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CR 2016/6

Lundi 14 mars 2016 à 10 heures

Monday 14 March 2016 at 10 a.m. - 2 -

8 The PRESIDENT: Please be seated. The sitting is open. The Court now meets to hear the

second round of oral argument of the Marshall Islands in the case of Obligations concerning

Negotiations relating to Cessation of the Nuclear Arms Race and to Nuclear Disarmament

(Marshall Islands v. India).

For reasons he has duly made known to me, Judge ad hoc Bedjaoui is unable to be present

on the Bench this morning.

I now give the floor to Mr. van den Biesen, Co-Agent of the Marshall Islands.

Mr. van den Biesen, you have the floor.

Mr. van den BIESEN: Thank you, Mr. President.

O BSERVATIONS GÉNÉRALES

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, lundi dernier, alors que nous

présentions nos plaidoiries du premier tour dans cette instance introduite par les Iles Marshall

contre l’Inde, cette dernière vaquait à de tout autres occupations. En ce premier jour où elle était

publiquement mise en cause devant vous pour n’avoir pas fait preuve de bonne foi quant à son

obligation de poursuivre des négociations en vue d’aboutir au désarmement nucléaire, l’Inde

«procédait –– dans le plus grand secret, à partir d’une plate-forme sous-marine située dans le golfe

du Bengale –– à un tir d’essai de son missile balistique de portée intermédiaire», selon des

informations rapportées dans The New Indian Express, dont l’article pertinent est reproduit sous

l’onglet n 1 du dossier de plaidoiries . Monsieur le président, l’on serait tenté de qualifier cet acte

d’«outrage à la Cour», tout simplement parce que parler d’une «fâcheuse coïncidence» serait à

l’évidence un euphémisme.

2. Ce nouveau missile, qui est le «meilleur au monde dans sa catégorie, est plus rapide et

plus furtif» et a la «capacité d’embarquer une ogive [nucléaire] de deux tonnes sur une distance

pouvant aller jusqu’à 3500 kilomètres» . Monsieur le président, cet événement vient encore donner

raison aux Iles Marshall et met en outre quelque peu en perspective les propos tenus par l’Inde

jeudi dernier concernant l’«ironie du sort, pour ne pas dire [l’]effet pervers, [voulant qu’elle] se

1The New Indian Express, «India Test Fires Nuke Capable of SLBM K-4 Secretly» (9 mars 2016).

2Ibid. - 3 -

trouve aujourd’hui devant ce tribunal obligée de défendre son engagement en faveur du

3
désarmement nucléaire» .

9 3. L’Inde a conçu ce missile balistique pour le lancer à partir de l’un de ses cinq nouveaux

sous-marins nucléaires, dont le premier est parfaitement opérationnel depuis 2015, comme

l’indique la coupure de presse reproduite sous l’onglet n 2 de votre dossier . La construction de

ces nouveaux sous-marins vient renforcer de manière très importante les capacités nucléaires de

l’Inde, un renforcement que certaines tierces parties percevront sans nul doute comme une menace

et qui, selon toute vraisemblance, les conduira à accroître leur capacité de réponse.

4. Monsieur le président, il s’agit précisément là de la course aux armements nucléaires

dénoncée par les Iles Marshall dans leur requête (par. 59) et leurs plaidoiries (CR 2016/1, p. 18,

par. 11). L’Inde a beau se targuer d’être attachée de longue date à la cause du désarmement

nucléaire, ses déclarations ne sont guère conciliables avec cette prolifération de ses armes

nucléaires. Sur le plan juridique, cette contradiction montre que l’Inde ne fait pas preuve de bonne

foi en ce qui concerne l’obligation qui est au cœur de cette affaire, ce qui nous amène, Monsieur le

président, à l’objet de la présente instance.

5. Lors de ses plaidoiries de jeudi dernier, l’Inde a prétendu relever une certaine confusion

dans l’argumentation des Iles Marshall en l’espèce.

6. Notre confrère, M. Salve, a passé un bon moment à multiplier les reproches contre les

Iles Marshall, prétendant qu’elles «s’abstiennent de reprendre» la position adoptée dans leur

requête , que l’argumentation suivie dans celle-ci «s’effondre» ou même que les Iles Marshall

auraient «avanc[é] des assertions insidieuses … pour [s’en ]écarter … et contourner ainsi certains

obstacles à la juridiction de la Cour» –– et j’en passe –– , cette litanie s’étant poursuivie pendant

un temps considérable. Monsieur le président, les Iles Marshall ne peuvent laisser dire des choses

3CR 2016/4, p. 18, par. 10.

4The Economic Times, «India’s First Nuclear Submarine INS Arihant Ready for Operations, Passes Deep Sea
Tests» (23 février 2016).

5CR 2016/4, p. 28, par. 46.
6
Ibid., p. 27, par. 41.
7Ibid., p. 29, par. 50. - 4 -

pareilles, pour la simple raison que ces interprétations sont par trop éloignées des réalités qu’elles

ont exposées dans la présente affaire.

7. Tel est également le cas de l’allégation de l’Inde, dépourvue de fondement, selon laquelle

les Iles Marshall voudraient qu’elle soit tenue de se désarmer unilatéralement . 8 Monsieur le

président, le désarmement nucléaire auquel les Iles Marshall aspirent est précisément celui, négocié

10 et universel, auquel la Cour a fait référence dans son avis consultatif de 1996. Il est vrai que, de

leur point de vue, le renforcement de l’arsenal nucléaire de l’Inde, tant en quantité qu’en qualité,

n’est pas compatible avec les obligations incombant à cet Etat au titre du droit international

coutumier. Mais le fait de demander à ce qu’il soit déclaré que l’Inde a manqué à cette obligation

de droit coutumier en ce qui concerne les armes nucléaires n’est pas la même chose que celui de

demander son désarmement unilatéral, qu’il s’agisse d’armes nucléaires ou non.

8. Monsieur le président, ce que les Iles Marshall soutiennent dans leur requête, c’est que la

règle de droit international coutumier formulée au point 2) F du paragraphe 105 de l’avis

consultatif de la Cour est nécessairement assortie d’une obligation juridique concernant la cessation

de la course aux armements nucléaires et la négociation en vue d’aboutir au désarmement

nucléaire. La requête prend pour point de départ la conclusion adoptée à l’unanimité par la Cour au

sujet de cette obligation, laquelle est ensuite examinée dans les sections III B) puis IV A) et occupe

une place centrale dans le cadre des conclusions demandées. Le mémoire débute également avec

cette obligation et s’achève en ces termes : «En ce qui concerne le fond de l’affaire, le demandeur

maintient ses conclusions, y compris la décision sollicitée, telles qu’exposées dans la requête en

date du 24 avril 2014» . Evidemment, les Iles Marshall s’y sont aussi réservé le droit de préciser

ou modifier leurs conclusions, conformément au Règlement et à la pratique de la Cour. Monsieur

le président, il n’y a absolument rien de confus ici, au contraire : nul ne peut raisonnablement

contester la cohérence de l’argumentation des Iles Marshall.

9. Nous reconnaissons, Monsieur le président, que l’Inde, en exposant sa position plus avant,

s’est départie de son ton accusatoire et a résumé la mission de la Cour en l’espèce comme «la

détermination de l’existence d’une violation –– ou non –– de l’obligation de mener de bonne foi

8
CR 2016/4, p. 30, par. 52.
9Mémoire des Iles Marshall (MIM), par. 2 ; voir également p. 22, par. 48. - 5 -

10
des négociations en vue de la conclusion d’un traité sur le désarmement nucléaire» . Cela

démontre que, de fait, l’Inde sait très bien de quoi il retourne exactement ici et que, en définitive,

aucune confusion n’a pu s’immiscer dans son esprit quant à l’objet de la présente affaire.

10. Monsieur le président, le conseil de l’Inde, M. Gill, a déclaré au troisième paragraphe de

son exposé que les cinq Etats dotés d’armes nucléaires qui sont parties au traité sur la

non-prolifération auraient été «autoris[és]» à posséder de telles armes. Il n’en est rien. Le traité

reconnaît simplement la possession temporaire d’armes nucléaires par cinq Etats, dans l’attente de

11
11 leur désarmement . Il ne s’agit pas de légitimer ou d’autoriser quoi que ce soit. Il est également

clair que l’Inde n’a jamais été «autoris[ée]» par aucun Etat au monde à obtenir et posséder des

armes nucléaires. Lorsqu’elle a décidé de ne pas adhérer au traité, l’Inde en a exposé les raisons.

Ces raisons –– peu importe, pour le moment, qu’elles soient valables ou non –– auraient pu être

avancées par nombre d’autres Etats, qui s’en sont pourtant abstenus dans leur grande majorité,

seuls le Pakistan et Israël ayant imité l’Inde. La plupart des autres Etats ont adhéré au traité sur la

non-prolifération ; l’Inde ne l’a pas fait et elle accroît aujourd’hui son arsenal nucléaire de manière

considérable. Monsieur le président, il semble exister un gouffre entre les déclarations solennelles

que l’Inde continue à faire et l’enchaînement de ses actes dans les faits.

11. Pour faire obstacle à nos demandes –– et, en réalité, nous touchons là au fond –– , l’Inde

argue que les négociations nécessaires doivent avoir lieu dans les enceintes habituelles. Les

Iles Marshall n’y voient aucun inconvénient en principe, si ce n’est que cette façon de faire s’est

tout simplement révélée vaine au fil des ans. Cet échec est essentiellement dû au fait que les

négociations sur le désarmement se sont heurtées à l’obstruction des Etats parties au traité qui sont

dotés d’armes nucléaires. L’existence du groupe de travail à composition non limitée est la preuve

tangible de cet échec. Il convient de noter que, à l’heure actuelle, des négociations n’ont lieu dans

aucune enceinte que ce soit en vue d’aboutir au désarmement nucléaire ou, pour reprendre les

termes de mon confrère et bon ami, M. Pellet, de «la détermination de l’existence d’une violation –

– ou non –– de l’obligation de mener de bonne foi des négociations en vue de la conclusion d’un

traité sur le désarmement nucléaire». Cette situation perdure maintenant depuis près de cinquante

10
CR 2016/4, p. 44, par. 18.
11Art. IX du traité, par. 3. - 6 -

ans et le but précis des Iles Marshall, à travers la présente instance, est de changer radicalement la

donne.

