Public sitting held on Monday 7 March 2005, at 3 p.m.

Document Number
125-20050307-ORA-02-00-BI
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Number (Press Release, Order, etc)
2005/2
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C5/CR 2005/2

Cour internationale International Court
de Justice of Justice

LA HAYE THE HAGUE

ANNÉE 2005

Audience publique

tenue le lundi 7 mars 2005, à 15 heures, au Palais de la Paix,

sous la présidence de M. Ranjeva, président de la Chambre,

en l’affaire du Différend frontalier
(Bénin/Niger)

________________

COMPTE RENDU
________________

YEAR 2005

Public sitting

held on Monday 7 March 2005, at 3 p.m., at the Peace Palace,

Judge Ranjeva, President of the Chamber, presiding,

in the case concerning the Frontier Dispute
(Benin/Niger)

____________________

VERBATIM RECORD
____________________ - 2 -

Présents Ranjeva, président de la Chambre
MM. Kooijmans
Abraham, juges
MM. Bedjaoui,
Bennouna, juges ad hoc

M. Couvreur, greffier

 - 3 -

Present: Judge Ranjeva, President of the Chamber
Judges Kooijmans
Abraham
Judges ad hoc Bedjaoui
Bennouna

Registrar Couvreur

 - 4 -

Le Gouvernement de la République du Bénin est représenté par :

M. Rogatien Biaou, ministre des affaires étrangères et de l’intégration africaine,

comme agent;

M. Dorothé C. Sossa, ministre de la justice, de la législation et des droits de l’homme,

comme coagent;

M. Euloge Hinvi, ambassadeur de la République du Bénin auprès des pays du Benelux,

comme agent adjoint;

M. Robert Dossou, ancien bâtonnier, doyen honoraire de la faculté de droit de l’Université
d’Abomey-Calavi,

M. Alain Pellet, professeur de droit à l’Université de Paris X-Nanterre, membre et ancien président
de la Commission du droit international,

M. Jean-Marc Thouvenin, professeur de droit à l’Université de Paris X-Nanterre, avocat au barreau
de Paris, associé au sein du cabinet Lysias,

M. Mathias Forteau, professeur de droit à l’Université Lille 2 et à l’Institut d’études politiques de
Lille,

comme conseils et avocats;

M. Francis Lokossa, directeur des affaires juridiques et des droits de l’homme du ministère des
affaires étrangères et de l’intégration africaine,

comme conseiller spécial;

M. François Noudegbessi, secrétaire permanent de la commission nationale de délimitation des
frontières,

M. Jean-Baptiste Monkotan, conseiller juridique du président de la République du Bénin,

M. Honoré D. Koukoui, secrétaire général du ministère de la justice, de la législation et des droits
de l’homme,

M. Jacques Migan, avocat au barreau de Cotonou, conseiller juridique du président de la
République du Bénin,

Mme Héloïse Bajer-Pellet, avocat au barreau de Paris, cabinet Lysias,

M. Luke Vidal, juriste, cabinet Lysias,

M. Daniel Müller, attaché temporaire d’enseignement et de recherches à l’Université de
Paris X-Nanterre, - 5 -

The Government of the Republic of Benin is represented by:

Mr. Rogatien Biaou, Minister for Foreign Affairs and African Integration,

as Agent;

Mr. Dorothé C. Sossa, Minister of Justice, Legislation and Human Rights,

as Co-Agent;

Mr. Euloge Hinvi, Ambassador of the Republic of Benin to the Benelux countries,

as Deputy Agent;

Mr. Robert Dossou, former Bâtonnier, Honorary Dean of the Law Faculty, University of
Abomey-Calavi

Mr. Alain Pellet, Professor of Law, University of Paris X-Nanterre, member and former Chairman
of the International Law Commission

Mr. Jean-Marc Thouvenin, Professor of Law, University of Paris X-Nanterre, Avocat at the Paris
Bar, member of the Lysias law firm,

Mr. Mathias Forteau, Professor of Law at the University of Lille 2 and at the Lille Institute of

Political Studies,

as Counsel and Advocates;

Mr. Francis Lokossa, Director of Legal Affairs and Human Rights, Ministry of Foreign Affairs and
African Integration,

as Special Adviser;

Mr. François Noudegbessi, Permanent Secretary, National Boundaries Commission,

Mr. Jean-Baptiste Monkotan, Legal Adviser to the President of the Republic of Benin,

Mr. Honoré D. Koukoui, Secretary General, Ministry of Justice, Legislation and Human Rights,

Mr. Jacques Migan, Avocat at the Cotonou Bar, Legal Adviser to the President of the Republic of
Benin,

Ms Héloïse Bajer-Pellet, Avocat at the Paris Bar, Lysias law firm,

Mr. Luke Vidal, Lawyer, Lysias law firm,

Mr. Daniel Müller, temporary Teaching and Research Assistant, University of Paris X-Nanterre, - 6 -

Mme Christine Terriat, chercheuse à l’Université Paris XI-Paris Sud,

M. Maxime Jean-Claude Hounyovi, économiste,

M. Edouard Roko, premier secrétaire de l’ambassade du Bénin auprès des pays du Benelux,

comme conseillers;

M. Pascal Lokovi, expert cartographe,

M. Clément C. Vodouhe, expert historien,

comme conseils et experts;

Mme Collette Tossouko, secrétaire à l’ambassade du Bénin auprès des pays du Benelux,

comme secrétaire.

Le Gouvernement de la République du Niger est représenté par :

Mme Aïchatou Mindaoudou, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de l’intégration
africaine,

comme agent;

M. Maty El Hadji Moussa, ministre de la justice, garde des sceaux,

comme coagent;

M. Souley Hassane, ministre de la défense nationale;

M. Mounkaïla Mody, ministre de l’intérieur et de la décentralisation;

M. Boukar Ary Maï Tanimoune, directeur des affaires juridiques et du contentieux au ministère des
affaires étrangères, de la coopération et de l’intégration africaine,

comme agent adjoint, conseiller juridique et coordonnateur;

M. Jean Salmon, professeur émérite de l’Université libre de Bruxelles,

comme conseil principal;

M. Maurice Kamto, professeur à l’Université de Yaoundé II,

M. Gérard Niyungeko, professeur à l’Université du Burundi, - 7 -

Ms Christine Terriat, Researcher, University of Paris XI-Paris Sud,

Mr. Maxime Jean-Claude Hounyovi, Economics,

Mr. Edouard Roko, First Secretary, Embassy of Benin to the Benelux countries,

as Advisers;

Mr. Pascal Lokovi, Cartographer,

Mr. Clément C. Vodouhe, Historian,

as Counsel and Experts;

Mr. Hervé A. Boni, Assistant to the Minister for Foreign Affairs and African Integration,

as Assistant;

Ms Collette Tossouko, Secretarial Assistant, Embassy of Benin to the Benelux countries,

as Secretary.

The Government of the Republic of Niger is represented by :

Ms Aïchatou Mindaoudou, Minister for Foreign Affairs, Co-operation and African Integration,

as Agent;

Mr. Maty El Hadji Moussa, Minister of Justice, Keeper of the Seals,

as Co-Agent;

Mr. Souley Hassane, Minister of National Defence,

Mr. Mounkaïla Mody, Minister of the Interior and Decentralization,

Mr. Boukar Ary Maï Tanimoune, Director of Legal Affairs and Litigation, Ministry of Foreign
Affairs, Co-operation and African Integration,

as Deputy Agent, Legal Adviser and Co-ordinator;

Mr. Jean Salmon, Professor Emeritus, Université libre de Bruxelles,

as Lead Counsel;

Mr. Maurice Kamto, Professor, University of Yaoundé II,

Mr. Gérard Niyungeko, Professor, University of Burundi, - 8 -

M. Amadou Tankoano, professeur à l’Université Abdou Moumouni de Niamey,

M. Pierre Klein, professeur à l’Université libre de Bruxelles,

comme conseils;

M. Sadé Elhadji Mahamane, conservateur en chef des bibliothèques et archives, membre de la
commission nationale des frontières,

M. Amadou Maouli Laminou, magistrat, chef de section au ministère de la justice,

M. Abdou Abarry, ambassadeur du Niger auprès du Royaume des Pays-Bas,

M. Abdelkader Dodo, hydrogéologue, maître assistant à la faculté des sciences de l’Université
Abdou Moumouni de Niamey,

M. Belko Garba, ingénieur géomètre principal, membre de la commission nationale des frontières,

M. M. Hamadou Mounkaïla, ingénieur géomètre principal, chef de service au secrétariat permanent
de la commission nationale des frontières,

M. Idrissa Y Maïga, conservateur en chef des bibliothèques et archives, directeur des archives

nationales, membre de la commission nationale des frontières,

M. Mahaman Laminou, directeur général de l’Institut géographique national du Niger, membre de
la commission nationale des frontières,

M. Mahamane Koraou, secrétaire permanent de la commission nationale des frontières,

M. Soumaye Poutia, magistrat, conseiller technique au cabinet du premier ministre,

Colonel Yayé Garba, secrétaire général du ministère de la défense nationale,

M. Moutari Laouali, gouverneur de la région de Dosso,

comme experts;

M. Emmanuel Klimis, assistant de recherche au centre de droit international de l’Université libre de

Bruxelles,

M. Boureima Diambeïdou, ingénieur géomètre principal,

M. Bachir Hamissou, assistant administratif,

M. Ouba Adamou, ingénieur géomètre principal, Institut géographique national du Niger,

comme assistants de recherche;

M. Salissou Mahamane, agent comptable,

M. Adboulsalam Nouri, secrétaire principal, - 9 -

Mr. Amadou Tankoano, Professor, Abdou Moumouni University, Niamey,

Mr. Pierre Klein, Professor, Université libre de Bruxelles,

as Counsel;

Mr. Sadé Elhadji Mahamane, Chief Curator of Libraries and Archives, member of the National
Boundaries Commission,

Mr. Amadou Maouli Laminou, magistrat, Head of Section at the Ministry of Justice,

Mr. Abdou Abarry, Ambassador of the Republic of Niger to the Kingdom of the Netherlands,

Mr. Abdelkader Dodo, Hydrogeologist, Lecturer at the Faculty of Sciences, Abdou Moumouni
University, Niamey,

Mr. Belko Garba, Chief Surveyor, member of the National Boundaries Commission,

Mr. M. Hamadou Mounkaïla, Chief Surveyor, Head of Department, Permanent Secretariat of the
National Boundaries Commission,

Mr. Idrissa Y Maïga, Chief Curator of Libraries and Archives, Director of National Archives,

member of the National Boundaries Commission,

Mr. Mahaman Laminou, Director-General of the National Geographical Institute of Niger, member
of the National Boundaries Commission,

Mr. Mahamane Koraou, Permanent Secretary to the National Boundaries Commission,

Mr. Soumaye Poutia, magistrat, Technical Adviser to the Prime Minister,

Colonel Yayé Garba, Secretary General of the Ministry for National Defence,

Mr. Moutari Laouali, Governor of the Dosso Region,

as Experts;

Mr. Emmanuel Klimis, Research Assistant at the Centre for International Law, Université libre de

Bruxelles,

Mr. Boureima Diambeïdou, Chief Surveyor,

Mr. Bachir Hamissou, Administrative Assistant,

Mr. Ouba Adamou, Chief Surveyor, National Geographic Institute of Niger,

as Research Assistants;

Mr. Salissou Mahamane, Accountant,

Mr. Adboulsalam Nouri, Principal Secretary, - 10 -

Mme Haoua Ibrahim, secrétaire,

M. Amadou Gagéré, agent administratif,

M. Amadou Tahirou, agent administratif,

M. Mamane Chamsou Maïgari, journaliste, directeur de la Voix du Sahel,

M. Goussama Saley Madougou, cameraman à la télévision nationale,

M. Ali Mousa, journaliste à l’agence nigérienne de presse,

M. Issoufou Guéro, journaliste,

comme personnel administratif et technique. - 11 -

Ms Haoua Ibrahim, Secretary,

Mr. Amadou Gagéré, Administrative Officer,

Mr. Amadou Tahirou, Administrative Officer,

Mr. Mamane Chamsou Maïgari, journalist, Director of Voix du Sahel,

Mr. Goussama Saley Madougou, cameraman for national television,

Mr. Ali Mousa, journalist with the Niger Press Agency,

Mr. Issoufou Guéro, journalist,

as Administrative and Technical Staff. - 12 -

Le PRESIDENT de la CHAMBRE : Veuillez vous asseoir. L’audience reprend, je donne la

parole à M. le professeur Thouvenin.

M. THOUVENIN : Merci, Monsieur le président.

II. LES MOTIFS AYANT CONDUIT LES ADMINISTRATEURS COLONIAUX À CONSACRER
LA LIMITE À LA RIVE GAUCHE

8.27. Monsieur le président, Messieurs les juges, j’ai montré avant la pause que les motifs

allégués par le Niger au soutien de la fixation de la limite à la ligne des sondages les plus profonds

sont erronés. J’en viens à la seconde partie de ma présentation, qui montrera d’abord les avantages

d’une limite à la rive (A), ensuite les raisons du choix de la rive gauche (B).

A. Les avantages de la limite à la rive

8.28. Le choix de la rive comme limite, pour séparer les territoires du Dahomey et du Niger,

présente deux avantages évidents, qui n’ont certainement pas été ignorés des administrateurs

coloniaux.

8.29. Le premier est la clarté. La limite à la rive ne laisse aucun doute sur l’attribution des

compétences sur les îles du fleuve. Des difficultés ont été rencontrées durant la période coloniale

sur ce point, alors même que, du point de vue de la France, qui se croyait partout chez elle dans ce

secteur, la question importait finalement peu. Dans un tel contexte, la solution de la limite à la rive

présente le mérite incontestable de neutraliser toutes les controverses auxquelles une limite au

chenal navigable, mal connu et instable, ne peut que conduire.

8.30. La clarté était sans doute une préoccupation de l’administration coloniale dans ce

secteur et on peut noter à titre d’illustration que l’arrêté du 20 mars 1902 constituant la limite entre

1
le premier et le troisième territoire sur la rive gauche du Niger attribue les îles du fleuve selon une

délimitation qui présente justement les qualités de clarté et de simplicité que ne peut offrir une

limite fixée à un chenal navigable mal connu et instable. L’article 3 de cet arrêté de 1902 répartit

1
Mémoire du Niger, annexe B.15.
2Ibid. - 13 -

les îles de part et d’autre d’une ligne simple, droite, qui traverse le fleuve et relie deux points

arbitrairement définis. On est bien loin des complications liées au principal chenal navigable.

8.31. Il n’est donc pas étonnant que ce soit ce même souci de simplicité qui ait généralement

animé les administrateurs coloniaux, notamment du Niger, qui se sont fréquemment référés,

s’agissant de la limite avec le Dahomey, à la solution d’une limite à la rive. La Partie nigérienne

peut bien soutenir que les diverses propositions de limite à la rive ont été repoussées au profit du

3
modus vivendi ; c’est manifestement inexact : la solution est bien une limite à la rive, comme l’a

constaté le gouverneur du Niger en 1954, et non celle du chenal principal évoqué par le modus

vivendi abandonné cette année là.

8.32. Le second avantage d’une limite à la rive est que cette dernière est de nature à être

connue des populations riveraines, alors qu’une limite au chenal demeurerait, pour ces dernières,

d’autant plus difficile à matérialiser que ledit chenal est instable. On imagine sans difficultés les

conflits qui ne manqueraient pas de naître au quotidien, par exemple entre pêcheurs des deux rives,

à partir d’une limite mal connue, mouvante, et finalement mal définie.

B. Le choix de la rive gauche

8.33. Monsieur le président, s’agissant des motifs initiaux qui ont conduit l’administration

coloniale à fixer la limite précisément à la rive gauche, ces motifs renvoient aux circonstances de la

création, en 1900, du troisième territoire militaire. Ils ont déjà été expliqués par le

bâtonnier Dossou. Je n’y reviendrai donc pas.

8.34. J’ajouterai simplement que cette solution, confirmée sans ambiguïté en 1954, a

probablement été confortée par l’apparente solidité de la rive gauche qui, sur la majeure partie du

bief en litige, apparaît comme parfaitement apte à contenir les eaux du fleuve, contrairement à la

rive droite, notoirement marécageuse. Les sept photographies qui sont au dossier des juges

donnent une idée de cette situation contrastée. Elles ont été prises entre les 18 et 21 février 2005.

Elles sont un échantillon visuel des rives telles qu’on les voit du fleuve, selon une progression

d’amont en aval.

3
Réplique du Niger, p. 128, par. 3.10. - 14 -

8.35. La première photographie [photographie 1 – onglet n 8] a été prise en amont, entre

l’île de Boumba Barou Béri et Kouassi Barou. Ce qui frappe est la hauteur de la rive. L’échelle de

grandeur est donnée par les arbres que l’on voit sur la photographie. Ce qui est intéressant de

constater, c’est qu’il n’y a aucun paysage de nature identique sur la rive droite, qui offre

généralement un aspect plat.

8.36. La seconde photographie [photographie 2 – onglet n 8] montre justement la rive

béninoise dans la même zone, et on voit bien qu’elle n’offre aucune résistance aux hautes eaux, vue

sa faible hauteur. Je précise que les photographies ont été prises en février, ce qui n’est pas les très

basses eaux, mais qui correspond tout de même à la période des basses eaux.

o
8.37. La troisième image [photographie 3 – onglet n 8] a été prise en aval des points que

l’on vient d’évoquer entre les îles de Kouassi Goungou et de Sansan Goungou. Elle montre aussi

o
une rive gauche élevée. On peut la comparer [(photographie 4 – onglet n 8] à la rive droite dont

une photographie prise dans la même zone est maintenant projetée.

o
8.38. La cinquième photographie [photographie 5 – onglet n 8] montre à droite la rive

nigérienne, dont la hauteur contraste avec, à gauche, la rive béninoise. Nous sommes entre l’île de

Sini Goungou et Malanville et avons une vision d’aval vers l’amont.

o
8.39. Enfin, on peut projeter [(photographie 6 – onglet n 8] une photographie qui montre la

rive gauche en aval de Gaya, qui contraste là encore avec une image [(photographie 7 – onglet n 8] o

de la rive béninoise dans la même zone.

8.40. Ceci donne une bonne idée de l’ensemble de la rive gauche qui, par contraste avec la

rive droite, plus basse et rendue marécageuse du fait des affluents du fleuve qui la traversent,

apparaît comme un bien meilleur rempart face aux eaux du fleuve.

8.41. Monsieur le président, quatre constats peuvent conclure cette plaidoirie en deux

morceaux :

 premièrement, les administrateurs coloniaux n’ont jamais eu en tête de fixer la limite entre les

entités des deux rives du fleuve à son chenal navigable. La notion de principal chenal

navigable n’a été utilisée que comme une méthode temporaire de répartition des compétences

sur les îles; - 15 -

 deuxièmement, même utilisée comme méthode de répartition des îles, la référence au chenal

navigable est impraticable, vu l’instabilité du fleuve. Les hésitations du Niger sur le tracé qu’il

entend plaider en sont d’ailleurs une frappante illustration;

 troisièmement, la limite à la rive a toujours été considérée comme une solution adaptée à la

situation locale  situation caractérisée par le fait que la limite en cause était une limite interne

à l’AOF  qui justifie la recherche d’une solution claire et simple et apte à neutraliser toutes

les querelles;

 quatrièmement, la limite à la rive gauche, consacrée dès 1900 dans le contexte particulier de la

création du troisième territoire militaire, ne pouvait qu’être confirmée en 1954, au vu de la plus

grande stabilité de la rive gauche par rapport à la rive droite.

8.42. Je vous remercie, Monsieur le président, une fois encore, et vous demande de bien

vouloir appeler à la barre le professeur Pellet.

Le PRESIDENT de la CHAMBRE : Je vous remercie, Monsieur le professeur Thouvenin..

Monsieur le professeur Pellet, s’il vous plaît.

M. PELLET :

C. La réaffirmation de la limite à la rive gauche en 1954

9. La lettre du 27 août 1954 Circonstances et portée juridique

Monsieur le président, Messieurs les juges,

9.1. Au point où nous en sommes arrivés, la situation est la suivantes :

 dans un premier temps, la France, après son occupation de la région, avait confié

l’administration des deux rives du fleuve Niger à la colonie du Dahomey;

 en 1900 cependant, la rive gauche du fleuve en est détachée, l’arrêté du gouverneur général de

l’AOF du 23 juillet cette année établit le nouveau troisième territoire militaire «sur les [et sur

les seules] régions de la rive gauche du Niger»

4
Mémoire du Bénin, annexe 8. - 16 -

 bien qu’aucun nouveau texte ne fût intervenu, les administrateurs locaux ont, à partir de 1913

ou 1914, établi un modus vivendi prenant quelque liberté avec cette décision en se partageant

l’administration des îles du fleuve, en général selon le critère du chenal principal;

 ceci n’avait du reste pas empêché les administrations coloniales des deux rives, et, en

particulier, celles du Niger, de revendiquer une limite à la rive (droite en l’occurrence);

 les arrêtés généraux du 8 décembre 1934 et du 27 octobre 1938, qui indiquent que le cercle de

5
Kandi est limité «au nord-est par le cours du Niger jusqu’à son confluent avec la Mékrou» , ne

mettent pas fin aux incertitudes engendrées par le modus vivendi, l’expression «cours du

fleuve» n’a pas de signification précise  et d’autant moins, en l’occurrence, que les arrêtés en

question portaient «réorganisation des divisions territoriales de la colonie du Dahomey» et ne

concernaient nullement la délimitation des deux colonies.

