C 4/CR 91/41
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LA HAYE THE HAGUE
YEAR 1991
Public sitting of the Chamber
held on Wednesday 5 June 1991, at 4 p.m., at the Peace Palace,
Judge Sette-Camara, President of the Chamber, presiding
in the case concerning the Land, Island and Maritime Frontier Dispute
(El Salvador/Honduras: Nicaragua intervening)
VERBATIM RECORD
ANNEE l991
Audience publique de la Chambre
tenue le mercredi 5 juin 1991, à 16 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de M. Sette-Camara, président de la Chambre
en l'affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime
(El Salvador/Honduras; Nicaragua (intervenant))
COMPTE RENDU
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Present:
Judge Sette-Camara, President of the Chamber
Judges Sir Robert Jennings, President of the Court
Oda, Vice-President of the Court
Judges ad hoc Valticos
Torres Bernárdez
Registrar Valencia-Ospina
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Présents :
M. Sette-Camara, président de la Chambre
Sir Robert Jennings, Président de la Cour
M. Oda, Vice-Président de la Cour, juges
M. Valticos
M. Torres Bernárdez, juges ad hoc
M. Valencia-Ospina, Greffier
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The Government of El Salvador is represented by:
Dr. Alfredo Martínez Moreno,
as Agent and Counsel;
H. E. Mr. Roberto Arturo Castrillo, Ambassador,
as Co-Agent;
and
H. E. Dr. José Manuel Pacas Castro, Minister for Foreign Relations,
as Counsel and Advocate.
Lic. Berta Celina Quinteros, Director General of the Boundaries'
Office,
as Counsel;
Assisted by
Prof. Dr. Eduardo Jiménez de Aréchaga, Professor of Public
International Law at the University of Uruguay, former Judge and
President of the International Court of Justice; former President
and Member of the International Law Commission,
Mr. Keith Highet, Adjunct Professor of International Law at The
Fletcher School of Law and Diplomacy and Member of the Bars of
New York and the District of Columbia,
Mr. Elihu Lauterpacht C.B.E., Q.C., Director of the Research Centre
for International Law, University of Cambridge, Fellow of Trinity
College, Cambridge,
Prof. Prosper Weil, Professor Emeritus at the Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
Dr. Francisco Roberto Lima, Professor of Constitutional and
Administrative Law; former Vice-President of the Republic and
former Ambassador to the United States of America.
Dr. David Escobar Galindo, Professor of Law, Vice-Rector of the
University "Dr. José Matías Delgado" (El Salvador)
as Counsel and Advocates;
and
Dr. Francisco José Chavarría,
Lic. Santiago Elías Castro,
Lic. Solange Langer,
Lic. Ana María de Martínez,
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Le Gouvernement d'El Salavador est représenté par :
S. Exc. M. Alfredo Martínez Moreno
comme agent et conseil;
S. Exc. M. Roberto Arturo Castrillo, Ambassadeur,
comme coagent;
S. Exc. M. José Manuel Pacas Castro, ministre des affaires
étrangères,
comme conseil et avocat;
Mme Berta Celina Quinteros, directeur général du Bureau des
frontières,
comme conseil;
assistés de :
M. Eduardo Jiménez de Aréchaga, professeur de droit international
public à l'Université de l'Uruguay, ancien juge et ancien
Président de la Cour internationale de Justice; ancien président
et ancien membre de la Commission du droit international,
M. Keith Highet, professeur adjoint de droit international à la
Fletcher School de droit et diplomatie et membre des barreaux de
New York et du District de Columbia,
M. Elihu Lauterpacht, C.B.E., Q.C., directeur du centre de recherche
en droit international, Université de Cambridge, Fellow de Trinity
College, Cambridge,
M. Prosper Weil, professeur émérite à l'Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
M. Francisco Roberto Lima, professeur de droit constitutionnel et
administratif; ancien vice-président de la République et ancien
ambassadeur aux Etats-Unis d'Amérique,
M. David Escobar Galindo, professeur de droit, vice-recteur de
l'Université "Dr. José Matías Delgado" (El Salvador),
comme conseils et avocats;
ainsi que :
M. Francisco José Chavarría,
M. Santiago Elías Castro,
Mme Solange Langer,
Mme Ana María de Martínez,
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Mr. Anthony J. Oakley,
Lic. Ana Elizabeth Villata,
as Counsellors.
The Government of Honduras is represented by:
H.E. Mr. R. Valladares Soto, Ambassador of Honduras to the
Netherlands,
as Agent;
H.E. Mr. Pedro Pineda Madrid, Chairman of the Sovereignty and
Frontier Commission,
as Co-Agent;
Mr. Daniel Bardonnet, Professor at the Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
Mr. Derek W. Bowett, Whewell Professor of International Law,
University of Cambridge,
Mr. René-Jean Dupuy, Professor at the Collège de France,
Mr. Pierre-Marie Dupuy, Professor at the Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
Mr. Julio González Campos, Professor of International Law,
Universidad Autónoma de Madrid,
Mr. Luis Ignacio Sánchez Rodríguez, Professor of International Law,
Universidad Complutense de Madrid,
Mr. Alejandro Nieto, Professor of Public Law, Universidad
Complutense de Madrid,
Mr. Paul De Visscher, Professor Emeritus at the Université de
Louvain,
as Advocates and Counsel;
H.E. Mr. Max Velásquez, Ambassador of Honduras to the United Kingdom,
Mr. Arnulfo Pineda López, Secretary-General of the Sovereignty and
Frontier Commission,
Mr. Arias de Saavedra y Muguelar, Minister, Embassy of Honduras to
the Netherlands,
Mr. Gerardo Martínez Blanco, Director of Documentation, Sovereignty
and Frontier Commission,
Mrs. Salomé Castellanos, Minister-Counsellor, Embassy of Honduras to
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the Netherlands,
M. Anthony J. Oakley,
Mme Ana Elizabeth Villata,
comme conseillers.
Le Gouvernement du Honduras est représenté par :
S. Exc. M. R. Valladares Soto, ambassadeur du Honduras à La Haye,
comme agent;
S. Exc. M. Pedro Pineda Madrid, président de la Commission de
Souveraineté et des frontières,
comme coagent;
M. Daniel Bardonnet, professeur à l'Université de droit, d'économie
et de sciences sociales de Paris,
M. Derek W. Bowett, professeur de droit international à l'Université
de Cambridge, Chaire Whewell,
M. René-Jean Dupuy, professeur au Collège de France,
M. Pierre-Marie Dupuy, professeur à l'Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
M. Julio González Campos, professeur de droit international à
l'Université autonome de Madrid,
M. Luis Ignacio Sánchez Rodríguez, professeur de droit international
à l'Université Complutense de Madrid,
M. Alejandro Nieto, professeur de droit public à l'Université
Complutense de Madrid,
M. Paul de Visscher, professeur émérite à l'Université catholique de
Louvain,
comme avocats-conseils;
S. Exc. M. Max Velásquez, ambassadeur du Honduras à Londres,
M. Arnulfo Pineda López, secrétaire général de la Commission de
Souveraineté et de frontières,
M. Arias de Saavedra y Muguelar, ministre de l'ambassade du Honduras
à La Haye,
M. Gerardo Martínez Blanco, directeur de documentation de la
Commission de Souveraineté et de frontières,
Mme Salomé Castellanos, ministre-conseiller de l'ambassade du
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Honduras à La Haye,
Mr. Richard Meese, Legal Advisor, Partner in Frère Cholmeley, Paris,
as Counsel;
Mr. Guillermo Bustillo Lacayo,
Mrs. Olmeda Rivera,
Mr. José Antonio Gutiérrez Navas
Mr. Raul Andino,
Mr. Miguel Tosta Appel
Mr. Mario Felipe Martínez,
Mrs. Lourdes Corrales,
as Members of the Sovereignty and Frontier Commission.
The Government of Nicaragua is represented by:
H. E. Mr. Carlos Argüello Gómez
as Agent and Counsel;
H. E. Mr. Enrique Dreyfus Morales, Minister for Foreign Affairs;
Assisted by
Mr. Ian Brownlie, Q.C., F.B.A., Chichele Professor of Public
International Law, University of Oxford; Fellow of All Souls
College, Oxford,
as Counsel and Advocate;
and
Dr. Alejandro Montiel Argüello, Former Minister for Foreign Affairs,
as Counsel.
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M. Richard Meese, conseil juridique, associé du cabinet Frère
Cholmeley, Paris,
comme conseils;
M. Guillermo Bustillo Lacayo,
Mme Olmeda Rivera,
M. José Antonio Gutiérrez Navas
M. Raul Andino,
M. Miguel Tosta Appel,
M. Mario Felipe Martínez,
Mme Lourdes Corrales,
comme membres de la Commission de Souveraineté et des frontières.
