Public sitting held on Tuesday 12 April 2005, at 10 a.m., at the Peace Palace, President Shi presiding

Document Number
116-20050412-ORA-01-00-BI
Document Type
Number (Press Release, Order, etc)
2005/3
Date of the Document
Bilingual Document File
Bilingual Content

CR 2005/3

Cour internationale International Court
de Justice of Justice

LAAYE THAEGUE

ANNÉE 2005

Audience publique

tenue le mardi 12 avril 2005, à10 heures, au Palais de la Paix,

sous la présidence de M. Shi, président,

en l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo

(République démocratique du Congo c. Ouganda)

________________

COMPTE RENDU
________________

YEAR 2005

Public sitting

held on Tuesday 12 April 2005, at 10 a.m., at the Peace Palace,

President Shi presiding,

in the case concerning Armed Activities on the Territory of the Congo
(Democratic Republic of the Congo v. Uganda)

____________________

VERBATIM RECORD

____________________ - 2 -

Présents : M. Shi,président
Ricepra,ident

KorMoMa.
Vereshchetin
Higgimse
Parra-A.anguren

Kooijmans
Rezek
Al-Khasawneh
Buergenthal

Elaraby
Owada
Simma
Tomka

Ajbresam,
VerhoMev.en,
jugetseka, ad hoc

Cgoefferr,

⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 3 -

Present: Presienit
Vice-Presideetva

Judges Koroma
Vereshchetin
Higgins
Parra-Aranguren

Kooijmans
Rezek
Al-Khasawneh
Buergenthal

Elaraby
Owada
Simma
Tomka

Abraham
Judges ad hoc Verhoeven
Kateka

Registrar Couvreur

⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 4 -

Le Gouvernement de la République du Congo est représenté par :

S. Exc. M. Honorius Kisimba Ngoy Ndalewe, ministre de la justice et garde des sceaux de la
République démocratique du Congo,

comme chef de la délégation;

S.Exc. M.Jacques Masangu-a-Mwanza, ambassadeu r extraordinaire et plénipotentiaire auprès du
Royaume des Pays-Bas,

coagment;

M. Tshibangu Kalala, avocat aux barreaux de Kinshasa et de Bruxelles,

comme coagent et avocat;

M. Olivier Corten, professeur de droit international à l’Université libre de Bruxelles,

M. Pierre Klein, professeur de droit internationa l, directeur du centre de droit international de
l’Université libre de Bruxelles,

M. Jean Salmon, professeur émérite à l’Université lib re de Bruxelles, membre de l’Institut de droit
international et de la Cour permanente d’arbitrage,

M. Philippe Sands, Q.C., professeur de droit, dire cteur du Centre for International Courts and

Tribunals, University College London,

comme conseils et avocats;

M. Ilunga Lwanza, directeur de cabinet adjoint et conseiller juridique au cabinet du ministre de la
justice et garde des sceaux,

M. Yambu A Ngoyi, conseiller principal à la vice-présidence de la République,

M. Mutumbe Mbuya, conseiller juridique au cabinet du ministre de la justice,

M. Victor Musompo Kasongo, secrétaire particulier du ministre de la justice et garde des sceaux,

M. Nsingi-zi-Mayemba, premier conseiller d’am bassade de la République démocratique du Congo
auprès du Royaume des Pays-Bas,

Mme Marceline Masele, deuxième conseillère d’ ambassade de la République démocratique du
Congo auprès du Royaume des Pays-Bas,

commceonseillers;

M. Mbambu wa Cizubu, avocat au barreau de Kinshasa (cabinet Tshibangu et associés),

M. François Dubuisson, chargé d’enseignement à l’Université libre de Bruxelles,

M. Kikangala Ngoie, avocat au barreau de Bruxelles, - 5 -

The Government of the Democratic Republic of the Congo is represented by:

His Excellency Mr. Honorius Kisimba Ngoy Ndalewe, Minister of Jus tice, Keeper of the Seals of
the Democratic Republic of the Congo,

as Head of Delegation;

His Excellency Mr. Jacques Masangu-a-Mwanza, Amb assador Extraordinary and Plenipotentiary
to the Kingdom of the Netherlands,

as Agent;

Maître Tshibangu Kalala, member of the Kinshasa and Brussels Bars,

as Co-Agent and Advocate;

Mr. Olivier Corten, Professor of International Law, Université libre de Bruxelles,

Mr. Pierre Klein, Professor of International Law, Director of the Centre for International Law,
Université libre de Bruxelles,

Mr. Jean Salmon, Professor Emeritus, Université libre de Bruxelles, member of the Institut de droit
international and of the Permanent Court of Arbitration,

Mr. Philippe Sands, Q.C., Professor of Law, Director of the Centre for International Courts and

Tribunals, University College London,

as Counsel and Advocates;

Maître Ilunga Lwanza, Deputy Directeur de cabinet and Legal Adviser, cabinet of the Minister of
Justice, Keeper of the Seals,

Mr. Yambu A. Ngoyi, Chief Adviser to the Vice-Presidency of the Republic,

Mr. Mutumbe Mbuya, Legal Adviser, cabinet of the Minister of Justice,

Mr. Victor Musompo Kasongo, Private Secretary to the Minister of Justice, Keeper of the Seals,

Mr. Nsingi-zi-Mayemba, First Counsellor, Embassy of the Democratic Republic of the Congo in
the Kingdom of the Netherlands,

Ms Marceline Masele, Second Counsellor, Embassy of the Democratic Republic of the Congo in
the Kingdom of the Netherlands,

as Advisers;

Maître Mbambu wa Cizubu, member of the Kinshasa Bar (law firm of Tshibangu and Partners),

Mr. François Dubuisson, Lecturer, Université libre de Bruxelles,

Maître Kikangala Ngoie, member of the Brussels Bar, - 6 -

Mme Anne Lagerwal, assistante à l’Université libre de Bruxelles,

Mme Anjolie Singh, assistante à l’University College London, membre du barreau de l’Inde,

comme assistants.

Le Gouvernement de l’Ouganda est représenté par :

S. Exc. E. Khiddu Makubuya, S.C., M.P., Attorney General de la République de l’Ouganda,

comme agent, conseil et avocat;

M. Lucian Tibaruha, Solicitor General de la République de l’Ouganda,

comme coagent, conseil et avocat;

M. Ian Brownlie, C.B.E., Q.C., F.B.A., membre du barreau d’Angleterre, membre de la

Commission du droit international, professeur émérite de droit international public à
l’Université d’Oxford et ancien titulaire de la chaire Chichele , membre de l’Institut de droit
international,

M. Paul S. Reichler, membre du cabinet Foley Hoag, LLP, à Washington D.C., avocat à la Cour
suprême des Etats-Unis, membre du barreau du district de Columbia,

M. Eric Suy, professeur émérite à l’Université cat holique de Leuven, ancien Secrétaire général

adjoint et conseiller juridique de l’Organisation des Nations Unies, membre de l’Institut de droit
international,

S. Exc. l’honorable Amama Mbabazi, ministre de la défense de la République de l’Ouganda,

M. Katumba Wamala, (PSC), (USA WC), général de division, inspecteur général de la police de la
République de l’Ouganda,

comme conseils et avocats;

M. Theodore Christakis, professeur de droit in ternational à l’Université de Grenoble II

(Pierre Mendès France),

M. Lawrence H. Martin, membre du cabinet Foley Hoag, LLP, à Washington D.C., membre du
barreau du district de Columbia,

commceonseils;

M. Timothy Kanyogongya, capitaine des forces de défense du peuple ougandais,

comme conseiller. - 7 -

Ms Anne Lagerwal, Assistant, Université libre de Bruxelles,

Ms Anjolie Singh, Assistant, University College London, member of the Indian Bar,

as Assistants.

The Government of Uganda is represented by:

H.E. the Honourable Mr. E. Khiddu Makubuya S.C., M.P., Attorney General of the Republic of
Uganda,

as Agent, Counsel and Advocate;

Mr. Lucian Tibaruha, Solicitor General of the Republic of Uganda,

as Co-Agent, Counsel and Advocate;

Mr. Ian Brownlie, C.B.E, Q.C., F.B.A., member of the English Bar, member of the International
Law Commission, Emeritus Chichele Professor of Public International Law, University of
Oxford, member of the Institut de droit international,

Mr. Paul S. Reichler, Foley Hoag LLP, Washington D.C., member of the Bar of the United States
Supreme Court, member of the Bar of the District of Columbia,

Mr. Eric Suy, Emeritus Professor, Catholic University of Leuven, former Under Secretary-General

and Legal Counsel of the United Nations, member of the Institut de droit international,

H.E. the Honourable Amama Mbabazi, Minister of Defence of the Republic of Uganda,

Major General Katumba Wamala, (PSC), (USA WC), Inspector General of Police of the Republic
of Uganda,

as Counsel and Advocates;

Mr. Theodore Christakis, Professor of International Law, University of Grenoble II (Pierre Mendes
France),

Mr. Lawrence H. Martin, Foley Hoag LLP, Washington D.C., member of the Bar of the District of
Columbia,

as Counsel;

Captain Timothy Kanyogonya, Uganda People’s Defence Forces,

as Adviser. - 8 -

The PRESIDENT: The sitting is open. I give the floor first to Professor Salmon.

M. SALMON : Monsieur le président, Madame, Messieurs de la Cour,

L A STRATÉGIE ARGUMENTATIVE OUGANDAISE

1. Avant d’ouvrir le débat sur le fond, la République démocratique du Congo souhaite attirer

l’attention de la Cour sur certaines particularités des écritures de la Partie adverse. Comme dans

toute affaire dont la Cour est saisie, les parti es avancent des arguments de fait et de droit pour

soutenir leurs thèses. Il est toutefois un autre registre argumentaire dont la Partie adverse ne se

prive pas, c’est l’argumentation rhétorique. L’Ouganda, en faisant appel à des valeurs

extrajuridiques ou à des techniques oratoires rhét oriques vise à rendre l’auditoire sensible à ses

thèses. Mais il n’est pas sans intérêt de mettre en lumière cet argumentaire pour en démonter les

ressorts et les finalités. A cette fin, je diviserai mon propos en deux parties : l’utilisation de valeurs

extrajuridiques ou l’imaginaire ougandais et en suite les techniques oratoires ougandaises ou les

pièges de la rhétorique.

I. Les valeurs extrajuridiques ou l’imaginaire ougandais

2. La Cour, à ce stade, aura percé la stratégie argumentative de la Partie ougandaise. Il s’agit

d’amener subrepticement la Cour à s’imprégner des images suivantes.

Première image : L’Ouganda est un doux agneau

3. L’Ouganda a de lui-même une image angélique d’Etat ouvert et tolérant. A en croire son

contre-mémoire, n’est-il pas «un Etat dirigé par des Africains qui a renversé une dictature horrible

et établi un gouvernement sur une base large et non sectaire, qui est tolérante et inclut toutes les

forces politiques, religieuses et ethniques du pays» 1. Et l’Etat défendeur donne au Congo des

conseils magnanimes sur le moyen de réduire les conflits intérieurs par la «bonne gouvernance»

1«[A]n African-led state that had overthrown a horrible dictatorship and established a broad-based, non-sectarian
government that was tolerant and inclusive of all political, religious and ethnic forces in the country.» (Contre-mémoire
de l’Ouganda, p. 11, par. 16; traduction de la RDC.) - 9 -

(expression à la mode), le dialogue national et l’entente avec sa société civile 2 ⎯ autre expression

à la mode.

4. Le conte est joli, mais il passe mal. La Cour ne manquera pas de s’interroger sur le fait

qu’un Etat aussi soucieux de la bonne gouvernance et du dialogue avec la société civile, bien

entendu, reposait jusqu’à tout récemment, sur un régime à parti unique 3 et ait réussi à susciter

contre lui un nombre invraisemblable de mouveme nts rebelles, dont la Partie adverse énumère

elle-même la liste impressionnante: Allied Demo cratic Forces (ADF), Former Uganda National

Army (FUNA), Lord’s Resistance Army (LRA), Uganda Rescue Front II (UNRF II), West Nile

Bank Front (WNBF) et National Army for the Liberation of Uganda (NALU) 4. Même

postérieurement aux exposés écrits des Parties, un nouveau mouvement rebelle s’est créé

⎯ comment ne pas en relever l’ironie ⎯ par des officiers de l’armée ougandaise d’occupation dans

l’est du Congo : la Peoples’ Redemption Army.

5. On s’interrogera aussi sur les raisons pour lesquelles, depuis tant d’années, et ce jusqu’à

ce jour, l’Ouganda ne parvient toujours pas à ramener les brebis égarées dans son doux sein

élégiaque. De l’aveu de la Partie adverse, les actions de la rébellion se poursuivent en territoire

ougandais depuis janvier1986 (date de l’arrivée au pouvoir du présidentMuseveni) et ⎯ il est

important de le souligner ⎯ même lorsque les relations avec les gouvernements successifs du

Congo se sont trouvées au beau fixe ou lorsque les troupes ougandaises occupaient une bonne

partie du territoire du Congo. Cet état de fait mont re que le responsable de cette situation n’est pas

le Congo ⎯ comme on l’insinue ⎯ mais le Gouvernement ougandais lui-même, qui s’obstine à ne

pas ouvrir le dialogue politique avec les nombreuses forces d’opposition en son sein et qui cherche,

de façon peu crédible, des boucs émissaires en dehors.

Deuxième image : L’Ouganda : victime innocente

6. Cette image que susurre l’Ouganda est celle de la victime innocente. Ceci nous vaut le

scénario suivant: l’Ouganda aurait été victime d’un complot, de l’alliance agressive d’un trio

2
Ibid., p. 44, par. 55 et p. 51, par. 66.
3
«Uganda is one of the few fifty-four Commonwealth member countries with a single party system of
governance», The Monitor, Kampala October 14, 2003, http://allafrica.com/stories/printable/200310150103.html.
4Ibid., p. 1, par. 4. - 10 -

infernal formé de la République démocratique du Congo, du Soudan et des rebelles ougandais aidés

ou dirigés par Kinshasa. Cela justifierait la modeste présence ougandaise sur le territoire du

Congo, ceci, bien entendu, en état de légitime défense.

L’Ouganda se montre, à cet égard, expert dans l’art de la litote. Selon son contre-mémoire :

«Les forces ougandaises présentes sur le territoire de la République
démocratique du Congo sont confinées à un nombre limité de localisations spécifiques
dans le but de désarmer et de démobiliser les insurgés anti-ougandais … et de
contrôler les aéroports militaires et les lignes de communication qui seraient sinon

disponibles pour le déploiement d’équipe ments militaires soudanais et l’appui
logistique aux insurgés anti-ougandais.» 5

Oh, qu’en termes galants ces choses-là sont dites !

7. Outre le fait qu’une implication soudana ise avant l’agression ougandaise n’est en rien

prouvée, on cherche à comprendre pourquoi, pour sécuriser la zone frontalière des monts Rwenzori

⎯qui, je vous le rappelle, sont vraime nt contre la frontière rwandaise ⎯ il a fallu que l’armée

ougandaise conquière une grande partie du territoire congolais jusqu’à Gbadolite ? Cette dernière

ville est située à 1120 kilomètres de la frontière ougandaise. C’est, toute proportion gardée, comme

si les Pays-Bas, pour sécuriser leur frontière méridi onale s’emparaient de la Belgique, de la France

et d’une partie de l’Espagne ju squ’à Barcelone. Dans ces conditions, l’argument de menace à la

sécurité ⎯ au demeurant non concrétisé ⎯ ressemble fort à un prétexte.

Troisième image : L’Ouganda : apôtre de paix

8. La troisième image que l’Ouganda veut donne r de lui-même est celle d’un pays apôtre de

la paix. Le maintien des troupes ougandaises pendan t cinq ans sur le sol congolais s’expliquerait,

en effet, selon l’Ouganda, par leur rôle de paci ficateur de l’est du Congo, de bienfaiteur des

populations congolaises, de gestionnaire, en bon père de famille, de ressources naturelles dans le

meilleur intérêt des Congolais. C’est le côté «armée du Salut» ou assistance humanitaire de

l’Ouganda. Cette présence sera it justifiée par une manière de ma ndat international découlant de

5Traduction de la RDC :

«The Ugandan forces present in the territoof the DRC are confined to a limited number of
specific locations with the purpose of disarmingand demobilizing anti-Uganda insurgents … and
controlling military airfields and lines of communica tion, which would otherwise be available for the
deployment of Sudanese military equipment and l ogistical support to the anti-Uganda insurgents.»
(Contre-mémoire de l’Ouganda, p. 178, par. 325.) - 11 -

résolutions de diverses conférences internationales, ainsi que par le consentement de la République

démocratique du Congo.

