C 4/CR 90/2
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LA HAYE THE HAGUE
YEAR 1990
Public sitting of the Chamber
held on Tuesday 5 June 1990, at 3 p.m., at the Peace Palace,
Judge Sette-Camara, President of the Chamber, presiding
in the case concerning the Land, Island and Maritime Frontier Dispute
(El Salvador/Honduras)
Application by Nicaragua for permission to intervene
___________________
VERBATIM RECORD
___________________
ANNEE l990
Audience publique de la Chambre
tenue le mardi 5 juin 1990, à 15 heures, au palais de la Paix,
sous la présidence de M. Sette-Camara, président de la Chambre
en l'affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime
(El Salvador/Honduras)
Requête du Nicaragua à fin d'intervention
_______________
COMPTE RENDU
_________________
- 2 -
Present:
Judge Sette-Camara, President of the Chamber
Judges Oda
Sir Robert Jennings
Judges ad hoc Valticos
Torres Bernárdez
Registrar Valencia-Ospina
___________
- 3 -
Présents :
M. Sette-Camara, président de la Chambre
M. Oda
Sir Robert Jennings, juges
M. Valticos
M. Torres Bernárdez, juges ad hoc
M. Valencia-Ospina, Greffier
___________
- 4 -
The Government of Nicaragua is represented by:
H.E. Mr. Carlos Argüello Gómez Ambassador,
as Agent and Counsel;
Assisted by:
Mr. Ian Brownlie, Q.C., F.B.A Chichele Professor of Public International
Law, University of Oxford; Fellow
of All Souls College, Oxford,
Mr. Antonio Remiro Brotons Professor of Public International
Law, Universidad Autónoma de
Madrid,
as Counsel and Advocates.
The Government of El Salvador is represented by:
Dr. Alfredo Martínez Moreno as Agent and Counsel;
H.E. Mr. Roberto Arturo Castrillo Hidalgo Ambassador,
as Co-Agent;
and
H.E. Dr. José Manuel Pacas Castro Minister for Foreign Relations;
assisted by
Mr. Keith Highet Adjunct Professor of International
Law at the Fletcher School of Law
and Diplomacy and Member of the
Bars of New York and the District
of Columbia,
Mr. Elihu Lauterpacht C.B.E., Q.C. Director of the Research Centre for
International Law, University of
Cambridge, Fellow of Trinity
College, Cambridge,
Mr. Prosper Weil Professor Emeritus at Université de
droit, d'économie et de sciences
sociales de Paris,
as Counsel and Advocates;
and
- 5 -
Le Gouvernement du Nicaragua est représenté par :
S.Exc. M. Carlos Argüello Gómez ambassadeur,
comme agent et conseil;
assisté de
M. Ian Brownlie, Q.C., F.B.A. professeur de droit international public à
l'Université d'Oxford, titulaire de la
chaire Chichele, Fellow de l'All
Souls College, Oxford,
M. Antonio Remiro Brotons professeur de droit international
public à l'Universidad Autónoma de
Madrid,
comme conseils et avocats.
Le Gouvernement d'El Salvador est représenté par :
M. Alfredo Martínez Moreno comme agent et conseil;
S.Exc. M. Roberto Arturo Castrillo Hidalgo ambassadeur aux Pays-Bas
comme coagent;
et
S.Exc. M. José Manuel Pacas Castro ministre des relations extérieures;
assistés de
M. Keith Highet professeur adjoint de droit
international à la Fletcher School of
Law and Diplomacy et membre des
barreaux de New York et du
district de Columbia,
M. Elihu Lauterpacht C.B.E., Q.C. directeur du Research Center for
International Law de l'Université de
Cambridge; Fellow du Trinity
College de Cambridge,
M. Prosper Weil professeur émerite à l'Université de
droit, d'économie et de sciences
sociales de Paris,
comme conseils et avocats;
et de
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Mr. Anthony J. Oakley
Lic. Celina Quinteros
Lic. Ana Elizabeth Villalta Vizcara as Counsellors.
The Government of Honduras is represented by:
H.E. Dr. Ramón Valladares Soto Ambassador-designate to the
Netherlands,
as Agent;
assisted by
Mr. Derek W. Bowett, C.B.E., Q.C., Whewell Professor of
Ll.D., F.B.A. International Law, University of
Cambridge,
as Counsel and Advocate;
and
Mr. Arias de Saavedra y Muguelar Minister, Chargé d'affaires a.i.,
Embassy of Honduras at the
Hague,
Mrs. Salomé Castellanos Minister Counsellor, Embassy of
Honduras at the Hague,
as Advisers.
- 7 -
M. Anthony J. Oakley
Mme Celina Quinteros
Mme Ana Elizabeth Villalta
comme conseillers.
Le Gouvernement du Honduras est représenté par :
S.Exc. M. Ramón Valladares Soto ambassadeur (désigné) aux
Pays-Bas,
comme agent;
assisté de
M. Derek W. Bowett, C.B.E., Q.C., professeur de droit
Ll.D., F.B.A. international à l'Université de
Cambridge, titulaire de la chaire
Whewell
comme conseil et avocat;
et de
M. Arias de Saavedra y Muguelar ministre, chargé d'affaires a.i. de
l'ambassade du Honduras aux
Pays-bas,
Mme Salomé Castellanos ministre-conseiller à l'ambassade du
Honduras aux Pays-Bas,
comme conseillers.
- 8 -
THE PRESIDENT OF THE CHAMBER: Please be seated. I give the floor to Professor
Remiro.
M. REMIRO : Monsieur le Président, Messieurs les Membres de la Chambre,
Permettez-moi tout d'abord de dire combien je suis honoré de pouvoir m'adresser aujourd'hui à
vous pour défendre la requête à fin d'intervention déposée par la République du Nicaragua.
Je vais diviser mon exposé en trois parties : une première où j'essaierai de préciser l'objet de
l'intervention requise par le Nicaragua, en répondant ainsi aux observations faites par les Parties.
Une deuxième où je soutiendrai, compte tenu de son objet, que l'admission de l'intervention n'est pas
conditionnée à l'existence d'un lien de juridiction spéciale du requérant avec les Parties au litige
soumis à la Chambre. Et, finalement, une troisième où j'aborderai la convenance d'admettre
l'intervention du Nicaragua.
Les trois volets de mon exposé étant présentés, je vais maintenant entamer l'examen du
premier, en précisant tout de même que les citations faites figureront dans le procès-verbal.
I. L'objet de l'intervention du Nicaragua
1. L'article 81, paragraphe 2, alinéa b), du Règlement de la Cour stipule que la requête devra
exposer l'objet précis de l'intervention.
Bien que cette exigence ne soit pas expressément citée à l'article 62 du Statut pas plus que
dans le Règlement avant la réforme du 14 avril 1978, il faut cependant la considérer implicitement
imposée pour appliquer correctement l'intervention dans les limites objectives correspondantes à sa
nature.
De fait, le but de la réforme du Règlement en ce qui concerne ce point ne prétendait
qu'empêcher un recours abusif de l'intervention (cf. M. Ago, op. diss., arrêt du 21 mars 1984,
C.I.J. Recueil 1984, par. 5; voir aussi par. 6).
2. Le Nicaragua a consacré la troisième partie de sa requête à satisfaire l'exigence de
l'article 81, paragraphe 1, alinéa b), du Règlement de la Cour.
- 9 -
Cependant, si nous prenons en considération les observations des Parties (cf. obs. El Salvador,
par. 8-9, obs. Honduras, par. 4, premier alinéa) nous pourrions peut-être penser que cela a été fait
avec peu d'expertise.
La Cour a déjà pris connaissance de ces documents.
3. En ce qui concerne les observations d'El Salvador, elles révèlent, d'une part, une
appréhension inexacte du concept même de l'objet de l'intervention et, d'autre part, une interprétation
erronée du contenu qui lui a été conféré dans la requête du Nicaragua.
Concept inexact, en premier lieu, de l'objet de l'intervention parce que l'omission d'une
réclamation insulaire concrète où le manque de prononcé sur l'objet du litige et sur les pouvoirs de la
Chambre - allégués par El Salvador pour démontrer que la requête du Nicaragua est défectueuse -
n'ont aucun rapport avec la définition de l'objet de l'intervention :
a) l'omission servirait, le cas échéant, à critiquer le manque d'un intérêt juridique nicaraguayen
susceptible d'être affecté par le différend Honduras/El Salvador à propos de la souveraineté
des îles du golfe de Fonseca; mais vu ce que je dirai sous peu, l'observation d'EL Salvador
devient inappropriée;
b) quant au manque du prononcé sur l'objet du litige, il ne serait pas fondé d'exiger de la part du
Nicaragua, en spécifiant l'objet de son intervention, qu'il prenne parti en faveur de l'une ou
l'autre des interprétations de l'objet du litige convenu entre les Parties. Cela sera tranché, le
moment venu, par la Chambre; après l'examen des raisons que lui présenteront ces mêmes
Parties - et non le Nicaragua. Le Nicaragua ne doit pas se prononcer dans un débat qui ne lui
incombe pas et El Salvador le sait fort bien; il l'exige même. Ou, n'est-ce point dans ses
observations qu'il est dit, en se référant à la question - considérée fondamentale - sur
l'interprétation de l'article 2, paragraphe 2, du compromis entre le Honduras et El Salvador
que :
"Le Nicaragua n'a pas le droit d'envahir la privacité du contrat et se mêler à
l'interprétation d'une disposition clé dans un traité bilatéral, le compromis..." (Par. 5.)
Mais où en sommes-nous ? Si le Nicaragua n'a pas le droit d'envahir la privacité du
compromis en s'interposant à son interprétation, comment peut-il être censuré en même temps,
- 10 -
précisément parce qu'il respecte cette privacité ? D'après la lecture de cette pièce à inconséquence, la
doctrine d'El Salvador s'efforce à critiquer le Nicaragua qu'il aille à pied, à cheval ou en voiture.
