fully understood to be of

the kind that do, very precisely, support a finding that genocide ⎯ as defined by the applicable

law ⎯ did occur in Bosnia. To that end, permit me briefly to remind you of the facts that have

already been pleaded, and to do so, specifically in the context of those provisions of the applicable

law which characterize those sorts of acts as genocide. Inthisway,wehopetobehelpfulin

bringing the two tracks of our pleading into ha rmony, making it inescapably clear that the law of - 46 -

genocide, as defined, has been violated, egregious ly, infamously, by the terrible acts we know to

have been committed.

Intent: the acts were committed with intent to destroy a community

7. Distinguished Members of this Court, I would to begin by diverting briefly to the intent to

destroy a community. You have, by now, heard a great deal concerning intent ⎯ perhaps more

than you feel you need ⎯ but indulge us one more time, we are stung into reiteration by the

reiterated denials of the Respondent over 13 years of litigation. We have shown that the acts of

killing, torture, rape, destruction of religious an d cultural property and ethnic cleansing were not

happenstance events, in what some have derided as yet another of those Balkan Wars. Instead,

they were part of a grand strategy, publicly pr oclaimed by the Serb leadership, a policy of “all

Serbs in one State”. This was no mere aspiration, but the banner of a carefully planned military

campaign marked by a ruthlessn ess not seen in Europe since the Second World War. The

precondition for “all Serbs in one State”, quite simp ly is, all non-Serbs out, by whatever means,

83
from territory to be united in Greater Serbia . It follows that when this ethnic cleansing took the

forms it did ⎯ wholesale killings, rape, torture and the destruction of whole communities ⎯ this

was a deliberate consequence of the means intentio nally chosen to achieve a carefully planned and

intended end. The massacres and mass displacemen ts that began in 1991 were not incidental

means to an end, they were the very end envisaged by Dr. Karadzi ć when, on 14 October, he made

that public threat concerning the cost of independe nce were Bosnia to declare it, the cost being

annihilation 84.

8. What followed the recognition of Bosnian independence was the careful working out of a

strategy that called for occupation of the non-Serb towns and the destruction of their communities

85
or, failing that, the “Vukovar-ization” of the non-Serb towns that could not be made to

surrender ⎯ a blitzkrieg, intended to make them essentially inhabited cemeteries. This pattern was

83
See CR 2006/2 of 27 February 2006 (Mr. van den Biesen): “The General Picture of the War, Pt. I”, and sources
cited therein.
84Ibid.

85What this means is graphically explained by the ICTY decision in thICTY’s Babić case No. IT-03-72-S,
Trial Chamber, Judgement of 29 June 2004, paras. 10-27. - 47 -

repeated over and over, until it culminated in the si ege, ethnic cleansing and killings at Srebrenica,

until, at last, the clearing of the areas coveted for Greater Serbia had been accomplished.

9. In the areas the Serb forces were able to occupy, this policy involved the deliberate

“decapitation” of the non-Serb community leaders: by arresting them, placing them in

86
concentration camps, and, in many cases, executing them . But it was not the non-Serb leadership

alone who bore the brunt of this rampage. Approximately 100,000 persons were killed, many

execution-style: 100,000 to 200,000 were subjected to torture, rape, brutalization in detention

camps. More than 2 million persons were driven from their homes and internally displaced: half

of Bosnia’s total population 87. This was the deliberate working out of a ruthless plan. This was

killing, torture, rape and destruction deliberately intended to destroy in whole or in part those

communities that stood in the way of creating the demographics of Greater Serbia.

10. Dr. Biljana Plavsić, in her agreed statement to the IC TY, made this intentionality amply

clear. She stated that the Serb objective was

“to ensure that the objective of ethnic separation by force would be achieved in the

event that a negotiated solution did not o ccur. These steps included arming large
segments of the Bosnian Serb population in collaboration with, among others, the JNA
[the Belgrade army], the Ministry of Inte rnal Affairs (MUP) of Serbia, and Serbian

para-militaries . . .”
88
The “objective of ethnic separation” was to be achieved ⎯ and I quote ⎯ “by force” . This is

again Mrs. Plavsi ć. We have seen how that deliberate recourse to force played itself out. It

became genocide, the “highway to hell” which Dr.Karadzi ć had publicly threatened in

89
October1991. Let me emphasize the terrible word he used, “annihilation” . Not “defeat” but

“annihilation”. When the objective of force is not just victory but the annihilation of the defeated

other, then the intent behind the recourse to force is not just to prevail but to destroy. That sort of

call to arms is a summons to commit genocide.

