Public sitting held on Wednesday 14 July 1993, at 10 a.m., at the Peace Palace, President Sir Robert Jennings presiding

Document Number
083-19930714-ORA-01-00-BI
Document Type
Number (Press Release, Order, etc)
1993/32
Date of the Document
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Bilingual Content

CR 93/32
International Court Cour internationale
of Justice de Justice
THE HAGUE LA HAYE
YEAR 1993
Public sitting
held on Wednesday 14 July 1993, at 10 a.m., at the Peace Palace,
President Sir Robert Jennings presiding
in the case Territorial Dispute
(Libyan Arab Jamahiriya/Chad)
_______________
VERBATIM RECORD
_______________
ANNEE 1993
Audience publique
tenue le mercredi 14 juillet 1993, à 10 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de sir Robert Jennings, président
en l'affaire Différend territorial
(Jamahiriya arabe libyenne/Tchad)
____________
COMPTE RENDU
____________
- 2 -
Present:
President Sir Robert Jennings
Vice-President Oda
Judges Ago
Schwebel
Bedjaoui
Ni
Evensen
Tarassov
Guillaume
Shahabuddeen
Aguilar Mawdsley
Weeramantry
Ranjeva
Ajibola
Herczegh
Judges ad hoc Sette-Camara
Abi-Saab
Registrar Valencia-Ospina
___________
- 3 -
Présents:
Sir Robert Jennings, Président
M. Oda, Vice-Président
MM. Ago
Schwebel
Bedjaoui
Ni
Evensen
Tarassov
Guillaume
Shahabuddeen
Aguilar Mawdsley
Weeramantry
Ranjeva
Ajibola
Herczegh, juges
MM. Sette-Camara
Abi-Saab, juges ad hoc
M. Valencia-Ospina, Greffier
- 4 -
The Government of the Libyan Arab Jamahiriya is represented by:
H.E. Mr. Abdulati Ibrahim El-Obeidi
Ambassador,
as Agent;
Mr. Kamel H. El Maghur
Member of the Bar of Libya,
Mr. Derek W. Bowett, C.B.E., Q.C., F.B.A.
Whewell Professor emeritus, University of Cambridge,
Mr. Philippe Cahier
Professor of International Law, Graduate Institute of International Studies, University of Geneva,
Mr. Luigi Condorelli
Professor of International Law, University of Geneva,
Mr. James R. Crawford
Whewell Professor of International Law, University of Cambridge,
Mr. Rudolph Dolzer
Professor of International Law, University of Mannheim,
Sir Ian Sinclair, K.C.M.G., Q.C.
Mr. Walter D. Sohier
Member of the Bar of the State of New York and of the District of Columbia,
as Counsel and Advocates;
Mr. Timm T. Riedinger
Rechtsanwalt, Frere Cholmeley, Paris,
Mr. Rodman R. Bundy
Avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
Mr. Richard Meese
Avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
Miss Loretta Malintoppi
Avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
Miss Azza Maghur
Member of the Bar of Libya,
as Counsel;
Mr. Scott B. Edmonds
Cartographer, Maryland Cartographics, Inc.,
Mr. Bennet A. Moe
Cartographer, Maryland Cartographics, Inc.,
- 5 -
Le Gouvernement de la Jamahiriya arabe libyenne est représenté par :
S. Exc. M. Abdulati Ibrahim El-Obeidi
ambassadeur,
comme agent;
M. Kamel H. El Maghur
membre du bureau de Libye,
M. Derek W. Bowett, C.B.E., Q.C., F.B.A.
professeur émérite, ancien titulaire de la chaire Whewell à l'Université de Cambridge,
M. Philippe Cahier
professeur de droit international à l'Institut universitaire de haute études internationales de
l'Université de Genève,
M. Luigi Condorelli
professeur de droit international à l'Université de Genève,
M. James R. Crawford
titulaire de la chaire Whewell de droit international à l'Université de Cambridge,
M. Rudolph Dolzer
professeur de droit international à l'Université de Mannheim,
Sir Ian Sinclair, K.C.M.G., Q.C.
M. Walter D. Sohier
membre des barreaux de l'état de New York et du district de Columbia,
comme conseils et avocats;
M. Timm T. Riedinger
Rechtsanwalt, Frere Cholmeley, Paris,
M. Rodman R. Bundy
avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
M. Richard Meese
avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
Mlle Loretta Malintoppi
avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
Mlle Azza Maghur
membre du barreau de Libye,
comme conseils;
M. Scott B. Edmonds
cartographe, Maryland Cartographics, Inc.,
M. Bennet A. Moe
cartographe, Maryland Cartographics, Inc.,
- 6 -
Mr. Robert C. Rizzutti
Cartographer, Maryland Cartographics, Inc.,
as Experts.
The Government of the Republic of Chad is represented by:
Rector Abderahman Dadi, Director of the Ecole nationale d'administration et de
magistrature de N'Djamena,
as Agent;
H.E. Mr. Mahamat Ali-Adoum, Minister for Foreign Affairs of the Republic of Chad,
as Co-Agent;
H.E. Mr. Ahmad Allam-Mi, Ambassador of the Republic of Chad to France,
H.E. Mr. Ramadane Barma, Ambassador of the Republic of Chad to Belgium and the
Netherlands,
as Advisers;
Mr. Alain Pellet, Professor at the University of Paris X-Nanterre and at the Institut
d'etudes politiques of Paris,
as Deputy-Agent, Counsel and Advocate;
Mr. Antonio Casses, Professor of International Law at the European University Institute,
Florence,
Mr. Jean-Pierre Cot, Professor at the University of Paris I (Panthéon-Sorbonne),
Mr. Thomas M. Franck, Becker Professor of International Law and Director, Center for
International Studies, New York University,
Mrs. Rosalyn Higgins, Q.C., Professor of International Law, University of London,
as Counsel and Advocates;
Mr. Malcolm N. Shaw, Ironsides Ray and Vials Professor of Law, University of Leicester,
Member of the English Bar,
Mr. Jean-Marc Sorel, Professor at the University of Rennes,
as Advocates;
Mr. Jean Gateaud, Ingénieur général géographe honoraire,
as Counsel and Cartographer;
Mr. Jean-Pierre Mignard, Advocate at the Court of Appeal of Paris,
- 7 -
M. Robert C. Rizzutti
cartographe, Maryland Cartographics, Inc.,
comme experts.
Le Gouvernement de la République du Tchad est représenté par :
M. Abderahman Dadi, directeur de l'école nationale d'administration et de magistrature de
N'Djamena,
comme agent;
S. Exc. M. Mahamat Ali-Adoum, ministre des affaires étrangères de la République du Tchad,
comme coagent;
S. Exc. M. Ahmad Allam-Mi, ambassadeur de la République du Tchad en France,
S. Exc. M. Ramadane Barma, ambassadeur de la République du Tchad en Belgique et aux
Pays-Bas,
comme conseillers;
M. Alain Pellet, professeur à l'Université de Paris X — Nanterre et à l'Institut d'études
politiques de Paris,
comme agent adjoint, conseil et avocat;
M. Antonio Cassese professeur de droit international à l'Institut universitaire européen de
Florence,
M. Jean-Pierre Cot, professeur à l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne),
M. Thomas M. Franck, titulaire de la chaire Becker de droit international et directeur du
centre d'études internationales de l'Université de New York,
Mme Rosalyn Higgins, Q.C., professeur de droit international à l'Université de Londres,
comme conseils et avocats;
M. Malcolm N. Shaw, titulaire de la chaire Ironsides Ray and Vials de droit à l'Université
de Leicester, membre du barreau d'Angleterre,
M. Jean-Marc Sorel, professeur à l'Université de Rennes,
comme avocats;
M. Jean Gateaud, ingénieur général géographe honoraire,
comme conseil et cartographe;
M. Jean-Pierre Mignard, avocat à la Cour d'appel de Paris,
Mr. Marc Sassen, Advocate and Legal Adviser, The Hague,
as Counsel;
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Mrs. Margo Baender, Research Assistant, Center of International Studies, New York
University, School of Law,
Mr. Oliver Corton, Collaborateur scientifique, Université libre de Bruxelles,
Mr. Renaud Dehousse, Assistant Professor at the European University Institute, Florence,
Mr. Jean-Marc Thouvenin, attaché temporaire d'enseignement et de recherche at the
University of Paris X-Nanterre,
Mr. Joseph Tjop, attaché temporaire d'enseignement et de recherche at the University of
Paris X-Nanterre,
as Advisers and Research Assistants;
Mrs. Rochelle Fenchel;
Mrs. Susal Hunt;
Miss Florence Jovis;
Mrs. Mireille Jung;
Mrs. Martine Soulier-Moroni.
- 9 -
Me Marc Sassen, avocat et conseiller juridique, La Haye,
comme conseil;
Mme Margo Baender, assistante de recherche au centre d'études internationales de la
Faculté de droit à l'Université de New York,
M. Olivier Corten, assistant à la Faculté de droit de l'Université libre de Bruxelles,
M. Renaud Dehousse, maître-assistant à l'Institut universitaire européen de Florence,
M. Jean-Marc Thouvenin, attaché temporaire d'enseignement et de recherche à l'Université
de Paris X — Nanterre,
M. Joseph Tjop, attaché temporaire d'enseignement et de recherche à l'Université de
Paris X — Nanterre,
comme conseillers et assistants de recherche;
Mme Rochelle Fenchel,
Mme Susan Hunt,
Mlle Florence Jovis,
Mme Mireille Jung,
Mme Martin Soulier-Moroni.
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The PRESIDENT: Please be seated. I give the floor to Professor Pellet.
M. PELLET : Merci, Monsieur le Président. Monsieur le Président, Messieurs de la Cour.
1. Ma brève plaidoirie de ce matin introduit la quatrième et dernière partie de la duplique
orale du Tchad.
Cette partie portera sur le traité franco-libyen du 10 août 1955 qui nous paraît de nature à
fournir des bases suffisantes, simples, et j'allais presque dire "évidentes", à la solution du différend
que vous êtes appelés à trancher en vertu de l'accord-cadre conclu à Alger le 31 août 1989.
L'un des paradoxes de l'affaire dont vous êtes saisis est cependant qu'après 2344 pages
d'écritures — nous avons compté, Monsieur le Président ! — sans y inclure bien sûr les
vingt et un volumes d'annexes, et après un mois de plaidoiries orales, les Parties continuent à
s'opposer sur la véritable nature et sur la portée réelle de leur différend.
Il n'y a aucun doute : les Parties sont en désaccord. Mais sur quoi ?
2. Comme l'ont montré hier mes collègues et amis, les professeurs Franck et Sorel, le Tchad,
a, depuis vingt ans que dure le différend, eu une attitude claire, constante et ferme. Ce pays pauvre,
défavorisé, miné par la guerre civile et trop de luttes fratricides, n'a jamais varié dans ses convictions
juridiques, et je dirais même "patriotique". Pour tous les gouvernements qui se sont succédé à
N'Djamena depuis 1971, année des premières menaces sur l'intégrité du territoire, l'affaire de la
bande d'Aouzou — car c'est de cela qu'il s'est toujours agi — a constamment appelé les mêmes
réactions : cette région de 114 000 kilomètres carrés fait partie intégrante de la République du
Tchad, et ceci pour des raisons qui n'ont pas varié : le traité conclu le 10 août 1955 entre la Libye
indépendante et la France, dont le Tchad a hérité, a fixé, ne varietur, la frontière entre les deux pays;
celui du 7 janvier 1935, le traité Laval-Mussolini, n'est pas entré en vigueur et n'a produit aucun
effet juridique.
3. Monsieur le Président, il est plus difficile de s'y retrouver dans les positions successives
qu'a prises la Libye, quoique, durant les vingt premières années qui ont suivi son accession à
l'indépendance, elle ait manifesté, par son attitude constante, sa conviction que le tracé de sa
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frontière méridionale était bien celui que le Tchad défend aujourd'hui et qu'avait défini le traité
de 1955. Ceci s'est traduit par une coexistence paisible, avec la France d'abord, puis avec le Tchad
indépendant jusqu'à la fin des années soixante. Et ceci n'est pas dépourvu de signification juridique.
Les choses deviennent moins claires par la suite : la Libye fait ou laisse circuler des cartes
douteuses; mais elle s'en désolidarise; elle s'empare de la bande d'Aouzou mais, dans un premier
temps, elle affirme n'y être présente qu'à titre purement humanitaire avant de nier qu'il y eût un
différend, puis de se justifier du bout des lèvres mais par des arguments qui, directement ou
indirectement — je pense à l'invocation de la "carte fantôme" dont a beaucoup parlé le professeur
Franck —, reviennent toujours à invoquer le traité Laval-Mussolini de 1935.