4. El Salvador aurait pu argumenter, à plus juste titre, que tant que l'objet du litige ne soit
point défini, l'objet de l'intervention du Nicaragua ne serait pas matérialisé. Ce point s'avèrerait
important si, selon une certaine interprétation de l'objet du litige, l'on entende pour le Nicaragua
l'absence d'intérêts susceptibles d'être mis en cause par la décision de la Cour. Mais, vu les termes
de cette controverse sur l'objet du litige, l'objet de l'intervention sera automatiquement adapté à
celui-là, quelle que soit l'option choisie.
Que l'on adopte la thèse réductionniste d'El Salvador par laquelle la délimitation des espaces
maritimes ne fait pas partie de la détermination de sa situation juridique soumise à la décision de la
Chambre, ou que l'on adopte la thèse hondurienne incluant la délimitation, le Nicaragua a largement
démontré la mise en cause de ses intérêts juridiques. Déterminer la situation juridique des espaces
maritimes tel que l'interprète la République d'El Salvador constitue, en tout cas, un prius de la
délimitation, et l'une des Parties - la République du Honduras - admet ouvertement la mise en cause
des intérêts du Nicaragua, du moins dans le golfe de Fonseca (par. 2, al. ii)).
5. Nous avons aussi affirmé que, dans les observations d'El Salvador, la requête du Nicaragua
est mal interprétée parce qu'elle ne contient pas - comme le prétend El Salvador - "différentes
descriptions sur l'objet de l'intervention" oscillant entre les deux pôles d'un dilemme que le Nicaragua
essaierait en vain d'éviter. En présentant ce faux dilemme, El Salvador fait dire au Nicaragua ce
qu'il n'entend pas dire et il omet une partie de ce qu'il dit. Car si le Nicaragua n'entend pas seulement
tenir informée la Cour de ses intérêts juridiques, il prétend encore moins que ces derniers soient
positivement reconnus dans la décision future de la Chambre sur le fond de l'affaire.
6. Lue sans préjudice, la séquence de la requête du Nicaragua s'avère logique et naturelle. Il y
est fait tout d'abord une affirmation générale sur la volonté du Nicaragua, de sauvegarder ses droits
par tout moyen légal possible. L'un de ces moyens se concrétise par la possibilité que lui confère
l'article 62 du Statut de la Cour pour intervenir dans les affaires dont la décision est susceptible de
mettre en cause les intérêts juridiques d'un tiers. Le Nicaragua en conséquence, considérant qu'il y a
dans le différend soumis à la Chambre des aspects dont la décision pourrait les léser, demande à
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intervenir en invoquant l'article 62 avec un seul objectif : garantir que les conclusions de la Chambre
ne portent pas atteinte auxdits intérêts. Il s'agit là d'une fin purement défensive, conservatoire
- dit-on dans la requête - limitée, propre et appropriée pour l'institut de l'intervention conçu dans le
Statut. En décidant sur le différend soumis - et non pas sur un autre - la Chambre devra s'abstenir
de se prononcer quand elle considèrera que les intérêts juridiques du Nicaragua peuvent être affectés,
sans donner raison ou tort à l'une ou l'autre des Parties, ni bien sûr, à l'intervenant.
7. Il est évident, que pour satisfaire cet objectif il est indispensable que le Nicaragua, une fois
admise son intervention, fournisse des informations générales sur les intérêts qu'il considère
potentiellement compromis dans l'affaire. Mais ceci n'est pas l'objectif, il est uniquement
l'instrument pour le satisfaire. Peut-être qu'El Salvador sera surpris, mais je peux vous assurer que
le Nicaragua a bien lu l'arrêt de la Cour du 14 avril 1981 et le Nicaragua sait parfaitement qu'une
requête visant à l'exposition de points de vue sans mettre en jeu ses prétentions en relation à l'objet
du litige ne pourrait être admise (cf. par. 31 et suiv. de l'arrêt). El Salvador se trompe donc sur ce
point. Bien plus. Il fait aussi erreur lorsqu'il ajoute, après avoir identifié incorrectement la fin
poursuivie par le Nicaragua, que ces audiences orales suffiraient pour la satisfaire. Et bien non !
Cela ne suffit pas.
Indépendamment de la dénaturalisation de cet incident dont El Salvador nous invite, en
appliquant de son côté au Nicaragua ledit modèle maltais, il est bon de rappeler qu'à cette phase-ci
de la procédure il serait inapproprié que le requérant aille trop loin sur le bien-fondé des intérêts qu'il
allègue. "Par nécessité", M. Sette-Camara, a observé : "la preuve de cet intérêt juridique n'a pas à
être définitive et sans conteste"; le requérant "n'est pas tenu de rapporter la preuve positive et
indiscutable de l'existence de cet intérêt" (op. diss., arrêt du 21 mars 1984, par. 3 et 17).
Ainsi donc, selon la nature même de l'instance, l'information a des limites que le Nicaragua ne
doit pas dépasser tant qu'il n'aura pas été autorisé à intervenir; pour cette raison, même si celui-ci
était l'objectif - qu'il n'est pas - du Nicaragua, cette audience ne suffirait pas pour le satisfaire d'une
manière adéquate.
8. Mais, ce n'est pas tout. L'information que le Nicaragua peut et doit maintenant fournir à la
Cour doit permettre à la Chambre d'établir une possibilité d'affectation des intérêts juridiques
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invoqués par le requérant, et non, ni une certitude, ni même une probabilité. Il s'agit là, d'une
conviction qui sera efficacement atteinte, après l'admission de l'intervention, quand le tiers sera en
mesure de déployer toutes les raisons, de fait et de droit, sur lesquelles se basent ses prétentions.
Ainsi donc, du point de vue d'une meilleure administration de la justice par la Cour, l'information que
le Nicaragua fournit maintenant n'est pas suffisante pour garantir l'opportunité dans la décision
quant au fond.
A cet effet, il est suggestif que lorsque, en 1984 aussi, il a été débattu, dans l'affaire des
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d'Amérique), la portée de ladite réservation Vandenberg, la Cour refuse son caractère exclusivement
préliminaire pour considérer que
"ce n'est qu'à partir du moment où les grandes lignes de son arrêt se dessineraient qu'elle [la
Cour] pourrait déterminer quels Etats seraient affectés" (arrêt du 26 novembre 1984, par. 75),
et elle affirme aussi que : "En tout état de cause c'est là une question qui touche des points de
substance relevant du fond de l'affaire." (Par. 76.)
9. Tournons-nous maintenant vers les observations du Honduras. Le Nicaragua a
expressément et inconditionnellement manifesté qu'"il entend reconnaître l'effet obligatoire de la
décision qui sera rendue" par la Cour sur tous les points soulevés dans le cadre de son intervention.
Par l'arrêt du 14 avril 1981, la Cour a précisément rejeté (cf. par. 31 et suiv.) que l'on puisse
- si la Cour me permet l'expression - "lancer la pierre et cacher le bras". Bien que l'article 62 du
Statut n'impose pas, de manière expresse l'acceptation de cette obligation comme une exigence pour
autoriser l'intervention, la condition doit être implicite compte tenu de l'objet poursuivi. La décision
de la Cour en relation à l'objet de l'intervention sera chose jugée pour l'intervenant. Cette conclusion
est confirmée, vu son analogie, par le fait que le caractère obligatoire de l'arrêt pour le tiers soit
explicitée dans le cas d'intervention de l'article 63.
10. En 1981, la Cour n'a pas admis la requête maltaise. Malte, qui souhaitait intervenir tout
simplement pour informer et exposer librement ses points de vue, a manifesté au cours de l'audience
orale, sa volonté d'être obligé par la sentence de la Cour. Cependant, celle-ci a considéré que le type
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de participation dont aspirait Malte, l'excluait, par sa propre nature, des effets de la décision future
(c. a. du 14 avril 1981, par. 31 et suiv.).
Il est clair, que l'objection exprimée par le Honduras a été rédigée à la lumière de cette
doctrine. Selon elle, si l'objectif du Nicaragua est celui d'informer la Cour, il est irrelevant qu'il
manifeste, dès maintenant, son propos de se soumettre à la décision de fond car les termes de son
intervention, telle qu'elle est conçue, rendent impossible cet effet, quelle que soit sa volonté.
La position du Honduras - qui semble être davantage élaborée en fonction des conséquences
de l'admission de l'intervention que d'un examen juste et complet des termes dans lesquels le
requérant a formulé son objet - est cohérente. Elle serait même solide si au lieu de se perdre en
conjectures elle reposait sur des bases réelles. Mais celles-ci n'existent pas. Sa prémisse - l'objet de
l'intervention du Nicaragua n'est qu'informer la Cour de ses intérêts juridiques - est fausse. Ceci a
déjà été prouvé et il n'est plus utile de revenir sur l'argumentation.
11. Etant arrivé à ce volet, après avoir répondu aux objections exprimées par les Républiques
d'El Salvador et du Honduras, il s'avère convenable de récapituler et d'éclaircir la position du
Nicaragua quant à l'objet de l'intervention, afin d'éviter, dans la mesure du possible, la persistence de
mauvaises interprétations.
L'objet de l'intervention du Nicaragua s'ajuste à l'objet du litige tel qu'il a été convenu par les
Parties dans le compromis du 24 mai 1986. Il s'agit d'intervenir dans une affaire, dans un différend
déjà existant.
"Toute intervention est un incident de procédure; par conséquent, une déclaration
déposée à fin d'intervention ne revêt, en droit, ce caractère que si elle a réellement trait à ce qui
est l'objet de l'instance en cours",
a déclaré la Cour dans l'arrêt du 13 juin 1951 (Haya de la Torre, C.I.J. Recueil 1951, p. 76), en
indiquant ainsi le domaine de ce que l'on doit entendre par une intervention véritable et authentique
conformément au Statut de la Cour.
