Traduction
Translation
CR 2016/7
Lundi 14 mars 2016 à 15 heures
Monday 14 March 2016 at 3 p.m. - 2 -
8 The PRESIDENT: Please be seated. The sitting is open. The Court meets this afternoon to
hear the United Kingdom’s second round of oral argument in the case of Obligations concerning
Negotiations relating to Cessation of the Nuclear Arms Race and to Nuclear Disarmament
(Marshall Islands v. United Kingdom).
I now give the floor to Sir Daniel Bethlehem. You have the floor, Sir.
Sir Daniel BETHLEHEM :
I. Introduction
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, il y a quelque chose de
surréaliste dans la manière dont les affaires parallèles soumises à la Cour se recoupent.
Conformément à vos instructions, Monsieur le président, notre second tour de plaidoiries sera
consacré aux questions soulevées par les Iles Marshall dans leur exposé de vendredi. Je pense que
nous parlerons, en tout, pendant un peu plus d’une heure. Mon exposé durera environ
quarante minutes ; viendront ensuite à la barre M. Verdirame, puis Mme Wells. L’agent du
Royaume-Uni, M. Macleod, conclura nos plaidoiries en présentant les conclusions formelles du
Royaume-Uni. Au cours de mon exposé, Monsieur le président, je répondrai également à la
question posée par M. le juge Bennouna.
2. Mon exposé s’articulera en trois parties. Je commencerai par quelques observations
liminaires sur l’affaire qui vous a été soumise et le contexte plus général dans lequel elle s’inscrit
(section II). Je m’intéresserai ensuite au différend prétendument susceptible de faire l’objet d’un
règlement judiciaire et dont les Iles Marshall cherchent à saisir la Cour, puis examinerai les
arguments avancés par leurs conseils (section III). Je me pencherai enfin sur la question de la
fonction judiciaire, ainsi que l’idée, suggérée par le demandeur, que notre argumentation
emporterait une sorte de menace (section IV) ; je montrerai que ce n’est pas le cas.
II. Observations liminaires
3. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, à l’ouverture de la présentation
de nos moyens, mercredi dernier, j’ai fait observer que, dans cette affaire, le chagrin l’emportait sur
la colère. Il n’y a en l’occurrence pas d’acrimonie entre le Royaume-Uni et les Iles Marshall. - 3 -
Nous reconnaissons et respectons leur intérêt particulier pour les questions qu’elles visent à porter
devant la Cour, intérêt qui tire son origine d’un héritage historique qu’elles n’ont pas choisi et dont
9 les conséquences révoltent tout le monde. Nous ne souhaitons pas nous opposer à elles. Parmi les
personnes présentes aujourd’hui dans la grande salle de justice, certaines, dont moi, se trouvaient
devant la Cour dans la matinée du mardi 14 novembre 1995, lorsque les Iles Marshall ont présenté
1
leurs arguments dans la procédure consultative relative aux Armes nucléaires . Outre leur conseil,
M. Kronmiller, qui a examiné, sur le plan juridique, les suites qu’ont eues les 67 essais nucléaires
réalisés sur leur territoire et qu’elles devaient subir au quotidien, les Iles Marshall ont fait
témoigner Mme Lijon Eknilang, membre du conseil municipal de l’atoll de Rongelap, qui a
évoqué, avec calme et dignité, les terribles répercussions que les essais atmosphériques avaient
eues sur sa vie et celle des Marshallais. Son témoignage était des plus poignants, tout comme ceux
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qu’avaient faits les maires d’Hiroshima et de Nagasaki quelques jours auparavant . Quiconque a
entendu ou lu ce témoignage, ou connu les effets du recours aux armes nucléaires, que ce soit à des
fins belliqueuses ou expérimentales, ne peut que souscrire à l’obligation, énoncée à l’article VI du
TNP, de poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures concrètes de désarmement
nucléaire, et avoir à cœur que cette obligation soit pleinement observée. Ce n’est pas anticiper sur
l’examen au fond que de dire que le Royaume-Uni a toujours expressément reconnu l’impératif
énoncé à l’article VI du TNP et qu’il a agi et continue d’agir pour atteindre l’objectif qui y est fixé.
Je reviendrai sur ce point ultérieurement, lorsque je répondrai à la question posée par le
juge Bennouna.
4. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ces observations visent à
souligner que nous prenons la demande des Iles Marshall au sérieux et que nous ne voudrions pas
que les exceptions d’incompétence et d’irrecevabilité que nous avons formulées soient considérées
comme une marque de dédain ou d’indifférence pour les questions soulevées. Il n’y a aucun
mépris de notre part et nous ne minimisons nullement la gravité de celles-ci. Les exceptions
d’incompétence et d’irrecevabilité ne sont pas motivées par le refus du Royaume-Uni de se
considérer comme lié par les obligations énoncées par l’article VI du TNP ou même tenu à une
1
CR 1995/32, p. 18 et suiv.
2CR 1995/27, p. 22 et suiv. - 4 -
responsabilité particulière au titre de ce traité en tant qu’Etat partie doté d’armes nucléaires. Car tel
est bien le cas et nous ne cherchons pas à nous y dérober ni à en minorer la portée. Cela ne change
toutefois rien au fait que, en droit, la Cour n’a pas compétence pour connaître de cette affaire et que
la requête n’est pas recevable.
5. Les Iles Marshall ont souligné que tous les Etats étaient égaux devant la Cour, quelles que
soient leur puissance ou leur population. Nous nous en félicitons. C’est ce que le veut le droit et
10 c’est ainsi que nous, les Parties, nous trouvons à la barre pour nous adresser à une autorité
supérieure. Mais s’il y a égalité en droit et devant la Cour, il y a aussi égalité dans l’application du
droit. La douloureuse expérience des Iles Marshall ne lui confère pas de droit exceptionnel pour
saisir la Cour alors que celle-ci n’est par ailleurs pas compétente. Aussi nobles que soient les
intérêts que le demandeur s’efforce de défendre, ils n’ont pas pour effet de soustraire sa demande à
un examen aussi rigoureux que si elle avait été formulée par les Etats-Unis d’Amérique. La charge
émotive qui s’y rattache ne suffit pas pour donner à la Cour le pouvoir d’accorder, dans l’exercice
de sa fonction judiciaire, les remèdes sollicités.
6. Les exposés faits par MM. deBrum et van den Biesen vendredi dernier avaient trait, en
grande partie, au fond de la demande. Nous ne nous laisserons pas entraîner sur ce terrain.
M. deBrum, décrivant l’horreur que peut inspirer un ciel couleur de sang, a essayé de nous
discréditer en nous reprochant de soutenir qu’il s’agissait là de «questions politiques» et que c’était
la raison pour laquelle la Cour n’avait pas compétence . Or ce n’est pas notre position. Nulle part
dans nos exposés nous n’avançons d’argument relatif à l’exception politique. Ce sont les
Iles Marshall qui prennent des libertés avec la fonction de la Cour. Notre argumentation est fondée
sur le droit, et c’est ainsi que nous la présentons à la Cour, dans le respect du principe de l’égalité
entre les Parties.
III. Il n’existe pas de différend susceptible de faire l’objet d’un règlement judiciaire
et sur lequel la Cour aurait compétence
7. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’en viens à présent à la
question du différend allégué par les Iles Marshall et au point de savoir si celui-ci peut faire l’objet
3 CR 2016/5, p. 12, par. 25 (deBrum). - 5 -
d’un règlement judiciaire. Ces aspects ont été traités par M. Condorelli, dont l’argumentation
repose sur deux piliers ; premièrement, la possibilité d’invoquer légitimement le comportement
postérieur au dépôt de la requête pour cristalliser un différend dont l’existence n’était peut-être
alors pas évidente ; et, deuxièmement, l’absence, dans la Charte ou le Statut, de toute exigence de
notification préalable. Dans ce contexte, il a affirmé que le dépôt d’une requête était l’un des
moyens par lequel un Etat lésé pouvait dénoncer la responsabilité d’un autre Etat, ce dépôt ayant
4
pour effet, en tant que tel, aussi bien de notifier que de cristalliser le différend . Cet argument a son
importance, car il s’écarte de celui sur lequel les Iles Marshall s’étaient fondées jusqu’alors, à
11 savoir qu’elles avaient bel et bien notifié au préalable le différend au Royaume-Uni et qu’il
convenait donc de considérer ce dernier comme ayant été dûment informé de leur grief avant le
dépôt de la requête, sur la foi de la déclaration qu’elles avaient faite en février 2014 à la conférence
de Nayarit. Je n’en dirai pas davantage à ce sujet et répondrai maintenant à l’argumentation ainsi
reformulée.
