CR 93/30
International Court Cour internationale
of Justice de Justice
THE HAGUE LA HAYE
YEAR 1993
Public sitting
held on Monday 12 July 1993, at 10 a.m., at the Peace Palace,
President Sir Robert Jennings presiding
in the case concerning Territorial Dispute
(Libyan Arab Jamahiriya/Chad)
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VERBATIM RECORD
_______________
ANNEE 1993
Audience publique
tenue le lundi 12 juillet 1993, à 10 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de sir Robert Jennings, président
en l'affaire du Différend territorial
(Jamahiriya arabe libyenne/Tchad)
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COMPTE RENDU
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- 2 -
Present: President Sir Robert Jennings
Vice-President Oda
Judges Ago
Schwebel
Bedjaoui
Ni
Evensen
Tarassov
Guillaume
Shahabuddeen
Aguilar Mawdsley
Weeramantry
Ranjeva
Ajobola
Herczegh
Judges ad hoc Sette-Camara
Abi-Saab
Registrar Valencia-Ospina
- 3 -
Présents :
Sir Robert Jennings, Président
M. Oda, Vice-Président
MM. Ago
Schwebel
Bedjaoui
Ni
Evensen
Tarassov
Guillaume
Shahabuddeen
Aguilar Mawdsley
Weeramantry
Ranjeva
Ajobola
Herczegh
MM. Sette-Camara
Abi-Saab, juges ad hoc
M. Valencia-Ospina, Greffier
- 4 -
The Government of the Libyan Arab Jamahiriya is represented by:
H.E. Mr. Abdulati Ibrahim El-Obeidi
Ambassador,
as Agent;
Mr. Kamel H. El Maghur
Member of the Bar of Libya,
Mr. Derek W. Bowett, C.B.E., Q.C., F.B.A.
Whewell Professor emeritus, University of Cambridge,
Mr. Philippe Cahier
Professor of International Law, Graduate Institute of International Studies, University of
Geneva,
Mr. Luigi Condorelli
Professor of International Law, University of Geneva,
Mr. James R. Crawford
Whewell Professor of International Law, University of Cambridge,
Mr. Rudolph Dolzer
Professor of International Law, University of Mannheim,
Sir Ian Sinclair, K.C.M.G., Q.C.
Mr. Walter D. Sohier
Member of the Bar of the State of New York and of the District of Columbia,
as Counsel and Advocates;
Mr. Timm T. Riedinger
Rechtsanwalt, Frere Cholmeley, Paris,
Mr. Rodman R. Bundy
Avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
Mr. Richard Meese
Avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
Miss Loretta Malintoppi
Avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
Miss Azza Maghur
Member of the Bar of Libya,
as Counsel;
Mr. Scott B. Edmonds
Cartographer, Maryland Cartographics, Inc.,
Mr. Bennet A. Moe
Cartographer, Maryland Cartographics, Inc.,
- 5 -
Le Gouvernement de la Jamahiriya arabe libyenne est représenté par :
S. Exc. M. Abdulati Ibrahim El-Obeidi
ambassadeur,
comme agent;
M. Kamel H. El Maghur
membre du bureau de Libye,
M. Derek W. Bowett, C.B.E., Q.C., F.B.A.
professeur émérite, ancien titulaire de la chaire Whewell à l'Université de Cambridge,
M. Philippe Cahier
professeur de droit international à l'Institut universitaire de haute études internationales de
l'Université de Genève,
M. Luigi Condorelli
professeur de droit international à l'Université de Genève,
M. James R. Crawford
titulaire de la chaire Whewell de droit international à l'Université de Cambridge,
M. Rudolph Dolzer
professeur de droit international à l'Université de Mannheim,
Sir Ian Sinclair, K.C.M.G., Q.C.
M. Walter D. Sohier
membre des barreaux de l'état de New York et du district de Columbia,
comme conseils et avocats;
M. Timm T. Riedinger
Rechtsanwalt, Frere Cholmeley, Paris,
M. Rodman R. Bundy
avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
M. Richard Meese
avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
Mlle Loretta Malintoppi
avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
Mlle Azza Maghur
membre du barreau de Libye,
comme conseils;
M. Scott B. Edmonds
cartographe, Maryland Cartographics, Inc.,
M. Bennet A. Moe
cartographe, Maryland Cartographics, Inc.,
- 6 -
Mr. Robert C. Rizzutti
Cartographer, Maryland Cartographics, Inc.,
as Experts.
The Government of the Republic of Chad is represented by:
Rector Abderahman Dadi, Director of the Ecole nationale d'administration et de
magistrature de N'Djamena,
as Agent;
H.E. Mr. Mahamat Ali-Adoum, Minister for Foreign Affairs of the Republic of Chad,
as Co-Agent;
H.E. Mr. Ahmad Allam-Mi, Ambassador of the Republic of Chad to France,
H.E. Mr. Ramadane Barma, Ambassador of the Republic of Chad to Belgium and the
Netherlands,
as Advisers;
Mr. Alain Pellet, Professor at the University of Paris X-Nanterre and at the Institut
d'etudes politiques of Paris,
as Deputy-Agent, Counsel and Advocate;
Mr. Antonio Casses, Professor of International Law at the European University Institute,
Florence,
Mr. Jean-Pierre Cot, Professor at the University of Paris I (Panthéon-Sorbonne),
Mr. Thomas M. Franck, Becker Professor of International Law and Director, Center for
International Studies, New York University,
Mrs. Rosalyn Higgins, Q.C., Professor of International Law, University of London,
as Counsel and Advocates;
Mr. Malcolm N. Shaw, Ironsides Ray and Vials Professor of Law, University of Leicester,
Member of the English Bar,
Mr. Jean-Marc Sorel, Professor at the University of Rennes,
as Advocates;
Mr. Jean Gateaud, Ingénieur général géographe honoraire,
as Counsel and Cartographer;
Mr. Jean-Pierre Mignard, Advocate at the Court of Appeal of Paris,
- 7 -
M. Robert C. Rizzutti
cartographe, Maryland Cartographics, Inc.,
comme experts.
Le Gouvernement de la République du Tchad est représenté par :
M. Abderahman Dadi, directeur de l'école nationale d'administration et de magistrature de
N'Djamena,
comme agent;
S. Exc. M. Mahamat Ali-Adoum, ministre des affaires étrangères de la République du Tchad,
comme coagent;
S. Exc. M. Ahmad Allam-Mi, ambassadeur de la République du Tchad en France,
S. Exc. M. Ramadane Barma, ambassadeur de la République du Tchad en Belgique et aux
Pays-Bas,
comme conseillers;
M. Alain Pellet, professeur à l'Université de Paris X — Nanterre et à l'Institut d'études
politiques de Paris,
comme agent adjoint, conseil et avocat;
M. Antonio Cassese professeur de droit international à l'Institut universitaire européen de
Florence,
M. Jean-Pierre Cot, professeur à l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne),
M. Thomas M. Franck, titulaire de la chaire Becker de droit international et directeur du
centre d'études internationales de l'Université de New York,
Mme Rosalyn Higgins, Q.C., professeur de droit international à l'Université de Londres,
comme conseils et avocats;
M. Malcolm N. Shaw, titulaire de la chaire Ironsides Ray and Vials de droit à l'Université
de Leicester, membre du barreau d'Angleterre,
M. Jean-Marc Sorel, professeur à l'Université de Rennes,
comme avocats;
M. Jean Gateaud, ingénieur général géographe honoraire,
comme conseil et cartographe;
M. Jean-Pierre Mignard, avocat à la Cour d'appel de Paris,
Mr. Marc Sassen, Advocate and Legal Adviser, The Hague,
as Counsel;
- 8 -
Mrs. Margo Baender, Research Assistant, Center of International Studies, New York
University, School of Law,
Mr. Oliver Corton, Collaborateur scientifique, Université libre de Bruxelles,
Mr. Renaud Dehousse, Assistant Professor at the European University Institute, Florence,
Mr. Jean-Marc Thouvenin, attaché temporaire d'enseignement et de recherche at the
University of Paris X-Nanterre,
Mr. Joseph Tjop, attaché temporaire d'enseignement et de recherche at the University of
Paris X-Nanterre,
as Advisers and Research Assistants;
Mrs. Rochelle Fenchel;
Mrs. Susal Hunt;
Miss Florence Jovis;
Mrs. Mireille Jung;
Mrs. Martine Soulier-Moroni.
- 9 -
Me Marc Sassen, avocat et conseiller juridique, La Haye,
comme conseil;
Mme Margo Baender, assistante de recherche au centre d'études internationales de la
Faculté de droit à l'Université de New York,
M. Olivier Corten, assistant à la Faculté de droit de l'Université libre de Bruxelles,
M. Renaud Dehousse, maître-assistant à l'Institut universitaire européen de Florence,
M. Jean-Marc Thouvenin, attaché temporaire d'enseignement et de recherche à l'Université
de Paris X — Nanterre,
M. Joseph Tjop, attaché temporaire d'enseignement et de recherche à l'Université de
Paris X — Nanterre,
comme conseillers et assistants de recherche;
Mme Rochelle Fenchel,
Mme Susan Hunt,
Mlle Florence Jovis,
Mme Mireille Jung,
Mme Martin Soulier-Moroni.
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The PRESIDENT: This morning we start the second round of the Chad oral pleadings and
first I think it is Mr. Pellet.
Mr. PELLET: Thank you very much, Mr. President. Monsieur le Président, Messieurs les
juges.
1. Terminant le second tour des plaidoiries libyennes, l'agent de la Jamahiriya a lu à cette
barre les conclusions de son pays.
Elles sont identiques à celles qui figurent dans les écritures de la Libye — les modifier eût
constitué l'aveu de l'impasse dans laquelle nos contradicteurs se sont engagés; mais je les soupçonne
de les regretter. En prétendant à 600 000 km2
de territoire tchadien, la Libye s'est du même coup
condamnée à justifier devant la Cour, par des arguments juridiques, ses revendications portant sur la
moitié du Tchad ainsi que la ligne frontière qui en résulte, qu'elle a fixée au 15e
parallèle nord.
Or, des arguments juridiques, elle n'en a point trouvé.
Certes, une lecture superficielle de son mémoire pouvait faire illusion : le geste de la
Senoussia, le mythe de l'hinterland tripolitain et les revendications — les revendications, pas les
droits... — de l'Italie fasciste faisaient l'affaire pour donner un semblant de légitimité historique aux
prétentions libyennes. Quant au 15e
parallèle, on le justifierait par des considérations d'équité de
caractère géographique, ethnique, économique et stratégique. Ceci peut avoir une certaine efficacité
à des fins de propagande mais peut difficilement s'analyser en une argumentation juridique de nature
à convaincre l'organe judiciaire principal des Nations Unies.
2. Au surplus, ces pseudo-fondements juridiques trahissent l'énormité des appétits territoriaux
de la Libye :
— la Senoussia avait établi des zaouias non seulement dans le BET et le Kanem, mais aussi dans les
régions qui relèvent aujourd'hui du Niger et de la Nigéria; les cartes no
19 et 20 figurant dans le
dossier des juges constitué par la Partie libyenne et que celle-ci a complaisamment projetées à
maintes reprises se passent de commentaires; elles sont également dans le dossier de plaidoirie
d'aujourd'hui;
— les revendications ottomanes, dont vous voyez le schéma derrière moi, superposé avec celui du
programme colonial italien maximal conduit aux mêmes constatations; le programme colonial est ici
- 11 -
traduit par une ligne verte, ce programme colonial italien maximal englobe toute la Tunisie, des
parties importantes de l'Algérie, du Niger, de la Nigéria, du Cameroun, de la Centrafrique et même
un petit bout du Soudan; la réalisation du programme italien — symbolisé par une ligne bleue aurait
des effets voisins;
— quant au programme italien minimal (si l'on peut dire !), qui se trouve ici en rouge, sa mise en
œuvre conduirait à une amputation importante du Niger et écornerait même l'Algérie — et même un
peu plus puisque celle-ci se trouverait privée de 26 700 km2
.
3. La République du Tchad a été, Monsieur le Président, un peu frustrée que la Partie libyenne
ait remis à plus tard le soin de répondre à la question que lui avait posée M. Guillaume,
le 2 juillet dernier; elle pense que l'occasion lui sera donnée de réagir à cette réponse.
Au demeurant, à sa connaissance, aucune délimitation nouvelle n'est intervenue entre la Libye
et le Niger en vue de fixer leur frontière commune, notamment à l'est de Toummo. Celle-ci reste
donc fixée par le traité franco-libyen du 10 août 1955 et les accords auxquels celui-ci renvoie;
s'agissant du secteur se trouvant à l'est de Toummo, que la Partie libyenne qualifie à tort de "talon
d’Achille" de la thèse tchadienne (CR 93/27, p. 26 et CR 93/27, p. 71), il s'agit avant tout de
l'échange de lettres franco-italien de 1902.
Si la thèse tchadienne devait périr par son talon, ce sont, comme je l'ai dit le 28 juin
(CR 93/22, p. 75), environ 59 000 km2
de territoire nigérien qui se trouvaient menacés.
4. Il est tout à fait exact, comme M. Maghur l'a indiqué mardi dernier, que l'arrêt de la Cour
ne s'imposera pas plus au Niger qu'aux autres Etats que j'ai cités qui sont, si j'ose dire,
"juridiquement protégés" par l'article 59 du Statut. Mais cette protection juridique n'est
malheureusement pas une protection diplomatique ou politique; les mêmes causes produiront les
mêmes effets et si la Cour devait se fonder sur l'argumentation de la Libye dans cette affaire, elle
ouvrirait la boîte de Pandore et justifierait par avance toutes les revendications révisionnistes.
5. La Partie libyenne semble avoir pris conscience, tardivement, des implications inévitables
de ses positions. Tout en continuant à s'appuyer fortement sur les implantations de zaouias
senoussistes et sur les revendications ottomanes et coloniales italiennes, la Libye a abandonné
virtuellement presque tous ses arguments d'équité — malgré l'hommage appuyé du professeur
- 12 -
Condorelli aux opinions individuelles de MM.Shahaduddeen et Weeramantry dans l'affaire de
Jan Mayen; nous nous plaisons à nous associer à cet hommage mais en se rappelant qu'il s'agissait
d'une affaire de délimitation maritime et, dans ce domaine, "equity has been recognized by this Court
as part of international law" (Délimitation maritime dans la région située entre le Groënland et Jan
Mayen, opinion individuelle de M. Weeramantry, p. 31, par. 80 de la version dactylographiée).