Le Nicaragua s'en tient à cela dans sa requête. Le différend, tel que les Parties l'on défini, est
le moule parfait dans lequel son intervention se fond. L'intervention nicaraguayenne est greffée sur
l'affaire en cours devant la Chambre entre El Salvador et le Honduras. Elle ne se conçoit pas sans
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l'existence de cette affaire. Elle porte exclusivement sur l'objet de cette affaire telle qu'elle a été
soumise à la Cour par les Parties au compromis. L'objet de l'intervention du Nicaragua prétend
éviter exclusivement que, en se prononçant sur certains aspects du différend soumis à la Chambre, la
décision ne mette en cause les intérêts juridiques du Nicaragua. Le Nicaragua ne prétend pas faire
valoir ses droits contre les Parties; il aspire uniquement à ce que la Chambre s'abstienne de se
prononcer sur les aspects du petitum des Parties où leurs prétentions sont incompatibles à celles de
l'intervenant.
Précisons mieux. L'objet de l'intervention tel qu'il est avancé dans la requête est uniquement
projeté sur un aspect de l'objet du litige (art. 2, par. 2, du compromis). Le Nicaragua n'a aucun
intérêt - et c'est ainsi indiqué - dans le différend terrestre. En ce qui concerne le différend insulaire,
nous pouvons peut-être être maintenant plus explicites que ce que nous l'avons été dans la requête et
signaler que le Nicaragua - sa souveraineté sur l'île Farallones est par ailleurs expressément
reconnue par les Parties - n'a pas en principe d'intérêt direct sur la détermination de la situation
juridique des autres îles du golfe revendiquées autant par El Salvador que par le Honduras.
Toutefois, dans la mesure où comme le fait fait observer cette dernière République (obs. p. 3,
in fine) - la délimitation des eaux dans le golfe pourrait répercuter sur la décision en ce qui concerne
la souveraineté des îles, le Nicaragua est légitimement et directement intéressé par les îles en tant que
circonstance éventuellement relevant de la délimitation d'espaces maritimes dans le golfe et au-delà
du golfe si, finalement, la Chambre considère que le compromis entre le Honduras et El Salvador lui
donne compétence sur cette question.
"Si la Cour pense par exemple aux effets que peut avoir l'existence d'une île ou
de plusieurs îles dans cette région sur la délimitation du plateau continental entre la
Libye et la Tunisie, comment Malte peut-elle n'être pas affectée par une décision de la
Cour indiquant les principes et les règles applicables en la matière ?",
argumentait M. Oda en 1981 (op. ind., arrêt du 14 avril 1981, par. 22) en observant le scénario de la
Méditerranée centrale. Ses paroles sont maintenant d'autant plus pertinentes, dans un milieu plus
fermé où, en outre, les Parties au différend ne se limitent pas à demander l'indication de règles et de
principes applicables, mais plutôt des solutions concrètes.
Ceci dit, et en vertu de l'interprétation adoptée par la Chambre sur l'article 2, paragraphe 2,
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dudit compromis, l'intervention du Nicaragua matérialiserait son objet sur la détermination de la
situation juridique des espaces maritimes du golfe de Fonseca et au-delà du golfe dans
l'océan Pacifique. L'éventuelle mise en cause d'intérêts juridiques du Nicaragua par la décision de la
Cour dans ces zones est donc démontrée. Le Nicaragua est reconnaissant au Honduras de l'avoir
reconnu en ce qui concerne la détermination du statut des eaux du golfe. Mais les intérêts du
Nicaragua sont aussi mis en cause, dans le golfe et sur son versant océanique, en raison des autres
questions proposées par les Parties.
13. Le Nicaragua ne prétend pas introduire, sous couvert d'intervention, un nouveau différend,
un litige supplémentaire à celui des Parties. Nous savons que l'intervention en vertu de l'article 62
du Statut de la Cour n'a pas été conçue à cette fin.
La référence qui est faite dans la requête à ce que les "questions relatives au golfe de Fonseca
soulèvent un différend trilatéral" (art. II, par. 2, al. e)) et à ce "qu'il existe depuis longtemps un
différend qui concerne les trois Etats riverains" (art. VIII, par. 19, in fine) a une intention purement
descriptive de l'implication intime d'intérêts des trois pays riverains du golfe.
En effet, il en va de soi que la détermination de la situation juridique des espaces maritimes
dans un milieu physique aussi exigu ne peut se faire qu'à trois et, que toute initiative prise par deux
d'entre eux doit affecter nécessairement le troisième, c'est-à-dire le Nicaragua.
C'est cette implication nécessaire et naturelle des trois pays riverains pour parvenir à la
solution de toutes les questions juridiques du golfe et de son versant océanique, que le Nicaragua
essaie de souligner. Comme il est dit dans la même requête :
"La portée de la controverse relative au golfe de Fonseca reste telle qu'elle était avant la
conclusion du compromis et restera la même que la présente requête à fin d'intervention soit
admise ou non... Ce sont les conditions dans lesquelles cette controverse sera abordée qui
sont en jeu, et non la nature du différend lui-même; celui-ci a par essence un caractère
trilatéral et il est régi par des impératifs géographiques." (Art. V, par. 8.)
14. Celui-ci étant le cas, le Nicaragua ne doit ni prouver qu'il maintient un différend avec les
Parties, ni démontrer l'impossibilité de le résoudre par la voie des négociations, en tant que condition
nécessaire pour que la requête soit admise. Il importe peu que ce différend existe ou n'existe pas,
qu'une négociation se soit produite ou non. Ce n'est pas l'objet du litige. Et à fortiori cela ne peut
l'être de l'intervention du Nicaragua.
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En ce qui concerne la requête italienne à fin d'intervention dans l'affaire du Plateau
continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), sir Robert Jennings a remarqué qu'
"exiger qu'il y ait un différend réel avec l'intervenant revient en effet à exiger quelque chose
qui n'est pas mentionné à l'article 62 [du Statut]. Tout ce que cet article requiert, c'est que
l'intervenant ait un intérêt juridique, qui peut être lié ou non à un différend réel, mais qui est
pour lui en cause dans le différend entre les parties originaires. Ce dernier différend est le seul
qui importe dans le cadre de l'article 62." (Op. diss., arrêt du 21 mars 1984, par. 16.)
Le Nicaragua ne doit donc pas tomber dans le piège sadducéen qui lui est tendu alors qu'il est
incité à essayer l'existence de différends en marge de celui que suscite l'intervention limitée que le
Nicaragua demande. Et s'il ne doit pas tomber dans ce piège, il faut, par contre, faire tomber les
obstacles qu'El Salvador nous oppose sur la base du manque de négociations préalables (art. IV,
par. 14-15).
"Rien ne permet donc de penser que la Cour ait jamais conclu que ... la preuve d'un
différend antérieur, ou de négociations avec l'une ou l'autre des parties initiales au litige, fût
une condition tacite de l'intervention fondée sur l'article 62" nous a dit M. Oda (op. diss., arrêt
du 21 mars 1984, par. 17; aussi par. 34).
En quelques mots, l'existence d'un différend - et de négociations préalables - entre l'une ou
l'autre des Parties et le Nicaragua à propos de la détermination de la situation juridique des espaces
maritimes du golfe et au-delà de celui-ci, est insignifiante aux effets de l'intervention de cette dernière
République dans le différend opposant sur ces mêmes points El Salvador et le Honduras.
15. Selon les termes établis, le Nicaragua entend être admis comme partie intervenante dans
le différend soumis à la Cour. Et celà, parce qu'il considère qu'il s'agit de la condition
correspondante au demandeur de la sauvegarde de ses intérêts juridiques en acceptant de s'obliger,
par la décision de la Cour, sur le fond de l'affaire.
Cette ponctualisation devient obligatoire pour deux raisons. La première, parce que la
confusion - l'équivoque - émane de l'utilisation de la terminologie. La deuxième, en raison des
conséquences dérivées de l'acceptation ou du rejet en tant que partie de l'intervenant. En quelque
sorte, cette confusion est induite par l'examen de ces conséquences.
Ainsi, l'affirmation figurant sur les observations de la République du Honduras, selon laquelle
"le Nicaragua n'est pas une partie, et n'entend pas l'être" (par. iv, al. 1er) est expliquée, bien qu'elle
ne se justifie pas, par l'assomption que seulement une intervention impropre, adresssée à la
- 17 -
reconnaissance des droits de l'intervenant - et non pas uniquement à sa sauvegarde - accorderait la
condition de partie, avec toutes ses conséquences, mais aussi avec toutes ses exigences.
16. La République du Nicaragua ne souhaite pas entrer dans une querelle terminologique
dissimulant un désaccord de concepts et une valorisation différente de ses conséquences de
procédure; mais elle ne souhaite pas non plus que l'on profite de son invocation à la condition de
partie pour altérer l'objet de l'intervention tel qu'il a été formulé. Nous pouvons entrer en discussion
pour savoir si l'acteur d'une intervention propre ou limitée détient ou non la condition de partie.
Mais nous ne pouvons pas conclure que celui qui soutient cette condition exclut, par définition, une
intervention propre ou limitée.
Naturellement, un intervenant ne possède pas un statut identique à celui des parties au
différend, dont l'objectif est de voir ses droits reconnus. Dans ce sens, il ne s'agit pas d'une partie de
plein droit. Mais, la préservation de droits permet de parler de lui comme partie intervenante, mot
que M. Schwebel considère juste (op. diss. cit., par. 15, al. d)). Pour le Nicaragua cela est aussi
juste en vertu, son seulement, de l'exactitude mais aussi de la justice. S'il n'en est pas ainsi, la
disproportion entre les obligations que le requérant est prêt à assumer et son statut procédural
lèserait grièvement le principe d'égalité.
