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CR 2017/2

CR 2017/2

Mardi 7 mars 2017 à 10 heures

Tuesday 7 March 2017 at 10 a.m - 2 -

The PRESIDENT: Please be seated. The sitting is open. The Court meets today to hear the
12

first round of oral observations of the Russian Federation on the Request for the indication of

provisional measures submitted by Ukraine. I now call H.E. Mr. Roman Kolodkin, Agent of the

Russian Federation. Your Excellency, you have the floor.

M. KOLODKIN :

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un honneur pour moi que

de me présenter de nouveau devant vous au nom de mon pays.

2. La Cour a été saisie de deux affaires très différentes. L’une porte sur des violations de la

convention contre le financement du terrorisme qui auraient été commises en Ukraine orientale, et

l’autre, sur des violations de la convention contre la discrimination raciale qui auraient été

commises en Crimée.

3. En soumettant ces deux affaires ensemble, l’Ukraine tente artificiellement de fusionner

deux situations différentes, qui sont régies par deux instruments juridiques différents et concernent

deux régions géographiques différentes. Ce faisant, son objectif est double : premièrement, elle

veut amener la Cour à se prononcer, ne serait-ce qu’incidemment, sur certaines questions opposant

les deux Etats qui dépassent clairement sa compétence en la présente affaire, à savoir des questions

relatives à la licéité d’un prétendu emploi de la force, à la souveraineté de l’Etat, à l’intégrité

territoriale et à l’autodétermination ; deuxièmement, elle veut utiliser la tribune que lui offre la

Cour pour stigmatiser une partie importante de la population ukrainienne — qui s’est organisée en

formant la République populaire de Donetsk (RPD) et la République populaire de Lougansk (RPL)

— en la qualifiant de terroriste, ainsi que la Russie, en la qualifiant de soutien du terrorisme et de

«persécuteur» des Tatars de Crimée , pour reprendre les termes employés hier par un conseil de

l’Ukraine.

4. Cet objectif a été clairement exprimé en dehors de l’enceinte de la Cour. Le président

Poroshenko a ainsi indiqué que la demande de l’Ukraine visait à faire «payer le prix» à

1CR 2017/1, p. 30, par. 17 (Koh). - 3 -

l’«agresseur» . En janvier 2016, Mme Zerkal, vice-ministre des affaires étrangères et agent de

13 l’Ukraine, a déclaré que «le fait que la Cour internationale de Justice dise que la Russie est un Etat

soutenant le terrorisme pourrait entraîner de profonds bouleversements géopolitiques» . 3

5. Monsieur le président, l’Ukraine a consacré une grande partie de sa requête à décrire le

contexte politique et historique de la situation actuelle de l’Ukraine, son agent ayant formulé de

nouvelles observations sur ce point hier. Or, cette présentation est émaillée d’inexactitudes, et il

me faut donc en dire quelques mots.

6. Au mois de février 2014, un violent coup d’Etat a eu lieu à Kiev. Il avait été précédé par

une longue confrontation entre le Gouvernement de l’Ukraine et l’opposition. Le prétexte a été la

décision prise par le Gouvernement ukrainien de suspendre la préparation de la signature d’un

accord d’association avec l’Union européenne pour explorer d’autres voies. Mais le vrai problème

a été le fait de l’opposition en Ukraine, qui a mis la population devant un choix aussi tranché

qu’imaginaire : l’avenir de l’Ukraine serait soit au côté de l’Europe, soit au côté de la Russie.

7. Ce choix artificiel a entraîné une profonde division du pays. D’un côté, les populations

majoritairement russophones d’Ukraine orientale et de Crimée souhaitaient conserver leurs liens

historiques, économiques et culturels avec la Russie, sans exclure le moins du monde une

coopération avec l’Europe occidentale. L’ouest du pays, en revanche, qui était à l’époque dominé

par les nationalistes ukrainiens, souhaitait couper tous les ponts avec la Russie.

8. Au début de l’année 2014, une vague de violence a débuté en Ukraine occidentale et s’est

répandue à travers le pays. Des groupes extrémistes se sont emparés de bâtiments administratifs,

de postes de police et d’arsenaux militaires. Les autorités locales en Ukraine occidentale ont été

renversées . Les groupes armés extrémistes étant arrivés à Kiev, les manifestants ont fait le siège

du gouvernement et tenté de donner l’assaut aux locaux de la présidence. Les violences contre la

2
«La Russie, en tant qu’agresseur, doit être punie, déclare M. Porochenko», Ukrainska Pravda, 24 août 2016 ;
««L’agresseur devra payer le prix» : Porochenko a donné pour inotruction d’introduire une instance devant la Cour
internationale de Justice», Novoe Vrema (16 janvier 2017) (onglet n 1 du dossier de plaidoiries).
3
«Le ministère des affaires étrangères explique pourquoi l’Ukraine a tardé à introduire une action en justice
contre la Russie», Ukrainska Pravda, 28 janvier 2016 ; voir également «Le monde s’apprête à se pencher sur les
violations de la convention de l’ONU commises par la Fédérationode Russie, déclare la vice-ministre des affaires
étrangères de l’Ukraine», Gordonua.com (30 janvier 2016) (onglet n 2 du dossier de plaidoiries).
4Des photographies figurent sous l’onglet n 3 du dossier de plaidoiries. - 4 -

police se sont multipliées, des milliers d’extrémistes lançant des cocktails Molotov sur les

policiers .

9. Les principales forces de ce mouvement étaient des organisations ultra-nationalistes telles

que «Secteur droit» et «Svoboda», héritières des groupes ukrainiens qui s’étaient rendus complices

des crimes odieux commis pendant la seconde guerre mondiale.

14 10. Le 21 février 2014, le président Yanukovich a signé avec les dirigeants de l’opposition

un accord de règlement de la crise. Ce nonobstant, les manifestants ont encore intensifié les

hostilités et des tirs ont commencé à être échangés, faisant des dizaines de victimes, parmi

lesquelles au moins treize agents de police, ainsi que des centaines de blessés . 6

11. Le 22 février au soir, les extrémistes armés ont donné l’assaut au siège du gouvernement.

Craignant pour sa vie, le président Yanukovich a quitté Kiev.

12. Le Parlement ukrainien, désormais sous le contrôle des dirigeants du coup d’Etat, a

destitué le président Yanukovich de manière inconstitutionnelle, et désigné le chef de Maidan,

M. Turchinov, comme «président en exercice». Plutôt que de tenter d’établir un gouvernement de

coalition pour apaiser les tensions, les nouvelles autorités ont entretenu la division en mettant en

place un «gouvernement des vainqueurs».

13. L’une des toutes premières mesures prises par le nouveau Parlement ukrainien a été de

priver la langue russe du statut officiel que lui conférait la loi dans la moitié des régions

ukrainiennes. Cette mesure a été aussitôt critiquée par l’OSCE, qui a estimé qu’elle créait une

profonde division dans le pays , et le président en exercice y a finalement opposé son veto. Le

message antirusse des autorités était néanmoins passé.

14. Les violents soulèvements en Ukraine occidentale et le coup d’Etat sanglant qui en a

résulté à Kiev ont ébranlé le pays tout entier. Les régions de l’est majoritairement peuplées de

russophones ont ainsi vu, avec une peur grandissante, les nationalistes ukrainiens proférer des

menaces contre ceux qui s’opposaient au coup d’Etat. Des mouvements d’opposition ont toutefois

5Voir les photographies qui figurent sous l’onglet n 4 du dossier de plaidoiries.

6«Ukraine : un an après Euromaidan, justice à retardement, déni de justice». Rapport d’Amnesty International,
2015, p. 4.
7
Intervention de Mme Astrid Thors, haut-commissaire aux minorités nationales, devant l’assemblée
parlementaire de l’OSCE à sa session d’automne (3 octobre 2014), p. 4. - 5 -

vu le jour, qui protestaient contre le démantèlement de la constitution de l’Ukraine, ainsi que les

actes et la haine antirusses, et appelaient, en conséquence, à l’autonomie et à la fédéralisation. Ils

s’opposaient également au déni de leurs droits de l’homme et à la corruption généralisée . Cette 8

situation a débouché sur des affrontements avec les extrémistes favorables au coup d’Etat.

15. Le 2 mai 2014, ces derniers ont attaqué un rassemblement public à Odessa. Les

manifestants ont trouvé refuge dans le bâtiment de la Maison des syndicats de la ville, mais y ont

9
été brûlés vifs . La police, présente sur les lieux, n’est pas intervenue. 48 personnes sont mortes,

et 226 ont été blessées. A ce jour, les auteurs de ce crime n’ont toujours pas répondu de leurs actes

devant la justice ukrainienne.

15 16. Enfin, au mois d’avril 2014, le président en exercice a lancé ce qu’il a appelé

l’«opération anti-terroriste» dans le Donbass, initiative qui a entraîné la tragique guerre civile en

Ukraine orientale. Outre les forces armées régulières de l’Ukraine, des «bataillons de volontaires»

participent à cette opération, bataillons dont les atrocités sont constamment relatées dans les

rapports des organisations internationales concernées, y compris le Haut-Commissariat des

10
Nations Unies aux droits de l’homme .

17. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je dirai à présent quelques

mots de la Crimée. L’Ukraine a choisi de consacrer une partie importante de sa requête à la

question de la souveraineté sur la Crimée. Nous sommes en désaccord avec ce qu’elle a indiqué et

considérons que cette question est dépourvue de pertinence dans le cadre de la présente espèce.

18. Après avoir fait partie de la Russie pendant 170 ans, la Crimée a été transférée à

l’Ukraine en 1954, alors que les deux Républiques faisaient partie de l’URSS. Le peuple de

Crimée n’a pas été consulté. Lorsque l’Ukraine a proclamé son indépendance en 1991, le peuple

de Crimée n’a, de nouveau, pas été consulté. En 1995, l’Ukraine a voulu abroger la constitution de

8 Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, «Rapport sur la situation des droits de l’homme
en Ukraine» (15 juin 2014), par. 327.
9 o
Des photographies peuvent être consultées sous l’onglet n 7 du dossier de plaidoiries.
10Voir, par exemple, Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, «Rapport sur la situation des
droits de l’homme en Ukraine», Nations Unies, doc. A/HRC/2775 (19 septembre 2014), par. 23. Haut-Commissariat des
Nations Unies aux droits de l’homme, «Rapport sur la situation des droits de l’homme en Ukraine, 16 février 2016-
o
15 mai 2016», par. 50, 56, 150 (onglet n 8 du dossier de plaidoiries). - 6 -

la péninsule et supprimer le poste de président de Crimée, là encore sans le consentement de la

population.

19. Les terribles images de la prétendue «manifestation pacifique» dans les quartiers du

gouvernement de Kiev et des violences qui se sont répandues dans toute l’Ukraine au lendemain du

coup d’Etat ont eu un impact considérable parmi les Criméens, qui se sont mis à redouter une

offensive armée. De fait, les extrémistes de droite menaçaient de gagner la Crimée. Dans ce

contexte, et compte tenu de ce que la grande majorité des Criméens souhaitait faire de nouveau

partie de la Russie, l’organisation d’un référendum sur l’avenir de la péninsule s’est imposée

comme une solution évidente.

20. Monsieur le président, j’en reviens maintenant aux questions particulières dont la Cour a

à connaître en la présente affaire. La Fédération de Russie se conforme pleinement aux obligations

qui lui incombent en application des deux traités qu’invoque l’Ukraine. Cela ne signifie cependant

pas que, comme l’Ukraine l’a laissé entendre hier, nous devrions, d’une façon ou d’une autre,

accepter que des mesures conservatoires soient indiquées. Selon nous, de telles mesures ne sont en

effet fondées ni en fait ni en droit et, dans le cas de la convention contre le financement du

terrorisme, elles feraient de surcroît obstacle à la mise en œuvre des accords de Minsk, dont il ne

vous a rien été dit hier, mais sur lesquels nos conseils reviendront. La Russie soutient l’ensemble

des décisions prises à Minsk, tout comme le Conseil de sécurité de L’ONU, et, si l’Ukraine cherche

véritablement la paix, il lui faut œuvrer pour que ces mesures soient pleinement mises en œuvre.

16 21. Autre étrangeté des plaidoiries que nous avons entendues hier, l’Ukraine a formulé

nombre d’allégations de violations des deux conventions commises, selon elle, par la Russie, tout

en demandant maintes fois à la Cour — dans une attitude que je qualifierais de défensive — de ne

surtout pas s’intéresser au fond de ses réclamations , autrement dit, en substance, de les prendre au

pied de la lettre. Certes, nous ne sommes pas dans la phase de l’examen au fond, mais il n’en

demeure pas moins que l’Ukraine doit, de toute évidence, satisfaire à un important critère de

plausibilité.

11Voir, par exemple, CR 2017/1, p. 59, par. 13 (Gimblett) (renvoyant à l’exposé de Mme Marney Cheek). - 7 -

22. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vais maintenant céder la

place au deuxième agent de la Fédération de Russie, M. Ilia Rogachev, qui présentera notre

position concernant la convention contre le terrorisme, et à qui succéderont MM. Wordsworth et

Zimmermann. Nous passerons ensuite à la convention contre la discrimination raciale, sujet qui

sera introduit par M. Gregory Lukiyantsev et dont l’examen s’achèvera par l’exposé de M. Forteau.

23. Je vous remercie de votre attention. Puis-je vous demander d’appeler M. Rogachev à la

barre ?

The PRESIDENT: Thank you, your Excellency. I now give the floor to Mr. Ilya Rogachev,

Agent of the Russian Federation.

M. ROGACHEV :

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, les événements qui se sont

produits en Ukraine orientale sont incontestablement tragiques et ont fait de nombreuses victimes

civiles. Cela étant, l’Ukraine s’emploie à induire la Cour en erreur quant à la nature véritable de

ces événements. Ce dont il s’agit en réalité, c’est d’un conflit armé qui est mené par les autorités

ukrainiennes et par leurs forces armées — y compris des bataillons irréguliers, constitués par des

forces ultranationalistes —, contre la population d’Ukraine orientale, qui s’est organisée

spontanément pour former la République populaire de Donetsk, ou RPD, et la République

populaire de Louhansk, ou RPL, et qui cherche à se protéger de ceux qui se sont emparés du

pouvoir lors du coup d’État violent de 2014.

2. La gravité de ce contexte ne doit pas être confondue avec la question de l’applicabilité de

la convention contre le financement du terrorisme — qui ne recouvre que des différends spécifiques

concernant les droits concrets protégés par cette convention, et uniquement sous réserve que

certaines conditions préalables aient été remplies. En ce qui concerne la convention contre le

financement du terrorisme, il faut avoir commis des actes spécifiques consistant à fournir des fonds

en sachant que ceux-ci serviraient ou dans l’intention qu’ils servent à financer des actes de

terrorisme, et M. Zimmermann reviendra bientôt sur ce point. Il ne suffit pas, pour satisfaire à ces

conditions, qu’un Etat qualifie de terroristes des groupes armés qui prennent part à un conflit armé. - 8 -

17 3. Monsieur le président, le fait est — et c’est le point de départ logique — qu’aucun organe

ou aucune organisation internationale saisis de la situation actuelle en Ukraine orientale ne qualifie

de terrorisme les hostilités en cours. Rien d’étonnant, par conséquent, à ce que l’Ukraine ne

soumette aucun document, émanant d’une organisation internationale ou d’un autre Etat

qu’elle-même, dans lequel les actes de la RPD et de la RPL seraient qualifiés d’actes de terrorisme.

4. Dans sa requête, sa demande en indication de mesures conservatoires et dans ses

déclarations d’hier, l’Ukraine a même omis de faire état d’un quelconque «acte de terrorisme» qui

se serait produit avant le lancement, en avril 2014, de l’opération dite «antiterroriste» en Ukraine

orientale. A ce moment-là déjà, le «terrorisme» lui servait de prétexte pour justifier qu’elle

recourût à la force des armes pour réprimer des troubles civils. Et aujourd’hui, c’est ce même

prétexte qu’elle utilise pour saisir la Cour.

5. Certes, au cours de ce conflit, des bombardements aveugles et d’autres violations du droit

humanitaire commis par les deux parties sont rapportés. La principale cause des victimes civiles —

12
les bombardements aveugles — a été qualifiée de violation du droit international humanitaire .

6. Soyons clairs — la plupart des victimes civiles se trouvent dans les rangs de la RPD et de

la RPL, et de multiples sources confirment que les forces armées ukrainiennes sont elles-mêmes

responsables de nombreux tirs d’artillerie aveugles. A compter du pilonnage des zones

résidentielles de Slaviansk en mai 2014, de nombreux civils ont été tués ou blessés par les

bombardements des forces armées ukrainiennes, tandis que des bâtiments résidentiels, des hôpitaux

et des infrastructures ont été détruits ou endommagés . En décembre 2014, le Haut-Commissariat

12
CICR, communiqué de presse 14/125, «Ukraine: ICRC calls in all sides to respect international humanitarian
law», 23 juillet 2014 (Dossier of documents submitted by the Russian Federation in connection with Ukraine's request
for the indication of provisional measures, vol. III.1), consultable à l’adresse suivante :
https://www.icrc.org/eng/resources/documents/news-release/2014/07-23-uk…-
malaysian-airlines.htm; «ICRC: Ukrainian Conflict is Not International», Russian Peacekeeper (10 octobre 2014),
consultable à l’adresse suivante : http://peacekeeper.ru/en/?module=news&action=view&id=22517.
13
«Civilians killed in shelling of Slavyansk residential area», RT, 26 mai 2014, consultable à l’adresse suivante :
https://www.rt.com/news/161572-ukraine-slavyansk-shelling-civilian; ««Slaughterhouse»: Civilians die in Kiev's
ruthless military attacks», RT (27 mai 2014), consultable à l’adresse suivante : https://www.rt.com/news/161772-eastern-
ukraine-attack-deaths; John Reed, «Kiev anti-terror operation takes toll on Slavyansk residents», The Financial Times
(11 juin 2014); «Shells hit hospital as Ukrainian army resumes strike on Slavyansk», RT, 30 mai 2014, consultable à
l’adresse suivante : https://www.rt.com/news/162456-slavyansk-shelling-ukraine-army; Damien Gayle, «Inside homes
shattered by Ukraine’s unofficial civil war: Destruction from weeks of fighting revealed as country’s richest man calls
for end to violence; Slavyansk suburb is left devastated by Ukrainian army shelling after a night of fighting with
separatist rebels», The Daily Mail, consultable à l’adresse suivante : http://www.dailymail.co.uk/news/article-
2633775/Inside-homes-shattered-Ukraines-unofficial-civil-war-Destruction-days-fighting-revealed-countrys-richest-man-
calls-end-violence.html. - 9 -

des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) a indiqué, s’agissant des violations des droits de

l’homme et du droit international humanitaire commises par l’Ukraine en Ukraine orientale, que

«[d]es progrès limités ont été signalés dans les enquêtes ouvertes par le ministère des affaires

intérieures, le bureau du procureur général et le bureau central des services publics sur plus de

14
300 cas de bombardement aveugle de zones résidentielles depuis le début de l’année» . Pareils

18 bombardements aveugles perpétrés par l’Ukraine se sont poursuivis tout au long du conflit et sont

consignés dans les rapports du HCDH et de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en

Europe (OSCE), comme M. Wordsworth le montrera bientôt . 15

7. L’Ukraine fait donc pour le moins preuve d’incohérence lorsqu’elle affirme que des

bombardements aveugles qui auraient été perpétrés par l’opposition sont constitutifs de terrorisme.

Si l’approche qu’elle a adoptée au sujet de l’applicabilité de la convention contre le financement du

terrorisme était acceptée, c’est son propre comportement qui se retrouverait en cause dans cette

même procédure.

8. Ainsi, lorsqu’il a réagi aux faits tragiques qui se sont produits près de Volnovakha, et que

l’Ukraine cite, dans sa demande en indication de mesures conservatoires, à titre d’exemple des

attaques terroristes prétendument appuyées par la Russie, le CICR a appelé toutes les parties à

s’abstenir de s’en prendre aux civils et à respecter le droit international humanitaire. A aucun

moment il ne fait état de terrorisme .16

9. Monsieur le président, dans le contexte de l’indication des mesures conservatoires

demandées par l’Ukraine, il importe aussi de tenir compte des efforts considérables déployés pour

régler ce conflit. C’est ainsi qu’une étape importante dans l’apaisement du conflit a été franchie

lorsque, le 12 février 2015, l’ensemble de mesures en vue de l’application des accords de Minsk a

été signé. Les accords de Minsk sont régulièrement qualifiés par les acteurs internationaux de seule

14HCDH, rapport sur la situation des droits de l’homme en Ukraine (15 décembre 2014), par. 20 (Dossier of
documents…, vol. III.1).
15 o
Dossier de plaidoiries, onglet n 9.
16
CICR, «Crise ukrainienne: le CICR demande à toutes les parties d’épargner les civils», 20 janvier 2015,
consultable à l’adresse suivante : https://www.icrc.org/fr/document/crise-ukrainienne-le-cicr-demande-tout…-
depargner-les-civils. - 10 -

solution incontestée au conflit, et l’ensemble de mesures a été officiellement approuvé le

17 février 2015 par le Conseil de sécurité des Nations Unies .17

10. Et pourtant, tant dans sa requête que dans sa demande en indication de mesures

conservatoires, l’Ukraine passe complétement sous silence les accords de Minsk, ainsi que les

autres arrangements conclus au sein du groupe de contact tripartite mis en place dans le cadre de

ces accords.

11. M. Wordsworth reviendra sur certains détails du processus de Minsk — pour ma part, je

me bornerai à ajouter que la RPD et la RPL, que l’Ukraine veut à présent discréditer en les

qualifiant de terroristes, ont signé les accords de Minsk et sont représentées dans le groupe tripartite

au sein duquel le Gouvernement ukrainien continue de traiter avec elles.

19 12. Monsieur le président, nul ici n’ignore que dans différents lieux de par le monde, des

personnes et des entités qui sont parties à des conflits armés non internationaux se battent contre

des gouvernements centraux. Discréditer ces personnes et ces entités en les qualifiant de

«terroristes», et ceux qui les aident, de soutiens du terrorisme, pourrait avoir des conséquences

dangereuses qui déborderaient largement la présente espèce. Comme l’a rappelé le comité

international de la Croix-Rouge (CICR), qualifier des adversaires non étatiques de terroristes

«[r]isque de faire obstacle ultérieurement aux négociations de paix ou à la réconciliation nationale

18
indispensables pour mettre fin à un conflit et assurer la paix» .

