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172-20180628-ORA-01-01-BI
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CR 2018/13 (traduction)
CR 2018/13 (translation)
Jeudi 28 juin 2018 à 10 heures
Thursday 28 June 2018 at 10 a.m.
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Le PRESIDENT Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. La Cour siège aujourd’hui pour entendre le premier tour d’observations orales des Emirats arabes unis sur la demande en indication de mesures conservatoires présentée par l’Etat du Qatar. J’appelle à la barre S. Exc. M. Saeed Ali Alnowais, agent des Emirats arabes unis. Monsieur Alnowais, vous avez la parole.
DÉCLARATION LIMINAIRE
M. ALNOWAIS :
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est pour moi un honneur et un privilège que de me présenter devant vous comme agent du Gouvernement des Emirats arabes unis en la présente audience. Je m’appelle Saeed Ali Alnowais et je suis l’ambassadeur des Emirats arabes unis auprès des Pays-Bas. Je suis accompagné aujourd’hui de S. Exc. M. Abdul Rahim Al Awadhi, ministre adjoint des affaires étrangères, et d’autres responsables et représentants de mon gouvernement. Les autorités de mon pays m’ont demandé de vous faire part du profond respect que les Emirats arabes unis ont pour la Cour en sa qualité d’organe judiciaire principal des Nations Unies, ainsi que de la fermeté de leur attachement et de leur adhésion au droit international.
2. Nous avons entendu hier un certain nombre d’allégations de la part du Qatar. Mon pays a été accusé à tort d’expulser des Qatariens dans le cadre d’une campagne menée sans distinction sous la menace de sanctions pénales et civiles. Il a été accusé à tort d’organiser une campagne de haine contre le peuple qatarien. Il a également été accusé à tort de séparer délibérément des familles. Les Emirats arabes unis rejettent entièrement ces allégations, qui sont toutes parfaitement dénuées de fondement. Le Qatar n’a présenté aucun élément de preuve crédible à l’appui de l’une quelconque de ces assertions. Sa seule preuve consiste en des déclarations anecdotiques et non vérifiées rapportées par des organisations qui se sont fondées principalement sur des informations qu’il leur a données. Aucune des organisations citées par le Qatar n’a eu l’occasion d’apprendre des Emirats arabes unis les faits véritables de l’espèce.
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3. Permettez-moi d’être clair : il n’y a pas eu d’expulsion massive de Qatariens des Emirats arabes unis, et ceux-ci n’ont certainement pas de politique visant à séparer les familles mixtes émiro-qatariennes. Au contraire, comme nous le montrerons à la Cour grâce à des données et dossiers officiels, les mesures prises par les Emirats arabes unis contre le Gouvernement qatarien sont soigneusement étudiées pour avoir le moins d’incidence possible sur les citoyens ordinaires. Je rappelle à la Cour la déclaration des Emirats arabes unis en date du 5 juin 2017, dans laquelle ceux-ci ont affirmé «qu’ils ont un profond respect et une haute estime pour leurs frères qatariens, eu égard à la proximité des peuples émirien et qatariens et des liens religieux et fraternels étroits qui les unissent historiquement»1. Les Emirats arabes unis font une distinction claire entre le Gouvernement qatarien et le peuple qatarien. Nous reconnaissons que le peuple qatarien n’est en rien responsable des politiques dangereuses menées par son gouvernement.
4. Le 5 juin 2017, les Emirats arabes unis ont mis fin à leurs relations avec le Qatar parce que celui-ci soutenait le terrorisme, s’ingérait dans les affaires de ses voisins et diffusait des discours de haine. Ils n’étaient pas les seuls2. Dix pays au moins se sont joints à eux et ont restreint leurs relations avec le Qatar ou y ont mis fin pour les mêmes raisons. Nos gouvernements ont demandé à maintes reprises au Qatar de cesser cette conduite. Si le Qatar s’est déclaré à plusieurs reprises résolu à le faire, il n’a pas respecté ses engagements, notamment ceux pris dans le cadre d’une série d’accords, dits accords de Riyad, qu’il a signés en 2013 et 2014. Après avoir épuisé les autres possibilités, les Emirats arabes unis, ainsi que 10 autres pays au moins, ont conclu que la seule façon de faire face à ces graves menaces était de restreindre les relations avec le Qatar ou d’y mettre fin.
5. Aujourd’hui, le Qatar continue de soutenir un certain nombre de groupes terroristes, notamment Al-Qaida, le Front el-Nosra, Daech, les Frères musulmans, le Hezbollah et le Hamas. Il appuie de dangereux groupes extrémistes dans des pays comme la Libye, la Syrie et la Somalie. En outre, il continue d’abriter des terroristes connus et n’a pris aucune mesure coercitive contre eux.
1 Voir la pièce 1 des conclusions des Emirats arabes unis (en date du 25 juin 2018).
2 Ibid.
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6. En avril 2017, deux mois avant la rupture de nos relations, le Qatar a versé la somme extraordinaire d’un milliard de dollars des Etats-Unis à des entités affiliées à des organisations terroristes telles qu’Al-Qaida, élément que l’Egypte a porté à l’attention du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies (ONU)3. Ces versements en espèces, qui ont été acheminés illégalement par avion du Qatar vers l’Iraq sans l’autorisation du Gouvernement iraquien, ont servi à payer une rançon4.
7. Rien de surprenant à ce que le Qatar ne mentionne aucune de ces questions dans la requête qu’il a déposée devant la Cour. Il voudrait convaincre celle-ci qu’il n’est qu’un spectateur innocent, pris pour cible sans aucune raison légitime quelle qu’elle soit.
8. En réalité, la crise actuelle a été causée par la conduite illicite du Qatar et la solution est pour l’essentiel entre les mains des responsables de ce pays. Le Qatar a conscience qu’il doit, conformément à ses obligations internationales, cesser d’abriter et de soutenir des groupes et des individus terroristes. Il ne doit plus s’ingérer dans les affaires de ses voisins ni chercher à affaiblir leurs gouvernements. Il doit aussi cesser de diffuser des discours de haine par l’intermédiaire de ses réseaux de médias, dont il se sert pour offrir une tribune aux groupes terroristes qu’il soutient.
9. La situation actuelle aux Emirats arabes unis ne saurait être plus éloignée de celle qu’a décrite le Qatar. Pour les Qatariens, elle est peu ou prou la même aujourd’hui qu’avant la crise. Contrairement à ce que voudrait faire accroire le Qatar à la Cour, des milliers de Qatariens résident ou séjournent actuellement aux Emirats arabes unis5. Tous les Qatariens se trouvant aux Emirats arabes unis continuent de jouir de tous les droits reconnus par la loi à tous les résidents ou visiteurs de mon pays. Les résidents qatariens vivent avec leur famille, vont à l’école et ont accès aux
3 Conseil de sécurité de l’ONU, Menaces contre la paix et la sécurité internationales résultant d’actes de terrorisme, S/PV.7962 (8 juin 2017), https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/PRO/N17/161/89/PDF/ N1716189.pdf?OpenElement. Voir aussi Egypt Calls for U.N.; Inquiry into Accusation of Qatar Ransom Payment, Reuters (9 juin 2017), https://www.reuters.com/article/us-gulf-qatar-un/egypt-calls-for-u-n-in….
4 Iraq Considers Next Move After Intercepting 'World's Largest' Ransom for Kidnapped Qataris, Independent, 26 avril 2017, https://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/qatari-royals-kidn… ; Hacked Messages Show Qatar Appearing to Pay Hundreds of Millions to Free Hostages, The Washington Post (28 avril 2017), https://www.washingtonpost.com/world/national-security/hacked-messages-….
5 Voir les pièces 11 et 13 des conclusions des Emirats arabes unis (en date du 25 juin 2018).
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services de santé et aux services publics. Ils dirigent des entreprises et occupent des emplois publics. Ils transfèrent librement leurs capitaux, y compris directement au Qatar.
10. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, voici à présent ce qui s’est réellement produit.
11. Si, dans leur annonce du 5 juin 2017 détaillant la rupture des relations diplomatiques, les Emirats arabes unis ont effectivement appelé les Qatariens à quitter leur territoire pour des raisons de sécurité relevant du principe de précaution, ils n’ont pris aucun arrêté d’expulsion ni aucune mesure visant à expulser des personnes en raison de leur nationalité qatarienne. Ceux qui ont décidé de quitter les Emirats arabes unis l’ont fait de leur plein gré, et nombre d’entre eux y ont été fortement incités par les instructions données le 5 juin 2017 par l’ambassade du Qatar aux Emirats arabes unis6. De fait, ayant constaté que les autorités émiriennes ne prenaient absolument aucune mesure visant à les expulser, la majorité des Qatariens ont décidé de ne pas partir et sont restés aux Emirats arabes unis.
12. Ce que les Emirats arabes unis ont fait, c’est imposer des conditions supplémentaires à l’entrée ou au retour des Qatariens sur leur territoire. Aujourd’hui, tous les Qatariens qui ont l’intention de se rendre aux Emirats arabes unis doivent obtenir un permis préalable du ministère émirien de l’intérieur. Il n’y a rien d’inhabituel à ce qu’un Etat impose des conditions à l’entrée des nationaux de certains autres Etats.
13. Les Emirats arabes unis ont mis en place presque immédiatement des services chargés de recevoir les demandes de permis. Ils ont ainsi reçu et accepté des milliers de demandes. Seul un très petit nombre de ces demandes ont été rejetées pour des raisons de sécurité nationale ou pour d’autres préoccupations légitimes7.
14. Des Qatariens sont entrés sur le territoire émirien ou en sont sortis à plus de huit mille reprises depuis le début de la crise8. Le nombre de Qatariens présents aux Emirats arabes unis aujourd’hui n’est guère différent de ce qu’il était le 5 juin 2017. En outre, des centaines de Qatariens sont actuellement inscrits dans des programmes d’enseignement dans mon pays et y
6 Qatar Asks Citizens to Leave UAE Within 14 Days: Embassy, Reuters (5 juin 2017), https://www.reuters.com/ article/us-gulf-qatar-citizens-emirates-idUSKBN18W1FT?il=0.
7 Voir la pièce 3 des conclusions des Emirats arabes unis (en date du 25 juin 2018).
8 Voir la pièce 14 des conclusions des Emirats arabes unis (en date du 25 juin 2018).
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poursuivent leurs études9. Plus tôt cette année, mon gouvernement a demandé à tous les établissements d’enseignement supérieur du pays de prendre contact avec les étudiants qatariens qui avaient interrompu leurs études pour qu’ils se sachent les bienvenus s’ils souhaitaient revenir10.
15. Qui plus est, et contrairement à ce que prétend le Qatar, aucun Qatarien n’a été empêché d’exercer une voie de recours dans quelque affaire que ce soit. Les Qatariens peuvent, comme toute personne quelle que soit sa nationalité, demander réparation pour tout grief par l’intermédiaire du conseil de son choix. La disponibilité des voies de recours judiciaires vaut pour les plaintes relatives aux droits de propriété, aux droits civils et aux intérêts commerciaux.
16. De surcroît, il n’y a eu aucune ingérence dans les affaires commerciales des Qatariens. Ceux-ci continuent d’exploiter de nombreuses entreprises et conservent leurs investissements aux Emirats arabes unis. J’en veux pour preuve les centaines de sociétés qatariennes qui ont reçu des licences d’exploitation émiriennes au cours de l’année écoulée, tant pour de nouvelles entreprises que pour des entreprises existantes. Malgré la crise, des Qatariens continuent de faire de nouveaux investissements aux Emirats arabes unis, notamment dans le secteur immobilier11. Les Qatariens sont libres de transférer à l’étranger tous les produits de ces investissements, sans qu’aucune restriction inhabituelle ne s’applique12.
17. Pour faciliter toutes ces transactions et les affaires personnelles des Qatariens aux Emirats arabes unis, les ambassades et consulats émiriens ont continué de fournir des services aux Qatariens souhaitant faire des affaires sur le territoire émirien, malgré la rupture des relations diplomatiques. Si mon gouvernement n’entretient plus de contacts avec les autorités qatariennes, nous n’avons néanmoins, pour assurer la continuité des services fournis, jamais cessé d’accepter les documents de certification émanant de Qatariens qui se trouvaient à l’étranger13.
18. Je voudrais maintenant aborder brièvement les allégations du Qatar, qui prétend que les Emirats arabes unis prennent part, ou ne mettent pas fin, à des discours de haine contre les Qatariens. Ce faisant, le Qatar cherche à faire passer les griefs légitimes que les Emirats arabes unis
9 Voir la pièce 12 des conclusions des Emirats arabes unis (en date du 25 juin 2018).
10 Voir la pièce 8 des conclusions des Emirats arabes unis (en date du 25 juin 2018).
11 Voir les pièces 5 et 7 des conclusions des Emirats arabes unis (en date du 25 juin 2018).
12 Voir la pièce 4 des conclusions des Emirats arabes unis (en date du 25 juin 2018).
13 Voir la pièce 5 des conclusions des Emirats arabes unis (en date du 25 juin 2018).
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ont à l’égard de son gouvernement pour une opposition à ses nationaux. Il s’agit de deux choses bien différentes. Les Emirats arabes unis ne nourrissent aucun grief à l’égard du peuple qatarien et ne se sont pas non plus engagés dans une quelconque campagne médiatique contre les Qatariens en raison de leur nationalité.
19. Le contraste est frappant avec le Gouvernement qatarien, qui est l’un des principaux commanditaires de discours de haine par l’intermédiaire du réseau d’Al Jazeera en langue arabe et d’autres médias contrôlés par l’Etat. Le Qatar se plaint de ce que les Emirats arabes unis aient indûment empêché Al Jazeera de diffuser et bloqué ses bureaux, mais en réalité, étant donné que c’est lui qui détient et contrôle Al Jazeera, c’est sa conduite qui devrait être condamnée.
20. Enfin, le Qatar a tout simplement tort de dire que les Emirats arabes unis ont incriminé les expressions de soutien aux Qatariens. La plainte du Qatar à cet égard découle de la déclaration du procureur général des Emirats arabes unis datée du 7 juin 201714. Or cette déclaration ne vise absolument pas le peuple qatarien : elle vise le Gouvernement qatarien. Le procureur général a prévenu à juste titre que toute expression de soutien à la politique du Qatar en matière d’appui à des groupes et des individus terroristes est réprimée par la loi. Le texte auquel il s’est référé a un caractère général et ne contient aucune disposition spécifique applicable au Qatar ou au peuple qatarien. Cette loi, qui est entrée en vigueur en décembre 2012, n’est en fait pas différente des lois sur la cybercriminalité adoptées par de nombreux autres pays, notamment celle du Qatar qui est entrée en vigueur en septembre 2014.
21. Comme je l’ai dit au début de mon intervention, les faits que j’ai résumés seront examinés plus en détail devant vous aujourd’hui et seront établis par les documents officiels que nous avons fournis à la Cour.
22. Il est bien peu probable que le Qatar ne soit pas au courant de ces faits. Compte tenu des antécédents de ce pays dans des affaires dont la Cour a été saisie par le passé15, nous vous prions instamment d’apprécier soigneusement le différend qui vous est soumis et d’examiner attentivement la solidité des éléments fournis par chaque Partie.
14 Demande en indication de mesures conservatoires du Qatar en date du 11 juin 2018, annexe 3.
15 Voir, par exemple, Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 47 (http://www.icj-cij.org/files/case-related/87/087-20010316-JUD-01-00-BI…).
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23. Les faits dont vous êtes saisis aujourd’hui ne satisfont à l’évidence pas aux critères fondamentaux qui doivent être remplis pour que la Cour indique des mesures provisoires.
24. Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui.
25. Je prie maintenant la Cour de bien vouloir appeler à la barre notre conseil, M. Alain Pellet, qui traitera des conditions préalables de l’article 22 de la convention. Il sera suivi par M. Tullio Treves, qui s’attachera à la question de l’épuisement des recours internes. M. Simon Olleson exposera ensuite les questions de l’existence d’un différend, de la condition de plausibilité des droits et du lien avec les mesures demandées. Enfin, M. Malcolm Shaw, qui conclura nos observations devant la Cour aujourd’hui, examinera les conditions de préjudice irréparable et d’urgence.
The PRESIDENT: I thank the Agent of the United Arab Emirates. I now give the floor to Professor Pellet. You have the floor.
Mr. PELLET: Thank you, Mr. President.
LACK OF PRIMA FACIE JURISDICTION
ARTICLE 22 PRECONDITIONS
1. Mr. President, Members of the Court, Qatar seeks to found the jurisdiction of the Court on Article 22 of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination (which, for the sake of brevity, I shall refer to by its English acronym, “CERD”, which is easier to pronounce). According to this provision, only a dispute “which is not settled by negotiation or by the procedures expressly provided for in this Convention” may be referred to the Court.
2. These two elements — negotiations and the procedures provided for in the Convention — are the criteria that must be used to verify the existence or non-existence of a dispute “with respect to the interpretation or application of this Convention”. They have three main characteristics:
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(i) they are “preconditions to be fulfilled before the seisin of the Court”16, as the Court specified in 2011 in Georgia v. Russia case;
(ii) they are cumulative; and
(iii) they must be fulfilled successively.
3. In other words, in order to establish its jurisdiction and uphold the fundamental and indissociable principles of respect for treaties (pacta sunt servanda) and consent to jurisdiction, the Court must ascertain that the negotiations and then the procedures expressly provided for in the Convention were unsuccessful. As the Court recalled in its 2006 Judgment in the case concerning Armed Activities on the Territory of the Congo,
“its jurisdiction is based on the consent of the parties and is confined to the extent accepted by them . . . When that consent is expressed in a compromissory clause in an international agreement, any conditions to which such consent is subject must be regarded as constituting the limits thereon.”17
4. In this instance, the Parties made their consent to the jurisdiction of the Court subject to the two limits expressly referred to in Article 22, which come in addition to the exhaustion of “all available domestic remedies” as required by Article 11, paragraph 3, of the Convention, which my colleague and friend Tullio Treves will address later. For my part, I will first demonstrate that the Article 22 preconditions are cumulative and successive, and will then show that Qatar has not satisfied either of them.
I. The Article 22 preconditions are cumulative and successive
5. Members of the Court, I am well aware that on three occasions the Court has been invited to rule on the question whether the two preconditions to its seisin set out in Article 22 of the Convention are alternative or cumulative — I am particularly aware of this since, in two of those instances, I endeavoured to show the Court that both preconditions must be fulfilled before the
16 Application of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination (Georgia v. Russian Federation), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2011 (I), p. 128, para. 141 (emphasis added). See also Application of the International Convention for the Suppression of the Financing of Terrorism and of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination (Ukraine v. Russian Federation), Provisional Measures, Order of 19 April 2017, I.C.J. Reports 2017, para. 59.
17 Armed Activities on the Territory of the Congo (New Application: 2002) (Democratic Republic of the Congo v. Rwanda), Jurisdiction and Admissibility, Judgment, I.C.J. Reports 2006, p. 39, para. 88 (emphasis added). See also Certain Questions of Mutual Assistance in Criminal Matters (Djibouti v. France), Judgment, I.C.J. Reports 2008, p. 200, para. 48.
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Court can be called upon to exercise its jurisdiction. On each of those three occasions, the Court avoided making a decision:
(1) In its Order of 15 October 2008, on Georgia’s request for the indication of provisional measures against Russia, the Court neutralized the question, if I may say so, by finding that the drafting of Article 22 “does not . . . suggest that formal negotiations in the framework of the Convention or recourse to the procedure referred to in Article 22 thereof constitute preconditions”18; the Court gave this opinion only on a prima facie basis.
(2) On further reflection, in its Judgment of 1 April 2011 on the preliminary objections raised by Russia in the same case, the Court, emphasizing the provisional nature of that initial conclusion19, found that, “in their ordinary meaning, the terms of Article 22 of CERD, namely ‘[a]ny dispute . . . which is not settled by negotiation or by the procedures expressly provided for in this Convention’, establish preconditions to be fulfilled before the seisin of the Court”20.