9. Le professeur Olivier Corten fera justice de la première justification de l’Ouganda par un

soi-disant consentement via divers accords internationaux. Soulignons simplement, à ce stade, que

cet argument fait fi de la condamnation claire pa r le Conseil de sécurité de son invasion et de

l’ordre que ce dernier a enjoint à l’Ouganda de quitter le territoire 6. C’est aussi escamoter les

engagements successifs que l’O uganda a lui-même souscrits de puis septembre 1998 et qu’il a

froidement violés. J’ai évoqué hier ces aspects. Le professeur Klein, pour sa part, montrera ce

qu’il faut penser du rôle pacificateur de l’Ouganda dans l’Ituri.

Passe encore que l’Ouganda essaye de fair e passer des représentations mythiques pour des

réalités; ce qui est moins plaisant, ce sont les techniques rhétoriques qui accompagnent l’exercice.

II. Les techniques oratoires ougandaises ou le piège de la rhétorique

10. La République démocratique du Congo vou drait, maintenant, illustrer le recours

systématique par la Partie adverse à certains procédés rhétoriques tendant pour l’essentiel à

dévaloriser l’adversaire, à falsif ier la réalité par des représenta tions trompeuses et à esquiver le

débat judiciaire.

La dévalorisation de l’adversaire

11. Parmi les procédés rentrant dans la caté gorie de la dévalorisa tion de l’adversaire, on

notera tout d’abord l’ arrogance du discours; le ton docte et donneur de leçon sur ce qui se fait ou

ne se fait pas en matière de procédure internationale . Ainsi, selon l’Etat défendeur, la République

démocratique du Congo se livrerait à des «excentr icités» ou à des «anomalies procédurales» dans

ses écritures, sans d’ailleurs que les articles du Statut de la Cour ou du Règlement viennent appuyer

7 8
ces allégations . L’Etat demandeur serait «un Etat comparaissant non effectif» .

6
Voir appel du président du Conseil du 31 août 1998, SPRST 1998/26, mémoire du Congo, annexe 14; appel du
président du Conseil du 11 décembre 1998, SPRST 1998/36, mé moire du Congo, annexe 15, résolution du Conseil de
sécurité 1234 (1999) du 9 avril 1999 et 1304 (2000) du 16 juin 2000.
7
Contre-mémoire de l’Ouganda, chap. VII et VIII.
8Ibid., p. 107 : «the claimant State as an ineffective appearing State». - 12 -

L’arrogaenncce,re ⎯ mais de caserne cette fois ⎯ lorsque l’Ouganda évoque l’emploi de

la force. «Les forces ougandaises ont réussi à occuper tous les aéroports clés et les ports de fleuves

qui servaient d’entrée au Congo oriental ou à la frontière ougandaise» 9. Ou encore : «L’Ouganda a

suivi la seule action possible… Entre le 16 et le 20septembre1998, il envoya ses troupes au

10
Congo et en chassa les Soudanais.» Ce style laisse pantois. Quia nominor leo.

A un certain point, cette arrogance frise même le comique. Selon la duplique ougandaise:

«les demandes émanant de divers représentants de la République démocratique du Congo que

11
l’Ouganda retire ses troupes étaient en soi un acte hostile qui menaçait la sécurité de l’Ouganda» .

Cela ne s’invente pas et en dit long sur la ma nière dont la Partie adverse entend le concept de

«menace» !

12. On aura aussi noté la technique qui c onsiste à donner comme fait établi un manquement

de l’adversaire aux règles du débat judiciaire. L’Ouganda répète ainsi à diverses reprises dans ses

12
dernières écritures que le Congo n’aurait pas répondu à certains arguments , alors que cela a été

fait systématiquement dans la Réplique 13. On aurait compris que l’ Ouganda s’estime non satisfait

par les réponses ⎯ pourtant circonstanciées ⎯ mais nier l’existence même d’une réponse du

14
Congo va plus loin, trop loin; il s’agit de discréditer l’adversaire par des procédés douteux .

De la même manière, l’Ouganda fait grand cas d’une prétendue absence de rigueur des

preuves apportées par la RDC, mais, pour sa part, comme on le verra un peu plus loin, il n’est pas

habité des mêmes scrupules. Par exemple, il affi rme qu’un témoignage apporté par la République

démocratique du Congo n’est pas crédible («unreliable») car émanant du colonel Ebamba des

9
Ibid., par. 54, p. 43 : «Ugandan forces succeeded in occupying all the key airfields and river ports that served as
gateways to eastern Congo and the Uganda border.»
10
«Uganda pursued the only action possible… Between 16 an 20 September 1998, she sent her troops into
Congo to drive the Sudanese out.» (Duplique de l’Ouganda, p. 40-41, par. 88.)
11
«[T]he calls by various DRC officials for Uganda to withdraw her troops was itself a hostile act that threatened
Uganda’s security.» (Duplique de l’Ouganda, p. 47, par. 101.)
12
«[F]ailure to contest critical evidence presented by Uganda.» (Duplique de l’Ouganda, p. 21, par. 58.)
13 Réplique du Congo, p. 179-192, par. 3.68-3.94, p. 355-368, par. 6.16-6.47 et p. 370-375, par. 6.54-6.64.

14 Voir réponse RDC dans ses observations additionnelles, p. 34, par. 1.46, 4. - 13 -

15
forces armées congolaises , alors que lui ne se prive pas d’utiliser des affidavits de ses propres

services, préparés aux fins de l’affaire 16.

13. Franchement inacceptables les jugements calomnieux sur la fonction juridictionnelle de

la RDC. Je cite: «rongées par la corruption et une absence de ressources financières et de

personnel, les cours congolaises ne sont pas et n’ont jamais été un dispensateur impartial de

17
justice» . Est-ce vraiment une façon de s’exprimer dans des documents destinés à ce prétoire ?

Les représentations trompeuses

14. La représentation trompeuse est aussi un procédé que la Partie adverse affectionne.

Rentre dans cette catégorie la technique ougandaise qui consiste à attribuer à la Partie congolaise

un comportement qu’elle n’a pas adopté . Ainsi, la prétention que le Congo aurait accepté les

propositions émises par l’Ouganda dans ses écritures et procédé ainsi à des acquiescements, alors

que les propositions en question sont chaque fois contestées avec fermeté notamment s’agissant de

18
collusion prétendue avec le Soudan : cette méthode est utilisée systématiquement par la Partie

adverse. Elle atteint des sommets lorsque l’Ouganda prétend que la RDC n’a pas répondu à un

19
argument alors que cent trente pages de la réplique sont consacrées à sa réfutation . Dénaturer ou

ignorer de manière aussi récurrente les écritures de la Partie adverse qui ont clairement et

méthodiquement répondu à vos arguments présente un côté enfantin qui ne prendra pas en défaut la

vigilance de la Cour; mais la RDC ne peut laisser passer sans protester ce procédé rhétorique

proche de la falsification.

15. La Partie ougandaise recourt fréquemment à la sollicitation déformante et fallacieuse des

20
documents: ainsi, s’agissant du protocole du 27avril1998 , l’Ouganda présente ce texte comme

15 Duplique de l’Ouganda, p. 306, par. 662.

16 Voir annexes 31 et 60 du contre-mémoire de l’Ouganda.
17
«[P]lagued by corruption and lack of funding, resources and personnel, the Congolese courts are not, and have
never been impartial dispensers of justice.» (Duplique de l’Ouganda, p. 328, par. 708.)
18
«None of these facts are now in dispute» (duplique de l’Ouganda, p. 5, par. 17); «the DRC has now admitted
either directly or by failure to contest» ( ibid., p. 21-23, par. 59); «all of the above is expressly admitted by the Reply or
uncontested by the Reply. It must now be taken as facts» ( ibid., p.25, par. 60); «the Reply concedes» ( ibid., p. 34,
par. 75); «the Reply acknowledges» ( ibid., p. 34-35, par. 76); «As the admitte d and uncontested facts now show» ( ibid.,
p.35, par. 77); «none of these facts is denied in theReply» (ibid., p.38, par. 81); «DRC concedes» ( ibid., p. 39-40,
par. 85).

19 Voyez les références dans les observations additionnelles du Congo, p. 35, par. 1.48.

20 Contre-mémoire de l’Ouganda, annexe 19. - 14 -

«formalisant l’invitation [par le Congo] et enga geant les forces des deux Parties à combattre de

21
concert les insurgés anti-ougandais sur le territoire du Congo et sécuriser la région frontalière» .

Or que dit ce protocole? «Les deux Par ties reconnaissent l’existence de groupes ennemis

qui opèrent des deux côtés de la frontière comm une; les deux armées sont d’accord de coopérer en

22
vue d’assurer la sécurité et la paix le long de la frontière commune.»

On s’accordera pour admettre qu’il ne s’agit pas exactement de la même chose.

16. La technique probatoire des écritures ouganda ises n’est pas vraiment de nature à faire

éclater la vérité.

⎯ L’Ouganda abuse de la répétition d’affirmations ou de qualifications sans en apporter la

moindre preuve tangible, en particulier pour ce qui est de la présence de troupes du Soudan en

RDC ou d’un prétendu complot avec cet Etat tiers afin de déstabiliser l’Ouganda 23. Cette

prétention récurrente de l’argumentation o ugandaise n’est à aucun moment prouvée.

L’Ouganda fait état de protestations adressées à Kinshasa sur le
prétendu voyage du

présidentKabila à cet effet, à Khartoum, mais il n’est pas capable de les produire 24. L’Etat

défendeur invoque un document produit par la Partie congolaise qui envisage l’hypothèse

qu’un tel voyage aurait pu se produire; mais ce document non concluant n’indique en rien que

ce voyage éventuel ait été motivé par des mobiles agressifs 25.

⎯ La Partie adverse évoque des preuves qui aura ient disparu: l’ambassadeur de l’Ouganda à

Kinshasa aurait laissé dans les locaux de l’amba ssade, lors de son dé part en août 1998, des

documents vieux de plusieurs années prouvant l’implication du président Mobutu dans un

26
complot destiné à faire assassiner le président Museveni . Il est pour le moins singulier qu’un

diplomate averti ait laissé sur place de telles preuves et plus encore qu’il ait commis

l’imprudence de ne pas les sauvegarder en les transmettant plus tôt à sa capitale. Plus étonnant

21 «[F]ormalizing the invitation and committing the armed forces of both counties to jointly combat the anti-

Ugandan insurgents in Congolese territory and secure the border region.» (Contre-mémoire de l’Ouganda, p. 23, par. 31.)
22 «The two Parties recognized the existence of enemy groups which operate on either side of the common

border. Consequently, the two armies agreed to co-operate in order to ensure security and peace along the common
border.»
23
Duplique de l’Ouganda, p. 119, par. 277.
24 Contre-mémoire de l’Ouganda, p. 30, par 39.

25 Observations additionnelles du Congo, p. 44-45, par. 1.64.
26
Duplique de l’Ouganda, p. 322, par. 695 et annexe 87, par. 9 et 14; - 15 -

encore, que ce diplomate, qui a participé à la rédaction du contre-mém oire ougandais, ne se

souvienne de ces faits qu’au stade de la duplique 27.

⎯ L’Ouganda invoque des documents prouvant soi-disant une attaque par la République

démocratique du Congo au parc na tional de Bwindi ou contre Fort Portal. En réalité, ces

documents, qui émanent des services de sécurité de l’Ouganda et qui ont été établis

ex post facto au moment de la rédaction des pièces écrites, ne mentionnent même pas le Congo

comme responsable de ces attaques 28.

⎯ Un document ougandais s’appuie sur les déclarations d’un témoin arrêté en mai2000 qui

retrace des parachutages qui se seraient produits en novembre 2000. Toutefois, le même

document indique que l’intéressé avait été fait prisonnier par les troupes de l’UPDF le

17 mai 2000. Ces parachutages avaient donc eu lieu alors qu’il était en détention. Le fait qu’il

puisse en témoigner, la Cour en conviendra, démontre des dons de voyance assez exceptionnels

29
de la part de ce témoin .

Le procédé de l’esquive

17. Le procédé de l’esquive est utilisé sous plusieurs formes.

Tout d’abord, lorsque l’Ouganda se refuse exp licitement à discuter de certains arguments de

son adversaire. Ainsi, parmi de multiples exempl es, à propos du droit app licable aux pillages des

ressources naturelles du Congo 30.

18. Plus subtilement, la technique du soulignage, qui n’a plus de secrets pour l’Ouganda. Il

s’agit de reproduire des textes en mettant en évidence les seuls aspects par lesquels il entend

soutenir ses thèses, esquivant les autres aspects essen tiels du texte. Ainsi, les passages faisant une

allusion, souvent vague, aux préoccupations sécuritaires («security concerns») de l’Ouganda sont

largement soulignés. Mais, à cette occasion, il est soigneusement évité de souligner les passages

27
Voir observations additionnelles du Congo, p. 24, par.1.35 et duplique de l’Ouganda, annexe 87, par. 26 et
observations additionnelles du Congo, p. 96-97, par. 2.52.
28
Réplique du Congo, p. 470-372, par. 6.52-6.58; observations additionnelles du Congo, p. 46, par. 1.68.
29 Réplique du Congo, p. 373-374, par. 6.60-6.62.

30 Duplique de l’Ouganda, par. 512. - 16 -

qui imposent à l’Ouganda un cessez-le-feu immédiat et le retrait de ses troupes du territoire du

31
Congo .

19. Le recours à la pétition de principe n’embarrasse pas la partie adverse. Assez typique à

cet égard, le raisonnement selon lequel le tank saisi par la République démocratique du Congo près

de Kinshasa ne peut appartenir à l’armée ougandai se puisque celle-ci n’a pas participé à l’attaque

de Kitona 32 ou que la RDC «ne peut démontrer que l’Ouganda a envahi la RDC en août 1998

33
puisque cela ne s’est pas passé» . Très probant, en effet !

20. Mentionnons encore l’usage à sens unique de certains arguments. Ainsi, s’agissant des

préoccupations de sécurité, celles-ci sont présentées comme propres à l’Ouganda, alors que,

d’après les textes, elles concernent les deux Parties. Le texte du protocole d’accord du

27avril1998 indique bien que des groupes re belles hostiles tant à la RDC qu’à l’Ouganda

opéraient des deux côtés de la frontière. Le protocole avait donc un caractère synallagmatique 34.

21. L’Ouganda est encore expe rt dans l’art du revirement complet de position lorsqu’il est

pris en défaut de fausses assertions. Ainsi, après avoir nié le soutien au MLC dans son

contre-mémoire 35, il est forcé de le reconnaître pleinement dans sa duplique . 36

22. Ces quelques exemples, Monsieur le président, Madame, Messieurs de la Cour, pour

aiguiser si nécessaire un sens critique dont on sait que le siège ne se départit jamais devant les

excès des plaideurs.

23. Dans les exposés oraux qui vont suivre la République démocra tique du Congo tentera

d’éviter ce genre de pièges.

Je remercie la Cour de sa bienveillante attenti on. Puis-je vous prier, Monsieur le président,

d’appeler à cette barre le professeur Philippe Sands.

The PRESIDENT: Thank you, Professor Salmon. I now give the floor to Professor Sands.

31
Voir par exemple le contre-mémoire de l’Ouganda, p.45-46, par. 58 et 59; ibid., p.165, par.301, p. 166,
par. 303 et p. 167, par. 304.
32
Duplique de l’Ouganda, p. 62, par. 143.
33
Duplique de l’Ouganda, p. 49-50, par 107.
34 Contre-mémoire de l’Ouganda, p. 186-187, par. 338.

35 Contre-mémoire de l’Ouganda, p. 91-92, par. 143.
36
Duplique de l’Ouganda, p. 80 et suiv., par. 180 et 185. - 17 -

Mr.SANDS: Thank you very much, Mr.President and Members of the Court, it is a

privilege for me to appear before you today on behalf of the Democratic Republic of Congo.

