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CR 2017/6

CR 2017/6

Lundi 15 mai 2017 à 15 heures

Monday 15 May 2017 at 3 p.m. - 2 -

8 Le PRESIDENT : Please be seated. The sitting is open. La Cour siège cet après-midi pour

entendre les exposés oraux du Pakistan sur la demande en indication de mesures conservatoires

présentée par la République de l’Inde.

J’appelle à présent à la barre M. Mohammad Faisal, représentant de la République islamique

du Pakistan. Vous avez la parole.

M. FAISAL :

Le commandant (de marine) Kulbhushan Sudhir Jadhav (alias Hussein Mubarak Patel)
(ci-après le «commandant Jadhav») (titulaire du passeport indien n L9630722)

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, Excellences, Mesdames et

Messieurs, c’est un honneur pour moi que de me présenter devant la Cour en tant qu’agent du

Pakistan et de formuler les observations ci-après. La délégation du Pakistan se compose de

l’ambassadeur Moazzam Ahmad Khan, comme agent, de moi-même, de M. Khawar Qureshi, notre

conseil, de M. Asad Rahim, avocat, comme conseil adjoint, de M. Joseph Dyke, comme conseil

juridique auxiliaire, et de M. Faraz Zaidi, comme conseiller.

2. Monsieur le président, je donnerai un rapide aperçu de la réponse du Pakistan à la

demande de l’Inde, puis inviterai notre conseil, M. Qureshi, à expliquer plus en détail en quoi cette

demande est à la fois inutile et irrecevable.

3. Monsieur le président, je ne peux qu’observer que, alors même que nous avons tant de

choses en commun avec le demandeur, nous nous trouvons aujourd’hui opposés l’un à l’autre. En

ce qui nous concerne, nous souhaiterions qu’il n’en fût pas ainsi. Nous tenons par ailleurs à

indiquer très clairement que nous restons résolument partisans du règlement pacifique de tous les

différends, quelles que soient les provocations.

4. Contraint de faire face au terrorisme de façon quotidienne  une attaque meurtrière ayant

encore fait vingt-cinq victimes vendredi dernier, suivie d’une autre, le lendemain, dans la zone dans

laquelle le commandant Jadhav agissait avant sa capture, qui en a fait onze , Le Pakistan ne sait

que trop bien comment d’autres utilisent le poison de la haine pour atteindre leurs objectifs

politiques. - 3 -

5. C’est pourquoi, malgré le piège qui nous a été tendu pour nous faire comparaître devant la

Cour en quelques jours à peine, nous avons répondu présent. Et si nous avons répondu présent,

c’est parce que nous ne nous laisserons pas intimider par le terrorisme, et ne laisserons pas non plus

quiconque tenter de nous calomnier ou de déformer notre position ou nos procédures juridiques

sans réagir. Nous emploierons tous les moyens légitimes pour protéger notre peuple, notre territoire

9 et notre réputation contre les attaques dont ils peuvent faire l’objet. Et nous le ferons toujours,

énergiquement et résolument, Insha’Allah.

6. Malheureusement, l’Inde a jugé utile d’utiliser la Cour internationale de Justice comme

scène du théâtre politique. Nous le regrettons. Et nous ne répondrons pas sur le même ton.

7. Notre conseil, M. Qureshi, expliquera pourquoi l’Inde a eu tort d’invoquer la compétence

exceptionnelle de la Cour, organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies,

d’indiquer des mesures conservatoires. Il abordera également les raisons pour lesquelles la Cour ne

devrait pas exercer sa compétence à l’égard de quelque aspect de l’instance introduite par l’Inde, ni

d’en connaître de quelque manière que ce soit.

8. De fait, il est quelque peu ironique  mais peut-être est-ce cohérent  de voir l’Inde se

plaindre de ne pas pouvoir communiquer avec le commandant Jadhav, lequel a avoué avoir été

envoyé par elle pour semer la terreur parmi les civils innocents et l’infrastructure du Pakistan et,

dans le même temps, appeler instamment la Cour à rendre une ordonnance sans donner au Pakistan

la moindre occasion d’être entendu.

9. Nous sommes déçus que l’Inde n’ait pas saisi l’occasion de faire preuve de transparence

lorsque, peu après le 25 mars 2016, le Foreign Secretary du Pakistan a vigoureusement protesté

auprès du Haut-Commissaire indien au sujet des actes criminels commis par le

commandant Jadhav. Une copie du passeport qui était en la possession de celui-ci au moment de

son arrestation a alors été fournie à l’Inde.

[Projection]

10. Monsieur le président, comme la Cour peut le voir, le nom indiqué sur ce passeport est

un nom musulman, qui, de toute évidence, n’est pas celui du commandant Jadhav. L’Inde n’a pas

pu  ou, plus exactement peut-être, pas voulu  donner d’explications au sujet de ce passeport, - 4 -

qui est le signe tout à fait évident d’une activité clandestine et illégale. Elle aurait tout simplement

pu contester que ce document était authentique. Selon nous, le silence de l’Inde est éloquent.

11. De fait, l’Inde aurait pu, et aurait dû, répondre à la demande qui lui a été adressée par la

lettre du 23 janvier 2017, dans laquelle le Pakistan sollicitait son assistance pour enquêter sur

l’activité criminelle du commandant Jadhav et ses liens avec des personnes en Inde, que l’intéressé

a révélés. Au lieu de cela, l’Inde s’est précipitée pour annoncer à ses medias que le

commandant Jadhav, un homme de 47 ans en retraite anticipée, avait été kidnappé en Iran d’où il

avait été emmené au Pakistan  pour y faire de faux aveux, sans doute.

10 12. Nous savons parfaitement que la Cour n’a pas, à ce stade, à connaître du «fond». Mais

nous ne voyons pas très bien où pourrait résider le fond, lorsqu’un Etat ayant envoyé un espion

doublé d’un terroriste cherche à obtenir le droit de communiquer sans entraves avec ce bras armé.

