Public sitting held on Friday 25 June 1993, at 10 a.m., at the Peace Palace, President Sir Robert Jennings presiding

Document Number
083-19930625-ORA-01-00-BI
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Number (Press Release, Order, etc)
1993/21
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CR 93/21
International Court Cour internationale
of Justice de Justice
THE HAGUE LA HAYE
YEAR 1993
Public sitting
held on Friday 25 June 1993, at 10 a.m., at the Peace Palace
President Sir Robert Jennings presiding
in the case concerning Territorial Dispute
(Libyan Arab Jamahiriya/Chad)
__________________
VERBATIM RECORD
__________________
ANNEE 1993
Audience publique
tenue le vendredi 25 juin 1993, à 10 heures, au Palais de la Paix
sous la présidence de sir Robert Jennings, Président
en l'affaire du Différend territorial
(Jamahiriya arabe libyenne/Tchad)
________________
COMPTE RENDU
________________
Present:
President Sir Robert Jennings
Vice-President Oda
Judges Ago
Schwebel
Bedjaoui
Ni
Evensen
Tarassov
Guillaume
Shahabuddeen
Aguilar Mawdsley
Weeramantry
Ranjeva
Ajibola
Herczegh
Judges ad hoc Sette-Camara
Abi-Saab
Registrar Valencia-Ospina
___________
Présents:
Sir Robert Jennings, Président
M. Oda, Vice-Président
MM. Ago
Schwebel
Bedjaoui
Ni
Evensen
Tarassov
Guillaume
Shahabuddeen
Aguilar Mawdsley
Weeramantry
Ranjeva
Ajibola
Herczegh
MM. Sette-Camara
Abi-Saab, juges ad hoc
M. Valencia-Ospina, Greffier
___________
The Government of the Libyan Arab Jamahiriya is represented by:
H.E. Mr. Abdulati Ibrahim El-Obeidi
Ambassador,
as Agent;
Mr. Kamel H. El Maghur
Member of the Bar of Libya,
Mr. Derek W. Bowett, C.B.E., Q.C., F.B.A.
Whenwell Professor emeritus, University of Cambridge,
Mr. Philippe Cahier
Professor of International Law, Graduate Institute of International Studies, University of Geneva,
Mr. Luigi Condorelli
Professor of International Law, University of Geneva,
Mr. James R. Crawford
Whenwell Professor of International Law, University of Cambridge,
Mr. Rudolph Dolzer
Professor of International Law, University of Mannheim,
Sir Ian Sinclair, K.C.M.G., Q.C.
Mr. Walter D. Sohier
Member of the Bar of the State of New York and of the District of Columbia,
as Counsel and Advocates;
Mr. Timm T. Riedinger
Rechtsanwalt, Frere Cholmeley, Paris,
Mr. Rodman R. Bundy
Avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
Mr. Richard Meese
Avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
Miss Loretta Malintoppi
Avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
Miss Azza Maghur
Member of the Bar of Libya,
as Counsel;
Mr. Scott B. Edmonds
Cartographer, Maryland Cartographics, Inc.,
Mr. Bennet A. Moe
Cartographer, Maryland Cartographics, Inc.,
Le Gouvernement de la Jamahiriya arabe libyenne est représenté par :
S. Exc. M. Abdulati Ibrahim El-Obeidi
ambassadeur,
comme agent;
M. Kamel H. El Maghur
membre du barreau de Libye,
M. Derek W. Bowett, C.B.E., Q.C., F.B.A.
professeur émérite, ancien titulaire de la chaire Whewell à l'Université de Cambridge,
M. Philippe Cahier
professeur de droit international à l'Institut universitaire de hautes études internationales de
l'Université de Genève,
M. Luigi Condorelli
professeur de droit international à l'Université de Genève,
M. James R. Crawford
titulaire de la chaire Whewell de droit international à l'Université de Cambridge,
M. Rudolph Dolzer
professeur de droit international à l'Université de Manheim,
Sir Ian Sinclair, K.C.M.G., Q.C.
M. Walter D. Sohier
membre des barreaux de l'état de New York et du district de Columbia,
comme conseils et avocats;
M. Timm T. Riedinger
Rechtsanwalt, Frere Cholmeley, Paris,
M. Rodman R. Bundy
avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
M. Richard Meese
avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
Mlle Loretta Malintoppi
avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
Mlle Azza Maghur
membre du barreau de Libye,
comme conseils;
M. Scott B. Edmonds
cartographe, Maryland Cartographics, Inc.,
M. Bennet A. Moe
cartographe, Maryland Cartographics, Inc.,
Mr. Robert C. Rizzutti
Cartographer, Maryland Cartographics, Inc.,
as Experts.
The Government of the Republic of Chad is represented by:
Rector Abderahman Dadi, Director of the Ecole nationale d'administration et de
magistrature de N'Djamena,
as Agent;
H.E. Mr. Mahamat Ali-Adoum, Minister for Foreign Affairs of the Republic of Chad,
as Co-Agent;
H.E. Mr. Ahmad Allam-Mi, Ambassador of the Republic of Chad to France,
H.E. Mr. Ramdane Barma, Ambassador of the Republic of Chad to Belgium and the
Netherlands,
as Advisers;
Mr. Alain Pellet, Professor at the University of Paris X-Nanterre and at the Institut
d'etudes politiques of Paris,
as Deputy-Agent, Counsel and Advocate;
Mr. Antonio Casses, Professor of International Law at the European University Institute,
Florence,
Mr. Jean-Pierre Cot, Professor at the University of Paris I (Panthéon-Sorbonne),
Mr. Thomas M. Franck, Becker Professor of International Law and Director, Center for
International Studies, New York University,
Mrs. Rosalyn Higgins, Q.C., Professor of International Law, University of London,
as Counsel and Advocates;
Mr. Malcolm N. Shaw, Ironsides Ray and Vials Professor of Law, University of Leicester,
Member of the English Bar,
Mr. Jean-Marc Sorel, Professor at the University of Rennes,
as Advocates;
Mr. Jean Gateaud, Ingénieur général géographe honoraire,
as Counsel and Cartographer;
Mr. Jean-Pierre Mignard, Advocate at the Court of Appeal of Paris,
Mr. Marc Sassen, Advocate and Legal Adviser, The Hague,
as Counsel;
M. Robert C. Rizzutti
cartographe, Maryland Cartographics, Inc.,
comme experts.
Le Gouvernement de la République du Tchad est représenté par :
M. Abderahman Dadi, directeur de l'école nationale d'administration et de magistrature de
N'Djamena,
comme agent;
S. Exc. M. Mahamat Ali-Adoum, ministre des affaires étrangères de la République du Tchad,
comme coagent;
S. Exc. M. Ahmad Allam-Mi, ambassadeur de la République du Tchad en France,
S. Exc. M. Ramdane Barma, ambassadeur de la République du Tchad en Belgique et aux
Pays-Bas,
comme conseillers;
M. Alain Pellet, professeur à l'Université de Paris X-Nanterre et à l'd'etudes politiques of
Paris,
comme agent adjoint, conseil et avocat;
M. Antonio Casses, professeur de droit international à l'Institut universitaire européen de
Florence,
M. Jean-Pierre Cot, professeur à l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne),
M. Thomas M. Franck, titulaire de la chaire Becker de droit international et directeur du
centre d'études internationales de l'Université de New York,
Mme Rosalyn Higgins, Q.C., professeur de droit international à l'Université de Londres,
comme conseils et avocats;
M. Malcolm N. Shaw, titulaire de la chaire Ironsides Ray and Vials de droit à l'Université
de Leicester, membre du barreau d'Angleterre,
M. Jean-Marc Sorel, professeur à l'Université de Rennes,
comme avocats;
M. Jean Gateaud, ingénieur général géographe honoraire,
comme conseil et cartographe;
M. Jean-Pierre Mignard, avocat à la Cour d'appel de Paris,
Mr. Marc Sassen, Advocate and Legal Adviser, The Hague,
as Counsel;
Mrs. Margo Baender, Research Assistant, Center of International Studies, New York
University, School of Law,
Mr. Oliver Corton, Collaborateur scientifique, Université libre de Bruxelles,
Mr. Renaud Dehousse, Assistant Professor at the European University Institute, Florence,
Mr. Jean-Marc Thouvenin, attaché temporaire d'enseignement et de recherche at the
University of Paris X-Nanterre,
Mr. Joseph Tjop, attaché temporaire d'enseignement et de recherche at the University of
Paris X-Nanterre,
as Advisers and Research Assistants;
Mrs. Rochelle Fenchel;
Mrs. Susal Hunt;
Miss Florence Jovis;
Mrs. Mireille Jung;
Mrs. Martine Soulier-Moroni.
M
e
Marc Sassen, avocat et conseiller juridique, La Haye,
comme conseils;
Mme Margo Baender, assistante de recherche au centre d'études internationales de la Faculté
de droit de l'Université de New York,
M. Oliver Corton, assistant à la Faculté de droit de l'Université libre de Bruxelles,
M. Renaud Dehousse, maître-assistant à l'Institut universitaire européen de Florence,
M. Jean-Marc Thouvenin, attaché temporaire d'enseignement et de recherche à l'Université
de Paris X-Nanterre,
M. Joseph Tjop, attaché temporaire d'enseignement et de recherche à l'Université de
Paris X-Nanterre,
comme conseillers et assistants de recherche;
Mme Rochelle Fenchel;
Mme Susal Hunt;
Mlle Florence Jovis;
Mme Mireille Jung;
Mme Martine Soulier-Moroni.
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The PRESIDENT : This morning we will begin with the first presentation of Chad, and I call
first upon the Agent, Mr. Dadi, to address the Court.
M. DADI : Monsieur le Président, Messieurs les juges,
C'est un grand honneur pour moi de prendre la parole, au nom de mon pays, devant cette
Cour, composée des juristes les plus éminents du monde.
Le Président Idriss Deby, présent dans cette salle, à l'ouverture des audiences, m'a demandé de
transmettre ses salutations à vous-même, Monsieur le Président, au Vice-Président, à tous les juges,
au Greffier et au personnel du Greffe. Je le fais avec plaisir et respect.
Monsieur le Président, cette présence du Président Deby signifiait deux choses : l'importance
vitale qu'attachent le Gouvernement et le peuple tchadien à cette partie du territoire national qu'est la
bande d'Aozou et la confiance qu'ils placent en votre Cour.
Le Tchad souhaite le règlement définitif de ce différend, à l'origine de plusieurs confrontations
militaires avec la Libye, par le triomphe du droit.
Voulant éviter la confrontation, le Tchad a saisi, tour à tour, les grands forums
internationaux : l'ONU, l'OUA, l'organisation de la conférence islamique, le mouvement des
non-alignés, les sommets franco-africains; il a utilisé toutes les possibilités de règlement pacifique
des différends, y compris et d'abord les contacts directs avec la Libye. Celle-ci, en revanche, s'est
constamment dérobée et n'a pas hésité à utiliser la subversion et la force armée.
Monsieur le Président, nous venons d'écouter la Libye : sur un ton assuré, ce pays a fait valoir
des revendications territoriales, bien inquiétantes, pas seulement pour le Tchad mais aussi pour
d'autres Etats non présents dans cette affaire, revendications sur lesquelles sont matériau
cartographique a jeté une lumière particulière.
Après ce premier tour de plaidoiries orales de la Libye, plusieurs choses frappent.
Monsieur le Président, je me suis surtout posé cette question : de quoi et avec qui la Libye
parle-t-elle ? Vous l'avez peut-être constaté, Messieurs de la Cour, la Libye croit, ou fait semblant
de croire, être en procès contre la France, et parle de programmes coloniaux d'expansion territoriale.
Elle se réclame exclusivement des programmes coloniaux turcs et italiens, et s'en prend à la France
d'en avoir empêché leur réalisation; le Tchad devrait répondre de ce grief, aujourd'hui, devant vous.
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Il y a pourtant deux Parties devant vous : le Tchad et la Libye au sujet d'Aozou.
Monsieur le Président, la Turquie, la France, l'Italie, ajoutons aussi la Grande-Bretagne, ont
colonisé des peuples et conquis des territoires. Le colonialisme, période sombre de l'histoire de
l'humanité, a pris fin. Faire comme la Libye, l'histoire à reculons et prétendre en tirer des
conséquences maintenant, est inacceptable. Le Tchad aime à penser qu'il ne saurait être question de
satisfaire, aujourd'hui, des aspirations coloniales insatisfaites. C'est un question d'éthique autant que
de droit. Votre Cour, qui est un organe des Nations Unies, ne peut l'ignorer.
La Libye a tenté de s'emparer, par la force, d'une partie du territoire tchadien; voilà, de façon
un peu abrupte, la réalité dont les conseils du Tchad tireront les conséquences juridiques.
Monsieur le Président, je voudrais, très succinctement, rappeler quelques faits; ils ont leur
importance à notre sens.
Le 31 août 1989, la Libye et le Tchad, en conflit armé depuis le milieu de 1982, signaient à
Alger, grâce à la médiation de l'Algérie et sous l'égide de l'OUA, un accord-cadre dont l'un des buts
était de régler le différend frontalier de la bande d'Aozou, à l'origine de la tension entre les deux
Etats.
Couronnement des efforts de médiation de l'OUA, cet accord préconisait avant tout un
règlement politique de ce différend par des négociations bilatérales directes et fixait le terme d'un an;
au-delà duquel la Cour internationale de Justice devrait être saisie pour un règlement juridictionnel,
ce que firent les deux Parties.
Le 26 août 19991, le Tchad prend connaissance du mémoire de la Libye et découvre avec
surprise que la demande de ce pays, débordant de très loin le cadre de la bande d'Aozou, portait sur
la moitié de son territoire.
Monsieur le Président, la Libye poursuit un dessein territorial visant à reconstruire la très
grande Libye qui, selon ses plaidoiries, serait allée de Tripoli au lac Tchad et dont les voies auraient
été ouvertes par les Senoussistes et par les Ottomans, on ne sait trop, il y a un siècle.
Cette Libye inclurait plusieurs territoires, certains très riches en pétrole, d'autres en uranium,
qui appartiennent aujourd'hui à ses voisins. L'une des superbes cartes présentées par la Libye
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indique l'existence des zaouïas senoussistes à Kano, au Nigéria, dans l'Adamoua, au Cameroun et
au Niger...
Mais la reconstruction de cette Libye, en réalité plus mythique qu'historique, se réaliserait
pour l'essentiel au détriment du Tchad, pays pauvre, pluri-ethniques, secoué par une longue guerre
civile, pour tout dire un pays faible économiquement et fragile politiquement.
Monsieur le Président, la demande du Tchad, elle, vise uniquement à préserver son intégrité
territoriale. Les arguments du Tchad sont articulés dans ce but. Le Tchad ne revendique aucun
territoire appartenant à un autre Etat. Il ne demande qu'une chose : la justice.
Monsieur le Président, dans la présente affaire, quoi qu'en dise la Libye, aucun territoire
libyen n'est en jeu : la Libye entend garder l'héritage qu'elle a reçu de l'Italie et partager celui que la
France a laissé au Tchad. Une réponse simple à cette proposition : que chacun garde ce qu'il a reçu,
il n'y a rien à partager.
