Public sitting held on Monday 15 October 2001, at 10 a.m., at the Peace Palace, President Guillaume and Vice-President Shi presiding, successively

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121-20011015-ORA-01-00-BI
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Number (Press Release, Order, etc)
2001/5
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CR 2001/5
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LA HAYE THE HAGUE
ANNÉE 2001
Audience publique
tenue le lundi 15 octobre 2001, à 10 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de M. Guillaume, président, puis de M. Shi, vice-président,
en l'affaire relative au Mandat d'arrêt du 11 avril 2000
(République démocratique du Congo c. Belgique)
____________
COMPTE RENDU
____________
YEAR 2001
Public sitting
held on Monday 15 October 2001, at 10 a.m., at the Peace Palace,
President Guillaume and Vice-President Shi presiding, successively,
in the case concerning the Arrest Warrant of 11 April 2000
(Democratic Republic of the Congo v. Belgium)
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VERBATIM RECORD
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- 2 -
Présents : M. Guillaume, président
M. Shi, vice-président
MM. Oda
Ranjeva
Herczegh
Fleischhauer
Koroma
Vereshchetin
Mme Higgins
MM. Parra-Aranguren
Kooijmans
Rezek
Al-Khasawneh
Buergenthal, juges
M. Bula-Bula
Mme Van den Wyngaert, juges ad hoc
M. Arnaldez, greffier-adjoint
ææææææ
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Present: President Guillaume
Vice-President Shi
Judges Oda
Ranjeva
Herczegh
Fleischhauer
Koroma
Vereshchetin
Higgins
Parra-Aranguren
Kooijmans
Rezek
Al-Khasawneh
Buergenthal
Judges ad hoc Bula-Bula
Van den Wyngaert
Deputy-Registrar Arnaldez
ææææææ
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Le Gouvernement de la République démocratique du Congo est représenté par :
S. Exc. M. Jacques Masangu-a-Mwanza, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la
République démocratique du Congo auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme agent;
S. Exc. Me
Ngele Masudi, ministre de la justice et garde des sceaux,
M
e Kosisaka Kombe, conseiller juridique à la présidence de la République,
M. François Rigaux, professeur émérite à l’Université catholique de Louvain,
Mme Monique Chemillier-Gendreau, professeur à l’Université de Paris VII (Denis Diderot),
M. Pierre d’Argent, chargé de cours à l’Université catholique de Louvain,
M. Moka N’Golo, bâtonnier,
M. Djeina Wembou, professeur à l’Université d’Abidjan,
comme conseils et avocats;
M. Mandjambo, conseiller juridique au ministère de la justice,
comme conseiller.
Le Gouvernement du Royaume de Belgique est représenté par :
M. Jan Devadder, directeur général des affaires juridiques du ministère des affaires étrangères,
comme agent;
M. Eric David, professeur de droit international public à l’Université libre de Bruxelles,
M. Daniël Bethlehem, Barrister, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles, Fellow of
Clare Hall et directeur adjoint du Lauterpacht Research Centre for International Law de
l’Université de Cambridge,
comme conseils et avocats;
S. Exc. le baron Olivier Gillès de Pélichy, représentant permanent du Royaume de Belgique auprès
de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, en charge des relations avec la Cour
internationale de Justice,
M. Claude Debrulle, directeur général de la législation pénale et des droits de l’homme du
ministère de la justice,
M. Pierre Morlet, avocat général auprès de la cour d’appel de Bruxelles,
M. Wouter Detavernier, conseiller adjoint à la direction générale des affaires juridiques du
ministère des affaires étrangères,
M. Rodney Neufeld, Research Associate au Lauterpacht Research Centre for International Law de
l’Université de Cambridge,
M. Tom Vanderhaeghe, assistant à l’Université libre de Bruxelles.
- 5 -
The Government of the Democratic Republic of the Congo is represented by:
H.E. Mr. Jacques Masangu-a-Mwanza, Ambassador Extraordinary and Plenipotentiary of the
Democratic Republic of the Congo to the Kingdom of the Netherlands,
as Agent;
H.E. Maître Ngele Masudi, Minister of Justice and Keeper of the Seals,
Maître Kosisaka Kombe, Legal Adviser to the Presidency of the Republic,
Mr. François Rigaux, Professor Emeritus at the Catholic University of Louvain,
Ms Monique Chemillier-Gendreau, Professor at the University of Paris VII (Denis Diderot),
Mr. Pierre d’Argent, Chargé de cours, Catholic University of Louvain,
Mr. Moka N’Golo, Bâtonnier,
Mr. Djeina Wembou, Professor at the University of Abidjan,
as Counsel and Advocates;
Mr. Mandjambo, Legal Adviser to the Ministry of Justice,
as Counsellor.
The Government of the Kingdom of Belgium is represented by:
Mr. Jan Devadder, Director-General, Legal Matters, Ministry of Foreign Affairs,
as Agent;
Mr. Eric David, Professor of Public International Law, Université libre de Bruxelles,
Mr. Daniel Bethlehem, Barrister, Bar of England and Wales, Fellow of Clare Hall and
Deputy-Director of the Lauterpacht Research Centre for International Law, University of
Cambridge,
as Counsel and Advocates;
H.E. Baron Olivier Gillès de Pélichy, Permanent Representative of the Kingdom of Belgium to the
Organization for the Prohibition of Chemical Weapons, responsible for relations with the
International Court of Justice,
Mr. Claude Debrulle, Director-General, Criminal Legislation and Human Rights, Ministry of
Justice,
Mr. Pierre Morlet, Advocate-General, Brussels cour d'Appel,
Mr. Wouter Detavernier, Deputy-Counsellor, Directorate-General Legal Matters, Ministry of
Foreign Affairs,
Mr. Rodney Neufeld, Research Associate, Lauterpacht Research Centre for International Law,
University of Cambridge.
Mr. Tom Vanderhaeghe, Assistant at the Université libre de Bruxelles.
.
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Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte.
La Cour se réunit aujourd’hui, en application des articles 43 et suivants de son Statut, pour
entendre les Parties en leurs plaidoiries en l’affaire relative au Mandat d’arrêt du 11 avril 2000
(République démocratique du Congo c. Belgique).
Avant de rappeler les principales étapes de la procédure en l’espèce, je souhaite indiquer
que, M. Mohammed Bedjaoui ayant démissionné de ses fonctions à compter du 30 septembre 2001,
l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité ont élu, le 12 octobre 2001, M. Nabil Elaraby pour
achever le mandat de M. Bedjaoui, qui viendra à expiration le 5 février 2006. Cette élection étant
intervenue il y a trois jours à peine, M. Elaraby ne pourra rejoindre La Haye qu’ultérieurement.
Je désire en outre saisir l’occasion que nous offre cette audience pour évoquer très
brièvement l’éminente contribution que M. Mohammed Bedjaoui a apportée à l’œuvre de la Cour.
Pendant près de vingt années, M. Bedjaoui a en effet marqué celle-ci de son empreinte, à une
époque de profonde évolution du droit international et des relations internationales. Mes collègues
et moi-même pouvons témoigner de la richesse et de la lucidité de sa pensée ainsi que de
l’engagement personnel qui a été le sien au service de notre institution. Le départ de ce juge et
ancien président de la Cour est sans aucun doute une grande perte pour celle-ci.
Je rappellerai maintenant que chacune des Parties à la présente affaire, la République
démocratique du Congo et le Royaume de Belgique, ont usé de la faculté qui leur est conférée par
l’article 31 du Statut de la Cour pour désigner un juge ad hoc. M. Sayeman Bula-Bula, désigné par
la République démocratique du Congo, et Mme Christine van den Wyngaert, désignée par la
Belgique, ont été dûment installés comme juges ad hoc en l’affaire l’année dernière, à l’occasion
de l’examen de la demande en indication de mesures conservatoires présentée par la République
démocratique du Congo; conformément au paragraphe 3 in fine de l’article 8 du Règlement de la
Cour, ils n’ont donc pas à renouveler leur déclaration dans la présente phase de l’affaire.
*
* *
- 7 -
Le 17 octobre 2000, la République démocratique du Congo a déposé au Greffe de la Cour
une requête introduisant une instance contre le Royaume de Belgique au sujet d’un différend
concernant un «mandat d’arrêt international qu’un juge d’instruction belge … a[vait] décerné le
11 avril 2000 contre le ministre des affaires étrangères en exercice de la République démocratique
du Congo, M. Abdulaye Yerodia Ndombasi». Dans cette requête, le Congo soutenait que la
Belgique avait violé le «principe selon lequel un Etat ne peut exercer son pouvoir sur le territoire
d’un autre Etat», le «principe de l’égalité souveraine entre tous les Membres de l’Organisation des
Nations Unies, proclamé par l’article 2, paragraphe 1, de la Charte des Nations Unies», ainsi que
«l’immunité diplomatique du ministre des affaires étrangères d’un Etat souverain, reconnue par la
jurisprudence de la Cour et découlant de l’article 41, paragraphe 2, de la convention de Vienne du
18 avril 1961 sur les relations diplomatiques». Au chiffre II de sa requête, le Congo demandait à la
Cour de dire que la Belgique devait «annuler le mandat d’arrêt international … décerné
le 11 avril 2000».
Pour fonder la compétence de la Cour, le Congo invoquait, dans ladite requête, le fait que «la
Belgique a[vait] accepté la juridiction de la Cour et, [qu’]en tant que de besoin, [ladite] requête
[valait] acceptation de cette juridiction par la République démocratique du Congo».
Le jour même du dépôt de sa requête introductive d’instance, le Congo a également présenté
à la Cour une demande en indication de mesure conservatoire au titre de l’article 41 du Statut de la
Cour. Dans cette demande, il exposait que le «mandat d’arrêt litigieux interdi[sait] pratiquement au
ministre des affaires étrangères [du Congo] de sortir de cet Etat pour se rendre en tout autre Etat où
sa mission l’appel[ait] et, par conséquent, d’accomplir cette mission». Le Congo précisait dans
ladite demande que celle-ci tendait «à faire ordonner la mainlevée immédiate du mandat d’arrêt
litigieux». Entre-temps, M. Yerodia Ndombasi a quitté ses fonctions de ministre des affaires
étrangères et s’est vu confier le portefeuille de l’éducation. Par ordonnance du 8 décembre 2000, la
Cour a, d’une part, rejeté une demande de la Belgique tendant à ce que l’affaire soit rayée du rôle
et, d’autre part, a dit que les circonstances, telles qu’elles se présentaient alors à la Cour, n’étaient
pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir d’indiquer, en vertu de l’article 41 du Statut, des
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mesures conservatoires. Dans la même ordonnance, la Cour a par ailleurs déclaré qu’«il [était]
souhaitable que les questions soumises à la Cour soient tranchées aussitôt que possible» et que,
«dès lors, il conv[enait] de parvenir à une décision sur la requête du Congo dans les plus brefs
délais».
Par ordonnance du 13 décembre 2000, le président de la Cour, compte tenu de l’accord des
Parties tel qu’exprimé lors d’une réunion tenue avec leurs agents le 8 décembre 2000, a fixé des
délais pour le dépôt d’un mémoire du Congo et d’un contre-mémoire de la Belgique portant à la
fois sur les questions de compétence et de recevabilité et sur le fond. Par ordonnances des
14 mars 2001 et 12 avril 2001, ces délais, compte tenu des raisons invoquées par le Congo et de
l’accord des Parties, ont été successivement prorogés. Le mémoire du Congo a été déposé le
16 mai 2001, dans le délai tel qu’ainsi finalement prescrit.
Par ordonnance du 27 juin 2001, la Cour, d’une part, a rejeté une demande de la Belgique
tendant à autoriser, en dérogation des ordonnances déjà rendues par le président de la Cour, la
présentation par la Belgique d’exceptions préliminaires entraînant la suspension de la procédure sur
le fond et, d’autre part, a prorogé le délai prescrit dans l’ordonnance du 12 avril 2001 pour le dépôt
par la Belgique d’un contre-mémoire portant à la fois sur les questions de compétence et de
recevabilité et sur le fond. Le contre-mémoire de la Belgique a été déposé le 28 septembre 2001,
dans le délai ainsi prorogé. L’affaire fut alors en état.
J’ajoute que la Cour, s’étant renseignée auprès des Parties, a décidé, en application du
paragraphe 2 de l’article 53 de son Règlement, que des exemplaires des pièces de procédure et des
documents annexés seront rendus accessibles au public à compter de ce jour. En outre,
conformément à la pratique de la Cour, les pièces de procédure sans leurs annexes figureront sur le
site Internet de la Cour et seront publiées ultérieurement dans la série Mémoires, plaidoiries et
documents de la Cour.
Je constate la présence à l’audience des agents, conseils et avocats des deux Parties. Je
constate également la présence parmi nous de S. Exc. Me Ngele Masudi, ministre de la justice et
garde des sceaux de la République démocratique du Congo, que je suis heureux de saluer.
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Conformément au calendrier des audiences arrêté par la Cour, après consultation avec les
Parties, le Congo sera entendu le premier. Je donne donc maintenant la parole à S.Exc. M. Jacques
Masangu-a-Mwanza, agent de la République démocratique du Congo.
M. MASANGU-a-MWANZA : Merci Monsieur le président.
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, Monsieur le greffier. Mon
intervention sera certes très brève, car elle ne consiste qu’à vous faire la présentation d’éminents
personnages qui vont prendre part successivement aux plaidoiries et aux répliques au nom de la
République démocratique du Congo au cours des audiences arrêtées d’un commun accord entre les
Parties en cause dans l’affaire relative au Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République
démocratique du Congo c. Belgique).
Il s’agit de, comme le président vient de le dire tout à l’heure en le saluant,
1. S. Exc. M. le ministre Ngele Masudi, ministre de la justice et garde des sceaux;
2. Me
Kosisaka Kombe, conseiller à la présidence de la République;
3. Le professeur Mandjambo, conseiller juridique au ministère de la justice;
4. M. François Rigaux, professeur émérite de l’Université catholique de Louvain;
5. Mme Monique Chemillier-Gendreau, professeur à l’Université Paris II, Denis Diderot;
6. M. Pierre d’Argent, chargé de cours à l’Université catholique de Louvain;
7. M. Djeina Wembou, professeur d’Université à Abidjan (mais qui n’est pas encore là);
8. Me
Moka N’Golo, bâtonnier du barreau de Kinshasa (qui n’est pas encore là non plus).