13. Dans le domaine économique, plus encore que dans le domaine politique, l’Ukraine

entretient des relations avec ceux qu’elle qualifie de «terroristes». Tout en présentant la Russie

comme un soutien du terrorisme, l’Ukraine elle-même et les entités sous juridiction ukrainienne ont

continué, jusqu’à très récemment, de commercer avec les entités opérant sous le contrôle des

autorités de facto du Donbass et de leur fournir des ressources financières non négligeables. Selon

un membre du Parlement ukrainien, 40 pourcents environ de la totalité des dépenses des territoires

sous contrôle de la RPD et de la RPL sont couvertes par le commerce, les taxes et autres

17 Résolution 2202 (2015) du Conseil de sécurité des Nations Unies adoptée le 17 février 2015 (documents à
l’appui de la demande en indication de mesures conservatoires de l’Ukraine, vol. II (annexe 6)), consultable à l’adresse
suivante : http://www.un.org/en/ga/search/view_doc.asp?symbol=S/RES/2202%20%282015….
18
CICR, International Humanitarian Law and the challenges of contemporary armed conflicts [Le droit
international humanitaire et les défis posés par les conflits armés contemporains], doc. 31IC/11/5.1.2., p. 50-51 [p. 58
dans la version française] (documents à l’appui…, vol. III.1). - 11 -

financements apportés par l’Ukraine . Le volume des échanges économiques est tel que lorsque,

le 26 janvier 2017, les nationalistes ont bloqué l’approvisionnement ferroviaire du reste de

l’Ukraine en charbon du Donbass — précisément sous le prétexte que l’Etat lui-même devait cesser

de «financer les terroristes dans l’Est» —, le gouvernement a dû déclarer l’état d’urgence dans tout

le pays. Si l’on suit sa propre logique, faut-il considérer l’Ukraine comme un soutien du

terrorisme ?

14. Monsieur le président, je voudrais à présent revenir sur la tragédie du MH-17. L’enquête

est toujours en cours. La Russie a largement coopéré avec le bureau néerlandais de la sécurité et

l’équipe d’enquête conjointe, en particulier en leur fournissant l’assistance requise. Les autorités et

20
experts russes ont fait part de leur désaccord avec les conclusions de ces deux entités , et relevé

que de nombreux éléments de preuve n’avaient pas été examinés par les enquêteurs — comme

20 l’ont notamment constaté deux journalistes néerlandais qui se sont récemment rendus sur le lieu de

21
l’accident .

15. Il convient de noter que, au cours de l’été 2014, le 156 régiment d’artillerie anti-aérienne

de l’armée ukrainienne, équipé de missiles de type «BOUK-M1», était stationné dans la zone du

conflit. Le quartier général et le premier bataillon du régiment étaient situés à Avdiivka, près de

Donetsk, le deuxième bataillon, à Marioupol et le troisième, à Lougansk. Au total, le régiment

disposait de 17 missiles BOUK-M1 SAM, identiques à celui qui a été identifié par l’équipe

d’enquête conjointe.

16. Permettez-moi de faire ici une observation générale concernant les éléments de preuve de

l’Ukraine. En janvier 2016, la Russie a contesté des éléments similaires à l’appui des requêtes que

l’Ukraine avait introduites contre elle devant la Cour européenne des droits de l’homme . Vous 22

trouverez dans notre dossier de documents supplémentaires des extraits des observations soumises

19Voir dossier de plaidoiries, onglet n 11.
20
«Biased, low quality, full of omissions: Russia launches fresh attack on Dutch MH17 report», RT
(19 janvier 2016), consultable à l’adresse suivante : https ://www.rt.com/news/329494-mh17-investigation-biased-
omissions ; «Solid facts ? 5 flaws that raise doubt over int’l MH17 criminal probe», RT (29 septembre 2016),
consultable à l’adresse suivante : https ://www.rt.com/news/361006-mh17-jit-report-questions.
21
«Dutch journalists criticize MH17 probe results after finding ‘many pieces’ still at crash site», RT
(9 janvier 2017), consultable à l’adresse suivante : https ://www.rt.com/news/373111-mh17-site-dutch-journalists.
22Voir Ukraine c. Russie (I), requête n° 20958/14 ; Ukraine c. Russie (V), requête n 8019/16. - 12 -

à ce sujet par la Russie . L’Ukraine a eu plus d’un an pour y répondre devant la CEDH, mais elle

ne l’a pas fait.

17. Quoi qu’il en soit, aux fins de la présente audience, il suffit de souligner que ni le bureau

néerlandais de la sécurité ni l’équipe d’enquête conjointe ne semblent avoir conclu que la

destruction en vol de l’avion de ligne procédait d’une intention malveillante ni — et c’est ce qui

importe aujourd’hui — que le matériel qui aurait été utilisé avait été fourni précisément aux fins de

cette destruction.

18. Pour que l’acte en question relève de la convention de Montréal, il faut que l’intention de

détruire un aéronef civil en vol soit avérée (les aéronefs militaires et autres aéronefs d’Etat étant

expressément exclus du champ d’application). Pour que la convention contre le financement du

terrorisme trouve à s’appliquer, il faut que la source supposée des fonds ait fournis ceux-ci dans

l’intention de les voir utilisés ou en sachant qu’ils seraient utilisés pour commettre un acte de

terrorisme contre des civils. Si la Cour entend s’intéresser aux éléments invoqués par l’équipe

d’enquête conjointe, elle doit savoir que ces éléments desservent nettement la thèse défendue par

l’Ukraine dans sa requête.

19. Monsieur le président, hier, il a été question d’un passage continu de matériel militaire à

travers la frontière russo-ukrainienne, ce qui alimenterait le conflit en cours. Il convient de

souligner que les armes et les munitions fournies aux militaires de la RPL et de la RPD proviennent

principalement des stocks dont l’Ukraine a hérité en 1991 de l’armée soviétique autrefois chargée

21 de tenir à distance l’OTAN tout entière. L’essentiel de ces stocks était entreposé dans les

anciennes mines du Donbass avant que les rebelles ne s’en emparent. L’armée ukrainienne en

retraite a elle-même également fourni des armes.

20. Monsieur le président, je tiens également à préciser que, contrairement à ce que

l’Ukraine vous affirme, la Fédération de Russie a bel et bien coopéré avec elle, tant en réponse à

ses demandes d’entraide judiciaire qu’au sujet des préoccupations qu’elle a formulées par d’autres

moyens (comme la correspondance diplomatique). L’Ukraine a présenté nombre de demandes de

ce type, mais une seule avait véritablement trait à la convention contre le financement du

23Documents à l’appui…, vol. II (annexe 9)). - 13 -

terrorisme. Quelque 79 autres portaient d’une manière ou d’une autre sur les événements survenus

en Ukraine orientale, mais ne concernaient pas un prétendu financement du terrorisme. Les

autorités russes ont répondu à 69 d’entre elles, et examinent toujours les 10 dernières, qui, pour la

plupart, ne lui sont parvenues que récemment. Par ailleurs, en dépit de l’obligation de coopérer «en

conformité avec tout … accord d’entraide judiciaire ou d’échange d’informations qui peut exister

entre [les Parties]» que lui impose l’article 12 de la convention contre le financement du terrorisme,

l’Ukraine n’a jamais adressé à la Russie la moindre demande d’entraide judiciaire au sujet d’un

certain nombre d’incidents auxquels elle fait maintenant abondamment référence dans sa requête et

sa demande en indication de mesures conservatoires.

21. Monsieur le président, en tant que responsable de l’équipe russe de négociation qui a

débattu avec l’Ukraine des questions prétendument liées à la convention contre le financement du

terrorisme, il me faut souligner que notre adversaire ne s’était pas livré à l’exercice de bonne foi,

mais bien à la seule fin de pouvoir affirmer ensuite qu’il avait épuisé les modes de règlement des

différends énoncés dans la convention. L’Ukraine avait dès le départ l’intention d’attaquer la

Fédération de Russie devant la Cour, comme le prouvent clairement de nombreuses déclarations de

hauts responsables ukrainiens, y compris du premier ministre A. Iatseniouk. Dès le mois de

janvier 2015, M. Iatseniouk déclarait que l’objectif de l’Ukraine était «d’attraire la Russie devant la

Cour internationale de Justice», et que les pourparlers avec la Russie étaient de simples

«consultations à caractère pratique» .4

22. Nous avons demandé directement à la délégation ukrainienne, à plusieurs reprises,

d’expliquer pourquoi, selon elle, la convention contre le financement du terrorisme était applicable

aux incidents qu’elle énumère à présent devant la Cour ; mais la seule explication que nous ayons

obtenue est que «la fédération de Russie refuse de coopérer», comme vous l’avez entendu hier.

22 23. Monsieur le président, le fait est, ni plus ni moins, que l’Ukraine se fourvoie en

invoquant la convention contre le financement du terrorisme, et, comme M. Wordsworth vous le

montrera, qu’elle ne satisfait pas au critère essentiel de la plausibilité.

24Voir dossier de plaidoiries, onglet n 10. - 14 -

24. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre

attention et vous prie d’appeler à la barre M. Wordsworth.

The PRESIDENT: Thank you, your Excellency. I now give the floor to Mr. Wordsworth.

M. WORDSWORTH :

A BSENCE DE DROITS PLAUSIBLES

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un honneur pour moi que

de me présenter devant vous, et d’avoir été prié par la Fédération de Russie de traiter d’entrée de

jeu la question de la plausibilité.

1. Plausibilité : le critère applicable

2. L’Ukraine accepte qu’un critère de plausibilité soit appliqué, mais elle n’a guère été

diserte sur la nature de ce critère. Trois observations s’imposent ici.

3. En premier lieu, bien que la Cour ne puisse statuer à ce stade sur des questions de fait, le

caractère obligatoire d’une ordonnance en indication de mesures conservatoires a pour corollaire

nécessaire l’existence de quelque chose de plus que la simple acceptation prima facie des faits tels

que les présente l’Ukraine. Comme l’a expliqué M. le juge Abraham [voir liste des citations,

par. 1],

«8. …[l]’on sait désormais que la Cour ne suggère pas : elle ordonne. Or, et c’est là le

point essentiel, elle ne peut pas ordonner à un Etat d’adopter un certain comportement
simplement parce qu’un autre Etat prétend qu’un tel comportement est nécessaire pour
préserver ses propres droits, sans exercer un minimum de contrôle sur le point de
savoir si les droits ainsi revendiqués existent, et s’ils risquent d’être méconnus — et de
l’être de manière irrémédiable — en l’absence des mesures conservatoires qu’il lui est
25
demandé de prescrire ; sans jeter, par conséquent, un regard sur le fond du litige.»
[A l’écran.]

23 4. Plus loin dans la même opinion individuelle, M. le juge Abraham a indiqué que

«[l]’essentiel, à [s]es yeux, [était] que le juge soit convaincu d’être en présence d’une

argumentation qui, sur le fond, présente un caractère suffisamment sérieux — faute de quoi il ne

25Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), mesures conservatoires, ordonnance du
13 juillet 2006, opinion individuelle de M. le juge Abraham, C.I.J. Recueil 2006, p. 139-140, par. 8 et 10. Voir Certaines
activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures conservatoires, opinion
individuelle de M. le juge ad hoc Dugard, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 62, par. 4. - 15 -

saurait entraver le droit du défendeur d’agir comme il l’entend, dans les limites fixées par le droit

26
international» . [A l’écran.]

5. En deuxième lieu, votre attention a été appelée hier sur la déclaration qu’a faite

M. le juge Greenwood au moment de l’examen des premières mesures conservatoires sollicitées en

l’affaire de Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière, mais pas sur le

passage où il procède à un examen approfondi de ce qui est nécessaire pour établir la plausibilité

requise. Renvoyant et souscrivant sur ce point aux vues exprimées par M. le juge Abraham dans

son opinion individuelle en l’affaire des Usines de pâte à papier, M. le juge Greenwood fait valoir

que [voir liste des citations, par. 2] « … l’une des parties […] ne saurait se contenter d’affirmer

qu’elle dispose d’un droit  encore faut-il que cette prétention ait quelque chance d’aboutir». De

toute évidence, comme il l’explique, il n’est pas question de transformer la procédure relative aux

mesures conservatoires en une sorte de procédure sommaire sur le fond mais, poursuit-il, «[c]e qui

est requis, c’est davantage qu’une affirmation mais moins qu’une preuve ; autrement dit, la partie

en question doit montrer qu’il existe au moins une possibilité raisonnable que le droit qu’elle

27
revendique existe d’un point de vue juridique et que la Cour le lui reconnaîtra» .

6. En troisième lieu, lorsqu’elle examine la question de savoir si les éléments dont elle est

saisie suffisent à démontrer qu’un argument peut être défendu de manière plausible, la Cour doit

tenir compte de la gravité des prétendues violations. Il est bien établi que, lors de l’examen au

fond, «plus l’accusation est lourde, plus les éléments de preuve produits doivent être fiables» [liste

28
des citations, par. 3] . Ce principe ne saurait s’appliquer mécaniquement au stade des mesures

conservatoires mais lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, des allégations d’une gravité extrême

sont formulées, il est indispensable qu’une attention équivalente soit accordée aux droits

spécifiques et aux violations en cause, ainsi qu’aux éléments de preuve qui ont été soumis. Et ce,

26Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), mesures conservatoires, ordonnance du
13 juillet 2006, opinion individuelle de M. le juge Abraham, C.I.J. Recueil 2006, p. 141, par. 10.
27
Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière, (Costa Rica c. Nicaragua), mesures
conservatoires, ordonnance du 8 mars 2011, déclaration de M. le juge Greenwood, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 47-48,
par. 4.
28 Voir notamment Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), opinion
me
individuelle de M la juge Higgins, C.I.J. Recueil 2003, p. 234, par. 33. - 16 -

d’autant plus que les faits sous-jacents relèvent directement d’une autre branche du droit qui n’est

pas invoquée, à savoir le droit international humanitaire.

24 2. Les droits spécifiques que l’Ukraine fait valoir au titre de la convention contre le
financement du terrorisme ne sont pas plausibles

7. Compte tenu de ce contexte, je passe à présent au seul droit que l’Ukraine fait valoir dans

le cadre de la présente requête, c’est-à-dire le droit à la coopération au titre de l’article 18 de la

convention contre le financement du terrorisme [voir liste des citations, par. 4] :

«Les Etats Parties coopèrent pour prévenir les infractions visées à l’article 2 en
prenant toutes les mesures possibles, notamment en adaptant si nécessaire leur

législation interne, afin d’empêcher et de contrecarrer la préparation sur leurs
territoires respectifs d’infractions devant être commises à l’intérieur ou à l’extérieur de
ceux-ci, notamment …» [à l’écran].

8. M. Zimmermann reviendra un peu plus tard sur cette disposition, mais ce qui m’importe,

pour ma part, c’est que l’obligation de coopération est liée à l’existence d’infractions visées à

l’article 2 de ladite convention [voir liste des citations, par. 5] [à l’écran]. Les points que j’entends

démontrer sont les suivants :

a) Cette disposition  et la convention dans son ensemble  ne vise qu’à réprimer le

financement du terrorisme, c’est-à-dire le fait de réunir des «fonds dans l’intention de les voir

utilisés ou en sachant qu’ils seront utilisés» pour commettre l’un des actes de terrorisme

déterminés tels que définis au paragraphe 1 a) et b) de l’article 2 de la convention. En sachant,

ou dans l’intention.

b) S’y ajoute, s’agissant de ces actes déterminés, une exigence distincte d’intention spécifique. En

ce qui concerne les allégations de l’Ukraine relatives au vol MH17, le paragraphe 1 a) et b) de

l’article 2 de la convention contre le financement du terrorisme recouvre les infractions visées

par la convention de Montréal, qui comprennent la destruction illégale et intentionnelle d’un

aéronef civil. En ce qui concerne les autres allégations de l’Ukraine, tant l’intention que le but

précis de l’acte doivent exister. Le paragraphe 1 b) de l’article 2 de la convention contre le

financement du terrorisme prévoit en effet que

«[t]out autre acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne
qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé,

lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à - 17 -

contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à
s’abstenir d’accomplir un acte quelconque». [A l’écran.]

9. Cette disposition est différente et, à certains égards, plus stricte que l’interdiction de

répandre la terreur qui est prévue par le droit international humanitaire, à savoir le paragraphe 2 de

l’article 51 du protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la

protection des victimes des conflits armés internationaux, ou protocole I, et le paragraphe 2 de

l’article 13 du protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la

protection des victimes des conflits armés non internationaux, ou protocole II [voir liste des

citations, par. 6]. Et les différences en question sont à l’évidence tout à fait délibérées, car il ressort

clairement tant du paragraphe 1 b) de l’article 2 que de l’article 21 de la convention contre le

financement du terrorisme [voir liste des citations, par. 7] que les rédacteurs de cet instrument

avaient les règles du droit international humanitaire bien à l’esprit lorsqu’ils ont élaboré cette

disposition. En ce qui concerne le droit international humanitaire, l’interdiction porte sur les «actes

ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi la population civile».

Contrairement au paragraphe 1 b) de l’article 2 de la convention, l’interdiction imposée par le droit

international humanitaire ne requiert pas l’existence de l’intention spécifique de tuer ou blesser

grièvement un civil. En outre, le but prévu par les protocoles additionnels I et II est qualifié de

«principal», tandis que le paragraphe 1 b) de l’article 2 de la convention prévoit simplement que

l’acte proscrit doit «viser à», et non viser principalement à.

25 10. Compte tenu de ce qui précède, la demande en indication de mesures conservatoires de

l’Ukraine doit être étayée par une argumentation plausible montrant

a) Que les bombardements qui sont un des éléments essentiels de cette demande sont constitutifs

d’un acte de terrorisme au sens du paragraphe 1 de l’article 2 ;

b) Que tous les actes de terrorisme plausibles qui ont été financés présentent les éléments de

connaissance ou d’intention requis par le paragraphe 1 de l’article 2 de la convention ;

c) Que des droits en matière de coopération invoqués au titre de l’article 18 ont été violés par la

Fédération de Russie; et, enfin,

d) Que, s’agissant des multiples allégations visant la Russie elle-même, la convention contre le

financement du terrorisme réprime le financement du terrorisme par un Etat.

11. Je passerai à présent ces points en revue l’un après l’autre. - 18 -

a) L’allégation de terrorisme au sens de l’article 2 de la convention contre le financement
du terrorisme n’est pas plausible

12. Je commencerai par le point central, à savoir le fait que la demande en indication de

mesures conservatoires porte principalement sur des événements qui se produisent dans le cadre

d’un conflit armé en cours et qui sont à tort — ou même simplement à l’aune du critère de la

possibilité raisonnable  qualifiés d’actes de terrorisme au sens du paragraphe 1 de l’article 2 de la

convention contre le financement du terrorisme . 29

13. L’Ukraine a cru bon hier de tenter de confondre les deux notions juridiquement distinctes

que sont les attaques aveugles et le terrorisme, tout en faisant également état ici et là d’actes ciblés.

Or aucun fondement, qu’il soit juridique ou autre, ne permet de procéder à un tel amalgame. Quant

à la situation factuelle, d’après un rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de

l’homme (ci-après «HCDH») relatif à la «responsabilité du fait de meurtres commis en Ukraine de

janvier 2014 à mai 2016» [voir liste des citations, par. 8, et dossier de plaidoiries, onglet n° 15],

«[l]a grande majorité des pertes civiles enregistrées sur les territoires contrôlés par le
Gouvernement ukrainien ou par des groupes armés a été causée par des tirs d’artillerie
aveugles contre des zones résidentielles, en violation du principe de distinction prévu
par le droit international humanitaire.» 30

14. Ce document fournit une importante vue d’ensemble d’une période de plus de deux ans

durant laquelle se sont produits tous les principaux faits invoqués par l’Ukraine. Or le HCDH fait

clairement état de pertes civiles causées par «des tirs d’artillerie aveugles» de la part de toutes les

parties au conflit, et non de terrorisme.

15. Du reste, lorsque la Cour examinera les nombreux rapports produits par le HCDH,

l’OSCE et le CICR, elle constatera que les tirs d’artillerie aveugles de la part des deux parties au

conflit en Ukraine orientale ne sont jamais qualifiés d’actes de «terrorisme», et que le HCDH et le
26

29Voir la demande en indication de mesures conservatoires, par. 7 b)-d) et 8-10.

30Page 3. Voir également par. 69 b), dans le même sens. - 19 -

CICR les qualifient au contraire régulièrement de violations des principes de distinction, de

proportionnalité et de précaution prévus par le droit international humanitaire . 31

16. Et ce fait est loin d’être anodin. Ces organisations observent le conflit à travers le prisme

du droit international humanitaire, corpus juridique qui interdit, bien entendu, de répandre la terreur

parmi la population civile . 32 La nature et l’étendue de cette prohibition, qu’il convient de

distinguer de l’interdiction générale de perpétrer des attaques aveugles, ont été examinées aux fins

d’application par la chambre d’appel du TPIY dans les affaires Galic et Dragomir Milošević . 34

Pourtant — et il ne fait aucun doute que cela est tout à fait délibéré — nonobstant la terminologie

employée publiquement et à maintes reprises par l’Ukraine, le HCDH et le CICR ne font pas une

seule fois référence au fait de répandre la terreur.

17. Voici deux exemples de ce qu’affirme le HCDH [voir liste des citations, par. 9, et dossier

de plaidoiries, onglet n 15] :

i) Au point b) du paragraphe 193 de son rapport intitulé «Report on the human rights

situation in Ukraine 16 May to 15 August 2015» [rapport sur la situation des droits de

l’homme en Ukraine (16 mai-15 août 2015)], le HCDH appelle «toutes les parties

engagées dans les hostilités dans les régions de Donetsk et Luhansk : … [à] respecter le

droit international humanitaire, et notamment les principes de distinction, de

31
HCDH, «Report on the human rights situation in Ukraine 16 May to 15 August 2015» [rapport sur la situation
des droits de l’homme en Ukraine (16 mai-15 août 2015)], par. 193 b) ; HCDH, «Report on the human rights situation in
Ukraine 16 August to 15 November 2015» [rapport sur la situation des droits de l’homme en Ukraine
(16 août-15 novembre 2015)], par. 185 b) ; HCDH, «Report on the human rights situation in Ukraine 16 November 2015
to 15 February 2016» [rapport sur la situation des droits de l’homme en Ukraine (16 novembre 2015-15 février 2016)],
par. 214 b) ; rapport du HCDH intitulé «Accountability for killings in Ukraine from January 2014 to May 2016»
[Responsabilité du fait de meurtres commis en Ukraine de janvier 2014 à mai 2016], p. 3 ; HCDH, «Report on the human

rights situation in Ukraine 16 May to 15 August 2016» [rapport sur la situation des droits de l’homme en Ukraine
(16 mai-15 août 2016)], par. 209 b) ; HCDH, «Report on the human rights situation in Ukraine 16 August to
15 November 2016» [rapport sur la situation des droits de l’homme en Ukraine (16 août-15 novembre 2016)],
par. 224 d)-f) ; CICR, «Crise ukrainienne : le CICR demande à toutes les parties d’épargner les civils» (20 janvier 2015) ;
CICR : «Ukraine crisis : Intensifying hostilities endanger civilian lives and infrastructure» [Crise ukrainienne :
l’intensification des hostilités met en péril la vie des civils et les infrastructures] (10 juin 2016) ; CICR : «Est de
l’Ukraine : le CICR met en garde contre la dégradation de la situation humanitaire alors que les combats s’intensifient»
(2 février 2017) (documents à l’appui de la demande en indication de mesures conservatoires de l’Ukraine (annexe 47)).

32 Protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des
conflits armés internationaux (protocole I), art. 51 2) ; protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949
relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (protocole II), art. 13 2) ; CICR, Droit

international humanitaire coutumier, règle 2.
33 Le procureur c. Stanislav Galić, affaire n° IT-98-29-A, arrêt (30 novembre 2006).