8. La théorie de M. Condorelli présente un certain nombre de caractéristiques notables qui
découlent des lacunes dont est entachée l’argumentation des Iles Marshall. Nous ne lui en tenons
pas rigueur, sa sagacité lui ayant permis d’aller aussi loin qu’il le pouvait, sans toutefois toucher au
but.
9. S’il a ainsi évoqué l’affaire Croatie c. Serbie, c’était uniquement pour en contester la
pertinence. Il n’a toutefois donné aucune explication à cet égard, se contentant d’avancer que le
comportement postérieur au dépôt d’une requête pouvait être pris en considération afin de
déterminer l’existence d’un différend. Hormis le dépôt proprement dit de la requête, il a cependant
été bien en peine de citer un quelconque comportement ultérieur à l’appui de son argument.
10. En l’affaire Croatie c. Serbie, la Cour s’est penchée sur les exceptions au principe
voulant que l’existence d’un différend et, partant, la compétence soient examinées à la date du
dépôt de la requête, mais aucune de ces exceptions ne trouve à s’appliquer en l’espèce. Qui plus
est, comme la Cour l’a relevé dans son arrêt, c’est pour des raisons de bonne administration de la
justice que cette règle a été établie. Sans celle-ci, la compétence de la Cour ne pourrait jamais être
4 CR 2016/5, p. 23-24, par. 11-12 (Condorelli). - 6 -
remise en cause sur la base de l’absence de différend, ce qui encouragerait les Etats à déposer des
requêtes prématurées et ouvrirait la voie aux actions collusoires, transformant ainsi la compétence
contentieuse de la Cour en compétence consultative. Rien n’empêcherait alors les Iles Marshall
d’introduire une demande collusoire «contre» quelque Etat tiers favorable à leur cause dans le but
précis d’obtenir un jugement déclaratoire de l’ordre de celui qu’elles prient actuellement à la Cour
de rendre à l’encontre du Royaume-Uni, afin de créer un précédent. Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs de la Cour, dans leur empressement à plaider leur cause au fond, les
Iles Marshall prennent des libertés avec la procédure et la compétence de la Cour.
11. Il en va de même de la question de la notification préalable. Après s’être référé à
l’article 43 des articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat, le conseil des Iles Marshall a en
effet répété le passage des commentaires que le demandeur avait cité dans son exposé écrit et selon
lequel l’article en cause ne concernait ni la compétence ni la recevabilité. Il n’a toutefois jamais
précisé, pas même dans la note de bas de page qu’il a insérée dans la transcription de son exposé,
que la citation sur laquelle il se fondait était en réalité tirée du commentaire afférent à l’article 44,
12 et non à l’article 43 . Il n’a pas non plus répondu, de quelque manière que ce soit, à l’argument que
6
nous avions soulevé sur cette même question lors de nos plaidoiries de mercredi dernier . Il n’a
évoqué ni l’affaire Nauru c. Australie ni le troisième rapport du rapporteur spécial de la CDI, pas
plus qu’il n’a fait cas de l’analyse réalisée par Georges Abi Saab.
12. L’insuccès des Iles Marshall sur le plan de l’examen du droit ne s’est pas arrêté là.
Toujours en ce qui concerne la question de la notification préalable, M. Condorelli a ainsi passé
sous silence, vendredi dernier, les arrêts rendus par la Cour dans les affaires Géorgie c. Russie et
Belgique c. Sénégal. Ces deux arrêts ont pourtant confirmé l’exigence de la notification préalable,
qui y occupait une place importante. Au lieu de cela, les Iles Marshall ont répété ce qu’elles
avaient avancé dans leur exposé écrit, à savoir que, en l’affaire Cameroun c. Nigéria, la Cour avait
rejeté l’existence d’une règle exigeant la notification préalable de l’engagement d’une procédure,
appelant Shabtai Rosenne à leur rescousse sur ce point. Ainsi que le Royaume-Uni l’a relevé au
premier tour de plaidoiries, il y a toutefois une différence fondamentale entre la notification
5
CR 2016/5, p. 23, par. 10 (Condorelli).
6CR 2016/3, p. 24–25, par. 37. Voir également p. 20-21, par. 27-28 (Bethlehem). - 7 -
préalable de l’engagement d’une procédure et la notification préalable d’un grief en tant
qu’élément constitutif de la condition relative à l’existence d’un différend. C’est cette première
question que la Cour, en l’affaire Cameroun c. Nigéria, et Shabtai Rosenne ont traitée, jugeant que
le principe de bonne foi ne pouvait être invoqué pour établir l’existence d’une exigence de
notification préalable de l’engagement d’une procédure. L’affaire Nauru c. Australie, l’article 43
de la CDI, les affaires Géorgie c. Russie et Belgique c. Sénégal et l’analyse faite par
Georges Abi Saab, entre autres, portent en revanche tous sur le second point et enseignent que le
droit exige la notification préalable d’un grief en tant qu’élément constitutif de la condition relative
à l’existence d’un différend. Car, s’il n’existait pas de différend à la date du dépôt de la requête, la
Cour n’a pas compétence.
13. Cela étant, nous nous attendons à ce que les Iles Marshall soient tentées, au second tour
de plaidoiries qui se tiendra mercredi prochain, de se référer à l’affaire Belgique c. Sénégal pour en
nier la pertinence en ce qu’elle portait sur les termes des déclarations faites par les parties en vertu
de la clause facultative, qui exigeaient la négociation préalable. Nous avons cru comprendre que
telle était l’intention du conseil des Iles Marshall, mais alors il se fourvoierait, ainsi que le montrera
une lecture même très simple de l’arrêt.
14. Dans cette affaire, la Belgique avait en effet avancé deux bases de compétence, à savoir
le paragraphe 1 de l’article 30 de la convention contre la torture et, à titre distinct, les déclarations
faites par les parties en vertu de la clause facultative. Ces déclarations ne comportaient toutefois
aucune réserve quant à l’obligation de négociation préalable. La Cour n’a donc pas eu à se
13 préoccuper, dans le cadre de l’examen de sa compétence, de quelque stipulation concernant la
notification préalable, puisqu’il n’y en avait aucune.
15. La Cour a rejeté l’argument formulé par la Belgique concernant la compétence et
reposant sur ses allégations de violations du droit international coutumier, allégations qui ne
répondaient pas aux conditions de la convention contre la torture. Ce faisant, la Cour a dit ce qui
suit au paragraphe 54 de son arrêt :
«Du point de vue de la compétence de la Cour, ce qui importe est de savoir si, à
la date du dépôt de la requête, il existait entre les Parties un différend quant à
l’obligation, pour le Sénégal, de prendre, en vertu du droit international coutumier, des
mesures concernant les crimes précités, attribués à M. Habré. Au vu de la - 8 -
correspondance diplomatique échangée entre les Parties, qui a été examinée plus
haut … la Cour estime qu’un tel différend n’existait pas à cette date.»
16. Si le conseil des Iles Marshall s’avisait, mercredi, de nier la pertinence de l’arrêt rendu en
l’affaire Belgique c. Sénégal, il aurait tort. La pertinence de cet arrêt ne fait pas l’ombre d’un doute
et est même, à notre avis, décisive, car telle était notre compréhension et notre interprétation du
droit en date du 24 avril 2014, lors du dépôt de la requête des Iles Marshall.
17. Faute d’avoir pu trouver l’appui recherché dans la jurisprudence, le conseil des
Iles Marshall s’est rabattu, vendredi, sur l’argument voulant que rien dans la Charte ou le Statut
n’exige la notification préalable. Soit. Mais ni la Charte ni le Statut ne définit non plus ce que
signifie le terme «différend». Ces questions relèvent de la Cour et de sa jurisprudence, et le droit,
dont l’origine remonte au moins à 1992, était raisonnablement fixé depuis plusieurs années lorsque
les Iles Marshall ont déposé leur requête en l’espèce.
18. En outre, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ce que le droit
exigeait des Iles Marshall est on ne peut plus clair : il leur fallait informer le Royaume-Uni qu’elles
considéraient qu’il avait manqué aux obligations lui incombant au titre de l’article VI du TNP et,
parallèlement, au titre du droit coutumier, afin de lui donner la possibilité de répondre à ces
allégations. L’absence de réponse aurait cristallisé le différend et la Cour aurait alors pu être saisie
d’une requête introductive d’instance sans que celle-ci puisse être rejetée pour le motif
actuellement soulevé. Il s’agit là d’une exigence peu onéreuse, mais qui a toute son importance.