En effet, par sa lettre du 14 juin 2001 adressée au Greffe de la Cour, l’agent de Belgique
aurait souhaité scinder la procédure en trois phases. Il avançait des arguments à l’appui de sa
demande.
Il s’agissait de scinder la procédure en une phase préliminaire où il serait traité de la
compétence et de la recevabilité et une phase sur le fond. Ainsi que son argument de faire
entreprendre une révision de la loi litigieuse auprès des chambres législatives belges.
Ces propositions n’ont pas rencontré l’assentiment de la République démocratique du Congo
qui ne souhaite en aucun cas qu’il soit dérogé à la procédure telle que fixée par la Cour,
conformément à ses ordonnances des 8 et 13 décembre 2000.
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Quel que soit le contenu de la modification législative qu’aurait souhaité le Gouvernement
belge, nous pensons qu’à l’heure actuelle aucun projet de cette modification n’a été déposé au
Parlement belge. Au contraire, les plaintes contre plusieurs personnalités, notamment M. Sharon,
premier ministre d’Israël, M. Fidel Castro, président de Cuba, M. Laurent Gbabo, président de la
République de Côte d’Ivoire, et récemment encore, M. Denis Sassou Nguesso, président du Congo,
continuent à être enregistrées auprès des tribunaux belges.
De toute manière, la République démocratique du Congo a subi un dommage moral qui en
découle et demande par ce fait réparation. Car, pour elle, il s’agit d’un fait illicite passé qu’aucune
réforme législative ne peut effacer.
On aurait pu trouver un compromis si, conformément à l’article 88, paragraphe 2, du
Règlement de la Cour, la Partie adverse avait pu persuader le juge Damien Van der Meersch de
retirer son mandat d’arrêt et si la Belgique avait accepté de présenter des excuses formelles à la
République démocratique du Congo pour le préjudice commis.
Au stade où nous en sommes, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, la
délégation congolaise vous prie de dire le droit.
Je vous remercie.
Le PRESIDENT : Je vous remercie. Puis-je vous demander à qui je dois donner la parole
maintenant au nom de la République démocratique du Congo.
M. MASANGU-a-MWANZA : Au ministre de la justice.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, M. l’ambassadeur. Je donne la parole à S. Exc.
M
e Ngele Masudi, ministre de la justice et garde des sceaux. Monsieur le ministre, vous avez la
parole.
M
e
NGELE MASUDI : Merci. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les membres
de la Cour, Monsieur le Greffier. C’est un grand honneur pour moi de comparaître devant vous
pour introduire le premier tour de plaidoiries de la République démocratique du Congo dans cette
affaire qui l’oppose au Royaume de Belgique. La présence de la République démocratique du
Congo devant cette Cour au titre de la partie demanderesse témoigne de son profond attachement
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au principe de règlement pacifique des conflits. Il ne pouvait en être autrement puisque, depuis son
accession à la souveraineté internationale, mon pays a choisi de participer à la vie internationale
comme un État moderne et civilisé respectueux du droit international. C’est ainsi qu’il est partie à
tous les principaux instruments juridiques multilatéraux, notamment ceux relatifs aux droits de
l’homme et aux droits humanitaires et que son système juridique consacre la supériorité de la
norme internationale sur la norme interne. C’est ce choix d’évoluer dans le respect du droit
international qui a déterminé la République démocratique du Congo à reconnaître la juridiction
obligatoire de votre Cour pour tous les litiges d’ordre juridique qui l’opposeraient à tout autre État
acceptant la même obligation. Le différend qui oppose la République démocratique du Congo au
Royaume de Belgique au sujet du mandat d’arrêt international du 11 avril 2000 n’ayant pas trouvé
de règlement amiable, la République démocratique du Congo a été obligée de le soumettre à votre
Cour afin qu’il reçoive une solution judiciaire.
En effet, la République démocratique du Congo considère que l’émission et la diffusion d’un
mandat contre un ministre des affaires étrangères alors en fonction constituent pour la Belgique un
acte internationalement illicite qui viole ses droits souverains et lui cause un préjudice énorme, tant
moral que matériel. C’est ce que vont démontrer tout à l’heure ses conseils et avocats.
Néanmoins, avant cela, je vous prie, Monsieur le président, de permettre qu’au cours d’une
très brève intervention soit rappelé le contexte particulier dans lequel ont été faites les déclarations
qui ont donné lieu au mandat litigieux et qui est l’état d’agression et d’invasion de la République
démocratique du Congo par ses trois voisins qui ont choisi délibérément d’évoluer en dehors du
droit international.
Je vous remercie.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur le ministre. Si je comprends bien, je dois
donner maintenant la parole à Me
Kosisaka Kombe, conseiller juridique à la présidence de la
République. Maître, vous avez la parole.
M
e
KOSISAKA KOMBE : Merci, Monsieur le président. Monsieur le président, Mesdames
et Messieurs les Membres de la Cour. Je vous remercie pour l’opportunité que vous m’offrez de
pouvoir vous rappeler, en guise d’observation liminaire, le contexte dans lequel les faits ayant
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donné lieu à l’émission du mandat d’arrêt se sont produits. Tout est parti de l’agression dont notre
pays est victime depuis le 2 août 1998 de la part de certains pays voisins, agression aujourd’hui
reconnue par la communauté internationale à travers notamment les résolutions pertinentes du
Conseil de sécurité des Nations Unies. Les agresseurs s’illustrent par des actes systématiques de
violations massives des droits de la personne humaine  les Nations Un ies évaluent à plus de deux
millions de morts dus à cette agression  et de pillage des richesses de la R épublique
démocratique du Congo. Le comportement inhumain des agresseurs qui ne respectent aucune
norme du droit international humanitaire, apparaît au grand jour dès le mois d’août 1998, lorsqu’ils
s’emparent des installations électriques et interrompent l’alimentation de Kinshasa en énergie
électrique, provoquant ainsi une série de désastres humains indescriptibles dans cette ville de plus
de six millions d’habitants, particulièrement dans les hôpitaux. C’est dans ces circonstances que la
population de Kinshasa s’est levée en masse pour résister contre l’agression lorsque les troupes
d’agression ont atteint les quartiers périphériques de la ville de Kinshasa. Le gouvernement, en
ranimant la flamme de la liberté, a renforcé la détermination de la population à s’opposer à la
domination étrangère. Il n’a jamais été question pour le Gouvernement de la République
démocratique du Congo de soulever la population pour s’en prendre à un groupe déterminé qui
serait voué à l’extermination. Le gouvernement n’a pas non plus invité la population à soumettre
des individus à des traitements inhumains ou dégradants. Bien au contraire, lorsque les
débordements ont été observés, le gouvernement, avec l’appui de certains pays amis et de la
communauté internationale, a assuré la protection des personnes vulnérables qui ont pu être
évacuées sous d’autres cieux ou regroupées dans des sites protégés. C’est donc avec indignation
que le peuple et le Gouvernement congolais ont été informés de l’émission par le Royaume de
Belgique d’un mandat d’arrêt contre le ministre des affaires étrangères handicapant ainsi l’Etat
congolais dans ses efforts de mobilisation de la communauté internationale contre l’agression. Le
peuple et le Gouvernement congolais entendent ainsi obtenir que la Cour dise le droit et répare les
préjudices juridique, matériel et moral immenses qu’ils ont manifestement subis. La République
démocratique du Congo, comme toutes les autres nations faibles, fonde de profonds espoirs dans
l’exercice par la Cour de sa fonction judiciaire au sein d’une communauté internationale qui aspire
de plus en plus à devenir une communauté de droit à l’instar de l’état de droit au niveau national.
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La présente démarche constitue aussi une adhésion concrète du Congo au règlement judiciaire des
différends internationaux comme mode de règlement pacifique des différends, conformément à la
Charte des Nations Unies. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les Membres de la Cour,
plus que tout autre instance, la Cour est aujourd’hui mieux placée pour traduire dans les faits le
principe fondateur de la société internationale qu’est l’égalité souveraine des Etats, en sanctionnant
le comportement illégal d’un membre de la communauté internationale sans considération de son
statut de nation développée. Je vous remercie de votre attention.
Le PRESIDENT : Je vous remercie Maître, et je passe maintenant la parole au
professeur Mandjambo, conseiller juridique au ministère de la justice.
M. MANDJAMBO : Pardon, Monsieur le président, c’est le professeur M. François Rigaux
qui va intervenir maintenant.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, alors je passe la parole à M. François Rigaux, professeur
émérite à l’Université catholique de Louvain. Monsieur le professeur vous avez la parole.
M. RIGAUX :
A. REMARQUE INTRODUCTIVE
Merci, Monsieur le président. Je voudrais d’abord souligner l’honneur que constitue pour
moi le fait de comparaître pour la première fois devant la Cour internationale de Justice. Vous
permettrez ensuite, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les Membres de la Cour,
d’indiquer à titre d’observation préliminaire que les relations entre la République démocratique du
Congo et le Royaume de Belgique sont actuellement excellentes. Il n’y a aucune hostilité
quelconque entre les deux Etats et le problème qui les conduit devant votre Cour est une question
tout à fait ponctuelle, tout à fait particulière, on l’a déjà rappelé, c’est ce mandat d’arrêt qui a été
délivré en 2000 contre le ministre des affaires étrangères de la République démocratique du Congo.
Ce que les deux Parties vous soumettent, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les
Membres de la Cour, c’est une question de principe. Chacun des deux Etats se bat plus pour un
principe que, dans une certaine mesure, pour un intérêt propre. Sans doute, le Congo entend-il
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obtenir réparation de l’offense  iniuria  dont il a été la victime, mais en même temps, le Congo
défend un principe objectif du droit international qui est le respect des immunités garanties par le
droit international. Et ce faisant, le Congo plaide pour l’ensemble de la communauté internationale
car il est certain que la violation de ces immunités conduirait véritablement au chaos dans les
relations interétatiques. Mais j’ajoute que la Belgique aussi se bat pour un principe, et le principe
qui peut rencontrer certaines sympathies parmi nous, c’est le principe de lutter contre l’impunité.
Je crains cependant que cette préoccupation belge a été en l’espèce mal inspirée et mal avisée et
qu’elle risque d’ailleurs de faire plus de tort que de bien au principe que l’on appelle la compétence
universelle. La suite de mon exposé, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les Membres
de la Cour, sera divisé en deux parties. Dans une première partie, je voudrais rappeler quel est
l’objet de l’action de l’Etat demandeur et quels sont les principes de droit qui sont applicables, et
dans la deuxième partie, je rappellerai succinctement les motifs pour lesquels le Royaume de
Belgique est internationalement responsable de la violation de l’immunité du ministre des affaires
étrangères de la République démocratique.
B. L’OBJET DE L’ACTION DE LA RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO ET LES PRINCIPES
DE DROIT QUI Y SONT APPLICABLES
Son premier point, le fil conducteur qui se laisse suivre de la première à la dernière page du
contre-mémoire, repose sur une méconnaissance flagrante de l’objet de l’action de la République
démocratique du Congo et des principes de droit qui y sont applicables.
I. La demande, on vous l’a déjà dit, a pour objet l’accomplissement d’un acte du pouvoir
judiciaire qui porte atteinte à une prérogative essentielle d’un Etat souverain, celle de conduire en
toute autonomie ses relations internationales, représenté par le ministre des affaires étrangères de
son choix et soustrait par conséquent à l’exercice de la justice pénale d’un autre Etat. Pareille
immunité est garantie par une règle objective dont la victime est et demeure être la République
démocratique du Congo et dont la violation est imputable à la Belgique.
Quand le contre-mémoire affirme que la requête initiale serait désormais privée d’objet, il
méconnaît une dimension essentielle de l’application du droit aux relations entre les Etats ou entre
les particuliers. Cette dimension essentielle est celle du temps. Ce qui est évidemment essentiel
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pour évaluer la conformité au droit international du mandat d’arrêt de 2000, c’est quelle était, à ce
moment là, la qualité de M. Yerodia. Et, ces circonstances de fait sur lesquelles on insiste
ad nauseam dans le contre-mémoire, à savoir que l’intéressé n’est plus ministre des affaires
étrangères, sont évidemment sans pertinence, car ce n’est pas aujourd’hui qu’il faut évaluer le
caractère licite ou illicite au regard du droit international du mandat d’arrêt; c’est au moment où le
mandat a été émis. Et comme on vous l’a déjà dit, la seule manière qui aurait pu donner
satisfaction à la République démocratique du Congo, aurait été que la Belgique exprime ses regrets
et présente ses excuses pour cette violation flagrante du droit international et s’engage et effectue
en réalité le retrait de ce mandat.
Il ne s’agit donc pas d’une question abstraite comme on veut vous le faire dire, mais d’une
question d’autant plus concrète que dans son contre-mémoire, le Gouvernement belge reconnaît
qu’au moment où le mandat était transmis à la République démocratique du Congo, il était
également envoyé à Interpol sans faire l’objet «d’une notice rouge» Interpol (contre-mémoire,
p. 66, par. 3.1.6). Le fait qu’il soit exclu que cette «notice rouge» puisse être diffusée par la suite,
(ibid., p. 68-69) ainsi donc, le Gouvernement belge entend toujours aujourd’hui donner au mandat
d’arrêt du 11 avril 2000, l’exécution forcée qui en est la conséquence logique. L’objet actuel est
bien concret de l’action de la République démocratique et d’inviter la Cour à se prononcer sur la
violation du droit international commise par la Belgique en 2000, mais qui ne cesse pas de se
prolonger aujourd’hui.
A l’idée que c’est une question abstraite, sans consistance réelle, qui est aujourd’hui soumise
à la Cour, se rattachent cinq passages du contre-mémoire que l’on peut pour le moins juger
bizarres.
