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CR 2016/4

Jeudi 10 mars 2016 à 10 heures

Thursday 10 March 2016 at 10 a.m. - 2 -

8 The PRESIDENT : Please be seated. The sitting is open. This morning, the Court willhear

India’s first round of oralargument in the case of Obligations concerning Negotiations relating to

Cessation of the NuclearArms Race and to Nuclear Disarmament (Marshall Islands v. India).

I give the floor to Ms Chadha, Agent of the Republic of India. You have the floor, Madam.

Mme CHADHA :Merci, Monsieur le président.

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est pour moi un honneur et

un privilège de prendre aujourd’hui la parole devant vous en tant qu’agent de l’Inde pour ouvrir son

tour de plaidoiries.

2. Je ne vais vous donner qu’un bref aperçu de l’argumentation de l’Inde, et laisseraile soin

à mes collègues de traiter en détail des points de droit soulevés par les Iles Marshallen cette phase

de la procédure consacrée aux exceptions préliminaires.

3. Le 24 avril2014, la République des Iles Marshall a déposé une requête introductive

d’instance contre neuf Etats dotés d’armes nucléaires, dont l’Inde, alléguant qu’ils avaient manqué

à leur obligation de poursuivre de bonne foi et de mener à leur terme des négociations conduisant

au désarmement nucléaire dans tous ses aspects, sous un contrôle international strict et efficace.

Dans sa lettre datée du 6 juin 2014, adressée à la Cour, l’Inde a expliqué qu’il n’existait aucun

différend d’ordre juridique entre elle et les Iles Marshallet a soulevé une exception d’incompétence

de la Cour.

4. Je tiens à préciser d’entrée qu’en soulevant cette exception, l’Inde n’a en aucune façon

voulu se départir du profond respect qu’elle porte à la Cour. Cette démarche ne doit pas non plus

être vue comme le signe que l’Inde serait moins fermement attachée à la cause qui a inspiré la

requête, celle du désarmement nucléaire. Elle s’est engagée en faveur de l’élimination complète

des armes nucléaires par la voie d’un désarmement nucléaire universel, vérifiable et

non-discriminatoire. L’Inde pense cependant que cet objectif ne peut être atteint que selon un

processus progressif procédant d’un engagement universelet s’inscrivant dans un cadre multilatéral

mondial et non-discriminatoire. Or, cet engagement et ce cadre font aujourd’huidéfaut. De l’avis

de l’Inde, il s’agit là d’une question de politique qu’il appartient aux instances compétentes de - 3 -

9 régler avec la participation de toutes les parties prenantes, et qui ne saurait être résolue par une

décision judiciaire visant quelques Etats.

5. Le coagent des Iles Marshall a fait une description épouvantable de l’essai nucléaire

Castle Bravo ; or, Monsieur le président, les Etats qui ont procédé à des essais nucléaires sur leur

sol ne se sont pas présentés devant la Cour, à l’exception de l’Inde ; celle-cipartage les inquiétudes

des Iles Marshall, mais elle est totalement étrangère à cette catastrophe. En fait, ses dirigeants ont

été les premiers à s’en indigner.

6. Le différend porté devant la Cour par les Iles Marshalla pour objet «le manquement de la

République de l’Inde ... à l’obligation qui lui incombe à l’égard du demandeur (ainsi qu’à l’égard

d’autres Etats) de poursuivre de bonne foiet de mener à terme des négociations devant conduire au

désarmement nucléaire». Selon les Iles Marshall, l’Inde serait tenue à cette obligation par le droit

international coutumier. Je crois utile, cependant, de rappeler que dans leur requête, les

Iles Marshall ont cité l’article VI du TNP comme étant la source de ladite obligation . 1

7. Monsieur le président, l’Inde n’est pas partie au TNP, et les raisons de son opposition à ce

traité sont bien connues, ayant été exposées devant toutes les instances compétentes. Je me

bornerai donc à noter que dans l’affaire du Droit d’asile, la Cour a dit qu’une règle coutumière ne

peut pas être opposée à un Etat qui, en s’abstenant de la ratifier, a répudié la convention dans

laquelle ladite règle trouve son origine .

8. Mais revenons-en à l’affaire. L’exception d’incompétence soulevée par l’Inde repose

essentiellement sur quatre arguments :

 premièrement, il n’existe aucun différend entre les Parties ;

 deuxièmement, même si la Cour venait à décider qu’il existe un différend, celui-ci ne pourrait

être tranché que si au moins tous les Etats possédant des armes nucléaires, et non pas un seul

d’entre eux, étaient parties à l’instance ; comme teln’est pas le cas, la Cour ne peut que refuser

d’exercer sa juridiction ;

1RIM, par. 41-44.

2Droit d’asile (Colombie/Pérou), arrêt, C.I.J. Recueil 1950, p. 15-16. - 4 -

 troisièmement, plusieurs des réserves dont l’Inde a assorti la déclaration facultative qu’elle a

faite en application du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut excluent la compétence de la

Cour ;

 quatrièmement, tout arrêt rendu en de telles circonstances serait totalement dénué d’effet

concret.

Absence de différend

10 9. Monsieur le président, en l’affaire relative à des Actions armées frontalières et

transfrontalières, la Cour, à propos du sens juridique de la notion de différend, a dit ce quisuit :

«en tant qu’organe judiciaire, [la Cour] doit seulement s’attacher à déterminer d’une

part si le différend qui lui est soumis est d’ordre juridique, c’est-à-dire s’il est
susceptible d’être résolu par application des principes et des règles du droit
international, et d’autre part si elle a compétence pour en connaître et sil’exercice de
cette compétence n’est pas entravé par des circonstances qui rendent la requête
irrecevable» .

Cela suppose bien entendu que le différend considéré soit précisément défini. Or, dans leur

requête et dans leur mémoire, les Iles Marshall font en fait état de deux différends avec l’Inde. Le

différend qu’elles prétendent les opposer à l’Inde n’est donc pas précisément défini. M. Salve

vous en dira plus sur ce sujet.

10. L’existence d’un différend au moment du dépôt de la requête étant une condition

première de l’exercice par la Cour de sa juridiction, se pose d’abord la question de savoir si, à la

date à laquelle les Iles Marshall ont déposé leur requête, il existait un différend entre les Parties.

11. Les Iles Marshall admettent dans leur mémoire que pour qu’il existe un différend, ilfaut

que les Parties aient d’abord eu quelques «échanges», tout en ajoutant que ces échanges n’ont pas

nécessairement à revêtir la forme de pourparlers officiels. Dans leurs plaidoiries, cependant, elles

en sont venues à nier purement et simplement qu’ilfaille que des négociations aient eu lieu avant la

date du dépôt de la requête. Je crois utile de noter à ce propos qu’en l’affaire Belgique c. Sénégal,

la Cour a considéré que pour établir sa compétence, il lui fallait s’assurer qu’il y avait eu à tout le

moins de la part du demandeur une véritable tentative d’entamer des pourparlers avec le défendeur

pour régler le désaccord, et que cette tentative avait échoué.

3Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1988, p. 91, par. 52. - 5 -

12. Monsieur le président, dans leurs relations bilatérales avec l’Inde, les Iles Marshalln’ont

jamais directement ou indirectement fait mention du prétendu différend, alors que plusieurs

rencontres entre les deux Etats leur en auraient donné l’occasion ces dernières années. Elles

présentent la déclaration d’ordre général que leur délégation a faite à la conférence de Nayarit

comme constituant une «preuve manifeste de l’existence d’un différend entre elle[s] et chacun des

Etats possédant des armes nucléaires, dont l’Inde» . 4 La déclaration en question, faite en

février 2014, soit deux mois avant le dépôt de la requête, n’est en fait d’aucun secours à la cause

des Iles Marshall, étant donné que les positions exprimées par les Parties lors de la conférence

11 quant à la nécessité du désarmement nucléaire se trouvaient coïncider. Qui plus est, les

Iles Marshall reconnaissent elles-mêmes que l’Inde a toujours fermement insisté sur la nécessité du

désarmement nucléaire . 5

13. En réalité, il n’y a donc aucun différend entre les Parties qui appellerait les remèdes

sollicités de la Cour.

Absence de parties dont la participation à la procédure serait indispensable

14. De plus, même si elle venait à décider que le différend allégué dans le mémoire des

Iles Marshall existe, la Cour n’aurait pas compétence faute de la présence devant elle des autres

parties dont la participation à la procédure serait indispensable. Les remèdes que les Iles Marshall

sollicitent de la Cour ne pourraient se concrétiser que par la voie d’une action multilatérale, la

question dont il s’agit ne se prêtant pas à une solution bilatérale.

15. L’argument des Iles Marshall, fondé sur le caractère prétendument erga omnes des

dispositions de l’article VI du TNP, qui établissent une obligation conventionnelle sur laquelle

l’Inde, ayant refusé de devenir partie au traité et ayant constamment manifesté qu’elle y était

opposée, s’abstient de prendre position, ne sert pas non plus leur cause, étant donné qu’ildémontre

lui-même que la question ne se prête manifestement pas à un règlement bilatéral.

16. En l’affaire du Timor oriental, la Cour a dit clairement que

«l’opposabilité erga omnes d’une norme et la règle du consentement à la juridiction
sont deux choses différentes. Quelle que soit la nature des obligations invoquées, la

4MIM, par. 18.

5Ibid., par. 19. - 6 -

Cour ne saurait statuer sur la licéité du comportement d’un Etat lorsque la décision à
prendre implique une appréciation de la licéité du comportement d’un autre Etat qui
n’est pas partie à l’instance. En pareilcas, la Cour ne saurait se prononcer, même sile
6
droit en cause est opposable erga omnes.»

17. De ce dictum, ilsuit que le caractère erga omnes de la norme prétendument enfreinte ne

saurait être invoqué pour établir la juridiction de la Cour à l’égard d’Etats qui ne sont pas présents

devant elle et ne sont donc pas parties au différend. Une décision par laquelle la Cour engagerait

l’Inde seule à négocier, faute de pouvoir le faire à l’égard des autres Etats concernés, serait

dépourvue de sens.

18. Le régime du désarmement nucléaire doit donc nécessairement faire l’objet d’un traité

multilatéral. Tant que tous les Etats dotés d’armes nucléaires et les autres Etats participant aux

négociations sur le désarmement nucléaire ne se seront pas mis d’accord, l’instauration d’un régime

mondial de non-prolifération et de désarmement nucléaires sera impossible.

Les réserves de l’Inde excluant la compétence de la Cour

12 19. Monsieur le président, la déclaration d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour

faite en 1974 par l’Inde en application du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut est assortie de

plusieurs réserves, dont certaines excluent la compétence de la Cour en l’espèce.

20. La Cour a dit qu’il appartient à chaque Etat de décider des limites qu’il assigne à son

acceptation de sa juridiction obligatoire . Cela étant, à en croire les Iles Marshall, l’interprétation

ordinaire des réserves dont l’une et l’autre des Parties ont assorti leur déclaration d’acceptation

montrerait que ces réserves ne font nullement obstacle à la compétence de la Cour en la présente

instance .

21. L’Inde affirme pour sa partque plusieurs des réserves dont elle a assortisa déclaration de

1974 excluent les demandes présentées par les Iles Marshallà son encontre de la compétence de la

Cour ; dans le contre-mémoire de l’Inde, ces réserves sont numérotées pour plus de commodité.

L’Inde considère que ses quatrième, cinquième, septième et onzième réserves excluent la présente

affaire de la juridiction de la Cour. Nous expliquerons pourquoi dans la suite de nos plaidoiries.

6
Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 102, par. 29.
7 Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998,
p. 452-453, par. 44.
8
MIM, par. 27. - 7 -

Ordre des plaidoiries de l’Inde

22. Monsieur le président, je vais maintenant indiquer comment l’Inde a prévu d’organiser

ses plaidoiries.

23. M. Amandeep Singh Gill, coagent, traitera d’un certain nombre de faits essentiels

concernant le désarmement nucléaire, la politique de l’Inde dans le domaine nucléaire et son

engagement en faveur du désarmement nucléaire universel.

24. M. Harish Salve, dans sa première plaidoirie, mettra en évidence les incohérences

relevées entre la requête et le mémoire des Iles Marshall, qui montrent qu’il n’y a en réalité aucun

différend les opposant à l’Inde et qu’elles commettent un abus de procédure.

25. M. Pellet traitera ensuite successivementde l’absence de différend entre les Parties sur la

question en cause, de l’application du «principe de l’Or monétaire» et du défaut d’effet concret

qu’aurait un arrêt sur le fond.

13 26. M. Salve reviendra ensuite à la barre pour expliquer pourquoicertaines des réserves dont

l’Inde a assortisa déclaration facultative font obstacle à la juridiction de la Cour en l’espèce.

Je vous remercie, Monsieur le président, et vous prie de bien vouloir donner la parole à

M. Amandeep Singh Gill, coagent de l’Inde.

The PRESIDENT : Thank you, Madam. I give the floor to Mr. Gill, Co-Agent of the

Republic of India.

M. GILL :

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je suis très honoré de

m’exprimer aujourd’hui devant vous au nom du Gouvernement indien. Je voudrais à ce stade, dans

un exposé en trois parties, présenter à la Cour un certain nombre de faits essentiels concernant le

désarmement nucléaire et la position de l’Inde sur ce sujet. Je sais parfaitement que les présentes

audiences portent sur la compétence et la recevabilité, et non sur le fond de l’affaire. Cependant, le

rappel de ces faits aidera la Cour à apprécier les éléments de fond qui appartiennent au contexte

des arguments que nous allons ensuite présenter sur la compétence et la recevabilité. - 8 -

Le désarmement et les instances des Nations Unies : un dispositif stratifié

2. Le désarmement relève de la responsabilité des Etats en vertu de la Charte des

Nations Unies, dont les articles 11 et 26 et le paragraphe 1 de l’article 47 assignent un rôle à

l’Assemblée générale, au Conseil de sécurité et à son Comité d’Etat major dans la définition des

«principes régissant le désarmement» et l’établissement de «plans» relatifs à la création d’un

dispositif de «réglementation des armements». Bien qu’elle soit considérée comme ayant été

conçue avant l’avènement de l’ère nucléaire, la Charte a posé les jalons d’un système comportant

deux catégories d’instances chargées de s’occuper du désarmement nucléaire  des organes

délibérants à composition non limitée chargés de définir les principes du désarmement nucléaire, et

des organes à composition restreinte mandatés pour négocier le désarmement en présence de toutes

les principales parties prenantes. Lorsqu’elle s’est réunie pour la première fois à Londres au début

de 1946, l’Assemblée générale, qui comptait alors cinquante et un membres, a consacré sa toute

première résolution (la résolution I(I) du 24 janvier 1946) à la création de la Commission de

l’énergie atomique des Nations Unies, composée des onze membres du Conseil de sécurité plus le

Canada, et chargée de formuler avec toute la promptitude possible des recommandations en vue

d’éliminer des armements nationaux les armes atomiques et toutes autres armes importantes

permettant des destructions massives.

14 3. La structure alors esquissée régit encore l’agencement des instances s’occupant du

désarmement nucléaire. Lors de sa première session extraordinaire sur le désarmement, tenue

en 1978, l’Assemblée générale a adopté par consensus le document final portant création de

l’actuel trio d’organes compétents enmatière de désarmement nucléaire. Ce trio comprend d’abord

un organe délibérant à composition non limitée, la Commission du désarmement, qui a pour

mandat de débattre des principes et des méthodes à suivre pour procéder au désarmement classique

aussi bien que nucléaire ; il comprend ensuite la Première Commission de l’Assemblée générale,

chargée de débattre des questions générales de désarmement et de sécurité internationale dans une

perspective universelle en tenant compte du contexte politique et sécuritaire du désarmement ; cet

organe propose à l’Assemblée générale des décisions et des résolutions n’ayant pas force

obligatoire, telles que la résolution relative à l’avis consultatif rendu par la Cour en 1996 ; enfin, le

troisième élément du trio est la Conférence du désarmement ; cet organe, composé de - 9 -

soixante-cinq membres et ayant son siège à Genève, prend ses décisions par consensus et a pour

mandat de négocier des instruments juridiquement contraignants. Réunissant tous les «Etats

militairement importants», y compris les neuf Etats qui possèdent des armes nucléaires, la

Conférence est la seule «instance multilatérale de négociation» s’occupant de désarmement au nom

de la communauté internationale. L’un des points de son ordre du jour est intitulé «cessation de la

course aux armements nucléaires». S’occupent également du désarmement nucléaire des instances

délibérantes ad hoc ouvertes aux seuls Etats parties à des conventions, telles que les conférences

d’examen du TNP. Cette stratification des instances en fonction de leur composition et de leurs

attributions est la principale caractéristique de l’ordre nucléaire actuel. Les Iles Marshall ont

marqué qu’elles admettaient ce fait en soumettant neuf requêtes qui visent les cinq Etats que le

TNP autorise à posséder des armes nucléaires, les trois Etats qui, n’ayant pas signé le TNP, n’ont

pas pris l’engagement de ne pas posséder d’armes nucléaires, et un Etat qui, bien que partie au

TNP, considère maintenant qu’il a cessé d’être tenu aux obligations prévues par celui-ci.

4. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, lorsqu’elle a tenu sa première

session extraordinaire consacrée au désarmement, l’Assemblée générale des Nations Unies a

reconnu qu’avec les autres «Etats militairement importants», les Etats dotés d’armes nucléaires

sont au premier chef responsables du désarmement nucléaire, et qu’ilimporte donc de s’assurer de

leur participation active. Elle a reconnu également que le désarmement relève de la responsabilité

de tous les Etats et que ceux-ci ont le devoir de concourir à l’action entreprise dans ce domaine. Il

est normal qu’il en soit ainsi étant donné qu’en dehors des Etats qui ont procédé à des essais

nucléaires et ont déclaré qu’ils possédaient des armes nucléaires, il faut compter ceux qui s’en

remettent à l’effet de dissuasion produit par les armes nucléaires détenues par d’autres, soit

15 actuellement les vingt-huit membres de l’OTAN et, dans la région Asie-Pacifique, des Etats tels

que le Japon et la République de Corée, etcompter aussiles Etats quiont atteint un stade avancé de

développement du cycle du combustible nucléaire et devraient être soumis à des contrôles et des

vérifications si un instrument instituant un régime universel et vérifiable de désarmement et de

non-prolifération nucléaires venait à entrer en vigueur. - 10 -

La contribution de l’Inde au désarmement nucléaire

5. L’Inde a été étroitement associée au processus multilatéral dont est née l’idée du

désarmement. Le Pandit Jawahar Lal Nehru, alors premier ministre indien, a été le premier à

lancer un appel, le 2 avril1954, en faveur de négociations conduisant à l’interdiction et à

l’élimination des armes nucléaires, et à préconiser, en attendant, la conclusion d’un accord sur la

cessation des essais nucléaires . 9 C’était l’époque où avaient lieu des essais d’armes

thermonucléaires dans l’atmosphère, y compris, malheureusement, sur le territoire des

Iles Marshall. En 1961, c’est à l’instigation de l’Inde et du Canada que l’Union soviétique et les

Etats-Unis ont assumé la coprésidence du premier organe permanent de négociation du

désarmement nucléaire, le Comité des dix-huit puissances sur le désarmement, ancêtre de l’actuelle

Conférence du désarmement. C’est l’Inde encore qui, avec un groupe de pays non alignés, a

obtenu en 1965 que soit inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée générale des Nations Unies un

point intitulé «non-prolifération des armes nucléaires» et a avancé l’idée d’un accord international

sur la non-prolifération par lequel les Etats dotés d’armes nucléaires s’engageraient à renoncer à

leurs arsenauxetles autres Etats à s’abstenir de mettre au point ou d’acquérir des armes nucléaires.

6. Cependant, au lieu de l’instauration d’un régime authentique de non-prolifération, selon

lequel les Etats possédant des armes nucléaires se seraient engagés à faire cesser la prolifération

verticale, et les autres Etats à arrêter la prolifération horizontale, on a assisté, après la conclusion en

juillet 1968 du TNP, à une accélération de la course aux armements nucléaires et à une

augmentation massive des arsenaux, mais cela est une autre histoire. Ainsi, au lieu d’un régime où

droits et obligations se seraient équilibrés, on a vu naître un paradigme discriminatoire. La position

de l’Inde à l’égard du TNP, arrêtée dès le stade de sa négociation, n’a pas varié depuis lors, et les

motifs de son opposition à cet instrument  son caractère discriminatoire, le fait qu’il ne répond

pas aux préoccupations sécuritaires de l’Inde et sa contribution nulle au désarmement

nucléaire  sont bien connus ; ils sont exposés dans les annexes du contre-mémoire. Je me

permets d’appeler tout particulièrement l’attention de la Cour sur l’annexe 20, dans laquelle

16 l’ambassadeur Azim Hussain expose éloquemment pourquoi l’Inde juge que l’article VI du TNP

est déficient et ne peut pas être considéré comme source d’une obligation juridique. La position de

9Déclaration du premier ministre Nehru devant la Chambre basse (Lok Sabha) du Parlement indien, 3 avril 1954. - 11 -

l’Inde sur le TNP est restée inchangée, comme l’attestent ses votes sur les projets de résolution

soumis à l’Assemblée générale des Nations Unies et ses déclarations officielles devant son propre

parlement et au sein d’organes des Nations Unies, qui établissent clairement que l’Inde, au cours

des cinq dernières décennies, a constamment et explicitement manifesté son opposition à cet

instrument.

7. Monsieur le président, le programme nucléaire de l’Inde est parmi les plus anciens, et

c’est dans un réacteur indien que la masse critique a été atteinte pour la première fois, en Asie,

en 1956. En dehors des quatre Etats qui étaient alors dotés de l’arme nucléaire, l’Inde, en 1965,

était le seul pays à être équipé d’installations de retraitement chimique permettant d’obtenir par

séparation isotopique d’importantes quantités de plutonium. L’Inde s’est ensuite dotée en 1969 de

sa première centrale nucléaire. Son programme nucléaire se distingue de ceux des autres Etats

dotés de l’arme nucléaire en ce qu’il privilégie les avancées technologiques plutôt que la

production d’armes.

8. Il y a de longue date en Inde un consensus sur les questions nucléaires, qui se manifeste

par l’adhésion au principe du désarmement nucléaire universel et non-discriminatoire et le soucide

sauvegarder la sécurité du pays dans un monde nucléarisé en réservant les choix quis’offrent à lui

et préservant les moyens dont il dispose. J’ai déjà dit que le Pandit Nehru a été, le 2 avril1954, le

premier dirigeant à préconiser l’ouverture de négociations sur l’interdiction et l’élimination des

armes nucléaires et la conclusion, en attendant, d’un accord de «gel» des essais nucléaires, et

qu’en 1965, l’Inde a proposé l’instauration d’un authentique régime de non-prolifération. Tout en

refusant d’être partie au TNP, l’Inde a continué d’apporter sa contribution aux efforts de

désarmement nucléaire en prenant à l’ONU des initiatives qui ont consisté notamment à déposer

chaque année depuis 1982 sur le bureau de l’Assemblée générale un projet de résolution relatif à

l’interdiction de l’emploi des armes nucléaires. Elle a montré en 1974 qu’elle avait une capacité

nucléaire, mais elle a durant 24 ans fait preuve d’une retenue sans égale alors même que les essais

se poursuivaient ailleurs et que la prolifération lui inspirait des préoccupations de plus en plus vives

quant à sa sécurité. En 1988, l’Inde a proposé un plan échelonné pour l’élimination complète des - 12 -

10
armes nucléaires, assorti d’un calendrier . Si ce plan avait été appliqué, la planète serait

aujourd’hui débarrassée des armes nucléaires.

9. Lorsqu’elle a déclaré en 1998 être un Etat doté de l’arme nucléaire, l’Inde a tenu à

rappeler son engagement en faveur du désarmement nucléaire, élément fondamentalde sa politique

étrangère, en faisant des déclarations solennelle au plus haut niveau tant devant son parlement que

devant l’Assemblée générale des Nations Unies, où M. Vajpayee, alors premier ministre indien, a

invité tous les Etats, et particulièrement ceux possédant des armes nucléaires, à se joindre à l’Inde

17 pour parvenir à un accord sur un programme échelonné d’élimination de toutes les armes

11
nucléaires . Lorsque l’Inde a arrêté définitivement sa doctrine nucléaire en 2003, elle en a rendu

publics certains éléments, dont sa volonté de poursuivre résolument l’objectif consistant à

débarrasser le monde des armes nucléaires par un désarmement mondial, vérifiable et

12
non-discriminatoire . En fait, l’Inde estle seulEtatpossédant des armes nucléaires à s’être engagé

en faveur de la négociation d’une convention sur l’interdiction des armes nucléaires analogue à la

Convention sur les armes chimiques, instrument international non-discriminatoire dont

l’application est vérifiable et placée sous le contrôle d’un organisme sis non loin de ce palais.

L’Inde est également l’un des deux Etats possesseurs d’armes nucléaires à avoir pris un

engagement de «non-recours en premier» aux armes nucléaires, adoptant ainsi une position qui

respecte l’avis consultatif rendu par la Cour en 1996 et est conforme à sa tradition de retenue et de

responsabilité. Le projet de résolution sur la réduction du danger nucléaire que nous déposons

chaque année depuis 1998 sur le bureau de l’Assemblée générale des Nations Unies prévoit la

révision des doctrines nucléaires et un certain nombre de mesures visant à réduire le risque

d’emploi non intentionnel ou accidentel d’armes nucléaires. En 2002, l’Inde a été l’auteur

principal d’un projet de résolution sur les mesures visant à empêcher les terroristes d’acquérir des

armes de destruction massive ; ce texte insistait sur les dangers quirésulteraient de l’acquisition de

matières fissiles et de technologies nucléaires par des acteurs non étatiques et appelait à la

coopération internationale pour écarter ces dangers. En 2006, l’Inde a soumis à l’Assemblée

10
Contre-mémoire de la République de l’Inde (CMI), annexe 4.
11 CMI, annexe 5 ; discours prononcé le 24 septembre 1998 par M. Vajpaee, premier ministre indien, devant
l’Assemblée générale des Nations Unies.
12
CMI, annexe 24. - 13 -

générale un document de travail sur le désarmement nucléaire qu’elle a ensuite présenté à la

Conférence du désarmement en 2007 . Ce document contient une liste de mesures concrètes à

prendre pour progresser dans la réalisation de l’objectif d’un monde exempt d’armes nucléaires.

En 2009, l’Inde s’est jointe à un consensus sur un programme de travailproposé à la Conférence du

désarmement, programme qui prévoyait la négociation d’un traité interdisant la production de

matières fissiles destinées à la fabrication d’armes nucléaires et d’autres engins explosifs

nucléaires ; elle a soumis cette proposition sans préjudice de la priorité qu’elle accorde aux

négociations sur le désarmement nucléaire. Plus récemment encore, en janvier 2015, l’Inde s’est

déclarée devant la Conférence du désarmement favorable à l’adoption d’un programme de travail

prévoyant l’ouverture de négociations au sein de la Conférence, instance internationale compétente,
14
sur une convention exhaustive relative aux armes nucléaires .

18 10. Monsieur le président, alors que les débats sur le désarmement nucléaire sont entravés

par de profondes divergences, l’Inde appelle à l’unité d’action et affirme que le désarmement

nucléaire peut être réalisé selon un processus échelonné procédant d’un engagement universel et

s’inscrivant dans un cadre multilatéral mondial et non discriminatoire établi par un accord. Nous

avons également engagé tous les Etats qui possèdent des armes nucléaires à entamer un véritable

dialogue sur les moyens de renforcer la confiance et de réduire la place que tiennent les armes

nucléaires dans les affaires internationales et les doctrines de sécurité. Nous pensons que le

renforcement des restrictions d’emploi des armes nucléaires réduirait la probabilité de les voir

effectivement utilisées, délibérément, non intentionnellement ou accidentellement, et que ce

processus pourrait contribuer à délégitimer progressivement ces armes, étape essentielle sur la voie

de leur élimination, comme on l’a vu dans le cas des armes chimiques et des armes biologiques.

Ilressort de ce que je viens d’exposer que l’Inde est peut-être le seul des Etats dotés d’armes

nucléaires à avoir une conception constante et cohérente du désarmement nucléaire, et à n’avoir

jamais hésité, dans les instances internationales, à prendre des initiatives en vue de faire avancer la

réalisation de l’objectif d’un monde exempt d’armes nucléaires. C’est donc par une ironie du sort,

13CMI, annexe 1.

14 Déclaration de l’ambassadeur Venkatesh Varma, en séance plénière de la Conférence du désarmement,
27 janvier 2015. - 14 -

pour ne pas dire un effet pervers, que l’Inde se trouve aujourd’hui devant ce tribunal obligée de

défendre son engagement en faveur du désarmement nucléaire. L’Inde n’a en effet jamais fléchi

dans sa détermination de voir un jour se concrétiser l’objectif du désarmement nucléaire universel,

non discriminatoire et vérifiable et de l’élimination totale des armes nucléaires dans un délai

déterminé.

Absence de différend : impossibilité de réaliser le désarmement
mondial par la voie judiciaire

11. En conclusion, je tiens à réaffirmer qu’il n’existe aucun différend entre les Iles Marshall

et l’Inde. Ilressort sans l’ombre d’un doute de l’annexe 9 du contre-mémoire de l’Inde que celle-ci

a constamment voté pour les résolutions relatives à l’avis consultatif de la Cour par lesquelles

l’Assemblée générale demande «à tous les Etats de s’acquitter immédiatement de cette obligation

en engageant des négociations multilatérales afin de parvenir sans tarder à la conclusion d’une

convention relative aux armes nucléaires interdisant la mise au point, la fabrication, l’essai, le

déploiement, le stockage, le transfert, la menace ou l’emploi de ces armes et prévoyant leur

élimination», et qu’elle est même allée jusqu’à se joindre à ses auteurs, alors que les Iles Marshall

se sont la plupart du temps abstenues lors du vote, et ont même une fois voté contre. Ce fait illustre

mieux que tout autre le caractère artificiel du prétendu différend. De même, l’argument des

Iles Marshall selon lequel leur déclaration devant la conférence sur les incidences humanitaires des

19 armes nucléaires, tenue à Nayarit en février 2014, a fait surgir un différend entre elles et chacundes

Etats possédant des armes nucléaires, dont l’Inde, met en fait en évidence l’absence de différend.

L’Inde était eneffet présente à cette conférence, à la différence des Etats dotés d’armes nucléaires

qui sont parties au TNP, et les actes de la conférence attestent que ses représentants se sont

exprimés en faveur du désarmement nucléaire et ont réaffirmé la volonté de l’Inde de concourir à la

réalisation de l’objectif de l’élimination complète des armes nucléaires par un processus universel,

non discriminatoire, vérifiable et échelonné selon un calendrier précis. Nous étions donc

foncièrement d’accord avec les Iles Marshall, même si nous nous sommes exprimés autrement

qu’elles, quant à la nécessité de progresser sur la voie d’un «désarmement efficace et sûr». Il ne

saurait donc être question d’un différend entre les deux Etats. - 15 -

12. Enfin, Monsieur le président, je tiens à dire que de par sa nature même, la question du

désarmement nucléaire mondial ne saurait être résolue par la voie d’instances judiciaires mettant en

présence deux Etats ou une poignée d’Etats ; ils’agit d’atteindre un objectif auqueldoivent adhérer

tous les Etats, et quine peut se concrétiser que par la voie de négociations se déroulant en présence

et avec la participation active de tous les Etats concernés, en particulier ceux dont les intérêts sont

le plus en jeu. Comme je l’ai montré dans la première partie de mon exposé, ce fait essentiel est

reconnu par la Charte des Nations Unies, et l’est implicitement dans l’agencement du dispositif de

désarmementque la communauté internationale a établi par consensus. Le caractèreessentielde ce

fait est également illustré par la position de l’Inde selon laquelle la première étape sur la voie

conduisant à un monde exempt d’armes nucléaires consiste à prendre un engagement universelet à

s’accorder sur un cadre multilatéral mondial et non-discriminatoire. Nous restons près à concourir

à la concrétisation de ce noble objectif par notre action au sein des instances multilatérales

compétentes.

13. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre

patiente attention. Monsieur le président, puis-je me permettre de vous demander de bien vouloir

inviter M. Harish Salve à me succéder à la barre ?.

The PRESIDENT :Thank you. I now give the floor to Mr. Salve.

M. SALVE : Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je suis très honoré

qu’il me soit donné aujourd’hui de m’exprimer pour la première fois devant vous au nom de l’Inde,

mon pays.

P REMIÈRE PARTIE
O BSERVATIONS LIMINAIRES

1. Monsieur le président, l’Inde est le seul des Etats possédant des armes nucléaires à se

joindre chaque année aux auteurs de la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies

intitulée «Suite donnée à l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur la licéité de la

menace ou de l’emploi d’armes nucléaires» et à voter pour.15

15Contre-mémoire de la République de l’Inde, annexe 8. - 16 -

20 2. Son coagent vient de citer cette résolution, par laquelle l’Assemblée demande «à tous les

Etats [d’engager] immédiatement des négociations multilatérales afin de parvenir sans tarder à la

conclusion d’une convention relative aux armes nucléaires interdisant la mise au point, la

fabrication, l’essai, … [d’]armes [nucléaires]».

3. L’Inde a toujours voté pour cette résolution et s’estconstamment jointe à ses auteurs, alors

que les Iles Marshallont voté contre ou se sont abstenues à neuf reprises, et n’ont voté pour qu’une

seule fois.

4. Et pourtant, Monsieur le président, me voiciparadoxalement devant la Cour pour défendre

l’Inde contre laquelle est dirigée une requête alléguant qu’elle a non seulement pris part

vigoureusement à la course aux armements nucléaires, mais encore manqué à son obligation de

négocier de bonne foi et de conclure des traités de désarmement nucléaire.

5. Comme je vais m’appliquer à le montrer, l’Inde et les Iles Marshall s’accordent

parfaitement sur la nécessité d’éliminer les armes nucléaires. Les Iles Marshall n’avaient donc

aucunement matière à introduire la présente instance contre l’Inde. Mais puisqu’elles ont

néanmoins choisi de le faire, M. Pellet et moi-même nous proposons de vous montrer que le

prétendu différend est artificiel, et que les Iles Marshall ne sont aucunement fondées à invoquer la

juridiction de la Cour.

6. Dans cette première partie de mon intervention, je procéderaiselon l’ordre suivant :

i) premièrement, je montrerai que l’introduction et le déroulement de la présente instance

relèvent d’un abus de procédure ;

ii) deuxièmement, j’expliquerai qu’il n’y a pas véritablement de différend entre l’Inde et les

Iles Marshall ;

iii) enfin, troisièmement, je ferai valoir que les Iles Marshall n’ont pas adressé à l’Inde de

notification préalable du différend allégué.

