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CR 2016/10

CR 2016/10

Lundi 19 septembre 2016 à 10 heures

Monday 19 September 2016 at 10 a.m. - 2 -

12 The PRESIDENT: Please be seated. The sitting is open.

The Court meets today to hear the Parties’ oral arguments on the preliminary objections

raised by Kenya in the case concerning Maritime Delimitation in the Indian Ocean (Somalia v.

Kenya).

I would further observe that, since the Court included upon the Bench no judge of Kenyan

nationality, Kenya availed itself of its right under Article 31, paragraph 2, of the Statute to choose a

judge ad hoc in the case; it chose Mr. Gilbert Guillaume.

Article 20 of the Statute provides that “[e]very member of the Court shall, before taking up

his duties, make a solemn declaration in open court that he will exercise his powers impartially and

conscientiously”. Pursuant to Article 31, paragraph 6, of the Statute, this provision is equally

applicable to judges ad hoc. Although Mr. Guillaume has previously sat as a judge ad hoc and has

made a solemn declaration in earlier cases, he is required, in accordance with Article 8,

paragraph 3, of the Rules of Court, to make a new solemn declaration in the present case.

Before inviting him to make his declaration, I shall first say a few words about

Mr. Guillaume’s career and qualifications.

Mr. Gilbert Guillaume, of French nationality, has a degree in law and a postgraduate diploma

in political economy and economic science from the University of Paris; he also holds a diploma

from the Paris Institut d’études politiques and is an alumnus of the Ecole nationale

d’administration. Mr. Guillaume is well known to the Court, since he was a Member from 1987

to 2005, and President from 6 February 2000 to 5 February 2003.

Before joining the Court, Mr. Guillaume already had behind him a long and distinguished

career, both as a judge and a senior public official. He was a member of the French Conseil d’Etat

and now serves as an honorary member of that institution. He has acted, among other things, as

France’s representative on the Legal Committee of the International Civil Aviation Organization

and as Chairman of that Committee from 1971 to 1975. Mr. Guillaume has also served as the

Director of Legal Affairs at the French Ministry of Foreign Affairs. In addition, he has been the

Agent of France before the Court of Justice of the European Communities and the European Court

of Human Rights. - 3 -

13 Mr. Guillaume has served as judge ad hoc at the International Court of Justice on several

occasions. A Member of the Permanent Court of Arbitration since 1980, he has sat as arbitrator in

numerous disputes. He is also an arbitrator for the International Centre for the Settlement of

Investment Disputes, and has served many times as president of various arbitral courts. He is a

member of the Institut de France (Académie des sciences morales et politiques), a member and

former Vice-President of the Institut de droit international, and has published numerous works on a

wide variety of topics in international law. He also has lectured at The Hague Academy of

International Law.

I shall now invite Mr. Guillaume to make the solemn declaration prescribed by Article 20 of

the Statute, and I would request all those present to rise.

Mr. GUILLAUME:

“I solemnly declare that I will perform my duties and exercise my powers as judge

honourably, faithfully, impartially and conscientiously.”

The PRESIDENT: Thank you. Please be seated. The Court takes note of the solemn

declaration made by Mr. Guillaume and declares him duly installed as judge ad hoc in the case

concerning Maritime Delimitation in the Indian Ocean (Somalia v. Kenya).

*

Je rappellerai à présent les principales étapes de la procédure en l’espèce.

Le 28 août 2014, la République fédérale de Somalie a introduit une instance contre la

République du Kenya au sujet d’un différend portant sur «l’établissement de la frontière maritime

unique séparant la Somalie et le Kenya dans l’océan Indien et délimitant la mer territoriale, la zone

économique exclusive … et le plateau continental, y compris la partie de celui-ci qui s’étend

au-delà de la limite des 200 milles marins».

La Somalie entend fonder la compétence de la Cour sur les déclarations respectivement

faites par elle le 11 avril 1963, et par le Kenya le 19 avril 1965, en vertu du paragraphe 2 de

l’article 36 du Statut de la Cour. - 4 -

14 Par ordonnance du 16 octobre 2014, le président a fixé au 13 juillet 2015 et au 27 mai 2016,

respectivement, les dates d’expiration des délais pour le dépôt d’un mémoire par la Somalie et d’un

contre-mémoire par le Kenya. La Somalie a déposé son mémoire dans le délai ainsi prescrit.

Le 7 octobre 2015, dans le délai fixé au paragraphe 1 de l’article 79 du Règlement, le Kenya

a soulevé des exceptions préliminaires à la compétence de la Cour et à la recevabilité de la requête.

En conséquence, par ordonnance du 9 octobre 2015, la Cour, constatant que la procédure sur le

fond était suspendue en application du paragraphe 5 de l’article 79 du Règlement, et compte tenu

de l’instruction de procédure V, a fixé au 5 février 2016 la date d’expiration du délai dans lequel la

Somalie pourrait présenter un exposé écrit contenant ses observations et conclusions sur les

exceptions préliminaires soulevées par le Kenya. La Somalie a déposé son exposé dans le délai

ainsi prescrit, et l’affaire s’est ainsi trouvée en état pour ce qui est des exceptions préliminaires.

*

[Conformément au paragraphe 2 de l’article 53 de son Règlement, la Cour, après s’être

renseignée auprès des Parties, a décidé que des exemplaires des pièces de procédure et documents

annexés seraient rendus accessibles au public à l’ouverture de la procédure orale. En outre,

conformément à la pratique de la Cour, l’ensemble de ces documents sera placé dès aujourd’hui sur

le site Internet de la Cour.]

*

Je constate la présence à l’audience des agents, conseils et avocats des deux Parties.

Conformément aux dispositions relatives à l’organisation de la procédure arrêtées par la Cour, les

audiences comprendront un premier et un second tours de plaidoiries. Le premier tour de

plaidoiries débute aujourd’hui et se terminera demain, mardi 20 septembre. Chaque Partie

disposera d’une séance de trois heures. Le second tour de plaidoiries s’ouvrira le

mercredi 21 septembre et s’achèvera le vendredi 23. Chaque Partie disposera d’une séance d’une

heure et demie.
* - 5 -

Je donne à présent la parole à [S. Exc. M. Githu Muigai, agent de la République du Kenya].

Excellence, vous avez la parole.

15 M. MUIGAI :

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est pour moi un très grand

honneur et un immense privilège de me présenter devant vous en qualité d’agent de la République

du Kenya à l’occasion des présentes audiences sur les exceptions préliminaires. Je m’appelle

Githu Muigai et suis l’Attorney-General du Kenya. Je suis accompagné aujourd’hui par

S. Exc. Mme Rose Makena Muchiri, coagent et ambassadeur du Kenya auprès du Royaume des

Pays-Bas, par Mme Juster Nkoroi, directrice du bureau chargé des frontières internationales du

Kenya, ainsi que par d’autres responsables et représentants de mon gouvernement. Nous vous

adressons nos salutations et tenons à témoigner à la Cour notre plus profond respect, ainsi que toute

notre estime.

2. Je saisis également cette occasion pour saluer l’agent de la République fédérale de

Somalie et les autres membres de la délégation somalienne. Que nos voisins soient assurés de

notre amitié et de notre bonne volonté.

3. Monsieur le président, c’est la première fois que le Kenya se présente devant la Cour

internationale de Justice. Il s’agit d’un jour à marquer d’une pierre blanche pour mon pays. Le

Kenya tient cette institution, qui est l’organe judiciaire principal de l’Organisation des

Nations Unies, dans la plus haute estime. Le fait qu’il conteste la compétence de la Cour dans la

présente affaire n’entame en rien son respect pour le droit international, au contraire : c’est un gage

de son attachement à ce que les accords soient exécutés de bonne foi. Comme il ressort clairement

de la déclaration qu’il a faite en vertu de la clause facultative contenue au paragraphe 2 de

l’article 36 du Statut, le Kenya n’a pas consenti à ce que la Cour exerce sa compétence à l’égard

des différends au sujet desquels il a convenu d’avoir recours à un autre mode de règlement.

S’agissant du présent différend porté devant la Cour par la Somalie, un tel mode de règlement a été

convenu dans le mémorandum d’accord du 7 avril 2009 (ci-après le «mémorandum d’accord» ou le

«mémorandum»). En outre, un autre mode de règlement agréé est énoncé dans la partie XV de la - 6 -

convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982, qui a force obligatoire pour les deux

Parties.

4. S’il est une conviction profondément ancrée dans l’histoire du Kenya, c’est que nulle

relation pacifique et amicale n’est possible sans respect des engagements internationaux. Le Kenya

s’est affranchi du colonialisme pour accéder à l’indépendance le 12 décembre 1963. Il rejoignit dès

le lendemain les membres fondateurs de l’Organisation de l’Unité africaine, la devancière de

l’Union africaine. Deux jours plus tard, il devint Membre de l’Organisation des Nations Unies.

En 1967, il fonda avec d’autres pays la communauté d’Afrique de l’Est.

16 5. C’est en 1965, peu après son accession à l’indépendance, que le Kenya fit une déclaration

en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour pour reconnaître la compétence

obligatoire de celle-ci, à quelques réserves près.

6. De nos jours, le Kenya est une démocratie multiethnique et une nation de plus en plus

prospère qui est reconnue pour son rôle de premier plan, tant au sein de l’Organisation des

Nations Unies qu’en celui de l’Union africaine. Cela fait ainsi de longues années qu’il apporte son

soutien au Gouvernement et au peuple somaliens. Depuis l’effondrement de l’Etat somalien

en 1991, en effet, le Kenya a apporté une assistance humanitaire à près d’un demi-million de

réfugiés somaliens. Il a également accueilli à Nairobi le Gouvernement fédéral de transition de la

République somalienne dès l’institution de celui-ci, en 2004, jusqu’à ce que les conditions de

sécurité permettent son transfert progressif à Mogadiscio, à compter de 2007. De fait, le Kenya a

joué un rôle décisif dans la défaite des forces chabab et dans la prise de Mogadiscio. Il a beaucoup

contribué aux volets civil et militaire de la mission de l’Union africaine en Somalie, conduite sous

les auspices de l’Organisation des Nations Unies. Des centaines de soldats kényans ont perdu la

vie en défendant le Gouvernement somalien. Avec leurs familles, ils ont fait le sacrifice ultime

pour que nos voisins puissent vivre en paix. En outre, des centaines de civils kényans ont été

victimes d’attentats terroristes commis par les Chabab en représailles contre le soutien prêté par le

Kenya au Gouvernement somalien. Pour ne vous donner qu’un seul exemple, en avril 2015,

150 étudiants ont été tués et 700, pris en otages à l’Université de Garissa. L’Union africaine et - 7 -

l’Organisation des Nations Unies ont reconnu les sacrifices consentis par le Kenya, qu’elles ont

1
qualifiés respectivement de «considérables» et d’«extraordinaires» .

7. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, tel est le contexte dans lequel il

convient d’apprécier les accusations de mauvaise foi lancées par la Somalie contre le Kenya. La

Somalie voudrait faire croire à la Cour que, toutes ces années, le Kenya nourrissait le sombre

dessein de spolier son voisin, de faire main basse sur ses eaux et ses hydrocarbures. De telles

accusations sont non seulement absurdes, mais aussi blessantes. Elles sont injustes et

irrespectueuses vis-à-vis d’un gouvernement et d’un peuple qui ont fait de tels sacrifices pour aider

la Somalie.

8. Monsieur le président, il n’est pas contesté que le Kenya exerce, sans rencontrer la

moindre opposition, sa compétence sur les eaux en litige depuis qu’il a proclamé sa zone

économique exclusive (ci-après la «ZEE») en 1979. En fait, la limite de cette ZEE était un

prolongement de celle de la mer territoriale qui reflétait la pratique coloniale antérieure. Depuis

17 que ce différend existe, le Kenya n’a nullement porté atteinte aux droits revenant à la Somalie sur

le plan juridique. Il s’est en réalité borné à certaines activités d’exploration de nature transitoire,

qui elles-mêmes sont aujourd’hui suspendues. Il n’est pas non plus contesté que le Kenya doit faire

face à une menace bien réelle sur le plan de la sécurité, les Chabab introduisant clandestinement

des armes et des combattants par la mer. Et nul ne conteste que la Somalie ne dispose pas de

capacités d’intervention maritime et n’en disposera pas dans un avenir proche. De fait, ces

dernières années, le Kenya a engagé des frais importants pour faire patrouiller sa marine dans les

eaux en litige, ayant été mandaté à cet effet par l’Union africaine, avec l’appui du Conseil de

sécurité de l’Organisation des Nations Unies. Il va devoir poursuivre ces patrouilles pendant un

certain temps encore.

9. Afin d’apaiser toute crainte pouvant subsister dans l’esprit de la Somalie, le Kenya a, par

une note diplomatique en date du 25 mai 2016, invité celle-ci à conclure les «arrangements

provisoires de caractère pratique» visés au paragraphe 3 de l’article 74 et au paragraphe 3 de

l’article 83 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (ci-après la «CNUDM»), en

1Exceptions préliminaires du Kenya (ci-après, «EPK»), par. 15. - 8 -

attendant qu’un accord soit trouvé au sujet de la frontière maritime. Dans sa réponse, la Somalie

reconnaît que les mesures prises par le Kenya sont conformes à «toutes les obligations découlant de

la convention».

10. La délimitation de la frontière maritime entre les Parties n’est pas si aisée que la Somalie

le laisse entendre. Pour parvenir à un règlement exhaustif et définitif, il faudra que soient réunis

plusieurs éléments importants nécessitant : un accord négocié ; la reconnaissance du modus vivendi

existant de longue date entre les Parties ; du temps, jusqu’à ce que la Somalie soit parvenue à

stabiliser davantage sa situation. C’est précisément ce que prévoit le mémorandum d’accord –– un

règlement progressif et négocié. Vouloir écarter ce mémorandum au motif que deux réunions

techniques tenues à quatre mois d’intervalle en 2014 auraient suffi à épuiser la voie des

négociations est clairement inconciliable avec les obligations que cet instrument confère à la

Somalie, et revient à nier une réalité pourtant évidente.

11. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour. Un proverbe swahili dit que

«c’est dans le besoin que l’on reconnaît ses véritables amis». Le Kenya a été un véritable ami de la

Somalie pendant toutes ces années où elle se trouvait dans le besoin. Et il l’est toujours. Il veut

simplement que les accords soient exécutés de bonne foi ; la Somalie ne peut renier ses obligations

puis se poser en victime du Kenya.

12. Le mémorandum d’accord énonce la procédure convenue pour régler ce différend. Les

Parties doivent s’y tenir. Et si, par impossible, la procédure ainsi prévue ne permettait pas de

parvenir à un règlement négocié, c’est alors celle visée dans la partie XV de la CNUDM qui

entrerait en jeu. Cette procédure constitue, elle aussi, un mode de règlement agréé autre que la

saisine de la Cour. Elle fait, elle aussi, clairement partie de celles auxquelles il est fait référence

18 dans les réserves du Kenya à la compétence de la Cour. Tels sont les modes de règlement auxquels

les Parties ont convenu d’avoir recours, et nous prions respectueusement la Cour de déclarer

qu’elle n’a pas compétence à l’égard des demandes portées devant elle par la Somalie.

13. Monsieur le président, pour débuter les plaidoiries de ce premier tour, M. Akhavan fera

ce matin un exposé liminaire afin de vous présenter les grandes lignes de l’argumentation kényane.

Il sera suivi de M. Karim Khan Q. C., qui traitera la question de la validité juridique du

mémorandum d’accord. Après la pause, M. Mathias Forteau examinera les termes de cet - 9 -

instrument à la lumière du droit des traités et exposera pourquoi il constitue un accord sur le mode

à utiliser pour régler ce différend maritime. Mme Makena Muchiri montrera ensuite en quoi les

Parties n’ont pas épuisé la voie des négociations. Elle sera suivie de M. Alan Boyle qui présentera

les raisons pour lesquelles, outre celle prévue dans le mémorandum, la procédure visée dans la

CNUDM constitue le mode applicable au règlement du différend relatif à la frontière maritime.

Enfin, M. Lowe Q.C. conclura le premier tour de plaidoiries du Kenya en exposant pourquoi les

procédures respectivement établies dans le mémorandum et dans la CNUDM sont précisément de

celles auxquelles il est fait référence dans la réserve kényane, excluant de ce fait la compétence de

la Cour.

14. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ainsi s’achève mon

intervention et je vous prie à présent de bien vouloir appeler à la barre M. Akhavan. Je vous

remercie.

The PRESIDENT: Thank you, your Excellency. I give the floor to Mr. Akhavan.

M. AKHAVAN :

E XPOSÉ GÉNÉRAL DES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DU K ENYA

I. Introduction

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est pour moi un honneur que

de comparaître aujourd’hui devant vous au nom du Kenya.

2. Je vous présenterai les exceptions préliminaires du Kenya dans les grandes lignes, puis

mes confrères en examineront à tour de rôle les différents points plus détail.

3. La Cour n’a qu’une seule question à trancher : celle de savoir si elle a compétence pour

connaître du différend qui oppose le Kenya et la Somalie au sujet de leur frontière maritime. Le

Kenya se permet d’affirmer respectueusement que tel n’est pas le cas.

19 4. Dans la déclaration qu’il a faite en vertu de la clause facultative, reproduite sous

l’onglet n 4 de votre dossier de plaidoiries, le Kenya a catégoriquement exclu de la compétence de - 10 -

la Cour : «[l]es différends au sujet desquels les parties en cause auraient convenu ou conviendraient

d’avoir recours à un autre mode ou à d’autres modes de règlement» . 2

5. C’est précisément ce type de réserve que la Cour avait à l’esprit dans l’affaire de la

Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria lorsqu’elle a fait observer que

«les Etats demeurent libres d’insérer dans leur déclaration facultative d’acceptation de
la juridiction obligatoire de la Cour une réserve excluant de la compétence de cette

dernière les différends au sujet desquels les parties en cause seraient convenues 3u
conviendraient d’avoir recours à un autre mode de règlement pacifique» .

6. Le sens de la réserve du Kenya est parfaitement clair. Dans l’affaire de Certaines terres à

phosphates à Nauru, la Cour a été appelée à interpréter une réserve analogue formulée dans la

déclaration faite par l’Australie en vertu de la clause facultative, et a conclu que cette réserve

4
s’appliquait en présence de toute «procédure agréée autre que le règlement judiciaire» . Point n’est

besoin, cependant, que la procédure agréée exclue expressément la saisine de la Cour. Elle exclut

sa compétence du simple fait qu’elle entre dans les prévisions de la réserve. Un éminent publiciste

a expliqué, au sujet de la réserve identique formulée par le Royaume-Uni, qu’il s’agissait de tenir

compte «[d]es rapports entre les différents engagements qui peuvent avoir été pris concurremment

5
en matière de règlement des différends, faisant prévaloir le particulier … sur le général» . En

d’autres termes, la réserve inclut toute lex specialis procédurale applicable au différend.

