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165-20170703-ORA-01-01-BI
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CR 2017/7
Lundi 3 juillet 2017 à 10 heures
Monday 3 July 2017 at 10 a.m.
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The PRESIDENT: Please be seated. L’audience est ouverte.
La Cour se réunit à compter d’aujourd’hui pour entendre les plaidoiries des Parties dans les instances jointes relatives à la Délimitation maritime dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique (Costa Rica c. Nicaragua) et à la Frontière terrestre dans la partie septentrionale d’Isla Portillos (Costa Rica c. Nicaragua).
Le juge Crawford s’est récusé de ces affaires, conformément au paragraphe 2 de l’article 17 du Statut de la Cour.
La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de la nationalité des Parties, chacune d’elles s’est prévalue du droit que lui confère le paragraphe 3 de l’article 31 du Statut de désigner un juge ad hoc. Le Costa Rica a désigné M. Bruno Simma, et le Nicaragua, M. Awn Al-Khasawneh pour siéger dans les deux affaires.
L’article 20 du Statut dispose que «[t]out membre de la Cour doit, avant d’entrer en fonction, en séance publique, prendre l’engagement solennel d’exercer ses attributions en pleine impartialité et en toute conscience». En vertu du paragraphe 6 de l’article 31 du Statut, cette disposition s’applique également aux juges ad hoc, qui doivent prononcer une nouvelle déclaration solennelle à l’occasion de chaque affaire à laquelle ils participent, comme le prévoit le paragraphe 3 de l’article 8 du Règlement de la Cour.
Avant d’inviter chacun des juges ad hoc à faire sa déclaration solennelle, je dirai d’abord, selon l’usage, quelques mots de leur carrière et de leurs qualifications.
M. Bruno Simma, de nationalité allemande, est bien connu de la Cour, qu’il a servie comme juge de 2003 à 2012 et comme juge ad hoc en l’affaire relative à la Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), ainsi qu’en l’affaire relative au Différend concernant le statut et l’utilisation des eaux du Silala (Chili c. Bolivie). M. Simma a étudié le droit à l’Université d’Innsbruck, où il a obtenu un doctorat en 1966. En 1973, il est devenu professeur de droit international et de droit communautaire européen à la faculté de droit de l’Université de Munich, dont il a été le doyen de 1995 à 1997. Il a également à son actif une longue carrière à la faculté de droit de l’Université du Michigan, où il a commencé à enseigner en 1986, avant d’être nommé professeur de droit en 1987 ; en 2009, une chaire a été créée à son nom. Par
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deux fois, il a été directeur d’études à l’Académie de droit international de La Haye et, en 2009, il y a dispensé le prestigieux cours général de droit international public. Ses publications en droit international sont nombreuses et bien connues. M. Simma a été membre de la Commission du droit international de l’Organisation des Nations Unies de 1996 à 2003. Il a maintes fois plaidé devant la Cour en qualité d’avocat et siégé en tant qu’arbitre dans des affaires phares. Depuis le 1er décembre 2012, il est membre du Tribunal des réclamations Etats-Unis/Iran. Il a reçu de nombreuses distinctions et il est notamment docteur honoris causa.
M. Awn Al-Khasawneh, de nationalité jordanienne, est lui aussi bien connu de la Cour, qu’il a servie comme juge de 2000 à 2011 et comme vice-président de 2006 à 2009. Il a suivi des études d’histoire et de droit à l’Université de Cambridge, où il a obtenu un diplôme post-universitaire en droit international. Il a ensuite embrassé une brillante carrière diplomatique dans son pays, notamment en tant que directeur du département juridique du ministère des affaires étrangères, ambassadeur, conseiller du roi et conseiller d’Etat pour le droit international, avec rang de ministre, et chef de la maison royale. Il connaît bien l’Organisation des Nations Unies, puisqu’il a représenté vingt ans durant la Jordanie à la sixième commission de l’Assemblée générale et a été le suppléant du représentant de la Jordanie au Conseil de sécurité (de 1981 à 1982). M. Al-Khasawneh a été membre de la sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités des Nations Unies de 1984 à 1993, ainsi que de la Commission du droit international des Nations Unies de 1986 à 1999. Il a contribué à trancher en qualité d’arbitre plusieurs différends importants, dont certains en tant que membre de la Cour permanente d’arbitrage. Il a en outre représenté son pays à de multiples conférences et comités dans le domaine du développement progressif du droit international. Après avoir quitté la Cour en 2011, M. Al-Khasawneh est devenu Premier ministre dans son pays, fonction qu’il a occupée jusqu’en avril 2012. Il a été nommé Honorary Fellow du Queens’ College de Cambridge et a donné des conférences dans des universités prestigieuses du monde entier. Il s’est vu attribuer plusieurs distinctions en Jordanie et, en 1997, a été élevé au rang de Grand officier de la Légion d’honneur par le Gouvernement français.
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Conformément à l’ordre de préséance défini au paragraphe 3 de l’article 7 du Règlement de la Cour, j’inviterai d’abord M. Simma à faire la déclaration solennelle prescrite par le Statut et je demanderai à toutes les personnes présentes à l’audience de bien vouloir se lever.
M. SIMMA :
«Je déclare solennellement que je remplirai mes devoirs et exercerai mes attributions de juge en tout honneur et dévouement, en pleine et parfaite impartialité et en toute conscience.»
Le PRESIDENT : Je vous remercie. J’invite maintenant M. Al-Khasawneh à faire la déclaration solennelle prescrite par le Statut.
M. AL-KHASAWNEH :
«Je déclare solennellement que je remplirai mes devoirs et exercerai mes attributions de juge en tout honneur et dévouement, en pleine et parfaite impartialité et en toute conscience.»
Le PRESIDENT : Je vous remercie. Veuillez vous asseoir. Je prends acte des déclarations solennelles faites par M. Simma et M. Al-Khasawneh, et déclare ceux-ci dûment installés en qualité de juges ad hoc dans les affaires relatives à la Délimitation maritime dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique (Costa Rica c. Nicaragua) et à la Frontière terrestre dans la partie septentrionale d’Isla Portillos (Costa Rica c. Nicaragua).
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I shall now recall the principal steps of the procedure in the two cases.
By an Application filed in the Registry of the Court on 25 February 2014, the Republic of Costa Rica instituted proceedings against the Republic of Nicaragua with regard to a dispute concerning “the establishment of single maritime boundaries between the two States in the Caribbean Sea and the Pacific Ocean, respectively, delimiting all the maritime areas appertaining to each of them, in accordance with the applicable rules and principles of international law”  the case concerning Maritime Delimitation in the Caribbean Sea and the Pacific Ocean (Costa Rica v. Nicaragua), which I shall refer to as the “case concerning Maritime Delimitation”.
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By an Order dated 1 April 2014, the Court fixed 3 February 2015 and 8 December 2015 as the respective time-limits for the filing of a Memorial by Costa Rica and a Counter-Memorial by Nicaragua. The Memorial and Counter-Memorial were filed within the time-limits thus prescribed.
At a meeting I held with the representatives of the Parties on 28 January 2016, the Parties agreed that it was not necessary to file a Reply and a Rejoinder.
By a letter dated 13 April 2016, the Registrar informed the Parties, pursuant to Article 67, paragraph 1, of the Rules of Court, that the Court was considering arranging for an expert opinion entrusted to one or several experts, asking such experts to collect, by conducting a site visit, all the factual elements relating to the state of the coast between the point located on the right bank of the San Juan River at its mouth and the land point closest to Punta de Castilla, as those two points could then be identified.
Having sought the views of the Parties, the Court, by an Order dated 31 May 2016, decided to obtain an expert opinion, in accordance with Articles 48 and 50 of its Statute. It stated that the expert opinion would be entrusted to two independent experts who would be appointed by Order of the President of the Court and who should visit the site in order to advise the Court regarding the state of the coast between the point suggested by Costa Rica and the point suggested by Nicaragua in their pleadings as the starting-point of the maritime boundary in the Caribbean Sea.
Having consulted the Parties, by an Order dated 16 June 2016, I appointed two experts, namely, Mr. Eric Fouache, of French nationality, professor of geography and President of the International Association of Geomorphologists; and Mr. Francisco Gutiérrez, of Spanish nationality, professor of geology and geomorphology, former member of the Executive Committee of the International Association of Geomorphologists. The two experts subsequently made a solemn declaration, stating that they undertook to perform their duties honourably, impartially and confidentially.
The experts informed the Court that in their view it was necessary to conduct two site visits, one in early December, which is a rainy period with high discharge of the San Juan River, and the other in March or early April, which is a drier period with low discharge of the San Juan River.
The first site visit took place from 4 to 9 December 2016.
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On 16 January 2017, Costa Rica instituted proceedings against Nicaragua with regard to a dispute concerning “the precise location of the land boundary separating the Los Portillos/Harbor Head Lagoon sandbar from Isla Portillos” and “the . . . establishment of a military camp by Nicaragua on the beach of Isla Portillos”  this is the case concerning Land Boundary in the Northern Part of Isla Portillos (Costa Rica v. Nicaragua), which I shall refer to as the “case concerning Isla Portillos”. In its Application, Costa Rica requested that the Court join the new proceedings with those in the case concerning Maritime Delimitation, pursuant to Article 47 of the Rules of Court.
By an Order dated 2 February 2017, the Court fixed 2 March 2017 and 18 April 2017 as the respective time-limits for the filing of a Memorial by Costa Rica and a Counter-Memorial by Nicaragua in the case concerning Isla Portillos. The Memorial and Counter-Memorial were filed within the time-limits thus prescribed.
By its Order dated 2 February 2017, the Court also decided to join the proceedings in the cases concerning Maritime Delimitation and Isla Portillos.
By a letter dated 3 February 2017, the Registrar informed the Parties that the Court had decided that the hearings in the joined cases would open on 3 July 2017.
The second site visit by the experts appointed in the case concerning Maritime Delimitation took place from 12 to 17 March 2017.
By a letter dated 1 May 2017, the Registrar communicated to the Parties copies of the report submitted by the experts. Each of the Parties was given until 1 June 2017 to submit any written observations they wished to make on the said report.
On 16 May 2017, I met the representatives of the Parties to discuss the organization of the oral proceedings in the joined cases; the Parties agreed that they did not consider it necessary to put any questions to the Court-appointed experts at the hearings. By letters dated 29 May 2017, the Registrar informed the Parties of the schedule for the oral proceedings, as adopted by the Court.
Under cover of a letter dated 1 June 2017, Costa Rica communicated to the Court the written observations of its Government on the experts’ report. By a letter of the same date, Nicaragua indicated that it had no written observations to make at that stage. Costa Rica’s observations were
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transmitted to the experts, whose comments were in turn communicated to the Parties by a letter dated 8 June 2017.
By a letter dated 12 June 2017, the Registrar transmitted to the experts a question from a Member of the Court, to which they replied on 15 June 2017. Their reply was communicated to the Parties forthwith.
By letters dated 28 June 2017, the Registrar transmitted to the Parties a question from the Court, inviting them to reply to the question during the first round of oral argument.
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In accordance with Article 53, paragraph 2 of its Rules, the Court, after consulting the Parties, decided that copies of the pleadings and documents annexed would be made accessible to the public on the opening of the oral proceedings; it also decided that the experts’ report and certain related documents would be made public. Further, all of these documents will be placed on the Court’s website as from today.
I note the presence before the Court of the Agents, counsel and advocates of the two Parties. In accordance with the arrangements on the organization of the procedure decided by the Court, the hearings will comprise a first and second round of oral argument. Each Party will have three sessions of three hours for the first round, and one session of three hours and one session of an hour and a half for the second. These are of course maximum speaking times, which the Parties should only use in so far as necessary. The first round will open today and close on Friday 7 July. The second round of oral argument will begin on Monday 10 July and conclude on Thursday 13 July.
Costa Rica, which is the Applicant in both cases, will be heard first. In view of the time it has taken to open these hearings, the Costa Rican delegation may, if necessary, continue for 15 minutes or so beyond 1 p.m.
I now give the floor to H.E. Mr. Ugalde Álvarez, Agent of Costa Rica. Your Excellency, you have the floor.
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Mr. UGALDE ÁLVAREZ:
1. Mr. President, Members of the Court, it is a privilege to appear before you once again on behalf of Costa Rica. I do so in the presence of the Minister for Foreign Affairs of my country, Mr. Manuel González Sanz. His presence is indicative of the importance which my government attaches to these hearings.
2. Mr. President, in the present proceedings, as the Applicant, Costa Rica requests that the Court determine the complete course of the single maritime boundaries delimiting all the maritime areas appertaining, respectively, to Costa Rica and to Nicaragua in the Caribbean Sea and the Pacific Ocean. In a more recent Application, my country also requested that the Court rule on two further matters regarding the land boundary in the area of Isla Portillos, adjacent to the Caribbean Sea.
3. It will not have escaped the notice of Members of the Court that Costa Rica and Nicaragua appeared very recently before the Court, seeking the settlement of disputes regarding certain Nicaraguan activities in the border area and other matters relating to the area adjacent to the land boundary. In December 2015, the Court delivered its Judgment on the merits of the cases: Certain Activities and Construction of a Road1. In this regard, Costa Rica wishes to express its gratitude to the Court for the important role it played in the peaceful resolution of those disputes. And so it is with renewed confidence that Costa Rica now calls upon the Court to settle the present disputes, which will be  or so at least my country hopes  the last between these two States to be brought before you.
4. Costa Rica has instituted the present proceedings because of its commitment to the rule of international law and its trust in the peaceful settlement of disputes. It initiated the case concerning maritime delimitation because the two States had been unable to reach an agreement on the delimitation of their maritime boundaries. As regards the land boundary in the area of Isla Portillos, Costa Rica was obliged to file a second Application, given Nicaragua’s regrettable disregard of your Judgment of 16 December 2015. My country hopes and strongly believes that the peaceful
1Certain Activities carried out by Nicaragua in the Border Area (Costa Rica v. Nicaragua) and Construction of a Road in Costa Rica along the San Juan River (Nicaragua v. Costa Rica), Judgment, I.C.J. Reports 2015, p. 665.
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resolution of these disputes, in accordance with international law, will provide legal certainty and contribute to the peaceful development of bilateral relations between our two States.
5. Mr. President, Members of the Court, the first case requires the application of well-established principles of maritime delimitation, for the most part elaborated by the jurisprudence of this Court, whereas the second requires implementation of the Court’s Judgment of 16 December 2015.
6. As regards the matter of maritime delimitation, Costa Rica claims maritime boundaries based on equidistance both in the Pacific Ocean and in the Caribbean Sea, and for both the territorial sea and the exclusive economic zone and continental shelf. Costa Rica is firmly of the view that, in the Pacific, given the coastal geography and all the alleged relevant circumstances, an unadjusted equidistance line would ensure a fair and equitable apportionment of the maritime areas, whereas, in the Caribbean, adjustment of the equidistance line in the EEZ and continental shelf is necessary to take account of the concavity of the coasts of the three States that border the south-western part of the sea in question.
7. In response to Costa Rica, Nicaragua has made claims which involve refashioning Costa Rican geography quite drastically, with a view to obtaining maritime areas to which Costa Rica would otherwise be entitled. The position taken by Nicaragua is not in line with either applicable international law or jurisprudence. More importantly, it reveals an inherent inconsistency in how the two maritime areas at issue, i.e., the Pacific and the Caribbean, are perceived, as will be shown in the course of the coming hearings.
8. As regards the Caribbean, I would like to highlight two secondary points of disagreement between the Parties.
9. The first concerns the starting-point of the maritime delimitation, which should be defined on the basis of the current geographical situation, as Costa Rica will explain. Furthermore, as regards the land boundary in the northern part of Isla Portillos, Nicaragua’s strategy seems to centre on re-opening a matter which the Court settled in its Judgment in the Certain Activities case. Nicaragua is persisting in its claim to a Costa Rican territory2, despite the clear ruling in the
2Land Boundary, Memorial of Costa Rica (MCR), p. 53, para. 3.6. See also letter MRE/DMC/250/11/16 from Nicaragua to Costa Rica dated 17 Nov. 2016, MCR, p. 87, Ann. 57.
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judgment of December 2015. This stands in total contradiction to the applicable principles of international law, notably res judicata, as Costa Rica will show over the course of the next two days of hearings.
10. The second matter concerns Nicaragua’s entirely baseless attempt to turn to its advantage an unratified agreement on delimitation between Costa Rica and Colombia3. This agreement never entered into force and Nicaragua was never a party to it. Nicaragua’s position in this regard is untenable.
11. As for the matters to be ruled on in the Land Boundary case, Costa Rica asks the Court to determine the precise location of the land boundary in the northern part of Isla Portillos. It further requests the Court to declare as illegal the establishment of a military camp by Nicaragua on the beach of Los Portillos, which belongs to Costa Rica. Nicaragua’s modus operandi of occupying Costa Rican territory and subsequently laying claim to it is now familiar to the Court and cannot be tolerated.
12. Given the close link between the two cases, Costa Rica will present its oral arguments on the delimitation in the Caribbean Sea and on the matter of the land boundary jointly.
13. Mr. President, Members of the Court, Costa Rica is certain that its claims regarding maritime delimitation on both sides of the isthmus will lead to an equitable apportionment of the maritime areas and that they are entirely at one with the requirements of international law. My country is also confident that the land boundary will be defined, in its entirety, in accordance with the Costa Rican claim. We hope that, with the invaluable assistance of the Court, these disputes with our neighbour will be resolved once and for all and the way opened for a constructive future marked by forward-looking bilateral relations.
14. Mr. President, I would invite you to take note of the following order of address:
(a) Ambassador Sergio Ugalde will follow me at the Bar this morning and provide you with a general overview of the two cases and their main points.
(b) Next, Dr. Parlett will discuss the relevant aspects of the law applicable to maritime delimitation.
3Maritime Delimitation, Counter-Memorial of Nicaragua (CMN), p. 71, para. 3.29.
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(c) Mr. Wordsworth will then address the delimitation in the Pacific Ocean.
(d) Later in the day, Costa Rica will present its arguments on the delimitation of the land boundary in the northern part of Isla Portillos.
(i) Professor Kohen will speak to the res judicata character of Costa Rica’s sovereignty over the beach of Isla Portillos; and
(ii) Mr. Wordsworth will present Costa Rica’s position on the termini of the land boundary, with reference to the current geographical situation and the relevant legal and expert documents.
(e) He will be followed by Dr. Del Mar who will expound on the illegal establishment of the military camp on the beach of Isla Portillos.
(f) Turning then to the delimitation of the maritime boundary in the Caribbean Sea, Mr. Arnoldo Brenes will address the question of the starting-point.
(g) Tomorrow morning, our arguments on the delimitation in the Caribbean Sea will continue with Professor Kohen, who will discuss the irrelevance of the unratified treaty on delimitation between Costa Rica and Colombia and the relevant circumstances in the Caribbean.
(h) Finally, Mr. Lathrop will bring the first round of Costa Rica’s oral argument to a close by addressing the delimitation of maritime areas in the Caribbean Sea.
15. Mr. President, Members of the Court, I would like to thank you for your kind attention to my preliminary remarks and invite you to call Ambassador Ugalde to the Bar to continue Costa Rica’s arguments in the present case.
The PRESIDENT: Thank you. I now give the floor to H.E. Mr. Sergio Ugalde.
M. UGALDE :
APERÇU DES DEUX DIFFÉRENDS SOUMIS À LA COUR
A. Introduction
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un honneur pour moi que de me présenter une nouvelle fois devant vous au nom du Costa Rica.