La Libye revendique la moitié du Tchad : la préfecture du Borkou-Ennedi-Tibesti tout entière,
plus des territoires faisant partie de la préfecture de Biltine, soit au total la moitié, je le redis, la
moitié du territoire tchadien.
Mais la Libye ne peut pas charger la Cour d'une mission de démembrement d'un Etat
souverain; en tout cas la Cour ne l'accepterait pas, nous en sommes sûrs. Du reste, si nous
comprenons bien la logique libyenne, le Tchad, en acceptant la juridiction de la Cour, aurait commis
l'erreur fatale. Je ne peux pas imaginer qu'il serait plus dangereux pour un pays comme le Tchad de
venir devant la Cour que de laisser un litige en l'état !
Monsieur le Président, en vérité, la Libye a des problèmes avec cette affaire. C'est la raison
de ses efforts extraordinaires pour dénaturer le litige.
Si, indépendamment d'Aozou occupée par la force, il y a problème au sujet de la frontière
commune, c'est un simple problème de matérialisation de la frontière sur le terrain, de démarcation.
La Libye, elle, affirme faussement que l'histoire du différend qui l'oppose au Tchad est "trop
lointaine" et "trop compliquée" (mémoire de la Libye, chap. 1, p. 2-3).
L'origine du différend remonte à une vingtaine d'années, pas davantage, lorsque, profitant de
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la guerre civile qui ravageait le Tchad, la Libye s'est implantée dans la région d'Aozou.
La revendication actuelle de la Libye, apparue pour la première fois dans le mémoire de ce
pays et qui met en cause de vastes territoires tchadiens, n'est rien d'autre qu'une manœuvre judiciaire.
Alors que le différend porte sur la frontière commune, la Libye cherche à entraîner le Tchad
dans une discussion inutile sur des territoires n'ayant jamais été objets de la moindre contestation.
Son but est certainement de détourner l'attention, non seulement de la question essentielle, celle de la
bande d'Aozou, mais également de l'instrument principal qui donne la solution, le traité du
10 août 1955 entre le Royaume-Uni de la Libye et la France à laquelle le Tchad, devenu indépendant
en 1960, a succédé.
Monsieur le Président, Messieurs les juges, arrêtons-nous quelques instants sur le traité du
10 août 1955.
Pour le Tchad, le traité du 10 août 1955 est la clé du différend. Librement, la Libye l'avait
négocié, signé et ratifié. Ce traité est incontournable et décisif. Son application suffit à régler le
litige.
Monsieur le Président, l'approche libyenne des questions frontalières, telle qu'elle s'exprime à
travers ses plaidoiries, est subversive : en effet, la Libye prétend qu'il faut une vérification générale
des conditions dans lesquelles le partage de l'Afrique fut opéré, il y a plusieurs siècles, afin de faire,
s'il y a lieu, droit aux pays qui auraient été lésés par les puissances colonisatrices. Bien entendu, la
Libye s'affirme être victime du partage colonial et entend par exemple faire payer au Tchad une
"promesse politique" concernant l'expansionnisme colonial italien, faite par la France et la
Grande-Bretagne à l'Italie, en 1915.
La Libye prétend qu'il est légitime que tout pays africain demande, à tout moment, un "audit"
rétrospectif de tous les accords et traités concernant ses frontières conclus entre les puissances
coloniales et qu'en règle générale, les délimitations arrêtées pendant la période coloniale devraient
faire l'objet d'un doute.
Le message de la Libye est on ne peut plus clair et plus direct : "gratter la surface"
(contre-mémoire de la Libye, chap. 2, p. 19-22). En d'autres termes, Monsieur le Président, pour la
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Libye, rien n'est acquis au sujet des frontières, ceci en contradiction flagrante — malgré ses
dénégations — avec la résolution du Caire de l'OUA.
Monsieur le Président, dans ses écritures, le Tchad, soucieux de contribuer à
l'approfondissement du débat judiciaire, n'a pas insisté sur les enjeux politiques de l'affaire d'Aozou.
Le moment est cependant venu de dire quelques mots sur ces enjeux pour le Tchad d'abord et,
au-delà, pour l'Afrique tout entière.
Pour le Tchad, l'enjeu est triple : il s'agit de son intégrité territoriale, de son unité et de son
développement économique.
L'intégrité territoriale du Tchad est menacée.
La Libye occupe la bande d'Aozou depuis 1973 par la force.
Cette situation lui paraissant mal assurée, elle entreprit, dès 1977, de consolider le fait
accompli en vue de rendre irréversible l'occupation d'Aozou. Le Tchad, bien sûr, s'y oppose avec
tous les moyens dont il dispose, n'hésitant pas à préserver ses droits, fût-ce en prenant le risque d'une
confrontation armée avec son puissant voisin. Ainsi, la Libye envahit militairement le Tchad
en 1977-1978, 1980, 1983 et 1984, parvenant de 1984 à 1987 à contrôler toute la préfecture du
Borkou-Ennedi-Tibesti. En même temps, elle affirmait, paradoxalement qu'elle soutenait un
"Gouvernement tchadien" qui prétendait avoir installé sa capitale à Bardaï, à 80 kilomètres au sud de
la palmeraie d'Aozou. La Libye le soutenait et est allée jusqu'à revendiquer pour lui, avec
acharnement, de 1982 à 1987, le siège du Tchad à l'OUA et à l'ONU. Ceci est difficilement
compatible avec le caractère libyen de cette région, affirmé aujourd'hui par notre voisin du nord.
Décidément, la Libye a des pertes de mémoire !
Aujourd'hui, par une demande dont l'ampleur va au-delà des craintes les plus fortes, la Libye
dévoile son intention de parvenir à la dislocation du Tchad et présente cette sombre perspective
comme une heureuse occasion pour ce pays de connaître enfin la stabilité.
Un Tchad divisé et instable est le plus sûr moyen pouvant permettre à la Libye de réaliser son
projet territorial. C'est ce qui, en réalité, pousse à attiser constamment les dissensions internes,
susciter des dissidences et encourager les rébellions aux régions en place à N'Djamena.
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Monsieur le Président, il est certes vrai qu'aujourd'hui, les relations tchado-libyennes sont
meilleures qu'hier mais le présent n'efface pas le passé et, plus inquiétant, ne garantit pas l'avenir.
Monsieur le Président, la Libye cherche à utiliser à son avantage tous les problèmes qu'a
connus le Tchad y compris ceux, provoqués par elle : parmi ces problèmes, il en est un qui a une
incidence directe sur la présente affaire, c'est celui des archives de la préfecture du
Borkou-Ennedi-Tibesti, emportées ou détruites par la Libye.
Depuis 1973, la Libye a inauguré ce que l'on pourrait appeler une "politique tchadienne",
consistant à empêcher l'émergence d'institutions capables d'agir avec efficacité et avec toute la
cohérence souhaitable en particulier sur la scène internationale mais la Libye n'a pas toujours atteint
ses objectifs, le colonel Kadhafi s'est souvent plaint de l'ingratitude de ses alliés révolutionnaires
tchadiens.
Monsieur le Président, si vous le voulez bien passons de la politique à la géographie. La
Libye, cartes à l'appui, a affirmé qu'à partir du 15e
parallèle, les données géographiques du Tchad
changement : au nord de cette ligne, les régions sahélo-sahariennes, au sud, les régions soudaniennes.
Cela est vrai et on l'enseigne aux petits écoliers tchadiens, je ne vois pas ce que la Libye voudrait en
tirer au plan juridique. Les frontières du Tchad, comme celles de bien d'autres pays, sont là où
l'histoire les a mises et la géographie y a peu à voir.
La Libye utilise toutes les réalités géographiques et humaines du Tchad, volontairement à tort
et à travers : cette histoire de peuple et de tribu senoussi, exposée avec fracas, c'est de la
mystification, il n'y a pas d'autre mot, Monsieur le Président.
Je suis originaire des régions que la Libye qualifie de "borderlands". Nos voisins, au nord,
sont des Fezzanais et des Tripolitains, des gens, si j'ose dire, d'un autre monde. Monsieur le
Président, c'est exactement comme si un étranger vous faisait visiter votre propre maison. C'est
étrange, c'est vraiment étrange, cette leçon d'histoire que la Libye nous a donnée sur le peuple
toubou, devenu "tribu senoussi".
Monsieur le Président, l'existence du Tchad en tant qu'Etat indépendant dans sa configuration
géographique est en jeu. L'affaire de la bande d'Aozou a, pour l'opinion publique tchadienne qui la
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suit avec une attention passionnée, une portée psychologique difficile à exprimer en des termes non
subjectifs.
L'attachement du peuple tchadien à la bande d'Aozou a conduit des observateurs étrangers
indépendants, à parler de cette région comme de "l'Alsace-Lorraine" du Tchad. Si, pour la Libye, la
bande d'Aozou est un "borderland", pour le Tchad, elle en est le cœur, non pas certes géographique
mais bien politique.
La bande d'Aozou n'est pas seulement, en droit, un territoire appartenant au Tchad, c'est aussi
un symbole. Sur elle se réalise un consensus rare au Tchad, consensus dont on vient d'en avoir la
preuve par la résolution spéciale adoptée à l'unanimité par la conférence nationale souveraine, un
forum réunissant plus de mille délégues, tenue à N'Djamena du 15 janvier au 6 avril 19993.
Monsieur le Président, la Libye convoite les ressources naturelles et minières du
Tchad : uranium, wolfran, tungstène sont les richesses actuellement connues auxquelles il faut
ajouter l'importante nappe d'eau dont regorge la région revendiquée. Oui, l'eau qui est l'obsession
actuelle de la Libye.
Ce pays ne cherche d'ailleurs pas à dissimuler ses intentions, au contraire, il les justifie,
affirmant que sa richesse actuelle, le pétrole, est inépuisable.
Le développement du Tchad est hypothéqué par la présence de troupes étrangères sur une
partie de son sol : le Tchad consacre environ 50 pour cent de son budget à des dépenses militaires.
Un tel effort interdit toute politique de développement économique et social et condamne les
populations à la misère, à la maladie et à l'ignorance.
Il est vrai que la Libye n'est pas le responsable originel de l'état de sous-développement que
connaît le Tchad. Mais en attisant les conflits internes et en imposant la guerre et la tension
permanente à un peuple d'ordinaire préoccupé par la satisfaction de ses besoins élémentaires, elle
contribue indéniablement à aiguiser ses problèmes et à empirer sa situation.
La Libye, de son propre aveu, cherche aussi à démembrer le Tchad pour des raisons de
sécurité et d'ordre militaire : pays riche, elle dit avoir droit à une protection plus importante et
affirme que pour la protection de ses puits de pétrole contre un éventuel danger, elle a besoin des
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montagnes du Tibesti.
Par cet argument, il est difficile de savoir ce que, réellement, la Libye cherche à démontrer :
que le Tchad la menace ou bien qu'à cause du Tchad, elle se sent menacée ?
Monsieur le Président, tout le monde sait comment, en 18885, à la conférence Berlin, les
puissances colonisatrices européennes avaient procédé au dépeçage de l'Afrique : sans aucun égard
pour les peuples et leur histoire, elles ont tiré à la règle des lignes arbitraires.
Il en est résulté des frontières artificielles et rarement démarquées sur le terrain. A la
décolonisation, cette réalité fut prise en compte par les nouveaux Etats dans un souci de stabilité et
de réalisme car il était impossible de corriger les aberrations du découpage colonial. Chaque Etat
devait se contenter de son héritage. Tel était le sens de la résolution de l'OUA adoptée au Caire
en 1964, sur les frontières héritées de la colonisation et qu'on a traduit par le principe de
l'inviolabilité. Arbitraires et non démarquées, telles sont les caractéristiques de la quasi-totalité des
frontières africaines. Il va de soi que les contestations et les revendications s'en trouvent
naturellement facilitées.
La vigilance de votre Cour sera salutaire pour le continent africain tout entier : le succès des
thèses libyennes pourrait réveiller "les crocodiles qui dorment" tandis que leur rejet découragera
définitivement ceux qui n'attendent qu'un signal.
Monsieur le Président, la Libye est loin d'être pour le Tchad, ce voisin attentionné et
bienfaiteur que son agent, s'appuyant sur le Coran, a décrit à l'ouverture des audiences. La réalité
est autre et les Tchadiens, eux, se souviennent de quelques invasions militaires libyennes. Bien sûr,
je ne conteste pas que la Libye pratique la charité mais je doute que le Tchad en soit le bénéficiaire !
La Libye a insisté sur la différence de statut et de capacité entre elle et la France, ce qui au
demeurant, n'est pas le sujet.
Permettez-moi, cependant, Monsieur le Président, d'évoquer en quelques mots seulement, la
différence qui sépare, en terme de richesse, de savoir-faire et de puissance, le Tchad et la Libye.
Cette différence, entre deux pays d'Afrique, l'un parmi les plus riches et l'autre parmi les plus
pauvres du monde, est impressionnante.
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Le Tchad en est persuadé, votre Cour ne permettra pas à des Etats puissants comme la Libye,
de menacer l'intégrité territoriale et l'unité politique de petits Etats comme le Tchad, au prétexte qu'il
faudrait rétablir les frontières naturelles ou redresser des injustices historiques dont, en l'occurrence,
la réalité n'apparaît guère.
A vrai dire, est-il raisonnable pour la Libye, qui dispose d'un très grand territoire, d'une
importante façade maritime et d'un sous-sol regorgeant de pétrole, de tenter de priver le Tchad,
pauvre, enclavé, classé à juste titre parmi les "PMA" — les pays les moins avancés — de ses très
rares atouts naturels ?
L'histoire, s'il faut en parler, fut-elle vraiment juste à l'égard du Tchad privé de façade
maritime ? Il vit pourtant avec ce handicap qui n'est pas des moindres.
Monsieur le Président, l'affaire d'Aozou est un enjeu au-delà du Tchad, puisque la Libye
conteste radicalement le principe du respect des frontières héritées de la colonisation que les Etats
africains considèrent, à la quasi-unanimité, comme une règle sacro-sainte et un rempart contre des
revendications en chaîne.
La conviction est générale et forte, au sein de l'OUA sur le rôle stabilisateur de ce principe.
Même les Etats qui ont rejoint l'organisation bien après 1964, notamment les Etats lusophones, n'ont
pas cherché à le remettre en cause, au contraire, ils l'ont accepté. C'est dire la force de l'engagement
de l'OUA sur les questions frontalières et territoriales.
La Libye a eu le rare privilège de participer directement à la définition de ses frontières, au
surplus, dans un cadre international, et selon un processus conduit par les Nations Unies, offrant
donc des garanties techniques et de justice. Peu d'Etats africains ont eu cette chance, en tout cas, pas
le Tchad.
Le discours anticolonialiste qui fait fond à ses plaidoiries est une rhétorique, destinée à pallier
son défaut patent de toute preuve documentaire face au Tchad qui en détient de nombreuses, traités
et accords.
Toutes les preuves formelles allant contre sa thèse, la Libye croit bon de discréditer le Tchad,
en invoquant contre lui, l'anticolonialisme et en assimilant sa cause à celle de la France. La Libye
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devrait se garder d'affirmations de ce genre, elle, qui cherche à bénéficier des dispositions du traité de
Londres de 1915, quintessence même du colonialisme européen.