7. La Cour a établi qu’il convenait d’interpréter les réserves «d’une manière compatible avec

l’effet recherché par l’Etat qui en est l’auteur» . 6 Or, l’effet recherché par le Kenya est, à

l’évidence, l’exclusion de tous les différends pour lesquels existe une «procédure agréée autre que

le règlement judiciaire». La Cour doit donner plein effet à cette intention lorsqu’elle détermine

l’étendue de sa compétence.

2
Déclaration faite par le Kenya en vertu de la clause facultative prévue au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut
de la Cour, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 531, p. 113 (1965).
3
Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 303, par. 56.
4 Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt,

C.I.J. Recueil 1992, p. 247, par. 11 ; EPK, par. 145.
5 M. Wood, «The United Kingdom’s Acceptance of the Compulsory Jurisdiction of the International Court», in
O.K. Fauchald, H. Jakhelln et A. Syse (dir. publ.), Festschrift Carl August Fleischer (Scandinavian University
Press, 2006), p. 637 ; EPK, par. 143.

6 Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998,
p. 455, par. 52. - 11 -

8. Pour régler le différend relatif à leur frontière maritime, le Kenya et la Somalie disposent

en réalité de deux procédures agréées. La première est le mémorandum d’accord du 7 avril 2009,

par lequel les Parties se sont clairement engagées à délimiter leur frontière par voie de négociation

20 et seulement après que la Commission des limites aura examiné leurs communications respectives.

La seconde procédure est celle énoncée à la partie XV de la CNUDM, qui prévoit des modes de

règlement spécifiques aux différends frontaliers. Ces deux procédures, isolément ou

conjointement, entrent sans conteste dans les prévisions de la réserve du Kenya. L’une et l’autre

excluent catégoriquement la compétence de la Cour. La question dont vous êtes saisis est aussi

simple que cela.

II. La validité juridique du mémorandum d’accord

9. La Somalie emploie ce qu’il nous faut bien appeler une tactique de «contournement» du

mémorandum d’accord. Elle cherche en effet par tous les moyens à se débarrasser de ce qu’elle

considère manifestement comme un obstacle juridique à sa nouvelle stratégie en matière de

délimitation maritime. Pour commencer, le 4 février 2014, soit peu avant de déposer sa requête

introductive d’instance en août de la même année, elle adresse au Secrétaire général des

Nations Unies une note verbale par laquelle elle retire son consentement antérieur à l’examen de la

communication du Kenya par la Commission des limites, et affirme que l’obligation de

«non-objection» n’est pas juridiquement contraignante puisque le mémorandum d’accord est réputé

«nul et non avenu». La Somalie prétend en particulier que M. Warsame, le ministre qui a signé le

mémorandum en son nom, n’était pas dûment habilité à le faire. Rien n’est plus faux. De fait, la

Somalie a produit depuis la lettre d’autorisation du ministre en annexe à son exposé écrit . Et elle a

renoncé à cet argument fallacieux.

10. Ensuite, juste une semaine avant le dépôt de son mémoire, la Somalie lève son objection

à l’examen de la Commission, avant de tenter, dans son exposé écrit, de minimiser les effets

juridiques du mémorandum d’accord, donnant à entendre que sa validité juridique est incertaine.

Elle en invoque tous les paragraphes, à l’exception notable du dernier, où il est dit que cet

instrument entrera en vigueur à sa signature. La Somalie semble également ignorer l’importance

7Exposé écrit de la Somalie (ci-après «EES»), par. 2.26 et annexe 21. - 12 -

que revêt l’enregistrement et la publication du mémorandum conformément à l’article 102 de la

Charte des Nations Unies. Elle oublie de même que son propre premier ministre en a expressément

8
confirmé la validité dans au moins deux lettres adressées à l’Organisation des Nations Unies .

11. Enfin, dans son exposé écrit, la Somalie affirme encore que le mémorandum d’accord

devait être ratifié par son parlement conformément à sa charte fédérale de transition. Mais elle ne

prétend pas pour autant qu’il ait été invalidé par cette irrégularité supposée au regard de son droit

interne.

21 12. Ce qui est plus significatif, c’est qu’en réalité, lorsqu’il a voté le rejet du mémorandum le

1 août 2009, le parlement somalien n’a fait nullement référence à la charte fédérale de transition.

9
Le Kenya a versé au dossier le compte rendu des délibérations . La Somalie n’en conteste pas

l’authenticité. Son argument est indéfendable en fait comme en droit.

13. Face à ce comportement, même la Norvège  qui aidait la Somalie à constituer son

dossier pour la Commission et à créer une zone économique exclusive  en est venue à douter de

«[l]a capacité [du Gouvernement fédéral de transition] à conclure des engagements internationaux

juridiquement contraignants», ainsi qu’elle s’en est plainte dans une lettre à l’Organisation des

Nations Unies , exprimant l’espoir «qu’un moyen pourra être trouvé … pour réaffirmer la nature

11
juridiquement contraignante du mémorandum d’accord» .

III. Le mode de règlement prévu par le mémorandum d’accord

14. Maintenant que le Kenya invoque le mémorandum d’accord devant la Cour, la Somalie

se rend compte qu’elle ne saurait en contester la validité de manière crédible. Elle a donc réorienté

sa stratégie de «contournement», affirmant à présent que l’avant-dernier paragraphe relatif au mode

de règlement est dépourvu de tout effet juridique. Selon sa nouvelle théorie, indépendamment de la

validité juridique du mémorandum, ce paragraphe particulier revêt un caractère purement

12 13
«subsidiaire» et «descriptif» , et la Cour devrait tout simplement l’ignorer.

8EPK, par. 58-9. Mémoire de la Somalie (ci-après «MS»), annexe 66, p. 8 ; EPK, par. 68-9 et MS, annexe 37.

9EPK, annexes 23 et 46.

10Ibid., annexe 4.
11
Ibid., annexe 4.
12EES, par. 3.24.

13Ibid., par. 3.28. - 13 -

15. Le texte de ce paragraphe est pourtant parfaitement clair. Vous le trouverez sous

o
l’onglet n 5 de votre dossier. Il se lit comme suit :

«La délimitation des frontières maritimes dans la zone en litige, y compris la
délimitation du plateau continental au-delà de 200 milles marins, fera l’objet d’un
accord entre les deux Etats côtiers sur la base du droit international après que la
Commission aura achevé l’examen des communications séparées effectuées par

chacun des deux Etats côtiers et formulé ses recommandations aux deux Etats côtiers
concernant l’établissement des limites extérieures du plateau continental au-delà de
200 milles marins.» 14

16. Premièrement, le paragraphe fait référence à la «délimitation des frontières maritimes»,

au pluriel, «dans la zone en litige» , en précisant que cela comprend «la délimitation du plateau

16
22 continental au-delà de 200 milles marins» . Dès lors, contrairement à ce que prétend la Somalie, il

est clair que le champ d’application du mémorandum n’est pas limité au plateau continental étendu.

C’est exactement l’inverse. Elaboré avec précision et minutie sous la supervision du représentant

norvégien, M. Longva, éminent juriste international hélas décédé en 2013, le mémorandum renvoie

à toutes les zones en litige «y compris» le plateau continental.

17. Deuxièmement, le paragraphe dit que la délimitation «fera l’objet d’un accord entre les

17
deux Etats côtiers sur la base du droit international» . Le terme employé est «fera» et non «ferait».

Il s’agit d’un engagement juridique, d’une obligation contraignante de négocier, pas simplement de

bonne foi mais en vue de conclure un accord. Dans l’arrêt en l’affaire du Plateau continental de la

o
mer du Nord, dont vous trouverez le passage pertinent sous l’onglet n 6 de votre dossier, la Cour a

interprété comme suit les termes moins exigeants de l’expression «est déterminée par accord»,

figurant à l’article 6 de la Convention de 1958 sur le plateau continental :

«[L]es parties sont tenues d’engager une négociation en vue de réaliser un
accord et non pas simplement de procéder à une négociation formelle comme une
sorte de condition préalable à l’application automatique d’une certaine méthode de

délimitation faute d’accord ; les parties ont l’obligation de se comporter de telle
manière que la négociation ait un sens, ce qui n’est pas le cas lorsque l’une d’elles
insiste sur sa propre position sans envisager aucune modification…» 18

14
Mémorandum d’accord entre le Kenya et la Somalie, Recueil des traités des Nations Unies, vol. 2599 (2009),
p. 38.
15 Ibid.

16 Ibid.
17
Ibid.
18 Plateau continental de la mer du Nord (Allemagne c. Danemark/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 47,
par. 85 a). - 14 -

Dans l’affaire relative au Projet Gabčíkovo-Nagymaros, la Cour a confirmé qu’une telle obligation

exigeait des parties de «trouver d’un commun accord une solution dans le cadre de coopération que
19
prévoit le traité [applicable]» .

18. Troisièmement, le paragraphe dit qu’un accord de délimitation doit être conclu :

«après que la Commission aura achevé l’examen des communications séparées
effectuées par chacun des deux Etats côtiers et formulé ses recommandations aux deux

Etats côtiers concernant l’établi20ement des limites extérieures du plateau continental
au-delà de 200 milles marins» .

Contrairement à ce qu’affirme la Somalie, cela n’exclut pas que les Parties négocient avant

l’examen de la Commission. Cela serait absurde. Elles peuvent négocier avant que la Commission

23 ne formule ses recommandations ; mais elles ne peuvent finaliser un accord qu’une fois fixé le

tracé des limites extérieures du plateau continental.

19. Notons que, curieusement, ce n’est pas avant la page 75 de son exposé écrit que la

Somalie reproduit le texte de ce paragraphe 2. Elle consacre la majeure partie de cette pièce de

procédure à expliquer que le mémorandum ne portait sur rien d’autre que le tracé du plateau

continental étendu. Selon sa logique inversée, ce but exclusif rend le paragraphe en cause

redondant. En quelque sorte, le véritable texte du mémorandum se dilue sous le faisceau intense

d’un contexte fabriqué de toutes pièces. Il ne peut en être ainsi.

20. La Cour a clairement établi que «[l]’interprétation doit être fondée avant tout sur le texte

22
du traité lui-même» . En d’autres termes, «[s]i les mots pertinents, lorsqu’on leur attribue leur

signification naturelle ordinaire, ont un sens dans leur contexte, l’examen doit s’arrêter là» . En la

présente espèce, il n’y a pas d’ambigüité quant au sens des termes «fera l’objet d’un

accord … après que la Commission aura achevé [son] examen … et formulé ses

19
Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 78, par. 142.
20Mémorandum d’accord entre le Kenya et la Somalie, voir ci-dessus note 14.

21EES, par. 3.23.
22
Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 22, par. 41. Voir aussi
Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), compétence et recevabilité,
arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 18, par. 33 ; Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 318, par. 100.
23
Compétence de l’Assemblée générale pour l’admission d’un Etat aux Nations Unies, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1950, p. 8. Voir aussi Sentence arbitrale du 31 juillet 1989, arrêt, C.I.J. Recueil 1991, p. 69, par. 48. - 15 -

recommandations». L’examen doit donc s’arrêter là. Même la plus innovante des argumentations

juridiques ne pourrait changer le sens évident de cette phrase.

21. Imaginons malgré tout que le texte présente une certaine ambiguïté, que le paragraphe

soit en réalité vague et puisse donner lieu à des interprétations opposées. Que se passerait-il alors ?

Lèverait-on l’ambiguïté en privant le texte d’effet juridique ? Certainement pas. Curieusement, la

Somalie invoque le principe de l’effet utile pour tenter d’invalider la réserve du Kenya, mais le

méconnaît tout à fait lorsqu’il s’agit du mémorandum d’accord. Ce principe est clair : «Si plusieurs

interprétations sont possibles, la préférence devrait aller à celle qui n’a pas pour effet de priver

totalement ou partiellement un terme, une phrase ou un article de sens juridique et, partant, de

conséquences pratiques» . 24 L’expression «fera l’objet d’un accord» après l’examen de la

Commission n’a rien de «subsidiaire» ou de «descriptif», et il y a lieu de lui donner un effet

juridique ; elle énonce une obligation contraignante.

22. Il convient de souligner que la Somalie reconnaît que l’avant-dernier paragraphe impose

en fait un mode de règlement. Elle soutient seulement que «[les négociations] ne sont qu’une

solution parmi d’autres» pour régler les différends 25 et que le mémorandum n’exclut pas
24

spécifiquement le recours à la Cour. Cet argument est toutefois hors de propos. Premièrement, si

les Parties conviennent d’un mode de règlement, elles doivent exécuter leurs obligations de bonne

foi. Ce seul point rend la thèse de la Somalie irrecevable. Deuxièmement, même s’il n’exclut pas

le recours à la Cour, ce paragraphe définit un mode de règlement qui entre dans les prévisions de la

réserve du Kenya. L’existence d’une «procédure agréée autre que le règlement judiciaire» est

suffisante ; il n’est pas requis que la Cour soit expressément exclue. Si les Parties devaient

s’accorder pour exclure la compétence de la Cour, la réserve du Kenya serait inutile.

IV. Le non-épuisement de la voie des négociations

23. La Somalie se donne beaucoup de mal pour faire accroire que, si la Cour n’exerce pas sa

compétence, les Parties ne seront jamais en mesure de conclure un accord sur la délimitation. Elle

soutient que le Kenya et elle ont épuisé la voie des négociations en tenant seulement deux réunions

24
R. Kolb, The Law of Treaties (2016), éd. Edward Elgar, p. 154–55.
25EES, par. 3.72. - 16 -

techniques à quatre mois d’intervalle, juste avant qu’elle n’introduise sa requête en 2014. Cette

théorie de l’impasse ne résiste pas à l’examen.

24. Premièrement, selon le mémorandum, les Parties sont convenues d’attendre que la

Commission des limites ait effectué son examen avant de conclure un accord de délimitation. Il

s’agit là d’une condition requise pour passer à l’étape suivante de la procédure convenue par les

deux Etats. C’est une obligation contraignante. La Somalie affirme que cette exigence est

illogique, étant donné que la Commission ne se penchera sur sa demande que dans une dizaine

d’années . Il n’est toutefois pas inhabituel que la conclusion d’accords frontaliers nécessite aussi

plusieurs années. D’ailleurs, la communication de la Somalie sera probablement traitée plus tôt

que prévu. Rappelons que l’examen de celle du Kenya, initialement programmé pour 2022, a été

avancé à 2014, soit huit ans plus tôt. Il se peut donc que le dossier de la Somalie remonte lui aussi

sur la liste d’attente. En outre, plusieurs demandes antérieures sont bloquées par des objections, et

la Commission s’efforce par ailleurs d’accélérer ses procédures de travail. Contrairement à ce que

laisse entendre la Somalie, l’examen de la Commission n’est donc pas un obstacle insurmontable.

En tout état de cause, lorsqu’elles ont conclu le mémorandum, les Parties étaient conscientes du

temps que prendrait un tel examen, et la Somalie ne peut alléguer aujourd’hui que respecter cette

condition priverait l’accord de ses effets.

25. Deuxièmement, l’obligation de négocier de bonne foi en vue de conclure un accord est

une obligation exigeante. Il ne suffit pas, pour y satisfaire, de convoquer deux réunions techniques

25 à quatre mois d’intervalle. La conclusion d’accords de délimitation maritime est un long processus,

et ce dont les Parties ne peuvent convenir aujourd’hui peut faire l’objet d’un accord demain. La

tâche est particulièrement complexe dans le contexte des relations bilatérales entre les Parties. La

Somalie se trouve encore dans un fragile processus de transition faisant suite à un conflit. Quant au

Kenya, il est préoccupé par l’insécurité maritime dans la zone en litige, qui «représente toujours

une menace existentielle pour [lui-même] et les autres pays de la région » ainsi qu’il l’a

publiquement dénoncé , et qui l’oblige notamment à livrer une bataille constante aux terroristes

26EES, par. 3.67.
27 e
Déclaration faite par la délégation du Kenya à la 26 réunion des Etats parties à la CNUDM, New York,
23 juin 2016, disponible à l’adresse suivante : https://www.un.int/kenya/statements_speeches/kenyas-statement-26th-
meeting-states-parties-un-convention-law-sea-unclos. - 17 -

Chabab dans des espaces maritimes où il a exercé sa juridiction de longue date et, jusqu’alors, sans

contestation.

26. Troisièmement, le Kenya a appelé à la tenue de négociations en 2014 parce que la

Somalie avait rejeté le mémorandum d’accord et manqué aux obligations qui en découlent, en

faisant objection, en février de la même année, à l’examen de la communication kenyane par la

Commission des limites. Les Parties ont ainsi tenu leur première réunion en mars 2014. Le Kenya

a proposé de discuter du mémorandum, mais la Somalie s’y est refusée. Le Kenya a souhaité

réexaminer la question à la seconde réunion, en juillet 2014, mais la Somalie a encore refusé.

Voilà qui est loin de constituer une négociation en bonne et due forme au sujet de la frontière

maritime.

27. Quatrièmement, il est évident que, en 2014, la Somalie s’apprêtait déjà à saisir la Cour.

Sa requête a été introduite en août de cette même année, précisément dans la semaine au cours de

laquelle les deux Etats avaient programmé leur troisième réunion. Ainsi que la Cour l’a souligné,

les Parties ne peuvent se contenter de «procéder à une négociation formelle comme une sorte de

condition préalable à l’application automatique d’une certaine méthode de délimitation faute

28
d’accord» . Elles doivent mener des négociations ayant un sens, et non s’obstiner à imposer telle

ou telle méthode de délimitation, comme le fait justement la Somalie. En réalité, le 6 juin 2013, le

conseil des ministres somalien avait rejeté toutes «discussions sur la démarcation maritime ou les

29
limites du plateau continental» avec le Kenya . Il semblerait donc que le demandeur ait fait mine

de négocier simplement pour pouvoir saisir la Cour. Dans ce contexte, l’on ne saurait dire que les

Parties ont épuisé la voie des négociations.

V. Les procédures prévues à la partie XV de la CNUDM

28. Monsieur le président, même si les Parties n’avaient jamais conclu le mémorandum

d’accord, leur différend échapperait à la compétence de la Cour. La présente affaire porte en effet

26 sur la CNUDM, et la procédure de délimitation convenue à ce titre est celle prévue à la partie XV

de cet instrument. Outre le mémorandum d’accord, la partie XV constitue la lex specialis

28
Plateau continental de la mer du Nord, arrêt, voir note 18 ci-dessus.
29EPK, par. 90. - 18 -

procédurale applicable entre le Kenya et la Somalie. Elle aussi entre sans conteste dans les

prévisions de la réserve formulée par le défendeur.