Pourtant, la Libye a porté devant la Cour un autre différend, défini par elle seule comme
portant sur la moitié du Tchad. Au demeurant, nous avons cru déceler, à la fin surtout des
plaidoiries de la Libye, comme un mouvement de retraite sur la ligne de 1935. Du reste, dans le
magazine Jeune Afrique du 8 juillet dernier, chacun a pu lire une interview du ministre des affaires
étrangères de la Libye, M. Al-Mountasser, dans lequel celui-ci déclarait : "Quant au différend sur la
bande d'Aouzou, nous attendons le verdict de la Cour de La Haye."
Cette déclaration, Monsieur le Président, accroît notre perplexité; car, le jour même où le chef
de la diplomatie libyenne faisait cette déclaration, M. l'agent de la Libye maintenait les conclusions
de la Jamahiriya à cette place (cf. CR 93/29, p. 71-72). Les problèmes juridiques sur lesquels le
professeur Higgins avait attiré l'attention de la Cour au début de nos plaidoiries (cf. CR 93/21, p. 44
et suiv.) sont donc loin d'être résolus; nous sommes convaincus que votre arrêt y pourvoira.
4. Le contraste entre ce que j'appellerai l'"ampleur" des revendications de la Libye — mais
c'est une litote — et sa stratégie de plaidoirie est très frappant.
La Partie libyenne n'a en effet jamais essayé d'établir positivement le bien-fondé de ses
prétentions aussi inattendues qu'énormes. Elle s'est employée, bien plutôt, à critiquer les arguments
juridiques avancés par le Tchad. Mais l'addition de raisonnements exclusivement négatifs ne nous
emble pas d'être d'une grande aide pour permettre à la Cour de régler le litige. "Moins plus moins"
n'a jamais permis de dégager des solutions positives et la stratégie négative adoptée par la Libye
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a peut-être pu faire naître un doute sur tel ou tel élément de la thèse que nous avons soutenue; elle ne
nous paraît pas de nature à établir le bien-fondé des conclusions de la Partie Libyenne, non plus
d'ailleurs qu'à remettre en cause l'argumentation juridique du Tchad dans son ensemble.
Cette "tactique du harcèlement" a une autre conséquence : elle oblige nos contradicteurs à se
concentrer sur des points de détail. Or, comme l'a fait remarquer le professeur Crawford (CR 93/29,
p. 32) à M. Sohier (CR 93/27, p. 66), ce n'est pas le Bon Dieu, mais c'est le diable qui est dans les
détails.
5. Nous croyons, de ce côté-ci de la barre, que le débat judiciaire a pour objet de permettre à
chaque Partie de justifier ses conclusions par des arguments juridiques qui devraient présenter une
cohérence globale.
C'est pourquoi, Monsieur le Président, dans ce dernier tour de plaidoiries, nous nous sommes
efforcés de montrer qu'en définitive toute notre thèse convergeait vers le traité du 10 août 1955.
Ceci ne signifie pas que d'autres lignes d'argumentation ne permettent pas d'arriver au même
résultat; et nous maintenons, en particulier, que l'on peut raisonner en fonction du titre territorial
plutôt que de la ligne frontalière elle-même et que les effectivités coloniales puis l'exercice paisible
de sa souveraineté territoriale par le Tchad indépendant justifient les conclusions que celui-ci vous a
présentées. De même, nous sommes convaincus que, par eux-mêmes, les accords conclus entre les
puissances coloniales à l'extrême fin du XIXe
siècle et au début de celui-ci ont établi la frontière dont
la République du Tchad a établi le tracé. De même encore, nous pensons que cette frontière
s'impose à la Libye du fait qu'elle y a acquiescé en tout état de cause.
Chacune de ces argumentations a ses mérites et pourrait se suffire à elle-même. Mais la
caractéristique du traité franco-libyen de 1955 est qu'il en est, en quelque sorte, le point de
convergence; je dirais presque qu'il les "transcende" toutes :
— il établit, sans doute possible, que les deux Parties ont un titre territorial de part et d'autre de la
frontière qu'il détermine et, à cet égard, je voudrais ouvrir une petite parenthèse : le
6 juillet dernier, l'un des éminents conseils de la Libye a, à trois reprises, mentionné "l'éclat
extraordinaire" ("the extraordinary outburst") (CR 93/27, p. 56-57) d'un conseil du Tchad, tout
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aussi éminent, qui s'était interrogé sur le point de savoir comment la Partie libyenne conciliait sa
théorie selon laquelle la France n'avait jamais acquis de titre territorial avec la reconnaissance
par la Libye de la validité du traité de 1955 (CR 93/24, p. 42); ce n'était assurément pas un
"éclat extraordinaire" (extraordinary outburst) que de se poser la question et je note simplement
en passant que l'existence même du traité montre que les deux Parties se reconnaissaient
mutuellement le titre territorial qu'aujourd'hui la Libye dénie — rétroactivement — à la France;
le traité conforte les Etats dans leur titre territorial;
— de même, en définissant comme étant en vigueur entre les Parties les accords de délimitation
antérieurs, le traité de 1955 lève tout doute que l'on pourrait avoir sur l'opposabilité de ces
instruments à l'Italie puis à la Libye;
— de même encore, en y reconnaissant expressément que les frontières entre elles résultent de ces
accords, les deux parties rendent superflue toute discussion sur la réalité et la portée des
acquiescements antérieurs.
Bien entendu, je le répète, ceci ne signifie pas que les droits de la République du Tchad ne
résultent pas, également, du titre territorial dont elle a hérité, de la part de la France, ou des accords
de 1899, 1902 et 1919 ou des acquiescements antérieurs de l'Italie ou de la Libye. Cela signifie
seulement que, puisque la Libye et la France se sont, en 1955, entendues sur le tracé d'une frontière,
il est inutile, j'allais le dire, de "chercher plus loin".
6. Monsieur le Président, il est donc particulièrement important, en cette extrême fin de nos
plaidoiries, de "faire le point" sur ce que nous avons à dire sur le traité du 10 août 1955 à la lumière
des arguments qu'ont développés les conseils de la Libye en plaidoiries.
Dans un premier temps, le professeur Jean-Pierre Cot établira que ce traité répond à l'objectif
fondamental de stabilité de tout règlement frontalier et qu'il doit être interprété à la lumière de ce
principe.
Le professeur Higgins s'emploiera ensuite à montrer que la discussion sur le caractère
constitutif ou déclaratif de notre traité, à laquelle se sont attardés nos contradicteurs, débouche sur
une impasse.
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Enfin, si vous le voulez bien, Monsieur le Président, M. Jean-Pierre Cot reviendra à cette
barre et s'arrêtera plus précisément sur la notion d'actes internationaux en vigueur avant d'aborder la
question de la bonne foi.
Monsieur le Président, Messieurs les juges, vous avez fait preuve de beaucoup de patience et
de bienveillance en acceptant de m'écouter à plusieurs reprises, je vous en remercie très vivement, et
je vous prie, Monsieur le Président, de bien vouloir donner la parole au professeur Cot.
The PRESIDENT : Thank you very much, Professor Pellet. Professor Cot.
M. COT : Monsieur le Président, Messieurs de la Cour. Nous en revenons à l'interprétation
du traité du 10 août 1955, comme vient de vous le dire le professeur Pellet. C'est par là que nous
avions commencé, lors du premier tour. C'est par là que nous terminons, logiquement, le
second tour puisque nous estimons que l'application du traité du 10 août 1955 suffit à résoudre le
différend qui vous est soumis. L'application du traité du 10 août 1955 et notamment de l'article 3 du
traité et de son annexe I, que nous nous sommes permis de vous redistribuer pour le dossier
d'audience aujourd'hui.
J'observe que la Partie libyenne vous a en effet projeté et distribué plusieurs avant-projets et
extes alternatifs envisagés à un moment ou à un autre de la négociation (cf. Judge's Folder n
os 12,
13, 87 et 96). Et ceci encore lors du dernier jour de ses plaidoiries par les soins du
professeur Bowett. Mais qu'elle a oublié de vous distribuer le texte décisif, c'est-à-dire l'annexe I du
traité ! Sans doute l'a-t-elle inclus dans ses écritures, mais vous n'en trouverez pas trace dans le
Livre vert.
Je rappelle qu'aux termes de l'article 9 du traité du 10 août 1955, "les conventions annexes qui
sont jointes au présent traité ... en font partie intégrante". J'ajoute que l'annexe I, en consignant dans
un même instrument l'article 3 dont il rappelle les termes et la liste des traités de référence, affirme,
par là même, l'unité de l'instrumentum, ce qui est une indication supplémentaire, Monsieur le
Président, de la volonté des Parties de concevoir cet ensemble normatif comme un tout indissociable.
Pour interpréter le traité — je l'ai rappelé au premier tour — nous disposons d'un discours de
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la méthode : la convention de Vienne, qui codifie votre jurisprudence. J'ai invité sir Ian Sinclair qui
connaît bien ces dispositions — et pour cause — à appliquer ces dispositions à l'interprétation du
présent texte. Mais il s'y est refusé, cherchant au contraire, avec talent et habileté, à mélanger les
méthodes d'interprétation, à omettre des instruments essentiels et à recomposer à sa façon, un peu
baroque, un traité fait de bric et de broc.
Il y a sans doute dans cette démarche une part de pragmatisme anglo-saxon que je salue, une
défiance à l'endroit d'un cartésianisme trop carré. Il y a surtout ce que nous appelons en français la
volonté de "noyer le poisson" pour éviter les conclusions auxquelles l'interprétation du traité
du 10 août 1955, suivant les banales règles de l'art, conduit inéluctablement. Je suis donc placé,
Monsieur le Président, devant la difficulté, soit de me répéter, soit de suivre sir Ian dans ses
vagabondages et pérégrinations, au risque de perdre de vue l'essentiel.
Heureusement, M. Maghur nous propose une solution de sagesse pour nous tirer d'affaire :
"In counsel's presentation, Libya will indicate for the Court the principal matters
of substance in this case not adequately addressed in Chad's written pleadings, or in
these oral proceedings, for the issues concerned to have been truly joined ... the failure
to address points of evidence and arguments of an adversary may well result in a
tribunal's construing such failure as tantamount to an admission."
J'userai donc de cette liberté, que nous propose notre confrère libyen, sans en abuser,
rassurez-vous !
J'aborderai d'abord le principe cardinal de la stabilité et de la finalité du règlement frontalier.
J'avais cité — je dirai presque pour mémoire — l'avis de la Cour permanente de Justice
internationale dans l'affaire de l'Interprétation du traité de Lausanne et l'arrêt de la Cour
internationale de Justice dans l'affaire du Temple de Préah Vihéar en relation avec ce principe.
Sir Ian Sinclair m'a surpris par l'acharnement qu'il a mis à minimiser la portée des dicta que j'avais
cités, comme il s'agissait de cas d'espèce ou d'obiter sans conséquence (CR 93/27, p. 29-30).
Je veux dire ici, à Sir Ian, mon désaccord complet. Ce ne sont pas les circonstances locales
qui, dans ces deux affaires, ont conduit la Cour à constater la stabilité et la finalité du règlement
territorial. Mais tout au contraire, c'est la recherche de la stabilité et de la finalité du règlement
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territorial qui a conduit la Cour permanente à préconiser une ligne frontière complète dans l'affaire
du Traité de Lausanne, et la Cour internationale à constater l'existence d'un estoppel et à écarter
l'argument de l'erreur dans l'affaire du Temple de Préah Vihéar.
C'est bien le principe cardinal de stabilité des frontières qui a dicté la solution d'espèce et non
l'inverse. Au demeurant, il ne s'agit pas d'une jurisprudence isolée.
Je ne veux pas lasser la Cour par le rappel de l'abondante jurisprudence afférante à ce
principe. La Cour permanente a rappelé que la frontière doit être délimitée de manière complète et
ininterrompue dans l'affaire de Jaworzina (C.P.J.I. série B n
o
8, p. 32). Les tribunaux
internationaux ont souligné l'exigence de stabilité dans l'affaire de Grisbadarna (RSA, vol. XI,
p. 161), dans l'affaire des Parcelles frontalières (C.I.J. Recueil 1959, p. 221-222), dans l'affaire du
Canal de Beagle (où le tribunal arbitral se réfère explicitement au dictum de la Cour dans l'affaire
du Temple de Préah Vihéar, ILR, vol. 52, p. 131), enfin dans l'affaire de la Mer Egée où votre Cour
a déclaré, à propos de la délimitation :
"Qu'il s'agisse d'une frontière terrestre ou d'une limite de plateau continental,
l'opération est essentiellement la même; elle comporte le même élément inhérent de
stabilité et de permanence et est soumise à la règle qui veut qu'un traité de limite ne soit
pas affecté par un changement fondamental de circonstances..." (C.I.J. Recueil 1978,
p. 36.)