(3) The third occasion the Court had to explore this question was Ukraine’s request for the indication of provisional measures against Russia, which gave rise to its Order of 19 April 2017. After recalling that it had “earlier concluded that the terms of Article 22 of CERD established preconditions to be fulfilled before the seisin of the Court”21, the Court considered that it did not need to rule on the question of the alternative or cumulative nature of these conditions “at [that] stage of the proceedings”22. To found its jurisdiction, the Court simply noted that it appeared from the record that the issues relating to the application of the CERD had not been resolved by negotiations at the time the Application was filed23.
18 Application of the International Convention on the Elimination of all Forms of Racial Discrimination (Georgia v. Russian Federation), Provisional Measures, Order of 15 October 2008, I.C.J. Reports 2008, p. 388, para. 114.
19 Application of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination (Georgia v. Russian Federation), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2011 (I), pp. 122-123, para. 129.
20 Ibid., p. 128, para. 141; see also p. 130, para. 148; or p. 140, para. 183.
21 Application of the International Convention for the Suppression of the Financing of Terrorism and of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination (Ukraine v. Russian Federation), Provisional Measures, Order of 19 April 2017, I.C.J. Reports 2017, p. 125, para. 59.
22 Ibid., pp. 125-126, para. 60.
23 Ibid., p. 125, para. 59.
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6. This position is not entirely convincing. When a State raises preliminary objections, it “is entitled to have these objections answered at the preliminary stage of the proceedings”24. I see no reason why this should not be the case when the prima facie jurisdiction of the Court is contested in connection with a request for the indication of provisional measures — at least not when the question before it is one of pure law, and not fact, as it is here. In a situation such as this, it is difficult to see why consideration of the question should be put off until later. Jura novit curia. The Court should know the law.
7. Our opponents rely entirely on the 2017 Order and tell us that they will express their views on this point later — “at the appropriate time”25. I will nonetheless say a few telegraphically brief words on the subject, since the question is raised in a different and more pressing way in this case than it was in last year’s.
8. In terms of principles:
(1) I believe it is established that the two elements mentioned in Article 22 are “preconditions” to the seisin of this Court.
(2) I am well aware, Mr. President, that there is an “or”. However, as with “and”, which, as the Permanent Court noted in Certain German Interests in Polish Upper Silesia, “in both ordinary and legal language, may, according to circumstances, equally have an alternative or a cumulative meaning”26, the conjunction “or” “may, linguistically, have an alternative or a cumulative sense and must therefore be read in the context in which it is used”, as the Grand Chamber of the European Court of Justice noted in a judgment of 10 July 200527 — it is all a matter of circumstance and context.
24 Territorial and Maritime Dispute (Nicaragua v. Colombia), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2007 (II), p. 852, para. 51.
25 CR 2018/12, p. 24, para. 23 (Donovan).
26 See Certain German Interests in Polish Upper Silesia, Jurisdiction, Judgment No. 6, 1925, P.C.I.J., Series A, No. 6, p. 14; see also Interpretation of the air transport services agreement of 6 February 1948 (Italy v. United States), Arbitral Award, 17 July 1965, RIAA, Vol. XVI, pp. 94-95.
27 ECJ, Grand Chamber, Commission of the European Communities v. French Republic (Case C-304/02), Judgment, 12 July 2005, E.C.J. Reports, p. I-06263, para. 83. Similarly, see: United States Supreme Court, United States v. Fisk, 70 U.S. (3 Wall.) 445, 447 (1866); High Court, Queen’s Bench Division, Commercial Court, Nakanishi Kikai Kogyosho Limited v. Intermare Transport GMBH [2009] EWHC 994 (Comm), para. 12; House of Lords, Federal Steam Navigation (1974) 1 WLR 505; High Court, Queen’s Bench Division, R. v. Oakes (1959) 2 QB 350.
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(3) In this instance, however, “and” would have been totally illogical. Neither in French nor in English would it be natural to say: “which is not settled by negotiation and by the procedures expressly provided for in this Convention”. In this context, taking “or” to mean “and” would clearly be contrary to “the ordinary meaning to be given to the terms of the treaty”28: this would essentially mean that once a dispute is settled by negotiation, it must also be settled again by the procedures provided for in the Convention. That would be absurd.
(4) That the preconditions referred to in Article 22 are cumulative is confirmed by the travaux préparatoires of the CERD Convention. The text of the relevant declarations can be found at tab 2.1 of your folders and on Monday we also filed in the Registry a table summarizing the drafting history of Article 22. That too can be found in your folders, at tab 2.2. Members of the Court, if I may, I would strongly recommend that you refer to it: I consider it to be extremely illuminating. I shall keep my comments here brief.
Article 22 is the result of a compromise reached during the negotiations, between the States that were opposed to any possibility of a unilateral seisin of the Court29 and those that were in favour of it under certain conditions. The text of that provision is the direct result of a proposal made by Mr. Ingles, the Philippine member of the Human Rights Sub-Commission (which we have been unable to locate in French, either in Paris or The Hague) — I shall therefore read it in English:
“Under the proposed procedure, States Parties to the convention should first refer complaints of failure to comply with that instrument to the State Party concerned; it is only when they are not satisfied with the explanation of the State Party concerned that they may refer their complaint to the Committee . . . The Committee, as its name implied, would ascertain the facts before attempting an amicable solution to the dispute . . . If the Committee failed to effect conciliation within the time allotted, either of the parties may take the dispute to the International Court”30.
28 Vienna Convention on the Law of Treaties, 23 May 1969, Art. 31, para. 1.
29 See, in particular, Mr. Dabrowa (Poland), Official Records of the General Assembly, Twentieth Session, Third Committee, summary record of the 1358th meeting, UN doc. A/C.3/SR.1358, 29 Nov. 1965, pp. 399-400, paras. 20-21. See also Mr. Lamptey (Ghana), Official Records of the General Assembly, Twentieth Session, Third Committee, summary record of the 1354th meeting, UN doc. A/C.3/SR.1354, 25 Nov. 1965, p. 379, para. 54.
30 Economic and Social Council, Commission on Human Rights, Sub-Commission on Prevention of Discrimination and Protection of Minorities, Sixteenth Session, summary record of the 427th meeting, UN doc. E/CN.4/Sub.2/SR.427, 28 Jan. 1964, p. 13 (emphasis added).
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All the declarations made on that subject during the drafting of the CERD Convention attest to the negotiators’ wish to make the Court’s jurisdiction under Article 22 subject to the prior referral of the complaint to the CERD Committee in the event of unsuccessful negotiations31.
(5) I would point out that, in Georgia v. Russia, the Court also noted that,
“at the time when CERD was being elaborated, the idea of submitting to the compulsory settlement of disputes by the Court was not readily acceptable to a number of States. Whilst States could make reservations to the compulsory dispute settlement provisions of the Convention, it is reasonable to assume that additional limitations to resort to judicial settlement in the form of prior negotiations and other settlement procedures without fixed time-limits were provided for with a view to facilitating wider acceptance of CERD by States”32.
This further supports the argument that the two conditions are cumulative.
(6) The CERD Convention differs from other universal human rights treaties in so far as it is the only one to establish a compulsory inter-State complaint procedure. Nonetheless, it resembles some of those which contain compromissory clauses that also make provision for a procedure of two or three steps — or more33. All such comparable conventions impose “negotiation” as a precondition. Where the CERD Convention relies on the procedures it expressly establishes, comparable treaties provide for recourse to arbitration should negotiations prove unsuccessful. And, in all of those conventions, seising the Court is a last resort, after the other means have failed, including if the parties are unable to agree on the organization of an arbitration.
As far as the CERD Convention is concerned, there is no need to agree on the procedure that comes before the seisin of the Court: it is set out (in considerable detail) in Articles 11 to 13. The idea is the same, however: first, the conciliation procedure provided for in the Convention must be given a chance. Only then may the Court intervene. The Committee was assigned the
31 See, in particular, the declarations of the Philippine delegates to the Commission on Human Rights, Mr. Quiambao (Economic and Social Council, Commission on Human Rights, summary record of the 810th meeting, UN doc. E/CN.4/SR.810, 13 Mar. 1964, p. 7), and to the Third Committee, Mr. Garcia (Official Records of the General Assembly, Twentieth Session, Third Committee, summary record of the 1344th meeting, UN doc. A/C.3/SR.1344, 16 Nov. 1965, p. 314, para. 16; Mr. Mommersteeg (Netherlands), ibid., p. 319, para. 63; Mr. Cochaux (Belgium), Official Records of the General Assembly, Twentieth Session, Third Committee, summary record of the 1367th meeting, UN doc. A/C.3/SR.1367, 7 Dec. 1965, p. 454, para. 40.
32 Application of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination (Georgia v. Russian Federation), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2011 (I), pp. 129-130, para. 147 (emphasis added).
33 See the Convention against Torture and Other Cruel, Inhuman or Degrading Treatment or Punishment, 10 Dec. 1984, Art. 30; the International Convention on the Protection of the Rights of All Migrant Workers and Members of Their Families, 18 Dec. 1990, Art. 92; and the International Convention for the Protection of All Persons from Enforced Disappearance, 20 Dec. 2006, Art. 42.
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role of principal custodian of the Convention. Bypassing the conciliation mechanism would have the regrettable effect of undermining its authority and that of all comparable human rights bodies.
(7) Finally, I would note that the compulsory and successive character of the conditions set out in Article 22 is confirmed by the Handbook on the Peaceful Settlement of Disputes between States, published by the United Nations in 1992:
“the dispute settlement clauses of many multilateral treaties provide that disputes which cannot be settled by negotiation shall be submitted to another peaceful settlement procedure. Various patterns of successive steps can be found in practice . . .
(e) Negotiation; procedures provided by the treaty; resort to ICJ (art. 22 of the 1965 International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination)”34.
The Handbook further states that “[s]everal international conventions provide that disputes between States Parties arising out of the interpretation or application of those treaties shall be referred to ICJ, at the request of any party to the dispute, unless the dispute can be settled otherwise”35, and cites as an example Article 22 of the CERD Convention36.
9. All this is but a brief reminder. Members of the Court, while it may seem reasonable not to express an opinion at the provisional measures stage if you have doubts about the facts put before you, this is nonetheless, in my view, open to debate — to say the least — when your decision depends on a purely legal issue. The Court, I repeat, knows the law; it knows it both prima and secunda facie. The UAE is in no doubt that you will take this opportunity to clarify — finally — an aspect of the interpretation of Article 22 of the Convention which has until now been left in obscurity, and that you will find that the conditions to the seisin of the Court laid down in Article 22 are not only preconditions (as you have already found), but cumulative and successive as well.
34 United Nations, Handbook on the Peaceful Settlement of Disputes between States, 1992, para. 70 (emphasis added).
35 Ibid., para. 423 (emphasis added).
36 Ibid., fn. 589.
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II. NONE OF THE ARTICLE 22 CONDITIONS IS MET
10. Members of the Court, if however, once again, you decide not to rule on this issue — which is nonetheless purely legal — you should still find that the Court lacks prima facie jurisdiction, for another reason relating to the particularities of this case. First, Qatar’s protests and its much-vaunted proposal to negotiate regarding the application of the CERD Convention are completely artificial. Second, Qatar has triggered the “procedures expressly provided for in this Convention”, which makes this case fundamentally different from those the Court has previously heard concerning this treaty; the Court must respect the mechanism that has been set in motion.
A. Absence of prior negotiations
11. Mr. President, whatever Qatar would have us believe, it is clear from the case file that it has never made a “genuine attempt to negotiate”37, either before or after 25 April or 1 May.
12. In paragraph 13 of its Application, to which footnote 18 in its Request for the indication of provisional measures refers, Qatar mentions a number of speeches made by its senior officials which allegedly prove that “Qatar repeatedly has raised the specific human rights violations resulting from the UAE’s unlawful discrimination since June 2017 and thereafter”38. In itself, this somewhat convoluted wording points to Qatar’s quandary: the few annexes that are supposed to illustrate this assertion relate very broadly to rote allegations of human rights violations and when, in passing, these documents mention the CERD Convention, the reference is not accompanied by any form of proposal to negotiate. Yesterday, Mr. Donovan merely referred to the same statements39, with one exception, and still failed to locate any proposal to negotiate40. The only new statement that he cited is just as general as the others; the only passage that is vaguely relevant reads as follows: “We are ready for dialogue and for reaching settlements on all contentious issues in this context”41. Even if you are not formalistic, Members of the Court, this can hardly be
37 Application of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination (Georgia v. Russian Federation), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2011 (I), p. 133, para. 159.
38 Application instituting proceedings filed by the State of Qatar, para. 13.
39 CR 2018/12, p. 26, para. 31, fn. 38 (Donovan).
40 CR 2018/12, pp. 22-23, para. 17-18 (Donovan).
41 Emir Speech in Full Text: Qatar Ready for Dialogue but won’t Compromise on Sovereignty, Peninsula Qatar, 22 July 2017, https://thepeninsulaqatar.com/article/22/07/2017/Emir-speech-in-full-te….
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considered as an offer to negotiate with a view to settling the dispute alleged by Qatar, either under Article 22 of the CERD Convention or even, more generally, regarding so-called discriminatory measures.
13. I shall simply recall here what the Court said in its 2011 Judgment and repeated in its 2017 Order:
“To meet the precondition of negotiation in the compromissory clause of a treaty, these negotiations must relate to the subject-matter of the treaty containing the compromissory clause. In other words, the subject-matter of the negotiations must relate to the subject-matter of the dispute which, in turn, must concern the substantive obligations contained in the treaty in question.”42
The few statements referred to by Qatar in no way fulfil this condition.
14. A letter dated 25 April is, apparently, a different matter, but our opponents seem to have expressly admitted that it was not received by the Respondent until 1 May (at any rate, they admitted as much in the Application43, though Mr. Donovan, for his part — somewhat . . . misleadingly — gives the date as 25 April44). In any event, the discrepancy in the dates is odd . . . This letter sent by the Qatari Minister for Foreign Affairs to his Emirati counterpart might, on the face of it, seem to be an offer to negotiate under the CERD Convention. I would note, however, the title of the letter45, which, once again, concerns the alleged human rights violations in general that Qatar attributes to the UAE; I would also note that there is no mention whatsoever of Article 22.
15. In any event, here is the conclusion of the letter which was sent — or at least received — on 1 May:
“In conclusion, in the event that these violations are not eliminated and given Qatar’s concern to protect the interests of Qatari nationals and defend their rights, it is necessary to enter into negotiations in order to resolve these violations and the effects thereof within no more than two weeks from the date of receiving this letter, in
42 Application of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination (Georgia v. Russian Federation), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2011 (I), p. 133, para. 161; Application of the International Convention for the Suppression of the Financing of Terrorism and of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination (Ukraine v. Russian Federation), Provisional Measures, Order of 19 April 2017, I.C.J. Reports 2017, pp. 120-121, para. 43.
43 See Application instituting proceedings filed by the State of Qatar, fn. 26, “Annex 21, Request for Negotiation, His Excellency Sultan Ben Saed Al- Marikhi, Qatar Minister of State for Foreign Affairs, to His Excellency Anwar Gargash, UAE Minister of State for Foreign Affairs, dated 25 April 2018, received via fax and registered mail on 1 May 2018”.
44 CR 2018/12, p. 30, para. 41 (Donovan).
45 Application instituting proceedings filed by the State of Qatar, Ann. 21, “An invitation to negotiate with respect to the human rights violations arising from the actions taken by the Government of the State of the United Arab Emirates against the State of Qatar and its citizens on June 5, 2017”.
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accordance with the principles of international law and the principles governing relationships between countries”.
16. This “offer” in the form of an ultimatum — which was sent almost a year after the crisis began — was neither accepted nor refused by the UAE: less than a week after receiving it, the UAE learnt, through a Note from the United Nations Secretary-General dated 7 May, which is in the judges’ folder at tab 2.3, that Qatar had, on 8 March, sent a communication (an inter-State complaint) to the Committee for the Elimination of Racial Discrimination, pursuant to Article 11 of the Convention. Yet, without waiting for the outcome of the procedure that it had itself initiated, Qatar submitted, on 11 June, its Application instituting proceedings and at the same time requested the provisional measures we are discussing today. Under these circumstances, the UAE could only conclude that the proposal was not made in good faith.
17. What is more, the timing raises questions for another reason:
 the CERD Committee met on 23 April 2018;
 while it was in session (which was due to end on 11 May), Qatar or its counsel planned, apparently on 25 April, to bypass the Committee; and
 sent its so-called offer to negotiate on 1 May (while the Committee was still sitting).
Such haste is particularly incomprehensible, and, to be frank, unacceptable, given that in 1993 the Committee had established an early warning and urgent action procedure (which was revised in 2007), enabling it to respond to serious violations of the Convention in an emergency46; Qatar could thus have continued down the avenue it had initially chosen, even if, as it claims, there had been genuine urgency.
18. So, Mr. President, while it is true that the dispute alleged to exist by Qatar has not been settled by negotiation, there has been no “genuine attempt” to do so and that is due to the unilateral and inconsistent conduct of Qatar itself — nemo auditur turpitudinem allegans. In accordance with the well-established jurisprudence of this Court, “the concept of ‘negotiations’ . . . requires — at
46 General Assembly Official Records, Sixty-second session, Report of the Committee on the Elimination of Racial Discrimination, United Nations, doc. A/62/18, 2007, Annex III, Guidelines for the early warning and urgent action procedure.
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the very least — a genuine attempt by one of the disputing parties to engage in discussions with the other disputing party, with a view to resolving the dispute”47. This is not the case here.
B. Failure to exhaust “procedures expressly provided for in [the] Convention”
19. Members of the Court, having failed to make a genuine proposal to negotiate with a view to settling the dispute submitted to the Court on 11 June, Qatar had recourse to the “procedures expressly provided for in [the] Convention”. This, at least, is a point on which there is no discussion between the Parties. What they do not agree on here is the conclusions to be drawn from the seisin of the Court. Though what was striking about Mr. Donovan’s presentation yesterday was rather that Qatar does not draw any conclusions at all. “While Qatar did make recourse to the procedure under Article 11 of the Convention in March of this year by submitting a communication to the CERD Committee, it does not rely on this communication for the purposes of showing prima facie jurisdiction here”48. Mr. President, I can understand Mr. Donovan’s discretion! But it cannot fool the Court, which must see through this ruse and, on the contrary, draw conclusions here from the conduct of Qatar.
20. And that conclusion is straightforward. Since Qatar sent a communication to the Committee for the Elimination of Racial Discrimination, it cannot simultaneously seise the Court and bypass the organ that the authors of the Convention established as its guardian. Of course, the Committee cannot take binding decisions and that is precisely why Article 22, in fine, the ultimate safety net, provides the possibility either of seising this Court or for the parties to agree on another means of settling the dispute.
21. Mr. President, we hold that it is compulsory to refer to the Committee in all events. But, even if that were not the case, it seems perfectly clear that when a matter is referred to it, it must be allowed to fulfil its mission.
47 Application of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination (Georgia v. Russian Federation), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2011 (I), p. 132, para. 157 (emphasis added). See also ibid. p. 133, para. 159; Questions relating to the Obligation to Prosecute or Extradite (Belgium v. Senegal), Judgment, I.C.J. Reports 2012 (II), pp. 445-446, para. 57; Application of the International Convention for the Suppression of the Financing of Terrorism and of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination (Ukraine v. Russian Federation), Provisional Measures, Order of 19 April 2017, I.C.J. Reports 2017, p. 120, para. 43.
48 CR 2018/12, p. 25, para. 25 (Donovan).
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22. Qatar submitted its complaint to the Committee on 8 March. In accordance with the provisions of Article 11, paragraph 1, of the Convention, the UAE was invited to submit “written explanations or statements clarifying the matter and the remedy, if any, that may have been taken”. The supposition is, of course, that this procedure can be continued and conducted as provided for in the Convention.