12. L’Inde nous opposera alors le problème –– du moins en est-ce un pour elle –– des Etats

tiers ne participant pas à cette procédure. Tout d’abord, elle a tort de penser que les négociations

en question n’intéresseraient que les neuf puissances actuellement dotées d’armes nucléaires.
12
Avant toute chose, comme l’Inde le reconnaît, «les positions de celles-ci sont fort diverses» ou,

pour reprendre nos plaidoiries du 7 mars 2016, il n’existe aucune sorte d’«entreprise nucléaire

13
12 commune» . Mais surtout, la conception de l’Inde n’est pas étayée par le traité et n’est pas non

plus conforme à la pratique relative à la négociation de traités multilatéraux de désarmement. Ainsi

que les Iles Marshall l’ont déclaré au premier tour, le 7 mars 2016, «il n’est pas inhabituel que les

négociations … afférentes [à de tels traités] soient engagées et menées par un groupe restreint

d’Etats. En même temps, ces traités comportent toujours des conditions régissant leur entrée en

vigueur». Je puis ensuite vous assurer, Monsieur le président, que toute décision de la Cour

contenant l’injonction demandée par les Iles Marshall serait favorablement accueillie par la

majorité des Etats. Comme chacun sait, cette majorité d’Etats a voté de nombreuses années

d’affilée en faveur de ce qu’il est convenu d’appeler la résolution de l’Assemblée générale des

Nations Unies sur la suite donnée à l’avis consultatif de la Cour, dans laquelle l’Assemblée

générale :

«1. Souligne de nouveau la conclusion unanime de la Cour internationale de
Justice selon laquelle il existe une obligation de poursuivre de bonne foi et de mener à
terme des négociations conduisant au désarmement nucléaire sous tous ses aspects,
assorti d’un contrôle international strict et efficace ; [puis]

2. Demande de nouveau à tous les Etats de s’acquitter immédiatement de cette
obligation en engageant des négociations multilatérales afin de parvenir sans tarder à
la conclusion d’une convention relative aux armes nucléaires interdisant la mise au
point, la fabrication, l’essai, le déploiement, le stockage, le transfert, la menace ou

l’emploi de ces armes et prévoyant leur élimination ;» (les italiques sont de nous).

En d’autres termes, si la Cour prescrit effectivement à une ou plusieurs puissances nucléaires de

commencer à donner suite à son avis consultatif, les autres Etats concernés n’ont pas à attendre

qu’elle le leur ordonne également pour s’engager immédiatement dans cette voie.

12
CR 2016/4, p. 39, par. 6.
13CR 2016/1, p. 22, par. 11. - 7 -

13. Enfin, Monsieur le président, en guise de conclusion, je dois revenir sur certains autres

obstacles qui, à en croire l’Inde, empêcheraient la Cour d’examiner l’affaire au fond.

14. Tout d’abord, l’Inde déclare que, de fait, les Iles Marshall vous demandent de vous ériger

en législateurs –– non, mieux –– en gouvernement mondial . Cet obstacle allégué me semble

quelque peu «saugrenu», pour rester courtois. Toujours est-il que les Iles Marshall n’ont à aucun

moment demandé à la Cour d’assumer le rôle de législateur ou de gouvernement mondial. Elles lui

demandent d’appliquer le droit, ce qu’elle fait dans toute affaire contentieuse portée devant elle.

Le règlement de différends peut également, comme en l’espèce, imposer de déterminer si un Etat a

agi de bonne foi lorsqu’il n’a pas tenu compte de certaines obligations. Tel est bel et bien le rôle

des juges et il ne s’agit pas d’«un problème d’état d’esprit» –– contrairement à ce qu’affirme

13 l’Inde –– et donc certainement pas d’une raison justifiant que la Cour décline sa compétence en

l’espèce.

15. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous remercie infiniment

pour l’attention que vous voulez bien accorder à cette affaire et vous prie, Monsieur le président, de

bien vouloir donner la parole à M. Luigi Condorelli.

The PRESIDENT: Thank you. I give the floor to Professor Condorelli.

Mr. CONDORELLI :

E XISTENCE OF A DISPUTE BETWEEN THE R EPUBLIC OF THE
M ARSHALL ISLANDS AND INDIA

1. Mr. President, last Thursday, at the close of the first round of oral argument in this case

between the Marshall Islands and India, you recalled that the purpose of the second round of oral

argument is to enable each of the Parties to reply to the arguments put forward orally by the other

Party and must not therefore be a repetition of the arguments already set forth by the Parties. I

intend to abide strictly by your recommendation. I shall try to group by theme the few arguments

presented by our opponents on Thursday alleging that there is no real dispute between the Parties

and that therefore the Court does not have jurisdiction in the present case.

14CR 2016/4, p. 45, par. 21. - 8 -

2. I would first point out that while the various arguments made by our opponents may at

first sight (or rather on first hearing) appear to be quite different from each other, they are in fact

centred around just two main themes. Theme No. 1: there is no dispute because there is no real

disagreement between the Parties because there is nothing at issue between them. Theme No. 2:

there is no dispute because there was no negotiation of any kind between the Parties prior to the

seisin of the Court.

Theme No. 1: there is no dispute because there is nothing at
issue between the Parties

3. Mr. President, I shall deal first with theme No. 1. All the members of the Indian team who

took the floor on Thursday said a few words, if not quite a number of words, in an effort to show

that the positions of the two Parties on nuclear disarmament are substantially the same.

14 4. The Court first heard India’s Agent, Ms Chadha, assert that even at the Nayarit conference

in February 2014 «les positions exprimées par les Parties … quant à la nécessité du désarmement
15
nucléaire se trouvaient coïncider» . In his turn, India’s Co-Agent, Mr. Gill, returned to the Nayarit

conference to point out that both India and the Marshall Islands expressed their support for nuclear

disarmament and noted their commitment to the complete elimination of nuclear weapons.

Mr. Gill concluded by stating: «Nous étions donc foncièrement d’accord avec les Iles Marshall,

même si nous nous sommes exprimés autrement qu’elles, quant à la nécessité de progresser sur la

voie d’un «désarmement efficace et sûr». Il ne saurait donc être question d’un différend entre les

16
deux Etats.» Mr. Salve then followed in his colleagues’ footsteps, declaring «[i]l n’y a en vérité

aucune différence entre les positions des Iles Marshall et de l’Inde quant à la nécessité de

débarrasser le monde des armes nucléaires» . 17 But, above all, it was my good friend

Professor Pellet who used clever guessing games, playing on the similarity between statements

made by the two States, in an attempt to show to what extent their views in support of nuclear

disarmament and the complete elimination of nuclear weapons coincided. His conclusion on this

point was: in trying “to determine the substance of the so-called dispute on which the Marshall

15
CR 2016/4, p. 10 (Chadha).
16Ibid., pp. 18-19 (Gill).

17Ibid., p. 34 (Salve). - 9 -

Islands’ Application is supposed to be based, . . . it is evident to me that these statements establish,

18
without a shadow of a doubt, that such a dispute does not exist” .

5. Mr. President, we have a proverb in my country, to which, sadly, I cannot find a decent

equivalent in either French or English: “Tra il dire e il fare c’è in mezzo il mare” (“There is an

ocean of difference between saying and doing”). Between what people say they want to do or are

doing and what they actually do, there can be quite a distance: either an ocean, or a lake, or even,

for that matter, just a small stream. This is the dispute that the Marshall Islands wishes to submit to

the Court: the Applicant believes that the distance between what India says and what it does is

considerable, as regards whether or not its conduct meets the norms on nuclear disarmament

deriving from Article VI of the Non-Proliferation Treaty (NPT) or from customary international

15
law. The Marshall Islands is asking the Court to ascertain whether India is in breach of its

obligations of nuclear disarmament, not by its words, but by its deeds, by its actions or omissions.

6. That said, it is nonetheless somewhat paradoxical to hear the speakers on the other side of

the Bar allege that, after all, even at the Nayarit conference in February 2014 «les positions

exprimées par les Parties … quant à la nécessité du désarmement nucléaire se trouvaient

coïncider». Of course, it is certainly true that the two Parties stated their support for nuclear

disarmament and the need for multilateral negotiations in order to achieve a world that is free of

nuclear weapons. However, the Marshall Islands  in its statement of 13 February 2014  added

a specific claim against the States possessing nuclear arsenals (including India, of course): namely,

that they were failing to fulfil their international obligations in respect of the immediate

commencement and conclusion of such negotiations. Can there be any question that through this

public statement, the Marshall Islands, before seising the Court, expressed and made known its

claim to the nuclear powers, including India, and invoked their international responsibility arising

from the fact that those States (including India) «ne respectent pas leurs obligations»?

18CR 2016/4, p. 40 (Pellet). - 10 -

Theme No. 2: there is no dispute because there was no negotiation of any kind
between the Parties prior to the seisin of the Court

7. Mr. President, I now turn to theme No. 2. It was astonishing to hear each of India’s

counsel extolling the virtues of prior negotiations: they appear to be unanimous in thinking that a

dispute cannot be said to exist when there were no prior negotiations of any kind between the

Parties before the Court was seised.

8. India’s Agent, Ms Chadha, based her assertion that “there is no dispute between the

Parties” on the fact that the Marshall Islands did not raise the issue during bilateral contacts with

India. Citing the 2012 Belgium v. Senegal Judgment, she points out that the Court considers it

essential to ascertain whether there was “at the very least[,] a genuine attempt by one of the

disputing parties to engage in discussions with the other disputing party, with a view to resolving

19
16 the dispute” . Unfortunately, the citation is neither relevant nor appropriate, since in the

Belgium v. Senegal case, under the compromissory clause of the treaty concerned, the Court’s

jurisdiction was explicitly subject to ascertaining whether the dispute could not have been settled

by negotiation. In the present proceedings, however, it would have been far more relevant to cite

the 1998 Judgment in the Cameroon v. Nigeria case, in which the Court very clearly states that:

“Neither in the Charter nor otherwise in international law is any general rule to
be found to the effect that the exhaustion of diplomatic negotiations constitutes a
precondition for a matter to be referred to the Court. No such precondition was

embodied in the Statute of the Permanent Court of Interna20onal Justice . . . Nor is it
to be found in Article 36 of the Statute of this Court.”