Monsieur le Président, puis-je rappeler à la Libye qu'elle n'a pas le monopole de
l'anticolonialisme. Quant au Tchad, il ne défend pas un passé colonial dont il a eu à souffrir autant
que la Libye mais la stabilité territoriale, une stabilité qui lui est chère comme à tous les Etats
africains issus de la décolonisation.
Monsieur le Président, le Tchad est fier que des juristes éminents aient accepté de présenter sa
cause devant votre haute juridiction. Leurs noms et qualités ont été communiqués au Greffe et ceci
me dispense de les citer. Mais je souhaite leur adresser ici, publiquement, les remerciements de la
République du Tchad, ainsi qu'à leurs collaborateurs.
Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je vous remercie de votre attention.
Monsieur le Président, je vous prie de donner la parole à l'agent adjoint du Tchad, le
professeur Alain Pellet.
The PRESIDENT: Thank you very much Mr. Dadi and now could we have Professor Pellet.
M. PELLET : Monsieur le Président, Messieurs les Juges, c'est avec émotion et plaisir que j'ai
l'honneur de me présenter à nouveau devant vous, mais aussi, je l'avoue, avec un peu
d'appréhension — non pas que j'aie des doutes sur le bien-fondé de la thèse que le Tchad soutient ici;
mais parce que j'ai conscience de l'importance de l'enjeu. Toutes les affaires qui sont plaidées devant
vous sont importantes; mais celle-ci est vitale — en tout cas pour le Tchad auquel la Libye dispute
une immense partie de son territoire.
Mon très bref exposé de ce matin a pour objet d'une part de mettre en évidence certains
procédés de "démonstration" — je mets le mot entre guillemets — utilisés par la Libye et qui nous
ont paru discutables et, d'autre part, de présenter les grandes lignes et le plan de nos propres
plaidoiries.
a) Les procédés libyens de "démonstration"
Monsieur le Président,
- 20 -
1. J'ai écouté, avec beaucoup d'attention, les conseils de la Libye, auxquels l'affaire qui nous
divise ne m'empêche pas d'adresser un cordial salut. Ce sont presque tous des amis de longue date.
Et au terme de leurs prestations, parfois brillantes, nous ressentons, de ce côté-ci de la barre,
une impression étrange. Nous croyions venir plaider une affaire devant le "principal organe
judiciaire des Nations Unies". Nous nous préparions à réfuter des arguments juridiques afin de
permettre à la Cour de s'acquitter de sa mission qui "est de régler conformément au droit
international les différends qui lui sont soumis". Or, durant sept longues séances, nous avons assisté
à un tout autre exercice. Bien sûr, les apparences sont sauves : la Partie libyenne énonce avec une
conviction de façade certains principes de droit — qu'elle interprète du reste avec une fantaisie qui
fait honneur à l'imagination de ses conseils. Mais ces principes soit ne sont pas reliés au fait qui sont
à l'origine du différend qui oppose les Parties, soit ne sont qu'un mince voile d'apparence juridique
qui dissimule mal une volonté expansionniste que votre haute juridiction ne peut pas satisfaire.
Au fond, la Libye, qui, comme le montreront les professeurs Higgins et Franck, n'a jamais
saisi l'occasion des débats devant l'ONU ou l'OUA pour exposer sa thèse en termes juridiques, se
trompe une nouvelle fois de forum. Elle croit pouvoir continuer devant la Cour les négociations qui,
jadis, avaient été menées entre la France d'une part et l'Empire ottoman ou l'Italie d'autre part, sans
jamais aboutir à une modification, parfois envisagée, de la frontière existante. Mais, Monsieur le
Président, la Cour n'est ni un "marché aux territoires" ni un "tribunal de l'histoire" chargé d'effacer
de prétendues injustices historiques.
2. Et à ce propos, Monsieur le Président, je voudrais insister sur un point crucial : si les
conseils de la Libye ont probablement eu le sentiment de se livrer je dirais à un "baroud d'honneur",
ils ne s'en sont pas moins employés à créer une "atmosphère". Je ne parle pas ici des conclusions
libyennes, tellement extravagantes qu'elles en perdent toute crédibilité. Non. Plus grave me paraît
être cette insinuation constante, que vient d'évoquer l'agent du Tchad, et selon laquelle le Tchad
serait le défenseur obscurantiste de l'impérialisme colonial face à une Libye moderne, championne du
droit des peuples — des peuples voisins, il est vrai — à disposer d'eux-mêmes.
Plus que d'autres, le Tchad a le sentiment d'avoir souffert du colonialisme et des injustices de
- 21 -
l'histoire — de cette histoire que la Libye interprète d'ailleurs très librement. Et tout au long de la
préparation des écritures et des plaidoiries de cette affaire, nous avons ressenti l'arbitraire des
partage coloniaux et le cynisme avec lequel une poignée de puissances européennes ont procédé au
dépeçage répugnant du continent africain.
Monsieur le Président, on ne gomme pas l'histoire; le colonialisme ne peut pas être mis entre
parenthèses. Dans leur sagesse, les peuples et les Etats d'Afrique ont pris acte de l'héritage.
C'est, comme l'a dit la Chambre de la Cour dans l'affaire du Différend frontalier
(Burkina Faso/République du Mali)
"le besoin vital de stabilité pour survivre, se développer et consolider progressivement
leur indépendance dans tous les domaines qui a amené les Etats africains à consentir au
respect des frontières coloniales et à en tenir compte dans l'interprétation du principe de
l'autodétermination des peuples" (C.I.J. Recueil 1986, p. 567, par. 25).
Le Tchad, assurément, n'approuve pas le passé — comment le pourrait-il lui qui en a tant
souffert ! Mais il en prend acte lui aussi de même que le droit international en a pris acte en
consacrant le principe de l'uti possidetis qui interdit la réouverture des "négociations judiciaires"
auxquelles vous convie la Libye et qui aboutiraient à un nouveau partage aussi détestable que celui
auquel ont procédé jadis la France, la Grande-Bretagne et l'Italie.
3. Nos contradicteurs "martèlent" plus qu'ils ne prouvent et espèrent susciter des
"impressions" à défaut de pouvoir emporter la conviction.
L'impression, par exemple, que la Libye serait fille de la Senoussia et de l'Empire ottoman,
alors que la première, la Senoussia, à l'implantation disséminée, discontinue, appartient au
patrimoine religieux et culturel de tous les Musulmans et que le second, l'Empire ottoman,
administrait la Tripolitaine et la Cyrénaïque comme deux entités distinctes en se désintéressant
largement du Sahara.
L'impression qu'il a, de tout temps, existé un "peuple libyen" alors que, comme le Tchad, la
Libye — sauf peut-être dans l'étroite bande côtière qui jouxte la Méditerranée — la Libye est issue
d'un agrégat de tribus, souvent nomades et querelleuses, qui ont donné je dirais du "fil à retordre"
aux Ottomans puis résisté fièrement, mais de façon souvent désordonnée, à l'avance italienne, de
même d'ailleurs que les ethnies tchadiennes n'ont pas su s'unir face à la menace française.
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L'impression aussi que les populations du nord du Tchad seraient, par décret divin,
"indiscutablement libyennes", "unquestionably Libyan" (CR 93/144, p. 36). Ceci par glissements
sémantiques successifs ; "les Senoussistes sont libyens" (déjà, cela se discute); "les tribus indigènes
sont senoussistes" (elles ne le sont pas toutes, ni de la même manière); donc, "les tribus senoussistes
sont libyennes" et tout ce que l'on peut attribuer au "peuple senoussiste" sert la cause libyenne —
C.Q,F.D, ce qu'il fallait démontrer. D'où l'utilité, croit-on de multiplier les références à ce très
mythique "peuple senoussiste", expression qui est revenue dix-huit fois dans la bouche du seul
professeur Dolzer mardi dernier !
L'impression enfin — mais ce ne sont que des exemples — que la région revendiquée par la
Libye est une sorte de no man's land, une terra nullius des temps modernes ou une "buffer zone"
(CR 93/14, p. 33) dont on pourrait disposer pour des raisons géostratégiques, militaires,
économiques, climatiques, que sais-je encore ? Des "raisons" en tout cas, Monsieur le Président, qui
n'ont pas leur place dans cette enceinte.
4. Pour créer ces impressions, la Libye n'a pas lésiné sur les moyens. C'est son droit, même si
le Tchad ne peut pas espérer la suivre sur ce terrain.
Nous avons lu des pièces de procédure magnifiquement illustrées de centaines de cartes en
couleur "specially prepared for presentation to the International Court of Justice". Nous avons pu
suivre des animations extrêmement bien faites, nous nous plaisons à le reconnaître, auxquelles il ne
manquait que l'écran panoramique !
Mais tout ceci est trop conforme aux techniques modernes de la communication pour être pris
à la légère. L'effet de masse est redoutable. A force de voir sur la carte la prétendue "strict
southeast line" on finit par se demander si, finalement... A force de voire, sur ces mêmes cartes, des
flèches rouges qui pointent vers Tejerhi ou In Ezzane sans aboutir à une quelconque ligne, on finit
par avoir des doutes... N'y aurait-il vraiment pas de frontières ? Ni entre le Tchad et la Libye ? Ni
entre le Tchad et la Libye ? Ni entre celle-ci et le Niger ou l'Algérie ? Certes, ce sont des "trucs";
mais après tout, ce qui fait vendre de la lessive ne risque-t-il pas de faire naître des idées ?
Et les "trucs" utilisés par la Libye ne sont pas seulement visuels. On les retrouve dans ses
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écrits. Je n'en veux pour preuve que le mot "borderlands" dont M. Sohier nous a dit, le 16 juin, qu'il
n'était que "a handy geographical term of reference" (CR 93/16, p. 12) sans pertinence juridique.
Certes; mais ceci n'empêche pas la Libye d'en faire un leitmotiv tant dans ses écritures qu'en
plaidoirie — sans doute dans le secret espoir de faire naître chez le lecteur, ou l'auditeur, la
conviction (bien sûr erronée) qu'il existe bien, au nord du 15e
parallèle, un territoire au statut
juridique indéterminé que l'on pourrait partager "équitablement" entre les Parties.
En soi tout ceci n'est pas répréhensible. Mais est-ce justifié dans un débat judiciaire ? Vous
êtes les juges, Messieurs de la Cour.
5. Le Tchad considère au demeurant que certains procédés utilisés par la Libye sont
discutables.
Il lui paraît par exemple fort contestable, que la Libye ait reproduit entre les pages 112 et 113
de sa réplique une carte figurant à la page 2 de l'Atlas géographique qu'avait établie le Tchad après
en avoir, semble-t-il, surchargé une ligne essentielle dans notre affaire — c'est la frontière de la
Tripolitaine — et ceci sans le moindre avertissement. Peut-être la Libye entendait-elle ainsi
échapper aux conclusions que vous ne manquerez pas de tirer de la légende cette carte, légende qu'au
demeurant elle se garde bien de reproduire et qui indique nettement que la ligne qu'a retouchée la
Libye — en tout cas qu'elle semble avoir retouchée — représente une "frontière coloniale" turque
(kolonialgrenzen) ?
Par ailleurs, il est regrettable que la Libye ait cru pouvoir fonder une part importante de son
argumentation sur un document (je parle de la lettre de Tombalbaye), dont elle dit avoir perdu
l'original, alors même qu'à défaut d'original, elle eût pu, au moins, fournir une copie moins illisible
que celle dont le Tchad dispose et qui n'est, elle-même, qu'une mauvaise reproduction du document
remis par la Libye au sous-comité de l'OUA en 1987.
Nous reviendrons sur les conséquences juridiques qu'il convient de tirer de ces comportements,
mais il nous a semblé convenable d'en faire état d'emblée.
b) Plan des plaidoiries
6. Monsieur le Président, en écoutant les conseils de la Libye, j'ai été frappé par le fait que ce
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pays qui avait pourtant admis, dans ses écritures, que "it is clear that if the Court does find the
existence of ... a conventionnal boundary, the Court will have resolved the dispute" (réplique,
par. 3.66, p. 34; voir aussi par. 3.55, p. 30 ou contre-mémoire, par. 2.04, p. 28; par. 2.10 et 2.12,
p. 31 ou par. 2.24, p. 36), que ce pays donc, malgré cela, s'ingénie, je dirais à "refuser l'obstacle" et
à écarter, je ne dis pas d'un "revers de main" mais presque, les conventions et accords, pourtant
nombreux, qui établissent — et de la manière la plus claire, bien plus claire qu'entre maint pays
africains — le tracé de la frontière.
Je suis frappé aussi par un autre aspect des thèses libyennes. Alors qu'elle affirme qu'il
n'existe pas de frontière et qu'il faut donc s'interroger sur le titre colonial pouvant fonder les
conclusions de l'une et l'autre Parties, la Libye n'invoque, en réalité, aucun titre juridique, aucun; elle
base toute sa fragile argumentation sur des "revendications", des "claims"— "senoussistes",
ottomanes, italiennes, britanniques, que sais-je ? Mais Monsieur le Président, une revendication n'a
jamais établi le moindre droit !
7. Monsieur le Président, la démarche que nous nous proposons de suivre est plus orthodoxe.
Après avoir brossé un tableau général des thèse juridiques des Parties, nous nous emploierons,
dans un premier temps, à établir :
— primo, que le traité franco-libyen de 1955 identifie sans aucune ambiguïté, une ligne frontalière;
— secundo, que ce traité est en tous points compatible avec les décisions prises par les
Nations Unies lorsque la Libye a accédé à l'indépendance, et
— tertio, que cette ligne peut, sans difficulté, être tracée par référence aux seuls instruments
auxquels renvoie le traité de 1955.
Dans un deuxième temps, les conseils du Tchad montreront que, même si l'on faisait
abstraction de ce traité fondamental et il n'y a aucune espèce de raison, à vrai dire, d'en faire
abstraction — même dans ce cas, la même ligne serait opposable à la Libye du fait des mêmes
instruments qu'aucun accord contraire n'a jamais privés de leur validité.
Dans un troisième temps, nous constaterons
— que le "titre originaire" invoqué par la Libye n'est pas pertinent et a été, de toutes manières,
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supplanté par le titre colonial français;
— que cette ligne peut également être déduite des "effectivités"sur le terrain et de la cartographie;
— que le Tchad a succédé à la France et que cette succession a été reconnue par la Libye et les
Nations Unies;
— tandis qu'à l'inverse les "ineffectivités libyennes" sont patentes si, du moins, l'on fait abstraction
de l'occupation militaire de la bande d'Aozou, comme ceci a été reconnu également par l'OUA et
aux Nations Unies.
Si nous avons le temps et si vous m'y autorisez, Monsieur le Président, je reviendrai pour
récapituler brièvement l'argumentation du Tchad à la fin de ces plaidoiries.
Mais nous n'en sommes pas là. Commençons par le commencement. Et le commencement
juridique — la fin aussi d'ailleurs — c'est le traité du 10 août 1955 entre la France et la Libye.