Quoi qu’il en soit, nous pensons qu’il est important que la Cour entende les extraits des aveux de

l’intéressé qui ont été rendus publics le 25 mars 2016.

13. A cette date, le Pakistan a commencé par faire part aux cinq Membres permanents du

Conseil de sécurité et à l’Union européenne de ses profondes préoccupations à cet égard, et, plus

tard dans la journée, des extraits d’un enregistrement vidéo des aveux du commandant Jadhav ont

donc été rendus publics. J’avais l’intention de vous projeter maintenant cette vidéo de moins de

six minutes, mais il apparaît que la Cour l’a déjà vue, et préférerait qu’elle ne soit pas montrée ici.

Aussi me contenterai-je de rappeler qu’elle est publique et aisément accessible. Ceux qui

souhaiteront la visionner pourront se donc faire leur propre opinion sur le point de savoir si le

commandant Jadhav a formulé volontairement ces aveux détaillés.

14. A n’en pas douter, l’Inde prétendra que ces aveux sincères et contrits ont été extorqués à

l’intéressé par des moyens épouvantables. Ce qui serait, bien évidemment, tout à fait faux.

15. Monsieur le président, l’Inde a cherché à persuader la Cour que nous avions l’intention

d’exécuter le commandant Jadhav dans les jours qui viennent. Bien que le demandeur ait cité de

manière sélective l’annexe 8 de sa requête, la Cour peut constater par elle-même que cela est

totalement faux, ne serait-ce qu’en raison de la procédure de clémence dont le commandant Jadhav

pourrait se prévaloir. - 5 -

16. Pour ce faire, l’intéressé dispose d’une période de 150 jours qui, même si elle avait

démarré le 10 avril 2017  date à laquelle M. Jadhav a été déclaré coupable par le tribunal 

pourrait se prolonger bien au-delà du mois d’août 2017. Naturellement, il existe aussi la possibilité

d’introduire une requête devant la haute cour  ce que l’Inde ne saurait ignorer , les

articles 184 3) et 199 de la constitution du Pakistan permettant à des personnes jugées et

condamnées d’obtenir gain de cause. A cet égard, je rappellerai que la majeure partie des

procédures judiciaires de l’Inde et du Pakistan proviennent d’une source commune.

17. Chose plus importante encore concernant M. Jadhav, et si la Cour me passe l’expression,

nous n’avons tout simplement aucune raison d’empêcher l’oiseau de chanter. D’autres le souhaitent

peut-être, mais pas nous.

18. Selon le Pakistan, il est absolument clair qu’une procédure accélérée devrait permettre à

la Cour d’écarter toute idée selon laquelle des mesures conservatoires seraient nécessaires. Dès

lors, le Pakistan serait satisfait que la Cour appelle l’affaire à l’audience dans les six semaines.

11 19. Nous ne souhaitons nullement faire perdre à la Cour un temps et des ressources précieux

pour essayer d’engranger des points sur le plan politique. De fait, Monsieur le président, je

relèverai que de nombreux medias indiens ont qualifié la lettre que vous avez adressée aux Parties

le 9 mai 2017 de «victoire» au motif qu’il se serait agi d’une «décision conservatoire», ce qui n’est

bien évidemment pas le cas. Voilà qui nous donne une bonne indication des enjeux qui

sous-tendent les manœuvres de l’Inde.

20. Pour conclure, Monsieur le président, j’en reviendrai à mon point de départ. Bien que

nous ayons été bousculés pour comparaître devant la Cour, c’est pour nous toujours un honneur. La

République islamique du Pakistan est profondément attachée à la liberté qu’elle a acquise il y a

70 ans. Elle souhaite vivre en paix avec ses voisins et espère que ceux-ci comprendront bientôt les

vertus de cette conception des choses.

The PRESIDENT: I thank the Agent of the Islamic Republic of Pakistan and I now give the

floor to Mr. Qureshi, counsel for Pakistan. - 6 -

M. QURESHI:

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un honneur pour moi que de

me présenter devant vous au nom de la République islamique du Pakistan. J’ai déjà eu l’occasion

de le faire, mais c’était alors dans une situation de réelle urgence. L’affaire était tout à fait

exceptionnelle : la Bosnie-Herzégovine, invoquant la convention contre le génocide, avait saisi la

Cour d’une demande en indication de mesures conservatoires — à laquelle il a finalement été fait

droit — pour tenter de faire cesser un bain de sang qui n’était que trop évident. En la présente

affaire, en revanche, je vais inviter la Cour à rejeter la demande qui lui a été présentée.

Et je la prie de le faire sur trois fondements : premièrement, l’absence d’urgence ;

deuxièmement, le fait que les mesures sollicitées ne sont manifestement pas à la portée du

Pakistan ; et, troisièmement, du point de vue de la compétence, le fait que celle qui est prévue par

la convention de Vienne de 1963 n’est pas aussi inconditionnelle que mon éminent collègue l’a

laissé entendre. Elle est limitée en soi et, de fait, elle l’est davantage encore par l’accord de 2008,

qui la conditionne ou la complète. Cet accord, comme l’Etat demandeur a eu bien du mal à le

contester, est en vigueur depuis 10 ans et l’on voudrait à présent insinuer qu’il n’est pas pertinent et

que, au motif qu’il ne serait pas conforme au paragraphe 2 de l’article 102 de la Charte, il ne saurait

être invoqué devant la Cour. Il est fort regrettable que, après avoir attrait le Pakistan devant la

Cour, le demandeur se concentre sur pareil argument, que l’on peut au mieux qualifier de détail

technique.

