Public sitting held on Tuesday 9 April 1991, at 3 p.m., at the Peace Palace, President Sir Robert Jennings presiding

Document Number
082-19910409-ORA-01-00-BI
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Number (Press Release, Order, etc)
1991/7
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CR 91/7
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LA HAYE THE HAGUE
ANNEE l991
Audience publique
tenue le mardi 9 avril 1991, à 15 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de sir Robert Jennings, Président
en l'affaire relative à la Sentence arbitrale du 31 juillet 1989
(Guinée-Bissau c. Sénégal)

COMPTE RENDU

YEAR 1991
Public sitting
held on Tuesday 9 April 1991, at 3 p.m., at the Peace Palace,
President Sir Robert Jennings presiding
in the case concerning the Arbitral Award of 31 July 1989
(Guinea-Bissau v. Senegal)

VERBATIM RECORD

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Présents:
Sir Robert Jennings, Président
M. Oda, Vice-Président
MM. Lachs
Elias
Ago
Schwebel
Ni
Evensen
Tarassov
Guillaume
Shahabuddeen
Aguilar Mawdsley
Weeramantry
Ranjeva, Juges
MM. Mbaye
Thierry, Juges ad hoc
M. Valencia-Ospina, Greffier

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Present:
President Sir Robert Jennings
Vice-President Oda
Judges Lachs
Elias
Ago
Schwebel
Ni
Evensen
Tarassov
Guillaume
Shahabuddeen
Aguilar Mawdsley
Weeramantry
Ranjeva
Judges ad hoc Mbaye
Thierry
Registrar Valencia-Ospina

- 4 -
Le Gouvernement de la Guinée-Bissau est représenté par :
S.Exc. M. Fidélis Cabral de Almada, ministre d'Etat à la
Présidence du Conseil d'Etat,
comme agent;
S.Exc. M. Fali Embalo, ambassadeur de la Guinée-Bissau auprès
du Benelux et de la Communauté économique européenne,
comme coagent;
Mme Monique Chemillier-Gendreau, professeur à l'Université
de Paris VII,
M. Miguel Galvao Teles, avocat et ancien membre du Conseil d'Etat,
M. Keith Highet, professeur adjoint de droit international à
la Fletcher School de droit et diplomatie et membre des barreaux
de New York et du District de Columbia,
M. Charalambos Apostolidis, maître de conférences à l'Université
de Bourgogne,
M. Paulo Canelas de Castro, assistant à la faculté de droit de
l'Université de Coimbra,
M. Michael B. Froman, Harvard Law School,
comme conseils;
M. Mario Lopes, procureur général de la République,
M. Feliciano Gomes, chef d'état-major de la marine nationale
comme conseillers.
- 5 -
The Government of Guinea-Bissau is represented by:
H.E. Mr. Fidélis Cabral de Almada, Minister of State attached to the
Presidency of the Council of State,
as Agent;
H.E. Mr. Fali Embalo, Ambassador of Guinea-Bissau to the Benelux
Countries and the European Economic Community,
as Co-Agent;
Mrs. Monique Chemillier-Gendreau, Professor at the University
of Paris VII,
Mr. Miguel Galvao Teles, Advocate and former Member of the Council
of State,
Mr. Keith Highet, Adjunct Professor of International Law at The
Fletcher School of Law and Diplomacy and Member of the Bars of
New York and the District of Columbia,
Mr. Charalambos Apostolidis, Lecturer at the University of Bourgogne,
Mr. Paulo Canelas de Castro, Assistant Lecturer at the Law Faculty of
the University of Coimbra,
Mr. Michael B. Froman, Harvard Law School,
as Counsel;
Mr. Mario Lopes, Procurator-General of the Republic,
Mr. Feliciano Gomes, Chief of Staff of the National Navy,
as Advisers.
- 6 -
Le Gouvernement du Sénégal est représenté par :
S.Exc. Me Doudou Thiam, avocat à la Cour, ancien bâtonnier, membre
de la Commission du droit international,
comme agent;
M. Birame Ndiaye, professeur de droit,
M. Tafsir Malick Ndiaye, professeur de droit,
comme coagents;
M. Derek W. Bowett, Q.C., professeur de droit international,
titulaire de la chaire Whewell, Queen's College, Cambridge,
M. Francesco Capotorti, professeur de droit international à
l'Université de Rome,
M. Ibou Diaite, professeur de droit,
M. Amadou Diop, conseiller juridique à l'ambassade du Sénégal
auprès du Benelux,
M. Richard Meese, conseil juridique, associé du cabinet Frère
Cholmeley, Paris,
comme conseils.
- 7 -
The Government of Senegal is represented by:
H.E. Mr. Doudou Thiam, Advocate, former Bâtonnier, Member of the
International Law Commission,
as Agent;
Mr. Birame Ndiaye, Professor of Law,
Mr. Tafsir Malick Ndiaye, Professor of Law,
as Co-Agents;
Mr. Derek W. Bowett Q.C., Queen's College, Cambridge; Whewell
Professor of International Law, University of Cambridge,
Mr. Francesco Capotorti, Professor of International Law, University
of Rome,
Mr. Ibou Diaite, Professor of Law,
Mr. Amadou Diop, Legal Advisor, Embassy of Senegal to the Benelux
countries,
Mr. Richard Meese, Legal Advisor, partner in Frere Cholmeley, Paris,
as counsel.
- 8 -
The PRESIDENT: Please be seated.
Before calling upon counsel for Guinea-Bissau, I must refer to the letter dated 7 April from
the distinguished Agent for Guinea-Bissau, addressed to the Registrar, requesting that the Court
enable the calling of Mr. Mario Lopes, a member of the Guinea-Bissau delegation, as a witness or as
an expert witness. A copy of that letter was immediately sent by the Registrar to the distinguished
Agent for Senegal. Senegal sent a letter to the Registrar this morning indicating reasons for its
opposition to this request. A copy of this letter was sent to Guinea-Bissau.
The Court has given most careful and anxious consideration to the matter thus raised and has
decided that it would not be appropriate to accede to this request from Guinea-Bissau.
I call Mrs. Chemillier-Gendreau.
Mme CHEMILLIER-GENDREAU : Monsieur le Président, Messieurs les Juges, en abordant
ce deuxième tour des plaidoiries de la Guinée-Bissau, il me semble utile de résumer devant la Cour
les positions des Parties. Au cours des débats du premier tour, ces positions se sont-elles simplifiées,
clarifiées, maintenues ou obscurcies ?
La constance de la Guinée-Bissau dans sa position est confirmée.
L'accord n'a pas pu se faire au sein du Tribunal sur la nécessité de passer à la seconde
question. La prétendue sentence en est inexisstante.
L'analyse du compromis, consacrée par les attitudes des deux Parties jusqu'à la clôture de la
procédure devant le Tribunal dégage la manière dont le Tribunal, réduit a un seul arbitre, est sorti de
sa compétence, clairement encadrée cependant. La prétendue sentence en est nulle.
La Partie qui, de bonne foi, sur la base de ce qui avait été demandé, la délimitation de tous les
espaces marins par une ligne unique, tenterait l'application de la décision, en découvrirait
immédiatement l'impossibilité.
La prétendue sentence est inapplicable.
Voilà ce que soutient la Guinée-Bissau.
Dans l'attitude du Sénégal, la gêne va croissant.
Sur la portée de la prétendue sentence, une forte évolution a eu lieu concernant la question de
- 9 -
la zone économique exclusive; elle ne va pas toutefois dans le sens de la plus grande clarté :
rappelons que lors des incidents qui sont à l'origine de la procédure relative aux mesures
conservatoires, au bébut de 1990, le Sénégal s'était comporté comme s'il pouvait exercer ses droits
souverains sur une zone de pêche au sens moderne du mot.
En effet, la marine sénégalaise avait procédé alors
a des arraisonnements au nord de la ligne d'azimut 240° et au-delà d'une distance à la côte
correspondant à la zone contiguë.
Interrogé par le Président Ruda qui avait demandé "Comment se fait-il que vous étendiez cette
ligne à 200 milles sous la sentence ?", l'agent du Sénégal dans une note du 20 février 1990 qui est en
votre possession, avait répondu par l'argument que nous avons désigné sous le nom d'argument de la
contagion. La ligne unique délimitant les différentes catégories de territoires devait par attraction être
celle-là même désignée d'abord pour certains d'entre eux seulement.
Le même agent s'exprimant a cette barre le 5 avril déclare : "il est encore loisible
à la Guinée-Bissau, si elle le souhaite, de demander l'ouverture de nouvelles négociations sur la
délimitation de cette zone économique exclusive, par les procédures qui lui sont ouvertes".
L'attraction irrésistible de la ligne d'azimut 240° sur laquelle, selon le Sénégal, toutes les
délimitations devaient s'aligner aurait-elle vraiment cessé ?
La chose n'est pas complètement assurée à en croire certains propos encore ambigus tenus par
les conseils du Sénégal (CR du 5 avril, p. 41).
Sur la valeur juridique de ce texte, le Sénégal refuse obstinément de se livrer à une analyse de
fond de la déclaration du Président. Et par une interprétation hautement manipulée du texte du
compromis, il tente de rejeter les griefs d'inexistence et d'excès de pouvoir allégués par la
Guinée-Bissau.
C'est donc à la question de l'interprétation du compromis et de la stratégie sénégalaise
développée à partir de là que je vais m'arrêter maintenant.
Je ferai quatre remarques préliminaires. Je procéderai ensuite à l'interprétation du compromis
sous l'article 31 de la convention de Vienne.
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1
re
remarque - ce que le Sénégal présente comme ayant été l'interprétation du compromis par le
Tribunal et qu'il tente d'approuver aujourd'hui, est en réalité l'interprétation d'un seul arbitre
M. André Gros.
L'usage que le Tribunal aurait fait de la compétence de la compétence, tant vanté et soutenu
par la Partie adverse, résulte d'une attitude individuelle. La déclaration du président Barberis est
assez limpide à cet égard.
Certaines phrases de mon éminent collègue M. Bowett doivent subir une importante correction
pour se rapprocher de la réalité telle que nous la connaissons tous.
Aux pages 41 et 42 du CR du 5 avril, il est dit : "Thus, the Tribunal refused to go outside the
compromis. It refused to commit an excès de pouvoir by answering questions which had not been
put by the compromis."
Et plus loin : "The Tribunal's refusal to accept Senegal's arguments was based upon the
Tribunal's view that it was strictly bound to confine itself to the questions asked in the compromis."
Le texte corrigé en fonction de la réalité donne ceci : "M. André Gros et lui seul refusa de
sortir du compromis. Il refusa de commettre un excès de pouvoir en répondant à des questions qui
n'avaient pas été posées par le compromis." Cette correction est indispensable puisque M. Barberis
a dit clairement que pour sa part il voulait répondre à ces questions.
Et plus loin, cela donne encore et pour les mêmes raisons : "Le refus de M. André Gros et de
lui seul, d'accepter les arguments du Sénégal, était basé sur le point de vue de M. André Gros et de
lui seul, selon lequel il était strictement obligé de se limiter aux questions posées dans le compromis."
La correction est encore nécessaire puisque M. Barberis considérait autrement les questions
posées dans le compromis.
C'est là une chose à ne pas perdre de vue.
2
e
remarque : Comme je l'ai soutenu ici lors du premier tour des plaidoiries, il se confirme que
devant la Cour, le Sénégal s'emploie à rejoindre d'une manière ou d'une autre M. André Gros,
désigné désormais sous le nom de "le Tribunal". Pour cela il faut opérer un changement total
d'interprétation du compromis.
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Ce qui, devant les arbitres de Genève était une conception complémentaire des deux questions
de l'article 2, confirmée par le texte des conclusions sénégalaises, devient une conception alternative.
L'objet même du compromis aurait été un objet alternatif.
Cette position avait percé dans le contre-mémoire devant la Cour au paragraphe 110.
Elle prend toute son ampleur en plaidoirie. elle se développe contre le bon sens, contre la
logique, contre le texte du compromis et contre l'ensemble des écritures, plaidoiries et conclusions du
Sénégal lui-même dans la procédure arbitrale.
Le rapport entre les deux questions de l'article 2 est désormais un rapport d'indépendance
totale et d'exclusion. Les premiers mots de la 2e
question sont interprétés non pas comme les reliant
mais comme les séparant.
Rien n'était annoncé de cela ni dans les travaux préparatoires ni dans le préambule, mais
qu'importe.
Le nouvel objet du différend, double, alternatif, est régi de surcroît par deux régimes
juridiques distincts. Il serait dans l'imagination féconde du Sénégal le suivant:
1
er
objet : la validité de l'échange de lettres franco-portugais. Et si la plus petite dose de
validité pour quelque partie que ce soit de l'échange de lettres est confirmé, la tâche du Tribunal est
épuiséé. Il est interdit de tout autre effort.
2
e
objet : qui ne s'ouvre que dans la seule et stricte hypothèse d'une invalidité totale de l'accord
entre les Etats prédécesseurs : une délimitation totale ex novo.
Le premier objet est sous le régime juridique des conventions de Genève sur le droit de la mer
de 1958.