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2. Monsieur le président, le Costa Rica et le Nicaragua se sont réunis pour la première fois en 1976 dans l’intention d’entamer des négociations en vue de délimiter leurs frontières maritimes respectives4. Quarante ans plus tard, le Costa Rica a établi des frontières maritimes conventionnelles avec tous ses voisins à l’exception du Nicaragua. Face à l’impossibilité de procéder à une délimitation maritime avec cet Etat, il a introduit la présente instance devant la Cour, afin que ses frontières soient définies conformément au droit international.
3. Je précise d’emblée que, de l’avis du Costa Rica, les deux instances jointes dont la Cour est aujourd’hui saisie sont relativement simples.
B. Les délimitations maritimes
4. Monsieur le président, permettez-moi de commencer par la question de la délimitation maritime dans la mer des Caraïbes et dans l’océan Pacifique. Dans ces deux régions, le Costa Rica prie la Cour de délimiter la frontière maritime séparant la mer territoriale, la zone économique exclusive et le plateau continental de chacune des Parties jusqu’à la limite de 200 milles marins5.
1) Le contexte du présent différend
5. Point n’est besoin, pour apprécier le contexte du présent différend, de revoir en détail tout l’historique des négociations entre les Parties. Pour faire bref, rappelons que le Costa Rica s’est efforcé de trouver une voie de négociation pour procéder à la délimitation de ses frontières maritimes avec le Nicaragua, dans l’océan Pacifique comme dans la mer des Caraïbes. A cette fin, des pourparlers ont débuté dans les années 70, puis ont été relancés entre 2002 et 2005. Les Parties n’ont pas réussi à se mettre d’accord. Si les négociations ont été abandonnées, c’est parce que le Nicaragua y a mis fin de manière unilatérale, en octobre 2005, après que le Costa Rica eut saisi la Cour en l’affaire du Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua). Ainsi que l’a expliqué à l’époque M. Argüello — que je cite ici — «[a]près que le Costa Rica eut déposé une requête contre le Nicaragua devant cette Cour le 29 septembre 2005, il
4 Voir Délimitation maritime dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique (Costa Rica c. Nicaragua) (ci-après «Délimitation maritime»), mémoire du Costa Rica (ci-après «MCR»), par. 2.19. Voir également ibid., annexe 27 : communiqué de presse du 26 octobre 1976 et procès-verbal d’une réunion tenue à Liberia le 25 janvier 1977.
5 MCR, p. 85 (conclusions).
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n’y avait guère de raisons de poursuivre ces réunions devenues manifestement inutiles»6. Aucune nouvelle négociation n’a eu lieu après cette suspension unilatérale des pourparlers par le Nicaragua.
6. Plus tard, le 25 février 2010, en application de l’article 62 du Statut de la Cour, le Costa Rica a introduit une requête à fin d’intervention en l’affaire du Différend territorial et maritime qui opposait le Nicaragua et la Colombie. Il jugeait nécessaire de solliciter l’autorisation d’intervenir dans cette affaire parce qu’il estimait que certaines déclarations faites par les parties à l’instance, ainsi que certains éléments produits devant la Cour, pouvaient avoir une incidence sur ses droits et ses intérêts juridiques dans la mer des Caraïbes. Je rappellerai que la Cour, en rejetant la requête à fin d’intervention du Costa Rica, a souligné — je cite — que «l’intérêt des Etats tiers [était], par principe, protégé par la Cour sans que celle-ci n’ait à définir avec précision les limites géographiques de la zone dans laquelle leur intérêt pourrait entrer en jeu»7. Elle a souligné en outre que «cette protection [devait] être accordée à tout Etat tiers, qu’il intervienne ou non à l’instance»8.
7. Le 5 mars 2013, à la suite de l’arrêt rendu par la Cour le 19 novembre 2012 en l’affaire Nicaragua c. Colombie9, le Costa Rica a proposé au Nicaragua de reprendre les négociations sur la délimitation maritime. Il a également suggéré de convenir d’une ligne d’équidistance, à titre d’arrangement provisoire de caractère pratique dans l’attente d’un accord sur la délimitation finale, conformément aux articles 15, 74 et 83 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer10. Le Nicaragua n’a pas voulu de cet arrangement provisoire11.
8. A peine quelques mois plus tard, en juillet 2013, le Costa Rica a eu connaissance d’une nouvelle documentation diffusée par le Nicaragua pour promouvoir auprès des compagnies pétrolières la prospection et l’exploitation d’hydrocarbures, tant dans la mer des Caraïbes que dans l’océan Pacifique. Cette documentation faisait état de zones de concession situées dans des espaces
6 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), requête du Costa Rica à fin d’intervention, CR 2010/13, p. 17, par. 26 (Argüello).
7 Ibid., arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (II), p. 372, par. 86.
8 Ibid.
9 Ibid., arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 624-771.
10 MCR, annexe 19 : lettre DM-AM-113-13 du 5 mars 2013 adressée au ministre des affaires étrangères du Nicaragua par le ministre des affaires étrangères et des cultes du Costa Rica.
11 MCR, annexe 20 : lettre MRE-DM-205-4-13 du 8 avril 2013 adressée au ministre des affaires étrangères et des cultes du Costa Rica par le ministre des affaires étrangères du Nicaragua.
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maritimes appartenant au Costa Rica ou revendiqués par celui-ci12. Le Costa Rica a donc protesté contre la diffusion de cette documentation et a proposé de reprendre les négociations13. Le Nicaragua n’a pas répondu.
9. Ayant épuisé toutes les voies diplomatiques possibles, le Costa Rica a introduit le 25 février 2014 l’instance relative à la Délimitation maritime dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique (Costa Rica c. Nicaragua)14 .
2) La géographie
10. Monsieur le président, s’agissant de la géographie pertinente aux fins de la délimitation, je rappellerai que le Costa Rica et le Nicaragua ont une frontière terrestre commune qui court de la mer des Caraïbes à l’océan Pacifique. Tous deux ont une façade côtière caraïbe et pacifique ; les droits maritimes générés par ces territoires côtiers se chevauchent, ce qui rend nécessaire une délimitation.
11. La côte pacifique du Costa Rica s’étend sur environ 1200 kilomètres et se caractérise par des sinuosités et de profondes échancrures15. Celle du Nicaragua est relativement droite et mesure quelque 345 kilomètres16. Même si ces longueurs de côtes ne correspondent pas aux longueurs de côtes pertinentes aux fins de la délimitation, il n’en reste pas moins que la côte costa-ricienne dans sa totalité est environ 3,5 fois plus longue que celle du Nicaragua.
12. Sur la façade caraïbe, la côte du Costa Rica est entièrement située au centre d’une concavité formée par les côtes de trois Etats d’Amérique centrale ; il s’ensuit que si la délimitation était effectuée sur la base d’une ligne d’équidistance non ajustée, les projections maritimes des pays voisins, le Nicaragua et le Panama, empiéteraient sur les zones maritimes auxquelles le Costa Rica peut prétendre vers le large jusqu’à 200 milles marins. La longueur totale de la côte caraïbe du Nicaragua est d’environ 535 kilomètres17, tandis que celle du Costa Rica mesure
12 MCR, annexe 41 : ministère nicaraguayen de l’énergie et des mines, dossier de promotion de l’exploitation pétrolière, 2012.
13 MCR, annexe 23 : lettre DM-AM-393-13 du 19 juillet 2013 adressée au ministre des affaires étrangères du Nicaragua par le ministre des affaires étrangères et des cultes du Costa Rica.
14 Délimitation maritime, requête introductive d’instance (25 février 2014).
15 Délimitation maritime, MCR, par. 2.2.
16 Ibid., contre-mémoire du Nicaragua (ci-après «CMN»), par. 2.2.
17 Ibid., CMN, par. 3.5.
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quelque 225 kilomètres18. Il convient de souligner qu’une bonne partie de la côte nicaraguayenne dans cette zone fait face à un espace appartenant à la Colombie.
3) L’approche du Nicaragua à l’égard des délimitations en cause
13. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, les Parties semblent convenir que la tâche qui vous incombe consiste à déterminer une frontière maritime unique entre toutes les zones appartenant respectivement au Costa Rica et au Nicaragua, tant dans la mer des Caraïbes que dans l’océan Pacifique19. Il existe toutefois entre elles plusieurs points de désaccord spécifiques que nous allons mettre en évidence dans nos exposés des deux jours à venir.
14. Je tiens néanmoins à souligner d’emblée une différence d’ordre plus général entre les Parties. Comme vous l’aurez déjà constaté, celles-ci ont adopté à l’égard des délimitations en cause des approches manifestement divergentes. D’un côté, le Costa Rica défend une position simple qui consiste à appliquer à la situation géographique réelle, telle qu’elle est aujourd’hui, le droit pertinent, tel que celui-ci a été développé et appliqué avec constance par la Cour. De l’autre côté, le Nicaragua défend une position largement fondée sur des prétentions irréalistes et exagérées, qui reposent elles-mêmes sur une distorsion des principes juridiques pertinents, et ce, semble-t-il, dans l’espoir que ces prétentions extrêmes et exagérées puissent, en la présence instance, conduire à un résultat qui lui soit plus favorable.
15. Le contraste entre ces positions respectives sera examiné de manière approfondie lorsque le Costa Rica présentera son argumentation, mais permettez-moi de vous en donner un exemple.
16. En ce qui concerne la délimitation de la mer territoriale dans l’océan Pacifique, le Nicaragua soutient que la méthode de délimitation de cette zone maritime conformément à l’article 15 de la CNUDM doit être appliquée de telle sorte que ne soit ni empêchée ni compromise la recherche d’une solution équitable lorsqu’il s’agit de procéder à la délimitation de la ZEE et du plateau continental, telle qu’elle est prévue aux articles 74 et 83 de ce même instrument20. Autrement dit, ce que le Nicaragua demande à la Cour, c’est de s’écarter du sens clair et ordinaire de l’article 15.
18 Délimitation maritime, MCR, par. 2.10.
19 Ibid., CMN, par. 1.5.
20 Ibid., par. 2.44.
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17. Après avoir ainsi invité la Cour à s’écarter des principes bien connus et d’application constante qui régissent la délimitation de la mer territoriale, le Nicaragua se livre à une mutilation du territoire du Costa Rica, plus particulièrement dans le Pacifique. Non content de mal appliquer le droit, il cherche donc également à remodeler entièrement la géographie pertinente.
18. M. Wordsworth examinera plus en détail l’argument erroné du Nicaragua reposant sur l’existence supposée de «circonstances spéciales»21, mais permettez-moi d’appeler votre attention sur la stratégie des extrêmes pratiquée par le défendeur. Celui-ci tente ainsi d’assimiler la péninsule de Santa Elena  et j’insiste sur le mot «péninsule»  à un «saillant de la côte»22. Il le fait alors même que, ailleurs dans son contre-mémoire, cette même péninsule est décrite comme l’une des «formations géographiques les plus notables» de la côte pacifique23. Vous vous rendrez mieux compte sur vos écrans de la taille du territoire de la péninsule de Santa Elena, dont le Nicaragua vous demande de ne tenir aucun compte.
19. La position du Nicaragua quant à la péninsule costa-ricienne de Santa Elena du côté de l’océan Pacifique est cependant totalement incohérente avec celle qu’il a adoptée du côté de la mer des Caraïbes. Le Nicaragua y revendique en effet une «ligne d’équidistance ajustée», aux fins de laquelle il entend placer des points de base sur la Grande île du Maïs24. Vous voyez maintenant cette île sur vos écrans, représentée exactement à la même échelle que la péninsule de Santa Elena. La Grande île du Maïs fait environ 9,6 kilomètres carrés25, alors que la superficie de la péninsule de Santa Elena est de quelque 286 kilomètres carrés. Cela signifie que la seconde est environ 30 fois plus étendue que la première. La différence de traitement entre une petite île nicaraguayenne, distante de la côte continentale, et la très importante péninsule de Santa Elena, qui fait partie intégrante du territoire continental du Costa Rica, est donc évidente. Or, cette différence manifeste ne concerne pas seulement leur taille, mais aussi, plus généralement, leur rôle dans la construction de la ligne de délimitation entre le Pacifique et les Caraïbes, point qui sera examiné par MM. Wordsworth et Lathrop.
21 Délimitation maritime, CMN, par. 2.46.
22 Ibid., par. 2.48.
23 Ibid., par. 2.1.
24 Ibid., par. 3.92. Voir également p. 116 (fig. IId-6)
25 Ibid., par. 3.7.
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20. Pour souligner encore l’incohérence de l’approche du Nicaragua quant au traitement réservé à la péninsule de Santa Elena par rapport à certaines formations nicaraguayennes véritablement mineures, j’ajouterai que le défendeur est même allé jusqu’à se plaindre de ce que, en traçant la ligne d’équidistance provisoire dans les Caraïbes, le Costa Rica ait ignoré «plusieurs petites formations insulaires»26 telles que Paxaro Bovo, un rocher situé à environ trois mille marins de la côte nicaraguayenne. Afin de vous donner une idée de la différence entre la péninsule costa-ricienne de Santa Elena  à laquelle le Nicaragua soutient qu’il ne devrait être donné aucun effet  et Paxaro Bovo  auquel le défendeur soutient qu’il devrait être donné plein effet , nous allons maintenant essayer de vous montrer sur vos écrans la taille de ce rocher par rapport à ladite péninsule, mais aussi par rapport à la Grande île du Maïs. Si, si, on peut le voir ! Je peux vous assurer qu’il est bien bel et bien là, même si l’on a du mal à le distinguer.
21. Afin de compléter le tableau, relevons que la ligne que le Nicaragua revendique dans le Pacifique empiète sur la mer territoriale souveraine du Costa Rica à moins de 5 milles marins de la côte de la péninsule de Santa Elena.
22. S’efforçant de justifier cette mutilation du territoire costa-ricien, le Nicaragua se fonde sur ce qu’il considère comme étant les «conditions macrogéographiques générales»27. Selon lui, pour justifier ce qu’il appelle la «direction générale des côtes des Parties»28  qui, soit dit en passant, ne suit que la direction du littoral nicaraguayen, pourtant plus court , non seulement la péninsule de Santa Elena, mais aussi de grandes étendues de territoire costa-ricien, dont l’intégralité de la péninsule de Nicoya et d’autres territoires dans lesquels se trouvent plusieurs villes costa-riciennes importantes, devraient être rayés d’un trait de plume. Et le Nicaragua ne s’arrête pas en si bon chemin, puisqu’il semble également vouloir écarter la péninsule d’Osa29, qui abrite 4 % de la biodiversité mondiale. Selon lui, le territoire dont il propose de faire fi constituerait une «avancée marquée»30. Je vous invite à consulter vos écrans, où vous verrez représentée cette tentative extrême de remodelage de la géographie.
26 Délimitation maritime, CMN, par. 3.84.
27 Ibid., par. 2.60.
28 Ibid., p. 45 (fig. Id-2).
29 Ibid.
30 Ibid., par. 2.61.
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23. En réalité, les prétendues «conditions macrogéographiques générales» sur lesquelles se fonde le Nicaragua ne sont qu’une piètre justification pour exclure certains éléments pertinents qui font partie de la réalité géographique dans le Pacifique. J’observerai en passant que le fait que ces «conditions macrogéographiques générales» n’affectent que le territoire du Costa Rica, sans avoir la moindre incidence sur le Nicaragua, n’est bien évidemment pas un hasard. Et pourtant, alors qu’il opte pour un point de vue «macrogéographique» dans le Pacifique, le Nicaragua paraît au contraire très attaché à la «micro-géographie» dans les Caraïbes. Son argumentation concernant Paxaro Bovo et les îles du Maïs met ainsi au jour non seulement son incohérence à cet égard, mais aussi le caractère artificiel de sa position dans son ensemble.
24. De toute évidence, la tentative du Nicaragua visant à remodeler la côte du Costa Rica est dépourvue de tout fondement. C’est là précisément ce que j’entends lorsque je parle de la différence entre une argumentation fondée sur le droit et les faits géographiques, et une argumentation reposant sur des incohérences et des exagérations. La stratégie du Nicaragua consiste manifestement à déformer la géographie du Costa Rica de manière si radicale que tout ajustement qui serait apporté sur cette base, même très léger, lui procurerait un gain important. A n’en pas douter, le Nicaragua sait fort bien que ce remodelage de l’intégralité de la côte du Costa Rica est voué à l’échec ; s’il a développé cette argumentation, c’est cependant, semble-t-il, dans l’espoir de vous convaincre de faire au moins usage de votre scalpel pour supprimer la péninsule costa-ricienne de Santa Elena.
25. Le Costa Rica connaît naturellement la tendance manifestée par le Nicaragua dans des affaires antérieures et consistant à adopter des positions extrêmes et invraisemblables. Il a délibérément choisi de ne pas emboîter le pas au défendeur. C’est qu’en effet, nous rejetons la logique qui semble implicitement sous-tendre la position de ce dernier, à savoir qu’un Etat présentant une argumentation sensée doit être puni pour cela.
4) Le traité de 1977 entre le Costa Rica et la Colombie
26. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, il m’incombe également de traiter aujourd’hui d’une autre idée fantasque du Nicaragua  invoquer le traité non ratifié de 1977 sur la délimitation maritime dans la mer des Caraïbes entre le Costa Rica et la Colombie. M. Kohen
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approfondira cette question demain, mais je formulerai quelques observations spécifiques à titre liminaire.
27. En 1977, le Costa Rica et la Colombie ont cherché à délimiter leurs droits maritimes dans la mer des Caraïbes, tout comme, soit dit en passant, le Nicaragua et la Colombie  deux éléments dont a fait état le Nicaragua dans le cadre de l’instance introduite par lui contre la Colombie31. Les négociations entre le Costa Rica et la Colombie ont abouti à la signature du traité Facio-Fernández32, que le Costa Rica n’a jamais ratifié et qu’il a qualifié de difficilement applicable et d’inopérant dans une lettre adressée le 27 février 2013 à la Colombie33. Il s’ensuit que le Costa Rica n’a pas ratifié et ne ratifiera pas cet instrument.
28. A maintes reprises, le Nicaragua a cherché à obtenir de la part du Costa Rica l’assurance que celui-ci ne prendrait aucune mesure en vue de la ratification de ce traité. Ainsi, en décembre 1995, il s’est opposé aux déclarations qu’un responsable costa-ricien avait faites à un organe de presse au sujet de la nécessité d’aller de l’avant concernant les traités conclus avec la Colombie et l’Equateur. Le ministre par intérim des affaires étrangères du Costa Rica a répondu à ces protestations dans une lettre du 1er mars 199634, dont ressortent les deux points suivants. Premièrement, le Costa Rica a rappelé au Nicaragua que le traité de 1977 avec la Colombie avait été signé bien avant qu’il ne conteste pour la première fois la souveraineté colombienne sur l’archipel de San Andrés. Deuxièmement, il lui a fait observer que cet instrument était res inter alios acta à son égard35. Il convient de souligner que le Nicaragua n’a jamais répondu à cette lettre et, partant, n’a jamais affirmé qu’il considérait qu’il pouvait détenir des droits découlant de ce traité ou qu’il contestait les règles de droit international généralement applicables concernant les effets de traités sur les parties tierces.
31 Voir Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, observations écrites du Nicaragua du 26 janvier 2004, par. 1.67-1.69.
32 Voir Délimitation maritime, CMN, annexe 3 : traité du 17 mars 1977 sur la délimitation des zones marines et sous-marines et sur la coopération maritime entre la République de Colombie et la République du Costa Rica, San José.
33 Ibid., MCR, annexe 18 : note ECRICOL-13-097 en date du 27 février 2013 adressée au coordonnateur des questions relatives à la CIJ du ministère colombien des affaires étrangères par l’ambassadeur du Costa Rica en Colombie.