E VIDENTIARY ISSUES

1. This morning I will address some general is sues concerning the nature and extent of the

evidence upon which the DRC relies in support of its case, general issues which address the vital

question for any court of law: how do you prove the facts? In preparing this pleading I was often

reminded of what Sir Robert Jennings, my very first teacher of international law, once told me

when I sought some advice on case preparation. Neve r ever lose sight of the facts, he said, that is

the golden rule. And then he added, with that memorable twinkle of the eye: “Keep them as

simple as you possibly can.”

2. In this case it is especially difficult to lose sight of the facts, because they are, by now, so

very notorious. We will return to specific eviden tiary issues later today and tomorrow, in relation

to each of the DRC’s three principal claims: first, that Uganda illegally used force and occupied

large parts of the territory of the DRC; secondl y, that Uganda systematically and massively

violated fundamental human rights in those areas; and thirdly, that Uganda violated its obligations

by failing to prevent the plundering of the gold, the diamonds and the other natural resources of the

DRC. In this morning’s submissions, I will stick to some of the broader issues which have been

raised by the written pleadings.

3. In our submission the evidence before the Court amply establishes the facts upon which

the DRC relies. In its Counter-Memorial Uganda alleged that the Democratic Republic of the

37
Congo’s approach to evidence was what it called “eccentric” . And in its Reply the Democratic

Republic of the Congo made four points in respon se to that assertion: (1) that Uganda’s objections

as to the DRC’s methodological approach was without foundation; (2) that the DRC’s evidentiary

material was of a character and of a quality which met the requirements of the Court’s Statute, its

Rules and its practice; (3) that the relevant sta ndard of proof which the DRC had to meet was one

of “reasonable certainty” in establishing the relevant facts; and (4) that the evidentiary material

37
Counter-Memorial of Uganda, Part II, pp. 76 et seq. - 18 -

before this Court established the relevant facts to that standard 38. The Court will perhaps have

noted that in its Rejoinder Uganda declined to respond to the Democratic Republic of the Congo’s

detailed and substantive arguments. All Uganda chose to do was to restate its original allegation 39.

4. The Court will also have noted Uganda’s own economical approach to evidence. For

example, in its written pleadings it relies on rather selected transcripts of proceedings before the

enquiry carried out by its own Porter Commission. But as we now know, the transcripts relied

upon by Uganda are selective and, in that sense at least, they are misleading. We will say more

about that in due course. What is striking is that Uganda felt no need to share with the Court the

final Report of the Porter Commission, which was sent to the Ugandan Government in

January 2003, and to the Secretary-General of the United Nations shortly thereafter.

Notwithstanding Article50 of the Court’s Rules ⎯ which requires parties to annex “any relevant

documents adduced in support” of a party’s contentions ⎯ it was the DRC and not Uganda which

filed the Porter Report with the Court. It was the DRC which had to request the full transcripts and

annexes prepared by the Porter Commission and made available by Uganda to the United Nations

but not to the “principal judicial organ” of the United Nations. For six months, Uganda sat on these

documents, providing no information to the Court or to the Democratic Republic of the Congo. In

the meantime, in its written pleadings, Uganda relied on a few selected extracts of transcripts which

it must have known were misleading or incomplete in the light of the final Report of the Porter

Commission. And it was the DRC which had to put some of these new documents before the

Court. Against this background, I will be forgiven I hope, if I suggest that Uganda’s allegation that

the DRC is “eccentric” in its approach to evidence and has not met th e evidentiary burden is, to put

it at its most generous, a rather ironic reaction.

5. Nevertheless, Uganda’s approach in the written pleadings merits consideration. It

provides a clear opportunity to test the adequacy of the evidence before you, in answer to two basic

questions: what facts does the DRC have to establis h at this stage of the proceedings, and how are

those facts to be established? Uganda’s claim boils down to the assertion that the DRC has failed

on two counts: first, it is said that the DRC has failed to present “evidence to establish a link of

38
See e.g. Reply of Congo, para. 1.69.
3See e.g. Rejoinder of Uganda, paras. 45 et seq. - 19 -

imputability between the respondent State and alleged delictu al conduct”; and second, it is said

that the DRC has failed to provide specific evidence as to any damage caused by the conduct of the

respondent State” 40. In other words, Uganda’s assertion is that the evidence is simply insufficient

to establish that the acts complained of are imputable to Uganda or that they establish evidence of

damage. I hope that the Court will be alert to Uga nda’s approach here: Uganda is not saying that

the evidence is insufficient to establish that the alleged facts ⎯ or some of them ⎯ occurred.

Indeed, Uganda appears now to accept, for example, that there is ample evidence to establish the

presence of Ugandan armed forces on the territory of the DRC, a matter which it now says is not

disputed. And it does not assert that certain offences against the individual did not occur, or that

certain highly valuable natural resources did not l eave the occupied territory of the DRC and then

end up in Uganda; that is not the case argued by Uganda. The heart of Uganda’s allegation on

proof is that the alleged acts have not been shown to be imputable to Uganda. One could refer to

this as the “imputability argument”.

I.INTRODUCTORY POINTS

6. Before addressing the substance of the a pparent difference between the Parties, may I

begin by making three general points in relation to the evidence which is before the Court.

Th7e. first point is this: it is important to bear in mind that throughout the course of the

written pleadings the Government of the DRC did not have access to any of the areas occupied by

Uganda. The very areas in which the violations occurred were not accessible so as to obtain the

primary evidence which Uganda accuses the DRC of not having obtained. For example, there was

no access to the mines to determine precisely th e quantities of natural resources, including

diamonds and gold, which had been removed illegally from the territory of the DRC under the eyes

or the control of the Ugandan forces. Nor was there access to any of the individual victims who

could provide direct testimony ⎯ for example in the form of witness statements ⎯ attesting to

some of the atrocities which were perpetrated. During that entire period of the written pleadings,

the DRC has had to rely mainly but not exclusively on secondary sources, precisely because

40
Counter-Memorial of Uganda, p. 77, para 103. - 20 -

Uganda was in exclusive control of the territory in question. The words of this Court in the Corfu

Channel case are particularly pertinent:

“By reason of this exclusive control, the other State, the victim of a breach of
international law, is often unable to furnish direct proof of facts giving rise to
responsibility. Such a State should be allowed a more liberal recourse to inferences of
41
fact and circumstantial evidence.”

Th8e. second general introductory point is of equal importance. It relates to the stage of the

proceedings at which we now find ourselves. The relief which the DRC is seeking is declaratory in

character: that Uganda has violated customary and treaty rules concerning the use of force, the

exploitation of natural resources and the protection of fundamental human rights and humanitarian

rules. This phase of the proceedings is akin to that which resulted in the Court’s Judgment of

27 June 1986 in Military and Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v.

United States of America), a case with which Mr. Brownlie and Mr. Reichler will feel, I am sure, a

42
certain affection . The DRC has made it abundantly clear that it is not, at this stage, seeking

specific relief in relation to damages and reparations in respect of these normative violations. This

may be the subject of a later phase of the proceedings, on the basis that the form and amount of any

reparation which may be ordered would, failing any agreement between the Parties, be reserved for

43
a subsequent phase in the procedure . The facts which the DRC has to establish at this stage do

not, therefore, extend to the establishment of pr oof concerning the precise damage which the DRC

has suffered and the extent of the reparation fo r which she is entitled. The process of accounting

for such losses, for example in relation to all the consequences of the unlawful occupation would

be addressed at a later phase. Accordingly, in our submission, Uganda’s claim that the DRC has

failed to provide specific evidence as to any damage caused by the conduct of Uganda ⎯ its acts or

omissions ⎯ is without merit. It misses the point.

The9. third general point goes to Uganda’s argument as to “imputability”. Uganda proceeds

on the basis that establishing Uganda’s responsib ility under internationa l law depends upon the

DRC proving, as a matter of fact, that the acts alleged are imputable to Uganda, in the sense that

4I.C.J. Reports 1949, p. 4.
42
I.C.J. Reports 1986, p. 14.
4See Military and Paramilitary Activities, Order of 18 November 1987, I.C.J. Reports 1987, p 188. - 21 -

Uganda ordered them. But Uganda has, with the gr eatest respect, fallen into error. The issue of

imputability is a mixed question of fact and law. Professor Salmon will have more to say about

this in due course. But for the present I can illustrate the point by reference to the issue of the

plundering of natural resources and I would add the approach applies equally to the massive and

systematic violations of fundamental human ri ghts that took place under Uganda’s watch. The

relevant rules of international law do not require the Democratic Republic of the Congo to establish

that Uganda ordered the exploitation and removal from the territory of the DRC of certain natural

resources. As I will explain tomorrow afternoon, the law ⎯ in particular the 1907 Hague

Regulations ⎯ imposes detailed requirements on an occupying State not to permit the exploitation

of natural resources other than for the benefit of the occupied State. So to succeed, for example, on

this claim it is sufficient for th e Democratic Republic of the Congo to establish the following three

facts:

(1) that Uganda occupied the territory,

(2) that during the occupation resources were e xploited unlawfully by, or under the watch of,

persons empowered to exercise elements of Ugandan authority, including in particular the head

of its army, Brigadier Kazini; and

(3) that the Ugandan authorities failed to act in accordance with the requirements of due diligence

to stop plundering by members of its own military or by rebel armies or by other third persons.

10. In our submission, respectfully, the evidence before the Court establishes each of these

three elements without any shadow of doubt. Again, in relation to natural resources, the reports of

the United Nations expert panel on the illegal exploitation of natu ral resources of the Democratic

Republic of the Congo, which was established by the United Nations Secretary-General at the

request of the United Nations Security Council, provides compelling evidence in support of the

facts invoked by the DRC. There is no room for reasonable doubt in this regard. The Report of

Uganda’s own judicial commission of enquiry ⎯ the Porter Commission ⎯ which was published

after the close of the written pleadings in this case and made available on the worldwide web,

provides incontrovertible evidence that the illega l exploitation of resources was carried out on a

large scale by the most senior officers of the Ugandan army present in the territory of the - 22 -

Democratic Republic of the Congo 44. The findings were, according to the Porter Commission,

“soundly based on evidence”.

11. It might be worth pausing here to remind the Court about the way in which that enquiry

was carried out. It was established inMay2001 to investigate allegations set out in the earlier

United Nations reports. It had three distingui shed members and was assisted by a Ugandan

Principal State Attorney and a lead counsel. The Chairman was Justice David Porter. It took

extensive evidence over a period of approximately 18 months, and it completed its enquiry

in January 2003. Individuals, including senior officials, gave evidence under oath, endowing their

evidence with a particular authority. It is worth recalling, in this regard, that in its Judgment in

1984 in the Nicaragua case, the Court indicated that statements emanating from high-ranking

officials are “of particular probative value when they acknowledge facts or conduct unfavourable to

the State represented by the person who made them . They may then be construed as a form of

admission.” That view was expressed in relation to political officials, but it must surely apply

equally to high-ranking military officials, such as Brigadier Kazini and some of his colleagues, and

judicial officials, such as Justice Porter and his colleagues.

12. One might well ask then, what is the effect of the Porter Commission’s findings of fact

before this Court? We would submit that it is directly analogous to a finding of fact by a national

court: whilst it may not be binding as such it is of very great authority. It imposes upon Uganda

the burden of disproving the facts and Uganda h as not even begun to endeavour to carry out that

task. So, Uganda is entitled to the fullest respect for having set up the enquiry. But having done so

it cannot escape the consequences of that enquiry. On the facts, the Porter Report is highly

damaging to Uganda’s case before this Court. Th at is perhaps why Uganda would rather the Court

had not had access to the Report of the enquiry or to the evidence that was placed before it; and

can I say how sorry I am that in accordance with the Court’s practi ce, it has not been possible for

the DRC to put before the Court anything other th an a small selection of the many thousands of

pages of evidence that were made available to the Porter Report and which is available on the

4For example, the Porter Commission examines in detail th e allegations against Uganda’s Chief of Staff in the
DRC and finds that the allegations “are soundly based on evidence”, p. 204. At p. 198 the Report states inter alia “there
is agreement that officers to a very se nior level, and men of the UPDconducted themselves in the Democratic

Republic of Congo in a manner unbecoming”. - 23 -

various CD⎯ROMs which were provided eventually by Ugan da to the Registry. This Court is, of

course, not a criminal court so the approach to evidence is bound to be different.

13. The Porter Report is excoriating in respect of the conduct of certain high-ranking officers

of the Ugandan People’s Defence Force, including in particular Brigadier Kazini. Let us not forget

that BrigadierKazini was the Ch ief-of-Staff of the UPDF directly responsible for Operation Safe

Haven in the Democratic Republic of the C ongo. Following publication of the Report,

BrigadierKazini was “relieved of his post” 4. The Report also criticizes General Salim Saleh ⎯

half-brother of President Museveni ⎯ and his wife Jovial Akandwan aho for air transports to and

from the DRC and for diamond smuggling. The Port er Report concludes that such plundering was

not attributable to PresidentMuseveni. But the plundering occurred and for the purposes of

establishing the State responsibility of Uganda that particular conclusion is not relevant. The fact is

46
that the conduct was “carried out by persons cloaked with governmental authority” and it plainly

falls within the rule reflected in Article7 of the ILC’s Articles on State Responsibility. As

Professor Salmon will explain tomorrow, it matters not that the acts of individual members of the

UPDF exceeded their authority or contravened instructions, if indeed they even did.

II.THE COURT ’S PRACTICE IN RELATION TO EVIDENCE

14. I turn now to three more specific points in relation to evidence before the Court. What

are the evidentiary principles to be applied by the Court in assessing the DRC’s claims, and

Uganda’s defence?

15. In preparing its written pleadings the Democratic Republic of the Congo has been careful

to be guided by the Court’s long-standing and cons istent practice, as well as the Court’s Practice

Direction No. III. The Democratic Republic of the Congo has not called for ⎯ and is not now

calling for ⎯ any departure from those rules and that practice. The starting point is, of course,

Article 52 of the Court’s Statute, which imposes on the parties before the Court to put forward the

“proofs and evidence” upon which they rely. Rule 49 of the Court’s Rules requires the pleadings to

include “a statement of the relevant facts”, and Rule 50 provides for the annexing of “any relevant

45
Final Report of the Panel of Experts, 23 October 2003, p. 21, para. 71.
46Petrolane, Inc, v. Islamic Republic of Iran (1991), 27 Iran-USCTR 64, p. 92. - 24 -

documents adduced in support of the contentions contained in the pleading”. Uganda, we take it, is

not claiming that the DRC has not complied with these formal requirements. Uganda’s allegations

go to three different issues: the burden of proof, the standard of proof, and the authority and weight

of the evidence tendered by the Democratic Republic of the Congo.

16. As regards the burden of proof, in its practice the Court has been consistent in following

the general principle that the burden of proof lies with the party asserting the fact 47. The Parties

appear to be in agreement on this point.

17. But that, of course, is not the end of the matter and is not necessarily decisive. The Court

has long recognized that it is entitled to take acc ount of facts which are notorious: this was the

48
case, for example, in the Fisheries case . And in the United States Diplomatic and Consular Staff

case, the Court relied upon facts which it considered to be “for the most part, matters of public

knowledge which have received extensive coverage in the world press and in radio and television

49
broadcasts from Iran and other countries” . And as Judge Lauterpacht succinctly put it in his

opinion in the provisional measures phase of Bosnia and Herzegovina v. Yugoslavia : “The

doctrine of judicial notice is known in many lega l systems. Tribunals may not and do not close

50
their eyes to facts that stare them in the face.”

18. In circumstances where the facts are genera lly known, even notorious, what matters is

51
“the general concordance of the evidence” , as the Court recognized in Judgments in 1980 and

52
1986 . Where the facts are notorious ⎯ as in the present case ⎯ it is for Uganda to prove that the

notorious facts are wrong. It has not even begun to do so. And we say it cannot do so, particularly

where it has declined of its own volition to put befo re the Court most of the most pertinent annexes

of, for example, the Porter Report. Uganda cannot simply wish away the evidence. It cannot

ignore, for example, statements by the President of the Security Council that that body considered

47Temple of Preah Vihear, I.C.J. Reports 1962, pp. 15-16.

48I.C.J. Reports 1951. pp. 138-139.

