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CR 2016/3

Mercredi 9 mars 2016 à 10 heures

Wednesday 9 March 2016 at 10 a.m. - 2 -

8 The PRESIDENT: Please be seated. The sitting is open.

The Court meets from today to hear the Parties’ oral arguments on the preliminary objections

raised by the United Kingdom in the case of Obligations concerning Negotiations relating to

Cessation of the Nuclear Arms Race and to Nuclear Disarmament (Marshall Islands v.

United Kingdom).

Since the Court included upon the Bench no judge of the nationality of the Marshall Islands,

the latter availed itself of its right under Article 31, paragraph 2, of the Statute to choose a

judge ad hoc; it chose Mr. Mohammed Bedjaoui.

Article 20 of the Statute provides that “[e]very member of the Court shall, before taking up

his duties, make a solemn declaration in open court that he will exercise his powers impartially and

conscientiously”. Pursuant to Article 31, paragraph 6, of the Statute, this provision is equally

applicable to judges ad hoc.

Although Mr. Bedjaoui has been chosen as a judge ad hoc in other cases in which he has

made solemn declarations, in accordance with Article 8, paragraph 3, of the Rules of Court, he is

required to make a new declaration in the present case.

I said a few words about Mr. Bedjaoui’s illustrious career and considerable qualifications at

the opening of the oral proceedings in the case between the Marshall Islands and India the day

before yesterday.

I shall now invite Mr. Bedjaoui to make the solemn declaration prescribed by Article 20 of

the Statute, and I would request all those present to rise. Mr. Bedjaoui.

Mr. BEDJAOUI:

“I solemnly declare that I will perform my duties and exercise my powers as
judge honourably, faithfully, impartially and conscientiously.”]

The PRESIDENT: Thank you. Please be seated. The Court takes note of the solemn

declaration made by Mr. Bedjaoui.

* * - 3 -

9 I shall now recall the principal steps of the procedure in the case.

By an Application filed in the Registry of the Court on 24 April 2014, the Republic of the

Marshall Islands instituted proceedings against the United Kingdom of Great Britain and

Northern Ireland with regard, in particular, to alleged breaches of obligations borne by it by virtue

of the 1968 Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapons and customary international law,

“relating to cessation of the nuclear arms race at an early date and to nuclear disarmament”.

As basis for the jurisdiction of the Court, the Marshall Islands invokes the declarations made,

pursuant to Article 36, paragraph 2, of the Statute of the Court, by the United Kingdom on

5 July 2004 (deposited with the Secretary-General also on 5 July 2004), and by the

Marshall Islands on 15 March 2013 (deposited with the Secretary-General on 24 April 2013).

By an Order dated 16 June 2014, the Court fixed 16 March 2015 and 16 December 2015 as

the respective time-limits for the filing of a Memorial by the Marshall Islands and a

Counter-Memorial by the United Kingdom. The Memorial of the Marshall Islands was filed within

the time-limit thus prescribed.

On 15 June 2015, within the time-limit set by Article 79, paragraph 1, of the Rules of Court,

the United Kingdom raised preliminary objections to the jurisdiction of the Court and the

admissibility of the Application. Consequently, by an Order of 19 June 2015, the President, noting

that, by virtue of Article 79, paragraph 5, of the Rules of Court, the proceedings on the merits were

suspended, and taking account of Practice Direction V, fixed 15 October 2015 as the time-limit for

the presentation by the Marshall Islands of a written statement of its observations and submissions

on the preliminary objections raised by the United Kingdom. The Marshall Islands filed such a

statement within the time-limit so prescribed, and the case thus became ready for hearing in respect

of the preliminary objections.

*

10 Pursuant to Article 53, paragraph 2, of its Rules, the Court decided, after consulting the

Parties, that copies of the pleadings and documents annexed would be made accessible to the public - 4 -

on the opening of the oral proceedings. Further, all of these documents will be placed on the

Court’s website as from today.

*

I note the presence at the hearing of the Agents, counsel and advocates of the two Parties. In

accordance with the arrangements on the organization of the procedure decided by the Court, the

hearings will comprise a first and second round of oral argument. Each Party will have one session

of three hours for the first round and one session of one-and-a-half hours for the second round.

These are of course maximum speaking times, which the Parties ought only to use as required. The

first round opens today and will close on Friday 11 March. The second round of oral argument will

begin on Monday 14 March and conclude on Wednesday 16 March.

The United Kingdom, which has raised preliminary objections in the case, will be heard first

today.

I now give the floor to the agent of the United Kingdom, Mr. Macleod.

M. MACLEOD :

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un honneur pour moi que

de me présenter devant vous aujourd’hui en tant qu’agent du Royaume-Uni.

2. Monsieur le président, permettez-moi de présenter à la Cour les membres de la délégation

du Royaume-Uni : tout d’abord, S. Exc. sir Geoffrey Adams, ambassadeur du Royaume-Uni

aux Pays-Bas ; ensuite, en tant qu’agent adjoint, M. Shehzad Charania, conseiller

juridique de notre ambassade à La Haye. Quant aux conseils du Royaume-Uni, il s’agit de

sir Daniel Bethlehem, Q.C., de M. Guglielmo Verdirame et de Mme Jessica Wells. Ce sont eux qui

présenteront les exposés oraux du Royaume-Uni. Enfin, mon collègue, M. Christopher Stephen,

conseiller au ministère des affaires étrangères du Commonwealth, est présent en qualité de

conseiller.

11 3. Monsieur le président, les exposés oraux du Royaume-Uni se répartiront comme suit.

4. Premièrement, sir Daniel traitera des première et cinquième exceptions préliminaires que

le Royaume-Uni a soulevées en la présente espèce, selon l’ordre dans lequel elles ont été présentées - 5 -

dans notre exposé écrit du 15 juin 2015. La première exception est qu’il n’existe entre les

Iles Marshall et le Royaume-Uni aucun différend susceptible de faire l’objet d’un règlement

judiciaire. Quant à la cinquième, elle consiste à dire que, en tout état de cause, un arrêt de la Cour

ne serait pas susceptible d’application effective et que, partant, la Cour devrait refuser d’exercer sa

compétence en la présente affaire.

5. Deuxièmement, M. Verdirame exposera les deuxième et troisième exceptions

préliminaires du Royaume-Uni, qui portent respectivement sur les déclarations faites par chacune

des parties en vertu de la clause facultative et sur la question de la compétence ratione temporis.

Selon le Royaume-Uni, le libellé de ces déclarations prive la Cour de compétence pour connaître de

la présente affaire introduite par les Iles Marshall.

6. Enfin, Mme Wells examinera la quatrième exception préliminaire du Royaume-Uni, à

savoir que, en l’absence d’autres parties essentielles dont les intérêts sont directement mis en cause

par les demandes des Iles Marshall, la Cour n’a pas compétence pour connaître de la présente

espèce ou la requête est irrecevable, ou encore, d’ailleurs, les deux.

7. Monsieur le président, avec votre permission, je vous demanderai, maintenant, de bien

vouloir appeler à la barre sir Daniel Bethlehem. Merci.

The PRESIDENT: I give the floor to Sir Daniel Bethlehem. You have the floor.

Sir Daniel BETHLEHEM :

I. Introduction et observations liminaires

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un honneur et un

privilège pour moi que de me présenter une nouvelle fois devant vous au nom du Royaume-Uni.