34 Ibid., CMN, annexe 21 : lettre 071-96-DVM en date du 1er mars 1996 adressée au ministre des affaires étrangères du Nicaragua par le ministre des affaires étrangères du Costa Rica.
35 Ibid.
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29. Ultérieurement, en mai 1997, à l’occasion d’une réunion bilatérale entre les deux pays, le Nicaragua a insisté pour que le Costa Rica fasse une déclaration sur ce traité et a obtenu gain de cause. La déclaration en question, consignée dans le procès-verbal de la réunion sous le titre «Délimitation maritime», se lit comme suit :
«Le ministre des affaires étrangères Naranjo réaffirme l’engagement ferme de son gouvernement à ne pas intervenir sur sa frontière septentrionale côté caraïbe, tant que les Gouvernements du Nicaragua et de la Colombie ne seront pas parvenus à un accord en vue de régler le différend qui s’est fait jour entre ces deux nations amies.»36
30. Par la suite, durant les négociations sur la délimitation maritime qui se sont tenues entre 2002 et 2005, la question de l’éventuelle ratification du traité de 1977 a fait l’objet de nouvelles discussions. De nouveau, le Costa Rica a accepté de ne pas prendre de décision sur cet instrument jusqu’à ce que la Cour ait rendu son arrêt sur le différend relatif à la délimitation maritime entre le Nicaragua et la Colombie. Le Nicaragua a reconnu ce point devant la Cour : dans ses observations écrites sur la demande à fin d’intervention déposée par le Costa Rica, il a déclaré qu’il ne se souvenait
«d’aucune négociation engagée avec le Costa Rica sur la délimitation de zones maritimes dans la mer des Caraïbes ayant trait à des droits spécifiques sur des zones maritimes ou même à des méthodes de délimitation. Au contraire, il était entendu que les négociations sur la mer des Caraïbes ne commenceraient qu’une fois réglé le différend opposant le Nicaragua à la Colombie.»37
31. Dans l’arrêt qu’elle a rendu sur la demande du Costa Rica à fin d’intervention, la Cour a pris acte dans les termes suivants de la position du Nicaragua à cet égard :
«Le Nicaragua relève quant à lui que, les Parties ne cherchant pas à ce que la Cour opère une délimitation dans la zone où le Costa Rica estime avoir des intérêts, ces intérêts «ne seront pas — et ne peuvent pas être — affectés par la décision rendue en l’espèce».»38
Elle a en outre pris note de la position du Nicaragua selon laquelle
«le Costa Rica est protégé par l’article 59 du Statut ainsi que par la pratique de la Cour en matière de délimitation maritime, en vertu desquels les intérêts d’Etats tiers ne sauraient être touchés. [Le Nicaragua] estime que la demande d’intervention du
36 Délimitation maritime, MCR, annexe 28 : procès-verbal définitif de la quatrième réunion bilatérale entre le Nicaragua et le Costa Rica, tenue à Granada (Nicaragua) les 12 et 13 mai 1997.
37 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), observations écrites de la République du Nicaragua sur la demande à fin d’intervention déposée par la République du Costa Rica (26 mai 2010), par. 19.
38 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), requête du Costa Rica à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (II), p. 369, par. 74.
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Costa Rica devrait être rejetée au motif que l’intérêt d’ordre juridique que celui-ci prétend avoir ne serait pas affecté par la décision de la Cour.»39
32. Apparemment, à l’origine, le Nicaragua estimait qu’il n’avait aucun droit sur des zones maritimes découlant du traité de 1977, puisqu’il demandait au Costa Rica de ne rien entreprendre vis-à-vis de cet instrument. Il semble avoir changé d’avis en examinant la demande à fin d’intervention du Costa Rica, bien qu’il ait clairement déclaré que l’arrêt en l’affaire qui l’opposait à la Colombie n’aurait pas d’effet sur les intérêts d’ordre juridique du Costa Rica40. Cependant, la version qu’il propose aujourd’hui a radicalement changé.
33. En la présente espèce, le Nicaragua cherche à contester le raisonnement que la Cour a suivi à la fois dans son arrêt de février 2010 sur la demande d’intervention du Costa Rica et dans celui qu’elle a rendu sur le fond le 19 novembre 2012 en l’affaire Nicaragua c. Colombie.
34. Il affirme maintenant qu’il a hérité, comme par enchantement, des espaces maritimes situés au nord et à l’est de la frontière établie par le traité de 197741. Cherchant à étayer sa thèse, il donne sa propre interprétation des dicta contenus dans divers arrêts42 concernant le caractère obligatoire des décisions de la Cour en droit international.
35. Il semble laisser entendre, à tort, que l’arrêt de la Cour du 19 novembre 2012 revêt une certaine pertinence en la présente espèce, alors même qu’il avait précédemment admis que «ces intérêts «ne seront pas — et ne peuvent pas être — affectés par la décision rendue en l’espèce»»43.
36. Dans l’arrêt en question, non seulement la Cour n’est pas parvenue à des «conclusions» qui, même de loin, pourraient constituer un précédent applicable à la présente espèce, mais elle a refusé d’examiner les questions liées à la relation entre le Costa Rica et le Nicaragua et ne s’est nullement prononcée sur la portée ou les effets de l’accord de 1977 entre le Costa Rica et la Colombie. Elle n’a fait que déclarer que l’accord était res inter alios acta à l’égard du Nicaragua44.
39 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), requête du Costa Rica à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (II), p. 370, par. 78.
40 Ibid, p. 369, par. 75.
41 Voir Délimitation maritime, CMN, par. 3.29 ; voir aussi par. 3.32.
42 Délimitation maritime, CMN, par. 3.12.
43 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), requête du Costa Rica à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (II), p. 369, par. 74.
44 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 660, par. 95.
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37. Par conséquent, il est difficile de saisir quel «précédent» ou quelles «conclusions» le Nicaragua cherche à invoquer. Au contraire, nous convenons que la Cour n’a aucune raison impérieuse de s’écarter de la «conclusion» qu’elle a clairement tirée dans son arrêt de 2012, à savoir que les traités entre la Colombie et les pays voisins, tels que celui avec le Costa Rica, étaient res inter alios acta à l’égard du Nicaragua45.
38. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, il est tout à fait évident que, s’agissant de la délimitation dans la mer des Caraïbes, le Nicaragua a presque tout misé sur la fable de l’accord de 1977 entre le Costa Rica et la Colombie, qui, comme la Cour le sait, non seulement n’a pas été ratifié, mais ne le sera jamais, ainsi que le Costa Rica l’a maintenant exposé clairement46. Aussi ce traité ne constitue-t-il nullement une base juridique que le Nicaragua puisse invoquer pour revendiquer des espaces maritimes situés au nord et à l’est de la ligne qui y est définie. La délimitation dans cette zone doit être effectuée conformément au droit international général applicable, ainsi que Mme Parlett et MM. Kohen et Lathrop l’expliqueront plus en détail.
5) Le point de départ de la délimitation dans la mer des Caraïbes
39. Monsieur le président, je m’attarderai brièvement sur la question du point de départ de la délimitation dans la mer des Caraïbes.
40. Lorsque le Costa Rica et le Nicaragua ont entrepris de négocier leur frontière maritime dans les Caraïbes, ils ont chargé une sous-commission des limites et de la cartographie de poser les premiers jalons. La sous-commission a accepté de réunir des données cartographiques et d’obtenir des informations satellite récentes afin de déterminer l’état des côtes. Les équipes techniques se sont accordées à reconnaître  sous réserve de la décision des vice-ministres des affaires étrangères47  qu’il était nécessaire que les Parties s’entendent tout d’abord sur le point terminal de la frontière terrestre. Comme vous le savez, les travaux de démarcation présidés par le général Alexander n’ont permis d’établir que les bornes nos 1 et 2 dans la zone dans laquelle la frontière suivait un cours d’eau, à savoir le fleuve San Juan, la borne no 1 (la borne initiale) étant située à l’endroit où se trouvait l’embouchure du fleuve à cette époque.
45 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 660, par. 95.
46 Voir supra, par. 28.
47 Délimitation maritime, MCR, vol. II, annexe 29.
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41. La sous-commission avait naturellement alors pour mission de fixer l’emplacement de la borne no 1. Mais, pour être précis, les Parties ne se sont jamais entendues sur l’emplacement de cette borne. Le Nicaragua l’a reconnu ; dans son contre-mémoire, il a déclaré que les délégations «n’étaient pas totalement d’accord sur l’emplacement précis de la borne no 1»48.
42. En conséquence, le point de départ de la délimitation dans la mer des Caraïbes qu’il vous est demandé de définir doit être déterminé sur la base de la géographie actuelle et du droit applicable, une question que M. Brenes abordera plus en détail cet après-midi. J’ajouterai que le Costa Rica répondra également à la question posée par la Cour concernant la possibilité de faire partir la frontière maritime d’un point fixé dans la mer des Caraïbes à une certaine distance de la côte.
43. Monsieur le président, pour conclure cette présentation générale de l’affaire relative à la délimitation maritime, je dirai que, s’agissant de la mer des Caraïbes, il est demandé à la Cour de tracer une frontière maritime unique jusqu’à la limite des 200 milles marins. Le Costa Rica a présenté les circonstances pertinentes, à savoir la concavité formée par les côtes de trois Etats d’Amérique centrale et l’effet d’amputation qui en résulte pour ses propres droits maritimes, circonstances qui exigent d’ajuster la ligne d’équidistance pour parvenir à un résultat équitable. MM. Kohen et Lathrop aborderont cet aspect de l’affaire de manière plus détaillée demain.
44. Le Costa Rica prie également la Cour de tracer une frontière maritime unique dans l’océan Pacifique, où il n’existe aucune circonstance pertinente. M. Wordsworth exposera la thèse du Costa Rica à cet égard plus en détail dans la journée.
C. La frontière terrestre à Isla Portillos
45. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’en viens à présent à l’affaire relative à la Frontière terrestre dans la partie septentrionale d’Isla Portillos (Costa Rica c. Nicaragua). C’est une affaire assez simple, même si, par «simple», je ne veux pas dire «sans importance». En installant un campement militaire sur la plage d’Isla Portillos en 2016 et en contestant ensuite les effets concrets de votre arrêt du 16 décembre 2015 en l’affaire relative à Certaines activités, le Nicaragua cherche à plaider à nouveau une question qui a déjà été tranchée
48 Délimitation maritime, CMN, vol. I, p. 86, par. 3.51.
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avec force de chose jugée. Comme M. Kohen l’expliquera, toutes les questions pertinentes concernant la plage, ce qui constitue celle-ci et l’étendue de ce qui a alors été qualifié de «territoire litigieux», territoire dont la Cour a finalement déterminé qu’il relevait de la souveraineté du Costa Rica, ont été tranchées par cette dernière dans l’affaire relative à Certaines activités49.
46. Le Costa Rica souhaite souligner que la décision du Nicaragua d’installer le campement militaire là où il l’a placé en 2016 est loin d’être une pure coïncidence. Le Costa Rica a dû constamment faire face au mépris systématique du Nicaragua pour la lettre du régime conventionnel régissant la frontière, voire pour les décisions de la Cour. Dans ce contexte, il est évident que, en installant un campement militaire sur la plage d’Isla Portillos, le Nicaragua avait pour objectif, premièrement, de revendiquer une fois de plus cette plage, ce pourquoi il devait montrer quelque forme d’action sur le terrain ; et deuxièmement, d’essayer de présenter certains comportements sous la forme d’effectivités, comportements auxquels le Costa Rica aurait acquiescé, selon ce que soutient à présent le Nicaragua50. Tout cela ressort clairement de la lettre du général Denis Moncada, alors ministre conseiller par intérim du président du Nicaragua, le Commandant Ortega, datée du 17 novembre 201651 et répondant à la note de protestation du Costa Rica en date du 14 novembre 201652.
47. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, nous regrettons que le Nicaragua ait maintes fois contesté vos arrêts. Nous espérons sincèrement que, après celui que vous rendrez dans les présentes affaires, il sera possible de rétablir la confiance et la bonne volonté nécessaires pour instituer une relation cordiale entre les deux pays. Toutefois, une telle situation ne pourra advenir que si le droit et les arrêts de la Cour sont pleinement respectés.
49 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), C.I.J. Recueil 2015 (II), arrêt, p. 696-697, par. 69.
50 Frontière terrestre dans la partie septentrionale d’Isla Portillos (Costa Rica c. Nicaragua) (ci-après «Frontière terrestre»), contre-mémoire du Nicaragua (ci-après «CMN»), par. 4.35.
51 Frontière terrestre, mémoire du Costa Rica (ci-après «MCR»), annexe 57 : lettre MRE/DMC/250/11/16 en date du 17 novembre 2016 adressée au Costa Rica par le Nicaragua.
52 Ibid., MCR, annexe 56 : lettre DM-AM-584-16 en date du 14 novembre 2016 adressée au Nicaragua par le Costa Rica.
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48. En ce qui concerne le différend, le Nicaragua a cherché à exploiter une déclaration faite par la Cour dans son arrêt de 2015 concernant la côte des Caraïbes53. Pour le Costa Rica, il est évident que ce que la Cour a qualifié de «segment de la côte caraïbe qui s’étend entre la lagune de Harbor Head … et l’embouchure du San Juan»54, que le Nicaragua semble à présent interpréter comme faisant référence à la plage d’Isla Portillos, est une zone située dans la mer, très éloignée de la laisse de basse mer de la plage d’Isla Portillos. Vous pouvez voir sur vos écrans la zone à laquelle la Cour s’est intéressée. Il ne reste cependant aucun «territoire» susceptible d’appropriation au nord du rivage septentrional d’Isla Portillos qui appartient au Costa Rica. Le rapport établi par les experts désignés par la Cour le confirme. Interrogés sur ce point particulier par la Cour, les experts ont répondu ceci :
«Au large du littoral, il n’existe aucune formation émergée, pas même à marée basse, ainsi que cela a pu être confirmé lors des deux visites sur les lieux. Certaines images satellite révèlent la présence de bancs de sable parallèles à la côte. Il s’agit d’exemples caractéristiques de ces bancs submergés qui se forment, sous l’action des vagues, dans les zones côtières des plages de sable.»55
Si la Cour avait voulu exclure la plage d’Isla Portillos dans son arrêt de 2015, comme le Nicaragua semble l’affirmer56, elle l’aurait dit clairement. Or elle n’en a rien fait. Ce que le Nicaragua cherche en réalité à remettre en cause, même s’il n’a consacré que très peu d’éléments pertinents, voire aucun, à cette question particulière dans son contre-mémoire, c’est la conclusion à laquelle la Cour est parvenue en 2015, selon laquelle le territoire litigieux d’Isla Portillos incluait la plage57. Le Nicaragua prétend que la définition par la Cour du «territoire litigieux» était simplement accessoire à la demande du Costa Rica concernant la responsabilité en l’affaire relative à Certaines activités58. Cela est parfaitement faux. La conclusion sur la question de la responsabilité était nécessairement subordonnée à la détermination de la souveraineté sur le territoire litigieux, et la question de la
53 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), C.I.J. Recueil 2015 (II), arrêt, p. 697, par. 70.
54 Ibid.
55 Délimitation maritime, rapport d’expertise (30 avril 2017), par. 190.
56 Frontière terrestre, CMN, par. 2.11.
57 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), C.I.J. Recueil 2015 (II), arrêt, p. 697, par. 69.
58 Frontière terrestre, CMN, par. 2.19.
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souveraineté était en cause à tous égards. Pour confirmer que tel était le cas, il suffit de lire les conclusions du Nicaragua, dans lesquelles celui-ci priait en réalité la Cour de juger que le territoire litigieux relevait de sa souveraineté59 ; il n’est pour s’en convaincre davantage que de lire le dispositif de l’arrêt lui-même, dans lequel la Cour a conclu que le Costa Rica avait souveraineté sur le «territoire litigieux»60.
49. Malgré l’arrêt très clair rendu par la Cour en 2015, le Nicaragua, pour étayer à présent sa position, nous sert encore une autre histoire qu’il vient d’élaborer concernant un «nouveau caño». Je vais maintenant marquer une pause dans mon raisonnement pour faire une observation. La Cour se rappellera que, pendant plus de cinq ans, le Nicaragua s’est battu avec acharnement pour voir reconnaître ce qu’il considérait comme étant le célèbre «premier chenal rencontré» du général Alexander ; il vous a même demandé de désigner une équipe d’experts chargés de se rendre à Isla Portillos pour en déterminer l’emplacement61. Le Nicaragua n’a jamais soutenu qu’il existait un «caño» là où il le prétend aujourd’hui. De même, aucun des experts du Nicaragua en l’affaire relative à Certaines activités n’a jamais vu ni identifié de «caño» à l’emplacement que le Nicaragua invoque à présent, c’est-à-dire parallèlement à la plage d’Isla Portillos, et que vous pouvez à présent voir sur vos écrans. En résumé, le Nicaragua n’a jamais dit un mot concernant ce caño et il est indéniable que ce nouveau caño n’existe pas.
50. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les Membres de la Cour, la seule conclusion à laquelle il est possible de parvenir, à la lumière des éléments de preuve qui vous ont été soumis, est que «le premier chenal rencontré» d’Alexander n’existe plus ; c’est ce qu’ont clairement dit les experts désignés par la Cour62, un point qu’abordera plus en détail M. Wordsworth dans la journée. Ce qui constituait autrefois la rive gauche de ce chenal s’est érodé sous l’action constante de la mer des Caraïbes. La plage forme un tout unique et, suivant l’arrêt rendu par la Cour en 2015 en l’affaire relative à Certaines activités, elle appartient au Costa Rica.
59 Voir, par exemple, CR 2015/15, p. 63, par. 1 (Argüello).
60 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), C.I.J. Recueil 2015 (II), arrêt, p. 740, par. 229 1).
61 Ibid., p. 701, par. 80 et 81 ; voir également, par exemple, CR 2015/5, p. 34, par. 24 (Pellet) ; CR 2015/7, p. 11, par. 4 (Loewenstein) ; CR 2015/15, p. 20, par. 49 (Argüello).
62 Délimitation maritime, réponse des experts désignés par la Cour à la question posée par M. le juge Tomka et transmise par la lettre no 148822 du greffier en date du 15 juin 2017.
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Le campement du Nicaragua est situé sur cette plage et, à ce titre, y a été placé et y est maintenu par le Nicaragua en violation, encore une fois, de la souveraineté du Costa Rica, comme Mme Del Mar le démontrera cet après-midi.
51. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, voilà qui conclut ma présentation de ce matin  je vous remercie de votre aimable attention.
52. Monsieur le président, je vous saurais gré de bien vouloir donner la parole à Mme Parlett, qui abordera les aspects pertinents du droit applicable à la délimitation tant dans l’Atlantique que dans le Pacifique.
The PRESIDENT : Thank you. I now give the floor to Ms Kate Parlett. You have the floor Ms Parlett.
Mme PARLETT :
ASPECTS PERTINENTS DU DROIT APPLICABLE
A. Introduction
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un honneur pour moi que de me présenter une nouvelle fois devant la Cour au nom du Costa Rica. Les observations que je formulerai aujourd’hui portent principalement sur les aspects pertinents du droit applicable à la délimitation des frontières maritimes en la présente espèce.