12 Quoi qu’il en soit, je commencerai par évoquer le comportement du demandeur. L’Inde a

demandé et obtenu la mesure la plus exceptionnelle que puisse prendre la Cour, et ce, comme cela

ressort clairement du paragraphe 23 de sa demande, en priant instamment celle-ci de ne pas

autoriser la tenue d’audiences. Lorsqu’un demandeur cherche à obtenir une mesure aussi extrême, à

savoir dénier à l’autre partie le droit d’être entendu, il lui incombe de fournir à la Cour des

informations exhaustives et sincères, et de s’assurer que les documents et informations qu’il lui

soumet sont exacts et que tous les faits matériels lui sont présentés. Or, ainsi que je m’apprête à le

démontrer, la stratégie adoptée par le demandeur contrevient en tous points à ces trois éléments

fondamentaux. - 7 -

Premièrement, l’Inde soutient, au paragraphe 20 de sa demande, que, à défaut de mesures

conservatoires, le commandant Jadhav sera exécuté avant que la Cour n’ait pu examiner l’affaire au

fond. Elle affirme de surcroît, au paragraphe 21, que l’urgence est telle que cette exécution pourrait

avoir lieu d’un jour à l’autre. Aussi n’est-il guère surprenant que le président de l’organe judiciaire

principal de l’Organisation des Nations Unies — et de fait, de l’organe judiciaire le plus éminent

vers lequel se tournent toutes les nations civilisées —, organe dont l’Inde invoque la compétence en

la présente affaire, ait adressé aux Parties sa lettre du 10 mai en la formulant dans les termes dans

lesquels il l’a formulée.

Il est par ailleurs dit dans la requête que le procès a été expéditif et que le commandant

Jadhav pourrait être exécuté sommairement. Or, il ressort des documents soumis à la Cour avec la

requête elle-même, et plus précisément de l’annexe 6 qui est une déclaration publique détaillée

faite le 14 avril 2017 par le conseiller du premier ministre, S. Exc. M. Sartaj Aziz, que, avec tout le

respect que je dois à la partie adverse, rien de tout cela n’est vrai.

Le procès s’est déroulé en quatre étapes, du 21 septembre 2016 au 12 février 2017. La

procédure de recours en grâce a été clairement décrite, ainsi que les délais : 90 jours plus 60 jours.

Il est également indiqué, au paragraphe 9 de la requête, que les autorités pakistanaises ont

clairement indiqué que le commandant Jadhav ne remplissait pas les conditions pour pouvoir entrer

en communication avec ses autorités consulaires et que cette possibilité ne lui serait pas accordée.

Sur ce point, je renvoie la Cour à l’annexe 7 de la requête, qui ne dit malheureusement rien de tout

cela.

Le demandeur a prétendu soumettre à la Cour, à l’annexe 11 de sa requête, un article d’un

journal qui n’est pas répertorié au Pakistan, sans que l’on connaisse d’ailleurs la nature de cette

publication. Mais ce qu’il importe de relever, c’est que la position des autorités de la République

islamique du Pakistan a été manifestement présentée de manière erronée dans la requête soumise à

13 la Cour. De fait, à l’annexe 9 de cette dernière figure un projet de transcription d’un communiqué

de presse de trois pages du porte-parole officiel du ministère des affaires étrangères, dans lequel, en

page 3 la Cour constatera que, en réponse à une question directe d’un journaliste, le porte-parole a

déclaré très clairement que, en vertu de l’accord bilatéral conclu entre l’Inde et le Pakistan en 2008

— que l’Inde s’évertue à ne pas mentionner — la question de la possibilité, pour le commandant - 8 -

Jadhav, de communiquer avec ses autorités consulaires serait tranchée au regard du fond de

l’affaire.

Il a également été indiqué à la Cour que les autorités pakistanaises avaient formulé une

demande tendant à ce que certains éléments leur soient communiqués, mais seule la lettre de

couverture de cette demande lui a été fournie dans les annexes. Les documents importants qui

avaient été adressés à l’Inde le 23 janvier 2017 ne l’avaient hélas pas été à la Cour, mais il a à

présent été remédié à cette situation.

Comme la Cour le constatera à l’annexe 1 du dossier de plaidoiries, ces documents

comprenaient une lettre de couverture sur laquelle figurent 13 noms, tous donnés par le

commandant Jadhav aux autorités pakistanaises. Dans la lettre de couverture, le Pakistan sollicite

l’assistance des autorités indiennes au sujet des données enregistrées dans le téléphone du

commandant Jadhav et de certaines références bancaires. Il s’agit là de demandes parfaitement

raisonnables et légitimes. Une copie de la première demande d’informations, contenant le détail des

fait allégués, a été communiquée aux autorités indiennes (annexe 1). L’annexe 2 est une copie du

passeport.

Il est intéressant de relever que, à aucun moment, l’Inde n’a fait le moindre commentaire

ssur le fait qu’un individu dont la nationalité indienne a été en quelque sorte admise de bene esse,

sans être effectivement établie par les autorités indiennes, détienne un passeport. De toute évidence,

des explications s’imposent quant à ce passeport.

Et puis il y a les aveux, qui figurent dans le dossier qui a été communiqué aux autorités

indiennes, de même que — et ce point est important — la résolution 1373 du Conseil de sécurité de

l’Organisation des Nations Unies, l’une des plus importantes que le Conseil ait adoptées au

lendemain des terribles attentats du 11 septembre. Il ne fait aucun doute que l’Inde connaissait

parfaitement les principes énoncés dans ce document, mais rappelons qu’incombent aux Etats

membres de l’Organisation, non seulement l’obligation de prêter assistance en matière de

prévention du terrorisme, mais également celle de fournir des éléments de preuve. Or, comment

l’Inde a-t-elle répondu à la demande d’informations présentée par le Pakistan ? Par un silence

assourdissant. Elle n’a pas répondu. - 9 -

14 Au paragraphe 50 de la requête, on peut lire que les aveux du commandant Jadhav ont été

recueillis après que l’Inde eut cherché à entrer en contact avec son ressortissant par l’entremise de

ses autorités consulaires. Voilà qui est quelque peu ironique puisque, comme vous l’avez vu et

comme cela ressort clairement des observations écrites présentées à la Cour, la chronologie des

événements est la suivante : le commandant Jadhav a été arrêté dans la province méridionale du

Pakistan, le Baloutchistan, riche en minerais et malheureusement bien trop souvent le théâtre de

violences, qu’il a rejoint en traversant la frontière avec l’Iran, muni de ce faux passeport.