Mon exposé sur la deuxième question, l’absence de différend, portera seulement sur deux points, et

je laisserai le soin à M. Pellet d’en dire plus.

7. Pour sa part, M. Pellet se propose d’aborder les trois points suivants :

i) l’absence de différend entre les Parties ; - 17 -

ii) l’absence devant la Cour de parties dont la participation à la procédure serait indispensable

en vertu du principe de l’Or monétaire ;

iii) le défaut totald’effet concret qu’aurait un arrêt de la Cour sur le fond.

8. Si vous le voulez bien, Monsieur le président, je reprendrai ensuite la parole pour traiter

des quatre réserves que l’Inde estime faire obstacle à la compétence de la Cour. La première partie

de ma plaidoirie devrait prendre moins de 50 minutes, l’intervention de M. Pellet moins de

40 minutes, et la seconde partie de ma plaidoirie tout au plus 35 minutes.

I. A BUS DEPROCÉDURE

A. Les vacillements des Iles Marshall dans la formulation de l’objet
du prétendu différend

21 9. Monsieur le président, la manière dont s’est déroulée jusqu’icila présente instance montre

sans l’ombre d’un doute que celle-cirelève d’un abus de procédure. L’instance a été introduite par

une requête faisant état de plusieurs griefs, dans laquelle sont demandés des remèdes et

satisfactions allant bien au-delà de ce que la Cour pourrait accorder sielle venait à admettre que le
16
point 2 F du dispositif de son avis consultatif reflète l’existence d’un principe de droit

international coutumier. La requête repose en effet sur l’hypothèse d’un principe beaucoup plus

large de droit international coutumier.

10. Quant au mémoire, il n’invoque aucun fait ou moyen de droit qui puisse étayer les

allégations vagues formulées dans la requête selon lesquelles le comportement de l’Inde, qui vise

d’après les Iles Marshall à accroître et à améliorer son arsenalnucléaire, constituerait une violation

du droit international coutumier. Selon le mémoire, le seul différend opposant les Iles Marshall à

l’Inde porterait sur la prétendue inaction de celle-ci en matière de négociations sur le désarmement

nucléaire.

11. Dans leurs plaidoiries, certains des conseils des Iles Marshall ont retenu la thèse qui

ressort du mémoire quant à l’objet du différend. Les autres, cependant, ont fondé leur

argumentation sur les allégations relatives au comportement de l’Inde à l’égard de son programme

16Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), par. 105. - 18 -

d’armement nucléaire, et ont affirmé catégoriquement que les Iles Marshall attendaient toujours de

la Cour qu’elle leur accorde les conclusions déclaratoires et l’injonction sollicitées dans la requête.

12. Alors qu’à la lecture du mémoire, il pouvait sembler que les Iles Marshall cherchaient

simplement à resserrer l’objet du prétendu différend, il s’avère maintenant qu’elles exécutent une

manœuvre soigneusement préparée qui, en ce qu’elle procède de la duplicité, constitue à mon sens

un abus de procédure. Bien qu’aucun différend véritable ne les oppose à l’Inde, les Iles Marshall

cherchent à défendre leur position sur la compétence de la Cour en jouant de leurs propres

contradictions.

13. Les principaux griefs présentés comme étant l’objet de la requête ont manifestement été

abandonnés dans le mémoire. Pour plus de clarté, on peut les classer en fonction des catégories

d’allégations censées les fonder :

i) les allégations relatives au comportement de l’Inde, comme celles portant sur

l’accroissement et l’amélioration de son arsenal nucléaire, sa prétendue contribution à la

prolifération verticale, etc. ; je traiterai de ces allégations comme se rapportant au

programme d’armement nucléaire de l’Inde ;

22 ii) deuxièmement, les allégations d’inaction, consistant à reprocher à l’Inde de ne pas avoir

gelé le prétendu développement de son prétendu programme d’armement nucléaire et de

ne pas avoir pris des mesures unilatérales de désarmement ; je traiterai de ces allégations

sous la rubrique du désarmement unilatéral ;

iii) troisièmement, les allégations selon lesquelles l’Inde n’aurait pas poursuivi de bonne foi et

mené à terme des négociations sur des traités multilatéraux de désarmement nucléaire ; je

traiteraide ces allégations sous la rubrique des négociations sur le désarmement.

14. Dans leur mémoire, les Iles Marshall, abandonnant leurs allégations relatives au prétendu

programme d’armement nucléaire de l’Inde et à son refus supposé de prendre des mesures de

désarmement unilatéral, se bornent à lui faire grief de prétendus manquements se rapportant à la

négociation en vue du désarmement.

15. Au paragraphe 47 du mémoire, on peut lire ce quisuit :

«Ex abundanti cautela, l’on ajoutera que, plus largement, le présent différend
ne porte pas sur la question du droit de l’Inde de posséder un arsenal nucléaire ou
d’utiliser des armes nucléaires au titre de la légitime défense. Tel que défini dans la - 19 -

requête de la République des Iles Marshall, il a trait à la question de savoir sil’Inde a
respecté et continue de respecter son obligation de poursuivre de bonne foi et de
mener à leur terme des négociations conduisant au désarmement nucléaire dans tous
ses aspects, sous un contrôle international strict et efficace.»

16. Cette assertion est formulée dans le contexte de la réponse des Iles Marshall à

l’exception d’incompétence soulevée par l’Inde en invoquant la quatrième réserve dont est assortie

sa déclaration d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour. Les Iles Marshall

s’abstiennent de dire dans leur mémoire comment la Cour pourrait trancher le différend ainsi

formulé par un arrêt qui retiendrait les conclusions déclaratoires et l’injonction qu’elles sollicitent

dans leur requête.

17. Les conseils des Iles Marshall ont invoqué des allégations relatives au prétendu

programme d’armement nucléaire de l’Inde pour contester l’exception d’incompétence soulevée

par elle sur la base de certaines de ses réserves et se sont efforcés de réfuter son argument selon

lequel faire droit à la requête ne produirait aucun effet concret, ce qui montre bien que le

demandeur continue d’insister pour que la Cour lui accorde tous les remèdes, sous la forme de

déclarations et d’une injonction, qu’il sollicite dans sa requête.

18. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vais maintenant procéder à

une analyse de la requête et du mémoire quiva faire clairement apparaître la duplicité dont procède

la démarche des Iles Marshall.

B. La procédure est clairement établie par le Règlement de la Cour

19. Aux termes du paragraphe 1 de l’article 38 du Règlement, une instance est introduite

devant la Cour «par une requête adressée conformément à l’article 40, paragraphe 1, du Statut».

23 20. Le paragraphe 1 de l’article 40 du Statut stipule que les affaires sont portées devant la

Cour par une requête adressée au Greffier.

21. Le paragraphe 2 de l’article 38 du Règlement prévoit que la requête doit comporter trois

éléments, et spécifie le degré de rigueur des critères auxquels chacun d’entre eux doit satisfaire.

22. Ces éléments sont :

i) l’indication, autant que possible, des moyens de droit sur lesquels le demandeur prétend

fonder la compétence de la Cour ;

ii) l’indication de «la nature précise de la demande» ; - 20 -

iii) un «exposé des faits et moyens sur lesquels [la] demande repose».

23. Le Règlement énonce ainsi les rubriques des pièces de procédure en spécifiant les

conditions plus ou moins rigoureuses auxquelles elles doivent satisfaire. La requête doit indiquer

la nature précise de la demande, et je me permets de souligner l’importance de l’adjectif précise.

Les moyens de droit, quant à eux, n’ont pas à être d’emblée exposés exhaustivement, et sont

indiqués autant que possible. Enfin, l’exposé des faits et des moyens sur lesquels repose la

demande doit, au stade de la requête, être succinct.

24. Une distinction est établie entre la procédure écrite et la procédure orale. Les mémoires

et contre-mémoires sont des pièces de procédure écrite. Selon l’article 45 du Règlement, un

mémoire et un contre-mémoire sont des pièces de procédure «dans une affaire introduite par une

requête».

25. Aux termes de l’article 49 du Règlement, un mémoire contient un exposé des faits sur

lesquels la demande est fondée, un exposé de droit et les conclusions. Le Règlement ne prévoit

donc pas que la demande doive être reprise dans le mémoire, ce qui n’a rien d’étonnant vu que

celui-ci doit exposer in extenso les faits et les moyens de droit qui fondent la demande déjà

formulée dans la requête. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le mémoire a

pour fonction, à mon sens, d’étayer et de compléter la requête, et ne saurait s’y substituer.

26. En l’affaire Ahmadou SadioDiallo(République deGuinée c. République démocratique

du Congo), la Cour a qualifié les dispositions de son Règlement d’«essentielles au regard de la

sécurité juridique et de la bonne administration de la justice» .

24 27. Le Règlement de la Cour, texte procédural conçu non seulement pour servir la justice,

mais aussi pour ordonner le cours des instances contentieuses, et dont les dispositions ont fort bien

résisté à l’épreuve du temps, ne saurait être dédaigneusement contourné. La présente affaire

illustre le danger inhérent à des entorses à la procédure établie quisont lourdes de conséquences en

ce qu’elles procèdent d’une tentative de semer la confusion quant à l’objet du différend, à la faveur

de quoi sont avancés des arguments contradictoires démontrant prétendument que la Cour a

compétence.

17 Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), arrêt,
C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 656, par. 38, reprenant l’observation formulée en l’affaire relative à Certaines terres à
phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 267, par. 69. - 21 -

28. La requête postule que le droit international coutumier faitobligationauxEtats de mettre

fin à la course aux armements nucléaires, et obligation également de procéder au désarmement, ce

dont découlerait une troisième obligation, celle de conclure des traités. Sil’on considère la requête

dans son entier, il semble que les Iles Marshall soutiennent que les Etats doivent négocient de

bonne foi et conclure des traités en vue d’éliminer les armes nucléaires et de réaliser le

désarmement nucléaire, et que c’est là une étape essentielle qu’ils doivent franchir pour remplir

l’obligation que leur ferait le droit international coutumier de mettre fin à la course aux armements

et de réaliser le désarmement nucléaire. Et elles vont plus loin, en prétendant que le droit

international coutumier établit aussi une obligation de désarmement unilatéral. Les remèdes

qu’elles demandent découlent de ce qu’elles postulent l’existence d’obligations erga omnes de

cesser de produire des armes nucléaires et de mettre ainsifin à la course aux armements nucléaires.

29. Dans leur mémoire, les Iles Marshall s’écartent sans vergogne du parti qu’elles avaient

pris dans leur requête, si bien que l’obligation de négocier quiest présentée dans la requête comme

une obligation de droit international parmi d’autres devient dans le mémoire la seule obligation en

cause, et que l’objet du différend devient uniquement les prétendus manquements de l’Inde en

matière de négociations sur le désarmement.

30. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, les Iles Marshall ne nous

disent pas dans leur mémoire comment elles peuvent maintenir les demandes de remèdes qu’elles

ont formulées dans leur requête sil’objet du différend se ramène à celuiexposé dans ledit mémoire.

C. Analyse de la requête

31. Les Iles Marshall, tout en affirmant qu’elles ne cherchent pas à rouvrir la question de la

licéité des armes nucléaires, soutiennent au paragraphe 2 de leur requête que celle-ci«concerne en

revanche le manquement aux obligations de droit international coutumier relatives à la cessation de

25 la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire consacrées

par l’article VI du TNP et réaffirmées par la Cour».

32. Au paragraphe 6, l’expression «demandes qui suivent» désigne les demandes découlant

de ce que l’Inde manquerait de manière continue à ses obligations de droit international coutumier

et, en particulier à celle de mener de bonne foi des négociations devant d’une part, mettre fin à la - 22 -

course aux armements nucléaires à une date rapprochée et, d’autre part, conduire au désarmement

nucléaire dans tous ses aspects, sous un contrôle international strict et efficace, et qu’elle

continuerait de manquer de s’acquitter de bonne foi, comme elle y est tenue, de ses obligations

juridiques internationales. Cette dernière allégation est expliquée dans la dernière section de la

requête. Monsieur le président, ces allégations se rapportent à des mesures concernant le prétendu

programme d’armement de l’Inde, et pas seulement à son inaction supposée en matière de

négociations sur le désarmement.

33. Au paragraphe 13 de leur requête, les Iles Marshall allèguent que l’Inde prend des

mesures pour améliorer et accroitre ses forces nucléaires et les conserver pour une durée illimitée.

34. Au paragraphe 14, elles prétendent que l’Inde manque à son obligation de droit

international coutumier de poursuivre de bonne foi des négociations conduisant au désarmement

nucléaire, en particulier en prenant des mesures visant à accroitre et à améliorer ses forces

nucléaires.

35. Au paragraphe 58, elles soutiennent que l’Inde a manqué à l’obligation que lui imposait

le droitinternationalcoutumier en adoptantunelignede conduitevisantà accroitreetà améliorer

ses forces nucléaires, contrairement à l’objectif du désarmement nucléaire.

36. Le paragraphe 59 mérite quant à luid’être cité textuellement. On y lit ceci :

«L’obligation de droit international coutumier relative à la cessation de la
course aux armements nucléaires à une date rapprochée est ancrée dans l’article VI du
TNP etdans les résolutions de l’Assemblée générale et du Conseilde sécurité;elle est
par ailleurs inhérente à l’obligation dedésarmementnucléaire énoncée par la Cour.
Or le défendeur manque de s’en acquitter et est, au contraire, engagé dans une course
effrénée aux armements nucléaires.»

Cette assertion donne à penser que tant qu’un traité n’aura pas été conclu, les Etats seraient tenus à

une obligation erga omnes de geler leurs programmes d’armement nucléaire, faute de quoi ils

violeraient le droit international coutumier. Outre qu’elles sont fausses, les allégations que je viens

de mentionner diffèrent de l’assertion formulée dans le mémoire selon laquelle les obligations de

droit international en cause seraient seulement celle de poursuivre de bonne foides négociations et

celle de conclure des traités de désarmement  niplus nimoins.

26 37. Le paragraphe 60 est de la même veine, et il y est allégué et  faussement  que la

ligne de conduite qui consisterait pour l’Inde à accroitre, améliorer et diversifier ses forces - 23 -

nucléaires et à planifier et préparer leur conservation pour une durée illimitée «démontre

clairement», pour reprendre les termes employés par les Iles Marshall, «que l’Inde manque

actuellement à l’obligation relative à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date

rapprochée».

38. Dans la partie B de la section IV de la requête, quidébute au paragraphe 61, ilest allégué

que l’Inde n’agit pas de bonne foi dans l’exécution de ses obligations. Le paragraphe 62 reprend

des allégations, fausses selon nous, concernant les mesures que prendrait l’Inde pour accroitre,

améliorer et diversifier son arsenal nucléaire, mesures qui constitueraient selon les Iles Marshall,

dont je cite maintenant le texte, «une prolifération nucléaire verticale … contreven[ant] de toute

évidence aux obligations de désarmement nucléaire et de cessation de la course aux armements

nucléaires … incomb[ant] à l’Inde». Au paragraphe 64, quiconclut la section IV, il est dit, je cite :

«en adoptant un comportement contrevenant directement aux obligations de
désarmement nucléaire et de cessation de la course aux armements nucléaires à une
date rapprochée, le défendeur a manqué de s’acquitter etcontinue de ne pas s’acquitter
de son obligation juridique consistant à exécuter de bonne foi les prescriptions du droit
international coutumier».

39. Deux des conclusions déclaratoires sollicitées par les Iles Marshall le sont sur la base

d’allégations que nous considérons être fausses, à savoir :

i) que l’Inde aurait manqué et continuerait de manquer à ses obligations internationales … en

prenant des mesures visant à accroître, améliorer et conserver pour une durée illimitée ses

forces nucléaires ;

ii) que l’Inde aurait manqué et continuerait de manquer de s’acquitter de bonne foi des

obligations qui lui incombent en vertu du droit international coutumier en prenant des

mesures visant à accroître, améliorer et conserver pour une durée illimitée ses forces

nucléaires.

40. Outre ces déclarations, les Iles Marshall demandent à la Cour d’ordonner à l’Inde, je

cite :

«de prendre toutes les mesures nécessaires pour se conformer, dans un délaid’unanà
compter du prononcé de l’arrêt, aux obligations que lui impose le droit international
coutumier en ce qui concerne la cessationde la course aux armements nucléaires à une
date rapprochée et le désarmement nucléaire, parmi lesquelles celle de mener des
négociations de bonne foi, sinécessaire enengageantcelles-ci,en vue de conclure une
27 - 24 -

convention relative à un désarmementnucléaire dans tous ses aspects effectué sous un
contrôle international strict et efficace». (Les italiques sont de l’orateur.)

41. Le mémoire, quant à lui, ne vient nullement étayer la version du différend ainsiprésentée

dans la requête. En fait, les arguments qui y figurent contredisent pareille définition de l’objet du

différend en ce qu’ils reposent sur des principes de droit international coutumier qui sont invoqués

d’une manière telle que l’argumentation suivie dans la requête s’effondre complétement.

42. Un différend doit avoir pour objet un point de droit ou de fait sur lequel les parties sont

en désaccord. C’est à la Cour qu’il appartient d’établir objectivement s’il existe un différend et

quel en est l’objet. Dans les affaires du Sud-Ouest africain, la Cour a dit qu’il lui revenait de

déterminer si «la réclamation de l’une des parties se heurt[ait] à l’opposition manifeste de
18
l’autre» . C’est donc d’après les réclamations du demandeur, et non les moyens de droit qu’il

invoque pour les justifier, qu’il convient de déterminer quel est l’objet d’un différend.

