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CR 2017/11
CR 2017/11
Vendredi 7 juillet 2017 à 10 heures
Friday 7 July 2017 at 10 a.m.
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The PRESIDENT: Please be seated. L’audience est ouverte. Ce matin, la Cour entendra la suite du premier tour de plaidoiries du Nicaragua. Je donne maintenant la parole à M. Vaughan Lowe. Professor Lowe, you have the floor.
M. LOWE :
DÉLIMITATION DE LA MER TERRITORIALE DANS LES CARAÏBES
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est pour moi un privilège que de me présenter devant vous et un honneur que d’avoir été chargé de cette partie des plaidoiries du Nicaragua consacrée à la délimitation de la mer territoriale.
2. Je traiterai à présent de la délimitation de la mer territoriale dans les Caraïbes ; plus tard dans la matinée, j’en ferai autant en ce qui concerne l’océan Pacifique.
Observations générales
3. Avant d’en venir à la côte caraïbe, je tiens à répondre à certaines observations d’ordre général que le Costa Rica a formulées lors de son premier tour de plaidoiries.
4. Dans une bonne partie de son exposé, Mme Parlett a mis l’accent sur ce qu’elle a appelé la «primauté» de l’équidistance dans la délimitation de la mer territoriale1 et sur le «choix délibéré des rédacteurs de la CNUDM ... d’opérer une distinction entre la délimitation de la mer territoriale, d’une part, et la délimitation de la ZEE et du plateau continental, d’autre part»2.
5. Ainsi qu’elle l’a relevé, ces dispositions en matière de délimitation apparaissent dans différents articles, qui ont différents objets, figurent dans différents parties de la convention et sont libellées de différentes manières3. Cette divergence de présentation s’explique aisément.
6. Les conventions de 1958 étaient en vigueur depuis moins de dix ans au moment où les préparatifs de la Troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) ont débuté, en réponse au mécontentement suscité par une série de questions très précises, essentiellement liées au contrôle des ressources situées au-delà de la mer territoriale. Comme on pouvait s’y attendre, les parties non controversées des conventions de 1958, y compris ce qui allait
1 CR 2017/7, p. 35, par. 4 (Parlett).
2 CR 2017/7, p. 40, par. 17 (Parlett).
3 CR 2017/7, p. 39, par. 14 (Parlett).
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devenir l’article 15 de la CNUDM relatif à la délimitation de la mer territoriale, ont été transposées presque verbatim dans les versions successives de cet instrument.
7. Les conventions de 1958 ne contenant cependant pas d’équivalent de la ZEE, de nouvelles dispositions ont dû être rédigées, et il a fallu les aligner sur celles qui ont trait au plateau continental, lesquelles s’appliquent également au fond marin situé au-delà de la mer territoriale. Ces nouvelles dispositions étaient plus controversées, car elles répartissaient de très vastes parties de ce qui constituait jusque-là la haute mer, de sorte que l’incidence pratique des critères de délimitation était bien plus importante.
8. C’est pour cette raison que l’on trouve aujourd’hui des dispositions distinctes, rédigées dans des termes différents, dans diverses parties de la convention de 1982, l’article 15 portant sur la délimitation de la mer territoriale, et les articles 74 et 83, dont le libellé est quasiment identique, sur la délimitation de la ZEE et du plateau continental.
9. La différence de libellés peut paraître plus importante que l’emplacement des articles dans la convention. [Projection] Comme c’est souvent le cas lorsque des dispositions nous sont très familières, cela vaut la peine de les relire de temps en temps pour voir ce qu’elles disent exactement — quel est le sens ordinaire de leurs termes.
10. Nous observerons en passant que, contrairement aux articles 74 et 83, qui prescrivent la manière dont il convient de procéder à la délimitation («par voie d’accord conformément au droit international … afin d’aboutir à une solution équitable»), l’article 15, quant à lui, ne précise pas comment celle-ci doit être effectuée, que ce soit par la Cour ou par voie d’accord entre les Etats. Il se contente d’indiquer comment ces derniers doivent agir en l’absence d’accord de délimitation :
«Lorsque les côtes de deux Etats sont adjacentes ou se font face, ni l’un ni l’autre de ces Etats n’est en droit, sauf accord contraire entre eux, d’étendre sa mer territoriale au-delà de la ligne médiane [hormis] dans le cas où, en raison de l’existence de titres historiques ou d’autres circonstances spéciales, il est nécessaire de délimiter autrement la mer territoriale des deux Etats.»
11. Ce nonobstant, l’article 15 est couramment qualifié de disposition relative à la délimitation, ce qui montre les limites du recours systématique à des approches purement littérales en matière d’interprétation des traités. Ce qui importe réellement, c’est la manière dont ces dispositions sont interprétées et appliquées [fin de la projection].
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12. S’agissant de la mer territoriale, nous avons donc l’article 15, qui énonce la règle «équidistance/circonstances spéciales». En l’affaire Qatar c. Bahreïn, la Cour a dit ceci :
«L’article 15 de la convention de 1982 est pratiquement identique au paragraphe 1 de l’article 12 de la convention de 1958 sur la mer territoriale et la zone contiguë, et doit être regardé comme possédant un caractère coutumier. Il y est souvent fait référence comme à la règle «équidistance/circonstances spéciales». La méthode la plus logique et la plus largement pratiquée consiste à tracer d’abord à titre provisoire une ligne d’équidistance et à examiner ensuite si cette ligne doit être ajustée pour tenir compte de l’existence de circonstances spéciales.»4
La Cour a formulé la même observation en l’affaire Cameroun c. Nigéria5.
13. S’agissant de la ZEE et du plateau continental, nous avons ce qu’a exposé Mme Parlett, à savoir les articles de la CNUDM que la Cour a interprétés comme imposant une méthode en trois étapes, en commençant par tracer une ligne d’équidistance provisoire, en recherchant ensuite s’il existe des circonstances spéciales appelant l’ajustement de celle-ci, et en s’assurant enfin de l’absence de disproportion marquée de nature à rendre le résultat inéquitable6. Dans la présente affaire, aucune des deux Parties n’avance toutefois l’argument de la disproportion.
14. En quoi se distinguent alors les méthodes de délimitation de la mer territoriale et de la ZEE ? Il n’existe pas de différence conceptuelle ou linguistique. L’on peut certes effectuer une distinction, sur un plan abstrait, entre plusieurs régimes juridiques et expressions verbales, mais quelle est la différence pratique ? Que doit faire la Cour dans un cas mais pas dans l’autre ? Selon nous, il n’y a pas de différence pratique, du moins dans le cadre de la présente espèce.
15. Le processus de convergence des méthodes de délimitation maritime a été commenté par M. le président Guillaume dans le discours qu’il a prononcé en octobre 2001 devant la Sixième Commission de l’Assemblée générale des Nations Unies. Se référant à l’arrêt rendu par la Cour en 1993 dans l’affaire Jan Mayen, il a alors précisé ceci :
4 Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 94, par. 176 ; voir également par. 230-231.
5 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 441, par. 288 :
«La Cour a eu l’occasion de préciser à diverses reprises quels sont les critères, principes et règles de délimitation applicables à la détermination d’une ligne unique couvrant plusieurs zones de juridiction qui coïncident. Ils trouvent leur expression dans la méthode dite des principes équitables/circonstances pertinentes. Cette méthode, très proche de celle de l’équidistance/circonstances spéciales applicable en matière de délimitation de la mer territoriale, consiste à tracer d’abord une ligne d’équidistance puis à examiner s’il existe des facteurs appelant un ajustement ou un déplacement de cette ligne afin de parvenir à un «résultat équitable».»
6 CR 2017/7, p. 36, par. 6 (Parlett).
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«Ainsi était réunifié l’ensemble du droit des délimitations maritimes. Qu’il s’agisse de mer territoriale, de plateau continental ou de zone de pêche, il convient d’aboutir à des résultats équitables. Ces résultats peuvent être atteints en cherchant en premier lieu quelle est la ligne d’équidistance, puis en la corrigeant pour tenir compte des circonstances spéciales ou des facteurs pertinents qui, tous deux, sont essentiellement de nature géographique.»7
16. Les articles 15, 74 et 83 de la CNUDM s’appliquent au tracé de différents segments d’une ligne unique et continue. Il est vrai qu’il n’existe aucune disposition conventionnelle précisant expressément que le dernier point, situé au large, de la limite de la mer territoriale doit également être le premier point de celle de la ZEE. Lorsque la Cour est invitée à tracer une ligne unique délimitant l’intégralité de la frontière maritime, il est toutefois raisonnable de supposer qu’elle la tracera de manière à ce que la partie située dans la mer territoriale rejoigne celle qui se trouve au-delà.
17. C’est là ce que nous avions à l’esprit en nous faisant l’écho des dicta de la Cour, tels que ceux qui ont été cités aux paragraphes 2.43 et 2.44 du contre-mémoire, dicta soulignant la convergence des approches relatives à la délimitation des différentes zones maritimes ainsi que la nécessité de lire conjointement et dans leur contexte les articles 15, 74 et 83.
18. Le Costa Rica a largement insisté sur le fait que, selon lui, le Nicaragua n’avait pas isolé les segments de la frontière maritime correspondant à la mer territoriale et à la ZEE, ni traité chacun d’eux séparément. Il n’a cependant pas démontré qu’il existerait, dans la CNUDM ou ailleurs, une quelconque règle juridique exigeant une telle séparation, pas plus qu’il n’a précisé en quoi la Cour serait liée par le «sens ordinaire» du libellé de l’article 15 dans le cadre d’une délimitation de frontières maritimes8.
19. Plus important encore peut-être, le Costa Rica n’indique pas que le fait d’appliquer l’approche équidistance/circonstances spéciales d’abord à la mer territoriale, sans procéder au moindre examen des répercussions sur la zone située au-delà de la limite des 12 milles marins, puis à la ZEE, sans procéder au moindre examen des répercussions sur la zone située à l’intérieur de cette limite, ferait une quelconque différence.
20. La délimitation de frontières maritimes est un exercice pratique répondant à un objectif qui ne l’est pas moins. Même dans une zone dépourvue de routes, de bassins versants de montagne
7 Peut être consulté sur le site Internet : http://www.icj-cij.org/files/press-releases/2/2992.pdf, p. 10.
8 CR 2017/7, p. 35, par. 4 b) (Parlett).
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ou de fleuves, une zone où aucune population n’a élu domicile et qui se caractérise seulement par la monotonie de la surface uniforme de la mer, la frontière a son importance. Elle permet en effet aux marins et aux aviateurs de savoir dans ou au-dessus de quelles eaux ils se trouvent, et quelles lois et autorité ils doivent respecter.
21. Dans un monde idéal, ils n’auraient pas à se servir de leur sextant ou de leur équipement GPS toutes les quelques minutes pour savoir s’ils ont atteint un nouveau point d’infléchissement ou autre virage ou tournant de la frontière. Celle-ci serait tracée de manière aussi rectiligne que possible, en tenant dûment compte des droits des deux Etats. C’est là ce que nous entendions. La méthode de délimitation est un outil permettant de tracer des frontières justes et pratiques, et non une raison d’imposer de manière dogmatique une ligne d’équidistance ou toute autre ligne particulière.
Délimitation de la mer territoriale dans les Caraïbes
22. Je vais à présent entrer dans les détails de notre argumentation concernant la mer territoriale côté Caraïbes. [Projection] Dans son mémoire, le Costa Rica proposait une ligne d’équidistance stricte tracée à partir de ce qu’il considère comme étant le véritable point de départ, à l’embouchure du fleuve San Juan. Vous pouvez voir la carte sur vos écrans.
23. La manière dont cette ligne coupe la projection de la côte nicaraguayenne est manifeste, et j’y reviendrai dans un instant. Mais je soulignerai tout d’abord que l’orientation de la ligne d’équidistance provisoire est ici le résultat d’une singularité de la côte, qui rend l’emplacement précis du point de départ et le choix des points de base particulièrement importants.
24. Dans ce secteur du delta du San Juan, la ligne de côte caribéenne de l’Amérique centrale est incurvée. [Projection] Au sud, le long de la côte costa-ricienne, elle est convexe, et vous voyez que les points de base du Costa Rica sont situés le long de cette convexité.
25. Le Costa Rica indique que sa ligne de côte est concave. Mais comme le montre clairement la carte, la côte à prendre en considération ici est convexe. La portion de côte située plus au sud n’a aucune incidence sur le point de départ de la frontière maritime.
26. [Projection] Au nord du delta du San Juan, la ligne de côte est concave, et l’ensemble des points de base de la mer territoriale du Nicaragua sont situés le long de cette concavité.
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27. M. Lathrop a fait référence au système de lignes de base droites du Nicaragua dans la mer des Caraïbes9. Il existe bel et bien, mais il n’a aucun effet sur la délimitation. Aucun des points de base du Nicaragua ne se situe en effet sur une ligne de base droite ; ils se trouvent tous sur la laisse de basse mer, c’est-à-dire sur la terre ferme. Et dans la mer des Caraïbes, pour les 12 premiers milles marins à partir de la côte, les points de base se trouvent tous sur la côte continentale, à moins de 13 kilomètres environ du point de départ.
28. C’est donc la conjugaison de la convexité de la côte du Costa Rica, qui écarte la ligne d’équidistance stricte de celui-ci en la rapprochant du Nicaragua, et de la concavité de la côte de ce dernier, qui accentue cet effet en attirant la ligne d’équidistance provisoire vers lui, qui produit l’effet d’amputation que vous voyez. Cet effet d’amputation est important, la ligne provisoire coupant la projection de la côte nicaraguayenne.
29. Dans notre contre-mémoire, nous avons expliqué pourquoi nous considérons que le Costa Rica utilise un point de départ inadéquat. Le Nicaragua a ainsi fait valoir, aux paragraphes 3.34-3.52 et 3.84, que, selon lui, c’est ce qui est désormais la laisse de basse mer à Punta de Castilla qui constitue le point de départ approprié, et non l’embouchure actuelle du fleuve San Juan.
30. Cette utilisation de Punta de Castilla a un effet sur la ligne d’équidistance stricte, comme le montre cette carte. Elle réduit en effet légèrement le considérable effet d’amputation de la ligne d’équidistance stricte commençant à l’embouchure du fleuve que propose le Costa Rica.
31. Le Nicaragua soutient cependant que l’effet d’amputation exagéré qui résulte du passage d’une côte convexe à une côte concave dans les environs immédiats du point de départ de Punta de Castilla demande encore à être atténué. C’est qu’en effet, la ligne d’équidistance stricte empêche ici de respecter ce que M. Brenes a appelé lundi «le principe fondamental selon lequel la terre domine la mer du fait de la projection des côtes ou des façades côtières»10 [fin de la projection].
32. Le Costa Rica a laissé entendre que la catégorie des «circonstances spéciales» justifiant un ajustement de la ligne d’équidistance provisoire était très restreinte  les «circonstances géographiques très spéciales», comme les a appelées M. Lathrop , estimant semble-t-il que le
9 CR 2017/9, p. 34, par. 9.
10 CR 2017/8, p. 43-44, par. 3.
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libellé de l’article 15 ne reflétait pas ce que le droit devait être à ses yeux. Le conseil du Costa Rica a mentionné les affaires Nicaragua c. Honduras, Qatar c. Bahreïn et Croatie/Slovénie, trois affaires dans lesquelles la ligne d’équidistance a été modifiée dans la mer territoriale11.
33. L’un des meilleurs exemples est la sentence Guyana/Suriname, dans laquelle le tribunal a formulé, aux paragraphes 295 à 306, quelques réflexions fort pertinentes sur le rôle des circonstances spéciales dans les délimitations de la mer territoriale. Il est question, au paragraphe 301 de cette sentence, de l’opportunité d’écarter la limite de la mer territoriale de la ligne d’équidistance afin d’éviter un résultat «inéquitable»  dans cette affaire, l’entrave à la navigation12 , et il est précisé que «rien n’oblige les juridictions internationales à s’en tenir à un ensemble fini de circonstances spéciales»13. Toujours au sujet de la délimitation de la mer territoriale, il est également fait référence dans cette sentence à l’approche suivie par le tribunal dans l’arbitrage relatif à la Délimitation du plateau continental entre la France et le Royaume-Uni, selon laquelle «la notion de circonstances spéciales fait en général appel à des considérations d’équité plutôt qu’à une catégorie de circonstances définies ou limitées»14.
34. Point n’est cependant besoin de multiplier les références de ce type. Nul ne conteste que l’effet d’amputation résultant d’une certaine configuration côtière peut commander l’ajustement de la ligne d’équidistance provisoire. La question qui divise les Parties est celle de savoir si un ajustement est ici légitime et, dans l’affirmative, de quelle ampleur il devrait être.