17. Comme dit le proverbe "trop parler nuit" et vu l'expérience de requérants d'intervention
antérieurs l'on pourrait se demander à quel point il n'est pas contre-indiqué de donner trop
d'explications sur une meilleure intelligence de son objet. Parfois des phrases soit disant à intention
explicative finissent par être de la cinquième colonne dans un discours orienté à faire accepter la
requête. Hors de son contexte, coupées ou mal interprétées, elles permettent de dire que le requérant
demande ce qu'il ne demande pas, et précisément pour lui refuser ce qu'il demande. Dans ce sens,
nous espérons ne pas être trahis par nos propres mots mais que nos paroles ne soient pas trahies non
plus. La Cour est certainement obligée à identifier l'objet authentique de l'intervention au-delà de la
simple appréciation formelle des termes avec lesquels s'exprime le requérant (voir arrêts du 20
décembre 1974, par. 29-30; arrêt du 21 mars 1984, par. 29), mais il faut présumer que l'on
demande ce que l'on dit. Le pouvoir de la Cour, comme l'a signalé M. Mbaye, "ne saurait conduire
la Cour à faire dire à un Etat ce qu'il s'obstine à refuser de dire" (opinion individuelle, arrêt du
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21 mars 1984, p. 53).
18. Etant le Nicaragua devant le plus classique et authentique cas d'une intervention
procédurale il devrait avoir la possibilité de défendre ses intérêts juridiques.
Toutefois, si la Cour ne peut combler le vide d'une demande d'intervention réductrice qui, en
péchant par défaut, limiterait son objet à fournir de l'information sur la position du requérant sans
soumettre ses intérêts juridiques à la décision judiciaire, elle a par contre les pouvoirs de réduire
l'excès dans l'objet de la requête, en donnant lieu en définitive à une acceptation partielle de celle-ci.
"Le fait de demander trop n'entache pas en soi de nullité la demande d'intervention, si
celle-ci englobe son objet réel. La requête maltaise de 1981 a été rejetée parce que Malte
demandait trop peu et se refusait à entrer directement dans le différend entre la Libye et la
Tunisie; il serait regrettable que la Cour paraisse maintenant rejeter la requête de l'Italie parce
que celle-ci demande trop",
a dit sir Robert Jennings à propos de la requête italienne à fin d'intervention dans l'affaire du plateau
continental entre la Libye et la Tunisie (op. diss., arrêt du 21 mars 1984, par. 7).
II. Un lien juridictionnel n'est pas nécessaire
1. Une fois précisé l'objet de l'intervention du Nicaragua, nous devons nous référer à une autre
exigence en vertu de l'article 81, paragraphe 2, alinéa c), du Règlement de la Cour en vigueur. En
effet, compte tenu de cette disposition, introduite avec la réforme réglementaire qui entra en vigueur
le 14 avril 1978, le requérant doit indiquer dans la requête : "toute base de compétence qui, selon
l'Etat demandant à intervenir, existerait entre lui et les parties".
Bien sûr, cette demande d'information inscrite dans le Règlement n'implique pas que
l'existence d'un lien juridictionnel particulier entre le requérant et les parties principales soit une
condition sine qua non pour que la Cour admette l'intervention. Comme l'a rappelé la Cour
elle-même : "Il s'agissait de faire en sorte que, quand la question se poserait effectivement dans un
cas concret, la Cour dispose de tous les éléments éventuellement nécessaires à sa décision." (Arrêt
du 14 avril 1981, par. 27.)
2. Selon l'avis du Nicaragua l'exigence ou pas d'un lien spécial de juridiction entre l'Etat ayant
l'intention d'intervenir et les parties au différend est déterminé par l'objet de l'intervention,
c'est-à-dire, par sa configuration en tant qu'intervention propre ou strictement limitée à l'objet de
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l'instance principale et aux questions qui y sont évoquées, ou en tant qu'une intervention impropre,
destinée à obtenir la reconnaissance des droits de l'intervenant face aux parties principales.
L'absence d'un entendement préalable sur ce point est souvent la source de malentendus.
3. Le Nicaragua consent que lorsqu'un Etat fixe pour son intervention, non pas un objet
négatif, mais un positif, demandant à la Cour la reconnaissance de ses droits au détriment des
prétentions des parties, il doit y exister un lien juridictionnel valable de l'Etat intervenant avec les
parties à l'instance, parce qu'en définitive, l'Etat est en train de dépasser l'objet même du litige et il ne
serait pas admissible d'interpréter que l'intervention a été conçue pour permettre une décision
judiciaire sur un objet ne pouvant être demandé par la voie principale ou directe.
4. Mais, puisque l'objet de l'intervention du Nicaragua n'est pas de soumettre ses propres
différends avec les Parties à la décision de la Cour, mais plutôt d'éviter que la Chambre, en se
prononçant sur le différend qu'El Salvador et le Honduras lui ont soumis par la voie du compromis,
porte préjudice aux intérêts juridiques du Nicaragua, pourquoise livrer, paraphrasant
M. Sette-Camara (op. diss., arrêt du 21 mars 1984, par. 50), à des efforts peu convaincants pour
démontrer l'existence d'un lien aussi douteux, alors que le requérant affirme que, compte tenu de son
objet, l'intervention qu'il prétend n'est pas conditionnée à l'existence d'un lien spécial de juridiction
entre l'intervenant et les parties originaires ?
Il est clair que les Parties au différend soumis à la Cour ne souhaitent pas que leurs différends
avec le Nicaragua puissent être également soumis à la Cour si ce n'est moyennant un compromis.
Acceptons-le. S'ils changent d'avis, je les renvoie à la déclaration du Nicaragua d'acceptation
inconditionnelle de la juridiction de la Cour.
5. Ceci dit, l'intervention propre, strictement limitée à sauvegarder les droits de l'intervenant
pouvant être mis en cause par la décision de la Cour sur le différend qui lui a été soumis, est-elle, par
hasard, conditionnée à l'existence d'un lien de compétence valable entre l'Etat intervenant et les
parties à l'instance ?
Nous voici donc, finalement, face à la question que la Cour même a qualifié, après
constatation du fait que depuis 1922 la discussion sur ce point n'avait pas progressé, de délicate (the
vexed question) (arrêt du 21 mars 1984, par. 45). Convaincue de la sagesse d'une politique que l'on
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pourrait appeler "situationnelle", énoncée en 1922, la Cour a évité jusqu'à présent de se prononcer
sur cette délicate question.
Cependant, bien que la Cour en tant que telle ait résisté à prendre la position explicite dont
certains de ses membres l'avaient invitée (ainsi Mbaye, C.I.J. Recueil 1984, p. 34-35; Oda, ibid.,
p. 98, par. 17; Ago, ibid., p. 129, par. 22) nous pouvons trouver en elle une attitude ouverte pour
admettre que la véritable intervention, l'intervention strictement limitée, serait fondée, le cas échéant,
sans que l'existence d'un lien juridictionnel entre l'Etat intervenant et les parties principales soit
nécessaire. En effet, en constatant que
"pour se prononcer sur la demande d'intervention de l'Italie en l'espèce, la Cour n'a pas à
décider si, en règle générale, pour toute intervention fondée sur l'article 62, et comme
condition de son admission, l'existence d'un lien juridictionnel valable doit être démontrée"
(arrêt du 21 mars 1984, par. 38),
on pourrait croire qu'il existe des cas où un lien n'est pas indispensable, la Cour se réservant sur
l'appréciation, cas par cas (voir aussi l'arrêt du 14 avril 1981, par. 27).
De même, lorsque dans ledit arrêt de 1984, plus loin, dans le dernier paragraphe antérieur au
dispositif, il en ressort que : "si la Cour attache une grande importance à l'élément de la volonté des
Etats, exprimée dans un compromis ou autre instrument établissant la compétence pour définir la
portée d'un différend soumis à la Cour, il convient de rappeler qu'en vertu du paragraphe 2 de
l'article 62 'la Cour décide' ... et que l'opposition des Parties en cause, quoique très importante, n'est
qu'un élément d'appréciation parmi d'autres" (par. 46). Cette réflexion semble déplacée si nous
partons de la base que l'on exige un lien de juridiction entre le requérant et les Parties; par contre,
elle a un sens si nous la situons dans le cadre d'une intervention non sujette à cette condition.
Sir Robert Jennings suggère même que ce qui est dit par la Cour, pour se convaincre du fait
que l'intervention demandée par l'Italie en 1983 débordait en réalité les limites d'une intervention
strictement limitée, semble démontrer que si - selon la Cour - ce cas s'était produit, il n'y aurait pas
eu de problème de compétence, et le consentement des Parties n'aurait pas été nécessaire (op. diss.,
arrêt du 21 mars 1984, par. 24).
6. Probablement, le prononcé exprès et clair qui n'a point été fait par la Cour plénière, malgré
les incitations reçues, devra être fait maintenant par cette Chambre.
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Des fleuves d'encre - mais pas de sang, Dieu merci - ont coulé en traitant de cette question.
Certains juges de la Cour se sont prononcés par des opinions individuelles ou dissidentes, insatisfaits
par le silence institutionnel. Une remarque cependant; des neuf juges qui ont exprimé leur critère
durant les dix dernières années, au moment où la question s'est ravivée, deux seulement, M. Morosov
(C.I.J. Recueil 1981, p. 22; C.I.J. Recueil 1984, p. 30) et M. Jiménez de Aréchaga (ibid., p. 55,
1984) (ce dernier en tant que juge ad hoc désigné par l'une des parties principales à l'affaire) ont
affirmé que l'existence d'un lien de compétence valable entre l'Etat intervenant et les parties
principales est une condition nécessaire quel que soit le cas de l'intervention. Par contre, sept,
M. Oda (C.I.J. Recueil 1981, p. 23; C.I.J. Recueil 1984, p. 90), M. Ago (ibid., p. 115, 1984),
M. Sette-Camara (ibid., p. 71, 1984), M. Schwebel (ibid., p. 35, 1981; ibid., p. 131, 1984),
Sir Robert Jennings (ibid., p. 148, 1984), M. Mbaye (ibid., p. 35, 1984), même M. Nagendra Singh
(C.I.J. Recueil 1984, p. 31), ont déclaré de manière non équivoque que cette condition n'est pas
requise lorsqu'il s'agit d'une intervention véritable, propre ou strictement limitée.