29. Le seul argument de nos contradicteurs est que la Cour est compétente «au lieu» des

procédures prévues à la partie XV de la CNUDM parce que les déclarations «convergentes» faites
30
par les Parties en vertu de la clause facultative constituent un accord au sens de l’article 282 . Cet

argument est fondamentalement vicié, les deux déclarations n’étant manifestement pas

«convergentes». Si le Kenya a assorti la sienne d’une réserve relative aux procédures convenues

autres que la saisine de la Cour, la Somalie n’en a pas fait autant. Or, la partie XV est à l’évidence

une procédure convenue autre que la saisine de la Cour, et elle entre sans conteste dans les

prévisions de la réserve du Kenya.

30. Il est remarquable que la Somalie affirme qu’en réalité la partie XV est incorporée au

mémorandum. Selon elle, l’expression «fera l’objet d’un accord» ne fait que «réaffirmer le

principe fondamental exprimé au paragraphe 1 de l’article 74 et au paragraphe 1 de l’article 83 de

la CNUDM, à savoir que la délimitation des frontières maritimes doit être effectuée par voie

d’accord» . Le paragraphe 2 commun à ces deux dispositions prévoit que «[s]’ils ne parviennent

pas à un accord dans un délai raisonnable, les Etats concernés ont recours aux procédures prévues à

la partie XV». Si l’interprétation que fait la Somalie du mémorandum est exacte, c’est cette partie

qui s’appliquerait, privant ainsi la Cour de sa compétence.

31. Ce nonobstant, l’article 280 de la partie XV dispose encore que les parties peuvent

convenir de régler un différend «par tout moyen pacifique de leur choix», de sorte que le

mémorandum d’accord s’applique même au regard de cette partie. En réalité, le paragraphe 1 de

l’article 281 précise que les procédures prévues ne trouvent à s’appliquer que «si l’on n’est pas

parvenu à un règlement par ce moyen et si l’accord entre les parties n’exclut pas la possibilité

d’engager une autre procédure». Au surplus, le paragraphe 2 de l’article 281 dispose expressément

que, «[s]i les parties sont également convenues d’un délai, le paragraphe 1 ne s’applique qu’à

compter de l’expiration de ce délai». Dans la présente espèce, l’examen de la Commission des

limites constitue un délai, et la partie XV ne s’applique pas avant que celui-ci ait expiré. Même

30EES, par. 3.82.

31Ibid., par. 3.72. - 19 -

après cet examen, les parties sont tenues de procéder à «un échange de vues concernant le

règlement du différend par la négociation ou par d’autres moyens pacifiques», conformément à

l’article 283.

32. La Somalie invoque comme unique base de compétence les déclarations faites en vertu

de la clause facultative prévue au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour. Aucune des

Parties n’a toutefois fait de déclaration en vertu de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 287 de la
27

partie XV aux fins de reconnaître la saisine de la Cour comme mode de règlement. Les procédures

prévues par la CNUDM constituent donc un mode de règlement autre que le règlement judiciaire.

Elles excluent ainsi la compétence de la Cour.

VI. La bonne foi du Kenya

33. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, comme je l’ai exposé, le

Kenya fonde ses exceptions préliminaires sur l’application pure et simple de la réserve qu’il a

formulée, compte tenu tant du mémorandum d’accord que de la partie XV de la CNUDM. Il suffit

à la Cour d’appliquer les principes fondamentaux en matière d’interprétation des traités pour

parvenir à la conclusion que le présent différend ne relève pas de sa compétence.

34. Néanmoins, le Kenya souhaite revenir brièvement sur certaines fâcheuses accusations de

mauvaise foi que la Somalie a portées contre lui. Cette dernière cherchait sans doute, de cette

manière, à convaincre la Cour de trancher en sa faveur, au mépris du droit applicable. Elle s’est

notamment évertuée à présenter le Kenya comme un mauvais voisin qui, en 2005, aurait subitement

revendiqué une frontière maritime inéquitable et qui chercherait à présent à établir un fait accompli

afin de pouvoir exploiter immédiatement les ressources pétrolières situées au large, dans les

espaces maritimes contestés. Ces accusations sont tout simplement fausses ; elles sont à mille

lieues de la réalité.

35. Premièrement, la frontière maritime longeant le parallèle dans la zone économique

exclusive a été fixée en 1979, et non en 2005 comme le prétend la Somalie. C’est en 1979 que le

Kenya a initialement proclamé sa zone économique exclusive et commencé à exercer sa juridiction

sur la base de cette frontière . Le texte de la proclamation présidentielle du 28 février 1979 figure

32EPK, par. 18, citant MS, annexe 19. - 20 -

à l’annexe 19 du mémoire de la Somalie. Avant la conclusion du mémorandum d’accord en 2009,
33
le demandeur n’avait jamais contesté la frontière de la zone économique exclusive , qui n’est autre

que le prolongement d’une frontière non contestée de la mer territoriale anglo-italienne remontant à

la période coloniale.

36. Deuxièmement, les activités exploratoires menées par le Kenya dans les espaces en litige

n’ont revêtu qu’un caractère transitoire. Elles font assurément partie de l’éventail d’activités qui,

comme la Cour l’a précisé en l’affaire de la Mer Egée, ne causent pas de préjudice irréparable aux
34
droits d’autres Etats . Du reste, le Kenya les a même temporairement suspendues, et a invité la

28 Somalie à négocier des «arrangements provisoires de caractère pratique» conformément au

paragraphe 3 commun aux articles 74 et 83 de la CNUDM. Ainsi que l’agent l’a précisé, la

Somalie reconnaît aujourd’hui que le Kenya a un comportement conforme à toutes les «obligations

qui lui incombent en vertu de la convention». Aucune menace imminente ne pèse sur ses intérêts.

Aucun gisement de pétrole n’a été découvert à ce jour, et encore moins exploité. Quand bien

même on en découvrirait demain, il faudrait compter une bonne dizaine d’années avant que la

production ne soit lancée.

37. Dans ce contexte, les accusations alarmistes que la Somalie a portées contre le Kenya

sont dépourvues de tout fondement, et plus particulièrement celle qui consiste à le dépeindre

comme un Etat spoliant injustement son voisin. Cela est d’autant plus inconvenant que le Kenya a

consenti des sacrifices extraordinaires par solidarité avec le Gouvernement et le peuple somaliens.

VII. Conclusion

38. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le mémorandum de 2009

ouvrait la voie à une coopération future. C’était l’un des premiers accords conclus entre le Kenya

et le nouveau Gouvernement somalien. Or, la Somalie l’a rejeté et manqué aux obligations qui en

découlent, s’est opposée à l’examen de la communication du Kenya par la Commission des limites,

a refusé de négocier de bonne foi, a introduit une instance devant la Cour au mépris de la procédure

convenue entre les deux Etats, a porté des accusations fausses et tenu des propos alarmistes...

33EPK, par. 18.

34 Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), mesures conservatoires, ordonnance du
11 septembre 1976, C.I.J Recueil 1976, p. 3, http://www.icj-cij.org/docket/files/62/6219.pdf. - 21 -

Autant d’actes qui n’aideront pas à résoudre les problèmes complexes devant être négociés par les

Parties dans le cadre de la transition encore fragile de la Somalie. De même, le non-respect

d’engagements internationaux ne favorisera nullement les relations amicales entre ces deux Etats

voisins du continent africain.

39. Les procédures convenues pour le règlement des différends maritimes entre les Parties

sont celles que constituent le mémorandum d’accord et la partie XV de la CNUDM. Toutes deux

entrent sans conteste dans les prévisions de la réserve du Kenya, soustrayant de ce fait le différend

à la compétence de la Cour.

40. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ainsi s’achève mon exposé.

Je vous prie de bien vouloir appeler maintenant M. Karim Khan à la barre.

Le PRESIDENT : Merci, Monsieur. Je donne à présent la parole à M. Karim Khan.

M. KHAN :
29

LA VALIDITÉ JURIDIQUE DU MÉMORANDUM D ’ACCORD

I. Introduction

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un honneur pour moi de

paraître devant vous au nom de la République du Kenya.

2. Je vais examiner la question de la validité juridique du mémorandum d’accord, et vous

montrerai en particulier comment la Somalie a prétendu déclarer cet instrument «nul et non avenu»

en 2014, seulement quelques mois avant de déposer sa requête devant la Cour. La Somalie a à

présent renoncé à cette allégation de nullité mais cherche à priver le mémorandum de tout effet

juridique.

II. Le contexte factuel de la conclusion et de l’entrée
en vigueur du mémorandum d’accord

3. Monsieur le président, le mémorandum d’accord a été établi à l’initiative de la Somalie,

puis rédigé et revisé sur les conseils d’un éminent diplomate norvégien . Avant d’être signé, il a

35EPK, par. 32-35, 43. - 22 -

36
été approuvé par le président, le premier ministre et le conseil des ministres somaliens . On

trouvera les références aux éléments de preuve pertinents dans les notes de bas de page qui

figureront dans le compte rendu de mon exposé.

4. Le ministre de la planification nationale et de la coopération internationale a été autorisé

37
par le premier ministre à signer le mémorandum d’accord au nom du Gouvernement somalien .

Le 7 avril 2009, il a, avec le ministre kényan des affaires étrangères, tous deux dûment autorisés

par leurs gouvernements respectifs, signé cet instrument dans le cadre d’une cérémonie officielle

qui s’est tenue à Nairobi. Il était expressément stipulé dans le mémorandum d’accord que celui-ci

entrerait en vigueur dès sa signature . 38

5. Tout, dans le comportement ultérieur des Parties, donnait à penser que le mémorandum

d’accord était considéré comme valide. Le 8 avril 2009, soit au lendemain de la cérémonie de

signature, le premier ministre somalien en a expressément confirmé la validité, et en a même

30 reproduit intégralement le texte dans la communication de la Somalie à la Commission des limites

du plateau continental (ci-après la «Commission des limites» ou la «Commission»), versant au

dossier une copie de l’instrument signé . 39

6. Deux mois plus tard, le 11 juin 2009, le mémorandum d’accord a été formellement

enregistré au Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies , conformément à l’article 102 de la

Charte des Nations Unies. Un certificat d’enregistrement a été délivré par le Secrétariat et le

41
mémorandum d’accord a été publié dans le Recueil des traités des Nations Unies et le Bulletin du

droit de la mer . Il ressort clairement du Manuel de l’Organisation qu’un traité ne saurait être

43
enregistré s’il n’est pas en vigueur .

7. La validité du mémorandum d’accord a par la suite été confirmée dans une lettre adressée

au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies par le premier ministre somalien le

36Ibid., par. 38.

37Ibid., par. 38-39.
38
Ibid., par. 55. Voir MS, annexe 6.
39
EPK, par. 58-59. MS, annexe 66, p. 8.
40
EPK, par. 64 et annexe 17.
41MS, annexe 6.

42EPK, annexe 18.

43B. Simma et al., The Charter of the United Nations: A Commentary, 3 éd., 2012, p. 2098-2099. - 23 -

19 août 2009, soit après le vote du 1 août 2009 par lequel le Parlement somalien a rejeté cet

44
instrument . Dans cette lettre, la Somalie invoquait et citait précisément le paragraphe du

mémorandum d’accord dont elle soutient à présent qu’il est dépourvu d’effet juridique . 45

8. Monsieur le président, la Somalie a produit le mémorandum d’accord à l’annexe 6 de son

mémoire, avec une page de couverture sur laquelle on peut lire ce qui suit : «Entrée en vigueur :

7 avril 2009 par signature». Voici comment la Somalie a intitulé cette annexe : «Mémorandum

d’accord … entré en vigueur le 7 avril 2009 ». Dans le volume II de son mémoire, le mémorandum

d’accord figure dans une section intitulée «Traités et accords». Il ne saurait faire de doute que la

Somalie admet à présent que cet instrument est juridiquement contraignant et que la disposition

relative au mode de règlement du différend l’est également.

III. L’évolution de l’argumentation somalienne quant à la validité
du mémorandum d’accord

9. Monsieur le président, j’en viens maintenant à l’évolution de l’argumentation somalienne

quant à la validité du mémorandum d’accord. Il est intéressant de relever que la Somalie n’a pas

nié la qualité de traité à cet instrument. Le Kenya en convient : il s’agit bien d’un traité. C’est un

accord conclu par écrit et régi par le droit international. Dès lors, le principe pacta sunt servenda

s’y applique .46

31 10. Avant d’introduire la présente instance, la Somalie a soutenu, dans la lettre qu’elle a

adressée le 4 février 2014 au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies pour s’opposer

à l’examen de la demande du Kenya par la Commission des limites, que le mémorandum d’accord

était «nul et non avenu» . Elle a demandé, en vain, son retrait du registre tenu par le Secrétariat.

Elle affirmait que le ministre qui avait signé ce texte n’était pas pleinement habilité à ce faire.

C’était faux. Elle admet maintenant que son ministre y était, de fait, pleinement habilité. Elle a

48
même produit la lettre d’autorisation du premier ministre somalien dans ses écritures . Elle a donc

désormais renoncé, avec raison, à son argument relatif à la nullité.

44
EPK, par. 68.
45Ibid., par. 69 et MS, annexe 37.

46Article 26 de la convention de Vienne sur le droit des traités.
47
MS, annexe 42.
48Exposé écrit de la Somalie sur les exceptions préliminaires du Kenya (ci-après, «EES»), par. 2.26 et annexe 21. - 24 -

11. La Somalie a également soutenu que son ministre avait, au moment de la signature du

mémorandum d’accord, informé verbalement le Kenya de l’obligation d’en obtenir la ratification,

mais pareille déclaration n’est consignée nulle part. Le mémorandum d’accord prévoit

expressément qu’il entrera en vigueur au moment de sa signature. Il est remarquable que, dans son

mémoire, la Somalie ait reproduit chaque paragraphe de cet instrument à l’exception de cette
49
disposition. Elle admet à présent qu’il est entré en vigueur dès sa signature . Elle a, là encore,

renoncé à soutenir que le mémorandum d’accord devait être ratifié pour entrer en vigueur.

12. La Somalie argue à présent que, si le mémorandum d’accord est bien entré en vigueur

dès sa signature, cela était contraire à son droit interne. Cet instrument aurait selon elle été rejeté

er
par un vote parlementaire le 1 août 2009 parce qu’il n’était pas conforme à la charte fédérale de

transition somalienne, qui imposerait la ratification de tous les accords internationaux. Cet

argument est à la fois dépourvu de pertinence et erroné, tant en fait qu’en droit. Le droit interne ne

saurait, bien entendu, justifier un manquement à des obligations internationales, ainsi que l’énonce

clairement l’article 27 de la convention de Vienne sur le droit des traités. En fait, la Somalie ne

soutient pas que le mémorandum d’accord est invalide pour cause de non-conformité avec la charte

fédérale de transition. Elle n’invoque pas l’exception limitée prévue à l’article 46 de la convention

de Vienne, dont les conditions d’application ne seraient de toute façon pas réunies en l’espèce. La

Norvège a fait mention de cette disposition dans la lettre en date du 17 août 2011 qu’elle a adressée

au Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies et en a rejeté l’application, déclarant qu’elle

«consid[érait] que la Somalie et le Kenya demeur[ai]ent tous deux liés par les dispositions du

50
mémorandum d’accord» .

32 13. Ainsi que l’a fait observer le tribunal dans sa sentence du 31 juillet 1989 en l’Affaire de

la délimitation de la frontière maritime entre la Guinée-Bissau et le Sénégal : «quant à la pratique

judiciaire et arbitrale, il n’existait aucun précédent de traité déclaré nul parce que l’un des Etats

contractants aurait violé son droit interne en le signant» .51

49EES, par. 2.81.

50EPK, par. 81-82, annexe 4.
51
Affaire de la délimitation de la frontière maritime entre la Guinée-Bissau et le Sénégal, sentence du
31 juillet 1989, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. XX, p. 141, par. 55. - 25 -

14. Mais surtout, le Parlement somalien n’a jamais invoqué la charte fédérale de transition

lors de son examen du mémorandum d’accord. Le Kenya a produit les comptes rendus intégraux

52
des débats qui se sont tenus au Parlement somalien , des documents dont la Somalie ne conteste ni

l’authenticité ni l’exactitude. Il n’y est absolument jamais fait référence à la charte fédérale de

transition.

15. Monsieur le président, il importe de relever que ce débat parlementaire était, de toute

façon, fondé sur des informations erronées apparemment propagées à dessein par le groupe

terroriste des Chabab, qui prétendait que, en concluant le mémorandum d’accord, le Gouvernement

53
somalien visait à «brader la mer» au Kenya. Pour reprendre les termes employés à ce sujet par le

propre ministre de la Somalie, M. Warsame, il s’agissait d’une campagne de «calomnie, [de]

54
diffamation et … de fausses accusations» . Il n’était absolument pas question d’exigences

procédurales, ni de faire valoir une quelconque disposition de la charte fédérale de transition.

16. La Somalie a renoncé à ses anciennes allégations car la question de la validité juridique

du mémorandum d’accord est à présent soumise à la Cour. Consciente de ne pas pouvoir

sérieusement soutenir que cet instrument est «nul et non avenu», elle cherche à parvenir aux mêmes

fins en prétendant que, quand bien même cet instrument serait juridiquement valide, ses

dispositions n’auraient aucune portée juridique. Les termes soigneusement choisis du

mémorandum d’accord revêtiraient selon elle un caractère purement «subsidiaire» et «descriptif».

Cette attitude s’inscrit dans le cadre d’une tentative systématique de la Somalie d’échapper aux

obligations que lui impose le mémorandum d’accord. Celle-ci a tout d’abord fait objection à

l’examen de la demande du Kenya par la Commission des limites du plateau continental. A

présent, elle renie l’accord régissant le mode de règlement du différend. En fait, elle a retiré

l’objection qu’elle avait formulée auprès de la Commission des limites du plateau continental

seulement une semaine avant de déposer son mémoire. Maintenant qu’elle s’est enfin conformée

aux obligations que lui impose la première partie du mémorandum d’accord, elle tente de se

soustraire à celles qui découlent de la seconde. L’«accord de non-objection» n’était que la

52
EPK, annexes 23 et 46.
53Ibid., par. 65.
54
Ibid., par. 87. - 26 -

première étape vers la conclusion d’un accord définitif sur la frontière maritime, une fois achevé

l’examen de la Commission des limites. Les deux parties sont indissociables.