43. En l’affaire de la Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), la Cour,

faisant référence au paragraphe 1 de l’article 40 de son Statut et au paragraphe 2 de l’article 38 de

son Règlement, dont elle considère les dispositions comme essentielles au regard de la sécurité

juridique et de la bonne administration de la justice, est parvenue à la conclusion qu’il arrivait que

des incertitudes surgissent quant à l’objet d’un différend, et qu’il lui incombait en pareil cas, pour

se prononcer objectivement, de consacrer «une attention particulière à la formulation du différend

19
utilisée par le demandeur» .

44. D’une lecture attentive de la requête dans son ensemble, il ressort indéniablement que

l’assertion qui y figure au paragraphe 2, selon laquelle les Iles Marshall ne cherchent pas à rouvrir

la question de la licéité des armes nucléaires, est carrément fausse, et qu’elle est contredite par les

allégations formulées dans les paragraphes qui suivent. L’Inde entend souligner qu’elle tient pour

fausses les assertions sur lesquelles repose la présentation dans la requête de sa ligne de conduite à

l’égard de son prétendu programme d’armement nucléaire. Cela étant, au stade des présentes

audiences, force est de considérer telquelce que dit la requête, étant donné qu’il n’est pas possible,

pour le moment, d’établir la réalité des faits allégués au sujet des points controversés. La lecture de

18 Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud; Libéria c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1962, p. 328.
19
Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998,
p. 448, par. 30 ; les italiques sont de l’orateur. - 25 -

la requête montre sans l’ombre d’un doute que l’objet du différend n’est pas la négociation de

traités  les manquements allégués de l’Inde à sa prétendue obligation de négocier des traités de

désarmement , mais un aspect de la violation alléguée d’un prétendu principe de droit

international coutumier.

D. Abandon dans le mémoire de ce qui est présenté dans la requête
comme l’objet principal du différend

28 45. Dans leur mémoire, les Iles Marshall abandonnent ce qu’elles présentent dans leur

requête comme l’objet principaldu différend, et cherchent à montrer que celui-ciporte uniquement

sur les manquements allégués de l’Inde à sa prétendue obligation de négocier de bonne foi des

traités de désarmement.

46. Il n’y a pas lieu de s’étonner que les Iles Marshall, ayant en vertu du Règlement à

indiquer dans leur mémoire les moyens de droit sur lesquels repose leur requête, s’abstiennent de

reprendre les assertions formulées dans celle-ci quant à l’existence de principes de droit

international coutumier et à l’interprétation de l’avis consultatif rendu par la Cour (Licéité de la

menace ou de l’emploi d’armes nucléaires). Au lieu de cela, elles présentent le principe de droit

international coutumier qu’elles prétendent exister comme ne s’appliquant qu’à la poursuite de

bonne foi de négociations sur le désarmement et à la conclusion de traités. L’objet du différend se

ramène ainsi à ce que l’Inde n’aurait pas poursuivi des négociations conduisant à la conclusion de

traités sur le désarmement.

47. Il ne faut pas chercher bien loin la raison de ce revirement. L’argumentation figurant

dans le mémoire est ancrée sur le point 2 F du dispositif de l’avis consultatif, ce qui ressort par

ailleurs des plaidoiries des Iles Marshall.

48. Les Iles Marshall tententdans leur mémoire de faire passer ce bouleversement tectonique

de leur argumentation en prétendant que pour le moment, elles ne défendent leur cause que sous

l’angle de la compétence de la Cour, et non pas quant au fond. Contraintes de dire en quoiconsiste

le différend pour répondre à l’Inde qui affirme qu’en réalité, il n’en existe aucun, les Iles Marshall

essaient dans leur mémoire de le définir ; du coup, les propositions invoquant le droit international

coutumier sur lesquelles elles fondent maintenant l’existence d’un différend les conduisent à

abandonner la cause présentée dans leur requête. - 26 -

49. Certains traits saillants du mémoire méritent d’être mentionnés :

i) contredisant ce qui estdit auparagraphe 2 de la requête, les paragraphes 2, 3 et 6 décrivent

l’objet du différend comme étant le non-respect de l’obligation de poursuivre de bonne foi

et de mener à leur terme des négociations conduisant au désarmement nucléaire  niplus

ni moins  ;

ii) les paragraphes 13 et 15 du mémoire cherchent à montrer que le différend qui opposerait

les Iles Marshall à l’Inde concerne les manquements allégués de celle-ci à sa prétendue

obligation de poursuivre et de mener à leur terme des négociations conduisant au

désarmement ;

29 iii) les Iles Marshall ayant renoncé à traiter des questions soulevées par leurs allégations se

rapportant au prétendu programme d’armement nucléaire de l’Inde et à ce que celle-ci

n’aurait pas pris de mesures de désarmement unilatéral, ilapparaît que le paragraphe 19 du

mémoire est insidieusement rédigé ; en effet, si le comportement de l’Inde y est présenté

comme la preuve de son opposition aux demandes des Iles Marshall, c’est uniquement

pour tenter de montrer le bien-fondé de leur thèse selon laquelle un différend se serait

effectivement élevé entre les deux Etats ;

iv) renonçant aux assertions formulées aux paragraphes 59 à 62 de leur requête selon

lesquelles l’Inde aurait manqué à des obligations de droit international coutumier par sa

ligne de conduite à l’égard de son prétendu programme d’armement nucléaire et en ne

prenant pas de mesures unilatérales pour se désarmer elle-même, les Iles Marshall, au

paragraphe 47 de leur mémoire, affirment que le différend ne concerne pas la question du

droit de l’Inde de posséder un arsenalnucléaire ou d’employer des armes nucléaires en cas

de légitime défense. J’ai cité le passage pertinent il y a un moment. Il y est dit que «le

présent différend ne porte pas sur la question du droit de l’Inde de posséder un arsenal

nucléaire ou d’utiliser des armes nucléaires au titre de la légitime défense».

50. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, un mémoire doit justifier

l’invocation de la juridiction de la Cour aux fins du règlement des questions quiy sont soulevées, et

non pas avancer des assertions insidieuses sur lesquelles le demandeur se fonde pour écarter ce

qu’il a dit dans sa requête et contourner ainsi certains obstacles à la juridiction de la Cour, tout en - 27 -

se réservant d’invoquer à sa convenance la description du différend figurant dans ladite requête

pour surmonter d’autres obstacles à la compétence et, si celle-ci est établie, pouvoir défendre sa

cause en se fondant sur les allégations portées dans la requête. Il ressort clairement de leurs

plaidoiries, dont je parlerai un peu plus tard, que telle était bien l’intention des Iles Marshall.

51. La prolifération des armes nucléaires et le désarmement nucléaire soulèvent des

questions très délicates qui se posent non seulement entre Etats dotés d’armes nucléaires, mais

aussi, et tout autant, aux autres Etats. Dans son avis consultatif, la Cour n’a pas déclaré que la

possession d’armes nucléaires était une violation du droit international. Dans leur requête, les

Iles Marshall ne prétendent pas que depuis le prononcé par la Cour de son avis consultatif, les

principes de droit international coutumier auraient été radicalement modifiés par le comportement

des Etats, et elles déplorent au contraire qu’après des décennies, la communauté internationale n’ait

toujours pas réussi à trouver une solution conduisant au désarmement nucléaire. Or, les demandes

formulées dans la requête contredisent cette position, puisqu’il y est allégué que la production

d’armes nucléaires et l’absence de mesures unilatérales de désarmement constituent des violations

du droit international coutumier. Les Iles Marshallrenoncent à cette position dans leur mémoire.

30 52. L’Inde considère que la manière dont les Iles Marshallont procédé en la présente affaire

est en violation flagrante des règles de procédure de la Cour, et qu’en conséquence, la Cour se

trouve saisie de deux différends parallèles :

i) le premier est fondé sur des allégations de manquements de la part de l’Inde à ses

prétendues obligations de droit international coutumier, manquements qui auraient résulté

de la poursuite de son prétendu programme d’armement nucléaire et de ce qu’elle se serait

abstenue de prendre des mesures pour se désarmer unilatéralement ;

ii) le second est fondé sur la version de la prétendue règle de droit internationalcoutumier qui

imposerait seulement l’obligation de négocier de bonne foi et de conclure des traités de

désarmement, et elle porte seulement sur le manquement allégué de l’Inde à cette

obligation limitée.

53. Ayant ainsideux fers au feu, les Iles Marshallse servent à leur convenance de l’un ou de

l’autre pour faire pièce à l’exception d’incompétence soulevée par l’Inde. - 28 -

E. Dans leurs plaidoiries, les Iles Marshall contestent l’exception d’incompétence en
invoquent tour à tour les deux différends qu’elles allèguent en parallèle

54. L’agent et le coagent des Iles Marshallont avancé tour à tour les assertions suivantes :

i) la production d’armes nucléaires ne saurait jamais être justifiée ;

ii) le différend qui oppose les Iles Marshall à l’Inde porte sur la ligne de conduite de celle-ci

consistant à accroître et à améliorer son arsenalnucléaire.

55. En réponse à l’Inde qui soutient dans son contre-mémoire que le différend est artificiel,

les Iles Marshall invoquent les paragraphes 2, 6 et 64 de leur requête.

56. Le paragraphe 64 de la requête se lit comme suit :

«En bref, en adoptant un comportement contrevenant directement aux

obligations de désarmement nucléaire et de cessation de la course aux armements
nucléaires à une date rapprochée, le défendeur a manqué de s’acquitter et continue de
ne pas s’acquitter de son obligation juridique consistant à exécuter de bonne foi les
prescriptions du droit international coutumier.»

Le paragraphe 64 renvoie au comportement de l’Inde à l’égard de son prétendu programme

d’armement nucléaire, et non pas à l’omission qui lui est reprochée pour avoir supposément

manqué à son obligation de négocier des traités de désarmement. Cette position ressort plus

clairement encore si l’on se reporte aux paragraphes qui précèdent. Monsieur le président, je

considère que le paragraphe 64 doit être lu à la lumière des paragraphes 60, 62 et 63 où il est

allégué que le comportement de l’Inde relatif à son prétendu programme d’armement nucléaire,

ainsi que ses plans et sa politique, révèlent de sa part l’intention de continuer pendant des décennies

de disposer d’un arsenalnucléaire.

31 57. Pour contester l’exception d’incompétence ratione temporis soulevée par l’Inde, les

conseils des Iles Marshall, en plus de son prétendu manquement à une obligation de négocier, ont

invoqué à propos de son comportement après 1974, des allégations que nous qualifions de fausses

sur les mesures qu’elle aurait prises pour accroître et améliorer son arsenalnucléaire.

58. Pour contester l’argument de l’Inde selon lequel la Cour n’a pas compétence en l’absence

des autres Etats concernés, qui est fondé sur le principe de l’Or monétaire, les conseils de la partie

adverse ont prétendu que celle-ci n’avait pas à prouver que certains actes avaient été commis par

d’autres Etats dès lors que les allégations selon lesquelles l’Inde aurait pris des mesures pour - 29 -

accroître et améliorer son arsenal nucléaire faisaient parties des motifs des demandes des

Iles Marshall.

59. Enfin, pour contrer l’argument de l’Inde selon lequel la Cour ne servirait aucun but

légitime en faisant droit à leur requête, les Iles Marshall ont mis en avant dans leurs plaidoiries les

satisfactions déclaratoires et l’injonction demandées dans la requête.

60. Cependant, pour réfuter l’exception d’incompétence fondée par l’Inde sur sa quatrième

réserve et son droit de pourvoir à sa défense nationale, les conseils des Iles Marshall ont prétendu

que tout ce que celles-ci cherchaient était de faire respecter l’obligation de négocier un traité de

désarmement, et qu’en demandant un remède en ce sens, elles n’empiétaient pas sur les

prérogatives de l’Inde défendues par sa quatrième réserve.

61. L’Inde considère qu’un minimum de rigueur doit présider à la rédaction d’un mémoire

soumis à la Cour ; le mémoire doit indiquer les faits et les moyens de droit sur lesquels est fondée

la requête afin que le défendeur sache à quoi il a affaire. Or, la manière dont la procédure s’est

déroulée jusqu’à présent fait fi de toute notion d’ordre. Si les Iles Marshall étaient tenues à ce

qu’elles affirment hardiment au paragraphe 47 de leur mémoire, il en résulterait ce quisuit :

i) premièrement, à mon sens, Monsieur le président, tous les arguments que les Iles Marshall,

pour contester l’exception d’incompétence, tirent d’assertions figurant dans la requête, et

aussi des conclusions qui y sont sollicitées de la Cour, tomberaient. Or, je viens de

mentionner quelques exemples d’arguments qui invoquent la requête et s’écartent de ce

que dit le mémoire.

ii) deuxièmement, la question de la compétence devrait être tranchée uniquement sur la base

du mémoire.

62. Il ne serait pas possible à la Cour de procéder au travail passablement compliqué

consistant à trier les arguments du demandeur pour en exclure ceux quisont tirés de la requête alors

qu’ils sont abandonnés dans le mémoire ; le Règlement n’oblige nullement la Cour à se livrer à un

pareil travail pour sauver une cause présentée de la sorte. - 30 -

F. Conclusion

32 63. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, en raison de la manière dont

s’est déroulée la procédure, la Cour se trouve saisie d’une requête où ilest allégué que l’Inde aurait

pris des mesures pour accroître et améliorer son arsenal nucléaire et se livrer à la course aux

armements (au lieu de poursuivre des négociations sur le désarmement), et manifesterait un

comportement contraire au droit international coutumier.

64. Sur la base de ces hypothèses, les Iles Marshall, toujours dans leur requête, demandent à

la Cour de formuler une kyrielle de déclarations et d’émettre une injonction.

65. Dans leur mémoire, en revanche, elles abandonnent ce parti et prétendent que le seul

principe de droit international coutumier qu’elles invoquent est celui énoncé au l’article VI du TNP

et au point 2 F du dispositif de l’avis consultatif de la Cour. L’Inde ne considère pas qu’un débat

sur cette question ait sa place dans des audiences consacrées à la compétence, et elle se permet

d’inviter la Cour, à ce stade, à prendre en considération les points soulevés par les Iles Marshall

de bene esse, à titre provisoire.

66. Au vu des principes de droit invoqués dans le mémoire, en particulier de ce quiest dit au

paragraphe 47 de celui-ci, que j’ai déjà cité, la Cour devrait rejeter la requête, parce qu’elle

n’établit pas l’existence d’un véritable différend entre les Parties sur l’interprétation d’un principe

de droit international coutumier ; comme les Iles Marshall l’admettaient dans leur mémoire, il

n’existe d’ailleurs aucun principe de droit international coutumier qui puisse être invoqué, comme

il le faudrait, pour que la Cour soit en mesure de donner suite à la requête et de retenir les

conclusions qui y sont demandées.

II. ABSENCEDEVÉRITABLE DIFFÉREND ENTRE LES ILES M ARSHALL ET L ’NDE

67. J’en viens maintenant à mon second point, l’absence de véritable différend entre les

Iles Marshall et l’Inde. M. Pellet en traitera plus en détail, et je me borneraià formuler deux brèves

observations sur cette question cruciale. La première est que les Iles Marshall n’ont pas défini

clairement en quoi consiste le différend, et la seconde tend à montrer que les Iles Marshallet l’Inde

s’accordent sur la nécessité de négocier un traité conduisant au désarmement mondial.

68. Mon premier point porte sur l’inconsistance de ce que les Iles Marshall présentent

comme étant le véritable différend. A supposer qu’il existe un principe de droit international - 31 -

coutumier faisant obligation aux Etats de négocier de bonne foi et de conclure des traités de

désarmement, il aurait fallu que les Iles Marshall fassent figurer dans leur requête et leur mémoire

33 au moins deux éléments. Selon moi, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, les

Iles Marshall auraient dû vous indiquer :

i) quels sont, selon leur conception du droit, les mesures que les Etats sont censés prendre

pour donner effet au principe de droit international coutumier qu’elles invoquent, et dans

quelles instances ils devraient prendre ces mesures,

ii) quelles sont les mesures que l’Inde a prises ou s’est abstenue de prendre contrairement à

ses obligations, et dans quelles instances ces manquements par action ou omission ont été

commis.

69. Il est indéniable qu’un certain nombre de divergences entre les Etats ont entraîné

l’enlisement du processus de désarmement nucléaire. Cela étant, les Iles Marshalln’expliquent pas

comment les principes de droit international font obligation aux Etats qui participent à ce processus

de s’attaquer aux divergences qui l’entravent et aux autres divergences fondamentales qui font

obstacle à un consensus.

70. Le mémoire, et même la requête, restent là-dessus d’un vague affligeant et n’indiquent

aucun des détails importants que j’aimentionnés ily a un instant. Un différend porte forcément sur

des faits concrets, et, l’incapacité de conclure des traités ne saurait constituer la preuve irréfutable

du défaut de négociations. Quant au prétendu programme d’armement nucléaire de l’Inde, ilrévèle

encore moins que celle-ci, alors que le désarmement nucléaire mondial est loin d’être une réalité et

que les armes nucléaires continuent d’exister et d’être déployées, se serait abstenue d’agir dans le

sens d’un consensus mondial sur le désarmement nucléaire.