En ce qui concerne l’enregistrement vidéo, il s’agit donc d’un enregistrement vidéo des

aveux de l’intéressé qui a été diffusé le 25 mars 2016. Aussi est-il tout à fait erroné de soutenir que

cette vidéo aurait été obtenue après que l’Inde eut cherché à entrer en contact avec son ressortissant

par l’entremise de ses autorités consulaires : cela ne correspond tout simplement pas à la

chronologie des événements.

L’Inde soutient en outre, au paragraphe 28 de sa requête, que le Pakistan a subordonné la

possibilité pour elle d’entrer en contact avec son ressortissant à l’octroi de l’assistance aux fins

d’enquête qu’il avait sollicitée. Je m’arrête un instant sur ce point, pour appeler respectueusement

l’attention de la Cour sur le fait que l’obligation de prévenir le terrorisme et d’en permettre la

répression est l’une des obligations les plus importantes qui incombent à tous les Etats membres de

l’Organisation des Nations Unies. J’irai même bien plus loin, en disant qu’il s’agit d’une obligation

erga omnes.

Il ne s’agissait donc pas d’une condition à laquelle le Pakistan avait subordonné l’octroi à

l’Inde de la possibilité d’entrer en contact avec son ressortissant, mais d’une obligation

fondamentale à laquelle l’Inde était tenue de se conformer, et il lui reste encore à expliquer à la

Cour pourquoi elle ne l’a pas fait. De fait, il est tout simplement faux — sinon trompeur, avec tout

le respect que je dois à la partie adverse — de laisser entendre que le Gouvernement pakistanais et

ses représentants avaient posé une telle condition. Ce qu’ils ont déclaré — et, là encore, cela figure

dans les annexes versées au dossier, et plus précisément dans la lettre du 21 mars 2017 qui figure à

l’annexe 3 —, avant que ne soit rendu le jugement le 10 avril 2017, c’est que la possibilité pour

l’Inde de communiquer avec le condamné par l’entremise de ses autorités consulaires serait étudiée

à la lumière de la suite qu’elle donnerait à la demande d’assistance aux fins d’enquête, de façon à - 10 -

fournir les éléments de preuve nécessaires à la poursuite de la procédure judiciaire en cours au

Pakistan et, partant, à permettre que justice soit rendue avec célérité.

L’Inde a laissé entendre que le procès du commandant Jadhav s’était déroulé devant un

tribunal fantoche. Dans ce cas, n’est-il pas étrange qu’il s’agisse d’une juridiction établie, dans un

Etat qui, dans le souci de rendre la justice, demande à avoir communication des preuves et partage

celles qu’il détient ? Avec tout le respect dû à mes contradicteurs, la thèse qui a été présentée à la

Cour est une imposture.

Mais où tout cela mène-t-il ? Nous avons vu, au paragraphe 20 de la demande en indication

de mesures conservatoires, que le président a été exhorté à agir, au motif que le

15 commandant Jadhav pourrait perdre la vie d’un jour à l’autre. C’est l’Inde qui a fait naître un

sentiment d’urgence, et non le Pakistan. C’est l’Inde qui a invoqué indûment la compétence de la

Cour, et il est intéressant de voir de quelle manière a évolué sa conception de l’urgence. Au départ,

nous avons donc eu droit à l’expression «d’un jour à l’autre». Puis mon éminent collègue, devant la

Cour, a indiqué qu’il était approprié que la Cour indique des mesures dans les cas où, comme dans

l’affaire Avena, l’exécution doit intervenir dans les six mois. Premièrement, ce que dit l’Inde n’est

pas vrai. Deuxièmement, il est inacceptable d’invoquer la compétence de la Cour sur la base de

l’imminence, en recourant à des expressions telles que «d’un jour à l’autre» et «sur le point d’être

commis», pour déclarer ensuite devant la Cour que le délai peut être de six mois. Inutile d’en dire

plus. Les trois affaires portant sur des condamnations à mort s’inscrivaient dans le cadre de

l’application de la peine capitale aux Etats-Unis d’Amérique.

Dans l’affaire du Paraguay, l’exécution devait intervenir dans un délai de onze jours. Dans

l’affaire LaGrand, c’était le lendemain. Et, dans l’affaire Avena, le premier des 54 Mexicains

condamnés à mort allait être exécuté dans un délai de quatre semaines. Non pas six mois, mais

quatre semaines.

Les travaux préparatoires de l’article 41 du Statut de la Cour, dont celle-ci a donné un aperçu

fort utile au paragraphe 105 de l’arrêt rendu en l’affaire LaGrand, montrent que cet article vise

certaines situations dans lesquelles un préjudice irréparable est sur le point d’être commis  sur le

point d’être commis. Le libellé de cette disposition indique clairement l’immédiateté, l’imminence - 11 -

ou l’urgence, et, pour tout dire, un délai de six mois ne saurait être considéré par quiconque comme

imminent, urgent ou immédiat.

La requête omet, fort opportunément de mentionner l’existence des recours en grâce, que le

conseiller du premier ministre a pourtant évoqués dans la déclaration qu’il a faite à la presse le

14 avril, déclaration qui figure parmi les éléments présentés à la Cour mais n’a pas été portée à son

attention.

Dans sa plaidoirie de ce matin, mon éminent collègue a indiqué que l’exécution de

l’intéressé pourrait intervenir avant que la Cour ne rende son arrêt définitif au fond. Voilà une

version pour le moins assouplie de la thèse présentée par écrit à la Cour. Cela ne saurait suffire. Sur

le rôle de la Cour sont inscrites certaines des questions les plus importantes auxquelles les Etats

peuvent se trouver confrontés. La raison d’être de la Cour est de veiller à ce que ceux-ci puissent

régler leurs différends de manière pacifique. Elle ne saurait être la cible de manœuvre dilatoires ni

servir de tribune à des gesticulations politiques.