35. [Projection] M. Lathrop vous a montré une carte sur laquelle le Costa Rica avait «corrigé» la flèche grise, c’est le terme qu’a employé la Partie adverse, pour prouver qu’il n’y avait pas d’amputation15. Cette carte apparaît à présent sur vos écrans. Or, il serait bien difficile à quiconque se trouvant dans la partie inférieure de la côte concave du Nicaragua, n’importe où au sud de la flèche grise «corrigée», de croire que la projection de la côte nicaraguayenne n’est pas amputée. La vue sur la mer des Caraïbes n’est guère dégagée ; on a plutôt l’impression de devoir se
11 CR 2017/9, p. 36-37, par. 10.
12 Sentence arbitrale relative à la délimitation de la frontière maritime entre le Guyana et le Surinam, par. 306.
13 Ibid., par. 302.
14 Ibid., par. 302.
15 Troisième audience, dossier de plaidoiries, carte 155.
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hisser sur la pointe des pieds pour regarder par-dessus le mur que constitue la ligne d’équidistance, en rouge.
36. Les vues des Parties divergent sur le point de savoir si le Nicaragua subit un effet d’amputation dans la mer territoriale, mais pas sur la situation du Costa Rica à cet égard. Vous vous rappellerez en effet que M. Lathrop, [projection] lorsqu’il a décrit la carte figurant sous l’onglet no 167 du dossier de plaidoiries du demandeur, a précisé que «le point 13 du Costa Rica [était] celui où commenç[ait] l’amputation effective de son espace maritime»16. Dans la zone qui nous intéresse aujourd’hui, il y a donc une amputation de la côte nicaraguayenne, alors que le Costa Rica reconnaît lui-même que, à l’inverse, sa propre côte ne subit pas d’amputation [fin de la projection].
37. Le Nicaragua a proposé que l’effet de ces convexités et concavités locales soit rééquilibré, et que la ligne d’équidistance soit tracée au moyen de lignes droites représentant les directions générales des côtes dans cette zone, comme cela a été fait dans les affaires du golfe du Bengale, par exemple17.
38. La ligne provisoire pourrait être adéquatement ajustée en reprenant la méthode que la Cour elle-même a suivie dans des affaires telles que celle du golfe du Maine18, Tunisie/Libye19 et, plus nettement encore, Nicaragua c. Honduras20, méthode qui consiste à tracer une ligne d’équidistance ou une bissectrice à partir de la direction générale des côtes, en ne tenant pas compte des facteurs de déformation localisés.
39. [Projection] Nous avons représenté cette ligne sur la figure IId-5, à la page 114 du contre-mémoire. Il s’agit d’une ligne d’équidistance tracée sur la base d’une version simplifiée de la ligne de côte adjacente du Nicaragua, entre Monkey Point et Punta de Castilla.
16 CR 2017/9, p. 52, par. 49.
17 Golfe du Bengale.
18 Peut être consulté sur le site Internet : http://www.icj-cij.org/files/case-related/67/067-19841012-JUD-01-00-FR…, par. 189.
19 Peut être consulté sur le site Internet : http://www.icj-cij.org/files/case-related/63/063-19820224-JUD-01-00-FR….
20 Peut être consulté sur le site Internet : http://www.icj-cij.org/files/case-related/120/120-20071008-JUD-01-00-FR…, par. 287-289.
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40. Comme nous l’avons indiqué au paragraphe 3.91 de notre contre-mémoire, on peut soutenir que la ligne de côte du Costa Rica devrait elle aussi être simplifiée, auquel cas la ligne d’équidistance se déplacerait en faveur du Nicaragua. Mais compte tenu des difficultés supplémentaires qu’occasionnerait l’établissement d’une ligne de côte costa-ricienne simplifiée, et de son incidence relativement minime sur la frontière maritime dans son ensemble, le Nicaragua n’insiste pas sur ce point. Il revendique la ligne d’équidistance tracée sur la base de sa propre côte simplifiée et de la côte réelle du Costa Rica. Il s’agit de la ligne verte nommée «Ligne d’équidistance ajustée» sur notre figure IId-5.
41. Cette ligne est très légèrement incurvée et, par conséquent, difficile à tracer ; et il n’est pas aisé de déterminer son emplacement précis en mer. En conséquence, le Nicaragua a simplifié les choses en la traçant en ligne droite avec deux points d’infléchissement, comme indiqué au paragraphe 3.93 du contre-mémoire. La différence est infime : quelques mètres tout au plus. Cette ligne, que nous avons appelée «Ligne d’équidistance simplifiée», est représentée en noir sur la figure IId-5.
42. La Cour pourrait juger préférable de simplifier encore davantage la ligne, avec un seul point d’infléchissement au niveau de la limite des 12 milles marins. Pareille approche pragmatique serait, selon nous, à la fois appropriée et efficace.
43. [Projection] L’effet d’atténuation de cet ajustement de la ligne d’équidistance provisoire a été représenté sur la figure IId-6 du contre-mémoire. Vous pouvez voir qu’il réduit l’amputation de la côte nicaraguayenne dans la partie de la mer territoriale proche de la côte, avant de rejoindre la ligne d’équidistance stricte au point C-4.
44. Naturellement, le Costa Rica a un point de vue différent, et tente de persuader la Cour que diverses raisons techniques ou méthodologiques empêchent celle-ci, d’un point de vue juridique, d’ajuster la ligne provisoire. Le Nicaragua, quant à lui, considère que le droit n’est pas catégorique et rigide dans ses moindres détails au point d’enchaîner la Cour à la ligne d’équidistance, qu’elle serait obligée de suivre où qu’elle mène. Nous avons expliqué pour quelles raisons et de quelle manière la ligne devrait selon nous être ajustée, comme le droit le permet ; et nous nous en remettons à la sagesse de la Cour à cet égard [fin de la projection].
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Délimitation à partir d’un point situé en mer
45. J’en viens maintenant à la question de la délimitation à partir d’un point situé en mer. J’ai déjà rappelé comment le Nicaragua avait présenté sa thèse dans son contre-mémoire. La semaine dernière, la Cour a demandé quelle serait la position des Parties quant à la possibilité de faire partir la frontière maritime d’un point fixe situé dans la mer des Caraïbes, à une certaine distance de la côte.
46. Ayant attentivement examiné cette question à la lumière du rapport des experts désignés par la Cour, daté du 30 avril 2017, nous avons légèrement modifié notre position.
47. M. Argüello a donné la réponse du Nicaragua à la question de la Cour hier. En bref, le défendeur considère que cette manière de procéder serait conforme au droit international et à la pratique de la Cour, et, partant, y est favorable. En l’éloignant d’une côte instable en constante mutation, cette solution rendrait en effet la frontière maritime claire, certaine et permanente.
48. De fait, le Nicaragua est d’avis que le point fixe en question a été établi de longue date dans la pratique des Parties.
49. [Projection] M. Argüello a expliqué hier comment la frontière séparant les deux Etats avait été fixée, précisant que le traité de 1858, la sentence Cleveland et la sentence Alexander étaient tous fondés sur l’emplacement qu’occupait au XIXe siècle le promontoire oriental de la lagune de Harbor Head, et que les experts désignés par la Cour avaient récemment établi les coordonnées de ce point21. J’appellerai cet emplacement «point Alexander». Il se trouve maintenant à environ un kilomètre au large.
50. Le point Alexander est le seul point fixé de façon incontestable et permanente sur la côte caraïbe en l’espèce. Même si la «borne permanente» installée par Alexander a été engloutie par la mer depuis longtemps, son emplacement possède des coordonnées géographiques précises et permanentes qui sont désormais liées à un cadre de référence géodésique défini d’un commun accord par la communauté internationale.
51. Le fait que le point Alexander se situe en mer pose le problème du tracé de la frontière en-deçà de ce point dans la zone à présent recouverte par les eaux qui le sépare de la plage.
21 Rapport des experts désignés par la Cour (ci-après «rapport d’experts»), par. 183.
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52. Vous vous souviendrez que les experts désignés par la Cour étaient invités à répondre à la question suivante : «Quelles sont les coordonnées géographiques du point terrestre le plus approchant de celui qui avait été défini dans la première sentence Alexander comme étant le point de départ de la frontière terrestre ?» [Projection] Ils ont donné deux réponses possibles mais, comme l’a dit M. Argüello hier, le seul point qui ne connaît pas de «fréquentes transformations» est l’extrémité de la terre ferme située sur le promontoire de Punta de Castilla ; pour des raisons juridiques et pratiques qu’il a expliquées et que je ne répéterai pas, c’est ce point qui, selon nous, doit être le point de départ de la frontière terrestre.
53. En conséquence, le Nicaragua répond à la question posée que, conformément au droit international et par souci de certitude et de stabilité, la Cour devrait dire et juger que le point de départ de la frontière maritime est le point Alexander et celui de la frontière terrestre, l’actuelle Punta de Castilla. [Projection] Il convient de tracer entre ces deux points la ligne la plus courte, à savoir une ligne géodésique droite, pour en faire la frontière séparant le Costa Rica et le Nicaragua.
54. Le Costa Rica a estimé que le point fixe situé en mer pouvait constituer une sorte de «pivot» et être relié à la terre par une ligne «mobile»22. Certes, il avait à l’esprit un point terrestre différent, à savoir l’embouchure du fleuve à laquelle Alexander n’avait manifestement accordé aucun intérêt en fixant la frontière au nord-est de la lagune de Harbor Head, mais le Nicaragua convient que la solution du «pivot» est réalisable. La ligne reliant le point fixe en mer au territoire terrestre proprement dit pourrait être mobile, évoluant avec les changements naturels se produisant sur la côte [fin de la projection].
Délimitation au-delà du point Alexander
55. J’en viens maintenant à la question de la délimitation au-delà du «point Alexander».
56. Sur les plans géographique et cartographique, il n’est pas possible de tracer une ligne d’équidistance provisoire partant d’un point situé au large, pour la simple raison qu’il n’existe pas de points de base permettant de le faire. Pour concevoir tout point de base, il faudrait imaginer la configuration de la côte si le point de départ était situé sur la terre ferme. Or il n’y est pas situé.
22CR 2017/9, p. 41, par. 22.
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57. [Projection] Il existe cependant une solution de principe qui produirait des résultats solides et pratiques. Elle consisterait à tracer tout d’abord la ligne d’équidistance ajustée du point terminal de la frontière terrestre sur le littoral actuel  c’est-à-dire de Punta de Castilla  jusqu’à son point de rencontre avec la limite de 12 milles marins (que j’appelle point d’intersection). Bien entendu, il s’agit là précisément de ce que le Nicaragua a fait dans son contre-mémoire et j’ai expliqué il y a quelques minutes comment il avait tracé une ligne d’équidistance fondée sur une «direction générale de la côte» simplifiée pour atténuer l’amputation de son littoral.
58. Cependant, au lieu de considérer ensuite que la frontière maritime est la ligne ajustée séparant le point terminal de la frontière terrestre et le point d’intersection situé à la limite des 12 milles marins, cette solution consisterait à tracer la ligne la plus courte possible  une ligne géodésique  de ce point d’intersection non pas jusqu’au point terminal de la frontière terrestre situé sur la terre ferme, mais plutôt jusqu’au point de départ de la frontière maritime situé en mer, c’est-à-dire le point Alexander. De là, la ligne rejoindrait Punta de Castilla.
59. En pratique, la différence est ténue comme le montre cette carte, mais la méthode est simple, fondée sur des règles bien admises et compatibles avec l’approche de la Cour et le droit international ; de surcroît, elle produit des résultats qui paraissent «justes».
60. [Projection] La figure IId-6, qui apparaît à la page 116 du contre-mémoire, montre comment la ligne en question (tracée sur cette carte sans la modification mettant en jeu le point Alexander) rejoint le reste de la frontière maritime de sorte à produire, comme l’expliquera M. Reichler, un résultat équitable. Elle permet à la Cour d’appliquer l’article 15 de la CNUDM relatif à la délimitation de la mer territoriale d’une manière permettant d’appliquer également ensuite les articles 74 et 83 relatifs à la délimitation de la ZEE et du plateau continental. Les effets des articles 15, 74, 83 sont ainsi intégrés.
61. Avant de conclure, je me dois de signaler une des conséquences de la position du Nicaragua. Celui-ci a adopté un système de lignes de base droites. Certes, elles n’ont pas été utilisées ici dans la délimitation de la frontière (tous les points de base étant, comme je l’ai expliqué, situés sur la terre ferme), mais elles influent sur l’étendue de la mer territoriale du Nicaragua vers le large. C’est pourquoi, comme le montre par exemple la figure IId-6, une partie de la frontière sépare la mer territoriale du Nicaragua d’une portion de la ZEE du Costa Rica.
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62. Cela s’explique par le fait que le Nicaragua revendique la méthode des lignes de base droites alors que le Costa n’a pas encore demandé à l’appliquer le long de sa côte caraïbe, bien qu’il l’ait fait pour sa côte pacifique. La situation peut paraître curieuse, mais elle est la conséquence naturelle de la divergence des prétentions maritimes formulées par des Etats voisins.
63. Supposons que, d’un côté de la frontière, l’Etat A possède une mer territoriale de 12 milles marins et une ZEE alors que, de l’autre côté, l’Etat B a une mer territoriale  d’une largeur peut-être différente de celle de l’Etat A  et une zone contiguë, mais pas de ZEE. Ces espaces maritimes disparates peuvent tout à fait coexister sur le plan géographique sans créer le moindre problème juridique. Je n’évoque ce point que pour faire observer que les situations de cette nature ne font pas obstacle à la délimitation des frontières maritimes [fin de la projection].
64. Monsieur le président, ainsi s’achève mon premier exposé d’aujourd’hui. A moins que la Cour n’ait encore besoin de mon concours, je vous prie de bien vouloir appeler à la barre M. Reichler.
The PRESIDENT: Thank you. Merci, Monsieur Lowe. Je donne à présent la parole à M. Paul Reichler.
M. REICHLER : Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, good morning !
DÉLIMITATION DE LA FRONTIÈRE MARITIME DANS LA MER DES CARAÏBES
1. C’est, comme toujours, un honneur pour moi que de me présenter devant vous, et un privilège que de m’exprimer au nom de la République du Nicaragua. J’exposerai l’argumentation du Nicaragua concernant la délimitation de la zone économique exclusive et du plateau continental. Je traiterai tout d’abord de la délimitation dans la mer des Caraïbes puis, plus tard dans la matinée, de la délimitation dans l’océan Pacifique.
2. Monsieur le président, j’aurai 70 ans le mois prochain. L’une des choses qu’il m’aura été donné d’apprendre au cours de mon existence terrestre  en fait à l’endroit même où je me tiens à présent , c’est que la Cour juge souvent utile que les conseils intervenant lors de la procédure orale commencent par recenser les points sur lesquels les parties s’accordent, puis ceux sur lesquels elles s’opposent, afin qu’elle puisse mieux comprendre leurs divergences et s’attacher à trouver la
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meilleure solution. Et c’est ce à quoi je vais maintenant m’appliquer, afin d’employer mon temps de la manière que la Cour pourrait tenir pour la plus productive.
3. Heureusement, le Nicaragua et le Costa Rica s’accordent sur le droit applicable. Les deux Etats conviennent que la Cour devrait effectuer la délimitation dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique en recourant à la méthode en trois étapes, devenue classique, qui prévoit, premièrement, de construire une ligne d’équidistance provisoire, deuxièmement, de rechercher s’il existe des circonstances pertinentes qui pourraient justifier un ajustement de la ligne provisoire pour éviter que l’une ou l’autre des Parties ne subisse un préjudice et, si tel est le cas, d’établir la nature de cet ajustement, et troisièmement, de vérifier si la ligne ainsi ajustée a pour effet de créer une disproportion flagrante.
4. Le fait que les Parties aient le même avis quant à la procédure à suivre pour délimiter leurs frontières n’a rien d’étonnant. La méthode en trois étapes a été consacrée par la jurisprudence de la Cour, et en particulier, ces dernières années, dans l’affaire relative à la Délimitation maritime en mer Noire23 et dans la première affaire opposant le Nicaragua à la Colombie24. D’autres tribunaux ont suivi l’exemple de la Cour. Dans l’affaire Bangladesh/Myanmar25, le tribunal international du droit de la mer (ci-après le «TIDM») a adopté la méthode en trois étapes en s’appuyant abondamment sur l’affaire relative à la Délimitation maritime en mer Noire. Certains tribunaux arbitraux établis en vertu de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) ont procédé de même, notamment dans l’arbitrage entre le Bangladesh et l’Inde26.
5. Les Parties s’accordent également sur la jurisprudence applicable. Le Nicaragua et le Costa Rica citent pour l’essentiel les mêmes affaires. Et, même si le Nicaragua considère que le Costa Rica a donné lecture de ces affaires ou en a, à tout le moins, cité certains passages de manière sélective, voire inexacte, je veux souligner ici que les Parties semblent bien être d’accord sur les affaires qui présentent un intérêt en l’espèce. Cet accord général sur les principes juridiques et la méthode à suivre allégera, je l’espère, la tâche de la Cour.