9.2. C’est dans ces conditions qu’intervient la lettre du gouverneur du Niger du

27 août 1954, dont le texte figure dans le dossier des juges sous l’onglet 9.

9.3. La Partie nigérienne n’aime pas cette lettre dont elle a constamment cherché, sinon à

dissimuler l’existence, du moins à minimiser l’importance  alors même qu’elle avait été au

centre des discussions entre les Parties depuis l’indépendance : 6

 il faut bien chercher dans le mémoire du Niger pour l’y trouver; elle n’apparaît dans le titre

d’aucune subdivision et les quatre petites pages qu’il lui consacre  et qui ne sont exemptes ni

7
d’approximations ni d’ambiguïtés  se gardent, de façon fort significative d’en citer le texte ;

 le Niger est plus prolixe sur la lettre de 1954 dans son contre-mémoire qui s’efforce d’en

minimiser la portée et de vous enfermer, Messieurs de la Cour, dans un dilemme : il faudrait

que cette lettre soit ou bien déclaratoire, ou bien constitutive d’un titre et elle ne serait ni l’un,

ni l’autre;

5
Mémoire du Bénin, annexes 41 et 48.
6
Voir ibid., annexes 83, 86, 88, 102 et suiv.
7 Mémoire du Niger, p. 111-114, par. 2.2.67-2.2.76.

8 Contre-mémoire du Niger, p. 58-86, par. 2.30-2.94. Voir mémoire du Bénin, p. 116-126, par. 5.04-5.42, et
p. 146-160, par. 6-09-6.42. - 17 -

9
 la réplique nigérienne reprend cette antienne et insiste sur trois points qui lui paraissent

décisifs.

9.4. Il s’agirait, premièrement, «simplement d’une correspondance interne à la colonie du

Niger», qui, deuxièmement, ne confirmerait aucun titre préexistant et ne pourrait en créer un

nouveau et, troisièmement, ne correspondrait pas aux prétentions du Bénin dans la présente affaire.

Je commenterai les deux premières de ces allégations durant les minutes qui viennent et mon

collègue et ami Mathias Forteau discutera la troisième cet après-midi.

I. Une correspondance interne à la colonie du Niger ?

9.5. Monsieur le président, la Partie nigérienne a une conception passablement étriquée de la

notion de «correspondance interne». Certes, il ne fait aucun doute que, si l’on considère la lettre du

27 août 1954 en elle-même, sans considération aucune du contexte dans lequel elle a été écrite, il

s’agit d’une «correspondance interne» : elle a été adressée par le gouverneur du Niger au chef de la

subdivision de Gaya, sous couvert du commandant de cercle de Dosso. Mais ce n’est assurément

pas la fin de la question.

9.6. Selon le Niger, «la séquence chronologique des échanges de correspondances entre les

10
autorités administratives concernées» commencerait le 23 juillet 1954 avec la lettre par laquelle le

chef de la subdivision de Gaya sollicitait du gouverneur du Niger «tous renseignements utiles sur

les îles du fleuve appartenant au Niger et au Dahomey» à la suite d’incidents résultant de la

perception du pacage sur les gardes du Dahomey «sur l’île faisant face à Gaya» . Il n’est pas sans

intérêt de relever en passant qu’à cette occasion, le commandant du cercle de Kandi avait fait valoir

12
que toutes les îles du fleuve appartenaient au Dahomey  autre preuve, s’il en est besoin, de la

fragilité et de l’incertitude du modus vivendi de 1914.

9.7. La lettre du 27 août 1954, qui tranche la question en rappelant que «toutes les îles du

fleuve situées dans [la] partie du fleuve [entre Bandofay et le Nigéria] font partie du Dahomey» du

9 P. 47-68, par. 1.53-1.94. Voir contre-mémoire du Bénin, p. 124-131, par. 2.237-2.262, et réplique du Bénin,
p. 38-76, par. 3.3-3.69.
10
Réplique du Niger, p. 49, par. 1.56.
11Contre-mémoire du Niger, annexe C.120.

12Ibid. - 18 -

fait que «la limite du territoire du Niger est constituée de la ligne des plus hautes eaux, côté rive

13
gauche du fleuve» , a donc à l’évidence pour objet de trancher un litige territorial entre les deux

colonies.

9.8. Ceci, du reste, est confirmé par les correspondances internes, au Dahomey cette fois-ci,

entre le commandant de cercle de Kandi et le gouverneur de la colonie. Car, sur la rive droite du

fleuve aussi on s’est préoccupé de l’appartenance de l’île litigieuse. Le commandant de cercle de

Kandi s’en était enquis le 17 juin 1954 par une lettre adressée au gouverneur. Cette lettre semble

er 14
perdue; mais on en connaît l’existence par la réponse de Porto-Novo du 1 juillet . Dans celle-ci,

le gouverneur du Dahomey, qui sait que la limite est fixée au «cours du fleuve», estime que ceci ne

résout pas le problème et il fait part de son intention de saisir le Niger de la question «pour me

permettre de régler une fois pour toutes … ce problème de délimitation de la frontière». Ce ne fut

pas nécessaire : entre-temps, la lettre du gouverneur du Niger du 27 août avait tranché la question.

9.9. A ce stade, nous sommes en présence de deux séries de correspondances que l’on peut,

si l’on veut, considérer comme internes à chacune des deux colonies :

 entre la subdivision de Gaya et le Gouvernement du Niger via le cercle de Dosso, d’une part;

 entre le cercle de Kandi et le Gouvernement du Dahomey, d’autre part.

Mais l’une comme l’autre de ces correspondances internes sont suscitées par le même

incident intercolonial et, surtout, elles posent toutes deux la question en termes de délimitation

15
(contrairement à ce que le Niger s’emploie à faire croire contre toute raison ), alors que les deux

administrations concernées ne pouvaient ignorer (et n’ignoraient pas) que la limite mentionnée

dans les arrêtés de 1934 et 1938 était le «cours du Niger» (la lettre de 1954 le rappelle du reste

expressément)  mais les deux administrations ont considéré, à bon droit, que ceci ne résolvait pas

la question.

9.10. Quand bien même il n’y aurait que cela  des correspondances purement internes,

celles-ci suffiraient à établir qu’à la veille des indépendances la France, puissance administrante,

considérait que la limite entre ses deux colonies était constituée par la rive gauche du fleuve Niger

13
Mémoire du Bénin, annexe 67.
14
Ibid., annexe 66.
15Voir par exemple Réplique du Niger, p. 51, par. 1.61. - 19 -

(et plus précisément  Mathias Forteau y reviendra tout à l’heure  à «la ligne des plus hautes

eaux»), renouant ainsi avec l’arrêté général du 23 juillet 1900 et précisant le sens de celui de 1938.

Ceci avait été la position du commandant de cercle de Kandi lors de l’incident de 1954. C’est

celle, catégorique, prise par le gouverneur du Niger dans sa lettre du 27 août.

9.11. Cette lettre de 1954 ne pouvait qu’engager le Niger, au même titre, mutatis mutandis

16
(et je dis bien : mutatis mutandis car le Niger, nous fait, sur ce point, une bien mauvaise querelle ),

au même titre que la déclaration d’un chef d’Etat par laquelle il entend se lier a «un effet

obligatoire» en droit international dès lors qu’elle est exprimée «publiquement», «même hors du

cadre de négociations internationales» . La Chambre de la Cour l’a rappelé dans les termes les

plus nets en 1986 dans l’affaire Burkina Faso/République du Mali : de telles déclarations

«concernant des situations de droit ou de fait», même «ne s’inscrivant pas dans le cadre de

négociations ou de pourparlers entre Etats, [ici entre colonies,] revêtent la forme d’actes

18
unilatéraux» qui sont obligatoires dans la mesure où leur auteur entend être lié par sa déclaration .

La ratio legis de cette jurisprudence s’impose à l’égard des actes des autorités coloniales dans le

cadre de l’uti possidetis. Elle garantit un minimum de sécurité juridique, et le principe de la bonne

foi impose que les personnes intéressées par de telles déclarations puissent compter sur leur

respect .9

9.12. Dans cette seule perspective, la lettre du gouverneur du Niger du 27 août 1954

constitue la preuve du tracé existant à l’époque dans l’esprit du gouverneur du Niger (qui coïncide

20
avec la perception qu’en avait le commandant de cercle de Kandi ) et cette position est opposable

à son auteur (qui engageait sa circonscription à cet égard); elle l’est à l’Etat souverain qui lui a

succédé, la République du Niger, dans le cadre de l’uti possidetis.

9.13. Mais, quoiqu’en pense la Partie nigérienne, il y a plus. Car cette lettre, suscitée par un

problème intercolonial, n’est pas restée confinée aux relations entre les administrateurs coloniaux

du Niger.

16Voir contre-mémoire du Niger, p. 84-85, par. 2.91; voir aussi réplique du Bénin, p. 66-67, par. 3.52-3.53.
17
Essais nucléaires, C.I.J. Recueil 1974, p. 267, par. 43 et p. 472, par. 46, arrêts du 20 décembre 1974.
18
Différend frontalier, C.I.J. Recueil 1986, p. 573, par. 39, arrêt du 22 décembre 1986.
19Essais nucléaires, C.I.J. Recueil 1974, p. 268, par. 46 et p. 473, par. 49, arrêt du 20 décembre 1974.

20Voir contre-mémoire du Niger, annexe C.120. - 20 -

9.14. Ici encore, nos amis nigériens invoquent la «chronologie» pour écarter le caractère

intercolonial des correspondances de l’année 1954; et il est exact que ce n’est «pas la lettre du

21
commandant de Kandi [du 9 septembre 1954 ] qui a provoqué celle du gouverneur par intérim du

Niger en date du 27 août 1954» ; le Bénin n’a du reste jamais écrit le contraire. Dans un premier

temps, je viens de le rappeler, les échanges sont internes à chacun des deux territoires. Mais, dans

un second temps, ils sont, si j’ose dire, «intercolonialisés» :

 après réception de la lettre du gouverneur du Dahomey, le commandant de cercle de Kandi

saisit son collègue de Dosso, le 9 septembre 1954 et le relance le 11 octobre ; 24

 celui-ci répond, le 27 octobre, en joignant la lettre du gouverneur du Niger (lettre qu’il pensait

avoir été envoyée à son homologue de Kandi «en communication», selon ses termes  ce qui

montre bien qu’il avait pleine conscience qu’il s’agissait d’un problème intercolonial) et il

constate que cette lettre «donne entière satisfaction au Dahomey» . Il est assez extravagant de

prétendre que cette lettre du 27 octobre «ne constitue en rien une réponse aux lettres du

26
commandant de cercle de Kandi des 9 septembre et 11 octobre 1954» alors qu’elle s’y réfère

expressément !;

 le 12 novembre, le commandant de cercle de Kandi envoie copie de cette correspondance (y

27
compris la lettre du gouverneur du Niger du 27 août) à Porto-Novo ; dans sa lettre de

transmission, il prend acte de ce que «toutes les îles du Fleuve en face du cercle de Kandi

appartiennent au Dahomey»;

 à son tour, le gouverneur du Dahomey réagit, par une lettre adressée le 11 décembre à son

collègue de Niamey, auquel il annonce son intention de «régler cette question sur le plan

28
formel» .

21
Mémoire du Niger, annexe C.59.
22 Réplique du Niger, p. 50, par. 1.57.

23 Mémoire du Niger, annexe C.59.

24 Mémoire du Niger, annexe C.60.

25 Mémoire du Bénin, annexe 68.
26
Réplique du Niger, p. 49, par. 1.56.
27
Mémoire du Bénin, annexe 69.
28
Ibid., annexe 70. - 21 -

9.15. Cette intention n’a pas été suivie d’effet car le Gouvernement du Niger, considérant

qu’il y avait «plus pressant» , n’a jamais répondu à cette lettre. Mais ceci n’est pas de nature à

diminuer la force probante de la lettre : dans son arrêt de 1986, la Chambre de la Cour qui s’est

prononcée dans l’affaire Burkina Fas/République du Mali, n’a pas considéré qu’elle était empêchée

de «tenir compte en droit du fait décrit par la lettre 191 CM2» sous prétexte qu’il s’agissait d’un

30
projet auquel aucune suite n’avait été donnée . Dans notre affaire, il s’agit ici non pas d’un projet,

mais d’une décision ferme et claire.

9.16. En tout cas, il faut beaucoup d’aplomb à nos contradicteurs pour voir dans les échanges

de lettres de 1954 une correspondance purement interne  et ce d’autant plus que les

administrations des deux rives s’y sont, par la suite, abondamment référées , contrairement aux

32
allégations martelées par le Niger . Celui-ci n’est pas mieux venu à prétendre que «la lettre

o
n 3722/APA ne peut être ni déclarative d’un titre, inexistant en l’occurrence, ni constitutive d’un

titre nouveau» . C’est à cette allégation que je vais m’attacher à présent.

II. La lettre du 27 août 1954, déclarative ou constitutive d’un titre ?

9.17. Monsieur le président, dans l’affaire qui nous occupe, le problème se posait ainsi

lorsque la lettre de 1954 a été écrite, suite à un incident concernant la compétence territoriale

respective des administrations coloniales du Dahomey et du Niger sur les îles du fleuve :

 l’arrêté général du 23 juillet 1900 avait détaché du Dahomey la rive gauche du Niger;

 les arrêtés généraux du 8 décembre 1934 et du 27 octobre 1938 avaient confirmé, sans autre

précision, que le cours du Niger constituait la limite entre les deux colonies;

 limite dont les administrations des deux rives s’accordaient à dénoncer le caractère imprécis.

9.18. Ces constatations suffisent, me semble-t-il, à montrer que la Partie nigérienne ne pose

pas bien le problème lorsqu’elle le pose en termes binaires : ou bien la lettre de 1954 est

déclarative, ou bien elle est constitutive d’un titre. En réalité, elle le précise pour répondre aux

29
Voir contre-mémoire du Niger, annexe C.128; voir aussi réplique du Bénin, p. 49, par. 3.24, et p. 63, par. 3.48.
30
Différend frontalier, C.I.J. Recueil 1986, p. 598, par. 83, arrêt du 22 décembre 1986.
31Voir réplique du Bénin, p. 49-59, par. 3.35-3.39.

32Cf. contre-mémoire du Niger, p. 74-82, par. 2.70-2.85.

33Réplique du Niger, p. 47. - 22 -

besoins révélés par des incidents locaux, en levant les ambiguïtés qui subsistaient visiblement dans

l’esprit des administrateurs concernés  dont il faut rappeler avec force qu’au moment de ces

incidents ils n’ignoraient nullement l’existence et le texte de l’arrêté général de 1938. Mais,

comme l’ont montré ce matin le bâtonnier Dossou et le professeur Forteau, ils ne considéraient pas,

et à juste titre, que la mention du «cours du Niger» réglait la question de la délimitation entre les

deux colonies.

9.19. La perplexité des administrateurs coloniaux, tant côté dahoméen que côté nigérien,

ressort des correspondances que j’ai mentionnées il y a quelques instants, lorsque j’ai remis la lettre

de 1954 dans son contexte :

 c’est évidemment parce qu’il ne sait que penser de l’affirmation du commandant de cercle de

Kandi selon laquelle «toutes les îles du fleuve appartiendraient au Dahomey» que le chef de la

subdivision de Gaya saisit le gouverneur du Niger le 23 juillet 1954 ; de son côté, très

loyalement, le commandant de Kandi avait d’ailleurs posé la question au gouverneur du

Dahomey le 17 juin dans le même esprit;

er
 dans sa réponse du 1 juillet, celui-ci relève que «les arrêtés ayant délimité la frontière entre

36
ces deux territoires sont muets sur la question» ;

 très explicitement, dans sa lettre du 11 décembre 1954 à son collègue du Niger, le même haut

o
fonctionnaire se réfère à l’arrêté général n 3578/APA du 27 octobre 1958 pour constater qu’il

37
ne fournit «aucune précision» au sujet des «limites communes du Dahomey et du Niger» ;

 comme le commandant de Kandi l’avait d’ailleurs déjà relevé dans sa lettre à celui de Dosso du

38
9 septembre .

9.20. Il n’est du reste pas indifférent de constater que nul n’avait jamais considéré que les

arrêtés de 1934 ou de 1938 avaient mis fin aux ambiguïtés créées par le modus vivendi de 1914 qui

avait laissé la question «en suspens», comme le reconnaissait le commandant de la subdivision de

34
Contre-mémoire du Niger, annexe C.120.
35Voir Mémoire du Bénin, annexe 66.

36Ibid.

37Ibid., annexe 70.
38
Mémoire du Niger, annexe C.59; réplique du Niger, p. 62, par. 3.46. - 23 -

39
Gaya dans la monographie de sa circonscription rédigée en 1917 . Cet «accord provisoire»

lui-même, s’il avait permis de désamorcer certaines contestations entre les administrations des deux

rives, n’avait du reste jamais été tenu comme établissant la limite entre les deux colonies. Le

rapport très fouillé de l’inspecteur-adjoint des colonies Cazaux sur le cercle du Moyen-Niger du

25 avril 1919, rédigé peu après, est très catégorique. Il décrit ainsi les «limites actuelles» de ce

40
cercle (qui deviendra celui de Kandi) : «au nord : le Niger avec les îles de Madécali et de Lété» .

Ce document fort intéressant, que le Bénin n’a retrouvé qu’in extremis à la fin de la rédaction de sa

réplique, confirme son interprétation de l’arrêté du 23 juillet 1900, que Robert Dossou a rappelé ce

matin.

9.21. Il est vrai que le Niger s’obstine à prétendre que cet arrêté «renvoie à une aire

41
géographique» et ne procède pas à une délimitation que, dès lors, selon lui, la lettre de 1954 ne

pourrait pas confirmer. Cette argumentation appelle plusieurs remarques :

 en premier lieu, la Partie nigérienne réintroduit ainsi la distinction artificielle entre attribution

et délimitation d’un territoire, distinction à laquelle, pourtant, la Chambre de la Cour a mis le

holà dans son arrêt de 1986 dans l’affaire Burkina Faso/République du Mali : «chaque

délimitation … a pour conséquence de répartir les parcelles limitrophes de part et d’autre de ce

tracé» ; réciproquement, l’attribution (ou la constitution) d’un territoire déterminé a pour

conséquence d’en établir les limites;

 du reste et en deuxième lieu, aussitôt après l’adoption de l’arrêté du 23 juillet 1900, le

commandant du troisième territoire militaire a, spontanément, interprété celui-ci comme

43
confinant son autorité à la rive gauche du Niger ;

 en troisième lieu, les arrêtés de 1934 et 1938 n’ont pas eu pour objet de délimiter le territoire

du Dahomey  pas davantage que celui de 1900 ne visait expressément à délimiter le

troisième territoire militaire (d’où est né le Niger); mais, alors que, s’agissant des arrêtés des

années 1930, ils ne visaient qu’à organiser ou réorganiser des circonscriptions territoriales

39Ibid., annexe C.32, p. 44.
40
Réplique du Niger, annexe 5; les italiques sont de nous.
41
Ibid., p. 54, par. 1.67-1.68.
42Arrêt du 22 décembre 1986, Différend frontalier, C.I.J. Recueil 1986, p. 563, par. 17.

43Réplique du Bénin, annexe 2. - 24 -

existantes, dans le cas de celui de 1900, il s’agissait de créer un nouveau territoire (et donc,

nécessairement, de le doter d’une limite, à partir de laquelle il allait se constituer);

 enfin et surtout, contrairement à ce que veut faire croire le Niger, il n’existe aucune

contradiction entre, d’une part, l’arrêté de 1900, qui crée le troisième territoire militaire sur la

rive gauche du Niger (retranchée ainsi du Dahomey), la dépêche du ministre des colonies du

44
7 septembre 1901 et les arrêtés de 1934 et 1938, qui fixent la limite entre les deux territoires

au cours du Niger, et, d’autre part, la lettre de 1954, qui précise que cette limite est fixée à «la

ligne des plus hautes eaux, côté rive gauche du fleuve».