2. Permettez-moi, en guise d’introduction, de faire trois remarques préliminaires:
a) Premièrement, comme l’a expliqué M. l’ambassadeur Ugalde, le Costa Rica a prié la Cour de déterminer dans son intégralité, sur la base du droit international, le tracé des frontières maritimes entre les deux Etats dans la mer des Caraïbes et dans l’océan Pacifique63.
b) Deuxièmement, le Costa Rica et le Nicaragua sont tous deux parties à la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, qu’ils ont ratifiée64. Il s’ensuit que les principes de la délimitation maritime à appliquer au présent différend sont ceux énoncés à l’article 15 de la
63 Délimitation maritime dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique (Costa Rica c. Nicaragua), requête introductive d’instance du Costa Rica, 25 février 2014, par. 15. Voir aussi Délimitation maritime, mémoire du Costa Rica (MCR), conclusions, p. 85.
64 Ibid., MCR, par. 1.7.
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convention, en ce qui concerne la mer territoriale, et au paragraphe 1 de l’article 74 et au paragraphe 1 de l’article 83, en ce qui concerne la zone économique exclusive et le plateau continental, respectivement.
c) Troisièmement, aucune desdites frontières n’ayant fait l’objet d’un accord entre les Parties, la demande vise à ce que soient déterminées les frontières qui délimitent la mer territoriale, la zone économique exclusive (ZEE) et le plateau continental dans la limite des 200 milles marins, tant dans l’océan Pacifique que dans les Caraïbes.
B. Méthode de délimitation
3. J’en viens à présent à la méthode de délimitation qu’appliquera la Cour. Je serai d’autant plus brève que la Cour connaît parfaitement les méthodes en question, qui ont pour l’essentiel été élaborées dans sa jurisprudence.
1) Mer territoriale
4. En ce qui concerne la délimitation de la mer territoriale, l’article 15 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM)65 :
a) «donne primauté à la ligne [d’équidistance] comme ligne de délimitation de la mer territoriale entre Etats dont les côtes sont adjacentes ou se font face»66 ;
b) ne prescrit de s’écarter d’une ligne d’équidistance stricte que dans le cas où cela est nécessaire «en raison de l’existence de titres historiques ou d’autres circonstances spéciales»67 ;
c) prescrit d’apprécier ces circonstances spéciales «au cas par cas»68.
5. Dans sa pratique, lorsqu’elle a jugé nécessaire de s’écarter d’une ligne d’équidistance en raison de circonstances particulières, la Cour a soit employé une autre méthode de délimitation, soit ajusté la ligne d’équidistance69 ; ce faisant, cependant, elle a invariablement établi une distinction
65 Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) du 10 décembre 1982 (entrée en vigueur le 16 novembre 1994), Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 1883, p. 3, art. 15.
66 Sentence arbitrale relative à la délimitation de la frontière maritime entre le Guyana et le Surinam, Sentence du 17 septembre 2007, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, partie 1, vol. XXX, par. 296.
67 CNUDM, art. 15.
68 Sentence arbitrale relative à la délimitation de la frontière maritime entre le Guyana et le Surinam, Sentence du 17 septembre 2007, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, part. 1, vol. XXX, par. 303.
69 Voir, par exemple, Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 58, par. 176 ; affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 441, par. 288.
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entre la délimitation de la mer territoriale en application de l’article 15, d’une part, et la délimitation de la ZEE et du plateau continental en application des articles 74 et 83, d’autre part.
2) Zone économique exclusive et plateau continental
6. Pour ce qui est de la ZEE et du plateau continental, la CNUDM ne prescrit pas de méthode particulière de délimitation ni ne donne primauté à l’une quelconque d’entre elles70, mais indique simplement qu’une délimitation devrait «aboutir à une solution équitable»71. La Cour a systématiquement appliqué la même méthode pour délimiter la ZEE et le plateau continental, et a précisé dans sa jurisprudence qu’elle entendait procéder en trois étapes72:
a) Premièrement: «il s’agit pour la Cour d’établir une ligne de délimitation provisoire … [en] recour[ant] … à des méthodes à la fois objectives sur le plan géométrique et adaptées à la géographie de la zone»73.
i) «Cette tâche consiste à construire une ligne d’équidistance, lorsque les côtes pertinentes sont adjacentes … à moins que … des raisons impérieuses ne le permettent pas»74.
ii) Il est également nécessaire de définir quelles sont la «zone pertinente» et les «côtes pertinentes». Dans l’affaire relative à la Délimitation maritime en mer Noire (ci-après «l’affaire de la mer Noire»), la Cour a noté que «la côte doit, pour être considérée comme
70 Voir tribunal constitué en vertu de l’annexe VII de la CNUDM, Arbitrage entre le Bangladesh et l’Inde concernant la délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Inde), sentence, 7 juillet 2014, par. 338.
71 CNUDM, art. 74, par. 1 et 83, par. 1. Voir aussi tribunal constitué en vertu de l’annexe VII de la CNUDM, Arbitrage entre le Bangladesh et l’Inde concernant la délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Inde), sentence, 7 juillet 2014, par. 339.
72 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 695, par. 190. Voir aussi Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 46, par. 60 ; Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 101, par. 115-122, et Différend maritime (Pérou c. Chili), arrêt, C.I.J. Recueil 2014, p. 66, par. 190.
73 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 695, par. 191. Voir aussi Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 101, par. 116 ; TIDM, Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, 14 mars 2012, par. 233 ; tribunal constitué en vertu de l’annexe VII de la CNUDM, Arbitrage entre le Bangladesh et l’Inde concernant la délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Inde), sentence, 7 juillet 2014, par. 341.
74 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 695, par. 191; Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 745, par. 281. Voir aussi Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 101, par. 116 ; Différend maritime (Pérou c. Chili), arrêt, C.I.J. Recueil 2014, p. 66, par. 190 ; TIDM, Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, 14 mars 2012, par. 233 ; tribunal constitué en vertu de l’annexe VII de la CNUDM, Arbitrage entre le Bangladesh et l’Inde concernant la délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Inde), sentence, 7 juillet 2014, par. 341 et 345.
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pertinente aux fins de la délimitation, générer des projections qui chevauchent celles de la côte de la partie adverse»75. Je reviendrai en temps utile aux questions de la définition de la zone pertinente et des côtes pertinentes.
iii) Ensuite, il convient de définir quels sont les points de base appropriés sur les côtes pertinentes des parties76, points à partir desquels est tracée une ligne d’équidistance provisoire.
b) Une fois tracée la ligne d’équidistance provisoire, la deuxième étape de la méthode de référence de la Cour consiste à apprécier les circonstances pertinentes qui pourraient appeler un ajustement de cette ligne afin «d’aboutir à un résultat équitable»77. Je montrerai plus loin que, dans la pratique, ces circonstances pertinentes sont assez limitées.
c) Troisième et dernière étape: «la Cour [vérifie] si la ligne, telle qu’ajustée ou déplacée, a pour effet de créer une disproportion marquée entre les espaces maritimes attribués à chacune des Parties dans la zone pertinente, par rapport à la longueur de leurs côtes pertinentes respectives»78. Mais surtout, a précisé la Cour en l’affaire du Différend territorial et maritime, il n’est procédé à cet ajustement de la ligne de délimitation que pour «éviter toute disproportion de nature à «entacher» le résultat et à le rendre inéquitable»79.
C. Trois questions en litige
7. S’agissant de l’applicabilité en la présente espèce des méthodes décrites ci-dessus, les Parties s’accordent, pour l’essentiel, sur :
75 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 96-97, par. 99.
76 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 695, par. 191; Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 101, par. 116-117.
77 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), par. 192. Voir aussi Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 101, par. 120 et p. 112, par. 155; Différend maritime (Pérou c. Chili)), arrêt, C.I.J. Recueil 2014, p. 66, par. 190 ; TIDM, Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, 14 mars 2012, par. 233 et 275.
78 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 696, par. 193. Voir aussi Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 103, par. 122 et p. 119, par. 210 ; Différend maritime (Pérou c. Chili)), arrêt, C.I.J. Recueil 2014, p. 66, par. 190 ; TIDM, Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, 14 mars 2012, par. 233 et 497 ; tribunal constitué en vertu de l’annexe VII de la CNUDM, Arbitrage entre le Bangladesh et l’Inde concernant la délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Inde), sentence, 7 juillet 2014, par. 341.
79 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 716, par. 242. Voir aussi Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 99, par. 110, et Différend maritime (Pérou c. Chili), C.I.J. Recueil 2014, p. 69-70, par. 193-194.
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a) le recours à une ligne d’équidistance pour délimiter la mer territoriale80 ; et
b) l’emploi de la «méthode de référence» en trois étapes pour délimiter la ZEE et le plateau continental81.
8. Trois questions opposent toutefois les Parties et je consacrerai le reste de mon intervention à ces divergences de vues, à savoir :
a) premièrement, la primauté de la méthode de l’équidistance aux fins de la délimitation de la mer territoriale ;
b) deuxièmement, la détermination des côtes et de la zone pertinentes, lesquelles sont prises en considération lorsqu’il s’agit de vérifier qu’il n’existe pas de «disproportion flagrante» (troisième étape) ; et
c) troisièmement, les circonstances pertinentes justifiant l’ajustement de la ligne d’équidistance délimitant la ZEE et le plateau continental.
Ces divergences de vues étant souvent au coeur des arguments avancés par les Etats qui contestent une délimitation maritime, la Cour les connaît bien.
1) L’emploi de la méthode de l’équidistance aux fins de la délimitation de la mer territoriale
9. [Projection no 1] Je commencerai par le premier point de désaccord, qui porte sur la primauté de la méthode de l’équidistance pour délimiter la mer territoriale. Comme je l’ai déjà indiqué, l’article 15 de la CNUDM présente la méthode de l’équidistance comme étant celle devant s’appliquer à la délimitation de la mer territoriale82.
10. Si le Costa Rica et le Nicaragua invoquent tous deux l’article 15 au titre du droit applicable entre les Parties en la présente espèce83, le Nicaragua, pour sa part, cherche également à s’appuyer sur les articles 74 et 83, au motif que les dispositions de ces deux articles seraient, elles aussi, utiles à la délimitation de la mer territoriale84. Le Nicaragua demande ensuite un ajustement de la ligne d’équidistance dans la mer territoriale, tant du côté Pacifique que du côté caraïbe85, arguant que certaines formations géographiques auraient un effet disproportionné sur le tracé de la ligne d’équidistance dans la mer territoriale86. Le Nicaragua va plus loin encore, considérant que
80 Délimitation maritime, MCR, par. 3.14 et 4.16, et CMN, par. 2.42 et 3.81.
81 Voir ibid., MCR, par. 2.44-2.46, et CMN, par. 2.43.
82 Voir J. Crawford, Brownlie’s Principles of Public International Law (8e éd., 2012), p. 283.
83 Délimitation maritime, CMN, par. 2.42 ; MCR, par. 2.43.
84 Ibid., par. 2.42-2.46.
85 Ibid., par. 2.47-2.52 et 3.88-3.90.
86 Ibid., par. 2.48.
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cet ajustement de la ligne d’équidistance dans la mer territoriale se justifie également par le fait que le point terminal de cette ligne ne constituerait pas un point de départ satisfaisant aux fins de la délimitation de la ZEE et du plateau continental87. A l’en croire, la délimitation de la mer territoriale devrait dépendre du tracé supposé de la ligne d’équidistance provisoire au-delà de la mer territoriale.
11. Le Nicaragua ne cite aucune source reconnue à l’appui de sa démarche inédite. De fait, il n’en existe aucune. La préférence d’un Etat quant à l’emplacement du point de départ d’une ligne d’équidistance aux fins de la délimitation de sa ZEE et de son plateau continental ne saurait de toute évidence constituer une «circonstance spéciale» exigeant l’ajustement de la ligne d’équidistance délimitant la mer territoriale [fin de la projection no 1].
12. En ce qui concerne la primauté de la méthode de l’équidistance pour délimiter la mer territoriale, je soulèverai six points.
13. Premièrement, le Nicaragua se fonde sur le paragraphe 1 de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités lorsqu’il affirme, s’agissant de la délimitation de la mer territoriale, que les articles 15, 74 et 83 de la CNUDM «doivent … être lus et interprétés conjointement, dans leur contexte au sens de la convention et à la lumière de l’objet et du but de celle-ci»88.
14. Les règles applicables en matière d’interprétation des traités imposent certes que l’on s’abstienne d’examiner les dispositions des articles de la CNUDM isolément ou hors contexte, mais le Nicaragua semble vouloir considérer ici que l’article 15 et les articles 74 et 83, bien que présentant un libellé différent, seraient en fait identiques. Là encore, aucune source reconnue n’est citée à l’appui de cette affirmation. L’article 15 est en effet rédigé en des termes différents de ceux employés dans les articles 74 et 83, et son objet n’est pas le même non plus. Les trois articles en question apparaissent dans des parties différentes de la convention. Assurément, tous trois traitent
87 Délimitation maritime, CMN, par. 2.44 et 2.49-2.50.
88 Ibid., par. 2.44.
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de la délimitation des espaces maritimes mais l’article 15 ne mentionne ni n’englobe nullement les articles 74 et 83, et inversement. L’article 15 est autonome et distinct des articles 74 et 83.89
15. De fait, il s’agit là d’un choix délibéré de la part des rédacteurs de la CNUDM. Lors de la troisième conférence sur le droit de la mer, l’une des délégations a adopté la même position que celle adoptée aujourd’hui par le Nicaragua et a proposé que la distinction soit abandonnée, au motif que la délimitation de tous les espaces maritimes devrait «reposer sur le concept d’équité»90. Cette proposition a été rejetée et la distinction a été maintenue dans le texte définitif91. La Cour a confirmé qu’il convenait d’opérer une distinction entre la délimitation de la mer territoriale en application de l’article 15 et la délimitation de la ZEE et du plateau continental en application des articles 74 et 83 ; ainsi a-t-elle fait observer, en l’affaire Nicaragua c. Honduras : «[l]es méthodes régissant la délimitation des mers territoriales ont nécessairement été définies plus clairement en droit international que celles qui sont utilisées pour les autres espaces maritimes, plus fonctionnels»92.
16. Le Nicaragua fait par ailleurs référence à «l’objet et [au] but de [la CNUDM]»93, mais sans étoffer davantage son propos. En outre, il n’explique pas en quoi son interprétation tout à fait particulière du but et de l’objet de la convention devrait l’emporter sur le sens habituellement donné au libellé de l’article 15.
17. Deuxièmement, le Nicaragua se fonde sur un commentaire fait par la CDI d’un premier projet de libellé de l’article 12 de la convention de 1958 sur la mer territoriale, selon lequel la règle équidistance/circonstances spéciales doit «être appliquée avec beaucoup de souplesse»94. S’il est vrai qu’une certaine souplesse est inhérente à la règle équidistance/circonstances spéciales et que le
89 Voir, par exemple, Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 88-89, par. 42-45 ; Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 232-233, par. 154-156.
90 Documents officiels de la troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, vol. XII (comptes rendus analytiques des séances, séances plénières, bureau, Première et Troisième Commissions, et documents de la neuvième session, A/CONF.62/SR.126, 126e séance plénière, 1980, déclarations du Venezuela, par. 137 ; voir également déclarations de l’Argentine, ibid., par. 88.
91 Voir S.N. Nandan et S. Rosenne, United Nations Convention on the Law of the Sea 1982 : A Commentary, vol. II (1985), p. 141, par. 15.10.
92 Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 740, par. 269 ; voir également p. 740, par. 267-289.
93 Délimitation maritime, CMN, par. 2.44.
94 Annuaire de la Commission du droit international, 1956, vol. II, p. 272, commentaire du projet d’article 14, par. 7, cité dans Délimitation maritime, CMN, par. 2.45.
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libellé de l’article 15 en tient compte, il n’en demeure pas moins que toute «souplesse» envisagée dans l’application de cette règle ne saurait prévaloir sur le libellé même de l’article en question. Elle ne saurait non plus l’emporter sur le choix délibéré des rédacteurs de la CNUDM, que j’ai évoqué plus tôt, d’opérer une distinction entre la délimitation de la mer territoriale, d’une part, et la délimitation de la ZEE et du plateau continental, d’autre part. De surcroît, le Nicaragua omet d’expliquer en quoi une «application souple» de la règle lui permettrait d’obtenir gain de cause, à savoir un ajustement de la ligne d’équidistance construite dans la mer territoriale afin de prendre en considération «[les] lignes d’équidistance … tracées sur des cartes moins détaillées»95 en direction du large.
18. Troisièmement, le Nicaragua, s’appuyant sur une étude de 2005 relative à l’établissement de frontières maritimes par voie d’accord, laisse entendre qu’il existe une concordance entre la méthode applicable à la délimitation de la mer territoriale et celle applicable à la délimitation de la ZEE et du plateau continental96. Cette même étude a été citée par la Cour permanente d’arbitrage dans la sentence qu’elle a rendue en l’affaire opposant la Croatie et la Slovénie97. Les auteurs y examinent la pratique des Etats en matière de «conclusion d’accords concernant la délimitation»98. Sachant que ces accords peuvent s’aligner ou non sur les méthodes de délimitation prescrites par la CNUDM, il est difficile de voir la pertinence de l’étude citée lorsqu’il s’agit d’appliquer l’article 15 de la CNUDM au cas d’espèce. La question de la distinction entre la pratique des Etats et la délimitation telle que prévue à l’article 15 n’a pas été développée par le Nicaragua et n’a pas non plus été soulevée dans la sentence rendue dans l’arbitrage Croatie/Slovénie. Les Etats ont bien évidemment toute latitude pour conclure des accords de délimitation maritime conformes ou non aux prescriptions de la CNUDM en la matière. Cette latitude est expressément préservée par l’article 15, qui consacre l’application du principe de l’équidistance sauf «accord contraire»99. En la
95 Délimitation maritime, CMN, par. 2.45.
96 Ibid., par. 2.43, renvoyant à C. Yacouba et D. McRae, «The Legal Regime of Maritime Boundary Agreements», in D. A. Colson et R. W. Smith (sous la dir. de), International Maritime Boundaries, vol. V, 2003, p. 3920.
97 Arbitration between the Republic of Croatia and the Republic of Slovenia, CPA, affaire no 2012-04, sentence définitive, 29 juin 2017, par. 1000.
98 C. Yacouba et D. McRae, «The Legal Regime of Maritime Boundary Agreements», in D. A. Colson et R. W. Smith (dir. publ.), International Maritime Boundaries, vol. V, 2003, p. 3920.
99 CNUDM, art. 15.
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présente espèce, toutefois, c’est l’article 15 de la CNUDM qui définit le droit international applicable aux fins de la délimitation de la mer territoriale.
19. Quatrièmement, le Nicaragua établit au passage un rapprochement entre «circonstances spéciales» et «circonstances pertinentes»100. Une fois de plus, il omet d’approfondir le sujet — peut-être le fera-t-il lors de ses plaidoiries cette semaine. En tout état de cause, il ressort de la jurisprudence, comme l’a expressément noté la Cour dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord (ci-après «les affaires du Plateau continental»), que «les effets de déviation» sur les lignes d’équidistance sont «relativement faibles dans les limites des eaux territoriales»101. Il s’ensuit qu’une circonstance particulière peut justifier l’ajustement d’une ligne d’équidistance tracée aux fins de la délimitation de la ZEE et du plateau continental sans pour autant justifier un ajustement de la ligne d’équidistance dans la mer territoriale.