Le second est sous le régime du droit de la mer contemporain. Rien n'en a été dit dans le
compromis, mais ainsi en décide le Sénégal aujourd'hui.
Les deux questions, selon lui, ne peuvent en aucun cas se combiner et, si l'échange de lettres
ne fait droit que pour certains espaces, le Tribunal étant interdit de délimitation, il n'y a pas de
solution au différend de délimitation pour les autres espaces.
Voilà la grande nouveauté de la position sénégalaise dans cette instance.
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Une question nous est venue et je me réjouis que certain, parmi les juges de la Cour, l'ait
soulevée également.
Si le Tribunal avait considéré que l'échange de lettres ne faisait droit que, et uniquement que,
pour la mer territoriale, le Sénégal défendrait-il la même position de l'objet alternatif ? La logique le
lui impose.
L'hypothèse n'était pas à exclure. Les droits des Etats sont très différents selon qu'ils
s'exercent sur la mer territoriale ou sur les autres espaces placés sous leur juridiction. Dans un cas il
s'agit d'une réelle souveraineté. Dans les autres de droits souverains finalisés. Les délimitations sont
alors très différentes des délimitations des frontières terrestres et l'application du principe d'uti
possidetis éminemment discutable. D'ailleurs l'opinion dissidente de M. Bedjaoui est fondée sur cet
argument qui est d'une grande force.
Le Tribunal aurait donc pu, au nom d'une conception plus juste selon nous de l'uti possidetis
juris, limiter les conséquences de l'échange de lettres sur les droits des deux Parties à la seule mer
territoriale.
Selon le Sénégal, donc, le Tribunal dans ce cas, eût été contraint de résister au passage à la 2e
question et la sentence chétive ainsi formulée eût été valide à ses yeux et eût constitué le seul résultat
de la procédure arbitrale.
3
e
remarque : elle est dans le prolongement de la seconde. Les deux Parties semblent d'accord dans
l'abstrait, je dis bien dans l'abstrait, pour considérer que la compétence de la compétence d'un
tribunal connaît une limite et que cette limite se définit par l'erreur manifeste d'interprétation. Il faut
donc identifier tout d'abord l'interprétation correcte et l'interptrétation erronée. Tel est tout l'enjeu de
l'actuel débat devant la Cour. Le Sénégal en convient, c'est au CR du 5 avril, page 32.
Mais à peine posé l'enjeu du débat est dévié car le Sénégal avance que le Tribunal peut se
trouver face à deux parties qui ont une vue différente de l'interprétation du compromis.
La situation actuelle n'est pas celle-là. Je vais poursuivre dans quelques instants des
arguments amorcés au premier tour selon lesquels l'interprétation du compromis, par les deux Parties
devant le Tribunal de Genève, a sans doute été l'objet de propos confus de la part du Sénégal.
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Toutefois, ses conclusions ne l'étaient pas et confirmaient l'identité de vues des Parties à la fois sur
l'enjeu du différend et sur la compétence du Tribunal.
C'est maintenant, devant la Cour, que les deux Parties divergent sur l'interprétation. Les
conseils du Sénégal qui ont assisté cet Etat à Genève ne sont plus ici pour le confirmer eux-mêmes; il
est vrai que le Sénégal devant la Cour s'est entouré d'une équipe renouvelée. Peut-être cela est-il en
liaison avec le renouvellement de son argumentation. Mais si les conseils ont changé, la permanence
de l'Etat plaideur demeure. Cet Etat a renouvelé son interprétation et l'interprétation nouvelle est
insoutenable. Par l'exemple que j'ai pris d'une réponse à la première question qui n'aurait porté que
sur la mer territoriale, nous voyons clairement que cette position conduit à un résultat absurde.
Si le Tribunal avait été autorisé par les Parties à une attitude conduisant à ne régler le
différend que pour la proportion si minime soit-elle qu'il estimait réglée par la réponse à la première
question (dans le cas d'un peu de positivité), le compromis l'eût dit clairement. Lorsque le non
règlement du différend ou un quasi non règlement du différend est prévu, cela est dit. D'autres
compromis d'arbitrage ont depuis longtemps pris ce chemin. Dans l'affaire du baleinier américain
Canada entre le Brésil et les Etats-Unis par exemple, le protocole du 14 mars 1870 entre ces deux
Etats prévoyait "à supposer que l'arbitre décline de rendre une décision; tout ce qui aura été fait en
vertu du présent accord sera nul et de nul effet; chaque gouvernement aura toute liberté de procéder
comme s'il n'y avait pas eu d'arbitrage" (La Pradelle et Politis, t. 11, p. 626).
On trouve cette clause dans d'autres compromis.
Ce n'est pas cela ici que les deux Etats ont voulu, même pas partiellement.
4
e
remarque : Je me vois contrainte de revenir sur les règles et principes d'interprétation.
Le désaccord des Parties sur les principes d'interprétation se confirme et s'accroît après les
plaidoiries du Sénégal. et d'où cela vient-il?
Le Sénégal voit dans notre attitude une erreur : celle d'avoir cru que la première question
devait produire une délimitation complète comme la seconde. Ce n'est pas cela que nous avons cru.
En réalité, le Sénégal veut attirer la Cour sur son terrain : celui du fameux objet alternatif.
Mais l'objet alternatif ne découle d'aucune interprétation valable des termes du compromis.
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Pour tenter de donner quelque chance à cette entreprise hasardeuse, il faut bousculer sérieusement les
principes et règles d'interprétation.
M. Bowett s'y emploie de la manière suivante :
1. Il annonce (CR 91/4 du 5 avril, p. 32) qu'il ne veut pas ennuyer la Cour avec une trop
longue discussion sur les principes. Il va donc, dit-il, les résumer en quelques propositions simples.
2. Le résumé annoncé est l'occasion d'un choix soigneux d'une sélection parmi les principes
des articles 31 et 32 de la convention de Vienne. Ce choix porte sur quatre principes : la volonté
commune des Parties, but de toute interprétation; la bonne foi; le sens clair et ordinaire des mots; la
référence aux travaux préparatoires pour lever toute obscurité ou ambiguité.
Ont été passés sous silence au passage et le plus innocemment du monde : le contexte, l'objet
et le but qui sont pourtant la lumière de l'interprétation, toute pratique ultérieure par laquelle est
établi l'accord des Parties.
3. Ont été mélangés (à volonté) moyens complémentaires et règles générales d'interprétation.
Il y a pourtant une hiérarchie précise dans la convention de Vienne. L'interprétation régulière
doit d'abord être menée selon les règles de l'article 31 : bonne foi, sens ordinaire des termes, contexte,
but et objet du traité; pratique ultérieure.
Si, malgré l'utilisation de ces règles de l'article 31, le sens est ambigu et obscur ou le résultat
manifestement absurde ou déraisonnable, alors, mais alors seulement, apparaît sous le terme de
moyens complémentaires, la possibilité d'utiliser les travaux préparatoires. En rappelant cela, je ne
commets pas l'erreur de me croire dans mon amphithéâtre à l'Université... Non, je sais que j'ai le
grand honneur de m'adresser à la Cour et que ses Membres auront à se prononcer sur les règles,
parfaitement connues par eux, de l'interprétation des traités.
Mais je me dois, pour la bonne défense des intérêts de l'Etat de la Guinée-Bissau de souligner
la présentation fausse qui a été faite de ces principes de l'autre côté de la barre.
Nous allons de ce côté-ci, reprendre maintenant brièvement, mais en tentant de le faire
rationnellement, l'interprétation de l'article 2 du compromis de 1985 en suivant pour cela, pas à pas,
les prescriptions de la convention de Vienne.
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a) Commençons par le plus important, le sens ordinaire des mots. Je
pars ici du texte français qui, avec le texte portuguais, faisait foi. Le Sénégal manifeste ici
encore son étrange propension à la sélection. Il a d'ailleurs, dans les mots écrits au tableau, il
avait, lors de ses plaidoiries, souligné à l'attention de la Cour, ceux qui lui conviennent. Cela
m'amène à reprendre la technique un peu scolaire, que la Cour veuille bien m'en excuser, du
tableau et je vais ici m'arrêter rapidement à tous les mots et non pas à certains d'entre eux.
Nous verrons alors qu'il y a une dynamique progressive du texte qui en dégage parfaitement
l'objet global.
Des mots de la première question, le Sénégal ne s'est guère intéressé qu'à ceux-ci : l'accord
fait-il droit ? Pourtant la phrase du paragraphe 2 de l'article 2 qui forme la première question est
plus élaborée :
L'ACCORD CONCLU PAR UN ECHANGE DE LETTRES, le 26 AVRIL 1960.
La forme de l'accord est spécifiée avant même sa date. Il a été conclu par un échange de lettres. La
Guinée-Bissau tenait beaucoup à cette formulation pour des raisons longuement plaidées à Genève et
qui sont des raisons de fond relatives à la validité. Cela il est vrait, est inutle dans l'actuel débat.
ET RELATIF A LA FRONTIERE EN MER,
l'accord est qualifié, désigné on ne dit pas : l'accord de 1960 fait-il droit ? Le texte affine la
désignation de l'accord. C'est celui relatif à la frontière en mer.
Relatif à veut dire qui présente une relation, qui a un rapport, concernant.
L'accord a donc quelque chose à voir avec la frontière en mer. Mais ce quelque chose peut
être tout ou partie, le plus souvent partie. Le dictionnaire Robert qui illuste la définition des mots
avec des citations, donne une phrase de Beaumarchais comme exmple : "Des objets relatifs à un
procès jugé au parlement." Les objets ont à voir avec le procès. Ils ne sont pas à eux seuls tout le
procès.
RELATIF A est bien une expression qui relativise, qui met en rapport une partie et le tout. Que
l'accord soit relatif à la frontière en mer introduit l'idée qu'il a eu pour objet quelque chose de cette
frontière mais qu'il a pu avoir pour objet une partie seulement de cette frontière. Le texte ne dit pas
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l'accord fixant la frontière en mer. Les rédacteurs ont choisi et pesé leurs mots. De cela, j'ai quelque
raison d'être sûre. Voilà pourquoi l'accord est très justement désigné comme un accord qui pourrait
n'avoir pas fixé toute la frontière.
Remarquons ici encore que les mots relatif à introduisent clairement l'idée de portée de
l'accord.
Si la première question avait eu pour unique objet, comme le soutient le Sénégal, la question
de la validité, les mots : "conclu par un échange de lettres" avaient bien leur sens. Mais pas les
mots : "relatif à la frontière en mer". Ceux-là introduisent la notion de portée de l'accord. Il est
question de la frontière en mer. L'accord y a été relatif. On demande s'il fait droit. Ce sera
évidemment dans la mesure où il était relatif.
Restons maintenant quelques secondes sur LA FRONTIERE EN MER. C'est-à-dire cela à
quoi l'accord était relatif. Ce n'est rien d'autre que l'objet même du différend qui se trouve rappelé
ainsi dès la première question, dans les termes mêmes de la première question.
Le préambule l'avait annoncé.
La première question n'est pas en dehors du sujet introduit par le préambule. Elle est dedans.
Mais elle n'est pas tout le sujet. Il faut élucider d'abord la part que l'accord y prend.
Cette part dépend de sa validité (il a été conclu par un échange de lettres en 1960) et de sa
portée : lui qui est relatif à la frontière en mer, s'il est valide, quelle part a-t-il réglé de cette
frontière ? Cela découle du sens ordinaire des termes "relatif à la frontière en mer".
Y-a-t-il encore un doute ?
Poursuivons.
FAIT-IL DROIT DANS LES RELATIONS ENTRE LA REPUBLIQUE DE GUINEE-BISSAU ET LA
REPUBLIQUE DU SENEGAL ?
Nous pouvons traiter d'abord, les mots "fait-il droit entre la République de Guinée-Bissau et la
République du Sénégal. Le : fait-il droit entre eux, renvoie à la question de l'opposabilité. Elle était
principale pour la Guinée-Bissau qui soutenait que l'accord ne lui était pas opposable selon une
application correcte des règles de la succession d'Etats.
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Le texte aurait pu ne dire que cela : fait-il droit entre les deux Républiques ? Mais il a pour
visée quelque chose de plus que la simple opposabilité ou inopposabilité.
Car les négociateurs ont pris soin de dire : fait-il droit dans les relations entre la République
de Guinée-Bissau et la République du Sénégal ?
Les relations : l'article défini et pluriel désigne l'ensemble, la totalité des relations, les relations
ayant un rapport avec le différend bien sûr, mais sous cette précision, il s'agit des relations au sens le
plus large, c'est-à-dire les relations pertinentes, celles en liaison avec la délimitation des territoires
maritimes.
Si nous récapitulons ce qu'il y a sous la question 1, avec le simple sens des mots et la bonne
foi qui exige de les examiner tous et non d'en magnifier certains pour ignorer les autres, nous
trouvons sous cette question 1 :
- le problème de la validité de l'accord, certes, sous les mots : conclu par un échange de lettres et
fait-il droit. Mais cette question n'est qu'une parmi d'autres, car il y a dans le même paragraphe de la
question 1 la question de l'opposabilité de l'accord : fait-il droit entre ces deux Etats-là ?
- et il y a la question de sa portée. Il est désigné comme relatif à la frontière en mer, sans plus.