Je les cite dans l’ordre où ils se succèdent : il est écrit que le «mandat d’arrêt n’a aucun effet
juridique ni pour la République démocratique du Congo, ni sur son territoire» (ibid., p. 68,
par. 3.1.12). On ne saisit pas bien la portée de cette dénégation. Elle signifie sans doute que les
autorités de la République démocratique du Congo ne sont pas tenues d’y donner une exécution
quelconque. L’idée reprise à la page suivante (ibid., p. 69, par. 3.1.13) à propos de la «notice
rouge» : celle-ci, si elle devrait être reprise, ne violerait pas le souveraineté de la République
démocratique et ne créerait aucune obligation pour celle-ci. La double dérogation perd de vue
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l’atteinte à la souveraineté du Congo qui résulte du seul accomplissement de l’acte de contrainte
que constitue un mandat d’arrêt, sans préjudice de l’exécution qui était ou non donnée. Le
troisième passage (ibid., p. 79, par. 3.2.32) reprend l’extrait de la motivation du mandat d’arrêt
dans lequel le juge d’instruction entend réserver la non-exécution du mandat pour le cas où le
ministre viendrait en cette qualité en Belgique. Sans insister sur l’étrange conception de la
séparation des pouvoirs dans l’ordre interne d’une décision judiciaire qui entend indiquer au
gouvernement la manière dont il devrait ou ne devrait pas respecter une immunité de droit
international, il se dégage des affirmations et des dénégations que je viens d’évoquer, que le
mandat d’arrêt serait sans valeur, sans force opérative ni au Congo, ni en Belgique. On voit donc là
une tentative de réduire à peu près à l’état d’un ectoplasme ce fameux mandat d’arrêt.
Et enfin, dernier texte, aussi assez sensationnel, je l’avoue, il est écrit (ibid., p. 123,
par. 3.5.8) que si le mandat d’arrêt devait être exécuté dans un Etat tiers, ce serait cet Etat, en non
pas la Belgique, qui serait responsable d’une violation d’une obligation internationale au préjudice
du Congo. Ce qui perd de vue, évidemment, qu’il y ait une relation causale immédiate entre le
mandat d’arrêt délivré en Belgique et l’acte d’exécution qui serait donné ailleurs.
Le contre-mémoire semble reprocher à l’Etat demandeur de ne réclamer aucune forme de
réparation que celle d’un dommage qualifié de «moral». La réparation de ce dommage moral, on y
reviendra demain, consiste à solliciter respectueusement de la Cour, qu’elle constate le caractère
illicite de la délivrance du mandat d’arrêt, mais qu’elle impose aussi au titre de condamnation de
l’Etat défendeur, de prendre les mesures nécessaires pour que ce mandat d’arrêt soit déclaré nul et
de nul effet depuis l’origine; et soit par conséquent aussi retiré de la circulation, ce qui est encore le
cas actuellement.
Il est un peu étonnant qu’une partie défenderesse se plaigne de la modération de la demande
introduite devant la Cour et il est vraisemblable que si M. Yerodia avait encore été ministre des
affaires étrangères, les demandes auraient pu être infiniment plus consistantes. Mais, ce qui reste,
bien entendu, c’est de défendre le principe de la souveraineté de l’Etat qui a été manifestement
méconnu par la délivrance du mandat d’arrêt.
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Je conclus ce point en constatant donc que ce n’est pas du tout une question abstraite mais à
la fois une question de principe et une question concrète l’existence, la survivance dans l’ordre
juridique interne belge d’un mandat d’arrêt dont l’émission est contraire au droit international.
II. A la méconnaissance de la nécessité de faire une application correcte de la règle de droit
international ratione temporis  c’est le probl ème de temps que j’ai invoqué et j’y reviendrai
encore  s’ajoute une confusion conceptuelle qui traverse l’ensemble du contre -mémoire. Je
voudrais, pour éclairer la Cour sur ce point, indiquer trois notions fondamentales qui doivent être
distinguées : 1) la compétence, 2) l’immunité, et 3) la culpabilité.
a) Quant à la compétence, on rappelle dans le contre-mémoire, le dictum de l’arrêt du Lotus en
vertu duquel l’Etat détermine sa compétence pénale comme il l’entend sous réserve d’une
règle prohibitive du droit international. Et la compétence qualifiée à tort ou à raison
d’universelle bénéficie d’autant plus d’une telle évaluation qui laisserait une grande liberté aux
Etats pour déterminer l’étendue dans l’espace de leur compétence pénale. Cette compétence
universelle paraît d’autant plus attrayante qu’elle est soutenue par un large courant d’opinion
publique qui réclame à juste titre au nom des victimes de crimes de droit international que ces
crimes soient punis et si possible réparés. Ce n’est néanmoins pas cet aspect de la compétence
universelle, bien qu’il ait été évoqué dans la requête introductive d’instance, dont il est pour
l’essentiel aujourd’hui demandé à la Cour de décider si elle est ou non une violation du droit
international. Je crois que la solution du différend n’appelle pas la réponse à cette question.
L’Etat qui entendrait faire valoir un grief tiré de l’exercice de la compétence dite universelle,
en faveur d’un de ses ressortissants qui ne serait pas protégé par une immunité de droit
international, il pourrait sans doute à ce moment-là introduire une action diplomatique ou une
action judiciaire internationale. Et l’on essaie maladroitement dans le contre-mémoire de
détourner dans cette direction la nature de la demande qui est portée devant vous, il ne s’agit
pas ici évidemment de protection diplomatique. La personne de M. Yerodia n’est pas celle qui
est en cause, ce qui est en cause c’est la fonction, et c’est l’atteinte à la fonction qui constitue
aussi, le préjudice subi par le Congo.
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b) Quant aux second point, les immunités, celles-ci sont soustraites quand il s’agit d’immunités
de droit international à la compétence de chacun des législateurs étatiques. Et l’on retrouve ici
si l’on veut, l’autre volet de l’arrêt du Lotus, c’est-à-dire qu’à côté de la liberté de la
souveraineté de l’Etat en matière pénale, il faut maintenir l’existence de règles prohibitives du
droit international qui restreignent cette autonomie de l’Etat en matière pénale et je crois que
les immunités du droit international sont précisément un cas de limitation appliquée à
l’exercice de la compétence dite universelle.
Ce que je voudrais souligner c’est qu’à la différence du droit international ou du droit civil, où
j’espère ne pas manquer de respect envers la Cour en disant qu’on n’a pas besoin à tout
moment d’un juge, les traités se concluent, les contrats sont entrés par les parties, ils
s’exécutent, ils sont interprétés, on y met fin sans que l’intervention d’un juge soit nécessaire,
sous réserve bien sûr de l’ordre public en droit interne, et du ius cogens en droit international.
Mais ce qui caractérise l’action pénale c’est la nécessité d’un juge, il n’y a pas de peine dans
un Etat de droit sans un juge qui la prononce. Par conséquent, en matière pénale, les règles de
compétence et de procédure sont tout à fait essentielles. L’acte accompli par un juge
incompétent, ou par un juge qui excède les limites de sa compétence telles qu’elles sont fixées
par une immunité, cet acte du juge c’est une voie de fait. Ce n’est pas un véritable acte
juridictionnel, et je crois que ce qui est demandé à la Cour c’est de constater que cette voie de
fait, même dans l’ordre interne à mon avis d’ailleurs, doit être sanctionnée par la Cour.
c) Je passe au troisième problème, la culpabilité, et ici insistant sur un principe fondamental,
immunité n’équivaut pas à impunité. Qu’il y ait une immunité qui fasse obstacle à l’exercice
des poursuites devant un juge déterminé, ou à un moment précis du temps, n’empêche pas que
les mêmes poursuites pourront être, le cas échéant, exercées devant un autre juge qui lui ne
sera pas lié par l’immunité ou un moment auquel l’immunité ne doit plus être considérée.
Je reviens au rôle du temps et retourne au contre-mémoire, et ainsi aussi à la loi belge qui a
opéré une confusion que l’on retrouve dans le contre-mémoire entre deux moments. Le moment
auquel le crime allégué est commis, et le moment auquel l’acte de poursuite est exercé. Le moment
auquel le crime est commis peut avoir certaines conséquences et a eu, dans le passé, beaucoup plus
de conséquences du point de vue des poursuites. Vous savez que l’on a longtemps considéré que le
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chef d’Etat était à l’abri de toute incrimination personnelle ou individuelle, c’est assez récemment
qu’on a considéré que les faits accomplis dans l’exercice d’une fonction telle que celle d’un chef
d’Etat pouvaient faire l’objet de poursuites. Mais là, ce dont il s’agit de déterminer l’application,
c’est la règle temporelle selon laquelle au moment où les faits sont commis, il existe ou il existerait
une cause qui interdirait l’exercice des poursuites. Et puis deuxième question, qui est tout à fait
différente, c’est de savoir si au moment des poursuites, indépendamment de la qualité de la
personne au moment où l’acte a été accompli, il existe ou non une immunité qui fait obstacle à
l’exercice de cette poursuite. Or, vous vous rappellerez que les faits dont est accusé M. Yerodia
ont été, ou auraient été commis avant qu’il exerce la fonction de ministre des affaires étrangères et
il ne saurait prétendre à une application quelconque d’une règle relative à la qualité officielle au
moment des faits, mais les poursuites sont exercées au moment où il a cette qualité.
Or si vous prenez le contre-mémoire et tous les exemples très laborieusement et longuement
développés, ils évoquent tous une série d’hypothèses totalement différentes, celles d’une personne
qui avait une qualité officielle au moment où les faits ont été commis, et qui a perdu cette qualité au
moment des poursuites.
Et si vous reprenez les exemples classiques depuis l’Empereur Guillaume II jusqu’aux
accusés japonais et allemands devant respectivement le tribunal de Tokyo et le tribunal de
Nuremberg, il s’agit toutes d’hypothèses dans lesquelles on pouvait invoquer une qualité officielle
au moment des faits. Mais il n’y avait plus aucune qualité officielle, et par conséquent plus aucune
place pour une immunité au moment des poursuites. On n’a jamais imaginé par exemple, pendant
la première guerre mondiale, de mettre l’Empereur d’Allemagne au moment où il était en fonction
en accusation devant le tribunal d’un des Etats belligérants. La question n’a été soulevée qu’après
qu’il avait cessé ses fonctions. Et par conséquent, il n’y a aucun argument à trouver dans cette
jurisprudence, à propos de la possibilité d’exercer des poursuites contre une personne qui a une
qualité qui devrait la protéger contre l’exercice de ces poursuites, au moment où celles-ci sont
intentées. Les deux aspects par lesquels le contre-mémoire se signale, me semble-t-il, à la critique,
c’est que d’une part il ne tient pas compte de la différence entre une juridiction internationale et
une juridiction interne, dans le cas des tribunaux de Nuremberg et de Tokyo il s’agissait d’une
juridiction internationale, c’est la seconde différence, qui se prononçait sur les crimes dont étaient
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accusées des personnes qui n’avaient plus de qualités officielles au moment où les poursuites sont
intentées.
Et cette confusion, qui est vraiment centrale dans notre problème, vous la trouvez dans la
disposition de la loi belge qui a court-circuité dans un seul article les deux alinéas de l’article 27 du
statut de la Cour pénale internationale. L’article 27 du statut de la Cour pénale internationale fait
bien la distinction entre un premier aspect qui est celui des causes d’excuses que pourrait trouver la
personne accusée dans les fonctions qu’elle exerçait au moment de l’exercice de celle-ci, et le
deuxième paragraphe vise bien l’immunité. Et dans le statut de la Cour pénale internationale, on
précise bien les immunités de droit interne ou de droit international.
La loi belge parle bien d’immunité, elle n’ose pas parler d’immunité de droit international,
parce qu’apparaissait assez énorme que le législateur se prononce sur une immunité de droit
international, et elle dit donc immunité tout court. Et c’est en tous cas de cette manière que la loi a
été interprétée par un certain nombre de juges d’instruction comme on le rappelait déjà tout à
l’heure. Il ne s’agit donc pas, dans l’hypothèse des grands criminels de guerre, d’une immunité, ils
n’avaient plus aucune immunité quelconque, ils n’avaient plus aucune qualité officielle, il s’agissait
d’un problème tout à fait différent qui était de savoir si les fonctions qu’ils exerçaient les
protégeaient contre l’exercice de la justice pénale internationale. Et vous vous rappellerez
peut-être, Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres du jury, que, au moment de la
mise en accusation de l’ex-Empereur Guillaume II, il y a eu un certain nombre de voies
discordantes, notamment américaines, estimant, suivant une doctrine qui était acceptée à cette
époque mais qui est périmée aujourd’hui, qu’un chef d’Etat ne peut pas être personnellement mis
en cause pour des actes qu’il a accompli au nom de son gouvernement.
Deuxième partie qui sera, rassurez-vous, beaucoup plus brève. Pourquoi et de quelle
manière la Belgique assume-t-elle aujourd’hui une responsabilité internationale qui l’amène à
comparaître devant votre Cour ? Pourquoi le préjudice infligé à la République démocratique du
Congo est-il imputable au Royaume de Belgique ? Et sans doute, la Cour ne doit-elle pas vérifier
quel est, dans l’ordre interne, l’organe de l’État belge plutôt que l’autre qui est responsable de la
violation. Je voudrais cependant souligner l’ampleur de cette responsabilité en indiquant que tous
les organes de l’Etat belge ont contribué à la faute, à la violation du droit international. D’abord,
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bien sûr, un organe du pouvoir judiciaire qui émet le mandat d’arrêt litigieux, ensuite le
législateur - ou peut-être avant le législateur (le Congo indiquait dans son mémoire, et je n’y
reviens pas, qu’il y aurait des doutes à avoir sur l’interprétation exacte de la loi belge en la matière
et que si le juge avait appliqué la vieille doctrine de la Charming Betsy, à savoir qu’en cas de doute
sur l’interprétation d’une règle de droit interne il faut supposer et l’interpréter dans le sens de sa
conformité au droit international - vous trouverez cet argument dans le mémoire s’il vous intéresse,
je n’y insiste pas pour le moment). J’indique simplement que le législateur a aussi mis la main, si
l’on peut dire , à l’émission de ce mandat d’arrêt et que, en troisième lieu, le gouvernement
lui-même y a coopéré en diffusant ou en faisant diffuser par ses services le mandat d’arrêt, et en
soutenant d’ailleurs encore aujourd’hui devant la Cour que ce mandat d’arrêt n’est pas contraire au
droit international.