Le Gouvernement du Nicaragua est représenté par :
S. Exc. M. Carlos Argüello Gómez
comme agent et conseil;
S. Exc. M. Enrique Dreyfus Morales, ministre des affaires étrangères;
assisté par
Mr. Ian Brownlie, Q.C., F.B.A., professeur de droit international
public à l'Université d'Oxford, titulaire de la chaire Chichele,
Fellow de l'All Souls College, Oxford,
comme conseil et avocat;
et
Dr. Alejandro Montiel Argüello, ancien ministre des affaires
étrangères,
comme conseil.
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The PRESIDENT: Please be seated. The sitting is resumed. I give the floor to Professor
René-Jean Dupuy.
M. R. -J. DUPUY : Je vous remercie, Monsieur le Président.
Monsieur le Président, Messieurs les Membres de la Chambre, je prends la parole le premier
cet après-midi. Les deux conseils du Honduras qui prendront cette parole le feront dans des
conditions un peu précipitées, mais nous avons souhaité, par égard pour la Chambre, ne pas alourdir
la procédure orale et rassembler autant que faire se pouvait les réponses que nous avons à présenter
sur les points essentiels des objections que nous avons entendues hier et ce matin.
En ce qui me concerne, il me revient de me préoccuper de cette tentative constante, persistante
d'El Salvador, de rendre opposable à la République du Honduras la sentence de 1917 et la solution
juridique qu'elle avait consacrée. A cet égard, je crois pouvoir retirer trois points parmi les exposés
qui nous ont été faits : en premier lieu, on invoque à notre encontre la res judicata; en second lieu,
c'est l'invocation de la Constitution d'El Salvador et en troisième lieu, c'est l'invocation de la portée
au fond de la sentence dans la mesure où elle concerne la notion de baie historique et la nature des
eaux qui s'y trouvent.
En premier lieu, quant à l'opposabilité formelle de la sentence sur la base de la chose jugée, la
Cour me permettra d'exprimer une certaine surprise, car nous pensions que ce problème était déjà
suffisamment traité pour que nous n'ayons pas à y revenir. En effet, comme j'ai déjà eu l'honneur de
le rappeler à la Chambre avant-hier, El Salvador a fait appel à diverses théories et à ce point de vue
a même changé à plusieurs reprises son moyen, l'articulation des moyens qu'il avait décidé
d'entreprendre. Et c'est ainsi qu'en premier lieu, à titre originel, il avait invoqué la nature même
de la Cour centraméricaine de justice, son caractère intégré, super-étatique, supra-national, qui
devrait entraîner une autorité absolue de toutes ces sentences. J'ai déjà eu l'occasion à diverses
reprises, par écrit et oralement avant-hier, d'indiquer que c'était là un argument qui ne tient pas,
parce que dans tous les systèmes intégrés le principe de l'autorité relative de la chose jugée existe; il
existe aussi dans la Communauté économique européenne qui, à ma connaissance, est un système
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d'intégration très poussé, plus poussé que ne l'était les rapports entre les républiques d'Amérique
centrale à l'époque, car le seul instrument d'intégration n'était constitué que par la Cour de l'époque.
Il n'y avait pas par ailleurs tout l'appareil, tout l'équipage institutionnel qui fait la Communauté
économique européenne, mais de surcroît je rappellerai à la Chambre que l'Etat qui est de tous les
systèmes intégrés celui qui est le plus poussé, lorsqu'un de ces tribunaux prend une décision, ne
saurait ignorer que celle-ci n'a d'effet qu'entre les parties; et tous les codes de nos Etats de la
communauté internationale consacrent le principe de l'autorité relative de la chose jugée. Elle est
donc valable également dans le cadre de cette Cour centraméricaine de justice.
C'est la raison pour laquelle, dans ces conditions, le Salvador a été porté à changer de moyen
et à utiliser la théorie des traités objectifs, théorie désuète en droit des traités et de toute façon,
comme je le rappelais également avant-hier, au paragraphe 6.86 de sa réplique, le Salvador a
renoncé à ce moyen, dont il a perçu à ce stade de la réplique qu'il était vraiment insoutenable. Il a
alors fait appel à une autre théorie, celle de la solution que l'on pourrait tirer d'une coutume locale,
coutume locale qui existerait entre les trois Etats; mais là encore, fort de la jurisprudence de la Cour
internationale de Justice, notamment dans l'affaire du Droit de passage sur territoire indien, je
crois qu'on peut rejeter cette argumentation, qui tendrait à vouloir fonder une notion de condominium
indépendante de la sentence de 1917, comme ce matin le conseil du Salvador a tenté de rechercher
une telle voie; mais là encore, non seulement l'article 38 b) de votre Statut, mais votre sentence dans
l'affaire du Passage sur territoire indien a montré que la coutume n'est jamais que la preuve d'une
pratique acceptée comme étant de droit, et cet élément consensuel de l'acceptation prend une valeur
accentuée encore; bien entendu, lorsqu'il s'agit d'une coutume régionale, ou à fortiori d'une coutume
locale entre deux Etats ou trois Etats, comme votre sentence de 1960 l'avait observée.
Comment dans ces conditions, comment à défaut d'une commune acceptation du condominium
entre les trois Etats, cette solution qui est refusée par deux d'entre eux pourrait-elle se fonder sur une
coutume locale ?
Si bien que ce matin, et surtout hier, nous avons vu les très honorables porte-parole de la
République d'El Salvador revenir à la source première, à la source originelle de leur argumentation
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en matière d'opposabilité de la sentence, c'est-à-dire à se fonder sur la sentence elle-même en
indiquant que tout compte fait il s'agit là d'une juridiction dont le statut lui-même prévoyait qu'un
appui moral devait être apporté à l'exécution des sentences par l'ensemble des pays d'Amérique
centrale. Et là encore, je ne pense pas que j'aie beaucoup à insister sur ce type d'arugment; il est
clair que l'appui moral - et le mot "moral" est à cet égard suffisamment explicite - se comprenait
entre Etats qui entendaient nouer entre eux des relations amicales, entre Etats qui dans ces conditoins
pouvaient estimer que l'idée majeure qui devait les inspirer, c'était que lorsqu'une sentence qui
intéressait un conflit, un litige bilatéral, auquel les autres pays n'étaient absolument pas intéressés,
pouvait les amener à manifester une certaine pression morale sur un des Etats récalcitrants dans
l'application de cette sentence, pour l'inciter à lui donner suite. Tout cela fait partie des relations
pacifiques et amicales entre les Etats. Mais il est clair également, car cela tombe sous le bon sens,
faute de quoi la notion d'effet relatif des jugements n'aurait plus aucun sens, il est clair aussi, dis-je,
que si par hasard un des pays centraméricains, au lieu de n'éprouvrer qu'intérêt général à ce que cette
partie du monde entretienne de bonnes relations entre les divers pays qui en font partie, se sent au
contraire menacé dans ses intérêts personnels précis par une sentence, il ne saurait être question pour
lui d'y apporter son appui. Il convient au contraire à ce moment-là, il a une obligation bien sûr, il a
une obligation en tant que partie au statut de cette Cour centraméricaine, et son obligation consiste à
faire savoir à celle-ci que certes l'affaire, il n'en est pas lui-même une des parties, mais qu'elle peut
avoir pour lui des conséquences.
Alors, sans même demander à intervenir dans l'instance, ce qui est un stade plus poussé, bien
entendu, pour lui, de marquer éventuellement combien son intérêt lui importe, il lui suffit d'attirer
l'attention de la Cour sur le fait qu'elle pourrait peut-être être amenée à ignorer que dans cette
affaire-là il a lui-même une position juridique. Et c'est ce qu'a fait, très bien à cet égard, le
Honduras, lorsqu'il a non seulement envoyé une note diplomatique à El Salvador, mais adressé copie
de celle-ci à la Cour qui en a pris acte. Et évidemment on ne saurait prétendre qu'en adressant copie
de cette note il est devenu partie à l'affaire, ce qui n'est évidemment pas le cas, et on ne saurait
prétendre non plus qu'il s'agissait d'une intervention, car il n'a jamais demandé à intervenir à
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l'instance, il n'y a jamais paru. Et d'ailleurs la Cour elle-même a toujours reconnu dans sa sentence
que le Honduras n'était pas partie à celle-ci, et j'ajouterai, ce que je n'avais pas dit jusqu'ici, que le
secrétaire-greffier de cette juridiction a adressé, le 14 juillet 1917, au Nicaragua une note
interprétative dans laquelle il déclare que le droit du Honduras dans les eaux non territoriales est
demeuré expressément sauf, ce pays n'étant pas partie à l'affaire.
Bien entendu, il y aurait des réserves à faire sur la terminologie qui fait appel à des notions
d'eaux territoriales. Ce n'est pas encore pour moi l'instant de les formuler; je me réserve la
possibilité de le faire un peu plus tard, aujourd'hui même. En tout cas la sentence - telle que le
greffier en fait l'interprétation dans cette note qui se qualifie d'interprétative -, la sentence déclare que
les droits du Honduras sont saufs. Donc je ne crois pas que l'on puisse encore longtemps retenir
l'attention de votre Chambre par l'exposé et la discussion de ce type d'argumentation.