Quelle est alors sa place dans les relations entre les deux Parties. Aucune de ces trois données,
validité, opposabilité, portée, n'est survalorisée par rapport à aucune des autres.
Le sens ordinaire des mots les met sur la même ligne d'importance. C'est la question 1, il faut
la traiter d'abord, car avant d'atteindre le but du compromis, (déjà désigné dans cette question 1 : la
frontière en mer), il faut au préalable mesurer la place, si place il y a , de l'accord de Lisbonne.
L'examen attentif de l'article 2 question 1 permet de conclure qu'elle s'inscrit dans l'objet
global du différend, la délimitation d'ensemble,
- qu'elle introduit l'idée d'une portée relative de l'accord.
Aussi, la question 1 n'allait-elle pas sans la question 2.
Une fois décidé de la valeur de l'opposabilité et de la portée de l'accord, il fallait s'assurer des
moyens de parvenir au but. C'est dire qu'il fallait une démarche complémentaire (et non pas
alternative). Et cela pour toutes les hypothèses sans exception où il y aurait eu des relations entre les
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Etats, relatives à leur frontière en mer, non réglées par l'accord ... et cela à supposer que l'accord eût
été déclaré valable et opposable. Reprenons donc cette trop fameuse expression sur laquelle le
Sénégal a focalisé tant d'énergie interprétative. Mais nous tâcherons d'épargner encore un peu de la
nôtre pour la suite et la fin de l'article 2. Mais revenons à
EN CAS DE REPONSE NEGATIVE A LA PREMIERE QUESTION
Les conseils du Sénégal persévèrent à penser que ces mots veulent dire "en cas de réponse
totalement négative".
Pour s'opposer à cette interprétation inexacte des textes, la Guinée-Bissau avait introduit dès
la réplique devant la juridiction arbitrale, et à titre illustratif du sens, les mots partiellement ou
totalement. Elle voulait dire par là que en cas de réponse négative voulait dire, dans tous les cas de
réponse négative, et pas seulement une partie d'entre eux.
En réalité les deux caégories : réponse partiellement négative et réponse totalement négative
sont contenues par la grammaire même dans les termes. Il s'agit bien du sens ordinaire des mots.
Souvenons-nous que nous sortons de la première question tendant à demander quelle est la
mesure du droit ouvert par l'accord.
On enchaîne avec en cas de réponse négative.
Mon collègue Keith Highet, maîtrisant Voltaire et Dickens à la fois, a fait le 4 avril devant la
Cour des remarques très pertinentes sur le choix des mots en français et sur la déperdition de sens
opérée dans la traduction vers l'anglais (langue extérieure à l'arbitrage). Mais je crois que
M. Bowett a eu un moment de distraction à ce point de nos plaidoiries, car une fois à la barre, il n'a
pas répondu à l'argument, il n'en a pas tenu compte.
L'expression française en cas de vise quelque cas que ce soit, par le fait même que le mot cas
est introduit directement par la préposition en sans l'intermédiaire d'aucun article défini ni indéfini.
C'est en cela que l'expression n'équivaut pas à l'anglais : "in the event of" où l'article défini the vise le
cas.
Ici par le choix aucun cas précis de réponse négative n'est désigné. La généralité voulue est
totale. Tous les cas possibles de réponse négative sont inclus. Si la négation n'a été donnée que pour
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une part, la question 2 est cependant ouverte parce que la réponse négative, fut-elle partielle, entre
dans le champ des cas visés, tous les cas possibles.
Alors, ayant engrangé la part de réponse positive donnée peut-être à la première question, le
Tribunal interpellé par les mots "en cas de réponse négative à la première question" doit poursuivre.
Ne pas le faire, c'est violer le texte, c'est être en rupture avec son sens.
La négativité partielle, présente dans le sens même des mots de la question 1, s'enchaîne
parfaitement avec le caractère indéfini, volontairement indéfini de l'expression par laquelle débute la
question 2. Pour l'ensemble des cas entrant sous l'expression de la question 2 : quel est le tracé de la
ligne délimitant les territoires maritimes ?
De ces mots-là, le Sénégal ne parle jamais, sauf pour les reléguer au rang d'objet alternatif.
Leur caractère complémentaire et décisif est cependant difficile à nier.
Le tracé ... cela évoque une décision aussi concrète que possible. Ce tracé est repris à l'article 9
comme une obligation du Tribunal. C'est le tracé non pas de plusieurs lignes mais d'une seule : le
singulier ne prête pas à interprétation.
Elle a pour objet de délimiter les territoires maritimes. Ici l'article défini est employé au
pluriel. Le tracé ne peut donc laisser aucun territoire non délimité.
La généralité de l'expression les territoires maritimes doit être rapprochée de celle de en cas de
réponse négative.
Si parmi les territoires maritimes il en est un ou une partie d'un, qui ait échappé à la
délimitation par l'effet de la question 1, alors la question 2 a pour mission de le rattraper et de
l'intégrer à la délimitation.
La part de créativité du Tribunal restait grande, sous le contrôle du droit international
cependant. Il était soumis à une obligation de résultat : le tracé. Ceci c'est pour les mots du texte.
b) Voyons maintenant le contexte. Le Sénégal n'en fait pas grand cas.
Quelques lignes des plaidoiries que l'on trouve à la page 46 du compte rendu du 5 avril
expédient purement et simplement la difficulté. Les questions posées au Tribunal découlaient
de l'article 2 nous dit-on et non du préambule. Et puisque ces questions sont claires il n'y a
- 20 -
pas à se référer au préambule.
La clarté des questions pour le Sénégal est, nous le savons, cette grand complication du double
objet indépendant, en méconnaissance complète des prescriptions de l'article 9 relatives à la
nécessité d'un tracé sur une carte.
S'il y a deux sens possibles à un article d'un traité et le Sénégal le soutient, l'article 31 de la
convention de Vienne qui exige l'appui du contexte n'est-il pas alors l'élément qui permettra de
trancher ? Mais le Sénégal ne veut faire appel à rien qui puisse ébranler son étrange
hypothèse.
Il est oublieux d'une importante jurisprudence de la Cour dans laquelle celle-ci s'est appuyée
sur le préambule. Ainsi dans l'arrêt sur le Droit d'asile (C.I.J. Recueil 1950, p. 282) ou celui
sur les Ressortissants des Etats-Unis au Maroc (C.I.J. Recueil 1952, p. 196).
Le Sénégal ne veut pas avoir sous les yeux le paragraphe 2 du préambule :
"reconnaissant qu'ils n'ont pu résoudre par voie de négociation diplomatique le différend
relatif à la détermination de leur frontière maritime. 'Les choses sont alors trop claires
sur le but unique et ultime de l'arbitrage...' Le Sénégal ne veut ni voir, ni entendre la
phrase de l'article 9 'cette décision doit comprendre le tracé de la ligne frontière sur une
carte'"
qui ne met aucune condition à cette obligation.
Le Sénégal enfreint ainsi l'obligation d'interpréter les termes suivant leur sens ordinaire dans
leur contexte.
c) L'objet et le but du traité jettent dans le cas de ce compromis une
lumière aveuglante. Le Sénégal détourne encore son regard.
M. Capotorti est péremptoire à la page 65 du compte rendu du 5 avril :
"la délimitation maritime complète représentait selon notre adversaire (mais uniquement selon
lui) l'objectif essentiel de l'arbitrage. Nous ne pouvons absolument pas partager ce
raisonnement du requérant."
Les violons ne sont pas toujours bien accordés entre les conseils du Sénégal car M. Bowett
avait soutenu à la page 43 du même compte rendu qu'il était certainement vrai que les deux
- 21 -
Parties souhaitaient avoir un règlement définitif et complet de leur différend de délimitation.
Ce flottement dans les positions n'a guère de quoi surprendre. Il est difficile de soutenir
longuement et uniment quelque chose qui va contre toutes les évidences.
Depuis le début de la négociation (1977) jusqu'à la fin de l'arbitrage (1989) : 12 ans, le but des
deux parties, fondant l'objet du compromis arbitral a été d'arriver directement ou indirectement
à la délimitation complète.
La bonne foi du Sénégal est fort engagée dans cette affaire. Il aurait donc caché pendant
12 ans, malgré toutes les rencontres, un objet secret qu'il n'exposerait qu'aujourd'hui aux
regards de la Cour "Mais où trouver le but ?" écrit Serge Sur dans son ouvrage sur
l'"Interprétation en droit international public" (GDJ, 1974, p.229).
"Ce peut être plus particulièrement dans un préambule" répond-il, citant plusieurs exemples
jurisprudentiels. Le préambule donne le but.
Le Sénégal nous dira-t-il au 2e
tour de ses plaidoiries - pourquoi le préambule ne dit pas un
mot de la validité de l'échange de lettres ? Doit-on se demander pourquoi le préambule est
silencieux sur la moitié de l'objet de l'arbitrage ? Ou faut-il conclure que le Sénégal propose
une interprétation erronée de cet objet ?
d) Allons donc au contexte au sens large, celui du paragraphe 2 de
l'article 31 de la convention de Vienne.
Il autorise que soit tenu compte, de
"toute pratique ultérieurement suivie dans l'application du traité par laquelle est
établi l'accord des parties à l'égard de l'interprétation du traité".
Le Sénégal est alors d'autant plus ferme dans ses affirmations qu'il a accumulé de son fait les
éléments de preuve en sens contraire. Son conseil à l'audience du 5 avril (page 44 du CR) n'a
aucun doute. Le Sénégal a toujours limité ses arguments à la première question. Mais
cependant ... il lui vient comme une prudence et il ajoute que de toute façon ce qui est en jeu
devant la Cour, est ce que le Tribunal avait décidé et non ce que le Sénégal avait soutenu.
Mais le Tribunal pour décider correctement et pour échapper à l'excès de pouvoir, devait
décider sur la base de ce que les Parties avaient voulu. Ce que le Sénégal a soutenu entre
- 22 -
mars 1985 (date du compromis) et le printemps 1988 (fin de la procédure devant le Tribunal),
est donc de la plus haute importance. Le Tribunal n'a pas été, contrairement à ce qui a été
soutenu face à deux Parties ayant des vues différentes sur la façon d'interpréter le compromis.
La pratique a été concordante sur l'interprétation du compromis. Elle n'était discordante
que sur le résultat de l'arbitrage. Ce qui est très différent.
Je ne reprendrai pas ici ce que j'ai plaidé il y a quelques jours devant la Cour... La
Guinée-Bissau a préféré aller à l'essentiel et reproduire la dernière page des conclusions
finales du Sénégal à Genève.
Peut-être ce texte aidera-t-il le Sénégal à sortir d'une cruelle amnésie. Oui, c'est bien le
Sénégal qui, sur cette page, au paragraphe qui commence le dernier paragraphe, celui qui
commence par "que cet accord", entre les mots "que cet accord" et ceux qui viennent deux
lignes plus loin "fait droit" a ajouté "conforté et complété par le comportement ultérieur des
Parties contractantes, autant que par celui des Etats souverains qui leur ont succédé".
"Conforté et complété par le comportement ultérieur", ce n'est pas vraiment de la validité de
l'accord qu'il s'agit ici.
Mais comment s'explique le "Quelle que soit la réponse du Tribunal à l'article 2,
paragraphe 1" par lequel commence le paragraphe suivant ?
Si la Cour me permet, nous sommes trois lignes avant la fin de la première page de la version
française. Quelle que soit la réponse du Tribunal à l'article 2, paragraphe 1, il est tentant de
refaire un peu de grammaire...
Je m'y sens autorisé après tout, ... la Cour permanente de Justice internationale ne s'était-elle
pas appuyée sur le Littré et sur l'Oxford Dictionary dans son avis consultatif au sujet de la
Compétence de l'OIT pour la réglementation internationale des conditions du travail des
personnes employées dans l'agriculture, 1922, (C.P.J.I. série B n° 2, p. 32-35) et l'Empereur
de Russie dans un arbitrage maintenant centenaire louait fort le sens grammatical (Lapradelle,
Politis, t. 1, p. 333).
"Quelle que soit la réponse du Tribunal" ... l'expression "quelle que" est une expression de
- 23 -
valeur indéfinie. Alors sont désignées par ce texte toutes les catégories de réponses possibles
à la question 1 : les négatives totalement négatives, partiellement négatives, négatives pour
beaucoup ou négatives pour très peu. Elles entraînent le Sénégal hors de la première question.
La formule "quelle que soit" employée par le Sénégal dans ses conclusions confirme
l'interprétation la seule possible que j'ai soumise tout à l'heure à la Cour de l'expression "en
cas de". Prolongée, exhaussée, la ligne fixée en 1960 voit encore par les conclusions mêmes
du Sénégal (c'est le dernier paragraphe du document reproduit, elle voit encore son point
d'aboutissement projeté. Que son point d'aboutissement est situé à l'intersection de cette même
ligne d'azimut de 240 et de la limite des 200 milles marins.
Avec une force inouie, ce point traverse les océans puisqu'il franchit vers le large les 140 milles non
délimités en 1960 (250 km environ) pour atteindre miraculeusement la limite des 200 milles.
Est-ce bien un miracle ?