14 19. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je passerai maintenant à la
question adressée aux Parties par le juge Bennouna. Monsieur le juge Bennouna, vous nous avez
demandé de clarifier la position qui était la nôtre au 24 avril 2014 s’agissant de l’interprétation et
de l’application de l’article VI et de préciser dans quel contexte nous avions implicitement ou
explicitement adopté cette position.
20. L’obligation énoncée à l’article VI est la pierre angulaire du TNP. Nous avons à maintes
reprises reconnu non seulement que nous étions, comme les autres Etats parties, assujettis à cette
obligation, mais encore que, en tant qu’Etat partie doté de l’arme nucléaire, nous portions une
responsabilité particulière à cet égard. Dans la poursuite de l’impératif que constitue le
désarmement nucléaire, nous avons agi de notre propre initiative en réduisant sensiblement notre
arsenal, ainsi que les systèmes de lancement afférents. Nous avons aussi agi de concert avec - 9 -
d’autres Etats parties au TNP, qu’ils soient ou non dotés de l’arme nucléaire, afin de promouvoir le
désarmement nucléaire. Le document figurant à l’annexe 2 de nos observations écrites vaut la
peine d’être lu, ainsi que les autres rapports, documents et déclarations que le Royaume-Uni a émis
soit seul, soit conjointement avec d’autres Etats, et qui peuvent être trouvés facilement sur le site
des Nations Unies consacré aux différentes conférences d’examen du TNP et à leurs comités
7
préparatoires , dont on trouvera l’adresse Internet dans les notes du compte rendu des présentes
plaidoiries .
21. Au paragraphe 8 du dispositif de sa résolution 984 de 1995, le Conseil de sécurité, avec
l’appui du Royaume-Uni,
«[e]ngage[ait] tous les Etats à poursuivre de bonne foi, comme il est stipulé à
l’article VI du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, des négociations
sur des mesures efficaces relatives au désarmement nucléaire et sur un traité de
désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace, qui
demeure un objectif universel» . 9
Cet objectif et impératif a été réaffirmé au paragraphe 5 du dispositif de la résolution 1887 de 2009,
adoptée à l’unanimité au niveau des chefs d’Etat et de gouvernement, où le Conseil de sécurité
«[p]ri[ait] les Parties au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires à
s’engager, en vertu de l’article VI du Traité, à poursuivre de bonne foi des
négociations sur des mesures efficaces de réduction des armes nucléaires et de
désarmement nucléaire et sur un traité de désarmement général et complet sous un
15 contrôle international strict et efficace, et invit[ait] tous les autres États à se joindre à
cette entreprise» .0
Sous le titre «Engagement, lors du sommet historique du Conseil de sécurité, à relancer les efforts
en vue de mettre fin à la prolifération des armes nucléaires», le communiqué de presse émis par
l’Organisation des Nations Unies à l’occasion de l’adoption de la résolution résumait ainsi les
propos tenus par le premier ministre Gordon Brown :
7http://www.un.org/disarmament/WMD/Nuclear/NPT_Review_Conferences.shtml.
8
Voir, entre autres : Déclaration générale de l’ambassadeur Jo Adamson devant le Comité préparatoire de la
Conférence des parties chargée d’examiner le TNP, 30 avril 2012 (http://www.un.org/disarmament/
WMD/Nuclear/NPT2015/PrepCom2012/statements/20120430/PM/United_Kingdom.pdf), NPT/CONF.2015/PC.I/12,
9 mai 2012 ; http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=NPT/CONF.2015/PC.I/12&r… ;
NPT/CONF.2015/PC.III/15, 30 avril 2014 (https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N14/317/73/pdf/
N1431773.pdf?OpenElement ; NPT/CONF.2015/29 (https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N15/113/
79/pdf/N1511379.pdf?OpenElement).
9
https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N95/106/07/pdf/N9510607.p….
10https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N09/523/75/pdf/N0952375.p…. - 10 -
«En adoptant la résolution d’aujourd’hui, les Etats, qu’ils soient ou non dotés de
l’arme nucléaire, se sont engagés à débarrasser le monde de la menace des armes
nucléaires. L’heure est venue de renforcer l’accord global qui, sur la base des
obligations contractées par les Etats des deux catégories, sous-tend le Traité sur la
non-prolifération des armes nucléaires, en renouvelant notre engagement en faveur de
sa mise en œuvre et de la 11cherche de solutions aux difficultés techniques et de
principe qu’il soulève.»
22. Comme je l’ai mentionné, en tant qu’Etat partie au TNP et doté de l’arme nucléaire, le
Royaume-Uni reconnaît, comme il l’a rappelé expressément dans ses déclarations et rapports au
Comité préparatoire en vue de la Conférence d’examen du TNP de 2015, entre autres, qu’une
responsabilité particulière lui incombe dans le cadre des efforts à déployer en vue du désarmement
nucléaire . Dans une déclaration faite conjointement avec les autres puissances nucléaires le
3 mai 2012, nous avons réaffirmé
«que nous sommes résolus à exécuter les obligations qui nous incombent au titre de
l’article VI du Traité sur la non-prolifération … avec la détermination d’œuvrer
ensemble en faveur de la réalisation de notre objectif commun de désarmement
nucléaire énoncé à l’article VI, y compris en ce qui concerne les mesures énoncées
dans l’action 5 du plan d’action de la Conférence d’examen de 2010, ainsi que les
13
autres efforts préconisés dans le plan» .
23. Dans son rapport national publié par les Nations Unies le 30 avril 2014, le Royaume-Uni
a fait état, entre autres, d’une initiative prise conjointement avec la Norvège et concernant
l’élaboration de mesures efficaces en vue de contrôler le démantèlement des ogives nucléaires,
faisant remarquer qu’il s’agissait là à la fois d’une «condition préalable importante pour atteindre
les objectifs de l’article VI du Traité de non-prolifération nucléaire» et d’un «exemple des études
de pointe que mène le Royaume-Uni pour régler certains des problèmes techniques et
14
administratifs posés par la vérification efficace du démantèlement des ogives nucléaires» .
16 24. Au cours de mon exposé de mercredi dernier, j’ai cité un passage du rapport daté du
22 avril 2015 sur la mise en œuvre du plan d’action de la Conférence des parties chargées
15
d’examiner le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires en 2010 , dans lequel le
11
http://www.un.org/press/en/2009/sc9746.doc.htm.
12http://www.un.org/disarmament/WMD/Nuclear/NPT2015/PrepCom2012/statement… United_
Kingdom.pdf, par. 8 et suiv.
13 http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=NPT/CONF.2015/PC.I/12&r…,
par. 4.
14
http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=NPT/CONF.2015/PC.III/15…,
par. 13.
15
CR 2016/3, p. 12, par. 3. - 11 -
Royaume-Uni réaffirmait son engagement en faveur d’un monde exempt d’armes nucléaires
16
«conformément aux obligations qui lui incombent en vertu de l’Article VI du [TNP]» .
25. Le Royaume-Uni a à maintes reprises, sans la moindre hésitation ni la moindre réserve,
réaffirmé expressément les obligations et la responsabilité particulière qu’il assume sous le régime
de l’article VI. Nous avons rendu compte des mesures que nous avions prises en vue de la mise en
application de celui-ci. Nous avons agi et continuons d’agir dans la poursuite de la mission qu’il
énonce et nous avons fait face, dans nos rapports et déclarations, aux complexités qui jalonnent la
réalisation de son objectif.
The PRESIDENT: Sir Daniel, could I ask you to slow down a little. That will help the
interpreters. My apologies. Do please continue.
Sir Daniel BETHLEHEM :
26. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, Monsieur le juge Bennouna, il
m’est impossible de vous renvoyer vers un résumé clair exposant le détail de la position du
Royaume-Uni sur l’interprétation et l’application de l’article VI, car cette position varie selon les
questions. Les rapports, documents et déclarations dont j’ai fait état démontrent clairement notre
engagement au regard de l’article VI, exposent les embûches que pose sa mise en œuvre et
indiquent les mesures graduelles, mais importantes que nous, de concert avec d’autres, avons prises
et continuons de prendre à cette fin. Telle était notre position au 24 avril 2014, date à laquelle les
Iles Marshall ont déposé leur requête introductive d’instance.
27. M. le juge Bennouna a demandé que les Parties présentent leur position «respective» en
matière d’interprétation et d’application. Nous entendrons mercredi ce que les Iles Marshall ont à
dire à ce sujet, mais je m’en voudrais de passer à autre chose sans émettre quelques hypothèses sur
ce que nous attendons de leur part et mettre la Cour en garde sur la créance à donner à leurs propos.