J’observerai ensuite que le remède sollicité est manifestement impossible. Mon éminent

collègue a indiqué que ce qu’il cherchait à obtenir, à tout le moins, c’était l’annulation. Et, dans le

meilleur des cas, une libération sans délai. Sur ce point, je renvoie la Cour au paragraphe 60 de la

16 demande. Or, il n’est ni réaliste ni plausible d’espérer obtenir un tel remède de la Cour. Nous

sommes là bien au-delà du vœu pieux

La Cour sait fort bien que, dans l’affaire du Paraguay, malgré l’ordonnance qu’elle avait

rendue le 9 avril, l’exécution allait avoir lieu le 14 avril et que la réparation des Etats-Unis a

consisté en des excuses. Un remède similaire était demandé par le Paraguay.

Dans l’affaire LaGrand, l’un des deux frères, Walter LaGrand, a été exécuté le 3 mars 2009,

malgré l’ordonnance de la Cour. Dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire en 2001, la Cour a

demandé aux Etats-Unis de faire en sorte que d’autres ressortissants allemands susceptibles de

subir le même traitement disposent de voies de recours permettant de procéder au réexamen et à la

revision de leur condamnation, le choix des moyens à cette fin revenant aux Etats-Unis. De fait,

aux paragraphes 121 à 124 de cette décision, la Cour  la présente Cour  a souligné, comme

cela avait été énoncé au paragraphe 52 de l’arrêt LaGrand, qu’elle n’était pas une juridiction

d’appel pénale, et n’avait aucune compétence dans ce domaine. - 12 -

Cet aspect a été souligné dans les paragraphes 121 à 124 de l’arrêt rendu en l’affaire Avena

le 31 mars 2004. Au paragraphe 121, la Cour a indiqué très clairement qu’il lui fallait déterminer

quelle serait la réparation adéquate des violations de l’article 36. Il ressort clairement du texte que

ce à quoi la Cour faisait référence et ce qu’il convenait, selon elle, de faire pour remédier aux

violations commises, était d’imposer aux Etats-Unis de permettre le réexamen et la revision du cas

de ces ressortissants (les 54 en cause) par les tribunaux américains. La Cour a aussi précisé au

paragraphe 122 que «l’affaire portée devant elle concern[ait] l’article 36 de la convention de

Vienne et non le bien-fondé [de la peine de mort]», pardon, «de tout verdict de culpabilité rendu ou

de toute peine prononcée».

Le Mexique avait indiqué qu’il était fondé à demander une annulation partielle ou totale des

verdicts de culpabilité et des peines, et qu’il s’agissait du seul remède approprié. Nous voyons là

des parallèles avec la position de l’Inde.

L’affaire sur laquelle se fondait le Mexique était Congo c. Belgique, dont la Cour a précisé

que le contexte factuel était différent de celui de l’affaire Avena. L’intéressé jouissant de

l’immunité, il n’aurait en effet jamais dû faire l’objet d’une procédure pénale.

17 Quel est alors le but de la requête en la présente espèce ? L’agent du Pakistan a déclaré que

son pays avait été poussé à comparaître devant la Cour. Et dans quel but ? Si la Cour ne peut

exercer le rôle de juridiction d’appel pénale et si le seul remède demandé par l’Inde fait défaut, quel

est le but poursuivi ?

Comme nous l’avons indiqué aux paragraphes 19 et 20 de notre exposé écrit, les mesures

conservatoires demandées par l’Inde reposent sur des «arguments au forceps» [bootstraps

argument]. Si le remède au fond n’existe pas, des mesures conservatoires ne peuvent pas et ne

doivent pas être indiquées. En employant l’expression «bootstraps argument», je me réfère à une

notion familière aux juristes anglophones, ce dont je vous prie de m’excuser ; elle permet de se

figurer quelqu’un qui tente à toute force de se hisser hors de ses bottes.

L’Inde elle-même s’est référée à toutes les décisions de la Cour que je viens d’évoquer

brièvement. Or, dans aucune d’entre elles, un remède du type de celui qu’elle sollicite n’a été

accordé. L’Inde doit en prendre conscience. Par conséquent, il est difficile de ne pas conclure que,

en réalité, l’unique objectif que poursuit l’Inde est d’obtenir que soit rendue une ordonnance de - 13 -

sursis. Si les ordonnances de sursis, comme on les appelle dans certains contextes, peuvent parfois

être perçues comme constituant un remède au fond, lorsque le délai équivaut à une négation de la

procédure judiciaire, une telle logique restera sans effet devant la présente Cour où le temps est

précieux, du moins celui de la Cour elle-même.

Selon nous, la Cour devrait faire preuve de la plus grande prudence dès lors qu’il n’existe

pas de lien manifeste ou réaliste entre la demande en indication de mesures conservatoires et les

droits que les mesures sollicitées sont censées sauvegarder.

La troisième et dernière partie de mon intervention a trait à la compétence. A cet égard, il y a

quatre points que je souhaite aborder. La Cour dispose de mon exposé écrit, et la question de la

compétence y est traitée aux paragraphes 50 à 93.

Je reconnais pleinement que, à ce stade, la Cour ne se livre pas à l’examen au fond de la

question de sa compétence et qu’elle n’est appelée qu’à rechercher si cette dernière peut être

invoquée prima facie. Pour ce faire, elle devrait selon nous tenir compte à tout le moins des quatre

facteurs suivants.

Le premier est développé aux paragraphes 53 à 61 de mon exposé écrit. Le

8 septembre 1974, l’Inde a déposé une réserve qui comportait deux volets. Premièrement, elle

entendait soustraire de la compétence de la Cour tout différend l’opposant au Gouvernement d’un

Etat qui avait été membre du Commonwealth. Et deuxièmement, pour exclure les différends, le
18

paragraphe 7  le précédent étant le paragraphe 2 de la réserve  le paragraphe 7 de la réserve,

donc, visait à soustraire de la compétence de la Cour les différends relatifs à l’interprétation ou à

l’application de traités multilatéraux, ce qu’est clairement la convention de Vienne, à moins que

toutes les parties au traité ne fussent également parties à l’affaire dont la Cour était saisie, ce qui

n’est pas le cas, ou que le Gouvernement indien n’acceptât spécialement la compétence de la Cour,

ce qu’il n’a pas fait.