7. Le Nicaragua partage sans aucun doute cette dernière opinion. En ayant strictement limité
l'objet de son intervention et prouvé que ses intérêts juridiques peuvent être affectés par la décision
de la Cour, l'autorisation demandée ne peut pas dépendre de l'existence d'une base de compétence
spéciale entre l'intervenant et les Parties. Sa couverture figure dans le Statut lui-même. "De l'avis
du Gouvernement du Nicaragua", dit-on dans la requête :
"l'article 62 du Statut de la Cour, qui est l'instrument de base, n'exige pas un titre de
compétence distinct... Les dispositions de l'article 81 du Règlement de la Cour ne sauraient
modifier les termes du Statut, qui sont clairs; d'ailleurs il n'est pas dit à l'article 81 qu'il doit y
avoir une base de compétence. L'article 62 offre donc en lui-même une base de compétence
suffisante."
8. En ce qui concerne ce point et la démarche du Nicaragua, les Parties au différend ont
adopté diverses positions.
Le Honduras affirme qu'il ne partage pas les arguments exposés par le Nicaragua; toutefois, il
avoue qu'il ne souhaite pas s'opposer, pour cette cause, à la requête, et qu'il se montre prêt à retirer
toute objection basée sur elle (p. 7-8).
En ce qui concerne l'autre Partie, El Salvador maintient l'exigence d'un lien juridictionnel
valable comme condition pour autoriser l'intervention et, étant donné que ce lien n'existerait pas entre
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El Salvador et le Nicaragua, il en conclut que la requête doit être aussi rejetée pour cette raison.
El Salvador entend - il n'y a pas d'autre argument pertinent dans les deux pages qu'il consacre à ce
point - que l'article 81, paragraphe 1, alinéa c), du Règlement de la Cour "indique clairement que
l'article 62 du Statut ne constitue pas en lui-même le lien de juridiction nécessaire pour entrer dans
les mérites des prétentions de l'intervenant" (par. 10).
Maintenant, le Nicaragua doit donc revenir sur cette question pour éclaircir et élargir les
arguments soutenant sa propre position.
9. Il faut avant tout rejeter l'interprétation faite par El Salvador de l'article 81, paragraphe 1,
alinéa c), du Règlement de la Cour. Cette disposition, comme il a déjà été indiqué, a été inclue au
Règlement lors de la réforme de 1978 pour doter justement la Cour de la meilleure information
possible en vue, compte tenu de l'objet de l'intervention, de se prononcer sur la requête. Il s'agissait
précisément d'éviter qu'à travers l'institut de l'intervention un Etat introduise un différend distinct,
bien que connexe, de celui soumis par les parties, qui n'aurait pu être porté à titre principal parce
qu'il n'avait pas une base suffisante de compétence. Propos qui devient plus clair si nous tenons
compte du fait que le nouvel alinéa c) a suivi le nouvel alinéa b), par lequel l'on dispose que le
requérant devait indiquer "l'objet précis de l'intervention". "Il y a un lien" a remarqué M. Mbaye,
"entre l'exigence d'un lien juridictionnel et l'exigence de l'indication de l'objet de l'intervention"
(op. ind., arrêt du 21 mars 1984, C.I.J. Recueil 1984, p. 44).
Car, même si celui-ci n'avait point été le propos de la disposition, sinon au contraire celui que
suggère El Salvador, son intention aurait été vaine parce que, compte tenu des règles plus
élémentaires, il faut reconnaître qu'on ne peut imposer, par voie réglementaire, aucune condition
n'étant imposée par l'article 62 du Statut. Il y a beaucoup d'autorités dans la Cour qui se sont
prononcées dans ce sens (cf. M. Sette-Camara, op. diss., arrêt du 21 mars 1984, par. 30;
Sir Robert Jennings, op. diss., arrêt du 21 mars 1884, par. 12; M. Mbaye, op. ind.,
C.I.J. Recueil 1984, p. 44; M. Ago, op. diss., ibid., par. 6; M. Schwebel, op. diss., ibid., par. 36).
Le libellé même de l'article 81, paragraphe 1, alinéa c), du Règlement de la Cour soutient
notre critère, puisqu'en parlant de "toute base de compétence" et non pas de "la base de compétence"
et en employant le verbe au conditionnel ("toute base de compétence qui... existerait... "), on en
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déduit qu'il ne s'agit pas d'une exigence absolue, mais d'une exigence liée au cas de l'intervention que
nous avons appelée impropre.
10, Il est évident que le fondement de la juridiction de la Cour est dans le consentement des
parties, un principe essentiel que l'article 36 du Statut concrétise dans ses différentes manifestations.
Précisément, l'intervention prend comme prémisse que la Cour a affirmé sa compétence sur le
différend à propos duquel l'intervention est établie. Si la Cour, d'office ou à l'instance d'une partie,
décide être dépourvue de compétence, cette décision entraînerait inévitablement la requête à fin
d'intervention. L'intervention que nous avons appelée véritable, propre ou strictement limitée,
s'appuie sur la compétence de la Cour sur l'affaire principale. Elle vit par et grâce à elle. Elle est
dépourvue de vie indépendante. Elle tourne autour d'elle. C'est son satellite. L'intervenant reste
toujours dans les limites du litige, il ne prétend pas que ses prétentions soient reconnues et imposées
aux parties mais uniquement que la solution octroyée à son différend ne lui porte atteinte de fait ou
de droit. Dans ce cas, M. Mbaye a dit :
"Les Parties n'ont pas à se plaindre puisqu'on ne leur impose pas d'être en
différend avec un autre Etat, dans le sens de l'article 36 du Statut. Le principe du
consentement des Etats ne serait donc pas violé. La seule obligation faite aux Etats
parties serait [comme dans le cas de l'article 63] de tolérer la présence d'un Etat tiers.
Cela - ajoute M. Mbaye - me paraît juste et normal. Les Etats qui ont pris l'initiative de
porter devant la Cour une affaire en vue d'une décision susceptible de porter atteinte
aux intérêts d'un Etat tiers ... n'ont pas plus de mérite à être protégés contre la
juridiction obligatoire que l'Etat tiers lui-même". (Op. ind., arrêt du 21 mars 1984,
C.I.J. Recueil 1984, p. 45.)
11. "Lorsqu'un Etat estime que, dans un différend, un intérêt d'ordre juridique est pour lui en
cause, il peut adresser à la Cour une requête à fin d'intervention. La Cour décide." C'est cela - et
seulement cela - ce dont dispose l'article 62 du Statut en accueillant l'institut de l'intervention.
"L'article 62", comme l'a souligné M. Schwebel, "ne dit rien de la compétence, soit dans le texte
d'origine, soit - il est utile de le rappeler - dans le texte amendé de 1945" (op. diss., arrêt du
14 avril 1981, C.I.J. Recueil 1981, p. 40; voir aussi M. Sette-Camara, op. diss., 21 mars 1984,
par. 14-16). Les Etats qui soumettent un différend à la Cour, savent à quoi s'en tenir, ils consentent
une procédure - celle de la Cour - qui comprend l'éventuelle intervention d'un autre Etat, toujours
selon les termes du différend soumis par les parties principales.
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L'intervention est, en définitive, un incident dans la procédure principale. La Cour l'a rappelé
dans l'affaire Haya de la Torre (arrêt du 13 juin 1951, C.I.J. Recueil 1951, p. 70). C'est pourquoi
l'article 62 se trouve au chapitre III du Statut (Procédure) et non au chapitre II (Compétence de la
Cour). La compétence de la Cour pour connaître des incidents découle du même Statut,
indépendamment du consentement des parties à l'affaire principale. Ce classement de l'intervention
dans le cadre des procédures incidentes est, a dit M. Ago, "une constatation essentielle dont l'effet ne
peut être que déterminant" (op. diss., arrêt du 21 mars 1984, par. 8). Une fois que l'on se trouve en
présence d'une affaire en cours et à propos de laquelle la compétence à statuer est déjà établie :
"les dispositions du Statut concernant le déroulement du procès, les éventuels incidents de
procédure et les procédures incidentes qu'ils provoquent ... s'appliquent automatiquement. Et
l'Etat tiers qui entendrait se prévaloir de l'une de ces dispositions n'a pas besoin, pour qu'il lui
soit permis de le faire, d'obtenir un acte de consentement spécial de la part des parties au
procès principal, ni la Cour de s'assurer de l'existence d'un titre spécial de compétence."
(Ibid., par. 9.)
Soumettre à la Cour un différend revient à consentir, du point de vue de la compétence, à
l'intervention dont l'objet ne dépasse pas les limites de ce différend.
12. Cette intervention est justifiée à travers la connexion intime qui existe entre son objet et
l'objet du litige. La compétence sur l'intervention, accessoire à la compétence sur le différend qui la
provoque, est une conséquence nécessaire de celle-ci, "Une telle institution" a observé
M. Sette-Camara, en évoquant les travaux du comité consultatif de juristes de 1920, "ne pouvait être
laissée de côté dans l'organisation procédurale que l'on était en train d'édifier comme premier essai de
création d'un organe judiciaire permanent en droit international" (op. diss., arrêt du 21 mars 1984,
par. 5).
La Cour, en effet, est un organe judiciaire, et pas autre chose. Il ne faut pas l'oublier. Les
parties ne peuvent pas tirer des règles de la Cour ce qui leur convient uniquement en rejetant le reste,
à moins de disposer d'une base statutaire pour ce faire. La circonstance par laquelle le Règlement a
essayé de rendre plus attrayant le recours à la Cour par la voie du compromis, en accordant aux
parties certains droits dont la compatibilité avec la Charte des Nations Unies et avec le Statut de la
Cour est, sur quelque point, très discutable, ne signifie point qu'elles puissent disposer à leur guise
des droits des Etats tiers reconnus par le Statut et conformes aux principes fondamentaux de la
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Charte. Si les parties ne souhaitent être interférées en aucune manière, en conservant l'exclusivisme
et la privacité de leurs relations, elles peuvent avoir recours à d'autres remèdes, à savoir celui de
l'arbitrage. La Cour ne peut se dépouiller de ce qu'elle symbolise, car ce qu'elle symbolise est aussi
recherché par les parties.