49I.C.J. Reports 1980, p.9, para.12. See also I.C.J. Pleadings, pp.192 ff and 329 ff in this case. This passage
was relied upon also in Military and Paramilitary Activities in and Against Nicaragua , I.C.J. Reports 1986, pp. 40-41,
para. 63.

50Application of the Convention on th e Prevention and Punishment of the Crime of Genocide, Provisional
Measures, Order of 13 September 1993, p. 423, para. 42.

51Ibid., para. 43.
52
Supra, No. 13, I.C.J. Reports 1980, p. 10, para. 13 and I.C.J. Reports 1986, p. 41, para.. 63. - 25 -

53
the fighting at Kisangani inMay2000 to violate Security Council resolutions . It cannot ignore

resolutions of the Security Council which establis h the link between Uganda’s occupation and “the

illegal exploitation of the natural resources of the DRC”, a resolution which stresses that the

withdrawal of Uganda’s troops is necessary for “ending the plundering of the natural resources of

the DRC” 54. Uganda simply has not addressed these points at all. And we look forward to hearing

their explanations over the coming days in respect of the great body of new material which has now

been available ⎯ mostly emanating from Uganda itself ⎯ which is now before the Court.

19. As regards the standard of proof , the DRC considers that it has adopted entirely the

correct approach, and that the evidence it relies upon in support of its factual contentions plainly

meet the requisite standard. Notwithstanding what Uganda asserts in its pleadings, the Parties do

not appear to be in disagreement as to the approach to be followed. In particular, that international

tribunals are not tied by those “firm rules” which pertain to municipal tribunals and which are not,

according to Judge Fitzmaurice, “appropriate to litigation between governments” 55. The Court has

been flexible in its approach. In El Salvador/Honduras, the Chamber of this Court adopted the

approach that, in the absence of a great abundance of evidence either way, then the correct standard

was the “balance of probabilities” 56. In the Corfu Channel case the Court stated that “proof may be

57
drawn from inferences of fact, provided th at they leave no room for reasonable doubt” . And in

the absence of direct documentary proof, Judge Fitzmaurice felt ab le to rely on what he called

“reasonable conjecture, warranted by those facts that are known, and by the probabilities involved”

58
in giving effect to “a very reasonable presumption as to what occurred” . In the present case, we

would submit, there is no need to have recourse to any concept of “reasonable conjecture”: the

evidence given to the Porter enquiry, the acts of the Security Council, the materials before the

United Nations groups, as well as the abundance of other material which the DRC has put before

this Court, provide ample evidence which goes significantly beyond that level.

53Statement by the President of the Security Council, 5 May 2000, S/PRST/2000/15.
54
Security Council resolution 1457 (2003), paras. 3 and 5, in judges’ folders, No. 19.
55
Barcelona Traction case (separate opinion of Judge Fitzmaurice), I.C.J. Reports 1970, p. 98, para. 58.
56El Salvador/Honduras, 1992 Judgment, p. 506, para. 248.

57I.C.J. Reports 1949, p. 18.

58Supra, No. 19, I.C.J. Reports 1970, p. 98, para. 58. - 26 -

20. Uganda also asserts that the DRC is seeking to avoid the application of the standard of

proof required by the Court 59. But in its written pleadings it seems unable to cite any such claim by

the DRC. I would like on this point to be absolutely clear: the DRC has sought to apply the

standard reflected in the Court’s own practice. It seeks no lesser or higher standard than what has

come before.

21. As to the nature of the evidentiary material, the Court has long recognized that a party is

entitled to rely on direct and indirect evidence. As to the admissibility and effect of “indirect

evidence”, the Court addressed that matter in the Corfu Channel case:

“[I]ndirect evidence is admitted in all sy stems of law, and its use is recognized

by international decisions. It must be rega rded as of special weight when it is based
on a series of facts linked together and leading logically to a single conclusion.” 60

22. Since that first judgment, which identifie d the principle that indirect evidence can be

used and can have special weight when it is based on a series of facts linked together and leading

logically to a single conclusion, on numerous occa sions the Court has indicated its views on the

nature of “indirect evidence” which it considers to be acceptable. The Court has also expressed its

views as to the weight and authority to be given to material of different types. I think I have

already drawn your attention to the United States Diplomatic and Consular Staff case, in which the

Court made reference to various documents which it found to be “wholly consistent and concordant

as to the main facts and circumstances” 61. And again I drew your attention to the decision in the

62
case concerning Military and Paramilitary Activities .

23. In the present case, of course, the DRC is able to rely on a great deal more. The evidence

comes from a great diversity of sources and it is completely concordant. The DRC relies on

documentary material and on direct evidence, in cluding written witness statements and testimony

of Ugandan military and other pe rsonnel. The Court has now had the benefit of much more

evidence from the Porter Commission. As Maître Tshibangu has demonstrated, in the light of that

direct evidence, Uganda’s claim that its troops entered the DRC after 11 September 1998 collapses

59Reply of Uganda, p. 19, para. 49.
60
I.C.J. Reports 1949, p. 18.
61Supra, No. 13, p. 10, para. 12.

62I.C.J. Reports 1986, p. 40, para. 63. - 27 -

entirely: Mr. Kavuma and others confirmed before the Porter Commission that they entered much

earlier, in early August 1998 63.

24. The evidence includes resolutions and othe r acts adopted by international organizations

(including reports) ⎯ in particular the United Nations Security Council and reports by independent

non-governmental organizations. There is nothi ng novel in the DRC’s approach. Each of these

forms of material have been relied upon by the Court on earlier occasions. The Court has expressly

stated that in its “quest for the truth . . . it may . . . take note of statements of representatives of the

64
Parties . . . as well as the resolutions adopted or discussed by such organizations” . And the Court

has confirmed, as I mentioned, that statements emanating from high-ranking official political

figures are of particular probative value in the circumstances in which they acknowledge facts or

65
conduct unfavourable to the State . Those words, in our submission, are directly applicable, to the

material which is made available via the Porter Commission enquiry 66.

III. CONCLUSIONS

25. Mr.President, Members of the Court, by way of conclusion: the facts upon which the

DRC relies and bases its claims are, for the most part now, notorious. The evidentiary and other

material upon which the DRC relies in support of its factual assertions are admissible and fully

consistent with the requirements of the Court’s rules and practice. The claim by Uganda to the

contrary is simply without merit or foundation. The materials before this Court leave no room for

reasonable doubt in respect of the motivations fo r Uganda’s illegal invasion, in terms of its

responsibility for the systematic and massive violation of fundamental human rights and in terms of

the illegal and widespread exploitation of the DRC’s natural resources.

26. Where there is room for serious doubt, however, is as to the question of whether Uganda

has met the applicable evidentiary standards in its counter-claim. And it is instructive to compare

the evidentiary approach of the DRC in respect of the case upon which it relies with that which is

63
Porter Commission transcripts, testimony of Gen Kazini, p. 128, reproduced in judges’ folders, No. 11.
64Military and Paramilitary Activities, I.C.J. Reports 1986, p. 44, para. 72.

65Ibid., p. 41, para. 64.
66
Republic of Uganda, Government White Paper on the Report of the Judicial Commission of Inquiry Into Illegal
Exploitation of Natural Resources and Other Forms of Wealth in the DRC , 2003, pp. 13-14, reproduced in judges’
folders, No. 20. - 28 -

before this Court in relation to the counter-claim s. Uganda’s claim is based entirely on its own

internal materials ⎯ just three documents ⎯ no independent evidence, in the form of United

Nations or other reports, or press reports, or witness statements. It indicates a wide gulf.

27. In this regard, by way of conclusion , Mr. President, the DRC has noted the presence on

the delegation of Uganda of His Excellency the Minister of Defence and the Inspector General of

the Police of the Republic of Uganda and we not e in particular, they are listed as counsel and

advocates following the Court’s decision not to allow them to appear as witnesses. Uganda is of

course entirely free to nominate whomsoever it wishes to act as counsel or advocate. However, the

arguments which may be presented by these two gentleme n are to be treated as such, that is to say,

as legal argument and submission. Whatever th ey may say cannot be treated in any way as

expertise or as evidence of any matter which is before this Court. In the absence of the possibility

of cross-examination, any other approach woul d, we submit, be eccentric and would cause the

DRC with the greatest regret, to make a formal objection.

28. Mr. President, that concludes my submission on this aspect of the case, and I invite you,

with your permission, to call Professor Corten to the Bar.

The PRESIDENT: Thank you, Professor Sands. I now give the floor to Professor Corten.

M. CORTEN :

L’ ABSENCE DE FONDEMENT DE L ’ARGUMENT DE LA LÉGITIME DÉFENSE

1. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, permettez-moi tout d’abord de

vous faire part du grand honneur que je ressens au moment de me présenter une nouvelle fois

devant la plus haute juridiction mondiale. Ce sentiment est d’autant plus sincère que, en me

permettant de plaider sa cause dans cette affaire, le Congo me permet en même temps de défendre

l’une des règles les plus fondamental es du droit international, l’interdiction du recours à la force.

L’un des enjeux de cette affaire est la défense de ce principe, que l’Ouganda tente tout simplement

de vider de son sens, en invoquant abusivement deux arguments: celui de la légitime défense,

d’une part, et celui d’un prétendu consentement des autorités congolaises, d’autre part. L’argument - 29 -

du consentement sera traité demain matin. Il ne sera donc question aujourd’hui que du premier,

celui de la légitime défense.

2. Quelle est la thèse de l’Ouganda sur ce point? Si on en croit les écritures de la Partie

défenderesse, l’invasion du Congo se justifiait en raison de la grave menace qui pesait sur

l’Ouganda à la suite du déclenchement de la guerre civile au Congo. Cette guerre civile, qui a

commencé au début du mois d’août 1998, aurait été mise à profit par les autorités du Soudan pour

se servir du territoire congolais, et menacer gravement l’Ouganda, le tout avec la collaboration de

forces rebelles ougandaises ainsi que des auto rités gouvernementales congolaises. A la

mi-septembre1998, l’Ouganda n’aurait dès lors pl us eu d’autre choix que de déployer à son tour

son armée au Congo pour prévenir une atteinte à sa sécurité.

3. Cette thèse a déjà été réfutée hier matin sur un plan purement factuel. Mon collègue et

e
ami, M Tshibangu Kalala, vous a montré que, loin d’êt re la conséquence du déclenchement de la

guerre au Congo, l’intervention militaire ougandai se en constituait l’une des modalités. Cette

intervention militaire n’a, on l’a vu, pas commencé à la mi-septembre1998, soit près de

six semaines après le début du conflit. Cette intervention a au contraire constitué l’un des éléments

marquant le déclenchement du conflit, puisqu’elle a débuté dès les premiers jours du mois d’août,

avec l’opération «SafeHaven», menée conjointem ent par l’armée ougandaise et par des forces

irrégulières congolaises. Cette opération ⎯ l’opération «Safe Haven» ⎯ dont le déclenchement

est daté par les militaires ougandais du 7 août 1998, ne peut logiquement être présentée comme une

mesure de légitime défense en riposte à des événem ents qui se sont en réalité déroulés ensuite. Il

en va de même de la participation de l’Ouganda à l’opération aéroportée de Kitona, qui a, nous

l’avons vu hier également, commencé le 4août. La thèse ougandaise de la légitime défense ne

résiste donc pas à la prise en compte de la chr onologie des faits, comme vous l’a démontré hier

e
M Tshibangu Kalala.

4. L’objet des plaidoiries que le Congo consacr era maintenant à la légitime défense est de

montrer que cet argument est non fondé, non seulement en fait, mais aussi en droit. Il en va ainsi,

comme nous le verrons, que l’on prenne en compte la date réelle du début de l’intervention

ougandaise, le début du mois d’août1998, ou même que l’on accepte, à titre purement

hypothétique, la thèse ougandaise selon laquelle cette date devrait être fixée à la mi-septembre. - 30 -

5. Sur un plan juridique, la République démo cratique du Congo se doit d’abord de souligner

la conception très particulière de la légitime défense qui ressort des écritures de l’Etat défendeur.

Si on en croit l’Ouganda, il aurait en effet réagi, en «légitime défense», en riposte non pas à une

agression armée mais à de simples «préoccupations de sécurité» relatives à sa frontière commune

avec le Congo. Cette conception se retrouve cons tamment dans les écritures ougandaises, selon

lesquelles :

⎯ l’Ouganda aurait un «droit naturel de légitime défense contre des menaces graves et

67
imminentes pour sa sécurité» , son action ayant dès lors été, « vitale pour la sécurité de

l’Ouganda» 68;

⎯ dans un autre passage des écritures, on apprend que l’armée ougandaise a commencé à occuper

les aéroports dans l’est et le nord-est du Congo «pour empêcher la RDC et le Soudan de les

69
utiliser pour attaquer l’Ouganda» ; pour empêcher une attaque, donc, et non pour y riposter;

⎯ enfin, et pour prendre un dernier exemple, mais il y en a d’autres, l’action de l’Ouganda aurait

eu pour seul objectif de se protéger contre «la menace que faisait peser sur sa sécurité l’alliance

70
militaire entre la RDC et ses ennemis les plus dangereux» ; la légitime défense comme

réponse à une menace, et non à une attaque armée, conformément à l’article 51 de la Charte des

Nations Unies.

6. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, cette argumentation renvoie à des

doctrines que l’on croyait révolues, comme cell es de l’«autoprotection», des «intérêts vitaux»,

voire de l’«espace vital»; elle dénature complète ment la notion contemporaine de légitime défense

ainsi que, par répercussion, tout le système de pr ohibition du recours à la force établi par la Charte

des NationsUnies. Le Congo vous montrera d’abord, et ce sera l’objet de ma plaidoirie de ce

matin, que l’Ouganda n’a jamais été la victime d’une «agression armée» au sens de l’article 51 de

la Charte, et que c’est bien à cette condition, et non à celle de l’existence de simples

67
«[G]rievious and imminent threats to her security.» (Duplique de l’Ouganda, p. 9, par. 28; voir aussi ibid., p. 5,
par. 16; p. 40, par. 86; p. 81, par. 183; p. 49, par. 106; ibid., p. 7, par. 23; p. 35, titre B et par. 78; p. 75, par. 169.)
68«[V]ital to Uganda’s security.» (Ibid., p. 46, par. 100.)

69«[T]o prevent the DRC and Sudan from using them to attack Uganda…» ( Ibid., p.78, par.175; voir aussi
ibid., p. 80, par. 179.)

70«[T]he threat posed to her security by the DRC’s military alliance with her most dangerous ennemies…»
(Ibid., p. 84, par. 192.) - 31 -

«préoccupations de sécurité», que la légitime dé fense peut être invoquée. Mon collègue, le

professeur PierreKlein, vous montrera ensuite qu’en tout état de cause, l’invasion puis

l’occupation du Congo ne peuvent être cons idérées comme des mesures «nécessaires et

proportionnées», comme doivent l’être des mesures de légitime défense conformes au droit

international.

L’Ouganda n’a jamais établi avoir été la victime d’une
agression armée imputable au Congo

7. L’Ouganda n’a jamais établi avoir été la victime d’une agression armée imputable au

Congo. Et il serait bien en mal de le faire. Contrairement à l’Ouganda lui-même, le Congo n’a en

effet jamais pénétré sur le territoire de son voisin ni, à fortiori, ne l’a jamais occupé. Comme je l’ai

déjà signalé, l’Ouganda accuse cependant les au torités congolaises d’avoir ourdi un complot avec

des forces irrégulières ougandaises ainsi qu’avec le Soudan, le tout en vue de déstabiliser l’Etat

ougandais. C’est dans le but d’éradiquer ce «risque sérieux et imminent», selon les termes de la

duplique, que l’armée ougandaise aurait réagi en envahissant puis en occupant le Congo.

8. Le Congo a déjà largement répondu à ces allégations dans ses écritures 71, auxquelles je

prie la Cour de bien vouloir se reporter, mais je voudrais insister sur les quatre éléments suivants,

qui constitueront autant de parties de mon exposé :

⎯ premièrement, l’Ouganda n’a pas démontré l’implication de la République démocratique du

Congo dans une seule attaque armée, pas plus qu’il n’a démontré son implication dans

l’organisation, le fonctionnement ou les activités de forces irrégulières;

⎯ deuxièmement, et dans ces conditions, l’Ouganda n’a pas démontré qu’il avait été la victime

d’une agression armée préalable au sens de l’article 51 de la Charte de l’ONU;

⎯ troisièmement, l’Ouganda ne peut démontrer avoir été la victime d’un complot entre le Congo

et le Soudan qui aurait justifié une sorte d’«action préventive» de sa part;

⎯ enfin, et dans un quatrième temps, nous verrons que tout ceci est confirmé par le comportement

de l’Ouganda lui-même qui ne s’est, in tempore non suspecto , manifestement pas estimé en

situation de légitime défense.