Il est souvent décevant de découvrir la cause rationnelle de quelque chose que l'on croyait
jusque là miraculeux.
Cela me remémore une déception d'enfant lorsqu'on m'expliqua que la manne qui selon la
Bible était tombée dans le désert sur le peuple de Dieu affamé, n'était rien d'autre que le vol, très
habituel à cette saison, des cailles qui passaient par là tous les ans à la recherche de cieux cléments.
Ainsi, le miracle devenait-il ordinaire et explicable.
La miraculeuse transformation souhaitée par le Sénégal de la ligne limitée de 1960 en une
ligne de beaucoup plus grande ampleur, ne proviendrait-elle pas d'un très banal et très prévisible
passage à la question 2, celui-là même que nous avons toujours soutenu comme nécessaire ?
Ainsi le Sénégal a-t-il partagé, en secret il est vrai mais de manière incontestable et pendant
des années, l'interprétation de la Guinée-Bissau. Jean-Pierre Cot écrivait que le rôle véritable de la
conduite subséquente "devient décisif si l'indice qu'elle donne est net" (RGDIP, 1966, p. 652).
Deux questions complémentaires dont les réponses cumulées devaient permettre une
délimitation complète, voilà ce qui était dans le compromis de 1985. La pratique ultérieure des
Parties à laquelle je viens de faire allusion s'est déroulée de 1985 à 1988.
- 24 -
Lorsque le Tribunal se prononce en 1989, il la connaît parfaitement. Elle a été menée devant
lui. Il sait ce sur quoi les Parties sont d'accord. Il ne répond ni oui ni non à la première question
puisqu'elle est partiellement oui et partiellement non.
D'une manière qui prête à sourire, nos collègues se contredisent sur ce point. L'un ne voit pas
trace de négation (CR du 5 avril, p. 65) mais l'agent lui-même reconnaît que la même idée peut
s'exprimer sous une forme positive ou sous une forme négative.
L'essentiel qui demeure est que, d'accord entre les Parties, il résultait que le Tribunal devait
passer à la seconde question et fournir une entière délimitation. Ne pas le faire résultait d'une
interprétation erronée et engendrait l'excès de pouvoir et la nullité absolue.
Telles sont, Monsieur le Président, Messieurs les juges, les conclusions auxquelles m'amène
l'interprétation sous l'article 31 de Vienne.
Il y a encore des moyens complémentaires découlant de l'article 32. Mais cela, c'est
M. Keith Highet qui en traitera.
Je vous remercie.
The PRESIDENT: Thank you very much, Mrs. Chemillier-Gendreau. Mr. Highet, please.
Mr. HIGHET: Thank you, Mr. President.
Mr. President, Members of the Court. I understand that it would be convenient for the Court
to rise for the break at exactly a quarter after four.
The PRESIDENT: Not necessarily exactly. Between a quarter past and twenty past - at your
convenience.
Mr. HIGHET: Very well, Sir. I ought to be able to finish within that and, if not, I beg the
indulgence of the Court just to go over a little, if I may, after the break.
In my reply today I would like to deal briefly with several of the more general points that have
been brought out by our opponents. Following that, I would propose to review what our opponents
say about some aspects of the travaux préparatoires, as opposed to what they actually reveal.
- 25 -
There are one or two characterizations of the case of Guinea-Bissau by counsel for Senegal
that are worth some reflection. In argument on Monday counsel characterized as "clearly the crux of
Guinea-Bissau's case" the proposition that President Barberis's statement demonstrates disagreement
with the decision of the Tribunal (CR 91/5, 8 April 1991, p. 23).
Now I am not saying here that we resile in the least from the proposition that
President Barberis in essence did disagree with the decision of the Arbitral Tribunal. The statement
of the President showed several things. The record, as you know, is replete with comment and
analysis of what those things are, and I shall not repeat them.
But several things are shown by that statement to which counsel for Senegal devoted some
time that cannot be ducked. Perhaps it is those things, rather than Senegal's reformulation, that
should be considered as the "crux of our case". What are those things? First: it was apparent even
to Mr. Barberis, voting as it were against us, that there were two questions put; that there was a
desire on the part of both Parties to have a global delimitation of their maritime areas; and that the
Tribunal interpreted its own compromis so as to exclude any answer to the second question - a
proposition with which he felt considerable discomfort.
The award itself has only the slimmest reasoning to explain why and how it exercised the
juridiction de la juridiction in the way it did: i.e., by treating the second question as otiose.
The crux of our case is therefore not that Mr. Barberis "demonstrated disagreement with the
decision". The crux of our case is that the decision is wrong, and is wrong in such a way that it can
be nullified without actually reviewing the substantive issues as in an appeal. The Court is, as we
have argued, being invited to treat them as an excès de pouvoir. It was surely an excès de pouvoir,
we say, that the Tribunal interpreted the interrelationship of Question 1 and Question 2 in the way it
did.
That was to deny Guinea-Bissau the result it sought, which was: either (a) the repudiation of
the 1960 Agreement and a global delimitation; or (b) if the 1960 Agreement were held to be binding,
then at least a delimitation of maritime areas not specifically covered by that Agreement by a single
boundary line - perhaps a synthesized solution - reached by the application of equitable principles
- 26 -
under the modern law of the sea. Thus Guinea-Bissau says that the Tribunal acted wrongly,
incompletely, and prejudicially, and that those acts can be treated as an excès de pouvoir and that in
consequence the award should be nullified or set aside or declared inexistent or not binding or
whatever form of words might be appropriate to reflect the juridical reality.
Thus listening to counsel for Senegal in his analysis of the Barberis statement, one is beset by
a somewhat dizzy sensation that counsel is talking about a different arbitration and a different
statement and even a different arbitrator. It is all too tidy.
In fact the situation was far from tidy. As I said earlier, Mr. President, it was a mess. But it
was a serious mess: it was a mess on which Guinea-Bissau had expended long years of effort, and
much badly-needed financial resources, to try to solve. And look where it got them: a law of the sea
equivalent of the Judgment of Solomon - one which effectively tied the new areas and zones of
maritime influence to a colonial agreement that Guinea-Bissau did not even know about until some
years after her hard-won independence from Portugal.
Counsel for Senegal has stated that in effect "what Mr. Barberis is saying is that he would
have wished to go beyond the compromis and answer a question the Parties had not asked, but one
which, evidently, he thought that they should have asked" (CR 91/5, 8 April 1991, p. 22). The
Court will judge for itself whether this interpretation of a most critical point, a point that relates to
"the crux of Guinea-Bissau's case" (CR 91/5, 8 April 1991, p. 23) is justified.
Mr. President, nowhere within the four corners of the Barberis statement can one find
anywhere the slightest implication that he thought the Parties had not asked the question that he is
said to have thought should or could have been answered. To the contrary, he refers to his preferred
"more precise" answer as being what? It is "the correct description of the legal position existing
between the Parties". It is not, "the correct description of the legal position which might have existed
between the Parties, had the Parties done a better job about framing their questions".
No, it is absolutely devoid of any suggestion that the actual questions put in the actual
compromis were insufficient for these purposes; that is, insufficient to generate an alternative
reading, an alternative interpretation that the Tribunal could have - and, in Mr. Barberis's perplexing
- 27 -
and confusing view, should have - taken.
Indeed, President Barberis continues to refer to "the partially negative reply". A reply to
what? To "the first question", not "the first question as it might have been written", nor even to a
"question 1bis". It is worth really re-reading the beginning of the second sentence of the third
paragraph of that statement. With your indulgence I will read it again into the record:
"The Tribunal could thus have settled the whole of the dispute, because, by virtue of the
reply to the first question" - again, I stress - "the reply to the first question ... the Tribunal
could have determined the boundary for the waters of the exclusive economic zone or the
fishery zone, a boundary which might or might not have coincided with the line drawn by the
1960 Agreement."
How does one square this plain reading with counsel's statement yesterday that, "What Mr.
Barberis is saying is that he would have wished to go beyond the compromis and answer a question
the Parties had not asked, but one which, evidently, he thought that they should have asked"
(CR 91/5, 8 April 1991, p. 22)? I have no idea how one can do that, Mr. President. Nor,
apparently does counsel for Senegal who, only three pages further on, stated of Mr. Barberis that "he
failed to grasp that this further question, which he was himself inclined to answer, had not been put".
This is quite contradictory (CR 91/5, 8 April 1991, p. 25). Perhaps, indeed, it was the other way
around. Perhaps Mr. Barberis did indeed grasp that this further question was always latent in the
first one and could be answered, depending on the form of words employed to make the answer.
In fact, Mr. Barberis even referred in his statement to page 248 of the Reply of Guinea-Bissau
in the arbitration - the reference is right there in black and white. He said it suggested that "a reply
of this kind would have enabled the Tribunal to deal in its award with the second question put by the
Arbitration Agreement". If one consults that page, Mr. President (p. 248 of the Reply of
Guinea-Bissau), one does not therein find that Guinea-Bissau has suggested or presupposed a "new"
question, or a question 1bis, or question 1ter. Quite to the contrary, it is the same old question,
because it is only the interpretation that is at issue.
This may lead the Court to wonder why it is necessary for Senegal to present a picture of the
record that Guinea-Bissau can say is so distorted. Why is it necessary to formulate all the little ideas
about alternative questions? Really, it is quite simple. It is not a different question that should have
- 28 -
been agreed by the Parties. It is a different interpretation of the question that should have been
given by the Tribunal. And in giving the interpretation that it did, the Tribunal committed what
would clearly have been, in a domestic system, the equivalent of "reversible error".
In the international system, it was a "grave and manifest error" in judgment that amounts
precisely to an excès de pouvoir. Why? Because it is not an error of interpretation that was
tolerable as a mere exercise of the discretion of the Tribunal in the compétence de la compétence.
Far from it. It was a fundamental error, an error that went to the heart of the matter. It was a
deep-seated and basic flaw in the judgment of the Tribunal that effectively denied to one Party the
right to have a very important part of the overall question decided at all. And what is that, but excès
de pouvoir and a cause for nullification?
It is not, therefore, as simple as counsel for Senegal has so ably made it out to be: "The
Tribunal's answer was that it could only answer the questions put in the compromis and that the
compromis had not put those questions" (CR 91/4, 5 April 1991, p. 40). President Barberis felt that
the compromis had put those questions. Judge Bedjaoui felt that the compromis had put those
questions. Neither of the two arbitrators seem to have felt in the least that the questions had to be
reworded or supplemented or reasked or added on to in order to bear such a construction.
What happened was that the Tribunal considered the matter; decided it wrong; gave
inadequate reasons; and washed its hands. That is the crux of the Guinea-Bissau case before you
today.
We can find little to disagree with about counsel for Senegal's exposition of the problems and
refinements of separate judicial statements, and separate and dissenting opinions, and the
philosophical and profound questions - difficult questions confronting all judges. We might even be
sufficiently audacious as to suggest that Guinea-Bissau has given the matter as much thought as has
Senegal and we are fully sensitive to the difficulties of all judges and all arbitrators.
But we cannot explain President Barberis's statement any better, perhaps, than he himself tried
and - we think - failed to do. It is inexplicable. Even if one accepts all the arguments advanced by
counsel for Senegal, one is left with one solid truth: that is, that President Barberis - quite the
- 29 -
opposite of what Senegal has argued - was addressing himself to a question of interpretation of, not
substitution for, the first question.
In fact, the very words of his statement completely destroy any assertion that the "larger"
question - the more liberally-interpretable statement - was not, in fact, present all the time. It was
like the man in Molière who discovered that he had been speaking prose all his life, it was just there
all along.
It is hard to close this section of argument without noticing that counsel for Senegal could not
himself avoid a critical slip in his argument yesterday afternoon that nicely demonstrates the inherent
dilemma of the partially negative, partially affirmative answer to the first question. In a series of
rhetorical questions and answers seeking to illustrate that Mr. Barberis's statement and the dispositif
of the award were, in relevant part, on all fours, Professor Bowett asked the following question:
"Does it bind as regards the economic zone or fishery zone?" And to this he gave the answer that
"Both replies agree it does not" (CR 91/5, 8 April 1991, p. 24, emphasis added).
Is this a "negative" reply? "agree it does not". It speaks for itself and that is precisely the
problem that the Tribunal faced, in a nutshell. You cannot get away from it.
There are few other general points, Mr. President, that I would wish to draw to the Court's
attention.
After listening to the arguments of experienced and talented counsel, particularly when his
exposition has been clear and direct, there is a strange sensation that overcomes one that everything
is in fact perfectly clear. That one understands this case absolutely. Then one turns back to the
record and the evidence; one re-reads President Barberis' statement, one tries to put one question
together with another; things become again complex and then they become more and more clouded
the longer one looks at them. Indeed only one thing is clear, which is that we are reviewing here a
situation where intentions were shifting and veiled, where the positions of the Parties were subject to
frequent change, where neither side may have agreed with or even understood the other. Where can
one then re-establish a modicum of clarity? Where is the best place to search for the meaning
attributed by the Parties to the texts with which we are concerned?