Mais, Monsieur le Président, Messieurs les juges, vous êtes saisis d'une affaire de frontières
terrestres à propos desquelles l'équité joue un rôle fort modeste de confirmation d'un titre territorial
ou, mieux d'un tracé frontalier, voire même pour combler les lacunes des accords en vigueur; mais,
ici, nous avons un traité et l'on voit mal le rôle que pourrait jouer l'équité. "Rien, a dit la Chambre
de la Cour en 1986, n'autorise un recours à la notion d'équité pour modifier une frontière établie.
Dans le contexte africain, en particulier, on ne saurait invoquer les insuffisances manifestes du point
de vue ethnique, géographique ou administratif, de maintes frontières héritées de la colonisation pour
affirmer que leur modification s'impose ou se justifie pour modifier une frontière établie" (Différend
frontalier, C.I.J. Recueil 1986, p. 633).
Je viens de le dire : la Libye, abandonnant la thèse soutenue dans son mémoire (p. 25-68 et
422 et suiv.), en est d'accord; exeunt, par exemple, les considérations économiques dont, citant la
Cour (C.I.J. Recueil 1982, p. 77), M. Maghur est venu dire à cette barre qu'ils sont des "facteurs
extrinsèques, puisque variables et pouvant à tout moment faire pencher la balance d'un côté ou de
l'autre de façon imprévisible" (CR 93/27, p. 15); ce raisonnement vaut, assurément, pour les
soi-disant critères géostratégiques et ethniques qu'avait avancés la Libye.
6. Il ne reste donc rien pour justifier la ligne du 15e
parallèle. Mais nos contradicteurs n'en
abandonnent pas pour autant entièrement l'équité. Comme l'avait déjà fait le professeur Bowett lors
du premier tour de plaidoiries (cf. CR 93/20, p. 74) mais de manière plus insistante, ils l'utilisent
maintenant non plus pour tenter d'établir le bien-fondé de la ligne du 15e
parallèle — qui est pourtant
l'objet des conclusions expresses de la Libye — mais pour justifier le tracé qu'avait retenu en son
temps le traité Laval-Mussolini. Certes, nous dit-on, il n'a jamais été ratifié et n'est jamais entré en
vigueur — contrairement d'ailleurs à ce qu'avait soutenu la Libye avant la saisine de votre Cour —
et il constitue, nous dit-on toujours, un abandon scandaleux de territoires (il faudrait mieux dire : "de
- 13 -
revendications territoriales") de la part de l'Italie; mais, en même temps; "ce que la Libye demande"
nous dit le professeur Condorelli, est "qu'il soit équitablement tenu compte de la délimitation non
entrée en vigueur de 1935" (CR 93/28, p. 56); et le professeur Bowett y est revenu dans sa plaidoirie
finale (CR 93/29, p. 68).
Loin de nous, Monsieur le Président, l'idée de vouloir empêcher la Libye de plaider ce qu'elle
veut, quand elle le veut. Mais, à l'inverse, elle ne peut nous empêcher de penser qu'il y a là une
retraite prudente. En substance, sa position est maintenant la suivante : "nous avons beaucoup
exagéré, en présentant des conclusions dépourvues de toute crédibilité; nous ne pouvons pas plaider
le traité de 1935 en tant que tel puisque nous avons, imprudemment, reconnu qu'il n'était jamais entré
en vigueur et qu'il contredit nos conclusions officielles; essayons au moins de sauver la ligne qu'il
retenait en la présentant comme un compromis équitable"; ceci comme si l'équité pouvait donner à un
Etat un territoire auquel il n'a pas droit en vertu du droit international !
7. Mais, Monsieur le Président, il y a quelque chose de plus extraordinaire encore dans ce
raisonnement.
Nos contradicteurs nous présentent la ligne de 1935 comme l'indication la plus sérieuse d'une
frontière répondant aux exigences de l'équité alors que, de leur propre aveu, le traité Laval-Mussolini
n'a pas été ratifié. Mais ils oublient totalement le rôle que devrait jouer à cette fin, pourtant très
limitée, un autre traité en bonne et due forme dont les deux Parties admettent qu'il a, lui, été ratifiée,
qu'il est entré en vigueur et qu'il les lie.
Essayons une minute de nous convaincre qu'il y a une logique dans la position libyenne selon
laquelle il n'aurait pas existé de frontière avant 1955 et le traité franco-libyen n'en aurait pas non
plus fixé une. Ceci défie un peu l'entendement, mais admettons-le un instant. Il faudrait, dans ce
cas, considérer que le traité, ratifié, de 1955 et les instruments auxquels il renvoie, ont au moins
autant d'importance pour déterminer l'emplacement de la frontière que celui de 1935 qui est, lui,
demeuré au niveau des intentions; la Libye ne fait cependant aucune place au traité de 1955 dans le
raisonnement qu'elle vous présente et qui est censé vous persuader de l'équité de ses positions. Il est
décidément bien difficile de se convaincre qu'il y a une logique dans tout cela — et je ne parle même
pas de logique juridique !
- 14 -
Au demeurant, Monsieur le Président, dans sa présentation du 6 juillet 1993, M. Sohier a
donné un sage conseil lorsqu'il a rappelé qu'on ne peut se soustraire facilement au traité
du 10 août 1955 et faire comme s'il n'existait pas (CR 93/27, p. 59). Voilà qui est fort raisonnable
en effet; mais je regrette que le conseil de la Libye n'ait pas été entendu de l'autre côté de la barre et
que nos contradicteurs n'aient évoqué cet instrument, pourtant si essentiel, que pour le vider de sa
substance et le priver de tout effet utile.
8. Le traité d'amitié et de bon voisinage conclu entre la France et la Libye en 1955 constitue
cependant la clé, peut-être pas unique, mais, assurément, la plus simple, la plus évidente, la plus
indiscutable, pour résoudre le différend soumis à la Cour. Je dirais, si vous m'autorisez cette image,
qu'il ouvre la grande porte, même si cela n'exclut pas que notre construction comporte également des
"portes de service" qui peuvent être ouvertes avec d'autres clés auxquelles sont attachées des
étiquettes comme "accords antérieurs", "effectivités" ou "acquiescements".
Même si ces chemins, plus détournés, conduisent aux mêmes conclusions, il nous a semblé,
Monsieur le Président, Messieurs les juges, que, pour ces dernières plaidoiries, il valait mieux, de
nouveau, entrer par la grande porte et suivre l'allée principale, sans nous laisser tenter par des
chemins de traverse.
9. Les deux Parties sont du reste d'accord pour accepter le traité de 1955 comme point de
départ logique. J'ai mentionné ce qu'a dit M. Sohier mardi dernier, j’aurais pu citer aussi
sir Ian Sinclair qui, le même jour, s'est déclaré "glad to note at the outset that Chad continues to
attach as much importance and significance to the 1955 Treaty as she did in the formulation of her
Memorial" (CR 93/27, p. 27).
Oui, Monsieur le Président, je peux rassurer nos éminents contradicteurs : le Tchad croit, plus
que jamais, que le traité de 1955 est décisif dans notre affaire. Plus même : qu'il suffit à trancher la
question qui divise les Parties. Il n'est pas seulement le point de départ logique du raisonnement, il
en est l'aboutissement.
- 15 -
Mais, et ceci constitue une différence essentielle entre nous, pour la Libye, la France et la
Libye n'ont, en 1955, rien décidé en ce qui concerne leurs frontières communes; par l'article 3 de ce
traité, laborieusement négocié, elles
"reconnaissent que les frontières séparant les territoires ... de l'Afrique équatoriale
française d'une part, du territoire de la Libye d'autre part, sont celles qui résultent des
actes internationaux en vigueur à la date de la constitution du Royaume-Uni de Libye
tels qu'ils sont définis dans l'échange de lettres ci-jointes (annexe 1)",
mais ceci ne signifierait strictement rien : il n'y a pas de frontière, nous dit la Libye, quant à
l'annexe I, elle énumère ces actes internationaux en vigueur, mais on ne saurait en tirer la moindre
conséquence : la même Libye indépendante, qui a accepté cette liste en 1955, vous dit aujourd'hui
par la voix de sir Ian Sinclair, "it cannot be argued that the self-same acts constitute Libya's
boundaries by virtue of the 1955 Treaty alone" (CR 93/27, p. 40).
10. C'est là toute la différence.
Pour le Tchad, ces actes ont, en eux mêmes, fixé la frontière. Mais, quand bien même ils ne
suffiraient pas à eux-mêmes, le traité de 1955 y met bon ordre. Il est clair : les Parties
"reconnaissent" l'existence d'une frontière et son tracé, tel qu'il résulte des actes internationaux qu'il
énumère et qu'il considère comme étant en vigueur; et, en effet, la "mise bout à bout" des secteurs
frontaliers qu'ils décrivent permet, sans difficulté particulière, de déterminer une ligne allant du point
triple avec le Niger au tripoint avec le Soudan.
Je sais bien, Monsieur le Président, que sir Ian Sinclair nous avertit que "a line is not a
frontier, certainly not necessarily a frontier" (CR 93/27, p. 44); mais je ne surprendrai pas le fervent
lecteur de Lewis Caroll qu'il semble être (cf. CR 93/15, p. 47) en lui rappelant qu'en revanche
1) une frontière est une ligne; et
2) qu'en la présente occurrence notre ligne est bien une frontière — et ceci pour une raison
toute bête, mais qui se suffit à elle-même : les parties au traité de 1955 ont voulu qu'il en soit ainsi.
11. Monsieur le Président, au stade où nous en sommes, il paraît important de se concentrer
sur l'essentiel qui, aux yeux de la République du Tchad, a toujours été, et demeure, le traité
du 10 août 1955. C’est pourquoi nous avons construit nos plaidoiries en quatre points qui, tous les
quatre, vous seront présentés en fonction de cet instrument :
- 16 -
— dans un premier temps, la République du Tchad rappellera que la question du "titre
originaire", si elle ne présente pas les difficultés que semble y voir la Partie libyenne, n’a qu’une
importance fort limitée dès lors que deux Etats souverains, ayant, sans aucun doute, compétence
pour délimiter leur frontière commune sont, en 1955, tombés d’accord pour en déterminer le tracé;
nous aborderons cependant cette question pour ne rien laisser dans l’ombre et pour ouvrir la voie au
raisonnement central du Tchad;
— dans un deuxième temps, nous examinerons les actes internationaux auxquels se réfère le
traité de 1955 (ainsi d’ailleurs que ceux auxquels il ne renvoie pas) et nous montrerons que ces
instruments de référence définissent une ligne-frontière au sens plein du terme;
— dans une troisième partie, les conseils du Tchad envisageront ce même traité de 1955 à la
lumière des débats qui l’ont précédé et qui l’ont suivi dans les enceintes multilatérales et de la
pratique des deux Etats;
— enfin, dans une quatrième partie, nous analyserons, une dernière fois, le texte même de cet
instrument incontournable pour montrer que, constitutif ou déclaratif, peu importe, son interprétation
correcte permet à la Cour de trancher le litige qui lui a été soumis.
Je m’efforcerai, entre chacune de ces parties, de les replacer, aussi précisément que possible,
dans le contexte global de notre thèse fondamentale.
Monsieur le Président, Messieurs les juges,
1. Les conseils du Tchad vont maintenant aborder la première partie de cette duplique orale.
Comme je viens de le dire, elle porte sur la question, que la Partie libyenne présente comme
"préalable" du titre initial. De l’avis du Tchad, ce problème ne présente qu’une importance limitée
pour identifier la frontière entre les deux pays : le traité de 1955 y pourvoit.
L’insistance de la Libye sur ce point tient au postulat intangible qui constitue l’alpha et
l’oméga de ses prétentions : il n’y a pas de frontière, dit la Libye. Dès lors, toute sa stratégie va
consister à déplacer le débat de la question du tracé frontalier à celle du titre territorial.
Si l’on accepte le bien fondé du postulat libyen, cela peut paraître logique : faute de frontière
conventionnelle, essayons de la déduire du titre territorial. Celui-ci peut résulter soit de traités
- 17 -
mais la Libye affirme qu’il n’en est aucun dont on puisse valablement déduire l’existence d’un tel
titre — soit de l’exercice effectif des prérogatives étatiques sur le terrain, étant entendu que les
effectivités coloniales indiquent "comment le titre est interprété dans la pratique" (Différend
frontalier, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 587, par. 63).
Toutefois, conformément au principe fondamental de l’uti possidetis, dont la Libye dit
accepter toutes les implications, cette situation doit être appréciée au jour des indépendances,
c’est-à-dire en 1951 en ce qui concerne la Libye, en 1960 en ce qui concerne le Tchad. Telle est la
signification du fameux "instantané du statut territorial" (ibid., p. 568); il est celui qui existait "à ce
moment-là".
2. Ceci, évidemment ne pouvait faire l’affaire de la Partie libyenne : la photo avait été prise
le 10 août 1955 et, les Parties en sont d’accord, elle n’a pas été retouchée depuis lors. Au surplus,
même en faisant abstraction du traité de 1955 — mais la Libye nous dit, à juste titre, que ce n’est
pas possible — mais, même en en faisant abstraction, l’étude de bonne foi des effectivités coloniales
avant et durant la période critique 1951-1960 confirme la véracité de cette photographie.
Dès lors, nos contradicteurs sont obligés de "remonter le temps", c’est-à-dire de faire très
exactement ce que le principe de l’uti possidetis exclut comme l’avait précisé clairement la Chambre
de la Cour en 1986 (C.I.J. Recueil 1986, p. 568).
3. Monsieur le Président, la thèse libyenne est tellement évidemment incompatible avec ce
principe qu’il n’est sans doute pas utile d’entrer dans ce débat très artificiel.
Au surplus, je le répète, il est inutile pour résoudre le problème soumis à la Cour : admettons
que rien ne se soit produit depuis 1890; admettons que les revendications ottomanes sur le prétendu
hinterland de la Tripolitaine soient fondées; admettons même que la Libye aie, via l’Italie, hérité de
ses revendications que, pour les besoins de la discussion et contre toute raison, nous assimilerons à
des droits. Quelles conséquences en tirer ? Aucune : par le traité de 1955, les deux parties, la Libye
indépendante, et la France, dont le Tchad a hérité, ont clairement défini leur frontière commune et,
du même coup, les limites de leurs compétences territoriales respectives.