Mon exposé durera environ soixante-dix minutes. Monsieur le président, si cela peut vous être

utile, je pense que la pause de milieu de matinée pourrait fort bien suivre mes conclusions.

2. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est avec davantage de peine

que de colère que nous plaidons aujourd’hui pour nous opposer à la compétence de la Cour en

12 l’espèce et à la recevabilité de la requête introduite par nos amis des Iles Marshall. Nous

souscrivons en effet au but qui est au cœur de leur démarche, à savoir inciter les Etats à faire - 6 -

davantage d’efforts pour atteindre l’objectif énoncé à l’article VI du traité sur la non-prolifération

(ci-après le «TNP») et consistant à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures

efficaces en faveur du désarmement nucléaire. Nous reconnaissons par ailleurs l’obligation que

nous impose l’article VI du TNP, comme il l’impose à tous les autres Etats qui en sont parties. Il

n’existe aucun différend entre le Royaume-Uni et les Iles Marshall. Cette affaire n’aurait jamais dû

être portée devant la Cour.

3. Les présentes audiences portant sur la question de la compétence, nous n’examinerons pas

les allégations formulées par les Iles Marshall au fond. Les exceptions d’incompétence et

d’irrecevabilité que nous avons soulevées ont un caractère purement préliminaire. Cela étant, les

Iles Marshall allèguent que, depuis des décennies, nous faisons preuve de mauvaise foi en ce qui

concerne nos obligations conventionnelles. Compte tenu de la gravité de cette accusation, nous

tenons à appeler l’attention de la Cour, ne serait-ce que pour que cela soit consigné, sur le

document figurant en annexe 2 de l’exposé de nos exceptions préliminaires, ainsi que sur la

déclaration faite par le Royaume-Uni dans le rapport daté du 22 avril 2015 sur la mise en œuvre du

plan d’action de la Conférence des parties chargées d’examiner le Traité sur la non-prolifération

des armes nucléaires en 2010. Dans ce rapport , document auquel tout un chacun peut se reporter

sur le site Internet de l’Organisation des Nations Unies, le Royaume-Uni a déclaré qu’il était

«attaché à l’instauration d’un monde exempt d’armes nucléaires conformément aux
obligations qui lui incomb[aient] en vertu de l’Article VI du [TNP], et [qu’il était]

fermement convaincu que le meilleur moyen d’atteindre cet objectif consist[ait] à
négocier un désarmement progressif en procédant étape par étape et dans le cadre du
mécanisme de désarmement de l’ONU et du Traité de non-prolifération des armes
nucléaires.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

[La déclaration se poursuit ainsi :]

Le Royaume-Uni demeure déterminé à continuer de collaborer avec des

partenaires à tous les niveaux de la communauté internationale pour empêcher la
prolifération et accomplir des progrès sur la voie d’un désarmement nucléaire
multilatéral, pour établir un climat de confiance entre les Etats dotés d’armes
nucléaires et ceux qui en sont dépourvus, et prendre des mesures concrètes propres à
favoriser l’instauration d’un monde plus sûr et plus stable, dans lequel les pays dotés

d’armes nucléaires se sentent en mesure d’y renoncer.

1Document NPT/CONF.2015/29, par. 4, 7 et 8 ; document facilement accessible au public sur le site Internet de
l’Organisation des Nations Unies à l’adresse suivante : http://www.un.org/fr/ga/search/view_doc.asp?
symbol=NPT/CONF.2015/29. - 7 -

Le Royaume-Uni peut s’enorgueillir d’un bilan solide en matière de
désarmement nucléaire. Il n’a cessé de réduire la taille de ses propres forces
nucléaires dans une proportion dépassant largement 50 % depuis qu’elle avait atteint

son niveau maximum pendant la guerre froide et, depuis 1998, toutes ses armes
nucléaires à vecteur aérien ont été retirées et démantelées.»

II. Plan de l’exposé

13 4. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, voici, dans ce contexte, le plan

de mon exposé. Je ferai tout d’abord quelques brèves observations sur les réclamations formulées

par les Iles Marshall afin de replacer dans leur contexte les exceptions que nous avons soulevées

(sect. III). J’aborderai ensuite la règle selon laquelle la compétence de la Cour doit être appréciée à

la date du dépôt de la requête introductive d’instance (sect. IV), point qui est étroitement lié à notre

première exception préliminaire. J’examinerai ensuite plus en détail nos première et dernière

exceptions préliminaires, à savoir, tout d’abord, qu’il n’existe, entre le Royaume-Uni et les

Iles Marshall, aucun différend susceptible de faire l’objet d’un règlement judiciaire et à l’égard

duquel la Cour pourrait dûment se déclarer compétente (sect. V), et, ensuite, que la demande des

Iles Marshall n’entre pas dans le cadre de la fonction judiciaire de la Cour, qui devrait donc refuser

d’exercer sa compétence à son égard (sect. VI). J’exposerai enfin quelques brèves conclusions

(sect. VII).

III. Les réclamations formulées par les Iles Marshall

5. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je ferai à présent quelques

observations sur les réclamations formulées par les Iles Marshall, afin de replacer dans leur

contexte les exceptions d’incompétence soulevées par le Royaume-Uni. Ce faisant, je relève que

l’instance introduite contre celui-ci est la seule, parmi les trois dont vous avez à connaître en

parallèle, dans laquelle les Iles Marshall ont déposé un mémoire. Nous connaissons donc avec

précision les arguments de fond qu’elles avancent à l’encontre du Royaume-Uni. Or ceux-ci

présentent un intérêt direct pour plusieurs des exceptions d’incompétence et d’irrecevabilité que

nous avons soulevées, comme cela ressortira clairement de nos présentations de ce jour.

6. Dans leur exposé écrit, les Iles Marshall ont répondu aux exceptions juridiques

d’incompétence et d’irrecevabilité soulevées par le Royaume-Uni. Elles n’ont cependant rien dit

de notre description très précise des arguments qu’elles invoquent à notre encontre, estimant donc, - 8 -

semble-t-il que, même si nous les avions résumés, notre exposé était fidèle. Or il est important, aux

fins des présentes audiences sur la compétence, que la Cour ait une idée claire des arguments que

les Iles Marshall présentent contre le Royaume-Uni, car ils concernent directement plusieurs des

exceptions préliminaires que nous avons soulevées.

7. Nous avons examiné les réclamations des Iles Marshall de manière générale aux

paragraphes 19 à 23 de l’exposé de nos exceptions préliminaires, et, plus en détail, dans d’autres

parties de cette même pièce, en fonction de l’exception spécifique qui était alors abordée. Je ferai

14 trois courtes observations générales concernant les exceptions d’incompétence que nous avons

soulevées.

8. Le premier point, qui est au cœur de l’argumentation des Iles Marshall, est que les

manquements qu’aurait commis le Royaume-Uni seraient des «manque[ments] continu[s]». Ce

sont les termes employés par le demandeur, ce que nous pouvons lire au paragraphe 7 de la requête,

où il est allégué que le Royaume-Uni manque de manière continue aux obligations qui lui

incombent au regard de l’article VI du TNP ; manque de manière continue à ces mêmes obligations

qui lui incombent au regard du droit international coutumier ; et manque de manière continue à son

obligation de s’acquitter de bonne foi de ses obligations internationales. Ces formules sont

répétées à l’identique au paragraphe 7 du mémoire des Iles Marshall.