La doctrine, Monsieur le Président, est tout aussi abondante. Je me contenterai de relever
avec les auteurs de la 9e
édition d'Oppenheim : "qu'un tribunal saisi d'un litige frontalier", c'est le
cas, "will have it in mind that 'one of the primary objects' of boundary settlement 'is to achieve
stability and finality'" (p. 667-668).
Enfin, Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, je ne reviendrai pas sur la démonstration
menée hier par mon collègue le professeur Franck à propos de la stabilité des frontières africaines et
de la mise en œ uvre du principe uti possidetis dans le cadre de l'Organisation de l'Unité africaine.
Le principe de la stabilité et de la finalité des frontières est bien un principe cardinal et d'application
très générale.
Monsieur le Président, nous ne prétendons pas que ce principe soit d'application absolue. Les
Parties contractantes peuvent fort bien l'écarter. Elles peuvent convenir de ne procéder qu'à une
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délimitation partielle de la frontière. Mais nous disons que si ce principe a un sens, s'il n'est pas une
formule creuse, une figure de réthorique, il doit agir à la manière d'une présomption, il doit éclairer
l'interprétation des dispositions d'un traité ou d'un article de traité relatif à une frontière
internationale. Comme l'a dit la Cour permanente dans l'affaire du Traité de Lausanne, et je vous
prie d'excuser la répétition de cette citation d'une plaidoirie sur l'autre :
"il est naturel que tout article destiné à fixer une frontière soit, si possible [et nous
pensons que c'est le cas ici], interprété de telle sorte que, par son appliction intégrale,
une frontière précise, complète et définitive soit obtenue" (C.P.J.I. série B no
12, p. 20).
Je comprends l'embarras de sir Ian, sa réticence à accepter le principe et sa conséquence, qui
est la présomption juridique qui en découle. Car il n'a pas d'éléments de preuve à apporter pour
établir l'intention contraire des Parties. Nous l'avons montré au premier tour et je le rappellerai dans
un instant. Ni le texte, ni le contexte, ni la pratique ultérieure n'établissent une telle intention
contraire, pas plus que les travaux préparatoires.
Or, Monsieur le Président, écarter cette présomption serait ouvrir une voie fâcheuse pour la
stabilité du règlement territorial, et par delà la présente instance. Je ne veux pas enfourcher les
chevaux de l'apocalypse dont nous avons parlé, mais si vous suivez nos contradicteurs dans leur
raisonnement, vous invitez à une relecture générale et critique des clauses territoriales des traités.
Aussi j'ai confiance que vous maintiendrez cette présomption de stabilité et de finalité du règlement
frontalier.
Vérifions maintenant si la Partie libyenne a réussi à renverser cette présomption, au moyen de
preuves nouvelles et décisives.
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour,
Prenons d'abord l'objet et le but du traité. Mon honorable contradicteur a ironisé sur mon
analyse du préambule du traité. J'ai souligné que les Parties contractantes entendaient faciliter le
règlement de toutes les questions que posent pour les deux pays leur situation géographique. Le
préambule, nous le savons bien, n'est qu'une pièce dans le dispositif d'ensemble. C'est un peu plus
qu'une "nicety". Il annonce la volonté de contribuer au règlement de toutes ces questions.
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Cette volonté qui est mise en œ uvre dans le dispositif du traité par l'article 3 et l'annexe I qui
définissent les frontières entre les deux Hautes Parties contractantes et qui prévoient une procédure
de démarcation. Délimitation de toute la frontière entre les deux Parties, ou plus exactement —
sir Ian a raison sur ce point — de toutes les frontières entre les deux Parties.
Pourquoi ce pluriel ? J'aurais tendance à dire parce qu'en bon français on parle des frontières
de la France ou des frontières de l'Ecosse; mais aussi sans doute parce que le statut juridique des
possessions françaises d'Afrique de l'époque est très divers : protectorat, département, territoire
d'Outre-mer. Quoi qu'il en soit, cette considération grammaticale, ce pluriel, n'affecte en rien
l'impératif de stabilité et de finalité du règlement frontalier entre les Parties contractantes.
Quant à l'hypothèse des deux segments de frontière, l'un délimité, l'autre "à délimiter" quant à
l'hypothèse corrélative du mandat implicite de négociation sur les portions de frontière qui ne sont
pas délimitées, je n'en vois toujours pas l'esquisse d'une preuve, ni dans le texte, ni dans le contexte,
ni dans les travaux préparatoires.
Sir Ian Sinclair a sans doute raffiné son hypothèse en distinguant quatre segments et non pas deux,
quatre segments relevant d'instruments conventionnels différents. Il enfonce une porte ouverte,
permettez-moi de le lui dire, puisqu'il n'établit en aucune manière la volonté des Parties de traiter de
manière spécifique et différente les segments de frontière suivant le traité de référence. Je puis donc
renvoyer la Cour à ma plaidoirie du premier tour à ce sujet (CR 93/22, p. 11-14). Je n'ai rien à y
ajouter.
Les Parties n'ont pas seulement entendu délimiter toutes leurs frontières. Elles ont prévu une
procédure de démarcation pour aplanir toute difficulté sur le terrain. Les diplomates français et
libyens connaissaient bien la distinction entre délimitation et démarcation. On nous a rappelé avec
insistance que ce sont les représentants de la France qui ont introduit cette distinction lors des débats
aux Nations Unies (CR 93/27, p. 35.) Et sir Ian Sinclair a même rendu à ce propos un hommage
appuyé à la diplomatie française !
Il n'a d'ailleurs pas contesté que la démarcation présuppose une délimitation, une frontière
déjà délimitée. De ce fait, il s'est trouvé devant une difficulté : comment expliquer la mise en place
- 19 -
d'une procédure de démarcation et non pas une procédure de délimitation de la frontière entre les
deux Parties ? Notre contradicteur a essayé de contourner la difficulté en interprétant les alinéas
relatifs à la procédure d'abornement, ceux qui sont inscrits dans l'annexe I, comme s'appliquant
uniquement au secteur compris entre Ghât et Toummo (CR 93/27, p. 47-48), et en faisant observer
que ces alinéas sur l'abornement suivent l'alinéa où les deux Parties fixent les trois points qui doivent
permettre de délimiter la frontière dans ce secteur. Il cherche ainsi à fragmenter l'effet de l'annexe I
et à réduire à un segment particulier ladite procédure d'abornement.
Messieurs de la Cour, cette interprétation ne résulte en aucune manière du texte même de
l'annexe I, qui vise : "l'abornement de la frontière partout où ce travail n'a pas encore été effectué et
où l'un des deux gouvernements l'estimerait nécessaire".
Mais j'ajoute que cette interprétation visant à fragmenter l'effet de l'annexe I est démentie par
le comportement ultérieur des Parties, comme en témoigne l'incident d'Inoharten (mémoire du Tchad,
annexes 276 et 278) Inoharten, Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, est situé au nord de
Ghât, dans la région d'Edjelé. A la suite d'un incident de frontière, le premier ministre Ben Halim
demande, en mars 1956, l'application de la procédure d'abornement prévue par l'annexe I du traité
de 1955.
Le Gouvernement français y consent. Il fait simplement observer que le traité de 1955 n'est pas
encore entré en vigueur et qu'il ne peut pas s'agir formellement de l'application de la procédure
prévue par le traité de 1955. Mais pas plus le Gouvernement français que le Gouvernement libyen
en l'espèce ne cherchent à limiter la procédure d'abornement au secteur compris entre Ghât et
Toummo et qui ne comprend donc pas la région de Inoharten.
Alors, nous dit-on, pourquoi le Gouvernement français n'a-t-il pas demandé la démarcation de
toute la frontière, et notamment de la frontière entre Tommo et le Soudan, s'il croyait que cette
frontière était déjà délimitée par le traité de 1955 ? Mais parce qu'il n'y avait aucune nécessité de
délimiter cette frontière ! Une procédure d'abornement est une procédure difficile, onéreuse, surtout
dans les circonstances de l'époque, en 1955, où l'on ne disposait pas des moyens actuels pour
l'opérer; et surtout dans une région désertique, inhospitalière, comme peut être le Tibesti. Dans ce
- 20 -
secteur, et par application des textes de référence, la délimitation est parfaitement fixée par renvoi à
des coordonnées astronomiques précises; la ligne frontière ne traverse en 1955 ni agglomération, ni
cultures, ni installations militaires. Les caravanes vont nécessairement d'un point d'eau à un autre.
Chacun de ces points étant situé précisément par rapport à la frontière d'un côté ou de l'autre, cela
suffit pour les contrôles éventuels. Personne, heureusement, n'a à ce moment-là l'idée saugrenue
d'installer une barrière frontière avec douanier et petite casquette en plein désert. Dans ce secteur, la
démarcation n'avait aucun sens.
Je constate donc que, sur ce point, la Partie libyenne n'a pas apporté d'élément tendant à
prouver qu'en 1955 les Parties avaient l'intention de soumettre à un traitement différent tel ou tel
segment de la frontière. Le texte de l'article 3 ne distingue pas entre les frontières en cause. Le texte
de l'annexe I énumère toutes les conventions applicables et sans faire de distinction entre elles. La
procédure de démarcation prévue est applicable, en tant que de besoin et à la demande de l'une ou
l'autre Partie, à toute portion de la frontière ou des frontières quelles qu'elles soient.
Monsieur le Président, j'en viens maintenant au contexte.
Nos adversaires ont été assez silencieux sur le contexte. Je me permets donc d'invoquer ici la
"doctrine Maghur". L'article 4 et l'article 5 renvoient à l'article 3 pour la définition de la frontière;
ils en impliquent donc l'existence. La convention sur le bon voisinage de même. La convention
particulière de même, qui situe explicitement, nous le savons, la région de Muri Idie en territoire
tchadien et confirme l'appartenance de la bande d'Aouzou au territoire tchadien. Enfin, l'hypothèse
d'une illusoire zone de défense n'a pas été ressuscitée dans la réplique de nos contradicteurs
(cf. CR 93/22, p. 14-17).
Sir Ian Sinclair m'a reproché d'être réticent sur la pratique ultérieure des Parties (CR 93/17,
p. 48-49). Je vise ici la pratique ultérieure telle qu'elle est définie par l'article 31 de la convention
de Vienne, c'est-à-dire celle qui établit "l'accord des parties à l'égard de l'interprétation du traité".
J'avais retenu deux textes à ce titre. Contrairement à ce que prétend sir Ian, l'accord
du 26 décembre 1956 ne réduit pas à néant notre affirmation suivant laquelle le traité
du 10 août 1955 entendait définir la ligne frontière sur toute sa longueur. Pourquoi l'accord de 1956
- 21 -
est-il conclu, je vous le demande ? Est-ce parce qu'il n'y a pas de frontière de délimitée entre
Ghadamès et Ghât, le secteur concerné ? Mais, pas du tout ! C'est parce que la frontière telle
qu'elle est délimitée par l'accord du 12 septembre 1919 et auquel renvoie le traité de 1955, cette
frontière-là ne convient pas à la France, et que celle-ci veut, par une interprétation authentique,
arrondir son territoire dans le secteur de manière à comprendre l'ensemble du gisement pétrolier
récemment découvert à Edjelé.
Nos contradicteurs évoquent à ce propos, non sans raison, le chantage de la France à la
ratification du traité du 10 août 1955 (CR 93/15, p. 61). En acceptant l'amendement Isorni à
l'Assemblée nationale française — et je rappelle que maître Isorni sera un des chantres de l'Algérie
française — le Gouvernement français lie en effet le sort du traité du 10 août 1955 à l'adoption
préalable de l'interprétation authentique de la ligne frontière dans le secteur d'Edjelé. Nous avons
relaté tout ceci dans notre mémoire et y avons annexé la documentation parlementaire et
diplomatique correspondante.
On ne peut donc en aucune manière voir dans l'accord de 1956 une interprétation du traité
dans le sens allégué par nos contradicteurs, c'est-à-dire une constatation de l'absence de délimitation;
il s'agit bien ici d'interprétation authentique, de rectification.
Vous me permettrez ici, Monsieur le Président, une petite digression. Sir Ian a cité et
commenté deux lettres datées de 1960, l'une du ministre des affaires étrangères, M. Maurice Couve
de Murville, l'autre de l'ambassadeur de France à Tripoli, M. Pierre Sébilleau (CR 93/27, p. 32-33).