71Mémoire du Congo, p.198-205, par.5.05-5.24; répli que du Congo, p.147-204, par.3.04-3.115; observations

additionnelles du Congo, p. 2-45, par. 1.01-1.65, spécialement p. 28-45, par. 1.41-1.65. - 32 -

I. L’Ouganda n’a pas démontré l’implication substantielle de la République démocratique du

Congo ni dans une seule attaque armée, ni dans l’organisation, le fonctionnement
ou les activités de forces irrégulières

9. Premièrement, donc, l’Ouganda n’a pas démontré l’implication substantielle du Congo ni

dans une seule attaque armée, ni dans l’organisation, le fonctionnement ou les activités de forces

irrégulières. Le constat se vérifie d’abord pour la période antérieure au début de l’agression

ougandaise, soit celle qui précède le début du mois d’août1998. Mais c’est également le cas,

comme nous le verrons, pour la période qui suit directement cette date critique, c’est ce que nous

verrons donc dans un second temps.

A. L’absence d’éléments attestant l’implicat ion du Congo dans des attaques menées par des
rebelles ougandais avant le début du mois d’août 1998

10. Envisageons d’abord la période antérieure au mois d’août1998, la seule qui est

véritablement pertinente en l’espèce, puisque l’Ouganda est évidemment tenu de démontrer que, à

la date de son intervention, il était déjà victim e d’une agression armée. Dans son contre-mémoire,

l’Ouganda formulait des accusations extrêmemen t graves à l’encontre du Congo. Selon l’Etat

défendeur, plusieurs attaques avaient été menées à s on encontre sous «la direction et le contrôle»

72
du Gouvernement congolais, et ce par l’intermédiaire de rebelles ougandais . Dans sa duplique,

ces prétentions exorbitantes ont disparu. Alors qu’il prétendait que le Congo assurait la direction

des attaques, l’Ouganda se contente à présen t de l’accuser d’une «implication» ou d’une

«participation directe» 73 dans certaines actions armées. Plus largement, il en vient à prétendre que

le Congo entretenait certains «liens» avec des groupes rebelles ougandais, sans que la nature exacte

de ces liens ne soit précisément définie.

11. Cet assouplissement de l’argumentation ougandaise s’explique très simplement par

l’absence totale de preuves susceptib les de venir à son appui. Car, en réalité, il est clair que le

Congo non seulement n’a pas dirigé ou contrô lé mais encore n’a été impliqué dans aucune attaque

armée menée contre l’Ouganda. Mais quelles sont , précisément, les attaques que le Congo aurait

pu mener contre son voisin et qui auraient provoqué une riposte de l’Ouganda en août 1998? Le

contre-mémoire ougandais en me ntionnait deux: il s’agit des actions militaires menées contre

72
Contre-mémoire de l’Ouganda, par. 5, par. 40 et par. 389.
73Duplique de l’Ouganda, p. 308, par. 666. - 33 -

er
Kichwamba, le 8 juin 1998, puis Kasese, le 1 août de la même année. Mais ce contre-mémoire ne

contient aucune preuve d’une implication quelconque du Congo dans ces attaques. Les sources

existantes, y compris ougandaises, ne désignent pas le Congo, mais seulement l’ADF ⎯ Alliance

of Democratic Forces, un groupe rebelle ougandais ⎯ comme responsable de ces attaques 74.

Absolument rien n’indique que des autorités, soldats ou agents congolais aient participé à la

préparation ou à la réalisation de ces deux actions. C’est sans doute ce qui explique que l’Ouganda

75
ne revient même plus sur les attaques de Kichwamba et de Kasese dans sa duplique . A ce stade

de la procédure, on peut donc dire que l’O uganda a implicitement admis ne pouvoir démontrer

l’implication du Congo ⎯et je dis bien l’implication, sans même qu’il soit question d’une

direction ou d’un contrôle ⎯ dans aucune attaque armée menée à son encontre avant le mois

d’août 1998, date des débuts de l’invasion et de l’occupation ougandaises.

12. L’Ouganda peut-il, plus généralement , démontrer que le Congo a soutenu ou a été

impliqué de quelque manière que ce soit dans les activités de groupes rebelles ? En dépit de tous

ses efforts, l’Etat défendeur n’y est pas parvenu. Le Congo a, au contraire, montré dans ses

76
écritures que, alors qu’il était lui-même confront é à de graves problèmes de sécurité, le

Gouvernement congolais a, en 1997 et 1998, mené un e lutte active contre les rebelles ougandais, et

ce, en coopérant étroitement avec les autorités ouganda ises. Loin de rester passif ou négligent, le

Congo a donc, dans la mesure de ses moyens, lutté contre toutes les forces irrégulières qui

77
utilisaient son territoire .

13. Il est vrai que cette coopération a été rompue par le déclenchement de l’agression, au

début du mois d’août 1998. Mais cela ne signifi e pas que le Congo en soit soudain venu à soutenir

les rebelles ougandais, comme le prétend l’Ouganda. J’en arrive ainsi à l’examen de la période qui

débute au mois d’août 1998, pour se terminer le 11 septembre de la même année.

74
Réplique du Congo, p. 189, par. 3.90 et p. 365-368, par. 6.38-6.47.
75
Observations additionnelles du Congo, p. 29, par. 1.42-1.43.
76Réplique du Congo, p. 150 et suiv.; observations additionnelles du Congo, p. 38-42, par. 1.53-1.60; réplique du
Congo, p. 189, par. 3.90 et p. 365-368, par. 6.38-6.47; observations additionnelles du Congo, p. 29-34, par. 1.44-1.46.

77Réplique du Congo, p. 158-166, par. 3.26-3.43. - 34 -

B. L’absence d’éléments attestant l’implicat ion du Congo dans des attaques menées par des

rebelles ougandais entre le début du mois d’août et le 11 septembre 1998

14. Monsieur le président, Madame et Messieu rs de la Cour, comme je l’indiquais en

commençant cet exposé, la chronologie est évidemment cruciale pour une question de légitime

défense. Devant l’absence manifeste de preuves à l’appui de sa thèse, l’Ouganda n’ose pas

véritablement prétendre qu’il se trouvait en situ ation de légitime défense au début du mois

d’août1998. Selon lui, ce n’est que le 11sep tembre1998, nous l’avons vu hier, que la menace

aurait atteint un tel degré de gravité qu’elle aura it justifié la riposte. Cette thèse de l’Ouganda

suppose donc de démontrer à la fois que l’ intervention ougandaise n’a commencé que le

11septembre, et que, dans le courant du mois d’ août1998, ou au début du mois de septembre,

l’Ouganda ait été la victime d’une attaque armée préalable de la part du Congo.

e
15. Quant au premier de ces éléments, nous savons que M Tshibangu Kalala, a montré hier

matin que l’armée ougandaise a bel et bien envahi le Congo dès le début du mois d’août 1998, et

non à la mi-septembre. Nous sommes donc devant deux éléments de fait distincts: d’une part,

l’Ouganda a envahi le Congo dès le début du mois d’août1998 et, d’autre part, comme nous

venons de le voir, l’Ouganda ne peut démontrer a voir été la victime à cette date d’une quelconque

attaque de la part du Congo. Ces deux éléments suffisent à discréditer totalement la thèse de la

légitime défense et, en réalité, la République démocratique du Congo pourrait presque s’arrêter là.

16. Mais, en tout état de cause, même si l’on pose l’hypothèse ⎯et ce n’est qu’une

hypothèse ⎯ que l’Ouganda n’a envahi le Congo qu’à la mi-septembre, il faut relever que

l’Ouganda ne produit aucune pièce attestant une quelconque attaque militaire congolaise à son

encontre, ni aucune implication substantielle du Congo dans le fonctionnement ou les activités des

78
groupes rebelles à cette date. Pas plus, donc, à la mi septembre qu’au début août 1998 .

17. L’Ouganda serait du reste bien en mal de prouver une attaque ou une menace congolaise

à son encontre au début d’août ou de septembre 1998. Il faut en effet rappeler que, pendant cette

période particulière, les autorités du Congo ne contrôlaient plus l es parties du territoire congolais

occupées par les forces d’agression. Il vous suff it de consulter la carte projetée derrière moi pour

vous en rendre compte. La zone hachurée en r ouge représente, approximativement, les territoires

78Réplique du Congo, p.370-375, par. 6.51-6.64; observations additionnelles du Congo, p.64-66, par.

1.98-1.101. - 35 -

congolais occupés par l’Ouganda au mois de se ptembre1998. Il aurait été tout simplement

impossible, à ce moment, de fournir un appui substantiel aux forces irrégulières opérant dans cette

zone. Même si elles l’avaient souhaité, pour des raisons qui n’ont ja mais véritablement été

élucidées par l’Ouganda, les autorités congolaises n’ auraient donc pu aider des forces armées

opérant dans le nord-est du Congo à ce moment.

18. Finalement, le Congo ne nie pas que, à son insu, et contre sa volonté, certains rebelles

ougandais aient pu pénétrer ou se réfugier, en certaines occasions, sur certaines parties de son

territoire. La thèse d’un soutien congolais à ces rebelles n’a, en revanche, jamais été démontrée par

la Partie ougandaise. Les difficultés rencontr ées par les autorités étatiques, congolaises comme

ougandaises, pour contrôler la zone frontalière, excluent d’ailleurs la thèse d’un défaut de vigilance

ou de diligence due. Dans ces conditions, l’Ouganda ne peut prétendre avoir agi en légitime

défense au mois d’août 1998, ni même au mois de septembre de la même année, ce qui m’amène à

aborder le deuxième point de cette plaidoirie, consacrée à la prise en compte de l’article51 de la

Charte des Nations Unies.

Monsieur le président, avant de dével opper ce point, peut-être jugerez-vous utile

d’interrompre la séance pendant quelques minutes pour la pause.

The PRESIDENT: Thank you, Professor Corten.

It is now time to have a break of ten minutes, after which you will continue your statement.

The Court adjourned from 11.20 to 11.30 a.m.

Le PRESIDENT : Please be seated.

Professor Corten, please continue.

M. CORTEN : Je vous remercie, Monsieur le président.

II. Dans ces conditions, l’Ouganda n’a pas démontré qu’il avait été la victime d’une agression
armée préalable au sens de l’article 51 de la Charte des Nations Unies

19. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, l’Ouganda ne se contente pas de

gonfler ou de falsifier les faits en vue de les élever à la qualification d’agression, il tente aussi

d’abaisser le degré d’exigence du droit, en tent ant d’assimiler l’«agression armée» au sens de - 36 -

l’article51 de la Charte à tout acte hostile, voire à toute tolérance à la perpétration de tels actes.

Cette tolérance n’ayant pas existé, comme on vient de le voir, le débat pourrait s’arrêter là. Le

Congo ne saurait cependant s’abstenir de répondre à l’argumentation développée sur ce point par

l’Etat défendeur, tant celle-ci aboutit à brouiller gravement les catégories juridiques existantes.

20. Le désaccord entre les Parties peut en e ffet se résumer comme suit. Pour le Congo,

conformément à l’article 3, alinéa g), de la définition de l’agression reprise dans la définition 3314

de l’Assemblée générale, une agression armée implique l’envoi d’une force irrégulière ou, à tout le

79
moins, l’«engagement substantiel» d’ un Etat dans l’activité de ces forces . Pour l’Ouganda, par

contre, une simple «conspiration» entre un Etat et des forces irrégulières équivaudrait à un «risque

imminent et sérieux pour sa sécurité», risque qui lui conférerait un droit à la légitime défense 8. La

Cour se reportera aux écritures pour connaître le détail des argumentations respectives. A ce stade,

le Congo répondra à la Partie ougandaise sur quatre points.

21. Premièrement, le Congo s’étonne de l’acharnement de l’Ouganda à critiquer la

jurisprudence de la Cour internationale de Justice pour tenter de lui substituer ce qu’il appelle

lui-même une «approche alternative» 81. Dans son arrêt Nicaragua, la Cour a insisté sur la

différence qu’il convenait de maintenir entre les cas d’agression armée et, les «autres formes moins

graves» de recours à la force 82. Cette distinction reste parfaitement valable aujourd’hui, et la Cour

83
l’a encore réaffirmé, comme vous le savez, en 2003, dans l’affaire des Plates-formes pétrolières .

En l’occurrence, il convient de maintenir une différence entre le cas d’un Etat qui appuie

massivement des groupes armés, y compris en leur prêtant volontairement son territoire, et le cas

de la simple négligence qui permettrait à des groupes de ce type d’agir contre un Etat tiers. Seul le

premier cas de figure est susceptible d’être qualifié d’«agression armée» au sens de l’article 51 de

la Charte, et de permettre ainsi une riposte unilatérale. Le second, quoique donnant lieu à

l’engagement de la responsabilité internationale de l’Etat concerné, constitue seulement une

79
Mémoire du Congo, p. 200-203, par. 5.11-5.17, réplique du Congo, p. 206-229, par. 3.118-3.158.
80
Contre-mémoire de l’Ouganda, p. 180-216, par. 329-368, duplique de l’Ouganda, p. 116-119, par. 268-276.
81 «[A]lternative approach.» (Contre-m émoire de l’Ouganda, p. 202, par. 350, duplique de l’Ouganda, p.116,

par. 268.)
82C.I.J. Recueil 1986, p. 101, par. 191.

83C.I.J. Recueil 2003, arrêt du 6 novembre 2003, p. 186, par. 51. - 37 -

«rupture de la paix» qui permet au Conseil de sécuri té d’agir en application du chapitreVII de la

Charte, sans pour autant ouvrir un droit à une riposte unilatérale en légitime défense. Dans notre

cas d’espèce, on ne se trouve en tout état de cau se ni dans le premier ni dans le second cas de

figure, le Congo ne s’étant ni engagé ni n’ayant toléré l’activité des forces rebelles ougandaises.

22. Deuxièmement, le Congo maintient que sa position juridique est partagée par l’énorme

84
majorité, voire l’unanimité, de la doctrine . Aucun des auteurs cités par l’Ouganda ne prétend en

tout cas qu’une vague négligence, conspiration ou tolé rance serait, en tant que telle, équivalente à

une «agression armée» au sens de l’article 51 de la Charte. Tout au plus certains estiment-ils qu’un

appui logistique et militaire massif d’un Etat à un groupe irrégulier peut, même en l’absence d’un

engagement substantiel dans une attaque, équivaloir à une agression armée. Mais, encore une fois,

on est en l’occurrence bien loin de ce cas de figure dans la présen te espèce. L’Etat congolais n’a

jamais apporté un appui logistique et militaire massif à des forces irrégulières ougandaises.

23. Troisièmement, le Congo estime que la prise en compte de la pratique des Etats, et en

particulier des Etats directement concernés, cons titue un élément d’interprétation pertinent dans le

cadre de notre affaire. Il faut à cet égard rappeler les déclarations d’Etats d’Afrique australe 85,

86 87 88
d’Afrique centrale , d’Afrique orientale ainsi que celles de l’Organisation de l’unité africaine .

Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, vous trouverez les textes de ces

déclarations dans les écritures congolaises, aux références indiquées en note de cette plaidoirie.

Vous relèverez que ces déclarations dénoncent l’agression dont a été victime la République

démocratique du Congo, réaffirment l’indépendance et l’intégrité territoriale de la République

démocratique du Congo, et appellent au retrait des troupes étrangères du territoire de la République

démocratique du Congo. C’est bien le Congo, et non l’Ouganda, qui est considéré comme l’Etat

agressé. C’est donc bien le Congo, et non l’Ouga nda, qui est généralement considéré comme en

situation de légitime défense.

84
Réplique du Congo, p. 212, par. 3.130 et Ian Brownlie, «International Law and the Activities of Armed
Bands», ICLQ, 1958, p. 731.
85
Mémoire du Congo, annexes 118, 199.
86
Ibid., annexe 61.
87 Ibid., annexe 62.