23. The way in which Qatar has proceeded is incompatible with both the electa una via principle49 and the lis pendens exception50, since the same claim has been submitted in turn to two organs by the same applicant against the same respondent. I would further note that Qatar’s Application before the Court is very clearly based on its communication of 8 March to the Committee. In this regard, it matters little whether the two preconditions set out in Article 22 are alternative or cumulative (even though, in my view, there is no doubt that they are cumulative — but I think you have understood that); they cannot, in any event, be simultaneous. It would make no sense and would deprive of effet utile the reference to “procedures expressly provided for in [the] Convention”: it can clearly not be determined whether the dispute “is not settled by” those procedures, if the Court makes a ruling before the dispute has even been examined under those procedures.
24. Perhaps Qatar can be considered to be estopped from seising this Court, since, in accordance with the provisions of Article 22, it triggered the procedure provided for in Articles 11 to 13 of the Convention. As I have often said before in this forum, Mr. President, I am not convinced that estoppel, in the technical sense it has in common law, has any place in public international law. However, it seems to me that simultaneous recourse to two means of settling disputes with the same subject-matter, contemplated in the same treaty, is hardly compatible with the fundamental principle of good faith.
49 ICSID, Award, 30 July 2009, Pantechniki S.A. Contractors and Engineers v. Albania, ARB/07/21, para. 64 ; ICSID, Decision on Jurisdiction, 29 December 2012, Getma International and others v. Republic of Guinea, ARB/11/29, paras. 129 and 134; ICSID, Award, 16 September 2015, Quiborax S.A. and Non-Metallic Minerals S.A. v. Bolivia, ARB/06/2, para. 158.
50 Certain German Interests in Polish Upper Silesia, Jurisdiction, Judgment No. 6, 1925, P.C.I.J., Series A, No. 6, p. 20; HRC, VO v. Norway, Decision on Admissibility, 17 July 1985, Comm. 168/1984, paras. 4.2-4.4; ICSID, Award, 30 July 2009, Pantechniki S.A. Contractors and Engineers v. Albania, para. 67; PCA, Third [Interim Award] on Jurisdiction and Admissibility, [27 February] 2012, Chevron Corporation v. Ecuador, paras. 4.74, 4.76 and 4.77.
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25. Mr. President, if you would give the floor to Professor Tullio Treves, he will now show that there is a further requirement, also set out in the Convention, that Qatar has failed to comply with: the prior use and exhaustion of “all available domestic remedies”. For my part, Members of the Court, I thank you very much for your attention.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Pellet, et je donne à présent la parole à M. Treves. Vous avez la parole.
M. TREVES :
ÉPUISEMENT DES RECOURS INTERNES
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un honneur pour moi que de plaider à nouveau devant vous et de le faire au nom des Emirats arabes unis.
Il m’échoit aujourd’hui de vous représenter que la demande en indication de mesures conservatoires du Qatar est irrecevable prima facie car le demandeur n’a pas pu et ne peut démontrer qu’il a épuisé les recours internes avant d’introduire l’instance.
Epuisement des recours internes
2. Dans la présente instance, le Qatar a précisé qu’il agit «aux fins d’empêcher qu’un préjudice irréparable ne soit causé aux droits que ses ressortissants et lui-même tiennent de la CIEDR … en son nom propre et en qualité de parens patriae des Qatariens»51. Les neuf mesures conservatoires demandées au paragraphe 19 a) de la requête indiquent toutes que «les Emirats arabes unis doivent immédiatement cesser et s’abstenir de commettre tout acte constituant une violation des droits de l’homme que les Qatariens tiennent de la CIEDR»52.
3. Cela correspond à la description de la protection diplomatique en droit international général et à la définition donnée par la Commission du droit international dans son projet d’articles sur la protection diplomatique (ci-après «le projet d’articles de la CDI»). L’article premier de ce projet d’articles, que vous voyez à l’écran, dit que
51 Demande en indication de mesures conservatoires du Qatar, par. 19, reprenant le par. 65 de la requête introductive d’instance du Qatar.
52 Demande en indication de mesures conservatoires du Qatar, par. 19 a).
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«la protection diplomatique consiste en l’invocation par un Etat, par une action diplomatique ou d’autres moyens de règlement pacifique, de la responsabilité d’un autre Etat pour un préjudice causé par un fait internationalement illicite dudit Etat à une personne physique ou morale ayant la nationalité du premier Etat en vue de la mise en oeuvre de cette responsabilité»53.
4. Selon les règles du droit international relatives à la protection diplomatique, confirmées par le paragraphe 1 de l’article 14 du projet d’articles de la CDI, à présent à l’écran, «[u]n État ne peut présenter une réclamation internationale à raison d’un préjudice causé à une personne ayant sa nationalité … avant que la personne lésée ait, sous réserve du projet d’article 15 [qui traite des exceptions], épuisé tous les recours internes»54. La Cour de céans, dans l’affaire de l’Elettronica Sicula, a qualifié la règle des recours internes de «principe important du droit international coutumier»55.
5. La convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ci-après «la CIEDR»), censée fonder la compétence de la Cour en la présente instance et qui décrit et délimite les obligations dont la Cour est appelée à examiner les manquements qui y sont prétendument commis, confirme ce qui s’applique déjà en droit international général, à savoir que, pour qu’un grief soulevé par un Etat partie contre un autre Etat partie au motif que celui-ci n’aurait pas respecté la convention soit examiné, les recours internes doivent d’abord avoir été épuisés.
6. En fait, le paragraphe 3 de l’article 11 de la CIEDR, qui décrit l’une des procédures d’un tel examen, à savoir la procédure de saisine du comité pour l’élimination de la discrimination raciale, précise que celui-ci, avant de connaître d’une affaire dont il est saisi, doit «s’être assuré que tous les recours internes disponibles ont été utilisés ou épuisés, conformément aux principes de droit international généralement reconnus. Cette règle ne s’applique pas si les procédures de recours excèdent des délais raisonnables». Les travaux préparatoires de la convention montrent que, conformément aux principes de droit international généralement reconnus, il y avait un consensus général quant au fait que les recours internes devraient être épuisés avant qu’une affaire ne soit portée au niveau international, en particulier s’agissant du traitement de personnes ou de
53 Commission du droit international, Projet d’articles sur la protection diplomatique, Documents officiels de l’Assemblée générale, soixante et unième session, Supplément n° 10 (A/61/10) (2006) (ci-après «le projet d’articles de la CDI»).
54 Projet d’articles de la CDI, art. 14.
55 Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI) (Etats-Unis d’Amérique c. Italie), arrêt, C.I.J. Recueil 1989, p. 42, par. 50.
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groupes de personnes, comme dans le cas d’espèce. Une proposition de la délégation tanzanienne visant à supprimer cette exigence56 a fait l’objet d’une opposition catégorique et a été rejetée par un vote57. Cette partie des travaux préparatoires figure dans le dossier de plaidoiries à l’onglet no 3.1.
Le rôle de l’épuisement des recours internes dans les procédures en indication de mesures conservatoires
7. Dans l’arrêt sur les exceptions préliminaires qu’elle a rendu en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), la Cour a reconnu expressément que le non-épuisement des recours internes est habituellement considéré comme une question ayant trait à la recevabilité de la demande58. Pour examiner le fond de l’instance, elle aura donc à trancher la question de savoir si les recours internes ont été épuisés. Il n’est pas besoin de rappeler qu’une Partie peut, conformément à l’article 79 du règlement de la Cour, demander que les questions de recevabilité soient traitées avant que la procédure sur le fond se poursuive.
8. Cela s’applique aux procédures sur le fond de l’affaire. Selon nous, toutefois, l’épuisement des recours internes a également un rôle à jouer dans des procédures en indication de mesures conservatoires. C’est une observation que je fais à la lumière de la jurisprudence de la Cour en la matière.
9. Comme vous le savez, l’article 41 du Statut est extrêmement laconique dans sa description des conditions de l’indication de mesures conservatoires. Le droit en son état actuel est fondé sur les travaux de la Cour de céans. Celle-ci a élaboré un régime assez détaillé en matière de mesures conservatoires. Plus particulièrement, et notamment, la Cour a établi dans sa jurisprudence deux
56 Troisième Commission de l’Assemblée générale, A/C.3/SR.1353, par. 25 (Tanzanie), expliquant que «ce sera une clause de sauvegarde pour tout signataire qui ne souhaite pas appliquer la convention de bonne foi» (dossier de plaidoiries, onglet no 3.1). [Traduction du Greffe.]
57 Voir troisième Commission de l’Assemblée générale, A/C.3/SR.1353, par. 57, indiquant que «[l]a proposition tanzanienne de supprimer le paragraphe 3 est rejetée par 70 voix contre 2, avec 12 abstentions». Voir aussi ibid., par. 28 (Italie), affirmant, en ce qui concerne l’épuisement des recours internes, que «[l]es Etats doivent être laissés aussi libres que possible de traiter une affaire dans le cadre de procédures internes, car le fait que tous les recours internes doivent être épuisés avant qu’une affaire ne soit soumise à un organe international est un principe international reconnu.» ; ibid., par. 48 (Sénégal), indiquant que l’obligation d’épuiser les recours internes «évitera une prolifération de plaintes au niveau international» (dossier de plaidoiries, onglet no 3.1). [Traduction du Greffe.]
58 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 456, par. 120. Voir J. R. Crawford et T. D. Grant, «Exhaustion of Local Remedies” in Max Planck Encyclopedia of Public International Law (Oxford édition électronique, dernière mise à jour janvier 2007), par. 5.
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conditions qui doivent être remplies pour qu’elle indique des mesures conservatoires : elle doit être compétente prima facie et les droits revendiqués doivent être au moins plausibles. La première de ces conditions a une longue histoire. Elle est née en 1951 lors de l’affaire de l’Anglo-Iranian Oil Co. et a été par la suite affinée et reprise dans toutes les ordonnances ultérieures en indication de mesures conservatoires. L’histoire de la seconde condition est plus brève. Déjà annoncée en 2006 par M. le juge Abraham dans son opinion individuelle en l’affaire relative à des Usines de pâte à papier59, la condition du caractère plausible des droits a été introduite par la Cour en 2009 dans l’ordonnance en indication de mesures conservatoires qu’elle a rendue en l’affaire relative à des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal)60, et reprise dans toutes les ordonnance en mesures conservatoires qu’elle a rendues depuis lors61.
10. La Cour doit donc déterminer si elle est compétente prima facie et si les droits allégués sont au moins plausibles. En d’autres termes, elle doit, prima facie, examiner et déterminer si elle est compétente et trancher sur le fond. Il s’ensuit logiquement qu’elle doit aussi trancher prima facie la question de la recevabilité des demandes. Avant d’apprécier la plausibilité des droits invoqués, la Cour doit examiner la question de savoir si la recevabilité est plausible ou, en d’autres termes, si l’affaire est recevable prima facie. A défaut, elle risquerait de trancher la question de la plausibilité de droits qui font l’objet d’une demande qui serait irrecevable prima facie.
11. La Cour n’a pas encore établi sur ce point de jurisprudence qui serait comparable à celle sur la compétence prima facie et la plausibilité des droits. Cela étant, elle n’a pas non plus méconnu cette question. Dans l’ordonnance en indication de mesures conservatoires qu’elle a rendue en 1996 en l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria, elle a déclaré, comme vous le voyez à l’écran, que
«considérant que, sans se prononcer sur la question de savoir si, en présence d’une demande en indication de mesures conservatoires, la Cour doit, avant de décider d’indiquer ou non de telles mesures, s’assurer que la requête dont elle est saisie est prima facie recevable, elle est d’avis qu’en l’espèce la requête consolidée du
59 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), mesures conservatoires, ordonnance du 13 juillet 2006, C.I.J. Recueil 2006 ; opinion individuelle de M. le juge Abraham, p. 139-140, par. 8.
60 Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), mesures conservatoires, ordonnance du 28 mai 2009, C.I.J. Recueil 2009, p. 151, par. 57.
61 Voir par exemple la récente Affaire Jadhav (Inde c. Pakistan), mesures conservatoires, ordonnance du 18 mai 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 276, par. 35.
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Cameroun n’apparaît pas prima facie irrecevable au regard des exceptions préliminaires soulevées par le Nigéria»62.
12. Sans prendre formellement position, la Cour a donc précisé la notion d’irrecevabilité prima facie et sa pertinence éventuelle dans une procédure en mesures conservatoires. De plus, dans l’affaire en cause, la Cour a de fait pris sa décision en se fondant sur cette condition.
13. En l’instance, la Cour devrait donc examiner, non seulement la question de savoir si elle a compétence prima facie et si les droits allégués sont plausibles, points sur lesquels mes collègues vous ont donné, et continueront de vous donner, le point de vue des Emirats arabes unis, mais aussi celle de savoir si la requête est également recevable prima facie  pour ce faire, elle doit examiner prima facie le respect de la condition de recevabilité que constitue l’épuisement des recours internes.
Le Qatar n’a pas démontré avoir utilisé ni épuisé les recours internes
14. Dans la présente affaire, c’est au Qatar, le demandeur, qu’il incombe d’apporter des éléments de preuve suffisants pour démontrer que les recours internes ont été «utilisés ou épuisés» Dans les pièces que le Qatar a versées au dossier, les recours sont mentionnés, mais rien ne montre, prima facie, qu’ils ont été exercés, et encore moins épuisés. Le demandeur se contente d’affirmer, au paragraphe 64 de sa requête, que «bien que des voies de recours puissent sembler ouvertes aux Qatariens en droit émirien, ces voies ont été rendues totalement inopérantes puisque les Qatariens ne sont pas en mesure de les exercer», soit parce que «l’interdiction d’entrée [les] empêche … d’ester devant les juridictions émiriennes» soit en raison de «l’incrimination de toute expression de «sympathie» à l’égard du Qatar et de l’hostilité ambiante dont leur pays et eux-mêmes font l’objet».
15. De surcroît, dans la demande en indication de mesures conservatoires, le Qatar semble estimer qu’il n’a pas besoin de prouver que ses nationaux ont utilisé et épuisé les recours internes, puisqu’il n’existe pas de tels recours permettant de contester les mesures en cause. Au paragraphe 19 de la demande, qui expose «[l]es mesures demandées», le libellé du litt. ix) du paragraphe a) donne un aperçu du type de recours auquel pense le demandeur. La Cour y est priée
62 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), mesures conservatoires, ordonnance du 15 mars 1996, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 21, par. 33.
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d’indiquer au défendeur, à titre de mesure conservatoire, «[de] prendre toutes les dispositions requises pour garantir aux Qatariens un traitement égal devant les tribunaux et autres organes judiciaires aux Emirats arabes unis, ainsi que l’accès à un mécanisme devant lequel ils puissent contester toute mesure discriminatoire».
16. Ainsi, les recours envisagés peuvent consister à assurer aux Qatariens «un traitement égal devant les tribunaux et autres organes judiciaires aux Emirats arabes unis», ainsi qu’à mettre à leur disposition «un mécanisme devant lequel ils puissent contester toute mesure discriminatoire».
17. Ainsi que l’a exposé l’agent des Emirats arabes unis ce matin, le tableau que brosse le Qatar de ce qu’il appelle l’expulsion collective et l’interdiction d’entrée sur le territoire émirien de ses ressortissants est totalement mensonger, et cela a une incidence directe sur l’existence de recours internes et sur le fait que les Qatariens ne les aient pas épuisés.
18. Bien que, le 5 juin 2017, le ministre des affaires étrangères ait annoncé que «pour des raisons de sécurité relevant du principe de précaution», les Qatariens devaient quitter le territoire émirien dans un délai de 14 jours et qu’il leur serait interdit d’y entrer63, seule une petite partie des intéressés ont quitté les Emirats arabes unis de leur plein gré dans ce délai, et ils ont été bien plus nombreux à y rester. De fait, le Gouvernement émirien n’a pris aucune mesure pour expulser les Qatariens toujours présents sur le territoire au-delà du délai de 14 jours. Seuls les Qatariens souhaitant entrer sur le territoire émirien se sont vu imposer l’obligation d’obtenir une autorisation préalable à cet effet et, ainsi que l’a déclaré l’agent dans son exposé, cette autorisation a presque toujours été accordée. A la date du 5 juin 2017, il n’y avait guère aux Emirats arabes unis que quelques centaines de Qatariens de plus qu’aujourd’hui. De surcroît, un certain nombre de ceux qui avaient quitté le territoire émirien y sont de nouveau entrés après en avoir obtenu l’autorisation préalable. Sous l’onglet no 3.2 du dossier de plaidoiries figurent plusieurs documents émanant du Gouvernement émirien qui attestent ces faits64.
19. En conséquence de ce qui précède :
63 Déclaration du ministère émirien des affaires étrangères en faveur du blocus et de la rupture des relations avec le Qatar, 5 juin 2017 (RQ, annexe 2).
64 Lettre d’accompagnement et liste de l’Autorité fédérale des Emirats arabes unis pour l’identité et la citoyenneté, 20 juin 2018 (doc. 11 et 13 déposés par les Emirats arabes unis le 25 juin 2018 : extraits) (dossier de plaidoiries, onglet no 3.2).
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20. Premièrement, il n’était pas nécessaire d’exercer une quelconque voie de recours interne contre les prétendues expulsions, puisque le Gouvernement émirien n’avait pris aucune mesure pour forcer les Qatariens, au motif de leur nationalité, à quitter les Emirats arabes unis.
21. Deuxièmement, si des Qatariens qui ont quitté le territoire émirien ou résident à l’étranger souhaitent se rendre aux Emirats arabes unis pour y défendre leurs droits, ils peuvent demander une autorisation d’entrée, qui est presque toujours accordée.
22. Troisièmement, si des Qatariens ayant effectivement quitté les Emirats arabes unis avaient besoin d’avoir accès à des voies de recours ils pourraient, sans se rendre dans le pays, donner procuration à un avocat qui y exerce. Cela reste possible et peut être fait par l’intermédiaire de l’ambassade koweïtienne au Qatar, qui envoie le document à authentifier à l’ambassade émirienne au Koweït. Le document est ensuite renvoyé à l’ambassade koweïtienne au Qatar, pour transmission à l’auteur de la procuration. Sous l’onglet no 3.3 du dossier de plaidoiries figurent quelques exemples de procurations accordées par des entreprises qatariennes à des particuliers ou des cabinets d’avocats aux Emirats arabes unis pour y gérer leurs affaires et représenter l’entreprise auprès des tribunaux et pouvoirs publics émiriens65.
23. S’agissant plus précisément du «mécanisme devant lequel [les Qatariens] puissent contester toute mesure discriminatoire», l’agent des Emirats arabes unis a expliqué qu’un dispositif était déclenché par l’intermédiaire d’une ligne téléphonique dédiée aux demandes d’entrée sur le territoire émirien présentées par des Qatariens. Ce dispositif s’est révélé et demeure très efficace pour traiter ces demandes. Pour la seule année 2018 — soit à peine six mois — au moins 1390 demandes ont été déposées, dont 1378 ont été acceptées et 12 — 12 seulement — ont été rejetées. Ces données sont étayées par le document figurant sous l’onglet no 3.4 de notre dossier de plaidoiries66. Face à ces faits, le conseil du Qatar n’a, hier matin, mentionné qu’une vague remarque faite par le Haut-Commissaire aux droits de l’homme le 14 juin 2017 — soit trois jours après la mise en place de la ligne directe —, indiquant que le mécanisme n’était pas «suffisamment
65 Procurations accordées par la Qatar Chemical and Petrochemical Marketing and Distribution Company et la Qatar Engineering and Construction Company (documents 5 et 6 déposés par les Emirats arabes unis le 25 juin 2018 : extraits) (dossier de plaidoiries, onglet no 3.3).