Ces documents, postérieurs de cinq ans au traité de 1955, ne constituent pas un accord entre
les parties sur l'interprétation de notre traité. Ils ne disent d'ailleurs pas ce que sir Ian voudrait leur
faire dire.
Ces lettres concernent principalement le secteur Ghât-Toummo, c'est-à-dire le secteur qui a
fait l'objet d'une délimitation spécifique par référence à trois points géographiques par le traité
de 1955. Elles ne disent pas du tout que la délimitation est inexistante, mais qu'elle n'est pas
satisfaisante, qu'il faut la compléter — l'ambassadeur parle d'un abornement général; on n'envisage
donc pas une délimitation de novo. A mes yeux, tout ceci ne méritait pas tant d'honneur de la part
- 22 -
de sir Ian.
Monsieur le Président, je me dois ici de relever une petite négligence de la part de nos
contradicteurs. Sir Ian a cité la lettre de l'ambassadeur Sébilleau; or, la réplique libyenne n'en
reproduit qu'une partie jusqu'à la page 8 (lettre du 13 juin 1960, réplique de la Libye, pièce 6-10,
p. 1-8; cf. aussi la traduction anglaise de cette pièce, qui indique que le document transmis au Greffe
est incomplet). La suite manque, mais par pour tout le monde, puisque sir Ian a pu compléter la
phrase commencée dans la dépêche. Cette petite négligence que je n'impute aucunement à notre
ami Ian Sinclair, connaissant son scrupule et sa probité, ne mériterait pas d'être relevée s'il n'y avait
pas récidive.
C'est la quatrième fois, Monsieur le Président, que la Partie libyenne présente un document
intéressant, mais n'en dépose qu'une version incomplète au Greffe, et ceci en violation de l'article 50
de votre Règlement.
La première fois, ce fut à propos de l'exhibit 73 du mémoire libyen, c'est-à-dire des minutes
libyennes de la négociation finale.
La deuxième fois, ce fut à propos de l'exhibit 74 du mémoire libyen, c'est-à-dire du rapport de
mission du colonel Latyoush du 4 août 1955. J'aurai l'occasion d'y revenir dans la seconde moitié de
ma plaidoirie et nous vous l'avons distribué dans notre dossier d'audience de ce jour afin d'en
faciliter la consultation.
La troisième fois, ce fut à propos de ce curieux document (réplique de la Libye, pièce 6-4)
dont j'avais questionné l'origine. M. Maghur nous a pleinement rassurés sur la provenance
honorable de ce document (CR 93/27, p. 15). Mais il a ajouté :
"what these transcripts brought out, among other things, is that Libya did not wish or
intend to deal with the delimitation of Libya's boundaries in the 1955 Treaty".
J'ai cherché à vérifier dans la pièce annexée à la réplique libyenne l'exactitude de cette
affirmation qui ne correspondait pas à mon souvenir. Je n'ai rien trouvé de tel, Monsieur le
Président.
Je me suis alors rendu compte que la Partie libyenne n'avait là aussi fourni que des extraits de
ce curieux document et n'en avait pas déposé le texte intégral au Greffe.
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Monsieur le Président, quatre violations successives de l'article 50 du Règlement de la Cour,
cela fait beaucoup ! Nous ne cherchons pas l'incident de procédure, mais vous conviendrez que tout
cela fait un peu désordre.
Après l'accord de 1956, le second texte qui, à notre avis, relève de la pratique ultérieure entre
les parties, est la convention de bon voisinage du 2 mars 1966. Le professeur Cahier a analysé cette
convention jeudi dernier (CR 93/28, p. 59-61). Ce traité reprend pour l'essentiel les dispositions de
la convention de bon voisinage de 1955. C'est la raison pour laquelle nous n'avions pas cru
nécessaire, dans notre première intervention, de répéter à propos de la convention de 1966, les
observations que nous avions faites à propos de la convention annexée au traité du 10 août 1955. Je
note, pour être complet, que les articles 1, 2, 6 et 8 de la convention de 1966 visent explicitement
soit la frontière entre les deux pays, soit deux zones frontalières distinctes : l'une tchadienne, l'autre
libyenne, de part et d'autre de la frontière. Voici qui ne correspond guère à l'analyse, par M. Cahier,
d'une vaste "zone frontière" telle qu'il nous l'a projetée sur grand écran l'autre jour. Vous me
permettrez d'ajouter à ce propos, Monsieur le Président, deux remarques
1. Les deux conventions de bon voisinage, celle de 1955 et celle de 1966, instituent bien, à
cheval sur une frontière délimitée par ailleurs par l'article 3 et l'annexe I du traité, une zone
frontalière régie par des règles communes. Mais l'institution d'une telle zone frontalière n'abolit pas
la frontière linéaire pour autant. Je rappelle à la Cour la sentence rendue par le tribunal arbitral
dans l'affaire du Lac Lanoux : le Gouvernement espagnol y invoquait l'existence d'une "zone
organisée conformément à un droit spécial de caractère coutumier, incorporé au droit international
par les traités de délimitation qui l'ont reconnue" (RSA, vol. XII, p. 307).
Dans cette affaire, le tribunal arbitral a mis les choses au point en ces termes :
"il est impossible d'étendre le régime des compascuités au-delà des limites qui leur sont
assignées par les traités, ni d'en faire découler une notion de 'communauté' généralisée
qui aurait un contenu juridique quelconque. Quant au recours à la notion de 'frontière
zone', il ne peut, par l'usage d'un vocabulaire doctrinal, ajouter une obligation à celles
que consacre le droit positif."
Et M. Cahier, qui est un éminent représentant de la doctrine, il nous l'a rappelé l'autre jour,
avance ici un concept, celui de frontière-zone qui n'a pas plus de consistance juridique aujourd'hui
- 24 -
qu'en 1957.
2. Ma seconde remarque porte sur la manière dont le professeur Cahier a décrit la zone
frontalière instituée par l'article 2 de la convention de bon voisinage de 1966. Il a fait observer, vous
vous en souviendrez peut-être, qu'il y avait sept cent cinquante kilomètres entre Faya au sud et le
point septentrional de la zone définie, soit davantage, disait-il, qu'entre Nice et Paris ! Je mets
d'ailleurs cette remarque en parallèle avec les affirmations répétées du professeur Bowett relatives à
l'impossibilité, pour un contingent de quelques centaines d'hommes, d'assurer la présence effective
d'un Etat dans de si vastes espaces. Si je les ai bien compris, mes collègues n'ont pas eu la chance
que nous avons eue de visiter ces superbes contrées dont nous parlons. Ils auraient survolé à basse
altitude pendant des heures des plateaux sans apercevoir âme qui vive, peut-être un berger et
quelques bêtes étiques ici où là . Ils auraient constaté, dans les quelques palmeraies, une population
agglomérée mais en petit nombre car les ressources de l'élevage ne permettent pas d'y faire vivre des
masses nombreuses.
La densité de population dans le BET est de 0,2 habitants par kilomètre carré. Dans la bande
d'Aouzou, on peut estimer la population à combien ? Environ cinq mille habitants
pour 120 000 kilomètres carrés, un habitant pour 20 kilomètres carrés. Si mes souvenirs de
géographie sont exacts, dans un pays comme celui où nous sommes aujourd'hui, la proportion est
légèrement différente : largement plus de deux cents habitants pour un kilomètre carré. Si j'insiste
sur ce point, Monsieur le Président, c'est parce que l'exercice des actes à titre de souverain y est
nécessairement différent, sporadique. L'ordre y est maintenu par des patrouilles de ce qu'on appelait
naguère des méharistes; les services publics opèrent ponctuellement plutôt que par présence à poste
fixe. La notion même de zone frontalière y est fort différente de celle que nous connaissons en
Europe. Le trajet de Gatroum à Faya ne ressemble en rien au trajet de Paris à Nice, et la zone
frontalière visée par les conventions de bon voisinage de 1955 et de 1966 a peu de choses à voir avec
les zones franches de Haute-Savoie et du pays de Gex ! Elle n'en est pas moins une zone frontalière
chevauchant une ligne frontière définie par les traités de référence.
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, l'application des moyens principaux
- 25 -
d'interprétation confirme donc à nos yeux très largement la présomption posée par le principe de
stabilité et de finalité de la ligne frontière. A nous en tenir au texte, inséré dans son contexte, éclairé
par l'objet et le but du traité et compte tenu de la pratique ultérieure des Parties, l'article 3 et
l'annexe I du traité du 10 août 1955 ont bien pour objet et pour effet de déterminer les frontières
entre les deux Parties sur toute la longueur et notamment de Toummo à la frontière soudanaise.
Mais c'est ici que sir Ian Sinclair sort sa botte secrète. Tout cela ne tient pas, dit-il, puisque
l'article 3 est déclaratif et non constitutif.
J'ai eu l'occasion, au premier tour de plaidoiries, d'expliquer pourquoi cette thèse nous paraît
mal fondée, pourquoi ce problème nous paraît être un faux problème, inventé par nos contradicteurs
pour se tirer d'un mauvais pas. J'ajoute que, si nous suivions notre honorable contradicteur sur ce
terrain, nous serions, à ce moment-là , en opposition complète avec toutes les dispositions relatives
aux frontières et au régime frontalier posées par les traités de 1955 et de 1966 et que je viens de
développer. Mais comme la thèse libyenne s'attaque au cœ ur du traité et de la solution qu'il pose en
matière frontalière, nous allons maintenant la soumettre à réexamen, un réexamen que Mme le
professeur Higgins va nous présenter.
Mr. President, as we will be stopping a bit early this morning, you may perhaps find it
convenient to interrupt the pleadings at this time, even if it is a bit early, and to take the coffee break
before calling upon Professor Rosalyn Higgins.
The PRESIDENT : Yes, if that fits in with the general plan, Professor Cot, thank you very
much, and we'll take our break now.
L'audience est suspendue de 10 h 50 à 11 h 15.
- 26 -
The PRESIDENT: I give the floor to Professor Higgins.
Mrs. HIGGINS: Mr. President, Members of the Court, Libya is faced with a treaty that it
signed and ratified, and which disposes of the issue in dispute: where is the frontier? To avoid this
unpalatable reality, Libya engages in feats of escapology of the most daring kinds, greatly enjoyable
for the spectator. These attempted feats of escapology take the form of a veritable series of legal
propositions of the most imaginative sort: for example, the Western Sahara Advisory Opinion
decides France could never have got title: the choice is between res nullius and conquest; the
League Covenant always prohibited colonial title by military occupation; a doctrine of
non-succession to acquiescence will set aside legal notions of opposability. The introduction of
declaratory and constitutive theories of recognition into boundary treaties is another such.
2. Libya demands that we follow them down all these escape routes, assisting them in avoiding the
arm of the law by answering all their chosen questions. We mostly think the questions irrelevant to
the issue at hand and we don't feel very inclined to assist them in their attempt to escape the 1955
Treaty. But, litigation being what it is, we have endeavoured to make our views known to them and
to the Court.
3. What is the Libyan thesis on Article 3 and constitutive and declaratory theories of recognition. I
am going to try, without artifice, to restate what we understand Libya to be saying and I need to
recall, one more time, what Article 3 of the 1955 Treaty says:
"Les deux Hautes Parties Contractantes reconnaissent que les frontières séparant les territoires de la
Tunisie, de l'Algérie, de l'Afrique occidentale française et de l'Afrique équatoriale française d'une
part, du territoire de la Libye d'autre part, sont celles qui résultent des actes internationaux en
vigueur à la date de la constitution du Royaume Uni de Libye tels qu'ils sont définis dans l'échange
de lettres ci-jointes."
—and then there is the reference to Annex I.
4. The Parties have taken different views on the meaning of several elements in Article 3, including
"celles qui résultent" and "actes internationaux en vigueur"and "qu'ils sont définis". Libya says our
understanding of "reconnaissent" is important of itself and because it illuminates our understanding
of these other terms.
- 27 -
5. It is Libya's view, stated clearly in its Reply, para. 5.38, that:
"The use of the word 'reconnaissent' demonstrated that it was designed to be declaratory of existing
boundaries and not constitutive of boundaries where no boundaries have previously existed."
6. What does Libya take from that argument? Well, Libya says that "to recognize" a
boundary indicates a choice for a declaratory approach (whereas, presumably, "to agree" would
indicate a choice for a constitutive approach). This means that the 1955 Treaty effected no
delimitation of frontiers — it merely recognized frontiers that already existed, and were opposable
to Libya, by virtue of international instruments in effect in 1951.