13. En définitive, du consentement des Parties dépend la compétence de la Cour dans le
différend frontalier terrestre, insulaire et maritime soumis par El Salvador et le Honduras à travers le
compromis du 24 mai 1986. L'intervention du Nicaragua en ce qui concerne un aspect de ce
différend dépend du Statut. Les conditions de cette intervention et des pouvoirs de la Cour sont
établies par l'article 62. Un point c'est tout.
S'il était nécessaire pour cela l'existence d'un lien juridictionnel, l'intervention perdrait sa
signification naturelle pour devenir une simple commodité de procédure au service de ceux qui sont
aussi en mesure d'introduire une instance normale contre les autres parties. Beaucoup de juges se
sont prononcés dans ce sens (voir M. Sette-Camara, op. diss., arrêt du 21 mars 1984, par. 90; aussi
M. Schwebel, op. ind., arrêt du 14 avril 1981, C.I.J. Recueil 1981, p. 40, et op. diss., arrêt du
21 mars 1984, par. 35). Ainsi renfermée, l'intervention ne pourra que "s'étioler", comme l'a dit
M. Oda, pour qui, en particulier, faire dépendre l'intervention de l'existence d'un lien juridictionnel
risquerait d'aboutir à un résultat déraisonnable quand un droit erga omnes, comme par exemple la
délimitation d'une frontière territoriale, est en cause (op. ind., arrêt du 14 avril 1981, par. 9;
op. diss., arrêt du 21 mars 1984, par. 8),
"Si l'objet de la requête rentre dans le champ de l'article 62 [le même M. Oda a
conclu], il suffit au requérant d'indiquer quel intérêt juridique est pour lui en cause dans
le litige entre les parties, indépendamment des conditions de procédure de l'article 81,
paragraphe 2, du Règlement." (Op. diss., arrêt du 21 mars 1984, par. 36; voir aussi,
sir Robert Jennings, op. diss., ibid., par. 5.)
C'est dans ce sens que le Nicaragua affirme dans sa requête que l'article 62 offre donc en
lui-même une base de compétence suffisante". C'est aussi dans ce sens, qu'il faut comprendre
l'affirmation indiquant que le Statut est un traité en vigueur aux effets de l'article 36. On ne prétend
pas dire par là, comme déraisonne délibérément le Honduras, que tout Etat, par le simple fait d'être
partie au Statut, se soumet à sa juridiction, mais que la juridiction étant établie par l'une des voies
dont dispose l'artilce 36, les prescriptions du Statut qui ont une incidence à son exercice sont
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également consenties.
14. La conclusion du Nicaragua sur ce point est appuyée et renforcée lorsque l'article 62 est
analysé à la lumière d'autres précepts pertinents du Statut. A savoir, les articles 63 et 53.
L'artilce 63 règle l'autre manifestation de l'intervention reprise par le Statut. Selon une
opinion pacifique, sa mise en oeuvre ne dépend pas de l'existence d'un lien juridictionnel entre le
requérant et les parties au litige. L'intervention étant une institution unique (voir M. Ago, op. diss.,
arrêt du 21 mars 1984, par. 7, note 1), avec deux manifestations enregistrées dans deux articles
"rigoureusement parallèles" (sir Robert Jennings, op. diss., arrêt du 21 mars 1984, par. 26), il
devient obligatoire de reconnaître l'opportunité de l'analogie, le cas échéant, non pas pour élargir le
contenu de la règle, mais pour confirmer l'interprétation d'un texte (voir Ch. De Visscher, Problèmes
d'interprétation judiciaire en droit international public, Paris, Pedone, 1963, p. 38 et suiv.).
Alors, indépendamment de l'utilité de l'argumentation analogique pour interpréter sous toute
son étendue le concept d'intérêt d'ordre juridique qu'un Etat tiers estime être en cause pour lui dans
un différend (voir M. Oda, op. ind., arrêt du 14 avril 1981, par. 15 et suiv.; op. diss., arrêt du
21 mars 1984, par. 29 et suiv.) il faut affirmer que si l'intervention à l'égard de l'article 63 ne
requiert pas de lien juridictionnel entre le requérant et les parties en litige ce n'est pas non plus requis
dans le cas - symétrique selon M. Schwebel - de l'article 62 (op. diss., arrêt du 14 avril 1981,
C.I.J. Recueil 1981, p. 40; op. diss., arrêt du 21 mars 1984, par. 30-31). Des situations qui relèvent
d'exigences juridiques identiques ne doivent pas se voir attribuer un traitement inégal.
15. Voyons maintenant l'article 53 du Statut, placé comme les articles 62 et 63 au chapitre III.
Il dipose que :
"Lorsqu'une des parties ne se présente pas, ou s'abstient de faire valoir ses
moyens, l'autre partie peut demander à la Cour de lui adjuger ses conclusions" (par. 1),
en ajoutant tout de suite après que :
"La Cour, avant d'y faire droit, doit s'assurer non seulement qu'elle a compétence
aux termes des articles 36 et 37, mais que les conclusions sont fondées en fait et en
droit." (Par. 2.)
Il est évident que cette dernière disposition serait superflue dans le cas où l'on considère que le
Statut ne contient pas de dispositions directement attributives de compétence sans la nécessité
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expresse de l'affirmer. C'est précisément parce que ce n'est pas ainsi, que l'article 53 prescrit, dans
ce cas spécifique, une vérification de la compétence conformément aux article 36 et 37. Dans un
argument a contrario, cette vérification n'est pas nécessaire dans des cas d'intervention.
"Si le lien juridictionnel était nécessaire à l'application de l'article 62, le Statut ne
contiendrait-il pas dans ce cas une disposition semblable ?",
s'est demandé M. Sette-Camara, comme recours rhétorique pour introduire une réponse affirmative
qu'il qualifie lui-même de claire (op. diss., arrêt du 24 mars 1984, par. 78-79).
16. La circonstance pour laquelle le différend objet de l'intervention a été soumis à la Cour - et
à une chambre spéciale - en vertu d'un compromis n'altère pas notre conclusion.
Nous devons partir du principe que la soumission d'une affaire à la Cour par compromis
n'annule ni ne limite statutairement l'intervention. La Cour elle-même a expressément affirmé que :
"Dans une affaire soumise par compromis, c'est ce compromis, consacrant le
consentement des parties au règlement de leur différend par la Cour, qui indique a
celle-ci l'étendue de son action,"
mais elle ajoute immédiatement après que, dans son domaine :
"Etant inscrite au Statut, la possibilité de l'intervention subsiste naturellement
dans toutes les instances introduites par un compromis." (Arrêt du 21 mars 1984,
par. 38.)
Les parties ne peuvent prétendre que le compromis leur suffit pour empêcher qu'un tiers
n'intervienne dans un différend qui met en cause ses intérêts juridiques; ou en d'autres termes,
qu'elles disposent d'un droit de veto comme a dit M. Sette-Camara (cf. M. Sette-Camara op. diss.,
arrêt du 21 mars 1984, par. 83).
Le critère de la Cour est celui-ci. Rappelons :
"Si la Cour attache une grand importance à l'élément de la volonté des Etats ...
pour définir la portée d'un différend soumis à la Cour, il convient de rappeler qu'en
vertu du paragraphe 2 de l'article 62 'la Cour décide' et que l'opposition des parties en
cause, quoique très importante, n'est qu'un élément d'appréciation parmi d'autres."
(Ibid., par. 46.)
La volonté des parties au différend ne peut être la volonté de Jupiter, une norme
constitutionnelle quant au fonctionnement de la Cour et de ses organes, à moins que leurs esprits
aient été définitivement possédés par celui du Tribunal permament d'Arbitrage qui fréquente ce
palais.
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Ceci dit, les considérations pragmatiques sur l'effet dissuasif qu'aurait, quant à la saisine de la
Cour, le fait d'autoriser l'intervention dans les affaires introduites par compromis sont en trop
(cf. M. Jiménez de Aréchaga, op. ind., arrêt du 21 mars 1984, par. 28). Je ne pense pas que la Cour
doit être vue comme un supermarché de la justice internationale faisant la concurrence à d'autres
institutions.
17. Une dernière réflexion, à propos de la soumission d'un différend par la voie d'un
compromis à une chambre spéciale. Si dans le cas d'une intervention strictement limitée, comme
celui posé par le Nicaragua, l'on exige un lien de juridiction entre le requérant et les parties,
l'entraînement d'un Etat tiers à un organe composé en fonction des convenances des parties ne
perdrait-il pas son fondement ? S'il existe un élément qui explique la soumission d'une requête à fin
d'intervention devant une Chambre composée sous l'influence décisive des parties, c'est précisément,
celà : que le requérant doit se soumettre à la compétence incidente intrinsèque que les règles
procédurales reconnaissaient à l'organe compétent sur l'affaire principale (cf. ordonnance
du 28 février 1990). Il serait inadmissible que, par surcroît, pour sauvegarder ses intérêts juridiques,
il doive compter sur le consentement des parties au différend.
Monsieur le Président, je suis à votre disposition pour poursuivre ou pour m'arrêter
maintenant.
LE PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Professor, the Chamber is going to take a short break
now and we will resume at 4.30 p.m.
L'audience est suspendue de 16 h 10 à 16 h 30.
The PRESIDENT OF THE CHAMBER: Please be seated. Professor Remiro.
M. Antonio REMIRO BROTONS : Monsieur le Président, avant la pause, j'arrive à la fin de
la deuxième partie de mon exposé et maintenant j'aborde le troisième et dernier volet.
III. Convenance de l'intervention du Nicaragua
1. Est-il impossible de sauvegarder les droits d'un pays tiers, c'est-à-dire, d'éviter qu'ils soient
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en cause ou atteints par la décision de la Cour sur le différend soumis par les parties, sans que cela
implique nécessairement sa reconnaissance au détriment de leurs prétentions et, par conséquent, sans
introduire un nouveau différend dont la Cour n'aurait pas de juridiction ?
Faut-il soutenir qu'un objet comme celui qui a été conçu pour l'intervention du Nicaragua
s'efface dans la réalité des choses et se transforme, telle une momie qui devient poudre au contact de
l'air ?