Toutefois, avant que M. Jean-Pierre Cot aborde ce point capital, il nous a semblé nécessaire de
présenter, dans son ensemble, la thèse du Tchad et les critiques fondamentales qu'elle comporte à
l'encontre de l'argumentation libyenne; c'est ce que Mme Higgins fera dans quelques instants.
Auparavant, Monsieur le Président, je souhaite indiquer que, conformément à l'usage, les
conseils du Tchad se proposent, avec votre autorisation, de ne pas donner expressément les
références des citations qu'ils seront amenés à faire. Ces références seront communiquées au Greffe
qui, j'en suis certain, acceptera avec son efficacité et sa courtoisie habituelles de les rétablir dans le
texte des comptes rendus et nous l'en remercions bien vivement par avance.
Monsieur le Président, Messieurs les juges, je vous remercie de votre bienveillante attention et
je vous prie de bien vouloir entendre Mme Higgins.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Pellet. Professor Higgins.
Mrs. HIGGINS: Mr. President, Members of the Court, I am truly honoured to be appearing
before you to make submissions on behalf of the Republic of Chad.
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2. The Parties' Cases
1. Professor Bowett, in his opening remarks, explained, with a pleasing simplicity, Libya's
case. There was, and never had been, a settled frontier with Chad; the Court could and should settle
one now; and it should do so as a consequence of finding Libyan title down to the fifteenth parallel.
2. It is my purpose in these submissions to do three things; first, to show the Court that the
claim of Libya as presented to the Court is completely inconsistent with what Libya has claimed over
the years; and to suggest that the Court may properly draw certain conclusions from that. Second,
to identify the dispute that Libya and Chad have together submitted to the Court. And, third, to state
briefly Chad's constant and consistent position in the true dispute.
I. Libya's changing and incompatible positions
3. Libya has over the years advanced, and continues to advance, an array of inconsistent and
incompatible positions. Before the Court the insistent theme has been that there has never been a
settled frontier between Libya and Chad.
4. But the Court should be aware that Libya has, until August 1990, always accepted that
there is an established frontier between Chad and itself. Sometimes its positions have been explicit,
sometimes they are to be deduced from Libya's silences.
My colleague, Professor Franck, will take the Court through the evidence on these matters,
but I may summarize the position here: There exists no statement by Libya upon independence that
it still had an unsettled boundary nor that its boundary was other than that which France assumed to
have remained operative in the face of the non-ratification of the Laval-Mussolini Treaty.
5. In February 1955 there occurred certain incidents in the Aozou strip (MC, paras. 108-114)
which indicated that while Libya may have harboured certain designs over that area, it was prepared
to acquiesce in the exercise of French territorial sovereignty.
6. During the negotiations with France for the Treaty of 1955 Libya renounced any claim to
the BET — and did so in the context of accepting that the frontier was the one identified in the
treaties of reference annexed to the text of the treaty being prepared (see Draft Minutes of
5 March 1955, Ann. 342). By the Treaty Libya confirmed the acceptance of the frontier as being the
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line contained in those international instruments of reference. In 1956 Libya requested the actual
demarcation of a section of its frontier with Algeria. It raised no issue about its frontier with Chad.
Nor was any point raised about their common frontier when Chad, newly independent, applied for
membership in the United Nations in 1960 (MC, p. 298).
7. In 1964 the OAU adopted its celebrated Cairo resolution, affirming the commitment to
stability by accepting the colonial frontiers. Those States which regarded themselves as having
disputed borders entered caveats or reservations: Libya felt no such need and voted for the
resolution without explanation or qualification.
8. There followed a series of treaties with Chad. The terms of each of these assumes that the
frontier between Libya and Chad had been definitively settled in 1955.
9. Thus, stopping for a moment to take a shapshot of Libya's position in the early 1970s, this
is the picture that emerges: Libya knew that a frontier existed and made no contrary assertion —
even when opportunity presented itself. Indeed, it had in 1955 explicitly accepted the 1899 line.
10. Mr. President, let me pause here to make the following point. Libya has endeavoured to
explain its failure upon independence to query its frontiers as due to ignorance of everything save the
Secretariat map. Professor Franck will explain how this picture does not accord with reality. In any
event, it really must be a State's own responsibility at least to ask, upon becoming independent,
where are my borders? Libya then seeks to explain away the 1955 Treaty by reliance again on
Libyan ignorance, and on French deceit and trickery. Professor Cot will examine this more closely.
But by 1964, when the celebrate uti possidetis resolution was adopted at the OAU, the reliance on
ignorance and bewilderment is becoming a bit thin. Somehow other African countries, much poorer
than Libya, have managed to check and query their boundaries upon independence; and several of
them have in 1964 been perfectly able to raise their boundary concerns again in the context of the uti
possidetis vote. They were not too ignorant, they were not too brow-beaten by the colonial powers,
to do this.
11. The acceptance in the 1955 Treaty of the 1899 line did not preclude Libya from its
military expansion into the Aozou strip in 1973. The initial position was to deny the occupation and
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to insist that Libya had no claims in the Aozou strip. But when the fact of the occupation became
undeniable, Libya began again to invoke, albeit indirectly, the 1935 frontier line. Chad's
Counter-Memorial (paras. 2.87-2.94) recounts the issuing of such maps in Libya in the mid 1970s;
and the reference to the map annexed to the Pelt Report as "the true situation", an assertion made by
the Libyan representative at the United Nations in March 1983; again by Libya in October 1985 in
the General Assembly, and in January 1985 in the Security Council. Libyan maps of the period
depicting the 1935 proposed treaty line may be seen in a series of maps that will be identified in the
verbatim record (S3777, Map No. 87 and United Nations Maps 256, 256A and 256/rev.1).
12. Professor Franck will show the Court in some detail Libya's position on the matter of the
frontier in the Organization of African Unity. I need merely say that Libya did not deny there that a
frontier existed — it merely turned its back on the 1899 line which it had accepted, by its conduct
and silences since 1950, and then explicitly in 1955.
13. Every one of the various organs of the OAU dealing with the dispute believed that Libya
relied on the 1935 Treaty now to claim the Aozou strip. There were a multitude of opportunities for
Libya to deny that this was its position. Indeed, it owed a duty to the OAU not to let laborious and
time-consuming work proceed on an incorrect assumption. But Libya issued no denial.
Throughout all the meetings of the Comité ad hoc, and the Sub-Committee of Experts
established by the OAU, Libya did not once deny that a frontier existed. At first there was
non-co-operation. We heard with interest from Professor Cahier that the reason for Libya's refusal
to co-operate and state its position was the civil war in Chad (CR 93/18, p. 50). Chad, somehow,
managed to participate fully and elaborate its position. Non-co-operation was followed by
intermittent participation in OAU efforts at peaceful settlement. The OAU organs — the
Commission, the Sub-Committee and the Committee of Experts, all proceeded on the assumption
that the dispute was about the Aozou strip and Libya's claim was to the 1935 line. The full details
are recalled in Chad's Counter-Memorial (at 2.23-2.47). It is clear, as Chad there shows, that these
bodies were operating on the basis of information from Libya, which led them to believe that Libya
relied on the 1935 Treaty now to claim the Aozou strip. The Sub-Committee issued its two Reports
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on this basis. It made clear that it had been addressing "des implications de la présence de la Libye
sur la bande d'Aozou" and the claims of the parties in respect of that. Libya issued no denial — just
as it had not protested at the characterization by the OAU in resolution 106 (XIX), a few years
earlier, of the situation as one "regarding the Tibesti region".
14. Mr. President, taking our next snapshot at 1989, we may say that Libya continued to
assume the existence of a frontier, but now — ignoring its past position and its own undertakings in
the 1955 Treaty — it relied on the 1935 line to justify its occupation of the Aozou strip.
15. But by 1990, when it came to the Court, Libya's position had changed yet again. It was
now clearly denying that the frontier was definitively determined by the 1955 Treaty.
16. Moreover, the 1935 Treaty had now served its purpose, and it too could be cast aside. It
had for a period of years provided at least a minimalist fig leaf for the military occupation of the
Aozou strip. But the next stage — the litigation before the Court — required something better than
an unratified treaty as the basis of the claim. The claim would rather be that there exists no frontier
at all, but that Libya is entitled to half of Chad. No matter that the existence of the frontier had
never been denied by Libya either at the United Nations or the OAU. No matter that Libya had
never made any claim beyond the Aozou strip. Some reasons would be found to explain away the
legal relevance of its past conduct and to support this massive, totally new territorial claim.
17. It is not difficult to imagine how all of this must have come about. In 1989 the decision
had been taken, in the Accord-Cadre of that year, to refer the matter to the Court if no political
agreement could be reached. It was now clearly time for Libya to start thinking about how it could
fashion its arguments in international law, and inventive minds would no doubt be put to the task.
The problems were not inconsiderable. One can imagine the discussions! "To begin with, how will
we deal with the uncomfortable problem that the 1955 Treaty, to which Libya is a party, clearly
identifies a line by reference to specified instruments? Well, we will have to say that the
international instruments annexed in the Exchange of Letters under the Treaty were not in force on
the day of Libyan independence. And we will just have to gloss over the fact that that makes their
inclusion in the Treaty pointless. And then it won't hurt to throw doubt on the 1955 Treaty itself,
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without actually declaring it invalid — to suggest that it was in some way tainted, imposed on Libya,
that it represents a sort of colonialism."
18. "But where will that leave the frontier? The Court will still surely look at the
Franco-British Convention of 1898, the associated Declaration of 1899, the Franco-Italian
Agreements of 1902, the Convention between the French Republic and the Ottoman Empire of 1910,
the Franco-British Convention of 1919, and the Franco-Italian arrangement of 1919. And don't
those show agreement upon a certain line between France and Britain, and its acceptance by those
through whom Libya necessarily claims?" And again, one can imagine that legal creativity
suggested a certain reply: "we will say that the line was but a colonial delimitation of spheres of
influence and was never an international frontier. And we had best ignore the Italian acceptance of
the line or somehow propose that it didn't have a significance for Libya, years later."
19. "But what shall we say about the fact that France exercised certain effectivités up to that
frontier line, as did Chad in turn until we occupied the Aozou strip? Well, our best tactic will be
somehow to insist that, even in the period 1898-1919, these French effectivités were illegal. We can
say they were an unlawful use of force against the peoples of the area, and that no title could flow
from such acts. We may even try to read the 1955 Treaty as excluding effectivités. And as for the
Chad effectivités, we will minimize these."
20. One can then imagine how the discussion developed: "But we don't have effectivités on
which we can really rely. In any event, over the years we have always relied on the 1935
Laval-Mussolini Treaty line as the basis of our claim. But aren't there problems about its
non-ratification? How will we deal with that?"
"Well, that is difficult. We have somehow to liberate ourselves from this umpromising claim
tied to the unratified 1935 Treaty. Let us be really imaginative and say that there is no frontier at
all. And that can have the advantage of allowing us to make very significant claims, on entirely
different grounds, over other Chad territory, not tied even to the Aozou strip. Indeed, let's all avoid a
reference to the Aozou strip whenever you can. Let's find a term to cover half of Chad.
'Borderlands' has just the right nuance . . ."
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21. But there still remained the problem of consistency. If Libya was to adopt this new claim
of no existing frontier, and an entitlement to half of Chad, how were certain things to be explained?
What was to be said about the failure to note the absence of a frontier during the extended process of
decolonization? (MC, 233-4.) How was it to be explained that Libya never suggested in the United
Nations, at the time of its independence, that it regarded its frontier with Chad as never having been
settled? (MC, paras. 2.40-241.) Why was the absence of a settled frontier not mentioned at the time
of Chad's independence? (MC, paras. 4.56-4.58.) How was its failure to explain any of this at the
time of the 1955 Treaty to be explained? And what was to be said about its silence at the OAU
Cairo Conference of 1964, when others who thought they still had an unresolved border problem
carefully entered caveats to their acceptance of the uti possidetis principle? (MC, paras. 4.59 ff.)
And, above all, what about the ready reliance (when any legal arguments were made at all) upon the
1935 line as justifying the occupation of the Aozou strip? (SC debates: MC, paras. 36-7; OAU
1977, ibid., 2.30.) How could all of these difficulties be made consistent with the claim as it was
now to be formulated?
22. The agreed tactic on this dilemma was revealed in the Libyan Counter-Memorial. It was
to be argued that only what was said before the Court was relevant. Everything else was to be
characterized as "political", and therefore of no consequence. What had been said elsewhere, over
the years, was thus simply to be ignored, expunged from the record. Like that, the Court would have
its direction focused on the claim as formulated in Libya's written pleadings, and invited to treat the
problems of inconsistency as an irrelevance.
23. Chad has responded to this tactic in its Reply (pp. 10-18) but certain points may perhaps
be usefully elaborated. There is no basis for the suggestion that legal consequences are not relevant
before non-judicial bodies such as the Security Council or the General Assembly or the OAU. It is a
well-established practice within such bodies for States to explain their legal positions on a given
dispute, albeit in a broad and untechnical fashion, alongside the deployment of their political
arguments.
24. It is disingenuous for Libya to claim that its "true" legal claims have been reserved for the
- 32 -
Court, a judicial organ — and that its silences or contradictory assertions in other bodies may thus
simply be disregarded. Indeed, the Court has routinely examined statements made by States before
political bodies, including those charged with leading territories to independence. Thus in its
Judgment of 26 June 1992 in the Nauru case the Court examined the declarations made before
United Nations organs by the representatives of the trusteeship powers and by the representatives of
the peoples of the territory (Certain Phosphate Lands in Nauru case, 1992, paras. 15-20). How
strange it would have been for Nauru — or indeed Australia — to seek to exclude the relevance of
those earlier positions taken, or significant silences, by declaring that they had not yet been
articulated before a judicial body.
The Court adjourned from 11.18 to 11.35 a.m.
- 33 -
The PRESIDENT: Professor Higgins.
Mrs. HIGGINS:
25. There is no disagreement, it seems, between Chad and Libya as to the constituent elements
of acquiescence. The jurisprudence of this Court and the Permanent Court, cited by
Professor Cahier (CR 93/18, pp. 54-55), is exactly pertinent and I shall not go over the same
ground. Whether by reference to the terms in Eastern Greenland case, or the Arbitration of the
King of Spain, or the Gulf of Maine case (I.C.J. Reports 1984, p. 305), Libya has accepted a
frontier line. Through its silence in the 1951 to 1956 period, Libya has failed to deny that a frontier
existed, or that it was a frontier other than that following the 1899 line. Libya was recognizing an
existing reality — namely, that its southern frontier was long since settled. The silences, at various
critical times, manifested a natural acceptance of a matter long determined in fact and in law.
26. Through its acts Libya then embraced the 1935 line — through the invocation of an
incorrect United Nations map showing this line, through the circulation in the 1970s and 1980s of
maps showing this line and the constant reiteration up to the 1980s of its reliance on the line shown.
(See CMC, Vol. II, Atlas Cartographique, Maps Nos. 148, 150 and 162.)