23 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, par. 115-122.
24 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), par. 190-193.
25 Tribunal international du droit de la mer (TIDM), Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt du 14 mars 2012, par. 233.
26 Tribunal constitué en vertu de l’annexe VII de la CNUDM, Arbitrage entre le Bangladesh et l’Inde concernant la délimitation de la frontière maritime du golfe du Bengale, sentence, 7 juillet 2014, par. 340-346.
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6. La Cour a néanmoins encore une lourde tâche à effectuer. A chacune des trois étapes de cette méthode, les Parties sont en net désaccord sur les modalités de sa mise en oeuvre. A titre d’exemple, alors que le Nicaragua et le Costa Rica sont convenus que la première étape consiste dans la construction d’une ligne d’équidistance provisoire  ce qui devrait être, et qui est généralement, une opération technique fondée sur les mathématiques et des faits géographiques objectifs , ils ont produit des lignes d’équidistance très différentes. Voici l’illustration qui figure à l’onglet no 11. La ligne d’équidistance du Nicaragua apparaît à présent à l’écran en rouge et celle du Costa Rica en bleu.
7. Les Parties s’opposent aussi vivement sur la mise en oeuvre de la deuxième étape. Toutes deux considèrent qu’il existe des circonstances pertinentes commandant l’ajustement de la ligne provisoire, mais elles se sont appuyées sur des circonstances différentes pour procéder à leurs ajustements respectifs, si bien que leurs lignes provisoires empruntent des directions antagoniques.
8. Enfin, s’agissant de la troisième étape de la méthode appliquée, les Parties sont parvenues, compte tenu de leurs conceptions divergentes des côtes pertinentes et, en particulier, de la zone pertinente, à des conclusions différentes au sujet du caractère équitable de leurs lignes de délimitation ajustées.
9. Pendant le reste de mon exposé, je ferai tout mon possible pour aider la Cour à analyser ces désaccords. Avant que le Costa Rica ne présente son exposé mardi dernier, j’envisageais à cette fin d’examiner successivement chacune des trois étapes du processus de délimitation afin de mettre en évidence, pour chacune d’elles, en quoi et pourquoi les Parties s’opposaient, de sorte que la Cour puisse se faire une idée plus précise de leurs approches, conclusions et motivations respectives. J’envisage toujours de procéder ainsi, mais, après ce que nous avons entendu et vu mardi dernier, je pense à présent qu’il serait plus utile pour la Cour que j’en vienne directement au coeur du différend.
10. Et voici de quoi il s’agit — nous l’avons reproduit à l’onglet no 12 du dossier de plaidoiries : le Costa Rica tente de démontrer qu’il se trouve au centre de ce qu’il appelle une «concavité formée par les côtes de trois Etats», qui serait à l’origine de l’effet d’amputation que produisent sur son espace maritime avant la limite des 200 milles marins les lignes d’équidistance convergentes du Nicaragua et du Panama. Selon l’un des conseils du Costa Rica, ce qui fait de cette
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concavité une circonstance pertinente, c’est la présence d’un Etat tiers  l’Etat situé au centre se retrouvant de ce fait enserré entre les lignes d’équidistance convergentes de ses deux voisins et amputé de son espace maritime avant la limite extérieure de la zone à laquelle il peut prétendre. M. Lathrop a appelé votre attention sur «le fait que le Costa Rica [était] enserré entre les deux frontières latérales équidistantes»27. L’image qu’il montre semble emporter la conviction. De fait, le Costa Rica y apparaît bel et bien amputé de son espace maritime.
11. Voilà, en substance, son argumentation : pauvre Costa Rica ! Quelle affreuse amputation ! Cette image pourrait même vous émouvoir aux larmes, Monsieur le président … mais seulement si vous gardez les yeux fermés. Et c’est précisément ce que le Costa Rica veut que vous fassiez. Prenez son récit pour argent comptant. Et, surtout, ne l’examinez pas de trop près, au risque de voir ce qu’il est en réalité : une ruse, un artifice, un faux intégral visant à faire apparaître le Costa Rica comme nettement amputé de son espace maritime, alors qu’il n’en est rien. Montrée dans sa vérité nue, l’intégralité de l’argumentation du Costa Rica concernant la délimitation dans la mer des Caraïbes s’écroule rapidement.
12. Commençons par examiner de plus près la ligne d’équidistance que le Costa Rica a tracée entre lui et le Panama. Il convient de souligner, comme le Costa Rica l’a lui-même fait à maintes reprises, que c’est la présence de cette ligne de délimitation le séparant d’un Etat tiers dans une situation de concavité qui entraîne l’amputation de son territoire maritime. Le problème est que la ligne en question n’existe pas et, en réalité, n’existera jamais, comme vous le verrez bientôt. Le Costa Rica a qualifié d’« hypothétique» cette prétendue ligne de délimitation. Il serait plus exact d’employer le terme «imaginaire».
13. Voici comment se présente la frontière réelle séparant le Costa Rica et le Panama, définie dans leur traité de 1980 qu’ils ont tous deux ratifié. Suivant une ligne droite, mais jusqu’à 100 milles marins seulement, elle finit, selon l’accord exprès des parties, au tripoint où la frontière séparant le Costa Rica et la Colombie et celle séparant la Colombie et le Panama se rencontrent.
14. Le Costa Rica dit que le traité qu’il a conclu avec la Colombie en 1977 n’a pas d’effet juridique, la conséquence en étant qu’il n’existe à présent aucune frontière entre eux. Supprimons
27 CR 2017/9, p. 49, par. 41 (Lathrop).
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donc la ligne. Le Nicaragua n’est pas d’accord, comme l’a expliqué M. Remiro Brotóns. Supposons cependant, pour les besoins de l’analyse, que le Costa Rica ait raison. Monsieur le président, je vous prie de regarder toute la haute mer qui va de la ligne d’équidistance dite «hypothétique» que le Costa Rica a tracée entre lui et le Panama à la frontière réelle séparant celui-ci de la Colombie. La zone bleu pâle limitée par ces deux lignes, qui se situe au sud de la ligne d’équidistance provisoire avec le Nicaragua et s’étend sans interruption jusqu’à la limite de 200 milles marins du Costa Rica, a une superficie de près de 12 000 kilomètres carrés. Pour se poser en victime d’une amputation résultant de la présence d’un Etat tiers, le Costa Rica érige la ligne d’équidistance hypothétique en frontière et attribue la totalité de ces 12 000 kilomètres carrés au Panama.
15. Cette attribution est cependant tout à fait fictive et le Costa Rica le sait. La Cour aussi le sait. Voici un croquis établi par elle, qui définit la frontière maritime en l’affaire Nicaragua c. Colombie. Il figure à l’onglet no 13. Comme on le voit, il montre également la frontière séparant le Panama et la Colombie. Voici ensuite ce que la Cour dit au sujet de cette frontière au paragraphe 227 de son arrêt de 2012 : «[L]a Cour admet que l’accord entre la Colombie et le Panama emporte reconnaissance, par ce dernier, des prétentions colombiennes sur la zone située au nord et à l’ouest de la ligne frontière qu’il établit.»28 L’accord conclu entre le Panama et la Colombie a été ratifié par les deux Etats et il n’y a aucun doute quant au fait qu’il soit toujours en vigueur. Le Panama considère certainement qu’il est en vigueur. En effet, dans une communication adressée à l’Organisation des Nations Unies en 2013, il a défini ses frontières situées dans la mer des Caraïbes exactement comme elles figurent dans le traité qui le lie à la Colombie29. Dans une note de transmission, son ministre des affaires étrangères a dit que la carte jointe à celle-ci représentait «toute l’étendue de l’espace maritime de la République du Panama, délimité par les traités de frontières conclus avec la République du Costa Rica et la République de Colombie»30. Vous trouverez la lettre et la carte en question à l’onglet no 14. Comme l’a dit la Cour, le Panama
28 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 707, par. 227.
29 Lettre DGPE/DG/665/2013 en date du 30 septembre 2013 adressée au Secrétaire général de l’organisation des Nations Unies par le ministère des affaires étrangères de la République du Panama, , p. 4, accessible à l’adresse suivante : http://www.un.org/depts/los/clcs_new/submissions_files/nic66_13/pan_re_….
30 Lettre DGPE/DG/665/2013 en date du 30 septembre 2013 adressée au Secrétaire général de l’organisation des Nations Unies par le ministère des affaires étrangères de la République du Panama , p. 2, accessible aux adresses suivantes : http://www.un.org/depts/los/clcs_new/submissions_files/nic66_13/pan_re_… (original espagnol) et http://www.un.org/depts/los/clcs_new/submissions_files/nic66_13/pan_re_… (anglais).
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n’a pas le droit de revendiquer des zones situées au-delà de sa frontière convenue avec la Colombie et considère qu’il n’en a pas le droit.
16. Monsieur le président, il s’avère que le Costa Rica a délibérément cherché à détourner votre attention de l’accord de délimitation de la frontière conclu par le Panama et la Colombie, ainsi que du fait que le Panama ne peut revendiquer ni ne revendique une zone située au nord ou à l’est de sa frontière convenue. Celle-ci ne figure sur aucune des nombreuses cartes projetées lundi ou mardi derniers. Je suis donc retourné interroger le mémoire du Costa Rica, y compris ses annexes. La frontière entre le Panama et la Colombie n’y figure pas davantage. La raison en est évidente. Dans la présente affaire, cette frontière est des plus inopportune pour le Costa Rica, car elle l’empêche de se poser en victime d’une amputation par un Etat tiers engendrée par la concavité de la côte. C’est pourquoi le Costa Rica ne vous l’a jamais montrée, pas plus dans ses écritures que dans ses plaidoiries. Cela étant, le simple fait que le Costa Rica la méconnaisse ne signifie pas que la Cour aussi doit la méconnaître.
17. Selon toute apparence, le Costa Rica a oublié qu’il avait déjà dit à la Cour qu’en réalité il revendiquait toute la zone située entre la ligne d’équidistance hypothétique qu’il a tracée et la frontière séparant le Panama et la Colombie. Pas dans la présente affaire, bien sûr, sans quoi il aurait démoli la thèse de l’amputation par un Etat tiers qu’il vient d’inventer, mais en 2011, à l’époque où il voulait intervenir dans l’affaire Nicaragua c. Colombie. A l’onglet no 15 figure le croquis joint par la Cour à son arrêt du 4 mai 2011 rejetant la requête du Costa Rica. Il fait ressortir, en bleu et rose, la «zone dans laquelle le Costa Rica prétend avoir un intérêt d’ordre juridique susceptible d’être affecté par la décision de la Cour»31. Comme on le voit, l’«intérêt juridique» du Costa Rica réside dans l’ensemble de la zone située au nord et à l’est de la frontière séparant le Panama et la Colombie, ainsi que la zone située à l’est de la frontière entre le Costa Rica et la Colombie définie en 1977, jusqu’à la limite de 200 milles marins. La Cour dit dans la partie supérieure de son croquis que celui-ci a été établi «à partir d’une carte présentée par le
31 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), requête à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (II), p. 366.
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Costa Rica»32. Cette carte à elle seule anéantit entièrement la thèse de l’amputation que le Costa Rica a inventée pour les besoins de la présente instance.
18. Monsieur le président, le Costa Rica a fait preuve d’une grande ingéniosité en l’espèce. D’une part, il s’est efforcé de dissimuler ses intentions en ce qui concerne les zones auxquelles le Panama a renoncé, en s’interdisant l’accès à celles-ci par sa ligne d’équidistance «hypothétique» ; d’autre part, il a astucieusement pris soin d’assurer le maintien de ses prétentions sur ces zones. Cela ressort très clairement de sa clause de sauvegarde, énoncée au paragraphe 4.12 de son mémoire, qui est ainsi libellée : «Cette ligne fictive, utilisée aux seules fins de définir la zone pertinente en l’espèce, ne peut avoir d’incidence sur les droits du Panama, ni porter atteinte au Costa Rica dans ses relations avec celui-ci.»33 M. Lathrop a pris la peine d’exprimer la même réserve sur les droits du Panama mardi dernier34.
19. A n’en pas douter, le Costa Rica n’a nullement l’intention de s’entendre avec le Panama pour faire de sa ligne d’équidistance fictive la véritable frontière des deux Etats. Ce n’est cependant pas cela qu’il faut lui reprocher, mais le fait d’avoir créé la fausse impression qu’il serait amputé par une prétendue ligne «hypothétique» ou «fictive» qu’il n’envisage pas du tout d’accepter comme frontière et que le Panama n’a pas le droit de revendiquer. Voici l’illustration qui figure à l’onglet no 16. Il est parfaitement clair que le Costa Rica se prépare à revendiquer pour lui seul tout l’espace maritime allant jusqu’à sa limite de 200 milles marins que le Panama et lui ont déjà reconnu comme appartenant à la Colombie.
20. Qui s’opposera à lui ? Au sud, le Panama est bloqué par l’accord de délimitation de la frontière qu’il a conclu avec la Colombie. Au nord, celle-ci est bloquée par la ligne de délimitation fixée par la Cour dans son arrêt de 2012. Rien ni personne ne peut donc empêcher le Costa Rica d’atteindre sa limite de 200 milles marins dans la vaste zone située au sud et à l’est de la ligne d’équidistance avec le Nicaragua, quelle que soit la façon dont cette ligne est ajustée. De toute évidence, Monsieur le président, le Costa Rica ne se croit pas amputé. Il veut tout simplement amener la Cour à croire qu’il l’est.
32 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), requête à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (II), p. 366. Voir aussi ibid., p. 364, par. 55.
33 Délimitation maritime, MCR, par. 4.12.
34 Voir CR 2017/9, p. 34, par. 6 (Lathrop).
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21. Nos amis de la partie adverse ont assimilé le cas du Costa Rica à celui de l’Allemagne dans les affaires du Plateau continental et à celui du Bangladesh dans les deux affaires du golfe du Bengale. Examinons la question de plus près et, pour ce faire, comparons la situation du Costa Rica avec celle de l’Allemagne. D’ordinaire, je ne projetterais pas une telle diapositive devant la Cour, mais, comme le Costa Rica ne s’en est pas privé, il me semble de bonne guerre de lui rendre la monnaie de sa pièce. Comme vous le constatez ici, la situation du Costa Rica n’est en rien semblable à celle de l’Allemagne. Celle-ci subissait une amputation à 100 milles marins de sa côte. Le Costa Rica, quant à lui, atteint pleinement sa limite de 200 milles marins si l’on ne tient pas compte du traité de 1977, et possède en outre une large bande de mer s’étendant vers l’est au-delà de 187 milles marins où elle rencontre la limite extérieure des eaux panaméennes. Voici à présent l’Allemagne après l’ajustement de ses frontières par accord avec ses deux voisins. Par rapport à elle, le Costa Rica jouit toujours d’une très bonne situation.
22. Trois points utiles peuvent être dégagés des affaires du Plateau continental et de celles du golfe du Bengale. Premièrement, le résultat final obtenu, tant pour la zone maritime de l’Allemagne que pour celle du Bangladesh, revêtait toujours la forme d’un triangle se rétrécissant vers le large jusqu’à son sommet. Il s’ensuit que la solution adoptée ne visait pas à éliminer tous les effets de l’amputation causée par la convergence de lignes d’équidistance réelles, et non pas hypothétiques, mais seulement à les réduire.
23. Deuxièmement, dans chaque affaire la réparation était venue des deux voisins et non d’un seul. Aucun voisin n’avait été astreint à porter seul la charge de la compensation de l’amputation réelle subie par l’Allemagne ou le Bangladesh. Bien au contraire, il ressort des indications fournies par le Costa Rica même que des compensations à peu près égales avaient été apportées à l’Allemagne par le Danemark et les Pays-Bas dans les affaires du Plateau continental et au Bangladesh par le Myanmar et l’Inde dans les affaires du golfe du Bengale. A l’inverse, le Costa Rica veut obtenir compensation du seul Nicaragua, alors même qu’il n’y a au sud aucune ligne d’équidistance qui rendrait nécessaire ou opportune une quelconque compensation au nord.