9.22. En d’autres termes, quoiqu’en écrive la Partie nigérienne , l’arrêté de 1900 et la lettre

de 1954 «coïncident» parfaitement  la seconde précisant que «les régions de la rive gauche du

Niger» doivent s’entendre comme limitées par «la ligne des plus hautes eaux, côté rive gauche du

fleuve». Et ceci n’est nullement incompatible avec l’expression «le cours du fleuve». Le cours du

fleuve, dit l’arrêté de 1938, certes, mais où sur le fleuve ? A la ligne des plus hautes eaux, côté rive

gauche du Niger, répond la lettre de 1954, mettant ainsi fin «définitivement» à des incertitudes,

sources de nombreux incidents entre les populations, comme le reconnaissent :

 le commandant de cercle de Dosso dans sa lettre à celui de Kandi du 27 octobre 1954, qui

constate que la décision du gouverneur du Niger «donne satisfaction entière au Dahomey» et

46
qui évoque les mesures nécessaires à sa mise en oeuvre ;

 le commandant de cercle de Kandi fait de même, il écrit dans sa lettre du 12 novembre 1954 :

47
«la question de la propriété des îles du Niger, face au Dahomey, est définitivement réglée» et

il se montre d’accord avec son collègue de Dosso en ce qui concerne l’application concrète de

ce principe;

48
 le gouverneur du Dahomey approuve, lui aussi, les mesures transitoires envisagées ;

 et même le chef de la subdivision de Gaya, malgré sa répugnance à se plier à la décision du

49
gouverneur du Niger , indique, dans sa lettre du 20 juin 1955 au commandant de cercle de

44Mémoire du Niger, annexe C.4.
45
Réplique du Niger, p. 54, par. 1.67.
46
Mémoire du Bénin, annexe 68.
47Mémoire du Niger, annexe C.61; mémoire du Bénin, annexes 71 et 81.

48Mémoire du Bénin, annexe 70. - 25 -

Dosso, ne pas «vouloir soulever le moins du monde la question des limites» (qu’il reconnaît

50
ainsi réglée dans le sens contraire à la thèse qu’il soutenait) .

9.23. Sous réserve de la seule lettre de ce même administrateur en date du 6 juillet 1956 , 51

qui ne fait pas allusion à la lettre du gouverneur du Niger du 27 août 1954 et sur laquelle je dirai un

mot dans un instant, toutes les correspondances ultérieures relatives à la limite entre les deux

territoires font référence à la lettre de 1954, seul instrument considéré comme fixant précisément le

tracé de la limite entre les deux pays. Je n’y reviens pas : la réplique du Bénin le montre à

suffisance. Je me permets en particulier, Messieurs de la Cour, de vous renvoyer au

paragraphe 3.49 de la réplique du Bénin, qui effectue un recensement aussi complet que possible

des documents en la possession des Parties et pertinents à cet égard : il n’y en a pas moins de

52
onze…

9.24. Vous en conviendrez, Monsieur le président, il est pour le moins hasardeux d’affirmer,

comme le fait le Niger à la page 61 de sa réplique, que la lettre du gouverneur du Niger du

53
27 août 1954 «n’a pas été prise en compte par l’administration coloniale» . Il ne s’agit nullement

d’une «parenthèse ouverte malencontreusement par un gouverneur par intérim du Niger qui n’était

pas au fait des problèmes et des réalités du terrain et vite refermée par lui-même» . Du reste, les

cinq lettres qu’invoque la Partie nigérienne à l’appui de cette forte affirmation, loin de la conforter,

montrent au contraire que la lettre de 1954 a constitué, entre son adoption et les indépendances, la

référence constante des administrateurs coloniaux à tous les niveaux.

55
9.25. Les lettres du 20 juin 1955 et du 6 juillet 1956 sont adressées par le chef de la

subdivision de Gaya au commandant de cercle de Dosso. Dans la première, son auteur précise, je

l’ai dit, qu’il n’entend pas «soulever le moins du monde la question des limites»; en outre, il fait

état des difficultés liées à son application, montrant par là même que la solution de la lettre est

49
Contre-mémoire du Bénin, p. 128-130, par. 2.253-2.256 et réplique du Bénin, p. 51-53, par. 3.28-3.30.
50
Mémoire du Niger, annexe C.64.
51Ibid., annexe C.65.

52Réplique du Bénin, p. 45-59, par. 3.18-3.39.

53Réplique du Niger, p. 61, par. 1.84.

54Ibid., p. 64, par. 1.87.
55
Réplique du Niger, p. 62-63, par. 1.85-1.86; mémoire du Niger, annexes C.64 et C.65. - 26 -

effectivement mise en oeuvre. La seconde, la lettre du 6 juillet 1956, constitue, comme le Bénin l’a

56
montré dans sa réplique une tentative de remise en cause de la lettre de 1954, ce qui confirme

implicitement que celle-ci s’appliquait encore à cette date. Du reste, ni l’une ni l’autre de ces deux

lettres n’ont semblé convaincre les supérieurs hiérarchiques du chef de la subdivision de Gaya qui

n’y ont donné aucune suite.

9.26. Les trois autres lettres, qui, selon le Niger, prouveraient que «la pratique postérieure

n’a aucunement pris en compte la lettre du 27 août 1954» et qu’il accuse le Bénin de passer sous

57
silence , ne viennent pas davantage au soutien de sa thèse. Toutes trois, en date respectivement

des 12 novembre 1954 , 11 décembre 1954 59 et 12 juillet 1960 , qui émanent du commandant de

cercle de Kandi, du gouverneur du Dahomey et du commandant de cercle de Dosso, ont été

61
minutieusement analysées par la République du Bénin . Toutes trois se réfèrent à la lettre

de 1954, et à aucune autre délimitation. Et la lettre du commandant de cercle de Dosso du

12 juillet 1960 montre que, quand, à la veille des indépendances, la question des limites ressurgit,

du côté des autorités nigériennes, c’est encore à la seule lettre de 1954 que l’on renvoie. C’est que,

comme l’avait noté le commandant de cercle de Kandi dans sa lettre du 2 juillet 1960 relative aux

mêmes incidents (et sur laquelle le Niger est beaucoup plus discret), suite à la lettre de 1954, «les

62
choses ont marché sans incidents jusqu’en 1959» .

9.27. Il n’est pas douteux, Monsieur le président, qu’au moment des indépendances, la

solution retenue par la lettre de 1954, en harmonie avec les arrêtés de 1900 et de 1938, constituait,

aux yeux des administrateurs coloniaux des deux rives, la référence la plus précise dont ils

56
Voir réplique du Bénin, p. 53, par. 3.30, et p. 54-55, par. 3.34.
57
Réplique du Niger, p. 63-64, par. 1.86.
58 Mémoire du Niger, annexe C.61.

59 Ibid., annexe C.62.

60 Contre-mémoire du Niger, annexe C.144.
61
Voir notamment mémoire du Bénin, p. 151, par. 6.16; p. 154, par. 6.25; contre-mémoire du Bénin, p. 125-128,
par. 2.244-2.246 et 2.249 ou réplique du Bénin, p. 45-49, par. 3.19-3.23 et p. 56-57, par. 3.37.
62
Mémoire du Bénin, annexe 79. - 27 -

63
disposaient et faisant droit entre les Parties à tout le moins en tant que «moyen de preuve» du

tracé de leur frontière commune.

9.28. Le Niger pense pouvoir échapper à cette conclusion en affirmant que la lettre de 1954

serait «contraire au droit positif de l’époque» car le gouverneur du Niger n’aurait pas eu

64
«compétence pour déterminer ou modifier les limites d’une colonie» . Mais l’explication qu’il

donne n’est guère convaincante, et à bien des égards, elle est contradictoire.

9.29. Selon la Partie nigérienne, la compétence en matière de fixation des limites des

65
colonies relevait des autorités centrales, et d’elles seules . Mais elle est incapable de trouver le

moindre fondement étayant son affirmation, et la seule interprétation que le Niger est en mesure de

tirer du silence des textes coloniaux à cet égard, est de suggérer qu’une telle compétence des

66
autorités centrales leur aurait été reconnue de manière «implicite»  ce qui n’est d’ailleurs pas

faux; mais avec une importante nuance : «implicite» ne veut pas dire «exclusif». Nos amis

nigériens admettent du reste, sans craindre de se contredire, que les autorités locales disposaient

67
d’une compétence résiduelle «en cas de besoin»  c’est-à-dire en cas de silence ou d’imprécision

des textes applicables. En la présente occurrence, le texte le plus précis qui a pris position sur la

délimitation des territoires des deux colonies et émanant des autorités centrales est l’arrêté du

23 juillet 1900, qui fixe une limite à la rive gauche. La lettre du gouverneur du Niger de 1954 le

redit de la manière la plus explicite.

9.30. Il ne le pouvait pas, nous dit la Partie nigérienne, car le gouverneur du Niger aurait

négligé certaines règles de procédure «dont le non-respect entraînait nécessairement l’invalidité»

68
du texte adopté . La confusion est sur ce point totale. En admettant que ces règles soient

applicables en l’espèce (ce qui n’est pas le cas 69), en droit administratif français, un acte ne devient

63
Voir Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 564, par. 18; voir
aussi Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras; Nicaragua (intervenant)), arrêt,
C.I.J. Recueil 1992, p. 388-389.
64
Réplique du Niger, p. 61, par. 1.84.
65 Ibid., p. 56-61, par. 1.73-1.83.

66 Voir ibid., p. 58, par. 1.77-1.79; p. 60, par. 1.81-1.82.

67 Ibid., p. 61, par. 1.83.

68 Ibid.
69
Voir réplique du Bénin, p. 69-76, par. 3.57-3.69. - 28 -

invalide que si sa nullité est prononcée par le juge. Tant que ce dernier ne se prononce pas en ce

70
sens, un acte est, en droit français, présumé valide et est donc applicable de plein droit .

9.31. Sans doute, le gouverneur général de l’AOF (mais pas le gouverneur du Niger) aurait-il

pu retenir une délimitation différente (notamment si le gouverneur du Dahomey avait contesté le

bien-fondé de la limite retenue), exactement de la même manière que, comme la Chambre de la

Cour l’avait admis dans l’affaire Burkina Faso/République du Mali, «le gouverneur général aurait

très bien pu changer d’avis» au sujet du projet de description de la limite entre la Haute-Volta et le

Soudan français figurant dans sa lettre 191 CM2 du 19 février 1935 . Mais, comme cette dernière

lettre (qui n’était pourtant qu’un projet), la lettre de 1954 n’a jamais été remise en cause après son

édiction, bien au contraire : la description, aussi simple que précise, de la limite à laquelle le

gouverneur du Niger avait procédé, a constitué la solution qui a prévalu jusqu’à la date des

indépendances.

9.32. La limite entre les deux territoires, qu’elle clarifie, s’impose donc à ce titre aux deux

Etats successeurs en vertu du principe de l’uti possidetis juris : à la veille des indépendances, la

limite entre les territoires du Dahomey et du Niger était fixée à la rive gauche du fleuve, et toutes

les îles de celui-ci relevaient du Dahomey.

Monsieur le président, Messieurs les juges, ceci conclut ma plaidoirie relative à la lettre

de 1954. Si vous le voulez bien, Monsieur le président, le professeur Mathias Forteau me

succédera à cette barre pour poursuivre l’examen des objections formulées par la Partie nigérienne

à l’encontre de cette lettre; plus précisément de l’objection selon laquelle la position du Bénin dans

la présente procédure serait incompatible avec les termes de la lettre. Merci, Monsieur le président.

Le PRESIDENT de la CHAMBRE : Je vous remercie, Monsieur le professeur. Monsieur le

professeur Forteau, si vous voulez bien venir à la barre. Vous avez la parole.

70Voir ibid., p. 81, par. 3.89.
71
Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 598, par. 83. - 29 -

M. FORTEAU : Merci, Monsieur le président.

I. LE SECTEUR DU FLEUVE N IGER

C. La réaffirmation de la fixation de la limite a la rive gauche en 1954

10. La lettre du gouverneur du Niger du 27 août 1954 correspond aux prétentions du Bénin

10.1. Monsieur le président, Messieurs les juges, comme vient de l’indiquer mon maître et

ami, le professeur Alain Pellet, il m’incombe, maintenant, de répondre à la troisième et dernière

assertion nigérienne relative à la prétendue absence de valeur probante de la lettre du gouverneur

du Niger du 27 août 1954, avant de récapituler, brièvement, l’ensemble des éléments pertinents qui

caractérisent cette lettre du point de vue juridique.

I. LE BÉNIN NE SERAIT PAS «EN MESURE DE RÉCONCILIER LA TENEUR DE SES REVENDICATIONS

ACTUELLES AVEC LE CONTENU DE LA LETTRE DU 27 AOÛT 1954»

10.2. La troisième objection formulée par la Partie nigérienne à l’encontre de la lettre

de 1954 tient à ce que le Bénin ne serait pas «en mesure de réconcilier la teneur de ses

72
revendications actuelles avec le contenu de [cette] lettre» ; en effet, selon le Niger toujours, «les

prétentions formulées par le Bénin dans le cadre de la présente instance s’éloigne[raie]nt

73
considérablement des termes de la lettre de Raynier du 27 août 1954» . On perçoit très

difficilement, à vrai dire, comment il pourrait en être ainsi. Dès lors que la lettre de 1954 établit

clairement une limite à la rive gauche du fleuve et attribue en conséquence toutes les îles au

Dahomey, il paraît tout à fait sensé d’y voir la preuve que la frontière est établie à la rive gauche du

fleuve, et non à son chenal. Le Niger considère malgré tout qu’il existerait une «discordance» entre

la prétention béninoise et la lettre de 1954, et cela pour deux raisons principales

A. La référence à la ligne des plus hautes eaux, côté rive gauche du fleuve

10.3. La première de ces deux raisons tiendrait à ce que la lettre de 1954 fait référence à une

«limite à la ligne des plus hautes eaux, côté rive gauche», alors que le Bénin revendique «une

72
Réplique du Niger, p. 65, sous-section D.
73
Ibid., p. 65, par. 1.88.
74Ibid. - 30 -

75
frontière à la rive gauche du fleuve» . Le Niger reprend à cet égard dans sa réplique, sans apporter

le moindre élément nouveau, un argument déjà développé dans son contre-mémoire , au terme 76

duquel il faudrait comprendre l’expression «ligne des plus hautes eaux» comme visant la ligne

d’inondation, sur la rive gauche du fleuve. Les formules «ligne des plus hautes eaux» et «limite à

la rive» seraient donc, selon le Niger, «difficilement réconciliables» et, par ailleurs, la solution

77
retenue en 1954 serait «impossible à mettre en Œuvre en pratique» .

10.4. L’argument nigérien procède toutefois à cet égard d’une méthodologie des plus

critiquable. Le Niger soutient en effet que la limite retenue par la lettre de 1954 serait «aberrante»

et «déraisonnable», car elle conduirait à établir une limite terrestre en plein territoire nigérien; il n’y

aurait donc pas lieu, pour cette raison, de la retenir . Je montrerai dans un instant en quoi cette

interprétation n’est pas fondée. Mais, quoi qu’il en soit de sa pertinence sur le fond, l’argument, en

lui-même, laisse perplexe : ce qui est déterminant, en vue de l’application du principe de l’uti

possidetis, ce n’est pas l’appréciation que le Niger peut porter sur le bien-fondé des solutions

retenues par les autorités coloniales, mais uniquement ces solutions elles-mêmes, qui, seules,

constituent le legs colonial. A suivre le Niger, il suffirait qu’un Etat juge «déraisonnable» ou

«aberrant» un traité frontalier conclu par lui, ou un acte unilatéral adopté par ses plus hautes

autorités, pour que ces actes juridiques ne trouvent pas à s’appliquer. C’est là une conception, vous

l’admettrez, plutôt curieuse du droit.

10.5. En tout état de cause, non seulement la référence à la «ligne des plus hautes eaux» ne

se concilie qu’avec une limite à la rive, à l’exclusion d’une limite fixée au chenal principal, ou à la

ligne médiane du fleuve, mais au surplus, cette référence n’a pas du tout la portée que lui donne le

Niger. Là encore, l’argumentation de nos contradicteurs repose sur une perspective biaisée. Leur

démonstration est tout entière fondée, en effet, sur une définition de l’expression «ligne des plus

hautes eaux» que le Niger ne justifie à aucun endroit de ses écritures et qu’il n’a, en réalité, forgée

79
que de manière à ce qu’elle puisse justifier sa position . Mais le Niger a beau affirmer à cet égard

75Ibid.
76
Contre-mémoire du Niger, p. 88 et suiv.
77
Réplique du Niger, p. 65, par. 1.88.
78Contre-mémoire du Niger, p. 87-88, par. 3.1.

79Ibid., p. 89, par. 3.3. - 31 -

80
que sa définition correspond au «sens courant de l’expression» , il ne le démontre en rien, et pour

cause, car sa définition diverge radicalement de celle généralement admise.

10.6. Comme le Bénin l’a expliqué en effet en détail dans sa réplique , le Niger entretient

volontairement une confusion entre, d’un côté, la ligne des plus hautes eaux, et, de l’autre, la ligne

d’inondation. Or, il s’agit, en fait comme en droit, de deux lignes d’une nature différente. La ligne

d’inondation vise celle formée par les eaux lors des crues exceptionnelles, tandis que «la ligne des

plus hautes eaux» mentionnée dans la lettre de 1954 vise, elle, la ligne des plus hautes eaux

observées durant la période annuelle des hautes eaux. Comme le conseil d’Etat français le rappelle

régulièrement, la ligne des plus hautes eaux concerne le «point où les plus hautes eaux peuvent

s’étendre en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles» . 82

10.7. Par ailleurs, la ligne des plus hautes eaux ne s’étend aucunement au-delà de la rive,

83
comme le prétend le Niger . Elle a toujours été entendue au contraire comme ne dépassant pas la

berge du cours d’eau. Le Bénin l’a amplement montré dans sa réplique, tel est le sens qui a été

84
couramment donné à l’expression dans la pratique coloniale , et telle est la définition qui en a

toujours été retenue en droit administratif français, en matière de délimitation du domaine public

fluvial . Les décrets de 1904 et 1928 portant organisation et réglementation du domaine public en

Afrique occidentale française distinguent ainsi clairement la ligne des plus hautes eaux de la ligne

d’inondation en disposant que la limite des cours d’eau domaniaux est fixée à «la hauteur des eaux

86
coulant à pleins bords avant de déborder» . Ces décrets apportent la même précision pour ce qui

87
concerne les lacs, étangs et lagunes domaniaux . L’ingénieur Beneyton ne dit pas autre chose dans

son rapport d’ensemble de 1931 lorsqu’il indique que, si à certains endroits, les «hautes eaux

80Ibid.
81
Réplique du Bénin, p. 159-165, par. 1.
82 o
Conseil d’Etat, 28 février 1994, Groupement foncier agricole des Combys, req. n 128887; les italiques sont de
nous; réplique du Bénin, p. 163-164, par. 5.18.

83Contre-mémoire du Niger, p. 93, par. 3.10.

84Réplique du Bénin, p. 161-163, par. 5.11-5.15.
85
Ibid., p. 163-164, par. 5.18.
86
Mémoire du Niger, annexe B.18bis, décret du 23 octobre 1904 portant organisation du domaine en AOF,
article 1 , alinéas b) et c); mémoire du Niger, annexe B.51, décret du 29 septembre 1928, portant réglementation du
domaine public et des servitudes d’utilité publique en AOF, article 1 , alinéas b) et c).

87Ibid., article 1 , alinéa d) de chaque décret. - 32 -

habituelles», c’est-à-dire «les plus hautes eaux navigables», ou les «plus hautes eaux» tout court,

lorsque ces plus hautes eaux «affleurent … les hautes berges», elles «restent» néanmoins «dans le

lit du fleuve» . La méthode de fixation de la ligne des plus hautes eaux confirme, enfin, qu’elle ne

s’étend pas au-delà de la rive puisque le conseil d’Etat français la localise à l’intersection d’un plan

parallèle à la surface du niveau des plus hautes eaux «avec les deux rives du cours d’eau» . 89

10.8. Au demeurant, la lettre de 1954 renvoie à une ligne située non pas sur la rive gauche du

90
fleuve, mais «côté rive gauche» du fleuve, ce qui confirme qu’il s’agit bien d’une limite à la rive ,

et non d’une limite terrestre. Cette même lettre, la lettre de 1954, indique dans le même sens que la

ligne des plus hautes eaux est une limite fluviale, puisqu’elle dispose expressément que cette ligne

ne fait que préciser la délimitation au «cours» du fleuve Niger et qu’elle conclut en faisant

référence à «cette partie du fleuve» pour viser la ligne des plus hautes eaux bornant le territoire du

Niger. Aucune des correspondances postérieures à 1954 n’a, enfin, considéré que la lettre de 1954

avait fixé une limite terrestre; bien au contraire, le commandant de cercle de Kandi l’interprète, par

exemple, le 7 mai 1956 comme octroyant au Dahomey uniquement le fleuve et ses îles, à

91
l’exclusion, donc, d’une partie du territoire terrestre de la colonie du Niger . La lettre de 1954

soutient donc parfaitement, sur ce point, la revendication du Bénin d’une limite à la rive gauche du

fleuve.