7. The breadth of Libya's dismissal of the 1955 Treaty as a frontier settlement is striking.
Libya says in its Counter-Memorial, 3.04:
"Article 3 provided that Libya and France recognized something about certain
boundaries . . . . Although Article 3 fixed no boundaries, it recognized those
boundaries that had already been fixed under international agreements in force in
1951." (Emphasis added.)
Some frontiers, says Libya, might indeed already have been fixed before 1951 and these Libya
specifies in its Reply (para. 5.22). But not the boundary east of Toummo, and it further could not
be regarded as opposable to Libya because in 1951 the Accord of 1902 was not "en vigueur". In a
slightly curious way of putting it, Libya contends that "neither the 1900 nor the 1902 Franco-Italian
Accord produced a boundary" (CML, para. 3.11; emphasis added). Chad does not look to the
1902 Accord to "produce a boundary" — that was done by the 1899 and 1919 Conventions. But it
is part of the story of opposability of an existing boundary to Italy, and in turn, to Libya.
8. In short, the use of "reconnaissent" allows invocation of the doctrine of the declaratory
effect of recognition and a renvoi only to boundaries already in existence in 1951.
9. Mr. President, Members of the Court, Chad has made clear in its Counter-Memorial
(para. 11.28) that it regards these alternative views of recognition — the declaratory versus the
constitutive — with indifference. Even if we were to step on to Libya's ground, and accept that
there are choices to be made between the declaratory and constitutive theories, in our view it makes
no difference at all. If the word "reconnaissent" operates in a declaratory fashion, then the frontier
line Chad contends for was indeed already in existence in 1951 by reference to these instruments of
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reference. Nor, even on the declaratory view, is an escape route provided by the fact that the 1902
Accord was not in 1951 "en vigueur".
10. The inclusion of the phrase "en vigueur" was to exclude the 1935 Treaty. Not only would
it not appear in the annex, but these words would underline that an end had now come to the
constant invoking of an instrument that had no legal significance. As for the fact that the 1902
Accord is listed, but was not, objectively speaking, "en vigueur" in 1951 — the parties in 1955
simply chose to treat it as the category of instruments "en vigueur" at that date. The listing of the
1902 Treaty was deliberate, a clear act of will by the parties.
11. The parties were not seeking to engage in their own juridical analysis. The term "in
effect", "en vigueur", was used descriptively, and not as a precondition to the operation of the other
terms of the Treaty. The phrase was certainly not, as Libya has contended, an "overriding
condition" for Article 3 to operate (CML, para. 4.04). Even if the fact of 1902 being "en vigueur"
was an error (but not its listing by the parties), where does that take us? The Court in the Preah
Vihear case, in the famous dictum where it affirms the principle of stability of frontiers and
definitive solutions, says:
"This is impossible if the line so established can, at any moment, and on the basis
of a continuously available process, be called in question, and its rectification claimed,
whenever any inaccuracy by reference to a clause in the parent treaty is discovered.
Such a process could continue indefinitely, and finality would never be reached so long
as possible errors will remain to be discovered." (I.C.J. Reports 1962, p. 34)
12. And we may think that, where the parties clearly determine to delimit a frontier, as was
the case in 1955, error should play an equally small part in destabilizing that intention. Further, the
use of the term "recognize" at once underlines this and is a guarantee against reliance on error. In
Chad's submission this must work as a principle of interpretation for boundary treaties entering into
force as much as for long established boundary treaties.
13. If, of course, the 1955 Treaty is to be regarded as "constitutive", then that too is fine with
Chad. If the 1955 Treaty is creating obligations de novo, and creating frontiers where none had
existed before — then even if our boundary did not already exist (which it did), that too provides a
frontier, and Libya agreed.
14. In case a constitutive effect is intended by this recognition, says Libya, it had better
- 29 -
address some remarks to the Court on that. And this has been done by Sir Ian Sinclair. The
constitutive possibility that Libya advances as an unthinkable alternative is dealt with essentially by
crying "foul". Without asking the Court to set aside the 1955 Treaty, Libya rather urges it not to
interpret it as having "constitutive effect", because that would be to ignore Libya's disadvantage and
ignorance in entering into it. The "pauvre Libye" plea is heard not to invalidate the Treaty, but to
interpret it to say what it doesn't. And as to the merits of that claim, Members of the Court, you will
hear more from Professor Cot.
15. So Chad has felt no special need to make the choices that Libya wants us to make.
16. But in any event, Mr. President, Members of the Court, there is another reason why Chad
has no interest in making these choices for Libya. It is this. We believe that, not only in terms of
the consequences, but as a matter of law, a choice between declaratory and constitutive theories
simply does not arise.
17. Recognition performs a variety of functions in international law, and is itself of many
different kinds, directed at different objects. And the common thread is that recognition involves the
perceived or publicly stated acceptance by a State of any fact or situation in its relations with any
other State. Eric Suy has described it thus:
"La reconnaissance est une manifestation de volonté unilatérale par laquelle un
sujet de droit constate une situation donnée et exprime la volonté de la considérer
comme étant conform au droit." (Les actes juridiques unilateraux en droit
international public, 1967, p. 190.)
There is an endless possibility of facts that might fall for recognition. The situations are a little
easier to cluster: new States are born. Governments change in a violent or unconstitutional manner.
Hostilities occur between nations. Civil wars rage within States. Territorial sovereignty falls to be
allocated. And boundaries are definitively settled.
18. Most of these types of recognition occur as unilateral acts. One State will simply decide
whether to recognize another State, or government, or state of belligerency. Where non-recognition
is being used to secure political ends, the decision may be multilateral, within the United Nations or
other regional groupings. And sometimes the appropriate vehicle for the manifestation of a
recognition is a treaty. And boundary determinations are very often done by treaty, and the
- 30 -
recognition of the frontier concerned will be an element within that treaty or international act. The
instrument can be multilateral (as in the Helsinki Final Act) or bilateral (as in the 1955 Treaty
between France and Libya).
19. To ask whether an obligation contained within a treaty is constitutive or declaratory is to
ask a non-question. And that is why, in spite of Libya's protestations, Chad has declined to respond
to the question in respect of the 1955 Treaty. Recognition of facts and situations other than the birth
of new States is neither declaratory nor constitutive. And treaty terms means simply what they say,
no more and no less, and are binding as such. When a treaty is the vehicle used to express the
willingness to recognize a fact or situation, the meaning and scope of the terms is to be decided by
reference to the principles of treaty interpretation, and not the recognition of States.
20. Now Professor Cot has already addressed the Court on the principles of treaty
interpretation relevant to Article 3 and Annex I of the 1955 Treaty. And the matter is further
elaborated in our written pleadings.
21. A study of the literature confirms this analysis. The classic starting-point for any
discussion on recognition, and especially on the debate about the constitutive or declaratory nature
thereof, has to be Sir Hersch Lauterpacht's celebrated book on Recognition and International Law.
I believe that even civil lawyers will accept that! And we may remind ourselves of his precise
words, he said:
"To recognize a political community as a State is to declare that it fulfils the
conditions of statehood as required by international law . . . Although recognition is
thus declaratory of an existing fact, such declaration, made in the impartial fulfilment
of a legal duty, is constitutive, as between the recognizing State and the community so
recognized, of international rights and duties associated with full statehood." (P. 6)
22. The declaratory/constitutive debate has relevance only to the recognition of States. The
"fact"being recognized — that a new international actor has been born — is the ultimate threshold
question for a system predicated on sovereign States. The very existence of a subject of
international law is what is in issue. In that context, one perfectly understands the relevance of the
question: is the recognition by others of a claimant's statehood itself a prerequisite for the
statehood? In other issues, the declaratory/constitutive debate has no functional purpose. No other
circumstances in which the issue of recognition arises presents the same sort of threshold question.
- 31 -
Thus the recognition of a government will have certain consequences for relations between the two
States; but it does not determine whether the government exists. Recognition of belligerency is
relevant for the rights that will be accorded to the recognized party in certain fact situations. As
Lauterpacht has put it, it triggers "a duty imposed by the facts on the Situation"(Recognition in
International Law, p. 175). But recognition here does not determine the existence of the hostilities.
There is no occasion to ask the question that the declaratory/constitutive debate seeks to address;
namely "Does my recognition make the entity EXIST?" To ask "Is to recognize a state of hostilities
in country X constitutive or declaratory?" is meaningless. It is not coincidental that the doctrine has
received such attention as it has in the context of the recognition of statehood — it has no place in
other forms of recognition.
23. And even in the context of statehood the concept has attracted more interest in the
literature that in State practice. States recognize other States without asking themselves whether
what they are doing is constitutive of the birth of the new State, or declaratory of its existence. A
paucity of numbers recognizing a new State — perhaps because the international community has
called for non-recognition (as with the Bantustans, or the Turkish Federated State of Cyprus), or
perhaps for other reasons (as with Biafra) — will have undoubted consequences. But few States
today regard those consequences as usefully described by reference to constitutive or declaratory
views of recognition. The topic attracts less and less attention also in the literature — in most of the
leading works it receives brief reference as a point of historical interest. It is striking that it is only
accorded a passing reference in the 9th edition of Oppenheim, the 8th edition of which had, of
course, been edited by Sir Hersch Lauterpacht.
24. What place, then, could the constitutive and declaratory debate have in the recognition of
another State's claims, or of a boundary line? The answer is none. Recognition here serves not to
open the somewhat sterile theoretical debate, but totally other purposes. Formally to recognize
- 32 -
a fact, or a legal situation, is to be estopped from denying the fact or situation. A common lawyer,
John Fisher Williams, said in his Course on Recognition at the Academy of the Hague in 1933 (a
course apparently given in French):
"On donne à la reconnaissance une fonction qui ressemble à celle de 'l'estoppel'
(empêchment) en droit anglais: quand un Etat a reconnu une prétention, il est empêché
(estopped) de la contester." (RCADI (1933-II), Vol. 44, at p. 210.)
The sam view was taken by Anzilotti, who said that:
"la reconnaissance peut produire en droit international un effet semblable à celui de la
prescription en droit privé" (J.F. Williams, at 210, citing Anzilotti, Cours de droit
international, Recueil Sirey, Paris, 1929).
25. Mr. President, Members of the Court: we have said that the matter is not one of
declaratory and constitutive theories of recognition, but of the interpretation of Article 3 and Annex I
in accordance with its plain meaning, its context, and in a way that is not absurd and empties it of all
substance. But in doing that the use of the word "recognize", "reconnaissent", still has an
importance — but not the importance Libya hoped for.
26. There is ample evidence, on your jurisprudence and in the leading writings, that
recognition of a situation entails certain important consequences of law. The use of the term
signifies a common desire for certainty; an intention of the parties to put disputes behind them; a
commitment to the stability of frontiers; and a preclusion from making claims contrary to what has
been recognized.
27. In territorial and frontier matters the term "recognize" is employed only when there is a
certainty about the fact or situation at hand. It is not a term that is brought into play when there is
any hesitation about the status of territory, or delimitation of the frontier, as the case may be. Thus
in the Jaworzina, Advisory Opinion (P.C.I.J., Series B, No. 8, p. 32) the Permanent Court said:
"The clauses relating to the immediate recognition of the sovereignty of the
States concerned over the territories . . . presuppose the existence of a territory defined
and delimited in all respects, especially in relation to the other State.
"28. One also finds the term "recognize"frequently employed in frontier agreements concluded
in circumstances where there has been a history of problems and of conflict, or of difficult bargains
struck. One party offers a consideration, a quid pro quo; the other party is required to recognize
the frontier line. The term reflects "the deal struck". One gets the sense of this in the agreement
made between France and Turkey of 23 June 1939, concerning the settlement of the Turkish-Syrian
- 33 -
territorial problems. France ceded the Sandjak of Alexandrette to Turkey. And in turn, Article 7
provided that "la Turquie reconnaît comme constituant la limite définitive de son territoire la ligne"
that was there described.
29. In 1955 Libya secured the prize of French withdrawal from the Fezzan. Libya tells us
that this was really what the 1955 Treaty was all about, that any delimitation was for the future, for
possible arrangements quite outside of the Treaty. But the reality is that Article 3 is the quid pro
quo, whereby there was to be a recognition of the 1899 frontier line. There, in contrast to the
Franco-Turkish Agreement of 1939, the term is drafted as an obligation falling on both parties, to be
sure. But it entailed for Libya alone the renunciation of its preferred line, the 1935 line.
30. Recognition entails that no contrary claim will be advanced, in circumstances where
otherwise such claims might have been expected to continue. In the Rights of Passage case (I.C.J.