27. Having ignored the 1955 Treaty line in favour of a resumption of claims based on the
1935 line, Libya cannot now be permitted to go back on that claim too. The reliance on maps based
on the 1935 line represents a considered view of Libya's position: this was not a representation that,
to use the words of the Chamber in the Frontier Dispute case (I.C.J. Reports 1986, p. 573) was a
casual comment "of the kind regularly uttered at press conferences", and thus of no legal
significance. Moreover, the failure of Libya to correct all the work of the OAU which was based on
that body's belief that Libya's case rested on the 1935 line was deliberate and amounted to a
representation that engaged Libya within the sense of the North Sea Continental Shelf case (I.C.J.
Reports 1969, p. 21).
28. Libya has been very selective in the history it has brought before the Court. Some
historical facts are best forgotten, removed from the view of the Court. Libya has sought to do this
by insisting — as Professor Cahier put it (CR 93/18, p. 50) that the dossier was not "véritablement
- 34 -
complété qu'à partie de la saisine de la Cour".
29. Italy did sometimes claim that the frontier was unsettled, as certain maps of the period
show. But before 1991 Libya had either accepted the 1955 Treaty or claimed the 1935 line. Since
independence in 1951 there has never been — not in public declarations, not in the diplomatic
archives, not in a single map — a single evidence that Libya had no frontier or that she claimed the
old Ottoman territories. Today's claims by Libya, in this Court, of the absence of a frontier, requires
the course of diplomatic history to be ignored, documents to be misread and the normal evidences of
international law (preuves) to be treated as if they don't matter.
30. Libya in its notification to the Court of 31 August 1990 stated, for the first time, that none
of the agreements that had been made finally fixed the boundary between the Parties, which
accordingly remains to be established. The particular observation was immediately challenged by
Chad on 28 September 1990 in a further communication to the Court. Thus Chad did not wait until
the opening of the written pleadings to deploy its views, believing it should immediately indicate to
the Court what it believed to be the scope of the dispute submitted to it.
31. The second tactic to deal with the problem of Libyan inconsistencies has been saved for
the oral pleadings.
32. Mr. President, Members of the Court, we heard some remarkable arguments of law from
Libya concerning a topic which I have to say is somewhat unfamiliar to counsel for Chad:
succession to acquiescence. Sir Ian Sinclair developed, at considerable length, a thesis which I may
summarize thus: any Italian acquiescence in 1902 to a recognition of the 1899 line has no legal
significance for Libya. This is because acquiescence, or estoppels arising from it, can only be
invocable inter partes. This argument was supported by reliance on the jurisprudence of the Court
and on the Vienna Convention on the Law of Treaties. From this Libya deduced:
"good faith demands that a successor State should not be saddled with the adverse
consequences of the conduct of its predecessor State" (CR 93/18, p. 20).
Mr. President, Members of the Court, I fear that throughout history successor States have
been saddled with adverse consequences of their predecessor States. It is intriguing to hear that there
is now a rule of international law that will allow the Court to go back over all such complaints and
- 35 -
grievances since time immemorial.
33. Counsel for Libya also asked:
"By what magic can the conduct of Italy at any time between 1900 and 1951 be
attributed to an independent Libya?" (CR 93/18, p. 21.)
And that Italian conduct prior to 1951 cannot "support a claim that Libya must be presumed to have
acquiesced in the so-called 1919 line as the boundary between Libya and what is now Chad."
34. This is, of course, all a total non-issue. There is no suggestion by Chad of Libyan
"succession to acquiescence". The short point is that a successor State only succeeds to what its
predecessor had. Put the other way around, the colonial State can only pass on such titles and
boundaries as it has. Nemo dat quod non habet.
35. What can an insistence by a State that it is not bound by the adverse acts of its
predecessor achieve? It can only operate to preserve its rights. But its frontier rights are exactly a
product of what has gone before. There are not mythical "true" frontiers, or even territorial titles,
that exist in disregard of the historical and legal events that led to them.
36. Quite simply, what Libya has succeeded to is not Italy's acquiescence, but a frontier.
Italy's acquiescence is relevant to what frontier line it could pass on.
II. The real subject of the dispute
37. Chad, having every reason to believe that Libya had resiled from its 1955 Treaty
obligations and was now asserting an entitlement to a frontier in conformity with the 1935 line,
agreed to resolve the dispute peacefully by referring the matter to the Court. In July 1990 the OAU
in resolution 200 (XXVI) invited the parties "to pursue their contacts with a view to reaching a
settlement of their dispute as soon as possible". The only dispute that existed at that time was a
dispute about whether Libya could justify its military presence in the Aozou region on the basis of
the 1935 line.
38. The Accord-Cadre of 1989 made reference to the earlier resolution 6 (XXV), which later
became resolution 184 (XXV), on the Libya-Chad dispute. The dispute between the two parties was
to be settled by political means within a year, or then to be submitted to the Court. Again, the only
- 36 -
dispute existing between the Parties was as to whether the frontier lay upon the 1899 line, confirmed
in the 1955 Treaty, or along the 1935 line, as Libya once again was contending.
39. It is well established in the jurisprudence of the Court that for a dispute to exist within the
meaning of Article 36 of the Statute, claims must have been made, and in turn rebutted, by each of
the parties.
40. The interesting point here is the confluence of the law as it concerns disputes and the law
as it concerns acquiescence. The Chamber of the Court, in the Land, Island and Maritime Frontier
Dispute (El Salvador/Honduras: Nicaragua intervening) (I.C.J. Reports 1992, p. 406, para. 73)
spoke of "the parties to a dispute, having each advanced their contentions in principle, which thus
define the extent of the dispute" — a procedure in which one Party has notably failed to engage in
this case. And the Chamber continued:
"in 1881 and 1884, the extent of the dispute was simply to determine where was the
limit between the Citalá and the Ocotepeque lands. It was the common understanding
that that limit was also the international frontier . . . the Chamber is entitled to take
account of the shared view in 1881 and 1884 of the Parties as to the basis and extent of
their dispute."
41. Chad submits that the Court is entitled to take into account what was the shared view of
the Parties from the early 1970s until 1990 — namely, that the basis of their dispute was whether the
1899 or the 1935 lines marked the Libya-Chad frontier, and that the territorial extent of the dispute
was confined to the Aouzou strip.
42. The dispute the Court was asked to resolve is the dispute as it was understood by the
Parties at the time of the Accord-Cadre. Never having made any claim to Chad territory beyond
what lay south of the 1935 line, never having claimed half of Chad in all the dozens of times the
issue was discussed in the United Nations, the OAU or bilaterally, no dispute existed as to anything
other than where the frontier was to be drawn in relation to the Aozou strip. A legal claim does not
exist in vacuo. It is a claim in relation to an existing dispute — that is to say, in relation to positions
already taken and in respect of which it has not been possible to reach an agreement. A legal claim
is not a mere assertion before the International Court, never previously heard, without any prior
history.
- 37 -
43. Mr. President, Members of the Court, the great difficulty in analysing matters in this case
is that it is not a single prior recognition from which Libya seeks to resile. It is rather than the entire
affair has been characterized by inconsistencies and former positions gone back upon. Where a
position is changed once, an issue of acquiescence or estoppel may arise. But where positions are
changed so frequently — the last time being between the Accord-Cadre and the formulation of the
case before the Court — then this necessarily affects the credibility of the entirety of the arguments
put. The probity of the case is put in issue and we would ask the Court to draw its own conclusions
from the inconsistencies.
44. Libya has offered various responses in its Reply (pp. 19 ff.). Libya sought to turn this
challenge by Chad into a challenge of the Court's competence (pp. 22-24). It was, of course, nothing
of the kind. The Court is entirely competent to decide the dispute before it — and will itself decide
whether this dispute is about whether an existing frontier runs along the 1899 or 1935 line, or
whether it is really about whether there is a frontier at all and whether half of independent Chad
belongs to Libya. The issue is not the Court's competence, but Libya's inconsistencies.
Last week Professor Bowett came at it differently. Having not taken the opportunity to
challenge the Court's jurisdiction, he said "Chad should not be allowed the same result as if it had"
(CR 93/14, pp. 36-37). So the Court should not be persuaded that the real dispute is over the Aozou
because Chad has failed to challenge the Court's jurisdiction. Well, the demands of litigation
strategy generate an interesting logic.
45. Libya contends further that the debates before the OAU and the United Nations and
statements of Libya's representatives have no bearing on this. All that is irrelevant, apparently,
because what is relevant are the negotiations leading up to the Accord-Cadre,
"and they do not contain reliable information allowing the intention of the parties to be
established at the moment they adopted the Accord-Cadre's text" (pp. 19-20).
The cynicism of this argument is apparent. It really is for Libya to show that, notwithstanding all
the prior history of the dispute, the Parties, in concluding the Accord-Cadre, were deciding to resolve
a different dispute over whether there was a frontier or not and whether Libya was entitled to half of
Chad or not. And of course it cannot.
- 38 -
46. Nor does Libya's attempt to rely on the wording of the Accord-Cadre alone resolve the
matter. The Accord-Cadre, in Article 1, refers to the settlement of "their territorial dispute". The
same phrase is used in Article 2. The dispute had been exacerbated by Libya's military occupation
of the Aozou strip; and by its refusal to co-operate in the processes of the OAU by articulating
clearly the legal basis of its occupation. That combination of factors no doubt led to the convenient
term "their territorial dispute" being used in the Accord-Cadre. Libya asserts in its Reply that
ratione materiae the competence of the Court is not subject in the Accord-Cadre to any limitation as
to the geographic extent of the territory which may be claimed by one Party (RL, para. 3.52). But it
misses the point, of course. The role of the Court, whether generally or under the Accord-Cadre, is
not to respond to no matter what claims are made by the Parties; it is to determine the law on the
dispute that has been referred to it. The subject-matter of the dispute cannot be altered or indeed
determined by the claims made by one party before the Court. The mere fact that the words
"territorial dispute" are used in the compromis, without any geographic limitation, does not mean
that there has been brought to the Court for resolution any territorial claim, made unilaterally by one
party, whether or not it had been the subject of the dispute in respect of which the parties agreed to
litigate. But this is what Professor Bowett proposed in terms to you. So in his analysis, Chad under
the Accord-Cadre would be entitled to formulate, for the first time, a claim to Libyan territory up to
Koufra or Djaraboub (remembering, of course, to call the area the "Chad-Libya borderlands"). I
suspect that Libya might have something to say to you on that, Mr. President.
47. Nor can this result be achieved by seeking to isolate the Accord-Cadre from the
diplomatic history of the matter and to rely on the "ordinary meaning" of that agreement. First, there
is nothing in the text of the Accord-Cadre at all to suggest, as Libya asserts in its Reply (3.12) that
"the dispute concerns the ownership of a 'region' by one or the other of the Parties". There are
merely three passing references, undefined, as to "their territorial dispute".
48. And it was Chad itself which, in its Memorial, fully acknowledged that frontier disputes
necessarily entailed the attribution of certain portions of territory, citing what the Court and its
Chamber have said on this in the Aegean Sea Continental Shelf case and the Frontier Dispute case
- 39 -
(I.C.J. Reports 1978, p. 35; I.C.J. Reports 1986, p. 563; MC, p. 35).
49. But this striking truth neither eliminates important legal distinctions between frontier and
territorial disputes; nor does it turn a frontier dispute which necessarily determines a certain portion
of territory into a dispute over any claim to any territory that one party may care to advance when it
gets to Court.
50. Nor is Libya helped by insisting that there has to be reliance only on the text of the
Accord-Cadre and that the travaux préparatoires may not, by virtue of Articles 31 and 32 of the
Vienna Convention on the Law of Treaties, be used "to modify the clear result pointed to by the
ordinary meaning of the text in context". The ordinary meaning of the phrase "their territorial
dispute" does not of itself define what that dispute is. What we can say is that it is not a dispute on a
claim never yet advanced by one party. To understand what "their territorial dispute" refers to in
context, one has to look to the history of the dispute. And it is absolutely clear that the dispute was
about Libya's on-off-on claims that its southern boundary ran along the 1935 line, with the
consequence that it claimed also the territory of Aozou strip; and Chad's rejection of that claim,
primarily on the basis of the 1955 Treaty.
51. Professor Bowett, in oral argument, told you that interpretation by reference to context
also would not allow anything outside the Agreement itself to be before the Court. I will not follow
him through the Vienna Convention on the Law of Treaties, the Rights of Nationals in Morocco case
and the Beagle Channel case. I will merely note how nervous Libya is lest the Court should look at
the larger context to identify the real dispute, and at Libya's inconsistent behaviour. And I will note
the absence of anything to support the assertion that "context" precludes what went on outside the
conference room where the Treaty was reached.
Because the word "dispute" appears in a treaty, the Court is not precluded from the
application of its normal judicial criteria to identify just what the dispute is.
52. So we have a dispute about alternative frontiers which necessarily entails a territorial
element too. We do not have a dispute over vast tracts of territory, the resolution of title to which
will allow the Court to draw a frontier.
- 40 -
53. What is the role of equity in all this? Chad's views on equity are to be understood by
reference to the three complementary strands to its case. The first strand is that the 1955 Treaty
determines the matter as between Libya and Chad. A frontier is affirmed by reference to a line in
other earlier instruments. The second is that those instruments autonomously settle a frontier that is
opposable to the present parties. Mr. President, Members of the Court, if either of these is right,
there is no room for equitable considerations to come into play. This is not because we are
"frightened" of equity, or because, as has been put to you, Chad "scorns" the Court's jurisprudence.
The point is simply that made by the Chamber in the Frontier Dispute (Burkina Faso/Republic of
Mali) case, namely that
"to resort to the concept of equity in order to modify an established frontier would be
quite unjustified. Especially in the African context, the obvious deficiencies of many
frontiers inherited from colonization, from the ethnic, geographical or administrative
standpoint, cannot support an assertion that the modification of these frontiers is
necessary or justifiable on the grounds of considerations of equity." (I.C.J. Reports
1986, p. 633.)
54. Considerations of equity would only come into play at all in two circumstances. The first
is that a frontier line exists, but contains some gaps which require "filling in". Neither Libya nor
Chad claim this to be the position and we can put it to one side. The second possibility is Libya's
main thesis — that no frontier has ever existed and the Court must determine it now, for the first
time. Then, and only then, would equitable considerations be in play. Or would they, even then?
55. Let us address Libya's hypothesis, profoundly wrong though we believe it to be. There are
two questions for the Court: what would the role of equity be in these circumstances? And what
factors should then be taken into play as equity? Let us take them each in turn.
56. The role of equity in terrestrial delimitation should be very limited and circumscribed. It
is no coincidence that the concept of equitable considerations has been most developed in maritime
delimitation. In such cases the task before the Court, of determining whose claim is well founded, is
preliminary to the real task of allocating resources between claimants. As the Court has pointed out
in its jurisprudence on more than one occasion, there are no prescribed rules to apply to this task.
Further, it is in the nature of shelf delimitation that each side has to have something. The seeds of
compromise are already there.
- 41 -
57. By contrast, there is no absence of specific rules for the conferring of territorial title. We
know both what the precise rules are and what must be shown to make them applicable to the case in
hand. The more detailed the substantive law, the smaller the role for equitable factors.