- 18 -
Et elles avaient bien, l’une et l’autre, compétence pour procéder à cette opération, qu’il
s’agisse de la confirmation d’une frontière préexistante ou qu’il s’agisse d’une délimitation nouvelle.
Nul en effet, pas même la Libye, ne conteste que quelle qu’ait pu être l’étendue des territoires
respectifs de la Libye d’une part, de la France d’autre part, ceux-ci étaient voisins et que c’était à ces
deux puissances qu’il appartenait d’en déterminer l’étendue et les limites.
Pour paraphraser la Cour dans l’affaire des Minquiers et des Ecréhous, attribuer aujourd’hui
des effets juridiques à une occupation incertaine et ambiguë — celle des Ottomans, ou des Senoussi,
ou des deux —qui a cessé il y a soixante ans "serait aller bien au-delà d’une application raisonnable
des considérations de droit" (C.I.J. Recueil 1953, p. 57). Et ceci est d’autant plus déraisonnable en
l’espèce qu’un traité clair, dont les deux Parties admettent la validité, a défini le titre territorial
auquel chacune peut prétendre en même temps qu’il déterminait leur frontière commune. Le
professeur Crawford lui-même a du reste clairement admis, jeudi dernier, que : "If a territorial
boundary can be discerned which results from a treaty binding on Libya … Libya accepts that its
territory extends no further than that boundary" (CR 93/29, p. 30).
A l’inverse, ne raisonner que sur les titres territoriaux, sans prête attention aux instruments
définissant la frontière — et alors même que ces instruments existent — est extrêmement artificiel et
risque fort d’être totalement improductif; comme on l’a décrit :
"the modes of acquisition concern titles as such and may give little or no help in the
problem of determining the precise line that the frontier should follow" (R. Y. Jennings,
The Acquisition of Title to Territory in International Law, Manchester U. P., 1963,
p. 12 et p. 14; Ian Brownlie, Principles of International Law, Clarendon Press, Oxford,
1990, p. 124).
4. Il y a donc de nombreuses raisons, Monsieur le Président, pour ne pas entrer dans le débat,
inutile et sans intérêt juridique, dans lequel la Partie libyenne tente de nous égarer.
Ce débat, nous avons cependant décidé de ne pas l’esquiver : M. Maghur, dans sa
première plaidoirie, s’est plaint que nous ne répondions pas à toutes les théories de la Libye
(CR 93/27, p. 17); j’ai dit pourquoi : il nous paraît difficile de prendre certaines d’entre elles au
sérieux et elles ne nous avancent guère dans la voie d’une solution, mais, Monsieur le Président,
nous ne voulons pas chagriner M. Maghur. Plus sérieusement, il nous est apparu qu’aussi artificiel
- 19 -
que cela soit, nous n’avions rien à redouter de la discussion à laquelle veut se limiter la Libye et
qu’aussi lointaine que paraisse la pertinence juridique du problème du titre originaire, une réponse
sur ce point contribuerait à "déblayer le terrain"; it would help "clear the deks" pour reprendre les
termes utilisés par le juge Dillard dans son opinion individuelle jointe à l’avis sur le
Sahara occidental (C. I. J. Recueil 1975, p. 124).
5. Comme l’a décrit O’Connell, "bad history [makes] bad law" D. P. O’Connell, International
Law, Stevens, Londres, 1970, p. 409). Or la Partie libyenne réécrit une bien mauvaise histoire, qui
n’a que d’assez lointains rapports avec la réalité. En revanche, si l’on colle à cette réalité, les choses
sont claires : le titre originaire résidait dans les tribus locales — sans, au demeurant, relever du
concept de souveraineté territoriale —, et, en ce qui concerne la bande d’Aouzou, il appartenait aux
Toubou, seuls à y être effectivement présents; ce titre a été acquis par la France lorsqu’elle a assuré
son emprise effective sur la région revendiquée par la Libye, ce qui était chose faite en 1913; par la
suite, la France a consolidé son emprise en agissant constamment à titre de souverain dans cette
région.
Monsieur le Président, où en sommes-nous sur ce problème du titre territorial dans cette phase
finale des plaidoiries orales ?
Si nous l’avions bien comprise — mais, à force de l’entendre, nous croyons l’avoir
comprise — l’argumentation libyenne est en deux étapes :
— dans un premier temps, la Libye s’efforce de vous convaincre que le titre originaire
relevait des Senoussi, ou, conjointement, de ceux-ci et des Ottomans au mépris, d’ailleurs de
véritables maîtres de la région, les Toubou, que la Partie libyenne tient pour quantité négligeable; le
professeur Shaw fera justice de ces assertions et analysera, sous un angle juridique, la situation
réelle prévalant à la veille de l’arrivée des Français;
— dans un second temps, la Libye voudrait vous persuader que ce titre territorial composite
est passé à l’Italie d’abord, à la Libye ensuite; ceci suppose que les titulaires de ce titre — qui, je le
rappelle, engloberait tout le BET jusqu’au 15e
parallèle nord si l’on suit la Libye —, l’aient
maintenu en agissant effectivement, à ce titre de souverains, sur ces 600 000 kilomètres carrés et
- 20 -
qu’ils n’aient pas renoncé à leurs prétendus droits d’une autre manière. Le professeur Higgins
montrera que, celui-ci a, en droit, disparu au profit de la France sans que, pour autant l’on doive
postuler le caractère de terra nullius de la région considérée. Le professeur Cassese lui succédera et,
comme la Partie libyenne nous y a invités (voir CR 93/29, p. 17 et 67), il comparera les effectivités
coloniales françaises à celles des entités que la Libye présente comme concurrentes de la France ou,
plus exactement, à leurs ineffectivités totales, à partir, en tout cas, de 1913. Le professeur Cot
viendra ensuite faire très brièvement le point sur la question des cartes.
Monsieur le Président, Messieurs les Juges, vous aurez donc droit ce matin à un véritable
ballet des conseils du Tchad !
Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je vous remercie de votre attention et je vous
demande de bien vouloir donner la parole au professeur Malcolm Shaw.
The PRESIDENT: Thank you very much. Professor Shaw.
Mr. SHAW:
Original Title
Mr. President, Members of the Court, Libya continues to insist upon the centrality of Ottoman
and Senoussi claims to the presentation of its case before you. As Professor Bowett emphasized last
Thursday,
"quite separately from any claim or title inherited from Italy, Libya has inherited a
separate but equally valid title from the Senoussi and the Ottoman Empire to all that
territory which, prior to 1919, had not been effectively claimed by France" (CR 93/29,
p. 65).
To the doctrine of "shared sovereignty" is now added the doctrine of "separate but equal". And
Mr. Maghur noted on 6 July that the Senoussi-Ottoman relationship constituted "a major element of
proof establishing Libya's title to the borderlands" (CR 93/27, p. 19).
Professor Cassese will later address the Court on the nature of Ottoman effectivités in the
- 21 -
region and will compare them with those exercised by the French. I seek, however, to respond to
some of the comments made by Libyan counsel in the second round of oral argument.
Ottoman Shared Sovereignty
It is, of course, noticeable that Libya's claims with regard to original title continue to focus
upon the concept of shared sovereignty and not upon Ottoman title alone achieved by its own efforts.
There are no doubt good reasons for this. But it has led Libya to weave some rather interesting
patterns. During the first round of oral argument, Chad sought to raise some queries about the
nature of what in the Libyan submissions read before the Court by the Libyan Agent last Thursday
is terms "community of title between the title of the indigenous peoples and rights and titles of the
Ottoman Empire" (CR 93/29, p. 71). Libyan counsel, however, were unable to define, elucidate or
explain this curious but for Libya crucial concept. It was suggested to us that we had reduced
everything to a "menu fixe" of federation, condominium and protectorate (CR 93/29, p. 19). but that
was all that the restaurant provided. It was not for Chad to provide ever more exotic legal
justifications for Libyan assertions over and above those placed expressly on the menu by the party
responsible. It was for Libya to justify its assertions in law. Have they done so?
Reference was made in the express context of protectorates to the British Foreign Jurisdiction
Act of 1890, which provided that jurisdiction "within divers foreign countries" could be acquired by
the Crown by "treaty, capitulation, grant, usage, sufferance and other lawful means". But this
eludication of the grounds for acquisition of jurisdiction appears hardly relevant to an analysis of the
creation and structure of protectorates under international law. Indeed the term "protectorate" does
not appear in this piece of legislation. The implication that protectorates could be created
informally, however, is clearly wrong. I need only quote from Lindley's classic work, The
Acquisition and Government of Backward Territory in International Law, 1926, page 203:
"The necessary and sufficient condition for the setting up of a protectorate is the
conclusion of an agreement with the local independent government of chief.
Of course, it is true that Professor Crawford in the first round of oral argument did assert that
one could look at the situation in the area in 1912 either in terms of a partnership (specifically
- 22 -
referring to protectorates, federations and condominia) or as a coalescing of allegiance,
administration and social organization (CR 93/19, p. 60). One waited for the legal analysis to
follow. It did not. No attempt to prove the existence of these concepts as known arrangements in
either international law or constitutional law was seriously attempted. Unfortunately,
Professor Crawford did not return to this theme in the second round, except for a brief reference to
the Lighthouses in Crete and Samos case (1937, P.C.I.J., Series A/B, No. 17). But that case
concerned not the creation of sovereign territorial links by amalgamation of powers, rather an
examination of the extent of autonomy granted to local administrations by the accepted authority of
an accepted sovereign unit. The same powers granted specifically by governmental authority to an
undisputed unit of that State cannot be used in order to construct a sovereign arrangement out of
units acknowledged to be separate in the absence of formal arrangements.
The issue really is this. Within any given sovereign State, authorities and powers may be
divided and apportioned. By the same token authorities and powers may be divided and apportioned.
By the same token sovereign State may relinquish some of the attributes of sovereignty to an
international body. But protectorates and condominia in international law cannot be established
upon the basis solely of haphazard arrangements in the absence of any clear written evidence by any
of the parties concerned. Territorial sovereignty by coalescence of powers is a confusion concept
and one that cannot be sustained simply by assertion.
Libya was put to the proof. Libya was unable to establish the existence of such an
arrangement. Co-operation against a common enemy, which is what basically happened, is really
not sufficient.
Libya has made much of the Ottoman hinterland claim of 1890. We were accused of an
unbalanced and unilateral assessment and my comment that the doctrine of the hinterland was at best
controversial and gave no rights seems to have been referred to in disapproving tones (CR 93/29,
p. 18). However, Professor Crawford repeated that the hinterland doctrine did not constitute an
independent basis of tile and he is of course correct. He notes that the Ottoman claim was made
publicly as a claim to sovereignty (I emphasize the term "claim") and co-existed with social and
religious links with people in the area. The latter element is of course controversial, but neither point
- 23 -
is determinative. However, there is an important difference between the Ottoman hinterland claim
and the claims made with regard to an Algerian and an Egyptian hinterland on either side of
Tripolitania, referred to on several occasions by Libya, and that was that the latter two claims were
internationally recognized, thus establishing rights at least as far as the recognizing States were
concerned and not mere claims. The Ottoman claim of 1890 as I emphasized in my earlier
presentation was not only not internationally recognized, but provoked protest (CR 93/24, p. 11).
The Senoussi Order
I turn to a consideration of Libyan assertions with regard to the Senoussi Order.
Mr. President, Members of the Court, I would like to take this opportunity to clarify frankly Chad's
position as to the legal characteristics of the Senoussi and the rights they held. In our Memorial, we
stated that the Senoussi exercised sovereign rights with regard to the BET (MC, p. 254). To have
such rights within the territory is, of course, not the same as having territorial title over a territory
which can be passed on to others through an indeterminate form of State succession. But in any
event, the fact is that as we continued our researches, we began to understand better the spiritual, as
opposed to the temporal nature of Senoussi structures and activity in the BET. And this led us to
conclude in our Counter-memorial that "Les Senoussistes n'exerçaint donc aucune forme d'authorité
civile ou administrative sur les populations indigènes" (CMC, para. 5.100).
We do not deny that the Senoussi Order was a religious movement with a powerful message
and one that was conveyed with missionary zeal across northern and central Africa. We do not deny
that the Senoussi exercised at certain times and at certain points an educational function. Nor do we
deny that they had a significant role at times in intra-African commerce, including trading in arms
and slaves. We fully accept that Senoussi did move across northern and central Africa and establish
Zawiyas in which religious and trading activities took place. What, however, is not sustainable is
that such activities established territorial sovereignty for a group that Libya itself accepts "was
essentially a revivalist movement in Islam" (ML, para. 3.49). Professor Dolzer placed before the
Court once again the map of Senoussi presence across the northern and central Africa. Was Libya
suggesting that the Senoussi possessed territorial title wherever such presence or zawiyas were to be
- 24 -
found? Surely not. but if not, how are we to judge which zawiyas gave rise to title to territory and
which did not? Some criteria must have been in mind of the Libyan counsel. If not, the conclusion
is one that we would accept: that is, the Senoussi operated at a certain time at a certain number of
locations and had a variable local impact. Indeed, each zawiya existed on its own without affecting
the pre-existing rights of the surrounding indigenous peoples. As Libyan expert evidence
emphasizes, the zawiyas were "virtually autonomous units" (RL, Vol. 2, Ann. No. 3, p. 11). Thus
one cannot artificially colour in the vast gaps between each individual zawiya and alleged territorial
sovereignty, whether alone or in partnership.
Professor Dolzer referred to my citation of Evans-Pritchard's work on the Senoussi. It will be
remembered that Evans-Pritchard referred to the crude social and political organization of the Order
and stressed that its administrative machinery was at no time adequate for effective control over such
wide domains (CR 93/24, pp. 12-13). Professor Dolzer told the Court that the Evans-Pritchard had
also written of the development of Senoussia into a political organization on the basis of
identification with the tribal system of the Beduin, but the learned author was at that point referring
to the situation on the ground in Cyrenaica. We do not deny that the Senoussi established in that
region a large degree of control. But not in the BET, where the Senoussi were weak and certainly
did not exercise control over tribes such as the Toubou.
I wish at this stage to make one further brief point. Somewhat to our surprise, Libyan counsel
again referred to the Bonnel de Mezières episode (CR 93/29, p. 41). As we have explained during
the first round of oral hearings, France sought to mitigate Senoussi hostility particularly in Waddai
and requested a French official in Cairo, de Mezières, to seek an arrangement with the Senoussi and
Koufra on the basis of respect for some of the customs of the Order (ML, Vol. 3, p. 280). That
official, as comes out starkly and forcefully from the French documentation provided, exceeded his
instructions and was accordingly reprimanded and recalled for his post (CR 93/24, pp. 29-31). If
the episode demonstrates anything, it is that the French were very far from acknowledging any
Senoussi claimed territorial title.