88 Ibid., annexes 49, 51. - 38 -

24. Ceci m’amène à aborder un quatrième et dern ier point, qui est peut-être le plus décisif.

Comme chacun sait, le Conseil de sécurité s’est vu attribuer des prérogatives considérables dans la

qualification d’une agression et, plus largement, dans l’appréciation des situations de légitime

89
défense . Or, dans la présente espèce, le Conseil de sécurité a très clairement rejeté les prétentions

ougandaises, en reconnaissant au contraire que la République démocratique du Congo était en

situation de légitime défense. Les extraits des résolutions pertinentes se trouvent dans votre dossier

de juges, sous la cote n° 21. Dans sa résolution 1234, adoptée le 9 avril 1999, le Conseil

« Rappelant le droit naturel de légitime défense individuelle ou collective

énoncé à l’article 51 de la Charte des Nations Unies,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Déplore que les combats se poursuivent et que des forces d’Etats étrangers
demeurent en République démocratique du Congo dans des conditions incompatibles

avec la Charte des Nations Unies et demande à ces Etats de mettre fin à la présence de 90
ces forces non invitées et de prendre immédiatement des mesures à cet effet.»

Dans cette résolution, le Conseil de sécurité reconnaît le droit de légitime défense, et il est

manifeste que ce droit est reconnu au Congo. Le Conseil déplore le comportement des «Etats

étrangers» et des forces «non invitées», ce sont ses termes. Et, c’est bien notamment l’Ouganda

qui est visé ici, si un doute subsistait, il a définitivement été levé avec l’adoption de la

résolution 1304, datée du 16 juin 2000, qui confirme que «l’Ouganda et le Rwanda … ont violé la

souveraineté et l’intégrité territoriale de la République démocratique du Congo» 91.

25. Par ces résolutions, qui ont été rappelées à de multiples reprises par le Conseil de

92
sécurité , celui-ci a exercé ses prérogatives en re connaissant au Congo le droit à la légitime

défense. Ces résolutions ont formellement été acceptées par l’Ouganda 93. Finalement, on peut

89 Résolution 3314 de l’Assemblée générale de l’ONU, article 2 de la définition annexée.
90
Mémoire du Congo, annexe 1.
91
Ibid.
92 Résolutions 1258 du 6 août 1999 (préambule, premie r considérant), 1273 du 5 novembre 1999 (préambule,

premier considérant), 1279 du 30 novembre 1999 (préambule, premier considérant), 1291 du 24 février 2000 (préambule,
premier considérant), 1304 du 16 juin 2000 (préambule, premier considérant), 1316 du 23 août 2000 (préambule, premier
considérant), 1323 du 13 octobre 2000 (préambule, premier considérant), 1332 du 14 décembre 2000 (préambule,
premier considérant), 1341 du 22 février 2001 (préambule, premier considérant), 1355 du 15 juin 2001 (préambule,
premier considérant), 1399 du 19 mars 2002 (préambule, premier considérant), 1417 du 14 juin 2002 (préambule, premier
considérant), 1445 du 4 décembre 2002 (préambule, premier considérant), 1457 du 24 janvier 2003 (préambule, premier
considérant), 1468 du 20 mars 2003 (préambule, premierconsidérant), 1484 du 30 mai 2003, et 1493 du 28juillet 2003
(préambule, premier considérant); déclaration du président du 24 juin 1999 (S/PRST/1999/17).

93 Contre-mémoire de l’Ouganda, p. 151, par. 270. - 39 -

considérer qu’elles tranchent le débat juridique de la légitime défense dans la présente espèce. Il

n’existe aucune raison susceptible d’amener la C our à remettre en cause les évaluations factuelles

et juridiques opérées à plusieurs reprises par le Conseil de sécurité.

26. Cette conclusion, et j’en viens ici au troi sième volet de cette plaidoirie, ne peut être

remise en cause par les allégations relatives à une prétendue alliance entre le Congo et le Soudan

qui, toujours selon l’Ouganda, aurait justifié son action militaire préventive.

III. L’Ouganda n’a pas démontré l’existence d’un complot entre
la République démocratique du Congo et le Soudan

susceptible de justifier son action
militaire préventive

27. La thèse d’un complot entre le Congo et le Soudan revient régu lièrement dans les

écritures ougandaises. Selon l’Ouganda, le prési dent Kabila aurait préparé ce complot en

effectuant un voyage (selon la version du contre -mémoire) ou trois voyages (selon la version cette

fois de la duplique) à Khartoum, en mai 1998 (selon la version du contre-mémoire) ou en juin, août

ou septembre 1998 (selon, cette fois , la version de la duplique) 94. Les incohérences de ce scénario

visiblement monté de toutes pièces pour les besoin s de la présente espèce ont déjà été dénoncées

dans les écritures congolaises 95. L’Ouganda n’a, à ce stade tardif de la procédure, pas apporté le

moindre commencement de preuve qu’un complot aurait été ourdi à son encontre par les autorités

congolaises et soudanaises, complot qui aurait prétendument motivé l’invasion puis l’occupation du

Congo dès le début du mois d’août 1998.

28. L’Ouganda prétend par ailleurs que, aux e nvirons de la fin du mo is d’août 1998, des

forces armées soudanaises auraient commencé à se déployer sur le territoire congolais, et ce à la

demande du Gouvernement de la Ré publique démocratique du Congo. C’est devant la crainte que

ces forces prennent possession de certains aéropor ts du nord et de l’est du Congo que l’armée

ougandaise aurait été amenée à intervenir préventivem ent, à la mi-septembre1998, en territoire

96
congolais . Monsieur le président, Madame et Messieu rs de la Cour, cette autre version de la

théorie du complot n’est pas plus convaincante que la précédente.

94Ibid., p. 30-31, par. 38-39; duplique de l’Ouganda, p. 35-36, par. 79-80.
95
Réplique du Congo, p. 179-182, par. 3.70-3.74; observations additionnelles du Congo, p. 42-45, par. 1.61-1.65.
96Duplique de l’Ouganda, p. 78, par. 175. - 40 -

A. L’absence de preuves attestant d’une alliance entre la RDC et le Soudan

29. En premier lieu, cette théorie n’est pas, e lle non plus, étayée par des éléments de preuve.

Lorsqu’il a subi l’agression extérieure qui a commencé au début du mois d’août 1998, le Congo a

officiellement appelé à l’aide d’autres Etats de la région, en invoquant son droit de légitime défense

collective, conformément au droit international existant. Ces Etats sont bien connus, et ont

d’ailleurs été impliqués dans tout le processus de pa ix qui a suivi. Il s’agit de l’Angola, de la

Namibie, du Zimbabwe et, dans une mesure et pour un temps plus limité, du Tchad. Le

Gouvernement congolais n’a, en revanche, pas appe lé le Soudan à le soutenir ou à le défendre.

C’est d’ailleurs pourquoi le Soudan n’a pas, au contraire des autres Etats que je viens de

mentionner, été associé à l’accord de cessez-le-feu de Lusaka, ni à aucun autre instrument de ce

type. Les allégations ougandaises ne sont guère crédibles et, à dire vrai, l’Etat défendeur n’a même

pas été capable de démontrer qu’un seul soldat s oudanais ait été présent au Congo, pas plus qu’il

n’a été capable de démontrer avoir fait prisonnier un seul de ces soldats.

30. Ceci m’amène à une deuxième remarque, qui renvoie une fois encore à la chronologie

des événements. L’agression du Congo par l’Ouganda a commencé au début du mois d’août 1998.

A partir de cette date, le Gouve rnement congolais était en droit de demander et de recevoir un

appui de la part d’autres Etats. L’Ouganda est donc particulièrement malv enu de lui reprocher un

fait qui, non seulement n’est pas avéré mais, même s’il l’était, ne changerait absolument rien à la

situation juridique. De quel droit l’Ouganda peut-il non seulement envahir le Congo, mais aussi lui

dénier le droit de se défendre, y compris en appelant d’autres Etats à l’aide pour repousser

l’agression ?

31. La Partie ougandaise réplique que s on intervention militaire n’a commencé qu’à la

mi-septembre, soit après que des troupes soudanaises aient pénétré en territoire congolais. Mais,

même si cette version des faits était avérée ⎯ ce qui n’est nullement le cas, comme je viens de le

signaler ⎯, cela ne changerait absolument rien sur le plan juridique. En droit international, rien

n’interdisait au Congo d’autoriser des troupes soudanaises à pénétrer sur son territoire, en temps de

paix comme en temps de guerre. L’Ouganda ne peut se prétendre lésé, ni encore moins agressé,

par la simple présence de troupes soudanaises en territoire congolais. Sa thèse de la légitime

défense ne pourrait être retenue que s’il était étab li que des attaques armées ont été menées par le - 41 -

Soudan avec la participation des autorités congolai ses, ou avec l’aide ou l’assistance de celles-ci.

Mais l’Ouganda ⎯on l’a vu ⎯ reste en défaut de démontrer l’existence d’une agression de ce

type.

B. La doctrine ougandaise de l’ «action préventive» est contraire à l’article 51 de la Charte

32. A ce sujet, le Congo ne peut que s’interroge r sur la teneur de l’argumentation juridique

ougandaise. A suivre l’Etat défendeur, il aurait été amené à intervenir non pour repousser une

agression armée soudanaise ou congolaise, mais pour éluder le risque que cette agression se

produise. Toujours selon les écritures ougandaises, s’il fallait s’emparer de toutes les localités du

nord et de l’est congolais, c’est pour prévenir ou dissuader une éventuelle attaque de l’armée

soudanaise contre l’Ouganda. J’ai d’ailleurs commencé cette plaidoirie par la citation de plusieurs

passages des écritures ougandaises, qui évoquent notamment une action destinée à « empêcher la

RDC et le Soudan [d’] utiliser [les aéroports] pour attaquer l’Ouganda» 9. L’Ouganda va d’ailleurs

jusqu’à prétendre ⎯ et je cite encore sa duplique ⎯ que les appels des autorités congolaises à un

retrait des troupes ougandaises «constituaient un acte hostile menaçant la sécurité de l’Ouganda» 98,

et qu’il ne pouvait tolérer la présence de troupes soudanaises dans des aéroports «qui auraient pu

être utilisés pour bombarder des cibles ougandaises» 99. L’Ouganda confirme encore plus loin qu’il

s’agissait d’« empêcher que l’est du Congo puisse être utilisé pour mener des attaques à son

100
encontre» . Même s’il n’ose pas l’assumer comme telle, l’Ouganda semble ainsi reprendre à son

compte les théories de l’«action préventive» ou «préemptive», qui ont pour objectif déclaré de

modifier radicalement les règles de la Charte des Nations Unies.

33. Et l’argumentation défendue par l’Ouganda permet précisément de montrer à quels excès

ce type de doctrine peut mener. Selon l’Ouganda , son action était destinée à empêcher l’armée

soudanaise d’utiliser des aéroports à son encontre, ce qui aurait justifié la conquête de villes

pourvues d’un aéroport telles Bunia, Beni, Isiro, Bu ta, Bumba, Lisala et Gbadolite. Ces localités

97
«[T]o prevent the DRC and Sudan from using them to attack Uganda…» (Duplique de l’Ouganda, p. 78,
par. 175; les italiques sont de la RDC.)
98«[W]as itself a hostile act that threatened Uganda’s security.» (Duplique de l’Ouganda, p. 47, par. 101.)

99«[A]irfields that could be used to bomb Ugandan targets.» (Duplique de l’Ouganda, p. 40, par. 86; les italiques
sont de la RDC.)

100«[P]reventing eastern Congo from being used as a base for atta cks against her.» (Duplique de l’Ouganda, p.
80, par. 178; les italiques sont de la RDC.) - 42 -

sont reproduites sur la carte qui est projetée derrière moi, carte que vous trouverez dans vos

dossiers de juges sous la cote n o 22. Monsieur le président, Ma dame et Messieurs de la Cour,

l’Ouganda n’a pourtant jamais dém ontré qu’une attaque avait été menée, était sur le point d’être

menée, ni même était projetée contre lui, à partir de l’une de ces localités. L’Ouganda admet

d’ailleurs que les troupes soudanaises ne se trouvaient pas dans ces villes, lorsqu’il affirme qu’il

n’avait «d’autre choix que de dépl oyer davantage de troupes afin de contrôler les aéroports et les

ports dans des points stratégiques dans l’est et le nord-est du Congo, avant que les Soudanais, les

Tchadiens, les FAC et leurs alliés puissent les occuper» 101. L’Ouganda en vient même à produire

une carte justifiant son invasion par la prise des «aéroports stratégiques en RDC qui rendaient

l’Ouganda «vulnérable à une attaque» en août-septembre 1998» 102. Vous pourrez vérifier l’intitulé

exact de cette carte en regardant derrière moi ou en consultant votre dossier de juges, sous la cote

no 23. Ces aéroports ont donc été effectivement attaqués et occupés parce qu’ils auraient rendu

l’Ouganda «vulnérable à une attaque»; «vulnérable à une attaque», je n’invente rien, ce sont les

termes mêmes utilisés par l’Ouganda pour présenter sa carte.

34. Monsieur le président, Madame et Messieu rs de la Cour, au vu de l’argumentation de

l’Etat défendeur, le Congo n’a plus qu’à se demander une chose: pourquoi l’armée ougandaise

s’est-elle arrêtée en si bon chemin ? Pourquoi l’UP DF n’a-t-elle pas attaqué l’ensemble des villes

o
reprises sur cette carte, que vous trouverez dans vos dossiers de juges, sous la cote n 24 ? Bumba,

Lisala, Gbadolite ⎯ que nous avons examinées tout à l’heure ⎯ mais aussi Lubumbashi, Kolwezi

ou … Kinshasa sont toutes pourvues d’un aéroport parfaitement opérationnel et qui, toujours selon

la théorie de l’action préventive telle qu’elle est défendue par la Partie ougandaise, pouvaient

constituer un «risque sérieux» pour la sécurité de l’Ouganda, et rendaient ce pays «vulnérable à une

attaque». Ces villes auraient donc pu être atta quées «avant que» des fo rces hostiles puissent les

utiliser !

35. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, jusqu’à preuve du contraire,

l’article 51 de la Charte n’a pas été amendé, et la doctrine de l’action «préventive» ou

101«[B]efore the Sudanese/Chadians/FAC and ot her allied forces could occupy them.» (Contre-mémoire de
l’Ouganda, p. 41, par. 52.)

102«[S]trategic airfields in the DRC from which Uganda wavulnerable to attack in August-September 1998.»
(Duplique de l’Ouganda, p. 80bis; les italiques sont de la RDC.) - 43 -

«préemptive», peu importe son nom, n’a pas été admise en droit international. La légitime défense

suppose toujours une «agression armée», comme la Cour l’a encore réaffirmé récemment dans

103
deux décisions, rendues respectivement en 2003 en matière contentieuse , et en 2004, en matière

104
consultative , des décisions que la République démocr atique du Congo demande aujourd’hui à la

Cour de confirmer. L’Ouganda doit bel et bien démontrer qu’il a été victime d’une agression

armée préalable de la part du Congo. Il ne lui suffit pas d’affirmer qu’il s’est senti menacé ou qu’il

était, pour reprendre une dernière fois ses propres termes, «vulnérable à une attaque».

36. D’ailleurs, et en définitive, le Congo a même toutes les raisons de douter que l’Ouganda

se soit sincèrement senti menacé par le Soudan. En octobre 1998, c’est en effet le Soudan, et non

l’Ouganda, qui saisit le Conseil de sécurité pour se plaindre d’une agression de la part des forces

armées ougandaises. C’est alors le Soudan, et non l’Ouganda, qui invoqua son droit à la légitime

défense et menaça de l’exercer 105. Quelle a, alors, été la réaction de l’Ouganda? Le ministre

ougandais des affaires étrangères répliqua au suje t d’une possible riposte du Soudan : «à mon avis,

cette menace est artificiell e; le Soudan n’a pas la capacité de la réaliser» 106. Voilà qui cadre, et

c’est un euphémisme, difficilement avec le scén ario de la crainte d’une «menace grave et

imminente» asséné aujourd’hui par la Partie ougandaise.