58. The only other function of equitable considerations, beyond assisting in the allocation of
resources where there are a few detailed rules, is to soften the application of the law: what Strupp
prefers to as "l'adoucissement de la rigueur du droit" (Strupp "Le droit du juge international de
statuer selon l'équité," 33 Recueil des Cours (1930) Vol. III at p. 462). If Libya has no territorial
title to the Aozou strip, never having met the international law criteria for the establishment of title
there, why should it be able to invoke so called equitable considerations to soften the consequences
of that requirement of international law?
59. What Chad accepts is that, once territorial title is established, equitable factors may assist
in delimiting the frontier (though even that, as I shall elaborate in a moment, is limited). But what
Libya can't do at all is to invoke such factors as ethnicity, the economy, security, geography, as
equitable factors that will assist in showing a territorial title.
60. And what of the drawing of a frontier, if Libya could show title over half of Chad,
approximately down to the 15° parallel (which it has to do without benefit of equity)? We now
come, Mr. President, to the second question I said required an answer. Anxious not to impose
beyond what is necessary on the Court's time, I would say only that this aspect is fully answered by
Chad in its Counter-Memorial, at pages 379-384. We show there, citing the relevant case law
(including, notably, the Western Sahara case, the Island of Palmas case and the Guatemala and
Honduras Arbitration) that boundaries are not to be drawn by reference to "natural boundaries," nor
to divisions of national geography within a region, nor to similarity of geography between regions in
the part of one State and the geography of an adjoining State, nor to the religion or ethnicity of the
residents in the area proposed for the frontier, nor to economic dependence. In particular, the
suggestion of Libya, repeated only this week, that its security concerns should be taken into account
in according it territorial title, is extraordinary. Professor Bowett told you that
"it is not that, today, Libya fears an attack by Chad . . . But there may be other Powers
that might in the future see Libya as vulnerable to an attack from the south — an attack
that would lead into the Libyan oil fields and the Libyan water basins." (CR 93/20,
- 42 -
p. 77.)
On such unsubstantiated speculations about the future, Mr. President, the Court is invited to afford
territorial title to Libya.
61. This does not deny a role — a small role — to equitable factors in the delimitation of
frontiers. That role is exemplified in the Frontier Dispute (Burkina Faso/Republic of Mali) case of
1986 and in the Rann of Kutch Award (50 ILR (1968) 2). In each of these cases equity had a role to
play in filling gaps along an existing frontier line — the pool of Soum in the former, and the inlets
at Nagar Parkar in the latter.
62. But one cannot delimit an entire boundary by reliance on such factors. Boundaries exist
as a result of treaty delimitation or exercises of effective sovereignty up to certain specified points:
equity can assist in filling in the unclear portions of such a line, not in creating the line de novo.
63. The true purpose of Libya's massive claim to half of Chad, and its insistence that the case
is about title to territory and not the identification of an existing frontier, was confirmed by
Professor Condorelli last Tuesday to be exactly what Chad had suggested in its Counter-Memorial.
To get half of Chad would be splendid, but really Libya would be satisfied with everything north of
the 1935 line. That line could not be argued for as such, because of the non-ratification of that
Treaty. So the dispute would be turned into one about territory rather than frontiers, large territorial
claims would be made, and then on the very last day of the oral argument Libya would reinsert the
1935 line as a species of equity.
64. Never mind that the Rome Treaty line is at least 800 kilometres away from the frontier
formally claimed on the 15th parallel. Libya will still say as it did
"les accords de Rome [sont] d'importantes indications quant à la délimitation que vous
devez effectuer ... au minimum, les territoires situés au nord de la ligne de 1935 doivent
être reconnus comme appartenant incontestablement à la Libye" (CR 93/20, p. 50).
Now, recognizing the problem of arguing at one and the same time for the 15th parallel and the 1935
line, Libya then casually adds, on the basis of nothing at all, that
"Ces accords suggèrent également (mais sans donner ici des indications précises)
que certains des territoires au sud de cette ligne doivent aussi être considérés comme
étant dans la même situation juridique".
- 43 -
Mr. President, the wallpaper has been pulled away from the cracks in the litigation strategy.
65. To get back from the 15th parallel to the 1935 line Libya takes two steps. The first is to
insist that in the Frontier Dispute (Burkina Faso/Republic of Mali) case and in the Land, Island
and Maritime Frontier Dispute (El Salvador/Honduras: Nicaragua intervening) case the
Chambers of the Court used unratified treaties as equitable considerations relevant to the
determining of a boundary. In each of these cases, it is true, the Chambers made due note of an
unratified treaty, not to determine the boundary but to fill a gap on the line. But, Mr. President,
there was also a key difference between using these unratified treaties even in that modest sense, and
the reliance on the 1935 Rome Treaty that Libya claims as an equitable factor. All that happened in
the Frontier Dispute (Burkina Faso/Republic of Mali) case was that the agreement had never been
approved by the competent authorities. And in the Land, Island and Maritime Frontier Dispute
(El Salvador/Honduras: Nicaragua intervening) case the Chamber said (I.C.J. Reports 1992,
p. 422, para. 100) that "while the Government of El Salvador did not ratify the terms which had been
agreed ad referendum by its representatives, neither did it denounce them". Mr. President, one can
contrast this with the status of the unratified Treaty of 1935, which is in no way comparable. I refer
you to the note of the Italian Foreign Minister, formally denouncing the 1935 Treaty. It is to be
found in Annex 266 of Chad's Memorial. Libya's on-off approach to the 1935 Treaty is
manipulative (it's our frontier — we have no frontier; it's not our frontier by law but it's the frontier
we'll be pleased to accept by equity).
66. Having tried to use an unratified treaty as an equitable factor, Libya's second step is to
invoke, also as an equitable factor, Article 13 of the Treaty of London of 1915. Mr. President, Chad
will make its substantive arguments in due course on the relationship between Article 13 of 1915,
and the Peace Treaty of 1947. I merely observe that everything that goes out the front door on the
application of the rules of international law on treaties, comes in the back door marked "equity".
That is not the function of equity. As we have shown, its function is to assist only where there are
only rules in outline (as in maritime delimitation), or to soften the rigours of the rule in application.
Equity does not provide you with exactly what you are not entitled to by the application of the rules
- 44 -
of international law.
67. There is one further point: "he who seeks equity must do equity". Is Libya, which has
blown so hot and cold, really entitled to invoke equity in this Court?
68. Finally, a further remarkable claim was made for the role of equity. We were told
"l'équité demande — la Libye en est convaincue — qu'un équilibre satisfaisant soit trouvé quant au
poids de l'héritage colonial que la Libye et le Tchad sont appelés à porter" (CR 93/20, p. 55). And
we had already heard that the Chad approach was "unbalanced" (ibid.). Two small points: the first
is that the "burden" Libya is required to bear from the colonial heritage is that it has not succeeded
upon independence to the territory of Chad. A curious "burden"! Second, no matter how much
Libya may have indignantly denied it during its oral argument, this really is equity contra legem, the
very use of equity for redistributive purposes, or the so-called "distributive justice", that the Court
has firmly rejected in the Continental Shelf (Tunisia/Libyan Arab Jamahiriya) case (I.C.J. Reports
1982, para. 71) and in the Continental Shelf (Libyan Arab Jamahiriya/Malta) case (I.C.J. Reports
1985, para. 46). Now these were of course in the context of maritime delimitations but a fortiori,
therefore, in terrestrial delimitation.
69. Even if Libya had title; even if she had a plausible frontier to offer; even if there was a
gap in the frontier that needed filling — even then the 1935 line could not be used to give the Aozou
strip to Libya.
70. Finally, Mr. President, I conclude this section where I began. The whole matter does not
in fact arise, as the frontier is delimited by the 1955 Treaty.
III. Chad's case: a consistent claim
71. And that brings me to my final remarks on the Third Section, Chad's case which we say is
a consistent claim. The position of the Republic of Chad is constant and clear. Chad says that the
course of the frontier is determined by the Treaty of 1955 — a treaty of continuing application
between the Parties. The Treaty of 1955 defined the line of the frontier by reference to a line
resulting from international instruments annexed to the 1955 Treaty.
72. This is Chad's position. The question of where the frontier lies between Chad and Libya
- 45 -
can be disposed of by a confirmation by the Court that the 1955 Treaty is to be applied. At the same
time, Chad has also shown that even if the matter before the Court were to be approached from
different perspectives, and by different routes, the outcome still remains the same: the frontier lies
along the line indicated by Chad to the Court.
73. What might these arguments in the alternative be, should for any reason Chad's primary
contention — that the 1955 Treaty is determinative — be rejected? Even without the acceptance of
the line referred to in those earlier instruments in 1955, the provisions of those agreements remain
before the Court. The provision of these instruments — including the line that they specify, are
binding upon Chad as the successor to France, and are opposable to Libya as the successor to Italy.
And because these provisions refer to and describe the frontier line, that line constitutes in any event
the frontier between Chad and Libya. The meaning of Article 3 of the Declaration of 1899 taken by
itself may have been ambiguous. But its meaning can be understood by reference to the travaux
préparatoires, by the failure of the British to protest the map appended by the French to the
Convention of 1899, and by placing the article in the context of what the parties were seeking to
achieve. Moreover, by the Franco-Italian Treaty of 1902 Italy accepted the frontiers of Tripolitania
as marked on the map and a possible extension of French influence up to this frontier. The
Franco-British Convention of 1919 confirmed the course of the line, setting forth in writing what
they had agreed in 1899, and had been accepted by Italy in 1902 on the basis of the map. A line that
had originally been drawn up to delimit the spheres of influence of Britain and France had, by 1919,
become an international frontier, as France had by then exercised sovereign authority up to the
boundary of the sphere of influence agreed with Great Britain in 1899.
74. The point is this: the frontier line specified in these international instruments delineates
the frontier — primarily because this is the line designated in the 1955 Treaty between France and
Libya, but also because these earlier instruments are in any event autonomously compelling upon
Chad and Libya. This second, alternative line of argument is elaborated in Chapter IV of Chad's
Memorial and in 5.1 of Chapter 8 of Chad's Counter-Memorial. Chad elaborated this secondary
argument further in Chapter II of its Reply.
- 46 -
75. The further alternative approach would come into consideration only if the Court thought
that the 1955 Treaty did not dispose of the matter and that the instruments referred to therein — and
the line they determine — were not opposable to Chad and to Libya as successors to France and to
Italy. Chad contends that in those circumstances the frontier still runs along the same line. The line
agreed in 1899 and described in words in 1919 marks the line up to which France established an
effective presence. It established it, as Professor Cassese will later show, with military occupation
and then with a civil administration. That title — a perfectly legal one under the law of the time —
was passed to Chad. It thus marks the line up to which Chad could and did exercise its authority
after independence, engaging in a variety of sovereign acts in relation to that territory until prevented
by Libyan military occupation. The third Chad argument in the alternative is elaborated in
Chapter V of its Memorial, especially at pp. 214-256; and Chapter VI at pp. 271-295. It is
addressed further in the Counter-Memorial in Chapter 9; and in the Reply, Chapter IV.
76. Chad's view has been that, whatever the legal approach adopted, the frontier line is the
same: the line resulting, whether from the instruments of reference annexed to the 1955 Treaty, or
from those instruments as an autonomous source of obligation, or as the border of the territory over
which sovereignty had been exercised. And far from being "curious", as various Libyan counsel
suggested, colonial history and the facts make it entirely understandable that the line is the same,
whichever route of argument one takes. And nor of course is there any substance to the anxious
insistence by Libya that these subsidiary but consistent lines of argument evidenced a lack of
confidence in our main thesis. But a treaty is a treaty and Chad's central thesis remains the one
always advanced: that the Court need go no further than the 1955 Treaty to see what Libya has
agreed to as to where the boundary runs.
77. This line has been advanced with unbroken constancy by France, and then by Chad, from
the moment it was determined in 1899 down to the present day. Throughout the period 1899 to
1919, when so much was being played for in Africa, France insisted with constancy that this line,
and no other, marked first the outer limit of its sphere of influence and then its international frontier.
78. Mr. President, Members of the Court, it has been suggested at various moments in the
- 47 -
Libyan oral pleadings that certain archival materials show that there was no agreed frontier. You
heard from Professor Condorelli that a belatedly introduced press communiqué issued after the 1934
Treaty between Britain and Italy referred to the frontier as "still to be fixed" (CR 93/17, p. 40; Eng.
trans., p. 28); and that M. Guariglia, commenting on the School Map of 1930, stated that "the
frontiers . . . have not yet been internationally delimited" (ibid., pp. 52-53; Eng. trans., p. 39). And
Sir Ian Sinclair made much of a reference in the French archives to an unused draft which referred to
future possible "delimitation on the ground".
It hardly needs saying — but for prudence I will say it — that delimitation and demarcation
are two different concepts. Demarcation is, of course, delimitation on the ground. But statesmen
and civil servants know nothing of these refinements — and, indeed, often use the terms loosely and
interchangeably, as do sometimes lawyers too. All that the instances I have referred to show us is
that demarcation — the marking of the boundary on the ground — had never happened and has yet
to happen. And this is why French officials seemed sometimes to accept that the frontier was not yet
"delimited", while in fact what they had in mind was that it had not been demarcated on the ground.
79. With the failure of the 1935 Treaty the frontier remained where it had always been.
80. In the 1955 Treaty France once again reaffirmed the same line. Since independence, Chad
has always believed its frontier to be along the same line and behaved consistently with that belief.
The 1955 Treaty, and the relevant instruments of reference, all point to that line.
81. Since independence, Chad's unwavering view has been that its northern frontier lies along
the 1899 line, although it has not always been able to exercise its power or sovereignty in the Aozou
strip. From 1968 there has been armed opposition in the Aozou strip, probably indirectly supported
by Libya. Since 1973 Libya has been in military occupation of the Aozou strip. As will be shown
in later submissions, Chad took the matter to the United Nations and the OAU, at all times insisting
that its northern frontier lay on the 1899 line, and protesting at its violation and the occupation of its
territory.
Mr. President, I thank the Court very much for its kind attention. The heart of our case is the
1955 Treaty and I ask the President to call Professor Cot to address you on that.
- 48 -
The PRESIDENT: Thank you very much, Professor Higgins. Professor Cot.
M. COT : Monsieur le Président, Messieurs de la Cour.
C'est un honneur et une épreuve que de paraître devant vous pour la première fois en qualité
d'avocat et conseil. J'avais eu le plaisir de plaider devant une Chambre de votre Cour, il y a quelques
années. Mais la solennité de votre formation plénière, le talent des collègues de l'autre côté de la
barre, l'importance de l'enjeu de la présente affaire pour la République du Tchad en intimiderait de
plus aguerris que moi.
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour.
Allons à l'essentiel. La Partie libyenne a mis beaucoup d'ingéniosité et de talent à compliquer
une affaire toute simple. Il existe un traité international, régulièrement conclu entre deux Etats
souverains, — la République française et le Royaume-Uni de Libye —, le 10 août 1955. Les droits
et obligations stipulés par le traité lient aujourd'hui les Parties à la présente instance devant la Cour;
la Libye comme signataire du traité, le Tchad par succession à la France.