66 Rapport de la police d’Abu Dhabi résumant l’utilisation de la ligne directe et le nombre de demandes humanitaires, 20 juin 2018 (doc. 3 déposé par les Emirats arabes unis le 25 juin 2018 : extraits) (dossier de plaidoiries, onglet no 3.4).
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efficace pour traiter tous les cas»67. L’agent des Emirats arabes unis a également expliqué que les voies de recours ordinaires demeuraient ouvertes aux Qatariens pour régler tout problème touchant aux biens immobiliers ou autres ainsi qu’aux entreprises qu’ils possèdent dans le pays. Des documents étayant cet argument figurent aussi dans le dossier de plaidoiries, sous l’onglet no 3.568.
24. En conséquence, non seulement le Qatar ne s’est pas acquitté de l’obligation qui lui incombe de démontrer que les recours internes ont été utilisés, mais rien ne permet non plus d’affirmer, pour reprendre les termes employés par la CDI à l’article 15 de son projet d’articles sur la protection diplomatique, qu’«[i]l n’y a pas de recours internes raisonnablement disponibles pour accorder une réparation efficace, ou [que] les recours internes n’offrent aucune possibilité raisonnable d’obtenir une telle réparation» ni que «[l]’administration du recours subit un retard abusif».
25. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le demandeur n’a en rien démontré que les recours internes avaient été épuisés avant qu’il n’introduise la présente instance. Dès lors, la demande en indication de mesures conservatoires est irrecevable prima facie.
26. C’est ainsi que s’achève mon exposé. Je vous remercie de votre aimable attention et de votre patience. Je vous saurais gré de bien vouloir à présent appeler à la barre M. Simon Olleson, qui traitera les questions de l’existence d’un différend et de la nécessité que les droits invoqués soient plausibles.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, M. Treves. Avant d’inviter le prochain intervenant, la Cour fera une pause de 15 minutes. L’audience est suspendue.
L’audience est suspendue de 11 h 15 à 11 h 30.
Le PRESIDENT : L’audience reprend et j’invite à présent M. Olleson à la barre. Vous avez la parole, Monsieur.
67 CR 2018/12, p. 39 (citant le HCDH, La crise diplomatique du Qatar : Commentaire de Zeid Ra’ad Al Hussein, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, sur les conséquences en matière de droits de l’homme, 14 juin 2017, https://www.ohchr.org/FR/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=21739….
68 Rapport de la police d’Abu Dhabi recensant les biens immobiliers et autres ainsi que les entreprises appartenant à des Qatariens aux Emirats arabes unis (document 3 déposé par les Emirats arabes unis le 25 juin 2018 : extraits) ; dossier de plaidoiries, onglet no 3.5.
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Le PRESIDENT : L’audience reprend et je donne maintenant la parole à M. Olleson. Vous avez la parole, Monsieur.
M. OLLESON : Merci, Monsieur le président.
L’EXISTENCE D’UN DIFFÉREND, LA PLAUSIBILITÉ DES DROITS INVOQUÉS ET LEUR LIEN AVEC LES MESURES DEMANDÉES
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un grand honneur pour moi que de me présenter devant vous au nom des Emirats arabes unis.
2. Lors de mon intervention, j’exposerai tout d’abord pourquoi le différend soumis à la Cour par le Qatar n’est pas de ceux qui entrent dans le champ de la convention, et donc de la compétence de la Cour.
3. J’examinerai ensuite deux des conditions régissant l’indication de mesures conservatoires auxquelles le Qatar n’a pas satisfait, à savoir que les droits invoqués doivent être plausibles et que les mesures sollicitées doivent être liées auxdits droits.
A. L’existence d’un différend entrant dans le champ d’application de la convention
4. Monsieur le président, commençons par l’absence de différend entrant dans le champ de la convention.
1. Introduction
5. Comme M. Donovan l’a relevé hier69, la Cour a systématiquement précisé dans sa pratique récente que, bien qu’elle ne soit pas tenue de s’assurer de manière définitive de sa compétence avant d’en être arrivée au stade idoine de la procédure, elle ne peut indiquer des mesures
69 CR 2018/12, p. 20, par. 7 (Donovan).
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conservatoires «que si les dispositions invoquées par le demandeur semblent prima facie constituer une base sur laquelle sa compétence pourrait être fondée»70.
6. [Projection no 2] La seule base invoquée par le Qatar pour fonder la compétence de la Cour est l’article 22 de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (que j’appellerai simplement la «convention»). Comme M. Donovan vous l’a dit, il n’est pas contesté que les deux Etats en litige sont parties à la convention et n’ont formulé aucune réserve pertinente en l’espèce, notamment à l’article 2271.
7. MM. Pellet et Treves vous ont exposé les raisons pour lesquelles le Qatar n’avait pas satisfait aux conditions préalables à la saisine de la Cour au titre de la convention. Ce sont encore d’autres raisons, en sus de celles que je vais moi-même présenter, qui font que la Cour n’a pas compétence, fût-ce prima facie, à l’égard du présent différend.
8. Mais même à supposer que ces conditions préalables soient remplies, l’article 22, de façon très similaire, ne confère compétence ratione materiae à la Cour qu’à l’égard des différends touchant «l’interprétation ou l’application» de la convention.
9. Il en découle deux points fondamentaux, pour ne pas dire élémentaires :
10. Premièrement, sa juridiction étant ainsi limitée, la Cour n’a pas compétence et ce, manifestement, dans la mesure où le Qatar prétend qu’il a été manqué à des obligations découlant non pas de la convention mais de toutes autres sources, comme le droit international coutumier ou tel ou tel autre instrument international72. Bien qu’il ait été fait référence hier à plusieurs reprises au non-respect d’obligations découlant plus généralement du droit international des droits de
70 Jadhav (Inde c. Pakistan), mesures conservatoires, ordonnance du 18 mai 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 236, par. 15 ; voir également Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 114, par. 17 ; Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2016, C.I.J. Recueil 2016 (II), p. 1159, par. 47 ; Questions concernant la saisie et la détention de certains documents et données (Timor-Leste c. Australie), mesures conservatoires, ordonnance du 3 mars 2014, C.I.J. Recueil 2014, p. 151, par. 18 ; Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica) ; Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures conservatoires, ordonnance du 13 décembre 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 402, par. 12 ; Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures conservatoires, ordonnance du 8 mars 2011, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 17, par. 49 ; Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), mesures conservatoires, ordonnance du 28 mai 2009, C.I.J. Recueil 2009, p. 147, par. 40.
71 CR 2018/12, p. 21, par. 10 (Donovan).
72 Cf. RQ, par. 58.
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l’homme, notamment de la déclaration universelle73, c’est aux obligations contenues dans la convention qu’il faut nécessairement s’intéresser dans la présente affaire, et à elles seules.
11. Deuxièmement, et inversement, la Cour n’a juridiction et donc compétence pour indiquer des mesures conservatoires que dans la mesure où le différend porté devant elle fait effectivement partie de ceux qui sont susceptibles d’entrer –– à tout le moins prima facie à ce stade de l’instance –– dans le cadre de la convention. [Projection no 3 –– logo].
12. Lorsqu’il a examiné hier devant vous la question de savoir si la présente demande entrait dans le champ de la convention ratione materiae, M. Donovan vous a renvoyés à la fois à la définition classique d’un différend énoncée dans l’affaire Mavrommatis74 et à celle, plus pragmatique, découlant de l’Interprétation des traités de paix75, telle que récemment développée dans l’affaire Ukraine c. Fédération de Russie76. Il avait également indiqué peu auparavant, en se référant à l’ordonnance sur les mesures conservatoires rendue par la Cour en 1995 dans l’affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Etats-Unis d’Amérique), que c’était «uniquement si … elle «n’a[vait] manifestement pas compétence» pour connaître de la requête présentée par l’Etat demandeur que la Cour refusera[it] d’indiquer des mesures conservatoires»77.
13. Ce n’est pas totalement vrai, bien entendu. Tout d’abord, dans cette instance introduite contre les Etats-Unis, parallèlement à d’autres visant également des membres de l’OTAN, la Cour n’a pas dit qu’elle refuserait d’indiquer des mesures conservatoires uniquement si son défaut de
73 CR 2018/12, p. 32, par. 6 ; p. 38, par. 23 ; p. 40, par. 29 (Amirfar).
74 CR 2018/12, p. 21, par. 14 (Donovan), renvoyant à Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I. série A n° 2, p. 11 («Un différend est un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts»).
75 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 74.
76 CR 2018/12, p. 21, par. 14 (Donovan), citant Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 115, par. 22 : «Il existe un différend entre des Etats lorsque leurs ««points de vue … quant à l’exécution ou à la non-exécution» de certaines obligations internationales … «so[nt] nettement opposés»». Voir également Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 26, par. 50.
77 CR 2018/12, p. 20, par. 7 (Donovan), citant Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999, C.I.J. Recueil 1999 (II), p. 925, par. 29.
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compétence était «manifeste» ; cette conclusion se rapportait simplement aux bases de compétence particulières invoquées par le demandeur78 ; elle avait conduit la Cour à rayer l’affaire du rôle79.
14. Ensuite, cette conclusion ne tient et ne rend pas compte des derniers développements intervenus dans la jurisprudence de la Cour. Comme vous l’avez clairement dit dans vos récentes décisions, au stade très préliminaire d’une demande en indication de mesures conservatoires, alors que la compétence n’est pas encore acquise, la Cour ne peut,
«à l’effet d’établir, même prima facie, si un différend au sens [de la clause juridictionnelle pertinente] existe, … se borner à constater que l’une des Parties soutient que [l’instrument concerné] s’applique alors que l’autre le nie. Elle doit rechercher si les actes dont [le demandeur] tire grief sont, prima facie, susceptibles d’entrer dans les prévisions de cet instrument et si, par suite, le différend est de ceux dont la Cour pourrait avoir compétence pour connaître ratione materiae.»80
15. Tel n’est pas le cas en l’espèce ; tout d’abord, même si elles étaient prises pour argent comptant, les allégations factuelles du Qatar ne feraient pas intervenir une discrimination raciale interdite, au sens de la convention, ni d’autres actes prohibés dans celle-ci. Le présent différend excède donc clairement la portée ratione materiae de la convention, de sorte qu’il échappe à la compétence de la Cour.
16. En outre, il en va de même pour certains aspects des demandes qatariennes ; les allégations factuelles du Qatar concernant certaines violations supposées de la convention ne révèlent à première vue aucun comportement qui puisse être réputé contrevenir à la convention.
2. La convention ne s’applique pas aux différences de traitement fondées sur la nationalité, et le différend n’entre pas dans son champ d’application ratione materiae
17. J’en viens à l’absence générale du moindre différend susceptible d’entrer, ne serait-ce que prima facie, dans le champ ratione materiae de la convention.
18. En l’espèce, la question initiale, cruciale et décisive est celle de l’application même de la convention aux mesures dont le Qatar tire grief. Selon la Partie adverse, ces mesures soit sont
78 Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999, C.I.J. Recueil 1999 (II), p. 924, par. 25.
79 Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999, C.I.J. Recueil 1999 (II), p. 925, par. 29 ; voir également le dispositif, ibid., p. 926, par. 34, point 2.
80 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2016, C.I.J. Recueil 2016 (II), p. 1159, par. 47 ; voir également Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 115, par. 22.
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principalement dirigées contre le Qatar lui-même, soit, pour autant qu’elles visent ou touchent des Qatariens, ne le font que parce que les intéressés sont actuellement des nationaux ou ressortissants du Qatar.
19. Il convient de noter que le Qatar ne laisse pas entendre que les mesures en question s’appliquent d’une manière ou d’une autre aux nationaux émiriens ou étrangers ayant des origines qatariennes (par exemple, lorsque l’un de leurs parents était qatarien), ni même aux anciens titulaires de la nationalité qatarienne ayant changé de nationalité par mariage.
Le PRESIDENT : Monsieur Olleson, pourriez-vous parler un peu moins vite afin que les interprètes puissent vous suivre ? Je vous remercie.
M. OLLESON : Veuillez m’excuser, Monsieur le président. Je vais essayer.
20. Les précédentes affaires dont la Cour a été saisie au titre de la convention concernaient des allégations de nettoyage ethnique ou de différences de traitement portant préjudice à des groupes minoritaires au motif de leur ethnicité. Partant, le motif invoqué ne donnait lieu à aucune question concernant l’applicabilité prima facie de la convention ratione materiae aux faits en cause.
21. En l’instance, le Qatar fonde son argumentation concernant l’applicabilité de la convention sur l’idée que, en droit, la notion d’«origine nationale» contenue dans la définition de la discrimination raciale énoncée au paragraphe 1 de l’article premier de la convention s’applique aux mesures imposées sur la seule base de la nationalité actuelle d’une personne.
22. On vous a dit hier à plusieurs reprises que les mesures concernées constituaient une discrimination raciale prohibée visant les Qatariens au motif de leur «origine nationale»81, voire, à quelques reprises, de leur nationalité qatarienne82.
23. Le Qatar ne formule aucune allégation de discrimination fondée sur la race. Compte tenu de la proximité géographique, du contexte social et culturel commun, ainsi que des liens étroits et
81 CR 2018/12, p. 15, par. 2 ; p. 16, par. 4 (Al-Khulaifi) ; p. 19, par. 5 (Donovan) ; p. 34, par. 12 ; p. 38, par. 23 et 24 ; p. 44, par. 44 (Amirfar) ; p. 57, par. 24 (Goldsmith).
82 CR 2018/12, p. 15, par. 2 (Al-Khulaifi).
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inextricables unissant les peuples qatarien et émirien, autant d’éléments qui ont été mis en avant hier par l’agent du Qatar83, pareille allégation n’aurait pas été défendable.
24. Il n’a pas non plus été formulé d’allégation de discrimination sur la base des autres critères énumérés au paragraphe 1 de l’article premier de la convention (à savoir la couleur, l’ascendance ou l’origine ethnique).
25. Comme je vais l’expliquer, l’argument du Qatar, pour qui l’expression «origine nationale» figurant dans la définition de la discrimination raciale recouvre la nationalité actuelle, est vicié. Il en résulte que, dans les circonstances de l’espèce, les actes allégués dont il est tiré grief ne peuvent, ne serait-ce que prima facie, entrer dans le champ de la convention et, partant, de la compétence de la Cour en vertu de l’article 22.
26. Cela ressort du sens ordinaire du paragraphe 1 de l’article premier, lu dans son contexte et à la lumière de l’objet et du but de la convention, et, à supposer que le moindre doute puisse subsister à cet égard, les travaux préparatoires viennent encore clairement le démontrer.
a) L’expression «origine nationale» figurant au paragraphe 1 de l’article premier, lue en son sens ordinaire, dans son contexte et à la lumière de l’objet et du but de la convention, ne couvre pas les différences de traitement fondées sur la nationalité actuelle
27. Vous trouverez le texte de la convention sous l’onglet no 1-1 du dossier de plaidoiries. [Projection no 4] S’agissant du libellé du paragraphe 1 de l’article premier, la définition de la «discrimination raciale» qui y est contenue fait référence à «toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique» ayant les effets précisés.
28. L’«origine nationale» suit immédiatement les autres motifs énumérés («la race, la couleur, l’ascendance») ; elle est en outre couplée à l’«origine ethnique». Son sens ordinaire est nécessairement éclairé par la place qu’elle occupe dans cette énumération et par son rapprochement avec la notion d’«origine ethnique».
29. Un autre point crucial qu’il convient de souligner est le fait que la convention ne contient pas de référence expresse à la nationalité comme motif illicite de discrimination. Cette omission est en soi significative. Les expressions «origine nationale» et «nationalité» ont une portée et un sens
83 CR 2018/12, p. 15, par. 2 (Al-Khulaifi).
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différents. L’interdiction de la discrimination sur la base de la nationalité n’est pas rare en droit international, et elle était loin d’être inconnue en 1965. Pourtant, les rédacteurs de la convention ont choisi d’inclure seulement l’expression «origine nationale». Comme je vais l’expliquer, l’omission du terme «nationalité» était consciente et délibérée.
30. En conséquence, si les Emirats arabes unis ne nient pas que le paragraphe 1 de l’article premier cite «l’origine nationale» au nombre des motifs illicites de discrimination, celle-ci ne saurait néanmoins être assimilée simplement à la «nationalité» ni même être réputée l’englober. Il est évident que cette expression s’entend en un sens plus restreint.
31. [Projection no 5] Le paragraphe 2 de l’article premier, qui fait partie du contexte immédiat du paragraphe 1, le montre clairement. Il vient expressément nuancer et éclairer la définition donnée au paragraphe 1 et, de fait, limite la portée de la convention dans son ensemble. Le paragraphe 2 reconnaît expressément, et exclut du champ d’application de la convention, le droit des Etats d’établir des distinctions entre «ressortissants et non-ressortissants» et donc d’accorder un traitement différent au motif de la nationalité actuelle.
32. Le Qatar en est manifestement conscient. Dans une tentative de restreindre le sens évident du paragraphe 2 de l’article premier, il a cherché dans sa requête à s’appuyer sur le paragraphe 4 de la recommandation générale XXX du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale et a laissé entendre que, de l’avis du Comité, le paragraphe 2 de l’article premier de la convention ne permettait pas aux Etats parties d’«établir des distinctions entre différents groupes de» non-nationaux84. Mme Amirfar a avancé un argument analogue hier au sujet des expulsions collectives85.
33. Cependant, le Qatar méconnaît le sens et l’effet du passage pertinent. La recommandation générale XXX se trouve sous l’onglet no 4.8 du dossier de plaidoiries.
84 RQ, par. 56.
85 CR 2018/12, p. 37-38, par. 22-23 (Amirfar).
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a) [Projection no 6] Premièrement, il convient de relever que le Comité a expressément reconnu au paragraphe 1 de sa recommandation que «[l]e paragraphe 2 de l’article premier permet[tait] d’établir une distinction entre les ressortissants et les non-ressortissants»86.
b) Deuxièmement, et contrairement à l’impression que le Qatar tente de donner, comme vous pouvez le constater au bas de la deuxième page [projection no 7], les observations que le Comité a formulées au paragraphe 4 n’étaient pas expressément liées au paragraphe 2 de l’article premier de la convention et ne s’y rapportaient pas spécialement, mais étaient de nature plus générale.
c) Troisièmement, contrairement à ce que le Qatar laisse entendre et comme vous pouvez le voir, le Comité n’a pas fait référence aux non-nationaux ou à la discrimination entre différents groupes de non-nationaux ; il s’est simplement référé à «l’application d’un traitement différent fondé sur le statut quant à la citoyenneté ou à l’immigration».
d) Quatrièmement, le Qatar cite le passage pertinent de manière sélective et ne le résume que de façon inexacte ; en réalité, le Comité a déclaré ce qui suit :
«Aux termes de la convention, l’application d’un traitement différent fondé sur le statut quant à la citoyenneté ou à l’immigration constitue une discrimination si les critères de différenciation, jugés à la lumière des objectifs et des buts de la convention, ne visent pas un but légitime et ne sont pas proportionnés à l’atteinte de ce but.»87
34. Ce passage doit être lu avec attention. De toute évidence, le Comité n’entendait pas indiquer que tout traitement différent fondé sur la citoyenneté (ou le statut quant à l’immigration) était proscrit par la convention, ce qui aurait été en contradiction non seulement avec les termes clairs du paragraphe 2 de l’article premier, mais également avec la pratique largement répandue des Etats consistant, par exemple, à refuser ou à limiter l’entrée des ressortissants ou nationaux de certains Etats.
35. Ce sur quoi souhaitait insister ici le Comité, ce sont, de toute évidence, les «critères de différenciation, jugés à la lumière des objectifs et des buts de la Convention». Il entendait ainsi
86 Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, recommandation générale XXX concernant la discrimination contre les non-ressortissants (CERD/C/64/Misc.11/rev.3), 2004 (les italiques sont de nous) ; dossier de plaidoiries, onglet no 4.8, par. 1.