9. Le second point est que, dans les allégations spécifiques que les Iles Marshall formulent

contre le Royaume-Uni, il est fait mention du comportement que celui-ci a eu dans les années 1950,

les années 1960, les années 1970, les années 1980 et au début des années 1990, c’est-à-dire

toujours avant l’adhésion des Iles Marshall au TNP, le 30 janvier 1995, date que celles-ci

considèrent pourtant comme «critique» aux fins de l’affaire. Les Iles Marshall n’emploient pas le

terme de «date critique», mais le sens de l’analyse qui est faite dans leur exposé écrit est clair. Le

manquement allégué justifiant l’introduction d’une instance judiciaire est un manquement qu’elles

2
font remonter à leur adhésion au TNP, le 30 janvier 1995 , mais en le fondant sur un prétendu

comportement antérieur à cette date, dont elles souhaiteraient que vous teniez compte.

2Exposé écrit contenant les observations et conclusions des Iles Marshall (EEIM), par. 76. - 9 -

10. L’origine de l’instance introduite par les Iles Marshall est analysée dans l’exposé des

faits figurant aux paragraphes 19 à 29 de la requête, ainsi que dans l’examen factuel correspondant

qui est contenu dans le mémoire. Cette analyse figure plus précisément aux

paragraphes 61, 66, 67, 68, 69 et 70 du mémoire, dans lesquels le comportement du Royaume-Uni

postérieur à 1995 est chaque fois présenté comme trouvant son origine dans une approche à long

terme du désarmement nucléaire.

11. Dans la réponse écrite qu’elles ont apportée à nos exceptions préliminaires, les

Iles Marshall présentent cette analyse des faits comme étant simplement exposée «à titre de

contexte historique» . Ainsi que M. Verdirame vous le dira, l’argumentation des Iles Marshall ne

saurait cependant être divisée aussi facilement entre, d’une part, un «contexte historique» et,

d’autre part, les allégations de manquements postérieurs à la date critique. Les griefs que nous

15 adresse le demandeur reposent en effet sur des allégations de manquement permanent, continu, les

principaux éléments de la pratique postérieure à 1995 étant solidement ancrés dans un

comportement antérieur à cette date.

12. Mon troisième point est que l’allégation formulée à notre encontre par les Iles Marshall

est celle d’une responsabilité partagée pour manquement à l’article VI, aux obligations du TNP et

à ce qui est présenté comme des obligations parallèles découlant du droit international coutumier.

Il est significatif que cette allégation de responsabilité partagée ne soit pas simplement formulée de

manière générale, mais prolongée par des arguments concernant directement le comportement

bilatéral du Royaume-Uni à l’égard d’autres Etats, lesquels ne sont pas présents devant la Cour

aujourd’hui. Cet aspect sera exposé et examiné plus en détail par Mme Wells.

13. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, si je relève ces

caractéristiques de l’argumentation des Iles Marshall, c’est parce qu’elles ont une incidence directe

sur la question de compétence à l’examen. Si le Royaume-Uni est présent aujourd’hui devant la

Cour, c’est que, parmi tous les Etats dotés d’armes nucléaires et parties au TNP, il est le seul à

avoir déposé une déclaration faite en vertu de la clause facultative susceptible de fonder la

compétence de la Cour. Or les Iles Marshall cherchent, au moyen d’un prétendu différend bilatéral

3EEIM, par. 72. - 10 -

qui les opposerait au Royaume-Uni, à soumettre à la Cour des questions plus vastes et plus

profondes concernant l’efficacité et l’application globales d’un engagement pris au titre d’un traité

multilatéral, à l’égard duquel le Royaume-Uni jouerait le rôle de défendeur justifiant le

comportement des 190 Etats qui y sont parties.

14. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’ajouterai qu’il serait

inapproprié d’analyser les allégations formulées par les Iles Marshall contre le Royaume-Uni pour

y faire le tri entre celles à l’égard desquelles la Cour est compétente et celles à l’égard desquelles

elle ne l’est pas. Les Iles Marshall ont introduit une instance contre le Royaume-Uni. L’affaire

repose sur des allégations de mauvaise foi. La Cour ne saurait examiner au fond l’argument de la

mauvaise foi invoqué à l’encontre du Royaume-Uni en fouillant les entrailles de cette affaire. La

requête présentée par les Iles Marshall doit être retenue ou rejetée sur la base des allégations que

celles-ci ont avancées et non de quelque partie de ces allégations qui pourrait, au prix d’un

important effort d’imagination, être considérée comme ayant échappé aux règles régissant les

limites juridictionnelles normalement applicables.

IV. La compétence doit s’apprécier à la date
du dépôt de la requête

16 15. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’en viens maintenant à la

règle suivant laquelle la compétence de la Cour doit s’apprécier au moment du dépôt de la requête

introductive d’instance. Cette règle est étroitement liée à notre première exception préliminaire, à

savoir qu’il n’existe en l’espèce aucun différend susceptible de faire l’objet d’un règlement

judiciaire. C’est un lieu commun que de dire que la compétence doit s’apprécier au moment du

dépôt de la requête, et la jurisprudence de la Cour, ainsi que l’a relevé le Royaume-Uni dans ses

écritures , abonde d’affirmations de ce principe. Comme nous allons le montrer, les Iles Marshall

achoppent  de manière irrémédiable, selon nous  à ce principe.

16. Le demandeur tente de tourner cette exigence en déclarant que rien ne s’oppose à ce que

le comportement ou les vues ultérieurs des parties soient pris en considération pour déterminer si

un différend existait à la date du dépôt de la requête. A l’appui de cette affirmation, il invoque une

4Exceptions préliminaires du Royaume-Uni (EPRU), par. 28. - 11 -

remarque qu’a formulée la Cour en l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le

Cameroun et le Nigéria de 1998 . Il ressort toutefois clairement tant du passage cité par les

Iles Marshall que de cet arrêt en général que la Cour s’intéressait alors à la détermination de

l’étendue du différend qui relevait de sa compétence, et non à l’existence même d’un différend

susceptible de faire l’objet d’un règlement judiciaire entre les parties. Dans le paragraphe

précédant celui que citent les Iles Marshall, la Cour relève que, en formulant plusieurs de ses

arguments, le Nigéria ne s’est pas montré suffisamment précis en ce qui concerne une portion

particulière de la frontière le séparant du Cameroun, portion qu’il considérait comme établie, alors

que le Cameroun tentait de l’inclure dans l’objet du différend. Dans le passage de l’arrêt invoqué

par les Iles Marshall, la Cour affirme ensuite que, si «[l]e Nigéria est en droit de ne pas avancer,

au … stade de la [compétence], des arguments qu’il considère comme relevant du fond», elle ne

peut se déclarer incompétente au motif que, «[d]u fait de la position prise par le Nigéria, l’étendue

exacte de ce différend ne saurait être déterminée à l’heure actuelle» . De l’avis du Royaume-Uni,

l’arrêt Cameroun c. Nigéria ne sert pas la cause des Iles Marshall en la présente espèce.