33 17. Enfin, la Somalie laisse entendre qu’elle n’a pas du tout participé à la rédaction du

mémorandum d’accord et qu’elle ne savait pas ce qu’elle signait, déclarant qu’«[elle] n’est
55
pratiquement pas intervenue dans les négociations et la rédaction» de cet instrument . Il n’est pas

contesté que la Norvège a établi le projet de mémorandum au nom de la Somalie et que ce

document a été rédigé avec précision et expertise par M. Longva, un éminent diplomate et juriste

norvégien qui a exercé la fonction de conseiller juridique au ministère des affaires étrangères

pendant 47 ans, jusqu’à son décès en 2013. Chaque lettre, chaque chiffre, chaque erreur

typographique du mémorandum d’accord a fait l’objet d’une revision avant que ne soit finalisé le

projet. Rien, dans les termes du mémorandum, n’a été laissé au hasard. De surcroît, il n’est pas

contesté que la Somalie a bénéficié de l’avis et de l’approbation d’un éminent juriste somalien

avant de signer le mémorandum . Elle ne saurait à présent soutenir que cet instrument ne constitue

pas un accord juridiquement contraignant conclu en bonne et due forme.

IV. Conclusion

18. Monsieur le président, la Somalie a poussé très loin sa stratégie d’«évitement du

mémorandum d’accord». Elle en a tout d’abord contesté la validité, plaidant que son ministre,

M. Warsame, n’était pas pleinement habilité à le signer. Elle a ensuite soutenu que cet instrument

devait être ratifié par son Parlement. Elle a à présent renoncé à ces deux arguments, et ce, à juste

titre car ils sont totalement dépourvus de fondement. Aujourd’hui, dans le cadre de la présente

instance, elle soutient que le mémorandum d’accord est valide en droit, mais que ses dispositions

sont dépourvues de portée juridique. Il ne peut en être ainsi. Le mémorandum d’accord est un

instrument juridiquement contraignant dans lequel les Parties ont convenu du mode auquel elles

auraient recours pour régler leur différend relatif à leur frontière maritime et, comme mon collègue

M. Forteau l’expliquera, il convient de donner plein effet juridique à ses dispositions.

55EES, par. 1.36.

56EPK, par. 32-35, 43. - 27 -

19. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, voilà qui vient clore mon

exposé. Je suis à votre disposition, Monsieur le président. Je vous prie, soit de bien vouloir

suspendre la séance à présent, auquel cas M. Forteau continuera de présenter les arguments de la

République du Kenya après la pause, soit de l’autoriser à poursuivre immédiatement.

34 The PRESIDENT: Thank you, Mr. Khan. I think it is the appropriate time for a ten-minute

break. The sitting is suspended.

The Court adjourned from 11. 10 a.m. to 11.25 a.m.

The PRESIDENT: Please be seated. The hearing is resumed. Professor Forteau has the

floor.

Mr. FORTEAU: Thank you, Mr. President.

THE 2009 M EMORANDUM OF UNDERSTANDING CONSTITUTES AN AGREEMENT IN WHICH THE
P ARTIES CONSENTED TO HAVE RECOURSE TO A METHOD OF SETTLEMENT OTHER
THAN THE INTERNATIONAL COURT OF JUSTICE

I. Introduction

1. Mr. President, Members of the Court, it is once again an honour to be standing before this

Court today. Mr. President, as my colleague and friend Professor Akhavan recalled a little earlier

this morning, Kenya has excluded from the jurisdiction of the Court “disputes in regard to which

the parties to the dispute have agreed or shall agree to have recourse to some other method or

methods of settlement” . This wording is particularly wide; it covers any other method of

settlement on which the Parties have agreed.

2. As regards the present dispute, there is no doubt that such an agreement exists between the

Parties today. On 7 April 2009, Kenya and Somalia concluded a Memorandum of Understanding

(MOU) which provides for recourse to a procedure other than the International Court of Justice for

the delimitation of their maritime boundaries. The terms of this Memorandum are perfectly clear in

this respect and cannot give rise to any discussion.

57Declaration of Kenya under Article 36, paragraph 2, of the Statute of the Court, dated 12 April 1965,
United Nations, Treaty Series (UNTS), Vol. 531, p. 113, para. 1. - 28 -

II. The meaning of the 2009 MOU is perfectly clear

3. You will find a copy of the MOU at tab 5 of the judges’ folder. It consists of three parts

which are organized in a perfectly coherent manner:

35 (i) in the MOU’s first substantive paragraph, the Parties begin by noting that there is a

dispute between them concerning the delimitation of the continental shelf;

(ii) in the following three paragraphs, the Parties then make undertakings in respect of

delineation. Both Parties undertake to make no objection to the Commission on the

Limits of the Continental Shelf (CLCS) examining their respective claims. In the last of

these three paragraphs, the Parties state in particular that the recommendations adopted by

the Commission will be without prejudice to the “future” (thus, subsequent to the said

recommendations) delimitation of their maritime boundaries;

(iii) finally, in the fifth and penultimate paragraph of the MOU, the one that concerns these

proceedings directly, the Parties make an undertaking not in relation to delineation, but in

relation to delimitation. This paragraph provides that:

“The delimitation of maritime boundaries in the areas under dispute, including
the delimitation of the continental shelf beyond 200 nautical miles, shall be agreed
between the two coastal States on the basis of international law after the Commission
has concluded its examination of the separate submissions made by each of the two
coastal States and made its recommendations to two coastal States concerning the
58
establishment of the outer limits of the continental shelf beyond 200 nautical miles.”

4. The meaning of the 2009 MOU is thus crystal clear:

(i) it provides, in respect of “the areas [in the plural] under dispute”, that the delimitation of

the maritime boundaries (also in the plural) “shall be agreed between the two coastal

States”. That means that the Parties undertook to effect the delimitation through

negotiations, and not by having recourse to an international court;

(ii) the 2009 MOU states in addition that the delimitation should be agreed only after the

CLCS has concluded its examination of the submissions of each of the two coastal States

and after it has made its recommendations. It was not the intention of the Parties to effect

that delimitation, today, by judicial means.

58Preliminary Objections of Kenya (POK), Ann. 1; Memorial of Somalia (MS), Vol. III, Ann. 6. - 29 -

5. In its Written Statement, Somalia allowed that “negotiations are the most natural way for

59
States to settle their maritime boundary disputes” and acknowledged, moreover, that the

36 2009 MOU constitutes an “agreement to negotiate” . I would further recall that this agreement to

negotiate comes with a temporal condition  it is necessary to await the recommendations of the

CLCS before finalizing the negotiations. It thus follows from both the MOU and Somalia’s

interpretation of it that the Court’s jurisdiction, as delimited by Kenya’s declaration, is excluded in

the present case.

6. Somalia nonetheless adds that negotiations are not the only way of settling disputes under

61
international law . This is true, but it is beside the point. The fact is that in concluding the MOU,

Kenya and Somalia consented to settle their dispute by negotiation and that the delimitation would

be agreed only after the CLCS had made its recommendations. The Parties did not, however, agree

to ask an international court to effect that delimitation in their stead.

7. By disregarding the pacta sunt servanda principle, Somalia is now seeking to deprive the

2009 MOU of any legal effect. To that end it is using a dual strategy.

8. The first strategy consists in distorting Kenya’s position and in distorting the text of

the MOU. According to Somalia, it is not possible to claim that the Parties had decided to await

the recommendations of the CLCS before negotiating their maritime boundaries, since they had

62
already started negotiations . However, neither the MOU nor Kenya states that the Parties are

prevented from starting negotiations immediately. What the 2009 MOU clearly and explicitly

provides is that the delimitation which the Parties are to negotiate will have to be agreed after the

said recommendations  “agreed”, and not decided by an international court.

9. The second strategy deployed by Somalia to escape the clear terms of the MOU consists in

revising it under the guise of interpretation, in disregard of the principle that the Court cannot

59
Written Statement of Somalia (WSS), para. 3.72.
60Ibid., para. 1.44.
61
Ibid., para. 3.72.
62
See WSS, paras. 3.32-3.33 and 4.15. - 30 -

37 revise treaties . Somalia thus asserts, contrary to all reason, that the penultimate paragraph of the

2009 MOU merely echoes Article 74, paragraph 1, and Article 83, paragraph 1, of UNCLOS and
64
that therefore its scope is only to describe pre-existing obligations without creating any new ones .

With all due respect to my opponents, Mr. President, that interpretation is completely absurd.

Articles 74 and 83 of UNCLOS state that delimitation “shall be effected by agreement on the basis

of international law . . . in order to achieve an equitable solution”. It makes no mention of

the CLCS. The 2009 MOU provides, for its part, that the delimitation “shall be agreed” by the

Parties “after” the CLCS has made its recommendations. The wording leaves no doubt as to the

fact that what we have before us here is, first of all, an agreement that creates specific obligations,

and second, one that establishes a particular procedure which goes beyond the provisions of

Articles 74 and 83 of the Montego Bay Convention.

10. In these circumstances, it is quite surprising to see Somalia state in writing that Kenya’s

preliminary objection has no textual foundation . The 2009 MOU is completely unambiguous; it

does not say that the delimitation must or may be carried out today by an international court;

the MOU states, both categorically and specifically, that the delimitation must be (i) agreed

(ii) after the CLCS has made its recommendations. As Somalia has acknowledged, it is a

commitment to negotiate, which is, furthermore, accompanied by a temporal condition. In light of

this clear and specific wording, the Court must uphold the principle set out in the Gulf of Maine

case: “[r]ecourse to delimitation by arbitral or judicial means is in the final analysis simply an

alternative to direct and friendly settlement between the parties”; consequently, when the Parties

“have chosen to reserve for themselves, as the subject of future direct negotiation with a view to an

38 agreement, the determination of the course of the delimitation line”, the Court must give effect to

that agreement, otherwise “it would overstep its jurisdiction” . There is no doubt in this case that

6See International Law Commission (ILC), Guide to Practice on Reservations to Treaties, A/66/10/Add.1,
guideline 4.7.1, commentary, p. 549, para. 6 (“The International Court of Justice has also maintained that the

interpretation of a treaty may not lead to its modification. As it held in its advisory opinion concerning Interpretation of
Peace Treaties with Bulgaria, Hungary and Romania: ‘It is the duty of the Court to interpret Treaties, not to revise
them’”); see also ibid., guideline 1.2, commentary, pp. 68-69, para. 18.
6See WSS, paras. 3.26-3.28 and 3.53.

6See ibid., para. 1.8.
66
Delimitation of the Maritime Boundary in the Gulf of Maine Area (Canada/United States of America),
Judgment, I.C.J. Reports 1984, p. 266, paras. 22-23. - 31 -

Kenya and Somalia chose in 2009 “to reserve for themselves, as the subject of future direct

negotiation” the maritime delimitation.

11. To escape the clear terms of the 2009 MOU, Somalia suggests that the text of the MOU

is not determinative in so far as the rule of interpretation of treaties reflected in Article 31 of the

1969 Vienna Convention forms a “single, closely integrated rule” which refers not only to the text,

67
but also to the context and object and purpose of the treaty . The fact, however, that Article 31

contains such a rule certainly does not permit Somalia to invoke its object, purpose or context

against the text of the 2009 MOU; nor does it make it permissible to disregard the text of the

treaty.

12. On the contrary, international law is clearly established in that, first, “[i]nterpretation

must be based above all upon the text of the treaty” , and, second, that when the text of a treaty is

clear, it is not necessary to take the process of interpretation any further. In 1966, the International

Law Commission noted that “the parties are to be presumed to have the intention which appears

from the ordinary meaning of the terms used by them” and recalled that the Court’s jurisprudence

“contains many pronouncements from which it is permissible to conclude that the

textual approach to treaty interpretation is regarded by it as established law. In
particular, the Court has more than once stressed that it is not the function of
interpretation to revise treaties . . .” .

The Permanent Court had already decided in its time that “[h]aving before it a clause which leaves

little to be desired in the nature of clearness, it is bound to apply this clause as it stands”, which this

Court reaffirmed in 1994, in particular . In 1950, the Court had previously confirmed that “[i]f the
39

relevant words in their natural and ordinary meaning make sense in their context, that is an end of

6WSS, paras. 3.12-3.13, citing the ILC’s 1966 Draft Articles on the Law of Treaties.
68
Territorial Dispute (Libyan Arab Jamahiriya/Chad), Judgment, I.C.J. Reports 1994, p. 22, para. 41; Maritime
Delimitation and Territorial Questions between Qatar and Bahrain (Qatar v. Bahrain), Jurisdiction and Admissibility,
Judgment, I.C.J. Reports 1995, p. 18, para. 33; Kasikili/Sedudu Island (Botswana/Namibia), Judgment, I.C.J.
Reports 1999 (II), p. 1060, para. 20;Legality of Use of Force (Serbia and Montenegro v. Belgium), Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2004 (I), p. 318, para. 100.
69
Draft Articles on the Law of Treaties, ILC Yearbook, Vol. II, p. 240, paras. 11 and 12 of the commentary on
Article 27.
7Acquisition of Polish Nationality, Advisory Opinion, 1923, P.C.I.J., Series B, No. 7, p. 20; Territorial Dispute
(Libyan Arab Jamahiriya/Chad), Judgment, I.C.J. Reports 1994, p. 25, para. 51. - 32 -

the matter” . It again reaffirmed in 2007 that when the meaning of a treaty “is clear on the face of

72
the text . . . there is no need to go further into the interpretation of the Treaty” .

13. In this instance, it is hard to see how the 2009 MOU could be interpreted as having

permitted this Court to be seised in 2014; the terms of the MOU are clear: the delimitation must

be agreed (and not decided in a judgment), after (and not before) the CLCS has approved its

recommendations.

14. In this respect, the effet utile principle requires that effect be given to the commitments

made in the 2009 MOU. This Court recently had occasion to reiterate “the well-established

principle in treaty interpretation that words ought to be given appropriate effect”. In the Georgia v.

Russia case, the Court applied this principle to a condition limiting the applicability of a

compromissory clause, which led it to find that it lacked jurisdiction in the case concerned . The 73

same approach should prevail in these proceedings: the appropriate effect that should be given to

the 2009 MOU and to the commitment to negotiate that it contains will necessarily lead the Court

to find that it has no jurisdiction to entertain Somalia’s Application of 2014.

15. No doubt in the next few days Somalia, having run out of arguments, will accuse Kenya

of textual fetishism and will seek to convince the Court, as it has already tried to do in its Written

Statement, that the Parties’ real intention is not that which actually emerges from the text of the

40 MOU and that consequently this text should be disregarded and ignored. In law, and for the

reasons I have just recalled, this is an indefensible position, because the text of the MOU has force

of law between the Parties. But even if it were possible to disregard the text of the MOU, the

arguments put forward by Somalia to discredit it are in any event, and not to put too fine a point on

it, completely baseless. With your permission, Mr. President, I shall now examine each of them in

turn, starting with the object and purpose of the 2009 MOU.

71Competence of the General Assembly for the Admission of a State to the United Nations, Advisory Opinion,
I.C.J. Reports 1950, p. 8; recalled in Arbitral Award of 31 July 1989 (Guinea-Bissau v. Senegal), Judgment, I.C.J.
Reports 1991, p. 69, para. 48.
72
Territorial and Maritime Dispute (Nicaragua v. Colombia), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J.
Reports 2007 (II), p. 861, para. 88 (see also p. 863, para. 97); similarly, see also PCA Case No. 2013-19, The South
China Sea Arbitration (Republic of the Philippines v. People’s Republic of China), Award of 12 July 2016, para. 698
(“These provisions are unequivocal and require no further interpretation”).
73
Application of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination
(Georgia v. Russian Federation), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2011 (I), pp. 125 et seq., paras. 132
et seq. - 33 -

III. The object and purpose of the 2009 MOU

16. In its Written Statement, Somalia is seeking to neutralize the penultimate paragraph of

the MOU, by claiming first that it is incompatible with its object and purpose. Such an argument is

clearly not in keeping with the rules of interpretation; indeed, the purported object and purpose of

a treaty cannot be invoked as a reason to remove from it a provision which has been expressly

included. And yet, this is precisely what Somalia is asking the Court to do.

17. Somalia first claims in this regard that the object and purpose of the 2009 MOU concern

only delineation, and, more specifically, each Party’s non-objection to the CLCS’s consideration of

the other Party’s submissions, which is reflected in the title of the MOU . Somalia maintains that

this means that the 2009 MOU has “nothing to do with the delimitation of any aspect of the Parties’

maritime boundary” . This argument is surprising, to say the least! It is not enough to invoke the

object and purpose of a treaty in order, as Somalia is doing, to dispose of a clause that is included

in that treaty. By definition, a treaty’s object and purpose do not encompass all of its provisions —

if they did, any reservations to a treaty would, by definition, be unlawful! In the present case,

regardless of the treaty’s object or purpose, or its title, the fact remains that the 2009 MOU

contains a provision relating to delimitation, to which effect must therefore be given.

18. Somalia asserts, secondly, that even if the 2009 MOU also addressed delimitation, it

41 concerns only the continental shelf beyond 200 nautical miles and consequently, at the very least,

76
does not apply to other maritime areas . This assertion once again collides head-on with the text

of the MOU, which expressly refers to “[t]he delimitation of maritime boundaries [plural] in the

areas [also plural] under dispute, [before specifying] including [thus, among other things, and not

exclusively] the delimitation of the continental shelf beyond 200 nautical miles”. In this regard, the

2009 MOU applies to all maritime areas, not just the continental shelf beyond 200 nautical miles.

19. I would also point out in this regard that Somalia is asking the Court to draw a single line

of delimitation, covering all of the maritime areas . However, in accordance with the principle

recalled in Qatar v. Bahrain, each segment of a single line of delimitation must be drawn taking

74
WSS, paras. 1.7, 1.11 in fine, 1.16, 2.5-2.30, 2.91, 3.10, 3.20-3.21, 3.63 and 3.65.
75Ibid., para. 3.69.

76Ibid., para. 1.20; para. 3.68.
77
Application of Somalia (AS), paras. 2, 36 and 37; MS, para. 1.1; WSS, para. 1.1. - 34 -

account of the fact that the aim is “to draw a single maritime boundary that serves other purposes as

well” .8 Any single line of delimitation is thus composed of a series of indivisible and

79
interdependent delimitations, or, in the words of the Court, it is a “multi-purpose delimitation” .

In these circumstances, the overall maritime delimitation depends on the delimitation of the

continental shelf. Therefore, if it were accepted, as Somalia has claimed, that the 2009 MOU

concerns only the delimitation of the continental shelf (quod non), it would in no way change the

fact that the MOU would nonetheless have an effect on the maritime delimitation as a whole.