87 Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, recommandation générale XXX concernant la discrimination contre les non-ressortissants (CERD/C/64/Misc.11/rev.3), 2004 (les italiques sont de nous) ; dossier de plaidoiries, onglet no 4.8, par. 4.
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souligner, simplement, que ce traitement différent fondé sur le statut quant à la citoyenneté ou à l’immigration était interdit dès lors que les critères retenus, «jugés à la lumière des objectifs et des buts de la Convention», constituaient le vecteur d’une discrimination raciale déguisée.
36. La recommandation générale XXX ne saurait donc être utilisée par le Qatar pour diluer ou restreindre le sens ordinaire du paragraphe 2 de l’article premier.
37. [Projection no 8] La conclusion selon laquelle la nationalité actuelle n’entre pas dans le champ de l’expression «origine nationale» figurant au paragraphe 1 de l’article premier est également confirmée par le fait que l’article 5 c) interdit la discrimination raciale en matière de droits politiques, y compris ceux qui sont normalement réservés aux ressortissants ou nationaux d’un Etat. Si l’«origine nationale» devait s’interpréter comme englobant la nationalité actuelle, cette disposition imposerait de larges obligations aux Etats, qui devraient permettre aux personnes de nationalité étrangère de voter, d’être candidats à des élections et ainsi de suite.
38. En outre, cette conclusion va dans le sens de l’objet et du but prédominants de la convention, c’est-à-dire l’élimination de la discrimination fondée sur la race.
39. Pour en revenir à la convention, qui figure sous l’onglet no 1-1 [projection no 9], il est utile de commencer par le commencement, soit son intitulé : «convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale». Outre qu’il forme le contexte général du paragraphe 1 de l’article premier, ce titre résume précisément l’objet et le but généraux de la convention.
40. Le préambule fournit lui aussi des indications claires quant à l’objet et au but de la convention, au travers, notamment, des éléments suivants :
a) premièrement, le rejet, au cinquième alinéa  première page de l’onglet no 1-1  de «toute doctrine de supériorité fondée sur la différenciation entre les races» ; M. Goldsmith s’est référé à ce passage hier88.
b) Deuxièmement, la réaffirmation un peu plus loin, à l’alinéa suivant [projection no 10], de ce que
«la discrimination entre les êtres humains pour des motifs fondés sur la race, la couleur ou l’origine ethnique est un obstacle aux relations amicales et pacifiques entre les nations et est susceptible de troubler la paix et la sécurité entre les peuples ainsi que la coexistence harmonieuse des personnes au sein d’un même Etat».
88 CR 2018/12, p. 59, par. 32 (Goldsmith).
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Je relève, à cet égard, que la discrimination sur le fondement de l’origine nationale brille par son absence.
c) Troisièmement, la déclaration, à l’alinéa suivant, selon laquelle «l’existence de barrières raciales est incompatible avec les idéals de toute société humaine».
d) Quatrièmement, la condamnation à l’alinéa suivant, encore une fois, [projection no 11] des «politiques gouvernementales fondées sur la supériorité ou la haine raciale, telles que les politiques d’apartheid, de ségrégation ou de séparation».
41. De la même manière, et nonobstant la part presque inévitable de circularité à laquelle on se heurte lorsque l’on cherche à déterminer la portée de la notion de «discrimination raciale» à partir de dispositions qui utilisent elles-mêmes ces termes, l’objet et le but principaux de la convention ressortent aussi clairement de ses dispositions de fond, et notamment
a) [projection no 12] du paragraphe 1 de l’article 2, qui énonce l’obligation de poursuivre «une politique tendant à éliminer toute forme de discrimination raciale et à favoriser l’entente entre toutes les races» ;
b) du paragraphe 2 de l’article 2, qui ménage une exception pour les mesures de discrimination positive, à cette réserve près qu’elles ne «p[uissent] en aucun cas avoir pour effet le maintien de droits inégaux ou distincts pour les divers groupes raciaux, une fois atteints les objectifs auxquels elles répondaient» (un libellé similaire figure à l’article 4 de la convention) ;
c) [projection no 13] de l’article 3, qui condamne spécifiquement «la ségrégation raciale et l’apartheid» et énonce l’obligation de prévenir, d’interdire et d’éliminer pareilles pratiques ;
d) [projection no 14] de l’article 4, qui condamne et prescrit d’éliminer «toute propagande et toutes organisations qui s’inspirent d’idées ou de théories fondées sur la supériorité d’une race ou d’un groupe de personnes d’une certaine couleur ou d’une certaine origine ethnique»  nulle mention, là encore, de l’origine nationale  «ou qui prétendent justifier ou encourager toute forme de haine et de discrimination raciales».
42. [Projection no 15  logo] L’ensemble de ces dispositions témoignent de ce qu’une attention particulière a été accordée à la race comme motif de discrimination, et cela éclaire nécessairement l’interprétation qu’il convient de faire de la définition de la discrimination raciale
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figurant au paragraphe 1 de l’article premier. Rien n’indique, à l’inverse, une intention quelconque d’interdire la discrimination sur le fondement de la nationalité actuelle  bien au contraire.
43. Pour conclure sur ce point, il semble évident que, lue dans son contexte  en particulier à la lumière du paragraphe 2 de l’article premier, qui ménage une exception expresse pour les différences de traitement entre ressortissants et non-ressortissants  l’expression «origine nationale» utilisée dans la définition de la discrimination raciale figurant au paragraphe 1 de l’article premier ne saurait, en son sens ordinaire, être interprétée comme s’appliquant aux différences de traitement fondées sur la nationalité actuelle. Cette conclusion est confortée par l’objet et le but de la convention dans son ensemble.
b) Le sens ordinaire du paragraphe 1 de l’article premier est confirmé par les travaux préparatoires
44. A supposer qu’un doute ou une quelconque ambiguïté puisse subsister à cet égard, la conclusion selon laquelle l’inclusion de l’«origine nationale» n’a pas pour effet d’étendre la notion de discrimination raciale aux différences de traitement fondées exclusivement sur la nationalité actuelle est pleinement, et très clairement, étayée par les travaux préparatoires de la convention.
45. L’heure n’est pas à un examen approfondi des débats intervenus aux différentes étapes de la genèse de la convention au sein de la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, puis de la Commission des droits de l’homme et, enfin, de la Troisième Commission de l’Assemblée générale. Ce qui suit sera nécessairement un bref tour d’horizon ; vous trouverez les documents essentiels des travaux auxquels je me référerai dans vos dossiers, sous les onglets nos 4.1 à 4.7.
46. [Projection no 16] Une première indication du rôle limité que la nationalité et l’«origine nationale» devaient jouer dans la définition de la discrimination raciale apparaît dans la proposition Abram soumise à la Sous-Commission, qui figure sous l’onglet no 4.1 de vos dossiers. L’article premier proposé, qui se trouve à la page 2 et que vous voyez maintenant à l’écran, visait
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«toute distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur ou l’origine ethnique et, dans le cas d’Etats composés de nationalités différentes ou de personnes ayant des origines nationales différentes, toute discrimination fondée sur de telles différences»89.
On relèvera que les notions d’«origine nationale» et «ethnique» n’étaient pas liées, et que le rôle de la notion de discrimination était limité aux différences de traitement de personnes d’«origines nationales» différentes qui étaient des nationaux d’un Etat partie.
47. [Projection no 17  logo] Au cours de la discussion au sein de la Sous-Commission, dont vous trouverez des extraits sous l’onglet no 4.3 de vos dossiers, il y a eu d’importantes divergences d’opinion quant à la question de savoir s’il convenait de faire référence à l’«origine nationale» ou à la «nationalité» (lesquelles étaient clairement considérées comme deux choses distinctes) ou à aucune de ces deux notions ; seule une faible minorité était favorable à l’emploi du mot «nationalité»90.
48. [Projection no 18] Dans le projet ayant émané du groupe de travail de la Sous-Commission, qui figure sous l’onglet no 4.2 de vos dossiers, le rôle limité de la notion d’origine nationale, tel qu’il était prévu dans le projet Abram, a été conservé sous une forme modifiée, la définition de la discrimination raciale visant toute distinction, etc. «fondée sur la race, la couleur, l’origine nationale ou ethnique (et dans le cas des Etats composés de nationalités différentes la discrimination fondée sur cette différence...)»91.
49. Il y a lieu de noter que, dans cette formulation, où l’«origine nationale» est déjà couplée à l’«origine ethnique», la référence faite aux «nationalités» dans le membre entre parenthèses ne vise à l’évidence pas la possession actuelle de la nationalité d’un Etat étranger, mais constitue une notion nettement plus diffuse.
89 M. Abram : projet de texte de convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale ; document de la Commission des droits de l’homme  Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, seizième session, Nations Unies, doc. E/CN.4/Sub.2/L.308, 13 janvier 1964 ; dossier de plaidoiries, onglet no 4.1.
90 Compte rendu analytique de la quatre cent onzième séance, 16 janvier 1964, document de la Commission des droits de l’homme  Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, seizième session, Nations Unies, doc. E/CN.4/Sub.2/SR.411, 5 février 1964 ; dossier de plaidoiries, onglet no 4.3, p. 5-6 (Capotorti) ; p. 9-10 (Cuevas Cancino, Calvocoressi et Santa Cruz), p. 12 (Saario) ; voir également p. 4 (Krishnaswami).
91 Projet de convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, document de la Commission des droits de l’homme  Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, seizième session, Nations Unies, doc. E/CN.4/Sub.2/L.319, 17 janvier 1964 ; dossier de plaidoiries, onglet no 4.2 ; les italiques sont de nous.
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50. Lors de l’examen qui a suivi au sein de la Commission des droits de l’homme, dont la teneur a été relatée dans le rapport de la Commission figurant sous l’onglet no 4.4 de vos dossiers, il a été convenu de supprimer le membre entre parenthèses du projet de la Sous-Commission au motif qu’il pouvait prêter à confusion, et de conserver pour l’heure la référence à la notion d’«origine nationale»92.
51. [Projection no 19] Par la suite, sur une proposition du Danemark ayant abouti à la formulation projetée à l’écran, qui figure à la page 111 du rapport, la Commission est convenue sans objection de mettre entre crochets le mot «nationale» et d’ajouter à la fin de la définition, également entre crochets, une mention précisant que «[d]ans ce paragraphe l’expression «origine nationale» ne désign[ait] pas le statut conféré à une personne par sa qualité de citoyen d’un Etat donné»93.
52. A ce stade, il était clair que l’«origine nationale» n’englobait pas la citoyenneté (ni, par extension, la nationalité).
53. Ce point de vue a fait son chemin jusqu’à la Troisième Commission. S’il y a de nouveau eu des divergences d’opinion à cet égard, à la 1304e séance [projection no 20], dont le compte rendu analytique figure sous l’onglet no 4.5 de vos dossiers, le représentant de la Pologne a défendu le maintien de l’expression «origine nationale» au motif que (je cite le paragraphe 4), «dans un grand nombre de langues et de cultures, les mots «origine nationale» [avaient] un sens différent de celui des mots «origine ethnique» et que la distinction p[ouvait] être à la base de pratiques discriminatoires»94.
54. Au paragraphe suivant [projection no 21], on constate que le représentant de la Pologne a ensuite précisé la raison particulière justifiant le maintien de cette expression, à savoir le
«cas où une nation politiquement organisée fai[sai]t partie d’un Etat donné au sein duquel elle exist[ait] en tant que nation au sens social et culturel du terme, sans toutefois avoir de gouvernement propre. Les membres d’une telle nation à l’intérieur
92 Commission des droits de l’homme, rapport sur la vingtième session  Conseil économique et social, documents officiels : trente-septième session, supplément no 8, Nations Unies, doc. E/CN.4/874, 17 février 1964-18 mars 1964 (extraits) ; dossier de plaidoiries, onglet no 4.4, par. 85.
93 Commission des droits de l’homme, rapport sur la vingtième session  Conseil économique et social, documents officiels : trente-septième session, supplément no 8, Nations Unies, doc. E/CN.4/874, 17 février 1964-18 mars 1964 (extraits) ; dossier de plaidoiries, onglet no 4.4, par. 101.
94 Documents officiels de l’Assemblée générale des Nations Unies, vingtième session, Troisième Commission, 1304e séance, Nations Unies, doc. A/C.3/SR.1304, 14 octobre 1965 ; dossier de plaidoiries, onglet no 4.5, par. 4.
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d’un Etat p[ouvaient] faire l’objet de mesures discriminatoires non en tant que particuliers, ou en tant que membres d’une race donnée, mais en tant que membres d’une nation qui exist[ait] sous sa forme politique antérieure»95.
Là encore, les deux observations indiquent que la préoccupation motivant le maintien de la référence à l’«origine nationale» n’était pas liée à la discrimination fondée sur la nationalité actuelle.
55. De plus, il convient de noter que, entre autres propositions [projection no 22], un amendement a été proposé par la France et les Etats-Unis d’Amérique — il se trouve au paragraphe 32, à la page 12 du rapport de la Troisième Commission qui figure sous l’onglet no 4.7 de vos dossiers et que vous pouvez voir à l’écran. Cet amendement visait à ajouter un nouveau paragraphe 2 indiquant expressément que l’expression «origine nationale» ne «désign[ait] ni «la «nationalité», ni la «citoyenneté»[, et que] la convention ne s’appliqu[ait] donc pas aux distinctions, exclusions, restrictions ou préférences fondées sur des différences de nationalité ou de citoyenneté»96.
56. Les Etats-Unis d’Amérique, lorsqu’ils ont exposé cette proposition [projection no 23], ont bien précisé que la notion d’«origine nationale» ne devait pas être assimilée à celle de «nationalité» et que l’inclusion de la première visait à prévenir la discrimination fondée sur l’origine nationale passée, par opposition à la nationalité actuelle :
«L’origine nationale se distingue de la nationalité en ce sens qu’elle est un héritage du passé : elle indique la nationalité antérieure de l’individu ou de ses ancêtres, ou la région géographique d’où ils venaient, alors que la nationalité a trait à la situation actuelle.»97
57. La proposition américano-française n’a jamais été mise aux voix ; elle a été retirée98 [projection no 24], tout comme d’autres propositions de modification de l’article premier99, en
95 Ibid., par. 5.
96 Amendement proposé par les Etats-Unis d’Amérique et la France : doc. A/C.3/L.1212 ; reproduit dans projet de convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale : rapport de la Troisième Commission ; documents officiels de l’Assemblée générale, vingtième session, Nations Unies, doc. A/6181, 18 décembre 1965 ; dossier de plaidoiries, onglet n° 4.7, p. 12, par. 32.
97 Documents officiels de l’Assemblée générale des Nations Unies, vingtième session, Troisième Commission, 1304e séance, Nations Unies, doc. A/C.3/SR.1304, 14 octobre 1965 ; dossier de plaidoiries, onglet no 4.5, par. 23.
98 Documents officiels de l’Assemblée générale des Nations Unies, vingtième session, Troisième Commission, 1307e séance, Nations Unies, doc. A/C.3/SR.1307, 18 octobre 1965 ; dossier de plaidoiries, onglet no 4.6, par. 8.
99 Ibid., par. 10-12 ; pour les autres propositions, voir projet de convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale : rapport de la Troisième Commission ; documents officiels de l’Assemblée générale, vingtième session, Nations Unies, doc. A/6181, 18 décembre 1965 ; dossier de plaidoiries, onglet no 4.7, p. 12-13, par. 30-31 et 33-36.
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faveur d’un amendement prôné par neuf Etats (dont la Pologne)100, qui a été adopté à l’unanimité et est à l’origine du libellé actuel des paragraphes 1 à 3 de l’article premier de la convention101. En retirant la proposition conjointe, le représentant français a précisé que celle des neuf puissances était «tout à fait acceptable» pour sa délégation et pour celle des Etats-Unis d’Amérique102.
58. [Projection no 25  logo] Cette suite d’événements démontre sans l’ombre d’un doute que les paragraphes 1 à 3 de l’article premier, tels qu’ils ont finalement été adoptés, étaient considérés comme répondant pleinement aux préoccupations exprimées à travers la proposition américano-française quant à l’applicabilité de la convention au traitement fondé sur la nationalité et/ou la citoyenneté.
59. Les discussions au sein de la Troisième Commission confirment donc le sens ordinaire du texte des paragraphes 1 et 2 de l’article premier, à savoir que l’expression «origine nationale» employée au paragraphe 1 ne doit pas être interprétée comme englobant la «nationalité» actuelle, et que la convention dans son ensemble ne visait pas à inclure le traitement fondé sur la nationalité actuelle d’une personne.
c) Conclusion
60. Pour conclure sur ce point, la définition de la «discrimination raciale» ne s’applique pas aux différences de traitement fondées sur la nationalité actuelle. La demande du Qatar en l’espèce, dans la mesure où elle se rapporte à des différences de traitement prétendument subies par des Qatariens au seul motif de leur nationalité actuelle, n’entre donc pas dans le champ d’application ratione materiae de la convention. Il n’existe en conséquence aucun différend à l’égard duquel la Cour a compétence, même prima facie, et donc aucun fondement sur lequel celle-ci pourrait indiquer les mesures conservatoires sollicitées par le Qatar.
100 Amendement proposé par le Ghana, l’Inde, le Koweït, le Liban, Maurice, le Maroc, le Nigéria, la Pologne et le Sénégal (Nations Unies, doc. A/C.3/L.1238) ; reproduit dans projet de convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale : rapport de la Troisième Commission ; documents officiels de l’Assemblée générale, vingtième session, doc. A/6181, 18 décembre 1965, dossier de plaidoiries, onglet no 4.7, p. 13-14, par. 37.
101 Documents officiels de l’Assemblée générale des Nations Unies, vingtième session, Troisième Commission, 1307e séance, doc. A/C.3/SR.1307, 18 octobre 1965, dossier de plaidoiries, onglet no 4.6, par. 17.
102 Ibid., par. 8.
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3. Absence de différend relevant prima facie du champ d’application de la convention s’agissant des entraves supposées à la liberté d’ expression
61. Outre le fait que les mesures adoptées n’entrent pas, même prima facie, dans le champ d’application de la convention, puisqu’elles ne concernent en rien la discrimination raciale, il convient d’examiner encore deux questions particulières.
62. La première concerne l’invocation par le Qatar du droit de ne pas subir de discrimination raciale dans l’exercice de la liberté d’opinion et d’expression prévue à l’article 5 d) viii) de la convention, sur lequel le Qatar fonde sa mesure conservatoire visant à ce que les Emirats arabes unis s’abstiennent de fermer les bureaux de ses sites d’information et d’empêcher ceux-ci de diffuser sur leur territoire103.
63. Or, même si elles étaient acceptées telles quelles, les allégations factuelles du Qatar ne révéleraient pas, fût-ce prima facie, l’existence d’une violation de cette disposition, pas plus que celle d’un différend entrant dans le champ de la convention à cet égard.
64. Ces allégations portent uniquement sur des entraves supposées à l’exercice, par des entités qatariennes, de la liberté d’expression. Ces entités sont situées hors des Emirats arabes unis, au Qatar, et ne sont empêchées d’émettre que sur le territoire émirien. En outre, ce sont des personnes morales, et non des particuliers, et elles ne sauraient donc en elles-mêmes faire l’objet d’une discrimination raciale.
65. A l’inverse, pour autant que le blocage de leurs émissions puisse être invoqué comme lésant des personnes dans leurs droits sur le territoire émirien, il s’agirait nécessairement de toutes les personnes qui auraient autrement pu vouloir écouter ou regarder ces émissions aux Emirats arabes unis. Pareil blocage ne peut donc être qualifié de discriminatoire, que ce soit sur la base de «l’origine nationale» ou à quelque autre titre.