Professor Dolzer sought again to convince the Court that links of territorial title bound the
Ottoman Empire and the Senoussi Order. This is of course important to the Libyan thesis as a way
- 25 -
of remedying the absence of territorial title clearly vesting in either of those components individually.
Unfortunately for the Libyan argument, evidence of such links in the sense used in the Western
Sahara case of links having a relevance in the context of territorial title, is truly meagre. Professor
Dolzer refers to an incident where a Turkish officer was asked by the Senoussi of Koufra to fly a
Turkish flag at Ain Galakka in the BET (CR 93/29, p. 41). However, Ricciardi demonstrates that
the Senoussi present at that place in 1911 refused to permit the Turks under Captain Rifki to station
their forces there thus forcing the Turks to establish a post nearby ("Title to the Aozou Strip", 17
Yale Journal of International Law, 1992, pp. 352-353). In reality, the relations between the Turks
and the Senoussi were ones of mutual suspicion and at times of hostility. As the French drew nearer
to the BET, some co-operation did indeed take place but to characterize this as amounting to ties of
territorial sovereignty is far off the mark. We have already demonstrated that the much higher level
of ties respecting Morocco in the Sahara case was simply not matched by the Turks here while the
level of ties that existed with Morocco were in any event not sufficient to amount to territorial ties
(CR 93/24, pp. 14-16). Mr. Maghur accused us in particular of ignoring "the fact that the Senoussi
paid allegiance to the Caliph". Professor Dolzer spoke in identical terms on 8 July (CR 93/29,
p. 42). We were referred in particular to expert analysis annexed to Libya's Reply (CR 93/27,
p. 19). However, that analysis referred to the attempts of the later Ottoman sultans, particularly
Abdulhamid II, to revive the concept of the Caliphate and their entitlement to that title as a
legitimizing factor. It was specifically noted "the Sanoussi Order viewed this development with
decidedly mixed feelings because it did not accept the caliphal status of the Ottoman sultan" (RL,
Vol. 2, Ann. No. 3, p. 3).
The Indigenous peoples
I turn at this point to address the Court on a subject of some centrality. As professor Bowett
noted on 22 June. "the one constant in the changing scene" is the title of the various tribes
(CR 93/20, p. 63). Libya has constantly sought to portray the indigenous peoples living in the BET
(primarily the Tea and Daza branches of the Toubou people) as simply "Senoussi peoples". I note
that Professor Crawford continued with this tactic on 8 July, on two separate occasions (CR 93/20,
- 26 -
pp. 41 and 15). Professor Dolzer in contrast with his first pleading was a little more modest and
spoke of the tribes as "organized and led by the Senoussi" (ibid., p. 43). However, Mr. President
and Members of the Court, what was really striking was the manner in which Professor Dolzer
sought to deal with the question of the status of the tribes. Referring to my conclusion upon the
basis of evidence that the Toubou were never organized as a centrally controlled group but
functioned on the basis of loosely constructed and independent clans, Professor Dolzer declared that
the French Government had made an agreement with the Ajir Tuareg in 1864 and asked "Are the
Toubou so different because they are organized into clans? Surely, the Court does not want to open
the door to legal assertions based on quibbling about the complexities of tribal organizations in the
borderlands" (ibid., p. 42). This is an unusual statement for two reasons in particular. First, the
fact that the status of local tribes is far from a casual matter in the context of international law and
title to territory is well evidenced in the Western Sahara case.
The Second point is that analysing the precise structure of authority within a tribe is certainly
not quibbling about complexities. On the contrary, it is at the very heart of territorial title under
international law in such situations. That is why the Court in Western Sahara made the famous
statement in paragraph 80 that it did. It did not say that all groups or tribes had territorial
sovereignty, but only those that were socially and politically organized. We cannot regard that as a
slip of the tongue. It was a deliberate statement and must be taken as such and applied as such.
That is why Chad made such efforts to analyse the nature and structure of the Toubou people. Chad
came to the conclusion upon the best evidence that the reality of Toubou life was that it was founded
upon the independence of loosely organized clans that were of constantly shifting pattern in a hostile
and sparsely populated environment. As Chapelle concluded, "Le toubou vit donc dans le cadre de
sa parenté généalogique et non dans le cadre des tribus, des fractions, des cantons et autres
découpages socio-administratifs" (Le peuple tchadien, L'Harmattan, 1986, p. 167). One has to
acknowledge fairly the reality and apply this to the juridical analysis performed by the Court.
Nevertheless, the indigenous people certainly possessed the rights over the territory.
But, Mr. President, Professor Dolzer was hesitant in his expressions for a particular reason.
To acknowledge the capacity of the Toubou to possess territorial tile as he was apparently hinting at,
- 27 -
raises starkly the question of the relationship between the people and the Senoussi. If the Toubou
held territorial title, where did this leave the Senoussi Order? The answer, of course, is that the
relationship between the indigenous people and the Senoussi Order was one of important, but not
exclusive, religious influence. The Senoussi missionaries did have an impact during the early years
of this century that they were present in the BET, but as we noted in oral argument, the moment that
Senoussi envoys began to seek to interfere with the administration of justice in the Tibesti, they were
recalled (CR 93/24, p. 19). This constitutes a clear example of the fact that although the Senoussi
had a presence in the Tibesti at that particular time, they were not permitted to intervene within
administrative matters beyond their immediate religious concern. Other examples could be provided
and the verbatim will show some citations (see, for example, Chapelle, Les nomades noirs du
Sahara, L'Harmattan, 1982, p. 378 and Zeltner, Les Pays du Tchad dans la tourmente 1890-1903,
L'Harmattan, 1988, p. 265).
Mr. President, it is curiously selective to discuss in such detail the Senoussi Order and then to
dismiss analysis of the Toubou, the indigenous people, as "quibbling about the complexities of tribal
organization".
The fact is that the Senoussi and the Turks came and went within a short time. They left
variable traces, but the Libyan argument that ties of territorial sovereignty were established simply
cannot be sustained.
The conclusion is simply that the indigenous peoples, sparsely spread in loose clans across an
inhospitable landscape maintained their independence from Turks and Senoussi alike. They were not
part of some shared sovereignty arrangements nor even one component within some hypothetical
coalescence. They could not meet the criteria laid down by the Court in the Western Sahara case for
territorial title under international law. Not every group could conform with the definition given,
otherwise there would not have been any point to that definition and the reality speaks for itself. But
the reality is also that these peoples have not disappeared. They never were "Senoussi tribes" nor are
they now "Libyan peoples".
Mr. President, Members of the Court, I thank you very much for your kind attention and
would ask you now to call upon Professor Higgins.
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The PRESIDENT: Thank you very much, Professor Shaw. Professor Higgins.
FRENCH COLONIAL TITLE
Mrs. HIGGINS: Mr. President, Members of the Court. My task in this corps de ballet is to
speak to you on French colonial title and what I would like to do this morning is to try to see what
really divides the Parties on this point. To do that, it is necessary first to clear away what I will term
the "mere advocacy" points. So I begin with that preliminary task.
It has been a point of advocacy persistently to misrepresent Chad's legal position on a cluster
of issues related to legal title and I will take three brief examples. First example, Professor
Crawford said that Chad "no longer argue[s] that spheres of influence are equivalent to territorial
title" (ibid., p. 10). I am sure that the Court is fully aware that Chad has from the start made clear
that spheres of influence were not equivalent to territorial title. In every phase of the written
proceedings we have said this. In the Memorial, for example, we said:
"Un traité ésablissant une sphère d'influence ne suffisait donc pas à l'acquisition
d'un titre colonial qui ne pouvait être acquis que par la conclusion d'un accord avec les
chefs locaux ou par l'exercice effectif et continu d'actes de souveraineté." (MC, p. 61,
para. 55.)
We made clear there, and in our written Reply, that "un traité établissant une sphère d'influence ne
créait pas un titre suffisant à la souveraineté mais consitutuait un simple 'pas' vers celle-ci", and we
referred to literature on how those steps might be taken (Reply, para. 4.08). Effectivités obviously
have a legal importance in that connection. And we also listed in our Reply other spheres of
influence lines in Africa that had developed into international boundaries by this route (Reply, p. 64).
5. Second example, it is not correct to say that we have changed our view on whether the
territory that is now Chad was at the time of the French arrival terra nullius. Professor Crawford
stated that "no longer [is it] inferred that the borderlands were not terra nullius" (CR 93/29, p. 10).
There never has been any such inference. Indeed as Judge Ammoun remained us in his separate
opinion in the Western Sahara case (I.C.J. Reports 1986 p. 85-86), Vattel long ago defined terra
nullius as a land empty of inhabitants. This was clearly not the case in Chad in 1899 and we have
never suggested it was.
- 29 -
6. Third example, it is not correct, either, that Chad has treated the Senoussi as having no
rights in international law, or being "outside the law of nations" (CR 93/29, p. 40). We have clearly
said in our Memorial that:
"Ces traités, qui déterminaient des sphères d'influence, ne remettaint en principe
pas en question les droits appartenant aux dirigeants indigènes." (MC, p. 61.)
7. Mr. President, this does not place the tribes outside the law of nations — it is international
law which recognizes these rights and demands their protection. That requirement of international
law is increasingly recognized in diverse jurisdictions around the world, which increasingly
recognized in diverse jurisdictions around the world, which in their case-law regarding claims by
indigenous peoples frequently refer to the relevant principles of international law.
8. So on the propositions that spheres of influence do not of themselves give title, that Chad
was not terra nullius at the time of French colonization, and that indigenous peoples are entitled to
the protection of international law, the Parties in fact have always been in agreement. These really
are common starting-points. Why then has Libya been so reluctant to take "Yes" for an answer on
these points? It is because it is easier to debate non-existent differences on these points than to
address the real issue, namely: what are the legal consequences that flow from the common startingpoints?
But that is what we should be trying to assist the Court with an it is to that task that I now
turn.
9. So let me take each of these common starting-points. And I will take them in reverse order.
10. I turn first to the starting-point that the 1899 line was a boundary marking only the limit to
two spheres of influence. Both sides are agreed that in principle effectivités behind the line,
establishing title, would be needed for that boundary to come to represent an international frontier.
The difference between the Parties are these: Libya disputes the relative weight of French and
Ottoman effectivités, and says that in any event, it does not matter what effectivités the French can
show, they could never as a matter of law acquire title. And of course there are differences between
the Parties about the opposability of the 1919 line, even as it chanted form a sphere of influence line
into an international frontier.
11. What are the relevant differences between the Parties flowing from the common
- 30 -
starting-point that indigenous peoples are entitled to the protection of law? I may summarize it this
way. Libya says the Senoussi were the repository of the rights of the indigenous peoples; and that
these rights were rights of full international sovereignty and title; and that if this is not recognized,
then indigenous peoples remain "outside the law of nations".
12. In its Memorial, when observing that treaties determining spheres of influence did not in
principle call in question the rights of indigenous leaders, Chad referred to: "L'existence de tels
droits dépendeant de l'existence d'une communauté politique et sociale, locale et organisée." (MC,
p. 61.) And Professor Shaw has just addressed you to show that the Senoussi were not an organized
political community and — even in the various permutations of parties by which Libya seeks to
avoid this reality — they were not the repositories of territorial title. They were the bearers of
spiritual rights. Accordingly, they had no right, protected by international law, to pass title to the
whole of Chad north of the 15th parallel to Italy, and in turn to Libya. It is not because indigenous
peoples are "beyond the law of nations", but because of the particular character of the Senoussi.
13. But we say further: even if the Senoussi had been politically based tribes, rather than a
brotherhood functioning within a religious structure, that would not have prevented the acquisition of
colonial title by France. In the first place, they were not in the BET at the time when France, from
1913 onwards, was making good its effective occupation. The members of the Senoussi Order had
gone to Libya and the references are again provided in the Verbatims (MC, pp. 246 et seq.; CMC,
paras. 5.147-5.148 and 6.72-6.73).
14. But this still did not make the territory terra nullius, because important indigenous
peoples, notably the Toubou, remained in place. And further, by law of the time, French military
action followed by civil administration would have founded international, colonial, title — though
international law would continue to require respect for the proprietary rights of the local leaders, and
any agreements they had entered into.
15. Professor Crawford contends that the Court's Advisory Opinion in 1975 means that
because the Senoussi brotherhood were in the prior period present, with their own rights, it was they
who had international title. He cites nothing in the case to support this thesis, and there is no
finding in the Western Sahara case that sustains it. Once more, the Court's words, no doubt
- 31 -
carefully fashioned to answer the questions it had to answer, have been inflated to bear all sorts of
means. First Professor Crawford says "the tribes were Senoussi", and then he says "no distinction
can be made between the Senoussi and the local tribes" (CR 93/29, p. 14). Mr. President, this is like
saying "French people are Catholic; therefore no distinction can be made between Catholics and
French." He proceeds from there to say that to deny that the Senoussi had international title "is
tantamount to saying that the territory was terra nullius" (ibid.).
16. It is no such thing.
17. Western Sahara tells us that territories were not to be treated as empty territories, which
could be acquired by a single act of peaceful occupation, when socially and politically organized
tribes lived there. It does not tell us that every tribe had international sovereignty. Indeed, that goes
quite contrary to the sense of Western Sahara. And as Professor Jennings, as he then was, has
written: "Natives living under a tribal organization were not regarded as a State for this purpose."
(The Acquisition of Territory in International Law, at p. 20.)
18. Mr. President, Members of the Court, it is a welcome phenomenon that all around the
world nations and their courts are becoming increasingly sensitive to the dignity and rights of
indigenous peoples. The invoke international law as requiring them to reach this conclusion. But
they have not concluded that, as a consequence, these peoples had international sovereignty and the
colonial title to the territory was thus never secured. The recent important Australian case of Mabo
and Others v. State of Queensland (107 A.L.R. (1992) 1) — which has attracted widespread
attention — illustrates the point. The Supreme Court of Queensland, exercising federal jurisdiction,
there looked carefully at the Western Sahara opinion. It also noted that Professor O'Connell in the
second edition of his treaties International Law had pointed to the distinction between acquisition of
international title to territory and the question of acquired rights (107 A.L.R. 1 at 31). They noted
further that Rober-Wray, the leading authority on Commonwealth and Colonial Law, had written
"The ownership of the country is radically different from ownership of the land: the former can
belong only to the sovereign, the latter to anyone." (P. 625.)