B. La référence à Bandofay

10.9. Le Niger pointe un deuxième élément de prétendue discordance entre cette lettre et la

prétention du Bénin. Cet élément résiderait dans le fait que la lettre de 1954 évoque la limite à la

rive gauche «entre la localité de Bandofay et la frontière du Nigeria», alors que «le Bénin

revendique une frontière à la rive gauche du Niger sur l’ensemble du bief fluvial frontalier» . Ce 92

deuxième argument se subdivise à son tour en plusieurs autres.

88
Mémoire du Bénin, annexe 40, p. 242.
89
Conseil d’Etat, arrêt du 28 février 1994 précité.
90Réplique du Bénin, p. 164, par. 5.19-5.20.

91Mémoire du Bénin, annexe 71.

92Réplique du Niger, p. 65, par. 1.88. - 33 -

10.10. Pour commencer, le Niger accuse le Bénin de ne pas expliquer pourquoi le

gouverneur du Niger ne s’est pas contenté, en 1954, de prendre position sur l’appartenance des îles,

mais «s’est prononcé également sur la limite interterritoriale de Bandofay à la frontière avec le

Nigéria» . Mais l’explication est fort simple. Si le gouverneur du Niger a pris position sur cette

limite, c’est parce que l’appartenance des îles en dépendait. La démarche du gouverneur est

parfaitement logique à cet égard : en réponse à la question de savoir à qui appartiennent les îles, il

répond en se référant à la limite à la rive gauche, pour en déduire qu’«en conséquence», toutes les

îles relèvent du territoire du Dahomey.

10.11. Le Niger exprime ensuite ses doutes en ce qui concerne les motifs de la référence à

94
Bandofay dans la lettre de 1954 . Là encore cependant, le fait que le gouverneur du Niger ait

limité sa réponse au seul secteur commençant à Bandofay trouve à s’expliquer. D’une part, la

question à laquelle il lui incombait de répondre émanait du chef de la subdivision de Gaya et ne

pouvait donc concerner que les îles situées dans son ressort territorial. Or, Bandofay se situe aux

confins de la subdivision de Gaya . D’autre part, à cette époque, il n’existait pas d’îles connues ou

du moins officiellement recensées en amont de la localité de Bandofay. Par conséquent, puisque le

gouverneur du Niger devait prendre position sur l’appartenance des îles, et de toutes les îles, pas

seulement de «l’île de Gaya», comme l’indique à tort le Niger dans sa réplique , il était logique

qu’il limite sa réponse au seul secteur du fleuve dans lequel celles-ci se trouvaient . 97

10.12. Le Niger avance alors une dernière objection : dans la mesure où le Bénin revendique

une limite à la rive gauche sur l’ensemble du secteur frontalier, le silence gardé par la lettre

de 1954 sur le segment allant de Bandofay au point de confluence du fleuve Niger et de la rivière

98
Mékrou enfermerait le Bénin dans une «impasse» en l’obligeant à «étendre» «le tracé de la

99
frontière à un secteur non expressément visé» par la lettre de 1954 . C’est là instruire, toutefois,

93
Ibid., p. 65-66, par. 1.90.
94 Ibid., p. 65-66, par. 1.89-1.90.

95 Mémoire du Bénin, p. 127, par. 5.44; et réplique du Bénin, p. 167, par. 5.27.

96 Réplique du Niger, p. 67, par. 1.93; mémoire du Bénin, annexe 67; contre-mémoire du Niger, annexe C.120.

97 Réplique du Bénin, p. 168-169, par. 5.28-5.30.
98
Réplique du Niger, p. 66, par. 1.91.
99
Ibid., p. 66, par. 1.92. - 34 -

un mauvais procès. Le Bénin ne prétend nullement «étendre» la limite. Sa seule intention est de

donner à la lettre de 1954 son interprétation la plus naturelle. A cet égard, plusieurs éléments

concourent à faire de la référence à la rive gauche du fleuve la délimitation pertinente pour

l’ensemble du secteur frontalier.

 Tout d’abord, si la lettre de 1954 se réfère à une limite à la rive gauche à partir de Bandofay, il

est à présumer, faute d’indications contraires, que c’est la même limite qui prévaut en amont.

Encore une fois, la référence à Bandofay s’explique par l’objet de la question posée au

gouverneur du Niger, et aucunement par le fait qu’il existerait un principe différent de

délimitation en amont et en aval de cette localité.

 D’ailleurs, et ensuite, il n’a jamais été question, dans toute l’histoire coloniale, de recourir à des

délimitations différentes dans ce secteur frontalier. L’uniformité a toujours prévalu, afin de

100
faciliter la gestion administrative de colonies qui relevaient d’un seul et même Etat . Plus

largement, d’ailleurs, le fleuve Niger a été réparti secteur par secteur entre les différentes

colonies qui jalonnent son cours depuis sa source, sans que jamais son chenal en partage la

101
possession en deux .

 La limite à la rive gauche s’impose d’autant plus facilement, en l’espèce, que l’arrêté de 1900,

avec lequel la lettre de 1954 renoue, avait retenu une limite à la rive gauche pour l’ensemble du

secteur frontalier.

10.13. Le dictum de la Cour permanente dans son avis du 21 novembre 1925 dans l’affaire

de l’Interprétation de l’article 3, paragraphe 2, du traité de Lausanne, est donc tout à fait pertinent

en la présente affaire. Les précisions données par le Niger dans sa réplique en ce qui concerne le

contexte de cet avis sont certes très intéressantes 102, mais elles n’enlèvent rien à la règle générale

d’interprétation dégagée par la Cour à cette occasion, et réaffirmée par votre haute juridiction dans

d’autres circonstances 103: il résulte, dit la Cour, «de la nature même d’une frontière et de toute

convention destinée à établir les frontières entre deux pays, qu’une frontière doit être une

100Réplique du Bénin, p. 33, par. 2.25-2.26.
101
Contre-mémoire du Bénin, p. 87, par. 2.136.
102
Réplique du Niger, p. 66-67, par. 1.92-1.93.
103Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, CIJ Recueil 1994, p. 23-24, par. 47. - 35 -

délimitation précise dans toute son étendue»; et «il est naturel», précise encore la Cour, «que tout

article destiné à fixer une frontière soit, si possible, interprété de telle sorte que, par son application

104
intégrale, une frontière précise, complète et définitive soit obtenue» .

Cette directive d’interprétation s’applique à la lettre de 1954 qui, si elle n’est certes pas un

105
traité , est un acte colonial adopté dans un contexte interterritorial qui s’applique en la présente

affaire en vertu du principe de l’uti possidetis. L’interprétation la plus naturelle de la lettre de 1954

conduit donc bien à faire de la ligne des plus hautes eaux, côté rive gauche du fleuve, la

délimitation de l’ensemble du secteur frontalier.

10.14. Par son contenu comme par sa portée juridique, la lettre du gouverneur du Niger

correspond donc bien, dans tous ses éléments, aux prétentions du Bénin. Aussi semble-t-il

nécessaire, Monsieur le président, d’en récapituler maintenant, brièvement, les traits essentiels du

point de vue juridique.

II. RÉCAPITULATION DES TRAITS ESSENTIELS QUI CARACTÉRISENT ,DU POINT DE VUE
JURIDIQUE ,LA LETTRE DU GOUVERNEUR DU N IGER DU 27 AOÛT 1954

10.15. Ceux-ci peuvent être synthétisés en neuf propositions.

1) Premièrement : la lettre de 1954 est imputable à une autorité de la colonie du Niger. Il y a là

une évidence, mais que la Partie nigérienne cherche parfois à contourner, en affirmant par

exemple que la lettre aurait créé un «sentiment de surprise» chez les autorités «des deux

colonies» .06 On comprend mal comment le gouverneur du Niger pouvait se surprendre

lui-même.

2) Deuxièmement : cette lettre a été adoptée non pas par une autorité subalterne de la colonie, mais

par sa plus haute autorité, le gouverneur de la colonie.

3) Troisièmement : celui-ci a agi en toute connaissance de cause, et non avec «légèreté» 107comme

l’affirme le Niger. Le gouverneur et ses services étaient informés en effet des enjeux de la

question qui leur était soumise et des effets que ne manquerait pas d’avoir leur réponse. La

10Série B, n 12, p. 20 (les italiques sont de la Cour); contre-mémoire du Bénin, p. 131, note 529.
105
Réplique du Niger, p. 67, par. 1.93.
10Ibid., p. 64, par. 1.87.

10Ibid., p. 67, par. 1.93. - 36 -

question du chef de la subdivision de Gaya à laquelle le gouverneur répond par la lettre de 1954

était très explicite en effet à cet égard.

4) Quatrièmement : le gouverneur du Niger a pris une position très claire en faveur de la limite à la

rive gauche et de l’attribution des îles en conséquence. Il a, plus précisément, pris position en

faveur d’une limite à la «ligne des plus hautes eaux, côté rive gauche», ce qui renvoie à une

limite à la rive, et non sur la rive.

5) Cinquièmement : cette position, loin de constituer, comme le dit le Niger, une simple

«parenthèse ouverte malencontreusement par un gouverneur par intérim du Niger qui n’était pas

au fait des problèmes et des réalités du terrain» , est en totale harmonie avec les textes

coloniaux qui l’ont précédée. La lettre de 1954 est compatible avec les arrêtés de 1934 et 1938,

puisque ceux-ci n’avaient pas pour objet de fixer la limite intercoloniale et que, par ailleurs, ils

n’ont fait référence que de manière très générale au cours du fleuve Niger pour définir la limite

du cercle de Kandi. Par ailleurs, la lettre de 1954 renoue avec l’arrêté de 1900, qui avait fixé la

limite à la rive gauche, en même temps qu’elle le précise. Ce faisant, elle lève définitivement

les ambiguïtés et les incertitudes qui s’étaient fait jour dans l’esprit des administrateurs locaux

des deux colonies.

6) Sixièmement : le gouverneur du Niger a pris position de manière publique, par le biais d’une

correspondance officielle, qui engage son autorité. La jurisprudence internationale relative à la

portée des actes unilatéraux trouve à s’appliquer ici, mutatis mutandis.

7) Septièmement : il en va d’autant plus naturellement ainsi que, contrairement à ce qu’affirme le

Niger, la lettre de 1954 s’inscrit dans le cadre d’une correspondance de nature intercoloniale.

Par ailleurs, elle a naturellement une portée intercoloniale, puisqu’elle statue, officiellement,

sur la délimitation du territoire du Niger par rapport à celui du Dahomey.

8) Huitièmement : aucun gouverneur du Niger, dans l’exercice de ses fonctions, n’est revenu,

après son adoption, sur la position prise dans la lettre de 1954, et les administrateurs du

Dahomey, y compris le gouverneur, ont pris acte de cette décision et en ont tiré les

conséquences.

108
Réplique du Niger, p. 64, par. 1.87. - 37 -

9) Neuvièmement, et dernièrement, la délimitation retenue par le gouverneur du Niger a constitué

l’unique solution à laquelle se sont référés les administrateurs coloniaux jusqu’aux

indépendances.

10.16. Sur la base de ces différents éléments, la délimitation retenue par la lettre de 1954 doit

faire droit en vertu du principe de l’uti possidetis, principe dont il convient de ne pas perdre de vue

la fonction essentielle. Comme vous l’avez souligné en 1986, le «maintien du statu quo territorial»

qui est au cŒur du principe constitue une «solution de sagesse», le «but évident» de ce dernier étant

«d’éviter que l’indépendance et la stabilité des nouveaux Etats ne soient mises en danger (…)» 109

par la contestation des limites qui existaient au moment des indépendances et qui étaient respectées

par les autorités coloniales concernées. La solution de la lettre de 1954 doit d’autant mieux

s’imposer, enfin, que les effectivités coloniales sur l’île de Lété confirment que l’île était

considérée, au moment des indépendances, comme relevant de la seule juridiction du Dahomey.

Mon collègue Jean-Marc Thouvenin le montrera maintenant, si vous voulez bien, Monsieur le

président, lui donner la parole. Je vous remercie, Monsieur le président, Messieurs les juges, de

votre attention.

Le PRESIDENT de la CHAMBRE : Je vous remercie, Monsieur le professeur. Monsieur le

professeur Thouvenin, si vous vous voulez bien. Je pense que vous pouvez raisonnablement

envisager d’achever votre plaidoirie sans avoir à vous préoccuper de la pause.

M. THOUVENIN : Merci, Monsieur le président. Je vais donc nous conduire vers la pause

avec une plaidoirie qui porte sur les effectivités.

109
Affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, CIJ Recueil 1986, p. 565, par. 20
et 22, et p. 567, par. 25. - 38 -

I. L E SECTEUR DU FLEUVE N IGER

B. L’absence de remise en cause de la limite à la rive gauche après 1900

11.L’administration de l’île de Lété par le Dahomey (les effectivités de 1954 à

l’indépendance)

11.1. Monsieur le président, Messieurs les juges, le bâtonnier Dossou a déjà traité des

effectivités fluviales; je me bornerai donc à celles que les Parties invoquent à propos de l’île

de Lété.

11.2. Sans doute les effectivités ne sont-elles pas un élément déterminant dans la présente

espèce. Elles l’auraient été en l’absence de titres juridiques mais, précisément, le Bénin dispose

d’un titre solide.

11.3. Face à ce titre, dont la substance tient, somme toute, en quelques phrases seulement, le

Niger présente un dossier d’effectivités. Il est assez volumineux, du moins d’un point de vue

quantitatif et c’est sans doute sur ce volume que le Niger compte pour emporter la conviction de la

110
Chambre quant à sa thèse. Le Niger parle, à propos de l’île de Lété, de son «dossier fourni» , ou

encore «étoffé» , qui serait à comparer avec «l’affligeante vacuité»  ce sont les termes du

112
Niger  de celui présenté par le Bénin .

11.4. La présentation est ingénieuse. Mais elle conduit le Niger à faire primer ce qu’il

113
présente comme étant des faits historiques, ou «une pratique administrative constante» , sur le

droit colonial. Or c’est exactement le contraire que consacre le droit international : «dans

l’éventualité où il existe un conflit entre effectivités et titre juridique, il y a lieu de préférer le titre»,

a clairement rappelé la Cour en 2002 dans l’affaire du Différend frontalier, insulaire et maritime

114
(Cameroun/Nigéria) , en faisant référence à l’arrêt fondateur rendu par la Chambre dans l’affaire

du Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), aux termes duquel :

«dans le cas où le fait ne correspond pas au droit, où le territoire objet du différend est
administré effectivement par un Etat autre que celui qui possède le titre juridique, il y
115
a lieu de préférer le titulaire du titre» .

110Réplique du Niger, p. 240, par. 4.39.
111
Ibid., p. 250, par. 4.44.
112
Ibid., p. 234, par. 4.32.
113Ibid., p. 132, par. 3.17.

114C.I.J. Recueil 2002, arrêt, p. 223.

115C.I.J. Recueil 1986, arrêt, p. 586-587, par. 63. - 39 -

11.5. Au demeurant, Monsieur le président, contrairement à ce qui ressort de la thèse

nigérienne, il n’y a, en la présente espèce, aucune contradiction entre titre et effectivités. Pour le

comprendre, il est nécessaire, s’agissant de l’île de Lété, de distinguer trois périodes, qui se

succèdent, entre le début du siècle dernier et la date des indépendances.

I. PREMIÈRE PÉRIODE : 1901-1914

11.6. La première période s’étend de 1901 à 1914. Elle se caractérise, je l’ai montré dans ma

précédente plaidoirie, comme étant celle de la naissance et de la diffusion des incertitudes quant à

la délimitation territoriale.

11.7. Cette période n’a pas été propice à la manifestation d’actes d’autorité par la colonie du

Dahomey ou le territoire militaire. D’ailleurs, le Niger n’a présenté aucun argument susceptible

d’emporter la moindre conséquence sur ce plan. Le Bénin s’en est expliqué dans sa réplique , et 116

je prie respectueusement la Chambre de bien vouloir s’y reporter. Mais il faut ajouter que la lettre
117
de l’administrateur de Gaya du 3 juillet 1914 prouve qu’à cette date aucune situation territoriale

dans les îles du fleuve n’était considérée comme acquise par les autorités du territoire militaire.

Si des effectivités avaient marqué un partage des îles, l’administrateur de Gaya n’aurait pas eu

besoin de rechercher un arrangement formel, afin, et je cite sa lettre, de «régler plus facilement les

différentes petites questions qui surgissent continuellement entre les populations». Du reste, sa

proposition de partage des îles ne repose pas sur le constat de situations acquises, mais sur

l’application d’un critère nouveau, celui du principal chenal navigable.

II. Deuxième période : 1914-1954

11.8. La deuxième période s’étend de 1914 à 1954. Elle peut apparaître assez dense du point

de vue des effectivités en raison de sa longueur. Il n’est donc pas étonnant que le matériau

documentaire présenté par le Niger comme preuve de son administration de l’île de Lété concerne

en quasi totalité cette période là.

11.9. Je ne vais pas commenter chacune des pièces abordées par le contre-mémoire du Niger,

d’autant que sa réplique n’y ajoute rien de nouveau. Ceci a déjà été fait dans la réplique du Bénin,

116Réplique du Bénin, p. 134-137, par. 4.84-4.91.
117
Mémoire du Bénin, annexe 28. - 40 -

laquelle a démontré que ces pièces se classaient en trois catégories, celles qui ne démontrent aucun

acte d’administration, celles qui ne démontrent aucun acte d’administration territoriale, et celles qui

118
sont manifestement dénuées de toute pertinence dans le cadre de la présente instance . Je prie

encore une fois la Chambre de bien vouloir s’y reporter.

11.10. J’ajouterai seulement que si, comme le Bénin l’a montré, lorsqu’on les prend un par

un, ces documents ne démontrent rien, ce n’est certainement pas le poids qu’ils représentent

lorsqu’on les consigne dans un volume d’annexes qui emportera davantage la conviction.

L’addition de nombreuses mauvaises preuves donnera sans aucun doute un gros dossier, mais ne

générera jamais un dossier convaincant . 119

11.11. Monsieur le président, au-delà de ces remarques, à supposer même que certains des

éléments présentés par le Niger soient susceptibles de révéler des effectivités, ce que je n’admettrai

ici que pour les besoins de la discussion, il leur manquerait l’essentiel pour valoir effectivités : à

savoir la conviction d’agir «de droit», si ce n’est «à titre de souverain».

11.12. En effet, telle n’a manifestement jamais été la conviction des administrateurs

coloniaux du Niger, entre 1914 et 1954. Durant cette période, c’est sur la seule base du

modus vivendi dont j’ai parlé ce matin que chacun a exercé ses attributions. Or, comme je l’ai

montré, ce modus vivendi postulait très clairement qu’il était provisoire, et qu’il ne pouvait servir

de référence que jusqu’à la fixation de la limite territoriale par un acte colonial, limite qui était

explicitement, dans l’attente d’un tel acte, considérée comme demeurant «en suspens».

11.13. Dès lors, dans la zone disputée, les administrateurs de l’une ou l’autre rive n’agissait

pas avec la conviction d’agir conformément au droit, mais sur la seule base d’un arrangement

connu pour être temporaire et appliqué uniquement dans l’attente de la fixation de la limite

territoriale.

11.14. Ces actes ne peuvent donc être révélateurs d’effectivités au sens du droit international.

Cette conclusion s’impose à la lecture de la récente jurisprudence de la Cour dans l’affaire de la

Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria que j’ai déjà citée. La Cour a jugé :

118Réplique du Bénin, p. 138-148, par. 4.97-4.121.
119
Ibid., p.18, par.0.15. - 41 -

«Le Nigéria n’aurait pu agir à titre de souverain avant la fin des années soixante-dix, dans la

120
mesure où il ne se considérait pas lui-même comme détenteur d’un titre sur Bakassi…»

11.15. Mutatis mutandis, puisqu’il ne saurait être ici question de souveraineté, il en va de

même s’agissant des autorités coloniales du Niger qui, entre 1914 et 1954, «ne se considéraient pas

comme détenteur d’un titre» sur la zone fluviale contestée, puisque comme en atteste le

modus vivendi, elles considéraient être en attente d’un titre colonial définissant la limite territoriale.

Messieurs les juges, on ne peut pas agir comme si l’on était détenteur d’un titre frontalier, et

admettre dans le même temps que la fixation de la frontière est «en suspens». Cela n’aurait aucun

sens.

11.16. Par contraste, comme je vais maintenant le montrer, les actes posés par le Bénin, à

partir de 1954 apparaissent comme d’authentiques effectivités.

III. TROISIEME PERIODE : 1954-1960

11.17. Monsieur le président, la dernière période utile aux fins de la discussion relative aux

effectivités s’ouvre en 1954 et s’achève aux indépendances. C’est à vrai dire la période clé. Car, et

les Parties en sont d’accord, «la situation en vigueur à la date la plus proche des indépendances

l’emporte» . Elle annonce les indépendances, tout comme le fameux «instantané» que consacre

l’uti possidetis. Sans doute, comme le Bénin l’a déjà souligné, les effectivités ne sont elles à

prendre en considération que de façon purement confirmative. Mais, en l’occurrence, après 1954,

pour citer à nouveau la Chambre de la Cour dans l’affaire du Différend frontalier : «le fait

correspond exactement au droit, où une administration effective s’ajoute à l’uti possidetis juris».