The Court further stated that the requirement for prior negotiations does not arise in cases (such as

this one) in which the Court “has been seised on the basis of declarations made under Article 36,

paragraph 2, of the Statute, which declarations do not contain any condition relating to prior

negotiations to be conducted within a reasonable time period” . 21

9. I apologize profusely, Mr. President, for citing this important precedent yet again; it is

highly relevant and indeed conclusive in establishing when negotiations are required prior to the

seisin of the Court. I would have happily spared the Court such repetition, had I not been surprised

19
Questions relating to the Obligation to Prosecute or Extradite (Belgium v. Senegal), Judgment, I.C.J. Reports
2012 (II), p. 445, para. 57.
2Land and Maritime Boundary between Cameroon and Nigeria (Cameroon v. Nigeria), Preliminary Objections,
Judgment, I.C.J. Reports 1998, p. 275, para. 56.
21
Ibid., para. 109. - 11 -

to note that our opponents were unacquainted with it (or pretend to be). For instance,

Professor Pellet recalls, and reminds the Court of, the PCIJ’s 1924 Mavrommatis Judgment 22

(which states that “before a dispute can be made the subject of an action at law, its subject matter
23
should have been clearly defined by means of diplomatic negotiations” ), but he disregards what

the Court said in 1998 when it clearly set aside the condition relating to prior negotiations, referring

specifically to cases where the Court has been seised on the basis of unilateral declarations made

17 under Article 36, paragraph 2, of the Statute, in other words, in a case such as this.

10. As for Mr. Salve, not only does he also side with the ardent supporters of prior

negotiations, without the least regard for the doctrine of the Court, on which I have just dwelt: he

even goes so far as to argue the complete opposite of what the Court said. We thus heard him

assert that

«Il ressort implicitement du libellé du paragraphe 2 de l’article 36 qu’avant que
la juridiction de la Cour ne soit invoquée en vertu des déclarations, il faut que des

négociations, même élémentaires, aient eu lieu entre deux Etats, au cours desquelles
l’un d’eux a émis une réclamation que l’autre a rejetée, et qu’une tentative, même
brève, ait été faite pour régler entre eux le différend qui a ainsi surgi.» 24

11. But it is worth recalling another highly significant passage of his analysis, when

Mr. Salve makes the incontrovertible assertion that it would be premature to suggest that a dispute

has arisen «tant qu’une tentative de règlement négocié n’a pas été faite». And he adds, «sans avoir

25
à invoquer la jurisprudence» .

12. It would seem, Mr. President, that the Court has before it not just one dispute, between

the Marshall Islands and India, but two  the second one being that between India and the Court

concerning the place of negotiations in the judicial settlement of international disputes, or even

concerning the very concept of an international dispute. Indeed, when Mr. Salve contends that the

Marshall Islands is oversimplifying that concept by «[en disant] que dès lors que les Iles Marshall

allèguent que l’Inde contrevient à ses obligations de droit international coutumier et qu’elle le nie,

2CR 2016/4, p. 38 (Pellet).
23
Mavrommatis Palestine Concessions, Judgment No. 2, 1924, P.C.I.J., Series A, No. 2, p. 15. See also Right of
Passage over Indian Territory (Portugal v. India), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1957, pp. 148-149.
2CR 2016/4, p. 36, para. 84 (Salve).
25
Ibid., p. 35, para. 81 (Salve). - 12 -

26
il existe entre les deux Etats un différend» , it is in fact contending that the Court has adopted an

oversimplified concept of an international dispute. We all know that, according to the established

jurisprudence of the Court, a dispute exists precisely when it is shown that “the claim of one party

27
is positively opposed by the other” .

13. I shall leave it to the Court to consider the dispute I have just pointed out between itself

and India, and return to the dispute between India and the Marshall Islands to offer one final

18 thought. The Court has, of course, noted that Professor Pellet supported his argument regarding the

(alleged) need for diplomatic negotiations prior to the seisin of the Court by also referring to

Article 43 of the Articles of the International Law Commission (ILC) of 2001: “[a]n injured State

which invokes the responsibility of another State shall give notice of its claim to that State”. As if

the “notice of claim by an injured State” could be equated with diplomatic negotiations.

14. Mr. President, there is absolutely no justification for equating the two. The “notice of

claim by an injured State” cannot be regarded as a condition for the admissibility of cases brought

before an international court, or for that court’s jurisdiction. The commentary to the Articles is

explicit in this respect: “The present articles are not concerned with questions of the jurisdiction of

international courts and tribunals, or in general with the conditions for the admissibility of cases

brought before such courts or tribunals.” 28 In other words, the Articles in question do not concern

access to judicial settlement of international disputes involving international responsibility, nor do

they lay down any special conditions to which such access might be subject. Moreover, there is

nothing to prevent the notice of claim by the injured State being given not prior to seising the

Court, but precisely by seising it.

15. Mr. President, Members of the Court, it has been a pleasure and an honour to present

these observations to the Court on behalf of the Marshall Islands. I thank the Court for its attention

and would ask you, Mr. President, to give the floor to Mr. John Burroughs.

The PRESIDENT: Thank you, Professor. I give the floor to Mr. John Burroughs.

26
Ibid., p. 33, para. 71 (Salve).
2South West Africa (Ethiopia v. South Africa; Liberia v. South Africa), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J.
Reports 1962, p. 328.

2Yearbook of the International Law Commission (YILC), 2001, Vol. II, Part Two, p. 120. - 13 -

M. BURROUGHS :

L A RÉSERVE RELATIVE AUX FAITS OU SITUATIONS D ’HOSTILITÉS

I. L’interprétation des réserves

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, permettez-moi de commencer

par quelques observations générales sur la manière dont il convient de procéder pour interpréter les

déclarations d’acceptation de la juridiction de la Cour.

19 2. L’Inde reconnaît, et nous sommes d’accord avec elle, que ce qui sous-tend les réserves en

la présente affaire, «c’est le principe de la bonne foi, qui doit régir les relations entre Etats» . Ce9

principe a été énoncé par exemple dans les affaires des Essais nucléaires. La Cour y a déclaré que

«Tout comme la règle du droit des traités pacta sunt servanda elle-même, le
caractère obligatoire d’un engagement international assumé par déclaration unilatérale
repose sur la bonne foi. Les Etats intéressés peuvent donc tenir compte des

déclarations unilatérales et 30bler sur elles ; ils sont fondés à exiger que l’obligation
ainsi créée soit respectée.»

3. Les Iles Marshall sont d’avis qu’il découle du principe de la bonne foi que l’Inde, en

déposant sa déclaration au titre du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour, ne pouvait

avoir l’intention de rendre cette déclaration totalement illusoire.

4. Les Iles Marshall conviennent que, pour déterminer la manière dont il faut interpréter les

déclarations, ainsi que les réserves à celles-ci, il est tout à fait pertinent de se référer à ce que la

31
Cour a dit à ce sujet dans les affaires de la Compétence en matière de pêcheries , de

l’Anglo-Iranian Oil Co. et du Plateau continental de la mer Egée . Elles considèrent toutefois

que rien, dans les décisions rendues en ces affaires, ne vient confirmer que la Cour, comme le

soutient l’Inde, «a toujours donné aux réserves l’interprétation la plus large possible  allant

29CR/2016/4, p. 56, par. 24 (Salve).
30
Affaires des Essais nucléaires, C.I.J. Recueil 1974, p. 268, par. 46, et p. 473, par. 49. Voir, dans le même sens,
l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 418, par. 60.
31
Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998,
p. 452-456.
32Anglo-Iranian Oil Co., exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1952, p. 104 («La Cour ne saurait se fonder

sur une interprétation purement grammaticale du texte») (les italiques sont de nous).
33Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1978, p. 23, par. 55 (dans le même
sens). - 14 -

34
parfois même au-delà du texte clair  plutôt que de les lire dans un sens restrictif» . Si l’on

admettait pareille proposition, dans le cas de la déclaration de l’Inde, l’«offre permanente aux

autres Etats parties au Statut n’ayant pas encore remis de déclaration d’acceptation» , pour 35

considérable qu’en puisse paraître la portée, se trouverait en réalité vidée de toute substance.

5. En revanche, les Iles Marshall sont d’accord que l’affaire de la Compétence en matière de

pêcheries offre la description la plus logique du processus de réflexion que requiert l’interprétation

d’une déclaration :

«La Cour interprète donc les termes pertinents d’une déclaration, y compris les
réserves qui y figurent, d’une manière naturelle et raisonnable, en tenant dûment

20 compte de l’intention de 1’Etat concerné à l’époque où ce dernier a accepté la
juridiction obligatoire de la Cour. L’intention d’un Etat qui a formulé une réserve peut
être déduite non seulement du texte même de la clause pertinente, mais aussi du
contexte dans lequel celle-ci doit être lue et d’un examen des éléments de preuve
relatifs aux circonstances de son élaboration et aux buts recherchés.» 36

6. C’est sur ce dictum que repose notre thèse, notamment l’argument selon lequel les termes

concrets de l’acceptation et ceux des réserves doivent être lus comme un tout. Mais d’autres

décisions de la Cour ont également généré une jurisprudence analogue, à laquelle nous aurons

l’occasion de nous référer au fil du débat aujourd’hui.

7. Nous examinerons les réserves de l’Inde comme suit : je commencerai par vous parler de

la quatrième réserve, relative aux faits ou situations d’hostilités. Ensuite, Mme Laurie Ashton

traitera de la cinquième, qui vise la date du dépôt de la requête des Iles Marshall et le but de leur

déclaration, puis de la onzième, qui est une réserve ratione temporis. Enfin,

Mme Christine Chinkin se penchera sur la septième réserve de l’Inde, relative aux traités

multilatéraux et à certaines questions de droit international coutumier.

II. La réserve relative aux faits ou situations d’hostilités

8. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, l’importance qu’il y a à définir

l’objet du différend pour établir l’applicabilité d’une réserve a été soulignée dans l’affaire relative à

34
CR 2016/4, p. 55, par. 20 (Salve). L’Inde ne cite aucune source à l’appui de cette affirmation.
35 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 290, par. 22.