71. Je ne vais pas me lancer maintenant dans une analyse de la jurisprudence de la Cour sur

ce qui constitue un différend, mais je tiens à souligner que la question est traitée de façon plutôt

simpliste dans le mémoire, où il est dit que dès lors que les Iles Marshall allèguent que l’Inde

contrevient à ses obligations de droit international coutumier et qu’elle le nie, il existe entre les

deux Etats un différend qui peut et doit être tranché par la Cour. - 32 -

72. Les observations formulées par la Cour en l’affaire du Cameroun septentrional, dont

M. Pellet traitera plus en détail, son à mon sens tout à fait pertinentes en la présente affaire. Voici

quelques-uns des facteurs que la Cour devrait garder à l’esprit au moment de trancher la question :

i) les Iles Marshall reconnaissent dans leur mémoire que l’Inde s’est toujours montrée

fermement partisane du désarmement nucléaire ;

ii) lors de la conférence tenue en février 2014 à Nayarit, l’Inde a fait écho dans sa déclaration

aux vues exprimées par les Iles Marshall. Dans le tout premier paragraphe de cette

34 déclaration, l’Inde indique qu’«étant donné les incidences humanitaires catastrophiques de

l’emploi d’armes nucléaires, l’Inde a manifesté un attachement indéfectible à la cause du

désarmement nucléaire et de l’élimination complète des armes nucléaires…». L’Inde a dit

aussi, je cite :

«Nous sommes d’avis que l’objectif du désarmement nucléaire peut être
atteint par un processus progressif reposant sur un engagement universelet un
cadre multilatéral mondial et non discriminatoire résultant d’un accord. Un
dialogue constructif entre tous les Etats dotés d’armes nucléaires est
nécessaire pour que s’instaure la confiance et que ces armes occupent une
place moins prééminente dans les affaires internationales et les doctrines de

sécurité…»

Il n’y a en vérité aucune différence entre les positions des Iles Marshallet de l’Inde quant

à la nécessité de débarrasser le monde des armes nucléaires ;

iii) les déclarations faites par l’Inde en février et juillet 2015, auxquelles ilest fait référence au

paragraphe 14 du contre-mémoire, établissent qu’il n’y a foncièrement aucune divergence

entre elle et les Iles Marshall quant à la nécessité de régler multilatéralement le problème

nucléaire.

73. Le contre-mémoire contient un exposé détaillé du comportement de l’Inde en matière de

désarmement nucléaire, fondé sur les déclarations exprimant sa position, sur lesquelles ilexiste des

informations qui relèvent du domaine public. Je me permets d’inviter la Cour à se reporter à cet

égard aux paragraphes 6 à 14 de ce document, et je me bornerai à faire mention d’un aspect

étonnant de la position des Iles Marshallauquel j’ai fait allusion au début de mon intervention. - 33 -

III. DÉFAUT DE NOTIFICATION DU DIFFÉREND PAR LES ILES M ARSHALL ET DÉFAUT DE
TENTATIVE DELEUR PART POUR LE RÉGLER PAR LA VOIE DE NÉGOCIATIONS
BILATÉRALES AVEC L ’INDE

74. Dans la déclaration que les Iles Marshall ont faite en février 2014 lors de la deuxième

conférence sur les incidences humanitaires des armes nucléaires, on peut lire ce qui suit : «nous

réitérons instamment notre appel à tous les Etats possédant des armes nucléaires afin qu’ils

intensifi[ent] leurs efforts pour faire face à leurs responsabilités à l’égard d’un désarmement

efficace et sûr». Il est allégué dans cette déclaration que les Etats possédant des armes nucléaires

manquent aux obligations que leur imposent l’article VI du TNP et le droit international coutumier.

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, cette déclaration n’indique en aucune

façon que les Iles Marshall aient à ce sujet établi des contacts bilatéraux avec l’Inde ou tout autre

pays.

75. Peu après avoir fait leur déclaration à la conférence de Nayarit, les Iles Marshall, le

24 avril2014, ont déposé leur requête. J’aidéjà présenté mon analyse de la requête et du mémoire,

35 et je me bornerai à rappeler à la Cour que le mémoire tend à montrer que l’Inde ne s’est pas

acquittée de son obligation de négocier de bonne foi et de conclure un traité de désarmement

nucléaire.

76. Les présentes audiences ne sont pas le lieu où débattre des raisons pour lesquelles un

consensus n’a pas pu se dégager sur les questions qui divisent la communauté internationale et ont

mis le désarmement nucléaire hors de sa portée. Je diraisimplement que tant que ces divergences

persisteront, la communauté mondiale ne pourra pas atteindre l’objectif du désarmement nucléaire.

Ces divergences ne se prêtent pas à être traitées pays par pays, et ilne peut donc exister à ce sujet

aucun différend au sens du Statut et du Règlement de la Cour quiopposerait les Iles Marshallà tel

ou tel Etat.

77. Un bon moyen de déterminer s’ilexiste un différend entre deux Etats consiste à établir si

des tentatives de règlement par des négociations bilatérales ont été faites avant la saisine de la

Cour.

78. Les Iles Marshall prétendent que parvenir au désarmement nucléaire relève d’obligations

erga omnes auxquelles sont tenus tous les Etats, et qu’ilincombe donc à chacun d’entre eux d’agir

en ce sens, et elles ont tenté dans leurs plaidoiries de justifier cette position en affirmant qu’il est - 34 -

possible que des négociations bilatérales aboutissent à la conclusion d’un traité susceptible d’être le

point de départ d’un consensus mondial.

79. Cette affirmation ne tient aucun compte des leçons de l’histoire. J’ajoute qu’à supposer

même qu’elle soit vraie, il reste que les Iles Marshall sont demeurées muettes sur les démarches

qu’elles-mêmes auraient pu entreprendre en vue de conclure un traité bilatéral avec quelque autre

Etat non doté d’armes nucléaires, ou avec l’Inde, ou encore avec le Royaume-Uni.

80. M. Pellet traitera de la question des tentatives de négociation qui sont censées précéder le

dépôt d’une requête devant la Cour, et je feraiune seule observation à ce sujet.

81. Il apparaît clairement, sans avoir à invoquer la jurisprudence, que lorsque des

négociations sont possibles et qu’il existe des instances ayant vocation à les accueillir, il est

prématuré de dire qu’un différend s’est élevé entre deux Etats tant qu’une tentative de règlement

négocié n’a pas été faite.

82. Monsieur le président, il importe que la Cour garde à l’esprit ce quisuit :

i) premièrement, le principe de réciprocité fournit le contexte de la compétence que peut tirer

la Cour des déclarations d’acceptation faites par les Etats en vertu du paragraphe 2 de

l’article 36 du Statut. Autrement dit, il doit d’abord y avoir un différend entre deux Etats

qui ont l’un et l’autre accepté la juridiction de la Cour en vertu de la clause facultative ;

36 ii) deuxièmement, pour qu’il existe un différend entre deux Etats, il faut manifestement que

l’un d’entre eux ait émis une réclamation que l’autre a rejetée, et que les deux Etats aient

fait une tentative quelconque pour remédier à leur divergence.

83. Nous devons nous souvenir à cet égard de ce que la Cour permanente de Justice

internationale a dit en l’affaire des Zones franches, et que je vais maintenant citer :«[l]e règlement

judiciaire des conflits internationaux, en vue duquel la Cour est instituée, n’est qu’un succédané au

règlement direct et amiable de ces conflits entre les Parties» .0

84. Il ressort implicitement du libellé du paragraphe 2 de l’article 36 qu’avant que la

juridiction de la Cour ne soit invoquée en vertu des déclarations, ilfaut que des négociations, même

élémentaires, aient eu lieu entre deux Etats, au cours desquelles l’un d’eux a émis une réclamation

20Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex, ordonnance du 19 août 1929, C.P.J.I. série A n 22,
p. 13. - 35 -

que l’autre a rejetée, et qu’une tentative, même brève, ait été faite pour régler entre eux le différend

qui a ainsi surgi. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je tiens à dire que les

Etats ne devraient pas être encouragés à saisir la Cour chaque fois qu’ils ont un problème

quelconque avec un autre Etat. Pour qu’il existe un différend, il faut qu’un Etat ait émis une

réclamation rejetée par un autre, etque ce désaccord ait d’abord été traité bilatéralement, et non pas

soulevé pour la première fois dans une requête adressée à la Cour.

85. Les Iles Marshall semblent certes croire sérieusement que des négociations seraient

d’une grande utilité concrète parce qu’elles pourraient, théoriquement, aboutir à un traité bilatéral

susceptible d’être l’amorce d’un consensus mondial, mais nous devons examiner cette fiction

juridique sans nous laisser égarer par notre imagination. A supposer que cette vision des

Iles Marshall soit juste, on pourrait arguer qu’elles auraient elles-mêmes dû tenter de négocier un

traité avec l’un ou l’autre de leurs voisins non dotés d’armes nucléaires parce que de telles

négociations auraient pu aboutir à la conclusion d’un traité qui aurait fait voir au reste du monde la

lumière au bout du tunnel. Force est de constater qu’elles n’en ont rien fait. Monsieur le président,

je vous prie maintenant de bien vouloir donner la parole à M. Pellet.

37 The PRESIDENT : Thank you. The Court will hear the oral argument of Professor Pellet

and take a 15-minute break. The sitting is suspended.

The Court adjourned from 11.15 a.m. to 11.30 a.m.

The PRESIDENT :Please be seated, Professor Alain Pellet has the floor.

Mr. PELLET: Thank you very much.

T HE ABSENCE OF ADISPUTE ,THE M ONETARY GOLD PRINCIPLE AND THE ABSENCE OF ANY
PRACTICAL CONSEQUENCES OF AJUDGMENT ON THEMERITS

1. Mr. President, Members of the Court, what a strange case! Admittedly, this is not the first

time that a State has used the Court for political purposes. But in this instance, there is no hiding

the facts: there is no dispute between the Marshall Islands and India; the other States involved in

the supposed global dispute are absent; and a judgment on the merits would have absolutely no

practicaleffect. These, Mr. President, are the three points that I willdiscuss in turn. - 36 -

I. Absence of a dispute between the Parties

2. Members of the Court, the primary condition for the exercise of your jurisdiction is that

there must be a dispute between the parties. This is so obvious, and your case law on the subject is

so well established, that I hesitate to labour the point, but the Marshall Islands is challenging so

many obvious facts that I unfortunately cannot avoid doing so altogether.

3. As the Court firmly reiterated in its Judgments in the Nuclear Tests cases, which it has

cited severaltimes in more recent decisions:

“The Court, as a court of law, is called upon to resolve existing disputes

between States. Thus the existence of a dispute is the primary condition for the Court
to exercise its judicial function; it is not sufficient for one party to assert that there is a
38 dispute, since [and here you quote your 1950 Advisory Opinion in the Interpretation
21
of Peace Treaties case] ‘whether there exist22an internationaldispute is a matter for
objective determination’ by the Court.”

4. And, as it stated in its 1962 Judgment in the South West Africa cases:

“In other words it is not sufficient for one party to a contentious case to assert
that a dispute exists with the other party. A mere assertion is not sufficient to prove
the existence of a dispute any more than a mere denialof the existence of the dispute

proves its non-existence. Nor is it adequate to show that the interests of the two
parties to such a case are in conflict. It must be shown that the claim of one party is
positively opposed by the other.” 23

I would point out, moreover, that the Marshall Islands is in agreement on the principle: it has twice

cited these same passages . However, when it comes to the application of this principle, our views

differ: contrary to the assertions of the other Party, in the present case, there has been no claim

from the Marshall Islands and no opposition, positive or otherwise, from India.

5. Of course, “the existence of a dispute and the undertaking of negotiations are distinct as a

matter of principle”; however, as you pointed out in Georgia v. Russia, “the negotiations may help

2Interpretation of Peace Treaties with Bulgaria, Hungary and Romania, First Phase, Advisory Opinion, I.C.J.
Reports 1950, p. 74.
22
Nuclear Tests (Australia v. France), Judgment, I.C.J. Reports 1974, pp. 270-271, para. 55; Nuclear Tests
(New Zealand v. France), Judgment, I.C.J. Reports 1974, p. 476, para. 58. See also Application of the International
Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination (Georgia v. Russian Federation), Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2011 (I), p. 84, para. 30, and Questions relating to the Obligation to Prosecute or
Extradite (Belgium v. Senegal), Judgment, I.C.J. Reports 2012 (II), p. 442, para. 46.
23
South West Africa (Ethiopia v. South Africa; Liberia v. South Africa), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J.
Reports 1962, p. 328. See also Armed Activities on the Territory of the Congo (New Application: 2002) (Democratic
Republic of the Congo v. Rwanda), Judgment, I.C.J. Reports 2006, p. 40, para. 90; Application of the International
Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination (Georgia v. Russian Federation), Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2011 (I), p. 84. para. 30; Questions relating to the Obligation to Prosecute or
Extradite (Belgium v. Senegal), Judgment, I.C.J. Reports 2012 (II), p. 442, para. 46.
2CR 2016/1, p. 30, para. 4, and p. 37, para. 21 (Condorelli). - 37 -

25
demonstrate the existence of the dispute and delineate its subject-matter” . As the Permanent

Court noted in its second Judgment, “before a dispute can be made the subject of an action at law,

its subject matter should have been clearly defined by means of diplomatic negotiations” . This is 26

27
39 also evident from Article 43 of the Articles of the International Law Commission (ILC) of 2001 :

“[a]n injured State which invokes the responsibility of another State shall give notice of its claim to

that State” . And it is certainly not the case that the Marshall Islands is relieved of this formal

29
requirement because the alleged breach is of an obligation erga omnes : in Article 48 of its draft,

the ILC was careful to point out that the conditions laid down by Article 43 “apply to an invocation

of responsibility by a State entitled to do so” where the “obligation breached is owed to the

30
international community as a whole” .

6. There was a particular need to follow this course of action in the present case, which the

Applicant is using as a pretext for taking action against all the nuclear powers, even though their

positions are very different and even though India actually shares the Marshall Islands’ concerns,

31
as it showed in its Counter-Memorial .

7. To illustrate this, and despite the formality of this venerable setting, allow me to play a

little game of “Quote . . . Unquote” with you.

 Who said: «Compte tenu des conséquences humanitaires catastrophiques de l’emploi d’armes

nucléaires, [mon pays] a toujours manifesté un engagement sans faille en faveur du

25Application of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination
(Georgia v. Russian Federation), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2011 (I), p. 84. para. 30. See also
Questions relating to the Obligation to Prosecute or Extradite (Belgium v. Senegal), Judgment, I.C.J. Reports 2012 (II),

p. 442, para. 46; Obligation to Negotiate Access to the Pacific Ocean (Bolivia v. Chile), Judgment of
24 September 2015, para. 26.
26
Mavrommatis Palestine Concessions, Judgment No. 2, 1924, P.C.I.J., Series A, No. 2, p. 15. See also Right of
Passage over Indian Territory (Portugal v. India), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1957, pp. 148-149.
27
United Nations, General Assembly resolution 56/83, “Responsibility of States for internationally wrongful
acts”, 12 Dec. 2001.
28Yearbook of the International Law Commission (YILC), 2001, Vol. II, Part Two, p. 119.

29See MMI, p. 11, para. 21.

30YILC, 2001, Vol. II, Part Two, p. 126.
31
CMI, pp. 4-10, paras. 6-14. - 38 -

32
désarmement nucléaire et de l’élimination complète des armes nucléaires» ; The Marshall

Islands ? Wrong ! It was India… ;

 And who said this: «Nous ne saurions accepter la logique suivant laquelle quelques nations

auraient le droit d’assurer leur sécurité en menaçant la survie de l’humanité. Ce ne sont pas

seulement ceux qui vivent par l’épée nucléaire qui, à dessein ou par défaillance, périront un

40 jour par cette épée ; c’est l’humanité tout entière qui périra par cette épée » But no  it’s

34
India again! And that was just one example of many .

 Try this one: «[Nous sommes] particulièrement conscient[s] des effets potentiellement

désastreux des armes nucléaires et, ces dernières années, [nous avons] concentré [notre]

engagement en faveur d’une intensification du désarmement nucléaire dans le monde ». India 35

might have said this  but this time it was the MarshallIslands.

8. Mr. President, I could give you countless examples of statements like this, attributable to

either of the Parties. I chose the first two  which sum up very well what India’s policy has

always been, and still is  because theywere made at the Second Conference on the Humanitarian

Impact of Nuclear Weapons, held at Nayarit in February 2014, to which our opponents attach

36
particular importance . This, they tell us, oddly enough, is where the MarshallIslands is supposed

to have notified India of the existence of a dispute between the two States  I shallcome back to

this, because it is not what concerns us just now. At the moment I am trying to determine the

substance of the so-called dispute on which the Marshall Islands’ Application is said to be based,

and it is evident to me that these statements establish, without a shadow of a doubt, that such a

dispute does not exist.

32
Statement by India at the Second Conference on the Humanitarian Impact of Nuclear Weapons, Nayarit
(Mexico), 14 Feb. 2014; http://www.mea.gov.in/Speeches-Statements.htm?dtl/22936/Statement by India
at_the_Second_Conference_on_the_Humanitarian_Impact_of_Nuclear_Weapons_at_Nayarit_Mexico).
33
“A World Free of Nuclear Weapons: An Action Plan”, address by Indian Prime Minister Rajiv Gandhi to the
Third Special Session on Disarmament of the General Assembly, 9 June 1988 (CMI, Ann. 4); also cited ibid.
34See also, for example, the statement by Salman Khurshid, India’s External Affairs Minister, High Level
Meeting of the General Assembly on Nuclear Disarmament, 26 Sep. 2013 (CMI, Ann. 6), or the statement by

Ambassador D. B. Venkatesh Varma, Permanent Representative of India to the Disarmament Commission, 24 Feb. 2015
(CMI, Ann. 10).
35MMI, p. 7, para. 16.