Ici, donc : «l’«effectivité» n’intervient en réalité que pour confirmer l’exercice du droit né d’un

titre juridique» .2

11.18. Le modus vivendi est clairement écarté en 1954. Les problèmes récurrents de

perception des droits de pacage, qui n’avaient d’ailleurs jamais pu être clairement résolus sur la

123
base du modus vivendi , deviennent alors trop importants, et suscitent l’intervention et du

120Arrêt du 10 octobre 2002, C.I.J. Recueil 2002, par. 224.
121
Réplique du Niger, p. 109, par. 2.79, citant et approuvant contre-mémoire du Bénin, p. 70, par. 2.94.
122
Arrêt du 22 décembre 1986, C.I.J. Recueil 1986, p. 586-587, par. 63.
123Réplique du Niger, annexe C.172. - 42 -

gouverneur du Dahomey 124 et de celui du Niger. Dès lors, le modus vivendi, déjà sérieusement

écorné, est officiellement et définitivement écarté : la lettre d’août 1954 fixe clairement la limite

territoriale à la ligne des plus hautes eaux, côté rive gauche. Le chef de la subdivision de Gaya en

125
prendra acte dans sa lettre du 20 juin 1955 adressée au commandant de cercle de Dosso .

11.19. A partir de là, d’authentiques effectivités peuvent être observées sur l’île de Lété.

Elles sont dahoméennes.

11.20. Ce ne sont pas les seules dont peut se prévaloir le Bénin. Je mentionne, pour

mémoire, qu’en 1919 l’inspecteur adjoint des colonies affirmait clairement l’appartenance de l’île

de Lété au Dahomey 12. Mais les effectivités postérieures à 1954 ont ceci de particulier qu’elles

traduisent une conviction, non seulement dahoméenne, mais partagée des deux côtés du fleuve, et

qui s’appuie sur un titre frontalier désormais dénué de la moindre incertitude. Les autorités

dahoméennes sont alors totalement convaincues que, lorsqu’elles administrent les îles et

notamment l’île de Lété, elles le font «de droit». Elles le sont d’autant plus que c’est la plus haute

autorité de la colonie du Niger qui l’a rappelé.

11.21. Du reste, les effectivités dahoméennes sont très clairement rattachées à la lettre

d’août 1954 : c’est immédiatement après cette lettre, et dans la perspective d’en tirer toutes les

conséquences, que le gouverneur du Dahomey marque son intention d’assurer la présence de sa

colonie sur les îles du fleuve. Sa lettre du 11 décembre 1954 au gouverneur du Niger en est une

parfaite illustration. Il prend acte de la lettre du 27 août, et garantit à son homologue du Niger qu’il

n’a, en tout état de cause, «pas l’intention de contester les droits coutumiers des habitants du Niger

sur certaines de ces îles, ni de soulever la question des installations que la subdivision de Gaya peut

avoir faite dans certaines d’entre elles» 12. L’animus en ressort très clairement : le Dahomey entend

exercer son autorité sur les îles, notamment celle de Lété, agissant «de droit», tout en marquant

d’avance une certaine souplesse à l’égard des établissements réalisés par Gaya.

124Voir la lettre du 11 décembre 1954 du gouverneur du Dahomey, adressée au gouverneur du Niger; mémoire du
Niger, annexe C.62.
125
Mémoire du Niger, annexe C.64. Voir sur ce point réplique du Bénin, p. 52, par. 3.29.
126
Réplique du Bénin, annexe 5.
127Mémoire du Niger, annexe C.62. - 43 -

11.22. La lettre du 23 janvier 1964 de Daguzay , qui fut administrateur de Kandi

en 1954-1955, confirme que la situation de terrain a immédiatement été conforme à cette intention.

Le Niger parle de cette lettre dans sa réplique. Elle serait, selon lui : «un bon exemple de la

faiblesse de la mémoire humaine», son auteur n’y énonçant que des «contre-vérités» . Encore un 129

faible d’esprit, donc, que le Niger classe dans la même catégorie de personnes que le gouverneur du

Niger, en 1954. On appréciera l’argument.

11.23. En réalité, Daguzay n’écrit pas autre chose que ce qu’il ne pouvait qu’observer depuis

Kandi, en 1954-1955, à savoir que : «le Territoire du Niger et les habitants de la subdivision de

Gaya considéraient bien que l’île de Lété appartenait au Dahomey», même si les habitants de Gaya

continuaient à «y faire paître leurs troupeaux». Cette description correspond très exactement à ce

qu’annonçaient les correspondances de 1954 entre les gouverneurs des deux rives. En outre,

en 1955, le chef de la subdivision de Gaya, avait effectivement pris acte de la lettre d’août 1954, et

130
soulignait ne pas «vouloir le moins du monde soulever la question des limites» . C’est sur cette

base que l’administration dahoméenne s’est alors exercée sur l’île de Lété, sous diverses formes :

 sous forme d’administration fiscale, au travers de la perception des droits de pacage et de la

131
levée de l’impôt, qui furent exercées par des fonctionnaires dahoméens ;

 sous forme du maintien de l’ordre public et de l’exercice de la compétence judiciaire, qui

furent de même exercés par les autorités du Dahomey ; 132

 plus généralement, sous la forme de la gestion administrative de l’île de Lété, qu’il s’agisse

133 134 135
d’agriculture , ou de gestion du patrimoine forestier et cynégétique .

11.24. Deux documents, l’un du début, l’autre de la fin de la période qui s’étend de 1954 aux

indépendances, rendent parfaitement claire la situation de terrain décrite par les témoignages

produits par le Bénin. D’abord la lettre du gouverneur du Dahomey du 11 décembre 1954 que j’ai

128
Mémoire du Bénin, annexe 87.
129
Réplique du Niger, p. 238, par. 4.38.
130Mémoire du Niger, annexe C 64.

131Mémoire du Bénin, annexes 125, 127, 129 et 134.

132Ibid., annexe 119; contre-mémoire du Bénin, annexes 18 et 20.

133Mémoire du Bénin, annexe 119.
134
Ibid., annexe 135.
135
Ibid., annexes 128, 131, 134 et 135. - 44 -

évoquée à l’instant, d’où il résulte que son auteur entendait exercer son autorité sur les îles.

Ensuite, la lettre du commandant de cercle de Kandi de 1960 qui rend compte auprès de son

homologue du cercle de Dosso, que «[l]es choses [avaient] marché sans incidents

jusqu’en 1959» . Ce qui signifie qu’entre 1954 et 1959, le Dahomey a effectivement exercé son

autorité sur l’île, sans incidents.

11.25. Certes, Monsieur le président, le Niger invoque lui aussi des éléments qu’il assimile à

des effectivités postérieurement à 1954, et plus particulièrement en 1959. Il s’agit d’un rapport du

10 juin 1959 du chef d’élevage à Gaya, adressé au chef de circonscription d’élevage de Niamey,

137
citant comme centre de vaccination du canton de Gaya le village de Lété . Ce qu’il faut souligner

à cet égard, c’est que ce rapport trouve son fondement non dans un quelconque animus manifesté

par les autorités du Niger, mais dans la tolérance expressément marquée par le Dahomey à l’égard

du maintien des installations nigériennes déjà établies sur l’île.

11.26. C’est là l’effet de la lettre de décembre 1954 écrite par le gouverneur du Dahomey,

dans laquelle il indique être prêt à tolérer le maintien des installations nigériennes sur certaines îles.

Le gouverneur du Niger n’a pas répondu à cette lettre, comme il n’aurait pas manqué de le faire s’il

avait entendu réserver ce qu’il avait considéré comme des droits au maintien desdites installations.

Il ne l’a pas fait, simplement parce que, cohérent avec la position définitive qu’il avait prise en

août 1954, il était parfaitement conscient des droits exclusifs du Dahomey sur les îles.

11.27. Au demeurant, le Niger ne conteste pas sérieusement, dans sa réplique, que c’est bien

le Dahomey qui exerçait son administration sur l’île en 1959.

11.28. Il mentionne le rapport trimestriel du chef de la subdivision de Malanville du

er
1 avril 1960, selon lequel, suite à des problèmes rencontrés sur l’île de Lété par les habitants de

Gouroubéri avec «Rouga Lété», «le commandant de cercle de Kandi avait effectué une tournée

138
dans cette région fin décembre» . Le Bénin en avait déduit que : «cela indique clairement que les

autorités dahoméennes étaient chargées de la police sur l’île de Lété» 139. La réplique du Niger se

136Ibid., annexe 79.
137
Contre-mémoire du Niger, p. 165, par. 4.24.
138Contre-mémoire du Bénin, annexe 18, cité dans la réplique du Niger, p. 239, par. 4.39.

139Contre-mémoire du Bénin, par. 3.29, cité dans la réplique du Niger, p. 239, par. 4.39. - 45 -

borne à opposer que «Rouga Lété», un individu qui habitait sur l’île de Lété, aurait régulièrement

payé des impôts à Gaya . 140

141
11.29. Monsieur le président, à supposer avéré ce fait, ce qui n’est pas le cas , il n’en

demeurerait pas moins que l’administrateur de Kandi a bel et bien effectué une tournée dans l’île de

Lété en décembre 1959. C’est précisément de cet acte d’administration territoriale là dont se

prévaut le Bénin, et il est conforme aux titres juridiques qu’il invoque. Le Niger semble vouloir lui

opposer un acte d’allégeance fiscale des populations peuhles à son égard. Mais à supposer qu’il

s’agisse d’une effectivité, quod non, elle serait naturellement sans portée juridique, car contraire

aux titres juridiques pertinents. En réalité, il ne s’agit que d’un lien d’allégeance personnelle sans

incidence territoriale.

11.30. La réplique du Niger reproduit en outre une série d’extraits du journal de poste de

142
Malanville qui confirment la présence dahoméenne sur l’île en 1959 . On lit dans ce journal, et

dans la réplique du Niger : «Lundi 20 juillet… Nos ressortissants de l’île de Lété viennent se

plaindre des menaces proférées à leur encontre par ceux de Gaya. Envoyé deux gardes sur

143
place.» Deux membres de phrase n’ont pas été relevés par le Niger alors qu’ils sont

déterminants : «nos ressortissants de l’île de Lété», et «envoyé deux gardes sur place». Ce sont les

autorités du Dahomey qui s’expriment. Deux gardes envoyés sur place, c’est une authentique

effectivité. Le Niger n’en dit pas un mot.

11.31. Le journal de poste de Malanville indique encore que le chef de poste de Malanville

s’est rendu le 18 septembre 1959 dans l’île de Lété au cours de sa tournée à Karimama . Voilà 144

une autre effectivité dahoméenne que le Niger ne conteste pas.

11.32. Le journal de poste évoque enfin une visite de l’île de Lété organisée à partir de

Malanville les 26 et 27 décembre 1959, à laquelle participait le commandant de cercle de Kandi.

Le Niger s’offusque, dans sa réplique, du fait que l’administrateur de Gaya «n’était même pas

140Réplique du Niger, p. 239, par. 4.38.
141
Réplique du Bénin, p. 149, par. 4.125-4.126.
142
Réplique du Niger, p. 242-243, par. 4.40.
143Réplique du Niger, annexe C.179, cité dans la réplique du Niger, p. 242, par. 4.40.

144Réplique du Niger, annexe C.182, p. 242, par. 4.40; annexe C.181. - 46 -

averti» de cette visite 14. Mais il n’est pas question de courtoisie en l’occurrence. Ce fait souligne

simplement et évidemment que l’administration dahoméenne considérait être chez elle dans l’île, et

qu’elle n’avait certainement pas besoin de l’aval de l’administrateur de Gaya pour s’y rendre.

11.33. Monsieur le président, Messieurs les juges, ces observations me conduisent à conclure

cet exposé de la façon suivante :

 premièrement, avant 1914, aucune effectivité ne peut être utilement avancée par l’une ou

l’autre Partie, contrairement à ce que soutient le Niger;

 deuxièmement, entre 1914 et 1954, les autorités, notamment du côté nigérien du fleuve,

considéraient et agissaient avec la conviction, erronée mais constante, que la délimitation entre

le Niger et le Dahomey n’était pas établie. Dès lors, tous les actes d’administration

prétendument posés dans la zone concernée sont dénués de l’animus indispensable à la

146
manifestation d’effectivités . Ceci explique d’ailleurs l’absence de protestations du Dahomey

à l’égard des activités dont fait état le Niger pendant cette période ; 147

 troisièmement, cette situation perdura jusqu’à 1954, année durant laquelle le gouverneur du

Niger reconnut clairement que la frontière était déterminée, et qu’elle était fixée à la rive

gauche. Les autorités coloniales du Dahomey en prirent acte;

 quatrièmement, et par contraste, les actes posés par le Dahomey après la lettre de 1954

apparaissent clairement comme étant d’authentiques effectivités, qui confirment sans ambiguïté

le titre dont se prévaut le Bénin sur les îles du fleuve.

11.34. Ceci conclut, Monsieur le président, ma présentation et je vous demande d’appeler à

la barre le bâtonnier Dossou quand il vous plaira.

Le PRESIDENT de la CHAMBRE : Merci Monsieur le professeur. Le bâtonnier Dossou

prendra la parole après la pause. La séance est suspendue pendant dix minutes.

L’audience est suspendue de 16 h 30 à 16 h 40.

145
Réplique du Niger, p. 243, par. 4.40.
146
Voir par exemple M. Kohen, «Lo relation titres/effectivités dans le contentieux territorial à la lumière de la
jurisprudence récente», R.G.D.I.P., 2001, n 108-3, p. 575.
147Contre-mémoire du Niger, p. 148-155, par. 4.11-4.16. - 47 -

Le PRESIDENT de la CHAMBRE : Veuillez vous asseoir. J’invite maintenant le

bâtonnier Dossou à prendre la parole.

M. DOSSOU : Monsieur le président, Messieurs les juges, je voudrais vous prier d’excuser

mon retard dû au fait que j’ai été pris d’assaut par les médias dehors tout à l’heure.

Le PRESIDENT de la CHAMBRE : La Cour est disposée à vous entendre,

Monsieur Dossou.

M. DOSSOU : Je vous remercie, Monsieur le président. Je voudrais présenter une deuxième

excuse à M. le président, à M. le greffier et à mes contradicteurs de l’autre côté, parce que ce que je

vais dire ne sera pas tout à fait ni complètement conforme au papier qui a été déposé sur le titre

béninois «Les relations entre titre et effectivités  conclusions sur le fleuve et les îles». Il y a eu

de légères modifications.

Monsieur le président, Messieurs les juges, nous abordons maintenant, en guise de

conclusions à nos observations sur le secteur fluvial, les relations entre le titre et les effectivités en

ce qui concerne aussi bien le fleuve que les îles.

12. Les relations entre titre et effecti conclusions sur le fleuve et les îles

12.1. Depuis ce matin, successivement, la République du Bénin a démontré que :

1) la limite dans le secteur fluvial a été fixée dès la création du troisième territoire militaire par

l’arrêté du 23 juillet 1900;

2) les arrêtés du 27 décembre 1934 et du 27 octobre 1938, actes strictement intracoloniaux ne

véhiculent aucune préoccupation de limite intercoloniale contrairement à l’arrêté du

23 juillet 1900;

3) l’expression «cours du Niger» contenue dans ces deux arrêtés et dans d’autres documents inclut

forcément la notion de rive;

4) la lettre du gouverneur du Niger en date du 27 août 1954 mettait fin aux incertitudes,

hésitations, interrogations et propositions et réglait définitivement la question de limite et donc

aussi celle des îles dans le secteur fluvial; - 48 -

5) enfin, les effectivités du Bénin confirment le titre tel que je l’ai exposé ce matin et que

M. Jean-Marc Thouvenin vient de le faire tout à l’heure.

I. L E TITRE FRONTALIER

12.2. Puisque nous parlons de titre, il convient, permettez-moi, de rappeler deux éléments

essentiels. Le premier élément est que la notion de titre juridique est essentielle dans les conflits de

délimitation des territoires car de son existence ou de son absence dépendra la ratio decidendi. Le

second élément est que pour dissiper toute équivoque possible, il convient de préciser ce que nous

entendons par ce terme. Dans l’affaire du Différend frontalier opposant le Burkina Faso au Mali, la

Chambre de la Cour internationale de Justice, a précisé que : «la notion de titre peut également et

plus généralement viser aussi bien tout moyen de preuve susceptible d’établir l’existence d’un droit

que la source même de ce droit» . 148

12.3. Cette règle fut d’ailleurs confirmée dans l’affaire concernant la Souveraineté sur Pulau

149
Ligitan et Pulau Sipadan (Indonésie/Malaisie) en date du 17 décembre 2002 .

12.4. Le Bénin a exhibé et prouvé son titre : l’arrêté du 23 juillet 1900 confirmé par la lettre

de 1954.

12.5. Le Niger quant à lui voit tantôt dans l’arrêté de 1938 un «titre juridique incontestable

pour ce qui est de la limite dans le cours du fleuve» 150 tantôt dans l’arrangement provisoire

151 152
de 1914, «juridiquement valable» un «accord entre les autorités coloniales» et enfin dans la

lettre n 163 du 7 septembre 1901, le Niger y voit un accord s’inscrivant «dans la logique de la

détermination d’une limite interterritoriale, comme l’indique expressément l’objet («Délimitation

153
entre le troisième territoire militaire et le Dahomey»)» .

12.6. M. Mathias Forteau et moi-même avons montré ce matin le contexte, le sens et la

portée de l’arrêté de 1938 qui ne dit pas ce que le Niger tente de lui faire dire dans ses écritures.

148C.I.J. Recueil 1986, p. 564, par. 18.
149
C.I.J. Recueil 2002, p. 57, par. 137 et suiv.
150
Réplique du Niger, p. 133, par. 3.17.
151Ibid., p. 129, par. 3.12.

152Ibid., p. 131, par. 3.14.

153Ibid., p. 40, par. 1.36. - 49 -

Jean-Marc Thouvenin a montré que la construction que le Niger a tenté de faire sur le modus

vivendi de 1914 n’est pas pertinente.

o
12.7. Revenons à la lettre n 163 du 7 septembre 1901 du ministre des colonies au

gouverneur général de l’AOF au sujet de la démarche du gouverneur du Dahomey relativement à la

limite dans le secteur fluvial concerné par le présent différend. Voici ce que dit la réplique du

Niger au sujet de cette lettre :

«le ministre des colonies a marqué son accord pour fixer la limite séparant les deux

entités coloniales voisines au cours du fleuve, sur la proposition du gouverneur du
Dahomey. Ces échanges de lettres en 1901 pour opérer la délimitation entre les deux
territoires ayant conduit à fixer la limite dans le cours du fleuve ruinent la thèse du
Bénin, selon laquelle l’arrêté du 23 juillet 1900 fixe une limite à la rive gauche. Il

serait insensé, voire impensable que ces trois autorités coloniales s’accordent tou154
sur une solution qui irait directement à l’encontre de l’arrêté du 23 juillet 1900.»

12.8. La République du Bénin a clairement montré dans sa réplique (p. 104-107,

par. 4.10-4.18) que la République du Niger se trompe radicalement sur le contexte, le motif et la

portée de cette lettre de 1901. Je ne reprendrai pas ici tout le développement contenu dans notre

réplique. Je ferai juste un rappel de quelques points-clés :

1) Cette lettre de 1901 est le résultat de ce que j’appelle une «démarche-précaution» du

gouverneur du Dahomey afin d’éviter tout changement de limite dans ce secteur, lorsque le

troisième territoire militaire sortira de son statut provisoire pour devenir une colonie intégrée à

l’AOF. Toutes les données de l’histoire coloniale de la région et de l’époque imposent cette

compréhension. Et l’on ne relève aucun élément de fait ou de droit susceptible de pousser vers

l’interprétation nigérienne.

2) Il est constant d’après la pratique et les règles administratives coloniales, que si les échanges de

correspondances ayant abouti à la lettre du 7 septembre 1901 concernaient la création de novo

d’une limite entre le troisième territoire militaire et le Dahomey, les échanges de

correspondances auraient inclus également le commandant du troisième territoire militaire.

Faut-il rappeler, Monsieur le président, que dans le cas de la lettre n o191 CM2 du

19 février 1935 de l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), le

gouverneur général de l’AOF avait adressé ladite lettre à tous les lieutenants-gouverneurs

154
Ibid., p. 40, par. 1.36. - 50 -

155
concernés . Pourquoi, dans le cas de la lettre de 1901, le commandant du troisième territoire

militaire n’a reçu aucune communication et n’a adressé aucune lettre non plus ?