IV. L’absence de fondement de l’argument de la légitime défense est confirmé par le
comportement de l’Ouganda lui-même, qui ne l’a invoqué

que très tardivement

37. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, dans le quatrième et dernier

temps de mon exposé de ce matin, je voudrais poser une question hautement illustrative de la

faiblesse de la thèse ougandaise. Que fait un Etat qui subit une agression? A cette question

simple, on peut donner une réponse très simple également. Un Etat agressé proteste

immédiatement, et exige de l’Etat agresseur qu’il mette fin à l’agression. L’Etat agressé invoque

103
Affaire des Plates-formes pétrolières, C.I.J. Recueil 2003, arrêt du 6 novembre 2003, p. 186, par. 51.
104Affaire des Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé , avis du
9 juillet 2004, par. 139.

105IRIN 516, 5 octobre 1998; réplique du Congo, annexe 108.

106«In my view that is an empty thr eat, and he has no capacity to do it.» (IRIN 518, 7 octobre 1998; réplique du
Congo, annexe 108.) - 44 -

ensuite son droit de légitime défense et, conforméme nt à l’article 51 de la Charte, saisit le Conseil

de sécurité, en lui demandant de prendre des mesures appropriées, en application du chapitre VII.

38. C’est exactement ce schéma que le Congo a suivi, comme d’autres Etats agressés l’ont

fait avant lui, et comme d’autres l’ont fait après. Dès le début du mois d’août1998, le Congo

accuse en effet l’Ouganda d’agression, y compris au sein de l’ONU, et lui demande d’y mettre

fin107. Le Congo exerce aussitôt son droit de légitime défense et saisit le Conseil de sécurité pour

lui demander d’agir. Le Conseil reconnaît ensuite, comme je vous l’ai rappelé, le droit du Congo à

la légitime défense.

39. Maintenant, penchons-nous su r le comportement de l’Ouganda, qui affirme aujourd’hui

qu’il subissait une agression armée au mois d’août 1998, plusieurs semaines plus tôt, ou au mois de

septembre. L’Ouganda n’a pas accusé le Congo d’agression. Il ne lui a pas, par exemple, demandé

de cesser de mener des attaques, de se retirer de s on territoire, ou d’arrêter de s’impliquer dans les

activités de telle ou telle force irrégulière. Al ors même qu’il est lui-même accusé d’agression au

début du mois d’août 1998, sa première réacti on est de nier purement et simplement toute

108
implication dans le conflit . L’Ouganda n’écrit pas alors au Conseil de sécurité pour lui

demander de prendre des mesures conformément au chapitre VII de la Charte. Ce n’est que dans le

courant du mois de septembre que l’Ouganda commencera à formuler des critiques contre le Congo

⎯ des critiques ⎯, sans toutefois jamais accuser le Congo d’agression. La base juridique alors

invoquée par les responsables ougandais pour justif ier leur présence en territoire congolais n’est

pas la légitime défense, mais plutôt la préven tion d’un «génocide» ou de vagues «préoccupations

109
de sécurité» qui ne sont alors pas reliées à la légitime défense. En mars 1999, soit plus de six

mois après les faits, un haut responsable ougandais évoque pour la première fois l’article 51 de la

Charte des Nations Unies. Mais, en réalité, c’est pour justifier le soutien donné par l’Ouganda au

mouvement de Laurent-Désiré Kabila alors qu’il était en lutte contre le Gouvernement officiel du

Zaïre, en 1997, et non pour expliquer sa positi on dans le conflit qui a éclaté en août 1998 110. Ce

107Réplique du Congo, p. 173-174, par. 3.58 et mémoire du Congo, annexe 27.
108
Réplique du Congo, p. 174-178, par. 3.58-3.67.
109Ibid., annexe 16.

110Contre-mémoire de l’Ouganda, annexe 42, p. 14-17. - 45 -

n’est finalement que dans le cadre de la présente procédure que, pour la première fois, la thèse de la

légitime défense sera explicitement et clairement énoncée par l’Etat défendeur.

40. Monsieur le président, Madame et M essieurs de la Cour, les faits parlent ici

d’eux-mêmes. L’Ouganda ne s’est jamais com porté comme un Etat agressé, et ce pour une raison

bien simple. Non seulement il ne se sentait, ni n’était agressé, mais il savait pertinemment bien que

c’était lui qui était l’agresseur. Cela explique parfaitement qu’il ait d’abord choisi de nier toute

implication dans le conflit, en espérant que celui-ci aboutisse rapidement au renversement du

Gouvernement congolais. Ce n’est que lorsque cette position n’a plus été tenable qu’il a, peu à peu

et tant bien que mal, échafaudé le scénario d’une «légitime défense», bientôt agrémenté d’une

théorie du complot. Un scénario qui, on l’a vu, n’a jamais convaincu personne, et certainement pas

le Conseil de sécurité des Nations Unies qui s’est prononcé dans un sens exactement opposé,

comme nous l’avons vu.

41. La Partie ougandaise est pour le moins embarrassée par cet aspect du dossier. Aussi

feint-elle de ne pas en saisir la portée en affi rmant dans sa duplique que son silence persistant,

qu’elle ne nie donc pas, ne peut être assimilé à un «acquiescement» à l’agression armée dont elle

111
affirme soudain avoir été la victime . Mais, à ce stade de l’argumentation, le Congo n’invoque

nullement les théories de l’acquiescement. Il relè ve simplement, comme l’a énoncé la Cour dans

l’affaire Nicaragua pour traiter d’un problème similaire, que le comportement de l’Etat défendeur

«correspond fort mal à la conviction affichée par [lui ] d’agir dans le cadre de la légitime défense

telle qu’elle est consacrée par l’article 51 de la Charte» 112.

42. Finalement, Monsieur le président, le comportement de l’Ouganda atteste plutôt sa

conviction que le nord-est du Congo constitue pour lui une sorte d’«arrière-cour» ou d’«hinterland»

dans lequel il estime pouvoir se rendre quand et comme bon lui semble. En avril 2003, alors que le

retrait des troupes ougandaises était enfin anno ncé, après près de cinq années d’occupation

continue, le ministre ougandais des affaires étrangères déclarait d’ailleurs officiellement que «le

retrait de nos troupes de République démocratique du Congo ne signifie pas que nous n’y

111
Duplique de l’Ouganda, p. 115, par. 264.
112C.I.J. Recueil 1986, p. 121, par. 235. - 46 -

retournerons pas pour défendre notre sécurité» 11. Une déclaration qui en dit long sur la conception

de la «légitime défense» qui est celle de la Partie ougandaise, et qui nous renvoie à des temps qu’on

espérait révolus, où l’autoprotection permettait à tout Etat d’en attaquer un autre selon son bon

vouloir et son bon pouvoir.

43. Monsieur le président, Madame et Messieu rs de la Cour, je vous remercie pour toute

l’attention que vous avez bien voulu m’accorder, et vous prie de céder la parole au professeur

Pierre Klein afin qu’il poursuive l’argumentation du Congo en vous montrant que les conditions de

nécessité et de proportionnalité re quises pour pouvoir invoquer valabl ement la légitime défense ne

sont pas remplies en l’espèce.

The PRESIDENT: Thank you, Professor Corten. I now give the floor to Professor

Pierre Klein.

M. KLEIN :

L ES CONDITIONS DE NÉCESSITÉ ET DE PROPORTIONNALITÉ DE LA LÉGITIME DÉFENSE
NE SONT PAS REMPLIES

1. Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour, permettez-moi

avant toute chose de vous dire le très grand honne ur que j’éprouve à comparaître pour la première

fois devant la Cour dans sa composition plén ière. Je tiens par ailleurs à exprimer mes

remerciements à la République démocratique du Congo pour la confiance dont elle m’a honoré

dans le cadre du présent litige, qui soulève des questions d’une très grande importance, sur le plan

juridique comme sur le plan humain. Ainsi que la Cour vient de l’ente ndre, l’Ouganda prétend

avoir exercé un droit à la légitime défense en e nvahissant puis en occupant le territoire congolais

pendant près de cinqannées, pour réagir à ce qu’il désigne comme des «préoccupations de

sécurité» («security concerns»). Mon collègue Olivier Corten a expliqué, il y a un instant, que rien

ne permet d’établir que l’Ouganda ait été victime, de la part du Congo, d’une «agression armée» au

sens de l’article 51 de la Charte des Nations Unies. Pour ma part, j’exposerai à la Cour que l’Etat

11«Removal of troops from the DRC will not mean we sha ll not go back there to defend our security.» (AFP,

17 avril 2003.) - 47 -

défendeur reste aussi en défaut de prouver qu’il a satisfait aux autres conditions auxquelles le droit

international coutumier soumet l’exercice du droit de légitime défense.

2. La Cour a bien précisé dans son avis sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes

nucléaires que

«La soumission de l’exercice du droit de légitime défense aux conditions de
nécessité et de proportionnalité est une règle du droit international coutumier. Ainsi
que la Cour l’a déclaré dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique) , il existe «une

règle spécifique…bien établie en droit international coutumier» selon laquelle «la
légitime défense ne justifierait que des mesures proportionnées à l’agression armée
subie, et nécessaire pour y riposter» ( C.I.J. Recueil 1986, p.94, par.176). Cette

double condition s’applique également dan114e cas de l’article51 de la Charte, quels
que soient les moyens mis en Œuvre.»

Le rapport étroit entre le concept même de légitim e défense et les deux conditions de nécessité et

de proportionnalité a été très clairement mis en lumière par Roberto Ago, dans son dernier rapport

sur la responsabilité des Etats. Permettez-moi de le citer également :

«les exigences de «n écessité» et de «proportionnalité» de l’action menée en légitime
défense ne sont que les deux faces d’une mê me médaille. L’état de légitime défense

ne vaudra comme raison d’exclusion de l’illicéité du comportement d’un Etat que si ce
dernier ne pouvait pas atteindre le résu ltat visé par un comportement différent,
n’impliquant aucun emploi de la force armée ou pouvant se réduire à un emploi plus
115
restreint de la force.»

3. L’Ouganda aurait pu, dans notre affaire, adopter un comportement différent que

l’invasion, puis l’occupation, d’une partie très significative du territoire congolais pendant

cinqannées, invasion et occupation qui se sont de plus accompagnées de nombreux pillages et

exactions. L’Ouganda n’a en l’occurrence resp ecté ni la condition de nécessité, ni celle de

proportionnalité exigées par le droit internati onal coutumier. J’aborderai ces deux critères

successivement, en commençant donc par celui de la nécessité.

I. L’Ouganda n’a pas respecté la condition de nécessité

4. Afin de pouvoir apprécier le comportement de l’Ouganda au regard de cette première

exigence, il convient avant tout de rappeler le sens du terme «nécessité». Le dictionnaire français

de référence, le Robert , définit ce mot comme suit: «caractère nécessaire d’une chose, d’une

114
C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 245, par. 41. Dans le même sens, voir l’opinion dissidente du juge Rosalyn Higgins,
ibid., p. 583.
115ACDI, 1980, vol. II, première partie, p. 67, par. 120. - 48 -

action». Et il définit «nécessaire» de la manièr e suivante: «se dit d’une condition, d’un moyen

dont la présence ou l’action rend seule possible une fin ou un effet». Le dictionnaire du

Vocabulaire juridique , de GérardCornu, désigne, sous le vocable «nécessaire», «ce qui est

116
impérieusement dicté par les circonstances» . Et le sens du terme est tout à fait identique en

langue anglaise. Selon le Concise Oxford Dictionary, «necessary» signifie «1. required to be done,

117
achieved, or present; needed. 2. Inevitable : a necessary consequence» . Toutes ces définitions,

comme la décision précitée de la Cour, ont un trait commun : le caractère d’exclusivité, le caractère

impérieux, indispensable, de la condition de nécessité. Et il faut rappeler à cet égard que le droit

international ne laisse qu’une latitude très limitée à l’Etat qui prétend avoir recouru à la force au

titre de la légitime défense lorsqu’il s’agit de se prononcer sur le caractère nécessaire de ce recours

à la force. La Cour l’a très clairement énoncé dans l’affaire des Plates-formes pétrolières ,

lorsqu’elle a souligné que «l’exigence que pose le droit international, selon laquelle les mesures

prises au nom de la légitime défense doivent avoir été nécessaires à cette fin, est rigoureuse et

objective, et ne laisse aucune place à une «certaine liberté d’appréciation»» 118.

4. Le comportement de l’Ouganda est loin de répondre à ce degré d’exigence. A supposer

même que l’Ouganda se soit réellement estimé me nacé aux mois d’août et septembre1998, cette

crainte ne conférait nullement à l’invasion, puis à l’occupation du territoire congolais un caractère

exclusif ou indispensable pour répondre à la préte ndue agression. Force est d’ailleurs de constater

que l’Etat défendeur a, d’une part, laissé planer le doute sur ses objectifs et, d’autre part, n’a pas

épuisé les voies pacifiques de règlement du litige qui l’opposait au Congo avant de recourir à la

force.

A. L’Ouganda laisse planer le doute sur les objectifs poursuivis par son intervention militaire

5. Le critère de nécessité implique d’abord ⎯ et ceci n’a pas été contesté par l’Ouganda ⎯

que le but de la légitime défense soit de «repousser une agression et d’empêcher sa réussite et rien

d’autre» 119. La nécessité ne peut en effet, par définition, être envisagée que par rapport à un

116 e
6 éd., PUF, Paris, 1987, p. 549.
117 e
10 éd., OUP, 1999, p. 953.
118C.I.J. Recueil 2003, arrêt du 6 novembre 2003, p. 196, par. 73.

119ACDI, 1980, vol. II, première partie, p. 67, par. 67. - 49 -

objectif donné. Et cet objectif ne peut être, conformément à l’article 51 de la Charte, que la riposte

à une «agression armée».

6. Pour contourner cette exigence, l’Ouganda a fait planer le doute sur les objectifs de son

action. Comme le Congo l’a montré dans ses écritures, citations à l’appui, les autorités

ougandaises ont elles-mêmes avancé plusieurs justifi cations qui vont bien au-delà de la riposte à

une agression armée 120. En substance, elles ont prétendu que leur intervention au Congo serait

motivée, d’une part, par le rétablissement ou le maintien de la sécurité dans la région, et, d’autre

part, selon les termes mêmes du président Museveni, par «la prévention d’un génocide» 121.

7. Le premier de ces objectifs dépasse, et de loin, la riposte à une «agression armée» au sens

du droit international. Selon les termes des écr itures ougandaises, l’objectif de l’Ouganda a été

étendu au traitement de ses «préoccupations de sécurité», expression qui a visiblement été entendue

dans un sens très large. L’Etat défendeur expose ainsi : «Face à la menace accrue de déstabilisation

de l’Ouganda, en particulier par le Soudan, u tilisant le territoire congolais comme il l’avait fait

122
auparavant, l’Ouganda a déployé des forces supplémentaires pour contrer cette menace .» On

assiste là à un glissement sémantique qui change les données du droit international positif. La

nécessité n’est plus liée, dans cette vision, à l’objectif de la riposte à une agression armée, mais à

un objectif beaucoup plus évanescent, celui de la prévention d’une menace. Le professeur Corten a

cité tout à l’heure d’autres déclarations de cet ordre, qui montrent comment la Partie ougandaise en

vient à se rallier aux doctrines de l’«action pr éventive», voire «préemptive», visant non à

repousser une agression mais à écarter une «menace» aux contours largement indéfinis. Il est clair

que l’Ouganda a voulu, dans notre affaire, s’a ttribuer des pouvoirs régionaux de police et de

maintien de la paix, sans jamais y avoir été autorisé par le Conseil de sécurité. C’est là un

comportement qui, quoi que l’on puisse en penser par ailleurs, est loin de correspondre à

l’institution de la légitime défense telle qu’elle existe dans le droit international contemporain.

120
Réplique du Congo, p. 232-235, par. 3.162-3.164.
121Ibid., annexe 16.

122«Against the perceived threat of increased destabil isation of Uganda especia lly by Sudan using Congolese
territory as it had previously done, Uganda deployed additional forcto counter this threat. » (Contre-mémoire de
l’Ouganda, p. 40-41, par. 52; les italiques sont de la RDC.) - 50 -

8. A fortiori en va-t-il ainsi du prétendu «droit d’intervention humanitaire» que le

présidentMuseveni a semblé un moment évoquer lorsqu’il a prétendu que l’Ouganda avait pour

objectif de «prévenir un génocide» dans la région. Un objectif qui, pour utiliser un euphémisme,

s’accommode difficilement des graves violations du droit humanitaire dont se sont rendues

coupables les forces armées ougandaises elles-mêm es, comme la République démocratique du

Congo le montrera de façon déta illée demain. Un objectif qui, en tout état de cause, n’a

absolument aucun rapport avec une riposte à une agression, qui est le propre de la légitime défense.