20. In any event, contrary to what Somalia may claim, the fact is that the 2009 MOU is not

limited to the continental shelf. The paragraph on delimitation expressly refers to “areas under

dispute” and “maritime boundaries”. The use of these two plurals is entirely unequivocal,

particularly considering the level of care that was taken in drafting and approving the MOU, as

recalled earlier this morning . These two plurals mean that the entire maritime delimitation is
42

concerned by the penultimate paragraph of the 2009 MOU. One might of course wonder why the

Parties used these general terms (“areas under dispute” and “maritime boundaries”) instead of the

more technical terms: territorial sea, EEZ and continental shelf. Part of the answer lies in the fact

that, at the time the 2009 MOU was being prepared and adopted, there was great technical and

legal confusion surrounding Somalia’s claims since they appeared to conflate the notions of

territorial sea and EEZ. Since the 1972 Law on the Somali Territorial Sea, which was still in force

in 2009, Somalia claimed a territorial sea of not 12, but 200 nautical miles ! There was obviously

82
no legal basis for this claim, as Norway pointed out in a letter of August 2011 .

21. Thirdly, Somalia asserts that, were it to be accepted that the 2009 MOU concerns

delimitation, the MOU would then be “entirely illogical” because it would be “absurd” for

delineation to precede delimitation . Here again, this is no argument: a provision of an agreement

78Maritime Delimitation and Territorial Questions between Qatar and Bahrain (Qatar v. Bahrain), Merits,
Judgment, I.C.J. Reports 2001, p. 93, para. 174; upheld by Territorial and Maritime Dispute between Nicaragua and

Honduras in the Caribbean Sea (Nicaragua v. Honduras), Judgment, I.C.J. Reports 2007 (II), pp. 739-740, para. 265.
79Delimitation of the Maritime Boundary in the Gulf of Maine Area (Canada/United States of America),
Judgment, I.C.J. Reports 1984, p. 327, para. 194.

80See POK, paras. 31 and 43, as well as Anns. 9 and 10; WSS, para. 1.34.
81
See POK, paras. 20 and 86.
82
Ibid., Ann. 4, p. 23.
83WSS, paras. 3.24-3.25; see also paras. 1.21-1.23, 3.66-3.67 and 3.70. - 35 -

cannot simply be removed at the stroke of a pen on the mere pretext that it is illogical. And in any

event, there is absolutely nothing illogical about making delimitation conditional on prior

delineation.

22. Kenya takes due note of the Judgment rendered by the Court on 17 March 2016. In that

Judgment, the Court decided — at least at the preliminary objections stage — that “the delimitation

of the continental shelf beyond 200 nautical miles can be undertaken independently of a

84
recommendation from the CLCS” . It will not go unnoticed that this decision appears to depart

from the 2007 Judgment in Nicaragua v. Honduras, which was rendered a few months before

Kenya and Somalia signed the 2009 MOU. In its 2007 Judgment, the Court ruled that “any claim

of continental shelf rights beyond 200 miles must be . . . reviewed by the Commission on the

85
43 Limits of the Continental Shelf established thereunder” . Regardless of the merits of the Court’s

recent Judgment of March 2016 — on which Kenya does not find it necessary to take a position in

these proceedings — that decision clearly does not prohibit States from agreeing to begin with

delineation before moving on to delimitation. In reality, States have full discretion to proceed in

this manner, and several States have done so, as demonstrated in the annexes produced by

86
Somalia . What is more, Somalia itself proposed this course of action (that is, delineation before

delimitation) to Yemen in 2009 and Tanzania in 2014 . It is thus in no position to characterize this

procedure as illogical.

23. Far from being illogical, this procedure is actually more logical than the alternative

88
solution, as certain members of the Court pointed out last March . Delimitation first requires the

determination of the entitlements to each section (that is to say, their seaward extent), as

84
Question of the Delimitation of the Continental Shelf Between Nicaragua and Colombia beyond
200 Nautical Miles from the Nicaraguan Coast (Nicaragua v. Colombia), Judgment of 17 March 2016, para. 114.
85
Territorial and Maritime Dispute between Nicaragua and Honduras in the Caribbean Sea (Nicaragua v.
Honduras), Judgment, I.C.J. Reports 2007 (II), pp. 759, para. 319; see also in this regard, B. Kunoy, “The Delimitation
of an Indicative Area of Overlapping Entitlement to the Outer Continental Shelf”, BYBIL, 2013, Vol. 83, pp. 61-81.
86
See WSS, Ann. 28, pp. 4152-4153 (decision of April 2009 regarding France, Ireland, Spain and the United
Kingdom).
87See MS, Vol. III, Ann. 66, and Anns. 49 and 70, respectively.

88 Question of the Delimitation of the Continental Shelf Between Nicaragua and Colombia beyond
200 Nautical Miles from the Nicaraguan Coast (Nicaragua v. Colombia), Judgment of 17 March 2016, separate opinion
of Judge Owada, para. 23; declaration of Judge Gaja and declaration of Judge Bhandari (passim). - 36 -

acknowledged by Somalia , and the pre-determination of the zones relevant for the purposes of

delimitation is also essential so that the disproportionality test can then be applied in the aim of
90
reaching an equitable solution for all of the areas under dispute . This is especially true when a

single line of delimitation is claimed. It then comes as no surprise that Kenya and Somalia

concluded the 2009 MOU, in which they consented that delimitation would be determined by

means of an agreement after  and not before  the CLCS had made its recommendations. The

2009 MOU, its object and its purpose are perfectly coherent in this respect: the Parties first gave

themselves the means to obtain the CLCS’s recommendations by agreeing not to block its work,

the better to decide that the delimitation would be determined on the basis of those
44

recommendations, after they had been received.

IV. The subsequent practice of the Parties

24. An analysis of the Parties’ subsequent practice leads to the same conclusion. Here too,

Somalia’s attempts to rid the 2009 MOU of its penultimate paragraph are as unsuccessful as they

are contrived.

25. Somalia first refers to the fact that certain documents submitted by the Parties to the

CLCS make no mention of the penultimate paragraph of the 2009 MOU. This, it claims, surely

proves that the Parties have dispensed with that part of the Memorandum . However, since the

CLCS is not concerned with delimitation but only with delineation, it is hard to see why the Parties

would need to refer systematically to the penultimate paragraph of the 2009 MOU in their dealings

with it. And what is more, it so happens that Kenya has invoked that paragraph before the CLCS . 92

26. More fundamentally, before the Court was seised, Kenya had nothing to gain by

invoking the penultimate paragraph of the 2009 MOU. Indeed, Kenya believed, in good faith, that

Somalia would respect the Memorandum it had concluded. In a letter sent by Somalia to Kenya

just 48 hours before the seisin of the Court, Somalia had, moreover, recalled its commitment to

89
See WSS, para. 3.10: “Failure to meet that deadline would have meant losing their potential entitlement to a
continental shelf beyond 200 M”; see also ibid., Ann. 28, in particular pp. 4140 and 4142.
90POK, para. 47. See also the article by B. Kunoy, op. cit.

9WSS, paras. 2.28-2.29 and 3.30-3.31.
92
See POK, Anns. 24 and 44. - 37 -

pursuing negotiations, without giving Kenya the slightest indication of its intention to seise the

93
Court in the hours that were to follow . It was only once Somalia had breached the penultimate

paragraph of the 2009 MOU by seising the Court that Kenya needed to invoke the procedure set

out in that Memorandum, which it did by raising a preliminary objection.

27. Somalia then asserts — relying to that end on an internal Somali document — that,

in 2014, Kenya itself had raised the possibility of submitting the dispute to arbitration . Those4

words attributed by Somalia to the Kenyan Minister for Foreign Affairs are, however, untrue,

45 Mr. President, as established by the statement from the said Minister communicated by Kenya to

the Court on 27 May 2016.

28. Lastly, Somalia declares that “Kenya’s statement that ‘at the appropriate time, a

mechanism will be established to finalize the maritime boundary negotiations’ means that it did not

95
then consider that any such mechanism yet existed” . It is difficult to see how this citation could

be used to support Somalia’s position. On the contrary, Kenya’s statement confirms the

penultimate paragraph of the 2009 MOU. Once again, the 2009 MOU does not prohibit the Parties

from entering into negotiations before they have received the recommendations of the CLCS. The

procedure set out in the MOU is to await those recommendations before reaching an agreement on

delimitation. This will, of course, mean that a mechanism to finalize the negotiations will have to

be established at the appropriate time. That is the plain meaning of the Kenyan statement cited by

Somalia.

29. To conclude this point on the subsequent practice of the Parties and on Somalia’s

argument that they have allegedly dispensed with the penultimate paragraph of the 2009 MOU, I

would point out in any event that Somalia fails to mention several documents — the references for

which can be found as a footnote to my presentation — which show that following the conclusion

of the 2009 MOU, the two Parties expressly referred to the procedure agreed on in its penultimate

paragraph on a number of occasions . 96

93
See MS, Vol. III, Ann. 47.
9WSS, para. 2.69.

9Ibid., paras. 2.33-2.36 and 3.34-3.47; see also para. 2.43 and, more generally, paras. 2.37-2.76.
96
See POK, paras. 68-69; ibid., para. 107 and Ann. 24, p. 107MS, Vol. III, Ann. 50 (final page of the
document) and Ann. 61, para. 95, pp. 20-21; see also ibid., Ann. 66, part 6. - 38 -

V. The context in which the 2009 MOU was concluded

30. I come finally, Mr. President, Members of the Court, to the context in which the

2009 MOU was concluded, a context which Somalia relies on — once again inappropriately — in

order to put the penultimate paragraph of the MOU out of the picture.

31. I would first recall on this point that, in the Court’s own words,

“it is generally recognized . . . [that recourse to circumstances of the conclusion of a

treaty] constitute[s] no more than a supplementary means of interpretation, used only
46 where the meaning of the text is ambiguous or obscure, or the interpretation would
lead to a manifestly absurd or unreasonable result” , 97

which is, I repeat, not the case here, since the text of the 2009 MOU is crystal clear.

32. Next I would emphasize that, in any event, Somalia has produced no evidence in support

of the assertion that the context in which the MOU was concluded should lead the Court to deprive

the penultimate paragraph of any effect. Somalia merely asserts that if that paragraph were to be

given effect, it would unduly delay the maritime delimitation, which, according to Somalia, should

98
be decided as a matter of urgency . In other words, Somalia is asking you to disregard the treaty

concluded in 2009 and the procedure provided for in that treaty on the sole ground that there is, it

says, an urgent need for delimitation.

33. This is yet another argument with absolutely no legal basis: a need, however urgent,

cannot deprive of effect a treaty currently in force. But this argument also lacks any factual basis.

A close examination of the circumstances in which the 2009 MOU was concluded in fact shows

that when it was signed maritime delimitation was certainly not a priority for Somalia. Indeed, on

the contrary and by its own admission, Somalia was unprepared and unwilling to enter into

99
negotiations on maritime delimitation in 2009 . This was true in 2009, and it was still true four

years later, in June 2013, when Somalia reiterated its belief that it had a right to a territorial sea of

200 nautical miles and announced officially, in what amounted to a flat-out refusal, that it did not

consider it “appropriate” to open discussions on maritime delimitation with any parties . Under 100

these circumstances, is Somalia really to be believed when it claimed, upon seising the Court just

97
Land, Island and Maritime Frontier Dispute (El Salvador/Honduras: Nicaragua intervening), Judgment, I.C.J.
Reports 1992, p. 584, para. 376.
98WSS, para. 3.66.

99See WSS, paras. 1.32-1.33, 2.8-2.11, 2.40 and 3.58-3.59.
100
See POK, Anns. 33, 34, 35 and 36. - 39 -

one year later, in August 2014, that it was now extremely urgent to effect a delimitation by judicial

means? If the circumstances in which the 2009 MOU was concluded reveal anything, it is that in

2009, and in 2013, Somalia was, by its own admission, in the delicate process of rebuilding State

structures, and was neither able nor anxious to proceed with a maritime delimitation at that time.

47 34. This context gives full meaning to the 2009 MOU. In 2009, the Parties did not consider

delimitation to be urgent — quite the contrary. On the other hand, the deadline for submitting their

claims to the CLCS was about to expire. This explains why the Parties agreed to give priority to

delineation and to wait for that delineation before proceeding with the delimitation. Once again,

this is clearly stipulated in the penultimate paragraph of the 2009 MOU.

VI. Conclusion

35. In conclusion, Mr. President, Members of the Court, there is no doubt that you do not

have jurisdiction in the present case. In April 2009, Kenya and Somalia concluded a MOU, the

penultimate paragraph of which clearly stipulates that the delimitation of maritime boundaries in

the areas under dispute shall be agreed after the CLCS has made its recommendations to the two

States. Since a judgment of the Court is not an agreement, and “after” does not mean “before”, it is

evident that an agreement exists, whereby the Parties have consented to have recourse to a means

of settlement other than the International Court of Justice. The conclusion is obvious: the Court

does not have jurisdiction to entertain the Application instituting proceedings filed by Somalia in

August 2014.

36. Mr. President, Members of the Court, thank you very much for your attention. I should

be grateful, Mr. President, if you would now give the floor to H.E. Ms Makena Muchiri. Thank

you.

Mr. PRESIDENT: Thank you, Professor. I give the floor to H.E. Ambassador

Makena Muchiri. - 40 -

Mme MUCHIRI :

LES P ARTIES N ONT PAS ÉPUISÉ LEUR POTENTIEL DE NÉGOCIATION

I. Introduction

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est pour moi un honneur et

un privilège qu’il me soit donné de m’exprimer devant vous. Je me propose de traiter de l’assertion

de la Somalie selon laquelle les Parties auraient épuisé leur potentiel de négociation.

48 2. Comme M. Forteau vient de l’expliquer, le mémorandum d’accord prévoit que les Parties

doivent conclure un accord négocié sur la délimitation définitive de leur frontière maritime après

que la Commission des limites du plateau continental aura examiné leurs demandes. La

négociation est le mode de règlement dont elles sont convenues ; négocier constitue donc pour elles

une obligation juridique. Or, la Somalie prétend que les négociations sont vaines, ce dont elle tire

un argument qui est en l’espèce hors de propos. En effet, la seule question qui se pose pour établir

la compétence de la Cour est de savoir si les Parties sont ou non convenues d’une procédure autre

que sa saisine ; mais, de toute manière, l’assertion de la Somalie selon laquelle les Parties auraient

épuisé leur potentiel de négociation est fausse. Il ressort des faits que les Parties ont tenu

seulement deux réunions au niveau technique en 2014, que ces réunions ont eu lieu à l’initiative du

Kenya dans le but de traiter de la violation du mémorandum d’accord par la Somalie, et que les

questions de délimitation maritime n’ont été abordées qu’à titre tout à fait préliminaire et informel,

sans aucunement entrer dans les détails. Il ressort également des faits que la Somalie n’a pas

cherché à négocier sérieusement, et semble s’être bornée à faire les gestes nécessaires pour pouvoir

s’adresser à la Cour.

3. La détermination des frontières maritimes n’est pas chose simple. On constate que dans

les affaires de délimitation maritime où la Cour s’est déclarée compétente, les Parties n’ont eu

recours au règlement judiciaire qu’après de longues négociations. Il est difficile de dire combien

de temps doivent avoir duré les négociations pour que le potentiel de règlement négocié puisse être

considéré comme épuisé. Cependant, on constate que les affaires de délimitation maritime

tranchées par la Cour ont généralement été précédées d’une période de négociation d’une durée de - 41 -

101
l’ordre d’une vingtaine d’années . Deux réunions préliminaires d’ordre technique ayant eu lieu

en l’espace de tout juste quatre mois ne sauraient manifestement être considérées comme

constituant des négociations d’une durée suffisante. Vu les circonstances que je viens d’évoquer,

dont le fait que les Parties n’ont même pas entamé de véritables pourparlers, il est tout simplement

impossible de prétendre qu’elles ont épuisé leur potentiel de négociation.

II. Les réunions tenues en 2014 au niveau technique

4. Monsieur le président, permettez-moi d’entrer dans le détail des deux réunions dont je

viens de parler.

5. Avant l’ouverture des négociations de 2014, les ministres kényan et somalien des affaires

étrangères, par une déclaration conjointe datée du 31 mai 2013, avaient décidé d’un commun

accord que des réunions seraient organisées en vue de «réfléchir aux modalités de la démarcation

maritime à entreprendre» et d’examiner la question connexe de la mesure dans laquelle le
102
mémorandum d’accord avait été «mis[] en œuvre» . Donc, à ce stade, l’objet des pourparlers

prévus était purement procédural  il s’agissait de réfléchir aux modalités des négociations en

49 procédant à un échange de vues préliminaire fondé sur le mémorandum d’accord. Le but principal

n’était pas d’entreprendre des négociations sur le fond de la question de la frontière maritime.

6. La référence au mémorandum d’accord ayant suscité une vive controverse, le conseil des

ministres de la Somalie, dans une déclaration datée du 6 juin 2013, a rejeté toutes «discussions sur

la démarcation maritime ou les limites du plateau continental» avec le Kenya . Vu ce refus, la

question se pose de savoir ce qui a motivé la convocation quelques mois plus tard de la première

réunion.

7. La Somalie ne nie pas que la première réunion a eu lieu à l’initiative du Kenya. Qu’est ce

qui a motivé cette initiative ? La réponse est claire : le Kenya a pris cette initiative parce que, dans

une lettre en date du 4 février 2014, adressée à l’Organisation des Nations Unies, la Somalie avait

101En l’affaire Délimitation maritime et Questions territoriales entre Qatar et Bahrein, les Parties, dix mois
avant de se présenter devant la Cour, avaient à leur actif vingt-six années de négociations ; dans l’affaire du Différend
frontalier (Bénin/Niger), les Parties avaient négocié pendant quarante-et-un ans avant la saisine de la Cour ; en l’affaire
du Différend frontalier (Burkina Faso/Niger), les négociations antérieures s’étaient poursuivies pendant trente-six ans.