Pour mieux déterminer cette conjugaison de fautes commises dans l’ordre interne belge, je
voudrais rappeler une règle de procédure du droit pénal qui n’est pas propre à la Belgique mais qui
n’est quand même pas commune à tous les Etats, c’est la faculté qu’a un plaignant, une personne
qui se prétend victime d’une infraction de se constitue partie civile devant le juge d’instruction.
C’est une institution que, pour ma part, je trouve très heureuse parce qu’elle empêche le ministère
public, le procureur général et le procureur du Roi de monopoliser l’action publique. Le plaignant,
la victime peut mettre en branle l’action publique, et c’est ce qui s’est passé notamment dans cette
affaire et dans les autres affaires similaires. Mais il ne faut pas se méprendre. Que le plaignant
puisse mettre en branle l’action publique ne signifie pas que les tribunaux et les organes de la
répression sont dépouillés de leur compétence et si le juge d’instruction reçoit une plainte ou une
constitution de partie civile qui est contraire à la loi, il doit ou rendre une ordonnance ou solliciter
de la Chambre du conseil du tribunal correctionnel une décision constatant que les poursuites ne
peuvent pas être exercées, et l’on a rappelé aussi dans le mémoire qu’il y a un grand nombre
d’immunités de droit interne, celle d’abord du Roi dont la personne est inviolable mais celle aussi
des ministres ou des parlementaires qui ne peuvent être poursuivis qu’après une levée de
l’immunité, notamment en ce qui concerne les parlementaires par l’assemblée compétente, et puis
les immunités particulières ou les privilèges de juridiction - un magistrat en Belgique ne peut être
poursuivi que devant la Cour d’appel - et donc, si le plaignant se constitue partie civile devant le
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juge d’instruction d’un tribunal de première instance, celui-ci doit se déclarer incompétent. Autre
raison d’incompétence, les juridictions militaires. On ne peut pas se constituer partie civile contre
un militaire car celui-ci relève des juridictions militaires où d’ailleurs cette possibilité n’est pas
prévue.
Ceci pour dire qu’il ne faut pas rejeter la responsabilité sur les parties civiles. Bien sûr les
parties civiles ont été à l’origine de la mise en branle de l’action publique mais la constitution de
partie civile ne prive pas, pas du tout, les organes du pouvoir judiciaire du pouvoir de vérifier
notamment la compétence du juge et l’existence éventuelle d’immunité.
Dans la même perspective, et on l’évoquait tout à l’heure, il y a deux aspects qui me
paraissent plus intéressants. Le discours de rentrée du procureur général à la Cour d’appel de
Bruxelles, qui a été prononcé le 3 septembre 2001, a été suivi d’un exposé de M. l’avocat général
Alain Winants, intitulé «Le ministère public et le droit pénal international». En ce qui concerne
d’abord le système de la compétence universelle, l’organe du ministère public estime qu’il doit être
maintenu mais qu’il y aurait lieu de lege ferenda, d’une part «d’établir un ordre de compétences et
d’autre part de prévoir lorsque la juridiction belge se saisit sur base de la compétence universelle un
critère de rattachement avec la Belgique, par exemple nationalité belge de l’auteur, nationalité
belge de la victime, résidence de la victime en Belgique, le fait que l’auteur soit trouvé en
Belgique». Il est précisé en note que l’ordre de compétences pourrait être le suivant : «1. les
juridictions internationales; 2. les juridictions du lieu des faits; 3. les juridictions de l’Etat dont
l’auteur a la nationalité ou celle du lieu où il réside ou peut être trouvé; et finalement, seulement
en 4. la juridiction saisie en application de la compétence universelle, en y ajoutant des critères de
rattachement.»
Donc, on voit que l’organe de la poursuite dans le ressort de la Cour d’appel de Bruxelles où
toutes les affaires sont actuellement pendantes, revient très fort en arrière sur la manière dont le
législateur aurait réglé ce problème.
Ce qui suit est encore plus significatif. Le même magistrat, toujours dans la mercuriale du
3 septembre 2001, suggère de lege ferenda que soient prévues «des garanties supplémentaires pour
les personnes jouissant d’une immunité internationale». Il poursuit :
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«On pourrait songer à un mécanisme calqué sur celui applicable en droit interne
soit aux ministres, soit aux parlementaires.
Personnellement, il me semble qu’il faudrait privilégier la piste de l’intervention
d’une autorité judiciaire plutôt que celle du Parlement ou du gouvernement, respectant
en cela le principe de la séparation des pouvoirs.»
Ce qui est proprement affligeant dans ce texte est l’idée d’écarter ou d’amoindrir «une
immunité de droit international» dont on reconnaît l’existence par un contrôle de droit interne. La
véritable nature d’une telle immunité est évidemment méconnue. Ce qui est intéressant, c’est que
la certitude du bon droit de la Belgique, fièrement proclamée dans le contre-mémoire, est loin
d’être partagée par tous les organes de l’ordre juridique interne. Et déjà, dans la lettre adressée au
Greffier de la Cour le 14 juin 2001 - on y a fait allusion tout à l’heure - par l’agent du
Gouvernement belge, l’un des arguments invoqués pour obtenir de la Cour une remise de l’examen
de l’affaire était le suivant :
«En ce qui concerne la législation belge en cause dans cette procédure, la
Belgique fait remarquer qu’elle entreprend à l’heure actuelle la révision de la loi
concernant son application.
A la lumière de ces faits nouveaux, et afin d’éviter que les questions de fond qui
font l’objet du différend entre les parties ne soient examinées et jugées inutilement
avant que soit menée à bonne fin la révision en cours des textes législatifs...».
Dans son contre-mémoire - que j’ai lu cependant soigneusement -, le Gouvernement belge ne
se réfère plus aux velléités de révision législative. J’ajouterai que c’est plus sage quand on se
présente devant la Cour car la modification des lois en vigueur - celles de 1993 et de 1999 - pour
l’avenir ne saurait effacer la transgression du droit international commise par l’application de la loi
actuellement en vigueur. Qu’il soit permis d’inviter le législateur et les organes du pouvoir
judiciaire belges à relire la phrase si judicieuse de Portalis par laquelle l’orateur du gouvernement
justifiait contre certaines observations que le projet de code civil ne contenait pas de dispositions
sur les immunités du droit international. Et Portalis répond :
«Ce qui regarde les ambassadeurs appartient au droit des gens. Nous n’avons
pas à nous en occuper dans une loi qui n’est que de régime intérieur.» (Mémoire de la
République démocratique du Congo, p. 20.)
Je peux conclure en disant que quelles que soient les orientations futures du droit belge en la
matière, elles sont sans aucune incidence sur la présente action et c’est pourquoi je peux souligner
le passage de la lettre de l’agent du mois de juin jugé inutilement, il n’est pas question de juger
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inutilement un fait qui a été commis et que ne saurait pas être réparé par une simple modification
législative pour le futur. Il est certes souhaitable que la Belgique cesse de se singulariser en
méconnaissant ouvertement le régime international des immunités mais les mouvements qui se
dessinent dans une banquise en voie de dislocation ne sont qu’un argument supplémentaire à
l’appui de la position que nous avons l’honneur de défendre devant la Cour au nom de la
République démocratique du Congo. Une violation du droit international a été commise et il est
respectueusement demandé à la Cour de condamner la Belgique à la réparer. Je remercie la Cour
de son attention.
Le PRESIDENT : Merci Monsieur le professeur. A qui dois-je donner la parole maintenant,
s’il vous plaît ?
M. RIGAUX : A Madame Chemillier-Gendreau.
Le PRESIDENT : Je vous remercie. Madame le professeur Chemillier-Gendreau vous avez
la parole.
Mme CHEMILLIER-GENDREAU : Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les
juges, je me trouve honorée d’être venue devant vous pour développer certains des arguments
soutenant la requête que vous a présentée la République démocratique du Congo. Le professeur
Rigaux vient de développer une analyse d’ensemble des raisons qui soutiennent le point de vue de
l’Etat demandeur. Je vais m’efforcer ici de montrer que, contrairement à ce qui est avancé dans le
contre-mémoire, il n’y a pas d’obstacle à la compétence de la Cour sur la recevabilité de la
demande de la République démocratique du Congo.
La Belgique à cet égard avance deux arguments: premièrement, prétendant s’appuyer sur les
faits, elle dit que la demande de la République démocratique du Congo serait devenue sans objet.
Deuxièmement, elle affirme que le contenu de cette demande aurait évolué considérablement entre
les premières formulations, celles de la requête déposée le 17 octobre 2000 et celles présentées
dans le mémoire remis à la Cour le 15 mai 2001.
Il s’agirait d’une métamorphose d’une telle ampleur que la contestation entre les deux Etats
ne porterait plus que sur un point abstrait. Elle dissimulerait ainsi une demande d’avis consultatif
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en lieu et place d’une requête contentieuse, laquelle aurait perdu toute raison d’être. L’Etat
demandeur entend faire valoir devant la Cour que le différend à l’origine de sa requête
du 17 octobre 2000 n’a en rien disparu, que l’évolution qui a pu se produire dans les faits n’en a
pas modifié les termes et qu’aucun argument ne justifierait de clore cette affaire par une décision
d’incompétence et/ou d’irrecevabilité qui laisserait le différend non vidé.
Aujourd’hui, je vais à mon tour relever rapidement les faits pour souligner comment leur
présentation très éloignée de la réalité a pu conduire le Gouvernement belge à se persuader que le
différend avait disparu. Le point qui, au regard de l’Etat ici défendeur fonderait l’incompétence de
la Cour ou l’irrecevabilité de la demande congolaise, tient aux modifications intervenues dans la
carrière de M. Yerodia Ndombasi. Il est ainsi souligné qu’il est passé successivement de la
fonction de directeur de cabinet du président Laurent Désiré Kabila, ce qu’il était au moment des
actes incriminés, au poste de ministre des affaires étrangères du Gouvernement congolais, fonctions
qui étaient les siennes lors de l’émission du mandat d’arrêt belge qui est l’objet du présent
différend. Ensuite, M. Yerodia a été ministre de l’éducation nationale et ce changement dans ses
fonctions est intervenu au moment où s’est déroulée la procédure relative aux mesures
conservatoires. Enfin, depuis avril 2001, il n’apparaît plus comme remplissant aucune fonction
gouvernementale. Là, il faut nous arrêter un peu au contexte de cette affaire.
Il n’y a pas de désaccord entre les Parties sur le relevé de ces faits. Mais les arguments dont
tire la Belgique pour justifier la procédure pénale ouverte contre le ministre des affaires étrangères
du Congo méritent d’être discutés.
En novembre 1998, alors que le destinataire du mandat d’arrêt belge dirigeait le cabinet du
président de la République démocratique du Congo, plusieurs plaintes furent déposées en Belgique
pour des crimes internationaux commis au Congo. Emanant de douze plaignants dont cinq dit-on
étaient de nationalité belge, elles étaient dirigées contre le président Laurent Désiré Kabila
lui-même, mais aussi contre le ministre de l’information, le ministre de l’intérieur, le conseiller de
M. Kabila en communication et enfin M. Yerodia Ndombasi.
Toutefois, ce dernier est aujourd’hui le seul destinataire d’un mandat d’arrêt. Il y a là un
premier sujet d’étonnement légitime.
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La Belgique s’est dotée d’une législation audacieuse qui fait d’elle un Etat pionnier dans le
domaine de la contribution des Etats à la répression des crimes internationaux. Il n'est pas dans les
intentions de la République démocratique du Congo de critiquer en soi le principe de législations
nationales plus efficaces permettant aux Etats de participer à la lutte contre les crimes
internationaux. Nous aurons l’occasion d’y revenir demain. Nous entendons bien qu’alarmée à
juste titre par les événements meurtriers se déroulant sur le territoire de la République
démocratique du Congo et saisie de plaintes à leur sujet, la justice belge entendait utiliser une
possibilité de la récente législation pour faire cesser les tragiques événements en cours. Cela est le
but affiché. Mais alors, la sélectivité qui a présidé à la démarche poursuivie jette le trouble. Et
l’argument de l’opportunité des poursuites n’est pas de nature à lever ce trouble. Ce que nous
objectons ici, à savoir que les immunités des responsables politiques les plus importants s’opposent
en droit international à ce que des poursuites soient effectuées à leur encontre, n’a pas été de nature
à freiner le bras de la justice belge. Mais, ce bras a frappé de manière très partielle.
Il y a là une démarche inappropriée à l’objectif défini si celui-ci est bien de faire cesser des
crimes qui par leur ampleur ne peuvent en aucune manière être le fait d’un seul. Les attendus du
mandat font référence à la personnalité de l’inculpé pour conclure à l’absolue nécessité pour la
sécurité publique de lancer un mandat à son encontre. Quelle est donc cette sécurité publique
menacée par celui-là et non par d’autres contre lesquels des plaintes étaient également déposées ?
Les témoignages prétendent cependant qu’ils auraient tenu des propos de même nature que ceux
qui ont servi à fonder le mandat d’arrêt du 11 avril 2000.
La question : Pourquoi poursuivre cette personne-là ? se fait plus lancinante au vu des faits
qui lui seraient reprochés s’ils étaient confirmés. Il est vrai que l’incrimination et ses termes, et la
qualification des actes poursuivis sont des questions étrangères à la présente instance devant la
Cour. S’il est nécessaire cependant de les évoquer brièvement, c’est à titre d’éléments du contexte
et pour souligner qu’à toutes les étapes cette affaire est marquée par des flottements et des
imprécisions.
M. Yerodia aurait prononcé en août 1998 des phrases comportant des incitations à la haine et
à la violence. Voilà ce qui lui est reproché.
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Naturellement, le représentant de la République démocratique du Congo, ici présent, partage
la réprobation qu’inspirent de tels discours s’il était confirmé qu’ils aient été tenus. Il relève
cependant que l’incrimination porte sur des paroles et non sur des actes.