J'aborde le second domaine de l'argumentation d'El Salvador, qui concerne le fait que la
Constitution de ce pays lui ferait certaines obligations dans le domaine des négociations
internationales et notamment, étant donné que cette Constitution a incorporé la sentence et, par voie
de conséquence la solution du condominium qu'elle consacre, il en résulterait que les autorités
salvadoriennes n'auraient pas compétence pour négocier un compromis pouvant aller à l'encontre,
par les suites judiciaires qu'il comporte, de la notion de condominium. Autrement dit, la Constitution
ayant une valeur de loi première pour les autorités d'un Etat, celles-ci n'auraient pas le pouvoir de
négocier un tel compromis.
Ce recours à la Constitution, interne donc par définition, d'El Salvador répond à deux
objectifs. Le premier objectif est de prétendre que la conclusion d'un compromis, qui pouvait aboutir
à une délimitation d'une manière ou d'une autre, était interdite aux autorités salvadoriennes, et
qu'elles n'ont donc pas pu y procéder. Et cela rejoint cette idée que l'on ne peut pas envisager, dès
lors, de remettre en question, sur la base du droit constitutionnel salvadorien, la solution du
condominium qu'il a incorporé à ses dispositions. Mais, dans ces conditions, on est amené à
observer et à se poser une question qui ne manque pas d'importance : c'est que la Constitution
d'El Salvador, que l'on invoque, était déjà en vigueur une année plus tôt. Elle était déjà en vigueur
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en 1985, date à laquelle le Président de la République d'El Salvador, lui-même, n'a pas hésité à
proposer une délimitation précise dont la Cour a pu constater, hier ici-même, le tracé. Faut-il donc
ternir la mémoire du président Duarte, et sembler laisser entendre qu'il aurait méconnu la
Constitution de son pays ?
Le second objectif de ce recours à l'argument constitutionnel est, bien sûr, de rendre opposable
le condominium au Honduras et, à cet égard, on remarquera que S.Exc. M. le ministre des affaires
étrangères d'El Salvador a, dans son intervention, précisé que
"Quoique le mot 'condominium' n'ait pas été employé, la référence à une baie historique
sujette à un régime spéciale a toujours été comprise, au Salvador, comme se rapportant au
contenu du jugement de 1917 tel qu'il fut incorporé dans la Constitution salvadorienne."
Nous pourrions observer que lorsque l'on fait référence au caractère particulier de la baie historique
du golfe de Fonseca, dans la doctrine en général et chez Gidel en particulier, ce caractère spécial
concerne le fait qu'elle ne compte pas un riverain mais trois riverains.
Sans insister sur ce point, je dirai que ce que qui est remarquable dans la démarche
d'El Salvador, c'est qu'il soutient, il prétend faire de sa Constitution qui, par excellence, est un acte
de droit interne, il prétend en faire une source d'obligations, dans l'ordre juridique international, pour
les Etats tiers, et leur imposer une interprétation unilatérale et, par voie de conséquence, arbitraire,
interprétation d'après laquelle le condominium et la baie historique voudraient dire exactement la
même chose. Nous avons déjà relevé amplement cette tendance des écritures et aujourd'hui des
plaidoyers d'El Salvador pour mettre sur le même pied comme des équivalences le condominium et
baies historiques. Je n'y reviens donc pas non plus mais en réalité je n'y reviens pas parce que,
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, nous sommes ici dans la plus haute juridiction de
l'ordre juridique international et nous avons une raison absolue pour ne pas prêter attention à la
constitution d'un Etat quelque soit le respect que nous portons à l'égard des Etats qui composent la
communauté internationale. En effet, d'après votre jurisprudence, d'après la jurisprudence de la
Cour permanente de Justice internationale d'abord, de la vôtre ensuite, confirmée par toutes les
décisions de toute sorte qui sont intervenues dans l'ordre international et par la doctrine tous les actes
normatifs de droit interne ne sont que de simples faits au regard du droit international, au regard du
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juge international. Il n'est pas besoin d'invoquer les mânes d'Anzilotti pour rappeler ce principe,
mais si j'évoque ce nom prestigieux c'est simplement pour évoquer l'ancienneté de cette règle qui ne
souffre aucune contestation. Il ne convient donc pas de s'y attarder davantage.
Alors j'en arrive au troisième point que je dois maintenant développer.
Les porte-parole du Salvador nous ont présenté des exposés qui recèlent une contradiction à
nos yeux fondamentale. D'une part, ils déclarent que le golfe de Fonseca a le caractère d'une baie
historique ce que nous avons toujours reconnu nous-mêmes. Mais d'autre part, alors que le droit
positif considère que les eaux des baies historiques sont des eaux d'intérieures ils soutiennent qu'il
s'agit de mer territoriale. A dire vrai, et tout cela se passe dans un contexte dont nous avons pu
apercevoir ce matin est qu'il repose sur un certain nombre de supputations, de suppositions car le
conseil qui prenait la parole à cette barre le disait en toute franchise, disait qu'il présumait, qu'il
supposait, il se livrait autrement dit à un certain nombre de spéculations dans le meilleur sens du
terme, bien entendu, et on pourrait en dégager trois séries. D'une part, des suppositions sur
l'emplacement de la baie qui ne serait pas tellement certain et même à propos en second lieu de
l'interprétation de la convention Cruz-Letona il se demandait si les eaux qui le composent sont bien
des eaux du Pacifique. De toute façon, pour ce qui est du détail de cette interprétation de ce traité
Cruz-Letona il a dû convenir ce que nous regrettons tout autant que lui que nous ne disposions ni les
uns ni les autres des cartes correspondant à cet accord qui d'ailleurs comme le sait la Chambre ne fut
pas ratifié. Si bien qu'on ne peut guère aller très loin dans la suite de ces suppositions.
Enfin, en troisième lieu, la dernière spéculation, porte sur la définition même de la baie
historique et c'est là que l'on retrouve cette contradiction que je viens d'indiquer entre la qualification
du golfe comme baie historique mais entre, par ailleurs, le refus de voir dans ces eaux des eaux ayant
le caractère d'eaux intérieures. Alors je vais reprendre ces deux points. Premier point de la
contradiction, El Salvador prétend tirer avantage de l'acceptation par le Honduras de la qualification
de baie historique que la sentence de 1917 a donné à la bahia de Fonseca. Comment espère-t-il en
tirer avantage contre nous en nous disant : le Honduras accepte cette qualification de baie historique.
C'est donc qu'il se soumet à la sentence de 1917. Vous voyez bien qu'il obéit à la Cour
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centraméricaine. Nous serions ainsi soumis à cette sentence et puisque nous dirions comme elle en
ce qui concerne cette qualification de baie historique. Je dois tout de même reconnaître à cet égard
que cette manière de vouloir rendre opposable au Honduras une simple coincidence ne saurait, je
dois l'avouer, avoir à nos yeux de grandes conséquences. En effet, le Salvador commet à nos yeux
une erreur très grave. C'est qu'il raisonne comme si la Cour centraméricaine de Justice avait inventé
la notion de baie historique. Il raisonne comme si dans ces conditions admettre une catégorie
juridique issue de sa propre création à cette Cour serait donc se considérer comme lier par elle. En
réalité El Salvador ne parvient jamais à faire une distinction qui pourtant nous semble essentielle,
une distinction entre deux types de sentences comme d'ailleurs deux types d'actes juridiques. Cela
rejoint la théorie générale des actes juridiques, l'observation que je vais avoir l'honneur de présenter à
cette Chambre. Certaines sentences ont une valeur déclarative. C'est-à-dire qu'elles constatent; la
valeur déclarative s'analyse dans la constation d'un fait, d'une situation juridique, tandis que d'autres
sentences ont une valeur constitutive. Cela veut dire qu'elles créent une situation qui n'existait donc
pas avant elles. Et la différence entre les deux types est évidemment très grande puisque l'acte
déclaratif constate une situation reconnue par le droit avant que cette constatation ne soit intervenue.