L’Inde a invoqué ces dispositions en l’affaire de l’Incident aérien, dans laquelle la Cour a

rendu son arrêt le 21 juin 2000. Dans des circonstances épouvantables, le 10 août 1999, un aéronef

pakistanais avait été abattu dans l’espace aérien du Pakistan par des forces indiennes, entraînant la

perte de nombreuses vies humaines. La Cour avait été saisie de ce grief, notamment sur la base de

la Charte des Nations Unies, et l’Inde avait fait valoir les réserves en question. Le grief avait été - 14 -

soumis au titre des paragraphes 1 et 2 de l’article 36 du Statut de la Cour. Celle-ci avait décidé que

point n’était besoin d’examiner le paragraphe 7 de la réserve, puisque le paragraphe 2 suffisait. Le

Pakistan étant un Etat du Commonwealth, la réserve avait pris effet. Mais, évidemment, le

paragraphe 7 devait s’appliquer aux traités multilatéraux.

La réserve pakistanaise constitue le deuxième point. De fait, le Pakistan a formulé une

première réserve à la compétence de la Cour en 1960, puis une autre le 29 mars 2017. Et quel était

l’objectif de cette réserve ? Exclure de la compétence de la Cour toutes les questions liées à la

sécurité nationale de la République islamique du Pakistan. Il ne s’agit pas là à première vue d’une

réserve contestable ; c’est une réserve qui n’a rien de surprenant. Je m’arrêterai à présent un instant

pour observer que les relations entre ces deux Etats ont malheureusement souvent été orageuses, ce

qui a son importance si l’on s’intéresse à l’accord de 2008 sur la communication des autorités

consulaires avec les ressortissants de l’Etat d’envoi.

Pour ce qui est de mes observations sur ces deux réserves, même si la Cour considère qu’elle

n’est pas en mesure de déterminer à ce stade si ces dernières trouvent pleinement à s’appliquer de

manière à la priver de sa compétence, elles sont néanmoins pertinentes dans le cadre de l’examen,

par la Cour, de la question de savoir s’il convient d’accorder des remèdes à titre exceptionnel.

Il y a deux raisons à cela : premièrement, comme le montre sans ambiguïté sa réserve, l’Inde

entend exclure de la compétence de la Cour toute affaire mettant en jeu le Gouvernement

pakistanais.

Deuxièmement, le Pakistan entend exclure de la compétence de la Cour toute question liée à

sa sécurité nationale.

19 Le troisième facteur est la convention de Vienne. Dans ce cas, nous pouvons nous rallier à la

position du demandeur, et il est donc permis de penser qu’il reste de l’espoir, celui-ci ayant

observé, à la page 16, paragraphe 34, de sa requête que l’«article 36 de la convention de Vienne

a[vait] été ... adopté ... afin d’établir ... des normes de conduite régissant, en particulier, la

communication avec les ressortissants de l’Etat d’envoi, dans le souci de contribuer au

développement de relations amicales entre les nations». Nous ferons toutefois immédiatement

observer qu’il est peu probable que cela s’applique lorsqu’un espion/terroriste est envoyé par un

Etat pour se livrer à des actes de terreur. - 15 -

De fait, il ressort clairement de la convention de Vienne elle-même qu’il existe des

dispositions autres que l’article 36 dont il convient de tenir compte avant de saisir la Cour en

affirmant hardiment que cet instrument constitue un régime interdépendant. Certes, la convention

comporte 73 articles, mais le seul à avoir été invoqué devant la Cour est l’article 36. Or, il est très

clairement indiqué dans le préambule que les règles du droit international coutumier continuent de

régir les questions qui n’ont pas été expressément réglées dans les dispositions de la convention.

C’est là un point important.

L’article 5 définit la portée des fonctions consulaires, le litt. a), dans les limites admises par

le droit international et le litt. i), sous réserve des pratiques et procédures en vigueur dans l’Etat de

résidence, et le litt. m) précise les fonctions que n’interdisent pas les lois et règlements de l’Etat de

résidence, auxquelles l’Etat de résidence ne s’oppose pas ou qui sont mentionnées dans les accords

internationaux en vigueur entre l’Etat d’envoi et l’Etat de résidence, l’accord de 2008 étant un tel

instrument.

L’Inde a laissé entendre à la Cour que la convention, en son article 36, prévoyait un accès

immédiat et sans entrave. Elle prétend que cet article a été violé par les autorités pakistanaises dès

l’arrestation du commandant Jadhav, ce qui est tout simplement faux.

En l’affaire Avena, la Cour a tenu compte, aux paragraphes 80 à 87 de l’arrêt qu’elle a rendu

le 31 mars 2004, du délai dans lequel l’accès devait être accordé, concluant qu’il n’était pas

nécessaire de le faire avant le début d’un interrogatoire. L’Inde, soit dit respectueusement, se

trompe donc clairement.

Penchons-nous à présent sur la proposition relative au caractère étendu que revêtirait le

litt. c) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne : «Les fonctionnaires consulaires

ont le droit de se rendre auprès d’un ressortissant ..., de s’entretenir et de correspondre avec lui.»

20 Relisons maintenant cette disposition comme suit : les «fonctionnaires consulaires [d’un Etat

qui envoie un espion] ont le droit de se rendre auprès d’un ressortissant [l’espion envoyé] ..., de

s’entretenir et de correspondre avec lui.»