19. Accordingly, the aborigninals — or to be more precise, the Merriam people — had (and
were held to have retained) title to certain lands (the Merriam Islands), while the Crown has secured
- 32 -
title to the Australian colonies. The recognition of the continuation of the native rights did not lead
to a consequence of loss of, or retrospective invalidation of, colonial title.
20. I turn now to the third common starting-point, that the territory was not a terra nullius.
What, then, are the real legal difficulties that divide us here? Libya says that in a territory that was
inhabited, in the period 1910 to 1913 title could only be acquired by treaty with local leaders. It says
that this is what the International Court decided in 1975 in the Western Sahara case. Chad says that
is not what the Court decided in the Western Sahara case — it decided, in answer to particular
questions and issues before it, that the territory of Western Sahara was not terra nullius; that often
in those circumstances colonial title was sought through agreements with local leaders; that Spain
had made such agreements; and that such agreements were not to be treated as of no legal
consequence. And I will of course not repeat my submissions on this.
21. Professor Crawford last Thursday did not really answer our detailed analysis. Instead,
repeating Libya
s views that in 1975 the Court determined that in an inhabited territory, title could never have been
acquired other than through local treaty, he said the Court "said this not once but three times", and
he made reference to the three passages (CR 93/29, p. 12).
22. Mr. President, with your permission let us look just once more at those three passages.
They are all conveniently located and cited in the Verbatim Record of last week (CR 93/19, p. 41).
The first is from paragraph 79 of the Advisory Opinion, where the Court says:
"The expression 'terra nullius' was a legal term of art employed in connection
with 'occupation'as one of the accepted legal methods of acquiring sovereignty over
territory. 'Occupation' being legally an original means of peaceably acquiring
sovereignty over territory otherwise than by cession or succession, it was a cardinal
condition of a valid 'occupation' that the territory should be a terra nullius — a territory
belonging to no-one — at the time of the act alleged to constitute 'occupation' . . ."
(Italics added.)
23. Now that Court will note the reference to the means of peaceably acquiring sovereignty,
and to the act constituting occupation — that is to say, a single act of occupation. It manifestly was
not addressing the issue in our case — whether force, combined with and followed by civil
administration, provided an alternative legitimate basis of title from the perspective of law as it stood
- 33 -
at the turn of the century. The Court was in this passage simply saying that where a colonial power
hoped to acquire title peacefully through means other than cession, the territory would need to be
terra nullius.
24. What of the second time that the Court is meant to have pronounced in support of Libya's
views? This passage too comes form paragraph 79. and it is where the Court says:
"In the view of the Court . . . a determination that Western Sahara was a 'terra
nullius' at the time of colonization by Spain would be possible only if it were
established that at that time the territory belonged to no-one in the sense that it was then
open to acquisition through the legal process of 'occupation'."
Now this citation is definitional. The Court could have said that Western Sahara was not a terra
nullius in that it was not, Vatel's words, a totally empty territory, with only penguins, or guano
droppings. Instead, it chose to define terra nullius by reference to the normal way that title would be
peacefully acquired. But that, too, does not address our problem, nor support Libya's thesis.
25. And what about the third quotation? That is from paragraph 80 of the Advisory Opinion,
where the Court says this:
"Whatever differences of opinion there may have been among jurists, the State
practice of the relevant period indicates that territories inhabited by tribes or peoples
having a social and political organization were not regarded as terra nullius. It shows
that in the case of such territories the acquisition of sovereignty was not generally
considered as effected unilaterally through 'occupation' of terra nullius by original title
but through agreements concluded with local rulers."
So here the Court, rooting itself carefully in the State practice of the relevant period, tells us that
where there are tribes that have a social and political organization, acquisition of territory was not
generally considered as effected through peaceful occupation of a terra nullius. Once again, that
does not address our different question, nor does it say what Libya would have it say.
26. The Court did not, three times, say that under the law of the time, military occupation
never give title. It didn't say it three times, it didn't say it twice, it didn't say it once.
Mr. President, to follow on in the formula of Professor Pellet, I hesitate to stop in the middle
of a pirouette but I think that might be a convenient moment for the coffee break.
The PRESIDENT: If you are happily with that, Professor Higgins, yes, we will take it now.
- 34 -
The Court adjourned from 11.20 to 11.35 a.m.
The PRESIDENT: Professor Higgins.
Mrs. HIGGINS:
27. Mr. President, given that in the Western Sahara case the Court decided other important
issues, but not the issue in this case, how should that issue then be answered? Of course, it will only
need to be answered at all if the 1955 Treaty is to be regarded as irrelevant. But if it has to be
answered, the answer can only be given by the application of the principle of intertemporal law.
28. The intertemporal principle of international law performs a critical function in balancing
stability and predictability on the one hand, with needed change and development on the other. Ideas
change. The international community develops, striving for a better world, in which all States have
equal rights, and the weak are protected against the powerful (whether in Europe, or in Africa). But
when we come to judge what was done 90 years ago, we can only judge it — and the legal right that
flowed from it — under the law of the time, however repugnant that law might seem today.
29. Professor Crawford said that we have viewed the Court's findings in the Western Sahara
case as "a dangerous heresy . . . an ex post facto intervention by this Court" (CR 93/29, p. 12). But
of course, we see the Court's finding differently, and the welcome finding that we see involves no ex
post facto intervention by the Court. It is solidly rooted in the principles;es of intertemporal law.
The Court answered the question "Is the territory of Western Sahara res nullius"? Not from the
vantage point of 1975, but by looking at the international law of the time. How did it do that? And
one can see the answer in paragraph 80. There the Court refers to the contemporaneous writings of
jurists, and "the State practice of the relevant period". The Court found the writings of the jurists
somewhat divided, but the State practice clear.
30. Mr. President, we say that that is the way also to answer our question — namely, whether
legal title could in 1913 have been acquired, in a territory inhabited by various indigenous peoples
- 35 -
and religious groups, by military action followed by civil administration.
31. Let us take the jurists of the time. The honest answer is that their writings do not
enormously illuminate our problem either, because for the most part they are addressing either the
acquisition of title in totally empty lands; or conquering territories already belonging to another
sovereign power; or discussing situations where there had been agreements with native chiefs who
exercised local government; and again, we list in the verbatim the writers of the time (see, for
example, The Collected Papers of John Westlake on Public International Law (1914); Lawrence,
The Principles of International Law; Salamon, L'occupation des territoires sans maître (1899);
Hall, A Treatise on International Law (1924); and Bonfils, Manuel de droit international public
(1914)).
32. So, as the Court did in paragraph 80 of the Western Sahara case when answering a
different question, let us then turn to the State practice of the time. In my pleadings in the first round
I explained how, though agreements often were made, title so many territories around the world
where indigenous peoples lived was acquired without resort to local treaty. That was part of the
reality of the State practice of the time.
33. What often happened was this: where there were competing colonial ambitions, as in
Africa, lines delimiting spheres of influence were drawn. The colonial Power then got up to that
line — that is to say, made good its claim to sovereignty behind and up to the line — through a
variety of means. Where there were very well organized leadership structures, and especially when
these were tied to discernible territorial areas, it often was both sensible and desirable to deal with
them through arrangements. The arrangements in New Zealand to which Professor Crawford
referred (CR 93/29, p. 12) — and which, of course, were part of the background of the Waitangi
Treaty — were just such an example.
34. But, looking at the realities of the State practice of the time, various points may be noted.
First, there were not always treaties made at all. And in my last pleadings I identified some African
and other countries, and some parts of African countries, where colonial title had not been treaty
based. Second, even where treaties were made — and this is an important point, Mr. President —
the subject-matter of the treaties was often not the transfer of title at all. Treaties were often about
- 36 -
variety of matters of mutual accommodation. Third, the sphere of influence lines as agreed between
the European Powers were often not co-terminous with the territorial influence of a particular tribe.
This is particularly true of nomadic tribes. For instance, the Touareg roam freely through a great
part of the Sahara. Treaties with tribes, when dealing with territorial matters, rarely provided agreed
transfer of title neatly falling within and up to the artificial boundaries drawn by the colonial Powers.
35. We should not be deluded, Mr. President, Members of the Court, into a new form of
received wisdom that treats local treaties as the acceptable face of colonialism, in contrast with other
forms of acquisition of title. Neither content, nor their geographic scope, nor their geographic scope,
nor the circumstances in which they were concluded, would merit that.
36. I can illustrate that point by reference to Ghana. The coastal colony of Ghana was
established by a patchwork of treaties and events over time. There was an agreement as to the end of
slave trading. Port facilities were then secured. Then missionaries were sent in. And trading links
with the indigenous people followed. Thus did colonial effectivités get established. Consequently
the Ashanti in the hinterland raided the coastal colony. The British then used force to establish
themselves in Ashantiland. And although at the end of the day there was a protectorate treaty, we
should have no illusions but that it was a treaty imposed by force. And, in due course, the
protectorate became merged with other protectorate and colonies in the region to form the colony of
the Gold Coast.
37. Today we all are appalled at what was done in the name of colonialism. But we delude
ourselves if we think that we can now deem territories acquired by local treaty as "politically
correct", and reject colonial title acquired by other means. State practice on the ground did not in
reality fall into these two neat categories. Military action often let to treaties. And, conversely,
treaties were often entered into to avoid military action, and the likely consequences of preponderant
military power. And frequently treaties entered into were treated by the colonial Powers as mere
scraps of paper.
38. Mr. President, Members of the Court, why do we continue to say that French title rested
on what we have termed "military occupation" — military action, followed by civilian
administration? Why do we not accept Professor Bowett's demand — that we choose between res
- 37 -
nullius and treaties on the one hand, and military conquest on the other? It would not be
troublesome for us to mail our colours to the mast of conquest in spite of the hurdles that Libya has
tried to erect for us if we should accept that invitation. Those perceived impediments present no
difficulty for Chad. What insuperable problems do Libya's counsel seek to identify in respect of
conquest? They say, in the first place, that conquest itself did not pass title, but that formal
annexation was also required. And then they say that no conquest in fact took place until after 1919,
by which time it was illegal. A couple of brief comments on each point.
39. We can agree with Professor Crawford that there are different views among the writers of
the time as to whether annexation was needed to pass title after conquest, although we believe that
the greater weight of opinion is that annexation was — to use a now familiar phrase in this case —
declaratory of what had happened, rather than constitutive of title. Title was, in international law,
always dependent on effectivités, upon realities, and not upon formalities. Again, is there to be a
retrospective audit to see whether all title around the world based on conquest was followed by a
formal instrument of annexation? But in any event, France proclaimed the taking into possession of
the territory that is now Chad. This is clearly evidenced in the French archives (see MC, Ann. 116)
and Professor Cassese will refer to this again.
40. As for the claim that conquest didn't occur until after 1919, by which time it was too late,
legally speaking, Chad believes it has shown otherwise, both on the facts and on the law. France had
certainly by 1919 military secured Chad — and the fact that sporadic raids occurred beyond that
date does not "undo" that reality. Such raids were indeed occasional, and rapidly bought under
control. As for Libya's contingent argument that Article X of the League Covenant, as well as the
Kellogg-Briand Pact, outlawed colonial title that involved use of the military instrument — well,
Mr. President, we believe we have fully responded to this in the written pleadings and again in the
first round of oral argument. No response to our analysis of the law has been forthcoming from
Libya — only repeated invocation of the iniquities of colonialism.
41. If the arguments on conquest present no problem, why do we then not simply accept the
invitation to categorize French title as conquest? Mr. President, Members of the Court, we do not do
so because we believe it is wrong in law. Conquest is the term used in international law to describe
- 38 -
the military defeat by one State of another State, or of the territory of another State. By reference to
the law of the time, and what the Court has said in the Western Sahara case, there was no
independent Senoussi State, nor did the BET belong to the Ottomans.
42. We stand by our analysis based on the intertemporal law of the time. The State practice
of the time — here as in the Western Sahara case — will point us to the realities on which the
international law of the time was based. And the realities were that here — as elsewhere in Africa,
and also in other parts of the world — title was made good up to sphere of influence lines through a
mixture of force and civil administration. The situation in Chad falls exactly within the description
of the learned author of The Acquisition of Territory in International Law: in territory where there
were tribes not regarded at the time as forming a State, he said, "force, even considerable force,
might be used for the establishment of the settlement [and] the result in law was not conquest but
occupation" (p. 20).
43. Mr. President, Members of the Court, Chad, like any country, is entitled to rely on the
application of the international law principle that a juridical fact is to be appreciated in the light of
the law contemporary with it. Libya tells us that she accepts this principle but that it doesn't
apply — just as she tells us that she accepts the uti possidetis principle, but that too doesn't apply.
Both these principles also serve the important function of providing stability for Africa. and this
need cannot be dismissed with amusing quips about apocalyptic visions. In my previous oral
pleadings on this point I pointed to the implications for Africa and beyond, if Libya's argument was
accepted that there had never been good colonial title if it had been secured by military occupation.
Professor Crawford said that the doctrines of debellatio, conquest and consolidation would protect
against instability. But debellatio, which entails the total suppression of the State, is inapplicable to
the facts of how colonial title was acquired in those African and other countries at threat form the
Libyan analysis of the law. They were, exactly, not States at the moment of colonial title. No more
does conquest apply, for the reasons I have already just analysed. And as for consolidation, we were
referred to some previous pleadings of Professor Bowett (CR 93/14-19) for an explanation. But on
checking these the paragraphs do not at all address the facts as they apply to these African countries.
So Libya's attempt to push Chad off the high wire, while providing a safety net for the rest of
- 39 -
Africa, simply doesn't work.
44. Libya's other response to the destabilizing effects of its proposal that only treaty based
title be recognized, was equally unpersuasive. Professor Crawford said simply that each case would
fall to be dealt with individually; and that Australia "would be protected by Article 59" of the
Statute (CR 93/29, 11). When the International Court pronounces rules of international law, those
rules have an importance for every State that my be, or is, in a comparable position. That follows
from the Court's authority on the one hand, and the consistency of its jurisprudence on the other.
Mr. President, it is astonishing for a Party that has put so much of its case on certain dicta in the
Western Sahara Opinion, to then tell you that what you decide in this case will have no significance
for third parties, because they will be protected by Article 59.