24. Troisièmement, et c’est le plus important, le TIDM et le tribunal arbitral constitué en vertu de l’annexe VII de la CNUDM ont, par souci de prudence, évité de procéder à des ajustements de frontière qui auraient eu un effet d’amputation sur le Myanmar ou l’Inde. Le
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principe ainsi établi est qu’il serait inéquitable de réparer l’amputation subie par un Etat  même lorsqu’elle est effective  par l’amputation de l’autre. Ce principe ressort également de l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire Nicaragua c. Colombie, dont le paragraphe 216 se lit comme suit :
«Une solution équitable suppose que chaque Etat puisse bénéficier de droits raisonnables dans les espaces correspondant aux projections de ses côtes. En l’espèce, cela signifie que la Cour, lorsqu’elle ajustera ou déplacera la ligne médiane provisoire, devra veiller à ce que ni l’une ni l’autre des Parties ne soit entièrement privée des espaces correspondant aux projections de ses côtes.»35
25. Or, avec sa proposition d’ajustement de la ligne d’équidistance provisoire, le Costa Rica demande à la Cour de faire exactement ce que celle-ci a décidé de ne pas faire dans l’affaire Nicaragua c. Colombie  à savoir priver totalement, ou presque totalement, le Nicaragua des espaces maritimes dans lesquels se projette sa côte continentale au sud de la ligne de délimitation avec la Colombie. Voici la ligne d’ajustement proposée par le Costa Rica, qui figure à l’onglet n° 18 du dossier. Comme on le constate, à l’exception de deux couloirs très étroits dont la largeur ne dépasse pas 5 milles marins, cette ligne ampute le Nicaragua des droits maritimes auxquels il peut prétendre au-delà de 100 milles marins. Elle aurait pour effet ultime de faire de l’arrêt Nicaragua c. Colombie, pourtant équitable et d’un équilibre subtil, un arrêt qui, combiné avec le résultat que le Costa Rica recherche en l’espèce, serait extrêmement préjudiciable au Nicaragua.
26. La propre diapositive du Costa Rica, que nous avons reproduite à l’onglet n° 19, montre à quel point l’ajustement proposé nuirait au Nicaragua. Comme vous pouvez le voir, le Costa Rica doit, pour leur faire atteindre la limite des 200 milles marins du Nicaragua, faire passer directement à travers l’espace maritime de la Colombie les flèches qui représentent selon lui la projection côtière du Nicaragua. A défaut, ces flèches s’arrêteraient net, ou seraient forcées de passer par le chas d’une aiguille à partir des 100 milles marins.
27. A en croire les calculs du Costa Rica, cet ajustement de la ligne d’équidistance provisoire lui transfère plus de 11 800 kilomètres carrés d’espaces maritimes nicaraguayens36. Mais ce chiffre est sous-estimé. Il faut en effet y ajouter quelque 15 500 autres kilomètres carrés d’espaces maritimes nicaraguayens que le Costa Rica s’attribue en ne donnant aucun effet aux îles frangeantes du Nicaragua ni à ses îles du Maïs. Vous trouverez à l’onglet n° 20 une représentation
35 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 704, par. 216.
36 Délimitation maritime, MCR, par. 4.43
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plus exacte de la tentative de mainmise du Costa Rica sur ces espaces maritimes. Il s’agit d’une comparaison entre la ligne frontière ajustée du Costa Rica et la ligne d’équidistance provisoire du Nicaragua. Il apparaît que le Costa Rica s’est attribué 27 000 kilomètres carrés environ au nord de la ligne d’équidistance provisoire du Nicaragua. Et comme si cela ne suffisait pas, il s’est accordé ce faisant davantage d’espaces maritimes du côté nicaraguayen d’une ligne d’équidistance provisoire correctement tracée qu’il n’en a laissés au Nicaragua dans sa propre zone pertinente, à savoir 22 000 kilomètres carrés seulement.
28. Monsieur le président, je crois que, pour établir leurs revendications, le Costa Rica et ses conseils ont étudié Kafka. Je pense à un passage en particulier où le maître de la littérature tchèque dit ceci : «[i]l y a un certain nombre de choses qu’on ne peut atteindre qu’en faisant délibérément un saut en sens inverse»37. C’est exactement ce que le Costa Rica a fait.
29. Manifestement, Monsieur le président, l’exercice auquel le Costa Rica a procédé nous conduit à une impasse. Le Costa Rica n’a pas réussi à nous démontrer qu’il subissait un préjudice résultant d’une amputation par un Etat tiers, ni même d’une quelconque amputation. Il n’a justifié aucun ajustement de la ligne d’équidistance provisoire en sa faveur et encore moins celui, absurde, qu’il a proposé. Son approche de la délimitation dans la mer des Caraïbes n’est d’aucune aide. Comment la Cour devrait-elle alors délimiter la frontière ?
30. Monsieur le président, ma présentation ira au-delà de la pause café de la matinée. Je peux m’interrompre maintenant ou trouver un autre moment approprié dans une dizaine ou une quinzaine de minutes, selon ce qui vous convient le mieux.
Le PRESIDENT : Je pense que vous pouvez poursuivre pour le moment.
M. REICHLER : Je vous remercie, Monsieur président.
Comment la Cour devrait-elle alors délimiter la frontière ? La jurisprudence est claire. Il convient de délimiter la frontière au moyen de la méthode en trois étapes, en commençant par la première de ces étapes, la construction d’une ligne d’équidistance provisoire. Cette opération est censée être objective, et elle l’est effectivement dans la plupart des cas. En fait, la construction de
37 Gustav Janouch, Conversations avec Kafka (éd. Les lettres nouvelles, 1978).
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la ligne est une tâche aujourd’hui effectuée essentiellement par ordinateur. Il existe un logiciel spécifique, appelé CARIS LOTS, que le monde entier ou presque utilise. Ce logiciel définit les points de base le long des deux côtes qui fondent la ligne d’équidistance, puis calcule et construit la ligne. La Cour a souligné que l’équidistance présentait l’avantage d’être «objective[] sur le plan géométrique» et qu’elle s’appuyait sur des méthodes «adaptées à la géographie de la zone»38.
31. Comment le Nicaragua et le Costa Rica peuvent-ils, alors qu’ils emploient la même méthode, objective et informatisée, parvenir à des lignes d’équidistance si différentes ? La réponse, Monsieur le président, n’est pas à chercher dans le logiciel mais dans les données que les Parties entrent en premier lieu dans l’ordinateur. Pour que le logiciel mène à bien sa tâche, il faut tout d’abord numériser les côtes des Parties et saisir ces données dans l’ordinateur. Si les données en question sont inexactes, le logiciel, qui n’a aucun moyen de le savoir, produira tout de même une ligne d’équidistance exacte sur le plan mathématique, mais fondée sur une représentation erronée des côtes. Voilà ce qu’a fait le Costa Rica — ce qu’il a fait, et non ce qu’il semble avoir fait. Et si nous le savons, c’est parce qu’il nous l’a dit. Il nous a dit que c’est ce qu’il avait fait lorsqu’il avait représenté la côte du Nicaragua. De son propre aveu, il a délibérément fait abstraction de toutes les îles nicaraguayennes39. Par conséquent, le logiciel n’a placé aucun point de base sur ces formations et aucune d’elles n’a eu d’effet sur la construction de la ligne d’équidistance provisoire du Costa Rica.
32. C’est ce qui explique les différences entre les lignes d’équidistance provisoires des Parties en ce qui concerne la zone économique exclusive et le plateau continental. Il y a deux endroits en particulier où, en faisant abstraction des îles nicaraguayennes, le Costa Rica fait dévier la ligne en sa faveur. Si l’une des variations est relativement mineure, l’autre est très importante et porte gravement préjudice au Nicaragua.
33. Vous pouvez voir, à l’onglet n° 21, les lignes d’équidistance respectives des Parties sur une distance de 20 milles marins. Vous constaterez que tous les points de base du Costa Rica sont situés sur une portion convexe de la côte costa-ricienne, tandis que tous les points de base du
38 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 695, par. 191. Voir également Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 101, par. 116.
39 Voir CR 2017/9, p. 46-47, par. 36-37 (Lathrop).
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Nicaragua sont sur la partie concave de la côte nicaraguayenne. Et comme M. Lowe l’a expliqué, la combinaison de la convexité costa-ricienne et de la concavité nicaraguayenne provoque un net infléchissement de la ligne d’équidistance devant la côte du Nicaragua, dont la projection au large se trouve bloquée.
34. A 20 milles marins, les points de base du Nicaragua à l’extrémité septentrionale de la portion concave de sa côte commencent à contrebalancer en partie les points de base établis sur la portion de côte convexe du Costa Rica et les deux lignes d’équidistance s’infléchissent vers l’est. A partir d’un point A placé sur la ligne d’équidistance provisoire du Nicaragua, les points de base situés sur deux des îles frangeantes nicaraguayennes  Paxaro Bovo et les cayes de Palmenta  entrent en jeu. Nul ne saurait contester sérieusement qu’il s’agit de deux îles frangeantes, situées respectivement à 3 et 1 milles marins de la côte nicaraguayenne. A ce titre, il ne devrait d’ailleurs pas être contesté que, d’un point de vue juridique, ces îles font partie intégrante de la côte nicaraguayenne et ne sauraient être omises, contrairement à ce qu’a fait le Costa Rica. Comme la Cour l’a établi au paragraphe 201 de son arrêt en l’affaire Nicaragua c. Colombie :
«[L]es îles adjacentes au littoral nicaraguayen étaient à prendre en compte aux fins de calculer la longueur de la côte pertinente et de tracer la ligne de base à partir de laquelle seraient mesurés le plateau continental et la zone économique exclusive dévolus au Nicaragua … Ces îles s’avançant plus à l’est que la masse continentale nicaraguayenne, elles fourniront l’ensemble des points de base aux fins de construire la ligne médiane provisoire.»40
Pourtant, le Costa Rica fait abstraction de ces îles frangeantes et n’y place aucun point de base.
35. Les Parties semblent néanmoins convenir du caractère assez mesuré de l’incidence de Paxaro Bovo et des cayes de Palmenta. Comme l’a dit M. Lathrop, ces îles ne modifient pas beaucoup la ligne d’équidistance41. Et, comme vous pouvez le voir ici, à cette échelle, il est difficile de distinguer une ligne de l’autre entre le point A et le point B, qui se trouve approximativement à 55 milles marins de la côte.
36. Ne pas tenir compte des îles frangeantes du Nicaragua dans la construction de sa ligne d’équidistance provisoire n’est pourtant pas le seul, ni même le plus grave, péché par omission commis par le Costa Rica, qui a également fait abstraction des deux îles nicaraguayennes du Maïs.
40 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 698-699, par. 201.
41 CR 2017/9, p. 47, par. 36 (Lathrop).
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Comme vous le voyez ici, et à l’onglet n° 22 de votre dossier, le Costa Rica traite les îles du Maïs comme si elles n’existaient pas. Il n’y place pas de point de base et ne trace pas de ligne de contrôle à partir de ces îles pour construire sa ligne d’équidistance. C’est pourquoi les deux lignes d’équidistance commencent à diverger, au point B du Nicaragua, qui correspond à peu près au point 19 du Costa Rica. La divergence entre les deux lignes, dont les trajectoires s’écartent à partir de ces points jusqu’aux limites extérieures, tient à ce que le Costa Rica fait totalement disparaître les îles du Maïs du contexte géographique.
37. Autre chose est de savoir si, dans le cadre de la deuxième étape de la méthode appliquée, une ligne d’équidistance provisoire correctement tracée doit être ajustée en faveur du Costa Rica en raison de l’incidence qu’ont sur cette ligne les îles du Maïs, dont le Costa Rica affirme qu’elles constituent une circonstance pertinente. Le Nicaragua est en désaccord complet avec le Costa Rica sur ce point, et je vous montrerai pourquoi il a raison de l’être lorsque je passerai à l’examen de la deuxième étape. Mais, pour ce qui est de la première étape, la question appropriée est celle de savoir si les îles du Maïs font partie de la côte pertinente du Nicaragua42 et, dans l’affirmative, si le Nicaragua a droit aux points de base que le logiciel CARIS attribue objectivement à ces formations.
38. La réponse ne saurait être que positive, si l’on considère la jurisprudence de la Cour en l’affaire Nicaragua c. Colombie. Au paragraphe 201 de son arrêt, la Cour a expliqué qu’elle «utilisera[it] des points situés sur le récif d’Edimbourg, la caye de Muerto, les cayes des Miskitos, la caye de Ned Thomas, Roca Tyra, Mangle Chico et Mangle Grande [petite île du Maïs et grande île du Maïs]»43. Pour la commodité de la Cour, ce croquis est présenté à l’onglet n° 23 et est bien évidemment joint à l’arrêt. Nous avons mis en évidence les points de base sur les deux îles du Maïs et leurs lignes de contrôle.
39. Monsieur le président, l’emplacement des îles du Maïs est incontesté, comme l’est leur lien avec la côte continentale du Nicaragua et les autres îles. Ces îles ne se sont pas déplacées depuis l’arrêt rendu en l’affaire Nicaragua c. Colombie. Leur superficie  9,6 kilomètres carrés pour la grande île du Maïs et 3 kilomètres carrés pour la petite île du Maïs , leur population permanente de plus de 7000 habitants et leur importance économique pour le Nicaragua n’ont pas
42 Voir Délimitation maritime, CMN, par. 3.65.
43 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 699, par. 201.
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non plus changé. Il s’agit toujours de formations insulaires importantes et, comme telles, elles ont droit à être traitées de la même façon dans la présente affaire que dans celle qui a opposé le Nicaragua à la Colombie.
40. Dans son mémoire, le Costa Rica s’est visiblement bien gardé de mentionner le traitement que la Cour a réservé aux îles du Maïs en l’affaire Nicaragua c. Colombie, et il ne l’a pas davantage évoqué cette semaine. Il a choisi de passer sous silence ce précédent pourtant très pertinent, préférant invoquer à la place l’affaire relative à la Délimitation maritime en mer Noire, dans laquelle la Cour a déterminé qu’il n’y avait pas lieu de placer sur l’île des Serpents appartenant à l’Ukraine un point de base aux fins de la construction de la ligne d’équidistance provisoire entre cet Etat et la Roumanie44. Il a également cité l’affaire du golfe du Bengale, dans laquelle le TIDM a considéré que l’île bangladaise de Saint-Martin ne devait pas avoir d’incidence sur la ligne délimitant la ZEE et le plateau continental entre le Bangladesh et le Myanmar45.
41. Aucune de ces deux affaires ne sert toutefois la cause du Costa Rica. Contrairement aux îles du Maïs, l’île des Serpents était en effet une minuscule formation ukrainienne d’une superficie d’à peine 0,17 kilomètre carré, sans population indigène ni vie économique propre46. La Cour elle-même a justifié son choix de traiter différemment l’île des Serpents et les îles du Maïs. Au paragraphe 202 de l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire Nicaragua c. Colombie, immédiatement après avoir décidé d’«utilise[r] des points [de base] situés sur ... Mangle Chico et Mangle Grande [petite et grande îles du Maïs]» pour construire la ligne d’équidistance provisoire47, elle a ainsi expressément établi une distinction avec le traitement qu’elle avait réservé à l’île des Serpents : «[L]orsque des points de base situés sur de très petites formations [maritimes] pourraient avoir un effet de distorsion eu égard au contexte géographique, il convient de ne pas en tenir compte pour l’établissement de la ligne médiane provisoire.»48
44 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 109, par. 149.
45 Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, TIDM Recueil 2012, p. 86, par. 319.
46 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 70, par. 16, 180 et 184.
47 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 699, par. 201 ; les italiques sont de nous.
48 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 699, par. 202 ; les italiques sont de nous.
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42. L’affaire du golfe du Bengale ne vient pas davantage étayer l’argumentation du Costa Rica. Comme il l’a exposé, le TIDM a refusé, dans le cadre de la construction de la ligne d’équidistance provisoire, d’attribuer à l’île de Saint-Martin un point de base auquel elle aurait normalement eu droit, et ce, uniquement en raison de son emplacement particulier. Cette île n’était en effet pas adjacente à la côte du Bangladesh mais lui faisait directement face et ne se trouvait qu’à 5 milles de la côte du Myanmar, dont elle bloquait de ce fait considérablement la projection bien au sud — c’est-à-dire du côté du Myanmar — du point terminal de la frontière terrestre. Le tribunal a déterminé qu’il convenait de ne placer aucun point de base sur l’île de Saint-Martin au motif, je cite, «qu’elle [était] située à proximité immédiate du continent, du côté du Myanmar par rapport au point d’aboutissement de la frontière terrestre des Parties» ; tout point de base placé sur cette formation aurait donc entraîné «une distorsion injustifiée de la ligne de délimitation»49.
Si vous le permettez, Monsieur le président, je poursuivrai mon exposé pendant une minute ou une minute et demie.
43. Mardi dernier, le Costa Rica a énuméré quantité d’autres formations insulaires dont la Cour ou certains tribunaux arbitraux n’ont pas tenu compte50. Si étourdissante que fut cette liste, nous n’avons eu droit à aucune explication, analyse ou représentation de l’une quelconque des formations citées. Et pour cause : les exemples donnés étaient moins pertinents encore que l’île des Serpents ou l’île de Saint-Martin. A l’onglet no 24, vous trouverez une photographie de Filfla, minuscule îlot inhabité qui se trouve au large de la côte maltaise et dont la superficie n’est que de 0,06 kilomètre carré. Si cet îlot est connu, c’est avant tout parce que la Royal Navy y avait effectué des exercices de tir à la cible au cours de la Seconde Guerre mondiale et, à en juger par les éboulis, elle a sans aucun doute très bien visé.