Cette lecture de la disposition fait immédiatement apparaître que le litt. c) du paragraphe 1

de l’article 36 n’aurait jamais pu avoir vocation à s’appliquer dans ce contexte. - 16 -

Nous avons développé plus avant cet argument dans notre exposé écrit. Il convient par

ailleurs de tenir compte des circonstances dans lesquelles la convention de Vienne a été examinée

puis adoptée. Il n’est pas fait mention de l’espionnage, et encore moins du terrorisme, dans les

travaux préparatoires, ce qui montre à suffisance qu’aucune des Parties ayant pris part à ce

processus n’avait ne serait-ce qu’envisagé que la présente convention s’applique à des terroristes

ou à des espions.

Et pour cause : il n’y a pas si longtemps encore, l’Union soviétique et les Etats-Unis

d’Amérique étaient engagés dans ce que l’on a appelé la guerre froide, et nous avons tous admis la

fiction selon laquelle il n’existait pas d’espions. Cependant, dans la présente affaire, nous sommes

bien évidemment en présence d’un passeport qui n’a pas encore été expliqué.

Le commandant Jadhav serait un ressortissant indien, mais qu’a fait l’Inde pour le prouver ?

En l’affaire Avena, la Cour a pourtant précisé, aux paragraphes 55 à 57 de l’arrêt qu’elle a rendu le

31 mars 2004, que l’Etat qui souhaitait communiquer avec une personne par l’entremise de ses

autorités consulaires avait la charge d’établir que l’intéressé était l’un de ses ressortissants.

En l’espèce, par un tour de passe-passe, si vous me permettez l’expression, l’Inde a adopté la

position que cet homme est un ressortissant indien. Or, il est en possession d’un passeport qui est

manifestement faux. Oublions la demande d’assistance du 23 janvier 2017, qui a permis à l’Inde de

savoir quel était le faux passeport en question. Celle-ci aurait eu la possibilité de dire que, en

réalité, l’intéressé possède un autre passeport sur lequel figure son nom. On voit évidemment tout

de suite les problèmes que cela aurait pu poser.

L’Inde aurait également pu fournir une copie du certificat de naissance de l’intéressé, comme

l’avaient fait les autorités mexicaines en l’affaire Avena. Rien de tout cela ne s’étant cependant

produit, nous faisons respectueusement observer qu’il est pour le moins regrettable que cet Etat

saisisse la Cour en soutenant catégoriquement que le commandant Jadhav est un ressortissant

indien sans avoir fait quoi que ce soit pour le prouver. Il n’y a d’ailleurs pas nécessairement lieu de

s’en étonner.

La convention de Vienne elle-même contient à l’évidence des réserves qui tendent à exclure

21 son application à l’égard d’actes de cette nature. En effet, il ressort clairement de l’article 55 qu’il

ne doit pas y avoir d’ingérence dans les affaires intérieures de l’Etat de résidence. Cela suffit à - 17 -

montrer que, lorsqu’un individu est accusé d’espionnage ou de terrorisme, toute communication

consulaire susceptible de porter sur des éléments de preuve compromettants et risquant par là

même d’exacerber la menace pour l’Etat de résidence, en raison de la transmission d’informations

codées, ne saurait constituer autre chose qu’une violation de l’article 55. J’en viens enfin à l’accord

de 2008, dont mon confrère s’est efforcé de se distancier. On nous a dit qu’il n’était pas pertinent,

qu’il n’avait pas été invoqué et qu’il n’était pas en cause en l’espèce. Comme je l’ai déjà dit, il est

fâcheux d’avancer un argument technique, et absurde en soi, devant la Cour pour chercher

néanmoins à persuader celle-ci d’indiquer des mesures conservatoires exceptionnelles à l’encontre

d’un Etat membre des Nations Unies. Dans l’intérêt de la paix. Ce qui — si vous me le

permettez — n’est pas le cas.

Des allégations graves sont formulées contre un Etat membre des Nations Unies. Or, l’Inde

n’a pas présenté l’once d’une preuve pour réfuter l’accusation claire et manifeste de terrorisme

visant l’individu concerné.

Les membres de la Cour ont vu l’enregistrement vidéo. Le monde entier a été invité à le

regarder, et il appartient à chacun de décider si ce monsieur a été enlevé en Iran et amené au

Pakistan dans l’unique but de lui faire avouer des actes criminels. La frontière qui sépare l’Inde du

Pakistan est longue, et il suffit de choisir parmi des centaines de millions de personnes. Dès lors,

enlever l’individu concerné en Iran et l’amener au Pakistan aux seules fins de lui soutirer une

confession semble au mieux extravagant.

Relevons que l’Inde ne laisse pas entendre que le Pakistan ait déjà violé l’accord de 2008.

Selon nous, cet accord éclaire les Parties en ce qui concerne la convention de Vienne et leur permet

de mieux comprendre son application. Compte tenu de la nature acrimonieuse des relations entre

les deux Etats, il représente un moyen utile, si ce n’est fondamental, pour désenvenimer autant que

possible ces relations. En ce sens, il est donc parfaitement conforme aux objectifs de la convention.

J’irais jusqu’à dire qu’il joue un rôle essentiel.

Aussi est-il peut-être bien commode de minimiser l’application et l’importance de cet accord

en prétendant qu’il n’est pas pertinent, mais cela ne convaincra personne.

L’accord figure à l’annexe 10 de la requête mais, bien évidemment, il a été présenté à la

Cour comme étant dépourvu d’intérêt dans une demande soumise en vue d’obtenir l’indication de - 18 -

mesures conservatoires dans les deux jours et sans audiences. Si une partie forme une telle

demande devant la Cour, elle devrait à tout le moins expliquer pourquoi cet accord n’est pas
22

pertinent. Il est en vigueur depuis près d’une décennie et aucune plainte faisant état d’une violation

de cet accord par le Gouvernement du Pakistan n’a été formulée.