28. Les Iles Marshall n’ont fait aucun cas des arrêts prononcés par la Cour dans les affaires
Géorgie c. Fédération de Russie et Belgique c. Sénégal, et n’ont invoqué aucun moyen sérieux par
rapport à l’arrêt rendu en l’affaire Nauru c. Australie ou à l’article 43 de la CDI. La raison en est
16http://www.un.org/en/ga/search/view_doc.asp?symbol=NPT/CONF.2015/29, par. 4. - 12 -
17 simple : après avoir mis en doute l’autorité du principe de la notification préalable de la demande,
elles n’avaient plus grand-chose à ajouter. De même, elles n’ont pas su répondre au principe
énoncé par la Cour dans l’affaire Croatie c. Serbie et dans l’abondante jurisprudence qui a précédé
celle-ci, selon lequel l’existence d’un différend doit être déterminée au moment du dépôt de la
requête. Là encore, la raison est évidente. Une fois qu’elles ont affirmé que le dépôt de la requête
avait pour effet, en soi, de cristalliser le différend, les Iles Marshall n’ont rien d’autre à dire. Mais
elles ont alors contre elles aussi bien la jurisprudence que la doctrine.
29. Il est à prévoir qu’elles se saisiront de la question de M. le juge Bennouna comme d’une
bouée de sauvetage, dans la mesure où elle leur permet d’accomplir ce qu’elles n’ont pas su faire
malgré les quatre occasions qui leur ont été fournies : la requête, le mémoire, l’exposé de leurs
observations et le premier tour de plaidoiries. Pour commencer, elles auront beau jeu, mercredi, de
dire : nous avons entendu lundi ce qu’a dit le Royaume-Uni au sujet de sa position au 24 avril 2014
sur l’interprétation et l’application de l’article VI et nous tenons à exprimer notre désaccord,
lequel est étayé sur tel ou tel énoncé de position, et peu importe que, lorsque nous avons manifesté
nos vues sur la question, nous ne nous adressions pas au Royaume-Uni. Il suffit que notre
divergence de vues ait été constatée publiquement.
30. Pareille théorie ne saurait suppléer à la cristallisation d’un différend ni satisfaire à
l’exigence que représente l’existence d’un différend. Pour que cette condition soit remplie,
l’élément essentiel réside dans l’existence, pour paraphraser Abi Saab, d’une forme ou une autre
d’échange ou de négociation entre les protagonistes. Dans l’affaire Géorgie c. Fédération de
Russie, le désaccord entre les parties était manifeste, mais la Cour n’était toutefois disposée à
conclure à l’existence d’un différend susceptible de faire l’objet d’un règlement judiciaire que sur
preuve d’une contestation explicite et directe entre les parties sur la question en litige.
31. Il en va de même de l’affaire Belgique c. Sénégal. Même si elle avait déjà conclu à
l’existence d’un différend entre les parties concernant certaines questions relevant de la demande
globale portée devant elle par la Belgique, la Cour a refusé d’en dire autant relativement à la
question dont la Belgique cherchait à la saisir et qui, elle, n’avait pas fait l’objet d’une contestation
explicite et directe. - 13 -
18 32. Comme je l’ai dit dans mon exposé de mercredi, nous n’avons trouvé dans nos dossiers
aucune communication adressée par les Iles Marshall au Royaume-Uni et dénonçant la violation de
l’article VI, que ce soit dans un contexte bilatéral ou multilatéral. Nous avons eu beau chercher
quelque déclaration, rapport ou document émanant des Iles Marshall et dont nous aurions pu à juste
titre être présumés avoir connaissance, nous n’avons rien trouvé. Selon la liste des participants aux
réunions du Comité préparatoire de la conférence d’examen du TNP de 2015, les Iles Marshall n’y
auraient pas pris part en 2012 et en 2013. Nous n’avons connaissance d’aucun rapport ou
déclaration que les Iles Marshall auraient soumis à ce Comité. D’après nos recherches, la première
réunion du Comité à laquelle les Iles Marshall auraient participé est celle qui s’est tenue du 28 avril
au 9 mai 2014, la délégation étant alors conduite par M. deBrum. Cette réunion a eu lieu après que
les Iles Marshall eurent déposé la requête introductive de la présente instance.
33. En l’absence d’une contestation explicite et directe entre les Parties, rien ne permet à la
Cour de dire qu’un différend entre les Iles Marshall et le Royaume-Uni s’est cristallisé le
24 avril 2014 ou avant cette date. Cela reviendrait à réinventer le droit. Et j’ajouterai que les
Iles Marshall ne peuvent se présenter en fanfare devant la Cour mercredi et brandir un texte
qu’elles ne lui auraient pas soumis auparavant, sans laisser au Royaume-Uni l’occasion de faire ses
observations.
34. Nous pensons que les Iles Marshall profiteront par ailleurs de la question du juge
Bennouna pour faire valoir qu’il n’est pas possible d’aborder la question des positions respectives
des Parties concernant l’interprétation et l’application de l’article VI à ce stade de la procédure et
que les questions de compétence devraient donc être jointes à celles relevant du fond.
35. Nous rejetons fermement pareille prétention. Il s’agirait là d’un artifice pour contourner
la question qui est actuellement soumise à la Cour et qui exige une réponse sans plus attendre.
C’est dans la presse que le Royaume-Uni a appris, lors du dépôt de la requête, que les Iles Marshall
lui reprochaient de manquer à ses obligations en matière de désarmement. Elles ne lui en avaient
jamais fait part auparavant, malgré les maintes occasions qui se sont présentées à elles. Au
moment du dépôt de la requête le 24 avril 2014, il n’existait aucun différend entre les Iles Marshall
19 et le Royaume-Uni sur cette question. Non seulement il n’y avait pas eu cristallisation d’une
divergence de vues, mais les Iles Marshall n’avaient exprimé aucune vue au Royaume-Uni à cet - 14 -
égard, et vice versa. Il ne s’agit pas d’un cas où il y a lieu de joindre les questions de compétence
et de fond. La demande des Iles Marshall doit être accueillie ou rejetée en l’état, et nous sommes
d’avis qu’elle doit être rejetée. Toute autre conclusion serait dénuée de fondement.
IV. La fonction judiciaire de la Cour
36. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’en viens à la question de la
fonction judiciaire de la Cour. Je traiterai dans un moment de ce que les Iles Marshall considèrent
comme une menace de la part du Royaume-Uni. Auparavant, il est toutefois utile de revenir en
arrière pour avoir une vue d’ensemble de la situation.
37. Outre la position du Royaume-Uni et les intérêts d’Etats tiers touchés par cette demande,
les moyens invoqués par les Iles Marshall quant au fond soulèvent deux questions générales qui
vont bien au-delà des limites de l’espèce. Il s’agit de la complexité du désarmement nucléaire et du
processus multilatéral mené par l’entremise de la Commission du désarmement de l’Organisation
des Nations Unies, de la Première Commission de l’Assemblée générale, de la Conférence du
désarmement, des conférences d’examen du TNP et des Comités préparatoires, ainsi que de
négociations ad hoc diverses sur le désarmement. Un survol des quelques documents auxquels j’ai
fait référence aujourd’hui révèle que des questions complexes se posent, allant de l’instabilité
provoquée par les essais nucléaires et le positionnement militaire de la Corée du Nord au risque de
voir des ogives nucléaires démantelées tomber dans de mauvaises mains, en passant par les
difficultés que soulève la vérification concrète du démantèlement des ogives et ainsi de suite.
38. C’est dans ce contexte que les Iles Marshall invitent la Cour à dresser un constat de
manquement et prononcer une injonction visant un Etat individuel doté d’armes nucléaires et partie
au TNP.
39. La seconde question générale soulevée par cette affaire est celle de la procédure de la
Cour et de sa compétence. Quelle que soit la formulation retenue, les Iles Marshall cherchent à
obtenir de la Cour un arrêt sur le fond concernant l’interprétation, l’application et l’observation de
l’article VI en vue d’une vaste campagne politique sur le désarmement nucléaire, et elles ne s’en
cachent pas. L’affaire est présentée comme un différend bilatéral mettant en cause l’exécution, par
le Royaume-Uni, des obligations énoncées à l’article VI, mais son objet est manifestement plus - 15 -
large. Mercredi dernier, les Iles Marshall se sont offusquées de ce que nous ayons qualifié leur
20 demande d’«artificielle», invoquant leur histoire et leur intérêt particulier, que nous ne remettons
pas en question, mais qui ne changent rien au caractère que présente, selon nous, l’affaire introduite
contre le Royaume-Uni, c’est pourquoi nous maintenons ce qualificatif.