3) La lettre du 7 septembre 1901 ne saurait servir de titre à la République du Niger qui au sujet des

actes législatifs ou réglementaires déclare elle-même dans sa réplique : «La République du

Niger rappellera d’emblée qu’elle ne soutient nullement qu’il existerait un titre législatif ou

réglementaire colonial fixant la limite entre le Bénin et le Niger au chenal principal.» 156

12.9. Sur ce dernier point, les deux Parties sont en harmonie parfaite. Nous constatons qu’il

existe au dossier que les seuls titres du Bénin : la lettre de 1954 adossée à l’arrêté de 1900, les deux

parfaitement compatibles avec les arrêtés de 1934 et 1938 de même qu’avec la lettre ministérielle

du 7 septembre 1901. J’ai bien dit la lettre ministérielle du 7 septembre 1901 qui est parfaitement

compatible avec l’arrêté du 23 juillet 1900 et la lettre de 1954. Car cette lettre vise le cours du

fleuve, et le cours du fleuve c’est le cours du fleuve et non le chenal ou autre chose.

12.10. Examinons maintenant les relations entre ces titres avérés et les effectivités.

II. LES RELATIONS ENTRE TITRE ET EFFECTIVITES COLONIALES

12.11. Toujours dans l’arrêt Burkina Faso/République du Mali de 1986, la Chambre de la

Cour a défini les effectivités coloniales comme : «le comportement des autorités administratives en

tant que preuve de l’exercice effectif des compétences territoriales dans la région pendant la

157
période coloniale» .

12.12. Dans l’arrêt de 1986, la Chambre de la Cour a systématisé les rapports entre titre

158
juridique et effectivités. Nous avons abondamment cité le passage concerné dans nos écritures ,

je ne reviens plus là-dessus.

12.13. De cet arrêt, nous rappelons simplement ceci : tout d’abord, l’effectivité n’est

déterminante dans la solution du différend que lorsqu’il n’y a pas de titre; ensuite, lorsqu’il y a un

titre, l’effectivité lui est subordonnée; qu’elle en apporte la confirmation ou l’interprétation. Dans

notre cas d’espèce, du côté béninois titre et effectivité concordent.

155Arrêt du 22 décembre 1986, C.I.J. Recueil 1986, p. 594, par. 75.
156
Réplique du Niger, p. 132, par. 3.16.
157C.I.J. Recueil 1986, p. 586, par. 63.

158C.I.J. Recueil 1986, p. 586-587, par. 63. - 51 -

12.14. Tout au long de sa réplique, le Niger n’a fait preuve d’aucune retenue dans ses

tentatives visant à affaiblir la thèse du titre colonial du Bénin comme en atteste l’intitulé du

chapitre I de la réplique du Niger, «L’introuvable «titre colonial» du Bénin» (réplique du Niger,

p. 24-68, par. 1.1-1.94). Toujours selon la Partie adverse, le dossier du Bénin serait «d’une

affligeante vacuité» en ce qui concerne l’administration de l’île de Lété (Réplique Niger,

p. 234-240, par. 4.334.39), ce qui infirmerait la thèse de la limite à la rive gauche du fleuve Niger.

Le professeur Thouvenin a déjà dit ce qu’il en était des prétendues effectivités nigériennes sur l’île

de Lété et soulignait les effectivités béninoises.

12.15. La République du Bénin a longuement démontré dans son contre-mémoire que la

limite à la rive gauche trouve son fondement dans l’arrêté du gouverneur général de l’AOF du

23 juillet 1900 «créant un troisième territoire militaire dont le chef-lieu sera établi à Zinder»

confirmé par la lettre nº 3722/APA du 27 août 1954 du gouverneur par intérim du Niger adressée

au chef de la subdivision de Gaya s/c du commandant de cercle de Dosso. Nous n’y insisterons

pas. Cela a été abondamment démontré tout à l’heure par les professeurs Alain Pellet et

Mathias Forteau.

12.16. Nous prions la Chambre de la Cour de bien vouloir se reporter à nos développements

sur la conquête coloniale française et la création du troisième territoire militaire sur la rive gauche

du Niger ainsi qu’aux développements des professeurs Alain Pellet et Mathias Forteau sur les

circonstances et la portée juridique de la lettre de 1954.

12.17. Le titre juridique étant défini par l’arrêté du 23 juillet 1900 et confirmé par la lettre

n° 3722/APA du 27 août 1954, les deux Parties au présent différend divergent sur ce point de droit.

Il convient maintenant de répondre à la question suivante : les prétendues «effectivités» coloniales

et postcoloniales invoquées par la République du Niger sont-elles de nature «à contrarier» le titre

juridique colonial du Bénin ? Avant toute chose, il faut écarter les effectivités postcoloniales qui

ne peuvent de toute façon servir de titre. Votre jurisprudence à cet égard est constante, conférer

l’affaire Cameroun c. Nigéria par exemple.

12.18. Pour y répondre, il suffit d’appliquer au cas d’espèce, la règle sur les relations entre

titre et effectivités coloniales formulée par la Chambre de la Cour dans l’affaire du Différend

frontalier opposant le Burkina Faso au Mali en 1986. - 52 -

12.19. Il résulte de la règle sur les relations entre titre juridique et effectivités coloniales que

lorsque le titre existe, il est préféré aux effectivités. En l’espèce, la République du Bénin a

démontré amplement l’existence d’un titre juridique fixant la limite dans le secteur du fleuve Niger

à la rive gauche, dès lors, il convient de soutenir que les effectivités invoquées par la Partie

nigérienne à supposer même qu’elles fussent établies et qui concerneraient l’utilisation et la gestion

du fleuve Niger, l’administration de l’île de Lété n’emportent aucune conséquence juridique quant

à la détermination de la limite interterritoriale dans le secteur du fleuve Niger. Les effectivités du

Bénin telles qu’elles vous ont été exposées ce matin et tout à l’heure, confirment le titre.

III C ONCLUSIONS SUR LE FLEUVE ET LES ILES

12.20. En conclusion selon l’article 6 du compromis conclu entre la République du Bénin et

la République du Niger le 15 juin 2001, la Chambre de la Cour est invitée à se prononcer sur la

présente affaire du Différend frontalier conformément aux «règles et principes du droit

international énumérés au paragraphe 1de l’article 38 du Statut de la Cour internationale de Justice,

y compris le principe de la succession d’Etats aux frontières héritées de la colonisation, à savoir

l’intangibilité des frontières». Le principe fondamental de l’intangibilité des frontières issues de la

décolonisation est le plus souvent désigné, comme la Chambre l’a rappelé dans l’arrêt de 1986,

sous l’expression latine d’«uti possidetis juris». L’uti possidetis juris accorde au titre juridique la

prééminence sur la possession effective comme base de souveraineté 159.

12.21. En l’espèce, comme la République du Bénin l’a montré tout au long de la présente

instance, la limite à la rive gauche est constituée dès 1900 par un titre juridique valable, clair et

définitif que constitue l’arrêté du 23 juillet 1900. Ce titre territorial fut confirmé par la lettre

de 1954. En conséquence, les effectivités coloniales, seules pertinentes au regard de la règle de

l’uti possidetis juris, qu’elles concernent l’administration de la navigation sur le fleuve Niger ou

l’administration de la seule île de Lété, ne sont pas de nature à «contrarier» le titre juridique

colonial. Seules les effectivités alléguées par le Bénin, exposées par le Bénin, viennent confirmer

le titre.

159
Différend frontalier (Burkina Faso/Mali), C.I.J. Recueil 1986, p. 586-587, par. 63 arrêt du 22 décembre 1986;
Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria; Guinée équatoriale (intervenant)),
C.I.J. Recueil 2002, p. 353-355, par. 68-70; p. 415, p. 223, arrêt du 10 octobre 2002,; Différend frontalier terrestre,
insulaire et maritime (El Salvador/Honduras), C.I.J. Recueil 1992, p. 408-409, par. 80, arrêt du 11 septembre 1992. - 53 -

12.22. Monsieur le président, Messieurs les juges, il échet de conclure en paraphrasant l’arrêt

de la Chambre de la Cour dans l’affaire Burkina Faso/République du Mali pour dire que la lettre de

1954 «correspondait, dans l’esprit aussi bien du gouverneur [du Niger] que de tous les

administrateurs … à la situation existante» et que «l’arrêté du 23 juillet 1900 … et la lettre

[de 1954 du gouverneur du Niger] se renforcent mutuellement» et sont «en harmonie» avec les

arrêtés de 1934, 1938 et la lettre ministérielle du 7 septembre 1901. Voilà pourquoi nous

concluons à ce qu’ils vous plaisent nous adjuger les fins de nos demandes et ce sera justice.

12.23. Je vous remercie et vous prie, Monsieur le président d’appeler à la barre le

professeur Forteau.

Le PRESIDENT de la CHAMBRE : Je vous remercie, Monsieur le bâtonnier. Monsieur le

professeur Forteau, vous avez la parole.

M. FORTEAU : Merci, Monsieur le président. Monsieur le président, Messieurs de la Cour,

II. E SECTEUR DE LA RIVIERE M ÉKROU

13.Le legs colonial dans le secteur de la rivière Mékrou

13.1. Les positions des deux Parties en ce qui concerne leurs prétentions dans le secteur de la

rivière Mékrou sont désormais bien identifiées. La République du Bénin considère que la frontière

suit dans ce secteur la rivière Mékrou, depuis le point triple avec le Burkina Faso jusqu’au

fleuve Niger. La République du Niger, quant à elle, soutient que le tracé de la frontière suivrait

dans ce secteur deux segments de droite,

 «[l]e premier, résultant du décret de 1907, part[irait] du point de confluence de la Mékrou avec

le fleuve Niger, pour rejoindre le point d’intersection du sommet de la chaîne montagneuse de

l’Atacora avec le méridien de Paris»;

 tandis que le second segment de droite partirait «de ce point double pour rejoindre un point

situé à huit kilomètres en direction nord nord-ouest, [point] qui constitue[rait] le point de - 54 -

convergence des frontières du Burkina Faso, du Bénin et du Niger» et qui résulterait des

160
«modifications apportées au texte de 1907 par les décrets de 1909 et 1913» .

13.2. Si on la compare à celle du Bénin, la thèse du Niger, on en conviendra, est

passablement tortueuse. Les raisons en sont simples à saisir : face à l’évidence du legs colonial, le

Niger se trouve contraint de recourir à un certain nombre d’artifices pour donner un minimum de

vraisemblance à sa prétention. Mais il n’y parvient guère, d’où la très forte impression, justement,

d’artificialité qui se dégage de sa revendication. Le Niger a beau s’insurger dans sa réplique contre

l’usage de ce dernier qualificatif , les faits parlent d’eux-mêmes. Le seul véritable argument du

Niger consiste à plaider l’erreur, toujours l’erreur, encore l’erreur. Si les autorités coloniales ont

toujours retenu la rivière Mékrou comme limite intercoloniale à partir de 1919, c’est, nous dit le

Niger, parce qu’elles se seraient trompées et qu’elles auraient constamment confondu une ligne

droite artificielle, définie abstraitement, avec un élément naturel, une rivière . Et de même, si

après les indépendances et jusqu’en 1996, les plus hautes autorités de l’Etat nigérien ont toujours

admis, au point de s’engager unilatéralement puis conventionnellement en ce sens, que la rivière

Mékrou constituait la frontière, c’est là encore, se défend le Niger, à cause d’une inattention qui

aura duré presque quarante ans.

13.3. Tout cela n’est pas convaincant, et le Bénin ne peut que persister à considérer que la

revendication nigérienne est privée de tout fondement. En 1996, soit trente-six ans après les

indépendances, le Niger a commencé à remettre en cause ce qui était acquis pour tous, tant à la date

d’application du principe de l’uti possidetis, que postérieurement à cette date. Je montrerai en effet

que le legs colonial confirme sans la moindre incertitude que la limite entre les colonies du

Dahomey et du Niger était fixée à la rivière Mékrou au moment des indépendances; puis le

professeur Alain Pellet montrera, pour surplus de droit, que quand bien même le legs colonial

n’irait pas en ce sens, l’acceptation, après les indépendances, par l’Etat du Niger de la fixation de la

frontière à la rivière Mékrou suffirait à la lui rendre opposable.

*

160Réplique du Niger, p. 251-252, par. 5.1.
161
Ibid., p. 252, par. 5.1.
162Voir sur ce point la réplique du Bénin, p. 191-193, par. 6.3-6.5; et réplique du Niger, p. 263-265, par. 5.8-5.9. - 55 -

13.4. En soutenant que la ligne droite du décret de 1907 ferait partie intégrante du legs

colonial, la République du Niger s’enferme dans une impasse dont elle éprouve le plus grand mal à

163
s’échapper . Les dispositions du décret de 1907 sont incompatibles en effet avec celles de l’arrêté

de 1927 fixant les limites des colonies du Niger et de la Haute-Volta, puisque les premières (les

dispositions de 1907) ne se réfèrent aucunement à la rivière Mékrou, alors que les secondes (celles

de 1927)  et le Niger est d’accord sur ce point avec le Bénin  fixent de manière «définitive» le

point triple entre les trois colonies sur la rivière Mékrou . Il en résulte immanquablement qu’à

cette date, la ligne de 1907 avait déjà été abandonnée au profit de la rivière Mékrou.

13.5. Pour sortir de cette impasse, le Niger a échafaudé une construction complexe,

consistant à découper la limite intercoloniale en deux segments, le premier restant fidèle à la ligne

droite du décret de 1907, le second cherchant à relier cette même ligne au point triple de 1927.

Mais cette construction ne repose sur rien, et elle suppose, en tout état de cause, que la ligne

de 1907 ait été maintenue jusqu’en 1960, ce qui n’est pas le cas. J’examinerai, Monsieur le

président, ces deux points successivement, en commençant par montrer que le découpage de la

frontière en deux segments de droite est dépourvu de tout fondement juridique.

I. LE DÉCOUPAGE DE LA FRONTIÈRE EN DEUX SEGMENTS DE DROITE

EST DÉPOURVU DE TOUT FONDEMENT JURIDIQUE

13.6. Le Niger fait grief au Bénin dans sa réplique de n’avoir pas pris en considération les

décrets du 12 août 1909 et du 23 avril 1913 qui, selon lui, permettraient de comprendre pourquoi

l’arrêté de 1927 se réfère à la rivière Mékrou . Si le Bénin ne l’a pas fait, c’est non pas par gêne

166
comme le suppute le Niger , mais simplement parce que ces deux décrets n’ont strictement aucun

lien avec l’arrêté de 1927 et qu’ils ne consacrent en aucune manière le tracé en deux segments de

167
droite, pourtant revendiqué par le Niger .

163Voir par exemple contre-mémoire du Bénin, p. 196, par. 4.91.
164
Mémoire du Niger, p. 231, par. 3.1.68; réplique du Bénin, p. 200-201, par. 6.21-6.23.
165
Réplique du Niger, sous-sect. C, p. 270-275.
166Ibid., p. 274, par. 5.14.

167Contre-mémoire du Bénin, sect. III, p. 193 et suiv. - 56 -

168
13.7. L’argumentation nigérienne à cet égard peut être résumée de la façon suivante . Pour

mieux la comprendre, trois croquis ont été préparés, que vous trouverez sous l’onglet n 10 du o

dossier des juges et qui vont être projetés derrière moi. Je le précise, pour éviter toute confusion, la

seule ambition de ces croquis est d’essayer d’illustrer la thèse nigérienne.

o
Croquis n 1 : le décret de 1907 a délimité les territoires des colonies du Haut-Sénégal et

Niger et du Dahomey, territoires qui, à l’époque, s’étendaient à l’est et à l’ouest de l’actuel point

triple avec le Burkina Faso, puisque la colonie de la Haute-Volta n’existait pas à cette date. Le

décret de 1907 a, ce faisant, procédé, en quelque sorte, à une double délimitation : celle des cercles

des deux colonies situés à l’ouest du point d’intersection de l’Atacora et du méridien de Paris; et

celle des cercles des deux colonies situés à l’est de ce même point. La seconde de ces deux limites

(celle qui, à l’est, suit une ligne droite depuis l’intersection de l’Atacora et du méridien de Paris

jusqu’au fleuve Niger, et qui concerne le présent secteur frontalier) serait restée inchangée

jusqu’en 1960.

o
Croquis n 2 : le problème auquel se heurte alors le Niger est que la limite de 1907 ne croise

pas la rivière Mékrou, alors que l’arrêté de 1927 fixe définitivement le point triple sur cette

dernière.

o
Croquis n 3 : c’est la raison pour laquelle le Niger tente de faire valoir qu’à la suite de son

déplacement de 8 kilomètres vers le nord nord-ouest opéré en 1909 et 1913, le point de départ de la

première limite (celle située à l’ouest du méridien de Paris) aurait rejoint, presque

miraculeusement, la rivière Mékrou . Ainsi s’expliquerait que la limite suive désormais deux

segments de droite avant d’aboutir à cette rivière.

13.8. Les efforts ainsi déployés par la Partie nigérienne pour justifier sa revendication ne

résistent cependant pas à l’examen, et des textes applicables, et des faits.

13.9. En premier lieu, ni le décret de 1909, ni le décret de 1913, ne fixent leur point de départ

à la rivière Mékrou, comme le prétend pourtant le Niger 170.

168
Voir mémoire du Niger, p. 227 et suiv.
169Réplique du Niger, p. 271, par. 5.14.

170Mémoire du Niger, annexes B.26 et B.33. - 57 -

13.10. En deuxième lieu, l’arrêté de 1927, pas plus dans sa première version que dans sa

171
version corrigée , ne se réfère aux décrets de 1909 et 1913, ni même d’ailleurs au décret de 1907,

alors même qu’il n’aurait fait, selon nos contradicteurs, que consacrer la solution fixée par ces

derniers.

13.11. En troisième lieu, la thèse nigérienne, que je viens d’illustrer sur les trois croquis

commentés, ne correspond aucunement à la réalité juridique et géographique. Contrairement en

172
effet à ce qu’affirme le Niger , le point de départ de la limite de 1909 et 1913 ne coïncide pas

avec le point triple de 1927. Puisque, en effet, les décrets de 1909 et 1913 auraient fait subir à la

partie ouest de la ligne de 1907 un déplacement vers le nord nord-ouest, le nouveau point triple

devrait se situer plus à l’ouest que l’ancien, qui était fixé, je le rappelle, à l’intersection du sommet

173
de l’Atacora et du méridien de Paris . Or, que constate-t-on lorsqu’on se reporte à l’assemblage

des cartes au 1/200 000 et au 1/50 000 qui localisent précisément ce point triple  assemblage

que le Niger a joint à son mémoire et dont vous trouverez un extrait sous l’onglet n 11 du dossier o

174
des juges ? Que constate-t-on donc si l’on se reporte à cet assemblage de cartes ? On constate

que le point triple de 1927 est situé à l’est, et non à l’ouest, du méridien de Paris.

13.12. Par ailleurs, les calculs du Niger sont inexacts. La distance qui sépare le sommet de

l’Atacora de la rivière Mékrou n’est nullement de 8 kilomètres, mais seulement de 5 kilomètres

e
environ. Telle est la distance qui les sépare en effet sur la carte de 1955 au 1/200 000 sur laquelle

se fonde le Niger 17. Et telle est également la distance qui sépare le point double et le point triple

revendiqués par le Niger si l’on retient les coordonnées qu’il en donne dans son mémoire . 176

13.13. Pour toutes ces raisons, les décrets de 1909 et 1913 ne peuvent pas expliquer la

référence à la rivière Mékrou dans l’arrêté de 1927. L’explication doit donc être recherchée

ailleurs.

171
Mémoire du Bénin, annexes 36 et 37.
172
Réplique du Niger, p. 274, par. 5.15.
173Voir en ce sens les croquis reproduits en pages 231 du mémoire du Niger et 176 de son contre-mémoire, ainsi

que la carte D.48 de son mémoire, et les coordonnées qui sont indiquées page 232 de son mémoire.
174 e
Cartes jointes au mémoire du Niger en annexes D.38 (carte au 1/200 000 de 1955 figurant également à la e
cote 8 de l’atlas cartographique du mémoire du Bénin), D.41 (carte au 1/200 000 de 1960) et D.47 (carte au 1/50 000
de 1967), et dont le Niger a réalisé un assemblage à l’annexe D.48 de son mémoire.
175
Réplique du Niger, p. 274, par. 5.15; mémoire du Niger, annexe D.38.
176
Mémoire du Niger, p. 232, par. 3.1.69. - 58 -

13.14. On en arrive ainsi tout naturellement au quatrième et dernier élément qui finit de faire

s’écrouler la thèse nigérienne. Le Niger en effet, tout occupé qu’il est à essayer de faire se

rejoindre la ligne de 1907 et le point triple de 1927, en a oublié l’essentiel. A partir de 1919, il n’a

plus jamais été fait référence à la ligne de 1907 et c’est la rivière Mékrou, et elle seule, qui a

constitué à partir de cette date la limite interterritoriale. C’est cela qui explique, très simplement,

que l’on ait fixé le point triple en 1927 sur la rivière Mékrou.