34 Le procureur c. Dragomir Milošević, affaire n° IT-98-29/1-A, arrêt (12 novembre 2009). - 20 -

proportionnalité et de précaution et, quelle que soit la situation, à s’abstenir de procéder à

des tirs d’artillerie aveugles sur des zones densément peuplées …»

ii) Aux points d) et e) du paragraphe 224 de son rapport relatif à la période allant du

16 août au 15 novembre 2016, le HCDH appelle «toutes les parties engagées dans les

hostilités dans les régions de Donetsk et Luhansk [y compris la RPD et la RPL] à :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

27 d) viser uniquement des objectifs militaires conformément à leurs obligations juridiques, proscrire

les attaques aveugles — menées sans opérer de distinction entre civils et combattants — et

s’assurer que les subordonnés ne mènent pas d’attaques directes contre des civils ;

e) éviter en toutes circonstances de mener des attaques dont on peut attendre qu’elles causent

incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes

civiles ainsi que des dommages aux biens de caractère civil, qui seraient excessif par rapport à

l’avantage militaire concret et direct attendu …»

Vous trouverez ces exemples de déclarations du HCDH sous l’onglet n 15 du dossier de

plaidoiries.

18. La Cour se rappellera peut-être que Mme Marney Cheek a cité le paragraphe 207 du

rapport établi par le HCDH en juin 2014 pour étayer la thèse de l’Ukraine, qui prétend que la

Russie soutient le terrorisme. Or ce passage se trouve dans la section du document consacrée à la

détention, et n’a donc rien à voir avec les tirs d’artillerie qui auraient été effectués sans

discrimination, ni d’ailleurs avec l’un quelconque des événements sur lesquels s’est arrêtée

l’Ukraine hier.

19. Quant au CICR, il n’a pas non plus laissé entendre que les tirs d’artillerie effectués par

l’ensemble des parties au conflit sur des zones densément peuplées pouvaient constituer des actes

de terrorisme, que ce soit au titre du droit international humanitaire ou à tout autre titre [voir liste
o
des citations, par. 10, et dossier de plaidoiries, onglet n 16].

a) En janvier 2015, après l’attaque menée contre le bus près de Volnovakha, qui s’est soldée par

un lourd bilan humain, le CICR a fait la déclaration suivante : «Nous appelons une fois de plus

toutes les parties à s’abstenir de s’en prendre aux civils et à respecter le droit international - 21 -

humanitaire… Nous leur rappelons en particulier que les attaques indiscriminées sont

35
interdites.»

b) En juin 2016, le CICR a déclaré ce qui suit : «[d]ans le cadre des opérations militaires, il

convient de veiller constamment à épargner la population civile ainsi que ses biens. Le droit

international humanitaire fait obligation à toutes les parties engagées dans le conflit de faire tout

leur possible pour s’assurer que leurs cibles sont bien des objectifs militaires.» 36

37
c) Une déclaration du même ordre faite par le CICR le 2 février 2017 figure à l’annexe 42 du

dossier de l’Ukraine.

20. Il n’aura pas non plus échappé à la Cour que ces appels du HCDH et du CICR ont été
28

adressés à l’ensemble des parties au conflit. Il ne pouvait d’ailleurs pas en être autrement. C’est

l’une des caractéristiques frappantes de la présente demande en indication de mesures

conservatoires que les éléments de preuve que l’Ukraine a soumis à la Cour portent à croire que les

tirs d’artilleries aveugles qui semblent être tellement emblématiques de ce conflit sont au moins

autant son fait, ou lui sont au moins autant imputables.

21. De fait, les éléments de preuve invoqués par l’Ukraine démontrent que les pertes civiles

liées au pilonnage aveugle de zones densément peuplées ont été plus importantes dans les

territoires contrôlés par la RPD et la RPL [voir liste des citations, par. 11]. On ne vous a pas dit le

moindre mot, hier, des pertes civiles subies du côté oriental de la ligne de front. On vous a montré

une carte dessinée tout spécialement, intitulée «Principales attaques sur les civils» [dossier de

plaidoiries de l’Ukraine, diapositive n 18, à l’écran], qui semblait indiquer que les tirs d’artillerie

proviennent de l’est de la ligne de front et atterrissent à l’ouest de celle-ci. Il existe cependant des

cartes du HCDH et des données afférentes qui donnent une image différente et bien plus fiable —

les pertes civiles causées par les tirs d’artillerie de part et d’autre de la ligne de front —, mais on ne

vous les a pas montrées [liste des citations, par. 11, et la première de ces cartes se trouve sous

l’onglet n 17 du dossier de plaidoiries].

35CICR, «Crise ukrainienne : le CICR demande à toutes les parties d’épargner les civils» (20 janvier 2015).
36
CICR : «Ukraine crisis : Intensifying hostilities endanger civilian lives and infrastructure» [Crise ukrainienne :
l’intensification des hostilités met en péril la vie des civils et les infrastructures] (10 juin 2016).
37
CICR : «Est de l’Ukraine : le CICR met en garde contre la dégradation de la situation humanitaire alors que les
combats s’intensifient» (2 février 2017) (documents à l’appui… (annexe 47)). - 22 -

a) Voyons, tout d’abord, le rapport du HCDH pour la période allant du 16 mai au 15 août 2015,

qui contient, aux paragraphes 29 et 32, des chiffres concernant précisément les victimes civiles :

dans le territoire contrôlé par le gouvernement, 165 victimes civiles, dont 41 morts, ont été

recensées ; dans le territoire contrôlé par la RPD/RPL, les tirs d’artillerie ont fait 244 victimes

civiles, dont 69 morts. Il a été fait référence hier à l’analyse balistique aux points d’impact

effectuée par l’OSCE, qui présente un intérêt évident pour identifier la source d’une attaque

o
donnée. Nous avons inséré dans le dossier de plaidoiries, également sous l’onglet n 17, des

extraits des rapports de l’OSCE montrant que les tirs d’artillerie aveugles contre les zones

contrôlées par la RPD/RPL provenaient du nord ou de l’ouest, c’est-à-dire de la direction d’où

proviendraient des tirs effectués par les forces armées ukrainiennes . 38

b) Passons ensuite au rapport du HCDH pour la période allant du 16 novembre 2015 au

15 février 2016, dans lequel figure la carte 1, en page 5 [dossier de plaidoiries, onglet n 18]. o

29 La ligne de front est représentée en rouge, et vous pourrez observer que les victimes civiles se

trouvent des deux côtés de cette ligne, avec cependant un nombre de morts plus élevé du côté

de la ligne contrôlé par la RPD/RPL . 39

c) Le rapport du HCDH suivant, qui couvre la période allant du 16 février au 15 mai 2016,

contient également une carte (carte 2, en page 5) montrant une image similaire de tirs

38Voir, par exemple, OSCE, «Latest from OSCE Special Monitoring Mission (SMM) to Ukraine, based on

information received as of 19:30 (Kyiv time), 27 May 2015» [Bulletin de la mission spéciale d’observation de l’OSCE en
Ukraine, basé sur les informations reçues à 19 h 30 au plus tard (heure de Kiev) (27 mai 2015)], Kiev, le 28 mai 2015 ;
OSCE, «Latest from OSCE Special Monitoring Mission (SMM) to Ukraine, based on information received as of
19:30 hrs (Kyiv time), 12 Jun. 2015» [Bulletin de la mission spéciale d’observation de l’OSCE en Ukraine, basé sur les
informations reçues à 19 h 30 au plus tard (heure de Kiev) (12 juin 2015)], Kiev, le 12 juin 2015 ; OSCE, «Latest from
OSCE Special Monitoring Mission (SMM) to Ukraine, based on information received as of 19:30 hrs (Kyiv time),
19 Jul. 2015» [Bulletin de la mission spéciale d’observation de l’OSCE en Ukraine, basé sur les informations reçues à
19 h 30 au plus tard (heure de Kiev) (19 juillet 2015)], Kiev, le 20 juillet 2015 ; OSCE, «Latest from OSCE Special
Monitoring Mission (SMM) to Ukraine, based on information received as of 19:30 hrs (Kyiv time), 30 Jul. 2015»
[Bulletin de la mission spéciale d’observation de l’OSCE en Ukraine, basé sur les informations reçues à 19 h 30 au plus

tard (heure de Kiev) (30 juillet 2015)], Kiev, le 31 juillet 2015 ; OSCE, «Latest from OSCE Special Monitoring Mission
(SMM) to Ukraine, based on information received as of 19:30 (Kyiv time), 2 Aug. 2015 » [Bulletin de la mission spéciale
d’observation de l’OSCE en Ukraine, basé sur les informations reçues à 19 h 30 au plus tard (heure de Kiev),
(2 août 2015)], Kiev, le 3 août 2015 ; OSCE, «Latest from OSCE Special Monitoring Mission (SMM) to Ukraine, based
on information received as of 19:30 hrs (Kyiv time), 11 Aug. 2015» [Bulletin de la mission spéciale d’observation de
l’OSCE en Ukraine, basé sur les informations reçues à 19 h 30 au plus tard (heure de Kiev) (11 août 2015)], le
12 août 2015.
39
Voir, par exemple, OSCE, «Latest from OSCE Special Monitoring Mission (SMM) to Ukraine, based on
information received as of 19:30 hrs (Kyiv time), 7 Feb. 2016» [Bulletin de la mission spéciale d’observation de l’OSCE
en Ukraine, basé sur les informations reçues à 19 h 30 au plus tard (heure de Kiev) (7 février 2016)], le 8 février 2016.
Voir également OSCE, «Latest from OSCE Special Monitoring Mission (SMM) to Ukraine, based on information
received as of 19:30 hrs (Kyiv time), 8 Feb. 2016» [Bulletin de la mission spéciale d’observation de l’OSCE en Ukraine,
basé sur les informations reçues à 19 h 30 au plus tard (heure de Kiev) (8 février 2016)], le 9 février 2016. - 23 -

d’artillerie des deux côtés de la ligne de front, mais avec un nombre important de victimes

causé par ceux effectués par les forces ukrainiennes à l’ouest. Vous trouverez ce document

o
sous l’onglet n 19 du dossier de plaidoiries. Là encore, l’analyse balistique aux points

40
d’impact de l’OSCE vient corroborer les renseignements fournis par la carte . Ainsi, le

27 avril 2016, quatre civils ont été tués par des tirs d’artillerie près d’un poste de contrôle tenu

par la RPD, à proximité d’Olenivka. L’OSCE a établi que ces tirs provenaient d’une position à

l’ouest-sud-ouest, autrement dit du territoire contrôlé par les forces armées ukrainiennes . 41

d) Quatrième document : le rapport du HCDH pour la période allant du 16 mai au 15 août 2016,

onglet n° 20 du dossier de plaidoiries. La carte, maintenant à l’écran, montre que les victimes

civiles durant la période à l’examen étaient plus nombreuses sur le territoire contrôlé par la

RPD et la RPL, et l’origine des tirs d’artillerie est, là encore, corroborée par l’analyse de tirs

spécifiques effectuée par l’OSCE . 42

e) Voyons enfin le rapport du HCDH le plus récent, qui couvre la période allant d’août à

novembre 2016, onglet n 21 du dossier de plaidoiries. Au paragraphe 4, on peut lire que

«[e]n octobre, le HCDH a recensé huit fois plus de victimes civiles dans les

territoires de la zone de conflit contrôlés par les groupes armés que dans ceux
contrôlés par le gouvernement, ce qui indique que les civils se trouvant sur les
territoires contrôlés par les groupes armés demeurent particulièrement exposés au

risque d’être blessés ou tués.»

40
Voir, par exemple, OSCE, «Latest from OSCE Special Monitoring Mission (SMM) to Ukraine, based on
information received as of 19:30 hrs (Kyiv time), 23 February 2016 » [Bulletin de la mission spéciale d’observation de
l’OSCE en Ukraine, basé sur les informations reçues à 19 h 30 au plus tard (heure de Kiev) (23 février 2016)], le
24 février 2016 ; OSCE, «Latest from OSCE Special Monitoring Mission (SMM) to Ukraine, based on information
received as of 19:30 hrs (Kyiv time), 1 April 2016 » [Bulletin de la mission spéciale d’observation de l’OSCE en
Ukraine, basé sur les informations reçues à 19 h 30 au plus tard (heure de Kiev) (1 avril 2016)], le 2 avril 2016.
41
Voir « Spot Report by the OSCE Special Monitoring Mission to Ukraine (SMM) : Shelling in Olenivka »
[Rapport ponctuel de la mission spéciale d’observation de l’OSCE en Ukraine : tirs d’artillerie à Olenivka], Kiev,
28 avril 2016. «Latest from OSCE Special Monitoring Mission (SMM) to Ukraine, based on information received as of
19:30 hrs (Kyiv time), 29 April 2016 » [Bulletin de la mission spéciale d’observation de l’OSCE en Ukraine, basé sur les
informations reçues à 19 h 30 au plus tard (heure de Kiev) (29 avril 2016)], le 30 avril 2016.

42 Voir, par exemple, OSCE, «Latest from OSCE Special Monitoring Mission (SMM) to Ukraine, based on
information received as of 19:30 hrs (Kyiv time), 25 May 2016 » [Bulletin de la mission spéciale d’observation de
l’OSCE en Ukraine, basé sur les informations reçues à 19 h 30 au plus tard (heure de Kiev) (25 mai 2016)], le

26 mai 2016 ; OSCE, «Latest from OSCE Special Monitoring Mission (SMM) to Ukraine, based on information received
as of 19:30 hrs (Kyiv time), 26 June 2016 » [Bulletin de la mission spéciale d’observation de l’OSCE en Ukraine, basé
sur les informations reçues à 19 h 30 au plus tard (heure de Kiev) (26 juin 2016)], le 27 juin 2016 ; OSCE, «Latest from
OSCE Special Monitoring Mission (SMM) to Ukraine, based on information received as of 19:30 hrs (Kyiv time),
1 August 2016 » [Bulletin de la mission spéciale d’observation de l’OSCE en Ukraine, basé sur les informations reçues à
19 h 30 au plus tard (heure de Kiev) (1 août 2016)], le 2 août 2016. - 24 -

Là encore, la carte montre que les victimes civiles durant la période à l’examen ont été plus

30 nombreuses dans les territoires contrôlés par la RPD et la RPL, et ces renseignements sont une

nouvelle fois corroborés par l’analyse de tirs d’artillerie spécifiques effectuée par l’OSCE . 43

22. A ce stade, quelles conclusions, s’il y a lieu, est-on fondé à tirer de cette macabre série de

faits, tels qu’ils ressortent des rapports du HCDH et d’autres sources ?

a) Premièrement, un conflit armé fait actuellement rage et a causé un nombre effroyable de pertes

civiles, principalement, selon le HCDH, en raison des bombardements aveugles effectués par

toutes les parties au conflit.

b) Deuxièmement, l’Ukraine est la seule à qualifier ces faits de terrorisme.

c) Troisièmement, si l’hypothèse du terrorisme, fondée sur le pilonnage de zones densément

peuplées, était plausible, l’Ukraine y jouerait un rôle central.

23. En soi, ce dernier point ne répond pas à la question de la plausibilité, ni à celle de savoir

si la Cour devrait indiquer des mesures d’urgence pour protéger les civils exposés à des violations

de la convention contre le financement du terrorisme. Cependant, le fait que les éléments de

preuve présentés par l’Ukraine elle-même montrent qu’elle est au moins autant impliquée dans les

bombardements aveugles qui constituent l’un des éléments essentiels de sa demande jette un

profond doute sur leur qualification, par elle seule, d’actes de terrorisme.

24. Gardant ce doute à l’esprit, je souhaite examiner avec la Cour l’ensemble de mesures

convenu le 12 février 2015 et annexé à la résolution 2202 (2015) du Conseil de sécurité. La Cour

se souviendra que les événements spécifiques de Volnovahka, de Marioupol et de Kramatorsk, sur

lesquels l’Ukraine a insisté hier, se sont tous produits avant l’adoption de cet ensemble de mesures.
o
25. Au paragraphe 5 de l’ensemble de mesures, vous pouvez lire  sous l’onglet n 22 du

dossier de plaidoiries et au paragraphe 12 de la liste des citations  que les parties sont convenues

d’accorder «[g]râce et amnistie générales par l’adoption d’une loi interdisant toutes poursuites et

43
OSCE, «Latest from OSCE Special Monitoring Mission (SMM) to Ukraine, based on information received as
of 19:30 hrs (Kyiv time), 9 October 2016» [Bulletin de la mission spéciale d’observation de l’OSCE en Ukraine, basé sur
les informations reçues à 19 h 30 au plus tard (heure de Kiev) (9 octobre 2016)], le 10 octobre 2016 ; OSCE, «Latest
from OSCE Special Monitoring Mission (SMM) to Ukraine, based on information received as of 19:30 hrs (Kyiv time),
11 October 2016» [Bulletin de la mission spéciale d’observation de l’OSCE en Ukraine, basé sur les informations reçues
à 19 h 30 au plus tard (heure de Kiev) (11 octobre 2016)], le 12 octobre 2016 ; OSCE, «Latest from OSCE Special
Monitoring Mission (SMM) to Ukraine, based on information received as of 19:30 hrs (Kyiv time), 28 October 2016»
[Bulletin de la mission spéciale d’observation de l’OSCE en Ukraine, basé sur les informations reçues à 19 h 30 au plus
tard (heure de Kiev) (28 octobre 2016)], le 29 octobre 2016. - 25 -

toutes sanctions à l’encontre de personnes en rapport avec les événements qui ont eu lieu dans

certaines zones des régions ukrainiennes de Donetsk et de Louhansk».

26. Dans cette résolution, le Conseil de sécurité demande «à toutes les parties d’appliquer

pleinement l’ensemble de mesures ci-joint, notamment le cessez-le-feu général prévu dans ce

document». Il est inconcevable que les Parties soient convenues de telles mesures de grâce et
31

d’amnistie et que le Conseil de sécurité ait demandé l’application de celles-ci, entre autres, s’il était

plausible que les bombardements aveugles sur lesquels l’Ukraine met à présent l’accent fussent des

actes de terrorisme.

27. Conformément à l’approche retenue dans cet ensemble de mesures et à celle adoptée par

le Conseil de sécurité, il apparaît que chacun de ces bombardements, si on les examine de plus près,

avait une certaine forme d’objectif militaire.

28. S’agissant des pertes humaines à proximité de Volnovakha le 13 janvier 2015, l’autocar

était arrêté à un poste de contrôle de l’armée ukrainienne . Les éléments de preuve produits

devant la Cour semblent montrer que, malheureusement, les deux parties au conflit armé

considèrent les postes de contrôle tenus par des forces armées comme des cibles militaires. Les

faits du 27 avril 2016, que j’ai déjà mentionnés, illustrent le cas où un poste de contrôle a été visé

par les forces armées ukrainiennes. Selon le rapport du HCDH pour cette période (voir

paragraphe 14 de la liste des citations) :

«Dans la nuit du 27 avril 2016, des civils patientant pour franchir un poste de
contrôle dans le village d’Olenivka, sur la route entre Marioupol et Donetsk, ont été
touchés par des tirs d’artillerie. Quatre d’entre eux ont été tués et huit autres blessés.
D’après l’analyse balistique aux points d’impact effectuée par l’OSCE, les obus de

mortier provenaient de l’ouest sud-ouest, ce qui indique que les forces armées
ukrainiennes en étaient responsables. En général, de jour comme de nuit, de
nombreux véhicules privés qui attendent de pouvoir franchir la ligne de front se
trouvent autour du poste de contrôle.» 45 (Dossier de plaidoiries, onglet n 23.)

44«Spot report by the OSCE Special Monitoring Mission to Ukraine, 14 January 2015 : 12 civilians killed and
17 wounded when a rocket exploded close to a civilian bus near Volnovakha», Kyiv, 14 Jan. 2015 [«Rapport ponctuel de
la mission spéciale d’observation de l’OSCE en Ukraine, 14 janvier 2015 : 12 morts et 17 blessés parmi les civils lors de
l’explosion d’une roquette à proximité d’un autocar civil près de Volnovakha», Kiev (14 janvier 2015)].
45
HCDH, «Report on the human rights situation in Ukraine 16 February to 15 May 2016» [«Rapport sur la
situation des droits de l’homme en Ukraine, 16 février–15 mai 2016»], par. 20. Voir aussi «Spot Report by the OSCE
Special Monitoring Mission to Ukraine (SMM) : Shelling in Olenivka», Kyiv, 28 Apr. 2016 [«Rapport ponctuel de la
mission spéciale d’observation de l’OSCE en Ukraine : tirs de roquettes à Olenivka», Kiev (28 avril 2016)]. - 26 -

29. S’agissant des bombardements à Marioupol le 24 janvier 2015, il peut être déduit d’un

«rapport ponctuel» de l’OSCE qu’ils visaient un poste de contrôle des forces armées

ukrainiennes . 46

30. Quant aux tirs d’artillerie qui ont frappé Kramatorsk le 10 février 2015, il ressort du

rapport ponctuel de l’OSCE qu’ils se sont abattus dans un périmètre de 200 à 300 mètres autour

47
d’un camp militaire ukrainien, situé dans la rue Lénine .

31. En outre, les pertes civiles de janvier et février 2015 n’étaient nullement limitées aux
32

zones contrôlées par les forces armées ukrainiennes. A titre d’exemple, le 22 janvier 2015, les tirs

qui ont touché un trolleybus dans la rue Kuprina, à Donetsk, ont fait plusieurs morts et blessés

o
parmi les civils. Une photographie de la scène se trouve sous l’onglet n 23 de votre dossier de

o
plaidoiries, et le rapport ponctuel de l’OSCE (sous l’onglet n 24, paragraphe 7, du dossier de
48
plaidoiries) contient des détails sur les victimes, huit morts et 13 blessés .

32. Avant d’en venir à l’argument suivant relatif à la plausibilité, j’insisterai brièvement sur

le bombardement qui aurait eu lieu à Avdiivka dans la semaine du 29 janvier au 5 février 2017, qui

a été invoqué hier comme exemple d’«actes d’intimidation à l’encontre des civils» et d’«acte de

terrorisme». Il est significatif que l’Ukraine n’ait pas soumis les rapports de l’OSCE concernant

cette période. Que ressort-il de ces documents ?

a) 29 janvier : des combats éclatent aux alentours d’Avdiivka. L’OSCE fait état de ce qui suit :

«La Special Monitoring Mission (SMM, Mission spéciale d’observation de l’OSCE en Ukraine,

c’est-à-dire l’observateur) a observé, en violation des lignes de retrait, dans les zones contrôlées

par le gouvernement, quatre tanks (de type T-64) à l’ouest d’Avdiivka et se dirigeant vers

l’est.»49 L’OSCE ne rapporte pas de bombardement dans les quartiers résidentiels d’Avdiivka.