B. L’Ouganda n’a pas épuisé les voies pacifiques de règlement avant de recourir à la force

9. Mais admettons un instant, à titre d’hypo thèse, que l’objectif de l’Ouganda soit resté

limité à la riposte à une agression armée. Selon les travaux de la Commission du droit international

sur la responsabilité des Etats, la condition de nécessité posée par le droit international pour

justifier l’exercice du droit de légitime défense suppose aussi «une situation d’extrême urgence qui

ne laisse ni le temps, ni le moyen de s’adresser à d’autres instances, Conseil de sécurité y

123
compris» . Commentant cette exigence, RobertoAgo précisait que cette condition de nécessité

requiert que l’Etat concerné ait épuisé tous les autres moyens avant d’en arriver à recourir à la

124
force .

10. L’Ouganda n’a jamais, dans ses écritures, remis en cause ces critères juridiques. Il n’a

pourtant jamais saisi le Conseil de sécurité, ni avant ni pendant l’invasion et l’occupation du

Congo, pour exposer la situation de péril extr ême à laquelle il se serait trouvé confronté.

L’Ouganda n’a pas davantage invité le Conseil de sécurité à prendre des mesures nécessaires et

urgentes pour assurer le maintien de la paix et de la sécurité le long de sa frontière commune avec

le Congo. Pas plus ne s’est-il adressé au Con seil de sécurité pour que celui-ci autorise l’Etat

ougandais à envoyer ses troupes dans cette zone pour mettre fin aux activités de groupes armés

hostiles qui y opéraient, ou pour empêcher le génocide qui était prétendument sur le point d’être

commis.

123
Roberto Ago, additif au huitième ra pport sur la responsabilité des Etats, ACDI, 1980, vol. II, première partie,
p. 68, par. 123.
124Ibid., p. 67, par. 120. - 51 -

11. Sur le plan régional, l’Etat défendeur n’a pas non plus saisi en temps opportun les

organisations régionales africaines comme l’OUA ou la SADC. Il n’a pas davantage porté l’affaire

devant les chefs d’Etat de la région dans le cad re des nombreux sommets informels qui ont eu lieu

à l’époque. L’Ouganda n’a donc pas utilisé les forums appropriés pour tenter de trouver une

solution pacifique à ses préoccupations en matière de sécurité, démarche dont l’échec lui aurait

éventuellement permis d’utiliser la fo rce contre le Congo en dernier recours ⎯ à supposer,

toujours, l’agression établie.

12. Sur le plan bilatéral, enfin, l’Ouga nda n’a pas contacté les autorités congolaises pour

exposer ses griefs et proposer des solutions en vue de renforcer la sécurité le long de la frontière

commune. Comme la Partie ougandaise le souligne abondamment par ailleurs, il existait pourtant,

depuis la conclusion de l’accord du 27avril1998, un cadre juridique dans lequel pouvaient être

traités tous les problèmes de sécurité subsistant «le long de la frontière commune», pour reprendre

les termes mêmes de cet accord.

125
13. Dans ses écritures , l’Etat défendeur avoue d’ailleurs lui-même qu’il n’a émis aucune

protestation formelle à l’égard de la Répub lique démocratique du Congo avant le mois

d’octobre1998. C’est-à-dire, selon son propre aveu, après qu’il eût décl enché son intervention

militaire en territoire congolais. L’Ouganda ne prétend pas non plus avoir saisi une organisation

régionale ou le Conseil de sécurité pour se plaindre de l’«agression armée» dont il affirme

aujourd’hui avoir été la victime, et pour dema nder que des mesures appropriées soient adoptées

pour y mettre fin.

14. Dans ces conditions, il ne fait aucun dout e que la condition de nécessité n’a pas été

respectée par l’Ouganda.

15. L’Etat défendeur réplique qu’il importe, aux fins d’évaluer cette condition de nécessité,

de prendre en compte l’ensemble des circonstances qui prévalaient à l’époque 126. Mais c’est

précisément ce qu’a fait le Congo. Et la prise en compte des circonstances de l’époque montre très

clairement que le recours unilatéral à la force ne constituait nullement une mesure nécessaire de

légitime défense en août, ou même en septembre 1998. Peut-être l’Ouganda aurait-il pu expliquer

125
Duplique de l’Ouganda, p. 112, par. 256 et 258.
126Ibid., p. 121-122, par. 282-284. - 52 -

son refus d’épuiser les voies pacifiques de règlemen t par le fait qu’il était la victime d’un acte

d’agression soudain, qui ne lui aurait laissé ni le c hoix des moyens ni le temps de la délibération,

pour reprendre une formule célèbre. Mais, au cont raire, l’Etat défendeur se plaint non d’une

agression de ce type, mais d’une menace diffuse c ontre sa sécurité, qui s’était développée depuis

des mois, voire depuis plusieurs années 127. Dans ces circonstances, il est évident que les autorités

ougandaises étaient parfaitement à même de recourir aux modes pacifiques de règlement de leur

différend avec la République démocratique du Congo avant d’envisager l’option militaire.

16. A la lumière de tous ces éléments, on voit bien que l’Ouganda a assigné à l’invasion et à

l’occupation du Congo des objectifs tout autres que celui de repousser une agression armée dont il

aurait été victime de la part du Congo. L’Ouga nda n’a pas non plus démontré qu’il s’était trouvé

dans l’obligation d’agir d’urge nce et que les mesures militaires qu’il a prises contre le Congo

étaient les seules possibles. De ce fait, l’invasi on et l’occupation d’une partie très importante du

territoire congolais par l’Etat défendeur sortent du cadre de l’institution de la légitime défense et

sont contraires au droit international. Il en est d’autant plus ainsi que les mesures militaires prises

par l’Ouganda étaient manifestement disproportionné es au regard des circonstances de l’espèce, et

j’en viens ainsi à la seconde condition qui n’a pas été remplie par la Partie adverse.

II. L’Ouganda n’a pas respecté la condition de proportionnalité

17. Contrairement à la nécessité, le critère de proportionnalité est plus souple. Il établit un

rapport entre deux termes permettant de doser l’ampleur de la réaction par rapport à la gravité du

fait auquel elle répond. Mais il n’en reste pas moins que, face à une absence totale d’agression

armée en provenance du Congo, n’importe quelle «riposte» ougandaise ne pouvait être que

disproportionnée. Si on lie la proportionnalité à de vagues menaces, le concept de proportionnalité

se dissout; il perd toute signification. N’importe quelle riposte devient adéquate face à une menace

évanescente. Ceci montre que l’exigence de proportionnalité exclut par elle-même que le concept

de légitime défense soit étendu à une action préemptive, sauf à se dissoudre dans l’arbitraire de

qualifications unilatérales. Je reviendrai brièvement sur ce point à la fin de la présente plaidoirie.

Mais je voudrais tout d’abord m’ attarder sur le fait que l’ampleur de l’occupation du territoire

127
Contre-mémoire de l’Ouganda, vol. I, p. 25-43. - 53 -

congolais par l’Ouganda était totalement dispropor tionnée, de même que sur le fait que le soutien

apporté par l’Ouganda à plusieurs mouvements re belles congolais sortait manifestement du cadre

d’une mesure proportionnée de légitime défense.

A. Face à l’objectif de riposte à une agression armée, l’ampleur de l’occupation du territoire
congolais était totalement disproportionnée

18. Monsieur le président, Madame et Messieu rs de la Cour, permettez-moi d’attirer votre

attention sur cette carte. Au nord-est du Congo, vous pouvez voir, pointée par le marqueur laser, la

zone frontalière entre l’Ouganda et le Congo, dans laquelle existent depuis longtemps des

problèmes de sécurité. Et, colorée en rouge, la zone représentant les parties du territoire congolais

occupées par l’armée ougandaise. La simple comparaison de l’étendue de ces deux zones se passe

sans doute de commentaires. Mais j’aimerais toutefois insister à ce stade sur deux éléments.

19. En premier lieu, la profondeur de l’avancée de l’armée ougandaise à l’intérieur du

territoire congolais. Comme vous en trouverez l’illustration dans les dossiers de juges sous l’onglet

no25, l’Ouganda a envoyé ses troupes pour envahir et occuper les villes de Kisangani, située à

650kilomètres de sa frontière, de Bumba et de Lisala, situées respectivement à 900 et à

1050kilomètres de sa frontière, de Gbadolite, à 1120kilomètres de sa frontière, de Libenge, à

1350kilomètres de sa frontière, de Mobenzene à 1420 kilomètres de sa frontière, ou encore, c’est

le cas le plus extrême, la ville de Kitona, a ttaquée par des forces aéroportées ougandaises au début

du mois d’août 1998 et située à 2160 kilomètres de la frontière ougandaise. Il n’est sans doute pas

besoin d’insister beaucoup sur le fait que des actions militaires d’une telle envergure, menées par

l’Ouganda à de telles distances de sa frontière o ccidentale, sont manifestement disproportionnées

par rapport à l’objectif consistant à repousser la menace alléguée par l’Etat défendeur le «long de sa

frontière commune».

20. En deuxième lieu, l’étendue du territoire congolais occupé par l’armée ougandaise. A ce

sujet, on l’a déjà dit hier, l’Ouganda fait preuve d’une surprenante modestie en admettant qu’il n’a

occupé, en République démocratique du Congo, qu’un territoire à peu près égal à celui de

l’Allemagne 128 ⎯ ce qui, on en conviendra, est déjà en soi très appréciable. En réalité, le territoire

128
Duplique de l’Ouganda, vol. I, p. 8, par. 26 et p. 87, par. 199. - 54 -

occupé par l’Ouganda au Congo, comme le montre bien cette autre carte, qui figure dans les

o
dossiers des juges sous le n 26, représente presque le tiers de toute l’Europe occidentale. Le

territoire occupé s’étend sur trois provinces c ongolaises et couvre une superficie d’à peu près

900000kilomètres carrés, soit plus de vingt-d euxfois les Pays-Bas ou encore deux fois

l’Allemagne. Où est, dans ces cond itions, la proportionnalité entre le recours à la force opéré par

l’Ouganda et la prétendue agression dont il aurait été victime ? Cette absence de proportionnalité

pourrait d’ailleurs être établie sur d’autres bases encore. On pourrait ainsi se référer à cet égard aux

énormes dommages causés par l’invasion et l’o ccupation du Congo aux forces armées congolaises

et à l’infrastructure civile du pays. Comment pourrait-on prétendre qu’il existe la moindre

proportion entre ces dommages considérables et ceux qu’auraient subis les forces de l’UPDF ou les

infrastructures ougandaises à la suite d’actions armées prétendument menées en territoire

ougandais par des groupes rebelles à partir de la République démocratique du Congo? Cette

absence totale de proportionnalité est très clairement manifestée également par le soutien apporté

par l’Ouganda à plusieurs mouvements rebelles congolais.

B. Le soutien aux groupes irréguliers congolais sortait manifestement du cadre d’une mesure
proportionnée de légitime défense

21. En vue d’apprécier le caractère nécessaire et proportionné de l’action militaire entreprise

par l’Ouganda au Congo, on ne peut en effet passer sous silence le soutien apporté par l’Etat

défendeur à plusieurs mouvements rebelles congola is. Ce fut en particulier le cas pour le

Mouvement de libération du Congo (le MLC), dont l’ objectif clairement affirmé était de renverser

le régime du président Kabila ou, à défaut, d’obte nir un changement de l’ordre constitutionnel en

République démocratique du Congo. Comme mon collègue M eTshibangu Kalala a eu l’occasion

de le rappeler hier, l’Ouganda, après avoir longtemps nié son rôle dans la création et le

fonctionnement de ces groupes rebelles, a finalement été contraint de le reconnaître. La Cour

appréciera si le fait pour un Etat Membre de l’ONU de créer et de soutenir par tous les moyens

plusieurs mouvements rebelles en vue de changer l’ ordre constitutionnel dans un autre Etat peut

être considéré comme une mesure «nécessaire et proportionnée» de légitime défense. Pour la

République démocratique du Congo, il s’agit tout si mplement d’une intervention dans ses affaires - 55 -

intérieures qui est strictement prohibée par le droit international contemporain et qui ne présente

aucun rapport avec l’exercice d’un prétendu droit de légitime défense.

En dernier lieu, je voudrais revenir brièvement sur le fait que l’invocation de la légitime

défense à titre préemptif, qui semble parfois se retrouver dans les justifications avancées par

l’Ouganda, viderait complètement de son sens la notion de proportionnalité.

C. L’exigence de proportionnalité de la légitime défense perdrait tout son sens si l’on devait

admettre le concept d’action armée préemptive

22. On ne peut sur ce point qu’insister encore sur le danger d’inclure également les situations

de menace d’une attaque armée éventuelle, da ns les circonstances susceptibles de justifier

l’exercice du droit de légitime défense. Comment , en effet, concevoir alors la condition de

proportionnalité ? Ne doit-on mesurer la proportionnalité de la riposte que par rapport au sentiment

subjectif de l’Etat qui s’estime menacé? Cela ne reviendrait-il p as à ouvrir la porte aux abus de

toutes sortes, en donnant aux Etats la liberté d’ intervenir militairement où bon leur semble pour

faire face à une menace dont ils seraient les seuls à pouvoir définir les contours? Un tel

élargissement de la règle ne conduirait-il pas in évitablement à une anarchie presque sans limite,

dans la mesure où le plus fort pourrait toujours affirmer l’existence d’une menace venant du plus

faible et considérer qu’il a pris des mesure s militaires «nécessaires et proportionnées» pour

repousser cette menace? La meilleure preuve des risques de semblable désordre est précisément

fournie par l’action même de l’Ouganda au Congo. L’Etat défendeur a profité de l’effondrement

de l’armée et des forces armées congolaises et de la faiblesse de l’Etat congolais après la chute du

régime du maréchal Mobutu, pour envahir et o ccuper le Congo pendant près de cinqans en s’y

livrant à de très nombreux pillages et exactions. Et tout cela sous le couvert d’une prétendue

légitime défense préventive ou préemptive.

23. Monsieur le président, Madame et Messieu rs les Membres de la Cour, pour conclure

cette plaidoirie, je tiens à observer que la Répub lique démocratique du Congo, en tant qu’Etat

Membre des Nations Unies, est profondément atta chée au respect des règles du droit international

régissant les relations amicales entre les Etats. Le Congo n’a jamais entrepris une agression armée

ni directement ni indirectement contre l’Ouganda, comme mon collègue Olivier Corten vient de le

démontrer ce matin. Dans ces circonstances, l’invasion, l’occupation prolongée du territoire - 56 -

congolais ainsi que d’autres actes hostiles perpét rés par l’Ouganda cont re la République

démocratique du Congo, sous le prétexte de repousser une agression armée, en l’espèce inexistante,

ne sauraient trouver leur justification dans l’exercice d’un quelconque droit de légitime défense. Il

en est d’autant moins ainsi que ces actes ne satis font en tout état de cause aucunement aux

conditions de nécessité et de proportionnalité auxquelles doit répondre la légitime défense pour être

valablement invoquée.

C’est sans aucun doute, parce qu’il est bien conscient de la faiblesse de son argumentation

sur la légitime défense, que l’Ouganda a également tenté de justifier sa présence militaire au Congo

par un second argument: l’existence d’un prétendu consentement des autorités congolaises. Le

professeur Olivier Corten reviendra demain matin sur ce dernier argument, et montrera son absence

totale de fondement. Pour l’heure, la présen te plaidoirie clôt l’argumentation orale de la

République démocratique du Congo de ce jour. Je remercie la Cour pour son attention.

The PRESIDENT: Thank you, Professor Klein.

Indeed, this brings to a close this morning' s hearings. The Court will resume the hearings

tomorrow morning at 10 o'clock.

The sitting is closed.

The Court rose at 1 p.m.

___________

Document Long Title

Public sitting held on Tuesday 12 April 2005, at 10 a.m., at the Peace Palace, President Shi presiding

Links