36Compétence en matière de pêcheries, par. 49, cité dans le CR 2016/4, p. 50, par. 2 g) (Salve). - 15 -

37
l’Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique  dans l’arrêt sur l’exception

préliminaire, auquel les conseils de l’Inde n’ont pas fait la moindre référence dans leurs plaidoiries

la semaine dernière. L’objet du différend en l’espèce est, comme l’ont invariablement dit les

Iles Marshall dans toutes leurs demandes, l’existence, la nature et l’application de l’obligation de

poursuivre de bonne foi et de mener à terme des négociations conduisant au désarmement nucléaire

dans tous ses aspects. Il ne s’agit pas de savoir si le droit international autorise la possession, la

menace ou l’emploi d’armes nucléaires. Par conséquent, la quatrième réserve de l’Inde n’empêche

pas la Cour de connaître du différend en l’espèce, puisque cette réserve vise, je cite

«[l]es différends relatifs ou ayant trait à des faits ou à des situations d’hostilités, à des
conflits armés, à des actes individuels ou collectifs accomplis en légitime défense, à la

résistance à l’agression, à l’exécution d’obligations imposées par des organes
internationaux et autres faits, mesures ou situations connexes ou de même nature qui
21 concernent ou ont concerné l’Inde ou peuvent la concerner dans l’avenir».

9. Rien de ce qu’ont dit les conseils de l’Inde la semaine dernière ne vient infirmer l’analyse

proposée par les Iles Marshall dans leur mémoire et dans leurs premières plaidoiries. Lu de

manière naturelle et raisonnable, le texte de la quatrième réserve signifie que l’exclusion s’applique

aux différents relatifs à des faits ou à des situations concrets, passés, présents ou futurs, qui sont

liés à l’emploi de la force. Conformément à la règle noscitur a sociis, les deux membres de phrase

«différends relatifs ou ayant trait à» et «autres faits, mesures ou situations connexes ou de même

nature» doivent être rapprochés de l’élément central, à savoir «des faits ou … des situations

d’hostilités, … des conflits armés, … des actes individuels ou collectifs accomplis en légitime

défense, … la résistance à l’agression».

10. Loin de nous permettre de «réduire» le texte, comme l’a affirmé l’un des conseils de
38
l’Inde , le contexte historique immédiat de l’adoption de la réserve, en l’occurrence l’affaire

relative au Procès de prisonniers de guerre pakistanais (Pakistan c. Inde) , nous confirme que

cette lecture du texte est la bonne. Si l’Inde avait voulu exclure «toute question concernant la

37
Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), exception préliminaire, arrêt du
24 septembre 2015, p. 19, par. 50.
38 C.I.J. Mémoires, plaidoiries et documents 1973, Procès de prisonniers de guerre pakistanais (Pakistan
c. Inde), requête introductive d’instance, 11 mai 1973.
39
CR 2016/4, p. 54, par. 17 (Salve). - 16 -

40
sécurité nationale et la légitime défense», pour reprendre les termes de son contre-mémoire , elle

aurait pu le faire. Mais, comme nous l’avons dit la semaine dernière, telle n’est pas la réserve

qu’elle a faite. Au lieu de formuler une réserve nouvelle, l’Inde a emprunté celle dont El Salvador

avait assorti sa déclaration à peine un an plus tôt . Rappelons que El Salvador avait remis sa

déclaration environ quatre ans après un conflit bien précis, la «Guerre de cent heures» qui l’opposa

au Honduras en juillet 1969.

11. L’affaire du Plateau continental de la mer Egée, à laquelle les conseils de l’Inde nous

renvoient , illustre bien la nécessité de tenir compte du contexte et de la situation historiques pour

interpréter une réserve. Dans cette affaire, la Turquie, sur la base du principe de réciprocité,

invoquait une réserve formulée par la Grèce dans son instrument d’adhésion à l’Acte général

de 1928. La Cour, après avoir examiné les circonstances dans lesquelles la réserve avait été faite,

notamment l’historique de sa rédaction, et comparé avec d’autres instruments datant de la même

43
époque, a refusé de faire une interprétation «purement grammaticale» , choisissant d’interpréter la

22
réserve en tenant compte de l’intention de la Grèce. Pour ce faire, elle a demandé à celle-ci de lui

fournir tous les éléments susceptibles de témoigner des explications qui avaient été données à

44
l’époque relativement à l’instrument d’adhésion . Une grande attention a donc été accordée aux

facteurs tels que les circonstances et le contexte dans l’affaire du Plateau continental de la mer

Egée. On n’y trouve rien qui montre ou qui confirme que la Cour ait «toujours donné aux réserves

l’interprétation la plus large possible», comme le soutient l’Inde . En outre, en l’espèce, l’Inde n’a

fourni à la Cour aucun élément susceptible d’infirmer les explications données par les Iles Marshall

quant aux circonstances dans lesquelles la réserve avait été faite.

12. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, dans leur mémoire comme

dans leurs premières plaidoiries, les Iles Marshall ont fait observer que, même à supposer, aux fins

de l’argumentation, qu’un différend sur la possession d’un arsenal nucléaire par l’Inde puisse être

40
Contre-mémoire de l’Inde (CMI), p. 28, par. 59.
41Voir Cour internationale de Justice, Annuaire 1973-1974, p. 57.

42 CR 2016/4, p. 52, citant l’affaire du Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), arrêt,
C.I.J. Recueil 1978, p. 30, par. 73.
43
Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1978, p. 24, par. 55.
44
Ibid., p. 29, par. 69.
45CR 2016/4, p. 55, par. 20 (Salve). - 17 -

considéré comme tombant sous le coup de la réserve, cela n’exclurait pas la compétence de la Cour

en l’espèce, et ce, parce que le présent différend a pour objet l’obligation de poursuivre de bonne

foi et de mener à terme des négociations conduisant au désarmement nucléaire dans tous ses

aspects. Il n’a pas pour objet la licéité de la possession d’armes nucléaires, fût-ce à des fins

«dissuasives», de l’emploi de telles armes ou de la menace d’y recourir.

13. La semaine dernière, l’un des conseils de l’Inde a objecté, en substance, que par cet

argument les Iles Marshall renonçaient de manière sélective à leurs griefs concernant le programme
46
d’accroissement, de diversification et d’amélioration de l’arsenal nucléaire indien . Or, il n’en est

rien. Ce programme n’est qu’un des éléments du comportement reproché à l’Inde. Les

Iles Marshall estiment que l’obligation de poursuivre des négociations en vue de mettre un terme à

la course aux armes nucléaires est un volet de l’obligation de poursuivre de bonne foi des

négociations conduisant au désarmement nucléaire dans tous ses aspects, et que ces deux

obligations doivent être exécutées de bonne foi. Selon elles, l’obligation de poursuivre de bonne

foi des négociations conduisant au désarmement nucléaire dans tous ses aspects impose à l’Inde de

restreindre son programme nucléaire.

14. La question, pour l’heure encore théorique, de savoir si l’obligation de poursuivre de

bonne foi des négociations conduisant au désarmement nucléaire dans tous ses aspects impose à

l’Inde de restreindre son programme nucléaire dépend entièrement de la manière dont doivent être

interprétés la portée et le contenu de l’obligation. Ce n’est qu’au stade de l’examen au fond qu’il

23 pourra être répondu à cette question. Procéder autrement équivaudrait à trancher sur le fond  à
47
ce stade préliminaire  le différend, ou certains de ses éléments . Le paragraphe 9 de l’article 79

du Règlement de la Cour prévoit ce qu’il convient de faire en pareille situation et dispose que

l’affaire doit être examinée au fond.

15. En conclusion, le langage de la quatrième réserve de l’Inde n’exclut pas la compétence

de la Cour à l’égard du présent différend.

46CR 2016/4, p. 22, par. 15-16 ; p. 55, par. 22 (Salve).

47 Voir Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 852, par. 51. - 18 -

16. Monsieur le président, je vous prie de bien vouloir à présent appeler à la barre ma

collègue Laurie Ashton.

The PRESIDENT: Thank you. I now give the floor to Ms Ashton.

Mme ASHTON :

L ES CINQUIÈME ET ONZIÈME RÉSERVES A LA DÉCLARATION DE L ’INDE

Introduction

1. Je vous remercie. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est pour

moi un grand honneur de me présenter à nouveau devant vous au nom de la République des

Iles Marshall.

2. Dans ses plaidoiries, la semaine dernière, l’Inde a soutenu que les cinquième et onzième

réserves dont elle a assorti la déclaration qu’elle a faite en vertu de la clause facultative excluaient

la compétence de la Cour en l’espèce.

3. La cinquième réserve vise toute acceptation de la juridiction qui serait faite «uniquement

pour ce qui concerne [un] différend [donné] ou aux fins de celui-ci» ou «moins de douze mois

48
avant» la date du dépôt de la requête .

4. La onzième est une réserve ratione temporis dont la date critique est septembre 1974 .9

5. L’Inde a en outre affirmé à l’audience, pour la première fois, qu’était également

applicable, par l’effet du principe de réciprocité, la propre réserve ratione temporis des

Iles Marshall, avec 1991 comme date critique.

6. Je vais répondre brièvement à nos contradicteurs au sujet de chacune de ces réserves.

La cinquième réserve de l’Inde : date et finalité unique de la déclaration d’acceptation
24
de la juridiction

7. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, l’Inde a soutenu, dans ses

plaidoiries, que la requête des Iles Marshall avait été déposée «un jour trop tôt» . 50 Cette

48
Voir CMI, par. 63-72 ; MIM, annexe 5.
49Voir CMI, par. 83-87; MIM, annexe 5.
50
CR 2016/4, p. 56, par. 26 (Salve). - 19 -

affirmation est inexacte car elle revient à faire abstraction des mots «moins de» figurant dans la

déclaration de l’Inde, la cinquième réserve n’excluant la compétence de la Cour que dans les cas où

la déclaration d’acceptation a été faite «moins de douze mois avant la date du dépôt de la requête».

8. Selon la jurisprudence établie en l’affaire du Droit de passage, le lien consensuel entre

l’Inde et la République des Iles Marshall a pris effet le 24 avril 2013, lorsque cette dernière a

51
déposé sa déclaration . Suivant une interprétation naturelle et raisonnable, il ne s’est pas écoulé

moins de douze mois entre le 24 avril 2013 et le 24 avril 2014.