46
Voir «Spot report by the OSCE Special Monitoring Mission to Ukraine (SMM), 24 January 2015 : Shelling
Incident on Olimpiiska Street in Mariupol», Mariupol, 24 Jan. 2015 [«Rapport ponctuel de la mission spéciale
d’observation de l’OSCE en Ukraine (24 janvier 2015) : tirs de roquettes sur la rue Olimpiiska à Marioupol», Marioupol,
le 24 janvier 2015].
47«Spot report by the OSCE Special Monitoring Mission to Ukraine (SMM) : Shelling in Kramatorsk,

10 February 2015», Kramatorsk, 10 Feb. 2015 [«Rapport ponctuel de la mission spéciale d’observation de l’OSCE en
Ukraine : tirs de roquettes à Kramatorsk (10 février 2015)», Kramatorsk, le 10 février 2015].
48«Spot report by the OSCE Special Monitoring Mission to Ukraine (SMM) : Shelling incident on Kuprina Street
in Donetsk City», 22 Jan. 2015 [«Rapport ponctuel de la mission spéciale d’observation de l’OSCE en Ukraine : tirs de
roquettes sur la rue Kuprina à Donetsk» (22 janvier 2015)].

49«Latest from the OSCE Special Monitoring Mission to Ukraine (SMM), based on information received as of
19 : 30, 29 January 2017», 30 Jan. 2017 [«Bulletin de la mission spéciale d’observation de l’OSCE en Ukraine, basé sur
les informations reçues à 19 h 30 au plus tard (29 janvier 2017)»], le 30 janvier 2017. - 27 -

50
b) 30 janvier : l’OSCE constate d’autres mouvements de tanks des forces armées ukrainiennes ,

mais pas de bombardement dans les quartiers résidentiels d’Avdiivka.

c) 31 janvier : l’OSCE relève que, en violation des lignes de retrait, les forces armées ukrainiennes

51
déplacent quatre tanks vers Avdiivka . Elle ne note aucun bombardement dans les quartiers

résidentiels d’Avdiivka, mais il semble que les combats s’en approchent fortement. Voici ce

qui s’est passé d’après un reportage de la BBC que nous avons trouvé tardivement hier

52
[diffusion de la vidéo] . Nous déposerons ce document au Greffe cet après-midi, mais vous en

voyez ici l’essentiel : les forces armées ukrainiennes stationnées à Avdiivka, dans un quartier

résidentiel.

d) 1 février : l’OSCE constate que «[l]a SMM a observé, en violation des lignes de retrait
33

respectives, dans les zones contrôlées par le gouvernement, … quatre tanks (de type T-64)

53
stationnés derrière un immeuble à Avdiivka» . Vous pouvez voir les tanks ainsi que les

véhicules de surveillance de l’OSCE sur la photographie figurant sous l’onglet n 23 du dossiero

de plaidoiries et apparaissant maintenant à l’écran. L’OSCE note également qu’il y a eu des

bombardements à Avdiivka ce jour-là.

e) 2 février : c’est le jour où M. Nunn déclare qu’un obus a atteint l’appartement dans lequel il se

trouvait. Dans un rapport d’une source que l’Ukraine elle-même invoque, Bellingcat, il est fait

état de tirs d’artillerie ayant touché un immeuble d’habitations proche de l’endroit où étaient

stationnés les tanks ukrainiens . 54

50
«Latest from the OSCE Special Monitoring Mission to Ukraine (SMM), based on information received as of
19 : 30, 30 January 2017», 31 Jan. 2017 [«Bulletin de la mission spéciale d’observation de l’OSCE en Ukraine, basé sur
les informations reçues à 19 h 30 au plus tard (30 janvier 2017)»], le 31 janvier 2017.
51
«Latest from the OSCE Special Monitoring Mission to Ukraine (SMM), based on information received as of
19 : 30, 31 January 2017», 1 Feb. 2017 [«Bulletin de la mission spéciale d’observation de l’OSCE en Ukraine, basé sur
les informations reçues à 19 h 30 au plus tard (31 janvier 2017)»], le 1 février 2017.
52
BBC News video, «Ukraine: Avdiivka, the front line of Europe’s «forgotten war»», 31 Jan. 2017 [Vidéo de
BBC News, «Ukraine : Avdiivka, la ligne de front de la «guerre oubliée» de l’Europe» (31 janvier 2017)].
53
«Latest from the OSCE Special Monitoring Mission to Ukraine (SMM), based on information received as of
19 : 30, 1 February 2017», 2 Feb. 2017 [«Bulletin de la mission spéciale d’observation de l’OSCE en Ukraine, basé sur
les informations reçues à 19 h 30 au plus tard (1 février 2017)»], le 2 février 2017.
54
«Ukrainian Tanks in Avdiivka Residential Area», Bellingcat, 3 Feb. 2017 [«Présence de tanks ukrainiens dans
un quartier résidentiel d’Avdiivka», Bellingcat, le 3 février 2017]. - 28 -

f) 3 février : l’OSCE relève à nouveau ce qui suit : «La SMM a observé, en violation des lignes de

retrait respectives, dans les zones contrôlées par le gouvernement, … quatre tanks (de

type T-64) à Avdiivka.» 55

33. Les éléments de preuve ne font donc nullement état d’un acte de terrorisme, mais de

combats aux alentours d’Avdiivka, de tanks ukrainiens positionnés dans une zone résidentielle de

cette ville, puis de forces armées ukrainiennes prises pour cible. Il ne s’agit pas là d’une question

relevant plausiblement de la convention contre le financement du terrorisme, mais, de manière

évidente, du droit international humanitaire.

b) Absence d’allégation plausible concernant la présence, s’agissant du financement
qu’aurait apporté la Russie, des éléments d’intention ou de connaissance requis par
l’article 2 de la convention contre le financement du terrorisme

34. J’examinerai à présent l’aspect suivant dont l’Ukraine doit démontrer le caractère

plausible, à savoir la présence, s’agissant du financement qu’aurait apporté la Russie, des éléments

de connaissance ou d’intention requis par le paragraphe 1 de l’article 2 de la convention.

35. Quels sont les éléments de preuve qui ont été présentés hier ? Suivant la thèse de

l’Ukraine, des fonds ou des armes ont été fournis à la RPD ou à la RPL. L’éminent agent de la

Russie a déjà appelé votre attention sur certaines questions relatives à la preuve, mais les éléments

présentés à cet effet par l’Ukraine concernant la livraison d’armes dans le cadre d’un conflit armé

en cours ne sont en tout état de cause d’aucune assistance à la Cour. L’article 2 n’a trait qu’aux

fonds qu’une personne fournit en sachant qu’ils seront utilisés pour commettre des actes de

terrorisme ou dans l’intention de les voir utilisés à cette fin.

34 36. La demande en indication de mesures conservatoires de l’Ukraine repose en définitive

sur le fait que celle-ci déduit la connaissance requise de la qualification de terrorisme qu’elle
56
applique à des tirs d’artillerie aveugles . Cette qualification est cependant inappropriée et aucune

des organisations internationales qui rendent compte du conflit  organisations qui se trouvent sur

55«Latest from the OSCE Special Monitoring Mission to Ukraine (SMM), based on information received as of
19 : 30, 3 Feb 2017», 5 Feb 2017 [«Bulletin de la mission spéciale d’observation de l’OSCE en Ukraine, basé sur les
informations reçues à 19 h 30 au plus tard (3 février 2017)»], le 5 février 2017.

56Demande en indication de mesures conservatoires, par. 7. - 29 -

le terrain en Ukraine orientale et qui, naturellement, connaissent bien le droit applicable  ne l’a

retenue.

37. Quant aux effroyables pertes humaines causées par la destruction, le 13 juillet 2014, de

l’avion assurant le vol MH17, la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve, plausible ou non,

démontrant que la Russie a fourni des armes à une quelconque partie en sachant qu’elles seraient

utilisées pour abattre un aéronef civil ou dans l’intention de les voir utilisées à cette fin, ce qui, bien

sûr, entrerait dans les prévisions du paragraphe 1 de l’article 2 de la convention.

a) Les extraits tirés de la vidéo de l’équipe d’enquête conjointe qui vous ont été montrés hier ne

contiennent aucun élément de preuve allant dans ce sens. Ils portaient sur la prétendue livraison

d’une arme par la Russie  et rien d’autre. En outre, l’Ukraine a choisi de ne pas vous

présenter le contenu des conversations qui auraient été interceptées, auxquelles cette vidéo fait

référence et qu’il est possible de consulter sur la même page Internet. Or il ressort très

clairement de ces conversations que, quelle qu’ait été son identité, le fournisseur de cette

batterie de missiles BOUK agissait en réponse à une série d’attaques lancées par des aéronefs

militaires ukrainiens. Nous soumettrons des éléments à ce sujet à la Cour cet après-midi.

b) Pour les besoins du présent exposé, il suffit que nous vous montrions ce que l’équipe d’enquête

conjointe a dit dans sa présentation du 28 septembre 2016. Il s’agit d’un document que

o
l’Ukraine a inséré sous l’onglet n 9 du dossier de plaidoiries qu’elle vous a fourni, mais dont

elle n’a cependant pas porté à votre attention le passage pertinent, bien que celui-ci revête une

importance primordiale pour la question qui vous a été soumise concernant la connaissance et

l’intention.

«En juillet 2014, des combats intenses se déroulaient dans la région sud-est de
Donetsk. Les forces pro-russes avaient lancé une offensive pour se forger un passage
vers la frontière avec la Fédération de Russie, située au sud de la zone de conflit.
Durant ces combats, l’armée ukrainienne a effectué de nombreuses opérations de
bombardement pour tenter de stopper cette offensive. Les forces pro-russes en ont
lourdement souffert et ont perdu de nombreux soldats ainsi qu’une importante quantité

de matériel. Dans les jours précédant le 17 juillet, les combattants pro-russes ont
mentionné qu’ils avaient besoin d’un meilleur système de défense anti-aérienne pour
se protéger contre de tels bombardements aériens. A cette fin, un système BUK a été
explicitement envisagé.»

c) Fait étonnant, personne ne vous a montré les éléments réunis par l’équipe d’enquête conjointe

qui présentent un intérêt aux fins du paragraphe 1 de l’article 2 de la convention  éléments - 30 -

qui font apparaître uniquement la livraison d’une batterie de missiles BOUK destinée à être

utilisée pour riposter aux frappes aériennes des aéronefs militaires ukrainiens. La Russie a

d’ailleurs de très sérieuses réserves quant à la fiabilité des éléments de preuve sur lesquels s’est

35 appuyée l’équipe d’enquête conjointe ; s’ils devaient être pris en compte, toutefois, force serait

de constater que ces éléments révèlent sans contredit que le fournisseur ignorait que cette arme

allait servir à la destruction intentionnelle d’un avion de ligne et n’avait aucunement l’intention

de financer pareil acte.

38. Mme Marney Cheek a également allégué hier que la Russie avait soutenu des actes de

terrorisme ayant pris la forme d’attentats à la bombe commis dans la ville de Kharkov. Encore une

fois, il s’agit d’une allégation extrêmement grave, qui ne repose que sur un seul article de presse

contenant les observations d’une personne se présentant comme le porte-parole de ce qu’il est

convenu d’appeler les Partisans de Kharkov.

39. La requête de l’Ukraine porte essentiellement sur l’attentat à la bombe perpétré à

Kharkov le 22 février 2015, qui a tué trois personnes et en a blessé 15 autres . L’Ukraine soutient,

sans mentionner aucun élément de preuve, que cet attentat a été commis «avec le soutien de la

Fédération de Russie». Il est cependant significatif que, dans l’article de presse sur lequel s’appuie

à présent l’Ukraine, le soi-disant porte-parole dit que cet attentat à la bombe n’a pas été perpétré

par les Partisans de Kharkov.

c) Absence de violation plausible de l’article 18 de la convention contre le financement du
terrorisme relatif à la coopération s’agissant des attentats à la bombe

40. Cela m’amène à l’argument relatif aux droits plausibles invoqués au titre de l’article 18.

L’essentiel du dossier de l’Ukraine à cet égard consiste à dire que, s’agissant de la coopération, la

Russie se livre à une mascarade, à savoir que, tout en prétendant coopérer, chercher des

informations et répondre lorsqu’elle est saisie de demandes d’assistance, elle a  c’est ce

qu’allègue en substance l’Ukraine  fait preuve d’une mauvaise foi manifeste étant donné qu’elle

a fomenté directement des actes de terrorisme et soutenu celui-ci sans détour.

57Requête, par.72. - 31 -

41. Il est demandé à la Cour de déduire des prétentions de l’Ukraine que i) les groupes armés

présents dans l’est de cet Etat commettent des actes de terrorisme, ii) que ces actes sont sciemment

financés par la Russie et iii) qu’il y a violation de l’article 18. Or il n’existe pas de fondement

plausible pour les deux premiers points, et les éléments de preuve soumis à la Cour n’établissent

pas la plausibilité de la thèse défendue par l’Ukraine, selon qui la Russie méconnaît en toute

mauvaise foi l’article 18.

42. Quant à la coopération concrète qu’apporte la Russie, je vous renvoie à ce que son

éminent agent a dit aujourd’hui.

J’aborderai à présent brièvement la dernière question relative à la plausibilité.

36 d) Absence de droit plausible permettant d’invoquer la responsabilité de l’Etat pour un
prétendu financement du terrorisme

43. Le point frappant en l’espèce  outre l’absence de plausibilité qui apparaît dès que l’on

examine les faits d’à peine un peu plus près  est que l’Ukraine procède pour sa part au moins

autant à des bombardements aveugles qu’elle souhaite aujourd’hui présenter comme relevant du

terrorisme d’Etat. Cela conduit directement à la question de savoir si la convention contre le

financement du terrorisme interdit même d’une quelconque façon à l’Etat de se livrer à des actes de

financement. C’est une question que M. Zimmermann traitera à présent dans le contexte de la

juridiction prima facie de la Cour. Il ressort cependant de ses conclusions relatives à cette question

que le seuil de plausibilité n’est pas non plus atteint.

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre

attention et vous prie de bien vouloir donner la parole à M. Zimmermann qui achèvera d’exposer

les arguments du premier tour de la Russie sur la convention contre le financement du terrorisme.

The PRESIDENT: Thank you. May I once again ask all the speakers not to go too fast, so

that the interpreters can do their job properly. Thank you. I now give the floor to

Professor Zimmermann.

Mr. ZIMMERMANN: Gladly, Mr. President. Mr. President, Members of the Court, it is an

honour to appear again before you. - 32 -

L ES MESURES CONSERVATOIRES AU REGARD DE LA CONVENTION INTERNATIONALE
POUR LA RÉPRESSION DU FINANCEMENT DU TERRORISME

Introduction

1. J’expliquerai à présent

 premièrement, que la convention internationale pour la répression du financement du

terrorisme (ci-après la «convention contre le financement du terrorisme») prescrit aux Etats de

coopérer pour punir et prévenir le financement d’actes terroristes commis par des personnes

privées, mais qu’elle ne couvre pas les questions relatives à la responsabilité de l’Etat à raison

de tels actes ;

 deuxièmement, que l’Ukraine ne s’est pas acquittée de son obligation de négocier de bonne foi

au sujet du prétendu différend concernant l’interprétation et l’application de ladite convention,

et qu’elle n’a pas négocié de bonne foi pour constituer un tribunal arbitral, comme l’exige

l’article 24 de cet instrument ;

et que, en conséquence, la Cour n’a pas compétence prima facie.

37 2. Je démontrerai en outre

 troisièmement, qu’il n’existe pas de risque «sérieux» ou «réel» qu’un préjudice irréparable soit

causé aux droits spécifiques découlant de la convention contre le financement du terrorisme ;

et enfin que

 quatrièmement, il n’y a pas de caractère d’urgence, contrairement à ce qu’exige la

jurisprudence de la Cour.

I. Absence de compétence prima facie en vertu de l’article 24 de la convention
contre le financement du terrorisme à l’égard de questions relatives à
la responsabilité de l’Etat

3. Mesdames et Messieurs de la Cour, dans l’ordonnance en indication de mesures

conservatoires qu’elle a récemment rendue en l’affaire relative aux Immunités et procédures

58
pénales (Guinée équatoriale c. France) — et sur laquelle l’Ukraine s’est fondée hier —, la Cour

soigneusement veillé à circonscrire sa compétence en matière d’indication de mesures

conservatoires.

5CR 2017/1, par. 59 (Cheek). - 33 -

4. Elle a ainsi confirmé qu’elle devait rechercher «si les actes dont [il est tiré] grief sont,

prima facie, susceptibles d’entrer dans les prévisions de cet instrument et si, par suite, le différend

est de ceux dont la Cour pourrait avoir compétence pour connaître ratione materiae» . 59

5. En conséquence, «[t]out différend qui pourrait surgir au sujet de «l’interprétation ou [de]

l’application» de … la convention ne pourrait dès lors porter que sur la manière dont les Etats

parties exécutent leurs obligations au titre de la convention» . 60

1. L’article 24 de la convention sur le financement du terrorisme confirme que les questions

relatives à la responsabilité de l’Etat n’entrent pas dans le cadre dudit instrument

6. Monsieur le président, l’Ukraine s’est, à maintes reprises, référée à des actes de

financement du terrorisme que la Fédération de Russie aurait commis en tant qu’Etat . A cet 61

égard, je commencerai par rappeler que le demandeur ne nous a pas présenté d’argumentation

plausible à l’appui de ces allégations de terrorisme, question que M. Wordsworth vient de traiter.

Ce que je démontrerai maintenant, c’est que les cas où un Etat lui-même financerait des actes

interdits par la convention contre le financement du terrorisme échappent à la portée

juridictionnelle de cet instrument, telle qu’énoncée à l’article 24.

38 7. Cette conclusion ressort avant tout du libellé de la clause compromissoire au titre de

laquelle la présente affaire a été introduite. Hier, l’Ukraine s’est fondée sur la jurisprudence de la

Cour en l’affaire de la Bosnie pour affirmer que l’article 24 de la convention contre le financement

du terrorisme s’appliquait aux questions relatives à la responsabilité de l’Etat en la matière . 62

8. Chose frappante — mais que l’Ukraine a hélas omis de signaler —, il se trouve que le

libellé même des deux clauses compromissoires en question, à savoir l’article IX de la convention

contre le génocide, d’une part, et l’article 24 de la convention contre le financement du terrorisme,

d’autre part, est fondamentalement différent.

59 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), demande en indication de mesures

conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2016, par. 47.
60Ibid., par. 49.
61
Voir notamment requête de l’Ukraine, par. 128 ; CR 2017/1, par. 15, 16, 18, 51 et 54 (Cheek).
62
CR 2017/1, par. 19 (Cheek). - 34 -

9. Examinons attentivement le libellé de l’article IX de la convention contre le génocide,

ainsi que la manière dont la Cour  celle laquelle je m’adresse en ce moment-même  a

interprété cette disposition.

10. L’article IX de la convention contre le génocide indique tout à fait clairement que les

différends susceptibles de s’élever à propos de cet instrument comprennent ceux relatifs à la

responsabilité de l’Etat — et je cite l’article IX : «y compris ceux relatifs à la responsabilité d’un

Etat en matière de génocide». La responsabilité d’un Etat. L’article 24, en revanche, ne fait pas

référence à la responsabilité de l’Etat.

11. Cette limite juridictionnelle est clairement liée au fait que la convention contre le

financement du terrorisme ne contient pas de disposition équivalente à l’article IV de la convention

contre le génocide.

12. Comme vous vous en souviendrez, cet article IV envisage expressément la commission

d’un génocide par des gouvernants ou des fonctionnaires. Cette disposition implique, et cela est

tout à fait cohérent avec la clause compromissoire contenue dans le même instrument, que celui-ci

s’étend effectivement aux questions relatives à la responsabilité de l’Etat.

13. Tel n’est en revanche pas le cas de la convention contre le financement du terrorisme,

puisqu’elle ne contient pas de disposition analogue à l’article IV de la convention contre le

génocide.

14. Monsieur le président, les négociations sur ce qui allait devenir la convention contre le

financement du terrorisme ont débuté peu après que la Cour a rendu, en 1996, son arrêt sur les

exceptions préliminaires en l’affaire de la Bosnie. A l’époque, déjà, la question de la portée de la

compétence de la Cour en vertu de l’article IX de la convention contre le génocide pour ce qui

concerne la responsabilité de l’Etat avait été soulevée dans le cadre de l’instance.

39 15. Et, dès son arrêt de 1996, la Cour s’est appuyé sur le libellé de l’article IX, qui se réfère

clairement aux questions relatives à la responsabilité de l’Etat, pour parvenir à la conclusion selon
63
laquelle la convention contre le génocide couvre aussi ces questions .

63 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 116, par. 32. - 35 -

16. Il est permis de penser que les Etats qui, peu après 1996, ont entamé les négociations qui

devaient aboutir à l’adoption de la convention contre le financement du terrorisme, avaient

pleinement conscience de ce récent arrêt de la Cour, ce d’autant plus que celui-ci avait été rendu

dans le cadre d’une affaire politiquement et juridiquement sensible.

17. L’Ukraine affirme que les négociateurs de la convention contre le financement du

terrorisme avaient bel et bien l’intention que cet instrument s’étende aux questions relatives à la

responsabilité de l’Etat, dans le cas où des Etats financeraient eux-mêmes des actes de terrorisme.

Elle affirme en outre qu’ils entendaient conférer à la Cour la compétence ratione materiae à l’égard

de ces questions. Si tel était le cas, il aurait été pour le moins naturel d’aligner, mutadis mutandis,

le libellé de l’article 24 de la convention contre le financement du terrorisme, qui était en train

d’être négociée, avec celui de l’article IX de la convention contre le génocide, tel qu’il venait d’être

interprété par la Cour.

18. Or, ni le premier projet de convention rédigé en français, ni, de fait, aucune des

propositions ultérieures qui ont conduit à l’adoption de l’article 24 de la convention contre le

financement du terrorisme n’allaient dans ce sens. Et s’il en est ainsi, c’est manifestement parce

que les rédacteurs de la future convention contre le financement du terrorisme n’entendaient pas

que cet instrument s’étende aux questions relatives à la responsabilité de l’Etat en matière de

financement de prétendus actes terroristes.

19. Monsieur le président, permettez-moi maintenant d’examiner certaines dispositions

spécifiques de la convention contre le financement du terrorisme, qui apportent un éclairage

supplémentaire sur la portée limitée de cette dernière. Je commencerai par l’article 4.

2. Des dispositions spécifiques de la convention contre le financement du terrorisme
40
confirment que les questions relatives à la responsabilité de l’Etat ne sont pas couvertes
par cet instrument

a) L’article 4 de la convention contre le financement du terrorisme

20. L’article 4 est une disposition classique qui figure dans la quasi-totalité des conventions

relatives aux crimes transnationaux organisés commis par des personnes privées . Elle impose aux

Etats de punir les actes définis à l’article 2 de ce même instrument.

64Voir, par exemple : - 36 -

21. Par sa nature et son contenu mêmes, l’article 4 se rapporte donc uniquement aux relations

entre un Etat contractant donné et des personnes privées.

22. L’article 5 de la convention contre le financement du terrorisme confirme lui aussi la

portée limitée dudit instrument.

b) L’article 5 de la convention contre le financement du terrorisme

23. L’article 5 prévoit que des sanctions soient prises par les parties contractantes contre des

personnes morales responsables d’actes interdits par la convention. Comme le montre bien

l’expression «constituée sous l’empire de sa législation» employée à l’article 5, cette disposition

traite de la question des sanctions visant les sociétés et entités similaires impliquées dans le

financement d’actes de terrorisme.

24. Plus important encore, l’article 5 régit expressément la responsabilité pénale, civile ou

administrative de ces entités, mais il ne fait pas absolument pas mention des questions relatives à la

responsabilité de l’Etat. De fait, le paragraphe 2 de l’article 5 énonce une clause de sauvegarde qui

concerne spécifiquement et exclusivement la responsabilité des personnes physiques.