Les deux Parties en conviennent. La Jamahiriya arabe libyenne a sans doute évoqué dans ses
écrits diverses causes de nullité ou d'inopposabilité du traité du 10 août 1955. Elle a clairement
renoncé à s'en prévaloir. Je lis :
"France's conduct in the 1955 negociations has not been invoked as a cause of
challenge to the 1955 Treaty insofar as the present case is concerned; and this
remains so..." (réplique de la Libye, par. 5.02; les italiques sont de nous).
Et l'argumentation orale de nos adversaires le confirme : la Libye entend respecter ses obligations
internationales et, singulièrement, celles qui découlent du traité de 1955 (CR 93/15, p. 14).
Nous pouvons donc circonscrire notre désaccord. La Partie tchadienne prétend que le traité
de 1955 définit la frontière entre le Tchad et la Libye. Il suffit d'appliquer le traité pour trancher le
différend territorial. La Partie libyenne estime que le traité de 1955 n'a pas cet effet et qu'il laisse
ouverte la question des frontières entre les deux hautes Parties contractantes.
Notre désaccord porte donc sur l'interprétation du traité du 10 août 1955. Et ceci est du reste
excellemment affirmé dans la réplique libyenne :
"the 1955 Treaty would be expected to be the starting-point for the Court's task, since it
either did (Chad's view) or dit not (Libya's view) establish the boundary" (réplique de la
Libye, par. 2.01).
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Je ne saurai mieux dire.
Permettez-moi, Monsieur le Président, à cet égard, de corriger une impression erronée. Je ne
sais pas où nos honorables contradicteurs ont été chercher l'idée que nous accordions aujourd'hui
moins d'importance au traité de 1955 que dans nos premières écritures (CR 93/15, p. 11, 12 et 13).
Je les rassure toute de suite. D'après la République du Tchad, l'application du traité du
10 août 1955, en toutes ses dispositions, et sans aller au-delà, suffit à établir la ligne frontière et
donc à nous adjuger nos conclusions.
En d'autres termes, la République du Tchad considère qu'il convient de suivre l'avis de cette
autorité en matière d'interprétation des traités cité par sir Ian Sinclair : «Begin at the beginning, said
the King very gravely and go on till you come to the end; then stop.» (Lewis Carroll, Alice in
Wonderland, chap. XII.) Obéissons donc au roi d'Alice au pays des Merveilles et prenons le texte
du traité du 10 août 1955.
Que dit le traité ? Pour en interpréter les dispositions, il convient de recourir aux règles
d'interprétation dégagées par votre jurisprudence nuancée, et codifiées par la convention de Vienne.
Celle-ci nous engage à examiner d'abord, pour reprendre la formule de Paul Reuter : "les éléments
qui constituent par priorité et simultanément la matière première de l'interprétation" (Introduction
au droit des traités, IHEI, Genève, et PUF, Paris 2e
éd., 1985, p. 85).
L'article 31 de la convention de Vienne, sous le titre "La règle générale d'interprétation", range
dans cette catégorie :
— les termes du traité;
— le contexte (y compris le préambule et les annexes);
— les accords ultérieurs conclus au sujet de l'interprétation du traité;
— la pratique subséquente des Parties dans la mesure où elle est constitutive d'un tel accord.
Les moyens complémentaires d'interprétation (article 32 : travaux préparatoires, circonstances dans
lesquelles le traité a été conclu) n'interviennent qu'en second lieu.
Je suivrai ces recommandations dans ma plaidoirie, en appliquant d'abord la règle générale
d'interprétation puis en examinant les moyens complémentaires d'interprétation. Monsieur le
- 50 -
Président, Messieurs de la Cour, vous pardonnerez le caractère un peu scolaire de cette
démonstration, mais je n'entends pas me laisser tenter par les chemins de traverse qu'ont multipliés
nos contradicteurs.
Le traité du 10 août 1955 apporte à lui seul une réponse non équivoque au différend qui
oppose la République du Tchad à la Jamahiriya arabe libyenne.
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, le traité du 10 août 1955 est un texte
complexe : l'accord entre les Parties comprend :
— le traité de onze articles;
— quatre conventions qui règlent l'évacuation des troupes françaises du territoire libyen, les
relations de bon voisinage, la coopération économique, la coopération culturelle;
— enfin, onze annexes dont l'annexe I qui définit les textes en vigueur dont résulte la frontière entre
les deux Parties.
Les conventions et annexes "sont jointes au présent traité et en font partie intégrante" pour reprendre
la formule de l'article 9 du traité.
Le préambule du traité en précise l'objet et le but. Vous me permettrez, Monsieur le
Président, d'en citer le second paragraphe :
"Convaincus qu'un traité d'amitié et de bon voisinage, conclu dans un esprit de
compréhension réciproque et sur la base d'une égalité, d'une indépendance et d'une
liberté complètes, facilitera le règlement de toutes les questions que posent pour les
deux pays leur situation géographique et leurs intérêts en Afrique et en Méditerranée."
Le préambule précise bien que les Parties ont entendu régler toutes les questions, je dis bien toutes,
que posent pour les deux pays leur situation géographique et leurs intérêts en Afrique. Il exprime la
volonté de ne pas laisser subsister de contentieux entre les Parties à cet égard. Le corps du traité
prévoit au demeurant, et quand il le faut, les procédures adéquates pour lever toute ambiguïté, et par
exemple, s'agissant plus précisément des frontières, une procédure d'abornement là où l'un des deux
gouvernements l'estimerait nécessaire.
Longuement négocié, le texte du traité du 10 août 1955 se présente comme un accord global et
équilibré, chacune des Parties ayant, de toute évidence, accepté certaines concessions,
— sur le principe de l'évacuation totale des troupes françaises du territoire libyen;
- 51 -
— sur le calendrier d'évacuation de ces troupes, le régime transitoire;
— sur la définition des frontières;
— sur le régime de bon voisinage;
— sur la coopération économique et culturelle;
— sur l'aide financière.
Ces obligations constituent un ensemble où chacun y retrouve son compte, chaque Partie ayant
plutôt insisté sur telle ou telle clause en cours de négociation comme il est de coutume.
La définition des frontières, Monsieur le Président, est incontestablement un des objets du
traité. La préoccupation de doter la Libye de frontières précises et reconnues apparaît dès les
travaux des Nations Unies et se trouve formulée dans la résolution 392 (V) que mon collègue,
M. Franck, évoquera plus longuement. Cette préoccupation ressort de l'historique de la négociation,
comme des débats parlementaires relatifs à l'autorisation de ratification du traité du 10 août 1955.
Enfin, la définition de la ligne frontière est l'objet même de l'article 3 du traité et de son annexe I,
dispositions dont je vous rappelle les termes :
"Article 3
Les deux hautes Parties Contractantes reconnaissent que les frontières séparant
les territoires de la Tunisie, de l'Algérie, de l'Afrique occidentale française et de
l'Afrique équatoriale française d'une part, du territoire de la Libye d'autre part, sont
celles qui résultent des actes internationaux en vigueur à la date de la constitution du
Royaume Uni de Libye tels qu'ils sont définis dans l'échange de lettres ci-jointes
(annexes I)."
Et l'annexe I précise :
"Annexe I
Il s'agit des textes suivants :
— la convention franco-britannique du 14 juin 1898;
— la déclaration additionnelle, du 21 mars 1899, à la convention précédente;
— les accords franco-italiens du 1er novembre 1902;
— la convention entre la République française et la Sublime Porte du 12 mai 1910;
— la convention franco-britannique du 8 septembre 1919;
— l'arrangement franco-italien du 12 septembre 1919.»
- 52 -
Le troisième alinéa de l'annexe I précise le tracé de la frontière entre Ghat et Toummo par
référence à trois points. Le quatrième alinéa prévoit une procédure d'abornement par commission
mixte au cas où l'un des deux gouvernements l'estimerait nécessaire. Le dernier alinéa institue une
procédure d'arbitrage en cas de désaccord au cours des opérations d'abornement.
Pour éclairer ces dispositions, il convient de rappeler ici un principe cardinal sous-jacent à
tout traité frontière, celui de la stabilité et de la finalité du règlement territorial. La Cour permanente
de Justice internationale l'a formulé en ces termes dans l'avis relatif à l'article 2, paragraphe 3, du
traité de Lausanne :
"il résulte ... de la nature même d'une frontière et de toute convention destinée à établir
les frontières entre deux pays, qu'une frontière doit être une délimitation précise dans
toute son étendue" (Interprétation de l'article 3, paragraphe 2, du traité de Lausanne,
avis consultatif, 1925, C.P.J.I. série B no
12, p. 20).
Et votre Cour a repris cette considération et en a élargi la portée dans l'affaire du Temple de Préah
Vihéar : "D'une manière générale, lorsque deux pays définissent entre eux une frontière, un de leurs
principaux objectifs est d'arrêter une solution stable et définitive." (C.I.J. Recueil 1962, p. 34.)
Certes, la volonté de parvenir à un règlement territorial définitif constitue une présomption qui
pèse lourd dans la présente affaire. Et pour y faire échec, pour établir que les Parties ont eu une
autre volonté que celle-là, il ne suffit pas, Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, d'avancer
des allégations ou des hypothèses : il faut encore apporter des éléments de preuve d'une intention
commune qui soit différente.
Jusqu'à preuve contraire, me semble-t-il, il faut présumer que les parties au traité du 10
août 1955 ont eu l'intention de définir leur frontière commune d'une manière définitive et sur toute sa
longueur. Pour mettre en oeuvre ce principe de la stabilité et de la sécurité des frontières, les hautes
parties contractantes ont pris comme référence les accords internationaux qu'ils considéraient comme
en vigueur à la date de la constitution du Royaume Uni de Libye.
Ce faisant, ils ont appliqué
"l'obligation de respecter les frontières internationales préexistantes en cas de
succession d'Etats [qui] découle sans aucun doute d'une règle générale de droit
international, qu'elle trouve ou non son expression dans la formule uti possidetis"
(C.I.J. Recueil 1986, p/ 566, par. 24).
- 53 -
Vous avez reconnu ici l'expression utilisée par la Chambre constituée par votre Cour dans l'affaire
du Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali). Mais n'oublions pas que nous sommes
ici en présence de deux Etats souverains qui, par un traité librement conclu, règlent comme ils
l'entendent les questions pendantes entre eux — et appliquent comme ils l'entendent la règle générale
de droit international public — sous réserve sans doute du jus cogens, qui n'est pas en cause ici.
La Chambre constituée par votre Cour dans l'affaire du Différend frontalier terrestre,
insulaire et maritime a eu l'occasion de souligner récemment la portée relative du principe de l'uti
possidetis, à propos de la notion de date critique en ces termes :
"Le principe de l'uti possidetis juris est quelquefois affirmé en termes presque
absolus, comme si la situation à la date de l'indépendance était toujours déterminante;
comme si, en bref, il ne pouvait y avoir d'autre date critique. Or, comme il ressort de
l'analyse ci-dessus, il ne saurait en être ainsi. Manifestement, une date critique
ultérieure peut apparaître, par exemple par suite d'une décision d'un juge ou d'un traité
frontalier."
Eh bien, de même que les parties peuvent par voie de convention déplacer le curseur de la date
critique, voire en admettre plusieurs, de même il leur appartient le cas échéant d'interpréter ou de
préciser la ligne frontière découlant du principe de l'uti possidetis.
En d'autres termes, l'intention des Parties doit sans doute être éclairée par le principe général
de droit international, l'uti possidetis. Elle ne saurait se réduire à une application mécanique de ce
principe. L'autonomie de la volonté des parties prime dans la rédaction du traité et dans son
interprétation.
Pour définir avec précision la frontière, les Parties ont recours à une technique éprouvée du
droit de la pratique internationale, qui est le renvoi à des accords antérieurs qui ont délimité la
frontière ou des portions de cette frontière. Nous avons cité un certain nombre d'exemples dans notre
contre-mémoire, et notamment :
— le traité de bon voisinage signé par l'Irak et la Turquie en 1946,
— le protocole de Gao signé par le Mali et le Niger en 1962,
— enfin le traité du 23 juin 1960, conclu entre l'Union soviétique et la Finlande, qui présente
l'intérêt d'utiliser le même verbe «résulter» que notre traité. J'en cite un extrait :
"La frontière d'Etat entre la République de Finlande et l'Union des Républiques
socialistes soviétiques, telle qu'elle résulte du traité de paix entre la République de
- 54 -
Finlande et la République socialiste fédérative de Russie, en date du 14 octobre 1920,
du traité de paix..." (Suit une série d'autres accords internationaux de référence.) (CMT,
p. 491-492, par. 1139.)
Or, dans notre affaire et s'agissant du traité de 1955, si l'on met "bout à bout" — la Cour me
permettra cette expression — les textes cités par l'annexe I, on obtient une ligne frontière précise sur
l'ensemble de la longueur séparant les territoires respectifs des deux hautes parties contractantes.
Ceci permet d'atteindre le résultat recherché et annoncé par le préambule du traité et par le texte
même de l'article 3, à la satisfaction des deux Parties; M. Pellet y reviendra. Il n'y a qu'un segment
de frontière où les Parties considèrent que le résultat n'est pas satisfaisant. C'est celui qui va de Ghat
à Toummo. L'annexe I précise donc les trois points par lesquels la frontière doit passer sur ce
segment.
Le traité complète ces dispositions par une procédure d'abornement "au cas où l'un des deux
gouvernements l'estimerait nécessaire" et prévoit l'institution d'un arbitrage "en cas de désaccord au
cours des opérations d'abornement". Or, nous le savons, l'abornement, opération matérielle, suppose
que la délimitation ait été effectuée auparavant.
Voilà un ensemble de dispositions qui paraissent tomber sous le sens et qui n'ont certainement
rien d'insolite ou d'extravagant.
Mais tout est trop simple, d'après la partie libyenne. Reprenons donc le texte de l'article 3 et
de l'annexe I pour les soumettre à une analyse plus serrée. J'observe du reste que la Partie libyenne
rechigne quelque peu à une analyse grammaticale rigoureuse du texte inséré dans son contexte. Elle
préfère butiner de-ci, de-là, faire son miel là où ele le peut, faire son miel là où elle le veut. Pour ma
part je vous convie à un exercice de mot à mot en vous priant, Monsieur le Président, Messieurs de
la Cour, d'excuser l'aridité de ces développements nécessaires.
Et je vous propose donc maintenant de prendre le texte même du traité pour cet exercice. Je
prends l'article 3 :
"Les deux Hautes Parties contractantes reconnaissent que les frontières...» Le premier verbe
pose déjà à nos contradicteurs un problème — que je crois être un faux problème. Ils annoncent que
cette reconnaissance ne saurait être que déclaratoire, descriptive de la situation juridique à la date de
- 55 -
l'indépendance de la Libye. L'affirmation me paraît hâtive et en contradiction avec l'autonomie de la
volonté des Parties. Pour le moins, elle sollicite le texte.
Lorsque deux Etats souverains reconnaissent par traité une situation de fait ou de droit, la
reconnaissance est à la fois déclaratoire et constitutive. Il s'agit, nous le savons, d'une qualification
ou d'une interprétation commune, authentique et souveraine par les parties d'une situation.