66. Il n’est donc pas permis d’alléguer que le blocage des sites d’information qatariens sur le territoire émirien entrave l’exercice de la liberté d’expression des Qatariens ou de toute autre personne d’une manière discriminatoire qui est interdite par la convention et entre dans son champ d’application. Il n’existe à cet égard aucun différend, pas même prima facie, quant à une violation de la convention.
103 Demande en indication de mesures conservatoires du Qatar, par. 19 a) iv).
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67. Cela vaut également dans la mesure où le droit de ne pas subir de discrimination dans l’exercice de la liberté d’opinion et d’expression est invoqué pour fonder une mesure conservatoire visant à suspendre l’application du décret-loi fédéral émirien sur la lutte contre la cybercriminalité : même si les allégations du Qatar sont acceptées telles quelles, il n’est pas plausible d’invoquer une discrimination raciale illicite (voire la moindre discrimination) qui serait susceptible de donner lieu à un différend au titre de la convention.
68. Premièrement, l’annonce faite par l’Attorney General des Emirats arabes unis concerne uniquement les expressions de sympathie pour le Qatar (et non les Qatariens). Deuxièmement, elle s’applique de manière générale à toute personne, quelle que soit sa nationalité. La convention n’entre tout bonnement pas en jeu et il n’existe aucun différend à cet égard, même prima facie.
B. La plausibilité des droits invoqués
69. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’aborderai à présent mon deuxième sujet, à savoir la plausibilité des droits invoqués par le Qatar.
1. Introduction
70. Comme je viens de l’expliquer, la demande soumise à la Cour ne donne pas lieu à un différend susceptible de relever, même prima facie, de la compétence de celle-ci au titre de l’article 22 de la convention, car les mesures sollicitées n’entrent pas dans le champ d’application ratione materiae de cet instrument.
71. Mais à supposer que la Cour s’estime compétente, à tout le moins prima facie, s’agissant du différend que lui a soumis le Qatar (quod non), plusieurs des droits que ce dernier invoque pour fonder sa demande ne sont manifestement pas «plausibles» et ne sauraient donc servir de base à l’indication des mesures conservatoires sollicitées.
72. Ainsi qu’elle l’a dit pour la première fois dans sa décision en l’affaire relative à des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader, et qu’elle l’a réaffirmé à plusieurs reprises dans les ordonnances qu’elles a rendues par la suite, lesquelles font aujourd’hui partie de sa jurisprudence consolidée, la Cour considère qu’elle ne peut exercer son pouvoir d’indiquer des
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mesures conservatoires «que si elle estime que les droits allégués par la partie demanderesse sont au moins plausibles»104.
73. La raison de cette condition, comme la Cour l’a précisé très récemment dans l’Affaire Jadhav, est que le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires qu’elle tient de l’article 41 de son Statut
«a pour objet de sauvegarder, dans l’attente de sa décision sur le fond de l’affaire, les droits revendiqués par chacune des parties. Il s’ensuit que la Cour doit se préoccuper de sauvegarder par de telles mesures les droits que l’arrêt qu’elle aura ultérieurement à rendre pourrait reconnaître à l’une ou à l’autre des parties»105.
74. L’accent est mis sur les droits «que l’arrêt qu[e la Cour] aura ultérieurement à rendre pourrait reconnaître à l’une ou à l’autre des parties». Dans la mesure où un droit invoqué et revendiqué dans le cadre de la procédure principale ne semble pas, lorsqu’il est examiné au stade préliminaire de la procédure, pouvoir être reconnu à la partie qui cherche à s’en prévaloir, et n’atteint donc pas au moins le seuil de la plausibilité, il ne saurait fonder l’indication d’une mesure conservatoire.
75. Telle est précisément la conclusion à laquelle la Cour est parvenue s’agissant des droits revendiqués par l’Ukraine au titre de l’article 18 de la convention internationale pour la répression
104 Jadhav (Inde c. Pakistan), mesures conservatoires, ordonnance du 18 mai 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 240, par. 35 ; Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 126, par. 63 ; Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2016, C.I.J. Recueil 2016 (II), p. 1165, par. 71 ; Questions concernant la saisie et la détention de certains documents et données (Timor-Leste c. Australie), mesures conservatoires, ordonnance du 3 mars 2014, C.I.J. Recueil 2014, p. 152, par. 22 ; Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica) ; Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures conservatoires, ordonnance du 13 décembre 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 402, par. 15 ; Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures conservatoires, ordonnance du 8 mars 2011, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 18, par. 53 ; Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), mesures conservatoires, ordonnance du 28 mai 2009, C.I.J. Recueil 2009, p. 151, par. 57 ; voir antérieurement, Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), mesures conservatoires, ordonnance du 13 juillet 2006, opinion individuelle de M. le juge Abraham, C.I.J. Recueil 2006, p. 140, par. 9.
105 Jadhav (Inde c. Pakistan), mesures conservatoires, ordonnance du 18 mai 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 240, par. 35 ; Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 126, par. 63 ; Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2016, C.I.J. Recueil 2016 (II), p. 1165, par. 71 ; Questions concernant la saisie et la détention de certains documents et données (Timor-Leste c. Australie), mesures conservatoires, ordonnance du 3 mars 2014, C.I.J. Recueil 2014, p. 152, par. 22 ; Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica) ; Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures conservatoires, ordonnance du 13 décembre 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 402, par. 15 ; Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures conservatoires, ordonnance du 8 mars 2011, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 18, par. 53 ; Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), mesures conservatoires, ordonnance du 28 mai 2009, C.I.J. Recueil 2009, p. 151, par. 57.
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du financement du terrorisme, sur lesquels cet Etat entendait fonder sa demande en indication de mesures conservatoires. La Cour est parvenue à cette conclusion parce que, à ce stade de la procédure, l’Ukraine avait manqué de fournir les éléments nécessaires pour démontrer le caractère plausible, en fait, de la commission de certaines infractions principales visées à l’article 2106.
76. La même logique s’applique nécessairement dès lors que l’existence d’un droit revendiqué n’est pas plausible car elle ne tient pas, même prima facie, sur le plan juridique.
2. Les droits invoqués par le Qatar ne sont pas plausibles
77. En présentant sa demande, et en tentant de fonder les mesures sollicitées, le Qatar donne des interprétations excessivement larges de plusieurs des obligations énumérées à l’article 5 de la convention. En conséquence, les droits sur lesquels il entend s’appuyer ne sont pas «plausibles». Faute du fumus boni juris requis, ils ne sauraient servir de fondement à l’indication de mesures conservatoires.
78. S’agissant de la plausibilité des droits invoqués par le Qatar, des questions se posent notamment au sujet de plusieurs de ceux invoqués au titre de l’article 5 de la convention, que je vais examiner successivement.
79. [Projection no 26] A titre liminaire, il convient de souligner que, à l’article 5, les Parties s’engagent «à interdire et à éliminer la discrimination raciale sous toutes ses formes et à garantir le droit de chacun à l’égalité devant la loi sans distinction de race, de couleur ou d’origine nationale ou ethnique, notamment dans la jouissance des droits suivants».
80. Ainsi, comme l’a reconnu le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, l’obligation prévue à l’article 5 consiste à interdire et à éliminer la discrimination raciale dans la jouissance des droits énumérés aux alinéas qui suivent107.
81. [Projection no 27] Premièrement, le Qatar se fonde sur des violations supposées du «droit de se marier et de choisir son conjoint» énoncé à l’article 5 d) iv) de la convention. C’est sur la base de ce droit qu’est demandée la mesure conservatoire imposant aux Emirats arabes unis de
106 Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 131-132, par. 75.
107 Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, recommandation générale XX sur l’article 5 de la convention, Nations Unies, doc. A/51/18, par. 1.
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cesser et de s’abstenir de «prendre des mesures ayant pour effet, directement ou indirectement, de séparer un Qatarien de sa famille» et de «prendre toutes les dispositions requises pour réunir les familles séparées par suite de l’application des mesures discriminatoires»108. Le Qatar semble également invoquer ce droit à l’appui de sa première mesure, d’ordre général, visant la suspension des expulsions alléguées de Qatariens et de l’«interdiction d’entrée» sur le territoire émirien qui leur serait opposée.
82. Le Qatar traite l’article 5 d) iv) comme s’il consacrait un droit général à la vie de famille. Qui plus est, son argument suppose que cette disposition habilite les individus à entrer sur le territoire d’un Etat partie dont ils n’ont pas la nationalité afin de pouvoir exercer ce droit109.
83. L’obligation spécifique a toutefois une portée nettement plus limitée ; elle a clairement et manifestement pour objectif la prohibition des lois anti-métissage et, plus généralement, de la discrimination quant au droit de se marier, notamment en garantissant à chacun la liberté d’épouser toute personne de son choix.
84. L’interprétation implicite et excessivement large que fait le Qatar de l’article 5 d) iv) n’est pas plausible, et cette disposition ne peut servir de fondement à l’indication d’une quelconque mesure conservatoire.
85. [Projection no 28] Deuxièmement, le Qatar se fonde sur le droit «à la santé [et] aux soins médicaux» énoncé à l’article 5 e) iv) afin de réclamer la suspension des mesures «ayant pour effet ... de priver des Qatariens de la possibilité de recevoir des soins médicaux aux Emirats arabes unis»110. Il semble également l’invoquer à l’appui de la mesure générale visant la suspension des expulsions alléguées et de l’interdiction d’entrée prétendument opposée aux ressortissants qatariens.
86. Une fois encore, selon le sens ordinaire des termes employés, l’obligation en question consiste à proscrire la discrimination raciale et à assurer un traitement égal en matière de santé et de soins médicaux ; le droit correspondant est celui de ne pas subir de discrimination à cet égard.
108 RQ, par. 19 a) v).
109 Cf. CR 2018/12, p. 40-41, par. 29-30 (Amirfar).
110 RQ, par. 19 a) vi).
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87. Le Qatar, au contraire, est contraint de traiter cette disposition comme si elle emportait un droit absolu de bénéficier de soins médicaux et, qui plus est, le droit pour un individu d’entrer à cet effet sur le territoire d’un Etat dont il n’a pas la nationalité111, voire une obligation pour les Emirats arabes unis d’autoriser l’exportation vers le Qatar de médicaments en provenance de leur territoire112.
88. Une fois de plus, pareille lecture de la disposition n’est pas plausible, et l’article 5 e) iv) ne saurait donc servir de fondement aux mesures sollicitées.
89. [Projection no 29] Troisièmement, l’on peut en dire autant au sujet de l’invocation, par le Qatar, de l’article 5 e) v), relatif au droit à l’éducation et à la formation professionnelle. Là encore, l’obligation contractée par les Etats parties consiste à proscrire la discrimination raciale et à assurer un traitement égal s’agissant de la disponibilité et de la fourniture d’un enseignement et de formations professionnelles ; le droit correspondant des individus est celui de ne pas subir de discrimination dans ce domaine.
90. Le Qatar voudrait toutefois vous voir interpréter cette disposition de manière plus large, comme si elle emportait à la fois un droit général à l’éducation et un droit d’entrer sur le territoire d’un Etat afin de suivre des études dans des établissements locaux. Une fois de plus, le droit invoqué n’atteint même pas le seuil de la plausibilité.
91. Enfin, des observations analogues peuvent être formulées s’agissant de l’invocation, par le Qatar, du droit au travail, ainsi que du droit à la propriété, tels qu’ils sont énoncés à l’article 5 e) i) et d) v) de la convention, respectivement. Dans la mesure où le Qatar fait fond sur ces droits pour justifier tant les mesures concernant l’accès à la propriété que celle, plus générale, relative aux restrictions des déplacements, aucune des deux dispositions ne peut être interprétée de manière plausible comme emportant un droit d’entrée sur le territoire d’un Etat particulier.
[Projection no 30]
111 Cf. CR 2018/12, p. 42, par. 35 (Amirfar).
112 Cf. CR 2018/12, p. 42, par. 36 (Amirfar).
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C. Le lien entre les mesures sollicitées et les droits invoqués par le Qatar, ainsi que les droits des Emirats arabes unis qui sont en cause
92. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vais enfin vous parler, et je serai relativement bref, du lien qui doit exister entre les mesures demandées et les droits invoqués par le Qatar, ainsi que de l’atteinte qui sera nécessairement portée, si la Cour indique pareilles mesures, aux droits des Emirats arabes unis qui sont en cause dans la présente affaire.
93. S’agissant du premier point, M. Klein a déjà rappelé, à la lumière de l’objectif sous-jacent des mesures conservatoires prévues à l’article 41 du Statut, que, selon la jurisprudence constante de la Cour, «un lien doit exister entre les mesures sollicitées et les droits dont il est prétendu qu’ils sont exposés à un risque de préjudice irréparable»113.
94. La courte intervention de M. Klein sur ce point a toutefois simplement consisté à affirmer que les mesures sollicitées «présent[aient] clairement un lien direct» avec les droits invoqués au titre de la convention114.
95. Je n’examinerai que la question du lien entre les mesures demandées et les droits invoqués. M. Shaw vous parlera ensuite de l’absence de quelque risque de préjudice irréparable que ce soit.
96. Maintenant, en ce qui concerne le deuxième point, comme je l’ai déjà dit, la Cour a clairement indiqué que les mesures conservatoires visaient à sauvegarder, «dans l’attente d[’une] décision sur le fond de l’affaire, les droits revendiqués par chacune des parties»115. Dans le même
113 Jadhav (Inde c. Pakistan), mesures conservatoires, ordonnance du 18 mai 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 241, par. 36 ; Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 126, par. 64 et p. 135, par. 86 ; Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2016, C.I.J. Recueil 2016 (II), p. 1166, par. 72 ; Questions concernant la saisie et la détention de certains documents et données (Timor-Leste c. Australie), mesures conservatoires, ordonnance du 3 mars 2014, C.I.J. Recueil 2014, p. 152, par. 23 ; voir également Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica) ; Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures conservatoires, ordonnance du 13 décembre 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 403, par. 16 ; Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures conservatoires, ordonnance du 8 mars 2011, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 18, par. 54 ; Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), mesures conservatoires, ordonnance du 28 mai 2009, C.I.J. Recueil 2009, p. 151, par. 56.
114 CR 2018/12, p. 50, par. 12 (Klein).
115 Voir, par exemple, Affaire Jadhav (Inde c. Pakistan), mesures conservatoires, ordonnance du 18 mai 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 240, par. 35.
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ordre d’idées, elle a fréquemment déclaré qu’une décision sur l’indication de mesures conservatoires ne pouvait d’aucune façon préjuger le fond du différend116.
97. Il ressort clairement des interventions faites hier par l’agent du Qatar117 et par Mme Amirfar118 que la demande principale, ou le centre de gravité des mesures conservatoires dont l’indication est demandée, est la levée de l’interdiction d’entrée prétendument opposée aux Qatariens. Tel est l’objectif qui sous-tend la mesure d’ordre général sollicitée au sous-alinéa i) de l’alinéa a) du paragraphe 19 de la demande, ainsi que les mesures demandées aux sous-alinéas iv) à viii) au sujet des droits concernant les familles séparées, les soins médicaux, l’éducation, les biens et le droit connexe au travail.
98. Comme l’agent des Emirats arabes unis l’a bien montré, les allégations factuelles qatariennes à cet égard sont dépourvues de substance : aucun Qatarien n’a en fait été expulsé, et si une procédure d’autorisation préalable a effectivement été mise en place, la vaste majorité des Qatariens ayant soumis une demande se sont vu délivrer une autorisation et sont en mesure de se rendre sur le territoire émirien comme d’en sortir.
99. Mais quoi qu’il en soit, les mesures sollicitées concernant l’interdiction d’entrée supposée ne sont pas suffisamment liées aux droits dont le Qatar prétend qu’ils sont en cause ici ; elles tendent de surcroît à méconnaître les droits qui sont ceux des Emirats arabes unis.
100. J’ai déjà fait valoir que l’article 5 conférait une protection contre la discrimination dans l’exercice des droits désignés, et que ces dispositions ne pouvaient être lues comme emportant droit
116 Voir, par exemple, Jadhav (Inde c. Pakistan), mesures conservatoires, ordonnance du 18 mai 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 245, par. 60 ; Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 140, par. 105 ; Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2016, C.I.J. Recueil 2016 (II), p. 1171, par. 98 ; Questions concernant la saisie et la détention de certains documents et données (Timor-Leste c. Australie), mesures conservatoires, ordonnance du 3 mars 2014, C.I.J. Recueil 2014, p. 160, par. 54 ; voir également Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica) ; Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures conservatoires, ordonnance du 13 décembre 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 408, par. 38 ; Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures conservatoires, ordonnance du 8 mars 2011, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 27, par. 85 ; Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), mesures conservatoires, ordonnance du 28 mai 2009, C.I.J. Recueil 2009, p. 155, par. 74 ; Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 15 octobre 2008, C.I.J. Recueil 2008, p. 397, par. 148.
117 CR 2018/12, p. 17, par. 8-10 (Al-Khulaifi).
118 CR 2018/12, p. 33-34, par. 8-10 (Amirfar).
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d’entrée. De manière corollaire, les mesures particulières réclamées à cet égard et, a fortiori, la mesure générale ne sont pas suffisamment liées aux droits invoqués par le Qatar.
101. Cela mis à part, la mesure générale a une portée trop vaste pour être acceptée. Elle imposerait aux Emirats arabes unis de permettre l’entrée sur leur territoire de tous les Qatariens, que ceux-ci y aient ou non précédemment résidé ou s’y soient trouvés à quelque autre titre, et sans vérifier s’il existe ou non quelque autre circonstance préalable particulière (d’ordre familial, médical, scolaire, par exemple) motivant leur venue. Là encore, la mesure sollicitée n’est pas suffisamment liée aux droits revendiqués.
102. En ce qui concerne la sauvegarde des droits respectifs des Parties, la mesure générale et les autres mesures concernant plus précisément l’interdiction d’entrée supposée ne tiennent pas compte du droit souverain incontestable qu’ont les Emirats arabes unis de réglementer l’entrée sur leur territoire des personnes de nationalité étrangère et la sortie de ces mêmes personnes. Partant, si la Cour accédait à la demande du Qatar, elle ne ferait pas dûment cas des droits respectifs des deux Parties et n’en assurerait pas la sauvegarde jusqu’à sa décision sur le fond.
103. De même,
a) la mesure visant à ce que les Emirats arabes unis cessent d’appliquer leur législation pénale ne tient pas compte du droit qu’ont ceux-ci d’appliquer leurs lois sur leur propre territoire,
b) la mesure visant à ce que les Emirats arabes unis cessent d’empêcher les sites d’information qatariens de diffuser met directement en jeu (et méconnaît) le droit qu’ont ceux-ci de régir de telles activités sur leur propre territoire.
104. Les mesures sollicitées par le Qatar à ce propos ne permettraient donc pas d’assurer la sauvegarde des droits émiriens qui sont en cause dans la présente affaire.
105. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous sais gré de votre vigilante attention ; je vous prie à présent de bien vouloir appeler à la barre M. Shaw afin qu’il conclue nos plaidoiries de ce matin en examinant les questions relatives au préjudice irréparable et à l’urgence.
Le PRESIDENT : Je remercie M. Olleson et je donne maintenant la parole à M. Shaw. Vous avez la parole.
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M. SHAW :
URGENCE ET CARACTÈRE IRRÉPARABLE DU PRÉJUDICE
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un honneur pour moi que de plaider devant vous à nouveau et de le faire au nom du Gouvernement des Emirats arabes unis.
2. Il me revient aujourd’hui d’aborder quelques aspects singuliers et importants des mesures conservatoires. Nous démontrerons que les conditions requises pour l’indication de mesures conservatoires sont rigoureuses et qu’elles ne sauraient être présumées ni reconnues à la légère. Premièrement, le demandeur de telles mesures doit prouver, et non pas se contenter d’affirmer, en étayant son propos de quelques anecdotes, qu’un préjudice irréparable sera causé à certains droits si des mesures conservatoires ne sont pas indiquées. Deuxièmement, ainsi que la Cour l’a relevé à diverses occasions, ces mesures ne se justifient que s’il y a véritablement urgence. Il ne suffit pas de déclarer, comme l’a fait Lord Goldsmith hier, par exemple, que le caractère imminent du préjudice ne fait «aucun doute»119. Loin s’en faut.