- 30 -
Where better than in their submissions: the conclusion véritables et finales des Parties à
l'arbitrage? One would feel that if there were any place where a clear signpost could be found, it
would be there. Thus, if counsel for Senegal are correct in their assertions that there were two
separate and mutually exclusive questions in the compromis, how could the final submissions of
Senegal in the arbitration have been worded in any other way? How could they have been worded
indeed as they were and Mme Chemillier-Gendreau has just moments ago elaborated on this and the
words you recalled, Mr. President, are "whatever reply be given by the Tribunal to the questions set
out in Article 2, paragraph 1, of the Agreement ...", "whatever reply be given". Senegal obviously
then held views about Questions 1 and 2 that it has not retained.
A different point relates to the interpretation to be given to the words of the compromis: "in
the relations between" the two States. Dans les relations entre la République, etc. The fact that it
was fishing disputes and fishing vessel arrests that preceded the immediate renegotiation or
negotiation of the compromis indicates that any reasonable interpretation of the words "relations
between" the parties concerned must have included fishery interests and fishery rights, the economic
zone, as well as the other maritime areas addressed. And if this is plain to see, why did the Tribunal
not do something about it? As it was the creature of the Parties, was not its failure then a classic
misinterpretation of competence sufficient to qualify as excès de pouvoir?
And moreover, how can one now explain the presence in the record of the Tribunal of the very
explicit request for information about fishing and hydrocarbon resources, made in early January
1989? I would remind the Court of the Order of the Tribunal of 18 January 1989 which is in the
Guinea-Bissau Memorial, Volume V of the Annexes, Annex 14.
Now, how could such a detailed request to both Parties for information about hydrocarbons
and fishing, how could that have been necessary? Only if the Tribunal had made up its mind to say
"no" to Question 1? But how likely is that eventuality - having regard to the legal principles
ultimately embraced or apparently embraced both by Judge Gros and President Barberis? Now is it
not far more probable - if not almost certain - that the request was an indication that - at least for a
while - the Tribunal thought that this would be necessary even with an affirmative answer to
- 31 -
Question 1? What changed its mind, only the Tribunal knows, but it was a mistake. Mr. President I
wonder if now would be a convenient time to take a break?
The PRESIDENT: Thank you very much, Mr. Highet. We will be back in ten minutes, or we
will try to be back in ten minutes.
The Court adjourned from 4.10 to 4.25 p.m.
The PRESIDENT: Please be seated. Mr. Highet.
Mr. HIGHET: Thank you, Mr. President.
Mr. President, Members of the Court, before the break I had just been describing or referring
to the special Order of the Arbitral Tribunal that was made in January 1989, relating to fishing and
hydrocarbon resources and I drew the conclusion from it that in all likelihood the Tribunal thought
that this work would be necessary even with an affirmative answer to the famous question 1. And I
said, what changed its mind only the Tribunal knows, and I concluded by saying that it was indeed a
mistake.
Another place to find clarity is, as the Court well knows, in a tribunal's own words of
description of the matter before it. But what did the Arbitral Tribunal have to say? This is very
interesting. Paragraph 27 of the award actually speaks in terms of delimitation and I must beg your
forbearance to read it directly into the record. The Tribunal said, paragraph 27, page 22:
"The case is one of a delimitation between adjacent maritime territories which
concerns sea areas situated in the Atlantic Ocean off the coasts of Senegal and
Guinea-Bissau." (Award, p. 22, emphasis added.)
And later on, further on down the page, the Tribunal said and I quote again:
"At the present stage of the discussion, the Tribunal sees no need to give a precise
definition of the area in which the delimitation of the maritime boundary is to be effected ..."
(Award, para. 27, p. 22; emphasis added.)
One's sense of dizziness increases. How could these things have been said, by the Parties in
their Submissions, in the compromis, and now by the Tribunal itself, if counsel for Senegal is correct
about there being no question but that there were two separate, wholly separate questions and issues
- 32 -
before the Court?
Let us now turn to the travaux préparatoires as an aid in understanding the meaning of the
compromis. In this regard I shall refer the Court to portions of counsel's argument on Friday last, in
which he dealt extensively with Senegal's interpretation of the travaux préparatoires in the formation
of the compromis (CR 91/4, 5 April 1991, pp. 34-36). And I shall then seek to clarify portions of
that argument by reference to the actual record.
Counsel said, and the references are in the text, Mr. President, that: "By June, Guinea-Bissau
seemed prepared to reconsider Senegal's single question ..." (CR 91/4, 5 April 1991, p. 36). Now
Senegal and Guinea-Bissau may indeed have agreed on a single question, this is June 1984 I believe,
but curiously enough they had attached to that question a critically important note, not mentioned by
counsel, but which read as follows:
"NOTA BENE:
"Les deux Parties sont convenues que les deux Gouvernements prendront l'engagement,
dans des formes à déterminer par voie diplomatique, de trouver tous moyens appropriés pour
aboutir à un accord conformément aux articles 74 et 83 de la convention des Nations Unies
sur le droit de la mer, signée à Montego-Bay, si la sentence arbitrale le requiert." (Memorial
of Guinea-Bissau, Annexes, Vol. V, Ann. 12, Procès-Verbal of Meeting of 26 June 1984,
p. 2)
If the Arbitral Tribunal or the arbitral award so requires. We can therefore clearly see how, in
June of 1984, both Parties agreed that it might be possible that the arbitral panel under discussion
could require them to make a delimitation. And yet that was the rider to what counsel for Senegal
has termed "Senegal's single question ..." Note also that this appears to have been agreed by both
sides, subject to confirmation at home; and the only thing that they had not agreed on was not that:
it was the sovereignty saving clause in paragraph 11.
Counsel for Senegal then continued, to say that: "but then by November [they] reverted once
again to the two questions". But the second [question] was still a strict alternative, being prefaced
by the words, en cas de réponse négative à la première question" (CR 91/4, 5 April 1991, p. 36).
No, it was not. It did not say "réponse négative à la première question". It was in fact
prefaced by different words, it said "En cas de reponse négative" tout court. And here I would
attract the attention of the Court to the Procès-Verbal of the Meeting of 8 November 1984, page 3,
- 33 -
Memorial of Guinea-Bissau, Annexes, Volume V, Annex 12.
Counsel then continued, to state: "So, in 1984, Guinea-Bissau did not envisage that either
question would produce a delimitation by the Tribunal." (CR 91/4, 5 April 1991, p. 36.) (True, but
it is a red herring: although the statement is technically true, it is misleading.) What we are
discussing here, Mr. President, is not whether the Tribunal does the delimitation, or the Parties:
what is at issue is whether any delimitation was being considered at all. And it most definitely was
considered. The record shows that the November 1984 draft in fact contained a lengthy form of
"Tunisia/Libya" second question, requesting the Tribunal to lay down the principles and rules about
the delimitation of maritime zones and the practical method by which the Parties could put those
principles and rules into effect, and even with a renvoi panel, renvoi back to the Arbitral Tribunal,
should that be needed (Memorial of Guinea-Bissau, Annexes, Vol. V, Ann. 12, Procès-Verbal of
Meeting of 8 November 1984, p. 3).
Counsel for Senegal went on and said: "This [the 1984 proposal] was a significant proposal,
because it also showed how Guinea-Bissau regarded the two questions as totally separate and
mutually exclusive." (CR 91/4, 5 April 1991, p. 36.) But there is just simply no evidence for this.
To the contrary: it would still have been possible for the Tribunal to have given a partially positive,
partially negative response to the first question in view of the general wording of the first question at
that time.
Counsel continued to state: "It was impossible, under this scheme, for the tribunal to answer
'yes' to the first question, and then to go on to give partial answers, let alone draw further lines, to the
second question." (CR 91/4, 5 April 1991, p. 36bis.) But why was it so categorically impossible?
And moreover, there was no question of drawing lines or not drawing lines: that is a false issue.
The issue is whether the Tribunal should or could have gone further, either to draw a line or to
indicate principles and rules and have somebody else draw the line - but at least gone further beyond
a simple declaration of validity or non-validity of the 1960 Agreement.
Finally, counsel for Senegal makes the categorical statement that: "Nothing could have been
further from the minds of Guinea-Bissau's negotiators." (CR 91/4, 5 April 1991, p. 36bis.) How
- 34 -
does he know?
Indeed in his concluding remarks, counsel stated that:
"A real impasse then developed, broken only at the meeting of Heads of State in Dakar
early in 1985, and from this meeting the final text emerged. We have no records of that
meeting, nor has Guinea-Bissau. Yet Guinea-Bissau simply asserts in its
Memorial (para. 27) that the formula adopted was a 'double question', designed to ensure that
the Tribunal proceed to a complete delimitation of the maritime zones, whatever its reply to
the first question." (CR 91/4, 5 April 1991, at p. 36bis.)
Who is to draw these inferences? Who is best situated to draw them for Guinea-Bissau?
What was the impasse about? We will not know.
Mr. President, I now turn to some concluding observations.
First, paragraph 28 of the award in fact puts the problems in the whole case rather neatly
together, and I thought I would draw the Court's attention to it again. This paragraph read as
follows:
"According to Senegal, the Franco-Portuguese Agreement of 1980 has the force of law
between the Parties, and the maritime boundary is accordingly constituted by a line drawn at
azimuth 240° from the lighthouse of Cape Roxo and by its prolongation in a straight line
seaward. In the view of Guinea-Bissau, on the other hand, the delimitation of the territorial
waters between the two countries should follow the course of an equidistance line
corresponding to azimuth 247° from the baseline of the two States; and the further line
relating to the delimitation of the continental shelf and the exclusive economic zone would lie
between azimuths 264° and 270°, the latter corresponding to a parallel of latitude." (Award,
para. 28, p. 23.)
This says it all. Here is what happened. The Parties submitted that each one's line would do
the job, and constitute the maritime boundary. The Tribunal found that the 1960 Agreement was
valid, but was not prepared to agree all the way with Senegal's submission that the 1960 line would
constitute the complete maritime boundary.
Therefore, instead of continuing to supply the answer for the remainder of the boundary,
which it should have done, the Tribunal stopped short on the ground that the 1960 Agreement spoke
only in terms of the maritime zones in existence at the time of its execution. In order to do so, it
interpreted the first question narrowly; it interpreted and framed its own answer to the question
narrowly; and it avoided dealing with the rest of the problem that it had been given to solve, almost
without further discussion. Thus the idea of continuing to answer the second question, or even to
provide a map, was effectively brushed aside.
- 35 -
That may be all very well for the Tribunal and it obviously is not unsatisfactory to Senegal.
But where does it leave Guinea-Bissau? The reason why Guinea-Bissau has come to this Court, and
the reason why Guinea-Bissau has also brought the new and separate proceedings against Senegal in
this Court, is simply because this job of work has to be finished somehow.
It is however also the contention of Guinea-Bissau that in the process of stopping short, and
short-cutting the decision that it was requested to deliver, the Tribunal committed a "grave and
manifest" error in judgment which justifies nullifying the award.
This is not a frivolous lawsuit. It is serious, and it is our submission that the partial, and
erroneous, holding by the Arbitral Tribunal was also defective in certain ways that could have been
prevented or that would be different if full consideration had been given at one time to the whole
problem, under the modern law of the sea, and taking into account all the relevant circumstances -
including particularly the equitable principles that must accompany any delimitation of continental
shelf or, indeed, of exclusive economic zone.
For example, there are a number of fatal flaws in the reasoning of the Arbitral Tribunal. I
spoke last Thursday, Mr. President, about the fallacy of the "dynamic criterion" and the
misapplication of the doctrine of intertemporal law.
These are both in a curious manner related to a fallacy in this case which relates to the
doctrine of uti possidetis. Since uti possidetis stipulates that the "territory" inherited by
Guinea-Bissau from Portugal in 1973 is as it was inherited and fixed in its 1973 extent, how then
can those particular limits be expanded? It was not the status of continental shelf in general that was
subject to the uti possidetis. It was the actual area of shelf that was in fact exploitable in 1973,
under the Geneva Convention, or out to the 200 metre isobath, if one wills, that was inherited from
Portugal. It is exceptional enough for the Tribunal to have included maritime spaces within the
doctrine of uti possidetis, without permitting them to expand by effluxion of time, via the fallacy of a
"dynamic element".
Counsel for Senegal has asked us why Guinea-Bissau does not
"reconvene the Tribunal and ask them to complete their task? Or, if that were not possible,
why not request Senegal to agree that this further question - the question of the EEZ
boundary - be put to a new tribunal? It seems absurd to nullify the one clear answer the
- 36 -
Parties have received from the Tribunal." (CR 91/5, 8 April 1991, p. 27.)
The quick responses to these questions might be as follows.
Guinea-Bissau would not under any conditions wish to reconvene that Tribunal, because it
took extreme exception to the way in which the matter was handled - or not handled - by that
Tribunal, and it is quite obviously feeling that because it has brought an action to nullify the award
for excès de pouvoir. As to a reference "to a new tribunal" - and perhaps here I am not the only one
who has missed the train - permit me to assure counsel for Senegal that this was done almost four
weeks ago in an application to this Court.
Finally, to the comment that it is absurd to seek to nullify "the one clear answer", it is my
submission that the answer given by the Arbitral Tribunal was not clear, was defective, was badly
founded, was based on bad logic, was, with respect, incomplete, and was therefore an excès de
pouvoir. It has obviously created more problems than existed before the Arbitral Tribunal came
along. As far as nullification is concerned, it would seem to me - to paraphrase the common
expression - that it couldn't happen to a better award.