Au demeurant, votre jurisprudence, dans sa sagesse, estime inutile de se prononcer sur le
caractère déclaratif ou constitutif d'un tel acte de reconnaissance d'une situation territoriale. Vous
l'avez encore rappelé récemment dans l'affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et
maritime (arrêt du 11 septembre 1992, C.I.J. Recueil 1992, p. 401 et 485-486, par. 67 et 206).
De même, dans notre instance, il n'est pas davantage nécessaire de décider si la reconnaissance
à laquelle fait allusion l'article 3 du traité, a un effet déclaratif ou constitutif, dès lors que les parties
considèrent souverainement que leur frontière est bien délimitée par les textes cités.
Enfin, et sur ce premier verbe, je trouve dans la même annexe I une autre utilisation du verbe
"reconnaître", dans une acceptation, elle, nettement constitutive, de l'aveu même de nos honorables
contradicteurs. Après avoir défini les actes internationaux de référence, les deux Parties ajoutent :
"En ce qui concerne ce dernier arrangement (celui du 12 septembre 1919) et
conformément aux principes qui y sont énoncés, il a été reconnu par les deux
délégations qu'entre Ghât et Toummo, la frontière passe par les trois points suivants..."
Il faudrait que nos contradicteurs de la Partie libyenne expliquent pourquoi, dans la même
annexe I, les mots "reconnaissent que" ont une signification rigoureusement déclarative, alors que les
mots "il a été reconnu" valent rectification de l'accord visé, et ont donc une signification constitutive.
Je continue la lecture de l'article 3 : "Ces frontières ... sont celles qui résultent des actes
internationaux en vigueur.» La Partie libyenne observe que le texte arabe répète le terme de frontière
et se lit : "Les frontières ... sont les frontières qui résultent."
Tant mieux ! Plus on souligne qu'il s'agit bien de frontières, c'est-à-dire de lignes séparant les
territoires des deux parties et non pas d'une zone indéterminée, plus le texte gagne en précision!
Je n'insiste pas sur le curieux procès fait dans les écritures libyennes sur le verbe "résulter"
(réplique de la Libye, par. 5.39 et 5.79) — procès qui n'a d'ailleurs pas été repris par sir Ian dans sa
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plaidoirie orale. Je renvoie sur ce point nos contradicteurs aux bons dictionnaires français, unanimes
pour considérer que "résulter" veut dire "être produit par une cause", synonyme de "découler", de
"s'ensuivre", d'"être issu".
La frontière entre le Tchad et la Libye
— "résulte bien",
— "découle" ou
— "s'ensuit"
des traités signés dans l'annexe I.
Et j'en viens à la notion d'"actes internationaux en vigueur". Je l'ai déjà dit, la référence à des
accords internationaux préalables, c'est-à-dire à des "actes internationaux en vigueur" pour définir
avec précision une ligne frontière est de pratique internationale ordinaire. Or, la Partie libyenne
monte cette expression banale en épingle et y voit curieusement une volonté farouche de la France,
des négociateurs français, d'exclure la prise en considération des effectivités pour la détermination de
la frontière, et ceci à quelque titre que ce soit. Nos contradicteurs l'ont rappelé longuement au cours
de leurs plaidoiries orales en observant en particulier que cette formulation de l'article 3
disqualifierait la troisième thèse tchadienne (CR 93/15, p. 71, 76 et 77; CR 93/20, p. 30) mais aussi
la seconde et porterait un coup sévère à la première. Or, ici encore, je trouve que nos honorables
contradicteurs sollicitent très abusivement le texte du traité, ainsi que le passage de nos écritures où
nous constatons que l'article 3 se réfère aux actes internationaux (réplique de la Libye, par. 4.07).
Le traité ne fait pas référence aux effectivités pour tracer la frontière. La belle affaire que
voilà! C'est le contraire qui eût été étonnant. Je n'ai pas la longue expérience de sir Ian en matière
de négociations des traités, mais, Monsieur le Président, je n'ai jamais vu un traité frontière définir
une ligne frontière par référence à des effectivités et dire par exemple : «Dans le massif du Tibesti, la
frontière suivra la ligne de partage entre les effectivités tchadiennes et libyennes.»
Ce serait pour le coup instaurer l'arbitraire et l'aléatoire là où l'on cherche la précision et la
sécurité. Il me semble que la thèse libyenne, voyant dans le libellé de l'article 3 une volonté précise
d'écarter toute prise en considération des effectivités à l'occasion de la délimitation de la ligne
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frontière, repose sur une grave confusion intellectuelle.
Nous prétendons que les choses sont plus simples que nos contradicteurs ne le disent.
L'article 3 renvoie à des articles antérieurs par souci de délimiter avec précision la ligne frontière,
mais ces dispositions doivent être interprétées par application des règles générales du droit
international public. Or, lesdites règles prennent en considération, le cas échéant, les effectivités
pour confirmer le titre conventionnel ou l'interpréter dans la pratique, et ceci dans les conditions qu'a
précisées la Chambre dans l'affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali),
C.I.J. Recueil 1986, par. 63).
J'en viens maintenant à la notion d'"actes internationaux en vigueur à la date de la constitution
du Royaume Uni de Libye". Les hautes parties contractantes ont évidemment considéré que les
textes énumérés étaient en vigueur à cette date, sinon, ils ne les auraient pas cités, c'est l'évidence.
Au demeurant, pour l'un de ces textes — l'arrangement franco-italien du 12 septembre 1919 — ils
ont même précisé la frontière "conformément aux principes qui y sont énoncés" — c'est le libellé
utilisé dans l'annexe I — et par référence à trois points géographiques. Les hautes parties
contractantes, Messieurs de la Cour, n'auraient évidemment pas fait allusion aux "principes qui y
sont énoncés" s'ils avaient nourri le moindre doute sur l'applicabilité de l'arrangement qui était bien
en vigueur à leurs yeux.
Voilà qui suffit à régler le problème si l'on s'en tient à l'autonomie de la volonté des parties.
Mais nos contradicteurs, campant sur la nature déclaratoire de l'article 3 et de l'annexe I, considèrent
que cela ne suffit pas et que les textes cités — ou du moins certains d'entre eux — ne valent rien
puisqu'ils n'ont pas été notifiés par la France à l'Italie en application de l'article 44 du traité de paix
de 1947. Le professeur Condorelli nous a expliqué le sens de cette disposition et notamment de son
alinéa 3 qui précise : "tous les traités de cette nature [c'est-à-dire les traités bilatéraux] qui n'auront
pas fait l'objet d'une telle notification seront tenus pour abrogés".
Et notre contradicteur de conclure triomphalement son syllogisme : puisque les traités de 1902
et de 1919 n'ont pas été portés sur la liste notifiée par la France, ils ne sont pas en vigueur à la date
critique (CR 93/17, p. 78) ! Je ne crois pas trahir sa démonstration.
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Mais pourquoi la France et la Libye n'ont-elles pas anticipé en 1955 sur le raisonnement de
M. Condorelli ? C'est parce que, du moins elles l'estimaient, l'article 44 ne s'appliquait pas à cette
catégorie de traités. Je vous le rappelle, par l'article 23 du traité de paix, l'Italie avait renoncé "à
tous droits et titres" sur ses anciennes colonies — formule que la commission mixte franco-italienne
a considéré dans sa décision du 9 juillet 1962 comportant "cession de territoire" (décision no
284).
Nous sommes peut-être en désaccord sur l'analyse juridique du statut des anciennes colonies
italiennes après la signature du traité de paix puisque M. Condorelli y voit une suspension de
souveraineté (CR 93/17, p. 77-78), alors que nous-mêmes avons considéré dans nos écritures, avec
la majorité de la doctrine italienne, qu'il y avait transfert de souveraineté aux quatre puissances
(réplique du Tchad, par. 3.57).
Mais ce désaccord n'a aucune conséquence sur la question en discussion, puisque nous
convenons au moins d'une chose : c'est que les conventions relatives aux anciennes colonies
italiennes ne concernent plus l'Italie à partir de l'entrée en vigueur du traité de paix. Ces conventions
n'entrent donc pas dans le champ d'application de l'article 44 du traité de paix. Au demeurant, la
pratique internationale apporte une réponse claire et qui ne souffre pas discussion. Aucun traité de
paix, je dis bien aucun traité concernant les anciennes colonies italiennes n'a fait l'objet d'une
notification au titre de l'article 44, ni par la France, ni par la Grande-Bretagne, ni par les autres
parties au traité de paix.
Et ce n'est pas faute de texte entrant dans cette catégorie. Si j'en crois l'énumération donnée
par M. Brownlie dans son ouvrage de référence The African Boundaries, outre les traités
franco-italiens, dont je parlais, il existait deux autres traités concernant la Libye, quatorze pour
l'Erythrée, trois pour la Somalie, dont vous trouverez la liste dans le petit dossier d'audience.
Au demeurant, on ne voit pas comment les quatre puissances auxquelles le traité de paix
confie (article 23 et annexe XI) le soin de procéder le cas échéant à des ajustements de frontière,
auraient pu oeuvrer si lesdits traités avaient été abrogés.
Et on ne voit pas davantage comment la commission intérimaire de l'Assemblée générale
aurait pu examiner la question de la procédure à adopter pour délimiter les frontières des anciennes
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colonies italiennes "pour autant qu'elles ne se trouvent pas déjà fixées par des arrangements
internationaux" (résolution 289 IV), si lesdits arrangements internationaux n'étaient plus considérés
comme étant en vigueur. Et le mémorandum du Secrétariat général de l'Organisation des Nations
Unies préparé pour la commission intérimaire et en date du 27 janvier 1950 cite "les arrangements
internationaux existants, en ce qui concerne les frontières des anciennes colonies italiennes", soit
quatorze accords conclus par l'Italie, dont la convention franco-italienne de 1919. Vous trouverez la
liste de ces conventions dans votre dossier d'audience.
L'Italie a confirmé cette interprétation dans les rapports qu'elle a transmis à
l'Assemblée générale au titre de la tutelle sur la Somalie, rapports où elle vise les accords du
5 mai 1894 pour la frontière avec le Somaliland, et du 15 juillet 1924 pour la frontière avec le Kenya
(rapport 1958, Rome, ministère des affaires étrangères, 1959, p. 3).
Enfin, votre propre Cour, je le rappelle, a consacré dans l'affaire du Plateau continental
Tunisie/Libye la "règle de continuité ipso jure des traités de frontière et des traités territoriaux"
(C.I.J. Recueil 1982, p. 66, par. 84).
Il faudrait que M. Condorelli prouve la volonté des parties au traité de 1955 de partager son
analyse pour le moins et, ce faisant, d'écarter une pratique internationale unanime quant au sens et à
la portée de l'article 44 du traité de paix. Or, vous ne trouverez pas cette preuve dans le dossier de la
Partie libyenne.
Nous pouvons donc considérer, je vous le suggère, Monsieur le Président, Messieurs de la
Cour, avec les hautes parties contractantes que les traités définis par l'annexe I étaient bien en
vigueur à la date critique.
Monsieur le Président, s'il plaît à la Cour je pourrais interrompre ici ma plaidoirie et la
reprendre lundi matin.
The PRESIDENT: Do you wish to cease here, Professor Cot? If you had say five or ten
minutes more perhaps we could go on if you would prefer to do that.
M. COT : Je suis à la disposition de la Cour et je puis donc terminer le texte de l'article 3 si
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cela peut convenir pour la compréhension d'ensemble de ma démonstration, ce qui fait que je
passerai ensuite au contexte lundi matin.
J'en arrive donc si vous le souhaitez, Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, au bout du
texte de l'article 3, en vous priant de nouveau d'excuser le caractère un peu scolaire de cette
démonstration et je lis "les actes internationaux ... tels qu'ils sont définis dans l'échange de lettres cijointes".
Le verbe "définir", Monsieur le Président, est un verbe précis et vigoureux dans la langue
française. Il comprend la notion de détermination et s'oppose à l'idée d'indétermination. L'antonyme
de "défini" c'est "indéfini". Face à une expression d'une telle détermination, d'une telle volonté de
précision, la Partie libyenne voudrait interpréter les textes de l'annexe I comme une simple
illustration, sans valeur contraignante, des traités qui pourraient s'appliquer en matière frontalière.
Dans sa plaidoirie orale, sir Ian Sinclair a d'ailleurs traduit l'expression française "tels qu'ils
sont définis" par "as listed in annex I" (CR 93/15, p. 27, 31 et 49). Or, je ne trouve pas cette
traduction dans les bons lexiques et me permets de suggérer plutôt à sir Ian "as defined" ou "as
determined". Cette affaire sémantique, Monsieur le président, Messieurs, est importante, car nous
touchons ici au coeur même de la technique de délimitation des frontières mise en oeuvre par les
Hautes Parties contractantes.
Nos contradicteurs libyens partent d'un constat exact : l'annexe I ne cite pas tous les traités
relatifs à la frontière entre la Libye et les possessions françaises d'Afrique. Mais la Partie libyenne
en tire la conclusion hâtive qu'il s'agit d'une simple illustration, d'une énumération sans valeur
contraignante à laquelle se seraient livrées les parties contractantes. Ce faisant, elle vide l'annexe I et
donc l'article 3 de toute portée juridique, de tout effet utile.
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, l'annexe I n'est pas un répertoire analytique des
traités frontaliers, c'est une disposition normative. Cette annexe définit un ensemble de textes qui
décrit de manière complète et précise la frontière entre les deux Parties. Cette annexe omet
délibérément tout texte qui, tel le traité de Rome de 1935, serait en contradiction avec la ligne ainsi
définie. Elle met donc en oeuvre une technique juridique cohérente, une liste de traités de référence,
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pour assurer un résultat précis : une frontière incontestable.
Les actes internationaux, tels qu'ils sont définis dans l'échange de lettres que constitue
l'annexe I,
— ce ne sont pas tous les actes internationaux en vigueur,
— ce ne sont pas davantage n'importe quels actes internationaux en vigueur.
La définition d'une pareille liste, c'est le choix, la sélection de certains instruments juridiques,
afin de donner effet utile à une intention : celle de délimiter la frontière entre le Royaume Uni de
Libye et les territoires de la Tunisie, de l'Algérie, de l'AOF et de l'AEF. Si les parties au traité du
10 août 1955 en avaient convenu autrement, si elles avaient simplement voulu illustrer un propos
général, elles auraient utilisé un autre langage. Elles auraient inséré une expression comme "par
exemple" ou "à titre d'illustration". Or je ne trouve rien de tel, ni dans le traité, ni dans l'annexe I.
J'en conclus que les parties avaient bien l'intention, en citant ces textes précis, de délimiter la ligne
frontière.
Pour faire échec à cette conclusion, pour réduire à néant l'effet juridique de l'annexe I la
Partie libyenne doit apporter des éléments de preuve de l'intention commune des Parties que vous ne
trouverez pas dans le dossier.
Monsieur le Président, si vous le permettez, j'arrêterai là la démonstration, parce que ensuite je
dois passer à un autre volet. Je vous remercie pour votre patience, je remercie Messieurs les juges.
Bon week-end.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Cot. Till Monday morning at 10 o'clock.
L'audience est levée à 13 h 05.

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Public sitting held on Friday 25 June 1993, at 10 a.m., at the Peace Palace, President Sir Robert Jennings presiding

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