25. S’agissant des questions relatives à la responsabilité de l’Etat à raison du financement du

terrorisme, l’article 5 reste en revanche muet, et ce silence est à lui seul révélateur. Il justifie en

41 effet l’argument a contrario selon lequel la convention contre le financement du terrorisme ne

couvre tout simplement pas ces questions.

26. Ce constat, que je viens de vous exposer, est en outre confirmé sans équivoque par

l’historique de la rédaction de l’article 5.

 l’article 2 de la convention pour la répression de la capture illicite d’aéronefs ;

 l’article 5 de la convention internationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire ;

 l’article 5 du protocole relatif à la convention pour la répression d’actes illicites contre la sécurité de
la navigation maritime ;
 l’article 4 de la convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l’explosif ;

 l’article 6 de la convention européenne pour la répression du terrorisme ;
 l’article 5 du protocole additionnel à la convention des Nations Unies contre la criminalité
transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des
femmes et des enfants ;

 l’article 5 de la convention pour la répression d’actes illicites contre la sécurité de la navigation
maritime. - 37 -

27. Comme chacun sait, le texte de la convention contre le financement du terrorisme repose

65
largement sur un document de travail initialement soumis par la France .

28. Ce projet de convention émanant de la France contenait, au paragraphe 5 de son article 5,

une disposition spécifique concernant la responsabilité de l’Etat  vous pouvez la voir à l’écran —

qui était libellée comme suit : «Les dispositions du présent article ne peuvent avoir pour effet la

66
mise en cause de la responsabilité de l’Etat en tant que personne morale.»

29. Cette proposition de la France a été suivie de plusieurs autres, sensiblement identiques . 67

Toutes ces propositions, si elles avaient été retenues  et j’insiste sur le «si» , auraient à tout le

moins laissé une certaine marge de manœuvre pour soutenir que la convention contre le

financement du terrorisme couvrait également les questions relatives à la responsabilité de l’Etat.

Or, ces propositions se sont heurtées à une forte réticence de la part de nombreuses délégations, qui

estimaient que «la notion de responsabilité [de l’]Etat[], au sens où elle s’entend en droit

68
international général, n’entrait pas dans le cadre du projet de convention» .

30. Et c’est à la lumière de cette observation que les Etats ayant participé à la négociation ont

finalement «décidé de supprimer le paragraphe 5 [du projet d’article 5], relatif à la notion de

responsabilité de l’Etat en droit international, considérant que cette notion ne relevait pas du projet

69
de convention» .

31. L’histoire rédactionnelle de l’article 5, histoire sans équivoque, confirme que les Etats ne

sont pas parvenus à un consensus selon lequel la future convention contre le financement du

terrorisme devrait couvrir les questions relatives à la responsabilité étatique à raison du

financement, par un Etat lui-même, d’actes de terrorisme allégués.

42 32. Bien évidemment, la question de la responsabilité d’un Etat qui soutiendrait lui-même

des activités terroristes menées dans un autre Etat — question étroitement liée aux notions de

65Nations Unies, doc. A/AC.252/b L.7 et Corr. 1.
66
Nations Unies, doc. A/AC.252/L.7 ; Nations Unies, doc. A/54/37, annexe II, p. 16.
67
Voir, par exemple, la proposition de l’Italie figurant dans le document A/AC.252/1999/WP.22 : «Les
dispositions du présent article [c’est-à-dire le projet d’article 5] ne peuvent être interprétées comme affectant la question
de la responsabilité internationale de l’Etat», ainsi que la proposition revisée de la France contenue dans le document
A/AC.252/1999/WP.45 : «[5. Aucune disposition du présent article ne peut avoir pour effet la mise en cause de la
responsabilité internationale de l’Etat.]».
68
Rapport du comité spécial créé par la résolution 51/210 de l’Assemblée générale en date du 17 décembre 1996,
Nations Unies, doc. A/54/37, p. 60, par. 46.
69Nations Unies, doc. A/C.6/54/L.2, par. 127. - 38 -

non-intervention et aux règles du jus ad bellum, quoique non couverte par la convention contre le

financement du terrorisme  demeure régie par les règles de droit international coutumier

applicables, mais, comme la Cour l’a réaffirmé en l’affaire de la Guinée équatoriale, celles-ci

n’entrent pas dans le champ de la compétence qui lui est conférée par la clause compromissoire de

la convention contre le financement du terrorisme, à savoir l’article 24.

33. J’appellerai à présent votre attention sur le fait qu’un processus de négociation est en

cours relativement à une future convention globale contre le terrorisme. Cela démontre bien que

les questions relatives à la responsabilité de l’Etat ne sont pas encore couvertes par la convention

contre le financement du terrorisme.

3. Le débat en cours sur l’opportunité d’inclure les questions relatives à la responsabilité de
l’Etat dans le projet de convention générale contre le terrorisme

34. La question de savoir si la future convention générale contre le terrorisme actuellement à

l’étude devrait englober les questions relatives à la responsabilité de l’Etat est l’un des points les

plus importants  si ce n’est le plus important  qui n’ont pas encore été réglés dans le cadre des

négociations. La raison principale faisant obstacle à l’adoption du projet de texte tient donc

précisément à la question que nous examinons ici aujourd’hui.

35. Or, ainsi que l’a fort justement relevé la coordonnatrice du comité spécial chargé de

finaliser le projet de convention générale contre le terrorisme,

«c’est la personne plutôt que l’Etat qui a été au centre des travaux d’élaboration du

projet de convention générale. La raison de ce choix d’angle de vue est que d’autres
instruments et domaines du droit  en particulier la Charte des Nation Unies, le droit
international humanitaire et le droit relatif à la responsabilité des Etats pour faits
internationalement illicites  couvrent de manière adéquate les obligations des Etats
dans les cas d’actes de violence commis par un Etat ou par ses agents.» 70

36. La coordonnatrice est même allée plus loin en soulignant que la prise en compte de cette

question de la responsabilité de l’Etat pourrait modifier fondamentalement la démarche

sous-tendant les instruments de lutte contre le terrorisme déjà adoptés, parmi lesquels la convention

contre le financement du terrorisme en cause dans la présente affaire. De fait, selon ses propres

termes, «faire mention … d’éléments relatifs au «terrorisme d’Etat» … aurait impliqué une

70Déclaration de la coordonnatrice du comité spécial chargé de finaliser le projet de convention générale contre
le terrorisme, doc. A/C.6/63/SR. 14, (2008), par. 41. - 39 -

43 complète modification du principe sur lequel le comité spécial s’était appuyé pour élaborer ces

71
instruments»  c’est-à-dire les instruments déjà en vigueur, et notamment la convention contre le

financement du terrorisme.

37. La coordonnatrice du comité spécial poursuivait en indiquant qu’il «était indispensable

de préserver le principe, acquis, selon lequel la convention serait un instrument d’application du

droit en matière de responsabilité pénale individuelle, basé sur un régime d’extradition ou de

poursuites. Telle était l’approche qui avait été suivie dans le cas des autres instruments

multilatéraux de lutte contre le terrorisme» , lesquels incluent, évidemment, la convention contre

le financement du terrorisme.

38. Nul ne peut donc dire, à ce jour, si les Etats feront figurer les questions relatives à la

responsabilité de l’Etat dans les futurs instruments de lutte contre le terrorisme.

39. Ce qui est certain, en revanche, c’est que ces questions n’étaient pas encore incluses dans

la convention contre le financement du terrorisme, ainsi que le confirment des déclarations faites

par différents Etats, notamment pendant les négociations ayant conduit à l’adoption du texte.

40. Certains Etats ont ainsi déploré que «l’on [eût] expressément exclu de la prétendue

définition du financement certains des acteurs qui constitu[aient] des maillons importants dans la

chaîne du financement, à savoir … l’Etat lui-même» . 73

41. De même, d’autres ont regretté que le projet de convention contre le financement du

terrorisme «ne mentionne aucunement les Etats, alors que le terrorisme d’Etat constitu[ait] un

74
problème beaucoup plus grave …» .

42. Ces déclarations n’ont, de surcroît donné lieu à aucune objection de la part des autres

Etats.

43. Les rapports explicatifs des parties contractantes ayant soumis le texte à l’approbation de

75
leurs parlements respectifs invitent eux aussi à une interprétation restrictive .

71
Ibid., par. 49.
72Ibid.
73
Nations Unies, doc. A/C.6/54/SR.32, p. 9, par. 57.
74
Nations Unies, doc. A/C.6/54/SR.33, par. 40. - 40 -

44. Considérés conjointement, le texte de la convention contre le financement du terrorisme,

l’historique de sa rédaction et la pratique ultérieure confirment donc que l’objet de cet instrument

était non pas d’encadrer, de manière large et générale, les questions relatives à la responsabilité de

l’Etat, mais uniquement de définir les obligations des Etats à l’égard des personnes privées.

Monsieur le président, j’en ai maintenant terminé avec cette partie de mon exposé. Peut-être le
44

moment est-il venu de faire la pause habituelle, mais je vous laisse évidemment le soin d’en

décider.

The PRESIDENT: Thank you, Professor Zimmermann. You are correct, this is a good point

at which to take the traditional 15-minute break. The sitting is suspended.

The Court adjourned from 11.30 a.m. to 11.45 a.m.

The PRESIDENT: Please be seated. Professor Zimmermann, you have the floor.

M. ZIMMERMANN : Merci, Monsieur le président.

45. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, avant la pause, je me suis

intéressé à la portée générale de la convention contre le financement du terrorisme, en montrant que

ce texte ne couvre pas les questions relatives à la responsabilité de l’Etat, et que, partant, la Cour

n’a pas compétence prima facie pour connaître de ces questions. Permettez-moi à présent

d’examiner, plus précisément, la portée et la teneur de l’article 18 de cet instrument, que l’Ukraine

invoque si abondamment.

II. La teneur de l’article 18 de la convention contre le financement du terrorisme

46. Contrairement aux obligations d’application plus générale, l’obligation de prévention

énoncée à l’article 18 de la convention est nettement limitée, et ce, à différents égards.

47. Premièrement, les Etats sont uniquement tenus de coopérer pour prévenir les actes

spécifiques de financement qui constituent des infractions au regard de la convention. Ces actes

 privés, comme cela a été démontré  doivent être effectués dans l’intention ou en sachant que

75Voir notamment Australie, analyse des intérêts nationaux, 28 juin 2002, par. 5 ; Etats-Unis d’Amérique, lettre
de présentation du département d’Etat, Washington, 3 octobre 2000, p. VI ; Royaume-Uni, loi de 2000 sur le terrorisme,
note explicative, 20 juillet 2000, p. 10, par. 57 ; Confédération suisse, message relatif aux conventions internationales
pour la répression du financement du terrorisme et pour la répression des attentats terroristes à l’explosif ainsi qu’à la
modification du code pénal et à l’adaptation d’autres lois fédérales, 26 juin 2002, p. 12. - 41 -

seront commis des actes de terrorisme, selon la définition restrictive qui en est donnée au

paragraphe 1 de l’article 2 de la convention. Autrement dit, à la différence d’autres instruments de

répression, et notamment la convention contre le génocide, l’article 18 n’énonce pas, à proprement

parler, une obligation de prévenir lesdits actes.

48. Deuxièmement, l’article 18 impose simplement aux Etats de prendre toutes «les mesures

possibles», ce qui restreint encore davantage l’obligation de prévention.

49. Troisièmement, ladite obligation ne s’applique qu’à l’égard de la préparation d’actes

prohibés par la convention, et sur les territoires respectifs des Etats parties ; elle ne va pas au-delà.

45 50. Quatrièmement, un Etat partie à la convention ne peut être tenu pour responsable d’une

violation de l’article 18 que si les actes prohibés par la convention ont effectivement été commis , 76

ce qui, ainsi que l’a souligné M. Wordsworth tout à l’heure, n’a pas été démontré de manière

convaincante par l’Ukraine.

51. Enfin, cinquièmement, et pour paraphraser l’arrêt que la Cour a rendu en l’affaire de la

Bosnie, l’obligation ne s’applique qu’«au moment où [l’Etat en question] a connaissance, ou

devrait normalement avoir connaissance, de l’existence d’un risque sérieux de commission d’un

[acte prohibé par la convention contre le financement du terrorisme]» . 77

52. Dès lors que sont prises en compte toutes ces limites énoncées à l’article 18, il devient

évident que, contrairement à ce qu’a soutenu l’Ukraine, l’obligation sous-jacente de coopérer afin

de prévenir certains actes est une obligation de nature très spécifique dont la portée et la teneur ne

sauraient être comparées à celles de l’article I de la convention contre le génocide.

53. Le fait est que, comme le confirme le texte même de l’article 18, lu conjointement avec

l’article 2, l’obligation de coopérer pour prévenir les actes prohibés par la convention contre le

financement de terrorisme ne s’applique que s’il est satisfait à sept conditions cumulatives, à savoir

que 1) l’Etat en question doit avoir connaissance 2) d’un risque sérieux 3) que des personnes

privées 4) situées sur son territoire 5) s’apprêtent délibérément à fournir ou réunir des fonds en vue

de commettre des actes 6) destinés à tuer ou blesser des civils qui ne participent pas directement

76Voir, mutatis mutandis, Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 221, par. 431.

77Ibid. ; voir également ibid., p. 222, par. 432. - 42 -

aux hostilités et qui, par ailleurs, 7) visent spécifiquement à intimider une population ou à

contraindre un gouvernement.

54. Ainsi, Mesdames et Messieurs de la Cour, s’agissant de l’obligation de coopérer pour

prévenir les actes prohibés, le seuil à partir duquel est constituée une violation de l’article 18 de la

46 convention est extrêmement élevé, et il incombe à l’Ukraine de démontrer de façon plausible,

comme le requiert votre jurisprudence récente , que chacune de ces sept conditions est remplie.

55. J’en viens maintenant au point suivant. Je démontrerai, dans la suite de mon exposé, que

l’Ukraine n’a pas satisfait à l’obligation de négocier de bonne foi qui lui incombe au regard de

l’article 24 de la convention contre le financement du terrorisme, ce qui ne fait que confirmer une

fois encore que la Cour n’a pas compétence prima facie.

III. L’Ukraine n’a pas respecté son obligation de négocier de bonne foi

1. Les critères applicables

56. Mesdames et Messieurs de la Cour, l’article 24 de la convention contre le financement du

terrorisme énonce deux exigences cumulatives en matière de négociations : il prescrit de négocier

sur le fond de tout différend allégué découlant de cet instrument et, au cas où ces négociations

échoueraient, de négocier de bonne foi sur la mise en place d’un tribunal arbitral afin de parvenir à

un règlement du différend en question.

57. Cela confirme que la Cour est considérée dans la convention comme un dernier recours,

auquel les Etats parties ne peuvent faire appel qu’une fois qu’ils ont épuisé de bonne foi les autres

possibilités de régler le différend ; ainsi que cela a été confirmé par la Cour, «[i]l doit être donné

79
effet à ces termes» contenus dans une clause compromissoire .

58. Pour citer encore la Cour, les négociations impliquent «que l’une des parties tente

80
vraiment d’ouvrir le débat avec l’autre partie» . Même lorsqu’une disposition «ne fa[it] pas

78 Voir Questions concernant la saisie et la détention de certains documents et données (Timor-Leste
c. Australie), mesures conservatoires, ordonnance, C.I.J. Recueil 2014, p. 152, par. 22 ; Certaines activités menées par le
Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures conservatoires, ordonnance,
C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 18, par. 53 ; Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), mesures
conservatoires, ordonnance, par. 71.
79
Voir Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 125, par. 133.
80
Ibid., p. 132, par. 157. - 43 -

expressément obligation aux Parties de négocier de bonne foi, cette obligation découle

81
implicitement de ladite disposition» .

59. Par ailleurs, il n’est pas satisfait à la condition imposant de négocier de bonne foi si la

82
partie intéressée «insiste sur sa propre position sans envisager aucune modification» .

47 60. C’est à l’aune de ces critères que je vais maintenant commencer par démontrer que

l’Ukraine n’a pas négocié de bonne foi quant au fond de sa prétention selon laquelle la Fédération

de Russie aurait manqué aux obligations qui lui incombent au titre de la convention contre le

financement du terrorisme.

2. L’Ukraine n’a pas négocié de bonne foi sur le fond

61. Tout au long de l’échange de notes diplomatiques entre les deux Etats, l’Ukraine n’a

cessé d’insister sur sa propre position sans montrer la moindre volonté d’engager une discussion

sérieuse avec la Fédération de Russie sur des questions relevant de la convention contre le

financement du terrorisme.

62. Plus précisément, l’Ukraine a constamment avancé des allégations dépassant de loin le

champ d’application de la convention contre le financement du terrorisme. De fait, dans la

quasi-totalité de ses notes diplomatiques, qui étaient censées porter sur des questions découlant de

cet instrument, et de celui-ci seulement, ces questions étaient étroitement mêlées à des accusations

portées contre la Fédération de Russie relativement à l’interdiction de l’emploi de la force . 83

63. De plus, tout ce que l’Ukraine attendait de la Russie, c’était qu’elle satisfasse à ses

réclamations  et je cite les termes employés par l’Ukraine dans plusieurs de ses notes

diplomatiques  en «exige[ant]» de celle-ci qu’elle modifie son comportement, en l’«exhort[ant]»

81
Application de l’accord intérimaire du 13 septembre 1995 (ex-République yougoslave de Macédoine c. Grèce),
arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (II), p. 685, par. 131.
82
Ibid., p. 685, par. 132, citant les affaires du Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale
d’Allemagne/Danemark) (République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 47, par. 85 ; voir
également l’affaire relative à des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt,
C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 67, par. 146.
83 Voir, par exemple, les notes diplomatiques de l’Ukraine n 610/22-110/1591, 610/22-110-1804,
610/22-110/1827, 610/22-110/1833, 72/22-620-3008, 72/22-620-3114, 610/22-11043 et 72/22-620-48 (où il est

constamment fait référence à des «actes d’agression» qu’aurait commis la Fédération de Russie). - 44 -

à le faire, en lui «demand[ant] fermement» ou en lui «enjoign[ant] vivement» de le faire, ou encore

en «réitér[ant] ses appels» en ce sens , tout en «condamn[ant]» fréquemment ce comportement.

64. Loin de favoriser un climat propice à des négociations de bonne foi, ces expressions

visaient au contraire à attiser les tensions entre les Parties par la formulation d’allégations sans lien

avec la convention en cause . 85

65. Qui plus est, la Fédération de Russie avait à plusieurs reprises demandé à l’Ukraine de

fournir des éléments de preuve ainsi que des informations et données exhaustives qui lui auraient

permis de vérifier lesdites allégations et, si celles-ci s’étaient révélées exactes, de prendre les

86
mesures appropriées requises par la convention . Mais l’Ukraine n’a malheureusement pas fait

suite à ces demandes , annonçant soudain «qu’il [était] inutile de poursuivre les efforts visant à
48

régler le différend par voie de négociations» , et ce, alors même que les Parties étaient justement

en train de s’entendre sur l’organisation d’une nouvelle série de négociations, rendant ainsi tout

dialogue inutile avant même que ces discussions aient pu ne serait-ce que commencer.

3. L’Ukraine n’a pas négocié de bonne foi au sujet de l’organisation d’un arbitrage

66. Monsieur le président, il en va exactement de même des négociations sur l’éventuelle

mise en place d’un tribunal arbitral.

67. Compte tenu du peu de temps qui m’est imparti, je m’attacherai plus particulièrement à

trois points, qui, cela étant, suffisent à démontrer que l’Ukraine n’a fait aucun effort pour tenter de

bonne foi d’établir un tribunal arbitral, comme l’exige l’article 24 de la convention contre le

financement du terrorisme.

68. Tout d’abord, l’Ukraine a maintes fois soutenu qu’il convenait de créer une chambre

ad hoc de la Cour qui, selon elle, constituerait un tribunal arbitral au sens de l’article 24 de la

84 os
Voir, par exemple, les notes diplomatiques de l’Ukraine n 610/22-110/1591, 610/22-110/1695,
610/22-110-1798, 610/22-110-1804, 610/22-110-1805, 610/22-110-1827 et 610/22-110-1833.
85 o
Comme l’a fait observer la Russie dans sa note diplomatique n 16599/dnv.
86Voir les notes diplomatiques n 13355/dnv et 384/dnv.

87Voir les notes diplomatiques n 72/23-620-2674 et 13457/dnv.

88Voir les notes diplomatiques de l’Ukraine n 72/22-620-954 et 72/22-620-1806. - 45 -

convention . De toute évidence, cette position est inconciliable avec l’article 27 du Statut de la

90
Cour . Bien que la Fédération de Russie l’ait informée que pareille chambre ne pouvait pas

constituer un arbitrage au sens de l’article 24, l’Ukraine a néanmoins continué de soulever ce point

à plusieurs reprises.

69. Se posait par ailleurs la question de l’application d’une éventuelle sentence arbitrale.

L’une des principales positions de l’Ukraine dans la négociation  point sur lequel, selon ses

propres termes, «les Parties [devaient] s’entendre»  était qu’une telle sentence devrait être

soumise à l’autorité du Conseil de sécurité en vertu de l’article 94 de la Charte des Nations Unies.

49 70. Or, cette disposition, comme vous le voyez à présent, et contrairement au paragraphe 4

de l’article 13 du Pacte de la Société des Nations, ne prévoit le recours au Conseil de sécurité que

92
pour appliquer les décisions de la Cour, et non les sentences arbitrales .

71. De plus, l’Ukraine exigeait que, pour décider d’une telle intervention, il soit dérogé aux

modalités de vote énoncées dans la Charte pour toute action du Conseil de sécurité . Ce faisant, 93

elle cherchait en fait à tourner les dispositions pertinentes de la Charte qui, en application de

l’article 103 de celle-ci, prévalent sur tout autre régime conventionnel.

72. Enfin, l’on aurait pu attendre de l’Ukraine qu’elle soumette des propositions écrites

concrètes en vue d’un accord d’arbitrage, étant donné qu’elle invoquait l’existence d’un différend

au titre de la convention contre le financement du terrorisme. Or, c’est la Fédération de Russie qui

n’a cessé de proposer des projets détaillés en ce sens, assortis de règles de procédure tenant compte

89Consultations bilatérales russo-ukrainiennes du 18 octobre 2016, déclaration de Jonathan Gimblett, dossier de
plaidoiries, onglet n 27 ; le procès-verbal intégral de la réunion figure à l’annexe 2 du volume II du dossier de
documents.

90Voir notamment P. Palchetti, art. 27, note en marge 3, in A. Zimmermann et al. (sous la dir. de), The Statute of
the International Court of Justice (2 ed., 2012).