17 17. Par des renvois à d’autres affaires faits en note de bas de page, les Iles Marshall tentent

de faire accroire que la Cour a souvent tenu compte des échanges de vues intervenus entre les

parties en cours d’instance. Cela a certes pu être le cas à certaines fins, mais pas pour déterminer si

un différend susceptible de faire l’objet d’un règlement judiciaire existait au moment du dépôt de la

requête introductive d’instance. L’un des arrêts cités est celui que la Cour a rendu en l’affaire

relative à l’Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), que tous les

juges siégeant aujourd’hui connaissent bien, y compris le juge ad hoc des Iles Marshall. Dans le

paragraphe de cette affaire cité par les Iles Marshall, c’est cependant à la détermination de l’objet
7
du différend que s’intéressait la Cour. Or, cette question, aux fins de laquelle la Cour est fondée à

tenir compte des arguments développés par les parties dans les écritures ultérieures à la requête, est

distincte de celle de l’existence même d’un différend qui, elle, doit être déterminée à la date du

5
EEIM, par. 29.
6 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 317, par. 93 (les italiques sont de nous).
7
Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), exception préliminaire, arrêt du
24 septembre 2015, par. 26. - 12 -

dépôt de la requête introductive d’instance. En l’affaire Bolivie c. Chili, aucune des parties ne

soutenait en effet qu’aucun différend ne les opposait. Selon le défendeur, le différend n’était pas

celui qu’avait défini le demandeur, ce qui n’a strictement rien à voir avec les exceptions

préliminaires qui vous sont présentées en la présente instance.

18. La Cour a examiné en détail la règle générale à l’examen dans l’arrêt qu’elle a rendu en

l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de

génocide (Croatie c. Serbie), qui n’est pas du tout mentionnée dans l’exposé écrit des Iles Marshall.

Dans ladite affaire, la Cour a fait observer que «c’[était] normalement à la date du dépôt de l’acte

introductif d’instance que l’on d[evait] se placer pour vérifier si [les conditions de sa compétence]

[étaient] réalisées» . Ajoutant qu’il était aisé de comprendre la raison d’être de cette règle, elle a

évoqué les risques d’abus découlant d’une démarche différente et indiqué ceci :

«[I]l importe de souligner qu’un Etat qui décide de saisir la Cour doit vérifier
avec attention que toutes les conditions nécessaires à la compétence de celle-ci sont

remplies à la date à laquelle l’instance est introduite. S’il ne le fait pas, et que lesdites
conditions viennent ou non à être remplies par la suite, la Cour doit en principe se
18 prononcer sur sa compétence au regard des conditions qui existaient à la date de
l’introduction de l’instance.»

19. La Cour s’est ensuite penchée sur les exceptions à cette règle, dont aucune ne s’applique
9
en la présente espèce . Ainsi, les Iles Marshall ne pourraient-elles pas soumettre de nouveau

aujourd’hui leur requête en l’instance afin de fonder sur les développements intervenus après le

24 avril 2014 l’affirmation selon laquelle il existe, entre les Parties, un différend susceptible de

faire l’objet d’un règlement judiciaire. La déclaration faite par le Royaume-Uni en vertu de la

clause facultative exclut la réintroduction abusive de requêtes déjà déposées . 10

20. Chose significative, étant donné qu’il s’agit là, de l’avis du Royaume-Uni, d’un arrêt et

d’une approche déterminants aux fins de la présente espèce, la Cour a explicitement rejeté dans

l’affaire Belgique c. Sénégal l’affirmation selon laquelle elle pouvait examiner le comportement

ultérieur à la requête pour déterminer si un différend existait entre les parties. Elle s’est en effet

8
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 438, par. 79-80.
9Ibid., p. 438-440, par. 81–85.
10
Le paragraphe 1 iv) de la déclaration faite par le Royaume-Uni en vertu de la clause facultative le
31 décembre 2014 exclut de la compétence de la Cour «[t]out différend identique, quant au fond, à un différend dont la
Cour a déjà été saisie par la même ou une autre partie». - 13 -

prononcée sans ambages sur ce point : «Du point de vue de la compétence de la Cour, ce qui

importe est de savoir si, à la date du dépôt de la requête, il existait entre les Parties un

11
différend…» .

21. Au vu des échanges diplomatiques entre les parties, la Cour a conclu que la Belgique

n’avait pas été en mesure de montrer qu’un différend existait entre elles sur la question à l’examen

12
«à cette date», c’est-à-dire à la date du dépôt de la requête .

22. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, en la présente espèce, il en va

de même que dans l’affaire Belgique c. Sénégal. La compétence de la Cour doit être déterminée en

répondant à la question suivante : existait-il un différend entre les Iles Marshall et le Royaume-Uni

sur le respect, par celui-ci, des obligations énoncées à l’article VI du TNP et de toute prétendue

obligation parallèle de droit international coutumier le 24 avril 2014, c’est-à-dire à la date du dépôt

de la requête introductive d’instance des Iles Marshall ? Comme je l’exposerai de manière plus

détaillée dans un moment, la réponse à cette question ne peut être qu’un «non» retentissant. Les

Iles Marshall n’ont pas présenté l’ombre d’une preuve de l’existence d’un différend entre les

19 Parties à la date du 24 avril 2014 sur laquelle la Cour pourrait fonder sa compétence.

V. Il n’existe, entre les Iles Marshall et le Royaume-Uni, aucun différend susceptible
de faire l’objet d’un règlement judiciaire et à l’égard duquel la Cour
serait fondée à se déclarer compétente

i) Ce que soutient le Royaume-Uni

23. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, dans ce contexte, et dans le

prolongement de mon propos au sujet de la date à laquelle la compétence de la Cour doit être

déterminée, j’en viens maintenant plus directement à notre exception préliminaire selon laquelle il

n’existe, entre les Iles Marshall et le Royaume-Uni, aucun différend susceptible de faire l’objet

d’un règlement judiciaire et à l’égard duquel la Cour serait fondée à se déclarer compétente.

24. Jusqu’au moment où les Iles Marshall ont déposé leur requête introductive d’instance

contre le Royaume-Uni, il n’y avait eu ni échanges diplomatiques, ni discussions, ni démarches, ni

correspondance, ni commentaires faits en marge de telle ou telle réunion, rien, pas un mot que les

11 Questions concernant l’obligationde poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal),arrêt,
C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 444, par. 54.
12
Ibid., p. 444, par. 54, voir également, par. 55. - 14 -

Iles Marshall auraient adressé au Royaume-Uni concernant la question du désarmement nucléaire

et la mauvaise foi, dont, prétendent-elles à présent, nous ferions preuve depuis des décennies par

notre comportement au regard des obligations découlant de l’article VI du TNP. Ne se satisfaisant

pas de l’absence de toute trace de pareils éléments dans la requête, le mémoire et les observations

des Iles Marshall, le Royaume-Uni a passé en revue tous les documents qu’il a pu retrouver

retraçant ses échanges diplomatiques avec le demandeur, pour vérifier si celui-ci y aurait soulevé

les questions du désarmement nucléaire, de l’interprétation et de l’application de l’article VI du

TNP ou de son comportement par rapport à cet engagement. Nous n’avons rien trouvé ; pas une

seule phrase, rien !