20. [Projection no 2] Je rappellerai à cet égard le traitement réservé à l’île bangladaise de Saint Martin en l’affaire Bangladesh/Myanmar et vous invite à consulter le croquis qui apparaît maintenant sur vos écrans. Le Myanmar soutenait en l’espèce que l’île de Saint Martin constituait une «circonstance spéciale» dans le contexte de la délimitation de la mer territoriale entre les parties et qu’il convenait de ne lui donner que peu d’effet, voire aucun102. La ligne d’équidistance ajustée revendiquée par le Myanmar est indiquée ici en rouge. L’île, d’une superficie de quelque 8 kilomètres carrés, a bel et bien influé sur le tracé de la ligne d’équidistance indiquée en vert : à partir du point C, la présence de l’île a eu pour effet de repousser la ligne d’équidistance vers le sud et de la rapprocher de la côte continentale du Myanmar. Le TIDM a rejeté l’argument du Myanmar, estimant qu’il n’existait pas de raisons impérieuses qui justifieraient de traiter l’île de Saint Martin comme une circonstance spéciale aux fins de l’article 15 de la CNUDM. Le TIDM a délimité la mer territoriale à l’aide d’une ligne d’équidistance stricte et non ajustée103. S’agissant de la délimitation de la ZEE et du plateau continental, il n’a cependant donné aucun effet à l’île de Saint
100 Délimitation maritime, CMN, par. 2.46, note 66.
101 Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/ Danemark ; République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 37, par. 59. Voir également Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, 14 mars 2012, par. 318.
102 TIDM, Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, 14 mars 2012, par. 131-137.
103 Ibid., par. 152.
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Martin104. Ce traitement différencié découle des différentes approches prescrites par la CNUDM en matière de délimitation de la mer territoriale et de délimitation de la ZEE et du plateau continental. Le TIDM a expressément indiqué que «l’effet accordé aux îles dans une délimitation peut différer, selon que la délimitation concerne la mer territoriale ou d’autres zones maritimes au-delà de celle-ci»105.
21. [Projection no 3] De même, dans l’arbitrage Bangladesh/Inde, le Bangladesh demandait l’ajustement de la ligne d’équidistance dans sa mer territoriale en invoquant la concavité du littoral de la baie du Bengale. Le tribunal constitué en vertu de l’annexe VII de la CNUDM a considéré que la concavité dudit littoral ne justifiait pas un ajustement de la ligne d’équidistance dans la mer territoriale106, tout en concluant à la nécessité d’un ajustement de cette même ligne aux fins de la délimitation de la ZEE et du plateau continental107. Vous voyez sur vos écrans la ligne de délimitation définitive établie pour la mer territoriale et au-delà, mais la délimitation de la mer territoriale, elle, repose sur une ligne d’équidistance stricte. Cette approche différenciée découle de la primauté de la méthode de l’équidistance pour délimiter la mer territoriale et du fait que la concavité du littoral n’avait guère d’incidence sur la mer territoriale en l’espèce [fin de la projection no 3].
22. Cinquièmement, en l’absence de circonstances spéciales, le tracé d’une ligne d’équidistance représente une solution équitable en matière de délimitation de la mer territoriale, en tant qu’il permet aux deux Etats en présence de jouir pleinement et sur un pied d’égalité de leurs droits souverains sur celle-ci. La souveraineté d’un Etat côtier sur la mer territoriale se distingue de sa juridiction et de ses droits fonctionnels à l’égard de la ZEE et du plateau continental. En cas d’ajustement d’une ligne d’équidistance, la mer territoriale d’un Etat est en réalité amputée au profit de la ZEE de l’autre Etat. Comme l’a observé le TIDM en l’affaire Bangladesh/Myanmar, cela «reviendrait à accorder davantage de poids aux droits souverains et à la juridiction [d’un Etat]
104 TIDM, Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, 14 mars 2012, par. 318-319.
105 Ibid., par. 148.
106 Tribunal constitué en vertu de l’annexe VII de la CNUDM, Arbitrage entre le Bangladesh et l’Inde concernant la délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Inde), sentence, 7 juillet 2014, par. 272.
107 Ibid., par. 406-421.
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dans sa zone économique exclusive et sur son plateau continental qu’à la souveraineté [d’un autre Etat] sur sa mer territoriale»108. MM. Wordsworth et Lathrop reviendront sur ce point lorsqu’ils traiteront la question des prétentions du Nicaragua relatives aux délimitations de la mer territoriale en la présente espèce.
23. Sixièmement, et je finirai là-dessus, j’ai indiqué au début de mon intervention que lorsque la Cour avait jugé nécessaire de s’écarter de la méthode de l’équidistance en raison de circonstances spéciales, elle avait alors employé une autre méthode de délimitation ou ajusté la ligne d’équidistance109. Le Nicaragua le souligne dans une note de bas de page de son contre-mémoire, lorsqu’il plaide en faveur de la convergence dans la délimitation des zones maritimes110. Ce point n’est pas développé dans les écritures du Nicaragua mais il le sera peut-être cette semaine lors des plaidoiries. En tout état de cause, il est très difficile de voir en quoi cela pourrait aider le Nicaragua à vous convaincre de prendre en considération le tracé anticipé de la ligne d’équidistance provisoire au-delà de la mer territoriale lors de la délimitation de celle-ci.
The PRESIDENT : Ms Parlett, my apologies for interrupting you. I think the time has come to take the usual 15-minute break. You may continue your presentation after the break. The hearing is suspended.
The Court adjourned from 11.30 a.m. to 11.50 a.m.
The PRESIDENT : Please be seated. Ms Parlett, you have the floor to continue your presentation.
Mme PARLETT : Je vous remercie, Monsieur le président.
2) Détermination des côtes et de la zone pertinentes
24. Vous ayant entretenu du premier point de désaccord entre les Parties, à savoir la primauté de la ligne d’équidistance dans la mer territoriale, j’en viens à présent à la deuxième question de
108 TIDM, Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, 14 mars 2012, par. 169.
109 Voir, par exemple, Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahrein (Qatar c. Bahrein), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 94, par. 176.
110 Délimitation maritime, CMN, p.29, note 59.
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principe sur laquelle les Parties sont en désaccord, à savoir la détermination des côtes pertinentes des deux Etats et de la zone pertinente. Les rapports entre ces côtes et cette zone interviennent lors de la troisième étape de la méthode de référence afin d’éviter que la ligne de délimitation définitive ne crée une disproportion marquée.
25. Les Parties conviennent que la côte pertinente est celle qui génère des projections se chevauchant et que celles-ci servent à définir la zone pertinente111. La Cour l’a clairement précisé en l’affaire de la mer Noire112.
26. En ce qui concerne la détermination des côtes et de la zone pertinentes, les Parties sont en désaccord sur deux points, que je vais traiter successivement.
a) Premièrement, pour ce qui est de la zone pertinente, les Parties ont des vues différentes sur la manière dont il convient de déterminer les projections qui se chevauchent et, plus précisément, sur la question de savoir si ces projections ne peuvent être que frontales, et non radiales. Le Costa Rica soutient que les projections radiales sont appropriées, tandis que le Nicaragua argue que seules des projections «frontales» unidirectionnelles devraient être employées113.
b) Deuxièmement, pour ce qui est de la côte pertinente, les Parties disconviennent des conditions dans lesquelles certaines parties de la côte d’un Etat doivent être exclues au motif qu’elles sont dénuées de pertinence.
27. Je tiens d’emblée à souligner que les «caprices» de la détermination des côtes et de la zone pertinentes ont été commentés dans la jurisprudence114 et que cet exercice peut supposer une certaine «marge d’appréciation»115. Cela n’est guère surprenant, étant donné que les rapports entre les côtes et la zone pertinentes sont des facteurs devant être pris en compte lors de la troisième
111 Délimitation maritime, MCR, par. 3.3 ; CMN, par. 2.15.
112 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 96-97, par. 99 ; voir également p. 89, par. 77 ; et Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1982, p. 61, par. 75.
113 Délimitation maritime, CMN, par. 2.17.
114 Arbitrage entre la province de Terre-Neuve et du Labrador et la province de la Nouvelle-Ecosse concernant certaines parties des limites de leurs zones extracôtières au sens de la Loi de mise en oeuvre de l’accord Canada  Nouvelle-Ecosse sur les hydrocarbures extracôtiers et de la Loi de mise en oeuvre de l’accord Atlantique Canada  Terre-Neuve : sentence rendue par le tribunal d’arbitrage au terme de la deuxième phase, 26 mars 2002, accessible à l’adresse suivante : http://www.unb.ca/fredericton/law/library/_resources/pdf/legal-material… phaseii_award_french_1__opt.pdf.
115 Tribunal constitué en vertu de l’annexe VII de la CNUDM, Arbitrage entre le Bangladesh et l’Inde concernant la délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Inde), sentence, 7 juillet 2014, par. 302.
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étape, qui vise à prévenir toute disproportion marquée, et force est de constater que, jusqu’à présent, ni la Cour ni aucun autre tribunal international n’a accepté d’ajuster une ligne de délimitation sur la base d’une disproportion perçue à ce stade. En l’espèce, aucune des deux Parties ne sollicite un ajustement fondé sur une disproportion entre les zones pertinentes ou entre leurs côtes pertinentes. Néanmoins, cette vérification fait désormais partie intégrante de l’opération de délimitation d’une ZEE ou d’un plateau continental, et je préciserai par conséquent pourquoi l’approche prônée par le Costa Rica en matière de côtes et de zone pertinentes est préférable à celle défendue par le Nicaragua.
i) Utilisation d’une projection radiale pour déterminer la zone pertinente
28. Le Costa Rica recourt à une projection radiale pour déterminer la zone pertinente de chevauchement des droits. Non seulement cette approche est conforme à la jurisprudence et à la pratique pertinentes, mais deux considérations de nature très concrète conduisent à considérer le recours à une telle projection comme la meilleure méthode pour déterminer la zone pertinente.
29. Premièrement, il y a lieu de rechercher où se chevauchent les «droits» des deux Etats. Pour ce faire, il est essentiel de déterminer les limites extérieures des zones sur lesquelles ceux-ci revendiquent des «droits». Ces limites, fondées sur la distance, des zones prévues par le droit de la mer sont toutes mesurées à l’aide de la méthode des arcs de cercle ou de l’«enveloppe d’arcs», les zones en question étant générées par les projections radiales de territoires côtiers : cette approche était énoncée à l’article 6 de la convention sur la mer territoriale et la zone contiguë signée à Genève en 1958116 ; elle trouve aujourd’hui son expression à l’article 4 de la CNUDM117. [Projection no 4] Les limites extérieures des zones maritimes du Pérou et du Chili étaient représentées sur le croquis joint à l’arrêt de la Cour telles que mesurées au moyen d’une enveloppe d’arcs118.
30. Vous voyez à présent à l’écran le littoral simplifié d’un Etat fictif. Les limites de la ZEE et du plateau continental de 200 milles marins de cet Etat, mesurées à l’aide d’une enveloppe
116 Convention sur la mer territoriale et la zone contiguë, signée à Genève le 29 avril 1958 (entrée en vigueur le 10 septembre 1964), Nations Unies, Recueil des traités, vol. 516, article 6, p. 205.
117 CNUDM, art. 4.
118 Différend maritime (Pérou c. Chili), arrêt, C.I.J. Recueil 2014, p. 70, croquis no 4.
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d’arcs, s’affichent maintenant. La zone en surbrillance représente les droits maritimes auxquels l’Etat peut prétendre. Si l’on utilisait une projection frontale au lieu d’une projection radiale, la zone projetée ne couvrirait pas l’intégralité de ces droits. La Cour s’attachant à rechercher la zone de chevauchement des droits, il s’ensuit que la zone pertinente devrait être déterminée de la même manière que les limites extérieures des zones sur lesquelles les Etats peuvent revendiquer ces droits, ce qui impose le recours à une projection radiale. Si les limites extérieures étaient définies à l’aide d’une projection frontale unidirectionnelle, ce qui n’est pas le cas mais semble découler de l’approche préconisée par le Nicaragua en l’espèce, ces limites extérieures suivraient un tracé parallèle à la côte. Cette méthode, un temps privilégiée mais aujourd’hui tombée en désuétude, aboutit à des limites extérieures différentes de celles obtenues par le recours à une enveloppe d’arcs. Pour déterminer correctement la zone de chevauchement des droits, il convient de suivre la même méthode que pour mesurer les limites extérieures, ce qui exige de se servir de projections radiales.
31. Une seconde considération pratique plaide également en faveur du recours à de telles projections.
a) [Projection no 5] Vous voyez maintenant à l’écran les côtes adjacentes de deux Etats fictifs, alignées en ligne droite. La projection radiale, pour chacune des côtes, permet de déterminer la zone pertinente où les droits des deux Etats se chevauchent. En revanche, si l’on utilise uniquement une projection frontale dans les deux cas, on n’obtient ni zone de chevauchement des droits ni zone pertinente. Ce résultat ne peut être correct — il signifierait que les Etats dans cette configuration n’auraient jamais de zones maritimes à délimiter, ce qui est illogique. Seule une projection radiale permet de déterminer une éventuelle zone pertinente.
b) [Projection no 6] Vous voyez maintenant à l’écran les côtes de deux Etats qui sont adjacentes et légèrement convexes. Là encore, la projection radiale permet de déterminer les droits de chacun des Etats, ainsi que la zone où ils se chevauchent, c’est-à-dire la zone pertinente. Si l’on n’utilisait qu’une projection frontale, il n’y aurait ni zone de chevauchement des droits ni zone pertinente, ce qui ne peut être correct.
c) [Projection no 7] Une troisième configuration, à présent sur vos écrans, est celle d’Etats dont les côtes adjacentes sont légèrement concaves. Dans ce cas de figure, le recours à une projection
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radiale permet de déterminer la zone pertinente, celle où leurs droits se chevauchent. Si l’on se sert ici d’une projection frontale, l’on obtient bien une zone de chevauchement des droits mais, comme vous pouvez le voir, cette zone est nettement plus petite et ne s’étend pas jusqu’à la limite extérieure des zones sur lesquelles les deux Etats revendiquent des droits.
32. Ce qu’il faut retenir à cet égard, c’est que l’approche de la projection frontale signifie qu’il ne peut y avoir une zone pertinente que dans le cas d’Etats dont les côtes sont adjacentes et présentent une certaine concavité. Voici ce qui ressort de l’approche préconisée par le Nicaragua relativement à la zone pertinente. Cela n’a pas de sens. La zone pertinente doit être mesurée au moyen d’une projection radiale, faute de quoi il serait souvent impossible de la déterminer, ne serait-ce que partiellement.
33. Le recours à une projection radiale pour définir la zone pertinente est également compatible avec les sources faisant autorité. Il y a vingt-cinq ans environ, avant que la méthode en trois étapes de délimitation des frontières maritimes ne fût pleinement développée, la majorité du tribunal arbitral constitué en l’affaire Saint-Pierre-et-Miquelon avait admis la projection frontale des côtes. Cette approche a débouché, pour Saint-Pierre-et-Miquelon, sur la projection d’un couloir de la même largeur que l’ouverture côtière de ces deux îles119. Se référant à la jurisprudence de la Cour, M. Prosper Weil a présenté une opinion dissidente dans laquelle il a relevé qu’«[u]ne projection maritime définie par une certaine distance de la côte ne s’effectu[ait] pas seulement dans une direction perpendiculaire à la direction générale du littoral», mais «irradi[ait] dans toutes les directions, créant une enveloppe océanique autour de la façade côtière. En un mot, elle [était] radiale»120. Il a ajouté que «[l]a projection frontale [était] condamnée par la pratique des Etats en ce qui concern[ait] tant la fixation des limites extérieures que la délimitation entre Etats voisins», faisant observer que celles-ci étaient effectuées à l’aide de la méthode des «arcs de cercle», fondée sur la projection radiale, et non de la technique obsolète du tracé parallèle121.
119 Affaire de la Délimitation des espaces maritimes entre le Canada et la République française, décision du 10 juin 1992, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. XXI, p. 290, par. 71.
120 Ibid., opinion dissidente de M. Prosper Weil, p. 305, par. 11.
121 Affaire de la Délimitation des espaces maritimes entre le Canada et la République française, décision du 10 juin 1992, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. XXI, opinion dissidente de M. Prosper Weil, p. 305, par. 12. Voir également P. Weil, The Law of Maritime Delimitation — Reflections (1989), p. 69.
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34. Dans des affaires plus récentes, le recours à la projection radiale a été explicitement reconnu comme la méthode appropriée pour définir la zone pertinente. [Projection no 8] Dans l’arbitrage Bangladesh/Inde, le tribunal constitué en application de l’annexe VII de la CNUDM a ainsi approuvé l’emploi d’une telle projection pour la détermination des côtes et de la zone pertinentes. Se référant à une décision antérieure de l’éminent tribunal arbitral constitué en l’affaire Barbade/Trinité-et-Tobago122, il a relevé ceci :
«Pour établir la projection générée par la côte d’un Etat, le Tribunal considère que, «ce qui importe, c’est la question de savoir si [les façades côtières] sont dans leur ensemble contiguës à la zone contestée par une présence radiale ou directionnelle pertinente aux fins de la délimitation».»123 [Traduction du Greffe.]
Dans cette affaire, la zone pertinente a été définie par une projection radiale, que vous pouvez voir, surlignée en rouge, sur la carte no 4 de la sentence du Tribunal.
35. Comme le fait observer le Nicaragua124, le Tribunal a tenu compte d’une portion de la côte septentrionale des îles Andaman appartenant à l’Inde — elle apparaît en orange sur ce croquis —, mais pas de la partie méridionale de ces îles125. La raison de ce choix était clairement précisée : les côtes exclues «sont situées trop au sud pour pouvoir être considérées de manière équitable comme générant des projections qui chevauchent celles de la côte du Bangladesh»126 [traduction du Greffe]. De fait, elles se trouvent à bien plus de 400 milles marins du point le plus proche de la côte bangladaise. Le Nicaragua n’admet pas cette raison et insinue qu’en réalité les côtes auraient été exclues du fait de l’adoption, par le Tribunal, de l’approche de la projection frontale127. Or, rien dans la sentence ne vient étayer cette théorie. Au contraire, le Tribunal a explicitement adopté une projection radiale, tout en faisant observer qu’il se réservait une «marge
122 Arbitrage entre la Barbade et la République de Trinité-et-Tobago, relatif à la délimitation de la zone économique exclusive et du plateau continental entre ces deux pays, décision, 11 avril 2006, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. XXVII, p. 235, par. 329 et 331 ; voir également p. 233, par. 321.
123 Tribunal constitué en application de l’annexe VII de la CNUDM, Arbitrage entre le Bangladesh et l’Inde concernant la délimitation de la frontière maritime du golfe du Bengale(Bangladesh/Inde), sentence, 7 juillet 2014, par. 300 (références omises).
124 Délimitation maritime, CMN, par. 2.34.
125 Tribunal constitué en application de l’annexe VII de la CNUDM, Arbitrage entre le Bangladesh et l’Inde concernant la délimitation de la frontière maritime du golfe du Bengale (Bangladesh/Inde), sentence, 7 juillet 2014, par. 302, et p. 89, carte no 4.
126 Ibid., par. 304.
127 Délimitation maritime, CMN, par. 2.34.
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d’appréciation pour déterminer les projections générées par un segment du littoral»128 [traduction du Greffe]. Le Nicaragua tente de réécrire le raisonnement du Tribunal en renvoyant à cette carte de la zone pertinente totale pour étayer son affirmation selon laquelle ce dernier aurait appliqué la théorie de la projection frontale. La carte en question ne lui vient toutefois pas en aide ; elle montre clairement, ce qui ressort d’ailleurs de la sentence elle-même, que le Tribunal a recouru à une projection radiale pour déterminer la zone pertinente générée par les côtes continentales [fin de la projection no 8].
36. En ce qui concerne les îles, je ferai observer que l’approche correcte est celle suivie par la Cour dans l’affaire Nicaragua c. Colombie, en laquelle elle a inclus dans la zone pertinente une projection radiale générée par les côtes des îles de San Andres et de Providencia129.