9. De la même manière, l’Inde tente d’interpréter sa réserve en faisant abstraction de

l’adverbe «uniquement» dans le passage qui dit «uniquement pour ce qui concerne lesdits

différends ou aux fins de ceux-ci». Or, il apparaît clairement qu’avec ce terme, la réserve ne fait

nullement obstacle à la compétence de la Cour.

10. L’Inde allègue enfin qu’«il serait injuste», au vu de la date du dépôt de la requête des

52
Iles Marshall, de permettre que l’affaire soit jugée . Il n’y a toutefois rien d’injuste, si l’on

applique le raisonnement suivi en l’affaire du Droit de passage 53 ainsi qu’en l’affaire de la

54
Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria , à ce que la République des

Iles Marshall accepte l’«offre permanente» de l’Inde de régler leurs différends juridiques devant la

Cour.

La onzième réserve de l’Inde : réserve ratione temporis
55
11. J’en viens maintenant à la réserve ratione temporis de l’Inde que j’examinerai sous

l’angle des seuls points en litige.

12. J’ai rappelé à l’audience que les Parties à la présente affaire ne prétendaient ni l’une ni

l’autre que les obligations de droit international coutumier incombant à l’Inde soient antérieures à

1974 ; elles ne le prétendent pas davantage s’agissant des droits des Iles Marshall.

51 Droit de passage sur territoire indien (Portugal c. Inde), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1957,
p. 146-147.

52CR 2016/4, p. 56, par. 24 (Salve).
53
Droit de passage sur territoire indien (Portugal c. Inde), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1957,
p. 146-147.
54
Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 291, par. 25.
55Voir MIM, annexe 5. - 20 -

25 13. Les Iles Marshall considèrent qu’il en est ainsi parce que l’obligation de droit

international coutumier n’a été reconnue qu’avec l’avis consultatif donné par la Cour en 1996 ;

l’Inde estime pour sa part qu’elle n’est liée par aucune obligation de cette nature.

14. Mais l’Inde présente aussi un argument subsidiaire, à savoir que si l’obligation

coutumière de négocier est «consacrée» par l’article VI, comme l’affirment les Iles Marshall dans

leur requête, elle lui est nécessairement antérieure. Il n’en est rien. Lue dans son ensemble, la

requête considère clairement que l’obligation de droit international coutumier est née non pas avant

mais après le TNP. Il est ainsi souligné que «[l]a conclusion de la Cour constitue … l’expression

56
du droit international coutumier tel qu’il existe aujourd’hui» , et que cela est conforme aux vues

exprimées par

«le président Bedjaoui dans sa déclaration : «Il n’est en effet pas déraisonnable de
penser qu’eu égard à l’unanimité, au moins formelle, qui prévaut en ce domaine, cette
double obligation de négocier de bonne foi et de parvenir au résultat prévu a
57
désormais revêtu, après cinquante ans, un caractère coutumier.»»

15. En tout état de cause, l’Inde peut, si elle le souhaite, essayer de nous faire croire que

l’obligation juridique coutumière, qu’elle conteste par ailleurs, existait déjà à l’époque du TNP.

Mais c’est au stade du fond que l’on verra si cette affirmation est exacte.

16. J’en viens maintenant au libellé de la réserve. Les Parties semblent s’accorder sur le fait

que le différend réel n’est pas né avant 1974, l’Inde n’ayant pas soutenu le contraire dans ses

plaidoiries.

17. En revanche, l’Inde a consacré ses plaidoiries à ce qui constitue, selon elle, les causes,

origines et fondements du différend, dont elle soutient qu’ils sont, eux, antérieurs à 1974. Il y a

lieu de relever que la Cour a déjà eu l’occasion de traiter de cette question des «causes» ou

«origines» en l’affaire du Droit de passage, où elle a examiné quels faits ou situations constituaient

«les véritables éléments générateurs» du différend opposant le Portugal à l’Inde, ou ceux qui en

58
étaient «réellement la cause» . En la présente affaire, les notions de «cause» et d’«origine» sont

56
Requête des Iles Marshall (RIM), p. 15, par. 44.
57Ibid., citant la déclaration que le président Bedjaoui a jointe à l’avis consultatif sur la Licéité de la menace ou
de l’emploi d’armes nucléaires (C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 274, par. 23) (dans laquelle il fait référence aux cinquante
années écoulées depuis l’adoption, par l’Assemblée générale des Nations Unies, en 1946, de sa première résolution) ; les
italiques sont de nous.
58
Droit de passage sur territoire indien (Portugal c. Inde), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1960, p. 35. - 21 -

très similaires, et la onzième réserve de l’Inde n’est pas de portée plus étendue, à cet égard, que

celle qui était en jeu en l’affaire du Droit de passage.

26 18. L’Inde a, pour l’essentiel, articulé le reste de ses plaidoiries autour de trois arguments :

a) premièrement, elle a prétendu  à tort, une fois encore  que les griefs des Iles Marshall

étaient fondés sur son refus d’adhérer au TNP ; 59

b) deuxièmement, elle a formulé une allégation nouvelle, et contradictoire, à savoir qu’elle aurait

démontré en mai 1974 qu’elle disposait de capacités nucléaires, et que celles-ci constituent la

cause, l’origine ou le fondement du présent différend ;

c) troisièmement, elle a tenté de déformer la onzième réserve en soutenant que celle-ci

s’appliquait aux origines des causes du différend.

19. Aucun de ces trois arguments ne permet d’exclure la compétence de la Cour.

Premier argument

20. L’Inde a tout d’abord allégué à l’audience que «le différend que les Iles Marshall

[avaient] présenté dans leur requête trouv[ait] manifestement son fondement dans le refus de l’Inde

d’adhérer au TNP» . 60

21. Cela est faux. La République des Iles Marshall n’entend nullement, par sa requête,

contraindre l’Inde à adhérer au TNP et ne prétend pas non plus que ce défaut d’adhésion soit

illicite.

22. Les griefs des Iles Marshall sont fondés sur le manquement de l’Inde à ses obligations

internationales coutumières. Les remèdes qu’elles demandent en sont peut-être la meilleure

preuve. Je ne les reformulerai pas ici, mais je rappellerai qu’ils sont tous fondés sur le droit

61
international coutumier .

59
CR 2016/4, p. 59, par. 40 (Salve).
60Ibid.
61
RIM, p. 25-26. - 22 -

Deuxième argument

23. L’Inde a ensuite fait valoir dans le cadre de la procédure orale que c’était «en mai 1974»

qu’elle avait «pour la première fois démontré» avoir des capacités nucléaires.

24. Voilà qui est très surprenant. Dans la déclaration officielle qu’elle a faite à la

Conférence du comité du désarmement des Nations Unies l’année suivante, en 1975, l’Inde a décrit

la démonstration en question comme une «explosion nucléaire expérimentale … à des fins

pacifiques», affirmant qu’elle entendait simplement se tenir informée des progrès de la technologie

nucléaire en vue, notamment, de l’utiliser dans le domaine des travaux d’extraction minière et de
27
63
terrassement, et répétant qu’elle «n’avait pas l’intention de fabriquer des armes nucléaires» .

25. En tout état de cause, quand bien même l’Inde aurait entamé un programme de

production d’armes nucléaires avant la date critique, qu’elle aurait dissimulé à la communauté

internationale, la réserve n’en serait pas plus applicable, étant donné que ce n’est pas le lancement

de ce programme nucléaire  quelle qu’en soit la date  qui constitue le fondement, la cause ou

l’origine du présent différend, mais les actes entrepris par l’Inde après la naissance de l’obligation

juridique.

Troisième argument

26. Troisièmement, suivant le raisonnement de l’Inde, c’est l’origine de la cause du

différend qu’il faut considérer. Or ce n’est pas ce que dit la réserve.

27. Pour que ce point soit tout à fait clair, nous nous concentrerons sur la question à trancher,

celle de savoir si l’Inde a manqué à l’obligation qui lui incombe au regard du droit coutumier de

poursuivre de bonne foi des négociations conduisant au désarmement nucléaire. L’origine du

présent différend est l’avis consultatif de 1996 auquel s’ajoute le comportement qu’a adopté l’Inde

par la suite, alors qu’elle connaissait le caractère universel de cette obligation.

28. L’Inde a gommé cette distinction dans ses plaidoiries, alléguant que c’est l’origine de la

64
règle coutumière qui importe . Mais l’origine de la règle coutumière est l’origine de la cause du

62
CR 2016/4, p. 59, par. 40 (Salve).
63Rapport de la conférence du comité du désarmement, Assemblée générale, documents officiels : vingt-
neuvième session, supplément n°27 (A/9627), New York, 1975, p. 8, https://disarmement-library.un.org/UNODA/
Library.nsf/6dc03c1297fa943485257775005b138c/6d913cb85a9acfdd85257833006db095/$FILE/A-9627.pdf, cité dans
RIM, par. 21 ; dossier de plaidoiries, onglet 8.
64
CR 2016/4, p. 59-60, par. 44-48 (Salve). - 23 -

différend. Si la réserve opérait de cette façon, aucun différend ne serait jamais couvert par la

déclaration d’acceptation de l’Inde car chaque cause ou origine aurait sa propre cause ou origine.

29. Ainsi, la cause ou l’origine du présent différend est la violation de l’obligation dont

l’existence a été reconnue dans l’avis consultatif de 1996. Si l’on suit le raisonnement de l’Inde,

l’origine de cette cause remonte à la naissance du TNP, dont l’origine est la première résolution de

l’Assemblée générale des Nations Unies, qui trouve elle-même son origine dans la naissance de

l’Organisation des Nations Unies, qui, à son tour, avait pour origine la Société des Nations, et ainsi

de suite.

28 30. Il convient cependant de ne pas faire de la onzième réserve une interprétation qui viderait

de son sens la déclaration d’acceptation de l’Inde car, ainsi que celle-ci l’a elle-même reconnu, ce

qui sous-tend les réserves, «c’est le principe de la bonne foi, qui doit régir les relations entre

65
Etats» .

31. En bref, le différend, en l’espèce, porte sur la question de savoir si l’Inde manque à

l’obligation que lui impose le droit coutumier de poursuivre de bonne foi des négociations

conduisant au désarmement nucléaire. Ses fondements, causes et origines sont le droit des

Iles Marshall, l’obligation de l’Inde et le comportement de celle-ci en violation de cette obligation.