Reports 1960, p. 39) the Court describes how
"The British did not, as successors of the Marathas, themselves claim
sovereignty, nor did they accord express recognition of Portuguese sovereignty, over
them . . . Portuguese sovereignty over the villages was recognized by the British in fact
and by implication and was subsequently tacitly recognized by India. As a
consequence the villages comprised in the Maratha grant acquired the character of
Portuguese enclaves within Indian territory."
31. Recognition here led to the consequence because of possible claims not being pressed.
Where recognition of a situation is a treaty obligation, expressly made as in the 1955 Treaty, how
much more strongly can we see this principle of an obligation not to pursue inconsistent claims.
32. This situation was clearly put in the Legal Status of Eastern Greenland case, where
pointing to certain bilateral and multilateral agreements, the Permanent Court said:
"In accepting these bilateral and multilateral agreements as binding upon herself,
Norway reaffirmed that she recognized the whole of Greenland as Danish; and thereby
she has debarred herself from contesting Danish sovereignty over the whole of
Greenland . . ." (P.C.I.J., Series A/B, No. 53, p. 69.)
- 34 -
33. Hans Blix has drawn a contrast between recognition of subjects of international law, and
other forms of recognition. As to the latter, for example, "recognition of a border", he says,
"recognition in these cases conveys an acceptance of the claim and implies a readiness to respect it in
practical contacts" RCADI (1970-II), Vol. 130 at p. 599).
34. The stability function of the term "recognized", when used in a boundary treaty, is
emphasized in the observation of Georg Schwarzenberger:
"However weak a title may be, and irrespective of any other criterion,
recognition estops the State which has recognized the title from contesting its validity at
any future time."
35. So the jurisprudence of the Permanent Court, of this Court, the unanimous opinion of the
leading jurists, all show that recognition of a boundary entails a commitment to finality of any
dispute and the stability of frontiers. It also reflects a commitment to certainty; and entails the
consequence of estoppel for the recognizing party or preclusion of inconsistent claims. And this is
so whether the recognition is advanced unilaterally or whether a treaty is the vehicle for such
recognition.
36. If, as in our case, a treaty is the vehicle for such recognition, these legal consequences are
encased within an instrument that of itself, and even without specific mention of "recognition",
intends the exchange of binding obligations: pacta sunt servande. We may say that it is somewhat
analogous to a stabilization clause, which serves in a treaty already binding to underline the
importance to the parties of certain provisions; and so does the introduction of the concept of
recognition into a treaty that already, by virtue of the legal nature of a treaty, binds the parties to
accept the obligations contained in it.
37. What then of our Treaty, the Treaty of 1955, and in particular Article 3 and Annex I?
What do we know of the introduction of this word "recognize" ("reconnaissent")? Is its purpose to
introduce notions of declaratory effect, as Sir Ian has suggested — or is it to achieve exactly what
that term is usually introduced to achieve in boundary treaties, that is to say, the finality and the
other consequences of which I have been speaking? The Libyan pleadings, I would remind the Court
again, claim that the introduction of the word "reconnaissent" was "designed" to be declaratory of
existing boundaries (RL, para. 5.38).
- 35 -
38. Mr. President, Members of the Court, the evidence is rather clear on this. Let us begin
with the negotiating documents of the parties. The background is that already, in late 1954, rumours
were circulating of a Libyan intention to occupy Aozou. This is evident from evidence produced by
both Libya and Chad at the written phase (see ML French Archives, P166; MC, No. 262). One can
see from the "projet de procès-verbal" emanating from the French Administrative Services, of
30 March 1955, that, while certain matters under consideration were still the subject of different
formulae being exchanged by France and Libya, a common formula had been found in
paragraph IV, on frontiers and that common formula said:
"Les deux Gouvernements convinnent de s'en tenir en ce qui concerne les tracés
des frontières séparant les territoires français et libyen, aux stipulations générales des
textes internationaux en vigueur à la date de la création de l'Etat Libyen."
So the parties were already prepared, so far as the frontier line was concerned to agree to abide by
the general provisions, that I think is a correct translation, of the international instruments in effect
on the date of Libya's independence.
39. In the spring of 1955 Libya was showing a visible interest in the Laval-Mussolini Pact
and was gathering in information on its possibilities, from diverse sources (see MC, No. 258). You
will hear more about this from Professor Cot. In February 1955 there occurred the famous "Aozou
incident" (ML, French Archives, p. 167; MC, No. 272; RC, No. 92 bis). The documentary
evidence clearly shows the French concern, and the determination that the border issues, and the
problems resulting from the non-ratified Laval-Mussolini Pact, must now be settled for once and for
all.
40. And the next documents we see are working drafts brought by Ambassador Dejean to
Tripoli for the July round of the negotiations. Article 3 of the first there specified that the two
parties: "reconnaissent que les frontières" were "celles qui résultent des actes internationaux en
vigueur" (RL, Exh. 6.6, p. 3).
As for the second, it proposed the formula "La délimitation des frontières franco-libyennes est
fixée par les documents figurant en annexes à la présente lettre." (Ibid., p. 7.)
41. So we see important changes proposed: the introduction of "recognize" to replace "agree
to abide by"; and the replacement of the reference to general provisions in the instruments of
- 36 -
reference by "frontiers" which are "those that result from those instruments", which will be located
in Annexes. So the move is to deepening legal obligation and consequence on the one hand, and to
more precision on the other.
42. The second task, precision, was indeed carried out in the final version, through the
specification of the instruments in a single, separate Annex, Annex I. And the Court will well know
that the word "recognize", "reconnaissent" is introduced also into the exchange of letters contained
within Annex I.
43. This deliberate evolution towards greater precision, on the one hand, and the firmest
possible of legal commitments on the frontier on the other, is confirmed by the French documents
that don't form part of the negotiating text. We know from the Note of Information (fiche
d'information) coming from Paris in 1955 (MC, Ann. 245) that at this juncture it was thought useful
only to introduce proposals in the broadest terms.
44. And then in May there was a meeting of French experts to prepare for the negotiations.
No problems were indicated as to our portion of the frontier (RL, p. 66). What was needed was to
get it firmly recognized, and the importance of this is shown in a letter of 14 May containing
instructions from the Minister of Foreign Affairs. The satisfactory delimitation of the frontiers was
it said a "condition minima" for agreement to the evacuation of the French troops from Fezzan. The
instructions continue that the French delegation "Ne manquera pas de demander . . . en particulier,
la reconnaissance, par la Libye" of "l'appartenance de certains points aux territoires français". This
formula was to find its way into the Annex à propos of the reference to the three points, where we
find the words: "il a été reconnu . . .". Libya is content to accept that as a binding commitment
under the 1955 Treaty. As Professor Cot pointed out in his earlier pleadings, it is a strange state of
affairs where "il a reconnu" is treated so differently from "ils reconnaissent"; and it illustrates the
artificiality of the whole argument.
45. In a Note for the President from the Minister of Foreign Affairs of 25 July, the proposed
treaty, shortly to be concluded, is explained. The summary of the provisions on the frontiers exactly
match the formula that had emanated from the proposals of Ambassador Djean, to which I have
- 37 -
already referred.
And finally, a French document surveys the progress made between the negotiations in
January 1955 and those in July-August 1955. Note is made both of the precision achieved and the
achievement of the exclusion of the 1935 text:
"(a) Enumération limittive des actes internationaux définissant les frontières,
excluant les accords Laval-Mussolinin de 1935 (par conséquent renonciation de la
Libye à toute prétention sur le Tibesti)."
46. Mr. President, Members of the Court, recognition went hand in hand with precision. Far
from opening the door, through the introduction of academic concepts of constitutive or declaratory
theory, to the possibility of emptying the 1955 Treaty of all meaning, the term indicates the
irrevocable commitment of the Parties, in politics and law, to the frontiers agreed.
I do thank the Court most sincerely for its very kind attention and I would ask you,
Mr. President, to call M. Cot back to the bar.
The PRESIDENT: Thank you very much Professor Higgins.
Professor Cot.
M. COT : Monsieur le Président, Messieurs de la Cour.
Mme le professeur Higgins vient de démonter le piège logique dans lequel la Partie libyenne
cherchait à enfermer la Cour en la sommant de répondre à l'alternative "déclaratif ou constitutif", et
en stérilisant ainsi les dispositions de l'article 3 du traité comme de son annexe I. En établissant que
la volonté souveraine des parties contractantes était bien de donner un effet utile aux dispositions en
question, Mme Higgins a rendu un sens à un traité qui, sans cela et sur ce point, aurait été
proprement du nonsense. Nous connaissons le penchant de nos honorables contradicteurs pour cette
forme particulière d'humour britannique, mais je doute que MM. Dejean et Ben Halim aient versé
dans la plaisanterie à l'occasion de la négociation du traité du 10 août 1955.
Monsieur le Président, il nous reste maintenant à tirer les conséquences logiques de notre
analyse quant à la notion de traité en vigueur au sens de l'article 3 et à répondre à une ultime critique
de sir Ian Sinclair concernant la mise en œ uvre du principe de la bonne foi.
S'agissant d'abord des textes en vigueur, les hautes parties contractantes ont été droit au but.
- 38 -
Elles ont précisé dans l'article 3 que les actes internationaux en vigueur dont résulte la frontière sont
définis à l'annexe I. Elles ont donc considéré souverainement ces actes comme étant en vigueur.
Nos contradicteurs ont bâti leur théorie déclaratoire pour stériliser cette constatation et priver la
claire rédaction de l'article 3 de tout sens, transformant ainsi une constatation : "les actes
internationaux suivants sont en vigueur", en une condition : "les actes internationaux suivants sont
applicables s'ils sont en vigueur".
Ce raisonnement, dont Mme Higgins vient de montrer l'insigne faiblesse, conduit nos
adversaires à faire la démonstration que les textes de référence n'étaient pas en vigueur à la date
critique et quoi qu'aient pu en penser les parties souveraines.
Dans un premier temps, nos contradicteurs, il vous en souviendra, ont prétendu que les traités
conclus avec l'Italie n'étaient plus en vigueur puisqu'ils n'avaient pas été notifiés au titre de
l'article 44 du traité de Paix de 1947. Ces textes devaient donc irrévocablement être tenus pour
abrogés et cela permettait de régler le sort des conventions franco-italiennes de 1902 et de 1919.
Je crois avoir réfuté cet argument, le 28 juin dernier. Il est contraire au texte du traité de Paix
puisque l'Italie a abandonné, par l'article 23, tout droit au titre sur ses anciennes colonies et ne peut
donc être concernée par le sort des traités y afférents. Mais l'argument libyen, je le rappelais, est
encore contraire à la pratique unanime des Etats concernés, aucun traité de ce type n'ayant été
notifié. Enfin, nous avons noté que l'Organisation des Nations Unies elle-même a considéré ces
textes comme étant en vigueur en 1950. Il semble que nos contradicteurs aient accepté notre
argumentation sur ce point. Le professeur Condorelli a en effet admis, je cite :
"le maintien en vigueur des traités bilatéraux de délimitation relatifs aux ex-colonies
italiennes y compris, bien entendu, l'accord franco-italien du 12 septembre 1919"
(CR 93/28, p. 51).
Je me réjouis de ce début de convergence, mais je demande encore un petit effort à nos
contradicteurs. Si la Partie libyenne concède l'accord du 12 septembre 1919, elle prétend en
revanche que l'échange de lettres du 1er novembre 1902, lui, est devenu caduc, indépendamment du
jeu de l'article 44 du traité de Paix. Les fondements de cette caducité sont esquissés plutôt que
développés par la Partie libyenne. Selon le professeur Condorelli, l'accord de 1902 serait éteint
- 39 -
parce qu'il n'a pas été ressuscité par la résolution 289 (IV) de l'Assemblée générale de l'Organisation
- 40 -
des Nations Unies, n'étant pas un accord de délimitation de frontières (CR 93/28, p. 51). Pour le
professeur Bowett, l'accord aurait disparu dès 1947 avec la renonciation, par l'Italie, de tous ses
droits et titres sur la Libye.
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, j'avoue ma perplexité. L'Assemblée générale de
l'Organisation des Nations Unies n'a certainement pas entendu statuer sur le maintien en vigueur ou
non des traités conclus avec l'Italie et concernant ses anciennes colonies. Le professeur Franck vous
a montré que le souci unique de l'Assemblée générale, sur ce point, était de favoriser une solution
stable et définitive des problèmes frontaliers en laissant aux parties concernées le soin d'en fixer les
modalités. La résolution 289 (IV) implique certes que des frontières ont été fixées par des traités
internationaux, mais elle n'en donne pas la liste et se garde bien de se prononcer sur leur statut.