25. Il en va de même de nos archives afférentes aux discussions multilatérales auxquelles ont

participé les deux Etats, et je ne parle pas seulement de réunions consacrées au désarmement

nucléaire, telles que les conférences successives d’examen du TNP, mais également de toutes les

rencontres multilatérales au cours desquelles les représentants des Iles Marshall se sont entretenus

avec leurs homologues britanniques. En dépit des possibilités qu’offraient ces réunions, rien

n’indique qu’un représentant des Iles Marshall aurait, à un moment ou un autre, dans une enceinte

20 ou une autre, dit à l’un de ses homologues britanniques : «Nous aimerions vous parler de

l’article VI du TNP et des mesures que vous vous prenez pour vous y conformer.» Nulle part il

n’est fait mention de ce qu’un diplomate britannique aurait signalé avoir été approché par les

Iles Marshall au sujet du désarmement nucléaire. Aucune note figurant dans les archives

diplomatiques du Royaume-Uni n’indique que le demandeur estimait que le comportement du

Royaume-Uni en matière de désarmement nucléaire traduisait une quelconque mauvaise foi quant

aux obligations lui incombant au titre du TNP, que les Iles Marshall l’aient fait savoir directement

ou qu’un Etat tiers s’en soit fait l’écho. Il n’y a rien ! C’est le silence total !

26. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le silence est éloquent. Le

silence peut être interprété et il a des conséquences juridiques. Et je ne parle pas ici de

consentement, d’estoppel ou de renonciation. Il s’agit simplement de savoir s’il y a quoi que ce

soit, je dis bien quoi que ce soit, dans les éléments versés au dossier qui suggérerait que, avant que

le Royaume-Uni m’apprenne par voie de presse que les Iles Marshall avaient déposé une requête

devant la Cour, il existait, tapi dans l’ombre, un différend entre les deux Etats concernant son - 15 -

comportement relativement à l’article VI du TNP. Eh bien, il n’y a rien. D’ailleurs, le

Royaume-Uni croyait  naïvement, pourrait-on penser avec le recul  pouvoir s’enorgueillir d’un

bilan solide en matière de désarmement nucléaire. Il a unilatéralement réduit son arsenal nucléaire.
13
Comme cela est indiqué dans notre exposé écrit , nous avons participé activement à diverses

initiatives, tant régionales qu’internationales, visant à jeter les bases d’une approche plus globale

du désarmement nucléaire. Dans le cadre des conférences d’examen du TNP, nous avons

régulièrement fait état, dans le détail, des mesures que nous avions prises afin de nous conformer à

l’article VI de ce traité.

27. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, dans son exposé écrit, le

Royaume-Uni a appelé l’attention sur l’article 43 des articles de la commission du droit

international sur la responsabilité de l’Etat qui, sous l’intitulé «Notification par l’Etat lésé», est

ainsi libellé : «L’Etat lésé qui invoque la responsabilité d’un autre Etat notifie sa demande à cet

Etat.» Cette injonction est réitérée au paragraphe 3 de l’article 48 des articles de la CDI, dans le

cas où l’Etat invoquant la responsabilité d’un autre n’est pas lui-même l’Etat lésé.

21 28. S’il y avait un doute sur le fait que la commission du droit international s’intéressait en

l’occurrence à la notification précontentieuse à l’Etat dont la responsabilité est invoquée, le

commentaire de l’article 43 précise clairement ce dont il est question. Y sont rappelées les

observations formulées par la Cour en l’affaire de Certaines terres à phosphates à Nauru, qui

opposait Nauru à l’Australie et dans laquelle la Cour a rejeté une exception d’irrecevabilité au

motif que l’Australie avait eu connaissance de la demande par des communications diplomatiques

de Nauru . L’importance de la notification est soulignée dans le troisième rapport du rapporteur

spécial, et je cite les paragraphes 237 à 239 :

«237. … malgré cette souplesse et la prise en considération du contexte
entourant les relations entre les deux Etats concernés, la Cour paraît avoir tenu compte

du fait que l’Etat demandeur avait effectivement notifié la réclamation à l’Etat
défendeur.

13
EPRU, par. 4.
14Responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, paragraphe 4 du commentaire relatif à l’article 43 :
http://legal.un.org/ilc/texts/instruments/french/commentaries/9_6_2001….
15
Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1992, p. 253-255, par. 31-36. - 16 -

238. De l’avis du Rapporteur spécial, cette approche est appropriée sur le plan
des principes. Il doit exister au minimum une certaine forme de notification de la
réclamation en responsabilité d’un Etat à l’autre, de telle sorte que l’Etat responsable

ait connaissance de l’allégation formulée à son encontre et qu’il soit en mesure d’y
répondre (par exemple en mettant fin à la violation et en proposant une forme de
réparation adéquate). Bien entendu, la forme précise que prend la réclamation variera
selon les circonstances. Mais le projet d’articles devrait au moins exiger que l’Etat qui

invoque la responsabilité le notifie à l’Etat responsable. A cette occasion, il serait
normal que soient précisés le comportement qui est exigé de lui pour qu’il soit mis fin
à tout fait illicite de caractère continu, ainsi que la forme que devrait revêtir la
réparation demandée. En outre, dès lors que le mode normal de communication
interétatique est l’écrit, il paraît approprié d’exiger que la notification de la

réclamation ait lieu par écrit. …

239. Lorsqu’un Etat ayant protesté contre une violation n’est pas satisfait de la
réponse donnée par l’Etat responsable, il est en droit d’invoquer la responsabilité de

cet Etat en demandant des mesures de cessation, de réparation, etc., telles qu’elles sont
prévues dans la deuxième partie.»

29. L’arrêt en l’affaire Nauru c. Australie a été rendu en 1992 ; les articles de la CDI sur la

responsabilité de l’Etat et les commentaires y relatifs ont été adoptés en 2001. Depuis, la Cour

elle-même a eu l’occasion, dans deux affaires, de confirmer le principe énoncé au paragraphe 1 de

22 l’article 43 des articles sur la responsabilité de l’Etat : je veux parler des affaires Géorgie

c. Fédération de Russie, en 2011 , et Belgique c. Sénégal, en 2012 . 17

30. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je ne répéterai pas ici ce qui a

été dit de ces affaires dans notre pièce de procédure écrite, aux paragraphes 38 à 44. J’y reviendrai

dans un instant, lorsque j’examinerai la réponse faite par les Iles Marshall à l’exception soulevée

par le Royaume-Uni. Je me contenterai pour l’instant de relever que les arrêts rendus par la Cour

dans ces affaires correspondent à l’approche suivie par la commission du droit international et son

rapporteur spécial dix ans plus tôt, et par la Cour elle-même en l’affaire Nauru c. Australie

vingt ans plus tôt. Ces arrêts témoignent également de l’importance que la Cour attache à ce qu’il

soit établi, à des fins juridictionnelles, que la réclamation du demandeur se heurte à l’opposition du

défendeur au moment du dépôt de la requête.

31. Pour étayer le principe qui ressort de ces affaires, le Royaume-Uni a également souligné

le tendance qui s’est fait jour dans le cadre d’autres procédures de règlement des différends

16Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 70.