102EPK, par. 88.
103
EPK, par. 90. - 42 -

renié le mémorandum d’accord et élevé une objection à l’examen de la demande du Kenya par la

Commission des limites du plateau continental. La réunion tenue en mars 2014, un mois à peine

après la date de cette lettre, avait pour objet d’amener la Somalie à se conformer au mémorandum

d’accord en levant son objection. Il était prévu que la Commission examinerait la demande du

Kenya en septembre 2014 . 104 La question du respect par la Somalie des dispositions du

mémorandum d’accord revêtait donc pour le Kenya un caractère d’urgence. La Somalie prétend

qu’aucun élément de preuve ne montre que la réunion avait pour objet de débattre de l’application

du mémorandum d’accord. Afin que ne subsiste aucun doute sur ce point, le Kenya a fait verser au

dossier un élément de preuve consistant en un mémorandum en date du 12 février 2014, adressé à

la secrétaire de cabinet par le responsable de la direction du ministère kényan des affaires

étrangères chargée des affaires juridiques et des relations du Kenya en tant que pays hôte. Copie de

ce document figure sous l’onglet n 11 de notre dossier de plaidoiries. La date de ce mémorandum

suit de juste une semaine celle à laquelle la Somalie a élevé son objection. Il y est dit que bien que

les Parties, par le mémorandum d’accord, se soient accordé réciproquement «non-objection», la

Somalie, dans une communication adressée au Secrétaire général de l’Organisation des

Nations Unies, «s’est formellement opposée à l’examen de la demande [du Kenya] par la

Commission». La lettre s’achève sur la conclusion suivante : «Il est par conséquent impératif que

des consultations diplomatiques bilatérales soient engagées au plus haut niveau gouvernemental

dès que possible pour régler la situation, de manière à garantir l’examen des demandes en 2014».

Il est donc clair que le Kenya a pris l’initiative de la réunion dans le but de traiter avec la Somalie

de l’application du mémorandum d’accord.

8. Le 21 mars 2014, les Parties ont décidé d’un commun accord que la réunion se tiendrait

seulement au niveau technique . Je crois bon de rappeler que la Somalie s’était purement et

simplement refusée à négocier, si bien que cette première réunion a eu le caractère d’une rencontre

tendant à instaurer un climat de confiance entre les deux Etats. La réunion a eu lieu quelques jours

plus tard, les 26 et 27 mars 2014. Ne perdant pas de vue sa préoccupation principale, le Kenya a

proposé un ordre du jour prévoyant que la question du mémorandum d’accord serait examinée en

104Ibid., par. 91.

105EPK, par. 98. - 43 -

priorité . Le compte-rendu de cette première réunion est sans ambiguïté. La Somalie a refusé que
50

la question du mémorandum soit même abordée et exigé que toute mention de celui-ci soit retirée

de l’ordre du jour . Dans un esprit de conciliation, le Kenya a accepté que l’examen de cette

question soit reporté à une deuxième réunion technique devant avoir lieu en juin 2014. Autrement

dit, la Somalie s’est refusée à entrer en matière sur la question qui avait motivé l’initiative prise par

le Kenya de convoquer la première réunion.

9. Deux événements importants se sont produits entre la première et la deuxième réunions

techniques. Premièrement, le 31 mars 2014, soit quelques jours seulement après la clôture de la

première réunion, la Commission des limites du plateau continental a déclaré qu’elle «n’était pas

108
encore en mesure de créer [une] sous-commission» . C’était là un grave revers pour le Kenya, vu

le travail et les ressources financières qu’il avait consacrés à la préparation de son dossier de

demande. Lors de la réunion des Etats partie à la CNUDM qui a eu lieu en juin 2014, son

représentant a souligné que «le moindre retard, si bref soit-il, dans l’examen de la demande d’un

pays signifi[ait] que celui-ci d[evrait] engager des dépenses considérables en ressources humaines

109
et matérielles pour pouvoir continuer à défendre son dossier» .

10. Deuxièmement, le 21 juillet 2014, la Somalie a soumis sa propre demande à la

Commission, au cours de la session même de celle-ci où elle s’était opposée à l’examen de la

demande du Kenya. Ce dernier a répondu en convoquant une deuxième réunion dans le but

d’amener la Somalie à se conformer à la clause de «non-objection» figurant dans le mémorandum

d’accord.

11. Cette réunion a eu lieu les 28 et 29 juillet 2014, tout juste quatre mois après la première.

Je me permets de rappeler que la Somalie a demandé et obtenu communication par le Kenya du

110
compte-rendu de la réunion et d’une note interne sur celle-ci établie à l’époque . Vous trouverez

106Ibid., annexe 31.

107Ibid., annexes 31 et 24.
108
Ibid., par. 103.
109Ibid., par. 104.

110 Compte-rendu de la réunion entre le Kenya et la Somalie sur la frontière maritime tenue les 28 et
29 juillet 2014 à Nairobi, au ministère kényan des affaires étrangères et du commerce international, établi conjointement
par le Gouvernement de la République du Kenya et le Gouvernement de la République fédérale de Somalie ; note en date
du 8 août 2014 relative à une réunion entre les Gouvernements de la République du Kenya et de la République fédérale
de Somalie sur la frontière maritime tenue les 28 et 29 juillet 2014 à Nairobi. - 44 -

copie de ces deux nouveaux documents sous l’onglet n 12 de notre dossier de plaidoiries. L’un et

l’autre confirment pleinement que, comme le Kenya le soutient, la réunion n’a pas été le lieu de

véritables négociations sur la frontière maritime. Selon la note relative à la réunion, en date

du 8 août 2014, la délégation kényane a déclaré qu’il lui faudrait un certain temps pour réagir à

l’intervention de la Somalie sur la frontière maritime. Elle a expliqué qu’elle ne s’attendait pas à ce

que les travaux soient centrés sur le fond du différend . Les deux délégations «sont convenues
51

qu’il était nécessaire, afin d’aller de l’avant, d’encadrer plus précisément le déroulement des

réunions» et de poser les principes devant présider aux négociations . 112 Tout cela contredit

formellement l’assertion de la Somalie selon laquelle le potentiel de négociation aurait été épuisé.

Il n’y a pas même eu de débat sur les modalités des négociations ou les principes directeurs

auxquels elles devraient obéir.

12. Les Parties sont convenues qu’elles tiendraient une troisième réunion au niveau

technique les 25 et 26 août 2014, soit moins d’un mois après la deuxième. Rien n’a changé durant

ce laps de temps. Le Kenya a continué de se préoccuper avant tout du sort de la demande qu’il

avait soumise à la Commission des limites du plateau continental, dont l’examen était

provisoirement prévu durant la trente-cinquième session de la Commission, qui était en cours. Il

ressort de documents internes établis par les services kényans que la troisième réunion devait porter

sur «la frontière maritime, y compris […] la levée de l’opposition de la Somalie à l’égard du

mémorandum d’accord portant non-objection à l’examen de la demande du Kenya» . 113

114
13. Le Kenya avait manifestement intérêt à ce que cette troisième réunion ait lieu . Il

voulait que la question du mémorandum d’accord soit réglée. Toutefois, les membres de sa

délégation avaient à l’époque motif de craindre pour leur sécurité s’ils devaient se rendre à

Mogadiscio. Il est fait état de ces craintes dans la note relative à la deuxième réunion datée du

111Note en date du 8 août 2014, relative à une réunion entre les Gouvernements de la République du Kenya et de

la République fédérale de Somalie sur la frontière maritime, tenue les 28 et 29 juillet 2014 à Nairobi, haut de la page 2.
112Ibid., p. 2.
113
EPK, annexes 40 et 41.
114
Ibid. - 45 -

115
8 août 2014 . Après avoir évalué la situation, le service national kényan de renseignement, le

23 août 2014, a émis l’avis que «compte tenu de l’instabilité de la situation en matière de sécurité à

Mogadiscio, il était déconseillé à une délégation composée de membres aussi importants de se

rendre dans [le] pays» . Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi le service kényan de

117
renseignement est parvenu à cette conclusion . La délégation kényane était exposée à un risque

précis en raison du très vif ressentiment manifesté en Somalie au sujet du mémorandum d’accord,

qui était alimenté par des rumeurs incendiaires répandues par les Chabab, selon lesquelles le Kenya

cherchait en sous-main à voler des espaces maritimes appartenant à la Somalie Les membres de la

délégation kényane craignaient véritablement de se trouver en danger si les habitants de

Mogadiscio venaient à apprendre leur présence. L’assertion de la Somalie selon laquelle la

délégation kényane aurait simplement boudé la réunion est donc une déformation criante de la

vérité. En fait, la Somalie se sert de cette assertion pour justifier après coup la décision qu’elle

avait déjà prise de saisir la Cour.

52 14. Monsieur le président, l’annexe 47 du mémoire de la Somalie reproduit le texte d’une

lettre en date du 26 août 2014, adressée par celle-ci au Kenya. Envoyée quelques jours avant le

dépôt de la requête, cette lettre confirme que les Parties étaient convenues de tenir une autre série

d’entretiens. La Somalie s’y déclare fermement résolue à rechercher le règlement amiable du

différend qui subsiste entre les deux Etats quant à leur frontière maritime. Elle n’y exprime

aucunement son intention de saisir la Cour moins de 48 heures plus tard. Cette lettre dénote un

comportement dont j’irais jusqu’à dire qu’il relève de la duplicité. Pareil comportement ne procède

certainement pas de l’intention de négocier de bonne foi.

15. On peut raisonnablement en conclure que la Somalie s’était préparée de longue main à

introduire la présente instance avant de de déposer sa requête le 28 août 2014. Il est raisonnable

aussi de conclure que la Somalie a fait semblant de négocier tout en se refusant à traiter de la

115Note en date du 8 août 2014, relative à une réunion entre les Gouvernements de la République du Kenya et de
la République fédérale de Somalie sur la frontière maritime, tenue les 28 et 29 juillet 2014 à Nairobi, bas de la page 2
(passage où le Kenya demande des instructions sur le lieu de la prochaine réunion).

116EPK, annexe 40.
117
Voir, par exemple, l’attentat à la voiture piégée perpétré en juin 2016 contre l’hôtel Ambassador à
Mogadiscio, qui a fait dix morts et cinquante blessés : http://www.bbc.com/news/world-africa-36430306. - 46 -

validité juridique du mémorandum d’accord ou de la levée de son objection à l’examen de la

demande soumise par le Kenya à la Commission des limites du plateau continental.

16. Monsieur le président, je me permets d’appeler également l’attention de la Cour sur

l’assertion de la Somalie selon laquelle, lors de la deuxième réunion, tenue en juillet 2014, la

ministre kényane des affaires étrangères aurait dit que «au cas où les deux pays échoueraient à

trouver un accord, ils pourraient recourir à l’arbitrage international» . La Somalie fait grand cas

de cette prétendue déclaration, qu’elle veut faire passer pour l’expression du consentement du

Kenya à un règlement arbitral . 119

17. La prétendue déclaration est citée dans une note interne reproduite à l’annexe 4 de

l’exposé écrit de la Somalie. La date de cette note (5 août 2014) précède de peu celle du dépôt de

la requête. L’un de ses auteurs se trouve être le coagent de la Somalie en la présente affaire. Il est

par ailleurs curieux qu’une note interne à l’usage du Gouvernement somalien ait été rédigée en

anglais plutôt qu’en somali.

18. Quoi qu’il en soit, ce qui est véritablement troublant dans cette note est qu’en fait, la

ministre kényane des affaires étrangères n’a jamais fait pareille déclaration. Le Kenya a fait verser

au dossier un nouvel élément de preuve consistant en une mise au point de Mme Amina Mohamed,

ministre des affaires étrangères. Elle y dit ce qui suit : «je n’ai jamais fait la déclaration qui m’est

o
attribuée dans cette note interne» ; vous trouverez le texte de cette mise au point sous l’onglet n 13

de notre dossier de plaidoiries . La Somalie, à propos de cette mise au point, a demandé au

53 Kenya communication du compte-rendu interne de la réunion établi à l’époque de celle-ci. Ce

compte-rendu, dont vous trouverez copie sous l’onglet n 12 de notre dossier de plaidoiries, ne fait

121
aucune mention de l’arbitrage .

118EES, par. 2.69 et annexe 4.

119Ibid., par. 1.19. Dans ce paragraphe, la Somalie affirme ce qui suit : «c’est le Kenya lui-même qui a évoqué la
possibilité de soumettre le différend à un arbitrage international contraignant, une proposition qui était diamétralement
opposée à la position qu’il défend maintenant devant la Cour».

120Mise au point de la ministre kényane des affaires étrangères et du commerce international «relative aux
allégations concernant le recours à l’arbitrage international s’agissant du différend frontalier maritime entre le Kenya et la
Somalie» en date du 5 mai 2016.
121
Compte rendu de la réunion entre le Kenya et la Somalie sur la frontière maritime tenue les 28 et
29 juillet 2014 à Nairobi, au ministère kényan des affaires étrangères et du commerce international, établi conjointement
par le Gouvernement de la République du Kenya et le Gouvernement de la République fédérale de Somalie ; note en date
du 8 août 2014 relative à une réunion entre les Gouvernements de la République du Kenya et de la République fédérale
de Somalie sur la frontière maritime tenue les 28 et 29 juillet 2014 à Nairobi. - 47 -

III. Il reste possible de procéder à de véritables négociations

19. Monsieur le président, c’est dans ce contexte que la Somalie affirme que les négociations

«aboutissent à une impasse» et «se sont «révélé[e]s vain[e]s»» . Or, il ressort du dossier qu’il n’y

a pas eu de véritables négociations. La Cour a eu l’occasion de préciser que les parties à un

différend ne sont «pas simplement [tenues] de procéder à une négociation formelle ..., [et] ont

l’obligation de se comporter de telle manière que la négociation ait un sens» . 123

20. De fait, il est fort difficile d’imaginer qu’un différend de délimitation maritime puisse

être réglé en l’espace de tout juste quatre mois, a fortiori s’il s’agit d’une délimitation complexe

qui nécessite de délicates négociations bilatérales sur de graves questions d’ordre politique et

sécuritaire.

21. Monsieur le président, les faits parlent d’eux-mêmes. La Somalie a refusé d’aborder la

question du mémorandum d’accord. Elle a refusé aussi de lever son objection à l’examen de la

demande du Kenya. Elle a de plus campé sur sa position privilégiant l’application du principe

d’équidistance. Elle recherche maintenant un règlement judiciaire. Elle a accompli dans la

précipitation et de façon purement formelle les actes lui permettant de s’adresser à la Cour, et ce

dans le contexte d’une délicate période de transition, durant lesquels des centaines de militaires et

de civils kényans ont été tués lors d’attentats terroristes perpétrés par les Chabab ; elle a accompli

ces actes alors même que des éléments du mouvement des Chabab infiltraient les côtes kényanes

par des voies maritimes se trouvant précisément dans les eaux en litige, sur lesquelles le Kenya,

pendant de nombreuses années, avait exercé sa juridiction incontestée. Vu ces circonstances, on ne

saurait prétendre que les Parties aient jamais engagé de véritables négociations ni, a fortiori,

qu’elles aient épuisé leur potentiel de négociation.

22. Monsieur le président, trouver un compromis est un art qui demande du temps. On ne

saurait y aboutir en proclamant d’entrée de jeu «ce qui m’appartient m’appartient et ce que vous

possédez est négociable» ! Si la raison l’emporte, ce qui est aujourd’hui une pomme de discorde

pourrait fort bien demain faire l’objet d’une entente entre les Parties, et cela vaut particulièrement

dans la situation mouvante qui règne actuellement en Somalie.

122EES, par. 3.89.

123Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark) (République fédérale
d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 47, par. 85 a). - 48 -

54 23. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, me voici parvenue au terme

de ma plaidoirie. Je vous prie, Monsieur le président, de bien vouloir appeler maintenant M. Boyle

à la barre. Je vous remercie.

The PRESIDENT: Thank you, your Excellency. I give the floor to Professor Boyle.

M. BOYLE :

L A PARTIE XV DE LA CNUDM CONSTITUE UN ACCORD
SUR UN AUTRE MODE DE RÈGLEMENT

I. Introduction

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est pour moi un honneur de

plaider devant vous au nom de la République du Kenya. Mes confrères ont exposé que le

mémorandum d’accord de 2009 prévoit une procédure de règlement du différend qui entre dans le

champ d’application de la réserve dont le Kenya a assorti la déclaration qu’il a faite en vertu du

paragraphe 2 de l’article 36 du StatutSi vous nous donnez raison, l’affaire échappera à la

compétence que le Kenya a reconnue à la Cour, et mon intervention de ce matin sur la partie XV de

la CNUDM s’avérera superflue.

2. En attendant, je soutiens que, même si le mémorandum d’accord n’existait pas ou si vous

rejetiez notre argument le concernant, la Cour n’aurait pas compétence pour connaître de la

présente affaire, parce que, comme mes collègues l’ont souligné, le régime prévu à la partie XV de

la CNUDM ressortit également à la réserve que comporte la déclaration faite par le Kenya en vertu

de la clause facultative. Ainsi, ni le paragraphe 2 de l’article 36 du Statut, ni l’article 282 de la

CNUDM ne fonde la compétence de la Cour en l’espèce. La Somalie s’appuyant dans une certaine

mesure sur l’article 282, c’est par celui-ci que je commencerai mon exposé.

II. L’article 282 de la CNUDM ne confère pas compétence à la Cour

3. La Somalie a introduit la présente instance en se fondant sur le paragraphe 2 de l’article 36

du Statut, et c’est donc la déclaration faite par le Kenya en vertu de la clause facultative, et non la

partie XV de la CNUDM, qui détermine si la Cour a compétence. Dans son exposé écrit, la

Somalie reconnaît que «[l]a partie XV … énonce les principes et procédures applicables au - 49 -

124
règlement des différends en vertu de la convention» . Ainsi que je l’expliquerai dans quelques

instants, la partie XV constitue donc une «procédure convenue» de règlement des différends relatifs

55 à la CNUDM. Cependant, la Somalie ajoute que selon l’article 282, «l’accord tendant à soumettre

les différends à la Cour qui découle des déclarations convergentes faites par les Parties en vertu du

paragraphe 2 de l’article 36 du Statut a priorité sur les procédures établies à la partie XV de la
125
CNUDM» . C’est pourquoi je tiens à traiter dans un premier temps de l’article 282.

4. L’argument de la Somalie présente toutefois une faille qui lui est fatale. En effet, les

déclarations faites par le Kenya et la Somalie en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut ne

sont en réalité pas «convergentes». L’accord exigé par cet article pour qu’un différend relatif à la

CNUDM puisse être soumis à la Cour fait donc défaut. Comme vous le savez, la déclaration du

Kenya au titre de la clause facultative dispose que la Cour n’a pas compétence pour connaître

«[d]es différends au sujet desquels les parties en cause auraient convenu ou conviendraient d’avoir

recours à un autre mode ou à d’autres modes de règlement». De toute évidence, la partie XV

prévoit des modes convenus de règlement des différends frontaliers maritimes et fait donc

nécessairement jouer la réserve, empêchant la Cour de se déclarer compétente en vertu de la clause

facultative.