40. Dans la poursuite de leur objectif politique déclaré, les Iles Marshall cherchent à
persuader la Cour qu’elles n’ont pas à démontrer la cristallisation et l’existence d’un différend avec
le Royaume-Uni à la date du dépôt de la requête et qu’elles sont exemptées de l’obligation
d’informer ce dernier que sa responsabilité est invoquée et de lui laisser la possibilité de répondre à
leurs allégations. Elles cherchent à mettre en cause un comportement du Royaume-Uni qui
s’étalerait sur plusieurs décennies et qui viserait notamment d’autres Etats, tout en laissant entendre
que la Cour peut fermer les yeux s’agissant de toute conduite débordant sa compétence temporelle
ou impliquant d’autres Etats, et rendre un arrêt portant spécifiquement sur le comportement du
Royaume-Uni. Elles tentent d’obtenir un arrêt constatant que celui-ci manque à ses obligations et
lui ordonnant de prendre des mesures précises, mais dans un domaine où il ne peut, à lui seul, faire
aboutir la cause qu’elles soutiennent, ni maintenant ni à l’avenir, quelles que soient les conclusions
de la Cour.
41. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, on peut toujours défendre la
valeur d’un jugement déclaratoire, c’est-à-dire une décision qui ne fait qu’énoncer le droit.
Pourtant, les tribunaux du monde entiers tendent à s’en abstenir en l’absence d’un différend
cristallisé appelant un remède relevant de leur fonction juridictionnelle. Si une telle demande
suffisait pour saisir la Cour et fonder sa compétence, il n’y aurait jamais de questions à cet égard, et
cela vaut pour n’importe quelle autre juridiction.
42. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, nous maintenons notre
exception d’irrecevabilité au nom de l’intégrité de la fonction judiciaire. Tout ce que M. Grief,
conseil des Iles Marshall, vous a dit vendredi sur la question des remèdes relève de deux catégories.
Ou bien les remèdes sollicités soulèvent des questions relatives à l’effet utile, compte tenu de
l’absence devant la Cour d’autres parties essentielles dont l’intervention est indispensable au
processus de négociation, ou bien ils mettent en cause l’intégrité même de la fonction judiciaire et
l’opportunité fondamentale d’ordonner ce que demandent les Iles Marshall. J’ai utilisé l’adjectif - 16 -
21 «stupéfiant» dans mon exposé de mercredi pour qualifier les remèdes sollicités par les Iles Marshall
17
et l’idée que la Cour puisse envisager d’y faire droit . Les Iles Marshall en ont fait grand cas,
m’accusant de menacer la Cour. Pourtant, «stupéfiant» est bien le terme juste. Vendredi, nous
avons entendu M. Grief avancer notamment que la Cour devrait exiger que le Royaume-Uni cesse
18
toute mesure visant à améliorer son arsenal nucléaire . Or un tel arrêt serait tout à fait
incompatible avec les conclusions énoncées par la Cour dans son avis consultatif de 1996 sur la
question de la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, où elle a jugé qu’elle ne
pouvait déclarer illicites la politique de dissuasion ou le recours aux armes nucléaires dans des
circonstances extrêmes où la survie même d’une nation était menacée.
43. Les Iles Marshall prétendent qu’il n’est pas dans leur intention de remettre sur le tapis les
questions de la licéité de la dissuasion ou de la détention ou l’emploi d’armes nucléaires. Or c’est
précisément ce qu’elles font. Les remèdes qu’elles sollicitent auraient exactement pour effet de
limiter la souveraineté politique du Royaume-Uni sur la question du désarmement nucléaire.
Quoiqu’elles en disent, les Iles Marshall cherchent à remettre en question le bien-fondé de l’avis
consultatif de la Cour dans le contexte de ce qu’elles allèguent être un différend contentieux
bilatéral. Là n’est pas la fonction de la Cour.
44. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, pour finir, permettez-moi d’en
venir à la menace pour la Cour que les Iles Marshall associent à la position du Royaume-Uni. Il
n’en est rien. Il est du devoir du conseil d’appeler l’attention de la Cour sur les répercussions plus
larges des mesures que l’autre Partie sollicite de sa part. Cette affaire ne se déroule pas dans
l’abstrait. Elle fait l’objet de discussions entre les gouvernements du monde entier. Un arrêt allant
dans le sens demandé par les Iles Marshall recueillerait sans doute un certain appui, mais il
soulèverait immanquablement des questions épineuses sur la fonction judiciaire, sur l’égalité en
droit devant la Cour, sur la cohérence des arrêts rendus par celle-ci et sur l’opportunité, pour les
Etats, de faire une déclaration en vertu de la clause facultative.
45. Le Royaume-Uni a déposé une déclaration au titre de cette clause dès 1930. Il est la
seule des cinq puissances nucléaires membres permanents du Conseil de Sécurité des
17
CR 2016/3, p. 31, par. 55 (Bethlehem).
18CR 2016/5, p. 48, par. 10 (Grief). - 17 -
22 Nations Unies et signataires du TNP (P5) à l’avoir fait. Il a été partie à 14 des affaires inscrites au
rôle général de la Cour depuis 1946, soit le plus grand nombre après les Etats-Unis. Il a été
demandeur dans sept affaires, défendeur dans six, et une affaire a été introduite sur la base d’un
compromis. Nous avons participé activement à 13 des 26 procédures consultatives dont a été saisie
la Cour. Nous avons pris des mesures concrètes au fil des ans pour encourager les Etats à faire une
déclaration en vertu de la clause facultative et nous nous flattons d’avoir contribué à
l’augmentation, si modeste soit-elle, du nombre de déclarations, 72 à l’heure actuelle. Notre
déclaration sert souvent de modèle. Nous sommes partisans du recours à la justice.
46. Tel est le contexte plus large dans lequel s’inscrit notre position sur la fonction judiciaire.
Nous estimons fermement et en toute bonne foi que les Iles Marshall traitent avec désinvolture la
procédure de la Cour et sa compétence, et nous ne sommes pas les seuls à le penser. Sur le fond,
l’affaire dont les Iles Marshall voudraient saisir la Cour n’est pas un différend bilatéral. La
décision de cette dernière sur la compétence et la recevabilité ne restera pas derrière le voile de la
confidentialité. En se déclarant compétente, la Cour soulèverait de graves questions quant à la
fonction judiciaire.
47. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ainsi s’achève mon exposé au
nom du Royaume-Uni. Monsieur le président, puis-je vous demander de bien vouloir appeler
M. Verdirame à la barre ?
The PRESIDENT: Thank you. I give the floor to Mr. Verdirame.
M. VERDIRAME :
I. NTRODUCTION
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, il me revient de répondre aux
arguments que Mme Ashton et M. Chinkin ont opposés, dans leurs plaidoiries au nom des
Iles Marshall, à deux des exceptions préliminaires du Royaume-Uni : premièrement, l’exception
préliminaire fondée sur l’expression «aux fins de» dans le texte de la déclaration faite par le
Royaume-Uni en vertu de la clause facultative; et deuxièmement, l’exception préliminaire fondée - 18 -
sur la limitation ratione temporis imposée par le Royaume-Uni à la juridiction de la Cour. Mon
intervention durera environ 15 minutes.
L’exception préliminaire fondée sur l’expression «aux fins de»
2. Monsieur le président, je commencerai par donner à l’expression «aux fins de» son sens
véritable. On se rappellera que la formulation de la réserve pertinente dans la déclaration du
23 Royaume-Uni exclut de la juridiction de la Cour tout différend à l’égard duquel toute autre partie
en cause a accepté la juridiction obligatoire de la Cour «uniquement en ce qui concerne ledit
différend ou aux fins de celui-ci» [souligné par l’orateur].
3. Le conseil des Iles Marshall a introduit une nouveauté dans sa plaidoirie de vendredi en
19
déclarant qu’à son avis la Cour devrait qualifier de «distinction qui n’implique aucune différence»
la différence entre les expressions «en ce qui concerne» et «aux fins de».
4. Monsieur le président, je répondrai à cela en formulant trois brèves observations.
5. Premièrement, l’idée qu’il existerait entre ces deux expressions «une distinction qui
n’implique aucune différence» ne repose sur aucun fondement. Dans la langue courante, elles
désignent deux types de rapport différents. Une chose peut en concerner une autre sans en être
pour autant la fin.
6. L’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour «uniquement en ce qui concerne» un
différend particulier signifie que le champ d’application matériel de cette acceptation est limité à
dessein à ce différend particulier. Mais l’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour «aux
fins» d’un différend particulier a un autre sens.
7. Monsieur le président, les principes qui régissent l’interprétation des déclarations faites en
vertu de la clause facultative — que j’ai résumés pendant le premier tour des plaidoiries — 20
imposent à la Cour d’accorder la plus grande attention au texte de la déclaration et de donner effet à
tous ses termes en accord avec l’intention de l’Etat déclarant.