3. Devant l’exigence de telles conditions, nous soutenons qu’un examen des faits pertinents démontre que le demandeur n’y a pas satisfait. L’indication, par la Cour, de mesures conservatoires n’est pas un droit ; elle est subordonnée à certaines conditions.
4. A l’évidence, il échoit à l’Etat qui demande des mesures conservatoires de prouver que les circonstances telles qu’elles se présentent fournissent à la Cour les raisons adéquates d’exercer le pouvoir qu’elle a d’indiquer pareilles mesures, compte tenu des règles applicables.
A. Le cadre juridique
1. Les conditions essentielles requises pour l’indication de mesures conservatoires
5. Dans son ordonnance du 18 mai 2017 en l’Affaire Jadhav, la Cour a réaffirmé qu’
«[elle] tient de l’article 41 du Statut le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires lorsqu’un préjudice irréparable risque d’être causé aux droits en litige dans une procédure judiciaire (voir, par exemple, Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 19 avril 2017, par. 88)»,
et ajouté que :
119 CR 2018/12, p. 53, par. 9 (Goldsmith).
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«[l]e pouvoir de la Cour d’indiquer des mesures conservatoires ne sera toutefois exercé que s’il y a urgence, c’est-à-dire s’il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits en litige avant que la Cour n’ait rendu sa décision définitive (ibid., par. 89). La Cour doit donc rechercher si pareil risque existe à ce stade de la procédure»120.
Voilà, pour l’essentiel, ce qui ressort de la jurisprudence121. J’en viens maintenant à l’examen, dans un premier temps, de la condition de préjudice irréparable.
2. Préjudice irréparable
6. Le risque de préjudice irréparable existe si les droits en cause ou allégués pourraient être lésés ou leur exercice gravement compromis de telle sorte que les conséquences en seraient irréversibles et ne sauraient être réparées. Il s’agit là d’un critère rigoureux qui est bien entendu lié à la nécessité de sauvegarder les droits en cause. Les mesures conservatoires demandées, qui pourraient être octroyées, doivent être limitées par la nécessité d’éviter pareil préjudice122. La jurisprudence montre que cette condition se décline en plusieurs éléments distincts. Premièrement, il faut établir qu’un dommage ou un préjudice pourrait être causé faute de mesures conservatoires. Deuxièmement, un tel préjudice doit être irréparable : en d’autres termes, il doit être évident et certain que rien ne peut ou ne pourra le redresser, le réparer ni le faire disparaître. Ce qu’il importe d’éviter, c’est la destruction irrémédiable et irréparable des droits en cause ou de l’objet du différend123. Ni plus ni moins. Troisièmement, les mesures conservatoires demandées doivent être véritablement nécessaires pour que ce préjudice puisse être évité, ce qui signifie qu’elles doivent être régies et limitées par cette condition.
7. Il est certains domaines où, du fait de leur nature même, les conditions requises pour l’indication de mesures conservatoires sont réputées remplies. Ainsi, dans les cas où un accusé est passible de la peine de mort, il est évident que si l’on n’empêchait pas l’exécution de la personne
120 Affaire Jadhav (Inde c. Pakistan), mesures conservatoires, ordonnance du 18 mai 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 243, par. 49 et 50. Voir également Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2016 (II), p. 1168, par. 82, et Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigeria (Cameroun c. Nigeria), mesures conservatoires, ordonnance du 15 mars 1996, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 21-22.
121 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), arrêt, C.I.J. Recueil 2015, p. 73 et 74, et Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 437.
122 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures conservatoires, ordonnance du 8 mars 2011, C.I.J. Recueil 2011, p. 27.
123 Convention de Vienne sur les relations consulaires (Paraguay c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 9 avril 1998, C.I.J. Recueil 1998, p. 263 ; déclaration du juge Koroma.
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concernée, les droits en cause seraient vidés de leur sens124. On pourrait donner d’autres exemples tels que le recours à la force armée125 et le génocide126. Si l’on peut considérer que de tels exemples vont de soi, le flou règne par ailleurs. Deux facteurs pertinents se dégagent.
8. Premièrement, le préjudice en cause peut-il être réparé ou redressé par les voies de recours habituelles, comme l’indemnisation financière ou le rétablissement du statu quo ante ?
9. Dans l’affaire de la Dénonciation du Traité sino-belge, la Cour permanente a noté qu’un préjudice irréparable serait causé en cas de «violation éventuelle … de certains des droits [en question] … [dès lors que cette violation] ne saurait être réparée moyennant le versement d’une simple indemnité ou par une autre prestation matérielle»127. Dans l’affaire du Plateau continental de la mer Egée, la Cour a réaffirmé que «la violation, reprochée à la Turquie, de l’exclusivité du droit revendiqué par la Grèce de recueillir des renseignements sur les ressources naturelles de zones du plateau continental pourrait, si ce droit était établi, donner lieu à une réparation appropriée»128. Ayant considéré que le préjudice n’était pas irréparable, la Cour n’a pas indiqué de mesures conservatoires.
10. Deuxièmement, le préjudice peut-il être redressé au stade du fond ? Dans l’affirmative, l’octroi de mesures conservatoires n’a pas lieu d’être.
11. Ainsi la Cour a-t-elle fait observer en l’affaire relative à des Usines de pâte à papier, qu’elle n’était pas convaincue que, s’il devait apparaître que l’Uruguay avait manqué de se conformer à la disposition conventionnelle pertinente, il ne serait pas possible de remédier à de tels
124 LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 3 mars 1999, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 9 ; Convention de Vienne sur les relations consulaires (Paraguay c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 9 avril 1998, C.I.J. Recueil 1998, p. 248 ; Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 5 février 2003, C.I.J. Recueil 2003, p. 77.
125 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), mesures conservatoires, ordonnance du 1er juillet 2000, C.I.J. Recueil 2000, p. 111 ; Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures conservatoires, ordonnance du 8 mars 2011, C.I.J. Recueil 2011, p. 6 ; Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), mesures conservatoires, ordonnance du 18 juillet 2011, C.I.J. Recueil 2011 (II), p. 537.
126 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), mesures conservatoires, ordonnance du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 3.
127 Dénonciation du traité sino-belge du 2 novembre 1865, ordonnances des 8 janvier, 15 février et 18 juin 1927, C.P.J.I. série A no 8, p. 7.
128 Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), mesures conservatoires, ordonnance du 11 septembre 1976, C.I.J. Recueil 1976, p. 3 et 11.
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manquements au stade du fond ou que les droits revendiqués ne pourraient plus être protégés129. De même, ayant examiné une nouvelle demande en indication de mesures conservatoires dans cette même affaire, la Cour a déclaré qu’elle n’était pas convaincue que les barrages en cause risqueraient de causer un préjudice irréparable aux droits revendiqués par l’Uruguay130.
12. Un commentateur a relevé qu’il ressortait de la jurisprudence que «des mesures conservatoires [étaient] indiquées lorsqu’une violation de droits manifeste et flagrante ne [pouvait] être tolérée dans l’attente du prononcé de l’arrêt définitif»131. Lord Goldsmith lui-même a cité ce passage132. Une violation manifeste et flagrante. Les éléments constitutifs d’un préjudice irréparable sont donc clairs : préjudice ou dommage causé aux droits revendiqués ou allégués en cause ; critère draconien du caractère irréparable du préjudice ; absence d’autres moyens viables permettant de régler ce préjudice et impossibilité de régler la question au stade du fond.
13. Lord Goldsmith a fait valoir qu’«un préjudice irréparable est le corollaire naturel de la violation des droits invoqués devant la Cour en l’espèce»133 ou «le corollaire naturel de toute atteinte en cause»134. Toutefois, dans la jurisprudence qu’il cite135, il est seulement dit que les droits protégés par la convention «risquent» de subir un préjudice irréparable et que les droits en cause sont «de nature telle que le préjudice qui leur serait porté pourrait être irréparable»136. Or il n’existe pas de corollaire naturel ici ; le préjudice irréparable doit être prouvé et ne va pas de soi.
14. Monsieur le président, j’en viens maintenant à la seconde condition, à savoir l’urgence.
129 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), mesures conservatoires, ordonnance du 13 juillet 2006, C.I.J. Recueil 2006, p. 131 et 132.
130 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), mesures conservatoires, ordonnance du 23 janvier 2007, C.I.J. Recueil 2007, p. 13.
131 Karin Oellers-Frahm, «Article 41», in Zimmermann et al., The Statute of the International Court of Justice, 2e éd., 2013, Oxford, p. 1026 et 1047.
132 CR 2018/12, p. 54, par. 13 (Goldsmith).
133 CR 2018/12, p. 53, par. 8 (Goldsmith).
134 CR 2018/12, p. 61, par. 37 (Goldsmith).
135 CR 2018/12, p. 60, par. 34 et 35 (Goldsmith).
136 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 15 octobre 2008, C.I.J. Recueil 2008, par. 392 ; Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), ordonnance du 19 avril 2017, par. 96.
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3. Urgence
15. En bref, l’urgence, c’est la nécessité d’agir vite, devant l’imminence du danger qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits en question, qu’il soit réel ou prétendu. Cela ne signifie pas que des mesures conservatoires seraient utiles, profitables, avantageuses ou bénéfiques. Cela signifie que le risque est non seulement élevé mais majeur et que le préjudice irréparable est sur le point de se produire. La peine de mort ou les cas de conflits armés en constituent de bons exemples.
16. Cette question a été examinée en l’affaire relative au Timor-Leste, dans laquelle la Cour a relevé que «[l]e pouvoir ... d’indiquer des mesures conservatoires ne sera toutefois exercé que s’il y a urgence, c’est-à-dire s’il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits en litige avant que la Cour ne rende sa décision définitive»137. En outre, la Cour doit rechercher si pareil risque existe à ce stade de la procédure138. Cette approche a été confirmée à plusieurs reprises, notamment en l’affaire Costa Rica c. Nicaragua, dans laquelle la Cour a évoqué l’urgence en ces termes : «c’est-à-dire s’il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits en litige avant que la Cour n’ait rendu sa décision définitive»139, en l’affaire Géorgie c. Russie140, dans la seconde demande en indication de mesures conservatoires présentée en l’affaire des Usines de pâte à papier141 ou encore en l’affaire Ukraine c. Russie142. En effet, s’agissant de la première demande présentée en l’affaire des Usines de pâte à papier, la Cour a parlé de «risque imminent de préjudice irréparable»143.
17. La notion d’urgence repose donc sur trois éléments. Tout d’abord, il faut qu’il existe un risque de préjudice irréparable. S’il n’y a pas de risque, il n’y a pas d’urgence. Deuxièmement, il faut que le risque soit réel. En d’autres termes, le danger doit être objectivement manifeste, évident
137 Questions concernant la saisie et la détention de certains documents et données (Timor-Leste c. Australie), mesures conservatoires, ordonnance du 3 mars 2014, C.I.J. Recueil 2014, p. 154, par. 32 (les italiques sont de nous).
138 Ibid.
139 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures conservatoires, ordonnance du 8 mars 2011, C.I.J. Recueil 2011, p. 21.
140 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 15 octobre 2008, C.I.J. Recueil 2008, p. 392.
141 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), mesures conservatoires, [ordonnance du 23 janvier 2007, C.I.J. Recueil 2007, p. 13].
142 Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 19 avril 2017, p. 136, par. 89, et p. 138, par. 98.
143 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), mesures conservatoires, [ordonnance du 13 juillet 2006, C.I.J. Recueil 2006, p. 132].
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et palpable ; il ne doit pas être inventé ou créé pour des motifs politiques ou purement rhétoriques. Il doit exister un risque réel. Cela signifie que les risques qu’un préjudice irréparable se produise doivent être tangibles et sensibles. Troisièmement, et c’est peut-être là l’élément le plus important aux fins de la présente espèce, le risque doit être imminent. Autrement dit, le péril d’un préjudice irréparable doit être sur le point de se produire, il approche à grands pas, il menace d’éclater.
18. Lord Goldsmith s’est attelé à faire valoir hier que «la condition de l’imminence [était] clairement remplie»144. Nous ne sommes pas de cet avis, surtout au vu des quelques exemples anecdotiques et non vérifiés qui ont été avancés et qui proviennent principalement de sources qatariennes. Lord Goldsmith a toutefois déclaré à juste titre que le contexte et, donc, les faits de la situation étaient essentiels pour apprécier l’imminence du risque145.
19. Chacune de ces conditions (préjudice irréparable et urgence) est tributaire du contexte, objectivement vérifiable, et dépend entièrement de la situation de l’espèce. Le critère juridique est clair, mais les faits  les faits réels  doivent correspondre aux conditions définies et réaffirmées. Lors de l’analyse de la situation pour savoir si des mesures conservatoires doivent être indiquées, une interprétation restrictive s’impose, car la Cour traite dans une certaine mesure de questions de fond, telles que les droits juridiques, et de questions de procédure, telles que sa compétence, avant même qu’elles n’aient été plaidées par les parties. Si l’urgence n’est pas démontrée, la nécessité de traiter de telles questions ne saurait exister. Cela serait en effet présomptueux.
20. Monsieur le président, je vais à présent m’intéresser aux faits de la situation qui constituent la chair du squelette juridique que je viens d’esquisser, et ce, en passant en revue les mesures conservatoires sollicitées par le demandeur au travers du prisme des conditions essentielles de préjudice irréparable et d’urgence, selon qu’il convient.
B. La situation factuelle
21. Il existe un premier fait crucial, eu égard à ce qui a été dit sur le préjudice irréparable et l’urgence. L’événement clé en ce qui concerne les violations des droits découlant de la CIEDR, alléguées par le demandeur, est la déclaration faite le 5 juin 2017 par le ministère des affaires
144 CR 2018/12, p. 63, par. 47 (Goldsmith).
145 CR 2018/12, p. 61, par. 40 (Goldsmith).
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étrangères des Emirats arabes unis, ainsi que le prétendu délai du 19 juin 2017. Il s’agit du point de départ allégué des mesures dont le Qatar tire grief. Or celui-ci n’a présenté sa requête à la Cour que le 11 juin 2018, soit un an plus tard. Je répète : un an plus tard. Comme la Cour l’a déclaré en l’affaire LaGrand, «une bonne administration de la justice exige qu’une demande en indication de mesures conservatoires fondée sur l’article 73 du Règlement de la Cour soit présentée en temps utile»146. Dans le cadre des conditions essentielles relatives au préjudice irréparable et à l’urgence, ce «temps utile» ne peut guère être de douze mois, en particulier s’agissant de faits aussi graves que des expulsions collectives. Même en tenant dûment compte des conditions prévues à l’article 22 de la CIEDR, une année semble un délai bien singulier. Et ce n’est pas tout. A supposer que les allégations formulées soient exactes, ce que nous nions bien entendu, et que les prétendues expulsions collectives aient eu lieu dans les deux semaines, où est l’urgence ? Si tous les Qatariens ont été expulsés l’année dernière, où est l’urgence cette année ?
22. J’en viens maintenant aux mesures spécifiques sollicitées par le demandeur.
23. La première mesure conservatoire demandée exige que les Emirats arabes unis cessent immédiatement et s’abstiennent de commettre «tout acte constituant une violation des droits de l’homme que les Qatariens tiennent de la CIEDR», et qu’ils mettent notamment un terme aux mesures visant à expulser collectivement tous les Qatariens des Emirats arabes unis et à interdire à tous les Qatariens d’entrer sur le territoire émirien au motif de leur origine nationale147. Voilà qui est spectaculaire. Bien entendu, tout cela repose sur l’existence de «mesures visant à expulser collectivement tous les Qatariens» des Emirats arabes unis. Mais est-ce vrai ? Selon le Qatar, tel est le cas. L’agent l’a dit très clairement, par deux fois148. Mme Amirfar a abondamment parlé d’expulsions collectives à plusieurs reprises149. Et, pour ne pas être en reste, M. Klein150 et Lord Goldsmith151 y ont également fait référence. S’il suffisait d’avancer des thèses puis de les répéter, l’affaire serait entendue.
146 LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 3 mars 1999, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 14, par. 19.
147 Demande en indication de mesures conservatoires, 11 juin 2018, par. 19 a) i).
148 CR 2018/12, p. 16, par. 4 et p. 17, par. 8 (Al-Khulaifi).
149 CR 2018/12, p. 37-40, par. 20-25 ; p. 42, par. 35, et p. 43, par. 41 (Amirfar).
150 CR 2018/12, p. 48, par. 7 (Klein).
151 CR 2018/12, p. 53, par. 10 (Goldsmith).
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24. Toutefois, un point important saute immédiatement aux yeux. Le chien n’a pas aboyé. A l’ère de l’information continue, avez-vous vu des images de centaines ou de milliers de Qatariens fuyant ou quittant les Emirats arabes unis ? Avez-vous vu des photos ou des reportages sur le rassemblement de Qatariens, leur détention ou l’organisation de leur «expulsion collective» ? Où sont les rapports de la police émirienne ou du personnel de sécurité arrêtant les Qatariens pour les amener à la frontière ? Où donc se trouvent toutes ces informations ? Des expulsions collectives ne peuvent avoir lieu en secret, surtout pas dans un climat de crise politique très médiatisée dans une région extrêmement sensible du monde. Où sont donc les preuves de ces expulsions massives ?
25. La vérité est simple : il n’y a pas eu d’expulsions collectives. Notre agent l’a dit tout à l’heure. La déclaration du ministère des affaires étrangères du 5 juin 2017 portait sur la rupture des relations diplomatiques avec le Qatar et les différentes contre-mesures à prendre contre cet Etat qui n’avait pas respecté l’accord de Riyad et apporte son soutien au terrorisme. Cette déclaration faisait également référence aux Qatariens qui se trouvaient sur le territoire des Emirats arabes unis en qualité de résident ou de visiteur et qui ont dû le quitter dans un délai de 14 jours «par mesure de sécurité préventive». Mais la véritable question qui se pose est double. Cette déclaration politique a-t-elle été suivie des ordonnances et des règlements administratifs et juridiques nécessaires pour rendre son application obligatoire ? Existe-t-il le moindre ordre, le moindre règlement ? Non, tel n’est pas le cas. Notre agent a souligné qu’aucun instrument juridique n’avait été adopté pour expulser les nationaux qatariens. Aucun.
26. Plus important encore, la déclaration du 5 juin a-t-elle été suivie, dans le prétendu délai de deux semaines ou par la suite  ou à un quelconque moment l’année suivante  par la mise en oeuvre concrète de l’«expulsion collective» alléguée ? Absolument pas. Il n’y a pas eu de colonnes de réfugiés fuyant les Emirats arabes unis, parce que cette fuite n’a tout simplement pas eu lieu.
27. Au contraire, les faits démontrent clairement que les Qatariens n’ont pas été expulsés ou déportés des Emirats arabes unis, ni au cours du mois de juin 2017 ni par la suite. La grande majorité des Qatariens présents aux Emirats arabes unis le 5 juin 2017 se trouvent toujours dans le pays aujourd’hui. Certains sont bien partis volontairement, mais ils sont relativement peu nombreux. Selon les statistiques que nous avons pu obtenir — je vous renvoie à l’onglet no 5.1 du
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dossier de plaidoiries —, 2194 Qatariens se trouvaient aux Emirats arabes unis à la mi-juin de cette année.