5. Vous trouverez le texte de l’article 282 sous l’onglet n 15 de notre dossier de plaidoiries.

L’élément essentiel en est le suivant : si  et seulement si  les parties «sont convenu[e]s, dans le

cadre d’un accord général, régional ou bilatéral ou de toute autre manière» qu’un différend relatif à

la CNUDM sera soumis «à une procédure aboutissant à une décision obligatoire, cette procédure

s’applique au lieu de celles prévues dans la [partie XV], à moins que les parties en litige n’en

conviennent autrement» . Or, un tel accord n’existe pas en l’espèce : il n’y a pas de déclarations

convergentes faites au titre de la clause facultative, il n’y a pas de compromis, et il n’y a pas non

plus de déclarations désignant en vertu de l’article 287 la Cour comme étant la juridiction à saisir

d’un tel différend. Et, faute d’accord relevant d’un de ces types, l’article 282 ne saurait tout

124EES, par. 3.50.

125Ibid., par. 3.82-86.
126
CNUDM, art. 282, Recueil des traités des Nations Unies, vol. 1833 (1982). - 50 -

simplement s’appliquer en l’espèce. Il faut qu’il y ait accord entre les parties, sous une forme ou

sous une autre, pour que l’article 282 puisse conférer compétence à la Cour.

6. La Cour jugera peut-être utile un rappel de la seule affaire dans laquelle l’article 282 a été

invoqué pour conférer compétence à une juridiction autre que celles énumérées dans la CNUDM.

Il s’agit de l’affaire de l’Usine Mox, dans laquelle la Cour européenne de justice a conclu qu’en

droit européen, elle avait compétence exclusive pour connaître d’un différend relatif à la CNUDM

opposant deux Etats membres de l’Union européenne et que, conformément à l’article 282 de la

convention, la procédure contraignante que constituait sa saisine l’emportait sur une procédure

127
56 arbitrale engagée en application de l’annexe VII de la convention . Les parties à l’affaire ont

donc été contraintes de mettre fin à la procédure d’arbitrage déjà en cours . Cette affaire ne

ressemble toutefois en rien à celle qui nous occupe. Le Kenya n’a pas accepté la juridiction

obligatoire de la Cour à l’égard des différends relatifs à la CNUDM. Sa situation n’est absolument

pas comparable à celle de l’Irlande et du Royaume-Uni en l’affaire soumise à la Cour européenne

de justice.

7. Au risque de me voir taxé d’excès de zèle dans ma démonstration, je me permets de vous

inviter à imaginer deux Etats qui, par des déclarations identiques faites en vertu du paragraphe 2 de

l’article 36 du Statut, seraient convenus de soumettre à la Cour tout différend relatif à

l’interprétation ou l’application de traités. L’article 282 s’appliquerait-il ? Oui. En pareil cas, les

deux parties seraient bien entendu convenues d’une procédure aboutissant à une décision

129
obligatoire . Par le jeu de l’article 282, le mode de règlement convenu dans les déclarations

127Commission / Irlande, affaire C-459/03 de la Cour européenne de justice (30 mai 2006), par. 125 : «En effet, il

découle de l’article 282 de la Convention que le régime de règlement des différends que comporte le traité CE, dès lors
qu’il prévoit des procédures aboutissant à des décisions obligatoires pour le règlement de différends entre Etats membres,
prime, en principe, celui que comporte la partie XV de la Convention.»
128Les arbitres désignés en application de l’annexe VII ont suspendu la procédure jusqu’à ce que la Cour

eoropéenne de justice ait rendu sa décision : voir affaire de l’Usine Mox (Irlande c. Royaume-Unio, CPA, ordonnance
n 3 : suspension de la procédure relative à la compétence et au fond (24 juin 2003) ; CPA, ordonnance n 6 : clôture de la
procédure (6 juin 2008).
129Statut de la Cour, articles 59 et 60. Voir également : Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et

contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 392,
par. 60, où la Cour a considéré les déclarations faites en vertu de la clause facultative qui se chevauchent comme une
«série de liens bilatéraux avec les autres Etats qui acceptent la même obligation par rapport à la juridiction obligatoire, en
prenant en considération les conditions, réserves et stipulations de durée» ; Droit de passage sur territoire indien
(Portugal c. Inde), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1957, p. 146 («Le rapport contractuel entre les Parties et
la juridiction obligatoire de la Cour qui en découle sont établis «de plein droit et sans convention spéciale».») ; Frontière
terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 1998, p. 275, par. 25 (un «lien consensuel est établi») ; Compétence en matière de pêcheries (Espagne
c. Canada), C.I.J. Recueil 1998, p. 432, par. 46. - 51 -

faites en vertu de la clause facultative primerait toute autre procédure prévue à la partie XV de la

130
CNUDM .

8. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ce scénario requiert que les

deux parties aient fait en vertu de la clause facultative des déclarations rédigées dans les mêmes

termes. C’est là le point fondamental que méconnaît la Somalie. De toute évidence, le problème

est que, dans la déclaration qu’il a faite en vertu du paragraphe 2 de l’article 36, le Kenya a

expressément exclu la compétence de la Cour si le différend relève de toute autre procédure

convenue, disposition qui englobe les procédures prévues à la partie XV de la CNUDM.

9. Pour cette raison, les déclarations faites par les Parties ne constituent pas et ne sauraient

constituer un accord selon lequel le présent différend devrait faire l’objet d’un règlement

131
57 contraignant au sens de l’article 282. Quoi que puisse prétendre la Somalie , les conditions

énoncées dans cet article ne sont pas remplies en l’espèce.

10. La Somalie tente maintenant de contourner ce problème évident en soutenant que la Cour

ne s’est jamais déclarée incompétente sur la base d’une réserve privilégiant d’autres modes de

132
règlement des différends . C’est peut-être exact, mais la Cour n’a jamais eu à traiter de cette

question dans le contexte de la partie XV de la CNUDM. Et comme M. Akhavan l’a expliqué, il

serait contraire au sens ordinaire des termes parfaitement clairs de la réserve expresse jointe par le

Kenya à sa déclaration au titre de la clause facultative, aussi bien qu’à l’intention dans laquelle

cette réserve a été rédigée, de prétendre que la Cour conserve d’une manière ou d’une autre

133
compétence en vertu de l’article 282 .

11. En outre, le point de vue de la Somalie n’est pas partagé par d’autres Etats parties à la

CNUDM. Le Royaume-Uni, les Pays-Bas et le Honduras ont tous assorti leur déclaration au titre

de la clause facultative d’une réserve identique à celle du Kenya, mais tous aussi ont voulu que les

130Voir également Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 61,
par. 20-22, où un accord bilatéral a conféré compétence à la Cour, alors que les deux parties avaient accepté une
procédure d’arbitrage en application de l’annexe VII aux fins de la partie XV de la CNUDM.

131EES, par. 3.83 et 3.86.
132
Ibid., par. 3.3. Voir cependant l’avis contraire de la Cour dans l’affaire de Certaines terres à phosphates à
Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 240 [EPK, par. 145].
133Anglo-Iranian Oil Co. (Royaume-Uni c. Iran), C.I.J. Recueil 1952, p. 104 ; Plateau continental de la mer Egée
(Grèce c. Turquie), C.I.J. Recueil 1978, p. 29, par. 69 ; Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), C.I.J.

Recueil 1998, p. 454, par. 48. - 52 -

différends relatifs à la CNUDM soient entendus par la Cour. Ils ont privilégié cette juridiction et

c’est pourquoi chacun de ces Etats a estimé nécessaire de faire une déclaration en vertu de

l’article 287 de la convention par laquelle il a expressément reconnu la juridiction de la Cour à
134
l’égard de ces différends . Il est manifeste que ces Etats ont conclu que, sauf s’ils faisaient

également une déclaration conformément à l’article 287, leur déclaration au titre de la clause

facultative, assortie d’une réserve, ne primerait pas la partie XV de la convention, ce qui

correspond précisément à l’argument du Kenya. Bien que ce soit sans doute inutile, je relève que

la Somalie et le Kenya n’ont pas fait de déclarations conformément à l’article 287.

12. Pour conclure au sujet de l’article 282, je dirai que la question qui compte est celle de

savoir si les déclarations faites par les deux Parties en vertu de la clause facultative prévoient la

compétence de la Cour, le différend relevant dans le cas contraire des procédures prévues à la

partie XV de la CNUDM. L’article 282 ne peut faire obstacle à l’application d’une déclaration au

58 titre de la clause facultative qui exclut expressément la compétence de la Cour à l’égard de

différends soumis à des procédures de règlement prévues par d’autres traités, y compris la

CNUDM. En pareil cas, il ne peut pas être invoqué comme base de compétence de la Cour. La

Somalie a mal interprété la déclaration du Kenya et se trompe sur l’application de l’article 282.

III. LA PARTIE XV DE LA CNUDM CONSTITUE UN ACCORD SUR UN MODE DE RÈGLEMENT
AU SENS DE LA DÉCLARATION FAITE PAR LE K ENYA EN VERTU DU PARAGRAPHE 2DE

L ARTICLE 36DU STATUT

13. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je peux à présent revenir à ma

remarque plus générale selon laquelle, indépendamment du mémorandum d’accord, la partie XV de

la CNUDM constitue elle aussi un accord sur des modes de règlement au sens de la déclaration

faite par le Kenya en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut. Or la Cour n’a pas non plus

compétence pour connaître du différend sur ce fondement.

134
Réserve accompagnant la déclaration faite par le Royaume-Uni en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 :
«i) Tout différend que le Royaume-Uni et l’autre ou les autres parties seraient convenus de régler selon un autre mode de
règlement pacifique» ; réserve accompagnant la déclaration faite par les Pays-Bas en vertu du paragraphe 2 de
l’article 36 : «à l’exception [des différends] à propos desquels les parties, en excluant la juridiction de la Cour
internationale de Justice, seraient convenues d’avoir recours à un autre mode de règlement pacifique» ; réserve
accompagnant la déclaration faite par le Honduras en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 : «a) Les différends pour
lesquels les parties ont décidé ou pourraient décider de recourir à un autre moyen ou à d’autres moyens de règlement
pacifique des différends». - 53 -

14. La Somalie a certes introduit une affaire de délimitation maritime. Les deux Etats sont

parties à la CNUDM, et c’est cette convention que la Cour appliquera si elle en vient à statuer sur

135 136
le fond . Dans ses écritures, la Somalie a invoqué les articles 15, 74,76 et 83 , et s’est

également référée aux articles 2 à 14 . Le différend a nécessairement trait à l’interprétation et à

138
l’application de ces dispositions de la CNUDM. Sur ce point, les deux Parties sont d’accord .

15. Cependant, s’il n’y a pas convergence des déclarations faites en vertu de la clause

facultative et si l’article 282 n’établit pas la compétence de la Cour, il suit qu’il existe une

obligation de régler le présent différend conformément à la partie XV de la CNUDM, comme le

stipule son article 286.

16. Dans son exposé écrit, la Somalie consacre à peine quatre pages, à la section II B) du

139
chapitre 3. Elle invoque l’affaire de la Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie pour

étayer la proposition suivante : «[l]a partie XV de la convention n’a aucun effet sur l’accord

antérieur des deux Etats, qui résulte de leurs déclarations d’acceptation convergentes, pour conférer

140
compétence à la Cour.» Or cette affaire n’a absolument aucun intérêt pour l’examen du présent

59 différend. Elle concerne des déclarations faites en vertu de la clause facultative dont la portée était

plus large que celle de la clause compromissoire contenue dans un traité bilatéral signé par les

parties et non une déclaration faite en vertu de la clause facultative restreignant expressément la

juridiction de la Cour au profit d’autres procédures convenues. Devant deux bases de compétence

générale, l’une procédant de déclarations faites en vertu de la clause facultative et l’autre d’un traité

bilatéral, la Cour a simplement conclu que le fondement conventionnel, plus restreint, n’excluait

pas implicitement l’acceptation plus large de la compétence contenue dans les déclarations. Les

deux bases de compétence coexistaient donc. Or, le différend qui nous intéresse ne ressemble en

rien à celui en cause dans cette affaire. En effet, à la différence de la Bulgarie en ladite affaire, le

135CNUDM, article 293.

136MS, par. 5.9, 5.22, 6.7, 6.10, 7.5 et 7.39.
137
Ibid., par. 5.7 à 5.13.
138
Ibid., par. 7.39 ; requête, par. 33 ; EES, par. 3.86. Le paragraphe 33 de la requête se lit comme suit : «[à]
l’appui de sa demande, la Somalie invoque la CNUDM, en particulier ses articles 15, 74 et 83, qui régissent la
délimitation de la mer territoriale, du plateau continental et de la ZEE».
139 o
Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie, arrêt, 1939, C.P.J.I. série A/B n 77, p. 76.
140EES, par. 3.81. - 54 -

Kenya a, en l’espèce, expressément exclu de la compétence de la Cour les différends pour lesquels

d’autres procédures ont été convenues. Dès lors, la seule base de juridiction obligatoire possible

pour un différend relatif à la CNUDM auquel le Kenya est partie est la partie XV de cette

convention et non le paragraphe 2 de l’article 36 du Statut.

17. La Somalie reconnaît expressément que la partie XV de la CNUDM prévoit des

procédures de règlement des différends en matière de délimitation maritime. Mais elle soutient, en

141
se contentant d’invoquer l’article 282 , que ces procédures ne sont pas applicables en

l’espèce  or j’ai déjà expliqué pourquoi cet article était inapplicable. En effet, la partie XV est

opposable aux deux Etats. Il existe donc des procédures convenues autres que la saisine de la

Cour, et la réserve que comporte la déclaration faite par le Kenya en vertu de la clause facultative

est applicable au présent différend. Il serait peut-être utile à la Cour que je résume très brièvement

les procédures qui seraient applicables au titre de la partie XV.

18. La section 1 de la partie XV présente le régime général du règlement des différends

relatifs à la CNUDM. L’article 279 impose aux parties d’en «rechercher la solution par les moyens

indiqués à l’Article 33, paragraphe 1, de la Charte». Au nombre de ceux-ci figure la négociation,

moyen que prévoit également le mémorandum d’accord de 2009.

19. L’article 280 répète qu’aucune disposition de la partie XV «n’affecte le droit des Etats

Parties de convenir à tout moment de régler [un différend] par tout moyen pacifique de leur choix».

La négociation, telle qu’elle est prévue dans le mémorandum d’accord de 2009, constitue encore

142
une fois l’un de ces moyens .

20. Si les parties sont convenues d’une procédure non contraignante, comme la négociation,

l’article 281 donne priorité à cette procédure sur les modes de règlement des différends prévus à la

partie XV. Nous estimons donc que, même au regard de la CNUDM, le mémorandum d’accord

prévaudrait. Ce n’est que lorsqu’aucun règlement n’intervient dans un délai convenu que l’une ou

60 l’autre des parties peut recourir aux autres procédures énumérées à la section 2 de la partie XV.

Enfin, dans la section 1, l’article 282 donne priorité aux accords qui permettent de régler un

141EES, par. 3.80 à 3.86.

142 Norquist, Rosenne and Sohn (eds.), UNCLOS 1982: A commentary (Nijhoff, 1989), vol. V, p. 20 :
«[l]’article 280 vise à établir le plus clairement possible que les parties à un différend sont entièrement maîtres de la
procédure qu’elles choisissent pour régler celui-ci». [Traduction du Greffe]. - 55 -

différend selon une autre procédure aboutissant à une décision obligatoire, mais, comme je l’ai déjà

expliqué, il n’existe aucun accord de ce type en l’espèce.

21. Si les procédures visées à la section 1 ne permettent pas de régler le différend, les

dispositions de la section 2, qui prévoient des procédures contraignantes, s’appliquent.

L’article 286 est impératif. Il impose que le différend soit réglé selon l’une des procédures prévues

par la CNUDM qui aboutissent à une décision obligatoire : «tout différend … est soumis, à la

demande d’une partie au différend, à la cour ou au tribunal ayant compétence en vertu de la

présente section.»

22. La juridiction compétente pour connaître du différend est l’une de celles, au nombre de

quatre, qui sont énumérées à l’article 287. Il est loisible à chacune des parties de faire une

déclaration par laquelle elle choisit l’une de ces juridictions. Mais si les parties se sont abstenues

de faire de telles déclarations, ou si celles-ci ne convergent pas, la disposition décisive du

paragraphe 3 de l’article 287 s’applique : «les parties sont réputées avoir accepté la procédure

d’arbitrage prévue à l’annexe VII de la convention» . 143

23. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, la partie XV de la CNUDM

prévoit clairement un régime complet de règlement des différends qui couvre celui faisant l’objet

de la présente instance. Ce régime correspond manifestement dans le champ d’application de la

réserve dont le Kenya a assorti sa déclaration au titre de la clause facultative. Il ne confère donc

nullement compétence à la Cour en l’espèce.

24. Avant de conclure, j’examinerai très brièvement plusieurs allégations de la Somalie

concernant le mémorandum d’accord, selon lesquelles l’interprétation de cet instrument par le

Kenya est «incompatible avec … la convention» . 144

25. Premièrement, la Somalie dit que le règlement des différends selon une procédure

aboutissant à une décision obligatoire est la «règle par défaut» prévue à la section 2 de la

partie XV , or, pour toutes les raisons que je viens d’exposer, il est parfaitement évident que la

partie XV ne saurait fonder la compétence de la Cour en l’espèce. Sa section 2 ne conférerait

143Arbitrage relatif à la mer de chine méridionale (la République des Philippines c. La République populaire de
Chine), CPA, 2016, par. 109 ; CNUDM, art. 287 3).

144EES, par. 3.48 et 3.53.
145
Ibid., par. 3.50. - 56 -

juridiction obligatoire à la Cour que si les deux Parties avaient fait des déclarations en application

de l’article 287 pour désigner la CIJ comme la juridiction de leur choix. Elles n’en ont rien fait.

61 26. La Somalie allègue ensuite que la CNUDM «préconise le règlement rapide des

différends, si nécessaire au moyen d’une procédure aboutissant à une décision obligatoire, et ne

permet l’exclusion des procédures judiciaire ou arbitrale que lorsque les Etats concernés en sont

146
convenus de manière claire et dépourvue d’ambiguïté» . Elle reconnaît que l’article 281 permet

aux parties de se soustraire aux procédures de ce type , mais soutient que l’avant-dernier

paragraphe du mémorandum d’accord n’exclut pas un mode de règlement contraignant. Il s’agit,

dit-elle, «d’une simple réaffirmation d[u] … paragraphe 1 de l’article 74 et [du] paragraphe 1 de

148
l’article 83 [de la CNUDM]» .