86
Ibid.
87
Ibid.
88ICTY, Prosecutor v. Plavsić, case No. IT-00-39 and 40-PT, para. 11.

89Quoted and cited in the pleading “General Pictur e of the War, Pt. II” by Phon Van den Biesen,
27 February 2006 (CR 2006/2). - 48 -

11. In the Brdjanin case the ICTY had occasion to examine this pattern of planned

90
annihilation and found it all too terribly real . In his pleadings of Monday, my colleague

Phon van den Biesen has graphically demonstrated to you some of the evidence that supported the

ICTY’s conclusion that the Serb military campaign deliberately adopted tactics that were intended

to destroy those non-Serb communities of Bosnia wh ich stood in the way of the realization of an

all-Serb Greater Serbia. The only conclusion that can be drawn from this evidence is that these

sprees of killing, rape and mayhem were not in advertent consequences of the Serb military and

political strategy but, rather, were an end in themselves, the very intended purpose of that strategy.

Permit me to turn to the killing, or harming mentally or physically, of members of the group,

and our pleading that these must be recognized as acts of genocide.

The killing, or harming mentally or physically, of members of the group,
must be recognized as acts of genocide

12. The Genocide Convention makes clear th at, when killing is committed in order to

destroy a community in whole or in part, that killing becomes genocide.

13. During these past four days you have seen more than a little of the evidence of deliberate,

massive killing of the non-Serb communities of Bosnia. This has occurred, as we have just tried to

make clear, with the intent to destroy those comm unities. That intent was proclaimed by the Serb

leadership and has been recognized by the judges of the ICTY. We believe that it will also be

recognized by the judges of this Court.

14. That recognition can be based on the proclamations of the Serb leadership. It can also be

deduced, however, from the sheer scope and systematic nature of the killings and torture. In the

Plavsić case, the Tribunal accepted that, in one area of Bosnia which the Serbs had decided to clear,

there were mass killings of at least 50,000 persons, that 850 villages had been ⎯ and I quote the

court ⎯ “completely devastated” and that 408 detention facilities had been set up in which “serious

91
physical and mental abuse” were practised . We have already reminded you of the detailed

90
ICTY, Prosecutor v. Brdjanin, case No. IT-99-36-T, 1 September 2004, paras. 104-114.
9ICTY, Prosecutor v. Plavsić, Factual Basis for a Plea of Guilty, case No. IT-00-39 and 40, 30 September 2002,
paras. 41 and 45. - 49 -

findings in the Krsti ć case, where, in the course of finding that genocide had been committed, the

ICTY described the systematic annihilation of the Bosnian men and boys 92.

15. In that case, the ICTY chamber made a determination that ought strongly to commend

itself to this Court. It said that “the intent to destroy, in whole or in part, as such, must be

93
ascertainable in the criminal act itself” because “t he objective . . . is discernible in the act itself” .

Forgive me for repeating myself, it just seems to me such an important conclusion of law. In other

words, if a party sets out to kill half of the me mbers of a community, that speaks for itself of the

killers’ intent. The action of killing so many, so methodically, speaks of the killers’ genocidal

intent. It is our contention that the sheer dime nsions of these killings cry aloud the executioners’

malevolent intent. The ICTY Appellate Chamber put it this way: that “the scope of the killings”

made it legitimate for the Tribunal to infer the killers’ “genocidal intent” 94.

16. It is also clear that when half of the population targeted for killing is the male population

of reproductive age, it is appropriate ⎯ perhaps even obligatory ⎯ to infer the executioners’

deliberate intent to cut off the affected group’s capacity to sustain itself biologically. From this, the

ICTY in the Blagojević case was able to deduce an intent on th e part of the executioners that went

beyond killing to deliberately achieving the destruction of the group as such. In the judges’ words,

“the Bosnian Serb forces not only knew that the combination of the killings of the men
with the forcible transfer of the women, children and the elderly, would inevitably

result in the physical disappearance of th e Bosnian Muslim population of Srebrenica,
but clearly intended through these acts to physically destroy this group” . 95

17. So much for execution-style killings, as evidenced in Srebrenica. The acts of the

genocide perpetrators was not, however, limited by an y means to killing. There were other strings

to their bow, especially the inflicting of slow d eath by a thousand cuts. The three-year long siege

of Sarajevo is the prototype. It provides ample factual basis for concluding that, where executions

were not feasible because the Serbs did not c ontrol the ground on which the intended victims still

lived, a terrible strategy of attrition was brought to bear. There was a deliberate policy of inflicting

indescribable physical harm on Bosnian civilians who would not surrender. The dreadful record of

92ICTY, Prosecutor v. Radislav Krstić, case No. IT-98-33-T, Judgement, 2 August 2001, para. 549.
93
Id., para. 549
94ICTY, Prosecutor v. Krstić, case No. IT-98-33-A, Appeal Judgement, 19 April 2004, para. 27.