Counsel for Senegal complains that we might at least keep the existing part of the award,
without seeking to have the whole thing thrown out (CR 91/5, 8 April 1991, pp. 26-27). The plain
fact is that Guinea-Bissau is unhappy with the affirmative answer given by the Tribunal to the first
question: of course she is. But there are more reasons to be unhappy about it than merely those
supporting the imposition of uti possidetis and the validity of the 1960 Agreement. The worst of this
is the willy-nilly extension of the 240° line out to 200 nautical miles for several different sets of
wrong reasons, inconsistent both with uti possidetis and contradictory internally in terms of the
award itself.
Why not take part of the award and let the balance be reconsidered? In order to do this, one
must be fully satisfied that no part of the conclusion of the Tribunal would have been affected
otherwise by the consideration of the elements that the Tribunal chose not to consider. As we have
said before, it would seem that where a single delimitation is sought, all parts of the delimitation are
related to all the other parts. This is as true for those areas closer to shore, affected one way or
- 37 -
another by the 1960 Agreement, as it is for areas further offshore, such as the continental shelf
beyond its 1960 or 1973 limits, the economic zone, any outer continental shelf, and so on. What
assurance can we have that the actual result of the award might not have been substantially different,
even in its first portion, if the Tribunal - or a successor tribunal - were not to consider itself limited
in powers and scope, and were to apply, after full argument and due consideration, all relevant
contemporary legal norms?
Mr. President, I would now like to draw my argument to a close. Let me note first, however,
a point of some concern to us. At the close of yesterday's session, counsel for Senegal characterized
Guinea-Bissau's arguments as follows. He asked the Court to "have no truck with this", and he
added that:
"It is really an abuse of the process of this Court to go through this elaborate charade,
trying to give a semblance of respectability to this refusal to accept the Tribunal's answer to
the first question by dressing it up as a claim to nullify the award." (CR 91/5, 8 April 1991,
p. 27.)
Likewise, Guinea-Bissau has been accused of conducting a "highly artificial - and quite
misguided - attempt to construct an argument to nullify the award" (CR 91/4, 5 April 1991, p. 47).
Our side refuses to take language such as this as being other than the exercise of free
expression in the heat of argument - comments that are forgiven without need for apology. But harsh
language always does turn back on the speaker. Sharp attacks, including, in particular, allegations
of "abusive" conduct, only show that our opponents must have been more wounded than they
expected by our case. It could also be a tell-tale sign that the case of Senegal, for want of more
substantive arguments, requires strengthening by language of this kind.
Far from being an "elaborate charade" or "an abuse of the process of this Court", the case of
Guinea-Bissau is serious, sincere and meritorious.
We, of course, disagree profoundly with Senegal on what our intentions were in this matter,
on what actually happened, and on the legal consequences that flow from the arbitral award. Yet we
fully respect our opponents' right to be heard, and their right to make all of their arguments without
the need to feel defensive that they are doing something that we might characterize as being artificial
or abusive. That is particularly true here, in this Court, where even the least advantaged of States
- 38 -
may fully expect to be heard, and have its case carefully and sympathetically judged, examined and
weighed under conditions of perfect equality.
Thank you, Mr. President, and Judges of the Court.
Sir, would you kindly call upon Mr. Miguel Galvao Teles.
The PRESIDENT: Thank you, Mr. Highet.
I call Mr. Galvao Teles.
M. GALVO TELES : Monsieur le Président, Monsieur le Vice-Président, Messieurs de la
Cour,
Permettez-moi, tout d'abord, aussi rapidement que possible, d'aborder trois points. Le
troisième établira le rapport avec la partie la plus développée de ma plaidoirie.
1er point - inexistence et nullité
Je ne vais pas discuter la question de la présomption de validité. Je maintiens ce que j'ai dit et
sur un point je suis d'accord avec le M. Bowett : "que la Cour déclare l'inexistence ou qu'elle déclare
la nullité, les résultats sont semblables." L'enjeu c'est le vice. Pour la qualification jura novit curia.
Je plaide les deux, l'inexistence et la nullité, alternativement, ou plutôt subsidiairement (la nullité).
2
e
point - Excès de pouvoir par omission
(Omission de décision sur le fond, continuons de maintenir les choses distinctes). Je fais
référence à ce qui fut dit par le M. Capotorti au sujet de la décision infra petita (CR 91.4, p. 58-59).
Pour ce qui est de Castberg, je répondrai tout simplement qu'il n'a pas prévu l'hypothèse.
C'est d'ailleurs le plus fréquent par rapport aux sentences internationales. Mais les auteurs qui l'ont
considérée, même s'ils n'établissent pas la distinction entre l'omission de décision sur la compétence
et sur le fond, ils estiment qu'il peut y avoir de vice. Je cite, par exemple Pierantoni ("La nullité d'un
arbitrage international, RDILC, xxx, 1898, p. 459-460) et Balasko (Causes de nullité de la sentence
arbitrale en droit international public, Paris, 1938, p. 273).
D'ailleurs, si la décision infra petita n'implique pas un excès de pouvoir, elle implique,
alternativement, une dérogation grave à une règle fondamentale de procédure (Modèle de règles,
art. 35, C). Ici encore, jura novit curia.
- 39 -
Mais surtout, professeur Capotorti, combien de temps y-a-t-il que le maître des maîtres (vous
en êtes un) du droit international en Italie, l'ancien Président de la Cour permanente de Justice
internationale, le professeur Dionisio Anzilotti, écrivait : "Peu importe donc la façon dont se
concrétise l'absence de correspondance entre la sentence et le compromis : jugement sur des
questions non soumises à l'arbitre, omission de questions soumises..." ?
Et, par la suite :
"C'est une question d'interprétation du compromis de voir si le consentement des Parties avait
en vue la décision des arbitres dans son ensemble, de sorte que le vice qui concerne une partie
produit la nullité de l'accord, ou alors si elles ont considéré la décision comme scindible, de sorte que
l'absence de correspondance entre le jugement et le compromis laisse subsister l'accord dans la partie
où le défaut ne se vérifie point" (Corso di Diritto Internazionale, vol. III, 1re partie, Rome, 1915,
p. 130). (Souligné de l'exposant.)
Remarquez qu'Anzilotti a très bien compris ce qu'il y a de particulier dans la décision infra
petita en cas de compromis (la situation qu'il considère) par rapport à l'hypothèse de demande
introduite par requête. Celle-ci définit l'objet du procès mais n'est pas le fondement de la juridiction.
Le problème de la décision infra petita est donc essentiellement procédural. Là où il y a compromis,
celui-ci définit en même temps l'objet du procès et la juridiction du Tribunal. La violation du
compromis met donc en cause le fondement même de l'arbitrage. Puisque l'arbitrage est le produit de
la volonté des Parties, la question devient une question de volonté hypothétique. Elle peut être
formulée de cette façon : indépendemment du contenu des décisions prises, si l'objet sur lequel la
sentence s'est prononcée était l'objet par rapport auquel les deux parties, l'une et l'autre, avaient
à prendre la décision de conclure ou de ne pas conclure l'accord d'arbitrage, celui-ci aurait-il été
conclu ou non ?
On ne peut pas avoir de doute dans le cas d'espèce. Si l'on laissait en dehors une partie des
espaces maritimes, la Guinée-Bissau n'aurait jamais signé le compromis - et pour qu'il y ait un
accord il faut deux volontés. Ne fut-elle pas qui conditionna la signature du compromis à
l'introduction de la question 2 comme moyen d'obtenir, quelle que fut la valeur de l'échange lettres, la
- 40 -
définition de la totalité des espaces maritimes ?
Le critère est décisif et ce qui vient d'être dit suffisant. Mais, dans le cas d'espèce, des aspects
supplémentaires se présentent.
D'abord - et la Cour, si expérimente en matière de délimitation maritime, peut l'évaluer
particulièrement bien : le Tribunal aurait-il raisonnablement pu commettre la "fallace du critère
dynamique", dans l'expression si heureuse de mon collègue Keith Highet, pour le prolongement de la
ligne de 240° en ce qui concerne le plateau continental, s'il avait examiné la question de la
délimitation de la zone économique exclusive ?
A ce propos du prolongement de la ligne 240° par rapport au plateau continental, je tiens à
souligner un point que malheureusement je n'ai plus le temps de développer, mais que, j'en suis sûr,
la Cour appréciera attentivement. Au paragraphe 85, le Tribunal présente ce prolongement comme
le fruit d'une interprétation de l'échange de lettres de 1960. Ce ne fut cependant pas une
interprétation qui fut faite, ce fut une extension du contenu de l'accord. Le Tribunal n'aurait
jamais pu fonder le prolongement dans le cadre de la réponse à la première question. Il ne pourrait le
faire qu'en répondant à la deuxième. Si l'on prétend que le prolongement serait couvert par l'autorité
de chose jugée découlant de la réponse à la première question, alors, sur ce point, la réponse (par
rapport à cette question) est ultra vires.
De surcroît : qu'en est-il de la ligne unique? Tout le monde est d'accord pour reconnaître que
les Parties voulaient une ligne unique de délimitation de tous les espaces. Evidemment, pour le
Sénégal la ligne désirable était celle de 240° et pour la Guinée-Bissau une ligne totalement établie ex
novo, selon des critères équitables. Mais si le Tribunal estimait que l'accord de 1960 valait pour
certains espaces et si a délimitation ex novo du rémanescent aboutissait à une autre ligne, différente
de celle de 240°, la ligne unique ne pourrait être qu'une ligne de synthèse. Où est-elle ?
3
e
point - Conditions générales du défaut de motivation
Je fais encore référence à la plaidoirie de M. Capotorti (CR 91/4, p. 74 et suiv.). Pour ce qui
est de ces conditions, je crois y voir l'expression d'un doute, plutôt que d'une affirmation ferme.
Je suis bien d'accord avec mon honorable contradicteur quand il dit : "Ce qui est indiscutable,
- 41 -
c'est que des motifs sont exigés puisqu'ils indiquent l'itinéraire logique et juridique que les arbitres
ont suivi pour arriver à leur conclusion." (P. 75.)
De ce passage ressort clairement le rôle du devoir de motiver. Il est un devoir accessoire d'un
autre, le devoir de raisonnement, lié à son tour à une condition essentielle de toute sentence. Le
devoir de motiver signifie ainsi, comme d'ailleurs le souligne M. Capotorti, le devoir d'expliciter le
raisonnement. Il représente une garantie des Parties quant à la rationnalité des sentences - d'autant
plus importante si, comme il arrive d'habitude en droit international, elles sont des Etats souverains.
Rappelons les mots de sir Hersch Lauterpacht (je traduis) : "l'absence de raisons - ou de raisons
adéquates - inévitablement crée l'impression de l'arbitraire" (The Development of International Law
by the International Court, Londres, 1958, p. 39).
Quelques conséquences en découlent.
Tout d'abord, si la motivation est l'objet d'une garantie, il ne fait aucun sens qu'une motivation
simplement apparente, simulée, qui ne signifie rien, puisse être sans conséquence. Ce serait rendre la
garantie tout à fait vide. Le problème n'a pas été très étudié en droit international. Mais, par
exemple, Sereni souligne bien qu'il "y a nullité quand ... la motivation de la sentence est insuffisante
ou défectueuse, bien que le compromis prescrivait la condition de la motivation" (Diritto
Internazionale, vol. IV, Milan, 1965, p. 1726).
D'autre part, motivation peu détaillée, motivation non pertinente ou "insuffisamment
pertinente" (voir par exemple la décision du comité du CIRDI du 3 mai 1985, qui annula la sentence
arbitrale du 21 octobre 1984, rendue dans l'affaire Klöckner, Foreign Investment Law Journal, I,
1986, p. 89 et suiv.) et motivation incohérente (à son intérieur ou avec le dispositif) sont des choses
différentes. Le détail concerne exclusivement le devoir d'explicitation en soi-même. La pertinence se
lie déjà au devoir de raisonnement. La cohérence se rattache à la condition même de la sentence. Une
motivation peut être peu détaillée, mais parfaitement pertinente et cohérente, très détaillée et
totalement impertinente ou incohérente.
La cohérence, la cohérence minimale, elle est l'essentiel de l'essentiel. Déjà en 1937 un auteur,
italien à nouveau, Gabriele Salvioli, commençait son article sur la nullité des sentences
- 42 -
internationales en indiquant les limites naturelles ou implicites (indépendamment donc d'explicitation
dans le compromis) de leur caractère obligatoire. Juste au début, il affirmait :
"On doit parvenir à la même conclusion [absence de caractère obligatoire] quand il y a
contradiction entre les motifs et le dispositif ou entre les motifs entre eux : dans ce cas on ne
peut pas dire que la volonté de l'arbitre (de vouloir ce qu'il dit dans le dispositif) se soit
formée." ("Motivi di nullità delle sentenze internazionali", Rivista di Diritto Internazionale,
XVI, 1937, p. 306.)
La sentence est voluntas et ratio. Les deux sont essentielles.
Commençons, pour ce qui est du texte du 31 juillet 1989, par la voluntas. On verra par la
suite ce qui est de la ratio.