8. En parfaite opposition à ces principes, les Iles Marshall invitent la Cour à faire fi du texte
de la déclaration et à faire comme si les mots «aux fins de» n’ajoutaient rien. Cette interprétation
19CR 2016/5, p. 29, par. 11 (Ashton).
20CR 2016/3, p. 42, par. 39 (Verdirame). - 19 -
est fautive. Nous vous engageons à la rejeter et à tenir pour acquis que, comme les termes de sa
déclaration le disent sans équivoque, le Royaume-Uni entendait exclure de la juridiction de la Cour
tout différend à l’égard duquel sa juridiction obligatoire a été acceptée «aux fins de» ce différend.
9. Deuxièmement, citant l’affaire Cameroun c. Nigéria, le conseil des Iles Marshall a
prétendu vendredi que la déclaration du Royaume-Uni était «une offre permanente aux Etats qui
21
24 n’[avaient] pas encore remis de déclaration d’acceptation» . C’est oublier un point essentiel,
Monsieur le président, à savoir que cette «offre permanente» est soumise aux réserves formulées
dans la déclaration du Royaume-Uni. Et en vertu de l’une de ces réserves, les Etats qui n’ont
accepté la juridiction obligatoire de la Cour qu’aux fins d’un différend particulier sont
expressément exclus de ladite invitation permanente—comme c’est le cas ici.
10. Troisièmement et dernièrement, Monsieur le président, dans sa plaidoirie de vendredi, le
conseil des Iles Marshall a déclaré que l’introduction d’une instance relative au changement
climatique était l’une des fins poursuivies par les Iles Marshall en acceptant la juridiction de la
Cour. Or cela fait déjà près de trois ans de cela, et aucun signe n’annonce encore cette instance.
Comparez ce délai à la présente instance, qui a été introduite à la première occasion possible. Le
conseil des Iles Marshall a admis que la date du dépôt de sa requête n’était pas une pure
22
coïncidence . Et ce n’en était effectivement pas une. Pour paraphraser la définition que donne le
dictionnaire du mot «fin» — que j’ai citée dans ma première intervention — : l’admission que la
date de dépôt de la requête n’était pas une coïncidence donne à la Cour un motif suffisant pour
statuer que l’introduction de la présente instance était précisément ce que les Iles Marshall
«cherchaient à faire ou à atteindre» en acceptant la juridiction de la Cour; et que l’introduction de
la présente instance était «l’objectif qu’elles avaient en vue».
L’exception préliminaire ratione temporis
11. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vais maintenant passer à la
limitation ratione temporis de la juridiction de la Cour, qui a pour effet d’exclure de cette
juridiction tout différend portant sur des situations ou des faits antérieurs à une date donnée.
21
CR 2016/5, p. 32, par. 23-24 (Ashton).
22Ibid., p. 30, par. 14 (Ashton).
23
CR 2016/3, p. 43, par. 42 (Verdirame). - 20 -
12. Dans sa plaidoirie de vendredi, le conseil des Iles Marshall a déclaré que «la source ou
cause réelle du différend qui oppose les Iles Marshall au Royaume-Uni ... ne saurait être antérieure
24
à la date à laquelle un lien juridique a été établi entre ces deux Etats au titre du Traité» . La
question se pose donc : la source ou cause réelle du différend est-elle antérieure à cette date? La
situation dont les Iles Marshall font grief au Royaume-Uni est-elle antérieure à 1995 ou non? Que
25 les Iles Marshall disent qu’elle ne l’est pas ne suffit pas. Elles doivent prouver que le grief dont
elles ont saisi la Cour est effectivement tiré d’une situation née postérieurement à 1995. Et c’est
exactement, Monsieur le président, ce qu’une fois de plus elles n’ont pas su faire vendredi.
13. Monsieur le président, dans le chapitre de leur mémoire intitulé «Les manquements du
Royaume-Uni», les Iles Marshall soutiennent que le prétendu retard pris par le Royaume-Uni dans
25
l’exécution de ses obligations en vertu de l’article VI est «manifestement déraisonnable» , et je
cite, «[q]uarante-cinq ans après l’entrée en vigueur du TNP». La question que suscite leur grief est
la suivante : le comportement du Royaume-Uni au cours des quarante-cinq dernières années a-t-il
été «manifestement déraisonnable» au regard de ses obligations au titre de l’article VI ? Il est clair,
Monsieur le président, qu’il manque à la Cour la juridiction ratione temporis nécessaire pour
répondre à cette question.
14. Les Iles Marshall entendent maintenant reformuler leur grief et prétendent que celui-ci
est entièrement tiré d’un comportement postérieur à 1995. Il y a trois raisons, Monsieur le
président, Mesdames et Messieurs de la Cour, pour lesquelles il doit être fait échec à cette tentative
des Iles Marshall de résoudre leur problème de juridiction ratione temporis.
15. Premièrement, l’affaire a été présentée comme l’incrimination d’un comportement qui
s’est étendu sur au moins quarante-cinq années. C’est cette situation continue, ainsi définie dans le
26
temps, qui a donné naissance, selon les Iles Marshall, à des manquements continus . Même les
éléments de comportement postérieurs à 1995 que les Iles Marshall s’efforcent maintenant
d’extraire de l’affaire sont — de leur propre aveu — le prolongement d’un comportement qui a
commencé avant 1995. Quand elles mentionnent les déclarations faites par le Royaume-Uni
24
CR 2016/5, p. 35, par. 13 (Chinkin).
25Mémoire des Iles Marshall (MIM), par. 213 et 221.
26
Requête des Iles Marshall (RMI), par. 7. - 21 -
en 1998 au sujet de son intention de conserver un système de présence nucléaire continue en mer,
elles admettent que «[d]epuis 1968, la Royal Navy a mené sans interruption des patrouilles avec ses
sous-marins équipés d’armes nucléaires» . Et quand elles évoquent l’accord de défense mutuelle
avec les Etats-Unis, elles admettent également qu’il «a été initialement conclu en 1958 et prorogé à
28
plusieurs reprises, en dernier lieu en 2014» .
16. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est à l'affaire telle que les
Iles Marshall l’ont présentée dans leur requête et dans leur mémoire que doit être appliquée la
limitation ratione temporis. Et non pas à l’affaire telle que les Iles Marshall l’ont travestie dans
leur plaidoiries de vendredi en réaction à nos exceptions préliminaires du mois d’octobre, ou telle
26 qu’elles tenteront peut-être encore une fois de la travestir mercredi dans leurs conclusions finales.
Et l’affaire dont elles ont saisi la Cour n’était pas fondée sur des situations distinctes, mais sur une
situation générale et continue qui remontait à 1970, voire au-delà.
17. Deuxièmement, dans trois de ses ordonnances relatives à la Licéité de l’emploi de la
force, la Cour a conclu que le différend dans l’affaire en cause concernait une situation «prise dans
29
son ensemble» . Monsieur le président, les choses sont encore plus claires ici, puisque la Cour n’a
même pas besoin de vérifier si la situation devrait être «prise dans son ensemble» ou considérée
comme une pluralité de situations. En effet, dans la présente affaire, c’est l’Etat demandeur
lui-même qui a décrété expressément que la situation devait être «prise dans son
ensemble» c’est-à-dire prise comme une situation ayant duré de façon continue pendant au
moins quarante-cinq ans.
18. Dans leur plaidoirie de vendredi, les Iles Marshall ont invoqué à l’appui de leur position
l’ordonnance de la Cour sur la demande reconventionnelle de l’Italie en l’affaire des Immunités
juridictionnelles de l’Etat . Or l’élément le plus important de cette ordonnance pour la présente
affaire est le suivant : la Cour a conclu que si toute une série de comportements — parmi lesquels
27MIM, par. 35.
28Ibid., par. 61.
29
Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Belgique), mesures conservatoires, ordonnance du
2 juin 1999 (I), C.I.J. Recueil 1999, p. 134, par. 28 ; Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Canada), mesures
conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999 (I), C.I.J. Recueil 1999, p. 269, par. 27 ; Licéité de l’emploi de la force
(Yougoslavie c. Portugal), mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999 (I), C.I.J. Recueil 1999, p. 667, par. 27.
30
CR 2016/5, p. 35, par. 13 (Chinkin). - 22 -
la conclusion et l’entrée en vigueur de deux traités qui auraient pu constituer une base juridique
dans le cas d’un éventuel différend — entrait bien dans le champ de sa juridiction temporelle, cela
ne créait pour autant pas une «situation nouvelle» ; et ceci parce que la situation qui avait donné
naissance au différend était «inextricablement liée à l’appréciation de la portée et de l’effet» 31
d’une disposition conventionnelle antérieure et de la pratique antérieure des Etats par rapport à
cette disposition.
19. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, à supposer — de façon
purement hypothétique — qu’il existe un différend en la présente espèce, l’entrée en vigueur du
TNP entre le Royaume-Uni et les Iles Marshall en 1995 pourrait offrir une base juridique à ce
différend ; mais la source du différend n’en resterait pas moins «inextricablement liée à
l’appréciation» de faits antérieurs à 1995. La situation en cause est donc indéniablement une et
indivisible.
20. La troisième raison pour laquelle il ne saurait y avoir juridiction sur une portion
seulement de la situation découle de la logique même de l’argument initial des Iles Marshall
voulant que le prétendu retard pris par le Royaume-Uni dans l’exécution de ses obligations au titre
27 de l’article VI soit «manifestement déraisonnable» quand on l’apprécie sur une durée de plus de
quarante-cinq ans. A considérer l’affaire telle que l’ont présentée les Iles Marshall, la Cour serait
tenue d’examiner le comportement du Royaume-Uni sur quarante-cinq années pour apprécier s’il a
été «manifestement déraisonnable» au regard de l’article VI ou non. Il est tout à fait possible
d’ailleurs que certains éléments cruciaux prouvant le caractère raisonnable du comportement du
Royaume-Uni ne puissent être appréciés que sur une période aussi longue.
21. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, les Iles Marshall prétendent
maintenant ne retenir que les éléments de comportement postérieurs à 1995 pour faire entrer leur
cause dans les limites temporelles de la juridiction de la Cour. Or elles ne sauraient procéder ainsi.
La situation qui a donné lieu au différend qu’allèguent les Iles Marshall est une situation dont elles
ont affirmé dans leurs pièces de procédure qu’elle devait être considérée dans son ensemble et
31 Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie), demande reconventionnelle, ordonnance du
6 juillet 2010, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 320, par. 28 ; et déclaration commune des juges Keith et Greenwood,
p. 326-328, par. 10-15. - 23 -
réputée avoir commencé bien avant 1995. Et, ce qui n’est pas moins important, elle devait être
considérée objectivement comme une situation indissociable et indivisible.
22. Monsieur le président, le fait que les Iles Marshall aient qualifié cette situation
d’indissociable et d’indivisible explique pourquoi elles ne sont guère aidées par la distinction
qu’avait opérée la Cour permanente de justice internationale, dans l’affaire relative à la Compagnie
d’électricité de Sofia et de Bulgarie, entre les situations ou les faits antérieurs dont l’existence est
simplement «présupposée» et les situations ou les faits au sujet desquels le différend s’élève. Dans
cette affaire de la Compagnie d’électricité, la Cour permanente avait conclu à sa compétence parce
qu’elle avait déterminé que «[l]es griefs formulés à ce sujet par le Gouvernement belge vis[aient]»
32
des décisions des autorités bulgares «postérieur[e]s à la date critique» . En revanche, les griefs
formulés ici par les Iles Marshall visent une situation indivisible, réputée telle par le demandeur et
antérieure à la date critique.
23. Monsieur le président, il existe une autre raison pour laquelle les faits postérieurs à 1995
échappent à la juridiction de la Cour. Mais c’est à ma collègue Mme Wells qu’il revient de traiter
de cet aspect de la question.
24. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je suis maintenant parvenu à
la fin de mon exposé d’aujourd’hui. Je vous remercie de votre attention et vous prie de donner la
parole à Mme Wells.
The PRESIDENT: Thank you. I give the floor to Ms Jessica Wells.
Mme WELLS :
28 1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, dans cette réplique orale
consacrée à l’exception tirée du principe dit des «parties essentielles», je souhaiterais revenir
brièvement sur trois précédents évoqués par M. Palchetti vendredi dernier et un autre dont il n’a
pas fait mention.
2. Vendredi après-midi, M. Palchetti a en effet affirmé que j’avais «tenté d’introduire un
nouveau critère [aux fins] de déterminer quand le principe de l’Or monétaire s’appliqu[ait]»,
32Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie, arrêt, 1939, C.P.J.I. série A/B n 77, p. 82. - 24 -
consistant essentiellement à savoir si la décision de la Cour supposerait une appréciation (explicite
ou implicite) de la licéité du comportement d’un Etat tiers en droit international . 33
3. Or, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, il ne s’agit pas là d’un
critère que le Royaume-Uni aurait créé ex nihilo. Il nous vient de l’arrêt rendu en l’affaire du
Timor oriental, et je me propose, pour la commodité de la Cour, de lire le paragraphe 29 dont il est
tiré :
«Quelle que soit la nature des obligations invoquées, la Cour ne saurait statuer
sur la licéité du comportement d’un Etat lorsque la décision à prendre implique une
appréciation de la licéité du comportement d’un autre Etat qui n’est pas partie à
l’instance.» 34
4. Ce passage avait été cité par le Royaume-Uni dans ses exceptions préliminaires et il l’a 35
36
été de nouveau à l’audience, mercredi dernier . Or, M. Palchetti n’a pas une seule fois évoqué
l’affaire du Timor oriental dans sa plaidoirie. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la
Cour, il ne s’agit pas là d’une simple omission de sa part, mais bien de l’aveu que son
argumentation achoppe immanquablement sur l’arrêt en question.
5. J’examinerai maintenant les trois nouvelles affaires qu’a évoquées M. Palchetti lorsqu’il a
analysé le principe des «parties essentielles».
6. Premièrement, M. Palchetti a rappelé cette déclaration de la Cour en l’affaire relative à
l’Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique : «Pour identifier l’objet du différend, la
29 Cour se fonde sur la requête, ainsi que sur les exposés écrits et oraux des parties. Elle tient
notamment compte des faits que le demandeur invoque à l’appui de sa demande.»
7. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, l’affaire Bolivie c. Chili est une
affaire qui ne mettait pas en cause des «parties essentielles», non plus comme
sir Daniel Bethlehem l’a montré mercredi dernier que l’existence d’un différend en tant que
38
tel . Pour autant, elle pourrait revêtir une certaine pertinence aux fins de la présente affaire. Dans
33
CR 2016/5, p. 42.
34Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 102, par. 29.
35Exceptions préliminaires du Royaume-Uni (EPRU), par. 102 b).
36
CR 2016/3, p. 53.
37
CR 2016/5, p. 39, par. 4.
38CR 2016/3, p. 17. - 25 -
l’affaire Bolivie c. Chili, le défendeur soutenait que le différend n’était pas celui qu’avait défini le
39
demandeur . L’on pourrait dire que se pose de même entre les Parties à la présente instance la
question de la manière de définir le différend. En effet, M. Palchetti a affirmé qu’il n’était
nullement, dans la requête, «demandé à la Cour de dire que les Etats dotés de l’arme nucléaire
40
[étaient] solidairement responsables» . Le Royaume-Uni le conteste : selon lui, dès lors que l’on
applique le dictum formulé en l’affaire Bolivie c. Chili et que l’on s’intéresse aux faits invoqués par
les Iles Marshall à l’appui de leur demande, il apparaît clairement que celle-ci met en réalité en
cause le comportement bilatéral ou commun d’Etats qui ne sont pas parties à la présente instance.
La démarche adoptée par la Cour en l’affaire Bolivie c. Chili tendrait donc au contraire à confirmer
le quatrième principe directeur que j’ai évoqué à propos de l’affaire du Timor oriental, mercredi
dernier, et selon lequel c’est en substance que la Cour se doit d’examiner si la demande est
41
susceptible de toucher les intérêts d’Etats tiers .
8. Deuxièmement, M. Palchetti a cité l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire des Usines de pâte
à papier et, en particulier, la conclusion selon laquelle, en autorisant la construction de ces usines
ainsi que du terminal portuaire de Fray Bentos, l’Uruguay n’avait pas respecté l’obligation de
négocier que lui imposait le statut de 1975 vis-à-vis de l’Argentine. En la présente affaire, soutient
M. Palchetti, les Iles Marshall prient simplement la Cour de procéder de la même façon
autrement dit de se concentrer sur le comportement du Royaume-Uni, afin de déterminer s’il est
42
compatible avec les autres obligations que l’article VI du TNP lui impose .
9. Mais, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, l’affaire des Usines de
pâte à papier n’est pas une affaire mettant en cause des «parties essentielles», et s’en distingue à
deux égards importants :
30 premièrement : l’obligation qui était alors en jeu était une obligation de mener des négociations
bilatérales prévue dans un traité bilatéral entre l’Argentine et l’Uruguay ; et
39
CR 2016/3, p. 17.