45. In any event, we are not talking here about possible future litigation, but about the likely
political, diplomatic and military consequences of declaring invalid ab initio — and thus for the
successors too — all colonial title secured by military occupation. And it was this mischief that the
Cairo resolution of 1964 was directed against. Chad does not say, as counsel for Libya seemed to
think, that the OAU forbids States from maintaining disputes. We do say that if no mention was
made by either Party of a boundary dispute at the time, the implicating is that no dispute then
existed. And we further say that the 1964 resolution directed that disputes be resolved by peaceful
means — not by occupying what you later claimed you were entitled to. And, critically, through its
acceptance of the colonial boundaries, the Cairo resolution specifically directed that any disputes
that might indeed still occur would not be resolved by going all the way back to original colonial
title.
46. This was the solution that Africa itself chose as in its best interests. Self-determination,
stability, the avoidance of wars and hostility with neighbours, the end of colonialism, these are the
real friends of Africa, not attempts to undo what has gone before.
47. Mr. President, Members of the Court, all of these issues are pertinent only if the Court
decide that Libya's web of arguments have and real relevance. Our firm belief is that they have not,
and that the 1955 Treaty is the legal beginning and end of the case. But, in order to dispose of
Libya's arguments, we continue for the moment with out analysis of issues relating to original title:
- 40 -
and for that purpose, in thanking you for your attention, I would ask you to call Professor Cassesse.
The PRESIDENT: Thank you very much Professor Higgins. Professor Cassese.
- 41 -
M. CASSESE:
LES EFFECTIVITES
I. Remarque Liminaire
Monsieur le Président, Messieurs les juges,
Permettez-moi tout d’abord une remarque liminaire et générale. Comme vous le savez, c’est
la première fois que je plaide devant cette haute juridiction. J’ai donc suivi les débats avec
l’engouement du néophyte. J’ai été frappé par les capacités dialectiques et l’éloquence de nos
contradicteurs. Dans leurs plaidoiries, ils se sont livrés à un véritable feu d’artifice intellectuel qui
force l’admiration.
Leur talent oratoire m’a rappelé ce que disait Thomas Mann du philosophe hongrois
György Lukacs : "Un intellectuel de valeur, sans aucun doute. Il a un talent dialectique formidable.
Il énonce les arguments les plus abstraits et les plus alambiqués, et vous êtes contraint de lui donner
raison du moins tant que c’est lui qui parle".
Eh bien, Monsieur le Président, j’ai eu la même impression en écoutant nos contradicteurs.
J’ai beaucoup admiré leur talent dialectique; cependant, aussitôt qu’ils se sont tus, toutes leurs
apories, leurs omissions, leurs méprises et leurs contradictions sont apparues au grand jour.
Dans cette brève intervention, je me propose donc de mettre à nu certains défauts de leur
cuirasse, et je le ferai par rapport à la question des effectivités.
II. Plan de l’exposé
Monsieur le Président, Messieurs les juges, nos contradicteurs nous ont accusés d’utiliser
deux poids et deux mesures en ce qui concerne les effectivités ottomanes et françaises sur le BET.
Ils nous accusent d’être trop exigeants pour les effectivités ottomanes et, en revanche, trop “laxistes”
pour ce qui est des effectivités françaises.
C’est faire preuve d’un bel aplomb : en réalité, c’est à la Partie libyenne qu’on peut retourner
le compliment, comme je vais le montrer. Mon propos comportera trois volets.
1) Je commencerai par passer en revue les critères généraux d’évaluation des effectivités.
- 42 -
Ce bref, très bref, rappel me paraît nécessaire dans la mesure où la Libye a fait preuve d’un
mutisme remarquable sur la question pour mieux adapter le cadre juridique aux besoins de sa cause.
2) Je montrerai ensuite que les velléités d’occupation ottomanes n’ont, à aucun moment,
répondu aux exigences d’occupation effective.
3) Enfin, le contraste entre l’intermède ottoman et l’occupation française me permettra de
montrer encore une fois que la France, par son emprise effective, paisible et constante, a acquis un
titre coutumier sur le Borkou, l’Ennedi et le Tibsti, et ce, avant 1919.
III. Les critères juridiques généraux pour évaluer les effectivités
Soyez rassurés, Messieurs de la Cour : il n’entre pas dans mes intentions, à ce stade avancé
des plaidoiries, de procéder à un long exposé sur les principes coutumiers qui, au début de ce siècle,
régissaient l’acquisition de territoires par leur possession effective. Ces principes, vous les
connaissez. La Libye ne les ignore point : elle se contente d’en faire un usage que par respect
pour mes éminents collègues je qualifierai seulement de “s électif”.
Permettez-moi donc, pour la clarté de mon propos, de rappeler brièvement cinq éléments, qui
constituent la grille d’analyse que je me propose d’utiliser.
Premièrement, l’effectivité de l’occupation :
Il faut mais il suffit que la puissance occupante impose, de fa çon continue et pendant une
période suffisante, son autorité sur l’ensemble du territoire concerné, sans que, dans les
faits j’insiste sur ces termes : dans les faits l’exclusivit é de cette autorité ne soit mise en cause.
Deuxièmement, l’animus :
Il faut que les actes de la puissance occupante témoignent de sa volonté d’établir son autorité
souveraine sur la zone en question.
Troisièmement :
Les manifestations d’autorité souveraine ne doivent pas se limiter à une simple présence
militaire, mais englober la gamme des actes civils qui vont de pair avec la souveraineté : actes
législatifs, perception de l’impôt, administration de la justice, etc.
- 43 -
Quatrièmement :
L’attitude des Etats tiers joue un rôle important : leur reconnaissance est un élément essentiel
dans le processus de consolidation des effectivités.
Cinquième et dernière remarque, mais non la moindre :
La jurisprudence internationale a souligné à plusieurs reprises que les conditions auxquelles
les manifestations de souveraineté font titre varient en fonction de la région en question. En
particulier, les sentences arbitrales bien connues relatives à l’Ile de Palmas (RGDIP 1935, p. 165), à
l’Ile de Clipperton (RSA, vol. II, p. 1110) et l’arrêt du Groënland oriental (C.P.I.J. série A/B n
o
53)
ont admis que, dans des régions difficiles d’accès et peu peuplées, les critères d’effectivité sont moins
exigeants. Cela vaut, en particulier, pour les régions désertiques où l’on ne saurait exiger une
continuité sans faille, tant au niveau territorial qu’au niveau temporel, dans l’exercice de la
souveraineté.
Voilà, Monsieur le Président, dessinée à grands traits la grille d’analyse qui doit nous
permettre de mesurer l’effectivité des occupations qui se sont succédées dans les régions du Borkou,
de l’Ennedi et du Tibesti.
IV. L’intermède ottoman
Voyons maintenant comment la présence ottomane, base du titre dont prétend avoir hérité la
Libye, résiste à l’analyse.
1) La Libye fait remonter à juillet 1907 le début de la présence ottomane dans le BET
(mémoire de la Libye, par. 4.127). Vous vous serez demandé comme moi, Messieurs les juges, à
quel événement correspondait cette date. Après quelques recherches, j’ai fini par trouver la réponse.
C’est en effet à cette époque que le derdé, chef coutumier du Tibesti, se rend à Mourzouk, au
Fezzan, pour s’entretenir avec les autorités ottomanes des mesures à prendre en réponse à la poussée
française. Il revient à Bardaï, nous dit-on, escorté de quatre soldats, dotés, il est vrai, d’un drapeau
turc (mémoire de la Libye, par. 4.127).
Vous pouvez imaginer la scène : cinq hommes, harassés et poussiéreux après un voyage de
plusieurs centaines de kilomètres dans le désert, rentrant à Bardaï avec, dans leur paquetage, ce
- 44 -
précieux symbole de la souveraineté ottomane. Voilà, Monsieur le Président, la "prise de possession
solennelle" qu’évoquent les conseils libyens. Et c’est à l’installation de cette "garnison
substantielle" l’expression est du professeur Dolzer (CR 93/20, p. 22) que nos contradicteurs
font remonter les droits que revendique la Libye aujourd’hui.
La scène évoque bien la réalité de la présence ottomane dans la région. Même à son apogée,
c’est-à-dire entre l’automne 1911 et le printemps 1912, les documents libyens ne font état que d’un
contingent turc de quelques dizaines d’hommes regroupés dans quelques postes isolés.
Le professeur Bowett, en parlant des effectivités françaises, a insisté à plusieurs reprises sur le
fait qu’on ne pouvait prétendre occuper une région aussi vaste que le BET avec quelques centaines
d’hommes seulement (CR 93/19, p. 7 et 9). S’il se trouvait à ma place aujourd’hui, il vous dirait
certainement qu’a fortiori les maigres effectifs ottomans n’auraient pu suffire.
Certes, je viens de rappeler que, s’agissant d’une région désertique, on ne peut faire montre de
la même rigueur que dans une zone plus densément peuplée. Il suffit, comme l’a affirmé Max Huber
dans l’affaire de l’Ile de Palmas, que la puissance occupante soit "en mesure d’y faire valoir son
autorité exclusive" (RSA,vol. II, p. 1110).
Toutefois, on est loin du compte pour ce qui est de la présence ottomane : une étude récente a
amplement démontré que les chefs locaux qui conservaient leurs propres forces avaient
délibérément confiné les maigres forces ottomanes à un simple rôle supplétif, sans leur laisser la
possibilité d’exercer les actes de puissance publique qui vont normalement de pair avec la
souveraineté. Du reste, en raison de leurs effectifs limités, les Turcs ne seront pas en mesure de
s’opposer efficacement ni à la poursuite des actes de pillage ni même aux passages occasionnels de
méharistes français (M. Ricciardi, "Title to the Aouzou Strip : A Legal and Historical Analysis",
17 Yale Journal of International Law (1992) 301, p. 354).
Il me paraît difficile, dans ces conditions, de parler d’"autorité exclusive" !
La présence turque n’a d’ailleurs guère duré : si elle s’étend sur une période de quatre ans au
total, elle n’a atteint une certaine ampleur ce que l’on appelle en physique un seuil d’observation,
en-deçà duquel les variations sont trop faibles pour être mesurées avec précision que pendant les
quelques mois qui précédèrent l’évacuation ottomane de la zone en 1912. C’est bien peu au regard
- 45 -
de près de cinquante ans de colonisation française !
2) Par ailleurs, il s’agissait exclusivement d’une présence militaire. Et cela s’explique
aisément : les chefs locaux refusaient toute subordination effective aux Ottomans; ils s’opposaient à
ce que les Ottomans exercent un contrôle territorial direct (Ricciardi, op.cit., p. 352-354). Voilà
pourquoi la Libye n’a pu apporter le moindre commencement de preuve, ni dans ses écritures, ni
dans ses plaidoiries, d’un quelconque acte à caractère civil.
Pour remédier à cette lacune, le professeur Dolzer a eu recours à un raisonnement des plus
particuliers. Il déduit le caractère civil de l’occupation turque de ce que l’on ne trouve nulle part
mention de combat dans lequel les supplétifs turcs auraient été engagés (CR 93/20, p. 23).
En somme, semble-t-il nous dire, il faut bien que ces pauvres soldats aient fait quelque chose pour
tuer le temps; s’ils ne se sont pas battus, c’est donc qu’ils ont admiré la région !
Je n’insisterai pas sur le caractère spacieux de ce raisonnement, Monsieur le Président.
Ici encore, j’entends la voix du professeur Bowett : "Où sont les preuves ?" Certainement pas
dans les documents de nos honorables contradicteurs.
3) Il faut enfin faire justice de l’affirmation fantaisiste selon laquelle la France aurait
acquiescé à l’occupation ottomane du BET. Dès que la présence turque acquit une certaine
consistance, la France s’empressa de réagir, comme en témoigne la vigoureuse protestation par
laquelle le colonel Largeau réagit à l’installation de militaires turcs a Ain Galakka :
"Au nom du Gouvernement de la République, je proteste contre votre présence
dans ce pays qui, par des accords diplomatiques rendus publics, rentre dans la sphère
d’influence de la France." (Mémoire du Tchad, annexe 83.)
Quant à la prudente expectative observée par les forces françaises, dont la Partie libyenne a
fait tant de cas, elle était inspirée par des exigences de haute politique internationale : la France,
neutre dans le conflit italo-turc qui faisait rage en Tripolitaine, a préféré s’abstenir de tout acte
d’hostilité à l’encontre d’un allié traditionnel. Toutefois, elle a clairement indiqué qu’il ne s’agissait
que d’un arrangement temporaire, qui n’engageait en rien sa position quant au fond. La protestation
du colonel Largeau était tout à fait précise à ce sujet.
- 46 -
Elle affirmait tout aussi nettement que la France n’était aucunement disposée à tolérer la
moindre interférence dans les régions comme l’Ennedi, où son autorité s’exerçait déjà, je cite les
mots du colonel Largeau : "Quiconque paraîtra en armes dans ces régions sera traité en ennemi."
(Ibid.)
Non contente de souligner l’absence de tout titre ottoman, la France fera valoir que le manque
de moyens des Turcs ne leur permettait pas d’assurer un contrôle effectif de la région, ce qui laissait
les coudées franches aux pillards de toute espèce (lettre du lieutenant-gouverneur du haut-Sénégal
Niger, 30 avril 1911 (contre-mémoire du Tchad, annexe 21, p. 2); rapport du capitaine
de Barbeyrac, 27 juillet 1911 (contre-mémoire du Tchad, annexe 24); voir aussi Histoire militaire
de l’AEF (mémoire de la Libye, pièce 26, p. 391 et 422)).
Dans ces conditions, parler de reconnaissance française est singulièrement abusif.
5) En bref, l’intermède ottoman au BET se réduit à fort peu de choses : quelques dizaines
d’hommes privés de contrôle effectif sur la région, et confinés à un rôle subalterne par des
partenaires méfiants, qui n’ont fait appel à eux que pour faire face à un ennemi dont la venue était
imminente. Du reste, tout comme dans le roman de Dino Buzzati, Le désert des Tartares, ces
maigres troupes durent plier bagages avant même l’arrivée de l’ennemi, lorsque le sultan renonça à
la souveraineté sur la Tripolitaine, abandonnant du même coup ses prétentions sur le BET.
V. Les effectivités françaises
J’en arrive ainsi aux effectivités françaises.
Reprenons ensemble la grille d’analyse que j’ai esquissée en commençant : le contraste avec la
fantomatique présence ottomane est saisissant.