37. Puisque j’évoque l’argumentation du Nicaragua relative à la projection frontale, je souhaite relever que, selon cet Etat, l’emploi de lignes perpendiculaires en tant que limites latérales de la zone pertinente confirmerait la nécessité de recourir à une projection frontale plutôt que radiale130. Le Costa Rica reconnaît que ces lignes sont d’usage courant ; en effet, il a lui-même proposé d’utiliser une perpendiculaire à la ligne de fermeture du golfe de Fonseca pour délimiter la zone pertinente du Nicaragua dans le Pacifique131. [Projection no 9] Il s’agit là d’une approche pragmatique visant à exclure des zones sur lesquelles des Etats tiers ont des intérêts ou des «droits potentiels»132. En l’espèce, le recours à une perpendiculaire comme limite septentrionale de la zone pertinente du Nicaragua profiterait en réalité à celui-ci lors de la vérification de l’absence de disproportion, puisque autrement sa zone pertinente serait générée par une projection radiale au nord de la perpendiculaire. Cette solution lui permettrait donc de se voir attribuer une plus grande proportion de la zone où se chevauchent les droits. L’utilisation de perpendiculaires en tant que limites raisonnables de la zone pertinente n’a toutefois aucune incidence sur la méthode à suivre
128 Tribunal constitué en application de l’annexe VII de la CNUDM, Arbitrage entre le Bangladesh et l’Inde concernant la délimitation de la frontière maritime du golfe du Bengale(Bangladesh/Inde), sentence, 7 juillet 2014, par. 302. Voir également l’affaire du Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 747, par. 289.
129 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 679-680, par. 151.
130 Délimitation maritime, CMN, par. 2.31-2.32.
131 Ibid., MCR, par. 3.12.
132 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 685-686, par. 163.
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pour mesurer la projection côtière. Pour les raisons que j’ai exposées, les sources faisant autorité montrent qu’il y a lieu de recourir à une projection radiale pour déterminer la zone pertinente, ce qui est du reste conforme à la manière dont les Etats mesurent les limites extérieures de leurs zones maritimes : en se servant d’une enveloppe d’arcs [fin de la projection no 9].
38. Enfin, une fois la zone pertinente déterminée à l’aide de projections radiales, il est nécessaire d’exclure les espaces sur lesquels une partie n’a aucun droit, «soit parce qu’elle a conclu un accord avec un Etat tiers, soit parce que l’espace en question est situé au-delà d’une frontière fixée par voie judiciaire entre elle et un Etat tiers»133. [Projection no 10] C’est ce qu’a récemment fait la Cour en l’affaire Nicaragua c. Colombie, entraînant l’exclusion de zones situées au nord de la frontière entre le Nicaragua et le Honduras, ainsi que du côté panaméen de la frontière avec la Colombie, par exemple. En l’espèce, cela a pour effet d’écarter des zones situées du côté colombien de la frontière délimitée par la Cour en 2012, ainsi que M. Lathrop l’exposera demain [fin de la projection no 10].
ii) Détermination de la côte pertinente
39. Voilà qui m’amène à la question de la côte pertinente. En principe, toute côte d’une partie générant des droits qui se chevauchent — par l’intermédiaire d’une projection radiale — devrait être prise en compte en tant que portion de la côte pertinente. Comme dans le cas de la zone pertinente, le rapport entre les longueurs de côtes pertinentes est utilisé aux fins d’évaluer l’existence d’une disproportion marquée lors de la dernière étape de la délimitation de la ZEE et du plateau continental.
40. Il y a trois raisons de considérer que certaines côtes ne font pas partie des côtes pertinentes d’une partie, et toutes trois trouvent à s’appliquer en l’espèce.
41. La première est que des segments de côte d’un Etat se font face. [Projection no 11] A titre d’exemple, la Cour a exclu, en l’affaire de la mer Noire, les côtes du golfe de Karkinits’ka au motif qu’elles «se f[aisaient] face et [que] leur prolongement ne p[ouvait] rencontrer celui de la côte roumaine»134. Pareilles côtes doivent être distinguées d’indentations côtières moins prononcées
133 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 685-686, par. 163.
134 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 97, par. 100.
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telles que celles formées par le golfe de Kalamits’ka135 appartenant à l’Ukraine, incluses dans la côte pertinente aux fins de la délimitation avec la Roumanie, et par l’estuaire du fleuve Meghna appartenant au Bangladesh136 [projection no 12], inclus dans les côtes pertinentes aux fins tant de la délimitation avec le Myanmar [projection no 13] que de la délimitation avec l’Inde137.
42. La deuxième raison d’exclure une côte pour défaut de pertinence est que celle-ci fait face à un Etat tiers. C’est ce qui ressort d’une décision rendue par la Cour en l’affaire Cameroun c. Nigéria. [Projection no 13] Dans cette affaire, le Cameroun affirmait que l’intégralité de son littoral devait être considérée comme pertinente aux fins de la délimitation entre lui-même et le Nigéria, mais la Cour a estimé que la portion de sa côte qui faisait face à Bioko  île appartenant à un Etat tiers, à savoir la Guinée équatoriale  ne pouvait l’être138. Il s’est ensuivi que près de trois quarts de la côte camerounaise ont été exclus de la côte pertinente aux fins de la délimitation avec le Nigéria.
43. La troisième et dernière raison justifiant de déclarer une côte non pertinente et de l’exclure est que celle-ci tourne entièrement le dos à la zone de chevauchement des droits potentiels. [Projection no 14] En l’affaire Nicaragua c. Colombie, la Cour a ainsi exclu le «court segment côtier situé à proximité de Punta de Perlas, qui [était] orienté plein sud et ne se projet[ait] donc pas dans la zone de chevauchement potentielle»139. Comme on peut le voir sur le croquis joint à l’arrêt de la Cour qui apparaît maintenant à l’écran, cette petite portion de la côte tourne entièrement — et non pas juste légèrement — le dos à la zone devant être délimitée. D’autres portions de la côte du Nicaragua qui ne faisaient pas tout à fait face à la zone à délimiter n’ont pas été exclues, notamment une partie de sa côte continentale située au nord des cayes des Miskitos et une partie de sa côte continentale orientée vers le sud et située au-dessous de Punta del Mono.
135 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 95-96, par. 94, et croquis n° 4.
136 TIDM, Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, 14 mars 2012, par. 200.
137 Tribunal constitué en application de l’annexe VII de la CNUDM, Arbitrage entre le Bangladesh et l’Inde concernant la délimitation de la frontière maritime du golfe du Bengale, sentence, 7 juillet 2014, carte n° 4, p. 89.
138 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 442-443, par. 291.
139 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 678, par. 145.
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44. [Projection no 15] Un dernier point est à relever en ce qui concerne l’exclusion de la côte pertinente : même si certaines portions de la côte d’un Etat sont écartées pour défaut de pertinence, les eaux situées devant cette dernière peuvent toujours être considérées comme faisant partie de la zone pertinente, car elles sont incluses dans la projection radiale d’autres portions pertinentes de la côte. L’exclusion du segment côtier orienté vers le sud et situé à proximité de Punta de Perlas en l’affaire Nicaragua c. Colombie n’a pas entraîné celle des eaux qui se trouvaient devant la côte en question, ce qui est totalement conforme à l’approche que le Costa Rica propose de suivre pour mesurer la zone pertinente en l’espèce [fin de la projection no 15].
3) Les circonstances pertinentes
45. J’en arrive à présent au dernier point de droit applicable qui oppose les Parties, à savoir l’importance des «circonstances pertinentes». Celles-ci peuvent appeler un ajustement de la ligne d’équidistance provisoire dans le cadre de la délimitation de la ZEE et du plateau continental, à la deuxième étape de la méthode de référence de la Cour140. La jurisprudence montre que pareilles circonstances sont l’exception et non la règle.
46. Conformément à cette méthode, le Costa Rica a proposé un ajustement de la ligne d’équidistance dans la mer des Caraïbes, afin d’éviter le résultat inéquitable auquel aboutirait l’amputation résultant de la concavité des côtes des trois états du sud-ouest des Caraïbes, associée à une délimitation hypothétique avec un Etat tiers, le Panama. Le Nicaragua, au contraire, cherche à invoquer divers facteurs constituant, selon lui, des «circonstances pertinentes» tant du côté Pacifique que du côté caraïbe. Ces éléments seront traités successivement par M. Wordsworth et M. Kohen, mais je souhaiterais auparavant formuler quelques observations générales.
47. Premièrement, les «circonstances pertinentes», dans le cadre de la délimitation de ZEE ou de plateaux continentaux, découlent presque toujours de caractéristiques géographiques141.
140 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 696, par. 192. Voir aussi Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 101, par. 120 et p. 112, par. 155 ; et TIDM, Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, 14 mars 2012, par. 233 et 275.
141 S. Fietta et R. Cleverly, A Practitioner’s Guide to Maritime Boundary Delimitation (2016), p. 67 ; Y. Tanaka, «Article 74» in Proelss, UNCLOS, 1ère édition (2017), p. 575-576, par 24 ; M.D. Evans, Relevant Circumstances and Maritime Delimitation (1989), p. 119-121.
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48. Deuxièmement, les formations non essentielles, telles que les petites îles, peuvent avoir un effet disproportionné ou un effet de distorsion sur la délimitation. Il y a deux façons de régler ce problème. Ces formations peuvent être ignorées lorsque la ligne d’équidistance provisoire est tracée, à la première étape de la méthode de référence (comme l’a fait le Costa Rica en l’espèce pour délimiter la ZEE et le plateau continental dans la mer des Caraïbes). L’autre possibilité consiste à prendre ces formations en considération pour tracer la ligne d’équidistance provisoire, puis à les écarter à la deuxième étape, car elles engendrent des circonstances pertinentes justifiant l’ajustement de cette ligne d’équidistance provisoire. J’ai fait référence tout à l’heure à l’île Saint-Martin dont le TIDM avait fait abstraction aux fins de la délimitation de la ZEE et du plateau continental, au motif qu’en raison de sa localisation, lui donner plein effet «produirait une ligne qui bloquerait la projection de la côte du Myanmar vers le large de telle manière qu’il en résulterait une distorsion injustifiée de la ligne de délimitation»142. Dans l’affaire Qatar c. Bahreïn, la Cour a fait abstraction d’une petite formation située au nord du Bahreïn, Fasht al Jarim, considérant que celle-ci était «un saillant de la côte de Bahreïn s’avançant loin» qui, s’il lui était reconnu plein effet, «[ferait] dévier la limite et produir[ait] des effets disproportionnés»143. De la même manière, dans l’affaire de la mer Noire, la Cour n’a pas tenu compte de l’île des Serpents aux fins de la délimitation au-delà de la mer territoriale, car considérer cette île «comme une partie pertinente du littoral reviendrait à greffer un élément étranger sur la côte ukrainienne ; c’est-à-dire à refaçonner, par voie judiciaire, la géographie physique, ce que ni le droit ni la pratique en matière de délimitation maritime n’autorisent»144.
49. S’il y a plusieurs exemples d’îles auxquelles il n’a été donné qu’un effet partiel, il n’en existe aucun concernant une péninsule. En effet, on ne saurait simplement ignorer des formations qui font partie de la côte ni refaçonner la géographie côtière existante, comme la Cour l’a dit en les
142 TIDM, Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, 14 mars 2012, par. 318.
143 Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 114-115, par. 247, citant l’affaire du Plateau continental (France/Royaume-Uni), Nations Unies, RSA, vol. XVIII, p. 114, par. 244.
144 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 110, par. 149. Voir aussi p. 123, par. 188.
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affaires du Plateau continental : «il n’est jamais question de refaire la nature entièrement»145. Dans l’affaire de la Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine, le Canada avait cherché à faire valoir que la péninsule de Cape Cod devait être ignorée dans la délimitation «parce qu[’elle] forma[i]t une saillie sur la côte du Massachusetts»146. La Chambre avait rejeté cet argument, concluant qu’on ne saurait se contenter de faire abstraction d’une péninsule «aussi importante». Elle avait souligné que «les faits géographiques ne sont pas le produit d’une activité humaine passible d’un jugement positif ou négatif, mais le résultat de phénomènes naturels et [qu’ils] ne peuvent donc qu’être constatés tels qu’ils sont»147.
50. Troisièmement  et c’est là un autre point sur lequel les deux Parties s’entendent , l’amputation qui résulte de la concavité de la côte pourrait être une circonstance pertinente appelant un ajustement de la ligne d’équidistance afin de parvenir à un résultat équitable.
51. [Projection no 16] La notion d’amputation résultant de la concavité de la côte a été énoncée pour la première fois dans les affaires du Plateau continental, dans lesquelles l’Allemagne se trouvait au fond d’une concavité côtière, enserrée entre les côtes adjacentes du Danemark au nord (Etat A) et celles des Pays-Bas (Etat C) à l’ouest148. Cette situation est celle qui se rapproche le plus de celle de l’Etat B qu’illustre le croquis no 1 en haut à gauche qui figure dans l’arrêt de la Cour et que vous pouvez à présent voir à l’écran. La Cour a souligné que, «[d]ans le cas d’une côte concave ou rentrante»  comme celle de l’Allemagne dans la mer du Nord , «l’application de la méthode de l’équidistance tend à infléchir les lignes de délimitation vers la concavité»149. Elle a relevé que, lorsque la concavité est prononcée, et que «deux lignes d’équidistance sont tracées à partir d’une côte … , elles se rencontrent inévitablement à une distance relativement faible de la côte», ce qui a pour effet d’««ampute[r]» l’Etat riverain des zones de plateau continental situées en
145 Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark ; République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 49, par. 91.
146 Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique),arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 271, par. 37.
147 Ibid.
148 Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark ; République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 17, par. 8, et croquis reproduit à la p. 16 de l’arrêt.
149 Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark ; République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 17, par. 8.
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dehors du triangle»150. La Cour a fait observer que cette situation n’apparaissait qu’en présence de trois Etats et de deux frontières maritimes. Considérant séparément chacune des deux frontières, elle a souligné que «ce résultat n’était pas attribuable à l’une ou l’autre des lignes prise isolément, mais à l’effet combiné des deux lignes prises ensemble»151, ajoutant ceci : «l’on doit constater que, si deux délimitations distinctes sont en cause, elles concernent  on peut même dire qu’elles créent  une situation unique»152. Elle a également mis l’accent sur le fait que, en pareille configuration, c’est-à-dire lorsqu’il y a concavité côtière et présence de trois Etats,
«l’emploi de la méthode de l’équidistance aurait souvent pour résultat d’attribuer à un Etat des zones prolongeant naturellement le territoire d’un autre Etat lorsque la configuration côtière du premier fait dévier latéralement la ligne d’équidistance et ampute le second de zones situées juste devant sa façade maritime»153.
52. [Projection no 17] Sur la base de l’arrêt rendu par la Cour, les trois Etats ont négocié, par voie d’accord, des lignes d’équidistance ajustées afin de parvenir à une solution équitable à l’amputation que connaissait l’Allemagne du fait de la concavité. Sur le croquis à l’écran vous pouvez voir, en rouge, les lignes d’équidistance non ajustées et inéquitables, et en noir, les lignes équitables ajustées que les parties ont négociées154.
53. La notion d’amputation telle qu’énoncée dans les affaires du Plateau continental continue de guider les décisions rendues par la Cour et les tribunaux internationaux dans les affaires de délimitation maritime. Je me bornerai à faire référence à deux décisions récentes concernant toutes deux un Etat enserré, dans une configuration alliant concavité côtière et présence de trois Etats, et dans le cadre desquelles il était nécessaire de procéder à un ajustement afin d’éviter un effet inéquitable d’amputation pour l’Etat enserré.
a) [Projection no 18] La première de ces décisions est celle rendue en l’arbitrage Bangladesh/Myanmar, dans lequel le TIDM a ajusté la ligne d’équidistance provisoire délimitant la ZEE et le plateau continental pour tenir compte de la concavité des côtes du
150 Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark ; République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 17, par. 8.
151 Ibid., par. 7.
152 Ibid., p. 19, par. 11.
153 Ibid., p. 31, par. 44.
154 Délimitation maritime, MCR, fig. 4.11.
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Bangladesh, enserré entre le Myanmar et l’Inde155. A droite sur le croquis à l’écran, vous pouvez voir, en rouge, la ligne d’équidistance non ajustée pour la ZEE et le plateau continental entre le Bangladesh et le Myanmar, et en noir, la ligne équitable ajustée que le tribunal a tracée156.
b) La seconde décision est celle qu’a rendue le tribunal constitué en application de l’annexe VII de la CNUDM en en l’arbitrage Bangladesh/Inde, dans lequel il a été considéré que
«l’amputation produite par une ligne d’équidistance provisoire doit remplir deux conditions pour justifier un ajustement … D’une part, la ligne doit empêcher un Etat côtier d’étendre sa frontière maritime aussi loin vers le large que le lui permet le droit international. D’autre part, il faut que cette ligne — si elle n’est pas ajustée — ne permette en aucun cas d’aboutir à la solution équitable exigée aux articles 74 et 83 de la convention.»157 [Traduction du Greffe.]
Le tribunal a ensuite ajusté la ligne d’équidistance provisoire en faveur du Bangladesh afin d’éviter tout effet inéquitable compte tenu de la concavité des côtes bangladaises. A gauche sur le croquis à l’écran, vous pouvez voir, en rouge, la ligne d’équidistance non ajustée entre le Bangladesh et l’Inde, et en noir, la ligne équitable ajustée [fin de la projection no 18].
54. Dans ces affaires, l’application de l’équidistance à une configuration alliant concavité côtière et présence de trois états a débouché sur une ligne jugée inéquitable. L’effet d’amputation s’est produit lorsque la concavité et l’équidistance ont été combinées à un autre élément : la présence d’un Etat tiers. Ces trois éléments étaient réunis dans les affaires du Plateau continental, dans l’arbitrage Bangladesh/Myanmar et dans l’arbitrage Bangladesh/Inde, et leur association a créé un effet d’amputation suffisamment important pour être considéré comme une circonstance pertinente au regard de l’Etat situé au fond de la concavité et nécessitant un ajustement de la ligne d’équidistance provisoire en faveur de celui-ci. Comme mes collègues vous l’expliqueront, telle est également la situation dans laquelle se trouve le Costa Rica dans le sud-ouest des Caraïbes, alors que ce n’est le cas du Nicaragua ni dans les Caraïbes, ni dans le Pacifique.
155 TIDM, Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, 14 mars 2012, par. 292 et 297.
156 Délimitation maritime, MCR, fig. 4.12.
157 Tribunal constitué en application de l’annexe VII de la CNUDM, Arbitrage entre le Bangladesh et l’Inde concernant la délimitation de la frontière maritime du golfe du Bengale (Bangladesh/Inde), sentence, 7 juillet 2014, par. 417.
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55. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ainsi s’achève mon exposé sur le droit applicable pertinent. Je vous remercie de votre aimable attention et vous prie de bien vouloir donner la parole à M. Wordsworth, qui traitera la question de la délimitation de la frontière maritime dans l’océan Pacifique.
The PRESIDENT : Thank you. I now give the floor to Mr. Wordsworth.
M. WORDSWORTH :
LA DÉLIMITATION DANS L’OCÉAN PACIFIQUE
A. Introduction
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un privilège que de paraître devant vous, et d’avoir été chargé par le Costa Rica d’exposer sa position sur la délimitation de la frontière maritime dans l’océan Pacifique.
2. Comme M. Ugalde vous l’a déjà dit, le Costa Rica demande le tracé d’une ligne d’équidistance pour délimiter les espaces maritimes du Pacifique qui sont en litige devant vous. Il s’agit de la délimitation qui s’impose –– et ce, de toute évidence –– lorsque l’on applique les principes bien connus que Mme Parlett vient de passer en revue.