36See CR 2016/1, p. 19, para. 14 (deBrum), and pp. 36-37, paras. 19-20, and p. 38, para. 22 (Condorelli). See
also MMI, p. 19, para. 16. - 39 -

9. My good friend Luigi Condorelli put it perfectly when he said that the Court “may

37
exercise its jurisdiction only after ascertaining for itself that a dispute genuinely exists” , and it is

for the applicant State to demonstrate that, in the words of the Court in its 1962 Judgment in the

38
South West Africa cases, “the claim of one party is positively opposed by the other” .

Demonstrating this opposition is “essential”, Professor Condorelli insisted . 39

41 10. This is mission impossible for the Marshall Islands, even though Professor Condorelli

rather deftly came up with an alternative solution which should fool no one. Having referred to

“some very significant public positions [in the plural] that were [allegedly] adopted by the

MarshallIslands before the Court was seised”, of which neither the Memorial nor

Professor Condorelli gave any examples whatsoever, he focused solely on the Nayarit statement of

February 2014 . These are supposed to be the magic words opening the door to the Court’s

jurisdiction. But they are not a key to any door; the Marshall Islands merely calls, in generaland

abstract terms, for the nuclear powers to hold negotiations in accordance with Article VI of the

Non-Proliferation Treaty (NPT) and customary international law. It is difficult to see,

Mr. President, how India could have interpreted this statement as asserting the existence of a

dispute between itself and the Marshall Islands: it was made for public consumption, if I might say

so; furthermore, Article VI of the NPT, to which India is not a party, was mentioned as the main

basis of the obligation to negotiate which it invoked. Yet it is on this most flimsy of bases that the

other Party claims that the MarshallIslands had clearly defined the subject-matter of its dispute “by

41
means of diplomatic negotiations” .

11. This would, if truth be told, have been surprising: both States share the same views on

the subject-matter of the Marshall Islands’ Application, at least the slightly amended version of it in

its Memorial: the urgent need for negotiations in good faith in order to achieve nuclear

37CR 2016/1, p. 30, para. 4 (Condorelli).

38South West Africa (Ethiopia v. South Africa; Liberia v. South Africa), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J.
Reports 1962, p. 328.

39CR 2016/1, p. 30, para. 4 (Condorelli).
40
CR 2016/1, pp. 36-37, paras. 19-20, and p. 38, para. 22 (Condorelli). See also pp. 18-19, para. 14 (deBrum).
41Mavrommatis Palestine Concessions, Judgment No. 2, 1924, P.C.I.J., Series A, No. 2, p. 15. See also Right of
Passage over Indian Territory (Portugal v. India), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1957, pp. 148-149. - 40 -

disarmament. As our Co-Agent and Mr. Salve pointed out , since 1996, India has co-sponsored

the recurring General Assembly resolution calling for such negotiations. Unless I am mistaken, the

Marshall Islands has never done so; as Mr. Salve and Mr. Gill pointed out, it voted against the

resolution in 2003 and, before filing its Application in the present case, generally chose to abstain.

During that time, Mr. President, there may have been a dispute between the Parties, since the

MarshallIslands did not seem to consider at all that immediate negotiations on full nuclear

disarmament were needed, whereas that was, and has always been, India’s position. Very

42 fortunately, the Marshall Islands now seems to have come round to India’s way of thinking, and

India is happy to note that, since 2013, the Marshall Islands has voted in favour of the resolution in

question .3

12. I would just add one further point here, however. Our opponents have gone to great

lengths to point out that they are not accusing India of breaching Article VI of the NPT, but of

44
breaching a rule of customary law, which is said to mirror the substance of that Article . I have

two comments to make on this, Mr. President:

 first of all, I note that Professor Condorelli cited the Application at length, stressing the fact

that this is the authentic basis for identifying the Marshall Islands’ claim . Yet, in all these

46
long citations, he curiously failed to mention the passages expressly referring to Article VI or,

more generally, to the Treaty itself ;47

 that being so, and secondly, leaving aside this treaty connection, India obviously agrees with

the Court’s finding in its 1996 Opinion which, unlike the Marshall Islands, India has always

approved and supported  namely, to use the terms of the General Assembly resolutions

following up the Opinion, which have already been cited, that there is an “obligation to pursue

in good faith, and to bring to a conclusion, negotiations leading to nuclear disarmament in all

its aspects under strict and effective internationalcontrol”; and that consequently

42
See also CMI, p. 8, para. 12.
4See docs. A/68/PV.60, 5 Dec. 2013, p. 19, and A/69/PV.62, 2 Dec. 2014, p. 15.

4See, for example, CR 2016/1, p. 24, para. 3; p. 25, para. 6 (Grief), and p. 32, para. 9 (Condorelli).
45
CR 2016/1, p. 30, para. 6 (Condorelli).
46
Ibid., p. 31, para. 7  see paras. 2 and 5 of the Application.
4See, for example, Application, paras. 7, 10 and 59. - 41 -

“all States [should] immediately commence multilateral negotiations leading to an
early conclusion of a nuclear weapons convention prohibiting the development,
production, testing, deployment, stockpiling, transfer, threat or use of nuclear weapons
and providing for their elimination” .8

Is this not exactly what the MarshallIslands wants the Court to decide? In any event, it is what

India has always supported.

43 13. Members of the Court, there is no dispute between the Parties, and that is sufficient to

preclude your jurisdiction to adjudicate on the case which the Marshall Islands saw fit to bring

before you in a completely artificial way, no doubt because all nine nuclear-weapon States had to

be included.

II. Absence of indispensable parties  the Monetary Gold principle

14. Mr. President, although the Marshall Islands filed nine separate Applications with the

Court, it is really one collective Application: all nine follow the same model and have been only

slightly adapted for each of the alleged Respondents, six of which are absent from the present

proceedings  and because, in your wisdom and for very good reasons, you did not deem it

necessary to join the three cases which are under consideration this week, there are actually eight

States concerned by this collective Application which are absent from the proceedings.

15. As the Court made very clear in the East Timor case:

“one of the fundamental principles of its Statute is that it cannot decide a dispute
between States without the consent of those States to its jurisdiction. This principle is
reaffirmed in the Judgment given by the Court in the case concerning Monetary Gold
49
Removed from Rome in 1943 and confirmed in severalof its subsequent decisions.”

The Court also cited the ContinentalShelf (Libya/Malta), Military and Paramilitary Activities in

and againstNicaraguaandFrontier Dispute (Burkina Faso/Mali) cases, Nicaragua’s Application

4United Nations, General Assembly resolution 51/45 “Advisory Opinion of the International Court of Justice on
the Legality of the Threat or Use of Nuclear Weapons”, 10 Dec. 1996, paras. 2 and 3; same wording in all subsequent
resolutions up to and including that of 7 Dec. 2015, A/RES/70/56, paras. 1 and 2.

4East Timor (Portugal v. Australia), Judgment, I.C.J. Reports 1995, p. 101, para. 26. See also: arbitration
award, Larsen v. Hawaiian Kingdom, award of 5 February 2001, para. 11.11 (Crawford, Griffith, Greenwood), available
at: http://173.254.28.178/~pcacases/web/sendAttach/123. - 42 -

for Permission to Intervene in the dispute between El Salvador and Honduras, and the Certain

Phosphate Lands in Nauru case . 50

16. The case which has brought us together here is very different from the latter, even though

the Marshall Islands is seeking to place the two on the same footing. In Nauru, the Court held that

any decision it took about the responsibility attributed to Australia by Nauru might well have

44 implications for the legal situation of the two other States  the United Kingdom and

New Zealand  but that “no finding in respect of that legal situation will be needed as a basis for

51
the Court’s decision on Nauru’s claims against Australia” . Not only has this reasoning been

criticized, but things are very different in the present case.

17. As if anticipating Professor Palchetti’s arguments , a number of judges, particularly

Sir Robert Jennings and Roberto Ago, maintained, in their opinions appended to the Judgment,

that, in the words of Sir Robert Jennings first, “the Court will unavoidably and simultaneously be

53
making a decision in respect of the legalinterests of those two other States” , and that, this time in

the dissenting opinion of Roberto Ago, “[i]n fact, it is precisely by ruling on these claims against

Australia alone that the Court will, inevitably, affect the legal situation of the two other States,

namely, their rights and their obligations . . . [T]he exercise by the Court of its jurisdiction would

be deprived of its indispensable consensual basis.” 54 That is particularly true in our case.

Inevitably, any decision of the Court would imply “an evaluation of the lawfulness of the conduct”

55
of other States which are not party to the case .

50See Continental Shelf (Libyan Arab Jamahiriya/Malta), Application for Permission to Intervene, Judgment,
I.C.J. Reports 1984, p. 25, para. 40; Military and Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v.
United States of America), Jurisdiction and Admissibility, Judgment, I.C.J. Reports 1984, p. 431, para. 88; Frontier
Dispute (Burkina Faso/Republic of Mali), Judgment, I.C.J. Reports 1986, p. 579, para. 49; Land, Island and Maritime

Frontier Dispute (El Salvador/Honduras), Application to Intervene, Judgment, I.C.J. Reports 1990, pp. 114-116,
paras. 54-56, and p. 112, para. 73; and Certain Phosphate Lands in Nauru (Nauru v. Australia), Preliminary Objections,
Judgment, I.C.J. Reports 1992, pp. 259-262, paras. 50-55.
51
Certain Phosphate Lands in Nauru (Nauru v. Australia), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J.
Reports 1992, pp. 261-262, para. 55.
52
CR 2016/1, p. 53, para. 7 (Palchetti).
53Certain Phosphate Lands in Nauru (Nauru v. Australia), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J.
Reports 1992, dissenting opinion of President Jennings, p. 302.

54Ibid., dissenting opinion of Judge Ago, p. 328. See also the dissenting opinion of Judge Schwebel, ibid.,
pp. 331-337.

55East Timor (Portugal v. Australia), Judgment, I.C.J. Reports 1995, p. 102, para. 29. - 43 -

18. The determination of whether or not there is a breach of the obligation to pursue in good

faith negotiations leading to the conclusion of a treaty on nuclear disarmament necessarily means

that the Court must consider how the negotiations have been conducted or the reasons why they

have not taken place or have not been successful. Their failure might be attributed to India only

after an examination of the conduct of the other States participating, or under an obligation to

participate, in the negotiations. This is therefore a precondition or prerequisite, and it is a further

difference between this case and the Nauru case, in which the Court held that Australia’s

45 responsibility might have implications for the other two States involved, but that the Court could

make its decision without adjudicating on that point.

19. The infringements which the applicant State alleged against Australia were the same as

those which it might have alleged against the absent States, but these were “parallel” obligations,

and it is a well-known fact that “parallel lines are straight lines that do not meet, no matter how far

extended in either direction” . But that is not the case here; the MarshallIslands’ complaint, not

just against India, but against the nine nuclear powers, is precisely, to take the metaphor a little

further, that they do not meet. It does not criticize them for not negotiating with it (the

MarshallIslands); it criticizes them for not negotiating with each other. In other words, the

implementation of the obligation allegedly breached by India inevitably requires the active

participation of States accusedof the same breach, but which are not parties to the present case and

in respect of which the Court, in any event, does not have jurisdiction to adjudicate. In order for

the Court to be able to determine whether India has breached the obligation to negotiate in good

faith, it would first and inevitably have to ask itself  and make a decision  about the conduct of

the other States concerned.

20. One cannot negotiate on one’s own, Mr. President. India cannot negotiate with itself; in

the absence of, at the very least, the other nuclear powers, the Marshall Islands’ Application is, at

best, nugatory, or, at worst  and this is undoubtedly the case  abusive, and I shallcome back to

this.

5Euclid’s postulate, in Elements, Book I, in 300BC. - 44 -

21. We might even go further and conclude, as the Court did in its 1996 Opinion, that

“[i]ndeed, any realistic search for general and complete disarmament, especially nuclear

57
disarmament, necessitates the co-operation of all States” . And this highlights another aspect of

the case before you, Members of the Court: essentially, the MarshallIslands is asking nothing less

than that you should set yourselves up as a sort of legislature  legislature? No, world

government! I have already made the point that India is a fervent supporter of complete nuclear

46 disarmament. But this is a complex, highly political problem, which requires the States concerned,

first and foremost the nuclear powers, to be prepared, as India is, to negotiate in good faith; it is a

problem of state of mind, and this is something that cannot be imposed and cannot be decided by a

court.

22. According to my opponent and friend, Professor Palchetti, “[t]he Monetary Gold

principle has nothing to do with the effectiveness of the remedies sought by a party” . I am not so

sure, because in the case which led to the 1954 Judgment, what was at issue was the

implementation of an agreement between the three respondent States and even, more indirectly, the

59
enforcementof the Judgment which the Court itself had delivered in the Corfu Channel case . All

the same, Mr. President, this is of little importance to our case: even if the circumstances are

different from those in Monetary Gold, the impossibility of enforcing the Judgment which you are

being requested to deliver  because of the absence of indispensable Parties  must nonetheless

lead the Court to apply the famous principle it laid down in 1954.

III. Absence of any practical consequences of
a judgment on the merits

23. Members of the Court, if, by some miracle, you were to uphold the Marshall Islands’

Application, your Judgment would inevitably have no practical consequences of any kind. There

are severalreasons for this:

5Legality of the Threat or Use of Nuclear Weapons, Advisory Opinion, I.C.J. Reports 1996 (I), p. 264, para. 100
(emphasis added).

5CR 2016/1, p. 53, para. 8 (Palchetti).
59
Monetary Gold Removed from Rome in 1943 (Italy v. France, United Kingdom and United States of America),
Preliminary Question, Judgment, I.C.J. Reports 1954, pp. 31-32. - 45 -

 first of all, political reasons: with all due respect to the Court, Mr. President, the issues

involved are so sensitive and so closely affect national sovereignty and security that it appears

a vain hope that a judgment delivered here might have a decisive influence on the policies of

the State or States concerned;

 other reasons are more directly judicial: if there were to be a judgment on the merits, the force

of res judicata attaching to it would only produce its effects in respect of India, even though, as

I said a few moments ago, it cannot negotiate on its own; and this brings us back to the

Monetary Gold principle and the obstacle presented by the absence of indispensable parties;

47  as for the Parties in the present case, it is difficult to see what purpose negotiations between

India and the Marshall Islands might serve, or what scope they might have; there is most

definitely no dispute between these two States.

24. It follows from allof this, Mr. President, that a judgment of the Court on the merits of the

MarshallIslands’ Application would have no practical effect of any kind, which would be contrary

to the very role of the Court, which is to “settle, in accordance with internationallaw, legaldisputes

submitted to it”. In going along with what can only be described as the Applicant’s ploy, the Court

would be abandoning its exclusively judicial role by delivering a decision which it must be aware

would have no practical effect. It is not for the Court to give advisory opinions at the request of a

60
State .

25. In that connection, the Judgment of 2 December 1963 in the Northern Cameroons case

firmly states what the applicable principles are here. The most significant extracts from that
61
Judgment have already been much cited since Monday . But they are so conclusive that I feelit is

worth reading them out again[] (since this will also shorten my presentation):

“If the Court were to proceed and were to hold that the Applicant’s contentions
were all sound on the merits, it would still be impossible for the Court to render a
judgment capable of effective application.” 62

A further citation from the same Judgment:

60See Interpretation of the Greco-Bulgarian Agreement of 9 December 1927, Advisory Opinion, 1932,
P.C.I.J. Series AB, No. 45, p. 87. See also Northern Cameroons (Cameroon v. United Kingdom), Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1963, p. 30.

61See, in particular, CR 2016/1, p. 57, para. 4 (Clark).
62
Northern Cameroons (Cameroon v. United Kingdom), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1963,
p. 33. - 46 -

“The Court’s judgment must have some practicalconsequence in the sense that

it can affect existing legal rights or obligations of the parties, thus removing
uncertainty from their legal relations. No judgment on the merits in this case could
satisfy these essentials of the judicial function.” 63

A third citation:

“No purpose accordingly would be served by undertaking an examination of the

merits in the case for the purpose of reaching a decision which, in the light of the
circumstances to which the Court has already called attention, ineluctably must be
made . . . Any judgment which the Court might pronounce would be without
64
object.”

48 26. These extracts needno further comment. Even though the circumstances of this case are,

65
of course, different , the Court might make the same observations about the Marshall Islands’

claims: if they were upheld, they could not have any practical consequences; “any judgment

which the Court might pronounce would be without object”. That being so, the Court has “no

reason to allow the continuance of proceedings which it knows are bound to be fruitless. While

judicial settlement may provide a path to international harmony in circumstances of conflict, it is

none the less true that the needless continuance of litigation is an obstacle to such harmony” , as 66

you put it so well in the Nuclear Tests cases.

27. As to the relevance of the Nuclear Tests cases, I quite agree with Professor Clark that,

unlike the situation then, in the present case none of the circumstances has changed between the

bringing of proceedings and now  “no disappearing act here” : but there is quite simply no

“act”, no factualsituation proving the existence of a dispute.