Il en résulte bien des interrogations sur l’ensemble du raisonnement qui doit conduire en
toute rigueur des faits à leur qualification, puis à l’inculpation des véritables responsables. La
référence à l’homicide intentionnel est-elle pertinente ? Le fait de tuer intentionnellement, crime
couvert par les conventions de Genève comme crime de guerre à caractère international, est-il
assimilable à l’intention de tuer ? Cette extension peut-elle résulter d’une législation nationale ou
de l’application qu’en fait un juge interne ? A partir des données du dossier, est-il fondé
d’invoquer la haine raciale ? Ces discours, puisque les plaintes portent sur des discours, auraient eu
selon les termes mêmes du mandat «pour résultat la mort de plusieurs centaines de personnes et
l’internement de Tutsis, des exécutions sommaires, des arrestations arbitraires et des procès
injustes». Le mécanisme de l’implication si délicat à utiliser lorsqu’il s’agit de responsabilité
pénale personnelle est-il ici correctement appliqué ? La justice pénale internationale, balbutiante et
fragile, ne gagne rien à des procédures expédiées sans toute la rigueur que requiert la nature de leur
objet. Poussant l’inculpation jusqu’au crime contre l’humanité, le magistrat s’appuie sur l’article 4
de la loi pénale belge et invoque la provocation à commettre des crimes de cette nature et
l’omission d’agir de la part de ceux qui pouvaient en empêcher la consommation (c’est à la page 20
du mandat). Mais des plaintes déposées à l’encontre de personnes beaucoup plus puissantes dans le
dispositif gouvernemental congolais au moment des faits n’ont pas, nous l’avons signalé, connu de
suite. Enquêtant à 7000 kilomètres du lieu des violences, le juge belge met à la charge de l’inculpé
des discours dont la teneur n’est révélée que par les témoignages dont il dispose en Belgique. A
partir de là, passant au-dessus de tous les doutes, il poursuit pour les crimes les plus graves.
Dans ce contexte marqué de flou, il est un point qui n’est pas sans rapport avec l’affaire
soumise à la Cour parce qu’il est central dans le différend qu’elle a à connaître. Il s’agit de
l’omission d’agir qui fonde pour le juge d’instruction aussi bien l’inculpation pour crime de guerre
que celle pour crime contre l’humanité. Cet argument entraîne inéluctablement pour corollaire que
c’est la personne publique de M. Yerodia qui a été visée par le mandat. Celui-ci est d’ailleurs
formulé au nom de M. Yerodia Ndombasi, ancien directeur de cabinet du président Kabila et
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actuellement ministre des affaires étrangères de la République démocratique du Congo. Aussi n’y
a-t-il aucun doute : c’est bien l’homme ayant des responsabilités gouvernementales qui est
poursuivi. Si une partie de l’inculpation repose sur son abstention à agir, c’est parce qu’aux yeux
du magistrat les fonctions politiques successivement occupées par M. Yerodia étaient de celles qui
lui offraient peut-être des moyens d’entraver la violence. Ainsi les actes poursuivis sont-ils des
actes de la fonction selon l’interprétation explicite qu’en fait le juge d’instruction belge. Ce point
embarrasse les représentants de la Belgique. Ils peinent à le concilier avec l’argument selon lequel
l’inculpé aurait agi à titre privé et en dehors de ses fonctions officielles. Ils ne peuvent éviter qu’au
centre de cette affaire se trouve la question des immunités de juridiction de certains représentants
de l’Etat en exercice. La Belgique s’obstine néanmoins dans son contre-mémoire à soutenir que les
immunités ne protègent pas les personnes auxquelles elles s’appliquent lorsqu’elles agissent à titre
privé ou en dehors de leurs fonctions officielles. Ainsi, pour les besoins de son argumentation, la
Belgique considère ici que l’inculpé était en mesure de protéger les populations et le poursuit pour
ne pas l’avoir fait, mais elle soutient ailleurs que le différend devant la Cour est sans objet, puisque
l’immunité de juridiction n’est pas en jeu dans cette affaire, qui relève seulement de d’actes privés.
En réalité, il est inutile ici d’entrer dans la distinction entre les actes de la fonction et les actes
privés, ni dans le débat portant sur les actes qui restent incriminables après la sortie de fonctions.
Ce qui est reproché à l’inculpé relève d’une période où il occupait des fonctions importantes mais
qui n’entraînaient pas cependant l’immunité en sa faveur. Le mandat a été émis alors qu’il exerçait
les fonctions de ministre des affaires étrangères et était alors protégé par une immunité empêchant
son inculpation, quelles que soient la date ou la nature des faits incriminés. La violation du droit
international est là.
Mais l’imprécision de la position belge ne s’arrête pas là. Je voudrais maintenant en repérer
quelques manifestations supplémentaires. Elles expliquent — et c’est ce qui justifie qu’elles soient
mentionnées — pourquoi la Belgique argumente autour de la disparition de l’objet du différend.
Cette liquidation souhaitée du différend qui, si elle était exacte, mais elle ne l’est pas, ouvrirait à la
Cour la voie de l’incompétence et/ou de l’irrecevabilité. Cela permettrait, sans aller plus loin, de
voir disparaître une affaire qui a mis en lumière les difficultés que la Belgique avait sous-estimées
dans la gestion conjointe par les Etats et les juridictions internationales de la répression des crimes
- 29 -
internationaux. Mais il n’est de l’intérêt de personne d’en finir à si bon compte et les difficultés qui
suscitent l’embarras des représentants de la Belgique dans cette procédure méritent d’être
élucidées. La loi belge ne requiert aucun rattachement territorial pour l’exercice de sa compétence
universelle. Ce point sera discuté demain du point de vue de sa cohérence avec la logique générale
du droit international. Le juge d’instruction belge a usé dans cette affaire du pouvoir qui lui était
ainsi octroyé. Mais ce qui paraît ici hautement significatif, c’est que nonobstant les dispositions de
la loi, le mandat d’arrêt lui-même, mais surtout les développements contenus dans le
contre-mémoire, témoignent du souci de justifier néanmoins d’un lien territorial. Cette compétence
universelle débordant l’espace limité de chaque Etat et s’exerçant au nom de la collectivité
humaine toute entière, est sans doute une idée exaltante. Elle crée néanmoins un certain vertige.
Aussi les auteurs du contre-mémoire s’attachent-ils à souligner, c’est au point 3.369, que certains
des plaignants qui se considèrent également comme des victimes sont de nationalité belge; qu’ils
résident en Belgique; que s’y trouve une importante communauté congolaise et que le discours de
M. Yerodia aurait provoqué une réelle émotion en Belgique. Les questions affluent : peut-on
déposer plainte pour des crimes internationaux sans en avoir été victimes, puisque certains des
plaignants ne le sont pas ? Qu’appelle-t-on victimes de ces crimes ? Hélas, les victimes directes
pour la plupart ne sont plus là. Sommes-nous en présence d’une action popularis confirmée ?
Dans ce cas, pourquoi relever tous les indices d’un intérêt particulier de la Belgique ? Par ailleurs,
est-il réellement inutile pour lancer la procédure que l’intéressé se trouve sur le territoire de l’Etat
agissant ? Non sans une réelle franchise que la Cour appréciera comme nous l’avons fait de ce
côté-ci de la barre, les auteurs du contre-mémoire reconnaissent les incertitudes introduites par les
modifications intervenues dans la loi pénale belge en 1993 et en 1999. Afin d’ouvrir largement les
possibilités de poursuites des juges belges saisis de plaintes contre des crimes internationaux, la
présence de l’auteur des infractions sur le territoire belge n’est pas requise. Mais cela heurte une
disposition du code d’instruction criminel belge qui n’autorise la poursuite des infractions que si
l’inculpé est trouvé en Belgique. Les tribunaux belges, nous dit-on, ne se sont pas encore
prononcés. Leur décision, suivant ce qu’elle sera, pourrait invalider les procédures en cours, ce y
compris le mandat d’arrêt émis à l’encontre de M. Yerodia. Mais le mandat demeure. Et même
s’il disparaissait, le dommage a eu lieu et il devrait être réparé. Allant plus loin, le Gouvernement
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belge est conscient du fait que la loi belge, en dépit de l’avancée du droit pénal international qu’elle
cristallise, nécessite d’être débarrassée des contradictions qu’elle a ouvertes avec la logique
juridique jusque là prévalante. Ils ne se cache pas de la volonté de faire modifier sa législation ni,
comme le professeur Rigaux l’a souligné il y a un instant, ceci est sans conséquence sur la
procédure dont nous traitons ici. Il y a là cependant le révélateur d’une position insuffisamment
assurée sur le plan du droit international. Dans le même sens, il est symptomatique que le
représentant de la Belgique s’emploie à gommer tous les effets potentiels du mandat d’arrêt.
Celui-ci, pris en violation du droit international, cause à la République démocratique du Congo un
tort dont elle demande à la Cour une légitime réparation. Toutefois, le mandat d’arrêt est, jusqu’à
ce jour, maintenu. L’attitude du juge d’instruction belge, soutenue par les auteurs du
contre-mémoire, consiste à inculper un ministre en exercice de la République démocratique du
Congo parce qu’il aurait, aux yeux de la justice belge, commis des crimes d’une telle gravité que
l’immunité de l’intéressé s’en trouverait annulée.
Le mandat d’arrêt précise que cela n’aurait pas d’effet sur les relations internationales de la
Belgique avec le Congo. Un paragraphe entier du texte du mandat est consacré à justifier
l’assurance donnée à l’intéressé que sa présence, en tant que ministre, sur le territoire belge
n’entraînerait aucune arrestation.
«Dans l’hypothèse contraire», écrit le juge, «le non-respect de cet engagement pourrait
entraîner la responsabilité de l’Etat hôte sur le plan international». C’est là se tromper gravement
sur l’origine de cette responsabilité internationale.
On est d’ores et déjà engagés, non par une hypothétique arrestation d’un ministre invité,
mais par le mandat d’arrêt émis contre lui. Car si les crimes imputés étaient d’une gravité telle que
l’immunité de juridiction d’un ministre en exercice pouvait s’y dissoudre, comment cette immunité
pourrait-elle réapparaître au moment où se trouve précisément remplie la condition concrète
d’exécution du mandat : sa présence sur le territoire de l’Etat poursuivant ?
Comment le juge peut-il se voiler alors le regard et suspendre l’action, pour la rétablir au
moment même où faute de la présence de l’intéressé plus rien n’est possible ?
- 31 -
La distinction entre immunité de juridiction et immunité d’exécution ne saurait couvrir
pareilles incohérences. Ces incohérences apparaissent en concentré à la page 8 du contre-mémoire.
Il y est dit :
«[1.] L’immunité ne peut, en aucun cas, protéger un ministre des affaires
étrangères en exercice soupçonné d’avoir commis des crimes de guerre ou des crimes
contre l’humanité.
[2.] Le mandat d’arrêt reconnaît que si M. Yerodia avait visité la Belgique en
qualité de ministre des affaires étrangères de la République démocratique du Congo, il
n’aurait pas pu être arrêté.»
Le « en aucun cas » du 1. était donc faux puisqu’il y a un cas où l’immunité le protège, c’est ce que
dit le 2.
Malheureusement, dans un grave manquement au principe de l’égalité souveraine entre
Etats, la Belgique se réserve arbitrairement de pouvoir lever l’immunité, puis de la rétablir au gré
de ses convenances diplomatiques. Comment ne pas voir là une sorte d’opportunisme judiciaire,
qui aurait conduit en somme à inventer la catégorie du mandat d’arrêt virtuel.
Avec la même légèreté, les représentants de la Belgique, exposant longuement les suites que
connaît un mandat d’arrêt international à travers l’action d’Interpol, remarquent qu’à ce jour, ce
mandat n’a pas fait l’objet d’une notice rouge.
Le PRESIDENT : Puis-je me permettre, Madame le professeur, de vous demander si ceci ne
serait pas un moment opportun pour la traditionnelle suspension, ou si vous préférez encore parler
quelques instants.
Mme CHEMILLIER-GENDREAU : Monsieur le président, oui, j’ai environ encore
dix minutes ou un quart d’heure d’exposé, et je peux tout à fait m’interrompre ici.
Le PRESIDENT : Nous allons nous interrompre là, si vous le permettez. Je vous remercie.
L'audience est suspendue de 11 h 30 à 11 h 50.
The VICE-PRESIDENT, Acting President: Owing to an important official commitment, the
President has asked me to preside over the remainder of today’s hearings. I now invite
- 32 -
Prof. Chemillier-Gendreau to continue her statement. I also request the professor to speak more
slowly to enable the interpreters to follow.
Mme CHEMILLIER-GENDREAU : Merci Monsieur le Président. Je vais faire de mon
mieux pour pouvoir être suivie par les interprètes, et je m’excuse de mes débuts trop rapides. Je
reprends donc mon exposé qui portait, dans une première partie que je n’avais pas tout à fait
terminée tout à l’heure, sur un certain nombre de points que nous analysons comme des
incohérences, comme des difficultés dans la position belge. Et après avoir souligné le fait que le
mandat d’arrêt contre M. Yerodia portait en même temps l’assurance qu’il ne serait pas arrêté s’il
était invité sur le territoire de la Belgique, j’en étais arrivée à ce que j’appelle la légèreté avec
laquelle les représentants de la Belgique ont exposé longuement les suites que connaît un mandat
d’arrêt international à travers l’action d’Interpol. Ils remarquent dans le contre-mémoire, qu’à ce
jour ce mandat n’a pas fait l’objet d’une notice rouge. Cette notice, remise par Interpol qui la fait
circuler, est une notice de signalement international. D’une manière un peu désinvolte, le
contre-mémoire ajoute au paragraphe 3.113 : «de toutes façons, vu l’effet des notices rouges en
République démocratique du Congo, même si une notice rouge devait être émise, cela ne violerait
pas la souveraineté de la République démocratique du Congo et ne créerait aucune obligation pour
celle-ci». Dans la même veine dont nous laisserons l’appréciation à la Cour, le mémoire belge
relève le constat fait par la République démocratique du Congo, selon lequel, aucun Etat à ce jour
n’a donné suite au mandat. Mais la Belgique en tire ce que la République démocratique du Congo
n’a pas soutenu, à savoir «aucun Etat n’est prêt à donner suite à ce mandat». Et cette déformation
des propos permet une chute étonnante, on cherche vainement quelle est la portée de la présente
requête. De ce qu’aucun Etat à ce jour n’ait donné suite à ce mandat ou on ne saurait inférer
qu’aucun Etat n’est prêt à le faire. Tant que le mandat est là, le risque qu’il soit suivi d’effet dans
quelque pays que ce soit, Belgique y compris, persiste en dépit des engagements unilatéraux pris
par la Belgique. Tout cela révèle de graves méconnaissances des obligations qui pèsent sur les
Etats en raison du respect dû au droit international. Or celui-ci, comme la République du Congo va
y revenir dans la suite de ses plaidoiries, impose à tous les Etats de respecter les immunités dont
bénéficient certains de leurs représentants. Il n’appartient pas à un Etat seul de les lever. Ou alors
- 33 -
le droit international prévoit des exceptions valables pour tous, mais un Etat ne peut prétendre se
trouver dans le cadre d’une exception s’il n’est pas en mesure de démontrer de quelles règles de
droit international, et non du droit interne, elle résulte.