95ICTY, Prosecutor v. Blagojević, case No. IT-02-60-T, Judgement, 17 January 2005, para. 677. - 50 -

indiscriminate bombings, day after day, night afte r night, provides ample evidence of a calculated

intent to destroy the Muslim and Croat communities by ⎯ to quote part (c) of ArticleII of the

Genocide Convention ⎯ “Deliberately inflicting on the group conditions of life calculated to bring

about its physical destruction in whole or in part”.

18. On Tuesday, my colleague Phon van den Bi esen detailed the brutal facts of the Sarajevo

siege. Sarajevo was a beautiful, peaceful city that had earned widespread admiration for its

successful hosting of the winter Olympics and more important for its socio-political climate of

mutual accommodation among a remarkably diverse c itizenry. The deliberate targeting of Muslim

civilians, as in the shelling of the breadline at the distribution point on Vasa Miskin, the civilian

hospital, the renowned Vijecnica Library, and th e city’s Markale market in which more than

60 civilians were killed and many more injured, have all been brought to your attention, as has the

report of the Special Rapporteur of th e United Nations Human Rights Commission,

TadeusMazowiecki, who had gone to see for hi mself and reported on “what appears to be a

deliberate attempt to spread terror among the popul ation”. He reported that snipers were shooting

at innocent civilians and that the civilian hos pital “has been deliberately shelled on several

96
occasions” .

19. This was all part of a deliberate st rategy succinctly characterized by Serb

97
General Mladić’s indiscriminate command, “Target the Muslims” . Within the city, in discharge

of this genocidal objective, a bout 10,000persons were killed, with more than 20,000civilian

98
casualties altogether . In the Galić case, the ICTY chamber found that the defendant,

General Galić, as commander of Serb forces, had unlawfully spread terror among the civilian

population by deliberate acts of violence which included violations of the laws or customs of war

and crimes against humanity 99. But Gali ć was only an instrument of a policy. That policy was

established by those who, in November 1992, promoted Gali ć to the rank of general. Who? Of

96See footnoted references in van den Biesen pleading, “The Siege of Sarajevo” of 28February2006 (CR
2006/4).
97
Ibid.
98
Ibid.
99Ibid. - 51 -

course, the leadership in Belgrade. And their overall policy, of which the siege of Sarajevo is but a

single instance of such sieges, was genocide.

20. Another instance of that policy was demons trated by evidence of the internment camps

established by the Serbs for the non-Serb co mmunities. In these camps, as my colleague,

MagdaKaragiannakis demonstrated in her pleadi ng, Muslims were systematically detained in

inhumane conditions, beaten, tortured, raped and killed. Seen as the wanton acts of individual

commanders and camp overseers, these are heinous crimes; but, seen in the context of an overall

plan to destroy in whole or in part the communities that had to be eradicated, one way or another,

from a purified Greater Serbia, this was genocide.

21. If there were ever an example of facts of wh ich this Court should take judicial notice, it

is the conditions that prevailed in these horror camps. They have been noted by Security Council

resolutions, reported widely in the world press and have even been reported by the Yugoslav

media 100. In just 37municipalities in which conditions were examined by the ICTY, there were

408detention facilities where Muslims and other non-Serbs were detained and systematically

101
subject to the most atrocious physical and mental abuse .

22. The ICTY has found that there was evidence to support the charge that “[d]etainees were,

as a rule, kept in crowded, unsanitary conditions, w ith very little food or water. Many were killed,

or subjected to severe physical or psychological abuse, including beatings, torture, or rape.” 102 The

same chamber also held that th ere was evidence that unlawful dete ntion was a part of the Serbs’

103
plan to create “a Serb-dominated territory through any means . . .” . In another ICTY judgment,

the much quoted Nikolić case, the Tribunal ruled that an “atmosphere of terror reigned in the

104
camp” . In camp after camp the ICTY has found evidence to sustain the charge that the detainees

105
were subjected to terrible conditions which included regular beatings, rapes and killings .