Etant donné que rien de tout cela n’existait antérieurement à 1974, la réserve ratione temporis

formulée par l’Inde ne saurait exclure la compétence de la Cour.

La réserve ratione temporis des Iles Marshall

32. A présent, j’examinerai brièvement le nouvel argument avancé par l’Inde, selon lequel la

propre réserve ratione temporis des Iles Marshall exclut, par l’effet du principe de réciprocité, la

66
compétence de la Cour .

33. Cet argument est d’autant plus surprenant qu’il contredit, dans une certaine mesure, le

contre-mémoire. En effet, dans ce dernier, l’Inde examine sa réserve telle qu’elle est aujourd’hui

libellée, en la comparant à ce qu’elle était avant 1940 pour montrer que la version actuelle est de

plus large portée. Ce faisant, elle souligne que la déclaration antérieure à 1940 contenait «une

65
CR 2016/4, p. 56, par. 24 (Salve).
66Ibid., p. 59, par. 42 (Salve). - 24 -

réserve temporelle bien plus limitée» puisqu’elle ne couvrait que les différends nés après la date
67
critique et «concernant des situations ou des faits postérieurs à [celle-ci]» .

34. L’Inde avance qu’en l’affaire du Droit de passage, une réserve ainsi limitée n’a pas fait

obstacle à la compétence de la Cour  et ne devrait donc pas le faire non plus en la présente

espèce  car elle ne concernait que les situations ou faits constituant l’élément générateur du

différend soulevé par le Portugal. Autrement dit, elle ne mentionnait pas les notions de fondements

ou d’origines.

35. Or la réserve de portée bien plus étroite qui était celle de l’Inde avant 1940 a exactement

le même libellé que la réserve temporelle des Iles Marshall. Si l’on suit le propre raisonnement de

l’Inde, la réserve des Iles Marshall n’empêche pas la Cour de connaître de la présente affaire.

36. Quoi qu’il en soit, même en faisant abstraction des arguments de l’Inde, la réserve

temporelle dont la République des Iles Marshall a assorti sa déclaration ne fait pas obstacle à la

compétence de la Cour. La raison tient à ce qu’il ne peut exister de différend que s’il existe un

droit, et que des faits ou situations antérieurs à la naissance de ce droit ne peuvent être les éléments

29 générateurs du différend ou ceux qui en sont réellement la cause . Jusqu’à la naissance dudit droit,

pareils faits ou situations antérieurs ne se rapportent et ne sont liés à aucun différend particulier.

Voilà qui pourrait expliquer pourquoi l’Inde n’a pas mentionné la réserve temporelle de la

République des Iles Marshall dans la lettre qu’elle a adressée à la Cour pour contester sa

compétence, ni dans les 43 pages de son contre-mémoire, et ne l’a invoquée pour la première fois

que jeudi dernier.

Ainsi se conclut mon exposé. Je remercie la Cour de son attention et vous prie, Monsieur le

président, de donner la parole à Mme Chinkin.

The PRESIDENT: Thank you, Madam. I now give the floor to Ms Chinkin.

Mme CHINKIN : Je vous remercie.

67CMI, p. 36, par. 85.

68Droit de passage sur territoire indien (Portugal c. Inde), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1960, p. 34. - 25 -

T RAITÉS MULTILATÉRAUX ET DROIT INTERNATIONAL COUTUMIER

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je répondrai dans ce bref

exposé aux arguments avancés par l’Inde jeudi dernier. J’examinerai tout d’abord la septième

réserve de l’Inde, relative aux traités multilatéraux, puis certaines questions de droit international

coutumier et, en particulier, le principe de l’objecteur persistant.

2. La réserve de l’Inde concernant les traités multilatéraux exclut de la compétence de la

Cour les «différends relatifs à l’interprétation ou à l’application d’un traité multilatéral, à moins

que toutes les parties au traité ne soient également parties à l’affaire dont la Cour est saisie ou que

le Gouvernement indien n’accepte spécialement la juridiction de [celle-ci]». Cette réserve n’a pas

pour effet de soustraire le présent différend à la compétence de la Cour.

3. Dans l’affaire de la Compétence en matière de pêcheries, la Cour a précisé que les

conditions ou réserves énoncées dans une déclaration «serv[aient] … à déterminer l’étendue de

l’acceptation par l’Etat de [s]a juridiction obligatoire…[et qu’]il n’exist[ait] donc aucune raison

69
d’en donner une interprétation restrictive» . Dans l’affaire du Droit de passage, toutefois, elle a

également fait observer, au sujet de la déclaration d’acceptation de l’Inde alors en vigueur, que

celle-ci «ne proc[édait] pas en excluant de cette acceptation tels ou tels différends[, mais]

proc[édait] d’une façon positive en indiquant les différends qui [étaient] compris dans cette
70
30 acceptation» . Selon les termes de sa réserve actuelle, l’Inde accepte la compétence de la Cour si

ce n’est à l’égard des différends relatifs à «l’interprétation ou à l’application d’un traité

multilatéral», à moins que toutes les parties au traité ne soient également parties à l’affaire dont la

Cour est saisie ou que le Gouvernement indien n’accepte spécialement la juridiction de celle-ci.

4. La dernière condition peut être écartée, de même que celle visant les différends «relatifs

à … l’application» d’un traité multilatéral, c’est-à-dire, en l’espèce, du traité sur la non-

prolifération et plus précisément de son article VI. Au cours de la procédure orale, l’Inde a soutenu

que, pour déterminer si le TNP s’appliquait uniquement entre les parties ou «erga omnes à tous les

Etats», il fallait procéder en deux étapes, à savoir : premièrement, interpréter le TNP de manière à

établir la portée exacte de l’article VI et sa relation avec les autres dispositions du traité et,

69Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998,
p. 453, par. 44.

70Droit de passage sur territoire indien (Portugal c. Inde), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1960, p. 34. - 26 -

deuxièmement, déterminer si cet article est fondé sur des principes de droit international coutumier

71
préexistants ou s’il est censé servir de fondement à une obligation erga omnes . M. Salve en a

conclu que le différend concernait l’application du TNP.

5. Cependant, le TNP ne saurait être opposé à l’Inde, qui n’y est pas partie, et ces étapes ne

présentent aucun intérêt dans le cas d’un différend avec elle ; l’article 34 de la convention de

Vienne sur le droit des traités de 1969 est clair à cet égard : «Un traité ne crée ni obligations ni

droits pour un Etat tiers sans son consentement.» L’affaire ne saurait concerner l’application du

TNP, ni sa portée ; elle concerne l’application du principe de droit international coutumier

imposant de poursuivre de bonne foi et de mener à terme des négociations conduisant au

désarmement nucléaire dans tous ses aspects, sous un contrôle international strict et efficace.

6. Contrairement à ce qu’affirme l’Inde , ce point de vue est étayé par la décision de la Cour

dans l’affaire Nicaragua, où était en cause la réserve des Etats-Unis d’Amérique concernant les

traités multilatéraux, qui était formulée différemment. Les Etats-Unis avaient exclu les différends

«résultant» d’un traité multilatéral, «à moins que … toutes les parties au traité que la décision

concern[ait] soient également parties à l’affaire». La Cour a jugé que, puisque la demande du

Nicaragua était fondée non pas uniquement sur des traités multilatéraux mais également sur le droit

international coutumier, «la réserve relative aux traités multilatéraux … ne permett[ait] pas … de

rejeter la demande» . La Cour ne pouvait pas rejeter les demandes du Nicaragua fondées sur le

droit international général et le droit international coutumier «au seul motif que ces principes

31 [étaient] repris dans les textes des conventions invoquées par le Nicaragua» . Une fois exclues les

demandes fondées sur les traités multilatéraux concernés en cette affaire, la réserve ne pouvait

avoir «d’autre incidence sur les sources du droit international que l’article 38 du Statut prescri[vait]

75
à la Cour d’appliquer» . L’affaire dont est saisie la Cour à l’heure actuelle est plus simple en ce

qu’il n’existe aucun fondement conventionnel parallèle.

71
CR 2016/4, p. 57 (Salve).
72Ibid.

73Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 425, par. 73.
74
Ibid.
75Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 38, par. 56. - 27 -

7. Pour reprendre les termes de sir Elihu Lauterpacht, «[i]l n’y a vraiment rien à ajouter sur

76
ce point» .

8. Cependant, l’Inde argue que sa réserve exclut également la compétence de la Cour lorsque

77
le différend a trait à l’interprétation d’un traité multilatéral , ce qui est le cas ici étant donné que

les Iles Marshall s’appuient sur l’interprétation du traité donnée par la Cour dans son avis

consultatif sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires et que, par l’action de ce

précédent, la présente affaire met donc également en jeu l’interprétation de l’article VI. L’Inde

soutient que les Iles Marshall ont elles-mêmes étayé cet argument lorsqu’elles ont déclaré que

l’obligation de droit international coutumier en cause était «ancrée» dans l’article VI . 78

9. Il semble que, pour l’Inde, le fait de dire qu’une règle de droit international coutumier est

ancrée ou consacrée dans l’article VI revient à dire que ce dernier constitue l’unique source de cette

règle. C’est faux. Une disposition qui, à l’époque de l’adoption du traité dans lequel elle s’inscrit,

ne codifiait pas une règle coutumière encore inexistante en tant que telle peut, à un stade ultérieur,

une fois que celle-ci a vu le jour et s’est cristallisée, en venir à être considérée comme exprimant ou

consacrant la règle coutumière en question, dont il est alors permis de dire qu’elle est ancrée dans

le traité. Comme la Cour l’a fait observer dans l’affaire Libye/Malte, «les conventions

multilatérales peuvent avoir un rôle important à jouer en enregistrant et définissant les règles

dérivées de la coutume ou même en les développant» . 79

10. Les Iles Marshall n’ont jamais prétendu que l’article VI du TNP avait codifié une règle

coutumière préexistante. Leur position consiste à soutenir qu’une règle de droit international

coutumier s’est développée en parallèle grâce à un processus dynamique, ce que la Cour, dans les

affaires du Plateau continental de la mer du Nord, a reconnu comme étant «du domaine des

80
32 possibilités» , et que l’article VI en est ainsi venu à exprimer ou à consacrer cette règle

coutumière. L’article VI, en tant que disposition fondamentalement normative, a joué un rôle dans

76
Incident aérien du 10 août 1999 (Pakistan c. Inde), CR 2000/1, 3 avril 2000, par. 55 (Lauterpacht).
77CR 2016/4, p. 57-58.