44. L’île de Sable, quant à elle, était une formation inhabitée et inhabitable située à plus de 88 milles au large de la côte de la Nouvelle-Ecosse51 et qui, en dépit de sa propre insignifiance,
49 Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, TIDM Recueil 2012, p. 73, par. 265.
50 Voir le CR 2017/9, p. 28, par. 59 (Kohen).
51 Voir l’arbitrage entre la province de Terre-Neuve et du Labrador et la province de la Nouvelle-Ecosse concernant certaines parties des limites de leurs zones extracôtières (Terre-Neuve et Labrador/Nouvelle-Ecosse), sentence rendue par le tribunal d’arbitrage au terme de la deuxième phase (26 mars 2002), par. 4.32.
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avait provoqué un important changement de direction, ou une distorsion, de la ligne d’équidistance, ce qui avait conduit le tribunal arbitral à l’écarter lors du tracé de la ligne frontière définitive52.
45. Enfin, Abu Musa — vous le verrez à l’onglet no 26 — a entraîné un net infléchissement de la ligne d’équidistance entre Doubaï et Chardjah devant la côte de ce premier Etat, l’amputant de la quasi-totalité des zones auxquelles il pouvait prétendre à une courte distance du large53. Les îles du Maïs n’entraînent aucun effet comparable, comme vous pourrez le constater après la pause, et ne sauraient donc être assimilées à Filfla, à l’île de Sable ou à Abu Musa.
46. En résumé, Monsieur le président, rien ne justifie que le Costa Rica fasse abstraction, dans sa définition de la côte pertinente du Nicaragua, des îles frangeantes nicaraguayennes, ou des formations plus vastes et plus importantes que sont la petite île du Maïs et la grande île du Maïs. Il n’existe pas non plus, en droit ou en fait, de justification à sa décision tactique d’écarter ces îles aux fins de la construction de la ligne d’équidistance provisoire. La ligne que propose le Costa Rica a donc été établie imparfaitement. Celle défendue par le Nicaragua, à l’inverse, tient compte de toutes les formations pertinentes, qu’elles soient nicaraguayennes ou costa-riciennes, et est donc tracée correctement.
47. En conséquence, Monsieur le président, le Nicaragua soutient que la Cour devrait, au terme de la première étape de la méthode qu’elle applique, adopter la ligne qu’il préconise.
The PRESIDENT : Mr. Reichler, before turning to the second step, we will take a break and resume, if you please, at 11.40 a.m.
M. REICHLER : Monsieur le président, c’est exactement ce que j’allais vous proposer. Je vous remercie infiniment et vous souhaite une agréable pause café.
The PRESIDENT: Thank you. The hearing is suspended.
The Court adjourned from 11.30 a.m. to 11.50 a.m.
52 Voir l’arbitrage entre la province de Terre-Neuve et du Labrador et la province de la Nouvelle-Ecosse concernant certaines parties des limites de leurs zones extracôtières (Terre-Neuve et Labrador/Nouvelle-Ecosse), sentence rendue par le tribunal d’arbitrage au terme de la deuxième phase (26 mars 2002), p. 83, fig. 7.
53 Voir le Différend frontalier entre Doubaï et Chardjah, sentence (19 octobre 1981), International Law Review (ILR), 1993, vol. 91, no 543, p. 677.
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The PRESIDENT : Please be seated. Mr. Reichler, you may continue your presentation.
M. REICHLER : Thank you.
48. Monsieur le président, à la deuxième étape de cette méthode qui en compte trois, comme je viens de l’indiquer, les Parties s’opposent en ce qui concerne les circonstances pertinentes et les ajustements correspondants à apporter à la ligne d’équidistance provisoire. Le Costa Rica soutient qu’il existe deux circonstances pertinentes qui commandent un ajustement de la ligne en sa faveur. Dans les deux cas, il se méprend. J’ai déjà traité de son premier argument, qui consiste à affirmer que le prétendu emplacement du Costa Rica, au milieu d’une concavité formée par les côtes de trois Etats où les lignes d’équidistance convergentes au nord et au sud se combineraient pour produire un effet d’amputation à un peu moins de 200 milles marins, serait une circonstance pertinente requérant un ajustement de la ligne. Cet argument, comme je l’ai montré, est indéfendable. Le Costa Rica l’a d’ailleurs démontré dans les conclusions qu’il a soumises à la Cour en 2011. Si le traité de 1977 est laissé de côté, rien n’empêche le Costa Rica d’étendre ses prétentions jusqu’à la limite de ses droits à 200 milles marins. Au sud de la ligne d’équidistance avec le Nicaragua, il n’a même aucun concurrent sérieux.
49. L’autre circonstance pertinente invoquée par le Costa Rica, et c’est là son moyen subsidiaire, est ce qu’il qualifie d’incidence disproportionnée des îles du Maïs. Comme M. Lathrop l’a exprimé, si l’on n’écarte pas les îles du Maïs à la première étape et qu’on les utilise pour construire la ligne d’équidistance provisoire, alors il faut les écarter à la deuxième étape, et la ligne doit être ajustée afin d’éliminer leur incidence54. Cette prétention aussi est parfaitement infondée. En fait, les îles du Maïs n’ont pas d’effet disproportionné sur la ligne d’équidistance, et il n’y a aucune raison de ne pas en tenir compte ni d’ajuster la ligne en faveur du Costa Rica, motif pris de leur existence.
50. Cela ressort d’un examen approfondi de l’incidence réelle qu’ont les îles du Maïs sur la ligne d’équidistance – examen auquel le conseil du Costa Rica s’est bien gardé de procéder, préférant s’occuper d’abstractions et de généralités. Ici aussi, les deux lignes d’équidistance s’étendent à 55 milles environ de la côte. Jusqu’à ce point, la principale incidence qu’elles
54Voir CR 2017/9, p. 47, par. 37 (Lathrop).
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subissent est toujours celle produite par la combinaison de la convexité de la côte du Costa Rica et de la concavité de celle du Nicaragua. Les points de base nicaraguayens à Gorda Point et Monkey Point, qui entrent en ligne de compte à partir de 20 milles marins, ont pour effet de mettre fin au mouvement continu de la ligne vers le nord en face de la côte du Nicaragua, mais ils n’inversent nullement l’orientation de cette ligne. A partir de 20 milles et jusqu’à 55 milles, les points de base correspondants du Nicaragua et du Costa Rica sont en équilibre relatif et la ligne prend la direction plein est. Mais le Nicaragua subit encore les effets du mouvement net vers le nord de la ligne dans son premier segment.
51. Au-delà des 55 milles marins, les îles du Maïs entrent en ligne de compte, mais uniquement sur la ligne d’équidistance proposée par le Nicaragua, étant donné que le Costa Rica fait abstraction de ces îles. Comme vous le constaterez, elles compensent partiellement les effets préjudiciables de la ligne d’équidistance que le Nicaragua subit dans le premier segment de la ligne. Le premier changement de direction qu’elles engendrent se trouve entre les points B et C, situés, respectivement, à 55 milles et à 80 milles de la côte. Ce segment de la ligne reflète l’incidence combinée de la grande île du Maïs du côté nicaraguayen et des points de base du côté costa-ricien, dont ceux situés sur la portion convexe de sa côte juste au sud du point terminal de la frontière terrestre. Cela a pour effet de faire dévier progressivement la ligne d’équidistance qui se déplace vers le sud-est sur une distance de 25 milles, avant de se replacer finalement sur la trajectoire qu’elle aurait suivie si la convexité costa-ricienne et la concavité nicaraguayenne n’existaient pas. En d’autres termes, l’incidence des îles du Maïs sur ce segment de la ligne s’exerce de telle sorte qu’elle compense en partie le préjudice que subit le Nicaragua dans les segments précédents. Cet effet est néanmoins atténué par les points de base correspondants sur la côte convexe du Costa Rica.
52. Au-delà du point C, les effets des îles du Maïs sont pour l’essentiel contrebalancés et annulés par les points de base du Costa Rica à Puerto Limon et Punta Mona. Les points de base correspondants étant alors en équilibre relatif, la ligne se déplace une nouvelle fois plein est. En réalité, elle se déplace légèrement vers le nord du plein est, ce qui traduit l’influence un peu plus importante des points de base du Costa Rica.
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53. Les îles du Maïs ont-elles une incidence sur la ligne d’équidistance ? Bien entendu. C’est d’ailleurs le cas de tous les points de base. Ces îles sont un élément important du contexte géographique. Elles méritent d’être considérées comme des points de base en l’espèce, tout comme elles l’ont été dans la délimitation entre le Nicaragua et la Colombie.
54. Reste à savoir si les îles du Maïs ont une incidence disproportionnée sur la ligne d’équidistance. Et l’on ne peut pas répondre à cette question dans l’abstrait, comme le Costa Rica vous amènerait à le faire. Au contraire, on ne peut y répondre qu’en examinant l’incidence réelle qu’ont ces îles dans le contexte géographique spécifique de la présente espèce  c’est-à-dire en étudiant les effets réels des points de base sur les îles du Maïs et des points de base correspondants du côté costa-ricien. Les choses seraient différentes si les points de base costa-riciens correspondants à ceux des îles du Maïs ne repoussaient pas suffisamment la ligne d’équidistance et si celle-ci s’infléchissait nettement vers le sud sur une grande distance, empiétant ainsi sur la projection maritime de la côte du Costa Rica. Cela serait le signe, peut-être, d’une distorsion ou d’une incidence disproportionnée. Et vous verrez justement un exemple de ce phénomène lorsque nous en arriverons à la délimitation du côté Pacifique. Mais ce n’est absolument pas le cas ici. Ici, l’incidence des îles du Maïs est largement compensée par celle des points de base du Costa Rica. La ligne n’est pas déviée d’une manière qui serait préjudiciable pour le Costa Rica.
55. Lorsque l’on examine la question de savoir si une île a un effet disproportionné sur une ligne d’équidistance, l’emplacement est décisif  décisif, j’insiste. Quand la délimitation est effectuée entre des Etats adjacents, si l’île est plus proche de la côte continentale, elle orientera la direction de la ligne dans son segment initial, ce qui, en l’absence d’éléments compensateurs de l’autre côté, aura une incidence sur toute la longueur de la ligne. Tel a été le cas pour l’île de Saint-Martin, par exemple, qui n’était située, comme je l’ai dit, qu’à 5 milles à peine de la côte et aurait donc eu un effet démesuré sur l’intégralité de la longueur de la ligne d’équidistance, imposant au Myanmar une amputation de taille. Le Costa Rica se fourvoie donc quand il tente de justifier le fait qu’il ne tienne pas compte des îles du Maïs en faisant valoir qu’elles sont situées à
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une distance de 30 milles environ de la côte continentale nicaraguayenne55. Si ces îles étaient plus proches, leur incidence sur la ligne d’équidistance serait plus marquée.
56. L’autre élément essentiel de l’emplacement est la distance entre l’île et la ligne d’équidistance. Plus l’île est proche de la ligne, plus son incidence sera importante. L’île de Saint-Martin offre une fois de plus un excellent exemple de cette situation, car elle jouxtait la ligne d’équidistance et se trouvait en fait de l’autre côté de celle-ci, de sorte que son incidence sur cette ligne aurait été considérable. L’île des Serpents se trouvait aussi très près de la ligne d’équidistance, ce pourquoi elle aurait engendré un infléchissement net de cette ligne juste en face des côtes roumaines et, partant, une amputation non négligeable de la projection maritime de la Roumanie. Inversement, les îles du Maïs sont à plus de 50 milles de la ligne d’équidistance à leur point le plus proche. Leur incidence s’en trouve donc, sinon totalement contrebalancée, du moins atténuée par les points de base correspondants sur la côte du Costa Rica.
57. Il n’y a tout simplement aucun effet disproportionné. Leur emplacement, combiné aux effets des points de base qui le contrebalancent du côté du Costa Rica, y compris dans la portion convexe de la côte costa-ricienne, empêche les îles du Maïs d’avoir pareil effet. En conséquence, faire abstraction de ces îles ou les écarter reviendrait à causer un préjudice grave et injustifié au Nicaragua et à offrir au Costa Rica un avantage immérité.
58. Cela serait également incompatible avec la manière dont le Costa Rica traite de longue date des îles plus petites et de moindre importance qui se trouvent dans la même zone. Mon cher et vieil ami M. Kohen  et par vieil, faut-il le préciser, je fais seulement allusion à la durée de notre amitié  a qualifié le traité de 1977 établissant la frontière avec la Colombie de délimitation entre les îles colombiennes et la côte continentale costa-ricienne56. A cet égard, ledit traité pourrait servir de modèle pour la délimitation entre les îles nicaraguayennes se trouvant dans la même zone et le territoire continental du Costa Rica. Dans cet instrument, le Costa Rica a donné plein effet aux cayes colombiennes d’Alburquerque pour établir le tracé de la ligne de frontière. Cela ressort de toute évidence de l’emplacement de cette ligne de frontière, comme l’ont relevé Charney et
55 Voir CR 2017/9, p. 28, par. 57 (Kohen).
56 CR 2017/9, p. 11, par. 3; p. 19, par. 29 (Kohen).
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Alexander dans leur texte consacré aux frontières maritimes internationales57. Les cayes d’Alburquerque, qui se composent de Cayo Norte et de Cayo Sur, sont véritablement minuscules puisqu’elles ont une superficie de 0,04 kilomètres carrés et 0,02 kilomètres carrés, respectivement. Cayo Norte n’est « habitée » que par quelques soldats colombiens. Cayo Sur est proprement déserte58. En outre, elles se trouvent à plus de 330 milles marins de la côte colombienne. Pourtant, le Costa Rica est convenu de leur donner plein effet pour établir le tracé de sa frontière maritime avec la Colombie. Ce seul fait suffit à balayer tous les vestiges de crédibilité que l’on aurait encore pu accorder à l’argument du Costa Rica préconisant un traitement moins favorable, voire une exclusion complète, des îles nicaraguayennes du Maïs.
59. Il n’existe donc aucune circonstance pertinente justifiant d’ajuster en faveur du Costa Rica la ligne d’équidistance provisoire adoptée au terme de la première étape de la méthode appliquée par la Cour. Mais il en existe deux justifiant de l’ajuster en faveur du Nicaragua. La première est la nécessité de remédier au préjudice causé au Nicaragua par la circonstance géographique exceptionnelle que constitue la présence d’une côte costa-ricienne convexe et d’une côte nicaraguayenne concave, à proximité du point terminal de la frontière terrestre, circonstance qui conduit la ligne d’équidistance à dévier, de manière prononcée, sur les 20 premiers milles de son tracé, devant la côte nicaraguayenne. Voici l’illustration qui figure à l’onglet n° 29 du dossier de plaidoiries. Il a été dûment reconnu dans la jurisprudence et la doctrine que — et je cite ici l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire Libye/Malte —, «puisqu’une ligne d’équidistance repose sur un principe de proximité et est donc commandée exclusivement par des points saillants de la côte, elle peut donner un résultat disproportionné quand la côte est très irrégulière ou fortement concave ou convexe»59. A cette aune, la ligne, en la présente espèce, ne peut manquer de conduire à un résultat disproportionné compte tenu de la circonstance unique que constitue la double présence d’une côte, nicaraguayenne, fortement concave et d’une côte, costa-ricienne, fortement convexe. Et nous voyons quelle en est la conséquence : l’amputation d’une partie importante de la projection maritime de la côte nicaraguayenne.
57 Charney et Alexander, International Maritime Boundaries, vol I. (1993), p. 468-469.
58 Délimitation maritime, CMN, par. 3.108.
59 Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 44, par. 56.
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60. Ce résultat, selon nous, commande de procéder à un ajustement de la ligne d’équidistance provisoire. Pas l’ajustement préconisé par le Costa Rica, qui reviendrait à compenser une amputation – inexistante – de sa côte à lui. Mais un ajustement en faveur du Nicaragua, pour contrebalancer, ou à tout le moins atténuer, la très réelle amputation des espaces maritimes auxquels celui-ci est en droit de prétendre. Voici l’illustration qui figure à l’onglet n° 30. On y voit l’ajustement proposé par le Nicaragua, qui conduit à modifier la direction de la ligne d’équidistance provisoire entre le point terminal de la frontière terrestre et un point situé en mer à 65 milles de là. La ligne d’équidistance continuerait de suivre une direction nord/nord-est, mais l’ajustement permettrait de supprimer la bosse et d’atténuer l’amputation de la projection de la côte du Nicaragua. Et ce, sans que le Costa Rica se trouve amputé d’une partie importante de sa propre projection.