*
* *
M. Bowett - que j'admire, je suis sûr que je peux le dire, nous tous l'admirons beaucoup - a,
dans sa plaidoirie d'hier, méconnu sans aucune exception tous les arguments que j'avais essayé de
développer jeudi. On se dirait encore à la phase du contre-mémoire. Deux peuvent être les raisons :
ou qu'on a estimé que ce que j'avais plaidé ne mérite même pas d'attention, ou que le contenu de ma
plaidoirie gênait le Sénégal et qu'on a cru préférable de l'oublier. Ceci n'a rien de personnel, tout au
contraire. Pardonnez-moi l'immodestie de soupçonner que la cause fut la seconde.
Car de ce que le Sénégal a plaidé sur la déclaration du Président, je ne peux rien dire d'autre
que ceci - permettez-moi que je le fasse en anglais, c'est plus expressif - it missed the point.
Pour l'essentiel, le Sénégal se borne à répéter : le Président a bien voté la paragraphe 88,
c'est-à-dire le dispositif, tout le reste est sans importance. D'ailleurs il n'y a pas de différence de
substance entre la formule du paragraphe 88 et celle de la déclaration du Président. La divergence
de points de vue ne concernait que la question du passage à la deuxième question. Le Président
aurait voulu aller ultra vires.
Nous disons : avant la question du paragraphe 88, il y a celle du paragraphe 87. Il fallait que
celui-ci fasse partie du dispositif, il ne le fait pas. Il n'y a pas d'indication qu'il aurait été voté ni qu'il
- 43 -
fût l'objet d'une majorité. Il n'y a eu nul vote, ni nulle majorité. Le Tribunal n'a pas exercé la
compétence de sa compétence. La décision sur la compétence était indispensable et préalable à celle
sur le fond. Elle n'a pas été prise. La décision sur le fond tombe par absence de présupposé.
Le Sénégal reconnaît en tout cas la différence entre la formule du Président pour le
paragraphe 88 et celle que celui-ci contient : la formulation du Président impliquait le passage à la
deuxième question, elle impliquait la décision sur l'indivisible question de la compétence.
Je cite (CR/ 91/5, p. 22)
"But, second, he would have preferred to have gone beyond that decision and answered
the further question: what is the boundary for the economic zone or the fisheries zone? As I
explained earlier in dealing with the interpretation of the compromis that further question was
not asked. The reasons why it was not asked we have already examined. But whatever the
reasons, that question was not asked: of that there is no possible doubt."
Que la Cour remarque par ailleurs la pétition de principe sous-jacente a toute l'argumentation
sénégalaise. Quand on se demande sur l'interprétation du compromis, pour répondre on fait appel à
la compétence de la compétence que le Tribunal aurait exercée; quand on se demande sur l'exercice
de la compétence de la compétence, on fait appel à l'interprétation du compromis . . .
Pour ce qui est du paragraphe 88, je ne suis pas capable de m'imaginer ce qui est advenu.
Mais pour le paragraphe 87, c'est très simple. Le Président ne s'est pas rendu compte qu'il fallait
voter la question de compétence et qu'il n'était pas possible de fonder une décision au fond sur deux
interprétations contradictoires du compromis. C'était un paragraphe de la motivation, il a fait une
déclaration de dissociation. Mais, puisque la décision était appelée, la dissociation devient la
confirmation de la non-décision.
Et, de la volonté, passons à la raison.
*
* *
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, vous avez longuement entendu parlé des
interprétations de l'article 2 du compromis d'arbitrage : de celle que la Guinée-Bissau a toujours
faite, de celle que faisait et qu'a soutenu le Sénégal pendant la procédure arbitrale, et de cette autre
interprétation qu'il soutient maintenant et qu'il prétend avoir été celle que le Tribunal aurait adoptée.
- 44 -
Je vous rappelle que l'interprétation de la Guinée-Bissau et l'interprétation sénégalaise initiale
avaient ceci de commun qu'elles estimaient que le différend était un différend de délimitation
maritime, que l'article 2 visait l'ensemble des espaces et que cela signifiait que la sentence devrait
établir, directement ou indirectement, la frontière maritime dans sa totalité. Une réponse affirmative
à la première question représenterait un moyen indirect de dire quelle était la frontière.
Dans cette conception commune aux deux Etats, la première et la deuxième questions posées à
l'article 2 étaient les parties d'une question globale : quelle est la frontière maritime, c'est-à-dire, la
frontière de tous les espaces marins ? Si elle provenait de l'échange de lettres, la réponse à la
question globale découlerait de celle à la première question; sinon, elle découlerait de la réponse à la
deuxième. La différence s'établissait seulement quant à la possiblité d'une réponse partiellement
affirmative et partiellement négative à la première question. Le Sénégal la niait, non parce qu'elle fût
logiquement impossible vis-à-vis de l'interrogation posée, mais parce qu'il prétendait voir, dans le
début du paragraphe 2, l'imposition d'une extension, ex vi compromissi, de la ligne de 240°, s'il était
jugé que l'accord faisait droit.
L'interprétation que le Sénégal soutient maintenant et qu'il prétend avoir été faite par la
"sentence", est tout à fait différente. Question 1 et question 2 ne feraient plus partie d'une question
globale, elles seraient indépendantes. Pour ce qui est de la première question, le Tribunal n'était
appelé à répondre que, oui ou non, l'accord fait ou l'accord ne fait pas droit. Rien de plus. Ce serait
peut-être peu rationnel, cela aurait cependant été le fruit des conditions de la négociation du
compromis.
Mon objectif n'est pas celui de discuter la valeur de ces interprétations. De notre part,
Mme Monique Chemillier-Gendreau vient de le faire. Mon but consiste, pour le moment, à essayer
de lire la "sentence" à la lumière de ces interprétations en jeu.
On conviendra qu'à l'interprétation sénégalaise initiale a manqué tout accueil dans le Tribunal.
Rien dans la sentence ne tient compte d'une extension de la ligne de 240° ex vi compromissi, et ni la
déclaration ni l'opinion dissidente ne la soutiennent.
On conviendra aussi que le président du Tribunal partageait le point de vue de la
- 45 -
Guinée-Bissau en ce qui concerne l'interprétation de l'article 2 du compromis. Il en fait référence,
d'ailleurs, dans sa déclaration. Il considérait que le paragraphe 1 permettait des réponses
partiellement affirmatives et partiellement négatives et il estimait même qu'une réponse partiellement
affirmative et partiellement négative correspondait à "la description exacte de la situation juridique
existant entre les Parties". Il était de l'avis, au surplus, que, l'accord de 1960 n'étant pas applicable à
la zone économique exclusive, il faudrait passer à la deuxième question soulevée par l'article 2. Je
ne discute plus pour la valeur de la déclaration du président. Je fais allusion à ce qu'était son avis,
qu'elle exprime très clairement.
D'autre part, on aura la nouvelle interprétation sénégalaise, qui serait sous-jacente au
paragraphe 87 de la "sentence".
Ce qui intéresse, c'est donc l'interprétation que la Guinée-Bissau faisait de l'article 2, non en
tant qu'interprétation guinéenne mais en tant qu'interprétation du président du Tribunal, et la
nouvelle interprétation sénégalaise, en tant qu'interprétation sous-jacente au paragraphe 87.
Je souligne une parmi leurs différences. Selon la première, c'est-à-dire l'interprétation du
président, dans l'interrogation "l'accord fait-il droit?", "fait-il droit" signifiait "fait-il droit" dans
quelles relations entre les deux Etats, c'est-à-dire "fait-il droit" pour quoi, c'est-à-dire encore, fait-il
droit et dans quelle mesure, et pour la mer territoriale, et pour la zone contiguë, et pour le plateau
continental et pour la zone économique exclusive ?
Au contraire, dans la nouvelle interprétation sénégalaise, "faire droit" n'appelle aucune
spécification. Ce que le Tribunal avait à dire ce serait très simplement si l'échange de lettres faisait
ou non droit entre les Parties. Rien de plus.
Sur ce point, il est nécessaire que les choses soient parfaitement claires. Permettez-moi de
répéter un passage de la plaidoirie de vendredi de M. Bowett.
"It [The Tribunal] had simply been asked whether the 1960 Agreement was valid, and
it had replied that it was. And there its task ended." (CR 91/4, p. 43.)
(note for editor: please check these two references)
M. Capotorti, disait à son tour (CR 91/4, p. 62) :
"on note le caractère additionnel, et non pas stictement indispensable, des mots qui suivent
dans la sentence la phrase constatant que l'accord de 1960 'fait droit' dans les relations entre la
- 46 -
Guinée-Bissau et le Sénégal".
Et par la suite (Ibid., p. 64) :
"Par conséquent, à supposer que la sentence arbitrale se soit bornée à statuer que
l'accord du 26 avril 1960 'fait droit' dans les rapports entre la Guinée-Bissau et le Sénégal,
elle aurait déjà rempli son mandat de répondre à la première des questions posées par le
compromis."
Je vous prie, Messieur les juges, de ne jamais plus oublier ces mots de nos honorables
contradicteurs. Permettez-moi, entre-temps, de mettre "caractère additionnel" entre guillemets.
*
* *
La "sentence" est divisée en paragraphes. A partir d'un certain moment - entre les
paragraphes 35 et 36 - cette division s'accumule avec une autre en sections.
Après avoir fait l'historique, la "sentence" produit quelques considérations sur les Parties et le
différend. A propos de celui-ci, j'attire votre attention, Monsieur le Président et Messieurs les Juges,
sur le début du paragraphe 27 :
"Le seul objet du différend soumis par les Parties au Tribunal porte donc sur la
détermination de la frontière maritime entre la République du Sénégal et la République de la
Guinée-Bissau."
Avec laquelle des deux interprétations du compromis est cette affirmation cohérente ?
Certainement pas avec l'interprétation que le Sénégal prétend être sous-jacente au paragraphe 87. Là
il n'y aurait pas un seul objet et un seul différend. Il y en aurait deux, l'un concernant la validité de
l'échange de lettres, l'autre la détermination de la frontière. Seulement l'interprétation du président
pouvait supporter l'assertion.
Au paragraphe 34 le Tribunal se prend à l'accord de 1960, au paragraphe 35 il ordonne les
griefs de Guinée-Bissau en quatre groupes et là commencent les sections, chacune ayant trait à l'un
de ces groupes.
Au début du paragraphe 80, la conclusion est retirée :
"De l'analyse faite par le Tribunal dans les sections I, II, III et IV de la présente
sentence se dégage la conclusion que l'accord de 1960 est valable et opposable au Sénégal et à
la Guinée-Bissau."
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Selon la nouvelle interprétation sénégalaise, la tâche du Tribunal serait achevée. Il n'y aurait
qu'à passer au dispositif (en y incluant, évidemment, le paragraphe 87).
Toutefois, la "sentence" va encore continuer pour sept paragraphes (paragraphe 80 y
compris). Et précisément au paragraphe 80 commence une cinquième section, intitulée : "Le
domaine de validité matérielle de l'accord de 1960". Le langage est kelsenien, il suffit de lire les
écrits du président du Tribunal pour voir combien il l'emprunte. Dans le langage kelsenien, domaine
de validité matériel n'a plus rien à voir avec ce que l'on appelle couramment la validité de l'acte
juridique. Il a trait au contenu de la norme (générale ou individuelle) et à son champ d'application.
C'est précisément à l'interprétation et à l'application de l'accord de 1960 que va se livrer la
"sentence" du paragraphe 80 au paragraphe 86.
Le Tribunal le dit explicitement. Ainsi, au paragraphe 82 :
"Il ne s'agit pas ici d'une question de nullité. Le Tribunal a déjà dit clairement dans la
présente sentence que l'accord de 1960 est valable, entièrement valable. La question que le
Tribunal doit maintenant résoudre concerne exclusivement l'interprétation de cet accord et
non pas sa validité ou nullité."
Par la suite (par. 83) :
"Il [le Tribunal] cherche à voir si l'accord, en lui-même, peut être interprété de manière
à englober la délimitation de l'ensemble des espaces maritimes actuellement existants."
Le Tribunal arrive même au point d'établir que la "ligne droite orientée à 240°" est une ligne
loxodromique.
Et cependant c'est dans un de ces paragraphes que la "sentence" commettra une de ses erreurs
majeures, une erreur colossale.
En oubliant que l'uti possidetis (à supposer qu'il fut applicable aux délimitations maritimes) se
rapporte directement à la frontière et seulement indirectement à la source de celle-ci, en pratiquant,
par ailleurs, le "sophisme du critère dynamique", en sortant, comme on l'a vu, du domaine de
l'interprétation, il estime que la frontière du plateau continental datée de 1960 peut être prolongée
dans toute l'extension couverte par la nouvelle conception de cet espace maritime !
Monsieur le Président, Messieurs les Juges, le paragraphe 87 de la "sentence" est en
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contradiction totale avec le début du paragraphe 27 et avec tout ce qui est contenu dans les
paragraphes 80 à 86, sauf la première période du paragraphe 80.
Le paragraphe 87 commence par dire : "En tenant compte des conclusions ci-dessus
auxquelles le Tribunal est parvenu..."