27. Or, cette thèse revient à faire dire à l’article 281 autre chose que ce qu’il veut dire. Point

n’était besoin, dans le mémorandum d’accord, d’exclure le recours à un mode de règlement

contraignant pour y privilégier la conclusion d’un accord visant à négocier une frontière.

L’article 281 suffit à cet effet.

28. Troisièmement, le paragraphe 2 de l’article 281 de la CNUDM stipule que «[s]i les

parties sont également convenues d’un délai», les procédures aboutissant à une décision obligatoire

prévues à la partie XV «ne s’applique[nt] qu’à compter de l’expiration de ce délai». Monsieur le

président, comme cela a déjà été dit, le délai dans lequel la Commission des limites du plateau

continental doit procéder à l’examen des demandes et faire ses recommandations n’a pas encore

expiré.

29. Enfin, je relève que Mme Makena a fait remarquer, à propos des autres négociations

prévues par les articles 74, 83 ou 283 de la CNUDM, que, quel que soit l’article considéré, elles

149
n’avaient tout simplement pas encore été engagées .

146Ibid., par. 3.53.
147
Ibid., par. 3.51 : «[i]l est vrai que l’article 281 permet aux Etats de se soustraire par accord aux procédures
aboutissant à une décision obligatoire. Encore faut-il, toutefois, que l’accord exclue toute procédure autre que celle
adoptée par les Parties et contienne une stipulation claire à cet effet».
148Ibid., par. 3.53.

149CNUDM, art. 74 2) et 83 2). Arbitrage relatif à la mer de chine méridionale (la République des Philippines
c. La République populaire de Chine), CPA, 2016, par. 344 à 352 ; Plateau continental de la mer du Nord (République
fédérale d’Allemagne/Danemark) (République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 46 à 48,
par. 83 à 87 ; Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni c. Islande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 31 et 32,
par. 73 à 75. - 57 -

30. Ainsi, invoquer la partie XV pour réinterpréter le mémorandum d’accord ne conduit la

Somalie nulle part. Au contraire, cela nous confirme que la Cour n’est pas compétente. Le point

essentiel est très simple. Un accord visant à fixer une frontière par voie de négociation une fois que

la Commission des limites du plateau continental aura fait ses recommandations n’est

manifestement pas un accord visant à soumettre un différend à la Cour pour qu’il soit réglé

immédiatement par une décision obligatoire. Et il n’est nullement besoin d’en dire davantage..

31. Monsieur le président, j’en viens à ma conclusion. Les Parties conviennent que les

procédures prévues à la partie XV constituent des modes de règlement des différends relatifs à la

CNUDM. A ce titre, elles relèvent nécessairement de la réserve dont est assortie la déclaration

62 faite par le Kenya en vertu de la clause facultative. Le seul argument que la Somalie oppose à cela

tient dans la «convergen[ce]» des déclarations faites par les Parties au titre du paragraphe 2 de

l’article 36 du Statut. Mais, pour toutes les raisons que nous avons déjà exposées, ces déclarations

ne sont, en réalité, pas «convergentes». Dès lors, l’article 282 ne saurait confirmer une quelconque

juridiction obligatoire. La tentative faite par la Somalie de réinterpréter le mémorandum d’accord

ne sert aucunement sa cause. Même si on faisait entièrement abstraction du mémorandum, et c’est

le point crucial de mon intervention de ce matin, la partie XV de la CNUDM fournirait en soi à la

Cour une raison manifeste et impérieuse de constater que la réserve dont est assortie la déclaration

faite par le Kenya en vertu de la clause facultative s’applique en l’espèce, et donc de rejeter la

présente affaire.

32. Monsieur le président, je vous serais obligé de bien vouloir donner à présent la parole à

M. Lowe.

The PRESIDENT: Thank you. I now give the floor to Professor Lowe. Professor, given

that Kenya’s representatives were only able to start their presentations this morning a few minutes

after the beginning of this sitting, you may, if you wish and if you need to, continue a little beyond

1 p.m. I trust that should be able to finish your presentation around 1.05 p.m. - 58 -

M. LOWE :

L A RÉSERVE FAITE PAR LE K ENYA EN VERTU DU PARAGRAPHE 2 DE L ARTICLE 36

I. Introduction

1. Je vous remercie, Monsieur le président. Ce sera très bien ainsi. C’est pour moi un

privilège de comparaître devant la Cour, et un honneur de vous présenter cette partie des plaidoiries

du Kenya. Par considération pour les interprètes, cependant, je la raccourcirai quelque peu aux

passages les moins nécessaires. Il me revient de clore l’exposé du Kenya et de résumer les raisons

pour lesquelles la requête de la Somalie tombe sans conteste sous le coup de la réserve dont le

Kenya a assorti sa déclaration d’acceptation de la juridiction de la Cour. En l’absence de

consentement mutuel des Parties à cette juridiction, la demande doit être rejetée.

2. Ainsi que l’a dit la Cour dans l’affaire de la Compétence en matière de pêcheries, les Etats
63

peuvent formuler des réserves excluant sa compétence pour des motifs divers, et ont le droit

d’invoquer ces réserves, et de lui demander de les appliquer indépendamment des arguments

relatifs au fond de la demande .0

3. Dans la même affaire, la Cour a précisé qu’il appartient à chaque Etat, lorsqu'il formule sa

déclaration, de décider des limites qu'il assigne à l’acceptation de sa juridiction, celle-ci

«n'exist[ant] que dans les termes où elle a été acceptée», et que

«[l]es conditions ou réserves, de par leur libellé, n’ont … pas pour effet de déroger à
une acceptation de caractère plus large déjà donnée. Elles servent plutôt à déterminer

l'étendue de l’acceptation par 1’Etat de la juridiction oblig151ire de la Cour ; il n’existe
donc aucune raison d’en donner une interprétation restrictive.»

II. La déclaration faite par le Kenya en vertu du paragraphe 2 de l’article 36

du Statut de la Cour

4. Le Kenya a fait la déclaration prévue à l’article 36 le 19 avril 1965, soit un quart de siècle

avant de devenir lié par la CNUDM et par le mémorandum d’accord de 2009. Le passage pertinent

de cette déclaration se lit comme suit :

15Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998,
p. 455-456, par. 54-56.

15Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998,
p. 453, par. 44. - 59 -

«le Gouvernement de la République du Kenya … accepte … comme obligatoire de
plein droit et sans convention spéciale, la juridiction de la Cour sur tous les différends
nés après le 12 décembre 1963 concernant des situations ou des faits postérieurs à
cette date, autres que :

1. Les différends au sujet desquels les parties en cause auraient convenu ou
conviendraient d'avoir recours à un autre mode ou à d'autres modes de
règlement ; … » 152

5. La réserve du Kenya ne fixe aucune limite aux modes de règlement auxquels les parties en

cause peuvent convenir d’avoir recours, et elle est à cet égard d’une portée étonnament plus large

que celle qui est proposée comme modèle au paragraphe 29 du Guide pratique sur la

reconnaissance de la compétence de la Cour . L’on pourrait dire, pour reprendre les termes de

l’article 33 de la Charte des Nations Unies, que la réserve exclut de la compétence de la Cour les

64 différends au sujet desquels les parties en cause auraient convenu ou conviendraient d'avoir recours

à des modes de règlement tels que la négociation, l’enquête, la médiation, la conciliation,

l’arbitrage, ou le règlement judiciaire autre que la saisine de la Cour, ou le recours aux organismes

ou accords régionaux, ou tout autre moyen pacifique de leur choix.

6. Dans son sens ordinaire, la réserve du Kenya signifie que si les Parties ont convenu, par

un quelconque accord, d’avoir recours à un ou plusieurs modes de règlement autres que la saisine

de la Cour pour trancher le différend relatif à leurs frontières maritimes, ledit accord fait jouer la

réserve, et la Cour, malgré tout le respect qui lui est dû, n’a pas compétence pour régler ce

différend.

7. Or, le Kenya fait valoir que la Somalie et lui-même sont liés par deux accords de cette

sorte.

III. Le mémorandum d’accord du 7 avril 2009

8. Le premier de ces accords est le mémorandum du 7 avril 2009. MM. Forteau et Khan

vous en ont parlé. Il s’agit d’un document écrit, enregistré auprès de l’Organisation des

Nations Unies en tant que traité. Il n’a pas été soumis à ratification ni à d’autres formalités ; il est

entré en vigueur dès sa signature. Il n’y a pas été mis fin au sens du droit des traités. Il était, et il

152Déclaration faite par le Kenya en vertu de la clause facultative prévue au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut
de la Cour, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 531, p. 113 (1965).

153 Guide pratique sur la reconnaissance de la compétence de la Cour internationale de Justice : modèles de
clauses et formulations-types, p. 12-39. - 60 -

est toujours, juridiquement contraignant. Et les tentatives entreprises a posteriori par la Somalie

pour le priver de ses effets sont dénuées de fondement en droit.

9. La Somalie a renoncé à prétendre que le mémorandum n’avait aucune valeur juridique ; la

nouvelle pomme de discorde semble porter sur le point de savoir si, par cet accord, les Parties ont

convenu de recourir «à un autre mode ou à d’autres modes de règlement» pour trancher le différend

relatif à leurs frontières maritimes, au sens de la réserve du Kenya.

10. L’expression «mode ou autres modes» doit s’entendre dans son sens ordinaire. Le terme

«mode» est défini, dans le dictionnaire, comme une procédure ou un processus permettant

d’atteindre un objectif, une manière d’aborder une tâche ou de s’en acquitter. Il n’y a pas là

matière à controverse. En droit international, on peut employer indifféremment, s’agissant du

règlement d’un différend, les termes «mode», «méthode», «moyen» et «procédure», comme on

peut le voir, par exemple, dans le Manuel sur le règlement pacifique des différends entre Etats,

publié par l’Organisation des Nations Unies en 1992 . 154

11. Or, le «mode» prévu dans le mémorandum d’accord consiste, pour les deux Etats en

cause, à saisir d’abord la Commission des limites, puis à obtenir de celle-ci des recommandations

65 sur les limites extérieures du plateau continental dans la zone à délimiter, et, enfin, à négocier

ensemble une frontière maritime convenue :

«La délimitation des frontières maritimes dans la zone en litige … fera l’objet
d’un accord entre les deux Etats côtiers sur la base du droit international après que la

Commission aura achevé l’examen des communications séparées effectuée155ar
chacun des deux Etats côtiers et formulé ses recommandations…»

Le sens de cette déclaration ne fait aucun doute.

12. Cela ne signifie pas qu’il ne peut y avoir de discussions au sujet des frontières maritimes

avant que la Commission ne rende sa décision — de telles discussions ont de fait eu lieu. Mais,

selon la procédure sur laquelle ils se sont entendus, le Kenya et la Somalie ne peuvent

154http://www.un.org/law/books/HandbookOnPSD.pdf. Pour des exemples de l’emploi de ces termes de manière

interchangeable, voir notamment par. 135, 140-143.

155Mémorandum d’accord entre le Kenya et la Somalie, Recueil des traités des Nations Unies, vol. 2599 (2009),
p. 38. - 61 -

véritablement négocier en vue de convenir d’une frontière qu’après que la Commission a formulé

ses recommandations au sujet de leurs demandes respectives.

13. Vous constaterez que la dimension temporelle manifeste — l’obligation d’attendre que la

Commission ait formulé ses recommandations pour procéder à la fixation définitive de la frontière

convenue — fait partie intégrante de la procédure agréée.

14. La Somalie reconnaît, dans son exposé écrit, que la négociation d’une frontière est un

«mode» de règlement des différends : elle dit, au paragraphe 3.72, que les négociations «ne sont
156
qu’une solution parmi d’autres» .

15. Mais elle ajoute que ce n’est pas un mode exclusif de règlement des différends. Or,

M. Akhavan vous a expliqué que ce qui importe au regard de la réserve du Kenya, ce n’est pas que

les Parties se soient mises d’accord sur un mode exclusif de règlement des différends, mais qu’elles

aient convenu d’avoir recours à «un autre mode ou à d’autres modes de règlement», autres que la

saisine de la Cour.

16. M. Akhavan a également réfuté l’argument selon lequel cela signifierait que seules

d’autres frontières maritimes échapperaient à la compétence de la Cour. Il a expliqué que le

mémorandum avait été rédigé pour la Somalie, compte tenu des préoccupations exprimées par le

Kenya concernant la sécurité et l’application du droit le long de la frontière maritime dans la mer

territoriale et la zone contiguë, ainsi que dans la zone du plateau continental et la ZEE. Ces

inquiétudes portaient sur l’ensemble des espaces maritimes, depuis la côte jusqu’aux limites

extérieures du plateau continental. C’est à cela que répondait le mémorandum. Il y est fait

référence à des «frontières» maritimes, au pluriel, ainsi qu’à «la zone en litige… y compris… [le]

plateau continental».

66 17. Que dire de plus ? Le mémorandum constitue un accord sur un mode de règlement du

différend relatif à la délimitation des frontières maritimes entre le Kenya et la Somalie. Il prévoit

que la Commission des limites formule ses recommandations, puis que le Kenya et la Somalie

négocient leurs frontières. Ce mode de règlement agréé entre sans conteste dans les prévisions de

la réserve du Kenya, et la requête de la Somalie échappe par conséquent à la compétence de la

156
EES, 5 février 2016, par. 3.72. - 62 -

Cour. Le Kenya n’a pas reconnu cette compétence à l’égard de ce différend-là, et fait

respectueusement valoir que la Cour ne saurait donc se prononcer en la matière.

IV. La partie XV de la CNUDM

18. Le deuxième accord qui lie le Kenya et la Somalie est la CNUDM.

19. Quand bien même il n’y aurait pas de mémorandum d’accord, la Somalie et le Kenya

n’en seraient pas moins tous deux liés par la CNUDM. M. Boyle vous a présenté les dispositions

pertinentes de cette convention. Les différends relatifs aux frontières maritimes sont soumis aux

procédures obligatoires de règlement des différends prévues dans la partie XV de la CNUDM,

conformément aux articles 279 et 286 de cet instrument. Nous sommes donc en présence d’un

différend «au sujet [duquel] les parties en cause auraient convenu … d’avoir recours à un autre

mode ou à d’autres modes de règlement» — en l’espèce, ceux énoncés dans la partie XV —, pour

reprendre la formulation employée dans la réserve du Kenya.

20. Selon l’article 280 de la CNUDM, les Etats Parties peuvent choisir eux-mêmes un moyen

de règlement des différends ; et l’article 281 précise que lorsqu’ils ont ainsi convenu d’un mode de

règlement, les procédures prévues dans la partie XV ne s’appliquent que si le mode convenu n’a

pas permis d’aboutir à un règlement et si l’accord n’exclut pas la possibilité d’engager une autre

procédure.

21. L’article 282 dispose quant à lui que si les parties à un différend ont convenu d’une

procédure aboutissant à une décision obligatoire, cette procédure s’applique au lieu des dispositions

de la partie XV, ce qui amène la Somalie à laisser entendre que les Parties ont, en quelque sorte,

«convenu» de soumettre leurs différends à la Cour ; mais, comme M. Boyle l’a montré, un tel

accord n’existe pas : la Somalie et le Kenya n’ont pas fait de «déclarations d’acceptation

convergentes» .157

22. La logique est implacable. Soit le mémorandum est un accord de cette sorte sur le

règlement des différends entre les Parties, soit il ne l’est pas. Si, comme l’affirme le Kenya, il

67 constitue bel et bien un tel accord, alors il doit être appliqué ; et c’est ce texte qui fait obstacle à la

157
EES, 5 février 2016, par. 3.75. - 63 -

compétence de la Cour à l’égard du différend, par l’effet de la réserve kenyane, conformément aux

articles 280 et 281 de la CNUDM.

23. En revanche, si le mémorandum n’est pas un accord au sens desdits articles, alors il ne

peut faire obstacle à l’application des dispositions de la partie XV de cette convention. Les

procédures prévues dans cette partie, reconnues par le Kenya comme par la Somalie et

contraignantes pour ces deux Etats, seraient par conséquent applicables au présent différend, et

c’est alors la CNUDM qui ferait obstacle à la compétence de la Cour à l’égard de celui-ci, par

l’effet de la réserve dont le Kenya a assorti sa déclaration.

M. Boyle a souligné que l’article 286 de la CNUDM était d’application obligatoire. Il y est

dit que tout différend relatif à l’interprétation ou à l’application de la convention n’ayant pas été

réglé est soumis «à la cour ou au tribunal ayant compétence en vertu de la … section [2 de la

partie XV]».

24. Le Kenya et la Somalie auraient pu, à cet effet, choisir la Cour, qui serait alors devenue

la «cour ayant compétence», pour autant que les deux Etats aient fait une déclaration en ce sens

conformément à l’article 287. Mais l’un comme l’autre ont décidé de ne pas reconnaître la

compétence de la Cour à l’égard des différends visés à la partie XV de la CNUDM, et de porter de

tels différends devant d’autres instances.

25. Les deux Etats ont convenu d’avoir recours à un mode de règlement autre que la saisine

de la Cour parce que la partie XV de la CNUDM entre sans conteste dans les prévisions de la

réserve dont le Kenya a assorti sa déclaration d’acceptation de la juridiction de la Cour.

V. Conclusion

26. La conclusion est donc la suivante : soit, comme l’affirme le Kenya, la compétence de la

Cour est exclue du fait de la procédure convenue dans le mémorandum d’accord ; soit, à supposer

que pour une raison ou pour une autre tel ne soit pas le cas, elle est exclue du fait de la procédure

convenue dans la partie XV de la CNUDM. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la

Cour, ces audiences n’ont été nécessaires que parce que la Somalie, dans sa requête, a fait fi des

accords qu’elle avait conclus pour le règlement des différends relatifs à sa frontière maritime avec

le Kenya. Or la Somalie n’a pas le droit de faire fi de ces accords. Le Kenya est fondé à invoquer - 64 -

les termes de sa déclaration d’acceptation de la juridiction de la Cour, et c’est ce qu’il fait. Et il

suivra la procédure convenue pour le règlement du présent différend, procédure qui, comme la

Somalie en a déjà convenu, se déroule en dehors de l’enceinte de la Cour.

68 27. A moins que je ne puisse vous être encore utile, Monsieur le président, ainsi s’achèvent

ma présentation et le premier tour de plaidoiries du Kenya.

The PRESIDENT: Thank you, Professor. That does indeed bring Kenya’s first round of

oral argument to an end. The Court will meet again tomorrow, Tuesday, at 10 a.m., to hear

Somalia’s first round of oral argument.

The Court rose at 1.05 p.m.

___________

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