91 Voir les «principes fondamentaux» de l’Ukraine dans le document intitulé : «Document on ICSFT
Organization of Arbitration by Ukraine» [document relatif à l’organisation par l’Ukraine de l’arbitrage prévu dans la
convention contre le financement du terrorisme], doc. n 72/22-194/510-2518 daté du 2 novembre 2016, préface au
o
paragraphe 1, dossier de plaidoiries, onglet n 26.
92Voir K. Oellers-Frahm, art. 94, note en marge 1, in A. Zimmermann et al. (sous la dir. de), The Statute of the
e
International Court of Justice (2 ed., 2012).
93 Voir les «principes fondamentaux» de l’Ukraine dans le document intitulé : «Document on ICSFT

Organization of Arbitration by Ukraine» [document relatif o l’organisation par l’Ukraine de l’arbitrage prévu dans la
convention contre le financement du terroriome], doc. n 72/22-194/510-2518 daté du 2 novembre 2016, préface au
paragraphe 1, dossier de plaidoiries, onglet n 26. - 46 -

des préoccupations de l’Ukraine, et ce, sans que ces projets ne suscitent d’observations
94
spécifiques .

73. Je me permets donc respectueusement d’avancer que l’Ukraine a considéré les

obligations de négocier, prévues à l’article 24 de la convention contre le financement du terrorisme

 que ce soit sur le fond de ses prétentions ou sur la mise en place d’un tribunal arbitral  comme

de simples coquilles vides sans véritable sens. La Cour ne devrait pas récompenser pareille

tentative de l’Ukraine de se soustraire aux obligations qu’elle a acceptées en ratifiant la convention

contre le financement du terrorisme.

74. Cela m’amène à la question de l’absence de risque «sérieux» ou «réel» qu’un préjudice

irréparable soit causé à des droits particuliers découlant de la convention contre le financement du

terrorisme.

IV. L’absence de risque «sérieux» ou «réel» qu’un préjudice irréparable soit causé à des
droits particuliers découlant de la convention contre le financement du terrorisme

75. A cet égard, il y a trois points importants que l’Ukraine a malheureusement passés sous

silence hier.

50 76. Premièrement, tous les incidents relatifs à des tirs d’artillerie sans discrimination

invoqués par l’Ukraine au paragraphe 7 de sa demande sont antérieurs à l’ensemble de mesures

prévues par les accords de Minsk II, qui a déjà été traité. Même s’ils n’ont peut-être pas encore été

pleinement mis en œuvre, ces accords n’en demeurent pas moins un facteur essentiel d’évaluation

du risque dans le cadre d’une demande en indication de mesures conservatoires reposant sur des

événements bien précis qui se sont produits avant leur conclusion. Ces accords ont en effet eu une

incidence bien réelle sur le terrain, puisqu’ils ont permis de réduire le nombre de civils tués ou

blessés par des tirs d’artillerie sans discrimination.

77. Deuxièmement, et ce point est plus important encore, des tentatives d’instaurer un

cessez-le-feu durable sont en cours et, le 1 mars 2017, le groupe de contact trilatéral a tenu une

94Voir l’échange de notes diplomatiques figurant à l’annexe 2 du volume II du dossier de documents, et, en
particulier, la note de la Russie n 16866/dsng, à l’annexe 1 du volume III.1 du dossier de documents. - 47 -

réunion au cours de laquelle «les parties ont réaffirmé leur engagement de retirer l’intégralité de

leurs armes lourdes» de la zone en cause.

78. Enfin, troisièmement, des mesures spécifiques ont été prises pour écarter, ou du moins

limiter, le risque de voir se reproduire certains des actes dont l’Ukraine tire grief :

 s’agissant de la destruction de l’appareil qui assurait le vol MH17, l’espace aérien au-dessus de

l’Ukraine orientale a été fermé dès juillet 2014, de sorte que les aéronefs civils ne courent plus

aucun risque ;

 s’agissant de la mesure concrète demandée par l’Ukraine, selon laquelle «[l]a Fédération de

Russie d[evrait] exercer un contrôle approprié sur sa frontière afin de prévenir tout nouvel acte

de financement du terrorisme, y compris la fourniture d’armes en provenance de son territoire

et à destination du territoire ukrainien», l’OSCE mène une mission d’observation à deux postes

de contrôle (Donetsk et Goukovo) depuis la fin du mois de juillet 2014. Cette mission a été

96
mise en place en application d’une décision de cette organisation , qui faisait suite à une

demande de la Fédération de Russie.

79. Il n’existe donc aucun risque qu’un préjudice irréparable soit causé à des droits

expressément protégés par la convention contre le financement du terrorisme, et plus précisément

celui de ne pas être exposé au financement privé d’actes de terrorisme, selon la définition

restrictive qui en est donnée à l’article 2 de cet instrument.

51 80. Qui plus est, l’Ukraine invoque des risques sans tenir compte des importants

développements et changements politiques intervenus depuis février 2015, ni du rôle qu’elle joue

elle-même à cet égard.

V. L’absence d’urgence

81. Voilà qui m’amène à la question, bien entendu étroitement liée, du caractère d’urgence.

Premièrement, cette question, tout comme celle du risque de préjudice irréparable, doit être

examinée en se référant au libellé exact de l’article 18 de la convention contre le financement du

95«Déclaration faite à la presse par le représentant spécial du président en exercice de l’OSCE, M. Sajdik, à la
suite de la réunion du groupe de contact trilatéral tenue le 1 mars 2017», Minsk, 2 mars 2017.
96 o
Décision n 1130 de l’OSCE : déploiement d’observateurs de l’OSCE à deux postes de oontrôle russes sur la
frontière russo-ukrainienne, PC.DEC/1130, décision du 24 juillet 2014, dossier de plaidoiries, onglet n 29. - 48 -

terrorisme invoquée par l’Ukraine ; autrement dit, il doit y avoir urgence dans le domaine de la

coopération interétatique en matière de financement privé d’actes de terrorisme.

82. En conséquence, toute urgence alléguée relativement à la nécessité de faire preuve de

retenue dans le cadre d’un conflit armé en cours dans lequel toutes les parties semblent violer le

droit international humanitaire est dépourvue de pertinence, puisque la compétence, notamment

prima facie, que la Cour tient de l’article 24 de la convention contre le financement du terrorisme

ne couvre pas pareilles violations du droit international humanitaire en tant que telles.

83. Deuxièmement, et comme je l’ai déjà indiqué, il n’y a plus urgence en ce qui concerne la

sécurité du survol de l’Ukraine orientale par des aéronefs civils.

84. Troisièmement, les actes bien précis auxquels l’Ukraine se réfère au paragraphe 7 de sa

demande ont tous eu lieu il y a deux ans environ.

85. Quatrièmement, la Russie soutient qu’il convient impérativement de prendre en

considération les processus politiques en cours, et que la Cour devrait s’abstenir d’indiquer des

mesures conservatoires qui compromettraient ces processus ou nuiraient à la population touchée.

86. De fait, il ressort de la jurisprudence de la Cour que celle-ci tient compte, et sans les

contrarier, des processus politiques en cours, y compris devant le Conseil de sécurité, visant à

régler de manière pacifique une situation de conflit armé. Pour ne citer qu’un exemple,

permettez-moi de vous renvoyer à l’affaire Cameroun c. Nigéria, dans laquelle la Cour a pris en

considération le fait que le Conseil de sécurité avait déjà appelé les parties à respecter le

97
cessez-le-feu préalablement convenu .

52 87. De la même manière, j’observerai respectueusement que la Cour devrait tenir compte

 sans les contrarier  de l’ensemble de mesures prévues par les accords de Minsk II, a fortiori

parce que le Conseil de sécurité demeure saisi de la situation en Ukraine orientale et qu’il a à la fois

«approuv[é]» ces mesures et exhorté toutes les parties à les «appliquer pleinement» . Du reste,

97 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), mesures
conservatoires, ordonnance du 15 mars 1996, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 23-24, par. 45-49. Voir également Plateau
continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), mesures conservatoires, ordonnance du 11 septembre 1976,
C.I.J. Recueil 1976, p. 12-13, par. 37-41.
98
Résolution 2202 (2015) du Conseil de sécurité, 17 février 2015, Nations Unies, doc. S/RES/2202a (2015) ;
Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies, «Déclaration à la presse faite par le Conseil de sécurité sur la
détériooation de la situation dans la région de Donetsk en Ukraine», SC/12700, 31 janvier 2017, dossier de plaidoiries,
onglet n 28. - 49 -

l’Ukraine elle-même continue de chercher à régler le conflit par l’intermédiaire du Conseil de

99
sécurité .

88. La Cour devrait également s’abstenir d’indiquer des mesures qui auraient un effet négatif

sur la population civile des territoires contrôlés par la RPD et la RPL. A titre d’exemple, l’Ukraine

demande expressément que «[l]a Fédération de Russie ... cesse[] et prév[ienne] tous transferts

d’argent ... de véhicules[ ou] de matériels en provenance de son territoire et à destination de» ces

100
dernières . Cette mesure, si elle était adoptée, nuirait toutefois à la population civile de la RPD et

de la RPL. Elle compromettrait en outre différents aspects de la mise en œuvre du processus de

Minsk, puisque le paragraphe 8 des accords de Minsk I appelle à «[a]dopter ... des mesures visant à

améliorer la situation dans le Donbass» , tandis que le paragraphe 7 des accords de Minsk II

confirme la nécessité d’«[a]ssurer la sécurité de l’accès, de la livraison, du stockage et de la

distribution de l’aide humanitaire à ceux qui en ont besoin» . 102

VI. Conclusion

89. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, permettez-moi de conclure

mon exposé.

90. Il se pourrait fort bien qu’il soit un jour souhaitable d’adopter une convention globale

contre le terrorisme, mais il s’agit là d’une question relevant du développement futur du droit

international, la Cour étant pour l’heure tenue d’appliquer la lex lata, à savoir la convention contre

le financement du terrorisme telle qu’elle est actuellement en vigueur.

53 91. Je soutiens que le fait même que les négociations relatives à une convention aussi

exhaustive n’aient pas — du moins à ce jour — débouché sur le moindre résultat concret démontre

bien que les Etats n’ont pas la volonté, ou tout simplement la capacité, de se mettre d’accord sur un

tel instrument.

99Voir la réunion tenue le 2 février 2017 par le Conseil de sécurité concernant la lettre en date du 28 février 2014
adressée à sa présidente par le représentant permanent de l’Ukraine auprès de l’Organisation des Nations Unies
(S/2014/136), S/PV/7876.

100Demande en indication de mesures conservatoires présentée par l’Ukraine, par. 22 c).
101
«Protocole sur les résultats des consultations du groupe de contact trilatéral», Minsk, 5 septembre 2014, et
«Mémorandum du 19 septembre 2014 décrivant les paramètres pour la mise en œuvre des engagements du protocole de
Minsk du 5 septembre 2014» (ci-après désignés collectivement les «accords de Minsk I»).
102«Ensemble de mesures en vue de l’application des accords de Minsk», annexe I de la résolution 2202 (2015)

du Conseil de sécurité (ci-après les «accords de Minsk II»). - 50 -

92. Ce que l’Ukraine propose aujourd’hui à la Cour, par voie d’interprétation et par une porte

dérobée, c’est de faire de la convention contre le financement du terrorisme un tel instrument

global, vocation qui n’a jamais été la sienne.

93. Est-ce là réellement ce qu’entendaient faire les Etats lorsqu’ils ont négocié, adopté, puis

ratifié la convention contre le financement du terrorisme ? Etait-ce vraiment leur intention ?

94. Au surplus, l’Ukraine tente d’obtenir que la Cour indique des mesures conservatoires sur

cette base

 au mépris de la définition restrictive du terrorisme contenue dans la convention, alors qu’elle

n’a pas même présenté une argumentation plausible à cet égard, comme l’a démontré

M. Wordsworth ;

 au mépris des exigences procédurales de l’article 24 de la convention contre le financement du

terrorisme ; et enfin

 au mépris des strictes conditions régissant les mesures conservatoires développées dans votre

jurisprudence.

95. Monsieur le président, ainsi s’achève le premier tour de plaidoiries de la Russie sur le

volet de la demande en indication de mesures conservatoires de l’Ukraine relatif à la convention

contre le financement du terrorisme.

96. Je vous prierai donc, Monsieur le président, de bien vouloir appeler maintenant à la barre

l’agent de la Fédération de Russie, M. Lukiyantsev.

The PRESIDENT: I now give the floor to the agent of the Russian Federation,

Mr. Lukiyantsev.

M. LUKIYANTSEV : Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est pour

moi un grand honneur qu’il me soit donné de m’exprimer devant vous au nom de la Fédération de

Russie. - 51 -

INTRODUCTION

1. Je me propose de traiter de la deuxième base de compétence de la Cour invoquée par

l’Ukraine, la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination

raciale (CIEDR). L’Ukraine a demandé à la Cour d’imposer des mesures conservatoires,

54 censément pour «protéger les droits de l’homme fondamentaux» des habitants de la Crimée contre

la discrimination. Or, je relève que le texte de la demande de l’Ukraine regorge de termes tels

qu’«agression», «occupation» ou «referendum illégal» . 103

2. Qui plus est, alors qu’elle prétend maintenant invoquer la CIEDR au sujet de la Crimée,

104
l’Ukraine a derrière elle un long passé de discrimination envers les Tatars de Crimée , et continue

de pratiquer la discrimination dans le territoire sur lequel elle exerce son autorité.

3. L’Ukraine a également cautionné les mesures prises pour bloquer l’approvisionnement en

eau de la péninsule de Crimée pendant la saison où il est nécessaire pour l’agriculture, et a soutenu

105
ceux qui ont instauré ce qu’ils appellent le «blocus civil» , ainsi que ceux qui ont détruit les lignes

électriques desservant la péninsule . L’Ukraine demande maintenant à la Cour de considérer

comme discriminatoire l’interdiction d’une organisation dont les dirigeants soutiennent et prennent

de telles mesures .107

4. Tout cela montre que la requête de l’Ukraine vise un but qui n’a rien à voir avec la CIEDR

et la protection des droits de l’homme ; son véritable objet est le statut de la Crimée, question

dénuée de pertinence dans une instance introduite au titre de l’article 22 de la convention. La

Russie ne conteste nullement que la CIEDR soit applicable sur le territoire de la Crimée.

5. Au cours des audiences, nous allons démontrer qu’il n’y a aucune raison plausible de

croire que la Fédération de Russie mène «une campagne d’«annihilation culturelle», expression

inventée par le demandeur et exclusivement employée par lui . La Russie a fait des efforts

considérables pour promouvoir en Crimée le développement harmonieux de tous les groupes

10Demande en indication de mesures conservatoires, par. 1, 3 et 11.

10Dossier de plaidoiries établi par la Fédération de Russie, onglet n 30.

10Ibid., onglet n 31.
106
Ibid.
10Demande en indication de mesures conservatoires, par. 12.

10Ibid., par. 11. - 52 -

ethniques. Il y a un contraste saisissant entre ce qu’elle a ainsi entrepris et la situation qui régnait

en Crimée avant 2014. La Russie consent ces efforts en dépit des difficultés que l’Ukraine cherche

à créer en prenant des mesures à l’encontre des habitants de la Crimée.

6. M. Forteau expliquera plus avant pourquoi la demande en indication de mesures

conservatoires ne remplit pas les conditions juridiques qui permettraient à la Cour d’y donner suite.

55 L A SITUATION EN C RIMÉE AVANT 2014

7. Dans sa requête, l’Ukraine prétend que les Tatars de Crimée ont vécu «une renaissance

culturelle … sous souveraineté ukrainienne» . 109 Qui plus est, dans les observations qu’elle a

formulées hier, l’Ukraine a affirmé que les Tatars de Crimée étaient particulièrement vulnérables

parce qu’ils avaient perdu la protection du Gouvernement ukrainien , et qu’elle n’avait jamais été

111
réputée être sujette à des tensions ethniques .

8. Ces déclarations ne reflètent pas la réalité. Le comité pour l’élimination de la

discrimination raciale, durant les dizaines d’années où la Crimée se trouvait sous l’autorité de

l’Ukraine, a maintes fois constaté que celle-ci pratiquait la discrimination à l’égard des Tatars de

Crimée, comme le montrent les citations de rapports du comité figurant dans notre dossier de

plaidoiries .2

9. Tout récemment, en 2016, le comité pour l’élimination de la discrimination raciale a

conclu que les Tatars de Crimée qui s’étaient installés après 2014 dans des régions relevant de

l’autorité de l’Ukraine «[avaient été] en butte à des difficultés en matière d’accès à l’emploi, aux

services sociaux et à l’éducation, et ne [recevaient] pas d’assistance» . Le caractère peu reluisant

des pratiques de l’Ukraine en matière de protection des droits des minorités en Crimée avant 2014,

et même actuellement sur son territoire, est confirmé par le rapport le plus récent (le seizième)

10Requête, par. 85.

11CR 2017/1, p. 64, par. 46 (Gimblett).
111
Ibid., p.51, par. 11 (Zerkal).
11Onglet n 30.

113Onglet n 36 : Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, observations finales concernant les
vingt-deuxième et vingt-troisième rapports périodiques de l’Ukraine, adoptées par le comité à sa quatre-vingt-dixième
session (2-26 août 2016), consultable à l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/
G16/223/14/pdf/G1622314.pdf?OpenElement - 53 -

établi par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) sur la situation

des droits de l’homme en Ukraine 114

L A SITUATION ACTUELLE EN C RIMÉE

10. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, la Russie a pris en Crimée des

mesures concrètes pour aider la communauté tatare et les communautés ukrainiennes de souche et

promouvoir leur culture, et ce en dépit de la crise financière, et malgré aussi les tentatives que j’ai

déjà signalées visant à entraver l’accès à des biens et services de première nécessité.

Permettez-moi de vous dire que jamais encore pareils efforts n’avaient été consacré à ce territoire.

11. Selon les résultats du recensement auquel il a été procédé plus de six mois après la

réunification en mars 2014 de la Crimée et de la Russie, 277 336 Tatars, Tatars de Crimée compris,

et 344 515 Ukrainiens habitaient alors la Crimée, ce qui donne un tableau de la situation qui ne

115
cadre manifestement pas avec les allégations d’«annihilation culturelle» portées par l’Ukraine .

56 De plus, contrairement à ce que l’Ukraine voudrait faire croire à la Cour, plus d’un million de

citoyens ukrainiens se sont établis en Russie après 2014. Actuellement, plus de 2,6 millions de

citoyens ukrainiens résident sur le territoire de la Fédération de Russie . 116

12. D’importants dirigeants des Tatars de Crimée et des communautés ukrainiennes de

Crimée ont expressément manifesté leur désaccord avec les accusations de discrimination,

déclarant qu’il n’y avait plus en Crimée ni oppression fondée sur l’origine ethnique, ni conflits

inter-ethniques, et que «la réunification de la Crimée et de la Russie [avait] permis le

rétablissement du système traditionnel d’administration de la justice, que le peuple tatar de Crimée

117
attendait depuis plus de 70 ans» . Vous trouverez à ce sujet, dans notre dossier de plaidoiries,

114Onglet n 37 : Report on the human rights situation in Ukraine 16 August to 15 November 2016, publié le
8 décembre 2016, consultable à l’adresse suivante : http://www.ohchr.org/Documents/Countries/UA/
UAReport16th_EN.pdf.

115 Onglet n 38 : résultats du recensement de la population de la République de Crimée et de la ville de
Sébastopol réalisé en 2014, consultables à l’adresse suivante : http://www.gks.ru/free_doc/new_site/
population/demo/perepis_krim/perepis_krim.html.

116Onglet n 39 : extrait d’une interview d’O. Kirillova, directrice du département principal du ministère de
l’intérieur de la Fédération de Russie chargé des questions migratoires.

117Onglet n 40. - 54 -

plusieurs transcriptions d’interviews et déclarations de dirigeants de communautés vivant en

Crimée , ainsi que d’étrangers qui ont eu l’occasion de s’y rendre . 119

13. Fait sans précédent, un décret présidentiel sur le relèvement du peuple tatar de Crimée

prévoit une aide au renouveau et au développement de ce peuple, et accorde des avantages sociaux

120
à ceux qui en font partie .

14. Le Gouvernement russe a également approuvé des investissements d’un montant total de

708 milliards de roubles (soit plus de 10 milliards d’euros) pour le développement de la Crimée

durant la période 2015-2020, une somme de plus de 10 milliards de roubles (plus de 150 millions

d’euros) étant spécialement affectée au développement de la communauté tatare de Crimée,

notamment à l’organisation de manifestations culturelles et à la publication d’ouvres littéraires en

langue tatare de Crimée . 121

57 15. Lors des élections de septembre 2014, 155 Tatars de Crimée ont été élus membres

d’organes de l’Etat criméen. Le personnel du ministère de l’intérieur de la République de Crimée

comprend 56 pourcents de Russes, 29 pourcents d’Ukrainiens et 11 pourcents de Tatars de Crimée.

Celui du ministère de la justice compte 71 pourcents de Russes, 16 pourcents d’Ukrainiens et 10 %

de Tatars de Crimée. Le personnel d’encadrement des établissements d’enseignement général

comprend 548 Russes, 180 Ukrainiens et 48 Tatars de Crimée. Le personnel enseignant comprend

27 755 Russes, 4 996 Ukrainiens et 5 552 Tatars de Crimée.

C E QUI CARACTÉRISE LA TENEUR DE LA REQUÊTE DE L ’U KRAINE

16. Monsieur le président, je vais maintenant m’intéresser à la teneur de la requête de

l’Ukraine, et je me permets d’appeler tout d’abord l’attention de la Cour sur ce que l’Ukraine n’y

dit pas, et s’est aussi abstenue de dire hier dans ses plaidoiries.

118Ibid.

119Onglet n 44.
120 o o
Onglet n 45 : décret n 268 du président de la Fédération de Russie, promulgué le 21 avril 2014, «relatif au
relèvement des communautés d’origine arménienne, bulgare, grecque et allemande et du peuple tatar de Crimée et à
l’aide de l’Etat pour leur renouveau et leur développement», consultable à l’adresse suivante : http://kremlin.ru/acts
/bank/38356.
121 o
Onglet n 46 : mesures relatives au développement social et à l’aménagement de l’infrastructure des zones à
forte densité d’habitants, originaires de peuples opprimés, prises conformément au programme-cadre fédéral intitulé
«Développement socio-économique de la République de Crimée et de la ville de Sébastopol à l’horizon 2020», approuvé
par le décret n 790 du Gouvernement de la Fédération de Russie, promulgué le 11 août 2014 ; consultable à l’adresse
suivante : http://pravo.gov.ru/proxy/ips/?docbody=nd=102357218. - 55 -

17. L’Ukraine ne prétend pas qu’un quelconque texte législatif de la Fédération de Russie

établisse une discrimination à l’égard des Tatars ou des Ukrainiens de Crimée. Elle ne cite pas non

plus le moindre exemple de propos à leur endroit inspirés par la haine.

18. Ce qui me paraît le plus frappant est que l’Ukraine n’ait fourni aucun élément de preuve

directe, sous la forme de documents ou de déclarations récents, qui viendrait étayer, par exemple,

ses allégations de pratiques d’intimidation motivées par l’origine ethnique des personnes

concernées. Cela alors qu’à en croire sa requête, l’Ukraine s’est employée pendant des années à

recueillir des preuves et que selon elle, des dizaines de milliers de personnes qui habitaient en

Crimée se seraient installées en Ukraine, personnes avec lesquelles il lui était loisible de

communiquer.