Pour paraphraser M. Ago, est-ce impossible que les zones grises restent grises ? (Op. diss.,
arrêt du 21 mars 1984, par. 17.)
2. La Cour s'est ainsi prononcée en 1984 lorsque, devant la requête de l'Italie, elle parvint à la
conclusion de la rejeter.
Selon El Salvador, qui cite largement l'arrêt, ce précédent est "entièrement applicable" à notre
cas (par. 12-13).
3. La Cour, cependant, ne prétendit pas établir un précédent, mais au contraire, trancher un
cas en fonction de ses circonstances particulières. Mais en dépit de cela, nous devons remarquer que
si les précédents doivent nous illuminer ils ne doivent point nous éblouir, que s'ils nous orientent ils
ne doivent point nous contraindre, et nous devons nous en détacher lorsque nous parvenons à la
conviction qu'au lieu de nous mettre sur le bon chemin, ils nous égarent.
Rappelons César dans les ides de mars. Lorsqu'il s'effondre trente-cinq fois poignardé, dont
un seul coup mortel, celui de Brutus, Marc Antoine, de Shakespeare, affirme au Capitole, pour
insister sur la dimension de l'erreur commise, que "Malgré tout, Brutus est un homme honorable".
Ce fut d'ailleurs la conviction qui prit corps au sein d'une solide minorité de cinq juges, et
même, d'un juge de la majorité (M. Mbaye) qui ont voulu échapper au "cercle vicieux" (selon
l'expression de M. Oda, op. diss., arrêt du 21 mars 1984, par. 19) dans lequel la Cour s'est engagée.
Lesdits juges ont exprimé leurs raisons dans des opinions bien construites annexées à l'arrêt, des
raisons confirmées par le temps - et avec ce temps, par l'arrêt rendu sur le fond de l'affaire le
3 juin 1985.
4. Si nous généralisions, en hypothèse, la doctrine implicite à l'arrêt du 21 mars 1984 nous
nous trouverions devant les conséquences suivantes, particulièrement négatives :
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a) nous viderions de son contenu le droit d'intervention de l'article 62 du Statut, mis au service
exclusif des interventions impropres (cf. M. Sette-Camara, op. diss., par. 90; M. Oda,
op. diss., par 33; M. Schwebel, op. diss., par. 10; sir Robert Jennings, op. diss., par. 19);
b) nous enlèverions la nature de l'instance que nous sommes en train de vivre, en lui transférant
les aspects essentiels de la véritable intervention, strictement limitée. La procédure articulée
pour résoudre la requête à fin d'intervention remplacerait l'intervention proprement dite.
El Salvador semble vouloir nous proposer (par. 8, al. 2) de nous en contenter de la sorte.
Mais, comme l'a dit M. Ago,
"le remplacement d'une procédure expressément prévue par le Statut, et devant se
dérouler dans les formes appropriées, par une sorte de procédure provisoire et
sommaire, aux résultats véritablement approximatifs, me paraît constituer une
déformation absolument arbitraire et, en définitive, une violation difficilement
contestable de l'article 62" (op. diss., arrêt du 21 mars 1984, par. 22).
c) Etant donné que, même sans intervention, l'organe qui disposerait des intérêts juridiques d'un
pays tiers n'exercerait pas correctement l'administration de la justice, la Cour, en se
prononçant sur l'objet du litige, va se trouver dans l'obligation de restreindre la portée de sa
décision sans tenir compte de l'information qui, ayant été fournie par l'intervenant,
augmenterait la probabilité de sa réussite et, tout en contraignant le pays tiers, limiterait l'effet
relatif de la chose jugée.5. Si la Cour a rejeté jusqu'à présent toutes les requêtes à fin
d'intervention - motivée par l'hostilité des parties et par sa dévotion à la procédure comme
s'agissant d'un jeu exclusivement bilatéral - il est vrai aussi qu'en se prononçant sur le fond du
litige elle a fini par satisfaire l'objet des interventions frustrées.
La Cour le promettait ainsi en rejetant les requêtes de Malte et d'Italie (arrêts du
14 avril 1981, par. 35, et du 21 mars 1984, par. 40) et les arrêts sur le fond des deux affaires le
confirmaient ainsi (arrêts du 24 février 1982 sur la Délimitation du plateau continental
(Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), et du 3 juin 1985 sur la Délimitation du plateau continental
(Jamahiriya arabe libyenne/Malte). Nous pouvons dire de ce dernier arrêt qu'il a permis à l'Italie de
régner après sa mort.
On a l'impression, à la limite paradoxale, que la Cour, même sans l'avouer, s'est vue d'abord
poussée à immoler la requête sur l'autel du consentement des parties, pour essayer ensuite de
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satisfaire la prétention raisonnable du requérant déçu en réduisant de manière draconienne l'objet du
litige dont on finirait, en fin de compte, par responsabiliser les parties (cf. arrêt du 21 mars 1984,
par. 43).
6. Mais, où peut-on trouver la vertu d'un tel comportement ? En se référant à ce cas, sir
Robert Jennings a mis en évidence l'impasse "fort gênante" où la Cour se trouve nécessairement
quand les parties à une instance lui demandent de statuer sur une question de nature à mettre en
cause les droits d'une tierce partie. Puisqu'elle ne peut se prononcer sur un différend sans le
consentement de tous les Etats directement intéressés, la Cour se trouve devant le dilemme d'avoir à
choisir entre admettre l'intervention strictement limitée du pays tiers ou refuser purement et
simplement de se prononcer (par. 20-21).
7. Si l'arrêt du 21 mars 1984 établit un précédent, il s'agit d'un mauvais précédent. Mais il
n'en est pas un : 1) parce que la Cour s'en est expressément tenue à trancher le cas concret en
fonction de ses circonstances (cf. par. 32); et 2) parce que les circonstances figurant dans la requête
du Nicaragua sont distinctes. Comme l'a brillamment démontré mon collègue M. Brownlie.
Et si la requête italienne répondait, selon l'avis de certains juges, au type d'interventions prévu
à l'article 62 du Statut, au point d'y entrer, comme l'indique M. Ago, "presque comme dans un
vêtement taillé sur mesure" (par. 11), que dire de la requête du Nicaragua ?
8. Franchement, le Nicaragua estime qu'avec ou sans son intervention la Chambre ne pourra
pas entrer dans la détermination de la situation juridique des espaces maritimes du golfe et adjacents
parce que, si elle le fait, elle mettrait nécessairement en cause ses intérêts juridiques. C'est pourquoi
dans la requête il a été question d'une intervention de plein droit (par. 18).
Si la Chambre admet l'intervention du Nicaragua, elle pourra exercer plus efficacement la
fonction judiciaire, car elle aura davantage et de meilleurs éléments de jugement pour trancher, et
puisque notre intention n'est pas de dénaturaliser la présente instance en anticipant des éléments de
fond, elle pourra ainsi étendre à l'intervenant le caractère obligatoire de sa décision.
Si la Chambre n'admet pas l'intervention du Nicaragua il faudra procéder proprio motu, avec
moins de lumières, dans la même direction. Si la Cour n'est pas en mesure, sans le consentement des
Parties, de reconnaître des droits d'Etats tiers au détriment des prétentions des Parties, elle ne pourra,
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non plus, sans le consentement de l'Etat tiers, attribuer aux Parties des droits revendiqués par le tiers.
Et si les Parties n'ont pas consenti la juridiction avec le Nicaragua, le Nicaragua n'a pas consenti,
non plus, la juridiction avec les Parties.
9. La conception de la Cour en tant qu'institution judiciaire, toujours appréciée par le Statut et
par la Charte des Nations Unies (art. 92) exclut qu'une Chambre de la Cour doive s'en tenir sans
critique à l'objet du litige tel qu'il est conçu dans le compromis pour décider, comme le soutient
El Salvador (par. 21). Si elle procède de la sorte, la Cour pourrait être impliquée par les parties
dans une authentique usurpation des droits d'un Etat tiers. A cet effet, rappelons que dans l'affaire
du Cameroun septentrional la Cour a emphatiquement affirmé : qu'"il y a des limitations inhérentes
à l'exercice de la fonction judiciaire dont la Cour, en tant que tribunal, doit toujours tenir compte"
(C.I.J. Recueil 1963, p. 29).
10. Sir Robert Jennings a exposé avec une particulière clarté les pôles du dilemme : "lorsqu'un
Etat qui n'est pas partie à l'instance possède des droits afférents à l'objet du différend, le fait que le
consentement soit indispensable pour que la Cour puisse exercer sa compétence joue dans les deux
sens" (par. 3).
Pour cette raison, le Nicaragua a invoqué dans sa requête (par. 11, 12 et 21) les importantes
déclarations de principe formulées dans l'arrêt rendu par la Cour en l'affaire de l'Or monétaire, où
l'on affirme de manière précise que "la Cour ne peut exercer sa juridiction à l'égard d'un Etat si ce
n'est avec le consentement de ce dernier" et il est dit que lorsque les intérêts juridiques d'un Etat tiers
constituent l'objet même d'une décision, rien n'autorise à poursuivre la procédure sans sa présence
(C.I.J. Recueil 1954, p. 32).
Est-il possible que deux Etats soumettent à une chambre spéciale de la Cour, sans la présence
d'un Etat tiers, la détermination de la situation juridique d'un espace comme celui du golfe de
Fonseca qu'une Partie présente comme un condominium et l'autre comme une communauté d'intérêts
des trois pays riverains ? Serait-ce le résultat d'une bonne administration de la justice et de la
correcte interprétation de la fonction jdiciaire le fait que la Chambre affirme sa compétence sur la
base du consentement de ces deux Etats et sans tenir compte de l'Etat tiers, alors que ces mêmes
Parties parlent dans leurs mémoires, contre-mémoires et répliques de l'étroit voisinage et de
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l'interdépendance de tous, dont le territoire cotoie les eaux intérieures d'une baie fermée ? Est-ce
que ces propositions sont compatibles avec la sauvegarde des droits du Nicaragua ? A notre avis, il
serait abusif de se servir de la juridiction pour affirmer un régime objectif qui intéresse trois Etats
par le truchement d'un arrêt qui formellement n'oblige pas tous.