28. Quite honestly, Mr. President, it is not good enough to claim that the negotiations which

India has always hoped and prayed for, and which the Marshall Islands is now loudly demanding,

might be conducted by just one State that has nuclear weapons . And if the important thing is to

conclude a treaty providing for complete nuclear disarmament, while praying to the gods of peace

63
Northern Cameroons (Cameroon v. United Kingdom), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1963,
p. 34.
6Ibid., p. 38.

6CR 2016/1, pp. 57-58, paras. 4-5 (Clark).
66
Nuclear Tests (Australia v. France), Judgment, I.C.J. Reports 1974, p. 271, para. 58; Nuclear Tests
(New Zealand v. France), Judgment, I.C.J. Reports 1974, p. 477, para. 61.
67
CR 2016/1, p. 58, para. 6 (Clark).
6Ibid., p. 60, para. 11 (Clark). - 47 -

69
that all the States concerned will support it , I really cannot see why the MarshallIslands has not

taken the initiative to start the negotiations: its statement at the Nayarit conference bears no

resemblance to such an invitation.

29. Members of the Court, thank you once again for your attention during this presentation,

49 which I have been delighted and honoured to present on behalf of India, which I thank for its

continuing confidence. I would ask you, Mr. President, to give the floor once again to Mr. Salve,

who will explain how India’s reservations in its optional clause declaration preclude the Court’s

jurisdiction in this case. Thank you.

The PRESIDENT :Thank you, Professor. I give the floor to Mr. Salve.

M. SALVE :

Je vous remercie, Monsieur le président. J’exposerai maintenant brièvement à la Cour les

quatre réserves sur lesquelles se fonde l’Inde pour affirmer que la Cour n’a pas compétence en la

présente espèce. Je commencerai, Monsieur le président, par formuler quelques observations

générales concernant l’interprétation des réserves, étant donné que, par certains de leurs arguments,

les Iles Marshall semblent chercher à remettre en cause cette jurisprudence bien établie.

D EUXIÈME PARTIE

LE DIFFÉREND N ENTRE PAS DANS LECADRE DE LA DÉCLARATION FAITE PAR L ’INDE ,CAR IL
TOMBE SOUS LECOUP DEQUATRE DES RÉSERVES DONT CET INSTRUMENT EST ASSORTI

Observations générales concernant l’interprétation

1. S’agissant de l’interprétation des déclarations faites par les Etats en vertu du paragraphe 2

de l’article 36 du Statut, y compris des réserves dont elles peuvent être assorties, la jurisprudence

de la Cour est bien établie. Etant donné que les conseils des Iles Marshall, par certains des

arguments qu’ils ont avancés, ont laissé entendre qu’il faudrait interpréter de manière restrictive

plusieurs de ces réserves, et en particulier la quatrième d’entre elles, il convient de réexaminer un

arrêt essentielque la Cour a rendu à cet égard.

69CR 2016/1, p. 60, para. 11 (Clark). - 48 -

2. En l’affaire de la Compétence enmatière depêcheries(Espagne c. Canada), la Cour a en

effet prononcé des dictums importants, parmilesquels ceux dont je vais vous donner lecture :

a) «Il appartient à chaque Etat, lorsqu’il formule sa déclaration, de décider des limites
qu’il assigne à son acceptation de la juridiction de la Cour.» 70

b) «Les conditions ou réserves, de par leur libellé, n’ont donc pas pour effet de
déroger à une acceptation de caractère plus large déjà donnée. Elles servent plutôt
à déterminer l’étendue de l’acceptation par l’Etat de la juridiction obligatoire de la

Cour ; il n’existe donc aucune raison d’en donner une interprétation restrictive.
Tous les éléments d’une déclaration faite en vertu du paragraphe 2 de l’article 36
50 du Statut, qui, pris ensemble, comportent l’acceptation de la compétence de la

Cour par l’Etat auteur de la déclaration, doivent être interprétés comme formant un
tout, auquel doivent être appliqués les mêmes principes juridiques
d’interprétation.» 71

c) «Une réserve additionnelle incluse dans une nouvelle déclaration d’acceptation de
la juridiction de la Cour, qui remplace une déclaration antérieure, ne doit pas être
interprétée comme dérogeant à une acceptation plus générale donnée dans cette
déclaration antérieure ; iln’y a donc pas de raison d’interpréter une telle réserve de

façon restrictive. Ainsi, c’est la déclaration telle qu’elle existe qui, à elle seule,
constitue l’ensemble à interpréter, et les mêmes règles d’interprétation doivent être
appliquées à toutes ses dispositions, y compris celles qui contiennent des
72
réserves.»

d) «Le régime qui s’applique à l’interprétation des déclarations faites en vertu de
l’article 36 du Statut n’est pas identique à celui établi pour l’interprétation des
73
traités par la convention de Vienne sur le droit des traités.»

e) «La Cour relève que les dispositions de la convention de Vienne peuvent
s’appliquer seulement par analogie dans la mesure où elles sont compatibles avec
74
le caractère sui generis de l’acceptation unilatérale de la juridiction de la Cour.»

f) «Toute déclaration «doit être interprétée telle qu’elle se présente, en tenant compte
des mots effectivement employés» (Anglo-IranianOilCo.,exceptionpréliminaire,

arrêt, C.I.J. Recueil 1952, p. 105). Toute réserve doit être appliquée «telle qu’el75
est» (Certains emprunts norvégiens, arrêt, C.I.J. Recueil 1957, p. 27).»

g) «La Cour interprète donc les termes pertinents d’une déclaration, y compris les

réserves qui y figurent, d’une manière naturelle et raisonnable, en tenant dûment
compte de l’intention de 1’Etat concerné à l’époque où ce dernier a accepté la
juridiction obligatoire de la Cour. L’intention d’un Etat qui a formulé une réserve

peut être déduite non seulement du texte même de la clause pertinente, mais aussi

70Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998,
par. 44.

71Ibid.
72
Ibid., par. 45.
73Ibid., par. 46.

74Ibid., par. 46.
75
Ibid., par. 47. - 49 -

du contexte dans lequel celle-ci doit être lue et d’un examen des éléments de
76
preuve relatifs aux circonstances de son élaboration et aux buts recherchés.»

51 h) «En outre, quand une déclaration existante a été remplacée par une nouvelle
déclaration qui contient une réserve, comme dans la présente affaire, on peut aussi

établir les intentions du gouvernement intéressé en comparant les termes des deux
instruments.» 77

i) «Que les Etats acceptent ou non la juridiction de la Cour, ils demeurent en tout état
de cause responsables des actes portant atteinte aux droits d’autres Etats qui leur
seraient imputables. Tout différend à cet égard doit être réglé par des moyens
pacifiques dont le choix est laissé aux parties conformément à l’article 33 de la
78
Charte.»

3. Dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire relative à l’Incident aérien, la Cour a examiné la

question de la compétence à la lumière de la réserve de l’Inde, rejetant l’argument selon lequel il

s’agissait d’une réserve «extra-statutaire» qui ne correspondait pas aux conditions prévues au

paragraphe 3 de l’article 36 du Statut. Elle a ainsi conclu que «le paragraphe 3 de l’article 36 de

son Statut n’a[vait] jamais été regardé comme fixant de manière exhaustive les conditions sous

79
lesquelles des déclarations pouvaient être faites» . Rappelant le passage de l’arrêt qu’elle avait

rendu en l’affaire de la Compétence enmatière depêcheries selon lequel les mots d’une déclaration

assortie d’une réserve devaient être interprétés d’une manière naturelle et raisonnable, la Cour a

jugé que, même si

«les raisons historiques qui [avaient] expliqué à l’origine l’apparition de la réserve
Commonwealth dans les déclarations de certains Etats faites en vertu de la clause
facultative [avaient] pu évoluer ou disparaître ..., de telles considérations ne sauraient

prévaloir sur l’intention d’un Etat déclaran80 telle qu’elle trouv[ait] son expression
dans le texte même de sa déclaration» .

4. L’une des sources, souvent citée, qui fait autorité en la matière est l’affaire de

81
l’Anglo-Iranian Oil Co. Rejetant l’idée qu’il convenait de retenir le sens grammatical de la

réserve qui figurait dans la déclaration de l’Iran, la Cour a dit qu’elle ne pouvait se fonder sur une

interprétation purement grammaticale du texte, mais devait rechercher une manière naturelle et

76
Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998,
par. 49.
77Ibid., par. 50.

78Ibid., par. 56.

79 Incident aérien du 10 août 1999 (Pakistan c. Inde), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 2000,
p. 29-30, par. 37.
80
Ibid., par. 44 ; les italiques sont de moi.
81 Anglo-Iranian Oil Co. (Royaume-Uni c. Iran), compétence de la Cour, exception préliminaire, arrêt,
C.I.J. Recueil 1952, p. 93. - 50 -

raisonnable de le lire. Expliquant la distinction qu’il convenait d’établir entre l’interprétation de

52 traités et celle de déclarations, elle a précisé que ces dernières «résult[aient] d’une rédaction

unilatérale» et qu’elles pouvaient, partant, contenir des mots éventuellement superflus insérés par

surcroît de précaution.

5. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, l’Inde a assorti sa déclaration

de onze réserves, et elle en invoque quatre à l’appui de son argument selon lequel la Cour n’a pas

compétence.

Quatrième réserve : les différends relatifs ou ayant trait à des faits ou à des situations
d’hostilités, àdes conflits armés, àdes actes individuels oucollectifs accomplis en légitime

défense, àlarésistance àl’agression, àl’exécutiond’obligations imposées par des organes
internationaux et autres faits, mesures ou situations connexes ou de même nature qui
concernent ou ont concerné l’Inde ou peuvent la concerner dans l’avenir.

6. Il convient tout d’abord de noter l’ampleur du texte de cette réserve, dont les

caractéristiques importantes peuvent être analysées comme suit :

a) elle couvre les différends relatifs à certains faits ou situations précis ;

b) elle couvre les différends ayant trait à certains faits ou situations précis.

7. La Cour a examiné la formulation analogue de la déclaration du Canada en l’affaire de la

Compétence en matière de pêcheries que j’aicitée tout à l’heure. Dans cette affaire, l’expression

employée était «différends auxquels pourraient donner lieu» («disputes arising out of or

concerning»). La Cour a jugé à cet égard qu’«[a]ux termes de la réserve [étaient] exclus non

seulement les différends qui auraient directement pour «objet» les mesures envisagées et leur

exécution, mais aussiceux qui y auraient «trait» («concerning»)» . 82

8. En l’affaire de la Mer Egée, la Cour s’est penchée sur la réserve qui excluait de sa

compétence les «différends portant sur des questions que le droit international laiss[ait] à la

compétence exclusive des Etats et, notamment, les différends ayant trait au ...». L’argument

avancé devant la Cour était que, conformément à l’interprétation grammaticale, l’exclusion qui

suivait l’expression «et, notamment,» était limitée au type de différends génériques quila précédait.

On faisait valoir que les mots suivant l’expression «et, notamment,» ne devaient pas être interprétés

82Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998,
p. 458, par. 62 ; les italiques sont dans l’original. - 51 -

comme introduisant — et donc excluant de la compétence de la Cour — une catégorie

indépendante de différends.

9. La Cour a rejeté cette approche, jugeant qu’elle ne pouvait se fonder sur une interprétation

purement grammaticale du texte. Elle a poussé son examen au-delà du simple libellé pour

53 rechercher dans quelles circonstances la réserve avait été formulée, et a tenu compte d’autres

facteurs pour donner une interprétation raisonnable des expressions en cause. La Cour a dit ceci :

«[I]l est légitime d’affirmer que ces données historiques démontrent que, dans

la période en question, le motif qui a incité les Etats à inclure dans leurs conventions
des dispositions concernant le statut territorial était en général le désir de se protéger
contre des tentatives éventuelles de modification des règlements territoriaux établis
par les traités de paix. Il ne s’ensuit pas pour autant qu’ils entendaient que ces
dispositions fussent limitées aux questions liées à la revision de ces règlements.» 83

Et la Cour d’ajouter : «il est fort probable qu’un Etat qui avait recours à une réserve pour les

différends ayant trait au statut territorial ou à toute autre réserve analogue entendait qu’elle fût de

caractère très général» .4

10. Si l’on applique ces principes bien établis à l’interprétation de la réserve ici à l’examen,

je soutiens que les mesures prises par l’Inde, agissant en sa qualité de souverain, pour renforcer ses

capacités de défense tombent clairement sous le coup de cette exception.

11. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, l’Inde a été impliquée dans

des hostilités armées avec ses voisins par le passé, et son programme de défense est fondé sur sa

perception des menaces et de ses besoins quien découlent. La quatrième réserve exclut les «autres

faits, mesures ou situations connexes ou de même nature quiconcernent ou ont concerné l’Inde ou

peuvent la concerner dans l’avenir». Si l’Inde juge nécessaire de mettre au point des armes

nucléaires pour accroître ses défenses en prévision de situations qui pourraient la concerner dans

l’avenir  qu’il s’agisse de mesures de légitime défense ou de dissuasion —, pareilles mesures

seront, selon moi, toutes exclues de la compétence de la Cour.

12. Il est incontestable que l’Inde se trouve dans une région où les armes nucléaires

prolifèrent, et la conception de missiles ainsi que le développement des capacités nucléaires en

Asie, et en réalité même au-delà, a eu une incidence sur sa sécurité nationale. L’Inde a exprimé sa

83Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1978, p. 30, par. 73.

84Ibid. - 52 -

préoccupation à cet égard dès les années 1960. Elle a du reste joint à son contre-mémoire des

annexes renfermant les déclarations qu’elle a occasionnellement faites pour exposer sa position en

matière de désarmement nucléaire. Lors de la conférence du comité des dix-huit puissances sur le

désarmement de 1965, l’Inde a par exemple affirmé ceci:

«La poursuite de la prolifération est en réalité une conséquence de la
prolifération existante et, à moins d’attaquer le mal à sa racine, nous n’y trouverons
pas de remède. En ignorant la maladie et en cherchant simplement à traiter de vagues
54 symptômes et d’hypothétiques listes d’Etats nucléaires potentiels, nous ne ferons que
85
l’aggraver.»

L’Inde a cependant précisé clairement qu’elle «s’opposera[it] fondamentalement, dans le cadre de

l’examen de tout projet de traité ou convention sur la non-prolifération, à la notion de monopole

86
nucléaire ou d’appartenance à un cercle privilégié» .

13. Monsieur le président, l’Inde estime que l’évaluation des menaces et toutes les mesures

connexes visant à y faire face, parmi lesquelles les mesures de dissuasion, sont des fonctions

souveraines, et que son programme nucléaire repose entièrement sur une appréciation de ses

besoins découlant de sa perception des menaces. Or, je soutiens que le libellé clair de la réserve à

l’examen exclut ces questions de la compétence de la Cour.

14. Nous avons déjà fait valoir que la nature de l’obligation internationale en cause et les

réserves relatives à la compétence de la Cour étaient deux choses distinctes. L’Inde soutient

fermement le projet de conclure un traité négocié au niveau multilatéral en vue de parvenir à un

désarmement nucléaire mondial reposant sur les principes de non-discrimination et de contrôle

international, mais en même temps, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour,

j’observerai respectueusement que l’Inde ne consent pas à la compétence de la Cour dans ce

domaine, qui revêt une importance cruciale pour l’état de préparation de sa défense.

15. Les Iles Marshall allèguent que la quatrième réserve ne vise ni la menace d’emploi

d’armes nucléaires ni les actes de légitime défense et invoquent l’arrêt que la Cour a rendu en

l’affaire relative à la Chasse à la baleine dans l’Antarctique 87 à l’appui de la proposition selon

laquelle le libellé d’une réserve devrait être appliqué à des faits concrets et réels.

85
CMI, annexe 13, p. 591.
86Ibid., annexe 13, p. 594.
87
Chasse à la baleine dans l’Antarctique (Australie c. Japon ; Nouvelle-Zélande (intervenant)), arrêt,
C.I.J. Recueil 2014, p. 226. - 53 -

16. Lus hors contexte, les dictums tirés d’un arrêt ne peuvent s’appliquer aux réserves telles

que la quatrième réserve de l’Inde, dont la formulation est sigénérale.

17. S’il ressort d’une interprétation grammaticale que le différend tombe sous le coup de la

réserve, la portée apparente de celle-ci ne saurait être réduite sur la base de l’historique de sa

rédaction ou d’autres facteurs.

18. Le libellé de la déclaration en cause en l’affaire relative à la Chasse à la baleine

comportait deux volets, à savoir la délimitation de zones maritimes et les différends «découlant de

l’exploitation de toute zone objet d’un différend adjacente à une telle zone maritime en attente de

délimitation ou en faisant partie, concernant une telle exploitation ou en rapport avec celle-ci». Le

différend qui s’était fait jour en cette affaire avait trait à l’exploitation de la zone maritime à des

fins de chasse à la baleine, et le Japon cherchait à s’appuyer sur la réserve de l’Australie pour
55

l’exclure de la compétence de la Cour par l’effet de la réciprocité. La Cour a toutefois rejeté cet

argument, relevant que le second volet de la réserve était inextricablement lié au premier,

c’est-à-dire à la délimitation des zones maritimes. Nous affirmons que cette décision reposait non

seulement sur le libellé clair de la réserve, mais aussi sur un communiqué de presse publié par le

bureau de l’Attorney General datant de l’époque des faits et corroborant cette interprétation.

19. En réalité, si l’Inde invoque cette affaire, c’est parce qu’elle récapitule les principes bien

établis en matière d’interprétation. Les Iles Marshall laissent entendre que, par analogie, il

conviendrait d’interpréter de manière plus restrictive la formulation très large de la quatrième

réserve, ce que l’arrêt ne vient pourtant nullement étayer.