19. Il est à noter que les deux déclarations sous serment que l’Ukraine a intégrées au dernier

moment à ses écritures ne peuvent pas être considérées comme des éléments de preuve directe. La

déclaration de Mme Lutkovska est un document qui, comme bien d’autres, ne fait que reprendre

des informations obtenues indirectement par quelqu’un qui fait partie de l’appareil de l’Etat

ukrainien . Quant à M. Tchoubarov, il est membre du Parlement ukrainien , et sa déclaration

sous serment traite principalement de questions qui n’ont rien à voir avec la présente affaire, telles

que la déportation de Tatars de Crimée dans les années 1940, ou de situations qu’il n’a pas pu

constater lui-même.

58 20. Le demandeur fonde dans une large mesure son argumentation sur des opinions

exprimées au sein d’organisations internationales. Or, il ne faut pas perdre de vue que les

appréciations portées sur la situation en Crimée sont bien souvent le reflet d’une prise de position

sur le statut de celle-ci.

21. Un certain nombre de documents d’organisations internationales qui, à première vue,

traitent de la situation des droits de l’homme en Crimée, portent en réalité principalement sur le

statut de la Crimée. Tel est le cas, par exemple, de la résolution de l’Assemblée générale des

Nations Unies sur «la situation des droits de l’homme en Crimée», adoptée à l’issue d’un scrutin où

122Déclaration sous serment de V. Lutkovska (27 février 2017), documents à l’appui de la demande en indication
de mesures conservatoires de l’Ukraine («documents à l’appui de la demande de l’Ukraine»), annexe 83.

123Déclaration sous serment de R. Chubarov (21 février 2017), ibid., annexe 81. - 56 -

près des deux tiers des Etats Membres de l’ONU se sont abstenus ou ont émis un vote négatif . 124

Vous pourrez voir qu’on trouve dans cette résolution des termes comme «occupation», lequel,

selon la déclaration faite par l’Ukraine lors du vote, désigne la principale des questions sur

125
lesquelles porte la résolution .

22. Quant aux rapports du HCDH ou de l’OSCE invoqués par l’Ukraine, ils émanent

d’institutions incapables de se rendre compte sur place de la situation en Crimée, du fait que

l’Ukraine s’obstine à considérer qu’elles ne peuvent envoyer des représentants dans la péninsule

que dans le cadre d’un déplacement en territoire ukrainien. Je citerai en particulier le cas du

16 rapport du HCDH sur la situation des droits de l’homme en Ukraine, fondé sur 176 entretiens 126

qui, pour la plupart, ont eu lieu en Ukraine, et non en Crimée.

23. La Fédération de Russie tient à dire la profonde confiance que lui inspire la Cour, organe

judiciaire principal des Nations Unies chargé de régler les différends d’ordre juridique en fonction

de critères juridiques à l’issue d’une appréciation indépendante des faits pertinents.

24. La Cour devrait se montrer extrêmement circonspecte dans son examen des informations

avancées dans sa demande en indication de mesures conservatoires. L’Ukraine déforme tout

simplement la réalité. Le chiffre qu’elle cite quant au nombre de Tatars de Crimée qui vivent en

Crimée en est l’exemple le plus flagrant.

25. Dans sa demande, l’Ukraine affirme qu’il y a eu une chute catastrophique du nombre des

Tatars de Crimée habitant la péninsule, qui ne serait plus que le cinquième de ce qu’il était avant le

changement de statut de la Crimée, tombant ainsi de 243 400 à 42 254 . Si ces chiffres étaient

59 vrais, la situation serait effectivement tragique. Or, le demandeur a tout simplement tiré des

124
Résolution 71/205, adoptée par l’Assemblée générale le 19 décembre 2016, intitulée «Situation des droits de
l’homme dans la République autonome de Crimée et la ville de Sébastopol (Ukraine)», consultable à l’adresse suivante :
http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/71/205.
125
Ministère ukrainien des affaires étrangères, déclaration sur la l’adoption de la résolution de l’Assemblée
générale des Nations Unies intitulée «Situation des droits de l’homme dans la République autonome de Crimée et la ville
de Sébastopol (Ukraine)», consultable à l’adresse suivante : http://mfa.gov.ua/en/press-center/news/53305-zajava-mzs-
shhodo-uhvalennya-rezolyuciji-ga-oon-stan-z-pravami-lyudini-u-avtonomnij-respublici-krim-ta-misti-sevastopoly-
ukrajina.
126
Report on the human rights situation in Ukraine, 16 August to 15 November 2016, par. 2. Le texte de ce
rapport peut être consulté à l’adresse suivante : http://www.ohchr.org/Documents/Countries/UA/UAReport 16th_EN.pdf.
12Demande en indication de mesures conservatoires, par. 13. - 57 -

statistiques les mauvais chiffres, ceux qui indiquent le nombre des Tatars qui ne sont pas d’origine

criméenne.

26. Hier, le demandeur a tenté d’ajuster les chiffres, déclarant qu’il y avait 230 000 Tatars de

Crimée , chiffre encore une fois erroné. Il y a en effet parmi les habitants actuels de la Crimée

129
232 340 Tatars de Crimée . Puisque l’Ukraine a déclaré que la distinction entre les Tatars de

Crimée et les autres Tatars était «quelque peu obscure », nous nous permettons de préciser que le

nombre total exact des Tatars qui habitent actuellement la Crimée est de 277 336, soit largement

supérieur à celui relevé avant 2014 . 130

27. L’Ukraine a également cité hier le nombre des Ukrainiens habitant la Crimée, prétendant

par là illustrer «l’exode» des Ukrainiens de Crimée, et a de nouveau avancé un chiffre faux. Le

131
nombre exact des Ukrainiens vivant en Crimée est de 344 515, et non pas de 291 603 .

28. Les données statistiques fournies par l’Ukraine au sujet de l’enseignement dispensé en

langue tatare de Crimée et en ukrainien sont quant à elles incomplètes et trompeuses, comme vous

l’expliquera M. Forteau.

29. La requête comporte aussi des informations sur certains cas de violations alléguées des

droits de l’homme. Or, pour établir l’existence de pratiques discriminatoires ou d’une «campagne

d’annihilation culturelle», il ne saurait suffire d’invoquer l’appartenance ethnique des personnes

dont les droits auraient été violés. C’est pourtant ce que fait l’Ukraine, qui présente à la Cour la

relation d’un certain nombre d’incidents concernant des Tatars et des Ukrainiens de Crimée en

affirmant que ces incidents, en eux-mêmes, montrent que la discrimination est pratiquée en Crimée.

Ces incidents concernent des personnes portées disparues ou de personnes qui ont eu affaire aux

autorités chargées du maintien de l’ordre public dans le cadre de l’application de la législation sur

la répression de l’extrémisme, et se sont vu confisquer certains ouvrages à la suite de perquisitions ;

M. Forteau vous en dira plus sur ce sujet.

128
CR 2017/1, p. 64, par. 45 4) (Gimblett).
129 o
Onglet n 38.
130 Onglet n 38 : résultats du recensement de la population de la République de Crimée et de la villa de
Sébastopol réalisé en 2014, consultables à l’adresse suivante : http://www.gks.ru/free_doc/new_site/

population/demo/perepis_krim/perepis_krim.html.
131Voir supra, note n 24. - 58 -

30. Le demandeur allègue également que les autorités russes se refusent à enquêter sur les

disparitions de Tatars ou d’Ukrainiens de Crimée. Permettez-moi de citer à ce sujet quelques

chiffres : en 2015 et 2016, les autorités chargées du maintien de l’ordre ont retrouvé trace de 63 des

60 78 Tatars de Crimée portés disparus et de 131 des 152 Ukrainiens de Crimée dont la disparition

avait été signalée. Durant la même période, les autorités ont retrouvé trace de 761 des 869 Russes

portés disparus. On voit donc que tous les cas de disparition font l’objet d’une enquête, quelle que

soit l’origine nationale ou ethnique des personnes portées disparues.

31. Je vais maintenant traiter de la mesure qui, aux dires de l’Ukraine, est la manifestation la

plus patente d’une politique discriminatoire, à savoir l’interdiction du Majlis en tant

132
qu’organisation extrémiste .

32. L’Ukraine s’applique à présenter le Majlis comme le seul organe représentatif du peuple

tatar de Crimée. Le Majlis a été créé en 1991 par une délégation des représentants du peuple tatar

de Crimée dénommée Qurultay, qui s’est chargée de la représentation de tout le peuple tatar de

Crimée. Dès ses débuts, l’organisation ainsi créée s’est consacrée exclusivement à défendre la

133
cause de l’autodétermination du peuple tatar de Crimée dans un Etat souverain de Crimée . Cette

revendication a déclenché une réaction immédiate du conseil suprême (parlement) de Crimée, qui a

134
déclaré la Qurultay inconstitutionnelle .

33. La Qurultay et le Majlis se sont constamment opposés aux autorités de l’Etat . L’une 135

des conséquences de cette attitude est que les deux organisations n’ont jamais été enregistrées

conformément à la législation ukrainienne. En adoptant cette tactique, elles ont manifestement

voulu se soustraire à toute responsabilité tout en continuant de jouir de leur statut auto-proclamé

d’«autorités de réserve». L’Ukraine n’avait jamais reconnu le Majlis comme étant un organe

représentatif des Tatars de Crimée, et n’avait jamais non plus considéré les Tatars de Crimée

13Demande en indication de mesures conservatoires, par. 12.
133 o
Onglet n 48 : déclaration de souveraineté nationale du peuple tatar de Crimée, en date du 28 juin 1991,
dossier de documents, vol. III, 2, annexe 1.
13Onglet n 50.

135Onglets n 49, 51 et 52 : le Majlis a adopté une déclaration de son presidium «sur la situation en Crimée»,
dossier de documents, vol. III, 2, annexe 6 ; résolution de la deuxième session de la Quraltay «relative aux activités du
Majlis du peuple tatar de Crimée durant la période comprise entre juin 1991 et juillet 1993», ibid., vol. III, 2, annexe 8. - 59 -

comme un peuple autochtone. Le Gouvernement ukrainien est revenu sur ce double refus par des

décisions qu’il a prises après le changement de statut de la Crimée . 136

34. Avec le temps, le Majlis s’est mis à recourir à des méthodes violentes pour atteindre ses

buts. En 1992, des membres du Majlis ont pris part à des manifestations violentes qui ont fait des

morts, dont une organisée à Krasny Ray suite à un différend sur des parcelles de terrain, et une qui

137
a eu lieu devant le siège du conseil suprême de Crimée. . M. Dzhemilev a alors déclaré la

mobilisation et lancé un appel à la formation d’unités d’autodéfense. A la suite de ces événements,
61

le conseil suprême de Crimée a adopté une décision qualifiant d’inconstitutionnelles «les activités

du Majlis et de ses antennes locales qui visent à attiser les tensions politiques et à promouvoir la

haine interethnique en provoquant des troubles massifs de l’ordre public et en lançant des appels au

138
renversement des autorités locales et des autorités de l’Etat» .

35. M. Kravchuck, alors président de l’Ukraine, a condamné les actes violents et illégaux

commis par des extrémistes agissant au nom du Majlis, et a rappelé que le conseil suprême de la

République de Crimée et les institutions qui y étaient rattachées étaient les seules autorités

légales .9

36. En 2014, le Majlis a poursuivi sa tactique violente, en organisant d’abord, le 26 février,

devant le bâtiment abritant le Conseil suprême, une manifestation qui, en raison des agissements de

ses membres et partisans, dont M. Chiygoz, a fait deux morts et 79 blessés. Ensuite, le 3 mai, lors

d’un rassemblement organisé par M. Tchoubarov pour accueillir M. Dzhemilev, les participants

s’en sont pris à la police criméenne, agressant physiquement plusieurs policiers du poste de

contrôle frontalier proche de la ville d’Amyansk. L’un des protestataires a même tenté d’écraser un

policier avec sa voiture .140

37. Après ces incidents, MM. Tchoubarov et Dzhemilev ont poursuivi leurs activités depuis

Kiev. Le 1 avril 2015, M. Tchoubarov a déclaré que pour lui et son camp, «la guerre ne finir[ait]

136http://zakon1.rada.gov.ua/laws/show/1140-vii.
137 os
Onglets n 53 et 59.
138 o
Onglet n 54.
139Onglet n 55.

140Onglet n 56. - 60 -

141
pas» tant que la Crimée n’aurait pas été réintégrée à l’Etat ukrainien . En septembre 2015, les

activistes du Majlis et les nationalistes du «Front de droite» ont investi les postes de contrôle

routier et établi des barrages sur la voie ferrée ; ensuite, en octobre et novembre 2015, ils ont privé

142
la péninsule d’électricité en faisant sauter les pylônes des lignes de distribution , ce qui a eu des

conséquences dramatiques pour ses habitants.

38. Le président Porochenko a déclaré que ce blocus était «le fait d’activistes du peuple tatar

de Crimée» et que «les autorités de l’Etat — le corps ukrainien des garde-frontière et le ministère

de la justice — [avaient] reçu pour consigne de maintenir l’ordre public et de prévenir les actes de

provocation» . 143

39. L’interdiction du Majlis a été décidée pour faire pièce à ces actes violents et n’a rien à

voir avec l’origine ethnique de ses membres. L’Ukraine s’ingénie à présenter cette décision

comme étant destinée à priver les Tatars de Crimée de leur seul organe représentatif, ce qui est
62

faux. La décision par laquelle la plus haute autorité judicaire de Russie a prononcé l’interdiction

du Majlis précise qu’il existe en Crimée 30 autres organisations de Tatars de Crimée, comptant plus

de 20 000 membres . Nombre de ces organisations sont opposées au Majlis . 145

40. La suspension de l’interdiction du Majlis, qui est l’une des mesures conservatoires

demandées par l’Ukraine, outre qu’elle serait intempestive parce que préjugeant le règlement de

questions que la Cour n’est pas en mesure d’examiner convenablement à ce stade de la procédure,

compromettrait gravement la sûreté de l’Etat et le maintien de l’ordre public.

D ÉFAUT DE VÉRITABLES NÉGOCIATIONS

41. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, l’Ukraine a affirmé qu’il y

avait eu entre elle et la Russie de véritables négociations sur les questions faisant l’objet de sa

requête. En réalité, les dirigeants ukrainiens ont clairement manifesté que l’Ukraine n’avait pas

141 o
Onglet n 56.
142 o
Onglet n 31.
143 Onglet n 31 : «Porochenko déclare que le blocus a pour but la réintégration de la Crimée à l’Ukraine»

(22 septembre 2015), https://regnum.ru/news/polit/1975787.html.
144Onglet n 56.

145Onglet n 57. - 61 -

l’intention d’entamer de bonne foi des négociations et se bornaient à «faire semblant» de

négocier .46

42. J’ai participé à trois rencontres en qualité de chef de la délégation russe. A chaque fois,

l’Ukraine a proposé que quelques heures d’une seule journée soient consacrées à des consultations,

alors que la Russie préconisait de prévoir plus de temps. Avant deux de ces rencontres, une

membre très importante de la délégation ukrainienne a fait savoir qu’elle ne serait pas présente en

raison de son emploi du temps trop chargé.

43. En décembre 2016, la délégation ukrainienne, sans raison apparente, a tout à coup décidé

de mettre fin aux consultations, décision qui a été suivie en janvier de cette année du dépôt de la

requête de l’Ukraine devant la Cour. Ni lors de la dernière rencontre tenue en décembre 2016, ni

non plus lors des rencontres précédentes, l’Ukraine n’a jamais dit qu’à son avis, il devenait urgent

de régler la situation. Elle n’a mentionné aucun fait ni aucune circonstance qui aurait nécessité

selon elle une action dans l’urgence.

44. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, alors que mon intervention

touche à sa fin, je tiens à vous donner l’assurance que la Fédération de Russie, Etat pluriethnique

de par sa Constitution, prend très au sérieux les obligations qu’elle a assumées en tant que partie à

la CIEDR. Le développement harmonieux de toutes les communautés ethniques est l’une des

grandes priorités nationales de la Russie. La Fédération de Russie abrite d’importantes

63 communautés ukrainiennes et tatares (plus de 5,3 millions de Tatars et 1,9 million d’Ukrainiens,

selon le recensement de 2010) . Le comité pour l’élimination de la discrimination raciale ne s’est

jamais montré préoccupé au sujet de l’exercice de leurs droits par les membres de ces

communautés.

45. Le dernier rapport périodique adressé par la Fédération de Russie au comité pour

l’élimination de la discrimination raciale, qui comprend un exposé de la situation en Crimée, doit

être examiné cette année en août. Nous avons l’intention d’ouvrir un dialogue avec le comité au

146Onglet n 47.

147 Recensement général de la population de la Russie, voir http://www.gks.ru/free_doc/new_site/
perepis_itogi1612.htm. - 62 -

sujet de toute question que cet organe conventionnel créé en application de la CIEDR pourrait

soulever au sujet de la politique et des pratiques de la Russie.

46. Permettez-moi de citer, pour conclure mon exposé, des propos d’Emirali Ablaev, moufti

et chef du conseil spirituel des musulmans de Crimée et de Sébastopol (qui, en Crimée, compte

parmi les organisations de Tatars de Crimée les plus respectées) ; élu par la Quraltay en 1999, il a

déclaré ce qui suit : «jamais, au cours des deux cents dernières années, l’attitude envers le Mouftiat

148
des musulmans de Crimée n’a été aussi positive» .

Mr. President, Members of the Court, thank you for your attention. Mr. President, may I ask

you to give the floor to Professor Forteau.

The PRESIDENT: Thank you, Excellency. I now give the floor to Professor Forteau.

Mr. FORTEAU: Thank you, Mr. President.

T HE C OURT ’S LACK OF PRIMA FACIE JURISDICTION AND LACK OF BASIS FOR THE
PROVISIONAL MEASURES SOUGHT BY U KRAINE

1. Mr. President, Members of the Court, it is an honour and a privilege to appear before you

today. It falls to me this morning to respond to the request for the indication of provisional

measures in respect of CERD and I shall do so in light of the important clarifications that have just

been made.

2. I shall begin with the observation that the first two provisional measures sought by

Ukraine 149are in fact merely a reiteration of obligations under CERD, as, moreover, Mr. Gimblett
64
150
acknowledged yesterday . These requests therefore have no purpose of their own and cannot give

rise to provisional measures. There is even less need to reiterate the Parties’ obligations in these

proceedings, since Russia has officially informed Ukraine on a number of occasions that it fully

intended to comply strictly with its commitments under the Convention, in Crimea and

148Onglet n 58.

14See Ukraine’s Request for the indication of provisional measures, paras. 24 (a) and (b).
150
CR 2017/1, p. 70, para. 50 (Gimblett). - 63 -

151
elsewhere . The other measures sought by Ukraine do not, prima facie, fall within the Court’s

jurisdiction and, in any event, do not meet the conditions laid down in the Court’s jurisprudence.

I. The Court lacks jurisdiction, even prima facie,
to entertain Ukraine’s Request

3. Ukraine seeks to found the jurisdiction of the Court on Article 22 of CERD. You will find

a copy of the text of the Convention at tab 60 of the judges’ folder.

4. A number of conditions must be met for the Court to have jurisdiction on the basis of

Article 22. Its jurisprudence is firmly established and very strict in this respect. The Court only

152
has jurisdiction if a dispute exists on the day proceedings are instituted , the existence of said

153
dispute is a matter for objective determination and the dispute must fall ratione materiae within

the scope of the basis of jurisdiction relied upon . Furthermore, in 2011, in the Georgia v. Russia

case, the Court concluded that Article 22 established “preconditions to be fulfilled before the seisin

of the Court” . Article 22 thus provides that only a dispute “which is not settled by negotiation or

by the procedures expressly provided for in this Convention” can be referred to the Court.

65 5. In its 2011 Judgment, the Court precisely defined the criteria that must be met for the first

procedural condition  that of prior negotiation  to be deemed satisfied . 156

6. In the same Judgment, the Court did not take an explicit position on whether the two

157
preconditions contained in Article 22 are cumulative or alternative . It did, however, note  and

this is significant  that at the time CERD was being elaborated, “the idea of submitting to the

151See, for example, the diplomatic Note from Russia to Ukraine of 28 September 2015 (in the Dossier of
documents submitted by the Russian Federation in connection with Ukraine’s Request for the indication of provisional
measures, No. 11-5).

152Obligations concerning Negotiations relating to Cessation of the Nuclear Arms Race and to Nuclear
Disarmament (Marshall Islands v. United Kingdom), Preliminary Objections, Judgment of 5 October 2016, paras. 42-43.

153Ibid., para. 39.
154
See Oil Platforms (Islamic Republic of Iran v. United States of America), Preliminary Objection, Judgment,
I.C.J. Reports 1996 (II), p. 810, para. 16; Application of the International Convention on the Elimination of All Forms of
Racial Discrimination (Georgia v. Russian Federation), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2011 (I),
separate opinion of Judge Koroma, p. 185, para. 7.
155
Application of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination
(Georgia v. Russian Federation), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2011 (I), p. 128, para. 141 (emphasis
added).

156Ibid., in particular p. 132, para. 157, and p. 134, para. 162. See also Questions relating to the Obligation to
Prosecute or Extradite (Belgium v. Senegal), Judgment, I.C.J. Reports 2012 (II), p. 446, para. 57.
157
Application of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination
(Georgia v. Russian Federation), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2011 (I), p. 140, para. 183. - 64 -

compulsory settlement of disputes by the Court was not readily acceptable to a number of States”,

which explains why “additional limitations to resort to judicial settlement in the form of prior

negotiations and other settlement procedures without fixed time-limits were provided for with a

158
view to facilitating wider acceptance of CERD by States” .

7. This confirms Russia’s position in the Georgia v. Russia case that the two preconditions in

Article 22 are cumulative. We would refer you here to the relevant parts of Russia’s preliminary

objections and two rounds of oral arguments in 2010, which retain all their relevance for the

159
purposes of this case .

8. Of course, at this stage of the proceedings, it is only a question of ascertaining whether the

Court has prima facie jurisdiction. However, in light of clarifications made in recent years, it

would appear that such prima facie jurisdiction is not established in these proceedings, and there

are three sets of reasons for this.

9. First, Ukraine admits that, before seising the Court, it did not attempt to have recourse to

the procedures expressly provided for in the Convention and that it has therefore not fulfilled the

66 second precondition laid down by Article 22 . It is in fact surprising that Ukraine did not refer its

claims to the CERD Committee, whereas Articles 11 to 13 of the Convention establish a specific

procedure for bringing State-to-State complaints before the Committee. It is equally surprising that

Ukraine made no mention of this precondition yesterday, whereas it was debated at length in the

161
Georgia v. Russia case . Moreover, in the exchanges of diplomatic Notes, Russia had expressly

recalled to Ukraine, on 27 November 2014, that it should follow this procedure, which is clearly

effective in the event of a dispute between States (see tab 61 in the judges’ folder). Through this

procedure, the Committee, and then a Conciliation Commission, can, inter alia, establish the facts

by asking the parties to supply any relevant information that might be required; what is more, the

158Ibid. (emphasis added).
159
Georgia v. Russia, Preliminary Objections of the Russian Federation, paras. 4.57-4.80; CR 2010/8, pp. 53-60
(Pellet); CR 2010/10, pp. 23-38 (Pellet). See also Application of the International Convention on the Elimination of all
Forms of Racial Discrimination (Georgia v. Russian Federation), Provisional Measures, Order of 15 October 2008,
I.C.J. Reports 2008, joint dissenting opinion of Vice-President Al-Khasawneh and Judges Ranjeva, Shi, Koroma, Tomka,
Bennouna and Skotnikov, p. 404, para. 18.
160
See Application, para. 23.
161Application of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination
(Georgia v. Russian Federation), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2011 (I), in particular p. 121,
para. 119. - 65 -

Committee is very well placed to do so, since, as a result of examining the periodic reports

submitted by States under Article 9 of CERD, it is fully informed of and regularly monitors the

measures adopted by States in application of the Convention.