40CR 2016/5, p. 39.
41CR 2016/3, p. 54.
42
CR 2016/5, p. 40. - 26 -
deuxièmement : le comportement invoqué dans l’affaire des Usines de pâte à papier comme
étant à l’origine de la violation de l’obligation de négocier était exclusivement dû à l’Uruguay.
10. Dans l’affaire des Usines de pâte à papier, il n’était donc nullement question que la
décision de la Cour vienne à impliquer l’appréciation explicite ou implicite de la licéité du
comportement d’un Etat tiers. Aussi ne peut-on en tirer aucun enseignement quant à l’application
ou à la portée du principe des «parties essentielles» en la présente affaire, non plus, du reste, que
sur son application ou sur sa portée dans l’absolu.
11. Troisièmement, M. Palchetti a fait référence à l’affaire relative à l’Application de
l’accord intérimaire du 13 septembre 1995 (ex-République yougoslave de Macédoine c. Grèce),
lorsqu’il a affirmé que la Cour pourrait examiner l’historique des votes du Royaume-Uni à
43
l’Assemblée générale sans prendre en compte la situation juridique d’Etats tiers .
12. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, avant de revenir sur la
pertinence ou, plus exactement, l’absence de pertinence de l’affaire de l’Accord intérimaire,
je voudrais noter que, à en croire M. Palchetti, le Royaume-Uni soutiendrait que la Cour ne peut
«apprécier la licéité de[s] votes [britanniques] au motif que cela aurait des incidences sur la
situation juridique d’Etats tiers» . Mais telle n’est pas notre position. La question n’est pas celle
de savoir si ces votes étaient illicites en tant que tels, mais si le comportement du Royaume-Uni à
cet égard est constitutif ou révélateur d’une violation de l’obligation de négocier prévue à
l’article VI. Or, selon le Royaume-Uni, la Cour ne peut se prononcer sur cette question sans être
ipso facto amenée à déterminer si le même comportement, de la part d’Etats tiers, est constitutif
d’un manquement à l’obligation leur incombant au titre de l’article VI.
13. Pour en revenir à l’affaire de l’Accord intérimaire, la Grèce avait accepté, en vertu dudit
accord, de n’élever à la participation de l’ex-République yougoslave de Macédoine à des
organisations internationales, multilatérales ou régionales aucune objection qui n’eût trait au nom
par lequel la Macédoine y serait désignée. Cette dernière soutenait que la Grèce avait violé cette
obligation en s’opposant à son admission à l’OTAN. Cette question de son admission avait été
examinée lors d’une réunion des Etats Membres de l’OTAN, mais l’Alliance avait différé le
43CR 2016/5, p. 43.
44Ibid. - 27 -
moment où l’ex-République yougoslave de Macédoine serait invitée à adhérer jusqu’à ce qu’une
solution mutuellement acceptable fût trouvée au problème du nom.
31 14. La Grèce, citant le précédent de l’Or monétaire, excipait de l’incompétence de la Cour
en arguant notamment que la décision de reporter le moment où le demandeur serait invité à
adhérer à l’Alliance était une décision collective prise à l’unanimité et que, partant, quand bien
même cette décision pourrait lui être attribuée, la Cour ne pourrait statuer sur ce point sans se
prononcer également sur la responsabilité de l’OTAN ou de ses Etats Membres . La Cour a rejeté
cette exception .6
15. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, il n’est pas surprenant que la
Cour ait rejeté cette tentative de la Grèce de faire passer, non sans force contorsions, son exception
pour une exception au titre du principe des «parties essentielles». La seule obligation alors en
cause était l’obligation faite à la Grèce, au titre de l’accord intérimaire, de ne pas s’opposer à la
participation de la Macédoine à des organisations. La décision de la Cour quant à la question de
savoir si la Grèce avait manqué à cette obligation n’allait et ne pouvait donc pas emporter
une appréciation explicite ou implicite de la licéité du comportement de l’OTAN ou de ses Etats
Membres, pour la simple raison que cette obligation ne leur était opposable ni à l’une ni aux autres.
L’idée que l’OTAN ou ses Etats Membres eussent été tenus, ou eussent manqué, à une quelconque
obligation de ne pas s’opposer à la demande d’adhésion à l’OTAN de la Macédoine, telle que
prévue dans l’accord intérimaire ou ailleurs, n’avait tout simplement pas été évoquée.
16. L’obligation en cause en la présente espèce, en revanche, est opposable aux autres Etats
parties au TNP et la décision que rendrait la Cour impliquerait nécessairement, pour les raisons que
47
j’ai exposées mercredi dernier , l’appréciation de la licéité du comportement d’Etats qui ne sont
pas parties à cette instance.
17. Pour ces raisons, et pour les motifs déjà exposés par le Royaume-Uni dans ses écritures
et à l’audience, la demande des Iles Marshall met bien en jeu le principe des «parties essentielles».
45
Application de l’accord intérimaire du 13 septembre 1995 (ex-République yougoslave de Macédoine c. Grèce),
arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (II), p. 659, par. 39.
46Ibid., p. 660, par. 42.
47
CR 2016/3, p. 55-57. - 28 -
18. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, M. Verdirame a expliqué
pourquoi la Cour ne pouvait dissocier les allégations renvoyant à des faits postérieurs à 1995 de
celles renvoyant à des faits qui y sont antérieurs, et trancher l’affaire dans cette optique. De même,
pour le cas où la Cour serait invitée à retenir uniquement les allégations qui ne seraient censées
viser que le Royaume-Uni, et de trancher l’affaire dans cette optique, je me permets de réitérer
qu’elle ne peut séparer ainsi les éléments de l’argumentation des Iles Marshall.
32 Premièrement : les Iles Marshall ont développé en connaissance de cause leurs arguments dans
leurs trois pièces de procédure écrite. Il n’appartient pas à la Cour de les reformuler ou
affiner ;
deuxièmement : il existe un lien inextricable entre le comportement du Royaume-Uni et celui
d’Etats tiers, qui entre en jeu aussi bien en ce qui concerne le contexte dans lequel il est allégué
que le Royaume-Uni a manqué d’exécuter de bonne foi ses obligations que les griefs
spécifiques qui lui sont imputés ; et
troisièmement : les Iles Marshall ne peuvent maintenant tenter de résoudre le problème que leur
pose l’absence des «parties essentielles» en prenant des distances avec celles de leurs
allégations qui pourraient impliquer le comportement d’Etats tiers. Elles ont accusé le
Royaume-Uni d’avoir manqué de s’acquitter de bonne foi de ses obligations. Si, rejetant les
exceptions soulevées par celui-ci, la Cour devait se déclarer compétente, le Royaume-Uni
serait en droit de revenir sur son propre comportement dans le contexte plus général de sa
participation au TNP et à diverses rencontres internationales, et d’analyser dans tous leurs
détails les allégations formulées à son encontre. Il y a donc lieu de penser que, dans sa
réponse, au stade du fond, le Royaume-Uni sera contraint d’évoquer le comportement d’Etats
tiers, et de demander à la Cour d’en apprécier la licéité, et ce, sans qu’on puisse lui en faire
grief.
19. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, voilà qui met fin à cette
nouvelle plaidoirie consacrée à l’exception tirée du principe des «parties essentielles». Je vous
remercie de votre attention et vous prierai de bien vouloir donner à présent la parole à l’agent du
Royaume-Uni, M. Iain Macleod, qui exposera les conclusions du Royaume-Uni. - 29 -
The PRESIDENT: Thank you. I now give the floor to the Agent of the United Kingdom,
Mr. Macleod.
M. MACLEOD :
1. Merci, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour. Ainsi s’achèvent les
plaidoiries du Royaume-Uni de cet après-midi. Nous vous sommes reconnaissants de nous avoir
écoutés avec patience. Il me reste, conformément à l’article 60 du Règlement de la Cour, à donner
lecture des conclusions finales du Royaume-Uni.
2. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, pour les raisons exposées dans
nos exceptions préliminaires et à l’audience,
33 «Le Royaume-Uni prie la Cour de dire et juger :
qu’elle n’a pas compétence pour connaître de la demande présentée contre lui par
les Iles Marshall ;
ou
que la demande présentée contre lui par les Iles Marshall est irrecevable, ou
encore de faire ces deux constations.»
3. Je vous remercie, Monsieur le président.
The PRESIDENT: The Court takes note of the final submissions which you have just read
out on behalf of the United Kingdom.
The Court will meet again in this case on Wednesday 16 March, at 3 p.m., to hear the second
round of oral argument of the Marshall Islands.
Thank you. The Court is adjourned.
The Court rose at 4.10 p.m.
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Translation