Et la sentence déclarative se rallie ainsi à cette reconnaissance par le droit international qui a déjà
qualifié une situation déterminée sur tel ou tel point du globe. Et ce ce qu'a fait la Cour
centraméricaine lorsqu'elle a constaté que la baie de Fonseca est bien une baie historique. En
revanche, lorsque la même Cour dit que le golfe est placé sous un régime de condominium, elle fait
un acte constitutif; elle ne le créé dans ces conditions - cet acte - qu'à l'intérieur de l'ordre juridique
existant entre les Parties à l'affaire présentée devant elle. Et dans la présente affaire, celle que nous
discutons en ce moment, El Salvador voudrait considérer tout ce que fait la Cour centraméricaine;
tout ce qu'elle a fait comme ayant une valeur erga omnes. Et si nous nous reportions à son
contre-mémoire, nous pourrions constater à notre tour qu'il déclare que ces sentences doivent être
respectées par tous les Etats du monde, et à plusieurs reprises, nous avons entendu que nous-mêmes
nous serions liés par elles. Malheureusement, il ne veut pas voir que lorsque la Cour constate que le
golfe est une baie historique, elle se contente de reconnaître une situation juridique existant avant sa
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sentence; et qui est reconnue par les Etats riverains comme par les Etats qui composent la
communauté internationale. Alors que tout au contraire, lorsqu'elle veut ériger le golfe en
condominium, elle fait un acte qui ne s'impose qu'aux Parties au différend. Le golfe de Fonseca a
pris le caractère de baie historique non pas à partir de la sentence de 1917, mais il a pris ce caractère
avec la création des trois Etats à partir de leur accession à l'indépendance après la dissolution de la
République fédérale d'Amérique centrale.
Et donc, ce n'est pas de la sentence que résulte la souveraineté de chacun des trois Etats sur les
eaux de la baie. Elle est bien antérieure à ce jugement qui est intervenu d'ailleurs entre deux
riverains seulement, puisque en définitive, on se trouve ici, en présence d'un état de faits qui lui était
antérieur.
Ainsi vous le voyez, et nous avions déjà d'ailleurs présenté ce que j'avance ici dans nos
écritures comme à cette barre avant hier, une baie historique comme son nom l'indique, est le produit
de l'histoire. Elle s'est créée pour le golfe de Fonseca durant le XIXe
siècle à raison d'une pratique
qui est la pratique des Etats riverains qui ont toujours revendiqué ce caractère de baie historique, ils
ont toujours été d'accord là dessus, et d'autre part à raison aussi de l'acquiescement des autres Etats
de la communauté internationale. Elle ne peut donc pas découler d'un jugement qui ne lie d'ailleurs
seulement que deux Etats sur trois.
Ce qui fait donc la baie historique, ce n'est pas une décision quelle qu'elle soit, ce n'est pas une
décision judiciaire, c'est une pratique qui concerne les Etats riverains de cette baie et l'acquiescement
international.
Ce point étant réglé, nous devons maintenant constater que la reconnaissance par le Salvador
du golfe comme baie historique entraîne dans sa vision des conséquences pour le moins inattendues.
C'est le second et dernier point, Monsieur le Président, Messieurs de la Chambre, que je vais avoir
l'honneur de développer maintenant.
El Salvador a présenté ici même, à cette barre, une analyse des eaux du golfe qui apparaît
comme une attitude nouvelle - et ici, je dois le marquer, avec une certaine insistance - c'est une
attitude nouvelle de la part d'El Salvador. Ces eaux sont déclarées par lui mer territoriale. Mais,
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c'est précisément de cela que résulte la nouveauté de l'attitude. En effet, jusqu'ici le Salvador a
toujours eu, jusqu'à une époque très récente, une attitude différente. Il était en accord sur ce point
avec le Honduras puisque, encore lors de la réunion des 23 et 24 mai 1985 de la commission mixte
des limites, le Salvador déclarait, s'agissant des eaux du golfe de Fonseca :
"les deux Etats, le Salvador et le Honduras, déclarent que le golfe de Fonseca est une baie
historique et, de plus, qu'elle possède tous les caractères d'une mer fermée. Reconnues comme
telles, ces eaux sont intérieures." (MH, annexe 5, p. 301.)
Donc, nous assistons à une novation dans l'interprétaiton qu'El Salvador donne de la sentence
de 1917, telle qu'elle nous a été présentée hier par S.Exc. M. le Ministre des affaires étrangères.
Il a en effet beaucoup insisté sur le fait repris ce matin à cette barre même par mon distingué
confrère, conseil du Salvador, qu'une interprétation possible, a-t-on dit, est semble-t-il vraisemblable,
a-t-on ajouté. Je reconnais que ces termes relèvent, comme je l'indiquais tout à l'heure, plutôt de la
supposition que de l'affirmation pratique, mais ce matin il m'a semblé tout de même que l'on était
beaucoup plus affirmatif et que ce statut réside dans la reconnaissance par la justice, la juridiction
centraméricaine, d'eaux territoriales comme eaux du golfe de Fonseca.
Je dois faire un aveu à la Chambre. Nous ne connaissons pas de baie historique ayant des
eaux territoriales. Alors, me direz-vous, vous persistez dans ce qu'on a appelé votre équation : baie
historique/eaux intérieures. Je persiste et signe ! Pourquoi ? Parce que, Monsieur le Président,
Messieurs les Membres de la Chambre, le droit ne se prête pas aux états d'âme ! Lorsque le droit a
parlé, il convient pour le juriste de le respecter, de le suivre. Or, c'est votre Cour, c'est la Cour
internationale de Justice, dans l'affaire des Pêcheries norvégiennes en 1951, sentence qui a tant de
fois fait l'objet dans divers commentaires de l'admiration de tous ceux qui se sont penchés sur elle,
qui a bien affirmé cette équation. Ce n'est pas moi qui l'ai découverte dans mes cogitations
personnelles ! Et je m'y tiens. Et pas seulement moi !
Cependant, je pourrais admettre après tout que des baies aient des eaux territoriales si des
circonstances tout à fait particulières se produisaient, mais il y a baie et baie. Toutes les baies ne
sont pas historiques. Lorsque les baies sont historiques, leurs eaux sont intérieures. Alors, à cet
égard, je voudrais me permettre d'attirer très respectueusement l'attention de tous sur une distinction
- 19 -
qu'il convient de faire entre "titres historiques" et "baies historiques".
Les "titres historiques" sont une notion plus large; c'est une notion qui peut s'appliquer à des
baies bien sûr, mais la notion de titres historiques peut également tout aussi bien porter sur des
espaces maritimes étrangers à toute baie, comme dans certaines des pêcheries sédentaires qui existent
ici ou là dans le monde. Dans ce cas, en effet, les titres historiques peuvent éventuellement porter
sur des eaux de natures diverses et y compris éventuellement sur des eaux territoriales, je dis des
titres historiques.
Mais en revanche, dans une baie historique enclose par une ligne de fermeture, les eaux
concernées ont bien le caractère d'eaux intérieures. A cet égard, il est certain que la sentence de la
Cour centraméricaine de 1917 a été souvent critiquée, parce qu'elle utilise cette terminologie d'eaux
territoriales qui a paru tout à fait défectueuse à l'ensemble de la doctrine et on me permettra de
répéter la citation de M. Charles Rousseau qui, éminent expert complètement étranger à notre
affaire, écrit dans son traité que cette référence à des eaux territoriales par la Cour de justice
centraméricaine : "a pour conséquence singulière de faire de la mer territoriale non une zone
intermédiaire entre le territoire et la haute mer, mais un espace maritime s'interposant entre le
territoire et la partie intérieure de la baie".
L'insistance que met la République d'El Salvador à soutenir aujourd'hui, dans cette attitude
nouvelle, qu'il y a une mer territoriale en bordure des côtes dans une baie historique, dont toutes les
eaux sont par principe des eaux intérieures, ajoute encore au trouble, au renversement de toutes les
notions consacrées par le droit international, par le droit de la mer, et quand je dis renversement, je
fais allusion non seulement à un bouleversement intellectuel, mais à un renversement sur place dans
les eaux elles-mêmes. Comment concevoir une baie historique dans laquelle en entrant on se trouve
dans des eaux intérieures, pour gagner ensuite la mer territoriale, en allant non pas vers le large,
mais vers la côte ? Il faudrait ainsi dans l'ordre, en partant de la haute mer, gagner des eaux
intérieures, puis la mer territoriale, et enfin le rivage.
Il ne semble pas vraiment nécessaire d'insister sur ce point, sur cette idée tourmentée, sinon
surréaliste de l'aménagement d'une zone maritime. Prétendre la position, soutenir la position inverse,
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c'est évidemment se condamner à des voies sans issues. On doit reconnaître qu'on ne saurait
demander ou espérer de la Chambre qui est saisie de cette affaire qu'elle revienne sur sa
jurisprudence, sur la jurisprudence de sa Cour dont elle est une émanation, qu'elle oublie, séduite par
cet aménagement tourmenté que je viens d'évoquer, la décision, la jurisprudence de 1951.
Le Honduras, en réalité, Monsieur le Président, Messieurs de la Chambre, permettez-moi de le
dire, ne saurait dissimuler son affliction en pensant que tout cet argumentaire n'a d'autre objet, en
réalité, que de l'enfermer, que de l'enclaver dans la baie. Ce qui serait contraire au droit du
Honduras, ce qui serait aussi contraire aux tendances du droit de la mer qui le pousse au contraire à
s'inspirer des principes juridiques équitables tels qu'ils ont été dégagés par votre jurisprudence dans
l'affaire du Plateau continental de la mer du Nord en 1969. Ce qui serait aussi contraire à l'état
d'esprit remarquable, amical qui régnait lorsque les deux pays se sont tournés vers vous. Pensez-y,
votre Chambre espérant obtenir d'eux un règlement définitif de cette question qui est si ancienne, et
mettre ainsi à l'écart toutes ces tensions qui se perpétuent, qui sont si dommageables au
développement réciproque de ces pays.