17 Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt,
C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 422. - 17 -

internationaux, tendance qui consiste à exiger expressément une notification préalable avant le

dépôt d’une demande. Parmi ces procédures, je mentionnerai celles qui sont prévues dans la

convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM), les procédures de règlement des

différends de l’Organisation mondiale du commerce, et les procédures courantes en matière de

règlement des différends internationaux relatifs aux investissements.

ii) La réponse des Iles Marshall

32. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, dans leur réponse écrite à

cette exception, les Iles Marshall avancent trois arguments. Premièrement, le demandeur affirme

que l’article 43 de la CDI ne se rapporte pas aux questions relatives à la compétence des cours et

tribunaux internationaux et à la recevabilité des demandes, et citant à l’appui de cet argument le

commentaire relatif à l’article 44 des articles de la CDI. Il se fonde à cet égard sur le fait que la

Cour n’a fait référence à l’article 43 dans aucun de ses arrêts, et il reproche au Royaume-Uni de

faire fond sur l’arrêt Nauru c. Australie. Toujours sur cette question, les Iles Marshall rejettent

également, au motif que cela serait inopportun, toute suggestion selon laquelle la pratique juridique
23

qui se développe dans d’autres cours et tribunaux internationaux a la moindre pertinence pour

la CIJ.

33. Deuxièmement, les Iles Marshall affirment que l’existence d’une condition générale de

notification préalable n’est pas étayée par la jurisprudence de la Cour. Sur ce point, elles citent

l’arrêt rendu en l’affaire Cameroun c. Nigéria, dans lequel il est dit qu’il n’est pas obligatoire que

le différend opposant les parties se soit formellement manifesté, ce dont elles concluent qu’il

n’existe aucune condition de notification préalable. Elles tentent ensuite d’opérer une distinction

entre les affaires Géorgie c. Fédération de Russie et Belgique c. Sénégal. En ce qui concerne cette

dernière affaire, les Iles Marshall soutiennent avoir «formulé leurs réclamations relatives aux

manquements du défendeur aux obligations qui lui incombent en application du TNP et du droit
18
international coutumier avant de déposer leur requête» . S’agissant de l’affaire Géorgie

c. Fédération de Russie, le demandeur fait valoir qu’il n’est nulle part fait mention dans l’arrêt

d’une exigence générale de notification préalable. Il avance également que la Cour a veillé à ne

18EEIM, par. 19 ; les italiques sont du Royaume-Uni. - 18 -

pas fixer de critères stricts pour déterminer l’existence d’un différend. Selon lui, un différend se

cristallise lorsqu’un Etat formule une réclamation ou une protestation contre le comportement d’un

autre Etat et que, si l’on se réfère à l’affaire Cameroun c. Nigéria, rien ne s’oppose à ce que le

comportement ou les vues des parties postérieurs à la date du dépôt de la requête soient pris en

considération pour déterminer si un différend existait à cette date . 20

34. Troisièmement, les Iles Marshall soutiennent qu’il existe bel et bien un différend entre les

deux Etats au sujet du respect, par le Royaume-Uni, des obligations lui incombant au titre de

l’article VI du TNP et de ce qui, selon le demandeur, sont des obligations parallèles de droit

international coutumier . A l’appui de cette thèse, les Iles Marshall appellent l’attention sur les

préoccupations dont elles auraient «maintes fois fait part» «quant au respect, par l’ensemble des

Etats dotés d’armes nucléaires, de leur obligation de poursuivre de bonne foi des négociations

22
conduisant au désarmement nucléaire» . N’ayant d’autre choix que de reconnaître implicitement

la réalité des choses, à savoir qu’elles n’ont adressé aucune note diplomatique ou autre

communication au Royaume-Uni, les Iles Marshall affirment néanmoins que «force est de conclure

24 qu’il est raisonnable de considérer que le Royaume-Uni a eu connaissance de la déclaration

[qu’elles ont] faite» lors de la conférence sur l’impact humanitaire des armes nucléaires qui s’est
23
tenue à Nayarit, au Mexique, à la mi-février 2014 .

iii) La réponse du Royaume-Uni

35. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’en viens maintenant à notre

réponse aux arguments des Iles Marshall. Contrairement à ce qu’il s’efforce de faire accroire, force

est de constater que, en réalité, le demandeur ne traite pas l’exception soulevée par le

Royaume-Uni avec une précision un tant soit peu convaincante. Il ne perçoit pas la tendance très

profonde au développement d’un principe de notification préalable dans la jurisprudence de la Cour

et en droit international de façon plus générale. Il interprète mal la jurisprudence de la Cour à

19
EEIM, par. 25.
20 Ibid., par. 29.

21 Ibid., par. 30 et suiv.
22
Ibid., par. 32.
23 Ibid., par. 46. - 19 -

d’importants égards. Mais le plus choquant est qu’il tente d’esquiver une réalité à laquelle il ne

peut pourtant pas échapper, à savoir que, avant de déposer sa requête le 24 avril 2014, il n’avait

jamais, pas une seule fois, fait part au Royaume-Uni des allégations très graves qu’il y avance.

36. Dans leur analyse juridique de l’article 43 des articles de la CDI sur la responsabilité de

l’Etat, les Iles Marshall passent ostensiblement sous silence le fait que celle-ci a, dans ses

commentaires relatifs à cet article, invoqué non seulement l’affaire Nauru c. Australie mais aussi

l’arrêt que la Cour y a rendu et l’analyse du rapporteur spécial qui a servi de base au texte adopté

par la CDI. A cet égard, je précise en passant que les extraits pertinents des rapports du rapporteur

spécial ont été annexés aux écritures du Royaume-Uni et qu’ils y sont cités, si bien qu’il ne s’agit

pas de questions dont on pourrait considérer que les Iles Marshall n’avaient pas connaissance. Le

silence du demandeur ne peut donc que porter à conclure que celui-ci n’a aucune réponse crédible à

apporter à l’argument avancé par le Royaume-Uni sur ce point.

37. A propos des commentaires relatifs à l’article 44 des articles de la CDI, les Iles Marshall

soutiennent que ces articles ne traitent pas des problèmes de compétence et de recevabilité. Ce

qu’elles omettent toutefois de mentionner, c’est la discussion qui, dans les commentaires relatifs à

l’article 44, fait suite à la phrase introductive qu’elles ont citée, et dans lesquels la commission, se

référant à des doctrines telles que la nécessité d’épuiser les autres moyens de règlement des

différends, précise ceci : «A l’inverse [de ces autres doctrines], certaines questions qui entreraient

dans la catégorie des questions de recevabilité lorsqu’elles sont invoquées devant un tribunal

25 international présentent un caractère plus fondamental. Il s’agit avant tout des conditions régissant

24
l’invocation de la responsabilité d’un Etat.» Or, l’obligation de notification préalable énoncée à

l’article 43 est précisément une de ces obligations présentant un caractère plus fondamental,

puisqu’il s’agit d’une condition régissant l’invocation de la responsabilité d’un Etat. Il ressort en

outre clairement des commentaires de la CDI et des rapports du rapporteur spécial que l’une

comme l’autre se préoccupaient de ce que, avant de faire l’objet d’une requête, une demande soit

notifiée à l’Etat responsable .5

24Voir supra, note de bas de page n 14 : commission du droit international, projet d’articles sur la responsabilité
de l’Etat pour fait internationalement illicite, art. 44, commentaire 1).