61. Le Nicaragua considère qu’un tel ajustement permettrait à la Cour d’honorer la tâche qui lui incombe, en application des articles 15, 74 et 83 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, de parvenir à une délimitation équitable entre les deux Parties. Comme l’a reconnu mon bon ami M. Wordsworth, l’amputation partielle de la projection d’une côte est inévitable, dans le cadre d’une délimitation entre deux Etats adjacents ; ce qu’il faut, au regard de considérations d’équité, c’est que cette amputation soit justement répartie entre eux60. Or, c’est ce que permet l’ajustement proposé par le Nicaragua.
62. L’ajustement en question est le seul qui se justifie au regard de la géographie côtière. Il est toutefois une autre circonstance, non géographique, que le Nicaragua juge pertinente, et qui appelle un nouvel ajustement de la ligne d’équidistance provisoire. Selon le Nicaragua, le traité de 1977 entre le Costa Rica et la Colombie constitue en effet une telle circonstance, et la Cour devrait en tenir compte lorsqu’elle procédera à la délimitation de la frontière entre le Nicaragua et le Costa Rica. Il s’agit d’un argument différent, et présenté à titre subsidiaire, de celui que vous a exposé hier mon éminent collègue, M. Remiro Brotóns, qui vous a démontré que le Costa Rica était empêché de revendiquer des espaces maritimes au-delà des limites établies dans ce traité. Tel demeure l’argument principal du Nicaragua sur les effets du traité de 1977, mais, à titre subsidiaire
60 CR 2017/7, p. 66, par. 35 (Wordsworth).
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donc, quand bien même la Cour serait amenée à conclure que le Costa Rica était libre, d’un point de vue juridique, de revendiquer des espaces au-delà de ces limites, l’acceptation par le Costa Rica de ce traité, et le comportement qui, plus de trente ans durant, a toujours été le sien eu égard à celui-ci constituerait une circonstance à prendre en compte aux fins de la délimitation.
63. Le principe n’est pas nouveau. Il a été reconnu par la Cour dans son arrêt de 1982 en l’affaire Tunisie/Libye. Ainsi que l’a expliqué la Cour, les parties avaient, dans cette instance, montré, par un comportement demeuré constant dix ans durant, qu’elles reconnaissaient et respectaient la ligne en cause61. Cette ligne n’avait fait l’objet d’aucun accord formel. La Cour a néanmoins vu dans le comportement des parties une circonstance revêtant «une grande importance» qu’il y avait «[lieu de] retenir» pour définir la ligne frontière. Une circonstance d’une grande importance qu’il y a lieu de retenir pour définir la ligne frontière ou, en d’autres termes, une circonstance pertinente, parce qu’elle constituait un «indic[e] … au sujet de la ligne ou des lignes que les [p]arties elles-mêmes [avaient] pu considérer ou traiter en pratique comme équitables»62. Ainsi, même en l’absence d’accord, un comportement resté constant sur une longue période peut constituer une circonstance à prendre en considération pour une délimitation, car il témoigne de ce que les parties elles-mêmes tenaient pour une solution équitable.
64. Les faits, dans le cas d’espèce, mènent à cette conclusion de manière plus impérieuse encore qu’en l’affaire Tunisie/Libye. Dans l’affaire qui nous occupe ici, il est en effet incontesté que, pendant plus de trente ans, le Costa Rica a montré, par son comportement et des déclarations expresses, qu’il considérait comme équitable sa frontière avec la Colombie. De fait, durant toute cette longue période, il a réaffirmé à maintes reprises sa position officielle quant au «caractère bénéfique» de l’accord régissant cette délimitation63. Ce n’est qu’en 2013 que sa position juridique a changé64. Mais les circonstances géographiques qui, de l’avis du Costa Rica, rendaient «bénéfique» et équitable son accord avec la Colombie n’ont pas changé. Ce qui constitue aux yeux
61 Cf. Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1982, p. 35, par. 21, p. 83, par. 117.
62 Ibid., p. 84, par. 118, p. 87, par. 125.
63 Lettre DM 073-2000 en date du 29 mai 2000 adressée au ministre des affaires étrangères de la Colombie par le ministre des affaires étrangères du Costa Rica (Délimitation maritime, CMN, annexe 24). Voir aussi ibid., par. 3.117-3.122.
64 Délimitation maritime, MCR, annexe 18.
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du Costa Rica une ligne d’équidistance équitable ne peut varier en fonction de l’identité de l’Etat qui se trouve de l’autre côté de cette ligne. Si le Costa Rica n’a pas considéré que sa frontière avec la Colombie lui faisait subir un effet d’amputation inéquitable, tout grief relatif à l’amputation que lui ferait subir cette même frontière avec le Nicaragua sonne creux. Tenant compte de cette «circonstance pertinente», le Nicaragua a proposé que la ligne d’équidistance soit ajustée afin de rejoindre et de suivre la limite extérieure de la zone maritime du Costa Rica définie par le traité de 1977.
65. A l’issue de la deuxième des trois étapes, le Nicaragua propose donc que sa ligne d’équidistance provisoire, telle qu’obtenue au terme de la première étape, soit ajustée en deux endroits  comme on le voit ici à l’onglet no 31 : en son premier segment, afin de compenser l’amputation des espaces maritimes auxquels il peut prétendre due à la présence d’une côte convexe du Costa Rica, et de sa propre côte concave, à proximité du point terminal de la frontière terrestre ; et en son dernier segment, de manière à ce que la ligne rejoigne et suive la frontière entre le Costa Rica et la Colombie, étant donné que, trente années durant, la seconde a accepté cette frontière jugée équitable et bénéfique pour le premier.
66. A n’en pas douter, Monsieur le président, la frontière entre le Costa Rica et la Colombie interrompt la projection en mer de la côte costa-ricienne à quelque 80 milles. Mais cette amputation-là n’est pas liée à la prétendue concavité de la côte d’un Etat tiers, ni à la convergence de lignes d’équidistance. Si amputation il y a, elle est le fait du Costa Rica lui-même. C’est à titre souverain que le Costa Rica a choisi d’accepter cette frontière avec la Colombie, de la respecter en pratique en tant que frontière internationale pendant plus de trente ans, et de déclarer qu’elle lui est «bénéfique», tout en sachant parfaitement qu’elle limitait considérablement la projection maritime de ses côtes vers l’est et le nord-est. Le Costa Rica ne saurait raisonnablement demander au Nicaragua la compensation d’une amputation qu’il s’est auto-infligée. C’est du reste ce qu’a dit clairement le tribunal arbitral en l’affaire Barbade c. Trinité-et-Tobago : «La Barbade ne saurait être tenue d’offrir à Trinité-et-Tobago, sous la forme d’un ajustement de sa frontière maritime en sa faveur, une «compensation» au titre des accords que celui-ci a conclus [avec d’autres Etats].»65
65 Arbitrage entre la Barbade et la République de Trinité-et-Tobago, relatif à la délimitation de la zone économique exclusive et du plateau continental entre ces deux pays, décision (11 avril 2006), Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales (RSA), vol. XXVII, par. 346 [traduction du Greffe].
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67. J’en viens maintenant à la dernière des trois étapes  la vérification de l’absence de disproportion. Mon brillant collègue, M. Oude Elferink, a déjà montré comment le Nicaragua avait défini les côtes et la zone pertinentes. Je ne vois pas ce que l’on pourrait ajouter à son exposé, ou en tout cas ce que je pourrais, moi, apporter de plus. Il ne me reste donc qu’à comparer le rapport entre, d’une part, les longueurs des côtes pertinentes des Parties et, d’autre part, les portions de la zone pertinente qui reviendront à chacune d’elles si l’on adopte la ligne d’équidistance ajustée proposée par le Nicaragua, afin de démontrer le caractère équitable de cette solution. Je vous renvoie à l’onglet no 32, où est reproduite une figure présentée dans notre contre-mémoire.
68. Le rapport entre les longueurs de côtes, si l’on retient les côtes pertinentes mentionnées par M. Oude Elferink, est de 1,02 pour 1, en faveur du Nicaragua. Le rapport entre les superficies des espaces maritimes revenant à chacune des Parties, si l’on retient la ligne d’équidistance ajustée tracée par le Nicaragua pour diviser la zone pertinente décrite par mon collègue, est de 1,04 pour 1 en faveur du Nicaragua66. La vérification requise vise simplement à s’assurer qu’il n’y a pas de disproportion flagrante entre ces deux rapports. C’est à n’en pas douter le cas en ce qui concerne la délimitation proposée par le Nicaragua.
69. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, voilà qui met fin à mon exposé, et aux plaidoiries du Nicaragua sur la délimitation maritime en mer des Caraïbes. Je vous remercie de votre courtoisie, de votre patience et de votre attention, et je vous demanderai d’appeler à la barre mon éminent collègue, M. Lowe, à qui il revient d’entamer l’exposé de nos plaidoiries sur la délimitation de la frontière dans l’océan Pacifique.
Le PRESIDENT : Je vous remercie. Je donne à présent la parole à M. Vaughan Lowe.
M. LOWE :
POINT DE DÉPART ET DÉLIMITATION DE LA MER TERRITORIALE DANS L’OCÉAN PACIFIQUE
1. Je vous remercie. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vais maintenant vous entretenir de la question de la délimitation de la mer territoriale dans l’océan Pacifique.
66 CRN, par. 3.137.
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2. Cette délimitation est plus simple que celle de la mer territoriale baignant la côte caraïbe. Il existe un point de départ convenu qui correspond au milieu de la ligne de fermeture de la baie de Salinas. L’emplacement de ce point, fixé par la sentence Cleveland de 1888, a été confirmé par la cinquième sentence Alexander en mars 1900, et retenu par les Parties lors de la délimitation à laquelle elles ont procédé en 200367.
3. [Projection] Ce point de départ étant posé, la méthode de la Cour consistant à tracer provisoirement la ligne d’équidistance et à l’ajuster si des circonstances spéciales le requièrent peut être appliquée. Dans la figure Ic-1 tirée de la page 22 du contre-mémoire, la ligne provisoire de stricte équidistance est tracée en noir. La limite de la mer territoriale de 12 milles marins est figurée en bleu, et vous pouvez voir que la ligne d’équidistance provisoire tracée dans la mer territoriale présente un «décrochement». D’abord orientée dans la direction ouest-sud-ouest sur à peu près la moitié de sa longueur, soit environ 6 milles marins, cette ligne s’infléchit ensuite pour suivre une direction ouest-nord-ouest.
4. [Projection] Maintenant que vous pouvez voir de plus près l’effet exercé par l’emplacement des points de base, vous constaterez que le tracé de la ligne d’équidistance provisoire, sur à peu près les 6 premiers milles marins de sa longueur, est déterminé par la position des deux points de base situés de part et d’autre de la baie de Salinas. La présence de ces deux points détermine les sept premiers points d’inflexion, lesquels ne sont pas contestés. Ces sept points d’inflexion sont numérotés P-1 à P-7 sur la carte, où le point O représente l’emplacement du point de départ situé dans la baie de Salinas. Cependant, après le septième point d’inflexion, les deux points de base de Punta Blanca, sur la péninsule de Santa Elena, font virer la ligne vers le nord.
5. Ce changement de direction tient à la présence d’un segment relativement court de la côte pacifique du Costa Rica où elle s’écarte notablement de sa direction générale. [Projection] Vous pouvez le voir sur cette carte, tirée du volume III de la publication du Département d’Etat des Etats-Unis intitulée Limits in the Seas, qui peut être consultée en ligne68. Cette carte représente les lignes de base revendiquées par le Costa Rica en vertu de son décret n° 18581 de 1988.
67 Délimitation maritime, CMN, par. 2.5-2.10.
68 Consultable à l’adresse suivante : https://www.state.gov/documents/organization/58378.pdf, p. 8.
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6. La Cour se souviendra que selon l’article 7, par. 3, de la CNUDM  et l’article 4, par. 2 de la convention de Genève de 1958 sur la mer territoriale et la zone contiguë qui l’a précédée , le tracé des lignes de base droites «ne doit pas s’écarter sensiblement de la direction générale de la côte». La pertinence de cette disposition en l’espèce tient à ce qu’elle signifie que les lignes de base costa-riciennes doivent, par définition, refléter ce que le Costa Rica lui-même considère comme étant la direction générale de sa côte.
7. On peut voir qu’au niveau de Punta Blanca et Punta Santa Elena, orientées vers le nord-ouest, la côte du Costa Rica s’écarte de sa direction générale, déterminée par l’orientation ouest ou sud-ouest qui est la sienne sur la majeure partie de sa longueur. Les points de base situés sur Punta Blanca, puis, comme M. Reichler vous l’expliquera, celui situé sur Cabo Santa Elena, ont pour effet d’infléchir la ligne d’équidistance vers le nord, si bien qu’elle se poursuit transversalement face à la côte du Nicaragua.
8. [Projection] Le croquis n° 3.6 figurant dans le mémoire du Costa Rica illustre clairement ce que je viens de décrire. La direction nord que prend la ligne d’équidistance après le point d’inflexion 7 tient à la présence sur Punta Blanca d’un court segment où la côte costa-ricienne, au lieu de suivre sa direction générale, fait face au nord, changement plus marqué que dans le cas de Santa Elena, où la côte est orientée vers le nord-ouest.
9. Le Nicaragua considère que la présence de Punta Blanca, formation relativement petite située à Santa Elena, constitue un bon exemple de l’existence d’une circonstance spéciale nécessitant l’ajustement de la ligne de stricte équidistance [fin de la projection].
10. J’ai déjà fait observer ce matin, en citant la sentence arbitrale rendue en l’affaire Guyana/Suriname, que les circonstances spéciales ne constituent pas un ensemble fini, et qu’il y a de bonnes raisons de considérer que la notion de circonstance spéciale «fait en général appel à des considérations d’équité». On me reprochera peut-être d’envisager la question de ce qui relève des circonstances spéciales dans une optique trop large, mais je pense que les anomalies constituées par les ruptures de la direction générale de la côte résultant de la présence de promontoires relèvent tout à fait des considérations d’ordre géographique qui peuvent justifier  voire nécessiter  l’ajustement de la ligne d’équidistance provisoire.
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11. Dans son étude de 1994 intitulée Technical Aspects of Maritime Boundary Delimitation, Peter Beazley, hydrographe distingué et conseiller auprès de la délégation du Royaume-Uni à la conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, a écrit ce qui suit :
«Lorsque les côtes sont adjacentes, la présence de promontoires de taille très modeste à proximité du point terminal de la frontière terrestre peut, tout comme la présence d’îles, infléchir notablement la direction de la ligne d’équidistance.»69
12. Lors de l’arbitrage en l’affaire Guyana/Suriname, les deux parties s’accordaient à considérer que la ligne de côte pouvait présenter des caractéristiques extraordinaires en raison de la présence de «promontoires importants, d’îles ou d’autres formations côtières», ou «de formations telles que les péninsules, les grandes baies, les chapelets d’îles et autres configurations du même ordre» 70 : L’un des experts consultés lors de cette affaire a évoqué les «cas où la ligne de côte d’un des Etats suit le contour des côtes constituées par de vastes péninsules ou promontoires dont la présence a pour effet de dévier radicalement le tracé de la ligne d’équidistance»71. Dans cette affaire, le tribunal arbitral a cherché à déterminer s’il existait de telles formations ou configurations et, constatant qu’il n’y en avait pas, a décidé de ne pas ajuster le tracé de la ligne d’équidistance. En revanche, le tribunal arbitral qui a statué en l’affaire Croatie/Slovénie a constaté l’existence d’une formation de cet ordre et modifié en conséquence le tracé de la ligne d’équidistance.
13. Mais il me paraît inutile d’accumuler les références sur un point dont la pertinence pour la délimitation de la mer territoriale n’est pas à proprement parler contestée en la présente affaire. La présence d’un promontoire ne nécessite pas en soi l’ajustement de la ligne médiane. L’ajustement de la ligne d’équidistance provisoire n’est nécessaire que lorsque son tracé est infléchi par la présence d’un promontoire à tel point qu’il se poursuit latéralement face à la côte d’un Etat adjacent, ce qui produit un effet d’amputation. Il me semble généralement admis que la perspective d’un effet d’amputation constitue une circonstance spéciale nécessitant l’ajustement de la ligne d’équidistance provisoire.
14. La ligne de stricte équidistance proposée par le Costa Rica produit une amputation après le point d’inflexion correspondant à Punta Blanca. [Projection] A environ 6 milles marins de la côte
69 Consultable à l’adresse suivante : https://www.dur.ac.uk/ibru/publications/download/?id=225, p. 7.
70 Guyana/Suriname, sentence arbitrale, par. 375.
71 Ibid., par. 376.
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du Nicaragua, cette ligne s’infléchit pour prendre une direction qui n’est pas très loin d’être parallèle à la direction générale de ladite côte, dont elle ne s’écarte que d’une vingtaine de degrés. C’est ce qu’illustre la figure Id-4, qui se trouve à la page 32 du contre-mémoire. Cette figure montre à l’évidence que la configuration de la côte nicaraguayenne provoque un effet d’amputation dans la mer territoriale [fin de la projection].