100Pleading of Magda Karagiannakis, “Camps,” 1 March 2006 (CR 2006/5).
101
ICTY, Prosecutor v. Plavsić, Sentencing Judgement, case No. IT-00-39&40/1, 27 February 2003, para. 45.
102
ICTY, Prosecutor v. Momcilo Krajisnik, Judgment on the Defence Motion for Acquittal under Rule 98bis, case
No. IT-00-39-T, 19 August 2005, transcript, pp. 17128-17130.
103Id., transcript, pp. 17130-17131.

104ICTY, Prosecutor v. Dragan Nikolić, Sentencing Judgement, case No. IT-94-2-S, 18 December 2003, para. 69.

105Pleadings of Magda Karagiannakis, “Camps”, id. - 52 -

23. My colleague, Ms Karagiannakis, has ta ken you through the horrid evidence, one camp

at a time, and I will not subject you to it again. What emerges is not merely a series of random

brutalities, but a deliberate, orchestrated, pattern of abuse, the creation of “conditions of life

calculated to bring about the destruction, in wh ole or in part”, of entire communities. These

calculated atrocities must be seen not in isolatio n but as a pattern, throughout the territory of

Bosnia under Serb control, a pattern of cruel treatment, which, in turn, must be seen as part of a

pattern of systematic killing, torture, rape and d estruction. It was a pattern clearly designed to

destroy whatever community the Serbs thought st ood in the way of a Muslim-free and Croat-free

Greater Serbia. There is only one word for that pattern: genocide. The names of the places in

which such unspeakable crimes were comm itted in the name of ethnic purification ⎯ Susica,

KP Dom, Prijedor, Omarska, Trnoplje, Manjaca, Bosanski Samac, Luka ⎯ are names that will live

in infamy. They cry out for recognition and contrition. For such monstrous crimes, when not

recognized, tend to fester until they become cries for revenge.

24. Among the ways in which the policy of ge nocide was implemented, we have stressed the

central and terrible role of rape. We have just listened to my colleague, Professor BrigitteStern,

lay out the evidence of what was done, by whom, and with what intent, during her pleadings today.

I shall not try to dishonour this horrible story by trying to abridge it for purposes of reiteration.

25. What does need to be reaffirmed is this: ProfessorStern did not tell you the

pornographic tale of isolated acts by degenerate individuals. No, such stories can be found in the

tabloid press of most cities. Instead, what Professor Stern placed before you was a pattern of rape

as deliberate policy . This is a different matter altogether , for, as the ICTY has observed, this

massive recourse to sexual violence merits special attention among the methods used to bring about

ethnic cleansing by reason of its systematic nature and the gravity of the suffering inflicted on the

106
civilian population . ProfessorStern has characterized this as a veritable politics of sexual

violence, which was an integral, perhaps even an essential, part of the genocidal ethnic cleansing

that was visited upon the non-Serb, and especially the Muslim, population of Bosnia.

10ICTY, Prosecutor v. Radovan Karadzi ć and Ratko Mladi ć, case No.IT-95-5-R61 and IT-95-18-R61,

11 July 1996, para. 64. Discussed in pleading of Brigitte Stern, “Rape, Facts and Law”, 2 March 2006. - 53 -

26. United Nations Special Rapporteur Mazowiecki has reported that his investigations led to

the conclusion that rapes had occurred “on a large scale” 107. In the Brdanin case, the ICTY

confirmed that these rapes occurred specifically ag ainst selected victims solely because they were

Muslims 108. When one puts together the facts of the methodical prevalence, in camp after camp

and town after town, of institutionalized rape, and combines this with the demonstrated fact that the

rapes were committed against women because of th eir religion and ethnicity, and adds the proven

fact that the intent of the rapi sts was to destroy, one way or an other, the community to which the

victims belonged: then, surely, we are no longer speaking only of degeneracy, but of genocide.

Rape, as ProfessorStern has surely shown, was not the only objective of the rapists. Rather, it

became a means for achieving the d estruction, in whole or in part, of the community from which

the victims were deliberately chosen. Rape was the means, but the intent was to destroy.