Vous remarquerez que le mot "conclusions" est écrit au pluriel. Une de ces conclusions
(1ère partie du paragraphe 85) était explicitement négative (celle concernant la zone économique
exclusive). Le paragraphe 87 ne pourrait faire de sens que si l'on remplaçait le pluriel par le
singulier et que si l'on ne tenait compte que de la conclusion explicitée - au singulier - au début du
paragraphe 80 "la conclusion que l'accord de 1960 est valable et opposable au Sénégal et à la
Guinée-Bissau".
Monsieur le Président, Messieurs les Juges, il n'y a pas moyen de lire la "sentence" d'une
manière cohérente. Ou bien on part de ce qui est dit jusqu'au paragraphe 86, ou bien on part de ce
qui est dit au paragraphe 87.
Si l'on suit le premier chemin, la conséquence est le contenu de la déclaration du Président : le
paragraphe 87 signifie une rupture logique et, puisque la sentence s'était estimée autorisée à dépasser
le simple "oui" ou "non", l'accord de 1960 fait-il ou ne fait-il pas droit, il fallait aboutir et déterminer
la totalité de la frontière maritime.
Si, au contraire, on part du paragraphe 87, il faudrait tout d'abord prendre le pluriel dans le
mot "conclusions" comme une faute d'orthographe. Il faudrait ensuite rayer tout ce qui est écrit du
paragraphe 80 jusqu'au paragraphe 86, sauf la première période du premier. Il faudrait enfin
enlever, dans le paragraphe 88, c'est-à-dire le dispositif, les mots que le Sénégal estime à présent
"additionnels".
Vous voyez ce qui s'est passé. Aucune des deux interprétations de l'article 2 du compromis,
celle du Président et celle de l'un des arbitres, n'a été choisie. Elles ont joué les deux à la fois. Le
résultat diabolique est que le Sénégal veut maintenant profiter de ce qui lui est favorable dans l'une et
l'autre, c'est-à-dire, de l'extension de la réponse à la première question et de la non-réponse à la
deuxième, sans souffrir les coûts d'aucune.
- 49 -
La clef est le paragraphe 87 - il n'a pas été voté, il a permis d'interrompre, avant sa
conclusion, le raisonnement qui conduisit jusqu'au paragraphe 86.
Le paragraphe 88, lui, exprime la tentative, inévitablement échouée, de résoudre la quadrature
du cercle. D'accord avec le paragraphe 87 on aurait dû s'arrêter aux mots "République du Sénégal".
D'accord avec tout ce qui est dit avant ce paragraphe, on aurait dû utiliser, dans la partie finale, la
forme négative. On a déguisé la contradiction en substituant la formule négative par une formule
restrictive.
Je ne crois pas qu'il puisse subsister de doute sur ce que le paragraphe 87 n'a pas été voté,
qu'il ne correspond à aucun jugement. Le Tribunal n'a pas décidé sur sa compétence. La décision de
fond tombe par défaut de présupposé.
Toutefois, la situation est encore plus grave : il ne s'agit pas seulement d'absence de décision,
au sens formel, là où l'on n'aurait pas jugé mais où la "sentence" traduirait une seule conception de
compétence. Non : elle exprime deux conceptions de compétence contradictoires. C'est de
l'illogisme total. Le présupposé qui fait défaut au jugement de fond n'est pas simplement la décision
d'exercice de la compétence de la compétence. C'est aussi une conception de la compétence, une et
une seule interprétation du compromis.
Peut-on douter que la décision de compétence, le choix de l'une des interprétations du
compromis, était la condition préalable et logiquement nécessaire du passage au fond ? Peut-on
douter que manque au jugement sur le fond le présupposé indispensable ? Peut-on douter que la
sentence est toute entière entâchée d'illogisme ? Rendra-t-on un service à l'autorité des sentences
arbitrales en confirmant une qui porte une telle atteinte à la rationnalité ? Pourront-ils, les Etats,
tous les Etats, confier à nouveau ?
*
* *
Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
Il y a encore une chose sur laquelle je voudrais très particulièrement attirer votre attention.
Si la nouvelle interprétation sénégalaise du compromis est correcte ou admise, alors "les mots
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qui suivent dans la sentence (c'est-à-dire dans le dispositif) la phrase constatant que l'accord de 1960
'fait droit' dans les relations entre la Guinée-Bissau et le Sénégal", n'ont pas simplement un caractère
"additionnel", ils sont tout à fait hors propos, ils sont ultra vires.
N'est-ce pas, M. Bowett, que "...Question 1 simply asked about the validity of the Agreement:
and that is all" (CR 91/4, p. 43) ?(note for editor: please check this reference)
N'est-ce pas que le Tribunal n'était pas appelé, en ce qui concerne la question 1, ni à
interpréter, ni à appliquer, ni à étendre l'accord, mais seulement à dire s'il était valide, oui ou non, un
point c'est tout ?
N'est-ce pas vous, honorables contradicteurs, qui soutenez que le Tribunal aurait commis un
excès de pouvoir s'il avait passé à la deuxième question (CR 91/4, prov., p. 41; voir aussi
contre-mémoire du Sénégal, par. 169, p. 81 et CR 91/5, p. 22) ? Quelle est la différence ? Ces mots
dits "additionnels" - c'est-à-dire "en ce qui concerne les seules zones mentionnées dans l'accord, à
savoir la mer territoriale, la zone contiguë et le plateau continental", ainsi que la référence au
caractère loxodromique de la ligne - ces mots, nous demandons à la Cour de les supprimer, si elle
n'estime pas, contre ce que nous espérons, que la "sentence" et totalement invalide.
Le Sénégal ne sera certainement pas gêné, puisque c'est lui-même qui dit que si la sentence
arbitrale s'était
"bornée à statuer que l'accord du 26 avril 1960 'fait droit' dans les rapports entre la
Guinée-Bissau et le Sénégal, elle aurait déjà rempli son mandat de répondre à la première des
questions posées au compromis".
*
* *
Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
Soit selon la thèse de la Guinée-Bissau, soit selon la conséquence logiquement inévitable de
celle du Sénégal, la "sentence" est invalide, totalement, dans le premier cas, partiellement dans le
second.
Pour l'hypothèse, à présent très improbable, où la "sentence" est confirmée dans son intégralité
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nous réservons entièrement notre position à l'égard de l'interprétation du paragraphe 88.
Si les mots dits "additionnels" sont enlevés - pour avoir correspondu précisément à un excès
de pouvoir — il ne sera plus, pour le futur, question de savoir s'ils sont ou non couverts par l'autorité
de la chose jugée. Ils ne le seront pas.
Le choix n'est plus entre l'invalidité et la validité de la "sentence".
Merci Monsieur le Président, Messieurs les Juges.
Mme CHEMILLIER-GENDREAU : Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je reprends
la parole très brièvement devant vous maintenant, parce que je tiens à souligner que nous savons que
ce que la Guinée-Bissau vous demande par sa requête du 23 août 1989 est quelque chose
d'exceptionnel et de difficile. Mais le cas lui-même, tel que les représentants de la Guinée-Bissau le
vivent depuis des années est exceptionnel et difficile.
Nous avons tenté d'être discrets sur les aspects humains de l'affaire mais dans le fond de vos
sentiments vous avez compris sans doute que les choses avaient été douloureuses. Il y a eu au sein
de ce Tribunal une crise permanente et une rupture entre les trois arbitres.
Le point focal dont découle tout le reste est dans ces mots de M. Barberis dans sa déclaration
"Cette réponse aurait habilité le Tribunal à traiter dans la sentence la deuxième question."
Ces mots témoignent du désaccord et le situent. Ayant été deux à accepter de répondre de la
même façon à la première question les arbitres n'ont plus été d'accord sur le passage ou le
non-passage à la seconde question.
M. Bowett a provoqué le rire hier, lorsqu'il a évoqué devant vous d'éventuelles vertus
d'hypnotisme de M. Gros mettant ainsi sous sa coupe M. Barberis contre sa volonté.
Le rire est souvent une défense contre une gêne, contre un malaise. Ce malaise est ancien chez
les Parties, il est antérieur au 31 juillet 1989. Il est né d'abord de la longueur inhabituelle du délibéré
(quinze mois).
Les plaidoiries s'achèvent au début du mois d'avril de 1988.
Le Tribunal tient une session en juin. Les Parties escomptaient une sentence pour
l'automne 1988. Il n'en est rien. Pendant tout l'hiver 1988-1989, le Greffier, interrogé par les
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Parties, annonce des réunions souvent remises. Il y en a eues à notre connaissance plusieurs. Nous
n'en avons su ni la date exacte, ni la durée. Nous savons seulement que les choses s'éternisaient et
que ces jours, ces semaines, ces mois en s'égrenant disaient par eux-mêmes que les choses n'allaient
pas. En juillet 1989 (il faut bien en finir) les choses se précipitent. Le Tribunal a-t-il envisagé par
moment de renoncer faute d'accord en son sein ? On peut l'imaginer.
Le président a-t-il préféré toutefois souscrire aux quelques éléments fragmentaires sur lesquels
il s'était trouvé d'accord avec M. Gros et dire son insatisfaction, ses scrupules et son désaccord dans
un texte séparé ? C'est en tout cas le résultat produit. C'est à cela, et à cela seulement, que vous
devrez vous arrêter pour juger.
Tout se tient intimement dans les éléments juridiques de ce qui est porté devant vous. Et tout
provient de la même cause de l'éclatement des volontés au sein de la juridiction.
La limite de la compétence de la compétence est dans l'interprétation correcte du compromis.
Cette compétence, rappelons le encore une fois, est dérivée et non originaire. Ici l'erreur
d'interprétation commise par le Tribunal est manifeste puisqu'il y avait eu tout au long de l'affaire
déroulée devant lui confirmation de l'interprétation textuelle par la pratique commune des Parties.
Si le Tribunal avait jugé bon de s'écarter de cette interprétation, il devait le décider et le
motiver.
Cela n'a pas été fait et par une violence interprétative tacite, pour reprendre l'expression de
M. Galvao Teles, le parcours a été terminé avec un seul arbitre et l'étrange attitude d'un autre.
C'était là introduire au coeur même du processus arbitral un élément d'altération qui a entâché le tout
et qui l'a détruit.
L'ensemble du parcours effectué dans ces conditions ne peut produire à aucun moment, aucun
effet juridique.
Les principes équitables dominent la question des délimitations maritimes. Mais l'équité
domine, doit dominer tout l'exercice de la justice entre Etats. Et il serait profondément inéquitable
qu'un texte produit dans des conditions aussi grossièrement illégales puisse produire des effets entre
deux Etats.
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La dernière phrase de l'opinion dissidente qui y est annexée lève un coin du voile et annonce
l'inexistence de la prétendue sentence.
Le recul pris par le président dans sa déclaration met en pleine lumière l'excès de pouvoir.
Comment une saine justice pourrait-elle laisser debout un texte qui, sur les trois membres du
Tribunal, n'a été supporté que par un seul, lequel a confisqué abusivement aux Parties le règlement
recherché de leur différend ?
Monsieur le Président, Messieurs les Juges, j'en ai terminé. M. Fidélis Cabral de Almada,
agent du Gouvernement de la Guinée-Bissau va maintenant lire les conclusions déposées devant la
Cour. Je vous remercie.
The PRESIDENT: Thank you very much, Mme Chemillier-Gendreau. Please, the Agent.
Thank you.
M. Fidélis CABRAL DE ALMADA : Monsieur le Président, Messieurs les Juges. Les
plaidoiries de la République de Guinée-Bissau sont maintenant terminées. Je vais donner lecture, à
présent, de nos conclusions.
Le Gouvernement de la Guinée-Bissau, par tous les motifs exposés dans la procédure écrite
comme dans la procédure orale, prie respectueusement la Cour de dire et juger :
- que la prétendue "sentence" du 31 juillet 1989 est frappée d'inexistence par le fait que, des
deux arbitres ayant constitué en apparence une majorité en faveur du texte de la "sentence",
l'un a, par une déclaration annexe, exprimé une opinion en contradiction avec celle
apparemment votée;
- subsidiairement, que cette prétendue décision est frappée de nullité absolue, le Tribunal ayant
négligé de répondre à la seconde question posée par le compromis d'arbitrage, alors que sa
réponse à la première question ouvrait la nécessité d'une réponse à la seconde, ne s'étant pas
conformé aux dispositions du compromis arbitral par lesquelles il était demandé au Tribunal
de décider sur la délimitation de l'ensemble des espaces maritimes, de le faire par une ligne
unique et d'en porter le tracé sur une carte et n'ayant pas motivé les restrictions ainsi
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abusivement apportées à sa compétence;
- que c'est donc à tort que le Gouvernement du Sénégal prétend imposer à celui de la
Guinée-Bissau l'application de la prétendue sentence du 31 juillet 1989. Je vous remercie.
The PRESIDENT: Thank you very much, Mr. Cabral de Almada. So that concludes the
reply of Guinea-Bissau and we hear the Rejoinder of Senegal on Thursday morning at 10.00 a.m.
Thank you very much.
L'audience est levée à 17 h 40.

Document Long Title

Public sitting held on Tuesday 9 April 1991, at 3 p.m., at the Peace Palace, President Sir Robert Jennings presiding

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