Je crois, Monsieur le Président, Messieurs de la Chambre, que j'en ai assez dit. Je ne saurais
quitter cette barre sans vous exprimer ma très profonde gratitude pour l'attention que vous m'avez si
obligemment portée.
The PRESIDENT: I thank Professeur René-Jean Dupuy and I give the floor to Professeur
Pierre-Marie Dupuy.
M. P.-M. DUPUY : Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je vais avoir l'honneur de
développer devant vous une plaidoirie en cinq points et la Chambre constatera que, arrivé à ce stade
de la procédure, même les plaideurs français acceptent de rompre avec leurs habitudes qui consistent
à toujours diviser leurs plaidoires en deux parties.
Le premier se référera au différend maritime dans ses rapports avec le problème de la
délimitation, et il touchera surtout à la question de savoir si il est ou non prématuré de délimiter,
- 21 -
comme on vous l'a dit hier et aujourd'hui; le second point concernera l'interprétation de la ligne
de 1901, la ligne tracée entre le Honduras et le Nicaragua; le troisième aura trait à la localisation du
condominium d'après la sentence de 1917; le quatrième se rapportera à la portée de la communauté
d'intérêts; et enfin, le cinquième, à la tâche de la Cour en matière de délimitation.
I. Différend maritime et délimitation
M. le Ministre des affaires étrangères d'El Salvador nous a expliqué hier que, de l'opinion de
son pays, il était prématuré de délimiter sans avoir au préalable déterminé la frontière dans le secteur
du Goascorán, établi le titre sur les îles et défini le droit du Honduras ou, au contraire, refusé un tel
droit à l'accès au Pacifique.
A cela, me semble-t-il, on peut répondre assez aisément. C'est précisément, et là dessus je ne
crois pas qu'il y ait de contradiction entre les Parties, à la Chambre de la Cour de répondre à ces
questions. Une fois qu'elle l'aura fait, les informations et les données nécessaires ayant été réunies
pour construire la ligne de délimitation, rien ne s'opposera à ce que la Chambre poursuive sa tâche,
en établissant elle-même cette ligne.
Je prendrai une illustration qui tient particulièrement à la question de l'incidence de la réponse
apportée au différend insulaire sur le tracé de la délimitation à l'intérieur du golfe. Je l'ai déjà
indiqué hier, il faut traiter, selon le Honduras, Meanguera en prenant en considération sa position
centrale dans le golfe et donc ne pas lui accorder un effet trop considérable. Je l'ai dit en me plaçant,
bien entendu, dans la situation qui, ais-je besoin de le préciser, conserve toutes les faveurs du
Honduras, c'est-à-dire celle d'après laquelle Meanguera lui appartient.
Imaginons maintenant, et bien entendu pour les besoins de l'argument, à titre hypothétique,
que la Chambre décide de ne pas attribuer l'île de Meanguera, pas plus que celle de Meanguerita, au
Honduras mais à El Salvador. Deux constatations peuvent d'emblée être faites :
- la première, c'est que cela n'entrave nullement le tracé de la délimitation entre El Salvador et
le Honduras;
- la seconde a trait aux principes juridiques applicables à la délimitation, aux circonstances
pertinentes à prendre en considération et à la méthode à utiliser pour tracer la ligne, et la Chambre
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pourrait parfaitement s'inspirer, notamment, des observations faites par le Honduras hier, par ma
voix, pour établir la ligne de délimitation que j'ai eu l'honneur de lui présenter.
Il y aurait bien entendu tout d'abord à ne pas empiéter sur la partie qui se trouve à l'est de la
ligne XY, pour la raison que j'expliquais hier : le respect des droits de l'Etat tiers à cette partie du
différend qui concerne la délimitation.
En second lieu, il s'agirait, comme je le disais il y a un instant, d'éviter de donner un effet trop
disproportionné à Meanguera, exactement de la même manière que nous l'avons fait dans l'hypothèse
ici décrite. Bien entendu, nous nous trouverions dans une autre situation et, dans le cas où la
Chambre attribuerait Meanguera à El Salvador, cette ligne (je me permets de partir de l'hypothèse
que, dans la partie supérieure, elle ne s'écarterait sans doute pas trop du tracé ainsi indiqué),
parvenue à ce point, au nord de Meanguera, ne se dirigerait pas vers l'ouest de l'île, mais la
contournerait par l'est.
C'est alors bien entendu qu'il faudrait, mais c'est là un travail judiciaire auquel la Chambre est
particulièrement habituée, trouver les moyens techniques pour parvenir à un résultat dont j'ai à peine
besoin de rappeler que sa caractéristique essentielle doit être de satisfaire l'équité. Alors, bien
entendu, la Chambre constatera que c'est dans cette zone-ci qu'il faudrait être particulièrement
vigilant, de façon à ce que la ligne passant par cette partie ne se rapproche pas excessivement, au
sens des principes équitables, de la ligne XY ici définie, d'autant plus que, comme la Chambre ne
l'ignore pas, la ligne honduro-nicaraguayenne se trouve placée de l'autre côté.
Le Honduras, bien entendu, est tout à fait prêt à admettre, dans une telle hypothèse, que son
territoire maritime subirait ici un inévitable goulot, mais ce serait à la Chambre de définir les
techniques appropriées; il peut y en avoir plusieurs dont je ne fais que suggérer certaines : par
exemple celle qui consisterait à bâtir, à partir de la perpendiculaire à la ligne XY jusqu'au point le
plus oriental de Meanguera, un point d'équidistance qui ne prendrait pas en compte Meanguerita,
étant donné son caractère d'îlot. Il pourrait y avoir une autre solution qui consisterait à prendre en
considération Meanguerita, mais à ne lui attribuer, par exemple, qu'un demi-effet. De toute façon,
peu importe la technique. Encore une fois, ce qui compte, c'est le résultat. Puis, parvenu au-delà de
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ce passage resserré il ne s'agirait plus que de revenir au point C, placé à 3 milles des côtes
d'El Salvador.
On le voit, il n'y a pas de difficulté technique pour aboutir à un tel tracé. Il n'y a pas non plus,
ai-je besoin de le préciser, de difficulté juridique, en particulier, je le rappelle, en ce qui concerne la
détermination des lignes de délimitation entre mers territoriales, et à fortiori entre mers intérieures
(qu'on ne nous fasse pas dire qu'on vient de dire qu'il y a des eaux territoriales dans la baie de
Fonseca).
L'article 15 de la convention de Montego Bay prévoit bien que les règles prévues ne
s'appliqueraient pas "dans le cas où, en raison de l'existence de titres historiques ou d'autres
circonstances spéciales, il est nécessaire de délimiter autrement la mer territoiriale de ces deux
Etats". En d'autres termes, on le voit, il s'agit là d'un problème de choix et d'agencement des
techniques les plus appropriées, et l'on voit bien que la résolution, certes préalable, nous en
convenons volontiers, de la détermination du titre de souveraineté sur l'île n'empêche nullement la
délimitation ultérieure.
II. L'interprétaiton de la ligne de 1900
El Salvador a manifesté hier, de façon il faut le dire assez inhabituelle mais pas forcément
inattendue, un très vif intérêt pour la ligne de délimitation établie en 1900 entre le Honduras et le
Nicaragua. El Salvador était resté jusqu'ici très réservé à l'égard de cette frontière maritime. Il avait
au contraire préféré l'ignorer, puisque sa seule existence constitue un démenti, apporté à la fois par le
Honduras et le Nicaragua, à l'existence d'un condominium; faut-il le dire encore une fois, ainsi
d'ailleurs que dans beaucoup de cas El Salvador lui-même l'admet, le condominium, étant la
copropriété, exclut la délimitation interne.
Il faut dire que cette objection, cette incompatibilité entre condominium et délimitation n'avait
pas empêché la Cour centraméricaine de reconnaître conjointement l'existence d'un condominium - il
est vrai résiduel - et la reconnaissance de la ligne de 1900 et de son opposabilité à El Salvador, celuici,
d'ailleurs, depuis la création de cette ligne, n'avait pas protesté jusqu'à une date très proche de
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l'instance de 1917 contre le tracé de 1900.
Alors il est bien entendu que nous n'avons nullement à suivre El Salvador dans l'exégèse qu'il
fait des aspects de cette sentence, des différentes questions auxquelles il a répondu, qui se réfèrent à
la ligne, mais il a cru pouvoir mettre le Honduras dans l'embarras en lui demandant pourquoi ce
dernier reconnaît ordinairement que cette ligne divisoire est interrompue.