27. But it was not only the bodies that were destroyed in this mad spree of genocide, but also

the spirit: a spirit deeply rooted in the Muslim intellectual and religious institutions, many of

venerable antiquity and surpassing beauty. Not only mosques but also Catholic churches were

systematically destroyed, for the Serbs sought to tear up the roots of both religions in the areas they

had decided to purify of non-Serb elements and consolidate as Greater Serbia.

28. My colleague Laura Dauban showed how this destruction was deliberately carried out so

that the Muslims would never come back. She quoted JanBoeles, the Dutch delegate to the

European Community Monitoring Mission, that “this is the murder of a people’s cultural

identity . . .”09. The Brdjanin trial chamber, she pointed out, had concluded “that the devastation

110
was targeted, controlled and deliberate” . By far the most of this destruction had everything to do

with the plan for genocide and not at all with fighting between the groups. It occurred after the fall

of the non-Serb communities much more than during combat: the beautiful marble Aladza

mosque, with its fine murals and lofty arch itecture dating from 1555 and under Unesco protection,

107
United Nations doc. A/48/92, Annex II, Report of the team of experts on their mission to investigate
allegations of rape in the territory oe former Yugoslavia from 12 to 23 January 1993, p.67, para.30 and p.74,
para. 66.
108
ICTY, Prosecutor v. Radoslvan Bradnin, case No. IT-99-36-T, Judgement of September 1, 2004, para. 518.
10Laura Dauban, pleading of 1 March 2006, “Cultural Property” (CR 2006/5).

11Ibid. - 54 -

111
was not destroyed by rockets: it was dynamited and razed to the ground . The ICTY has found

in the Kunarać case that this happened “well after the end of the fighting and at a time when the

112
town was securely under Serb control” .

29. The pillaging of cultural heritage was carried out with the same ferocity when it came to

institutions of higher learning and study. The destruction of Sarajevo’s Institute of Oriental Studies

in May 1992, was also brought to your atten tion in Ms Dauban’s pleadings. The priceless

collection of thousands of books of Arabic, Turkish, Persian and Bosnian history, philosophy and

poetry and some 200,000 manuscripts was not the resu lt of careless use of firepower superiority by

the besieging Serbs, but of carefully planned targ eting. You have seen footages of this act of

vandalism and will hear more on the subject by one of the experts we have called to testify,

Mr. Riedlmayer.

30. So it has come down to this: in all of our pleadings concerning the facts and the law, the

same question lurks in the b ackground. Why were these women subjected to wholesale conduct

that so egregiously departs from common standards of decency? Why did a civilized part of the

world degenerate into such barbarity? The women were raped, the men and boys shot, the mosques

and Catholic churches dynamited, the great Islami c museums, schools and libraries targeted, all to

the same purpose: to destroy, in whole or in pa rt, the groups, communities, faiths, that stood in the

way. The Serbs cleared the land the way avaricious lumber barons used to clear great forests, clear

cutting, burning, slashing, all heedless of the costs to the past, the present and the future.

31. The United Nations General Assembly, re flecting the common knowledge of an aghast

world, has acknowledged the “extraordinary sufferi ng” the rampage of rapes and other crimes

113
inflicted on the victimized population . That, however, is only part of the story of what happened

to these people. And what of the countless other victims: the women, the men and boys of

Srebrenica, and those, of both sexes and all ages, w ho were tormented and killed in brutal camps?

They all suffered “inordinately and, in many instanc es, they suffered fatally. It is for this Court to

affix the proper legal definition on their “extraordinary suffering”. That legal designation,

111
Ibid.
112
Ibid.
11A/RES/48/143 of 5 January 1994, Preamble. - 55 -

Members of the Court, keepers of the conscience of humanity, that legal designation can only be:

genocide.

32. We cannot reverse what happened. We cannot make whole that which has been

irrevocably broken: whether it is the lives or the spirit of the victims, or their relations with

neighbours who became killers, tortur ers and rapists. All we can do is to refuse to participate, to

tolerate, the distortion of the record of what actually happened, because to know what actually

happened is the first step to reoccupying a defens ible frontier between civilization and barbarism.

But that record, if it is to be accurate, cannot simp ly consist of the enumeration of a plethora of

random facts and acts. These acts and facts must be totalled up if we are to have an undistorted

picture, if we are to know what a civilized world cannot, and will not, tolerate. And it is only here,

in this Court, that the eventual totalling up can o ccur. And when you, the judges, do that, it will

soon be evident that in this devastated land, th is Bosnia of planned killings, torture, rape and

devastation, there took place precisely the sort of calamity at the prevention and punishment of

which the Genocide Convention was directed.