J’aborderai bientôt la manière dont la position du Gouvernement du Pakistan a été dénaturée,

mais je vais tout d’abord lire l’accord, lequel est très court et fort clair. C’est peut-être d’ailleurs

pourquoi il est appliqué avec succès. Il se compose de sept points et est intitulé «Accord sur la

communication des autorités consulaires avec les ressortissants de l’Etat d’envoi», soit l’objet

même à l’égard duquel la compétence de la Cour est invoquée à présent en urgence. Il est formulé

comme suit :

«Le Gouvernement de l’Inde et le Gouvernement du Pakistan, désireux de

contribuer à la réalisation de l’objectif consistant à garantir un traitement humain aux
ressortissants de chacun des deux Etats en cas d’arrestation, de détention ou
d’emprisonnement sur le territoire de l’autre, sont convenus de facilités consulaires
réciproques comme suit :

i) Chaque gouvernement tient une liste exhaustive des ressortissants de l’autre
Etat arrêtés, détenus ou emprisonnés sur son territoire. Les listes sont
er er
échangées le 1 janvier et le 1 juillet de chaque année.

ii) L’arrestation, la détention ou l’emprisonnement de tout ressortissant de
l’autre Etat doivent être signalés sans délai au haut-commissariat concerné.»

Donc s’agissant du cadre temporel, ces dispositions complètent la charpente posée par le

paragraphe 1 de l’article 36.

«iii) Chaque gouvernement s’engage à informer l’autre Gouvernement dans les meilleurs délais

des condamnations prononcées à l’encontre des ressortissants de l’autre Etat condamnés.»

Il n’est pas certain que le terme anglais «award» soit approprié pour une condamnation,

mais, en tout état de cause, tel a été le choix des rédacteurs.

«iv) Chaque gouvernement autorise la communication par l’entremise des autorités consulaires,

dans un délai maximal de trois mois, avec les ressortissants d’un Etat arrêtés, détenus ou

emprisonnés dans l’autre Etat.» Trois mois.

La Partie adverse dit à la Cour que, en manquant d’autoriser  que la manière de procéder

du Gouvernement du Pakistan est contestée. Et l’Inde n’a pas parlé à la Cour du point vi), que je

lirai à la suite du point v), formulé comme suit : - 19 -

«Les deux Gouvernements conviennent de libérer et de rapatrier les intéressés
dans un délai d’un mois au plus tard après expiration de leur peine et confirmation de
leur nationalité.

vi) En cas d’arrestation, de détention ou de condamnation pour des motifs politiques
ou relatifs à la sécurité, chaque partie peut examiner l’affaire au fond.

vii)Dans des circonstances spéciales requérant de faire preuve de compassion et
d’humanité, chaque partie peut exercer son pouvoir discrétionnaire, en tant que
permis par ses lois et règlements, pour autoriser une libération et un rapatriement
anticipés. Le présent accord entre en vigueur à la date de sa signature», le
21 mai 2008.

Avec tout le respect que je vous dois, non seulement cet accord lie les deux Etats, mais il
23

élargit, si ce n’est de manière essentielle à tout le moins utilement, l’interprétation et la mise en

œuvre de la convention de Vienne entre deux Etats qui ont été en guerre à plus de deux reprises.

Il a été dit à la Cour que le Gouvernement du Pakistan déniait à l’Inde le droit d’entrer en

communication avec son ressortissant par l’entremise de ses autorités consulaires. Rien n’est plus

éloigné de la vérité. La Cour verra que la position officielle du ministère des affaires étrangères,

telle qu’elle a été exposée par son porte-parole (annexe 9, page 3 de l’extrait), était que la

possibilité pour les autorités consulaires de communiquer avec les ressortissants de l’Etat d’envoi

serait accordée en application de l’accord de 2008.

On est bien loin de la manière dont le Gouvernement du Pakistan est présenté devant la

Cour. Faire référence en toute franchise, honnêteté et sincérité à un accord en vigueur entre deux

Etats n’est pas un exemple de mauvaise foi ; faire référence à un tel accord réfute toute suggestion

d’une violation grave de ses dispositions, d’un manquement délibéré aux obligations qu’il prévoit ;

faire référence à un tel accord démontre que le Pakistan fait montre de franchise, attitude qui,

j’ajouterai, semble avoir été maintenue de manière plus ou moins satisfaisante, car il n’est pas

donné à entendre, à tout le moins pas par l’Inde, qu’il aurait violé cet accord, en vigueur depuis

près d’une dizaine d’années.

Par conséquent, j’en arrive à la conclusion qu’il convient de tirer de la démarche que le

Gouvernement de l’Inde a malheureusement adoptée et qui vise à tenter de persuader la Cour

d’indiquer des mesures conservatoires en l’absence du Gouvernement du Pakistan. Il était tout à

fait inapproprié d’invoquer la compétence exceptionnelle de la Cour. - 20 -

Pour autant qu’il y ait la moindre raison, aussi infime soit-elle, d’avoir quelque inquiétude

quant au sort du commandant Jadhav, notre agent a clairement dit que le Gouvernement du

Pakistan était tout à fait disposé, afin de dissiper ces inquiétudes, dont nous maintenons qu’elles

sont infondées, à organiser des audiences accélérées ainsi qu’il l’avait proposé.

Il n’y a aucun risque véritable qu’un préjudice irréparable soit causé en un jour ou deux,

comme l’a laissé entendre le Gouvernement de l’Inde, une période qu’il a étendue à présent à six

mois.

Il s’agit là d’audiences pendant lesquelles j’ai eu l’honneur d’intervenir devant la Cour, mais

ces audiences n’étaient pas nécessaires. Je vous remercie.

24 Le PRESIDENT : I thank the counsel for Pakistan. Voilà qui clôt la procédure orale sur la

demande en indication de mesures conservatoires présentée par l’Inde. Il me reste à remercier les

représentants des deux Parties pour le concours qu’ils ont apporté à la Cour en lui présentant leurs

observations orales.

Conformément à la pratique, je prierai les agents des Parties de bien vouloir rester à la

disposition de la Cour.

La Cour rendra son ordonnance sur la demande en indication de mesures conservatoires dès

que possible. Les agents des Parties seront avisés en temps utile de la date à laquelle elle en

donnera lecture en audience publique.

La Cour n’étant saisie d’aucune autre question aujourd’hui, l’audience est levée.

L’audience est levée à 15 h 55.

___________

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