Le Nicaragua affirme, en conséquence, que la Chambre ne peut se prononcer sur un aspect de
l'objet au litige tel que cela a été formulé par les Parties dans le compromis du 24 mai 1986 et
interprété dans leurs mémoires, contre-mémoires et répliques car, si elle procède de la sorte, elle
serait en train de disposer des droits du Nicaragua dont la présence, sur un même pied d'égalité avec
les Parties, s'avère indispensable pour déterminer la situation juridique des espaces maritimes dans le
golfe de Fonseca et adjacents.
11. En examinant la situation sous cette perspective, compte tenu des intérêts juridiques du
Nicaragua dans les circonstances de l'espèce, l'on remarque le caractère constructif de sa requête à
fin d'intervention. Ne pouvant ni être obligé à intervenir ni être réclamé par la Cour il aurait très
bien pu attendre tranquillement assis devant chez lui et voir passer le cadavre de son ennemi. Il ne
l'a pas fait.
El Salvador soutient que les intérêts juridiques du Nicaragua ne seraient en aucun cas mis en
cause par la décision de la Cour parce qu'ils seront sauvegardés en l'espèce par l'article 59 du Statut
qui prévoit l'effet relatif de la sentence (par. 6 de ses observations).
Cette opinion ne peut être acceptée. Tout d'abord, parce que si nous l'acceptons, l'article 62
qui avait été adopté en tenant compte de l'existence de l'article 59 serait dépourvu de sens et sans
effet utile; car en effet, jamais une décision de la Cour ne pourrait mettre en cause l'intérêt juridique
d'un Etat tiers. Un grand nombre d'autorités soutiennent cette proposition à la Cour
(M. Sette-Camara, op. diss., arrêt du 21 mars 1984, par. 81; M. Oda, op. diss., ibid., par. 28;
M. Schwebel, op. diss., ibid., par. 9-10; sir Robert Jennings, op. diss., ibid., par. 34; voir aussi
M. Mbaye, op. ind., ibid., p. 46).
13. Ensuite, la limitation du caractère obligatoire de la décision aux Parties ne peut cacher son
incidence matérielle sur la position et les essais expectatifs des Etats tiers. De là précisément
l'article 62 du Statut. Je ne voudrais pas encore lasser la Chambre avec une liste d'autorités qui
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soutiennent cette observation.
Dans la pratique, qu'il s'agisse de l'arrêt ou de ses motifs, ils jouissent d'une large répercussion
en illuminant le futur comportement prévisible des organes d'application et en offrant un puissant
argument dans toute négociation internationale, compte tenu de son autorité morale et de son
influence psychologique. Et j'en dirais même plus. La présence de l'Etat tiers devant la Cour pour
lui soumettre son différend serait en question lorsque la satisfaction de sa demande obligerait la Cour
à prononcer des décisions contradictoires.
L'intervention est un mécanisme conçu pour garantir le contenu minimum du droit à la défense
et le risque de porter atteinte, de fait, à un Etat tiers constitue une raison plus que suffisante pour
autoriser son intervention.
14. Soulignons que ce sont précisément les arrêts rendus sur les différends territoriaux les plus
enclins à produire, du moins de fait, des effets ultra partes. L'"intérêt qu'un Etat tiers peut avoir à se
réclamer un titre dans une région donnée" a dit M. Oda,
"ne peut échapper aux effets d'une décision par laquelle la Cour attribue ce titre à l'un ou
l'autre des Etats parties à l'instance principale. Et, je l'ai déjà dit, on ne saurait voir dans
l'article 59 du Statut la garantie que l'arrêt rendu par la Cour dans une affaire où il s'agit d'un
titre opposable à tous restera sans effet sur les prétentions d'un Etat tiers invoquant ce même
titre." (Op. diss., arrêt du 21 mars 1984, par. 37; voir aussi M. Sette-Camara, op. diss., ibid.,
par. 82; sir Robert Jennings, op. diss., ibid., par. 30-34.)
Ce n'est pas un hasard que la pratique de l'intervention sur la base de l'article 62 du Statut s'est
centrée au cours des dernières années dans des cas de délimitation territoriale et, concrètement,
maritime, parce que les prétentions de plus de deux Etats confluent dans des espaces fermés ou à
demi-fermés.
Dans notre cas, si la Cour satisfaisait le petitum des Parties sans tenir compte des intérêts
juridiques du Nicaragua, il serait absolument insuffisant d'arborer l'article 59 du Statut ou de mettre
expressément à l'abri le meilleur titre du tiers pour empêcher le très grave préjudice matériel et
politique causé aux positions juridiques du Nicaragua dans le golfe de Fonseca et dans les espaces
adjacents de son versant océanique.
Prétendre que la Cour, comme le veut El Salvador, se prononce en disant que le golfe est un
condominium à trois dont les effets retombent sur deux peut dénoter un sens de l'humour mais pas un
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sens juridique, ce dont manquait précisément la cour centraméricaine qui eut la bonne idée de
soutenir ce propos dans l'arrêt, nul par définition, du 9 mars 1917. L'une des Parties, la République
du Honduras, admet qu'"il est difficile de nier l'existence de trois Etats littoraux dans le golfe, et qu'il
est inconcevable que les eaux puissent être un condominium à l'égard de deux d'entre eux, mais pas à
l'égard du troisième.
Dans une telle situation l'approche bilatérale de l'affaire devient manifestement insuffisante
pour résoudre cette controverse et, d'une certaine manière, lorsqu'on la propose, cela peut
parfaitement répondre à une politique visant à prédéterminer la solution des problèmes en cours avec
un tiers.
15. L'admission de la requête du Nicaragua aura des conséquences procédurales. Il est
évident. Le Nicaragua a fait, dans ce sens, quelques avertissements (par. 23) qui ont été contestés
par les Parties (cf. Honduras, p. 2, 8-9; El Salvador, par. 16 et ss., 22), en se servant l'une d'elles,
d'un langage certainement pas doux.
Nous ne pensons pas que ce soit là un débat à tenir ici, d'autant plus si nous considérons que
l'ordonnance de la Cour du 28 février 1990 sépara clairement ces deux questions. Tel que le
Honduras le fait savoir, les conséquences de l'intervention n'ajoutent rien au problème principal, à
savoir à la question de décider si le Nicaragua doit être ou non autorisé à intervenir (p. 2).
L'examen de la requête du Nicaragua ne doit pas être perturbé par l'évaluation prématurée de
ses conséquences. La Chambre devra se prononcer sur la requête dans ses propres termes et son bon
sens doit s'en tenir exclusivement aux conditions établies par l'article 62 du Statut (cf.
sir Robert Jennings, op. diss., arrêt du 21 mars 1984, par. 9).
Néanmoins, nous voulons remarquer sur ce point que le Nicaragua n'entend sauvegarder que
les droits qui lui sont reconnus par le Statut et le Règlement de la Cour en tant qu'intervenant, et pas
d'autres, de sorte que le principe d'égalité et le simple respect procédural soient pris en considération.
La requête ayant été présentée dans le délai réglementaire, il n'est pas justifiable que l'une des
Parties - El Salvador - affirme que le Nicaragua n'est pas dans le temps "out of time" pour réclamer
les conséquences procédurales dérivées de l'admission de sa requête d'intervention.
16. Et bien, j'arrive à la fin. Telles que les choses se déroulent dans le monde, on a
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l'impression que le principe de non intervention, soumis à tant de frustrations sous sa dimension
substantive en raison du comportement de certains Etats, aurait recherché une sorte de compensation
aberrante en se déplaçant au niveau procédural.
En effet, nous avons l'impression que quelle que soit la présentation faite par le requérant, la
Cour trouvera toujours une argumentation pour la rejeter, que la série de formules qui ne lui plaisent
pas est inépuisable et que celles qui pourraient lui plaire ne sont pas connues ou n'ont pas été
découvertes.
Compte tenu de la pratique suivie jusqu'à présent nous comprenons que les recours aux
métaphores du langage puissent arriver à des tons pathologico-funéraires. Si bien M. Oda
diagnostiquait l'étiolement de l'intervention (op. ind., arrêt du 14 avril 1981, par. 9; op. diss., arrêt
du 21 mars 1984, par. 8), M. Mbaye, faisant un pas de plus, annonçait sa "mort par dépérissement"
(op. ind., arrêt du 21 mars 1984, p. 54), ce qui expliquait, à son tour, que M. Ago entendait "sonner
le glas" de l'institution (op. diss., arrêt du 21 mars 1984, par. 22).
Victime d'un ensorceleur que ses parents ne voulurent pas (cf. M. Sette-Camara, op. diss.,
arrêt du 21 mars 1984, par. 2 ; M. Ago, op. diss., ibid., par. 22; M. Schwebel, op. diss. ibid.,
par. 39), la longue nuit de cette Belle au bois dormant pourrait bien en finir, cependant, si cette
Chambre se décidait à lui redonner la vie. Que ce soit en raison de ces caractéristiques objectives ou
en raison de toutes les circonstances qui l'entourent il ne se produira jamais un autre cas qui s'y prête
mieux. Quand bien même ce serait pour que l'intervention fasse dans la procédure contentieuse
internationale le vol, l'unique vol, de petites créatures qui suivent consciencieusement l'abeille reine.
J'en ai ainsi terminé, Monsieur le Président, Messieurs les Membres de la Chambre, je vous
remercie très sincèrement de la patience et de la courtoise attention avec lesquelles vous avez bien
voulu suivre mes paroles malgré la longueur, dont je m'excuse, de mon exposé.
The PRESIDENT OF THE CHAMBER : I thank you Professor Remiro. We're going to
adjourn now and we will resume tomorrow at 3.00 p.m. to hear the pleading of El Salvador. The
sitting is adjourned.
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The Chamber rose at 5 p.m.
____________
Public sitting of the Chamber held on Tuesday 5 June 1990, at 3 p.m., at the Peace Palace, Judge Sette-Camara, President of the Chamber, presiding