20. La Cour a toujours donné aux réserves l’interprétation la plus large possible  allant

parfois même au-delà du texte clair  plutôt que de les lire dans un sens restrictif.

21. Si l’on poussait jusqu’au bout la logique des Iles Marshall, leur argument supposerait que

l’Inde n’aurait le droit de mettre au point un programme d’armes nucléaires qu’après avoir subi une

attaque caractérisée par l’emploide pareilles armes, proposition qui doit clairement être rejetée.

22. Le second argument des Iles Marshall consiste à dire que, puisque les remèdes qu’elles

sollicitent se limitent à une appréciation de la question de savoir si l’Inde a mené des négociations

de bonne foi en vue de conclure des traités de désarmement, ils ne tombent pas sous le coup de la

quatrième réserve. Cet argument prend toutefois le contrepied de la position adoptée dans des - 54 -

contextes différents par d’autres conseils, qui s’étaient fondés sur le prétendu programme d’armes

nucléaires de l’Inde, laissant entendre que celui-ci violerait le droit international coutumier et

précisant que les Iles Marshall sollicitaient des déclarations en ce sens. J’ai déjà développé ce

point dans mon exposé liminaire.

Réserve n 5 : Les différends à l’égard desquels toute autre partie en cause a accepté la
juridiction obligatoire de la Cour internationale de Justice uniquement pour ce qui
concerne lesdits différendsouaux fins de ceux-ci; oulorsque l’acceptationde la juridiction

obligatoire de la Cour au nom d’une autre partie au différend a été déposée ou ratifiée
moins de douze mois avant ladate dudépôt de larequête parlaquelle laCourest saisie du
différend

23. Ainsi que cela ressort des éléments qui ont été versés au dossier, les Iles Marshall ont

accepté la juridiction obligatoire de la Cour le 24 avril2013 et ont déposé leur requête en la

56 présente espèce le 24 avril2014. Il nous semble donc évident qu’elles ont fait cette déclaration

dans le dessein de créer une base de compétence pour que leur requête puisse être examinée.

24. Ce qui sous-tend la réserve à l’examen, c’est le principe de la bonne foi, quidoit régir les

relations entre Etats. L’Inde a reconnu, sans interruption, la juridiction obligatoire de la Cour

depuis 1940. Ilserait injuste qu’un comportement telque celui des Iles Marshallsoit cautionné.

25. Les Iles Marshall ont fait valoir que, à partir du mois d’avril 2013, elles avaient

publiquement déclaré qu’elles soulèveraient la question du changement climatique et ne

ménageraient aucun effort pour obtenir que justice soit faite à cet égard, notamment en saisissant la

Cour, et que l’on pouvait en déduire que leur déclaration d’acceptation n’avait pas pour but de

conférer compétence à la Cour aux fins de la présente espèce.

26. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je soutiens que cet argument

ne résiste pas à l’analyse. Le changement climatique est un sujet de préoccupation dans le monde

entier, tout autant que le désarmement nucléaire, et pourtant, jusqu’en mars 2016, c’est-à-dire à ce

jour, aucune requête n’a été déposée à ce sujet devant la Cour, alors que les présentes requêtes,

elles, l’ont été et, selon l’Inde, l’ont d’ailleurs été un jour trop tôt.

27. De même, le fait que la déclaration du demandeur n’ait pas été retirée n’est guère

convaincant. Il va de soi que les Iles Marshallne seraient pas allées jusqu’à démontrer de manière

aussicriante qu’elles avaient fait cette déclaration dans le but de déposer ces trois requêtes. - 55 -

28. Compte tenu de qui précède, je soutiens que l’exception soulevée par l’Inde sur le

fondement de sa réserve n° 5 est valable et qu’elle est étayée par des faits indiscutables.

Réserve n° 7 : Les différends relatifs à l’interprétation ou à l’application d’un traité
multilatéral, à moins que toutes les parties autraité ne soient également parties à l’affaire
dont la Cour est saisie ou que le Gouvernement indien n’accepte spécialement la
juridiction de la Cour

29. L’Inde n’ayant pas spécialement accepté la juridiction de la Cour aux fins de la présente

espèce, c’est la première partie de la réserve qui est susceptible de s’appliquer. La position de

l’Inde en ce qui concerne le TNP n’est pas pertinente au stade actuel de l’instance, où ne sont

examinées que des questions de compétence, et je me bornerai donc à rappeler à la Cour les

observations qui ont été formulées par le coagent de l’Inde.

30. La septième réserve de l’Inde est libellée en des termes très larges : tous les différends

«relatifs à l’interprétation» des traités sont exclus, à moins que toutes les parties à l’instrument en

cause soient présentes à l’instance. Sont également exclus tous les différends «relatifs

à … l’application» d’un traité multilatéral.

57 31. Déterminer si l’article VI du TNP s’applique erga omnes à tous les Etats ou seulement

aux parties au traité nécessiterait de suivre les étapes suivantes :

a) tout d’abord, il conviendrait d’interpréter le traité de manière à établir la portée exacte de cette

disposition. Même pour trancher la question de savoir sil’article VI pourrait être considéré

comme une disposition indépendante ou s’il estindissociablement lié aux autres parties du

traité, celui-ci devrait être interprété ;

b) l’étape suivante  après avoir déterminé le sens de l’article VI  consisterait à rechercher si

cette disposition estfondée sur des principes de droit international coutumier préexistants ou si

elle était destinée à servir de fondement à une obligation erga omnes ;enfin

c) il pourrait se révéler nécessaire d’examiner sile texte de l’article VI estsuffisant pour réaliser

l’objectif d’un désarmementnucléaire mondial.

32. La septième réserve ne dépend pas de la complexité de l’exercice d’interprétation, pas

plus que le fait que la Cour soit invitée à interpréter un traité à la lumière d’un précédent qu’elle a

elle-même établi ne permettrait de l’écarter. Cette réserve vise ce qui constitue l’objet même du

présent différend, à savoir l’interprétation ou l’application d’un traité. - 56 -

33. Les Iles Marshall invoquent l’interprétation que la Cour a faite du traité dans son avis

consultatif et l’invitent à suivre cette interprétation. Le fait que la présente affaire dépende de

l’interprétation de l’article VI exposée dans l’avis consultatif atteste que le différend a trait à

l’interprétation d’un traité. Suivre un précédent pourrait être la manière d’interpréter l’article VI,

mais le fait même que la Cour doive interpréter le traité pour régler le différend qui lui est soumis

la prive de compétence, à moins que toutes les parties à cet instrument ne soient présentes à

l’instance.

34. A titre de comparaison, il est intéressant d’examiner l’affaire Nicaragua c. Etats-Unis

d’Amérique qui, de fait, démontre le bien-fondé de l’exception soulevée par l’Inde.

35. Au paragraphe 69 de l’arrêt rendu en l’affaire précitée, la Cour a relevé que les

Etats-Unis reconnaissaient que la réserve relative aux traités multilatéraux ne s’appliquait qu’aux

«différends résultant d’un traité multilatéral». Au paragraphe 73, après avoir observé que les

demandes présentées par le Nicaragua ne se limitaient pas aux seules quatre conventions

multilatérales, elle a poursuivi en ces termes :

«La Cour ne peut rejeter les demandes nicaraguayennes fondées sur les
principes du droit international général et coutumier au seul motif que ces principes

sont repris dans les textes des conventions invoquées par le Nicaragua. Le fait que les
58 principes susmentionnés, et reconnus comme tels, sont codifiés ou incorporés dans des
conventions multilatérales ne veut pas dire qu’ils cessent d’exister et de s’appliquer en
tant que principes de droit coutumier, même à l’égard de pays quisont parties auxdites
88
conventions.»

La Cour a ensuite précisé que certains principes, comme ceux «du respect de l’indépendance et de

l’intégrité territoriale des Etats et de la liberté de navigation conserv[ai]ent un caractère obligatoire

en tant qu’éléments du droit international coutumier, bien que les dispositions du droit

89
conventionnel auxquelles ils [avaient] été incorporés soient applicables».

36. La situation en la présente espèce, Monsieur le président, est fort différente, puisque les

Iles Marshall citent dans leur requête, et plus particulièrement en son paragraphe 39, le passage de

l’avis consultatif dans lequel est interprété l’article VI du TNP, soutenant que la Cour y reconnaît

que  et je cite la requête  «les dispositions de l’article VI … prévoient davantage que de

88Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 424, par. 73.

89Ibid. - 57 -

simples obligations de moyen  à savoir, mener de bonne foides négociations sur le désarmement

nucléaire  et supposent en fait une obligation de résultat  à savoir, conclure des négociations».

Et, au paragraphe 59, le demandeur affirme que l’obligation de droit international coutumier

relative à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée «est ancrée

dans l’article VI du TNP». Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ilest évident

que de telles questions ne sauraient être tranchées sans que la Cour ait tout d’abord déterminé le

sens de l’article VI.

Réserve n° 11 : Les différends antérieurs à la date de la présente déclaration, y compris les
différends dont les fondements, les motifs, les faits, les causes, les origines, les définitions,

les raisons ou les bases existaient avant cette date, quand bien même la Cour en serait
saisie ou avisée à une date ultérieure

37. Le sens ordinaire de cette clause libellée en des termes généraux est que, siles causes et

les origines du différend  c’est-à-dire, de fait, le fondement de celui-ci existaient avant la date

de la déclaration, le différend ne relèverait pas de la compétence de la Cour.

38. La réserve temporelle dont l’Inde avait assorti sa déclaration faite en 1940 était plus

restrictive : elle visait «tous les différends nés après le 5 février 1930, concernant des situations ou

des faits postérieurs à ladite date». Il apparaît donc que, si les fondements, les causes et les

origines d’un différend étaient antérieurs à la date critique mais sicelui-cis’était fait jour après par

suite d’une situation elle aussi apparue postérieurement, le différend en question ne tombait pas

sous le coup de l’exclusion prévue par cette réserve.

59 39. Dans leur requête, les Iles Marshall soutiennent que l’Inde a constamment refusé de

signer le TNP, qu’elle n’a pas ratifié le traité d’interdiction complète des essais nucléaires et qu’elle

ne montre aucun signe clair donnant à penser qu’elle aurait l’intention de le faire. Au

paragraphe 59, le demandeur se plaint de ce que l’Inde manque de s’acquitter de l’obligation

relative à la cessation de la course aux armements nucléaires, qui, selon lui, est ancrée dans

l’article VI du TNP.

40. Le différend que les Iles Marshall ont présenté dans leur requête trouve manifestement

son fondement dans le refus de l’Inde d’adhérer au TNP. C’est en mai 1974, Monsieur le

président, Mesdames et Messieurs les juges, que l’Inde a pour la première fois démontré qu’elle

disposait de capacités nucléaires. Le présent différend trouve donc son fondement bien avant la - 58 -

date à laquelle l’Inde a déposé sa déclaration, puisqu’elle l’a fait postérieurement au mois

de mai1974.

41. Les conseils des Iles Marshall ont soutenu que les droits sur lesquels la requête était

fondée n’existaient pas avant 1974. Cette allégation est tout simplement erronée.

42. Premièrement, par l’effet du principe de réciprocité, la date critique devrait être 1991, et

non 1974. En effet, dans leur déclaration d’acceptation de la juridiction de la Cour, les

Iles Marshall ont limité la compétence de celle-ci à «tous les différends nés après le

17 septembre 1991, au sujet de situations ou de faits postérieurs à cette date …»

43. Toutefois, quand bien même il serait décidé que c’est la date de la déclaration de l’Inde

qui doit être retenue aux fins de déterminer la compétence ratione temporis de la Cour, le résultat

serait le même.

44. Au paragraphe 2 de leur requête, les Iles Marshall invoquent des obligations de droit

international coutumier relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date

rapprochée etau désarmementnucléaire qui auraient été «enshrined» [«consacrées»dans la version

française] par l’article VI du TNP et réaffirmées par la Cour. Ce faisant, elles empruntent la

formule employée par la Cour, les mots «enshrined in» [«repris dans», dans la version française]

figurant dans l’arrêt rendu en l’affaire Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique, dans lequella Cour a

déclaré que les questions reprises dans les conventions invoquées étaient fondées sur des principes

de droit international coutumier existants . Si l’article VI a consacré ou repris cette obligation,

l’argument selon lequel les droits sont nés postérieurement à 1974 ne tient plus.

60 45. Que l’article VI ait codifié une obligation existante ou qu’il ait  il n’est pas interdit de

le penser  créé cette obligation, les droits revendiqués par les Iles Marshall remontant à 1968 au

moins.

46. Au paragraphe 47 de la requête, il est indiqué que l’obligation énoncée à l’article VI

existe de façon autonome en tant qu’obligation de droit international coutumier «fondée sur la

participation particulièrement large et représentative des Etats au TNP…» Si cela signifie que le

comportement des Etats qui ont adhéré au traité a transformé l’obligation énoncée à l’article VI en

90 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 424, par. 73. - 59 -

un principe de droit international coutumier, alors l’argument selon lequel les droits sont nés

après 1974 s’en trouve réfuté.

47. Au paragraphe 59, le demandeur répète que l’obligation de mettre fin à la course aux

armements nucléaires est ancrée dans l’article VI et cite en outre les résolutions de l’Assemblée

générale et du Conseilde sécurité, autant d’éléments antérieurs à 1974.

48. Cet argument  selon lequel les droits sont nés après 1974  repose sur le fait que c’est

le point 2 F du dispositif de l’avis consultatif qui serait à l’origine desdits droits. Sans vouloir

aborder cette question pour l’instant, l’Inde précise, à toutes fins utiles, qu’elle conteste

l’interprétation que les Iles Marshall font de l’avis consultatif. Il en découlerait en effet que la

Cour a conclu que les principes de droit international coutumier qui trouvent leur expression à

l’article VI avaient créé une obligation erga omnes qui ne serait pas limitée aux parties au traité.

Telle est l’interprétation des Iles Marshall. Là encore, cela signifierait que ces droits existaient

avant 1974, bien que la Cour les ait reconnus en 1996.

49. A l’appui de leur allégation relative à l’existence de cette obligation erga omnes, les

Iles Marshall se réfèrent à la résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le

4 novembre 1954, qui aurait une valeur normative et témoignerait de l’existence d’une obligation

de droit international coutumier. Cela implique également que les droits revendiqués par les

Iles Marshall remontent à 1954.

50. Le fait que les Iles Marshall aient été admises au sein de l’Organisation des

Nations Unies en 1991 est dépourvu de pertinence, puisque la onzième réserve repose sur le

moment où le différend s’est fait jour, y compris lorsque ses fondements, ses motifs, ses faits ou ses

causes existaient avant la date de la déclaration. Les différends avec d’autres Etats antérieurs à

61 cette date et fondés sur des allégations de violation de principes applicables erga omnes

n’échapperont donc pas à cette réserve du simple fait que l’Etat qui dépose la requête est devenu

membre de l’Organisation après 1974.

51. De même, si le fondement du différend est le fait de n’avoir pas négocié un traité sur le

désarmement, ce prétendu manquement a lui aussi débuté en 1968, au moment de la signature du

TNP, et s’est poursuivi par la suite lorsque des Etats ont tenté de soulever dans des enceintes

mondiales la question de la nécessité de conclure pareiltraité. Monsieur le président, Mesdames et - 60 -

Messieurs de la Cour, la situation de l’Inde est demeurée inchangée après 1974, et le fait qu’aucun

traité de désarmement n’ait encore été conclu à l’échelle mondiale ne ferait pas échapper le présent

différend à la onzième réserve.

Conclusion

52. Pour les motifs que je viens d’exposer, je conclurai en invitant la Cour à rejeter la

présente requête sans y consacrer plus de temps ou d’efforts, et ce, pour les raisons suivantes :

a) cet exercice dans son ensemble a été et demeure un abus de procédure ;

b) il n’existe pas de véritable différend entre l’Inde et les Iles Marshall, et ce, pour toutes les

raisons que M. Pellet et moi-même avons exposées à la Cour ;

c) les Iles Marshall n’ont pour leur part jamais tenté de négocier de traité sur le désarmement et

sont donc mal placées pour se plaindre de ce que d’autres Etats ne l’ont pas fait ;

d) aucun arrêt ne saurait être effectivement applicable en l’absence d’autres Etats ;

e) un arrêt sur le fond ne répondrait à aucun objectif réel ; et, enfin,

f) quatre réserves formulées dans la déclaration de l’Inde privent la Cour de compétence pour

connaître de la présente affaire.

Je vous remercie, Monsieur le président, ainsi que tous les membres de la Cour, de nous

avoir patiemment écoutés. Ainsis’achèvent les plaidoiries de l’Inde.

The PRESIDENT: Thank you, Mr. Salve. That brings today’s sitting to an end and

concludes the first round of oral argument. The hearings in the present case will resume on

Monday 14 March at 10 a.m. for the second round of oralargument of the Marshall Islands. At the

end of the sitting, the MarshallIslands will present its final submissions on the question of the

Court’s jurisdiction.

India, for its part, will take the floor on Wednesday 16 March, at 10 a.m., for its second

round of oralargument. At the end of the sitting, India will in turn present its final submissions. - 61 -

62 I would recall that the purpose of the second round of oralargument is to enable each Party

to respond to the oralarguments of the other Party. The second round must not therefore constitute

a repetition of the arguments already set forth by the Parties, which are not obliged to use all the

time allotted to them.

Thank you. The sitting is adjourned.

The Court rose at 12.45 p.m.

___________

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