10. Furthermore, the Committee can trigger an urgent action procedure when a situation

requires “immediate attention to prevent or limit the scale or number of serious violations of the

162
Convention” . This urgent procedure is precisely defined and intended to be fully effective, in

particular on the basis of the guidelines adopted in this regard by the Committee in 2007 . 163

11. In so far as Ukraine has not referred these issues to the Committee pursuant to

Article 22, the Court clearly lacks jurisdiction in this case.

164
12. Second, there is no evidence of a “genuine attempt to negotiate” . It is true that, for

two and half years, exchanges have taken place between the Parties, in the form of Notes Verbales

and three rounds of meetings. But, as the Agent of Russia pointed out, Ukraine has only been

going through the motions as far as the negotiation process is concerned; it has merely placed on

67 record a certain number of accusations that have constantly shifted from one Note Verbale to the

next, which means  and this is important  that so far it has not been possible to establish

definitively the positions of the two Parties on the questions at issue . What is more, Ukraine has

not bothered to substantiate its accusations with documentary evidence, nor has it devoted the time

required for both Parties to consider its allegations. Lastly, it appears explicitly from the most

recent exchanges between the Parties that they had not ruled out the possibility of future

negotiations . In these circumstances, it is evident that the condition of prior negotiation as

defined in the Court’s jurisprudence has not been fulfilled either.

13. Third, the Court may only order provisional measures if “the provisions invoked by the

Applicant appear, prima facie, to afford a basis on which the jurisdiction of the Court might be

162Prevention of racial discrimination , including early warning and urgent procedures: working paper adopted by
the Committee on the Elimination of Racial Discrimination, A/48/18, Annex III, 1993, para. 8 (b).

163Guidelines for the early warning and urgent action procedures, Annual Report A/62/18, Annexes, Chapter III,
2007; see also http://www.ohchr.org/EN/HRBodies/CERD/Pages/EarlyWarningProcedure.aspx#….
164
Application of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination
(Georgia v. Russian Federation), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2011 (I), p. 133, para. 159.
165See in this respect (a contrario) Questions relating to the Obligation to Prosecute or Extradite (Belgium v.

Senegal), Judgment, I.C.J. Reports 2012 (II), p. 446, para. 59.
166See the Note Verbale of 28 September 2015 (in the Dossier of documents submitted by the Russian Federation
in connection with Ukraine’s Request for the indication of provisional measures, No. 11-5). - 66 -

founded” . It thus falls to Ukraine to demonstrate that, prima facie, the alleged facts may

constitute violations of the provisions of CERD. Two basic points need to be made here.

14. First, it is important to recall that the Convention only prohibits discrimination. This

means that a differentiation of treatment must be established for the provisions of the Convention

to apply . In particular, this means that the various rights referred to in the different paragraphs of

Article 5 of the Convention are not protected as such, contrary to the false impression that

Mr. Gimblett sought to create yesterday ; the protection afforded by Article 5 of the Convention

is solely the absence of discrimination “in the enjoyment” of those rights.

15. It is therefore not enough to allege that a person has suffered a prejudice or that one of

his or her rights has been infringed. It must be shown that the prejudice or the infringement of a

right is discriminatory in nature. Ukraine must therefore establish that Russia has adopted

68 measures which have a discriminatory effect on the Tatar and Ukrainian communities compared

with how other residents of Crimea are treated. The comparability test is, in fact, at the heart of

170
the principle of non-discrimination .

16. Second, the Convention only prohibits discrimination in so far as it is “based on” a

certain number of grounds specified in Article 1, namely, “race, colour, descent, or national or

ethnic origin”. It is thus for the Applicant to prove that the ground for any difference in treatment

is the race or national or ethnic origin of the people concerned. Any difference in treatment based

on other grounds is not prohibited by the Convention.

17. Prima facie, the provisional measures sought by the Applicant do not take account of

these factors. First of all, in respect of the rights under CERD Articles 3, 4 and 6 for which it is

seeking provisional protection , Ukraine has not made any specific allegation or submitted any

factual element in its Request. What is more, Ukraine made absolutely no mention yesterday of

167Application of the International Convention on the Elimination of all Forms of Racial Discrimination

(Georgia v. Russian Federation), Provisional Measures, Order of 15 October 2008, I.C.J. Reports 2008, p. 377, para. 85.
168See CERD, General Recommendation 14 regarding Article 1, paragraph 1, of the Convention, Forty-second
session, 1993, A/48/18, para. 2.

169CR 2017/1, p. 57, para. 11 (Gimblett).
170
See L. Hennebel, H. Tigroudja, Traité de droit international des droits de l’homme, Pedone (Paris), 2016,
pp. 757 et seq.
171Request for the indication of provisional measures, para. 17. - 67 -

these three provisions. And as regards CERD Articles 2 and 5, Ukraine merely gives a list of

alleged violations of human rights that have affected people of Tatar or Ukrainian origin. At no

point does Ukraine explain how these allegations constitute racial discrimination.

18. Ukraine asserts, for example, that the measures of prevention, criminal investigation or

prosecution that the Russian authorities have been led to take against certain Tatar or Ukrainian

people or entities are part of a campaign of racial discrimination . Yet available statistics show

that there is no difference in treatment. You will find the relevant statistics at tab 62 of the judges’

folder. This document shows that in criminal matters, people of Tatar or Ukrainian origin were not

subject to discriminatory treatment compared to other inhabitants of Crimea. On the contrary,

proportionally, it appears that they faced fewer criminal proceedings than other inhabitants.
69

19. The searches, preventive measures or criminal proceedings that Ukraine claims the

Crimean authorities have undertaken against certain people of Tatar or Ukrainian origin have a

legitimate aim, namely, the fight against extremism  a fight that Russia is conducting throughout

its territory against any person involved in such acts . In the vast majority of cases, preventive

and penal measures have been aimed at people with a link to the organization Hizb ut-Tahrir

al-Islami, which Russia considers to be extremist. As the documents submitted by Ukraine show,

measures taken just recently in January, for example, against Mr. Kurbedinov and Mr. Polozov,

174
who Ukraine claimed yesterday to have been subjected to discriminatory arrest measures , were

linked to the activities of that organization . Hizb ut-Tahrir al-Islami is banned not only in

Russia, but also in Germany and in a number of Arab and Asian States, on account of its extremist

discourse and activities. Here, the Court will no doubt note with interest that in two recent cases,

one involving Germany and one involving Russia, the European Court of Human Rights endorsed

the measures taken by the two States against this extremist organization, taking the view that its

17See Application, p. 24, sec. C, and para. 81.

17See, for example, Xenophobia, Freedom of Conscience and Anti-Extremism in Russia in 2015: A collection of
annual reports by the SOVA Center for Information and Analysis, 2016 (http://www.sova-center.ru/files/
books/pe16-text.pdf), in particular pp. 117-118.
174
CR 2017/1, p. 66, paras. 38-39 (Gimblett).
17See the documents in support of Ukraine’s Request for the indication of provisional measures (Ann. 41);

judges’ folder of Ukraine (Vol. II), document No. 34. - 68 -

discourse and activities were contrary to both the letter and the spirit of the European Convention

176
on Human Rights .

20. Similarly, there is nothing to suggest prima facie that, should the facts be established, the

177
measures barring demonstrations and gatherings referred to in Ukraine’s Application constitute

racial discrimination. The measures taken to combat separatism or extremism and the bans on

demonstrations in certain locations apply, in accordance with the rules in force, to everyone and to

178
70 all demonstrations in Crimea ; and, furthermore, they are based on a ground permitted by the

Convention. Ukraine has offered no tangible evidence that, when these measures are applied to

people of Tatar or Ukrainian origin, they are applied in a discriminatory manner on the basis of the

racial or ethnic origin of those concerned.

The PRESIDENT: Professor, I would ask you to deliver the rest of your presentation at a

slower pace for the benefit of the interpreters and therefore the Court.

Mr. FORTEAU: Of course, Mr. President, I shall take due heed of your instructions.

II. The provisional measures sought by Ukraine do not
satisfy the required conditions

21. Mr. President, even if we assume that the Court had prima facie jurisdiction, the

conditions for the indication of provisional measures would still have to be fulfilled. And they are

not.

22. Turning first to the plausibility of the rights invoked, there is a striking contrast between

Ukraine’s grave accusations, on the one hand, and the reality of the situation, on the other.

23. Ukraine’s accusation, as reiterated more than 20 times yesterday, is a radical one:

Ukraine accuses Russia of pursuing in Crimea “the cultural erasure of non-Russian communities

179
through a systematic and ongoing campaign of discrimination” . The objective of this so-called

17ECHR, Hizb ut-Tahrir and others v. Germany, No. 31098/98 (12 June 2012); Kasymakhunov and
Saybatalov v. Russia, Nos. 26261/05 and 26377/06 (14 March 2013).

17See Application of Ukraine, paras. 100-102 and 109-110.
178
See also Regulation 315 of 4 July 2016 of the Council of Ministers of the Republic of Crimea (available  in
Russian  at: rk.gov.ru/rus/file/pub/pub_298128.pdf).
179
See Request for the indication of provisional measures, para. 3. - 69 -

systematic campaign of cultural erasure is, apparently, to “eliminate” the identity and culture of

180
non-Russians altogether . According to Ukraine, the very survival of those communities is under

threat .1

71 24. Such an accusation is of exceptional gravity; in accordance with the Court’s

jurisprudence, it must be proved “by evidence that is fully conclusive” and that provides “a high

182
level of certainty” . Yet, none of the documents Ukraine has submitted to the Court  not even

the General Assembly resolution of 2016 which, as Russia has already said this morning, is hardly

conclusive given the conditions under which it was adopted  relays that grave accusation.

25. The fact is that, on the ground, the situation of the non-Russian-speaking communities in

Crimea in no way corresponds to the description put forward by Ukraine yesterday.

26. First, contrary to its assertions , Ukraine failed to respect the rights of the Tatar

communities prior to 2014. Between 1992 and 2014, numerous documents prepared by

independent organizations condemned the treatment reserved by the Ukrainian State for minorities

in general and the Crimean Tatar community in particular. On this point, I would refer you to the

relevant extracts from the reports of human rights organizations, which can be found in the dossier

184
submitted by Russia last week .

27. Since Crimea’s change of status in 2014, several facts attest that the situation of those

communities has improved.

28. On 21 April 2014, for example, a decree was adopted by President Vladimir Putin which

relates, in particular, to the rehabilitation of the Crimean Tatar people and to State support for their

revival and development (this decree can be found at tab 63 of the judges’ folder). The decree

seeks, by its terms, to redress a “historical injustice” and to “eliminate the consequences of the

illegal deportation” of that people, as well as to ensure the protection of their rights and legitimate

18See Application, paras. 5, 13, 14 and 131; Request for the indication of provisional measures, para. 3, as well

as paras. 11 and 21.
18CR 2017/1, p. 25, para. 2, and p. 30, para. 19 (Koh).

18Application of the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia and
Herzegovina v. Serbia and Montenegro), Judgment, I.C.J. Reports 2007 (I), pp. 129-130, paras. 209-210.
183
See Application, para. 85.
18See Dossier of documents submitted by the Russian Federation in connection with Ukraine’s Request for the
indication of provisional measures, Document No. 9.2. - 70 -

interests. It acknowledges, in particular, the need to provide education in the language of that

community.

185
72 29. Similarly, a law of 10 December 2014 set out social support measures for their benefit .

Pursuant to a decision of 11 August 2014, the Russian Government also approved a vast federal

programme of economic and social development to support them, as the Agent of Russia has

explained this morning . For his part, the United Nations High Commissioner for Human Rights

noted in August 2016 that a memorial dedicated to Tatar victims of deportation had been

inaugurated by the Crimean authorities . 187

30. It is also important to point out that Crimea’s new Constitution, which was adopted on

11 April 2014, establishes both the Crimean Tatar and Ukrainian languages as official languages of

Crimea. This is an important step forward in the recognition of those communities’ rights, and the

fact that it is enshrined in the Constitution belies Ukraine’s allegation that the cultural rights of

those communities are at risk of disappearing. That constitutional amendment is now fully

188
implemented at an administrative level, as several documents submitted by Russia attest .

31. Moreover, contrary to Ukraine’s assertion yesterday about Russia’s “strangulation of

189
education” of the non-Russian-speaking communities, the educational rights of the Tatar and

Ukrainian communities are protected:

(i) In his report of November 2016, the United Nations High Commissioner for Human

Rights highlighted the progress made in respect of the use of Tatar as a language of

190
instruction in Crimean schools .

(ii) The Crimean Federal University, which is the largest higher education institution in

Crimea, recognizes the Ukrainian and Tatar languages as languages of instruction. The

185See Dossier of documents submitted by the Russian Federation in connection with Ukraine’s Request for the
indication of provisional measures, Document No. 2.

186Ibid.
187
Judges’ folder of Ukraine (Vol. II), tab 26, OHCHR, Report on the human rights situation in Ukraine (16 May
to 15 August 2016), para. 164.
188
See Dossier of documents submitted by the Russian Federation in connection with Ukraine’s Request for the
indication of provisional measures, Document No. 7.
189CR 2017/1, p. 69, para. 47 (Gimblett).

190Judges’ folder of Ukraine (Vol. II), tab 32, OHCHR, Report on the human rights situation in Ukraine
(16 August to 15 November 2016), paras. 179-181. - 71 -

73 same is true of other leading establishments, such as the Crimean Engineering and

191
Pedagogical University .

(iii) Futhermore, the figures put forward by Ukraine in this regard are inaccurate: Ukraine

considers that Ukrainian-language education has been all but eliminated in Crimea, that

only one school providing such an education remains, and that, prior to 2014,

12,000 pupils were taught in Ukrainian, compared with only 1,000 today . However, 192

Ukraine neglects to mention that the latter figure only represents pupils who are taught

exclusively in Ukrainian. Ukraine is therefore not comparing like with like. You will find

the relevant figures at tab 65 of the judges’ folder: today there are not one but a dozen

schools offering a Ukrainian-language education; moreover, it is not fewer than 1,000,

but almost 13,000 pupils who are receiving various forms of education in the Ukrainian

language.

(iv) Also noteworthy is the existence in several Crimean towns of Ukrainian national and

cultural organizations which have been freely established under Russian law, as the

document at tab 66 in the judges’ folder shows.

32. Ukraine’s claims that Russia is seeking to silence the Tatar and Ukrainian media in

Crimea are also disproved by the facts. Amongst the documents submitted by Russia last week,

you will find a list of radio stations, television channels and newspapers in the Ukrainian and Tatar

languages which are registered in Crimea today: the list contains more than 80 of them . It is 193

true that a few media outlets have not been registered, but that is because their application file was

incomplete, and of course there was nothing to prevent them from submitting a fresh application.

194
Here, Ukraine is relying only on documents dating from April 2015 and it makes no claim that

over the last two years a media outlet of Tatar or Ukrainian origin has applied to be registered and

had its application refused.

19See Dossier of documents submitted by the Russian Federation in connection with Ukraine’s Request for the
indication of provisional measures, Documents Nos. 8.2 and 8.3.

19Request for the indication of provisional measures, para. 14; CR 2017/1, p. 68, para. 45 (Gimblett).
193
See Dossier of documents submitted by the Russian Federation in connection with Ukraine’s Request for the
indication of provisional measures, Document No. 4.
19See Dossier of documents in support of Ukraine’s Request for the indication of provisional measures, Anns. 39

and 57. - 72 -

74 33. The condition concerning the risk of irreparable prejudice to the Applicant’s rights is not

met either. In this respect, there is no comparison between this situation and the one in the

Georgia v. Russia case. The Court only ordered provisional measures in that case because of the

195
very specific nature and context of the facts in that instance , which are in no way comparable to

those in the present case.

34. Besides, at no point during its diplomatic exchanges with Russia has Ukraine mentioned

a risk of irreparable prejudice. This attitude has been consistent from Ukraine’s first Note Verbale

of 23 September 2014 to its most recent one of 7 October 2016.

35. Ukraine now asserts, however, that the Russian authorities are engaging in a systematic

practice of forced disappearances and murders  allegations which it believes give rise to

196
irreparable prejudice . The Agent of Ukraine even accused Russia yesterday of “suppressing
197
groups it sees as its enemies” . I would like to make five comments in this regard:

(i) First, the documents on which Ukraine relied yesterday do not indicate that Russia is

pursuing a campaign of murder in Crimea.

(ii) Next, as regards the disappearances, neither the reports of the High Commissioner for

Human Rights nor those of the prosecutor of the International Criminal Court, on which

198
Ukraine draws , claim that the disappearances which have occurred since 2014 are

explained by the racial or ethnic origin of the persons concerned.

(iii) Nor do those same documents claim that Russia itself is responsible for those

disappearances.

199
(iv) As for Ukraine’s allegation that the disappearances are continuing and must therefore

end , that is contradicted by the reports of the High Commissioner for Human Rights; in

75 his report of August 2016 he only mentioned one single case of a person going missing in

195
Application of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination
(Georgia v. Russian Federation), Provisional Measures, Order of 15 October 2008, I.C.J. Reports 2008, p. 396,
paras. 142-143.
196
Application, paras. 14 and 103; Ukraine’s Request for the indication of provisional measures, para. 12.
19CR 2017/1, p. 22, para. 9 (Agent).

19See judges’ folder of Ukraine (Vol. II), tabs 26, 32 and 39.
199
CR 2017/1, p. 33, para. 28 (Koh).
20CR 2017/1, p. 70, para. 50 (Gimblett). - 73 -

the first half of 2016 , and in his latest report he makes no reference either to new

disappearance cases since May 2016 or, more broadly, to any situation in which lives are

in danger .202

(v) Finally, Ukraine asserts that the Crimean authorities have refused to investigate these

203
disappearances . As the Agent of Russia has just pointed out, such investigations have

taken place and are both thorough and exhaustive. That fact has, moreover, been noted by

the United Nations High Commissioner for Human Rights, who found in his report of

204
August 2016, contrary to what Mr. Gimblett maintained yesterday , that an investigation

205
was indeed opened immediately after Mr. Ibragimov’s disappearance in May 2016 . As

for earlier cases of missing persons, the High Commissioner also pointed out that in the

case of Mr. Shaimardanov, for example, several hundred witnesses had been interrogated

206
and that the case file contained 11 tomes of documents .

36. This situation is not urgent, contrary to what Ukraine contends . 207 What is more,

throughout the two and a half years of consultations between the Parties, Ukraine has never made

any reference to any kind of urgency or to an imminent risk of prejudice. Quite the contrary,

Ukraine has acted as if there were no urgency at all. To give just a few examples : 208

76 (i) In its Note Verbale of 1 December 2014, Ukraine informed Russia that it believed that it

209
had already exhausted the possibility of prior negotiation ; yet Ukraine failed to submit

a complaint to either the CERD Committee or the ICJ in the subsequent two years.

20Judges’ folder of Ukraine (Vol. II), tab 26, OHCHR, Report on the human rights situation in Ukraine (16 May

to 15 August 2016), para. 154.
20Judges’ folder of Ukraine (Vol. II), tab 32, OHCHR, Report on the human rights situation in Ukraine

(16 August to 15 November 2016), paras. 155-181.
20CR 2017/1, pp. 29-30, para. 17 (Koh).

20CR 2017/1, p. 66, para. 37 (Gimblett).

20Judges’ folder of Ukraine (Vol. II), tab 26, OHCHR, Report on the human rights situation in Ukraine (16 May
to 15 August 2016), para. 154.

20Judges’ folder of Ukraine (Vol. II), tab 26, OHCHR, Report on the human rights situation in Ukraine (16 May
to 15 August 2016), para. 156.

20Ukraine’s Request for the indication of provisional measures, para. 21.
208
See Dossier of documents submitted by the Russian Federation in connection with Ukraine’s Request for the
indication of provisional measures, Document No. 11.
209
Note No. 72/22-620-2946 of 1 December 2014. - 74 -

(ii) In other Notes Verbales, dated 15 December 2014 , 30 March 2015, 17 August 2015,

5 April 2016 and 7 October 2016, Ukraine acted as though no urgency was necessary, for

example requesting Russia to reply to its claims not urgently but “within reasonable time

frames”, allowing several months to pass between many of its diplomatic Notes and, on

7 October 2016, expressing the view that the Parties should continue the consultations.

Remarkably, Ukraine made no claim yesterday that the situation had suddenly worsened

in recent weeks compared with how it was at the end of 2016.

37. Finally, it is equally significant to note that the CERD Committee  which, I would

point out, is the “independent body that was established specifically to supervise the application of

211
that treaty” and which is therefore the most appropriate organ to deal with the matter within the

United Nations  has not deemed it necessary to trigger the urgent action procedure, despite

having the possibility of doing so at any time. The Committee has used that urgent procedure

against Russia on four occasions  each time in respect of circumstances unrelated to the present

case. It did so in March and September 2011, then on 15 May 2015, and then again on

26 January 2016 . However, at no point has the Committee initiated that procedure in respect of

Crimea, despite monitoring the situation there for several years. Indeed, the Committee has been

seised of the situation of the minority communities in Crimea for a long time, not least because, for

many years, their rights were not respected by Ukraine. In August 2016, Ukraine reported its

213
allegations concerning Crimea to the Committee during the consideration of its periodic report .

77 Furthermore, the Committee is in the process of examining the periodic report of Russia, which

was submitted last year and will be discussed by the Committee and the Russian authorities at the

Committee’s next session in August. Under these circumstances, the fact that the Committee,

which is the most competent body in this area and has all the information to hand, should not have

deemed it necessary to initiate the urgent procedure  despite doing so in the past in connection

with other situations concerning Russia  deprives of all credibility Ukraine’s accusation that the

210
Note No. 72/22-620-3069 of 15 December 2014.
21Ahmadou Sadio Diallo (Republic of Guinea v. Democratic Republic of the Congo), Merits, Judgment,
I.C.J. Reports 2010 (II), p. 664, para. 66.

21See http://www.ohchr.org/EN/HRBodies/CERD/Pages/EarlyWarningProcedure.aspx.
213
See http://www.ohchr.org/en/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=20370&…. - 75 -

Russian authorities are pursuing a systematic campaign of cultural erasure in Crimea with the aim

of eliminating the Tatar and Ukrainian communities.

38. Mr. President, Members of the Court, this confirms that in the present case it is not

possible, and it is not necessary, to indicate provisional measures under CERD.

39. Mr. President, that concludes the Russian Federation’s first round of oral argument. I

would like to thank the Members of the Court for listening so patiently and attentively.

The PRESIDENT: Thank you, Professor Forteau. As you said, your presentation concludes

the first round of oral observations of the Russian Federation. The Court will meet again

tomorrow, Wednesday 8 March, at 10 a.m., to hear the second round of oral observations of

Ukraine. The sitting is closed.

The Court rose at 1 p.m.

___________

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