Quant à la renonciation par l'Italie à ses droits sur la Libye, elle a eu pour effet d'ouvrir la
succession d'Etats, mais non de faire perdre leur "raison d'être" — pour utiliser l'expression de nos
contradicteurs — aux traités dont résultent les frontières de la Libye.
Je ne reviens pas sur les accords de 1902, dont le professeur Pellet a analysé la nature
juridique. Nos contradicteurs soutiennent que ces accords n'ont plus de "raison d'être" — c'est
l'expression employée — parce qu'ils n'ont aucun rapport avec l'établissement d'une frontière et
parce qu'ils sont exclusivement liés à la personne de l'Italie. Monsieur le Président, ces accords
de 1902 ont eu pour objet de reconnaître une zone d'influence dans les frontières de la Tripolitaine
telles qu'elles figurent sur la carte de 1899 — et je ne reviens pas ici sur la démonstration
d'Alain Pellet. Si certaines de leurs dispositions sont incontestablement devenues caduques, leur
objet territorial, lui, subsiste intégralement; il leur reste bien cette "raison d'être"-là . Au demeurant,
cette controverse théorique est intéressante, mais — je me permets de le suggérer
respectueusement — c'est une controverse qui, elle a perdu toute "raison d'être". Ceci depuis que la
France et la Libye, le 10 août 1955, ont tranché la question. Les deux parties contractantes ont, en
effet, souverainement constaté que les frontières séparant leurs territoires respectifs résultaient, entre
autres, des accords de 1902.
En somme, ici comme ailleurs, c'est le critère de la volonté souveraine des parties qui règle le
- 41 -
problème de la succession d'Etats aux traités bilatéraux. Et cette volonté est clairement exprimée —
explicitée —, s'agissant des accords de 1902.
La cause est encore plus nette pour les accords franco-britanniques de 1899 et de 1919. Nos
contradicteurs n'invoquent pas leur caducité. Il n'y a pas ici de succession d'Etats. Tout au plus, la
Partie libyenne a-t-elle esquissé — le trait ici est très estompé — l'argument de l'opposabilité. Ces
accords ne seraient pas applicables à la Libye, car ils ne lui seraient pas opposables.
Curieux argument qui méconnaît, Mme Higgins le rappelait, la raison principale de la
reconnaissance internationale : rendre un acte juridique ou une situation opposable à l'Etat qui
reconnaît. Quelle que soit la nature de l'article 3 du traité de 1955 et de l'annexe I, convenons qu'ils
procèdent à une reconnaissance des traités définis à l'annexe I car, sinon, ces dispositions n'auraient
même pas la valeur d'une shopping list à quoi prétendent les réduire nos contradicteurs !
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, cessons de multiplier obstacles et arguties pour
faire échec à la volonté des parties. La France et la Libye ont souhaité, en 1955, identifier leurs
frontières en se référant aux accords franco-britanniques de 1899 et de 1919, ainsi qu'aux accords
franco-italiens de 1902 et de 1919. Il s'agit de donner effet à cette volonté exprimée nettement. Il
s'agit d'appliquer le traité.
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, pour conclure cette plaidoirie, j'en arrive à la
question de la bonne foi. Vous vous souviendrez que la Partie libyenne avait mis en cause la bonne
foi des négociateurs français lors du premier tour des plaidoiries, cherchant ainsi à créer un climat
de suspicion pour en tirer, à la marge, un avantage en ce qui concerne l'interprétation du traité
de 1955.
Nos contradicteurs ont sans doute pris en compte nos objections; ils ne sont pas revenus sur ce
procès d'intention lors de leur réplique. Je leur en donne acte.
Mais sir Ian Sinclair n'a pas abandonné le thème de la bonne foi pour autant. Il a retourné
l'argument et il nous dit aujourd'hui : il faut protéger la bonne foi de la Libye. Je le cite. Evoquant
nos thèses, sir Ian déclare :
"I must say that, if an argument along these lines were to appeal to the Court, it
would raise some very serious questions indeed about the good faith nature of the 1955
negotiations. Libya would, on that analysis, have been induced to agree to a boundary
- 42 -
by inadvertance. Libya is therefore confident that the Court would not entertain a
result of this nature." (CR 93/27, p. 41.)
Et le professeur Bowett d'enfoncer le clou à sa robuste manière le 8 juillet : "no negotiations,
no texts, no maps" (CR 93/29, p. 67).
Monsieur le Président, ceci n'est pas exact : il y a eu des négociations, il y a eu des textes, il y
a eu des cartes et je me dois maintenant de vous en apporter les preuves.
J'utiliserai simultanément les trois sources disponibles : les dépêches diplomatiques françaises,
qui sont recoupées par les documents diplomatiques du Foreign Office, ainsi que par les minutes
libyennes de la négociation. La combinaison de ces sources nous permet de mieux retracer le fil de
la négociation et d'écarter sans aucun doute possible la thèse suivant laquelle les Libyens auraient été
conduits, par inadvertance, à accepter la frontière du Tibesti lors de la négociation finale.
La question des frontières, nous le savons, est posée dès les négociations du mois de janvier,
entre le président Mendès-France et le premier ministre Ben Halim. La note française des entretiens
de janvier nous apprend que le président Mendès-France, dès le 4 janvier, déclare :
"ce qui nous paraît important, c'est ... de délimiter une frontière qui soit acceptée par les
parties en cause, avec organisation en commun d'une police des frontières" (mémoire du
Tchad, p. 3, annexe 239).
Et en réponse au premier ministre Ben Halim, le président du conseil français "prend note du
désir libyen de clarifier la situation des frontières" (ibid., p. 4).
L'objection de M. Ben Halim, à ce moment là , ne porte pas sur la délimitation des frontières,
mais sur sa concomitance avec l'évacuation des troupes françaises du Fezzan.
Tout ceci est très général, me direz-vous. Non, car le problème qui se pose immédiatement à
la délégation libyenne, est celui de la délimitation de notre frontière, de la frontière du Tibesti. C'est
M. Wilford, de l'ambassade britannique à Paris, qui en reçoit l'information dès le 5 janvier 1955,
de M. Jerbi, diplomate libyen et ancien sous-secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, qui précise :
"that he would be returning [Jerbi, bien sûr] to Tripoli via Rome in order that he could
try to get from the italian Government the archives dealing with the Laval-Mussolini
agreement of 1935, to which they were entitled and without which his government could
note decide what position to take up" (réplique du Tchad, annexe 79, recoupée par le
mémoire du Tchad, p. 3, annexe 245).
Le Gouvernement libyen demande donc en janvier, dès le 5 janvier, communication des
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archives de la négociation de 1935, négociation qui n'a porté pour ce qui nous concerne, c'est-à-dire
les frontières libyennes, que sur la frontière du Tibesti.
C'est M. Aneizi, membre de la délégation libyenne et ministre des finances, qui conduit la
mission libyenne à Rome pour obtenir cette documentation (mémoire du Tchad, annexe 258). Il y
rencontre sans doute des diplomates italiens; ceux-ci connaissent parfaitement le dossier, et donc un
certain nombre de cartes, comme nous l'a montré avec son talent le professeur Condorelli. M. Jerbi
en fait le compte rendu à M. Ravensdale, de l'ambassade britannique à Tripoli (réplique du Tchad,
annexe 84) et ceci dès le 15 janvier 1955. Il sait, à ce moment-là , que l'échange des ratifications du
traité de Rome n'a pas eu lieu, il n'est pas encore au clair sur les textes applicables, mais il en a
discuté à Rome avec ses interlocuteurs italiens.
Par la suite, le ministère des affaires étrangères italien fait parvenir au ministère des affaires
étrangères libyen le texte du traité de Rome avec les explications nécessaires (mémoire du Tchad,
annexe 258). Il est dommage que nous n'ayons pas toute cette documentation qui devrait se trouver
à Tripoli. En tout cas, des textes, en voilà !
Puis intervint, Monsieur le Président, l'incident d'Aozou ou de Moya, le 28 février 1955. Je
ne reviens pas sur l'incident lui-même, analysé par les Parties, et notamment par le
professeur Cassese. Ce qui m'intéresse, c'est la réaction du premier ministre Ben Halim.
Aozou, nous le savons, est la principale palmeraie, la principale agglomération située dans la
bande qui porte son nom, M. le professeur Sorel l'a rappelé hier. Or l'incident d'Aozou du 28 février
a lieu plus d'un mois après le retour de la mission spécialement envoyée à Rome pour élucider la
question. La protestation française intervient à peu près au moment où l'ambassade italienne fait
parvenir la documentation demandée à Rome par MM. Aneizi et Jerbi.
Il n'est pas vraisemblable, Monsieur le Président, que le premier ministre Ben Halim ait tout
ignoré de la situation frontalière lorsqu'il a reconnu que le village d'Aozou se trouvait en territoire
français. La mission Aneizi lui avait sûrement fait rapport. Il savait qu'Aozou était au nord de la
ligne du traité de Rome de 1935. Cette ignorance est encore plus invraisemblable au mois de
juin 1955 lorsque l'ambassadeur britannique à Tripoli, Graham, attire l'attention du premier ministre
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sur la gravité qu'il y aurait à rééditer l'équipée du mois de février (mémoire du Tchad, annexe 264).
M. Ben Halim a eu tout loisir de s'informer, de se préparer pour les négociations qui doivent
être engagées avec les Français et de son côté M. Graham n'est sûrement pas intervenu sans
"biscuit", compte tenu des relations spéciales entre ces deux Etats alliés qu'étaient la
Grande-Bretagne et le Royaume-Uni de Libye.
Monsieur le Président, j'en viens maintenant aux cartes. Nos contradicteurs affirment, là
encore contre toute vraisemblance, je le leur dis avec respect, que les négociateurs libyens n'avaient
pas de cartes. Il est très probable, nous l'avons vu, que les diplomates italiens leur en ont montré
lors du voyage à Rome. On ne discute pas d'un tracé frontalier dans l'abstrait et sans cartes.
M. Condorelli nous en a montré un certain nombre. Mais surtout, des cartes, nous le savons, ont été
produites et discutées lors de la négociation de juillet 1955.
Car, Monsieur le Président et Messieurs de la Cour, on a bien discuté du Tibesti lors de la
négociation finale, et ceci sur la base d'une carte — d'une carte produite par la délégation
libyenne — et figurant sans doute la frontière du traité de Rome. C'est l'ambassadeur Dejean,
conduisant la délégation française, qui en informe son ministère par le télégramme du 28 juillet. Que
dit M. Dejean :
"Alors que des Officiers libyens avaient produit hier une carte qui englobait dans
la Libye un [mot passé donc qui n'a pas été retenu par la transmission] du Tibesti.
M. BEN HALIM a reconnu ce matin en séance que les accords devraient leur être
appliqués. Toute difficulté majeure est ainsi exclue. Il reste à se mettre d'accord sur
une délimitation de la frontière entre GHAT et TOUMMO pour laquelle les textes sont
d'une interprétation malaisée. Des Officiers spécialement venus de Paris s'y emploient
avec des libyens au sein d'une Sous-Commission créée ce matin." (Mémoire du Tchad,
annexe 268.)
Le télégramme date du 28 juillet, la carte du Tibesti a été produite par les officiers libyens le
27 juillet.
Le télégramme Dejean est confirmé par le rapport du colonel El Senoussi Latyoush en date du
4 août 1955, suite à la mission de la sous-commission mentionnée par l'ambassadeur Dejean. C'est
ce rapport que vous trouverez dans votre dossier d'audience, l'exhibit 74 du mémoire libyen. A ce
rapport sont annexées des cartes — c'est le colonel Latyoush qui l'indique — que nous n'avons
malheureusement pas.
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En effet, la mission des 1er et 2 août 1955, mission mixte franco-libyenne, survole la frontière
entre Ghât et Toummo et consulte des représentants touareg à Ghât. De quoi s'agit-il ? Quel est
l'objet de cette mission ? De comparer les tracés frontaliers portés sur deux cartes : une carte A,
d'origine française, une carte B, d'origine italienne. Le colonel Latyoush sait parfaitement lire les
cartes et il consacre son rapport à la comparaison détaillée entre les deux tracés. En conclusion, il
recommande l'adoption du tracé porté sur la carte B.