The pattern of horror conduces to inferences of deliberate, planned genocide

33. Let us look for a moment at the pattern of horror which conduces to inferences of

deliberate, planned genocide. In other words, le t us take a moment to look once more at the

question of inferences. When all the facts have been heard, one’s reaction is a mixture of horror

and boredom.

34. Horror, because of the nature of the acts. Men and boys ⎯ civilians ⎯ told to kneel,

often at embankments, then shot in the back of the head, or told to jump off a bridge, into a river,

and shot while falling. The hundreds of camps cr owded with civilians, hundreds of thousands of

them, forced to live with hunger, filth, beatings and rape, and, then, often, to die by murder.

Throats slit, chests crushed, heads cracked open w ith iron pipes. The same, everywhere, when the

Serbs took control, when they began to execute their plan of Serbianization by getting rid ⎯ one

way or another ⎯ of everyone else.

35. But, despite oneself, there is also boredom: because the atrocities were all the same, over

and over, everywhere. The banality of evil, the sh elling of civilians, mosques, markets, libraries - 56 -

and museums. Then, the occupation. The ordering of the men and boys here, the women and girls,

there. Then, off to the hundreds of camps. Then come the wreckers blowing up the mosques,

paving the rubble to make sure no trace will be left of what had been there. Burning the library, the

Institute. Do these pictures remind you ⎯ as, I am afraid, they remind me ⎯ of the burned-out

synagogues of Berlin and Frankfurt after Krystallnach t? Then make the void left by the destroyed

ancient mosque into a new parking lot. New names: “The Serbs’ City” in place of Fo ča, the

town’s historic name. Then comes the murder of those community leaders who might sustain the

group: the clergy, the intellectuals, the doctors, the judges and journalists. And then the mass

murder of men who were of an age at which they might have children. Next, the rape of the

women so that socially, psychologically, and physically, they would never bear children.

36. Horrific and boring, the repetition of acts of supreme cruelty and numbing banality.

What does it all add up to? What does it prove, in law?

37. The answer is all too obvious. It proves that there was a pattern. It proves that, exactly

the same things happened, over and over: here, there, and everywhere the Serb military came,

conquered or, worse, being unable to conquer, besi eged. The ordinary mind is bound to conclude

that this repetition, over and over, in the same se quence, in the same way, of killing, torture, and

the creation of conditions making life impossible, one is bound to conclude that this could not be

mere random sadism. This was not the happenstance convergence of diabolical coincidences.

38. No. We have imposed on you, Madam President, and Members of the Court, all these

awful, obscene facts and events ⎯ and we are mindful of your discomfort ⎯ because it is

inevitable that you, too, will have to conclude that there was, indeed, a pattern. And if there was

such a pattern, then there must have been a plan. And the execution of that plan must have been

intentional.

39. Intent. There we have it, the nub of the matter. We have presented you with the

jurisprudence of the Yugoslav and Rwandan Tribunals which, operating only case by case, instance

by instance, have still been able to come to one lo gically inexorable conclusion. That conclusion?

That the killings, the torture, the displacement, th e rapes, the creation of terror to induce flight:

these acts and events were perpetrated deliberately with intent to destroy, in whole or in part,

ethnically and religiously vibrant groups, ones that were defined by their religion, race or ethnicity. - 57 -

40. Yes, what was done was done. But if you were to be unwilling to call it genocide, and

were thereby to disable yourselves from defe nding that precious boundary between fragile

civilization and seemingly recurrent bouts of barbaris m, what is to prevent the next episode, and

the next after that? We fully recognize the difficult position in which you, the judges, have been

placed by us. For what you do in this matter, and how you do it, will have an extraordinary impact:

on humanity, on the law, and on the hopes and faith invested by the peoples of the world in this

Court.

41. We hope that you will have found helpful our efforts to place both law and facts before

you in a manageable and organized fashion and thank you for your unfailing courtesy and attention.

With that, Madam President, Members of the Court, we have completed our pleadings for

the day. We are gratefully returning to you the minutes we stole from you on our first day and

thank you.

The PRESIDENT: Thank you, Professor Fran ck. The Court now rises and will resume

tomorrow at 10 a.m.

The Court rose at 5.55 p.m.

___________

Document Long Title

Public sitting held on Thursday 2 March 2006, at 3 p.m., at the Peace Palace, President Higgins presiding

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