13.15. C’est, à cet égard, avec une insouciance surprenante que le Niger a jugé utile, sur

l’assemblage de cartes que j’ai mentionné tout à l’heure 17, de superposer le tracé qu’il revendique

au tracé qui figurait officiellement sur ces cartes, alors même que ces deux tracés sont en tous

points incompatibles. Le tracé du Niger localise le point triple de 1927 à l’ouest du méridien de

Paris, alors que les cartographes français, sur cette même carte, le localisent à l’est. Et tandis que le

Niger reporte un tracé en deux segments de droite, les cartographes français font suivre à la limite

intercoloniale le cours de la rivière Mékrou jusqu’au point où elle rencontre l’ancienne ligne

Say-Fada, conformément d’ailleurs aux travaux préparatoires et à la première version de l’arrêté
178
de 1927 . Le Niger aurait été évidemment plus habile s’il avait présenté le tracé qu’il revendique

en utilisant un fond de carte qui abondait en son sens. Mais le problème auquel il s’est heurté est

qu’aucune, je dis bien aucune, carte postérieure à 1927 ne consacre sa thèse. Et cela pour une

raison que le Niger persiste à ne pas vouloir regarder en face, et qui constituera, Monsieur le

président, l’objet du deuxième temps de mon exposé : à partir de 1919, et jusqu’aux indépendances,

les autorités coloniales ne se sont plus jamais référées à la ligne du décret de 1907, mais seulement

à la rivière Mékrou.

II. LA RÉFÉRENCE CONSTANTE ET EXCLUSIVE À LA RIVIÈRE M ÉKROU À PARTIR DE 1919

13.16. L’argumentation du Niger est à cet égard construite sur un decrescendo en trois

temps, au terme duquel il finit, en réalité, par s’incliner devant l’évidence du dossier.

17Supra, par. 13.11.
178
Mémoire du Bénin, annexes 35 et 36, et contre-mémoire du Bénin, p. 161-162, par. 4.19. - 59 -

Premier temps de l’argumentation du Niger : aucun des textes coloniaux «dont l’objet était
d’établir des circonscriptions territoriales ou d’en préciser les limites ne fixe[rait] la limite
179
intercoloniale au cours de la rivière Mékrou»

13.17. Cela n’est pas exact. En ce qui concerne tout d’abord le décret du 1 mars 1919 er

créant la colonie de la Haute-Volta, le Niger avance l’idée que les limites de cette dernière étaient,

sans aucun doute possible, «celles définies par le décret du 2 mars 1907», tel que modifié en 1909

et 1913, et que, par conséquent, les circonscriptions qui lui ont été transférées l’ont été «dans les

180
limites qui étaient les leurs à ce moment-là» . Mais le Niger ne démontre en rien que ces limites

étaient restées inchangées à cette date . Or, tout indique au contraire qu’à cette date c’était

désormais la rivière Mékrou qui marquait la limite intercoloniale. Dans son rapport sur le cercle du

Moyen-Niger du 25 avril 1919, immédiatement postérieur au décret de 1919, l’inspecteur-adjoint

des colonies Cazaux indique ainsi très clairement que le cercle du Moyen-Niger, relevant du

182
Dahomey, est limité à l’ouest par la rivière Mékrou . Le Niger abonde d’ailleurs dans ce sens

dans son mémoire, puisque la carte de son atlas cartographique qui illustre les changements

apportés par le décret de 1919 reporte la limite intercoloniale à la rivière Mékrou, sans se référer à

183
un découpage en deux segments de droite .

13.18. L’arrêté de 1927 confirme qu’il en va bien ainsi. Le Niger tient pour négligeable le

fait que sa première version, celle du 31 août, se réfère à la rivière Mékrou. Il se contente

d’annoncer qu’il abordera la question plus loin dans sa réplique, mais c’est en vain que le lecteur

attentif trouvera le moindre élément de réponse dans les pages qui suivent, si ce n’est le recours à

son argument désormais favori tenant à la prétendue confusion qui se serait opérée entre la ligne

de 1907 et le cours de la rivière Mékrou dans l’esprit, décidément bien embrumé, des autorités

coloniales de l’époque 184.

13.19. Le Niger tient pour tout aussi négligeable le fait que la version corrigée de cet arrêté

fixe le point triple sur la rivière Mékrou, alors même que cela indique très clairement que la limite

179
Réplique du Niger, sous-sect. A, p. 256-261.
180Ibid., p. 256, par. 5.4.

181Réplique du Bénin, p. 198-199, par. 6.17.

182Ibid., annexe 5.
183
Mémoire du Niger, atlas illustrant les textes législatifs et réglementaires de l’évolution territoriale du Niger
de 1900 à 1960, p. 87.
184
Réplique du Niger, p. 258, par. 5.5, qui renvoie aux par. 5.7 et suiv. Voir également les passages recensés in
réplique du Bénin, p. 191-192, par. 6.3. - 60 -

intercoloniale ne suivait plus, à cette date, la ligne du décret de 1907. J’ai exposé tout à l’heure

pourquoi les décrets de 1909 et 1913 ne pouvaient pas justifier cette fixation du point triple à la

rivière Mékrou 185. Aussi le Niger s’abrite-t-il derrière un deuxième argument, en faisant valoir

qu’en tout état de cause, l’ancienne limite Say-Fada à laquelle se réfère l’arrêté de 1927 croisait

186
déjà la rivière Mékrou . Certes, mais elle ne s’y arrêtait pas, alors que l’arrêté de 1927 arrête

cette ligne à son intersection avec le cours de la Mékrou 187. Si l’ancienne ligne Say-Fada ne rejoint

pas la ligne de 1907, c’est bien que cette dernière est caduque.

13.20. S’agissant, enfin, des arrêtés de 1934 et 1938, le fait que leurs auteurs aient fait renvoi

à la «limite Dahomey-Colonie du Niger» sans se référer expressément à la Mékrou tient à ce que, à

l’époque, cette limite couvrait la frontière actuelle entre le Bénin et le Niger, plus une partie de la

frontière actuelle entre le Bénin et le Burkina Faso. Il était donc plus simple d’employer cette

188
périphrase générale, comme le Bénin l’a expliqué en détail dans son contre-mémoire , dans un

passage dont prudemment le Niger ne dit rien . Mais il était bien entendu que, s’agissant du

secteur frontalier concerné par le présent différend, cette référence à la «limite Dahomey-Colonie

du Niger» renvoyait à la rivière Mékrou, puisque toutes les cartes et tous les textes coloniaux

contemporains de ces arrêtés retenaient cette délimitation, et qu’aucun d’entre eux ne faisait plus

référence au décret de 1907.

13.21. Soit, rétorque alors le Niger, qui reconnaît que la référence à la Mékrou apparaît

«indubitablement dans un procès-verbal de 1927, ainsi que dans trois arrêtés, adoptés

190
respectivement en 1926, 1937 et 1952» , soit rétorque donc le Niger, mais, et c’est le deuxième

temps de son argumentation, qui sonne déjà la retraite, si des textes coloniaux se sont bien référés à

la rivière Mékrou, ils ne peuvent se comprendre qu’«à la lumière des circonstances et des

191
connaissances de l’époque» .

185
Supra, sect. I.
186
Réplique du Niger, p. 259, par. 5.5.
187Mémoire du Bénin, annexe 37.

188Contre-mémoire du Bénin, p. 167, par. 4.28; ainsi que réplique du Bénin, p. 201, par. 6.24.

189Réplique du Niger, p. 259-261, par. 5.6.

190Ibid., p. 261, par. 5.6.
191
Ibid., p. 262-269. - 61 -

Deuxième temps de l’argumentation du Niger : si des textes coloniaux se sont bien référés à la
rivière Mékrou, ils ne peuvent se comprendre qu’«à la lumière des circonstances et des

connaissances de l’époque»

13.22 L’essentiel de l’argumentation nigérienne tient à cet égard en trois points.

Premièrement, les arrêtés créant des parcs de refuge n’avaient pas pour objet et donc pour effet de

modifier les limites des colonies . Le Bénin n’a rien à objecter à ce constat. Mais, ce qui est

déterminant, c’est que dans ces textes, les autorités coloniales ont considéré que la limite

intercoloniale était fixée, à leur date d’édiction, à la rivière Mékrou. Comme le rappelle le Niger,

l’arrêté du 16 avril 1926 du gouverneur général de l’AOF indique expressément que le parc de

refuge des cercles de Say et de Fada créé dans la colonie de la Haute-Volta est limité, «au sud, par

la rivière Mékrou limite de la colonie du Dahomey» . Il est difficile d’être plus clair. Et il en va

de même de l’arrêté du 30 septembre 1937 du gouverneur du Dahomey qui fixe à la rivière Mékrou

194
la limite nord du parc institué dans le cercle de Kandi , ou encore de celui du 3 décembre 1952 du

gouverneur général de l’AOF qui fixe, lui aussi, la limite ouest de la réserve côté Niger à la rivière

195
Mékrou . Comment expliquer ces références si la limite intercoloniale était toujours fixée, à cette

date, à la ligne du décret de 1907 ? Nous attendons toujours la réponse du Niger.

13.23. Deuxièmement, le Niger fait valoir que ces arrêtés n’ont pas été adoptés par les

autorités coloniales «en toute connaissance de cause», dans la mesure où celles-ci auraient

«développé une représentation complètement erronée du cours» de la rivière Mékrou . Plus 196

précisément, ces autorités auraient eu une si mauvaise connaissance du cours réel de la rivière

197
qu’elles auraient fini par la confondre avec la ligne droite du décret de 1907 . L’argument

pourrait prêter à sourire, s’il ne constituait pas un affront sévère à l’intelligence, sinon même au

seul bon sens, des anciens administrateurs coloniaux de la région, accusés d’avoir, tous, confondu,

pendant pas moins de quarante ans, une ligne droite artificielle, définie uniquement par des mots,

sur du papier, avec une rivière. Le Niger n’y croit d’ailleurs pas lui-même et hésite à sauter le pas

192Ibid., p. 262, par. 5.7.
193
Mémoire du Niger, annexe B.42; réplique du Niger, p. 262, par. 5.7.
194
Mémoire du Bénin, annexe 45.
195Ibid., annexe 63.

196Réplique du Niger, p. 263, par. 5.7 in fine et par. 5.8.

197Ibid., p. 263-265, par. 5.8-5.9 - 62 -

qu’impliquerait pourtant son argument. Ainsi le Niger n’écrit-il pas que la Mékrou a été figurée

sur certaines cartes sous la forme d’une ligne droite, mais seulement sous celle «d’une ligne à peu

près droite» ; de même, il s’abstient d’écrire que le cours de la rivière se serait superposé sur

certaines cartes à la ligne du décret de 1907, mais se contente d’affirmer qu’il ne ferait que s’en

199
rapprocher . Enfin, la distinction que le Niger introduit entre le cours réel de la Mékrou et celui

qui était connu à l’époque coloniale n’aboutit à rien de probant : seul compte le fait que le cours de

la Mékrou, réel ou supposé, n’a pas pu être confondu avec une ligne droite artificielle.

13.24. Troisièmement¸ le Niger pense pouvoir affirmer que «plusieurs éléments du dossier

continuent à permettre de penser que le cours de la Mékrou … n’a pas véritablement supplanté la

200
ligne de 1907 comme limite intercoloniale» . Le premier élément résiderait dans une carte

de 1928 qui reporterait la ligne de 1907 . 201 La fiabilité de cette carte est toutefois des plus

douteuse, puisque celle-ci, d’une part, ne tire pas les conséquences de l’arrêté de 1927 fixant le

point triple sur la rivière Mékrou, alors même qu’elle lui est postérieure; et que, d’autre part, cette

carte ne tire pas non plus les conséquences du décret, lui aussi antérieur, du 28 décembre 1926

202
rattachant certains territoires de la colonie de la Haute-Volta à la colonie du Niger . Cette carte

de 1928, qui est du reste tout à fait isolée, est donc dénuée de toute force probante, dès lors qu’elle

est totalement anachronique.

13.25. Ne reste plus que l’argument fondé sur le fait que l’arrêté du 25 juin 1953 créant la

réserve du W côté Niger ne fait pas expressément référence à la rivière Mékrou, mais à «la

frontière entre le territoire du Niger et du Dahomey» 20. Le Niger concède que les travaux

préparatoires de cet arrêté montrent que cette frontière était, dans l’esprit des autorités coloniales,

204
«matérialisée par la Mékrou» . Mais il croit pouvoir en déduire que c’est parce que cette

précision aurait posé problème aux autorités coloniales qu’elle aurait disparu du texte final de

198
Ibid., p. 264, par. 5.8.
199
Ibid., p. 265, par. 5.9.
200 Réplique du Niger, p. 265, par. 5.10.

201 Ibid., p. 266, par. 5.10, et annexe D.18bis.

202 Mémoire du Bénin, annexe 33; et croquis n 11, p. 67; ainsi que mémoire du Niger, atlas illustrant les textes
législatifs et réglementaires de l’évolution territoriale du Niger de 1900 à 1960, p. 105.
203
Ibid., annexe 65.
204
Avant-projet de délimitation du parc W du Niger, mémoire du Bénin, annexe 57; réplique du Niger, p. 268,
par. 5.11. - 63 -

205
l’arrêté . Non seulement il n’y a là qu’une supposition, que rien ne vient étayer, mais au surplus,

si le moindre problème s’était posé, comme l’imagine le Niger, les autorités coloniales l’auraient,

au contraire, réglé en indiquant explicitement où passait la limite. Le fait qu’elles s’en soient

abstenues indique évidemment que la formule utilisée ne posait aucune difficulté. Quant à

l’argument tiré du calcul des superficies des parcs du W 20, le Bénin lui a fait justice en détail dans

207
sa réplique, et il n’y a donc pas lieu d’y revenir . Enfin, mais on en arrive alors au troisième

temps (si l’on peut dire)  celui du mutisme  de l’argumentation nigérienne, la Partie nigérienne

passe sous silence dans sa réplique un très grand nombre de documents qui confirment la thèse du

Bénin et dont elle ne semble pas en mesure de contester la valeur probante.

Troisième «temps» de l’argumentation du Niger : passer sous silence les documents dont il n’est
pas en mesure de contester la valeur probante

13.26. Un grand nombre de documents produits par le Bénin à l’appui de sa thèse n’ont pas

été réfutés en effet par le Niger dans sa réplique, et il faut donc en prendre acte. Je me contenterai,

ici, de les rappeler pour mémoire.

13.27. Si le Niger, tout d’abord, mentionne en passant le procès-verbal du 10 février 1927

antérieur à l’arrêté fixant le point triple sur la rivière Mékrou 208, il garde un silence total sur son

contenu, et pour cause. On y apprend que les autorités nigériennes, de concert avec celles de la

Haute-Volta, «ont convenu» que la Mékrou constituait la limite intercoloniale.

13.28. De même, si le Niger cite, comme je l’ai rappelé précédemment, l’arrêté du

209
16 avril 1926 , il oublie de rappeler que celui-ci établit, «dans la colonie du Dahomey», un parc

limité, à l’ouest, «par la rive droite de la Mékrou sur 75 kilomètres à partir de son confluent».

Cette mention implique nécessairement que la limite intercoloniale n’était plus fixée à la ligne

de 1907, sans quoi le parc, et donc le territoire de la colonie du Dahomey dans lequel il était

localisé, auraient empiété sur le territoire du Niger 210. La même conclusion vaut pour l’arrêté du

205Réplique du Niger, p. 268, par. 5.11.
206
Ibid., p. 268-269, par. 5.11.
207
Réplique du Bénin, p. 207-208, par. 6.30.
208Réplique du Niger, p. 261, par. 5.6; mémoire du Bénin, annexe 35.

209Voir supra, par. 13.22; mémoire du Niger, annexe B.42.

210Réplique du Bénin, p. 203 et suiv., par. 6.26 et suiv. - 64 -

3 décembre 1952 211. Quant à l’arrêté du 13 novembre 1937 créant un parc côté Niger, il s’était, lui

212
aussi, expressément référé à la rivière Mékrou comme limite . Le Bénin ne peut que constater

que le Niger garde un silence embarrassé sur ces arrêtés.

13.29. Il en va de même à l’égard des travaux préparatoires des arrêtés créant les parcs du W.

A l’exception d’une référence à l’avant-projet de délimitation , on ne trouve, dans la réplique du

214
Niger, nulle mention du projet de classement de la réserve du W du Niger du 5 juin 1952 , ou de

215
la lettre du 8 août de la même année de l’inspecteur principal des eaux et forêts . Sans doute ce

silence s’explique-t-il par le fait que ceux-ci se réfèrent encore une fois à la rivière Mékrou comme

limite intercoloniale.

13.30. Enfin, mis à part la production d’une nouvelle carte dont j’ai montré tout à l’heure

216
l’absence de valeur probante , le Niger ne dit absolument rien de ce qui fait le caractère

fondamental de l’abondant dossier cartographique produit par les Parties, à savoir qu’à partir

de 1922, plus aucune carte ne se réfère à la ligne de 1907, et que toutes les autres cartes, et elles

217
sont nombreuses, retiennent la rivière Mékrou comme limite intercoloniale . Cette unité du

matériau cartographique est suffisamment rare dans un contentieux territorial pour être relevée, et

elle emporte évidemment des conséquences juridiques difficiles à esquiver, comme le Bénin l’a

218
expliqué dans son contre-mémoire . Le Niger, quant à lui, se tait, et on le comprend, tant le

dossier est accablant.

13.31. C’est donc, en définitive, Monsieur le président, une conclusion sans équivoque qui

s’impose : à partir de 1919, les autorités coloniales françaises, y compris celles de la colonie du

Niger, se sont référées de manière constante, ininterrompue et exclusive à la rivière Mékrou comme

limite intercoloniale. Cette solidité et cette absence d’ambiguïté du legs colonial expliquent que le

Bénin et le Niger, après les indépendances, ne s’en soient jamais démarqués, et même qu’ils l’aient

211
Mémoire du Bénin, annexe 63.
212Mémoire du Niger, annexe B.60.

213Voir supra, par. 13.25, note 45.

214Mémoire du Bénin, annexe 59.

215Ibid., annexe 60.
216
Supra, par. 13.24.
217
Contre-mémoire du Bénin, B, p. 169-175.
218
Ibid., p. 173, par. 4.43. - 65 -

officiellement confirmé, dans des termes qui les engagent juridiquement, comme le montrera

maintenant le professeur Alain Pellet.

Je vous remercie, Monsieur le président, Messieurs les juges, de votre attention, et je vous

prie, Monsieur le président, de bien vouloir appeler à cette barre le professeur Alain Pellet.

Le PRESIDENT de la CHAMBRE : Je vous remercie, Monsieur le professeur. Monsieur le

professeur Pellet, vous avez la parole.

M. PELLET : Merci, Monsieur le président, ne vous réjouissez pas trop, je crois que j’avais

indiqué que je ne parlerais que vingt minutes mais je dépasserai sans doute un peu ce temps, mais

pas le temps prévu.

Monsieur le président, Messieurs les juges,

14. L’acceptation par le Niger de la fixation de la frontière à la Mékrou après les
indépendances

14.1. Mathias Forteau l’a fort bien montré : la limite entre le Dahomey et le Niger avait été

fixée par le colonisateur à la rivière Mékrou, de son confluent avec le Niger jusqu’au point triple

Dahomey/Haute-Volta/Niger (qui est, je le rappelle en passant, situé au point de coordonnées

11° 54' 15" nord et 2° 25' 10" est). Ceci suffit à établir le titre du Bénin, dès lors que votre

Chambre est appelée par l’article 6 du compromis à appliquer «le principe de la succession d’Etats

aux frontières héritées de la colonisation, à savoir l’intangibilité des frontières».

14.2. Ce principe n’est cependant pas absolu en ce sens que «[l]’intangibilité des frontières

219
ne fait pas obstacle à une modification consentie des frontières» . Si donc, par impossible, il

subsistait dans votre esprit, Messieurs les juges, un doute quelconque sur le fait que, au moment de

l’accession des deux Parties à la pleine souveraineté internationale, la Mékrou constituait leur

frontière commune, vous devriez constater que, de toute manière, elles se sont, ultérieurement,

accordées sur ce point dans le cadre du projet de construction du barrage de Dyodyonga.

14.3. Le Niger en convient d’ailleurs puisqu’il consacre les seize dernières pages de sa

réplique à tenter d’établir non pas que cet accord n’existe pas, mais qu’il serait entaché d’erreur et

219
Dictionnaire de droit international public, Bruylant, J. Salmon, dir. publ., Bruxelles, 2001, p. 590. Voir aussi
Différend frontalier, terrestre et insulaire, C.I.J. Recueil 1992, arrêt du 11 septembre 1992, p. 401, par. 67, ou
p. 408-409, par. 80. - 66 -

220
ne saurait dès lors se voir attribuer d’effet juridique . Il avance à cette fin cinq arguments dont je

dirai successivement quelques mots.

a) La position du Niger n’aurait pas été exprimée «officiellement et sans ambiguïté, d’une
manière claire et constante»

14.4. Au fond, sur ce point, Monsieur le président, la thèse du Niger est fondée sur une

lapalissade : sa position n’aurait pas été constante … parce que, lorsqu’il s’est aperçu de sa

221
prétendue erreur, il en a changé !