Le relevé de ces contradictions dans l’argumentaire de la Belgique m’a permis de situer le
contexte qui éclaire la demande belge de voir le différend escamoté pour cause d’incompétence ou
d’irrecevabilité. La Belgique s’est enflammée d’un rôle nouveau de justicier international. Elle en
a puisé la légitimité dans des sentiments humanitaires que, pour ma part, je partage intensément.
Elle a vu dans les résolutions des Nations Unies un appel à faire progresser la justice internationale
après les crimes commis en République démocratique du Congo. Mais elle y a vu à tort un mandat
pour agir vite et fort sans s’embarrasser de la cohérence nécessaire à l’ensemble du droit.
Elle est aujourd’hui dans l’embarras, et elle tente de minimiser la portée de l’acte qu’elle a
pris. On ne peut pas jouer de la sorte avec la souveraineté d’un autre Etat. Le retrait du mandat
litigieux était la seule voie de sortie de cette impasse. S’y refusant, la Belgique a choisi
d’emprunter un chemin de traverse, en déclarant que le différend serait devenu sans objet. Nous
regrettons, tout autant que les représentants de la Belgique, ce nouveau passage dans les relations
entre les deux Etats. Mais le différend est toujours là comme je vais le montrer à présent.
La Belgique affirme que ce différend est devenu abstrait, qu’il ne porte plus que sur une
question théorique qui relèverait de la demande d’avis consultatifs, et son argument repose sur le
changement de fonctions qui a caractérisé la carrière de M. Yerodia depuis 1998. Le mandat
d’arrêt s’adressait, nous dit-on, à la personne privée de M. Yerodia pour des actes personnels. De
ce fait, l’affaire est brouillée par la confusion de deux arguments. D’une part, il est affirmé que
devant les crimes les plus graves, et ce sont ceux-là que le juge impute à M.Yerodia, les immunités
cèdent. Il y a là déjà un point de droit qui fait débat. Les immunités cèdent-elles devant toutes les
juridictions nationales aussi bien qu’internationales, et sans que les Etats en aient convenu entre
eux explicitement ? La République démocratique du Congo soutient le contraire. D’autre part, si
l’immunité pouvait faire obstacle au mandat pendant la durée des fonctions de l’inculpé, elle
n’aurait plus, nous dit-on, d’effet depuis la cessation de ces fonctions. Le mandat poursuivrait sa
vie dans la continuité depuis son émission. Il rencontrerait désormais un homme sans fonctions
gouvernementales, et ne conserverait aucune mémoire de celles un temps exercées, puisqu’il serait
- 34 -
fondé sur des actes de sa vie privée. Malheureusement pour la Belgique, ce schéma est erroné,
comme le confirment les dires du magistrat qui a inculpé l’intéressé en tant qu’homme du
gouvernement et non pas à titre d’homme privé. La République démocratique du Congo n’agit pas
ici pour l’un de ses ressortissants auquel elle offrirait sa protection diplomatique, comme cela est
suggéré par erreur dans les écritures de la Belgique. La République démocratique du Congo agit
tout simplement dans le cadre de la continuité de l’Etat et de la défense de ses intérêts, et à ce titre,
le différend persiste. J’entends bien qu’il ne suffit pas que l’une des Parties affirme être en
désaccord avec l’autre pour qu’il faille conclure à l’existence d’un différend qui pourrait n’être
alors que le produit d’une subjectivité. Depuis l’affaire des Concessions Mavromatis en Palestine
en 1924, les juridictions internationales ont rappelé sans relâche la nécessité qu’il y ait un
désaccord sur un point de droit ou de fait, un conflit, une opposition de thèses juridiques ou
d’intérêts entre les parties. Il a été précisé depuis, notamment dans l’arrêt de 1950 sur
l’interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, que
l’existence d’un différend international demande à être établie objectivement. Dans l’affaire du
Sud-Ouest africain en 1962, la Cour précise que la réclamation de l’une des parties doit se heurter à
l’opposition manifeste de l’autre. C’est parce qu’elle constate cette opposition que la Cour a
conclu à l’existence d’un différend en 1988 dans son avis consultatif sur l’Applicabilité de
l’obligation d’arbitrage en vertu de l’accord de siège de l’Organisation des Nations Unies. C’est
après avoir souligné que les griefs du Portugal ont été rejetés par l’Australie que votre juridiction a
encore conclu à l’existence d’un différend en 1995 dans l’affaire relative au Timor oriental. Ici les
termes du différend sont manifestes.
La République démocratique du Congo dit que le mandat d’arrêt émis alors que M. Yerodia
était ministre des affaires étrangères viole le droit international et demande réparation pour ce fait
illicite. La Belgique soutient qu’il n’y a pas là de violation de ce droit. L’opposition de thèses
juridiques provient de ce que pour la République démocratique du Congo le respect de l’immunité
de juridiction dont bénéficie un ministre des affaires étrangères en exercice découle d’une norme
positive de droit international coutumier, qu’il ne se trouve pas actuellement de règles de droit
international en sens contraire de valeur supérieure et que le droit interne d’un Etat ne saurait
- 35 -
valablement et unilatéralement modifier ce que dit le droit international. L’Etat défendeur soutient
à l’opposé qu’il était fondé à le faire.
Cette opposition de thèses juridiques est sous-tendue par une opposition d’intérêts. La
République du Congo défend son intérêt d’Etat souverain qui veut que soient respectées les
immunités que le droit international reconnaît aux détenteurs des plus hautes fonctions publiques.
La Belgique défend les positions extensives en matière de répression des crimes
internationaux ouvertes par la législation belge et l’utilisation qui en a été faite par un magistrat.
Nous devons encore examiner de plus près si, comme le soutient la Belgique, ce différend a
évolué depuis le moment de la requête. Plus précisément, nous devons vérifier s’il se serait dissout
jusqu’à laisser l’affaire sans objet. L’évolution de la situation tient, nous dit-on, aux changements
intervenus dans les positions occupées par M. Yerodia. Toutefois, comme je l’ai déjà souligné,
deux niveaux d’argumentation sont maintenus parallèlement par la Belgique.
Les immunités ne vaudraient en aucun cas pour les crimes d’une certaine gravité - et nous
serions dans ce cas. Mais comme si cet argument n’était pas suffisant, il est argué que les
immunités du ministre des affaires étrangères seraient tombées avec son départ de ce poste et
l’affaire aurait disparu du fait même des changements intervenus dans le Gouvernement congolais.
L’Etat défendeur croit pouvoir s’appuyer sur l’ordonnance rendue par la Cour le 8 décembre 2000
sur la demande en mesures conservatoires. Mais alors l’urgence et l’existence d’un dommage
irréparable venaient, aux yeux du Congo, du fait que M. Yerodia occupait les fonctions de ministre
des affaires étrangères. Son changement de fonction au cours de la procédure et le poste de
ministre de l’éducation nationale qu’il occupa alors justifiaient encore aux yeux de la République
démocratique du Congo de mesures conservatoires. La Cour a estimé que l’octroi de celles-ci
n’était plus nécessaire dans ce contexte. Mais alors il n’était pas question de trancher du tort sur le
fond.
L’appréciation du temps ne peut pas être la même sur le fond et sur l’urgence. Sur le fond, le
fait que M. Yerodia ne soit plus ministre des affaires étrangères aujourd’hui n’efface pas qu’il l’ait
été lorsque le mandat a été délivré. Si bien que cette coïncide nce ineffaçable par quelque
événement extérieur que ce soit entre la fonction protégée et le mandat qui passe outre à cette
protection, c’est bien cela qui est au c œur du différend. C’est bien cette demande de la République
- 36 -
démocratique du Congo, fondée sur son droit d’Etat souverain méconnu, qui se heurte à
l’opposition manifeste de l’Etat défendeur. Ce dernier se refuse à annuler le mandat d’arrêt
litigieux et conteste le fondement juridique de la demande.
Ce n’est pas là une question abstraite par le biais de laquelle nous demanderions à la Cour de
légiférer. Nous attendons de la Cour qu’elle tranche un différend concret. Parce qu’il s’agit d’un
différend juridique, l’arrêt de la Cour sera de nature à clarifier le droit, mais il n’y a là rien que de
très naturel. Voir déclaré un droit qui a été méconnu, c’est ce que demandent ordinairement les
Etats qui saisissent la Cour. Pour que l’affaire devienne sans objet au cours de la procédure, il
aurait fallu que la cause de la violation du droit ait disparu et que la réparation demandée soit
intervenue. Ici la cause est le mandat décerné par la justice belge.
Dans l’ordonnance du 8 décembre 2000, la Cour a souligné que ledit mandat n’a pas à ce
jour été rapporté et qu’il vise toujours la même personne (c’est au paragraphe 56). Dix mois plus
tard, mon propos correspond toujours à la réalité.
Persistant à prétendre que la Cour n’a plus matière à exercer sa compétence judiciaire, la
Belgique me semble s’enfoncer dans un grave contresens en consacrant plusieurs pages de son
mémoire aux affaires du Cameroun septentional et des Essais nucléaires. Mais le parallèle tenté
entre ces affaires et la présente instance est sans pertinence dans les deux cas. Dans l’affaire du
Cameroun septentrional, la Cour a rejeté deux des exceptions préliminaires du Royaume-Uni,
affirmant précisément qu’il y avait bien un différend juridique entre les parties. Et s’il est vrai que
la Cour a estimé finalement ne pas pouvoir statuer sur le fond, c’est parce qu’elle rencontrait la
résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies (la résolution 1608 du 21 avril 1961) qui
mettait fin à l’accord de tutelle et qui n’était d’ailleurs pas contestée par le demandeur. Il n’y a rien
de comparable dans le litige débattu à présent.
L’affaire des Essais nucléaires se présente encore plus nettement comme un contre-argument
par rapport à ce que prétend la Belgique. Car si votre juridiction a conclu alors qu’aucun prononcé
n’était nécessaire en l’espèce, c’est parce que les objectifs des Etats requérants - faire cesser les
essais nucléaires - avaient été atteints. Ici, au moment où la Cour va avoir à trancher du différend,
l’objectif de l’Etat demandeur - faire annuler le mandat d’arrêt litigieux et obtenir réparation pour
ce fait - n’est pas réalisé. C’est bien ce qui laisse place pour le jugement de la Cour. Nous ne
- 37 -
sommes donc pas dans une situation de simple divergence d’opinions qui relèverait du débat
académique et qui serait portée devant la Cour par un usage abusif du prétoire, le tort porté à la
République du Congo en la personne de celui qui était alors son ministre des affaires étrangères en
exercice persiste.
L’argument employé par la Belgique lors de la procédure relative aux mesures
conservatoires selon lequel des négociations au plus haut niveau seraient en cours concernant le
mandat d’arrêt s’est évanoui avec le temps. La Belgique, arguant alors des termes de sa
déclaration, disait que «la juridiction obligatoire de la Cour était exclue en cas de recours par les
parties à un autre mode de règlement pacifique». Mais près d’un an plus tard, il s’avère que cet
autre mode a échoué. En maintenant le mandat d’arrêt, la Belgique a maintenu le différend et lui a
conservé son objet. Y aurait-il eu pour autant cette modification importante des termes de la
demande congolaise sur laquelle l'accent est mis dans le contre-mémoire de la Belgique ? Demain,
en conclusion de cet ensemble de plaidoiries, la République démocratique du Congo formulera à
nouveau les demandes qu’elle adresse à la Cour. Comme vous le verrez, Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les juges, la République démocratique du Congo n’a rien fait d’autre à
travers les différentes étapes de la procédure que de resserrer et préciser ses demandes comme la
plupart des Etats qui se présentent devant la Cour ont coutume de le faire. Nous ne sommes pas
dans une hypothèse comparable à celle de l’affaire de Certaines terres à phosphates à Nauru en
1992. Il n’y a pas ici de demande nouvelle au plan matériel et au plan formel qui aurait transformé
l’objet du différend. Il y a le simple usage de la faculté laissée aux parties de modifier leurs
conclusions jusqu’à la fin de la procédure orale, usage reconnu déjà par la Cour permanente de
Justice internationale et confirmé par votre juridiction. Il est exact que la demande de la
République du Congo en se faisant plus précise désigne comme centrale dans ce différend la
question des immunités de juridiction dont peuvent bénéficier les ministres des affaires étrangères
en exercice. Et c’est ce point qui va être maintenant traité devant vous par M. Pierre d’Argent. Je
remercie la Cour.
The VICE-PRESIDENT, Acting President: Thank you so much, Professor
Chemillier-Gendreau. I now give the floor to Mr. Pierre d’Argent.
- 38 -
M. D’ARGENT : Merci Monsieur le président. Monsieur le président, Mesdames et
Messieurs les juges, permettez-moi tout d’abord d’exprimer le grand honneur que je ressens en
prenant, pour la première fois, la parole devant la Cour.
Il me revient ainsi que vient de vous l’indiquer le professeur Chaumillier-Gendreau de vous
présenter la position de la République démocratique du Congo au sujet de la violation de
l’immunité de juridiction de son ministre des affaires étrangères, violation réalisée par la délivrance
et la diffusion internationale du mandat d’arrêt litigieux.
Cette question est au cœur du différend qui est soumis à la Cour, elle en forme même la
raison d’être.
Mon exposé sera divisé en quatre parties :
Dans un premier temps, je m’attacherai à vous rappeler brièvement, très brièvement, les faits
en rapport avec cette question de l’immunité de juridiction.
Dans un deuxième temps, je vous présenterai les points d’accord entre les Parties, afin de
mieux dégager ceux qui les opposent et que la Cour devrait selon nous trancher.