25Ibid., art. 43, commentaire 3). - 20 -

38. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, dans le chapitre de l’ouvrage

de MM. Crawford, Pellet et Olleson intitulé The Law of International Responsibility qu’elle a

rédigé en 2010, Jacqueline Peel conclut, à propos de l’article 43, que, en pratique, «un Etat

responsable doit être informé d’un manquement qui lui est reproché et de la demande de l’Etat lésé,

afin de pouvoir réagir en prenant des mesures pour mettre un terme à la violation continue ou
26
réparer le préjudice subi» . La même observation a été élégamment formulée par

Georges Abi-Saab dans un texte daté de 2013 et intitulé «Negotiation and Adjudication:

Complementarity and Dissonance» :

«Le processus dans son ensemble trouve son origine dans l’émergence d’un
«différend». Or comment un différend peut-il émerger si ce n’est par une forme ou
une autre d’échange, c’est-à-dire [une négociation] entre les parties ? Dans un

ouvrage que j’ai rédigé il y a 45 ans, j’ai ainsi défini un différend comme étant «un
accord sur un désaccord». Il s’agit là du point de cristallisation du différend,
c’est-à-dire le moment où les parties, quelle que soit la manière dont elles
communiquent, formulent à un seul et même sujet des allégations contradictoires et
des demandes qu’elles rejettent réciproquement. Il n’est pas nécessaire qu’elles

négocient directement. Elles peuvent faire connaître leurs positions publiquement par
l’intermédiaire des médias ou à l’Assemblée générale des Nations Unies …

Ainsi, que l’on considère que des négociations préalables constituent une
condition de recevabilité distincte ou un élément constitutif de la condition d’existence

d’un différend, une forme ou une autre d’échange ou de négociation entre les
protagonistes, ne serait-ce qu’au sein d’une enceinte multilatérale voire par
procuration, constitue un prélude nécessaire au règlement judiciaire.»27

39. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, permettez-moi de répéter

cette dernière phrase, car elle contient l’essence même de ce dont nous parlons : «que l’on

considère», nous dit Abi-Saab,

«que des négociations préalables constituent une condition de recevabilité distincte ou

un élément constitutif de la condition d’existence d’un différend, une forme ou une
autre d’échange ou de négociation entre les protagonistes, ne serait-ce qu’au sein
26 d’une enceinte multilatérale voire par procuration, constitue un prélude nécessaire au
règlement judiciaire» (les italiques sont de nous).

40. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’ai déjà examiné le fait que

les Iles Marshall citent l’affaire Cameroun c. Nigeria, et ce, tout au long de leurs écritures. Elles

26
Crawford, Pellet et Olleson, The Law of International Responsibility, OUP, 2010, p. 1033.
27Georges Abi-Saab, «Negotiation and Adjudication: Complementarity and Dissonance», in P-M. Dupuy,
Recourse to the International Court of Justice for the Purpose of Settling a Dispute, Nijhoff, 2013, p. 329. - 21 -

invoquent cette affaire pour étayer leur assertion selon laquelle le droit international n’impose pas à

un Etat d’informer l’autre de son intention d’engager contre lui une procédure devant la Cour. Or,

ce que dit en réalité cet arrêt est bien différent, comme cela ressort clairement d’un examen des

passages cités par le demandeur. Dans cette affaire, la Cour traitait du principe de bonne foi et de

la question de savoir s’il pouvait servir de fondement à une obligation incombant au demandeur

d’informer le défendeur potentiel de son intention d’engager une procédure. Elle a conclu que ce

principe ne pouvait pas servir à fonder pareille obligation. La situation dans cette affaire n’était

toutefois pas la même que celle de la présente espèce. La question en l’espèce ne porte en effet pas

sur la notification de l’intention d’engager une procédure, mais sur l’absence de cristallisation d’un

différend par la notification, à l’Etat dont la responsabilité est mise en cause, du grief allégué par

l’Etat lésé. Que l’on considère que cela constitue une condition de recevabilité distincte ou un

élément constitutif de l’existence d’un différend, une forme ou une autre d’échange entre les

protagonistes est un prélude nécessaire au règlement judiciaire.

41. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, les Iles Marshall tentent

d’établir une distinction entre la situation en la présente espèce et celle des affaires Belgique

c. Sénégal et Géorgie c. Russie. En ce qui concerne la première, elles le font en soutenant qu’elles

ont en fait formulé leurs griefs avant de déposer leur requête en la présente affaire. Or cette

allégation n’est étayée par absolument aucun élément. Le comportement sur lequel elles se fondent

se résume, en tout et pour tout, à seulement deux déclarations très générales faites dans des

enceintes multilatérales, dont aucune n’était adressée au Royaume-Uni et ne pourrait, même avec

beaucoup d’imagination, être interprétée comme exprimant une allégation de violation de mauvaise

foi par le Royaume-Uni des obligations que lui impose le TNP, et encore moins comme la

notification d’une telle allégation.

42. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous invite à juger par

vous-mêmes ces deux déclarations sur lesquelles les Iles Marshall s’appuient. Elles figurent aux

annexes 71 et 72 de leur mémoire. La première, qui date du 26 septembre 2013, se lit comme suit :

27 «Le désarmement va de pair avec la volonté politique, et nous affirmons et
encourageons les progrès bilatéraux en ce sens, notamment entre les Etats-Unis et la
Russie. Nous prions instamment toutes les puissances nucléaires d’intensifier leurs - 22 -

efforts pour faire face à leurs responsabilités à l’égard d’un désarmement effectif et
sûr.»28

Rien dans cette déclaration, pas la moindre syllabe, ne saurait être interprété comme une

notification au Royaume-Uni d’un différend entre les deux Etats.

43. Le passage pertinent de la seconde déclaration, faite à la mi-février 2014 à la conférence

de Nayarit au Mexique, se lit comme suit :

«Monsieur le président, les Iles Marshall sont convaincues que les négociations
multilatérales visant à créer un monde à jamais dépourvu d’armes nucléaires auraient
dû être engagées depuis longtemps. Nous estimons en effet que les Etats possédant un
arsenal nucléaire ne respectent pas leurs obligations à cet égard. L’obligation
d’œuvrer au désarmement nucléaire qui incombe à chaque Etat en vertu de l’article VI

du traité de non-prolifération nucléaire et du droit international co29umier impose
l’ouverture immédiate et l’aboutissement de telles négociations.»

44. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, cette déclaration a pour ainsi

dire été faite alors que l’encre des neuf requêtes déposées le 24 avril 2014 par les Iles Marshall

n’était pas encore sèche. Plus important encore, elle a été faite dans le cadre d’une conférence à

laquelle le Royaume-Uni ne participait pas, et il n’y est fait aucune mention de celui-ci. Cette

déclaration ne contient et ne sous-entend même aucune allégation de violation de mauvaise foi du

TNP de la part du Royaume-Uni. Enfin, les Iles Marshall n’ont pas pris la moindre mesure pour

porter cette déclaration à l’attention du Royaume-Uni, qui n’en a pris connaissance pour la

première fois qu’en lisant leur requête.

45. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, tels sont les actes, les seuls

actes, sur lesquels les Iles Marshall fondent leur allégation selon laquelle elles auraient formulé

leurs griefs avant de déposer leur requête. Telle est la pratique, la seule pratique, sur laquelle elles

s’appuient pour établir une distinction entre la situation en l’espèce et celle de l’affaire Belgique

c. Sénégal. Avec tout le respect que je porte à mes contradicteurs, leur argumentation ne tient tout

simplement pas.