La raison pour laquelle El Salvador manifeste ainsi un soudain intérêt pour une ligne qui
dément par ailleurs ses affirmations est que, d'après lui, si la ligne de 1900 est interrompue, c'est
parce qu'elle est parvenue au point d'aboutissement de la zone au-delà de laquelle le Honduras
n'aurait aucun droit, voyant désespérément les deux autres riverains l'étrangler au fond de la baie et
le laisser croupir au fond du golfe !
Je pourrais bien sûr répondre qu'il s'agit là d'une question bilatérale intéressant le Nicaragua et
le Honduras, mais ce serait une dérobade.
En réalité, ce que le Honduras affirme, puisqu'on lui pose la question, c'est que la ligne
divisoire entre ses territoires maritimes et ceux du Nicaragua ne va certes pas jusqu'à la ligne de
fermeture du golfe, ce qui explique son caractère interrompu, mais ne s'arrête pas davantage au point
triple d'équidistance entre Monypenny, l'île de Tigre et celle de Meanguera; ceci pour plusieurs
raisons que je ne ferai qu'évoquer : une première série tient à l'interprétation, notamment
cartographique, de l'accord qui fut donnée immédiatement après la conclusion de ce dernier, au tout
début du siècle, notamment par le Nicaragua lui-même qui lui donne une extension plus large. Je
renvois à des cartes déjà citées dans nos observations en réponse à l'intervention écrite du Nicaragua,
par exemple la carte établie par la commission mixte de délimitation honduro-nicaraguayenne, celle
donc qui constitue l'expression de l'accord entre les deux Etats, carte au 1/1 160 000e
; (voir Annexe
cartographique A.20 au Mémoire hondurien), la carte de la commission mixte de 1905 au
1/250 000e
; la carte Mayes du Honduras de 1907 au 1/700 000e
; la carte Bontz d'El Salvador
de 1915; la carte de l'Hydrological Survey des Etats-Unis au 1/480 000e
; la carte Aguilar Paz du
Honduras de 1933, carte officielle du Honduras au 1/500 000e
, rééditée en 1934, 1953, 1954 sans
soulever de protestation du Nicaragua; ainsi qu'un certain nombre de cartes officielles de ce dernier
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pays, comme celles de 1916, 1970, 1972, qui, même si la ligne en question n'y atteint pas les îles
Farallones, indiquent qu'elle s'arrête juste en deçà. Une autre raison pour laquelle nous considérons
que la ligne est interrompue mais pas au point où on voudrait qu'elle le soit tient à la pratique. Ainsi
notamment en va-t-il des patrouilles navales que le Honduras organise régulièrement vers les îles
Farallones et même plus loin, comme nous les avons portées sur la carte C2 annexée au mémoire du
Honduras. Concernant l'existence même de ces patrouilles, si la Chambre me le permet, je lui
apporterai mon témoignage personnel puisque j'ai pu participer à l'une d'entre elles en compagnie de
plusieurs membres de la délégation du Honduras ici présents, en novembre 1985, et que nous avons
contourné par l'est les îlots de Farallones, comme le capitaine du navire hondurien sur lequel nous
nous trouvions nous a assuré le faire ordinairement.
Alors, ceci dit, il y a certes encore des choses à régler entre le Honduras et le Nicaragua
concernant cette délimitation à l'intérieur du golfe. Elles se rapportent bien sûr à l'extrémité de cette
ligne. Mais les deux Etats en sont bien conscients. C'est si vrai qu'ils ont constitué, le
5 septembre 1990 à Managua, une commission mixte de questions maritimes présidée par les
ministres des relations extérieures des deux gouvernements ou leurs représentants. Le mandat de
cette commission, tel qu'établi dans la déclaration conjointe qui l'a créé, est particulièrement clair,
puisqu'il indique, je cite en espagnol et traduirai ensuite :
"La comisión mixta, conocerá de manera prioritaria los asuntos fronterizos en áreas
maritimas del golfo de Fonseca y litoral atlantico, y los problemas pesqueros que se derivan de
lo anterior."
[Traduction]
"La commission mixte connaîtra de manière prioritaire des questions de frontière dans
les régions maritimes du golfe de Fonseca et du littoral atlantique, et des problèmes de pêche
qui en découlent directement."
La seconde réunion de cette commission s'est d'ailleurs tenue il y a à peine quelques jours, le
28 mai 1991, à Tegucigalpa. Elle a décidé d'établir un patrouillage conjoint des forces navales des
deux pays dans le golfe de Fonseca "afin d'éviter les incidents de pêche, de trafic d'armes, de drogue
et de contrebande ainsi que les problèmes migratoires".
Plusieurs sous-commission techniques ont été créées, dont l'une en matière de délimitation.
- 26 -
Nous tenons bien entendu à la disposition de la Cour le texte des deux communiqués conjoints que je
viens de citer, lesquels, étant donné leur date, ne pouvaient par définition pas être produits dans nos
écritures.
Ainsi, Monsieur le Président, en conclusion sur ce point, j'observerai qu'il serait vain de tirer
argument de l'accord de 1900 pour confiner le Honduras dans le fond de la baie puisque, très
manifestement, les deux Etats concernés ne l'ont pas entendu ainsi.
III.
Mon troisième point, Messieurs les Juges, pourrait s'intituler : "l'introuvable condominium" !
Il se réfère en effet aux explications et aux interprétations alternatives que M. le ministre des
Affaires étrangères d'El Salvador nous a données hier pour tenter de donner un sens à une sentence,
dont, avec beaucoup de fair-play, il a d'ailleurs admis lui-même que : "the net result, it must be
acknowledged, is not quite clear".
Ses explications ont en effet achevé de nous persuader, et il n'y, je vous prie de le croire,
aucune ironie dans mon propos, de l'incohérence et des obscurités de la sentence de 1917 quand à la
réalité mais aussi à la localisation de ce fameux condominium. Car enfin, où se trouve-t-il, ce
condominium, que l'on nous oppose depuis bientôt 75 ans ?! Nous avons quant à nous tenté, tels les
aventuriers d'une arche perdue, de partir à sa recherche, munis des indications qu'El Salvador nous
avait diligemment livrées. Il nous a dit lui-même, et nous sommes tous prêts à le suivre sur cette
voie, que la sentence distinguait, au bénéfice des trois Etats, entre une ceinture de 3 milles de pleine
souveraineté puis, au-delà, une seconde ceinture de 3 lieues marines, soit 9 milles nautiques, le tout
faisant bien entendu 12 milles à l'intérieur de laquelle il exercerait pour la seconde de ces zones sa
juridiction en matières fiscale et de sécurité.
Et, par ailleurs, on s'en souviendra, El Salvador a cru pouvoir distinguer entre deux lignes de
fermeture du golfe, la fermeture extérieure, en quelque sort, qui est celle, bien connue, allant de
Punta Amapala à Punta Cosiguina, puis la fermeture intérieure [en quelque sorte], qui, elle, limiterait
en réalité les droits du Honduras à l'intérieur de la baie et qui irait de Punta Chiquirina à Punta San
- 27 -
José. Il est vrai que, concernant l'existence de cette "ligne intérieure de fermeture", El Salvador,
avec beaucoup de bonne foi, aussi bien hier qu'aujourd'hui, indique bien qu'il en reste à des
suppositions. Et, de fait, il n'en a apporté hier ni aujourd'hui aucune preuve. Mais, soit, acceptons
un moment pour les besoins de la discussion la suggestion d'El Salvador. Puis, munis de ces
indications, reprenons notre quête du mystérieux condominium...