Dans un troisième temps, je vous présenterai la position juridique de la République
démocratique du Congo relativement à la question de principe dont votre Cour est saisie. Comme
l’a déjà souligné le professeur Rigaux, cette question de principe n’est en rien une question
abstraite comme le prétend à tort la Belgique dans son contre-mémoire.
Dans un quatrième temps, et avant de conclure brièvement, je rencontrerai les arguments
avancés par la Belgique dans son contre-mémoire à propos de cette question d’immunité. Comme
l’heure avance, je vous propose d’aborder cette quatrième partie lors de la plaidoirie de demain
matin.
I. LES FAITS
Revenons donc quelque peu sur les faits qui sont à la base de ce différend. Ces faits vous
sont bien connus et ont déjà été exposés. Je me permets toutefois de faire ressortir les quelques
éléments qui sont essentiels à notre discussion portant sur l’immunité du ministre des affaires
étrangères en exercice.
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Il importe en réalité de revenir sur la formule qui est utilisée par le «mandat d’arrêt
international par défaut» du 11 avril 2000 s’agissant de l’identification de l’inculpé. Il est en effet
écrit pour identifier l’inculpé «M. Abdulaye Yerodia Ndombasi, né le 5 janvier 1933, ancien
directeur de cabinet du président Kabila et actuellement ministre des affaires étrangères de la
République démocratique du Congo, ayant sa résidence professionnelle au ministère des affaires
étrangères à Kinshasa.» (Contre-mémoire, annnexe3.)
Cette identification suscite quatre remarques :
Premièrement, il n’est ni contesté ni contestable qu’au moment de la délivrance du mandat,
M. Yerodia était bien ministre des affaires étrangères de la République démocratique du Congo et
qu’il exerçait effectivement cette fonction.
Deuxièmement, le juge Vandermeersch parfaitement conscient du fait que son mandat
d’arrêt visait le ministre des affaires étrangères d’un Etat souverain en exercice. En d’autres
termes, la délivrance de ce mandat d’arrêt est un acte délibéré.
Troisièmement, les plaintes qui sont à l’origine de l’action pénale ont été déposées auprès du
juge d’instruction, on vous l’a déjà dit, dans le courant du mois de novembre 1998
(contre-mémoire, p. 9) A cette époque, M. Yerodia était encore directeur de cabinet du
président Kabila. Il devient ministre des affaires étrangères le 15 mars 1999 et le mandat d’arrêt est
délivré le 11 avril 2000. Entre les plaintes et le mandat d’arrêt, près d’un an et demi s’écoule. Il
faut sans doute y voir le signe d’une «instruction détaillée» (comme dit la Belgique dans son
contre-mémoire). Il faut toutefois remarquer que le mandat d’arrêt s’appuie principalement sur des
sources antérieures à l’entrée en fonction du ministre Yerodia, de telle manière que l’on s’explique
en réalité mal ce délai d’un an et demi. Par ordre chronologique, on relève en effet dans le mandat
d’arrêt :
æ un extrait du journal Le Monde du 26 août 1998;
æ un billet d’information du journal de la Radio-télévision belge francophone (RTBF)
du 28 août 1998 et une autre information diffusée deux jours plus tard par le même média;
æ un rapport d’Amnistie internationale du 23 novembre 1998;
æ un rapport de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies du 8 février 1999;
æ un rapport de Human Right Watch de février 1999.
- 40 -
Tous ces documents sont antérieurs à l’entrée en fonction du ministre Yerodia. Et on
remarquera que ces sources qui sont générales et purement documentaires ont cependant été jugées
suffisantes pour donner crédit aux simples allégations dirigées contre le ministre.
Quatrièmement, il est clair, en effet, que ces faits qui sont à la base du différend soulèvent
une question de droit très précise : celle de savoir, on l’a déjà dit, si le ministre des affaires
étrangères en fonction d’un Etat souverain peut faire l’objet d’une procédure, pendant l’exercice de
ses fonctions, d’une procédure pénale dirigée contre lui. Peut-on attraire le ministre en exercice
devant une juridiction pénale étrangère, quand bien même serait-il accusé de crimes de droit
international.
En d’autres termes, le mandat d’arrêt litigieux circonscrit lui-même les termes juridiques de
la question qui est soumise à la Cour. Cette question c’est celle de l’étendue de l’immunité de
juridiction du ministre des affaires étrangères en exercice d’un Etat souverain, devant les tribunaux
répressifs d’un Etat étranger. La question ne porte donc pas sur la survie éventuelle de cette
immunité après la cessation des fonctions. Elle n’est pas non plus relative à la pertinence des
exceptions d’immunité qui pourraient éventuellement être soulevées devant des juridictions pénales
internationales. Non : ici la question de l’immunité de juridiction se pose devant une juridiction
interne; et elle se pose au moment où l’inculpé exerce la fonction de ministre des affaires
étrangères d’un Etat tiers.
Ainsi précisément délimitée, l’opposition de principe des Parties apparaît clairement : tandis
que le Congo soutient que la délivrance du mandat d’arrêt porte atteinte à l’immunité de juridiction
de son ministre des affaires étrangères, la Belgique prétend qu’une telle atteinte n’a pas été
commise car, selon elle, aucune immunité pénale ne saurait exister dès l’instant où la personne
inculpée, fût-elle ministre des affaires étrangères en exercice, dès l’instant où cette personne est
accusée d’avoir commis des crimes de droit international. La Belgique prétend donc qu’il
existerait une exception à la règle de l’immunité de juridiction et le Congo soutient qu’en l’espèce
il ne saurait pas y en avoir.
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II. LES POINTS DE CONVERGENCE ENTRE LES PARTIES
Avant d’aborder cette question centrale, qui constitue, comme je l’ai dit, le nœud de ce
différend, je crois utile, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, de souligner les
quelques points de droit sur lesquels le Congo et la Belgique ne sont pas en désaccord. Ces points
de convergence sont les suivants :
Premièrement, il n’est pas contesté par la Belgique que les ministres des affaires étrangères
en exercice jouissent en principe, en vertu de la coutume internationale, d’une immunité de
juridiction pénale dans les fors étrangers. La Belgique s’accorde également pour dire que leur
personne est en principe inviolable. A la page 109 du contre-mémoire belge on peut en effet lire
ceci : «en règle générale, les ministres des affaires étrangères bénéficient de l’immunité de
juridiction devant les tribunaux étrangers, et … leur personne est inviolable». Certes, cette
affirmation est qualifiée, en ce sens qu’elle s’accompagne aussitôt d’une prétendue exception, qui
existerait lorsque les accusations portées à l’encontre des ministres en exercice sont relatives à des
crimes de droit international. Je reviendrai assurément sur ce point plus tard. Pour l’instant, il
importe cependant de constater que la Belgique ne conteste pas l’existence d’une règle coutumière
d’immunité de juridiction au bénéfice des ministres des affaires étrangères. Seule l’étendue
précise, encore une fois, de cette règle, son caractère absolu, ou plutôt intégral, constitue un point
de divergence entre les Parties.
2. La Belgique ne paraît pas plus contester que, pendant la durée de leurs fonctions, les
ministres des affaires étrangères bénéficient de la même immunité de juridiction dans les fors
étrangers que les chefs d’Etat en exercice. Ce principe d’assimilation du statut des ministres des
affaires étrangères à celui des chefs d’Etat, s’agissant de l’immunité de juridiction, a été affirmé par
la République démocratique du Congo dans son mémoire aux pages 29 à 31. Et il n’est
aucunement contesté par la Belgique dans son contre-mémoire, sous réserve bien entendu de son
étendue, ainsi que je viens de le souligner.
3. Le troisième point de convergence entre la République démocratique du Congo et la
Belgique est relatif à la question de responsabilité pénale personnelle en cas de commission de
crimes, et singulièrement, en cas de commission de crimes de droit international. L’Etat
demandeur estime qu’il est important d’indiquer à la Cour qu’il n’y a en réalité, et contrairement à
- 42 -
ce que la Belgique tente d’insinuer, aucun point de divergence entre les Parties à ce propos, pour
autant que l’on comprenne bien ce que, d’une part, responsabilité pénale personnelle et, d’autre
part, immunité de juridiction, veulent dire. Dans son contre-mémoire, la Belgique tente de
discréditer la position juridique de la République démocratique du Congo en laissant implicitement
entendre qu’affirmer la règle de l’immunité de juridiction revient à nier le principe bien établi de la
responsabilité pénale individuelle. Il y a là une simplification caricaturale de la position de la
République démocratique du Congo. Il est pourtant clair que la République démocratique du
Congo n’a jamais soutenu que l’immunité de juridiction constituerait une cause d’excuse pénale, ni
que les personnes titulaires d’une immunité seraient pénalement irresponsables. Au contraire : la
République démocratique du Congo soutient, avec la Belgique, que l’existence d’un principe de
responsabilité pénale personnelle en cas de crimes de droit international n’est pas douteux en droit
international pénal, pas plus d’ailleurs qu’il n’est douteux en droit pénal général par rapport à
n’importe quelle infraction. L’Etat demandeur soutient par contre aussi, à l’inverse de la Belgique,
que ce principe de responsabilité est sans préjudice de la question de l’immunité de juridiction,
c’est-à-dire de la question de savoir devant quel juge et à quel moment cette responsabilité pénale
personnelle peut être constatée.
Il est important qu’aucune ambiguïté n’existe à ce propos. Le point de divergence entre les
Parties ne porte pas sur l’existence ou l’inexistence d’un principe de responsabilité pénale
personnelle. Il porte seulement sur le point de savoir si un juge interne peut connaître de cette
question de responsabilité pénale personnelle lorsqu’elle est soulevée, pendant l’exercice de ses
fonctions, contre un gouvernant étranger en principe titulaire d’une immunité de juridiction en
matière pénale.
III. LE DROIT DES IMMUNITÉS
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, j’en viens maintenant à la
présentation de la position juridique défendue par la République démocratique du Congo sur cette
question d’immunité du ministre des affaires étrangères en fonction. Après avoir affirmé la règle
de l’immunité de juridiction, j’en rappellerai le fondement et j’en dessinerai les contours.
- 43 -
La position de l’Etat demandeur est très simple : tout au long de l’exercice de ses fonctions,
le ministre des affaires étrangères d’un Etat souverain ne peut pas faire l’objet d’une action pénale
visant à obtenir son jugement devant une juridiction étrangère. Il bénéficie, en d’autres termes,
dans les fors étrangers, d’une inviolabilité et d’une immunité pénale, de juridiction et d’exécution,
absolue ou intégrale, c’est-à-dire d’une immunité qui ne souffre pas d’exception. Même lorsqu’il
est soupçonné d’avoir commis des crimes de droit international, son éventuelle responsabilité
pénale ne peut pas être constatée par une juridiction interne étrangère et tous les actes d’instruction
ou tous les actes d’enquête visant à le traduire en justice sont contraires à cette règle d’immunité de
juridiction, aussi longtemps qu’il exerce ses fonctions représentatives. Il n’y a à l’évidence pas de
violation de l’immunité de juridiction lorsque l’Etat représenté accepte de la lever. L’immunité
peut être levée à l’occasion d’une action pénale spécifique. Elle peut aussi être exclue par avance,
par un acte conventionnel explicite.
Le fondement de cette immunité pénale est purement fonctionnel, c’est-à-dire que
l’immunité est accordée par le droit international coutumier pour permettre au représentant de
l’Etat étranger qui en est titulaire de remplir les fonctions dont il a la charge librement et sans
entrave. Mettant à l’abri de poursuites pénales le représentant d’un Etat souverain, cette immunité
protège en réalité l’Etat, car elle vise à assurer que le représentant qu’il s’est souverainement choisi
puisse effectivement exercer les hautes fonctions qui lui ont été confiées. Le libre exercice de
celles-ci est à l’évidence de l’intérêt élémentaire de l’Etat représenté. Il ne faut toutefois pas s’y
tromper : ce libre exercice des fonctions représentatives est aussi, et peut-être surtout, de l’intérêt
de la communauté internationale dans son ensemble. Le commerce juridique entre les Etats serait
en effet très rapidement paralysé si les personnes qui en sont chargées étaient à la merci d’actions
pénales provenant de différentes juridictions nationales. L’immunité de juridiction apparaît donc
comme une nécessité pour la communauté internationale dans son ensemble, et pas seulement pour
chaque Etat qui la compose. Si l’immunité n’existait pas, le représentant de l’Etat devrait se
défendre devant les juridictions pénales étrangères et ne pourrait pas en même temps en assurer
pleinement et effectivement la représentation de son Etat, ce qui embarrasserait non seulement
celui-ci mais aussi tous les autres Etats. C’est donc la fonction à remplir, la fonction devant encore
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être remplie, qui justifie et qui fonde la règle de l’immunité pénale des gouvernants étrangers en
exercice.
Permettez-moi de faire ici une petite parenthèse dans cet exposé théorique. Il n’est en effet
pas inutile de rappeler que, lors des plaidoiries relatives à la demande en indication de mesures
conservatoires, mon estimé contradicteur, le professeur David, estima que le mandat litigieux ne
porterait nullement atteinte à la République démocratique du Congo car: «rien n’empêche le
Congo de poursuivre sa politique étrangère avec un autre représentant de son choix» (CR du
21 novembre 2000, p. 30, par. 26 per E. David) ! Il me semble que cette manière de voir les choses
est significative de l’état d’esprit dans lequel la Belgique aborde cette question. Il est pourtant clair
qu’il n’appartient pas à l’Etat défendeur, ni à quelque autre Etat de censurer de cette manière les
choix du Congo quant à la composition de son gouvernement.
Lorsque le représentant est en exercice, son immunité de juridiction est donc fonctionnelle,
dans le sens que je viens de souligner. Cette «fonctionnalité» de l’immunité du représentant en
exercice ne tient pas à la distinction que l’on pourrait faire entre les actes de la fonction et les actes
qui ne relèveraient pas de leur exercice. En réalité, si l’acte passé ne peut pas être reproché au
représentant de l’Etat durant l’exercice de ses fonctions, ce n’est pas tant parce qu’il serait
effectivement un acte de ses fonctions que parce que ce reproche lui serait adressé durant l’exercice
de ses fonctions, ce que l’immunité ne peut tolérer. En d’autres termes, le Congo soutient que cette
immunité de juridiction pénale couvre, pendant la durée des fonctions tous les actes du représentant
étranger. Il importe peu que ces actes aient été commis avant son entrée en fonction, ou après
celle-ci. Il importe peu également que les actes commis durant l’exercice des fonctions ne puissent
pas être qualifiés d’actes de la fonction.