3. J’entrerai sans plus attendre dans le vif du sujet, en m’intéressant tout d’abord aux côtes et à la zone pertinentes.
B. La délimitation proposée par le Costa Rica
1) Les côtes et la zone pertinentes
4. La Cour doit tout d’abord déterminer quelles portions de la côte costa-ricienne «gén[èrent] des projections qui chevauchent celles de la côte de la partie adverse»158 –– à savoir, bien entendu, le Nicaragua.
5. Le croquis à l’écran montre la configuration naturelle des côtes. La côte pertinente du Costa Rica débute au milieu de la ligne de fermeture de la baie de Salinas et descend jusqu’à Punta Salsipuedes ; elle mesure quelque 670 kilomètres si l’on tient compte de toutes ses anfractuosités
158 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 96-97, par. 99 ; voir également p. 89, par. 77.
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naturelles. Calculée sur la même base, la longueur de la côte pertinente nicaraguayenne est de 345 kilomètres, ce qui donne un rapport de 1,9 pour 1.
6. Comme vous pouvez le constater à l’écran, ce rapport est ramené à 1,4 pour 1 lorsque des lignes droites sont utilisées pour définir approximativement les côtes pertinentes, méthode de prédilection de la Cour et d’autres juridictions internationales159 ; c’est en me référant à ce croquis que j’exposerai la position du Costa Rica au sujet des côtes pertinentes et, même de la zone pertinente. J’ai trois brèves observations à formuler ici :
a) tout d’abord, c’est la côte costa-ricienne qui descend jusqu’à Punta Salsipuedes, dans la péninsule d’Osa, qui génère des projections chevauchant celles de la côte pacifique du Nicaragua : les projections radiales apparaissent à présent sur vos écrans.
b) Ensuite, conformément aux décisions rendues dans les affaires Roumanie c. Ukraine, Bangladesh/Myanmar et Nicaragua c. Colombie160, les portions de côte d’un Etat qui se font face ou se projettent totalement en dehors de la zone à délimiter n’ont pas à être prises en considération. En l’espèce, il s’ensuit que le golfe de Nicoya n’entre pas en ligne de compte, pas plus que la côte sud-est de la péninsule de Nicoya. Ce sont les équivalents du golfe de Karkinits’ka en l’affaire Roumanie c. Ukraine et de Punta de Perlas dans l’affaire Nicaragua c. Colombie, dont Mme Parlett vous a montré la situation il y a peu sur vos écrans.
c) Enfin, s’agissant de la côte pertinente du Nicaragua, rien ne justifie d’en exclure telle ou telle partie. Ne sont susceptibles d’exclusion que les espaces maritimes dans lesquels les intérêts d’Etats tiers entrent en jeu, conformément à la décision rendue par la Cour dans l’affaire
159 Voir, par exemple, Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark) (République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 52, par. 98 ; Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1982, p. 91, par. 131 ; Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 335-336, par. 221 ; Délimitation maritime entre la Guinée et la Guinée-Bissau, sentence du 14 février 1985, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales (ci-après «RSA»), vol. XIX, p. 184-185, par. 97 ; Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 50, par. 68 ; Délimitation des espaces maritimes entre le Canada et la République française (Saint-Pierre-et-Miquelon), sentence (1992), RSA, vol. XXI, p. 281, par. 33 ; Délimitation maritime dans la région située entre le Groenland et Jan Mayen (Danemark c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1993, p. 65, par. 61 et croquis no 2 ; Tribunal international du droit de la mer (ci-après «TIDM»), Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Bangladesh et le Myanmar dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt du 14 mars 2012, par. 201, 204 et croquis no 3 ; tribunal constitué en vertu de l’annexe VII de la CNUDM, Arbitrage entre le Bangladesh et l’Inde concernant la délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale, sentence arbitrale du 7 juillet 2014, par. 281.
160 Voir Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 97, par. 100 ; TIDM, Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Bangladesh et le Myanmar dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt du 14 mars 2012, par. 200 ; et Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 678, par. 145.
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Nicaragua c. Colombie161. Ainsi, pour tenir compte des intérêts du Honduras et d’El Salvador, le Costa Rica a utilisé une droite perpendiculaire à la ligne de fermeture du golfe de Fonseca162. Cette droite se trouve dans l’angle nord-ouest sur le croquis.
7. Ainsi qu’il apparaît à l’écran, si l’on utilise des lignes droites pour représenter approximativement les côtes pertinentes, celle du Costa Rica mesure 415 kilomètres et celle du Nicaragua, 300 kilomètres, ce qui donne un rapport de 1,4 pour 1, comme je l’ai dit à l’instant. [Projection] La zone pertinente générée par ces côtes mesure 202 800 kilomètres carrés. Vous voyez là l’espace maritime dans lequel les droits potentiels des Parties se chevauchent, pour reprendre les termes utilisés par la Cour dans sa décision en l’affaire Nicaragua c. Colombie163.
8. Jusque-là, les choses sont simples, serait-on tenté de penser.
9. Venons-en toutefois à la position du Nicaragua sur les côtes pertinentes, qui se trouve illustrée sur sa figure Ib-1 [projection]. Il ressort très clairement de ce croquis que le Nicaragua tente d’amputer considérablement la côte pertinente du Costa Rica sur le fondement d’un prétendu principe selon lequel les côtes ne généreraient qu’une projection frontale164.
10. Cet argument appelle trois observations.
11. Premièrement, c’est une projection radiale qui permet de circonscrire les côtes et la zone pertinentes. Je sais que Mme Parlett vous l’a déjà exposé, mais je souhaite uniquement vous montrer les portions de côte que le Nicaragua cherche à exclure de la délimitation, et mettre en évidence au moyen d’un simple croquis pourquoi une telle exclusion n’a absolument aucun sens. Sur la figure Ib-1 du Nicaragua, nous avons ajouté une ligne verte pour représenter la côte costa-ricienne qui génère des projections  des projections radiales  chevauchant celles de la côte nicaraguayenne. La tentative du Nicaragua d’omettre ces portions de côte est illustrée sur sa figure Ib-3, dont il ressort clairement que, de son point de vue, seules les projections frontales sont pertinentes, encore que le Nicaragua n’ait aucune source faisant autorité à citer pour appuyer sa position.
161 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 685-686, par. 163.
162 Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras; Nicaragua (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 616-617, par. 432.
163 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 683, par. 159.
164 Délimitation maritime, CMN, par. 2.29-2.35.
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12. Deuxièmement, il n’aura pas échappé à la Cour qu’il existe une nette incohérence dans la manière dont le Nicaragua traite la péninsule de Nicoya –– une formation géographique qu’il estime pouvoir tantôt mettre en exergue, tantôt ignorer selon ce qui lui rapporte le plus d’espaces maritimes. Ainsi, lorsqu’il s’agit d’identifier les côtes et la zone pertinentes, le Nicaragua donne effet uniquement à des points situés sur la péninsule de Nicoya et ne tient aucun compte des plus de 200 kilomètres de littoral costa-ricien situés au sud [projection de la figure Ib-1].
a) Voyez maintenant, par comparaison, la position du Nicaragua quant à l’équité du résultat : les points de base situés sur la péninsule de Nicoya ont disparu, de même que la péninsule elle-même, comme le montre sa figure Id-5 –– maintenant projetée sur vos écrans. Voilà ce que le Nicaragua appelle la «ligne de base effective sans la péninsule de Nicoya». Ce qui était auparavant une côte pertinente a subitement disparu et n’est plus qu’une ligne fantôme.
b) Que le Nicaragua ne s’encombre pas de principes devient encore plus évident lorsque l’on examine sa figure Id-2 censée illustrer «la direction générale des côtes des Parties» [projection], qui est à la base de son argument selon lequel le tracé d’une ligne d’équidistance serait incompatible avec ce qu’il dit être la «réalité géographique dominante»165. Le Nicaragua ne se contente pas d’y omettre une nouvelle fois la péninsule de Nicoya, ainsi que d’autres parties de la côte costa-ricienne. En sus, comme vous le voyez, il réintègre d’une certaine façon dans l’équation la partie de la côte costa-ricienne située au sud-est de Nicoya, qu’il n’estimait pourtant pas pertinente, afin de démontrer une «direction générale». Il est d’ailleurs intéressant de noter, tant que ce croquis est à l’écran, que le Nicaragua prend en réalité la direction générale de sa propre côte, puis prolonge cette ligne vers le sud-est sans se laisser incommoder par la configuration géographique différente du littoral costa-ricien.
13. Enfin, s’agissant de la définition de la zone pertinente par rapport à une droite perpendiculaire à la ligne de fermeture du golfe de Fonseca [projection], le Nicaragua déclare dans son contre-mémoire que l’arrêt rendu par la Chambre de la Cour en l’affaire El Salvador/Honduras n’est pas revêtu de l’autorité de la chose jugée à son égard, et relève que la limite latérale de ses espaces maritimes au large du golfe de Fonseca reste à déterminer166. Il fait observer, fort
165 Délimitation maritime, CMN, par. 2.56-2.61.
166 Ibid., par. 2.36-2.37.
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justement, que cette limite n’a pas à être tracée dans la présente instance. Cela va de soi. Le Costa Rica ne prétend pas le contraire, mais s’efforce simplement de tenir compte des intérêts d’Etats tiers, conformément à la méthode établie par la Cour pour définir la zone pertinente. Comme la Cour l’a précisé, une dose d’approximation est tout à fait acceptable lorsqu’il s’agit de définir la zone pertinente, et il convient de noter que le Nicaragua n’a pas proposé d’autre ligne, mais s’est contenté de soutenir –– à tort, nous semble-t-il –– que sa côte et la zone pertinentes ne s’étendent pas si loin au nord.
2) Point de départ
14. Dans ce contexte, je vais brièvement parler du point de départ de la délimitation, qui se trouve au milieu de la ligne de fermeture de la baie de Salinas. Sur vos écrans s’affiche maintenant la représentation qu’en donne chacune des Parties. Celles-ci sont d’accord sur son emplacement, la seule divergence portant sur l’utilisation de coordonnées arrondies167, le Costa Rica s’accordant volontiers avec le Nicaragua à cet égard.
3) Délimitation de la mer territoriale
15. Je passe maintenant à la délimitation de la mer territoriale conformément à l’article 15 de la CNUDM. La ligne d’équidistance est représentée sur la figure 3.6 du mémoire du Costa Rica [projection] ; aucun titre historique ni aucune circonstance spéciale n’existant en l’espèce, le Costa Rica la considère comme la ligne à retenir, par simple application des dispositions de l’article 15.
16. Le Nicaragua conteste cette ligne, non pas sur la base d’un quelconque titre historique mais au motif que la géographie de la zone — précisément la configuration de la péninsule de Santa Elena — constitue une circonstance spéciale. Selon sa position, représentée sur sa figure Ic-2, la ligne d’équidistance doit être très fortement déviée vers le sud en raison de ce qu’il dit être l’«effet de distorsion» de la péninsule168. En d’autres termes, il veut qu’on raye la péninsule de Santa Elena de la carte pour procéder à la délimitation du côté costa-ricien en utilisant un seul
167 Délimitation maritime, MCR, par. 3.13 ; CMN, par. 2.10.
168 Délimitation maritime, CMN, par. 2.48-2.49.
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point de base situé sur un minuscule rocher au large de l’extrémité de Punta Descartes, qui se trouve sur une péninsule beaucoup plus petite formant la rive méridionale de la baie de Salinas.
17. Il n’existe dans l’article 15 de la CNUDM et dans le droit de la délimitation maritime aucun élément justifiant une telle démarche. Le Costa Rica soulèvera quatre points à cet égard.
18. Premièrement, et de toute évidence, la péninsule de Santa Elena ne constitue d’aucune façon une «circonstance spéciale», au sens de l’article 15 de la CNUDM, qui pourrait justifier de s’écarter de la règle générale de l’utilisation de l’équidistance dans la mer territoriale. La péninsule en question est une portion de la côte continentale ayant une superficie d’environ 286 kilomètres carrés et une population permanente de plus de 2 400 personnes, dont une bonne part vit en outre de la mer, précisément du tourisme et de la pêche. C’est là que se trouve également le parc national de Santa Rosa, qui accueille des dizaines de milliers de visiteurs chaque année169.
19. Et pourtant, le Nicaragua voudrait que la péninsule de Santa Elena soit traitée comme une petite formation située au large ou une île, empruntant les termes employés par la Cour dans l’affaire Qatar c. Bahreïn pour soutenir que cette péninsule constitue «un saillant de la côte … qui, s’il lui était reconnu un plein effet, «[ferait] dévier la limite et [produirait] des effets disproportionnés»170. Toutefois, la Cour examinait dans cette affaire-là l’effet que pourrait avoir sur la délimitation Fasht al Jarim, petite formation située au nord de Bahreïn ; il convient ici d’afficher son raisonnement à l’écran pour mettre en évidence les très réelles différences géographiques existant entre les deux affaires :
«247. La Cour rappelle en outre que, dans le secteur nord, les côtes des Parties sont comparables à des côtes adjacentes [il s’agit donc pour l’essentiel de la même situation qu’en l’espèce] bordant les mêmes zones maritimes qui s’étendent vers le large dans le Golfe … Le seul élément remarquable est Fasht al Jarim, qui est comme un saillant de la côte de Bahreïn s’avançant loin dans le Golfe, et qui, s’il lui était reconnu un plein effet, «[ferait] dévier la limite et produir[ait] des effets disproportionnés» [voilà les termes que le Nicaragua tente de reprendre à son compte] (affaire du Plateau continental (France/Royaume-Uni), Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. XVIII, p. 252, par. 244).
248. De l’avis de la Cour, une telle déviation, due à une formation maritime située très au large et dont, au plus, une partie infime serait découverte à marée haute,
169 Voir les chiffres de 2016 (45 589), dans «Informe Anual Estadísticas SEMEC 2016 : SINAC en Números», Comp. B. Pavlotzky, San José, Costa Rica ; consultable en ligne à l’adresse suivante : http ://www.sinac.go.cr/ ES/docu/Transparencia/Estad%C3%ADsticas%20de%20Gesti%C3%B3n/Informe%20SEMEC/Informe%20SEMEC%202016.pdf.
170 Délimitation maritime, CMN, par. 2.48-2.49.
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n’aboutirait pas à une solution équitable qui tienne compte de tous les autres facteurs pertinents indiqués ci-dessus. Dans les circonstances de l’espèce, des considérations d’équité exigent de ne pas donner d’effet à Fasht al Jarim aux fins de la détermination de la ligne de délimitation dans le secteur nord.»171
20. Il est donc évident que les deux situations ne sont absolument pas comparables, d’autant que, dans l’affaire Qatar c. Bahreïn, la Cour examinait l’effet qu’aurait Fasht al Jarim sur la délimitation de la ZEE et du plateau continental. De même, dans l’affaire du Plateau continental (France/Royaume-Uni)172, que la Cour a mentionnée en l’affaire Qatar c. Bahreïn, le tribunal examinait l’effet qu’auraient les îles Scilly sur la délimitation du plateau continental, et non celle de la mer territoriale. Le Nicaragua n’est tout simplement pas en mesure de citer une seule affaire dans laquelle la Cour ou une autre juridiction internationale aurait ajusté une ligne d’équidistance dans la mer territoriale sur la base d’une configuration d’une côte continentale un tant soit peu similaire.
21. De fait, même dans le cas des îles, l’argument que le Nicaragua avance n’a pas la force qu’il souhaite lui donner. Dans l’affaire l’opposant au Bangladesh, le Myanmar faisait valoir qu’accorder à l’île de Saint Martin plein effet tout au long de la délimitation de la mer territoriale entraînerait une distorsion considérable par rapport à la configuration générale de la côte173. Mme Parlett vous a déjà présenté le croquis pertinent. Le TIDM a rejeté l’argument du Myanmar, comme vous le savez, et il est là encore utile d’examiner brièvement le passage contenant son raisonnement :
«151. La jurisprudence a parfois refusé d’accorder un plein effet à des îles dans la délimitation de la mer territoriale. Mais il s’agissait alors d’îles généralement considérées comme des «formations maritimes insignifiantes», telle l’île de Qit’at Jaradah, de très petite dimension, inhabitée et dépourvue de végétation, dans l’affaire de la Délimitation maritime et des questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 104, par. 219). Selon le Tribunal, l’île de Saint Martin est une formation maritime importante du fait de sa superficie, de sa population et de l’ampleur des activités économiques et autres.»174
22. Comme vous le voyez, le Tribunal a alors conclu à l’inexistence de motifs impérieux justifiant que l’île de Saint Martin soit traitée comme une circonstance spéciale aux fins de
171 Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn, fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 114-115, par. 247-248.
172 Affaire du Plateau continental (France/Royaume-Uni), RSA, vol. XVIII, p. 252, par. 244.
173 TIDM, Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Bangladesh et le Myanmar dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt du 14 mars 2012, par. 132.
174 TIDM, Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Bangladesh et le Myanmar dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt du 14 mars 2012, par. 152-153.
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l’application de l’article 15. Cette conclusion cadre en tous points avec la méthodologie de la Cour. Ainsi que Mme Parlett vient de le dire, la Cour a relevé dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord que les «effets de déviation» produits sur une ligne d’équidistance étaient «relativement faibles dans les limites des eaux territoriales»175. Des conditions très strictes doivent donc être remplies pour justifier l’ajustement d’une ligne d’équidistance dans la mer territoriale et, en pratique, la Cour et les tribunaux internationaux procèdent rarement à de tels ajustements, étant donné, bien entendu, la primauté accordée aux lignes d’équidistance dans la délimitation de la mer territoriale, en application de l’article 15 de la CNUDM.
23. Deuxièmement, et dans la veine de son premier argument, le Nicaragua affirme qu’il convient de tracer une ligne d’équidistance simplifiée sur la base de «la direction générale de la côte» et que la Cour a appliqué cette méthode dans plusieurs affaires. Mais là encore, les précédents qu’il cite — les affaires Tunisie/Libye et Nicaragua c. Honduras ainsi que celle du Golfe du Maine —ne sont nullement comparables, la réalité étant qu’il les sort de leur contexte pour proposer une méthode de délimitation qui n’a rien de légitime et revient à amputer les formations côtières continentales qui le gênent176.
a) Dans l’affaire Tunisie/Libye, la Cour examinait la délimitation du plateau continental et non celle de la mer territoriale, et s’intéressait principalement au changement radical imprimé à la direction générale du littoral tunisien par le golfe de Gabès, que vous pouvez voir sur votre écran177.
b) Dans l’affaire du Golfe du Maine, la Chambre n’avait pas à délimiter la mer territoriale et, de toute façon, la «raison principale» pour laquelle elle n’a pas retenu la ligne d’équidistance dans le premier secteur de la frontière maritime unique était l’incertitude qui persistait au sujet de la souveraineté sur l’île Machias Seal178.
175 Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark) (République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 38, par. 59. Voir aussi TIDM, Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Bangladesh et le Myanmar dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt du 14 mars 2012, par. 318.
176 Délimitation maritime, CMN, par. 2.48.
177 Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1982, p. 90, carte no 3.
178 Voir Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 332-333, par. 211-212.
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c) Le troisième précédent invoqué, à savoir l’affaire Nicaragua c. Honduras, au moins concernait la délimitation de la mer territoriale, mais n’est guère plus utile au Nicaragua. La géographie de la zone concernée étant très singulière, aucune des parties ne faisait valoir que tracer une ligne d’équidistance provisoire constituait la méthode de délimitation la plus appropriée179. Compte tenu de l’impossibilité de déterminer des points de base sur ce littoral instable, la Cour a opté pour une ligne bissectrice. Là encore, bien entendu, la situation n’est absolument pas comparable, et le Nicaragua ne saurait emprunter à la méthode adoptée par la Cour dans une affaire tout à fait différente, et n’en retenir qu’un élément, alors qu’il ne vous est nullement proposé d’adopter une bissectrice en l’espèce [fin de la projection].