Voici, représentées sur cette carte, les affirmations de la sentence de 1917, interprétées par
El Salvador. Nous voyons ici la ligne de fermeture intérieure qui dédouble ainsi celle classiquement
placée entre Punta Amapala et Punta Cosiguina. Nous retrouvons [et nous nous sommes permis de
le reporter sur une nouvelle carte dont la matité j'espère permettra à la Chambre de mieux distinguer
les traits qui ont été tracés, nous retrouvons] les lignes que j'ai déjà évoquées hier à propos de la
démonstration de la réalité du chevauchement des zones nationales de juridiction tracées
conformément à ce que dit la sentence à partir, pour le Honduras, de son littoral ce qui donnerait ici,
au cas où Meanguera ne serait pas au Honduras, puis la ligne des 3 milles, (nous ne sommes pas du
tout encore à 12 milles) 3 milles tracées à partir du littoral salvadorien. Nous avons fait de même
d'ailleurs pour la clarté de l'argumentation à propos du Nicaragua, de même qu'à propos du
Honduras lorsqu'il fait face au Nicaragua. Alors voyons à présent ce que cela peut donner; et
d'abord nous nous plaçons dans l'hypothèse évoquée hier par El Salvador, à l'intérieur de la zone
dans laquelle il prétend nous confiner, puisque le Honduras, d'après lui, n'aurait pas de titre à
partager la copropriété au-delà de cette ligne. Que constatons-nous ? Nous constatons d'abord que
dans cette partie supérieure de la baie, donc celle qui concerne essentiellement la bahia de la Unión,
il n'y a évidemment aucune place pour un condominium puisque les chevauchements réciproques
sont tels que chacun d'entre eux pénètre à l'intérieur des terres du voisin. Le condominium n'est donc
pas dans cette partie. Pas plus que dans celle-là. Ici nous avons l'île du Tigre qui bien entendu
génère également la ligne de 3 milles. Alors peut-être le condominium se trouve-t-il, toujours en
deçà de la ligne de fermeture intérieure, de l'autre côté ? Cherchons-le. Nous constatons qu'ici,
effectivement, les lignes de 3 milles nautiques s'écartent l'une de l'autre, livrant ainsi passage à un
espace dont on pourrait à priori penser qu'enfin il va nous livrer notre condominium. Hélas pour la
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sentence, la Chambre se souviendra que cette sentence a reconnu, comme je le rappelais il y a un
instant, la validité du tracé de 1900-1901, le tracé Honduro-Nicaraguaien. Or ce tracé, Messieurs
les Juges, a été défini par deux Etats qui sont notamment d'accord sur un point, c'est qu'il n'y a pas
de condominium au sein de la baie! Par conséquent, ni le Nicaragua, je prends ce risque, ni le
Honduras ne prétendront qu'avec la ligne de 1900, ils ont voulu partager en deux un condominium
dont ni l'un ni l'autre ne veulent. Ce qui se passe ici très classiquement c'est que d'un côté de cette
ligne toutes les eaux, toutes les eaux appartiennent au Nicaragua et que de l'autre, toutes les eaux
appartiennent en pleine souveraineté au Honduras. La démonstration est ainsi faite en deçà de cette
ligne très hypothétique de fermeture interne de la baie, dont encore une fois aucune preuve n'est
rapportée en deçà de cette ligne, qu'à s'en tenir à l'application de la sentence de 1917, il n'y a au sens
littéral et physique du terme, pas de place pour le condominium.
Mais précisément, précisément nous dit-on, le condominium n'est plus là, il est ici! Il se
trouve dans la partie désormais identifiable parce qu'elle est enclose entre deux lignes de fermeture,
la ligne de fermeture que j'appelais intérieure tout à l'heure et puis la ligne de fermeture classique
Amapala-Cosiguina. Soit, essayons de voir ce que cela donne. Effectivement, ici nous constatons
qu'il y a un espace très considérable entre la limite extérieure des 3 milles nautiques appartenant au
Salvador et celle des 3 milles nautiques appartenant au Nicaragua y compris aussi d'ailleurs pour ce
qui est du troisième Etat lorsqu'on lui reconnaît Meanguera, avec la zone d'eaux nationales qui
reviendrait à cette dernière île.
Mais ici, Messieurs les Juges je me permettrai de vous rappeler que la sentence, comme y a
insisté à juste titre M. le ministre des Affaires étrangères hier, ne désigne pas seulement une zone de
souveraineté pour chacun des trois Etats, mais aussi une ceinture supplémentaire 9 milles nautiques
de compétence fiscale, sanitaire et douanière. Et il le fait non pas au bénéfice de deux Etats. La
sentence le fait au bénéfice des trois Etats.
Donc nous allons voir ce que donnent 12 milles nautiques à l'intérieur de la baie. Les
12 milles, les voilà à l'échelle de la carte.
- Si je pars de la côte salvadorienne, je constate que la limite externe des 12 milles nautiques
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va au-delà de la ligne XY que nous avons construite au milieu du golfe.
- Si maintenant j'applique la même distance au Honduras, je vois que le Honduras va
largement jusqu'à la ligne de fermeture à partir de Meanguera. Et même si nous acceptons, pour les
besoins de l'argument, de partir seulement d'El Tigre, nous voyons que les 12 milles vont vraiment
très prés de la ligne de fermeture extérieure, la seule qui vaille.
- Quant au Nicaragua, il mord très largement sur la partie occidentale de la baie, définie à
partir de la ligne XY.
Ainsi, la conclusion est évidente : il n'y a pas plus d'espace pour loger le condominium dans
cette partie extérieure que dans la partie interne. En d'autres termes, dans un cas comme dans
l'autre, le condominium est introuvable!
J'ajouterai, pour revenir à la thèse qui prétend nous enfermer au fond de cette partie, qu'elle est
radicalement nouvelle et que nous avons entendu hier pour la première fois l'idée d'après laquelle le
condominium serait un condominium à deux. Très sincèrement et avec beaucoup de respect, je me
permettrais de faire remarquer que si ce condominium n'intéressait pas le Honduras, il eut fallu le lui
dire plus tôt! Cela fait maintenant, je le disais tout à l'heure, presque soixante-quinze ans qu'on nous
l'oppose. Il serait donc tôt qu'on nous avertisse d'un tel changement d'attitude.
Au demeurant, ai-je besoin de le rappeler, cette définition du condominium à deux, qui serait
nicaraguano-salvadorien, n'est absolument pas en accord avec les termes de la sentence, pas plus,
c'est l'évidence, qu'avec la volonté du Nicaragua qui a toujours, quant à lui, refusé la thèse du
condominium. Et donc, mais je laisse à ses conseils le soin de développer devant vous cet argument
demain, prétendre qu'il existe un condominium à deux c'est, de façon encore plus intense
qu'auparavant, vouloir lui imposer un condominium qu'il a toujours refusé.
Au demeurant, je constaterai que aucun auteur n'a jamais mentionné l'existence de cette
réputée ligne de fermeture intérieure, la ligne Punta Chiquirina-San José, et que le Salvador
lui-même n'y songeait pas jusqu'à une date récente puisque, je m'excuse de devoir y revenir, lors
notamment de la proposition Duarte de 1985, ainsi que je vous en ai montré le tracé hier, la
délégation salvadorienne était même partie de la ligne de fermeture extérieure pour remonter vers le
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Rio Goascorán et remonter d'ailleurs sans donner beaucoup d'effet à Meanguera, puisque nous avons
fait des calculs, Meanguera ne se trouve qu'à peine à un peu plus de 2 milles nautiques de la ligne
Duarte.
Par conséquent, il y a là aussi, une modification considérable. Je sais qu'El Salvador est un
peu agacé par l'insistance hondurienne à lui parler des propositions de 1985, dont je rappelle que
nous n'avons jamais dit de façon sommaire qu'elles le liaient comme tel, mais nous devons le
constater, la phase judiciaire actuelle permet à notre adversaire non pas seulement de revenir à ses
thèses traditionnelles, celles qui concernent le grand condominium, mais également d'en aborder et
d'en affirmer de radicalement nouvelles.
Quant à l'affirmation d'après laquelle le Honduras aurait, par sa note du 30 septembre 1956,
reconnu la ligne de fermeture intérieure, elle ne résiste pas davantage à l'analyse. La Chambre
pourra s'en assurer elle-même en relisant cette note, qui se trouve à l'annexe XIII.2.40 du mémoire
hondurien. Elle constatera que cette note est constituée par la reprise, à titre de citation, du texte de
la requête formulée par El Salvador et ceci pour mieux le rejeter en bloc dans tous ses éléments. Or
c'est précisément dans ce texte salvadorien, cité par la note hondurienne dans le but que je viens
d'indiquer, c'est le texte salvadorien qui parle d'une ligne de fermeture qui serait établie "au niveau
des îles de Meanguera et de Meanguerita sur la ligne tracée entre Punta Chiquirin et Punta Rosario",
[ce qui est d'ailleurs encore un peu différent]. Et c'est précisément cette affirmation salvadorienne,
comme toutes ses autres prétentions formulées dans la même requête, que le Honduras reprend entre
guillements dans sa note de 1916, pour mieux les rejeter. On voit donc qu'il n'y a aucune pertinence
dans l'idée d'une quelconque acceptation hondurienne là où l'on ne trouve au contraire que son refus
catégorique.
J'aborde ainsi, si toutefois vous m'y autorisez, Monsieur le Président, mon quatrième point qui
concerne la façon, d'après le Salvador semble-t-il un peu embrouillée, dont le Honduras voudrait
conférer une portée à la communauté d'intérêt.
IV. La portée de la communauté d'intérêts
Et là le Salvador a fait une remarque également tout à fait intéressante dans laquelle il indique
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que la communauté d'intérêts est bien entendu une notion qui concerne les conditions d'exercice de la
souveraineté mais qu'elle ne concerne en rien la définition de l'espace, de l'assise à l'égard duquel
cette souveraineté s'exercerait. Et, décidant de se livrer à une démonstration par l'absurde, il entend
montrer que par exemple si l'on suivait les positions honduriennes, il faudrait en conclure que le golfe
d'Akaba, le golfe Persique, la Baltique ou la mer Noire pourraient donner lieu, sur la base du
raisonnement qu'il prête au Honduras, à de nouveaux conflits territoriaux. Bien entendu, nous lui
laissons la responsabilité de ce type de comparaison et nous revenons, puisque nous y sommes
invités par la Partie adverse, aux conclusions que nous avons présentées devant la Chambre, pour
vérifier si vraiment elles nous manifestent comme ayant une sorte de conception particulièrement
carnassières et vorace de la communauté d'intérêts sur la base de laquelle nous voudrions procéder à
quelque expansionnisme territorial.