Dans son contre-mémoire (p. 111, par. 3.4.4), la Belgique considère par contre que
l’immunité de juridiction du ministre des affaires étrangères en exercice connaîtrait deux
exceptions : l’une serait relative à la responsabilité pénale en cas de crimes de droit international;
l’autre serait relative aux actes accomplis durant l’exercice des fonctions à titre privé ou en
en-dehors des fonctions officielles. J’aurai l’occasion de revenir sur la prétendue première
exception à la règle de l’immunité affirmée par la Belgique, et à la confusion conceptuelle qu’elle
- 45 -
recèle. Je vous propose d’aborder succinctement, aujourd’hui, la prétendue seconde exception,
encore qu’elle ne soit pas directement pertinente en l’espèce.
Cette seconde exception est assurément présentée en des termes trop larges et ne saurait tenir
s’agissant d’actes, même d’actes privés, relevant normalement de la compétence de juridictions
répressives. Durant l’exercice des fonctions, l’immunité de juridiction en matière pénale existe,
même lorsque le crime a été commis à titre privé ou lorsqu’il a été commis avant la prise de
fonctions, et cela pour les raisons qui viennent d’être exposées. C’est d’ailleurs ce que confirme la
règle suivant laquelle, après l’exercice des fonctions, l’immunité n’existe plus que pour les actes
officiels accomplis dans l’exercice des fonctions. Cette règle n’est pas contestée par la Belgique
(contre-mémoire, p. 111). Elle a notamment été rappelée par l’article 13, alinéa 2, de la résolution
adoptée durant l’été par l’Institut de droit international, lors de sa session de Vancouver. Et, si
vous le permettez, je vais vous donner brièvement lecture de cet article :
«Article 13
1. Le chef d’Etat qui n’est plus en fonctions ne bénéficie d’aucune inviolabilité
sur le territoire d’un Etat étranger;
2. Il n’y bénéficie [donc le chef d’Etat qui n’est plus en fonctions] d’aucune
immunité de juridiction, tant en matière pénale, qu’en matière civile ou administrative,
sauf lorsqu’il est assigné ou poursuivi en raison d’actes qu’il a accomplis durant ses
fonctions et qui participaient de leur exercice.»
Il est étonnant toutefois que la Belgique ne se rende pas compte de la contradiction existant entre
cette règle, qui est correcte, et celle, erronée, présentée comme la deuxième exception à l’immunité
des gouvernants étrangers. En effet, si après la cessation des fonctions l’immunité de juridiction ne
demeure plus que pour les actes accomplis durant celles-ci et participant de leur exercice, c’est
nécessairement parce que, durant les fonctions, cette immunité était plus large et couvrait
également les actes antérieurs à l’exercice des fonctions, les actes privés et tous les autres actes ne
pouvant pas être qualifiés d’actes de la fonction. Et c’est d’ailleurs aussi en ce sens que se
prononce sir Arthur Watts, que la Belgique cite pourtant à la page 110 de son contre-mémoire.
En d’autres termes, l’exemple des «courses de Noël à Bruxelles» avancé par la Belgique lors
de la phase relative aux mesures conservatoires et qui est aussi repris dans son contre-mémoire, cet
exemple n’est nullement valable, du moins si l’on s’en tient à la question de l’immunité de
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juridiction en matière pénale. Même lors d’une visite privée, le ministre des affaires étrangères ne
cesse pas d’exercer quotidiennement ses fonctions, et il est certain que les moyens modernes de
communication, notamment les moyens de téléphonie mobile, le mettent à tout instant et où qu’il se
trouve à la disposition de son Etat. Ce qui justifie qu’aucune entrave ne soit portée aux fonctions
qu’il exercice et doit encore exercer.
Ce n’est donc que lorsque les fonctions représentatives de l’Etat ont pris fin que le problème
de la qualification de l’acte qui a été posé prend son sens. Alors, après la cessation des fonctions, il
devient utile de s’interroger à cet égard. Mais il faut noter qu’à ce moment-là la question de
l’immunité de juridiction change en réalité de sens. Durant l’exercice des fonctions, l’immunité
avait une fonction prospective. Elle visait à permettre le libre accomplissement de fonctions devant
encore être remplies. Lorsque ces fonctions ont pris fin, l’immunité devient rétrospective en ce
sens qu’elle s’interroge sur l’acte qui a été accompli. A ce propos, le véritable enseignement de
l’arrêt Pinochet de la chambre des lords est, comme l’a souligné le professeur Rigaux, d’avoir
affirmé que les crimes de droit international ne pouvaient pas être considérés comme des actes de la
fonction, et qu’en conséquence le dignitaire étranger ayant cessé ses fonctions ne bénéficie pas
d’une immunité de juridiction pour ses actes passés. C’est aussi ce que souligne l’alinéa 2 de
l’article 13 de la résolution de l’Institut adoptée cet été à Vancouver, dont j’ai omis de vous lire le
dernier passage. J’aurai l’occasion de revenir sur ce prononcé de la chambre des lords. Pour
l’instant, il suffit de rappeler que le différend soumis à la Cour n’est pas relatif à l’immunité de
juridiction de l’ancien gouvernant étranger, mais bien à l’immunité de juridiction qui le protège
durant l’exercice de ses fonctions. Comme je l’ai dit, le mandat d’arrêt litigieux a été délivré au
moment même où l’inculpé était ministre des affaires étrangères de la République démocratique du
Congo. Il est donc inutile de s’interroger sur le caractère privé ou public des paroles qui sont
reprochées, ou de savoir si elles constituent un acte de la fonction du ministre ou non, ce qui serait
en l’espèce absurde puisque ces paroles ont été prononcées avant même qu’il n’exerce cette charge
ministérielle.
Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, la position que la République
démocratique du Congo défend ici devant vous, est en tout point conforme à la pratique, à la
jurisprudence et à la doctrine la plus autorisée. Aucune pratique internationale ne vient contredire
- 47 -
l’assertion suivant laquelle le ministre des affaires étrangères d’un Etat souverain, ou tout autre
haut représentant assimilé, bénéficie d’une immunité de juridiction pénale absolue ou intégrale
devant les juridictions internes étrangères durant l’exercice de ses fonctions. On chercherait en
réalité en vain un précédent véritable à la pratique belge, les Etats ayant à ce jour toujours
naturellement respecté l’immunité de juridiction des hauts dignitaires étrangers en fonction et ayant
jusqu’à présent aussi, renoncé à les traduire devant leurs juges aussi longtemps que ces fonctions
étaient exercées, alors même que de sérieux soupçons de commission de crimes de droit
international pouvaient exister à leur égard.
S’agissant de la jurisprudence, toutes les affaires citées par la Belgique dans son
contre-mémoire concernent, ainsi que le professeur Rigaux l’a déjà souligné, soit des affaires
portées devant des juridictions internationales, soit des affaires portées devant des juridictions
nationales, mais dans les deux cas elles sont relatives à des dignitaires étrangers ayant cessé
d’exercer leurs fonctions. Elles sont donc en réalité sans rapport aucun avec les faits qui sont à la
base de ce différend. La seule affaire qui se rapproche de la position juridique défendue par la
Belgique est celle dont s’est saisie une juridiction de Belgrade suite au conflit du Kossovo, lorsque
les présidents, premiers ministres, ministres des affaires étrangères et chefs d’états-majors des pays
membres de l’OTAN et le secrétaire général de cette organisation furent condamnés par défaut
pour crimes d’agression et crimes de guerre. On comprend toutefois sans peine que la Belgique se
soit gardée de faire état de cette jurisprudence pour le moins étonnante ! La jurisprudence la plus
récente et la plus autorisée confirme au contraire le principe de l’immunité de juridiction pénale des
hauts représentants étrangers en fonction. Cette immunité existe même lorsque l’accusation est
relative à des crimes de droit international. C’est en ce sens que s’est prononcée la chambre des
lords dans l’affaire Pinochet; c’est aussi en ce sens que s’est prononcée la Cour de cassation de
France dans la récente affaire Khadafi. Ces deux affaires sont citées et analysées dans le mémoire
de la République démocratique du Congo et il ne me paraît pas utile d’y revenir trop longuement
ici. Je me permets toutefois de vous rappeler que lord Nicholls employa dans l’affaire Pinochet
une formule lapidaire : "I have no doubt that a current head of state is immune from criminal
process under customary international law". Aucun de ses pairs ne contredit le lord Justice
puisqu’au contraire, lord Brown-Wilkinson rappela la même règle dans un paragraphe cité aux
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pages 40 et 41 du mémoire de la République démocratique du Congo. La Belgique aborde à peine
ces passages décisifs et pertinents de l’arrêt Pinochet dans son contre-mémoire. Elle en donne une
interprétation contestable, ainsi que j’aurai l’occasion de le montrer demain.
Je me permets encore de rappeler que la Cour de cassation de France a affirmé avec
solennité dans son arrêt du 13 mars de cette année que : «la coutume internationale s’oppose à ce
que les chefs d’Etat en exercice puissent, en l’absence de dispositions internationales contraires
s’imposant aux parties concernées, faire l’objet de poursuites devant les juridictions pénales d’un
Etat étranger». La Cour de cassation rejeta aussi fermement l’argument suivant lequel la gravité
même du crime et sa contrariété au droit international justifieraient à elles seules que l’on écarte la
règle de l’immunité de juridiction — argument qui est pourtant constamment avancé par la
Belgique dans son contre-mémoire. Je reviendrai encore demain sur l’interprétation que la
Belgique donne de ce prononcé qui me semble-t-il est pourtant limpide. Il est donc clair que
l’immunité de juridiction des chefs d’Etats étrangers en exercice et des personnes qui leur sont
assimilées ne souffre en aucun cas d’une exception devant les juridictions répressives internes.
Cette règle est toutefois sans préjudice du fait que l’immunité n’existe pas lorsque l’Etat représenté
consent à la lever, cela va de soi, soit expressément, je l’ai déjà souligné, à l’occasion d’une action
pénale particulière, soit par avance par voie conventionnelle. L’immunité cesse également
d’exister lorsque sa levée est le résultat de la volonté de Conseil de sécurité des Nations Unies, les
parties à la Charte ayant par avance accepté de se conformer à ses décisions et étant tenues de
collaborer avec les tribunaux pénaux internationaux qu’il crée. Aucune de ces trois situations
n’étant en l’espèce rencontrée, il y a lieu de constater la violation de la règle de l’immunité de
juridiction commise par la Belgique.
Enfin, la doctrine la plus autorisée permet de confirmer me semble-t-il que la position
défendue par la République démocratique du Congo est conforme au droit international général. Il
suffit sans doute à cet égard de faire état de l’article 2 de la même résolution déjà citée de l’Institut
de droit international adoptée cet été : «En matière pénale, le chef d’Etat bénéficie de l’immunité
de juridiction devant le tribunal d’un Etat étranger pour toute infraction qu’il aurait pu commettre,
quelle qu’en soit la gravité.»
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Point n’est besoin, me semble-t-il, de faire ici état du rapport du professeur Verhoeven
justifiant cette règle, ni de relever les étranges contorsions mentales auxquelles se livre la Belgique
dans son contre-mémoire pour tout à la fois montrer la prétendue compatibilité de cette résolution
avec sa position et en même temps en écarter en vain la pertinence dans le cas d’espèce
(p. 160-161, par. 3.5.116 et 3.5.117). Point n’est besoin non plus de revenir sur la doctrine
abondamment citée par la Belgique dans ce contre-mémoire à l’appui de sa position. Il serait
même, me semble-t-il, lassant pour la Cour de reprendre chaque auteur, dont la pensée est bien
souvent plus complexe et plus subtile, voire même différente que les brefs extraits cités par la
Belgique ne permettent de s’en rendre compte. On pourrait d’ailleurs citer abondamment des
auteurs en sens inverse des thèses de la Belgique. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, et qu’un
exemple récent puisque la Belgique fait reproche un peu vainement au Congo de s’appuyer sur de
la doctrine antérieure à la jurisprudence Pinochet et Khadafi, je citerai le professeur
Michel Cosnard qui écrit dans son rapport introductif au colloque de la société française pour le
droit international, qui s’est tenu en juin de cette année :
«s’il est un principe unanimement réaffirmé, c’est celui de l’immunité pénale absolue
des chefs d’Etat en exercice, et ce quelle que soit la date des actes criminels reprochés,
le cas échéant antérieurs à la prise de fonction» (M.Cosnard, «Les immunités du chef
d’Etat,», rapport introductif, SFDI, Colloque de Clermont (juin 2001), Le chef d’Etat
et le droit international, p. 24).
Et Michel Cosnard de souligner aussi que la seule décision contraire à cette règle incontestée
est celle, que j’ai déjà évoquée, rendue par un tribunal serbe le 21 septembre 2000.
En toute hypothèse, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, la République
démocratique du Congo n’entend pas contester qu’il existe en effet certains auteurs, de bons
auteurs, qui estiment que les gouvernants étrangers, même en exercice, ne devraient pas bénéficier
d’une immunité pénale devant des juridictions internes en cas d’accusation de crime de droit
international. Tout bien réfléchi, il est toutefois clair que l’état du droit positif tel que je viens de
vous le présenter est sage, me semble-t-il, et parfaitement cohérent.
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, je vous propose d’arrêter ici ma
plaidoirie de ce matin, et avec votre permission, je la reprendrai demain matin. Je rencontrerai plus
précisément alors les différents arguments développés par la Belgique dans son contre-mémoire sur
cette question de l’immunité de juridiction. Je remercie la Cour de son attention.
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The VICE-PRESIDENT, Acting President: Thank you, Mr. Pierre d’Argent. This
concludes this morning’s session for the Congo. The Court stands adjourned until tomorrow
morning at 10 o’clock.
The Court rose at 12.45 p.m.
___________

Document Long Title

Public sitting held on Monday 15 October 2001, at 10 a.m., at the Peace Palace, President Guillaume and Vice-President Shi presiding, successively

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