28. On nous parle d’expulsions collectives, d’urgence.
29. Le Qatar n’a même pas rapporté la preuve d’expulsions individuelles. Le seul exemple concret d’expulsion présumée dont il a été question hier est le cas d’un certain Ahmed, qui aurait, selon Mme Amirfar, été «expulsé des Emirats arabes unis, au seul motif qu’il [était] qatarien»152. La source invoquée est le rapport du 12 juillet 2017 de Human Rights Watch, qui figure sous l’annexe 10 de la requête. Or, il apparaît clairement, à la lecture de ce document, que l’intéressé n’a pas été expulsé, mais s’est vu refuser l’entrée dans le pays, à peu près au moment où ont été imposées les restrictions de déplacement. Il n’a été produit aucun élément de preuve qui permettrait de savoir si cet Ahmed demeure interdit d’entrée aux Emirats arabes unis et, le cas échéant, pour quels motifs.
30. Pour pouvoir entrer aux Emirats arabes unis, les Qatariens doivent effectivement avoir obtenu une autorisation préalable, condition dont l’imposition n’a toutefois rien d’exceptionnel. Il reste que les registres d’immigration indiquent, pour ce qui est des Qatariens, 8442 entrées et sorties depuis le début de la crise. Ce document de 164 pages a été déposé au Greffe153.
31. Ainsi, pour ce qui concerne cette demande spécifique, à savoir la levée des mesures visant à «expulser collectivement» les Qatariens, étant donné que pareilles mesures n’existent pas et n’ont jamais existé, la demande doit être rejetée.
32. Au titre de sa deuxième demande, le Qatar prie la Cour d’ordonner aux Emirats arabes unis de prendre toutes les dispositions requises de sorte qu’aucun Qatarien ni aucune personne ayant des liens avec le Qatar ne soit la cible d’actes discriminatoires ou haineux154. Nous contestons la commission d’actes discriminatoires visant les Qatariens. Il est vrai que des tensions politiques existent actuellement entre les deux Etats et que, dans ce contexte, et pour des raisons déjà évoquées, des critiques ont été formulées à l’endroit du Qatar. Il s’agissait toutefois de simples critiques de l’Etat et non d’actes haineux dirigés contre ses ressortissants. Les Emirats arabes unis
152 CR 2018/12, p. 41, par. 30 (Amirfar).
153 Document de référence no 11 concernant l’immigration, registre des entrées et sorties.
154 Demande en indication de mesures conservatoires du Qatar (ci-après «DIMCQ»), 11 juin 2018, par. 19 a) ii).
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démentent s’être livrés, ainsi que le prétend le Qatar, à des discours haineux motivés par des considérations raciales visant les Qatariens155. J’appelle, à cet égard, l’attention de la Cour sur l’article 7 du décret-loi fédéral no 2 de 2015 sur la lutte contre les actes discriminatoires et haineux, qui punit toute personne se livrant à un acte constitutif d’incitation à la haine par quelque moyen d’expression que ce soit ou de toute autre manière (dossier de plaidoiries, onglet no 5).
33. Les actes d’opposition politique au Qatar  ou à un quelconque autre Etat  relèvent évidemment d’un tout autre domaine. En tout état de cause, ils ne sont pas interdits par la CIEDR et ne sauraient donc justifier la saisine de la Cour.
34. Où se trouve donc le préjudice irréparable, se demande-t-on, et quid de l’urgence, du risque réel et imminent ?
35. La troisième demande, directement liée à la seconde, tend à contraindre les Emirats arabes unis à cesser d’appliquer les dispositions du décret-loi fédéral no 5 de 2012 sur la lutte contre la cybercriminalité à toute personne «exprimant de la sympathie … pour le Qatar» ainsi que toute autre législation nationale discriminatoire (de jure ou de facto) à l’égard des Qatariens156. Il est fait indirectement référence à cette loi dans la note de bas de page no 14 de la demande en indication de mesures conservatoires, qui renvoie à une déclaration du procureur général des Emirats arabes unis publiée dans la presse. Or, la loi en question et la déclaration du procureur général sont l’une et l’autre d’intention, de formulation et d’application générales. Elles ne visent pas les Qatariens en particulier et ne sauraient donc être considérées comme discriminatoires à leur égard. Aucun manquement aux droits garantis par la CIEDR ne peut être allégué à ce titre. La loi en question a vocation à s’appliquer à tous et ne mentionne pas le Qatar ; elle est, de surcroît, antérieure à la crise. La déclaration du procureur général est une simple déclaration, rien de plus. Il ne s’agit pas d’une loi.
36. L’on se demande donc, à nouveau, où se trouve le préjudice irréparable, et quid de l’urgence, du risque réel et imminent.
37. La quatrième demande tend à enjoindre aux Emirats arabes unis de mettre en oeuvre les mesures requises pour protéger la liberté d’expression des Qatariens qui se trouvent sur leur sol, en
155 Ibid., par. 9.
156 Ibid., par. 19 a) iii).
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leur imposant notamment de s’abstenir de fermer les bureaux des sites d’information qatariens ou d’empêcher ceux-ci de diffuser157. M. Olleson a déjà traité de ce point. Ce que vise cette demande, ce sont des mesures ordonnées, pour des motifs déjà exposés, contre le Qatar et non contre ses ressortissants. En tout état de cause, une question fondamentale se pose. La CIEDR s’applique à des personnes physiques et non à des personnes morales. Au titre de l’article 5, les Etats parties à la convention sont tenus d’interdire et d’éliminer la discrimination raciale sous toutes ses formes et de «garantir … [à] chacun … sans distinction de race, de couleur ou d’origine nationale ou ethnique» l’égalité devant la loi et la jouissance d’un ensemble de droits définis. Si l’alinéa d) du paragraphe 1) de l’article 2 prévoit effectivement que chaque Etat partie doit interdire la discrimination raciale pratiquée par des personnes, des groupes ou des organisations, les personnes morales ne jouissent elles-mêmes d’aucun droit au regard de la convention. De plus  et c’est un point particulièrement important , les conditions requises ne sont absolument pas remplies.
38. Je pose donc à nouveau la question : où est le préjudice irréparable, et quid de l’urgence, du risque réel et imminent ?
39. Après tout, et pour préciser comme il se doit le contexte, c’est en réponse aux programmes faisant l’apologie du terrorisme qui étaient diffusés par les sociétés d’information telles qu’Al Jazeera (arabe) que cette interdiction a été prononcée.
40. Le Qatar a invoqué «la séparation forcée, qui perdure à ce jour, de nombreuses familles qatariennes»158  point sur lequel porte la cinquième demande, qui tend à contraindre les Emirats arabes unis de cesser et s’abstenir de prendre des mesures ayant pour effet de séparer un Qatarien de sa famille, et de prendre toutes les dispositions requises pour réunir les familles159.
41. La difficulté posée par les familles qataro-émiriennes, de manière générale, tient au fait qu’il est d’usage, dans les Etats du Golfe, qu’un enfant prenne la nationalité de son père. Pour résoudre ce problème supposé, une directive présidentielle en date du 6 juin 2017 a invité les autorités à tenir compte de considérations humanitaires dans le traitement réservé aux familles
157 Ibid., 11 juin 2018, par. 19 a) iv).
158 Ibid., par. 7.
159 Ibid., par. 19 a) v).
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mixtes, ce qui a notamment donné lieu à la création d’un service d’assistance téléphonique consacré au traitement et au suivi de ces situations (onglet no 5.3).
42. Ainsi, l’affirmation du Qatar, dans sa demande en indication de mesures conservatoires, selon laquelle «[à] ce jour, des familles binationales restent éclatées ou craignent la séparation en cas de déplacement aux Emirats arabes unis»160 est tout simplement tendancieuse. Là encore, les deux exemples fournis émanent du comité qatarien des droits de l’homme et nous n’avons pas été en mesure d’obtenir auprès de sources indépendantes confirmation de ces informations, ni d’ailleurs du chiffre annoncé de 82 cas de séparation forcée161.
43. Bien que non encore résolu, le problème sous-jacent de la nationalité des enfants issus d’unions mixtes dans les Etats du Golfe est actuellement en cours d’examen. Le Qatar a d’ailleurs lui-même essuyé des critiques sur ce point de la part du Comité sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, dans les observations finales que celui-ci a formulées le 13 avril 2012 en réponse au rapport du Qatar162.
44. Ainsi, se demande-t-on, où est le préjudice irréparable et quid de l’urgence, du risque réel et imminent ?
45. La sixième demande tend à enjoindre aux Emirats arabes unis de cesser et de s’abstenir de prendre des mesures ayant pour effet, directement ou indirectement, d’empêcher les Qatariens d’obtenir des soins médicaux en raison de leur origine nationale. Dans la demande en indication de mesures conservatoires, il est fait référence à des soins médicaux «interromp[us]»163 et il y est allégué que, en raison de la décision des Emirats arabes unis d’expulser collectivement les Qatariens, certains avaient dû interrompre leur traitement ou avaient été privés des soins médicaux dont ils avaient besoin164. Deux sources ont été mentionnées à ce titre.
46. Premièrement, le rapport du HCDH165, qui a été critiqué par certains Etats, notamment par les Emirats arabes unis, et qui se fonde très largement sur des sources qatariennes, indique
160 Ibid., par. 10.
161 CR 2018/12, p. 41, par. 30-31 (Amirfar).
162 CERD/C/QAT/CO/13-16, par. 16.
163 DMCQ, par. 2.
164 DMCQ, par. 8.
165 Rapport du HCDH (décembre 2017), annexe 16, par. 43-44.
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uniquement que, au 23 novembre 2017, 130 personnes avaient signalé des problèmes médicaux en lien avec la crise auprès du ministère de la santé qatarien. Nulle mention n’y est faite de la nature précise de ces problèmes, de l’identité de ces personnes, ou de leur lieu de provenance. Le seul exemple donné concerne une personne ayant reçu des soins en Arabie saoudite et qui est retournée au Qatar. Cet homme a dû se rendre par la suite en Allemagne afin de se faire soigner car ses moyens de paiement saoudiens avaient été bloqués au Qatar. Un second exemple est fourni, celui de deux patients résidant en Arabie saoudite qui ont été transférés en Turquie et au Koweït afin d’être opérés car «ils n’auraient pas été en mesure de poursuivre leur traitement médical» en Arabie saoudite. Et c’est tout. Une critique des Emirats arabes unis qui ne se révèle guère acerbe !
47. La seconde source est un rapport du comité qatarien des droits de l’homme166, qui fait référence aux quatre «violations du droit à la santé» commises par les Emirats arabes unis. N’y figure pourtant que le témoignage anonyme d’une Qatarienne qui souhaitait se déplacer à l’étranger pour bénéficier d’un traitement médical, mais s’est retrouvée dans l’impossibilité de se rendre aux Emirats arabes unis en raison de l’expiration, le 1er juin 2018, de ses titres de voyage. Elle reçoit actuellement des soins à l’hôpital général Hamad au Qatar. Dans ce contexte, il est à noter que le rapport du HCDH, très largement invoqué par l’autre partie, indique expressément ce qui suit :
«les services médicaux du Qatar sont connus pour être de grande qualité. Depuis septembre 2017, le ministère de la santé a fait état de 388 000 consultations de patients dans les services de santé publique, dont 260 000 provenaient du Royaume d’Arabie saoudite, des Emirats arabes unis, de Bahreïn et d’Egypte et résidaient au Qatar. Les autorités du Qatar ont déclaré [comme il est indiqué dans la suite du rapport] qu’elles continueraient de soigner les patients venus de ces pays sans faire preuve de discrimination»167.
Si Mme Amirfar a fait mention, presque en passant, des problèmes de santé allégués relevés dans le cinquième rapport du NHRC168, elle n’a toutefois pas évoqué ces précédents commentaires.
48. Enfin, il doit être noté en cette enceinte qu’aux Emirats arabes unis, nombreux sont les Qatariens qui sont couverts par l’assurance santé Daman des Emirats arabes unis (dossier de plaidoiries, onglet no 5.4).
166 NHRC, Fifth General Report (juin 2018), annexe 22, p. 51.
167 Rapport du HCDH (décembre 2017), annexe 16, par. 45.
168 CR 2018/12, p. 42, par. 34-35 (Amirfar).
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49. D’où la question : où se trouve le préjudice irréparable et quid de l’urgence et du risque réel et imminent ?
50. La septième demande tend à enjoindre aux Emirats arabes unis de cesser et de s’abstenir de prendre des mesures ayant pour effet, directement ou indirectement, d’empêcher les étudiants qatariens de suivre leurs études ou une formation professionnelle dans des établissements émiriens, en prenant toutes les dispositions nécessaires pour que les étudiants aient accès à leur dossier académique. Pour faire valoir ses arguments, le demandeur s’est référé au rapport du HCDH169, qui indique que 157 personnes poursuivant des études aux Emirats arabes unis étaient concernées par cette situation, sans apporter de plus amples précisions. Cette information provient bien entendu de sources qatariennes170. Le rapport indique également que le NHRC a effectué le suivi de certains de ces cas et que les étudiants concernés ont déclaré eux-mêmes que l’Université du Qatar leur avait en fait proposé soit de s’inscrire dans leur établissement soit d’être envoyé dans une université à l’étranger, comme par exemple en Jordanie ou en Malaisie171. Nous constatons que le cinquième rapport général du NHRC de juin 2018 fait état de 148 violations du droit à l’éducation commises par les Emirats arabes unis, mais fournit uniquement le témoignage anonyme d’un Qatarien ayant étudié le droit à l’université d’Al Jazirah aux Emirats arabes unis172.
51. Hier, Mme Amirfar est allée jusqu’à affirmer que «les Emirats arabes unis empêch[ai]ent les Qatariens qui suivaient des études dans ce pays de les y poursuivre»173. Cependant, au 20 juin 2018, 694 étudiants qatariens étudiaient encore aux Emirats arabes unis (dossier de plaidoiries, onglet no 5.1). Et, ainsi que notre agent l’a déclaré ce matin, le bureau du sous-secrétariat de l’enseignement supérieur avait donné aux chefs d’établissement de l’enseignement supérieur les instructions suivantes : «en faisant le suivi des dossiers des étudiants universitaires, il a été constaté qu’un certain nombre d’étudiants provenant de l’Etat du Qatar avaient abandonné leurs études universitaires aux Emirats arabes unis pour des raisons sans rapport avec leur scolarité. Veuillez entrer en communication sans délai avec ces étudiants et vous
169 DMCQ, 11 juin 2018, par. 8.
170 RQ, annexe 16, rapport du HCDH (décembre 2017), par. 50-53.
171 RQ, annexe 16, rapport du HCDH de décembre 2017, par. 51.
172 RQ, annexe 22, p. 18-20.
173 CR 2018/12, p. 43, par. 38 (Amirfar).
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renseigner sur les raisons de leur départ, en leur rappelant que tout étudiant satisfaisant aux conditions requises est à même de suivre des études. Merci de nous tenir informés de l’issue de vos échanges et de nous en faire part dans les plus brefs délais» (pièce à conviction no 8).
52. Monsieur le président, force est de se demander, une fois encore : où se trouve le préjudice irréparable et quid de l’urgence et du risque réel et imminent ?
53. La huitième demande tend à enjoindre aux Emirats arabes unis de cesser et de s’abstenir de prendre des mesures ayant pour effet, directement ou indirectement, d’empêcher les Qatariens d’avoir accès aux biens qu’ils possèdent aux Emirats arabes unis et d’en avoir la jouissance et l’usage174. Une fois encore, le demandeur fait référence au rapport du HCDH, qui indique que des Qatariens ont été contraints d’abandonner leurs entreprises et biens personnels aux Emirats arabes unis175. Cependant, le rapport indique également que la Chambre de commerce et le Gouvernement qatariens ont aidé ces entrepreneurs de multiples façons, notamment en leur permettant de s’approvisionner dans d’autres pays, d’établir des contacts professionnels et de bénéficier de services d’assistance téléphonique d’urgence176. En outre, il a été allégué que des transactions financières entre le Qatar et les Emirats arabes unis avaient été suspendues, empêchant des personnes de recevoir leur salaire, de payer leurs traites et d’aider leurs proches177. Nous pouvons cependant affirmer que premièrement, la banque centrale n’a pas émis de circulaire et n’a pris aucune décision concernant des transactions avec des banques du Qatar, la fermeture de banques du Qatar ou l’interdiction de transactions dans la devise du Qatar (dossier de plaidoiries, onglet no 5.5), et que deuxièmement, un nombre important de transferts de fonds et de versements à hauteur de plusieurs milliards de dirhams des Emirats arabes unis a été effectué entre les deux Etats. Nous disposons par exemple d’un document attestant que des transferts de fonds à l’étranger et venant de l’étranger d’une valeur totale de 42 210 763 000 dirhams des Emirats arabes unis (soit environ 11 milliards et demi de dollars) avaient été effectués de juin 2017 à avril 2018
174 DMCQ, par. 19 a) viii).
175 DMCQ, par. 8.
176 RQ, annexe 16 (décembre 2017), par. 40-41.
177 DMCQ, par. 8, et RQ, annexe 16 (décembre 2017), par. 40.
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entre la banque centrale des Emirats arabes unis et des banques du Qatar (dossier de plaidoiries, onglet no 5.5). A l’évidence, les transactions financières n’ont pas été suspendues.
54. L’on peut donc de nouveau se poser la question : où se trouve le préjudice irréparable et quid de l’urgence et du risque réel et imminent ?
55. La neuvième demande tend à enjoindre d’une façon très vague et générale aux Emirats arabes unis de prendre toutes les dispositions nécessaires pour que les Qatariens aient droit à l’égalité de traitement devant les tribunaux. Ce point n’a pas été spécifié dans la demande en indication de mesures conservatoires et a été à peine mentionné lors des plaidoiries. Je me permets de vous rappeler à ce titre l’article 6 du décret fédéral no 2 de 2015 des Emirats arabes unis, intitulé «De la discrimination et de la haine», qui dispose que toute personne ayant commis un acte de discrimination de quelque forme que ce soit est passible d’une peine (dossier de plaidoiries, onglet no 5.2).
56. On ne peut donc nullement conclure, à l’instar de Lord Goldsmith hier178, que, au vu des éléments de preuve présentés, «le préjudice irréparable n’est pas seulement un risque réel ; c’est ce qui est en train de se produire». Quant aux éléments de preuve présentés devant la Cour par le Qatar, je tiens à faire observer que le passage du rapport des six rapporteurs spéciaux de l’Organisation des Nations Unies que cite Lord Goldsmith débute comme suit : «[s]ans préjuger de l’exactitude de ces allégations». En effet !
57. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’ai, dans le temps qui m’était imparti, brièvement examiné les mesures demandées à la lumière des conditions fondamentales requises pour l’indication de mesures conservatoires, selon lesquelles ces mesures, d’une part, s’imposent pour éviter un préjudice irréparable, et, d’autre part, doivent revêtir un caractère urgent. Or, aucune de ces mesures ne satisfait à ces conditions. L’expulsion collective alléguée ne s’est tout simplement pas produite. Les autres mesures demandées concernent des situations qui, si elles sont avérées, peuvent être réparées moyennant une indemnisation financière adéquate ou une autre prestation matérielle, ou être redressées au stade du fond. Aucune des mesures demandées ne satisfait au critère rigoureux applicable à des mesures conservatoires, à savoir qu’elles s’imposent
178 CR 2018/12, p. 55, par. 15 (Goldsmith).
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pour éviter un préjudice irréparable mais doivent également être urgentes, au sens où il doit exister un risque réel et imminent qu’un tel préjudice soit causé.
58. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ainsi s’achève le premier tour de plaidoiries des Emirats arabes unis. Je vous remercie sincèrement pour votre attention.
Le PRESIDENT : Je remercie le professeur Shaw. Comme il vient de l’indiquer, sa déclaration marque la fin du premier tour de plaidoiries des Emirats arabes unis. La Cour se réunira de nouveau demain, à 10 heures, pour entendre le Qatar en son second tour d’observations orales, qui sera suivi par le second tour de plaidoiries des Emirats arabes unis à 16 h 30. L’audience est levée.
L’audience est levée à 13 heures.
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