Si la Chambre se rapportent à ces conclusions, que constatera-t-elle ? Que la première
conclusion concernant le différend maritime se lit comme suit :
"dire et juger que la communauté d'intérêts existant entre El Salvador et le Honduras du fait de
leur coriveraineté à l'intérieur d'une baie historique refermée sur elle-même engendre entre eux
une parfaite égalité de droits, qui, cependant, n'a jamais été transformée par ces mêmes Etats
en condominium".
On constate ici, comme nous l'avons toujours marqué dans nos écritures et dans nos
plaidoiries orales, que la communauté d'intérêts s'appuie sur le caractère de baie historique
applicable au golfe et réciproquement.
Ceci ne veut pas dire que les deux notions - baie historique et communauté - soient identiques
ou interchangeables, mais simplement, ainsi que je le signalais avant-hier à propos de la convergence
du droit de la mer et de la notion de communauté, que l'une et l'autre s'alimentent aux mêmes
facteurs, à la fois géographiques et humains : le fait que le golfe soit une baie historique, mais aussi
une baie historique multinationale, explique ainsi que les trois riverains soient liés par la
communauté d'intérêts.
Ceci a pour conséquence, et c'est ce qu'a voulu manifesté la conclusion ultérieure citée à
charge par El Salvador hier, qu'à l'égard de la ligne de fermeture du golfe (je parle évidemment de la
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ligne véritable, celle qui va entre Punta Amapala et Punta Cosiguina), le Honduras a les mêmes
droits que ses deux voisins, à la fois sur la ligne elle-même et, à partir d'elle, sur une zone maritime
dans le Pacifique.
Voilà seulement ce que veut dire la thèse hondurienne qui n'a, je vous prie de le croire, rien
d'"acquisitionniste" ou d'accaparante; et la Cour d'ailleurs peut s'assurer, à la lecture de ma plaidoirie
d'avant-hier, qu'effectivement, il n'a jamais été question d'autre chose que d'une notion purement
fonctionnelle appliquée en l'occurrence dans cette baie.
Nous prions donc El Salvador de bien vouloir laisser le golfe d'Akaba, la mer Noire, la
Baltique et le golfe Persique là où ils se trouvent, aucun d'entre eux ne constituant une baie
historique, bornée par une ligne de fermeture.
A propos de l'argument entendu ce matin sur la communauté d'intérêts, je me contenterai des
observations suivantes :
1) En premier lieu, le Honduras prend acte du fait qu'El Salvador reconnaît lui aussi
l'existence d'une communauté d'intérêts sur le golfe, mais il se sépare bien entendu de lui lorsqu'il
veut l'associer au condominium.
2) En second lieu, quant à la communauté d'intérêts dans ses rapports avec la notion de mer
fermée, telle qu'évoquée aux articles 122 et 123 de la convention de Montego Bay, je me permettrai,
là aussi, de rappeler que toutes les mers fermées ne sont pas des baies historiques et que, s'il n'y a
pas de mention de la baie historique dans l'article 122, cela n'est pas une lacune de sa part, mais c'est
qu'elle définit un concept juridique qui s'applique à des réalités physiques diverses, dont certaines,
sans doute exceptionnelles, répondent au critère constitutif de la baie historique.
Par conséquent, là aussi il n'est pas surprenant qu'il n'y ait pas une cohérence totale entre
communauté et mer fermée, la Cour d'ailleurs sait très bien que la caractéristique de mer fermée a
toujours été évoquée, y compris par la sentence, que nous n'évoquerons pas ici, ai-je besoin de le
dire, parce que nous nous sentirions liés par elle, mais parce qu'elle fait partie du droit interne
constitutionnel d'El Salvador. Cette notion de mer fermée se trouve comme ajoutée au constat, par
elle, de son caractère de baie historique.
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V. La tâche de la Cour et la délimitation
Le distingué conseil d'El Salvador a développé à cet égard ce matin essentiellement deux
arguments :
Le premier se réfère aux incidents que nous avons rapportés dans la réplique. Il conteste que
la localisation de ces incidents démontre la nécessité de la délimitation. Alors il est sans doute utile
que je revienne sur les raisons qui nous ont incité à en faire mention dans notre réplique :
a) La première était pour montrer que l'invocation par El Salvador
de l'adage "quieta non movere", faite à l'époque pour désigner la situation dans le golfe, était
particulièrement inapproprié, puisque la tension s'est au contraire accrue dans cette région ces
dernières années.
b) La deuxième raison qui nous avait incité à citer ces incidents a
trait au fait, ainsi que le prouvent les procès-verbaux auxquels ils ont donné lieu, notamment
ceux intervenus entre patrouilles navales (occasion supplémentaire de constater que patrouilles
navales il y a bien, et dans des endroits très divers du golfe), que la cause de ces incidents
venait, la plupart du temps, de la conviction respective des uns et des autres qu'ils étaient dans
leurs eaux nationales.
Ainsi nous maintenons, Monsieur le Président, que la délimitation serait un facteur
déterminant du rétablissement de la quiétude dans l'ensemble de cette région.
Le deuxième argument de M. Lauterpacht avait trait à la dissociation des tâches de la
commission mixte et de la Chambre en la présente affaire, et c'était bien entendu une réponse à
l'argument que j'avais eu moi-même l'honneur de développer devant vous, en ce qui concerne la
liaison substantielle et fonctionnelle entre l'article 18 du traité de Lima et l'article 2 du compromis.
Ici je répondrai bien volontiers qu'il ne faut pas confondre deux choses entièrement différentes.
L'une est la détermination de la tâche confiée à chacun des deux organes, c'est à elle que je me
référais hier, et l'autre est la portée qui résulte, ou qui résulterait, de leurs délibérations respectives.
Quant à la seconde, il est évident qu'elle est différente d'un organe à l'autre : une commission de
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négociation négocie et propose ensuite une solution agréée par les délégations à leurs autorités
respectives, lesquelles sont libres de les accepter ou de les refuser. Une juridiction, au contraire,
décide, et elle décide avec autorité de la chose jugée.
Mais ce qui est important n'est pas là. L'important, comme je l'ai dit hier, c'est le maintien
intégral de l'identité des termes par lesquels le contenu de la tâche assignée à la commission a été
repris pour désigner les pouvoirs de la Chambre.
Et nous renouvelons notre question, laissée jusqu'ici sans réponse : pourquoi, s'il voulait
exclure toute possibilité pour la Chambre de se livrer à la délimitation maritime, El Salvador a-t-il
pris le risque d'accepter, à l'article 2 du compromis, les mêmes termes que ceux de l'article 18 du
traité, sur la base desquels il avait lui-même fait, au moins à deux reprises et quelques mois plus tôt,
des propositions très précises de délimitation ?
Comme on l'a vu hier, en effet, il y a bien eu confrontation de deux propositions de
délimitation en 1985, l'une émanant d'El Salvador, ou plutôt deux, et l'autre du Honduras. Il est
exacte que l'on n'a pas pu aboutir faute d'un accord sur l'attribution de Meanguera. Mais rien ne dit,
je tiens à le souligner, rien ne dit, tout au contraire, qu'une fois cette île attribuée par la Chambre, les
Parties seraient à même de définir elles-mêmes une ligne de délimitation par voie de négociation.
La présente instance, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, y compris dans ses
développements les plus récents, prouve, au contraire, qu'El Salvador continue à nier le fait que le
Honduras ait droit à un territoire maritime allant jusqu'à la ligne de fermeture. L'intransigeance
d'El Salvador sur ce point, comme sur d'autres, n'est assurément pas un gage d'espoir pour le succès
des voies paisibles de la négociation. Une affaire partiellement jugée demeurerait irrésolue.
Au terme de cette plaidoirie, je ferai simplement observer à la Chambre qu'aucune des
ambiguïtés ou des contradictions dans les thèses salvadoriennes, que je relevais devant vous lors de
ma première plaidoirie, n'a encore été levée. Il se fait tard pourtant, très tard, et il serait sans doute
heureux qu'elles le fussent dans les derniers jours qui nous restent. Je vous remercie, Monsieur le
Président.
The PRESIDENT: I thank Professor Pierre-Marie Dupuy and we adjourn now until
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tomorrow. The sitting is adjourned.
L'audience est levée à 17 h 45.
Public sitting of the Chamber held on Wednesday 5 June 1991, at 4 p.m., at the Peace Palace, Judge Sette-Camara, President of the Chamber, presiding