1) Laissons de côté les comptes d’apothicaire sur les forces militaires qui ont été déployées :
cela n’est pas décisif. Ce qui est déterminant, c’est qu’en dépit des escarmouches qui ont marqué les
premières années de présence française, l’emprise française dans la région en question n’a jamais été
en péril.
A-t-on vu une résistance organisée soustraire certaines parties du territoire à l’autorité
- 47 -
française ? Non.
La France a-t-elle toléré les menées de puissances étrangères ?
Encore une fois, non : les incidents de Jef-Jef et d’Aouzou ont apporté la preuve de sa détermination
et de sa capacité à imposer son autorité exclusive.
Voilà ce qui compte : même si sa présence militaire a connu quelques éclipses dans le Tibesti,
la France a toujours été en mesure de faire valoir ses droits souverains au cours des cinq décennies
où elle a été présente dans la région et c’est bien là, Monsieur le Président, ce qui distingue les
effectivités françaises de l’éphémère présence turque.
2) Cette continuité confère d’ailleurs un caractère quelque peu dérisoire aux observations
libyennes sur le défaut d’animus possidendi. Voilà une puissance coloniale qui déploie des troupes
dans un territoire, dans lequel elle exerce les fonctions normales de puissance publique.
Peut-on rêver une manifestation plus nette de son animus possidendi ? Toutefois, nos
honorables contradicteurs s’obstinent à affirmer que non, vraiment, la France n’avait pas l’intention
d’étendre sa souveraineté sur la zone en question. A les en croire, le fait qu’elle l’ait occupée
pendant près de cinquante ans ne suffirait pas à prouver sa détermination.
Puisqu’il est vraiment nécessaire de prouver l’évidence afin de vaincre un tel scepticisme, je
rappellerai, Monsieur le Président, que, dès 1906, la France avait pris des mesures qui montraient
sans que le moindre doute soit possible, sa détermination d’occuper progressivement les régions qui
se trouvaient dans sa zone d’influence.
En février 1906, en effet, un décret du président de la République française place une série de
circonscriptions sous "la haute direction politique et administrative d’un commissaire général du
gouvernement dont la résidence est à Brazzaville". Au nombre de ces circonscriptions, figure
notamment le territoire du Tchad, décrit comme :
"Comprenant au nord de l’Oubangui-Chari l’ensemble des régions placées sous
l’influence de la France en vertu de conventions internationales, et ne dépendant pas du
territoire de l’Afrique occidentale française. " (BCAF, mars 1906; les italiques sont de
nous.)
- 48 -
Ainsi, Monsieur le Président, dès 1906, le Gouvernement français affirmait son intention
d’étendre sa souveraineté à l’ensemble de la zone d’influence qui lui avait été reconnue par les
accords de 1899.
Cette volonté était étayée par d’autres sources, dont j’ai fait état dans ma plaidoirie
du 30 juin (CR 93/24, p. 54-55). Le professeur Bowett indiquait à ce propos qu’il n’avait vu dans
ces documents que j’avais cité "aucune référence spécifique au BET" (CR 93/29, p. 51).
Sans doute son attention a-t-elle été prise en défaut : j’ai cité, entre autres, Monsieur le
Président, les décrets de 1912 "déterminant les circonscriptions administratives du Borkou-Ennedi"
(mémoire du Tchad, annexe 116), décrets auxquels il faut ajouter l’arrêté du 22 mai 1914
(J.O.A.E.F., 1er juin 1914, p. 239); j’ai cité aussi l’arrêté de 1930 rattachant le Tibesti à l’AEF
(mémoire du Tchad, annexe 116). La France se serait-elle amusée à modifier le statut administratif
des zones en question si elle ne les considérait pas comme soumises à sa souveraineté ?
3) Apparemment, il est aussi nécessaire de mettre les points sur les i en ce qui concerne les
aspects civils de l’occupation française, puisque le professeur Bowett m’a fait grief de ne pas
apporter les preuves de ce que j’avançais.
Messieurs les Membres de la Cour, vous avez pris connaissance des documents soumis par la
République du Tchad. Sans doute, à la différence de mon éminent collègue le professeur Bowett,
vous rappelez-vous qu’ils contenaient de nombreuses preuves documentaires de l’administration
civile du territoire.
Je ne vais donc pas vous en imposer un rappel fastidieux; je me permets de vous renvoyer au
mémoire du Tchad, qui illustre la panoplie des actes d’administration civile par laquelle s’est traduite
la présence française (mémoire du Tchad, p. 241-302) : par exemple, nominations de chefs de canton
(décision du 3 septembre 1935, JOAEF du 1er novembre 1935) et d’assesseurs pour les tribunaux
indigènes (arrêté du 26 décembre 1930; JOAEF du 15 février 1931, et du 7 novembre 1935; JOAEF
du 15 décembre 1935), allocation d’une indemnité de vie chère aux cadres indigènes de certaines
zones (arrêté du 27 mars 1931; JOAEF du 1er juin 1931), etc.
- 49 -
Mais le professeur Bowett, décidément difficile à satisfaire, affirme que la mise en place d’une
structure administrative ne signifie pas nécessairement que cette administration ait effectivement
fonctionné.
Soit. Je lui rappellerai les rapports mensuels et annuels que les chefs de districts envoyaient
aux autorités de Fort-Lamy (voir mémoire du Tchad, p. 278-282).
Je lui rappellerai surtout le volumineux Journal du Poste d’Aouzou que voici, et que, bien sûr,
nous avons produit (mémoire du Tchad, production 41). Ce texte, qui couvre la période 1930-1937,
est un document très révélateur. Bien sûr, ce n’est pas une lecture aussi passionnante que celle d’un
roman policier, d’autant plus que le chef de poste lui-même ne s’amusait pas du tout, dans cette
petite palmeraie perdue au beau milieu du désert.
Chaque soir, le chef de poste enregistrait, avec une écriture menue, et souvent en style
télégraphique, les principaux éléments de la journée. Par exemple : la levée des tributs payés par les
chefs de villages, le recensement de la population, la convocation et la tenue d’assemblée des chefs
de village, le règlement de différends entre indigènes, leur éventuel emprisonnement pour délits de
droit commun, etc.
Autant d’actes routiniers dont la banalité même révèle une administration paisible. Voilà,
Monsieur le Président, les preuves concrètes et irréfutables de l’exercice de la souveraineté française,
que demandait mon éminent collègue le professeur Bowett.
Dois-je vous rappeler, Messieurs de la Cour, qu’en ce qui concerne la présence ottomane, on
ne retrouve mention d’aucun acte de ce genre dans les milliers de pages présentées à la Cour par la
Libye ?
4) J’en arrive ainsi au dernier point de mon analyse, la question de la reconnaissance des
effectivités françaises par les Etats tiers.
Par les accords de 1919 et 1924, la Grande-Bretagne avait admis les prétentions de la France
sur le BET. Quant à l’Italie, j’ai souligné dans ma plaidoirie du 30 juin que les protestations
italiennes de la période 1921-1934 ne portaient que sur le titre conventionnel de la France, et qu’elles
ne pouvaient affecter la validité du titre coutumier (CR 93/24, p. 59-61).
- 50 -
Bien au contraire, en protestant contre le déploiement des troupes françaises aux abords de la
ligne de 1899, l’Italie reconnaissait indirectement l’effectivité de la présence française dans la zone.
En effet, c’est cette présence qui est à l’origine des protestations italiennes : une note interne de 1939
indique clairement que ce qui préoccupait l’administration italienne, c’était surtout "la progressive
occupation militaire et l’organisation administrative" (je dis bien : "l’organisation administrative")
de tout le Tibesti par la France (mémoire du Tchad, annexe 132).
Ainsi, l’Italie fut pleinement consciente de l’emprise française sur le Tibesti.
Pouvait-elle empêcher la consolation du titre coutumier par ses protestations ? Dans l’affaire
du Groënland oriental, la Cour permanente de Justice internationale a répondu par la négative à une
question semblable. Après avoir relevé que le Danemark avait exercé des attributions
gouvernementales à l’égard du territoire contesté, la Cour a indiqué que :
"La nature de ces actes du Danemark n’est pas modifiée par les protestations ou
réserves que, de temps à autre, formula le Gouvernement norvégien." (C.P.J.I.
série a/B no
53, p. 62.)
VI. Conclusion
Monsieur le Président, Messieurs les juges,
Le tour d’horizon auquel je vous ai conviés a mis en lumière l’abîme qui sépare l’éphémère
présence ottomane au BET de l’occupation française. D’un côté, une présence très limitée,
exclusivement militaire, insuffisante pour assurer un contrôle réel et qui prit fin avec l’abandon de la
région par les maigres effectifs ottomans, avant même l’arrivée des Français. De l’autre, une
présence continue qui couvre près de cinquante ans, au cours desquels les activités gouvernementales
se sont progressivement étoffées.
Cette continuité est à la base du titre coutumier de la France, dont les protestations
sporadiques de l’Italie n’ont pu empêcher la consolidation.
Charles De Visscher, orfèvre en matière d’effectivité, a souligné que les effectivités pèsent
plus lourd que les protestations lorsque celles-ci ne s’appuient sur aucun titre précis :
- 51 -
"Le droit international n’admet pas qu’à l’abri de protestations simplement formelles un Etat
tienne en suspens le statut d’un territoire sur lequel un autre Etat a exercé, de façon et pour une
durée suffisante, des activités gouvernementales." (Les effectivités du droit international public,
Paris, Pedone, p. 190-110.)
Un dernier mot, Monsieur le Président. C’est à la lumière de la consolidation du titre
coutumier français que doit être appréciée la situation au moment de l’indépendance de la
Libye. 1951, vous le savez, est une des dates critiques dans notre affaire.
A ce moment, la Libye se présente sur la scène internationale avec les frontières qu’elle avait
héritées de la période coloniale : ni plus, ni moins, comme le montrera demain mon collègue le
professeur Tom Franck.
La photo de la Libye indépendante est identique à celle de la veille : les limites territoriales
sont inchangées.
La frontière méridionale de la Libye est celle de 1899-1919, car au-delà, les effectivités
françaises montrent que le territoire était soumis à l’emprise souveraine de la France.
Je vous remercie, Monsieur le Président, de votre attention et je vous prie de bien vouloir
donner la parole à mon collègue Jean-Pierre Cot.
The PRESIDENT: Thank you very much, Professor Cassese.
Professor Cot
M. COT : Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, deux mots sur le problème des cartes,
ceci pour répondre aux observations et critiques de la Partie libyenne. Je constate, au demeurant,
que ces remarques sont peu nombreuses, ce qui me permettra d’être rapide.
Je rappelle en préambule que la Partie tchadienne, suivant en cela votre jurisprudence,
n’attache pas une importance considérable aux cartes et les considère au mieux comme élément de
preuve concordante.
Venons-en aux observations de nos contradicteurs.
- 52 -
La Partie libyenne semble nous avoir reproché de n’avoir pas signalé la présence de réserves,
notamment sur certaines cartes de l’ONU. Nous avons rappelé la portée de ces mentions
("disclaimers") dans notre contre-mémoire (contre-mémoire du Tchad, par. 10.18). Un "disclaimer",
chacun le sait, fait obstacle à tout phénomène d’acquiescement ou d’estoppel, mais n’empêche pas
une carte de contribuer à la notoriété générale d’une ligne frontière ou à son absence de notoriété.
J’observe que toutes les cartes de l’ONU sont assorties d’un tel "disclaimer", d’une telle
réserve, aussi bien les cartes publiées avant 1960 que les cartes publiées après 1960. Quant à la
carte géologique libyenne de 1962 qui porte la frontière de 1919, j’ai indiqué expressément la
présence de cette réserve, de ce "disclaimer" lors de ma première plaidoirie sur les cartes et ceci
n’atténue en rien d’ailleurs les observations que je vais vous présenter à ce propos.
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, je donne volontiers acte à M. Sohier de sa
remarque touchant les cartes italiennes de 1926. Ces cartes portent bien la ligne dite
"mathématique". Si je ne les ai pas retenues, c’est parce qu’elles avaient un autre objet, celui
d’illustrer les programmes d’expansion coloniale italienne si chers à nos contradicteurs et que dans
ces cartes "la ligne mathématique" n’est pas indiquée comme une ligne frontière. En tout état de
cause la ligne mathématique disparaît donc en 1926 de toute carte publiée par un des Etats concernés
à un titre ou à un autre par le différend.
Le croquis distribué à la Cour et projeté par M. Sohier, tiré des archives de l’OUA et portant
le no
88 dans le grand livre vert, mérite une mention spéciale. D’abord, ce n’est pas une carte
publiée, je ne l’ai donc pas retenue à ce titre puisque mon critère était celui de la notoriété résultant
de la publication. Ensuite et contrairement à ce que dit M. Sohier ce croquis n’a pas été
produit en annexe à la réplique libyenne. Une carte semblable s’y trouve, la carte LR 33 (réplique de
la Libye, annexes supplémentaires, vol. 2, n
o
2, par. 6) que vous trouverez dans votre dossier
d’audience.
Vous remarquerez sans peine la différence. Sur la carte LR 33, la légende a été supprimée et
les mentions ont été modifiées. En particulier, la ligne indiquée sur la légende du document
authentique comme "frontière du Tchad et de la Libye accords 21 mars 1899 8 septembre 1919
- 53 -
- 54 -
et 10 août 1955" cette légende a été rebaptisée "1919 Anglo-French Convention", ce qui n’est pas
tout à fait la même chose, vous en conviendrez.
Il me semble ici que les cartographes de la Partie libyenne aient fait preuve d’un peu trop de
talent dans la mise en page oserais-je dire la mise en condition du document. La Cour
appréciera.
Un dernier mot sur ce croquis. M. Sohier a observé à son propos : "There is not indication or
record in this case that Chad expressed any objection to this map." (CR 93/28, p. 26.)
Le Tchad n’avait aucune raison d’objecter à ce document conforme à ses thèses puisqu’il
identifie correctement la frontière du Tchad et de la Libye en précisant "accords 21 mars 1899,
8 septembre 1919 et 10 août 1955", ces trois accords définissant une même ligne frontière. Mais,
Monsieur Sohier, la Libye n’a pas objecté non plus. S’il y a acquiescement, Monsieur le Président, à
propos de ce document, c’est là qu’il faut le chercher.
Pour revenir à l’ensemble du matériel cartographique, Monsieur le Président, Messieurs de la
Cour, nous pouvons confirmer nos conclusions de l’autre jeudi, à une nuance près, que je vous
rappelle :
1. Pas une seule carte publiée ne porte la ligne réclamée par la Libye dans ses conclusions,
c’est-à-dire le 15e
parallèle.