15. Le principe de non-amputation a été qualifié par Prosper Weil de «pilier du droit de la délimitation maritime»72. Et la jurisprudence en matière de délimitation maritime montre que ce principe a été suivi après le prononcé par la Cour de son arrêt historique en les affaires du Plateau continental de la mer du Nord73, notamment en l’affaire récente du golfe du Bengale74.
16. Le Nicaragua affirme donc qu’il est nécessaire d’ajuster le tracé de la ligne provisoire d’équidistance dans la mer territoriale, et que pour procéder à cet ajustement, la méthode à suivre consiste à tracer la ligne d’équidistance en faisant abstraction des points de base situés sur la péninsule de Santa Elena, qui sont la cause de l’inflexion. [Projection] Le résultat obtenu selon cette méthode est illustré par la figure Ic-2, qui se trouve à la page 23 du contre-mémoire. Sur la carte, la ligne d’équidistance non ajustée proposée par le Costa Rica est figurée en noir, et la ligne ajustée proposée par le Nicaragua est figurée par une ligne verte en pointillés. Cet ajustement permet d’éviter l’effet d’amputation de la mer territoriale produit par la configuration de la côte nicaraguayenne.
17. [Projection] Il est vrai que sur une courte distance  de l’ordre de 6 milles marins  cette ligne ajustée court face à la côte de Santa Elena. Mais c’est là un effet mineur et localisé résultant de l’orientation anormale de la ligne côtière de Santa Elena. Le résultat global, illustré par la figure Id-7 du contre-mémoire, est une frontière maritime qui partage la zone maritime entre les deux Etats en deux parties à peu près égales.
18. Cependant, comme celui opéré pour tracer la frontière maritime dans la mer des Caraïbes, cet ajustement permet d’obtenir une ligne qui peut être prolongée vers le large de manière
72 Saint-Pierre-et-Miquelon, vol. 31, ILM 1145, par. 17.
73 Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark ; République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 3.
74 Délimitation de la frontière maritime entre le Bangladesh et le Myanmar dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, TIDM Recueil 2012, consultable en ligne à l’adresse suivante : https://www.itlos.org/fileadmin/itlos/documents/cases/case_no_16/publis….
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à obtenir une délimitation équitable de la ZEE et du plateau continental, et d’assurer l’application harmonieuse des articles 15, 73 et 84 de la CNUDM [fin de la projection].
19. Monsieur le président, me voici parvenu au terme de mon intervention en ce premier tour de plaidoiries, et à moins que vous ne jugiez utile de me retenir à la barre, je vous prie de bien vouloir à nouveau donner la parole à M. Reichler.
Le PRESIDENT : Merci. Je donne à présent la parole à M. Reichler.
M. REICHLER :
DÉLIMITATION DE LA FRONTIÈRE MARITIME DANS L’OCÉAN PACIFIQUE
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je reviens comme promis. Je crains d’être considéré par la Cour comme un invité qui abuse de l’hospitalité de son hôte. Je m’en excuse si tel est le cas, mais je n’ai d’autre choix que d’exécuter les instructions que l’agent m’a données, à savoir parler respectivement de la délimitation dans la mer des Caraïbes et de la délimitation dans l’océan Pacifique. C’est ce que je vais faire. Je commencerai par la délimitation de la zone économique exclusive et du plateau continental dans l’océan Pacifique. J’espère que la Cour ne verra pas de mal à ce que je sois beaucoup plus bref sur la délimitation dans l’océan Pacifique que sur la délimitation dans la mer des Caraïbes. Ce n’est pas parce que la première zone est moins importante, mais seulement parce que les points de désaccord qui s’y rapportent sont moins nombreux et moins complexes.
2. Dans le cas de l’océan Pacifique, comme dans celui de la mer des Caraïbes, les Parties conviennent que la frontière maritime doit être délimitée par la méthode à trois étapes, chacune d’elles supposant de construire d’abord une ligne d’équidistance provisoire. A la différence de la mer des Caraïbes, cependant, les lignes d’équidistance provisoires tracées par le Nicaragua et le Costa Rica dans l’océan Pacifique sont très similaires. Elles ne présentent pas de différences importantes. Vous pouvez le voir sous l’onglet n° 39 et sur vos écrans maintenant. La ligne d’équidistance provisoire du Nicaragua est superposée à celle du Costa Rica. Leur similarité s’explique par le fait que les Parties ont utilisé les mêmes lignes de côte, le même logiciel CARIS et des points de base côtiers similaires découlant de l’application de ce logiciel à leurs lignes de
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côte. De toute évidence, le désaccord entre le Nicaragua et le Costa Rica dans l’océan Pacifique ne relève pas de la première étape de la méthode susvisée.
3. C’est la deuxième étape qui est concernée. Le Costa Rica soutient qu’il n’existe pas de circonstances spéciales ou pertinentes côté Pacifique et que rien n’oblige ni n’autorise donc à ajuster la ligne d’équidistance provisoire. Selon lui, la frontière doit suivre une ligne d’équidistance stricte, non ajustée. C’est là précisément que réside le désaccord entre les Parties. Le Nicaragua considère qu’il existe en l’occurrence des circonstances spéciales et pertinentes d’ordre géographique qui font que la ligne d’équidistance provisoire s’infléchit devant sa côte et ampute une importante portion de l’espace maritime auquel il a droit. Cela étant, il voudrait que cette ligne soit ajustée pour en atténuer l’effet d’amputation et produire une frontière plus équitable pour les deux Etats.
4. Comme toujours, le contexte géographique spécifique est la clé du problème et il est nécessaire et inéluctable de l’examiner de près. Sous l’onglet n° 40 vous constatez que la côte pacifique du Nicaragua est rectiligne et court du nord-ouest au sud-est, se projetant en conséquence vers le sud-ouest dans l’océan. Voici à présent la côte du Costa Rica. Comme vous le voyez, sa direction générale est, comme dans le cas du Nicaragua, du nord-ouest vers le sud-est. A la différence de celle du Nicaragua, cependant, la côte du Costa Rica est marquée, dans le nord, par la présence de deux péninsules, à savoir celle de Santa Elena qui avance dans l’océan tout juste au sud du point terminal de la frontière terrestre et celle de Nicoya située en contrebas.
5. Selon le Nicaragua, ces deux péninsules  surtout celle de Santa Elena en raison de sa configuration unique en son genre et de sa très étroite proximité avec le point terminal de la frontière terrestre  produisent un effet de distorsion ou un effet disproportionné sur la ligne d’équidistance, et c’est ce qui cause l’amputation. On peut facilement démontrer l’effet de ces formations côtières sur la ligne.
6. Voilà ce que vous trouvez sous l’onglet n° 41. Ce que vous voyez ici est une comparaison faite entre la ligne d’équidistance provisoire tracée par les deux Parties qui donne plein effet aux deux péninsules et une ligne d’équidistance, presque perpendiculaire à la côte, qui ne les prend pas en considération. Comme vous le voyez aussi, la ligne influencée par ces péninsules ampute le Nicaragua alors que celle qui ne subit pas leur influence ne le fait pas.
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7. Au début de la semaine, nos confrères de la Partie adverse ont feint d’être horrifiés par cette illustration. Ils étaient choqués, choqués par ce qu’ils ont appelé une «mutilation»75 de leur territoire et une tentative faite par le Nicaragua pour le «rayer» de la carte76, mais toute l’indignation qu’ils ont manifestée n’était qu’une façade. Ils savent que nous ne prétendons pas rayer leur territoire de la carte. En fait, nous ne prétendons même pas refuser de lui donner effet, comme vous l’avez sans doute constaté dans notre contre-mémoire77. A ce stade, nous entendons simplement montrer l’effet des formations en question et la meilleure façon de le faire consiste à comparer la ligne d’équidistance qui les prend en considération avec celle qui n’en tient pas compte.
8. Examinons alors de plus près les caractéristiques de ces formations qui font qu’elles influent de la sorte sur la ligne d’équidistance. Commençons par la péninsule de Santa Elena sous l’onglet n° 43. Comme vous le voyez, elle est située tout près du point terminal de la frontière terrestre, à 14 kilomètres seulement au sud de celui-ci où elle forme un saillant prononcé qui avance dans l’océan sur une distance d’environ 30 kilomètres à l’ouest. C’est une projection faisant saillie  marquée par une côte convexe allongée  qui se trouve à proximité étroite du point terminal de la frontière terrestre et de la ligne d’équidistance. La conjugaison de sa configuration et de son emplacement produit sur la ligne d’équidistance un effet extraordinairement puissant.
9. Pour le démontrer, je commencerai par le schématiser avant de vous le montrer sur la carte. Imaginons deux côtes parfaitement rectilignes appartenant aux Etats A et B. Dans cette situation géographique, la ligne d’équidistance s’oriente vers la côte selon un angle droit. Vous voyez ici l’effet de la péninsule, ou de la convexité, qui sur cette échelle se situerait à une distance d’environ 50 kilomètres au sud du point terminal de la frontière terrestre. Voyez maintenant ce qui se passerait si la zone convexe, ou la péninsule, était rapprochée du point terminal de la frontière terrestre, en l’occurrence jusqu’à environ 25 kilomètres au sud. Vous constatez alors que plus la zone convexe ou la péninsule s’étend vers l’océan, plus l’effet qu’elle produit sur la ligne d’équidistance est prononcé.
75 CR 2017/7, p. 25, par. 22 (Ugalde).
76 CR 2017/7, p. 60, par. 16 ; p. 65, par. 32 (Wordsworth).
77 Voir Délimitation maritime, CMN, par. 2.52-2.55 (Santa Elena), 2.73 (Nicoya).
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10. Nous pouvons à présent retourner à la péninsule de Santa Elena. Vous voyez ici et sous l’onglet n° 45 que ses effets sont aussi prononcés que ceux auxquels on aurait pu s’attendre avec la schématisation. Du fait que sa configuration est particulièrement allongée et qu’elle jouxte par hasard le point terminal de la frontière terrestre, la péninsule de Santa Elena à elle seule commande la ligne d’équidistance d’un point situé à six milles marins de la côte jusqu’à 120 milles marins. Plus précisément, juste deux points de base, situés chacun à l’extrémité d’un promontoire sis sur la pointe occidentale de la péninsule, commandent la ligne d’équidistance jusqu’à une distance de 120 milles marins. Ces points de base distants produisent un effet très exagéré et  selon nous  disproportionné, non seulement parce qu’ils sont situés à des extrémités, mais également parce qu’il n’existe pas de zones convexes, de promontoires ou de péninsules correspondants qui les contrebalanceraient ou réduiraient leur effet le long de la côte nicaraguayenne quasi rectiligne.
11. Le résultat en est l’amputation du Nicaragua. Regardons Santa Elena de plus près. Je vous renvoie à l’onglet n° 46. Comme vous l’a montré M. Lowe, pour les six premiers milles marins la ligne d’équidistance est équilibrée par des points de base qui viennent contrebalancer la situation de chaque côté du point terminal de la frontière terrestre, trois du côté costaricien et cinq du côté nicaraguayen, les points de base situés à l’extrémité occidentale de la péninsule de Santa Elena n’entrant pas encore en jeu.
12. Une fois que la ligne atteint la distance de six milles marins, le point de base du Costa Rica situé à Punta Blanca qui se trouve à l’extrémité d’un promontoire partant de la côte nord-ouest de la péninsule de Santa Elena  projection rattachée à une autre, pour ainsi dire  la pousse vers le nord-ouest, à travers la projection de la côte nicaraguayenne vers le large, en raison de l’absence de toute formation avançant pareillement dans l’océan du côté nicaraguayen qui pourrait contrebalancer ce point de base. Le point de base situé à Punta Blanca commande la ligne d’équidistance jusqu’à la limite de la mer territoriale de 12 milles marins. Le résultat en est, comme M. Lowe vous l’a montré, l’amputation d’une partie importante de la mer territoriale du Nicaragua.
13. Ce n’est cependant que le début du problème. A une distance de 12 milles marins, l’autre point de base situé sur la péninsule de Santa Elena qui se trouve à Cabo Santa Elena, promontoire sis à l’extrémité occidentale de la péninsule, prend le relai. Je vous renvoie à l’onglet n° 47. Ce point de base solitaire et éloigné situé à l’extrémité d’une zone convexe rattachée à celle d’une
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autre zone convexe commande la ligne d’équidistance, à elle seule du côté costaricien, sur une distance suivante de 108 milles marins, soit jusqu’à 120 milles marins de la côte. Il a pour effet de sceller l’amputation commencée dans la mer territoriale et de l’étendre jusqu’à 120 milles marins. A cette distance la ligne d’équidistance continue d’amputer le Nicaragua sous l’effet du seul point de base situé à l’extrémité de Cabo Santa Elena sur la péninsule de Santa Elena.
14. Lors de son premier tour de plaidoiries, le Costa Rica a à peine évoqué la péninsule de Santa Elena. Il n’a pas du tout parlé des points de base qui y sont situés, ni de tel ou tel autre point de base d’ailleurs, ni de leur effet sur la ligne d’équidistance. Ma chère consoeur Mme Parlett s’est bornée à vous dire qu’une amputation effectuée dans la mer territoriale est sans intérêt et ne saurait constituer une circonstance spéciale justifiant l’ajustement de la ligne d’équidistance (alors que, a-t-elle reconnu, celle opérée dans la ZEE ou sur le plateau continental le justifierait78), au motif que la méthode de l’équidistance aurait, dans le cadre de la mer territoriale une «primauté» qu’elle n’a pas dans celui des autres espaces maritimes79. Or, cet argument ne tient tout simplement pas au regard du droit applicable, notamment de la jurisprudence de la Cour de céans, comme l’a expliqué M. Lowe. De fait, comme l’a relevé la Cour, le principe de concours entre l’équidistance et les circonstances spéciales qui s’applique à la mer territoriale et le principe de concours entre l’équidistance et les circonstances pertinentes qui s’applique aux zones situées au-delà sont  je cite  «étroitement lié[…]s l’un[…] à l’autre»80 et sont en pratique devenus un seul et même principe.
15. Nous avons également entendu au début de la semaine que la superficie compte et que la péninsule de Santa Elena et, plus particulièrement, celle de Nicoya sont beaucoup plus étendues que les îles du Maïs auxquelles le Nicaragua dit qu’il faut donner plein effet lors de la construction de la ligne d’équidistance. La partie adverse nous accuse de contradiction à cet égard. Notre réponse est la suivante : si la superficie suffisait pour décider s’il convient de donner plein effet à une formation côtière ou insulaire, le Costa Rica aurait raison quant à la possibilité de donner plein effet à ses deux péninsules ; or elle n’est pas le seul facteur ni même le plus décisif.
78 Voir CR 2017/7, p. 41-42, par. 19-21 (Parlett).
79 CR 2017/7, p. 42, par. 21 (Parlett).
80 Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), fond, arrêt, C.I. J. Recueil 2001, p. 111, par. 231.
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16. Comme l’indique clairement la jurisprudence de la Cour de céans et celle d’autres juridictions internationales, on ne peut déterminer l’effet d’une formation et décider s’il est disproportionné qu’en l’examinant à la lumière du contexte géographique spécifique de la délimitation en cours81. L’emplacement et la configuration de la formation en question constitueront toujours des éléments déterminants dans cet examen.
17. Comme nous l’avons vu, en cas d’États adjacents il est peu probable qu’une formation insulaire ou côtière éloignée du point terminal de la frontière terrestre et de la ligne d’équidistance  comme les îles du Maïs  produise un effet exagéré sur la ligne. En revanche, une île ou une formation côtière irrégulière  comme une zone convexe, un promontoire ou une péninsule  qui se situe à proximité du point terminal de la frontière terrestre et de la ligne d’équidistance  comme Santa Elena  produira sur cette ligne un effet exagéré bien supérieur même à celui d’une grande formation située plus loin, comme la péninsule de Nicoya.