14.5. Mais, à vrai dire, s’il en a changé  ouvertement dans ses relations avec le Bénin en

tout cas  car, au plan interne, je vais y revenir, c’est sans doute différent  ce n’est, au mieux,

qu’en 1996 (près d’un quart de siècle après l’accord, non contesté, de 1973-1974), lorsque ses

représentants à la troisième session de la commission mixte paritaire ont exhumé le décret de

222
1907 . Auparavant, dans les faits, comme à travers ses déclarations, sa position avait été

parfaitement constante : il avait toujours, depuis l’indépendance, tenu la Mékrou comme

constituant la frontière. Encore cette nouvelle position n’a-t-elle, pour sa part, pas été constante :

les plus hautes autorités nigériennes ont très clairement reconnu le caractère frontalier de la Mékrou

à l’occasion de la visite à Niamey de la mission technique d’études béninoise en avril 1998 . 223

[Projection du croquis n° 12.]

14.6. Et nos amis nigériens font preuve d’une certaine intrépidité lorsqu’ils prétendent que

l’accord du 14 janvier 1999 ne reflète pas «le moindre agrément de la Partie nigérienne à la fixation

224
de la frontière entre le Niger et le Bénin … au cours de la Mékrou» . Cet accord est relatif à la

réalisation de l’aménagement hydroélectrique du site de Dyodyonga sur la rivière Mékrou et

er
précise expressément, dans son préambule et à l’article 1 que ce site se trouve «dans le secteur

225
frontalier entre les deux Etats» , ce que confirme la concession du même jour entre

l’établissement public international (international, pas nigérien) de la Mékrou et la société

220Réplique du Niger, p. 275-291, par. 5.17-5.26.
221
Ibid., p. 278, par. 5.19.
222
Ibid., annexe 21, p. 6.
223Voir contre-mémoire du Bénin, p. 190-191, par. 4.82 et ibid., annexe 25.

224Réplique du Niger, p. 278, par. 5.19.

225Mémoire du Bénin, annexe 109. - 67 -

hydroélectrique de la Mékrou 226 qui mentionne en outre expressément «les territoires du Niger et

227
du Bénin» . On voit mal pourquoi le Niger se serait encombré de l’accord du Bénin si la Mékrou

était exclusivement sienne : comme le montre le croquis inclus dans le dossier des juges sous

l’onglet n° 12 et projeté derrière moi, le barrage de Dyodyonga devait être implanté ou doit être

implanté en plein territoire revendiqué aujourd’hui par le Niger.

b) Les autorités nigériennes n’auraient nullement été convaincues que la Mékrou constituait la

frontière entre les deux Etats dans la zone

14.7. Pour tenter de l’établir, le Niger s’appuie exclusivement sur une lecture partielle des

228
questions posées par les autorités nigériennes à l’IGN (Dakar) d’une part , à l’ambassade de

229 230
France d’autre part , questions qu’il isole de leur contexte .

[Fin de la projection du croquis n° 12.]

14.8. Mais nos contradicteurs s’emmêlent quelque peu sur ce point :

 ils concèdent que la question précise posée à l’IGN par le ministère nigérien des affaires

étrangères offre «quelque appui» à la thèse du Bénin selon laquelle le seul doute que nourrissait

le Niger portait sur le point de savoir si la frontière était située à la rive ou sur la rivière

elle-même  et pour cause ! Cette question est, en effet, rédigée d’une manière qui ne laisse

place à aucun doute : «il s’agirait de déterminer avec précision si la frontière entre le Niger et

le Dahomey est représentée par la rivière Mékrou (donc par son thalweg) ou si elle laisse tout

le cours d’eau dans l’un des deux territoires. Le pointillé de la frontière», ajoute le ministre

e e
nigérien, «dans les cartes [feuille de Kirtachi au 1/200.000 et au 1/50.000 ] laisse la totalité du

cours d’eau en territoire nigérien» ; 231

 las ! Cette question ne s’expliquerait nullement parce que les autorités nigériennes «étaient

232
convaincues que ce cours d’eau constituait la frontière dans cette zone» mais «par le fait que

226
Ibid., annexe 110, art. 4.
227 Art. 40.1.

228 Mémoire du Niger, annexe C.68.

229 Voir mémoire du Niger, annexe C.70.

230 Réplique du Niger, p. 279-280, par. 5.20.
231
Mémoire du Niger, annexe C.68.
232
Réplique du Niger, p. 280, par. 5.20. - 68 -

les cartes disponibles  qui constituaient visiblement la seule source d’information dont [elles]

233
disposaient … faisaient apparaître le cours de la Mékrou comme frontière» . C’est le Niger

qui l’écrit. Assurément ! Mais c’est bien pourquoi ces autorités étaient convaincues que la

Mékrou constituait la frontière…  seul point en examen dans ce passage de la réplique

nigérienne;

 quant à la demande qui a transité par l’ambassade de France à Niamey, ici encore, la Partie

nigérienne spécule à tort en affirmant qu’elle aurait été «formulée en des termes très généraux,

234
et n’était nullement exclusivement centrée sur la Mékrou» , histoire, sans doute je dirais, de

«faire porter le chapeau à la France» pour excuser l’erreur prétendument commise par le Niger;

235
à vrai dire, il suffit de lire la note verbale du 7 septembre 1971 pour constater qu’à nouveau

la question portait exclusivement sur les cartes et qu’elle était vraisemblablement liée à la

Mékrou car, dans le détail, la réponse est centrée sur cette partie de la frontière.

14.9. A priori, on voit mal d’ailleurs pourquoi le Niger déploie tant d’efforts pour essayer de

prouver le contraire : après tout, quelle qu’ait pu être la portée des questions posées, ces questions

témoignent de sa conviction, bien ancrée dans les années 1970, selon laquelle la Mékrou constitue

bien la frontière et tel serait l’objet de la prétendue erreur qu’il aurait commise  car, et c’est son

troisième argument :

c) Il existerait bien, selon le Niger, une erreur susceptible d’être invoquée par lui en vue de
remettre en cause la validité de ses prises de position passées

14.10. Ce troisième argument se décompose en effet en deux branches suivant l’alternative

suivante :

 ou bien les demandes de 1970 et 1971 étaient générales et l’absence, dans les réponses de

l’IGN et des autorités françaises, de toute mention des textes pertinents (dont, selon le Niger, le

décret de 1907) aurait induit le Niger en erreur;

233Ibid.
234
Ibid.
235Mémoire du Niger, annexe C.70. - 69 -

 ou bien les questions étaient précises  il parle d’un «scénario minimaliste»  et le Niger

n’en aurait pas moins été induit en erreur car, écrit-il, «il existe au moins deux textes

coloniaux» qui précisent l’emplacement exact de la frontière sur la rivière Mékrou . 236

14.11. La première hypothèse, le «scénario maximaliste» si l’on veut, n’en est pas une. Le

Niger fait mine de s’étonner que «les services les plus actifs et les plus compétents dans ce

237
domaine» n’aient pas mentionné les très nombreux textes pertinents fixant la frontière à la

Mékrou. Il n’y a pas lieu d’en être surpris; je l’ai dit : ceci n’était pas en débat; les questions

n’étaient pas formulées dans ces termes; et la réponse ne pouvait faire de doute à cet égard.

14.12. En ce qui concerne le «scénario minimaliste», hypothèse infiniment plus

238 239
vraisemblable, les arrêtés du 16 avril 1926 et du 30 septembre 1937 auraient fourni la réponse

à la question posée et auraient dû, dès lors, selon le Niger, être mentionnés par l’IGN et les

autorités françaises. L’un et l’autre, mentionnent, en effet, «la rive droite du Mékrou» en tant que

limite, en 1926, du «parc de refuge» du cercle du Moyen-Niger (le futur cercle de Kandi), en 1937,

de la «réserve naturelle intégrale» du même cercle de Kandi. Mais il suffit de se reporter à l’objet

même de ces arrêtés pour constater qu’ils délimitent une réserve, pas une colonie; ils montrent où

est la limite de la première mais l’on ne peut rien en déduire de précis quant à la seconde, sinon que

le territoire du Niger ne s’étendait certainement pas au-delà de la Mékrou. D’ailleurs, de manière

fort significative, ces deux arrêtés fixent également la limite septentrionale du parc ou de la réserve

à «la rive droite du Niger»; or, la Partie nigérienne elle-même ne va pas jusqu’à prétendre que la

frontière entre les deux Etats suit cette rive droite. En d’autres termes, les arrêtés de 1926 et 1937

confirment que la Mékrou constitue bien la limite générale entre les deux territoires, mais rien ne

peut en être inféré en ce qui concerne la délimitation précise sur le cours de celle-ci, seule question

que le Niger avait posée en 1970 et 1971. Reprocher aux autorités françaises de n’avoir pas

mentionné les arrêtés de 1926 et 1937 est leur faire une bien mauvaise querelle  mais nécessaire

sans doute pour établir que, et c’est la quatrième proposition nigérienne :

236Réplique du Niger, p. 282, par. 5.22.
237
Ibid., p. 283, par. 5.22.
238
Mémoire du Niger, annexe B.42.
239Mémoire du Bénin, annexe 45. - 70 -

d) Le Niger n’aurait ni contribué à sa prétendue erreur, ni fait preuve de légèreté

14.13. Nos contradicteurs conviennent que c’est bien le Niger qui a pris l’initiative de

240
proposer au Bénin la construction d’un barrage sur la Mékrou au site de Dyodyonga . Mais cette

proposition n’aurait témoigné d’aucune conviction solidement établie quant au caractère limitrophe

de ce cours d’eau; après tout, soutiennent-ils, il existe d’autres exemples de coopération

internationale en matière de mise en valeur de ressources hydrauliques purement nationales

 comme en témoignerait le barrage de Manantali au Mali 241. Mais celui-ci a été réalisé dans le

cadre de l’aménagement concerté du bassin du fleuve Sénégal par les Etats de ce bassin, et les

conditions dans lesquelles il a été construit, sous les auspices de l’OMVS, n’ont rien à voir avec les

circonstances qui ont conduit le Niger à envisager la construction du barrage de Dyodyonga.

14.14. La Partie nigérienne, parfois plus sourcilleuse sur la chronologie, prend, sur ce point,

quelques libertés avec elle :

 la proposition de construire un barrage sur le site de Dyodyonga est faite par le président du

Niger au président du Dahomey, en 1969; et, quoiqu’en écrive nos contradicteurs, le chef de

l’Etat du Niger justifie sa proposition d’associer le Dahomey par le fait, comme il le souligne à

deux reprises, que la rivière Mékrou est un cours d’eau «limitrophe» ; 242

 en réponse, le Dahomey fait part de sa disponibilité mais soulève la question de l’appartenance

243
de la Mékrou, qu’il considère comme sienne ; les négociations sur ce point ne reprendront

qu’en 1973;

 entre-temps, le Niger, alerté par la revendication dahoméenne, a effectué, en 1970 et 1971, les

enquêtes dont j’ai parlé tout à l’heure, auprès de l’IGN Dakar et des autorités françaises;

 suite aux réponses qui lui sont données, il est pleinement informé de la manière dont le

problème se pose, comme l’indique du reste la note verbale très complète qu’adresse le

ministère des affaires étrangères du Niger à celui du Dahomey, le 29 août 1973 244; et

240
Réplique du Niger, p. 284, par. 5.23.
241
Ibid., p. 285, par. 5.23.
242Voir contre-mémoire du Niger, annexe A.60.

243Cf. les lettres du colonel De Souza et du président Ahomadegbé des 5 février et 11 juillet 1970, mentionnées
dans la note verbale du ministère des affaires étrangères du Niger du 29 août 1973, mémoire du Niger, annexe A.10 (la
lettre du 5 février 1970 est reproduite en annexe A.61 du contre-mémoire nigérien).

244Mémoire du Niger, annexe A.10. - 71 -

 c’est dans ces conditions, après s’être renseigné auprès des autorités compétentes de

l’ex-puissance coloniale, que le Niger a conclu avec le Dahomey (qui ne deviendra le Bénin

que l’année suivante), en pleine connaissance de cause, l’accord constitué par le procès-verbal

de la réunion du 8 février 1974 aux termes duquel : «La Mékrou, dans son cours inférieur,

constitue la frontière entre la République du Niger et la République du Dahomey. Ainsi donc

245
le milieu du lit majeur du cours d’eau ou thalweg constitue la frontière entre les deux pays» ;

il n’est pas sans intérêt de constater que le Niger a considéré à l’époque que cette solution, loin

de lui être défavorable, constituait «une reconnaissance par le Dahomey du bien-fondé de la

position du Niger» 246.

14.15. Il est vrai, Monsieur le président, qu’à la fin de l’année 1974 des documents purement

internes au Niger ont fait état du décret de 1907 : c’est le cas d’une note du 28 décembre 1974

247
signée «G. Belko» et d’un document du même jour émanant du service juridique du cabinet du

ministre (probablement des affaires étrangères), que la Partie nigérienne présente curieusement

comme un «projet d’accord transmis en 1974 par le ministère des affaires étrangères de la

République du Niger au ministère des affaires étrangères de la République du Dahomey, pour la
248
construction d’un barrage sur la Mékrou» . Mais il suffit de lire ce document, classé

«confidentiel», pour constater qu’il n’a pas été transmis au Dahomey et n’avait pas vocation à

l’être. Il y est écrit par exemple : «Il conviendra peut-être d’éliminer la question du barrage sur la

Mékrou de l’ordre du jour de la toute prochaine rencontre, sous un prétexte quelconque (par

exemple que le projet nigérien de protocole d’accord n’est pas encore au point).» Et en effet, il

fallut plus de vingt ans pour que les pourparlers reprennent sur ce point.

14.16. Mais qu’en déduire, Monsieur le président ? D’abord sûrement, qu’en l’occurrence,

le Niger ne s’est pas montré un partenaire particulièrement loyal : au lieu de faire part de ses doutes

aux autorités dahoméennes, il a gardé par devers lui ces informations  certes, celles-ci étaient

erronées comme le Bénin l’a montré à suffisance, et tout à l’heure encore, par la voix du professeur

245Ibid., annexe A.11.
246
Ibid., annexe A.12, p. 3; les italiques sont de nous.
247
Ibid., annexe C.71.
248Ibid., annexe A.12. - 72 -

Forteau; mais si le Niger les tenait pour exactes, pourquoi a-t-il attendu 1997 pour s’en prévaloir

auprès du Bénin ? A l’évidence parce que les autorités nigériennes, alertées de l’existence du

décret de 1907, ont considéré, à bon droit, qu’il ne leur était plus possible de revenir sur l’accord de

février 1974.

14.17. Dès lors, le Niger est bien mal venu à se prévaloir aujourd’hui d’une erreur qui aurait

vicié son accord de 1974 :

 c’est le Niger qui a engagé le Dahomey dans la négociation du début des années soixante-dix

en partant du principe que la Mékrou constituait la frontière;

 c’est lui qui a obtenu de son partenaire qu’il renonce à sa prétention à la souveraineté sur

l’intégralité du cours de la Mékrou;

 c’est lui qui a conclu l’accord de 1974, alors même qu’il était, de son propre aveu, en pleine

recherche d’archives probantes (puisqu’il n’était pas satisfait des explications de l’IGN Dakar

et des autorités françaises) et que son eurêka  qu’il n’est pas possible de dater avec

précision  est, en tout cas, contemporain de cet engagement; il était, pour le moins «averti de
249
la possibilité d’une erreur» ;

 c’est le Niger enfin qui a attendu durant vingt-trois ans pour informer le Bénin de ce qu’il dit

être sa nouvelle conviction. Du reste, et ce sera mon dernier point, Monsieur le président,

e) Les négociations en vue de la réactivation du projet de barrage ont confirmé la
reconnaissance par les autorités nigériennes de la fixation de la frontière à la Mékrou

14.18. Selon la Partie nigérienne, les négociations de la fin des années quatre-vingt-dix, qui

ont conduit à la conclusion de l’accord de 1999 relatif à la réalisation du barrage de Dyodyonga, ne

confirmeraient nullement la reconnaissance par le Niger de la fixation de la frontière à la Mékrou.

Deux faits, pourtant, établissent le contraire.

250
14.19. D’abord le texte même de l’accord. Je l’ai dit , celui-ci situe le barrage «dans le

secteur frontalier entre les deux Etats» et la convention de concession signée le même jour, qui

reprend cette expression, envisage l’établissement du chantier «sur les territoires du Niger et du

249
Article 48, paragraphe 2, de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, et Temple de Préah
Vihéar, fond, C.I.J. Recueil 1962, arrêt du 15 juin 1962, p. 26.
250
Supra, par. 14.6. - 73 -

Bénin». Certes, l’article 7, paragraphe 1, de l’accord précise que celui-ci «est sans effet sur le

processus de délimitation de la frontière entre les deux Etats» 251; mais le processus est autre chose

que le tracé lui-même, et l’on voit mal comment un accord relatif à un ouvrage d’art construit

«dans le secteur frontalier», dans le cadre d’un chantier établi «sur les territoires» des deux Etats,

pourrait ne pas confirmer qu’il concerne une rivière limitrophe  même s’il n’en résulte pas une

délimitation précise de la frontière sur le cours d’eau.

14.20. En second lieu, le Niger conteste la valeur probante du compte rendu du 30 avril 1998

que j’ai également cité tout à l’heure , qu’il s’emploie à déconsidérer en citant des passages peu

253
pertinents (au détriment de ceux qui le sont) et en affirmant qu’«[u]n compte rendu établi de

façon purement unilatérale par les membres d’une délégation béninoise ne saurait évidemment

constituer une preuve admissible de propos qui auraient été tenus par des responsables nigériens» et

254
que l’attitude d’un ministre nigérien qui y est rapportée n’engagerait pas la Partie nigérienne .

14.21. Trois brèves remarques seulement, Monsieur le président :

 d’abord, on ne voit pas pourquoi le Niger se montre si véhément à l’encontre d’un document

dont il ne prétend pas (et il a raison) que ce serait un faux forgé pour les besoins de la présente

affaire : il a été rédigé en toute bonne foi au moment des faits; et si l’on peut admettre que les

255
«qualifications juridiques qui y sont opérées» n’engagent pas la Partie nigérienne, les faits

qui y sont relatés n’ont aucune raison d’être mis en doute;

 dans ces conditions, il n’est pas du tout indifférent de savoir, par exemple, que «le ministre

nigérien des mines et de l’énergie a souhaité que la partie béninoise procède également à une

identification du site du côté béninois dans les meilleurs délais» ; 256

 enfin, il convient de remarquer que, si les faits rapportés par la Partie béninoise étaient inexacts

ou déformés, il eût été facile au Niger, mais c’est trop tard, d’apporter la preuve contraire : les

faits sont récents et il est très probable que la mission en question a également fait l’objet d’un

251Les italiques sont de nous.
252
Supra, par. 14.5.
253
Réplique du Niger, p. 289-290, par. 5.25.
254Réplique du Niger, p. 290, par. 5.25.

255Ibid.

256Contre-mémoire du Bénin, annexe 25; les italiques sont de nous. - 74 -

compte-rendu du côté nigérien; et, si tel n’était pas le cas, des affidavits sont des moyens de

preuve parfaitement admissibles devant la Cour; en s’abstenant d’apporter quelque preuve que

ce soit à l’appui de ses dénégations, la Partie nigérienne renforce la valeur probante du

document qu’elle décrie.

14.22. Au demeurant, Monsieur le président, il faut reconnaître que tout ceci ne présente pas

une très grande importance. Je l’ai dit, le Bénin soulève ce moyen fondé sur la reconnaissance par

le Niger, en 1974, du «milieu du lit majeur» de la Mékrou comme «la frontière entre les deux

pays», à titre uniquement subsidiaire. Il vous suffira, Messieurs de la Cour, de constater que c’est,

en effet, ainsi que se présente le legs colonial.

Ceci, Monsieur le président, Messieurs les juges, conclut le premier tour des plaidoiries de la

République du Bénin, que nous vous remercions vivement d’avoir écoutées avec patience et

attention.

Le PRESIDENT de la CHAMBRE : Je vous remercie Monsieur le professeur. La plaidoirie

du professeur Pellet met fin au premier tour de plaidoiries de la République du Bénin. La Chambre

se réunira à nouveau demain matin, mardi 8 mars 2005 à 10 heures, pour entendre le premier tour

de plaidoiries de la République du Niger. Et, en vous souhaitant tous bonne soirée, je vous

remercie. La séance est levée.

L’audience est levée à 17 h 55.

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Public sitting held on Monday 7 March 2005, at 3 p.m.

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