78Ibid., p. 58, par. 36.
79
Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 29-30, par. 27.
80Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark) (République fédérale
d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 41, par. 71. - 28 -

ce processus mais certains organes et actes y ont aussi contribué au fil des ans, tant avant qu’après

l’adoption du TNP –– je songe ici à des actes et déclarations d’Etats, à des résolutions de

l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies et aux

conférences d’examen du TNP, notamment ––, autant de sources auxquelles la Cour s’est

également référée pour déterminer la règle de droit international coutumier qui était applicable dans

l’affaire Nicaragua .81

11. Bien évidemment, la Cour a elle-même joué un rôle important dans ce processus par son

avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, dans lequel elle a

82
considéré que l’article VI concernait formellement les 182 Etats qui étaient alors partie au TNP ;

si la Cour avait voulu dire que l’obligation en question ne liait que les Etats parties au TNP, elle

n’aurait pas eu besoin d’ajouter l’adverbe «formellement», lequel suppose une distinction entre les

règles conventionnelles formellement applicables aux Etats parties et une règle de droit

international coutumier liant les Etats non parties également, d’autant qu’elle a ensuite ajouté que

«l’ensemble de la communauté internationale» avait pris part à ce processus et qu’«il s’agi[ssait] là

indubitablement d’un objectif qui demeur[ait] vital pour l’ensemble de la communauté
83
internationale» . Le point 2) F du dispositif, que la Cour a adopté à l’unanimité, n’est pas non plus

limité aux Etats parties, ce qui traduit une reconnaissance de la règle parallèle de droit international

coutumier. Les Iles Marshall soutiennent que l’Inde manque aux obligations qui lui incombent au

titre de cette règle de droit international coutumier. Cette affaire ne concerne donc ni

«l’application» ni «l’interprétation» de l’article VI du TNP et la réserve relative aux traités

multilatéraux ne fait pas obstacle à la compétence de la Cour.

12. L’Inde avance toutefois que, s’il existe une telle règle, elle n’est pas liée par celle-ci car

elle a refusé de devenir partie au TNP et qu’elle est de ce fait un objecteur persistant . 84

13. Les Iles Marshall ne demandent pas à ce que le TNP dans son ensemble soit considéré

comme faisant partie du droit international coutumier. Elles soutiennent uniquement qu’il existe,

81 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 97-104.

82 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 264,
par. 100.
83
Ibid., p. 265, par. 103.
84
CR 2016/4, p. 16. - 29 -

en droit international coutumier, une norme imposant de poursuivre de bonne foi des négociations

33
et de mener celles-ci à terme. L’Inde renvoie en particulier à l’annexe 20 de son contre-mémoire,
85
dans laquelle sont exposées les lacunes qu’elle perçoit dans l’article VI . Mais ce document date

de 1968 et cadre mal avec l’insistance de l’Inde sur sa volonté de négocier en faveur du

désarmement, ce qui, comme je l’ai indiqué à l’instant, constitue l’essence de l’obligation de droit

international coutumier en question. Ainsi, l’un de ses conseils a rappelé jeudi dernier que, le

2 avril 1954, son premier ministre de l’époque avait «été le premier» à lancer un appel «en faveur

de négociations conduisant à l’interdiction et à l’élimination des armes nucléaires» . 86 Cette

position ressort également de la prétention de l’Inde d’avoir été «le seul Etat possédant des armes

nucléaires à s’être engagé en faveur de la négociation d’une convention sur l’interdiction des armes

nucléaires» . S’agissant de sa position publique à cet égard, l’Inde a toujours voté en faveur des

résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies sur la suite donnée à l’avis consultatif de la

Cour, qui appellent les Etats à engager immédiatement des négociations multilatérales. L’Inde

n’est guère cohérente en se posant à la fois en objecteur persistant et en championne de l’obligation

même dont les Iles Marshall demandent le respect.

14. En conséquence, même si le principe de l’objecteur persistant à l’émergence d’une règle

de droit international coutumier était un principe reconnu en droit international contemporain et

pouvait s’appliquer lorsqu’une norme générale est en jeu, l’Inde n’en serait pas moins liée par la

règle qui est en cause en l’espèce.

15. Enfin, je noterai que, dans une sorte d’avenant à son exposé, M. Pellet a accepté la

conclusion contenue dans l’avis consultatif de la Cour selon laquelle tous les Etats ont cette

obligation de poursuivre des négociations de bonne foi et de les mener à terme, reconnaissant là

encore de manière implicite que celle-ci relève du droit international coutumier . 88

16. Les Iles Marshall ne restent pas dans un «vague affligeant» quant aux démarches

s’imposant aux Etats au titre de cette règle de droit international coutumier, contrairement à ce qu’a

85
CR 2016/4, p. 15, par. 6.
86Ibid., par. 5.

87Ibid., p. 17, par. 9.
88
Ibid., p. 42, par. 12. - 30 -

89
affirmé l’un des conseils de l’Inde ; l’existence de la règle, sa portée et sa teneur ne sont pas des

questions ayant un caractère exclusivement préliminaire et doivent être examinées au stade du

fond.

34 17. Ainsi s’achève mon exposé. Je remercie la Cour de son aimable attention et vous prie,

Monsieur le président, de bien vouloir appeler mon collègue, M. Paolo Palchetti, à la barre.

The PRESIDENT: Thank you, Madam. I now give the floor to Professor Palchetti.

M. PALCHETTI :

A BSENCE DE TIERCES PARTIES

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, il m’échet de revenir sur quatre

points en réponse aux arguments qui ont été développés par l’Inde jeudi dernier. Tous ont trait à la

question de savoir si la Cour est fondée à exercer sa compétence en l’espèce en l’absence des autres

Etats dotés d’armes nucléaires.

2. Je commencerai par le premier de ces points  le critère à retenir pour déterminer si le

principe dit de l’Or monétaire est applicable en la présente instance.

I. Condition à laquelle le principe de l’Or monétaire serait applicable

3. L’Inde n’a pas beaucoup approfondi cette question. Toutefois, M. Pellet a semblé un

moment soutenir que la condition à remplir n’était pas celle avancée par les Iles Marshall. Il a fait

valoir qu’un Etat tiers devait être considéré comme une partie indispensable dès lors qu’un arrêt

était susceptible d’avoir des incidences sur sa situation juridique. Et d’invoquer à cet égard les

opinions jointes en l’affaire Nauru par les juges Ago et Jennings, en affirmant qu’elles contenaient

90
déjà la réponse à l’argumentation développée par les Iles Marshall lundi dernier .

4. Réfuter le propos de M. Pellet n’est pas une mince affaire. Mais voici que M. Pellet

m’oblige à réfuter aussi celui des juges Ago et Jennings ! Fort heureusement, je n’aurai pas à le

faire : la Cour s’en est déjà chargée. Le critère qu’elle a défini en l’affaire Nauru n’est pas celui

avancé par ces deux éminents juges. Leurs opinions étaient des opinions dissidentes.

89CR 2016/4, p. 33, par. 70.

90Ibid., p. 44 (Pellet). - 31 -

5. Du reste, mon ami M. Pellet semble en définitive se rapprocher de l’opinion de la majorité

en l’affaire Nauru. Il admet que la question essentielle aux fins de considérer un Etat tiers comme

une partie indispensable est celle de savoir si la détermination de la responsabilité de cet Etat est

35 une précondition, «un préalable», pour déterminer celle de l’Etat défendeur . On peut dès lors

conclure que les deux Parties sont d’accord sur le critère à retenir en la présente affaire aux fins

d’établir si le principe de l’Or monétaire trouve ici à s’appliquer.

II. L’opposabilité erga omnes de l’obligation dont la violation est alléguée
et le principe l’Or monétaire

6. Sur la question de l’opposabilité erga omnes de l’obligation de négocier, à laquelle se

rapporte mon deuxième point, l’agent de l’Inde a répété un argument déjà exposé dans le

contre-mémoire . 92 Mme Chadha a soutenu que les Iles Marshall ne pouvaient se fonder sur

l’opposabilité erga omnes de cette obligation pour établir la compétence de la Cour à l’égard

d’Etats qui ne sont pas parties au différend . Mais les Iles Marshall n’ont jamais soutenu que la

Cour devait exercer sa compétence à l’égard d’Etats non parties à un différend devant la Cour.

Elles soutiennent que la Cour est compétente pour connaître du différend les opposant à l’Inde, et

qu’elle doit exercer cette compétence indépendamment de la question de savoir si son arrêt est

susceptible d’avoir des incidences sur les intérêts d’Etats tiers.

7. L’agent de l’Inde a également insisté sur le fait que le différend ne serait pas un différend

94
bilatéral, parce que l’obligation dont la violation est alléguée est une obligation erga omnes . Elle

est, certes, mais ce point est dépourvu de pertinence. Les omnes ne sont pas des parties

indispensables. Le principe de l’Or monétaire n’est pas applicable pour la seule raison que

l’obligation en cause entre les parties serait une obligation erga omnes.

91
CR 2016/4, p. 44 (Pellet).
92CMI, p. 21, par. 40.

93CR 2016/4, p. 11 (Chadha).
94
Ibid. - 32 -

III. La détermination de la responsabilité d’autres Etats détenteurs
d’armes nucléaires n’est pas une condition préalable
à la détermination de la responsabilité de l’Inde

8. J’en viens maintenant à ce qui semble être le principal argument de l’Inde. Celle-ci

soutient que la Cour ne peut déterminer si elle s’est conformée à l’obligation de mener de bonne foi

des négociations sans avoir au préalable déterminé si les autres Etats dotés d’armes nucléaires ont

honoré cette même obligation . 95

36 9. A l’appui de cet argument, l’Inde tente de détourner l’attention de son propre

comportement pour la focaliser sur celui de tous les Etats appelés à prendre part à des négociations

sur le désarmement nucléaire. En substance, le présent différend, tel que décrit par l’Inde,

supposerait que la Cour détermine quel est l’Etat responsable de l’absence de convention

multilatérale sur le désarmement nucléaire, qu’il s’agisse de l’Inde, de tel ou tel des autres Etats

96
détenteurs d’armes nucléaires ou de l’Inde et de l’ensemble de ces autres Etats .