18. Que ce soit du point de vue de la superficie ou de celui de l’importance, personne ne douterait de la dimension de formations telles que l’île de Saint-Martin ou celle d’Abou Moussa ni du fait qu’elles méritent des points de base. Si la superficie, la population ou l’activité économique importaient le plus, elles devraient être prises en compte. Or ce qui a importé le plus devant le Tribunal international du droit de la mer (TIDM) et un tribunal arbitral international était l’emplacement de chacune des formations en question et, en conséquence, l’effet de distorsion qu’elles produisaient sur la ligne d’équidistance. Comme je l’ai expliqué ce matin, l’île de Saint-Martin n’a pas été prise en compte lors de la construction de la ligne d’équidistance au-delà de 12 milles marins parce qu’elle se situait tout près du point terminal de la frontière terrestre et de la ligne d’équidistance et aurait donc fait que celle-ci ampute le Myanmar82. De même, bien qu’elle soit située à une distance éloignée dans la mer, l’île d’Abou Moussa aurait fait que la ligne
81 Voir, par exemple, Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Bangladesh et le Myanmar dans le golfe du Bengale, arrêt, TIDM Recueil 2012 (ci-après «Bangladesh c. Myanmar»), par. 317 ; Arbitrage entre la Barbade et la République de Trinité-et-Tobago, relatif à la délimitation de la zone économique exclusive et du plateau continental entre ces deux pays, décision du 11 avril 2006, RSA, vol. XXVIII, p. 147, par. 242 ; Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/États-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 290, par. 81. Voir aussi Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 116-118, par. 164-168 (recherchant si les disparités côtières doivent être considérées au cas par cas comme des circonstances pertinentes) ; ibid., p. 89, par. 78 (relevant que la détermination des côtes pertinentes se fait au cas par cas) ; Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), par. 141 (faisant la même observation).
82 Bangladesh c. Myanmar, par. 318-319.
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d’équidistance ampute gravement Doubaï83. La péninsule de Santa Elena fait que la ligne d’équidistance ampute le Nicaragua de la même façon.
19. Si la plus grande partie du préjudice subi par le Nicaragua est causée par la péninsule de Santa Elena, une autre est imputable à la péninsule de Nicoya. L’influence de la péninsule de Santa Elena, plus précisément celle des points de base situés aux extrémités distantes de Punta Blanca et Cabo Santa Elena, s’achève finalement à une distance de 120 milles marins. Vous voyez sous l’onglet n° 48 que de ce point jusqu’à la limite de la ZEE de 200 milles marins, soit sur une distance de 80 milles marins, la ligne d’équidistance est commandée par un seul point de base costaricien situé à l’extrémité occidentale de la péninsule de Nicoya, à savoir Cabo Velas. Ce point a pour effet de confirmer l’amputation subie par le Nicaragua et de l’étendre. Comme vous le voyez ici, seul le Nicaragua est amputé par la ligne d’équidistance provisoire. Le Costa Rica, lui, n’est guère amputé. Il ne s’agit donc pas du partage mutuel et équilibré de l’amputation que le droit exige en matière de délimitation de la frontière séparant des États adjacents.
20. La principale réponse du Costa Rica, que nous avons entendue et vue lundi, a consisté à projeter une diapositive tendant à démontrer que le Nicaragua n’était pas amputé. Nous l’avons reproduite sous l’onglet n° 49. Voici ce que le Costa Rica a présenté. C’est une fâcheuse manipulation. Pour commencer, les flèches visant à montrer la projection de la côte vers le large ne sont pas perpendiculaires à la façade côtière du Nicaragua. Elles sont tracées de façon non pas à éclairer, mais à cacher l’effet d’amputation de la ligne d’équidistance provisoire. Tel est en particulier le cas de la flèche du bas, tracée par-dessus le haut de la ligne. Monsieur le président, je ne pense pas que ce type de carte soit utile à la Cour. C’est une chose de faire valoir qu’une amputation ne doit pas être prise en compte ou qu’elle n’est pas suffisamment préjudiciable pour justifier un ajustement de la ligne d’équidistance ou celui que le Nicaragua recherche, mais c’en est une autre d’induire en erreur par la présentation d’une image visant à démontrer l’inexistence de l’amputation alors qu’elle existe manifestement.
83 Arbitrage relatif au différend frontalier entre Doubaï et Chardjah, sentence du 19 octobre 1981, International Law Reports (ILR), vol. 91, p. 677.
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21. Le Costa Rica souligne dans son mémoire qu’il n’existe dans l’océan Pacifique aucune formation située au large qui fasse dévier la ligne d’équidistance84. C’est vrai, mais sans intérêt. On pourrait même qualifier cela de manoeuvre de diversion. Ce ne sont pas les formations situées au large qui sont en cause ici. Le problème porte sur les promontoires côtiers et les côtes convexes qui avancent dans l’océan dans le sens opposé à la direction générale de la côte ainsi que sur l’effet de distorsion préjudiciable qu’ils produisent sur la ligne d’équidistance. Le Costa Rica n’a absolument rien dit à ce propos dans son mémoire. Il a gardé le silence jusqu’aux présentes audiences. Nos confrères ont à présent adopté une position indéfendable, à savoir que s’il est permis de minimiser l’importance des formations situées au large, voire de faire abstraction de celles-ci, il convient en revanche de donner systématiquement plein effet aux formations continentales irrégulières telles que les péninsules, les promontoires, les projections et d’autres zones convexes85.
22. Tel n’est pas le droit applicable. La jurisprudence n’établit aucune distinction entre les formations insulaires et côtières qui ont des effets de distorsion sur la ligne d’équidistance. Elle nous enseigne au contraire que c’est l’incidence d’une formation donnée — et plus précisément le point de savoir si celle-ci exerce son influence de telle manière que la ligne d’équidistance ampute inéquitablement l’autre Etat — qui détermine s’il convient d’en minimiser l’importance, qu’il s’agisse d’une île ou d’une péninsule.
23. La Cour l’a reconnu dès les affaires de la mer du Nord. S’ils sont prompts à renvoyer à ces importantes affaires relatives à la concavité côtière, nos confrères du Costa Rica passent toutefois sous silence les autres observations formulées par la Cour sur les inconvénients potentiels de la méthode de l’équidistance, en particulier celle selon laquelle la présence d’«îlots, d[e] rochers ou d[e] légers saillants de la côte» est susceptible d’avoir, sur une ligne d’équidistance, un «effet exagéré de déviation» qu’il peut être nécessaire de corriger86.
24. En l’affaire de l’arbitrage franco-britannique relatif au plateau continental, le Tribunal arbitral a délimité la frontière entre la France et le Royaume-Uni tant dans la Manche que dans l’océan Atlantique. Dans ce dernier cas, il a conclu que les îles Sorlingues — qui étaient, «du point
84 Délimitation maritime, MCR, par. 3.19.
85 CR 2017/7, p. 52-53, par. 48-49 (Parlett).
86 Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Pays Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, par. 57 ; les italiques sont de nous.
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de vue géologique, une prolongation naturelle de la péninsule de Cornouailles et une partie intégrante de la masse terrestre du Royaume-Uni»87  faisaient dévier vers le sud la ligne d’équidistance, de sorte que celle-ci coupait la projection vers le large de la côte atlantique française, comme on le voit ici et sous l’onglet n° 5088. Le Tribunal a décidé d’ajuster la ligne d’équidistance en faveur de la France, en attribuant un demi-effet aux points de base du Royaume-Uni89, relevant que la «projection des Sorlingues plus avant vers l’ouest» tendait «à produire le même effet de déviation» sur la ligne d’équidistance que la «projection d’un promontoire exceptionnellement long, ce qu’on consid[érait] généralement comme constituant une des formes possibles de «circonstance spéciale»» devant être prise en compte lors de la délimitation d’une frontière maritime90.
25. Dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire Qatar c. Bahreïn, la Cour a fait sienne cette conclusion bien précise de la sentence relative à l’arbitrage franco-britannique. Pour reprendre ses termes, ce qu’il convient d’éviter, c’est une situation dans laquelle «un saillant de la côte ..., s’il lui était reconnu un plein effet, «[ferait] dévier la limite et produir[ait] des effets disproportionnés»»91. Tel est le cas en l’espèce.
26. Sur la base de la jurisprudence, d’éminents auteurs ont invariablement relevé les effets de distorsion produits par les formations côtières qui s’écartent de la direction générale de la côte, ainsi que les résultats inéquitables qui en découlent si l’on recourt strictement à la méthode de l’équidistance pour délimiter la frontière maritime en fonction de telles formations. Dans son traité sur la délimitation maritime, M. Prosper Weil a ainsi fait observer que
«le juge s’attachera[it] à vérifier si un accident géographique mineur, excentrique par rapport à la configuration générale de la côte, n’a[vait] pas pour effet d’imprimer à la ligne d’équidistance, par rapport au tracé qu’elle aurait eu si cet accident aberrant
87 Délimitation du plateau continental entre Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et République française (France/Royaume-Uni), RSA, vol. XVIII, par. 4.
88 Ibid., par. 243.
89 Ibid. par. 249-251.
90 Délimitation du plateau continental entre Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et République française (France/Royaume-Uni), par. 244.
91 Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), C.I.J. Recueil 2001, par. 247.
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n’existait pas, une déviation hors de proportion avec l’importance de l’accident et, par là même, déraisonnable et inéquitable»92.
27. Les promontoires côtiers sont largement reconnus comme un type de formation susceptible de générer un effet exagéré. M. Lowe a lu un passage du document rédigé par le commandant Peter Beazley, conseiller de la délégation britannique à la Troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, dans lequel celui-ci soulignait que même «les promontoires côtiers relativement petits et situés à proximité du point terminal de la frontière terrestre ... p[ouvaient] faire dévier considérablement la ligne d’équidistance»93. Outre le passage cité par M. Lowe, le commandant Beazley a écrit ceci :
«Un promontoire peut être considéré comme produisant un effet de distorsion et un résultat inéquitable s’il est recouru à la méthode de l’équidistance. Une situation similaire peut résulter de la présence d’îles au large ... L’une des solutions permettant de résoudre ce problème général consiste à ne donner qu’un effet partiel à la formation à l’origine de d’inéquité.»94
28. Monsieur le président, ce principe gagne encore en importance à la lumière de la sentence qui vient d’être rendue en l’arbitrage Croatie/Slovénie. Dans cette affaire, l’éminent tribunal arbitral présidé par M. le juge Guillaume, qui est loin d’être un novice en droit de la délimitation maritime, a conclu que la ligne d’équidistance devait être ajustée, dans la mer territoriale, au motif que la péninsule croate allongée de Savudrija, dont la côte suivait une direction différente de celle du reste du littoral de la Croatie, faisait dévier ladite ligne de manière à «enfermer» — ou amputer — la Slovénie95. Ce croquis tiré de la sentence arbitrale se trouve sous l’onglet n° 51.
29. La péninsule croate de Savudrija, tout comme celle de Santa Elena, s’étend d’est en ouest, alors que la côte croate située au-dessous suit une autre direction générale ; à l’instar du Costa Rica, celle-ci court du nord-ouest vers le sud-est. Les points de base croates situés à l’extrémité de la péninsule ont repoussé la ligne d’équidistance vers le nord, au détriment de la
92 Prosper Weil, Perspectives du droit de la délimitation internationale (1988), p. 241.
93 Peter Beazley, Technical Aspects of Maritime Boundary Delimitation (1994), p. 10.
94 Ibid.
95 Arbitration under the Arbitration Agreement between the Government of the Republic of Croatia and the Government of the Republic of Slovenia, signed on 4 November 2009, CPA, affaire n° 2012-04, sentence définitive (29 juin 2017), par. 1011-1014.
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Slovénie. Le tribunal a considéré cette caractéristique comme une «circonstance spéciale» appelant un ajustement de la ligne d’équidistance, que vous voyez ici, dans la mer territoriale :
«Cette circonstance spéciale est le fait que, à proximité immédiate du [point terminal de la frontière terrestre], le littoral de la Croatie s’infléchit sensiblement vers le sud, autour du cap Savudrija, de sorte que les points de base croates qui déterminent la ligne d’équidistance se trouvent sur un très petit segment de côte dont la direction générale (orientation vers le nord) est très différente de la direction générale (orientation vers le sud) de la plus grande partie du littoral croate ... et dévient très nettement la ligne d’équidistance vers le nord, exacerbant considérablement le caractère «enfermé» de la zone maritime de la Slovénie.»96
La ligne d’équidistance provisoire n’a pas été tracée sur ce croquis par le Tribunal arbitral, mais la Cour et ses experts pourraient aisément la recréer. Ce que vous voyez ici, c’est la frontière telle qu’ajustée par le tribunal.
30. Le tribunal n’est pas allé jusqu’à faire abstraction de la péninsule de Savudrija, ni des points de base [de la Croatie] qui s’y trouvaient, mais il ne leur a pas non plus attribué un plein effet. Ainsi qu’il l’a exposé :
«[L]a ligne d’équidistance doit être modifiée afin d’atténuer l’effet d’«enfermement» qui résulte de la configuration géographique. Il ne saurait être question d’accorder à la Slovénie une «compensation» au titre de cet «enfermement» : le Tribunal cherche seulement à s’assurer que, dans le cadre de la délimitation de la frontière maritime, la configuration particulière du cap Savudrija par rapport à la côte slovène n’exacerbe pas outre mesure l’enfermement de la Slovénie.»97
31. Monsieur le président, il s’agit là précisément de la solution préconisée par le Nicaragua. Même si les péninsules de Santa Elena et de Nicoya sont des exceptions dans la mesure où elles s’écartent nettement de la direction générale de la côte du Costa Rica, le Nicaragua comprend et admet qu’on ne peut les effacer de la carte ni les ignorer purement et simplement. En conséquence, à l’image de ce qu’ont fait les tribunaux arbitraux dans l’affaire de l’arbitrage franco-britannique et dans l’affaire Croatie/Slovénie, il propose d’attribuer à ces péninsules costa-riciennes l’équivalent d’un demi-effet dans la zone économique exclusive et le plateau continental. Sous l’onglet n° 52, notre ligne d’équidistance ajustée est tracée à peu près à mi-chemin entre la ligne d’équidistance provisoire et ce que serait la ligne d’équidistance en l’absence des formations en question.
96 Arbitration under the Arbitration Agreement between the Government of the Republic of Croatia and the Government of the Republic of Slovenia, signed on 4 November 2009, CPA, affaire n° 2012-04, sentence définitive (29 juin 2017), par. 1011.
97 Ibid., par. 1014.
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32. Le Nicaragua soutient que cette solution est équitable. Si elle n’élimine pas tout à fait les effets d’amputation produits par la ligne d’équidistance à son endroit, elle les réduit du moins suffisamment pour permettre aux deux Etats de bénéficier de projections côtières mutuellement équilibrées, sans que l’un soit amputé davantage que l’autre des zones maritimes auxquelles il peut prétendre.
33. Malheureusement, le Costa Rica n’a répondu à cette proposition qu’en présentant une autre diapositive guère utile, que nous avons reproduite sous l’onglet n° 53 — vous la voyez ici. Il s’agit là encore d’une manipulation cartographique. Les flèches sont délibérément tracées de manière à couper la ligne d’équidistance, ce qui donne l’impression que le Costa Rica subit un effet d’amputation. Si elles avaient été placées correctement, elles seraient perpendiculaires à la façade côtière de cet Etat, de manière à refléter fidèlement la projection de la côte vers le large, auquel cas il n’y aurait pas d’effet d’amputation sensible. L’adoption de la ligne d’équidistance ajustée que le Nicaragua propose comme frontière en l’espèce ne priverait aucun des deux Etats d’une partie importante des zones dont il peut se prévaloir. Si tant est qu’il y ait un quelconque effet d’amputation — ce qui est inévitable dans le cas d’Etats dont les côtes sont adjacentes —, celui-ci serait partagé et mutuellement équilibré.
34. Qui plus est, cette solution satisfait aisément au critère de l’absence de disproportion qui intervient à la dernière phase du processus en trois étapes. La diapositive qui s’affiche maintenant se trouve sous l’onglet n° 54 ; c’est une reproduction d’un tableau qui figure dans notre contre-mémoire. Comme M. Oude Elferink l’a démontré, le rapport correct entre les longueurs des côtes pertinentes des Parties est de 1,65 pour 1 en faveur du Nicaragua. Quant au rapport entre les portions de la zone pertinente attribuées à chacune des Parties par la ligne d’équidistance ajustée du Nicaragua, il est de 1,86 pour 1 en faveur de celui-ci. Cette solution étant manifestement équitable98, le Nicaragua prie la Cour d’adopter sa ligne d’équidistance ajustée en tant que frontière maritime entre lui-même et le Costa Rica dans l’océan Pacifique.
35. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ainsi s’achève mon exposé sur la délimitation de la frontière maritime dans l’océan Pacifique, ainsi que les plaidoiries du
98 Délimitation maritime, CMN, par. 2.77.
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Nicaragua de ce matin. Je vous remercie une nouvelle fois de votre aimable attention et de votre grande patience. Le Nicaragua conclura son premier tour de plaidoiries cet après-midi, sans doute avant la pause café. Je vous souhaite à toutes et à tous un bon appétit !
Le PRESIDENT : Thank you, Mr. Reichler. La Cour se réunira de nouveau cet après-midi à 15 heures pour entendre la conclusion du premier tour de plaidoiries du Nicaragua.
Merci. The sitting is closed.
L’audience est levée à 12 h 50.
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