24. Troisièmement, le Nicaragua postule que l’article 15 doit être interprété et appliqué de telle sorte que ne soit ni empêchée ni compromise la recherche d’une solution équitable lorsqu’il s’agit de procéder à la délimitation de la ZEE et du plateau continental conformément aux articles 74 et 83 de la CNUDM180. Comme vient de le relever Mme Parlett, il n’a pas du tout étayé cette théorie ni expliqué pourquoi elle s’appliquerait en l’espèce. En fait, la thèse du Nicaragua concernant la ZEE et le plateau continental est axée sur l’effet de la péninsule de Nicoya (j’y reviendrai dans un instant) et non sur le point de départ de la délimitation au-delà des 12 milles marins. Donc, là encore, son argument fait long feu.
25. Enfin, pour essayer de démontrer qu’il y a lieu de s’écarter de la règle de l’équidistance, le Nicaragua fait valoir que «les eaux face aux côtes d’un Etat relèvent de la souveraineté de celui-ci»181. Comme il ressort du croquis à l’écran [projection], qui illustre la délimitation qu’il propose, le Nicaragua veut en réalité dire par là que les eaux situées en face de ses côtes relèvent de sa souveraineté. Sa thèse prive cependant la péninsule de Santa Elena de tout effet, si bien qu’en définitive, contrairement à lui, le Costa Rica n’aurait pas souveraineté sur les eaux situées en face de ses propres côtes. De fait, selon le Nicaragua, ses droits à une ZEE et à un plateau continental l’emportent sur le droit du Costa Rica à une mer territoriale –– une solution que vous pouvez voir
179 Voir Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 741-742, par. 273-275.
180 Délimitation maritime, CMN, par. 2.44.
181 Ibid., par. 2.51.
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maintenant sur vos écrans, et qui est encore moins légitime en l’espèce que dans l’affaire Bangladesh/Myanmar, où elle a été rejetée par le TIDM au sujet de l’île de Saint Martin182.
4) Délimitation de la zone économique exclusive et du plateau continental
26. J’en viens maintenant aux articles 74 et 83 de la CNUDM et à la question de savoir comment la méthode en trois étapes de la Cour s’applique à la présente affaire [fin de la projection].
i) La ligne d’équidistance provisoire
27. En ce qui concerne la construction de la ligne d’équidistance provisoire, aucune réelle divergence de vues ne semble opposer les Parties.
28. La ligne du Costa Rica est représentée sur son croquis 3.7, qui s’affiche à l’écran.
29. Le Nicaragua a pour sa part représenté sur sa figure Id-3 une ligne d’équidistance provisoire qui, à l’évidence, ne s’écarte pas sensiblement de celle du Costa Rica lorsqu’on superpose les deux lignes.
ii) L’absence de circonstances pertinentes justifiant d’ajuster la ligne d’équidistance provisoire
30. En revanche, les Parties sont évidemment en net désaccord pour ce qui est de la deuxième étape de la méthode suivie par la Cour.
31. Le Costa Rica ne voit aucune circonstance pertinente justifiant d’ajuster la ligne d’équidistance provisoire. La côte ne présente aucune concavité ; il n’existe au large de celle-ci aucune petite formation susceptible d’avoir un effet de déviation. Bien que sa côte soit nettement plus longue que celle du Nicaragua, le Costa Rica ne soutient pas que cette disparité soit suffisamment marquée pour constituer une circonstance pertinente183. Il a fait le choix de la prudence en toute conscience, car il souhaite présenter une demande fondée, et non maximaliste. Il n’invoque la disparité des longueurs des côtes que parce qu’elle constitue un élément de poids à l’appui de sa position contre tout ajustement en sa défaveur de la ligne d’équidistance provisoire.
182 TIDM, Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Bangladesh et le Myanmar dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt du 14 mars 2012, par. 169.
183 Voir, par exemple, les affaires citées aux paragraphes 163-167 de l’arrêt rendu en l’affaire de la Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine) (C.I.J. Recueil 2009, p. 116-117).
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32. Le Nicaragua, pour sa part, adopte d’emblée une position qui est, au mieux, viciée et consiste à tracer ce qu’il appelle une «ligne de base effective» qui raye la péninsule de Nicoya de la carte  c’est ce que montre sa figure Id-5 [projection]. Il soutient ensuite que, au vu de cette «ligne de base effective», seul un demi-effet devrait être donné à la péninsule de Nicoya  argument qu’il est bien incapable d’étayer à l’aide du moindre précédent184, mais qu’il avance probablement dans l’espoir d’obtenir ensuite un ajustement bien plus léger de la ligne d’équidistance provisoire.
33. A l’appui de sa position, le Nicaragua affirme que «la ligne d’équidistance provisoire [du Costa Rica] entraîne une amputation marquée et injustifiée … à laquelle il y a lieu de remédier pour parvenir à une solution réellement équitable»185. La péninsule de Nicoya est ensuite présentée tour à tour comme un «saillant de la côte», une «protubérance côtière»186, une «irrégularité manifeste»187, voire une «moindre déformation»188, ce qui signifie  nous dit le Nicaragua  que l’équidistance conduit à un résultat inéquitable, comme tel était le cas dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord ou Libye/Malte189.
34. Avant d’en venir aux vices qui entachent la position du Nicaragua, il nous faut revenir sur un point préliminaire dont le Nicaragua tente de faire abstraction.
35. En pratique, toute délimitation maritime, quelle que soit la méthode employée, ampute partiellement la projection d’une côte donnée. Le tracé d’une ligne d’équidistance est un moyen d’effectuer pareille amputation de manière équilibrée et équitable et de partager les zones de chevauchement de droits. Sur sa figure Id-3, le Nicaragua entend, en traçant une série de flèches noires partant de sa côte, illustrer l’amputation produite par une ligne d’équidistance provisoire. Mais si on l’envisage du point de vue du Costa Rica, il apparaît clairement que cette ligne a pour effet d’amputer également les projections côtières costa-riciennes. Le Costa Rica a ajouté les flèches partant de sa propre côte sur le croquis du Nicaragua. Il apparaît tout aussi clairement que
184 Délimitation maritime, CMN, par. 2.73.
185 Ibid., par. 2.63.
186 Ibid., par. 2.65.
187 Ibid., par. 2.70.
188 Ibid., par. 2.67, renvoyant aux affaires du Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark) (République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 49, par. 89.
189 Ibid., par. 2.48 et 2.66-2.70.
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cette ligne ampute les projections «d’une manière raisonnable et équilibrée»190, et constitue donc la solution équitable prescrite par les articles 74 et 83 de la CNUDM.
36. Le même argument pourrait être avancé au sujet de la délimitation établie par la Cour en l’affaire Roumanie c. Ukraine, dans laquelle la Roumanie pourrait utiliser des flèches du type de celles du Nicaragua pour montrer qu’elle a subi une amputation191. Il pourrait également être avancé au sujet de la délimitation établie le long de la ligne d’équidistance par le tribunal constitué en vertu de l’annexe VII en l’affaire Guyana/Suriname, dans laquelle pareilles flèches pourraient, là aussi, représenter une amputation supposée au détriment du Suriname. En résumé, l’on peut bien s’amuser à tracer des flèches autour de lignes de délimitation équitables pour crier ensuite à l’amputation, mais l’exercice n’est pas d’une grande utilité à la Cour192.
37. S’agissant maintenant du contenu précis de l’argumentation du Nicaragua sur l’amputation, trois vices en ressortent très clairement.
38. Premièrement, le Nicaragua a beau tenter de récupérer la formulation employée par la Cour dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord, la péninsule de Nicoya ne saurait être considérée comme une moindre déformation dont l’effet se trouverait amplifié de manière inéquitable par la ligne d’équidistance lors de la délimitation de la ZEE et du plateau continental193. La péninsule de Nicoya s’étend sur 7500 kilomètres carrés et compte quelque 264 000 habitants. Elle fait partie des grandes régions agricoles costa-riciennes et héberge un quart environ des activités touristiques du Costa Rica, pour qui le tourisme est une industrie importante. Un parallèle intéressant peut être fait avec le cap Cod, dont, ainsi que l’a relevé Mme Parlett tout à l’heure, le Canada prônait de faire abstraction en l’affaire du Golfe du Maine. La Chambre s’est refusée à «suivre [ce dernier] dans sa prétention de considérer comme négligeable l’existence d’une
190 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 703-704, par. 215. Voir également Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 127, par. 201 ; TIDM, Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Bangladesh et le Myanmar dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt du 14 mars 2012, par. 325.
191 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 133, croquis no 9.
192 Award in the Arbitration regarding the Delimitation of the Maritime Boundary between Guyana and Suriname (sentence arbitrale relative à la délimitation de la frontière maritime entre le Guyana et le Suriname), 17 septembre 2007, RSA, vol. XXX, p. 130, carte no 3.
193 Délimitation maritime dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique (Costa Rica c. Nicaragua), CMN, par. 2.67, renvoyant à Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark) (République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 49, par. 89 (au sujet du plateau continental).
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péninsule aussi importante que le cap Cod»194, péninsule qui  il importe de le préciser  s’étendait non pas sur 7500, mais sur 880 kilomètres carrés, soit à peine plus du dixième de la taille de la péninsule de Nicoya.
39. En substance, donc, le Nicaragua invoque à mauvais escient des affaires concernant les effets inéquitables possibles d’irrégularités côtières, et le seul exemple qui pourrait éventuellement être pertinent lui est nettement défavorable.
40. J’en viens au deuxième vice de l’argumentation du Nicaragua. Celui-ci fait état d’«une amputation marquée et injustifiée … à laquelle il y a lieu de remédier»195, mais là encore, les affaires auxquelles il se réfère concernent des situations géographiques qui ne sont absolument pas comparables. Ainsi que vous pouvez le voir à l’écran, une ligne d’équidistance provisoire n’empêche en aucune façon le Nicaragua d’atteindre la limite des 200 milles marins.
a) L’on peut comparer la configuration qui nous occupe ici à la géographie bien connue des affaires du Plateau continental de la mer du Nord, dans lesquelles l’amputation était effectivement un problème qui rendait l’équidistance inéquitable. C’est dans ce contexte géographique  totalement différent  intéressant trois Etats et deux frontières maritimes que la Cour a formulé le fameux dictum que le Nicaragua tente aujourd’hui de récupérer, à savoir que l’application de la méthode de l’équidistance peut aboutir dans certains cas à des résultats déraisonnables  ce qui est vrai, mais n’est pas le cas ici196.
b) Le Nicaragua se réfère également à l’affaire Libye/Malte197, dans laquelle aucune amputation n’avait pourtant été alléguée. Dans cette affaire, la Cour s’est essentiellement intéressée à la question de la proportionnalité au vu de la grande disparité qui existait entre les longueurs des côtes des deux Etats en litige. La carte no 3 de l’arrêt illustre la question que la Cour a eu à examiner  une disparité considérable entre les longueurs des côtes des parties  et l’on voit bien comment celle-ci l’a conduite à déplacer quelque peu la ligne médiane vers le nord.
194 Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 271, par. 37.
195 Délimitation maritime, CMN, par. 2.63.
196 Ibid., par. 2.67-2.68.
197 Ibid., par. 2.69, renvoyant à Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 44, par. 56.
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41. Les deux précédents invoqués n’étant absolument pas comparables à la présente espèce, on voit mal sur quelle base le Nicaragua peut soutenir dans son contre-mémoire que «l’avancée marquée de la péninsule de Nicoya est précisément une irrégularité manifeste du type de celles auxquelles la Cour se réfère dans les décisions citées ci-dessus», renvoyant là encore aux affaires du Plateau continental de la mer du Nord et Libye/Malte198. C’est tout simplement faux.
42. Un peu avant dans son contre-mémoire, dans une note de bas de page, le Nicaragua se réfère également aux affaires Roumanie c. Ukraine, Nicaragua c. Colombie et Bangladesh/Myanmar, mais uniquement, semble-t-il, pour étayer l’affirmation générale selon laquelle «la ligne de délimitation doit, autant que faire se peut, permettre aux côtes des Parties de produire leurs effets, en matière de droits à des espaces maritimes, d’une manière raisonnable»199. C’est effectivement ce que la Cour a souligné dans l’affaire Nicaragua c. Colombie et il est utile de rappeler ce à quoi cet énoncé faisait précisément référence. Le croquis no 8 joint à l’arrêt de la Cour, qui s’affiche maintenant à l’écran, montre la ligne d’équidistance provisoire qui passe à 40 à 50 milles marins de la côte continentale nicaraguayenne. Je suis sûr que la Cour se souvient très bien de ce croquis. Voici, dans ce contexte géographique, ce qu’elle a dit :
«La Cour reconnaît toutefois que, afin d’aboutir à une solution équitable, la ligne de délimitation doit, autant que faire se peut, permettre aux côtes des Parties de produire leurs effets, en matière de droits à des espaces maritimes, d’une manière raisonnable et équilibrée pour chacune d’entre elles (Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 127, par. 201) [se référant ainsi à l’affaire de la Mer Noire  la Cour aura sans doute déjà cet énoncé clairement à l’esprit.] La ligne médiane provisoire a pour effet d’amputer la projection côtière du Nicaragua d’environ les trois quarts de sa superficie. Qui plus est, cet effet d’amputation est produit par quelques petites îles très éloignées les unes des autres. La Cour estime que ces îles ne doivent pas être traitées comme le serait une côte continentale qui se déploierait de manière continue sur plus de 100 milles marins, avec pour effet d’empêcher le Nicaragua d’accéder aux fonds marins et aux eaux s’étendant au-delà de leurs côtes orientales. Elle conclut donc que l’effet d’amputation constitue un facteur pertinent qui exige l’ajustement ou le déplacement de la ligne médiane provisoire afin d’aboutir à un résultat équitable.»200
198 Délimitation maritime, CMN, par. 2.67-2.70.
199 Ibid., par. 2.64, note de bas de page 84, renvoyant à Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 703-704, par. 215 ; Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 127, par. 201 ; TIDM, Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Bangladesh et le Myanmar dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt du 14 mars 2012, par. 325.
200 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 703-704, par. 215.
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43. Or, rien de tout cela ne s’applique en la présente espèce. L’amputation alléguée dans l’affaire qui occupe la Cour aujourd’hui n’est nullement comparable, puisqu’il s’agit de donner effet à un territoire étendu et densément peuplé du Costa Rica faisant partie de sa «côte continentale qui se dépl[oie] de manière continue», et non à «quelques petites îles très éloignées les unes des autres». Ainsi, comme vous le voyez, il s’agit précisément ici de la situation contraire à laquelle la Cour faisait référence, à titre de comparaison, dans l’extrait précité de son arrêt en l’affaire Nicaragua c. Colombie.
44. J’en viens au troisième vice de la position du Nicaragua s’agissant de la péninsule de Nicoya, soit le fait qu’elle est irrémédiablement incohérente  M. Ugalde a déjà brièvement évoqué ce point tout à l’heure.
a) En ce qui concerne la délimitation dans le Pacifique, le Nicaragua affirme qu’il convient de ne donner qu’un demi-effet à Nicoya.
b) S’agissant de la mer des Caraïbes, en revanche, un ensemble de petites îles et formations  les îles du Maïs et les cayes de Paxaro Bovo et Palmenta  devraient se voir attribuer plein effet201. Selon le Nicaragua, les îles du Maïs sont «des formations insulaires importantes, dont l’une a une superficie de 9,6 kilomètres carrés et l’autre, de 3 kilomètres carrés» ; elles comptent par ailleurs, souligne-t-il, entre 6000 et 7000 habitants202. Le Nicaragua ne dit rien des cayes de Paxaro Bovo et Palmenta car il n’y a rien qu’il puisse dire pour donner de l’importance à ces rochers. Et pourtant, il faudrait leur attribuer plein effet, alors que la péninsule de Nicoya, avec ses 7500 kilomètres carrés et sa population de plus de 260 000 habitants, ne devrait avoir qu’un demi-effet.
c) J’ajouterai que l’incohérence de la démarche que le Nicaragua est prêt à tenter, alors qu’il cherche à s’assurer le meilleur résultat dans le Pacifique et dans les Caraïbes, est si flagrante que l’on se demande s’il ne s’agit pas simplement pour lui de miser devant la Cour sur la stratégie, du reste assez éculée, consistant à demander le maximum sur les deux tableaux, tout étant bon pour tenter d’obtenir, par exemple, un peu plus dans les Caraïbes contre le rejet d’un argument indéfendable s’agissant du Pacifique. Le problème, toutefois, est que la Cour
201 Délimitation maritime, CMN, par. 3.65 et 3.101.
202 Ibid., par. 3.104.
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recherche une solution équitable non pas en partageant les espaces maritimes contestés par rapport aux prétentions extrêmes et indéfendables d’une partie, mais en appliquant aux conditions géographiques réelles les principes du droit.
45. La péninsule de Nicoya est, en définitive, l’exemple classique d’une réalité géographique qui ne saurait être remodelée par l’invocation injustifiée de «circonstances pertinentes». L’argument du Nicaragua revient à soutenir que les deux Etats ont été «traités à peu près également» par la nature203, ce qu’il tente d’étayer par son invocation et sa description de la «direction générale de la côte». Il s’agit de sa figure Id-4, qui s’affiche maintenant sur vos écrans. Le problème évident est que l’étape suivante, une fois invoquée la «direction générale de la côte», consiste à rayer purement et simplement de la carte les formations continentales (aussi grandes soient-elles, et aussi importantes et peuplées soient-elles) qui ne cadrent pas avec cette «direction générale» alléguée. Il ne s’agit pas là d’une étape reconnue par le droit de la délimitation maritime, ni compatible avec celui-ci. La vérité est qu’il n’y a pas de circonstances pertinentes justifiant d’ajuster la ligne d’équidistance provisoire.
iii) Le critère relatif à l’absence de disproportion
46. Cela nous amène à la troisième étape de la méthode habituelle, et je serai très bref sur ce point. Il est clair que la ligne d’équidistance provisoire du Costa Rica ne donne lieu à aucune disproportion marquée. Elle divise la zone pertinente en attribuant 130 700 kilomètres carrés au Costa Rica et 72 100 kilomètres carrés au Nicaragua, ce qui donne un rapport de 1,8 pour 1. Ainsi que cela a été souligné, le rapport varie entre 1,4 pour 1 (si les côtes pertinentes respectives des Parties sont représentées approximativement par des lignes droites) et 1,9 pour 1 (si l’on retient la configuration naturelle). Ces rapports démontrent qu’il ne saurait être question de disproportion. Le Costa Rica avance par conséquent que la ligne d’équidistance devrait être retenue ici, comme pour la mer territoriale.
203 Délimitation maritime, CMN, par. 2.66 ; Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark) (République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 49-50, par. 91.
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C. Conclusion
47. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ainsi s’achèvent les premiers exposés du Costa Rica sur la délimitation dans l’océan Pacifique. Je vous remercie de votre attention et vous prie de bien vouloir donner la parole, après la pause déjeuner, à M. Kohen qui débutera nos exposés sur la délimitation côté caraïbe en rappelant la position du Costa Rica concernant la frontière terrestre.
The PRESIDENT : Thank you. The Court will meet again this afternoon, from 3 p.m to 6 p.m, to hear the continuation of Costa Rica’s first round of oral argument. The Court is adjourned
The Court rose at 1 p.m.
___________

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