2. Pas une seule carte publiée depuis 1926, voilà la correction, ne porte la ligne mathématique.
3. Pas une seule carte publiée depuis l’indépendance des deux Parties ne porte la ligne du
traité de 1935, à l’exception bien entendu des cartes libyennes. Tout au plus, cette ligne est-elle
indiquée en alternative avec la ligne de 1899-1919, encadrant ainsi la bande d’Aouzou.
4. Nous ne relevons pas une seule protestation libyenne contre les très nombreuses cartes
publiées et qui ont été fournies par les Parties, alors que la France, puis le Tchad, ont réservé leurs
droits lorsque quelques cartes ont porté le tracé de la frontière de 1935.
Nous maintenons en conséquence nos conclusions : l’ensemble des cartes produites par les
Parties constitue un élément de preuve concordante à l’appui des dire de la République du Tchad.
- 55 -
Monsieur le Président, je vous remercie pour cette brève attention, j’espère ne pas avoir trop
retenu l’attention de la Cour et je vous prie de passer la parole au professeur Pellet.
The PRESIDENT: Thank you very much, Professor Cot.
Professor Pellet.
M. PELLET : Merci beaucoup, Monsieur le Président.
1. "Lutetia était romaine, donc Paris est italienne ! " "Londinium était romaine, donc, Londres
est italienne !" Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, c’est à peu près ce que la Libye
voudrait faire croire. Encore faut-il noter que, dans cette équation étrange, la première proposition,
au moins, est exacte : Lutetia et Londinium furent, en effet, romaines.
Mes collègues et amis de l’équipe du Tchad ont montré qu’en revanche il n’est pas exact que
le BET, non plus que sa partie septentrionale, la bande d’Aouzou, furent ni ottomanes, ni
"senoussistes" si, du moins, l’on veut bien se rappeler que la Senoussia ne fut pas autre chose qu’une
confrérie religieuse, certes puissante, organisée et, à certains égards éclairée encore qu’elle a fondé
une grande partie de sa prospérité sur l’odieux trafic des esclaves , mais qu’elle ne fut jamais u n
Etat au sens que le droit international donne à ce mot depuis les temps modernes. Le
professeur Shaw l’a rappelé.
2. Bien sûr que le BET n’était pas, pour autant, terra nullius. Mais il n’en résulte nullement,
comme le professeur Higgins l’a montré, qu’il était territoire étatique au moment où la France s’est
assurée de son contrôle exclusif. Ainsi que l’avait admis le roi Victor-Emmanuel III dans l’affaire de
l’Ile de Clipperton "la prise de possession matérielle … est une condition nécessaire de l’occupation"
(RSA, vol. III, p. 1110). Dans le cas du BET, ce fut chose faite à partir de 1913 et, par la suite, les
Français ont occupé effectivement la région immense qui fait aujourd’hui l’objet des convoitises de
la Libye et l’ont administrée à titre de souverain; ce faisant, la France a acquis un titre territorial
conformément au droit international en vigueur à l’époque. Il était détestable ? Certes ! Mais il
était
- 56 -
le droit; ni le Tchad, ni la Libye n’en sont responsables et, comme tant d’autres, ils en ont subi les
conséquences. Mais, Monsieur le Président, nous l’avons déjà dit (cf. CR 93/21, p. 24), on ne refait
pas l’histoire; on en tire des leçons pour l’avenir.
3. Monsieur le Président, les internationalistes connaissent bien la théorie "du meilleur titre",
popularisée par le célèbre arbitrage de Max Huber de 1928 (affaire de l’Ile de Palmas, RGDIP,
1935, voir notamment p. 164 et 201). Mais, en l’espèce, cette théorie ne peut pas jouer : pour que
l’on puisse parler de "meilleur titre", il faut que deux prétentions juridiques soient en présence, l’une
mieux fondée que l’autre; ce n’est pas le cas en l’espèce : à partir de 1913, les Ottomans se sont
retirés, pour toujours, et sans avoir pu affermir le titre qu’aurait pu leur conférer leur occupation
éphémère et la Senoussia au même moment s’est repliée sur Koufra d’où elle n’exercera plus jamais
la moindre influence temporelle sur le BET. Si la Libye entend se placer sur le terrain des
effectivités, elle se trompe de titulaire; le professeur Cassese vient de le montrer : ni les Turcs, ni les
Senoussistes, ni plus tard, les Italiens n’ont exercé la moindre prérogative étatique dans la région
revendiquée par la Libye; et nos contradicteurs peuvent toujours ironiser sur tel ou tel aspect de la
présence française, celle-ci en tout cas, existait bel et bien; surtout si l’on se rappelle que,
conformément à une jurisprudence constante, on ne peut exiger que les manifestations de
souveraineté soient identiques au Groenland ou dans toute autre zone inhospitalière et dans certaines
parcelles frontalières aux confins de la Belgique et des Pays-Bas.
Ce n’est pas de "meilleures effectivités" ou de "meilleur titre" qu’il faut parler : en l’espèce, il
s’agit d’effectivités françaises contre des "ineffectivités" totales de la part de tous les autres
prétendants et cela suffirait à fonder le titre de la France dont le Tchad a hérité.
4. Monsieur le Président, je l’ai dit tout à l’heure en introduisant nos plaidoiries de cette
semaine : nous ne sommes revenus sur tout cela que pour "déblayer le terrain", "to clear the decks".
Il y a plus simple, plus évident : toujours le traité franco-libyen du 10 août 1955 qui reconnaît
clairement l’étendue des souverainetés territoriales respectives de chacune des Parties en définissant
leur frontière commune par référence à un certain nombre d’actes internationaux antérieurs.
- 57 -
La Partie libyenne fait des efforts désespérés pour jeter l’anathème juridique sur ces
instruments de référence :
1) ils ne seraient plus en vigueur à la date de la conclusion du traité; le professeur Cot y
reviendra mercredi;
2) la ligne en résultant serait indécise; de cela je reparlerai demain ou tout à l’heure; et
3) cette ligne ne constituerait pas une frontière.
5. Si l’on se place à la date à laquelle ces traités ont été conclus, nos contradicteurs ont
certainement raison au moins en ce qui concerne le secteur oriental de la frontière, car, à l’ouest,
le fameux segment allant de Toummo au tropique du Cancer était, de longue date, défini comme
constituant une frontière, ainsi qu’en témoignent les cartes de l’époque et comme la France et l’Italie
l’ont reconnu formellement en 1902.
Il reste qu’à l’est, la déclaration franco-britannique de 1899 définissait non pas une frontière,
mais la limite de la zone d’influence française. Nous en sommes d’accord. Mais le temps ne s’est
pas arrêté au 21 mars 1899. Cette ligne, qui n’était pas une frontière à l’origine, l’est devenue : elle
s’est consolidée en même temps que s’affermissait le titre colonial français et que, par l’occupation
effective de la sphère d’influence que lui avaient reconnue la Grande-Bretagne et l’Italie, la France
l’avait transformée en une véritable possession coloniale.
6. M. Maghur conteste ceci au prétexte que "Article 3 of the 1955 Treaty operates to exclude
colonial effectivités in the determination of any boundary pursuant to its terms" (CR 93/27, p. 51).
Voilà qui est singulier.
Le professeur Jean-Pierre Cot avait déjà montré pourquoi l’interprétation du traité de 195
n’excluait pas la prise en considération des effectivités en soulignant les confusions de la thèse
libyenne à ce propos (CR 93/21, p. 74-76). J’y ajouterai seulement une considération plus générale.
Les traités, Monsieur le Président, ne sont pas des parchemins desséchés : ils vivent, ils
évoluent ; et la preuve en est donnée par la règle générale d’interprétation codifiée par l’article 31 de
la convention de Vienne de 1969, qui impose de tenir compte, "en même temps que du
contexte : … b) De toute pratique ultérieurement suivie dans l’application du traité" et, surtout, "c)
- 58 -
De toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties". Dans
un autre contexte, la Cour ne disait pas autre chose lorsque, dans son avis consultatif de 1971 relatif
à la Namibie, elle rappelait que les principes du Pacte de la SdN eux-mêmes devaient être interprétés
en fonction de "l’évolution que le droit a ultérieurement connue" et "dans le cadre de l’ensemble du
système juridique en vigueur au moment où l’interprétation a lieu" (C.I.J. Recueil 1971, p. 31) ou
lorsque la Cour disait également, à propos du concept de "statut territorial" tel qu’il était visé dans
l’instrument d’adhésion de la Grèce de 1931 à l’acte général d’arbitrage, en 1978 : "il faut
nécessairement présumer que son sens était censé évoluer avec le droit et revêtir à tout moment la
signification que pourraient lui donner les règles en vigueur" (Plateau continental de la mer Egée,
C.I.J. Recueil 1978, p. 32).
Ces considérations s’imposent d’autant plus fortement s’agissant de la déclaration de 1899
qu’elle définissait une sphère d’influence et le professeur Crawford a, très justement, convenu que
des accords de ce type ne sont que des "pas", des "préludes" vers la souveraineté territoriale
(CR 93/19, p. 50). Face à une situation évolutive par essence, une interprétation évolutive s’impose
en fonction de l’évolution envisagée par l’accord de sphère d’influence : si celle-ci se consolide en
possession coloniale, la limite, que fixait l’accord, devient frontière et il serait tout à fait incongru de
n’en point tenir compte.
7. Du reste, l’article 3 du traité du 10 août 1955 apporte lui-même la réponse à l’objection
soulevée par M. Maghur : il renvoie à la date critique de 1951 en parlant "des actes internationaux
en vigueur à la date de la constitution du Royaume de Libye". C’est donc à cette date qu’il faut se
placer pour interpréter ces instruments or, à cette date, la limite de la zone d’influence française fixée
par la déclaration de 1899 était sans aucun doute devenue depuis longtemps une frontière
internationale.
Au surplus, il est assez paradoxal de voir la Libye tenter d’empêcher le Tchad d’interpréter les
actes de référence mentionnés par l’annexe I au traité de 1955 à la lumière des effectivités, alors que
c’est elle-même, qui affirme pourtant vouloir appliquer ce traité, qui recourt à tous les articles et,
notamment, au traité de 1935, qui n’y est pas cité, qui n’a jamais été ratifié, pour, j’ose à peine dire
- 59 -
"interpréter" le traité franco-libyen de 1955, mais, plutôt, pour le vider de toute substance.
8. J’ai abordé ces problèmes en "introduction" à la deuxième partie de nos plaidoiries car ils
concernent à la fois les deux sections de cette partie, que le professeur Cassese et moi vous
présenterons.
Ceci étant dit, Monsieur le Président, tout cela n’a qu’une importance secondaire : l’annexe I
au traité de 1955 énumère six actes internationaux en vigueur et, par l’article 3, "les deux Hautes
Parties contractantes reconnaissent que les frontières séparant" l’AEF (c’est-à-dire le Tchad) et la
Libye en résultent. Il est, pour le moins, hasardeux de prétendre, comme le font nos contradicteurs,
que la ligne résultant de ces accords ne constituent pas une frontière : le texte du traité, que je me
suis borné à citer, dit très exactement le contraire !
9. Parmi les textes auxquels se réfèrent l’article 3 et l’annexe I du traité du 10 août 1955, trois
sont nécessaires et suffisants pour déterminer le tracé de la frontière :
la d éclaration franco-britannique du 21 mars 1899,
la convention suppl émentaire, franco-britannique également, du 8 septembre 1919, et
l’ échange de lettres franco-italien du 1er novembre 1902.
M. Sohier, mercredi dernier, s’est étonné de cette énumération : si la convention de 1919
indique la même ligne que celle de 1899, ou si, en vertu du principe lex posterior, la seconde, celle
de 1919, doit, de toutes façons, l’emporter sur la première, celle de 1899, "why in the world did
Article 3 and Annexe I not simply say so by providing that the parties accepted the 1919 line as
Libya’s southern boundary" (CR 93/28, p. 16-17). Je suis surpris que la réponse ait échappé à mon
contradicteur ; elle est pourtant très simple : le point d’aboutissement de la ligne fixée en 1899 et
confirmée en 1919 est, en effet, identique à ces deux dates ; il s’agit de l’intersection entre
le 24e
degré de longitude est de Greenwich et le parallèle 19o
30’ de latitude. Mais l’interprétation
donnée par la convention supplémentaire de 1919 concerne exclusivement cette extrémité orientale de
la frontière ; en revanche, la convention de 1919 est muette sur le point de départ de la ligne : d’où la
nécessité de mentionner aussi la déclaration de 1899 faute de quoi la description de la frontière
tchado-libyenne n’eût pas été complète.
- 60 -
- 61 -
Je remarque en passant que ceci confirme que les négociateurs du traité de 1955 ont pris grand
soin de définir une frontière continue dont aucun secteur ne devait demeurer indéterminé.
En revanche, il va de soi que le traité Laval-Mussolini de 1935 ne pouvait pas figurer parmi
les actes auxquels renvoie l’accord de 1955, pour la simple raison que le traité de 1935 n’est jamais
entré en vigueur et qu’une référence à ce texte mort-né eût été à l’origine, pour le coup, d’une grave
confusion. La France et la Libye l’ont d’ailleurs exclu en toute connaissance de cause de
l’énumération. La ligne que trace le traité de 1935 est évidemment différente de celle résultant des
accords antérieurs puisqu’il s’agissait bien d’une cession de territoire comme le rappellera demain le
professeur Cassese.
10. Ce sont donc bien trois actes de référence qu’il faut étudier, et non point deux comme l’a
suggéré M. Sohier. Je m’y attacherai dans un premier temps, si vous le voulez bien, Monsieur le
Président, tandis que M. Cassese, qui me succédera, analysera les effectivités coloniales de la France
jusqu’en 1955 et montrera qu’elles confirment les titres conventionnels dont la France entend se
prévaloir.
Well now, Mr. President, I am ready to go on but my pleading will be of quite a different
character and it has not been circulated to the Registry, so maybe it would be better to stop here.
The PRESIDENT : If you wish, Professor Pellet, we can go on for another 10 minutes if you
would prefer that, but perhaps as you are giving us some more papers tomorrow, perhaps we should
wait. So 10 o’clock tomorrow morning. Thank you.
The Court rose at 12.50 p.m
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Public sitting held on Monday 12 July 1993, at 10 a.m., at the Peace Palace, President Sir Robert Jennings presiding