10. Or, Monsieur le président, tel n’est pas l’objet du présent différend. Celui-ci porte

exclusivement sur la responsabilité encourue par l’Inde en raison de son comportement illicite en

matière de désarmement nucléaire. Un Etat peut manquer à son obligation de négocier de

différentes manières. Il peut rejeter toutes les invitations tendant à entamer des négociations sur le

désarmement nucléaire. Il peut voter contre toutes les propositions visant à engager un processus à

cet effet dans le cadre d’une organisation internationale. Il peut adopter un comportement qui, au

lieu de servir l’objectif consistant à mener à bien une négociation, tend à y faire échec. Dans tous

les cas, le comportement de l’Etat en question peut être apprécié isolément, sans qu’il soit besoin

de se prononcer au préalable sur la situation juridique d’Etats tiers.

11. Dans le cas d’espèce, l’essentiel des allégations factuelles sous-tendant les demandes des

Iles Marshall portent sur des actes et omissions exclusivement attribuables à l’Inde. Une

évaluation de ces faits suffit à établir que l’Inde a manqué à son obligation d’entreprendre de bonne

foi des négociations. Point n’est besoin, à titre préalable, d’examiner le comportement d’Etats

tiers.

95
CR 2016/4, p. 44-45 (Pellet)
96Ibid., p. 45 (Pellet) - 33 -

IV. Le remède demandé par les Iles Marshall

12. Voilà qui me mène à mon dernier point, qui concerne le remède demandé par les

Iles Marshall en la présente espèce. L’Inde affirme avec insistance que tout arrêt que la Cour

pourrait rendre contre elle serait inexécutable en raison de l’absence de tierce parties
97
indispensables . Selon l’Inde, cette impossibilité d’exécuter l’arrêt justifierait l’application du

principe de l’Or monétaire.

37 13. Là encore, il n’y a pas lieu de croire que la décision demandée par les Iles Marshall ne

pourrait être exécutée dès lors que la même injonction ne serait pas adressée à l’ensemble des

autres Etats dotés d’armes nucléaires. M. Pellet a raison d’affirmer que «[o]ne cannot negotiate on

one’s own» . Mais les Iles Marshall ne demandent pas à la Cour d’ordonner à l’Inde de conclure

une convention multilatérale relative au désarmement nucléaire. Elles la prient d’ordonner à l’Inde

de prendre toutes les mesures nécessaires pour se conformer aux obligations lui incombant, dont

celle de prendre, si nécessaire, l’initiative de négociations visant à conclure une convention relative

au désarmement nucléaire. C’est là tout autre chose. L’obligation de prendre l’initiative de

négocier et de poursuivre de bonne foi les négociations est opposable à un seul Etat,

indépendamment des positions et actes d’autres Etats dotés d’arsenaux nucléaires.

14. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre

attention et vous prierai de bien vouloir donner la parole au coagent, M. Tony deBrum, qui

présentera nos observations finales.

Le PRESIDENT: Thank you. I now give the floor to H. E. Mr. Tony A. deBrum, Co-Agent

of the Marshall Islands.

M. deBRUM :

CONCLUSIONS

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, comme je l’ai indiqué la

semaine dernière, si les Iles Marshall ont décidé de saisir la Cour, c’est parce qu’elles ont foi en la

primauté du droit, et se fondent sur ce principe.

97CR 2016/4, p. 11 (Chadha) ; p. 46 (Pellet).

98Ibid., p. 45, par. 20 (Pellet). - 34 -

2. Je tiens à répondre brièvement à certaines observations que l’Inde a formulées dans ses

plaidoiries.

3. Premièrement, en ce qui concerne la raison pour laquelle les Iles Marshall ont accepté la

juridiction obligatoire de la Cour, l’Inde a demandé à celle-ci de conclure à une intention

délictueuse de la part de mon pays. Pareille conclusion serait erronée. Et vous avez devant vous le

signataire de la déclaration d’acceptation des Iles Marshall. Les accusations de l’Inde selon

lesquelles ce différend serait «pervers», «artificiel», «fourbe», «fallacieux» et «créé de toutes

pièces» ou «constituerait un abus de procédure» sont tout à la fois infondées et fausses.

4. Deuxièmement, le différend en l’espèce porte sur la question de savoir si l’Inde manque à

une obligation de droit international coutumier consistant à poursuivre de bonne foi des

négociations conduisant au désarmement nucléaire et, partant, de mettre fin à la course aux

armements nucléaires. Les Iles Marshall n’ont pas prétendu que les votes de l’Inde à

38 l’Organisation des Nations Unies constituaient un manquement à ses obligations, mais ont fait

valoir que celle-ci ne poursuivait pas de bonne foi les négociations requises et qu’elle avait

notamment pris d’importantes mesures allant à l’encontre de ses obligations. Et les actes sont plus

éloquents que tous les discours.

5. Même sur la question des votes à l’Assemblée générale, l’Inde ne peut qu’admettre que,

depuis 2013, les Iles Marshall votent en faveur des résolutions appelant à l’ouverture immédiate de

négociations sur une convention relative aux armes nucléaires et de celles sur la «Suite donnée à

l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur la licéité de la menace ou de l’emploi
100
d’armes nucléaires» . Pourtant, l’Inde nous a reproché de nous être abstenus ou d’avoir été

absents lors des votes de certaines années antérieures. Je n’entrerai pas ici dans le détail des

modestes ressources humaines et financières dont dispose mon pays pour les travaux à l’Assemblée

générale ou de l’évolution de nos votes depuis la fin récente de la tutelle des Nations Unies. Je me

contenterai simplement de dire, Monsieur le président, que la République des Iles Marshall est

pleinement résolue à utiliser la voix, si limitée soit-elle, dont elle dispose dans cette enceinte pour

99
Par exemple, résolution A/RES/68/32 de l’Assemblée générale des Nations Unies, 5 décembre 2013
(137-28-20).
100 Par exemple, résolution A/RES/70/56 de l’Assemblée générale des Nations Unies, 7 décembre 2015
(137-24-25). - 35 -

parvenir au désarmement nucléaire. Il convient également d’ajouter que l’enceinte en question, à

savoir l’Assemblée générale des Nations Unies, n’a à ce jour pas enregistré de progrès significatifs

à cet égard. Si tel est le cas, c’est qu’elle est entravée par le fait que les Etats dotés d’armes

nucléaires ne satisfont pas à l’obligation qui leur incombe de négocier de bonne foi.

6. Troisièmement, l’Inde a reconnu à l’audience que les souffrances «apocalyptiques» que

101
les armes nucléaires avaient faire subir à mon pays étaient une «catastrophe» , tout en soulignant

qu’elle y était totalement étrangère. Cette déclaration est tout à fait hors de propos. Les terribles

souffrances qu’ont endurées les Iles Marshall les ont motivées pour traduire en justice le géant

nucléaire qu’est devenue l’Inde, car mon pays connaît d’expérience les dévastations que l’arsenal

nucléaire indien est susceptible de provoquer, arsenal dont l’Inde est fière et qu’elle continue

d’améliorer et de diversifier rapidement. Un tel comportement est à l’opposé de l’exécution de

l’obligation juridique consistant à négocier de bonne foi le désarmement nucléaire.

7. Quatrièmement, lorsqu’un géant nucléaire comme l’Inde déclare devant la Cour qu’en lui
39

soumettant cette affaire, les Iles Marshall, dont la vulnérabilité est flagrante, poursuit des objectifs

politiques plutôt que juridiques, il convient de s’arrêter sur cette allégation invraisemblable. Car en

effet, en dehors du droit, un comportement n’obéissant qu’à des objectifs politiques aboutit bien

souvent à la loi du plus fort. Et nous ne devrions pas avoir à comparer l’Inde, neuvième puissance

mondiale, forte d’un PIB de deux mille milliards de dollars, aux Iles Marshall, qui se classent au

192 rang sur 194, juste devant Kiribati et Tuvalu, deux de nos voisins du Pacifique avec lesquels

l’Inde laisse entendre que nous devrions négocier le désarmement nucléaire mondial. Devant la

Cour, les Etats, vulnérables ou puissants, sont égaux devant la loi.

8. Enfin, cinquièmement, l’argument selon lequel les Iles Marshall devraient prendre la tête

des négociations plutôt que de demander à l’Inde, engagée dans une course effrénée aux armements

nucléaires, de rendre des comptes au sujet de ses obligations juridiques, apparaît tout à fait vain.

Les armes nucléaires ne connaissant pas de frontière, l’arsenal indien menace l’existence même de

l’humanité.

101CR 2016/4, p. 9, par. 5 (Chadha). - 36 -

9. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le règlement du présent

différend revêt la plus haute importance pour les Marshallais. Il n’y aura bientôt plus de témoins

directs des explosions nucléaires. Compte tenu de notre expérience, notre engagement pour obtenir

un règlement judiciaire de ce différend bien réel est inconditionnel.

10. Avant de donner lecture des conclusions finales des Iles Marshall, je tiens à remercier

sincèrement la Cour de son temps, de son attention et de sa grande compétence sur ces questions

cruciales de droit international.

11. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vais à présent donner

lecture des conclusions finales des Iles Marshall.

«Les Iles Marshall prient la Cour :

a) de rejeter les exceptions à sa compétence pour connaître des demandes des
Iles Marshall qui ont été soulevées par la République de l’Inde dans son
contre-mémoire du 16 septembre 2015 ; et

b) de dire et juger qu’elle a compétence pour connaître des demandes présentées par
les Iles Marshall dans leur requête du 24 avril 2014.»

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous remercie.

40 The PRESIDENT: Thank you, Excellency. The Court takes note of the final submissions

which you have just read out on behalf of the Republic of the Marshall Islands.

The Court will meet again in this case on Wednesday 16 March, at 10 a.m., to hear India’s

second round of oral argument.

Thank you. The sitting is adjourned.

The Court rose at 11.40 a.m.

___________

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