J'ajoute que le colonel Latyoush n'ignore rien de la situation à l'est de Toummo, puisqu'il
informe les représentants touareg "about the discussions of the frontier between Italy and France in
the year 1935". Il note que la France avait alors cédé du territoire à l'Italie, mais que le traité
de Rome n'était jamais entré en vigueur. Si la mission Latyoush, les 1er et 2 août 1955, n'évoque pas
la frontière à l'est de Toummo et ne survole pas le Tibesti, c'est que la question a déjà été réglée le
28 juillet précédent, nous venons de le voir.
Mais, Monsieur le Président, la Partie libyenne aura du mal à vous convaincre, Messieurs les
juges, qu'un colonel, patriote, féru de cartographie et souhaitant rouvrir le dossier des frontières —
c'est une autre des ses conclusions — se soit passionné pour les cartes à l'ouest de Toummo et se
soit désintéressé des cartes à l'est de Toummo !
D'autant qu'ici nous avons un dernier indice, que je trouve dans l'exhibit 73 du mémoire
libyen, ces minutes libyennes de la négociation de juillet que nos contradicteurs ont fourni sur le
tard. Nous y retrouverons le colonel Latyoush. Il est présent dans la négociation. Il est présent le
28 juillet au matin, avant l'ouverture de la séance. Pour quoi faire ? Pour présenter son rapport sur
les frontières du Fezzan. Il est fort probable que c'est le colonel Latyoush en personne qui a
présenté, la veille, la carte du Tibesti qui a fait bondir l'ambassadeur Dejean, puisque c'est l'officier
cité dans les minutes que consigne la Partie libyenne de la négociation. Tout ceci se tient, Monsieur
le Président.
Les cartographes militaires français et libyens ont participé à la négociation, à la discussion
sur la frontière du Tibesti sur la base de cartes, et notamment la carte fournie par les officiers
libyens. Puis, ce problème ayant été réglé, ils sont partis ensemble sur le terrain survoler le secteur
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Toummo-Ghât pour parachever l'accord en cours de négociation.
Voilà donc pour les cartes !
Les sources en provenance des trois origines — française, britannique, libyenne — sont
concordantes. Ces mêmes sources nous permettent de reconstituer la phase finale de la négociation
qui n'est pas du tout celle décrite par sir Ian Sinclair et le professeur Bowett. Les Français veulent
obtenir, nous l'avons vu, la consécration de la frontière du Tibesti sur la base de la ligne de l'accord
franco-britannique du 8 septembre 1919. Les Libyens ne le veulent pas. Le premier ministre
Ben Halim essaie d'éviter que le traité envisagé ne règle la question. Et il ne s'y résigne, nous le
savons, que le 28 juillet, au lendemain de la discussion qui s'est nouée autour de la carte du Tibesti
produite par les officiers libyens.
Ce sont les minutes libyennes, l'exhibit 73, qui nous l'apprennent : "pas de frontière, pas de
traité" s'exclame l'ambassadeur Dejean, vous vous en souvenez. L'ambassadeur Dejean met ainsi le
marché en mains au premier ministre Ben Halim. Le premier ministre accepte le marché, il accepte
la frontière du Tibesti, de mauvaise grâce peut-être, mais en toute connaissance de cause. Ce
résultat précis est consigné à la fois dans les dépêches françaises et dans les dépêches britanniques.
Du côté français, j'ai signalé la dépêche Dejean du 28 juillet. Elle est confirmée par une dépêche du
même ambassadeur, en date du 9 août 1955 (réplique libyenne, annexe 6.6). Du côté britannique,
citons la dépêche envoyée par l'ambassadeur Graham, ambassadeur britannique à Tripoli, au
ministre des affaires étrangères Harold MacMillan, le 30 juillet 1955 :
"The Libyan representatives, who throughout the negotiations were far more
conciliatory and anxious to reach an agreement than the French had dared to hope,
admitted freely that the frontiers should be based on the international agreements in
force at the time Libya gained her independance. They conceded apparently with a wry
smile, that the Laval-Mussolini agreement of 1935 was nugatory." (Réplique du
Tchad, annexe 120.)
M. Ben Halim a bien cédé sur la question du Tibesti. Sans doute avec un "wry smile", mais
en pleine connaissance de cause et en échange d'avantages obtenus par ailleurs dans le cadre de
l'accord d'ensemble.
Le premier ministre Ben Halim a probablement été critiqué pour cette concession dans son
propre pays. Dès le 4 août 1955, le colonel Latyoush, nous le voyons, souhaite que la négociation
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soit rouverte sur l'ensemble des frontières. En 1956, ce que j'appellerai le parti révisionniste, celui
qui cherche la révision de l'accord, revient à la charge. Et nous le savons, la délégation libyenne
demande en novembre 1956 la réouverture du dossier. Nous savons aussi que la délégation
française refuse et qu'elle motive son refus par l'existence du traité du 10 août 1955 qui a déjà réglé
le problème (contre-mémoire de la Libye, par. 3.110). La délégation libyenne s'incline : pacta sunt
servanda.
Je conclus, Monsieur le Président, Messieurs de la Cour.
On ne peut pas dire qu'il n'y a pas eu de négociation sur la frontière du Tibesti en 1955. La
question a été soulevée dès le premier jour par le président Mendès-France et le premier
ministre Ben Halim. La question a fait l'objet d'un règlement explicite dans la phase finale des
négociations, le 28 juillet 1955. Et entre-temps, le Gouvernement libyen s'est informé de la situation
auprès du Gouvernement italien et, probablement auprès du Gouvernement britannique. En tous
cas, nous le savons, il a disposé de textes, il a disposé de cartes et il a conclu en connaissance de
cause. "Negotiations, texts, maps", it's all there, Professor Bowett.
Dernière question, le premier ministre Ben Halim : a-t-il commis une faute en signant, puis en
faisant ratifier le traité du 10 août 1955 ? Certains l'ont pensé, nous l'avons vu, dès avant la
signature du traité. D'autres le pensent aujourd'hui, sans doute de l'autre côté de la barre ! Mais,
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, laissons cela aux historiens. C'était à l'époque affaire
d'appréciation politique, c'est devenu une question historique. Mais la question de l'appréciation
faite, en 1955, par le premier ministre libyen des intérêts de son pays dans la négociation n'a jamais
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et à aucun moment été un problème juridique. J'ajoute que cette appréciation-là , qui échappe à notre
compétence, ne pouvait être portée qu'au vu du résultat d'ensemble d'une négociation, dont je
constate par ailleurs qu'elle a été menée avec intelligence et avec obstination par les négociateurs
libyens.
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, je crois que nous avons retourné toutes les
pierres dans cette affaire au cours des longues plaidoiries que vous avez eu la patience d'écouter.
Nous avons examiné tous les aspects du traité du 10 août 1955 avec l'aide de nos amis et
contradicteurs de la Partie libyenne. Nous restons persuadés, pour notre part, que la clef de toute
cette affaire se trouve dans la simple application d'un traité conclu entre deux Etats souverains en
pleine connaissance de cause, le traité du 10 août 1955. J'espère que nous vous en avons
convaincus.
Monsieur le Président, avant de vous prier d'appeler l'agent de la République du Tchad à la
barre, vous me permettrez de prononcer les remerciements d'usage, puisque je suis le dernier conseil
de notre équipe à m'exprimer.
Mes remerciements à nos collègues et contradicteurs, à qui je veux dire notre admiration pour
le talent déployé dans la défense d'une cause difficile — elles sont toutes difficiles —, et notre salut
au terme d'une joute qui n'a pas entamé nos liens d'estime.
Nos remerciements au Greffier de la Cour, à tout le personnel, aux interprètes, et je veux leur
témoigner de notre gratitude pour leur compétence et leur gentillesse.
Nos remerciements, si vous me le permettez, à vous Monsieur le Président et à vous
Messieurs de la Cour, puisque vous avez eu cette attention redoutable, vigilante et somme toute
bienveillante au cours de ces semaines.
Monsieur le Président, je vous prie maintenant d'appeler à la barre l'agent de la République du
Tchad, le recteur Abderahman Dadi.
The PRESIDENT : Thank you very much Professor Cot. Monsieur le recteur Dadi, vous
avez la parole.
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M. DADI : Monsieur le Président, Messieurs les juges.
Ces audiences s'achèvent. La Libye a déjà conclu. C'est, aujourd'hui, le tour du Tchad, mais
avant de prononcer les conclusions formelles, je souhaiterais dire quelques mots, à la suite des
plaidoiries libyennes du second tour.
La Libye a persisté dans des allusions à "l'indépendance purement formelle" du Tchad.
Permettez-moi, Monsieur le Président, de dire simplement que le Tchad est un membre, à part
entière, de la communauté internationale.
Et on ne saurait, par allusions ou insinuations, diminuer son statut d'Etat souverain, d'autant
plus que le Tchad a été — et demeure — bien vulnérable face aux menaces d'un puissant voisin, qui
se trouve être la Libye elle-même.
Monsieur le Président, si le peuple libyen existe, le peuple tchadien aussi. Peuple libyen et
peuple tchadien sont égaux en dignité et ont les mêmes droits.
Quant au Toubou, partie intégrante et composante active du peuple tchadien, ils n'étaient pas
plus senoussi qu'ils ne sont aujourd'hui libyens. L'histoire établit clairement, fermement.
Je suis Toubou, mais je ne me suis jamais senti Libyen ni n'ai envisagé mon avenir de l'autre
côté de la frontière.
Monsieur le Président, les choses sont simples : la Libye et le Tchad sont deux Etats voisins,
tous deux de très grands pays en superficie, respectivement 1 760 000 kilomètres carrés et
1 284 000 kilomètres carrés, très peu peuplés, quatre millions et cinq millions d'habitants; leur
frontière commune est bien délimitée. Leurs relations doivent être envisagées à l'aune des nécessités
qu'implique tout voisinage.
Le Tchad veut vivre en bonnes relations avec ses voisins, mais il entend rester maître chez soi.
Ses difficultés politiques internes ? Il saura les surmonter en trouvant en lui-même les ressources
nécessaires. Ce dont le peuple tchadien a vraiment besoin, c'est de paix et de respect de son intégrité
territoriale et non du démembrement de son pays pour assouvir les rêves de grandeur d'un voisin.
Maintenant voici les conclusions finales du Tchad :
La République du Tchad prie respectueusement la Cour internationale de Justice de dire et
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juger que sa frontière avec la Jamahiriya arabe libyenne est constituée par la ligne suivante :
— du point d'intersection du 24e
degré de longitude est de Greenwich avec le parallèle 19o
30'
de latitude nord, la frontière se dirige jusqu'au point de rencontre du tropique du Cancer avec
le 16e
degré de longitude est de Greenwich;
— de ce dernier point, elle suit une ligne se dirigeant vers le puits de Toummo
jusqu'au 15e
degré est de Greenwich.
Encore deux mots, Monsieur le Président, pour mettre un point final à mon intervention.
1. Je voudrais à mon tour, saluer l'agent, et les membres de l'équipe de la Libye pour leur
cordialité durant ces longues plaidoiries.
2. Je voudrais aussi remercier, à nouveau publiquement, les éminents juristes qui ont aidé le
Tchad à présenter sa thèse devant votre Cour ainsi que leurs collaborateurs. Ils l'ont fait avec
compétence, dévouement et en renonçant à une part importante des honoraires qui sont d'usage.
Cela est un témoignage concret de solidarité avec un pays démuni comme le Tchad, qui a
bénéficié aussi d'une aide du Fonds d'affectation spéciale des Nations Unies pour laquelle je souhaite
exprimer ici la reconnaissance du Gouvernement tchadien.
Monsieur le Président, Messieurs les juges, je vous remercie de votre patiente attention et
vous souhaite de bonnes vacances.
The PRESIDENT : Merci beaucoup, Monsieur le recteur Dadi. That brings us to the end of
the oral proceedings in the present case between Libya and Chad and on behalf of the Court I would
like to express our thanks to the Agents and the counsel of both Parties for the very great assistance
they have given the Court in their conduct to these proceedings. In accordance with the usual
practice I have to ask the Agents to remain at the disposal of the Court for any further information
the Court may require.
There is the question of the question put by Judge Guillaume to Libya on 3 July. That written
answer has I believe been provided already in the course of this morning to the Registrar and in
accordance with Article 72 of the Rules a copy of the reply will be communicated to Chad which
will be given an appropriate opportunity of commenting upon it if they wish to do so.
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So the Court will now withdraw to deliberate on the case and the Agents will in due course be
notified of the date when the decision will be given. Subject to the reservations I mentioned I
therefore now declare the oral proceedings in this case at an end. Thank you very much.
The Court rose at 12.35 p.m.

Document Long Title

Public sitting held on Wednesday 14 July 1993, at 10 a.m., at the Peace Palace, President Sir Robert Jennings presiding

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