46. En ce qui concerne l’arrêt rendu en l’affaire Géorgie c. Russie, les Iles Marshall

soutiennent qu’il n’y est nulle part fait mention d’une obligation générale de notification préalable.

Là encore, avec tout le respect que je porte à mes contradicteurs, si le membre de phrase auquel ils

28Mémoire des Iles Marshall (MIM), annexe 71.

29Ibid., annexe 72. - 23 -

se réfèrent n’a pas été employé par la Cour, l’analyse que celle-ci a effectuée ainsi que les

conclusions auxquelles elle est parvenue sont parfaitement claires. Je ne répéterai pas ici ce que

nous avons dit dans notre exposé écrit ; il suffit de rappeler que, dans l’affaire précitée, la Cour

28 s’est livrée à un examen approfondi de la pratique diplomatique des deux Etats et qu’elle n’a trouvé

de preuve de l’existence du différend allégué dans quasiment aucun élément de pratique qui lui

avait été soumis, aucun d’entre eux ne démontrant qu’une allégation avait été directement formulée

à l’encontre du défendeur. La demande n’a été jugée recevable par la Cour que sur la base des

«échanges qui eurent lieu le 10 août 2008 entre les représentants de la Géorgie et de la Fédération

de Russie au Conseil de sécurité, [d]es accusations formulées les 9 et 11 août par le président de la

Géorgie et [de] la réponse qui leur fut donnée le 12 août par le ministre russe des affaires

étrangères», qui «attest[aient] que, ce jour-là, c’est-à-dire le jour où la Géorgie déposa sa requête,
30
un différend … existait entre ces deux Etats» .

47. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le Royaume-Uni n’est pas

venu soutenir devant vous qu’il existerait une règle de droit international immuable et rigide

applicable dans chaque affaire et qui exigerait comme condition préalable à la cristallisation d’un

différend et à la compétence de la Cour que, au moment du dépôt de la requête par laquelle le

demandeur saisit cette dernière, la demande ait été notifiée par écrit. Il est possible de concevoir

des affaires dans lesquelles l’extrême urgence de la question, la nature et la gravité du

comportement qui fait l’objet de la demande, le caractère de la violation alléguée et le fait qu’une

notification puisse être manifestement déduite des circonstances en cause ou des vues opposées des

parties, peut suffire à cristalliser un différend. Tel pourrait par exemple être le cas d’une affaire

relative à la peine de mort dans laquelle la requête serait assortie d’une demande en indication de

mesures conservatoires. En dehors de ce genre d’affaires très exceptionnelles, toutefois, qui

s’accompagnent immanquablement d’une procédure en indication de mesures conservatoires, il est

difficile de concevoir des affaires dans lesquelles une notification préalable ne ressortirait pas

clairement des circonstances ou dans lesquelles le demandeur ne pourrait pas facilement y procéder

s’il avait de bonne foi l’intention d’explorer les possibilités de régler pacifiquement le différend

30 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 120, par. 113. - 24 -

qu’il allègue. Or, l’affaire qui vous est soumise n’entre de toute évidence pas dans cette catégorie.

Les allégations avancées en la présente instance sont profondément ancrées dans un comportement

qui remonte à des dizaines d’années et la demande porte sur une allégation de manquement à une

obligation de négocier. Elle ne porte en aucun cas sur un comportement représentant une menace

imminente.

48. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le Royaume-Uni n’invoque

pas la pratique de l’Organisation mondiale du commerce, ou celle qui s’est développée dans le

29 cadre de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) ou encore celle qui a

cours dans le domaine de l’arbitrage en matière d’investissement pour suggérer que cette pratique

imposerait d’une manière ou d’une autre l’approche que nous recommandons à la Cour d’adopter.

La Cour est l’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies ; elle est dotée d’une

compétence sui generis et d’une autorité unique. Ce que le Royaume-Uni affirme, en revanche,

c’est que la jurisprudence de la Cour a joué un rôle capital dans le développement d’un principe de

droit international général imposant une notification préalable. La commission du droit

international s’est appuyée sur cette jurisprudence. La Cour a pesé de tout son poids dans le

développement du principe en question. Et ce principe est totalement en phase avec l’évolution

plus générale du règlement des différends internationaux.

49. La base de compétence invoquée en la présente espèce est le paragraphe 2 de l’article 36

du Statut de la Cour, qui confère compétence à celle-ci «sur tous les différends d’ordre juridique»

relevant du champ d’application des déclarations faites par les Etats en vertu de cette disposition.

L’obligation de démontrer l’existence d’un «différend d’ordre juridique» impose au demandeur de

démontrer qu’il existait, au moment du dépôt de la requête introductive d’instance, un désaccord

sur un point de droit ou de fait, un conflit, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts entre les

parties. Or, en l’espèce, les Iles Marshall ne peuvent pas s’acquitter de cette obligation.

L’existence d’un différend susceptible de faire l’objet d’un règlement judiciaire ne saurait être

établie par le seul dépôt d’une requête. Encore faut-il que, avant cet acte introductif d’instance, des

échanges aient eu lieu entre les parties potentielles. Le point de savoir s’il s’agit d’une condition

nécessaire pour qu’existe un différend susceptible de faire l’objet d’un règlement judiciaire ou

d’une condition nécessaire à la compétence de la Cour ou à la recevabilité de la requête n’a aucune - 25 -

importance. Les Iles Marshall ne sont tout simplement pas en mesure de s’acquitter de cette

obligation.

VI. La fonction judiciaire de la Cour et le principe de l’effet utile

50. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’en viens à présent à notre

cinquième exception préliminaire, qui porte sur la fonction judiciaire de la Cour et le principe de

l’effet utile, questions que je traiterai brièvement. Je ne répéterai pas ce que nous avons indiqué

dans nos écritures, si ce n’est pour résumer notre argument, fondé sur les arrêts rendus dans les

affaires du Cameroun septentrional et des Essais nucléaires , à savoir que la Cour devrait se

déclarer incompétente plutôt que de se voir contrainte de rendre un arrêt qui ne serait pas

30 effectivement applicable. Selon nous, c’est en effet bien cela que les Iles Marshall cherchent à

obtenir de la Cour en la présente espèce : un arrêt qui ne trouverait pas à s’appliquer dans les faits

et qui n’aurait pas de sens.

51. Parmi les remèdes qu’elles sollicitent, dont le libellé est identique dans la requête et le

mémoire, les Iles Marshall prient la Cour de dire que le Royaume-Uni a manqué et continue de

manquer aux obligations que lui impose le TNP, ainsi qu’à celles qui lui incomberaient en parallèle

au regard du droit international coutumier. Elles demandent ensuite à la Cour de prescrire au

Royaume-Uni de prendre toutes les mesures nécessaires pour se conformer à ses obligations, parmi

lesquelles celle de mener des négociations de bonne foi, si nécessaire en les engageant, en vue de

conclure une convention relative à un désarmement nucléaire. Dans leur réponse aux exceptions

préliminaires soulevées par le Royaume-Uni, les Iles Marshall exposent les conséquences pratiques

des remèdes qu’elles sollicitent, en laissant entendre qu’il pourrait être prescrit au Royaume-Uni de

soutenir l’ouverture de négociations sur le désarmement nucléaire, sans toutefois préciser d’action

particulière à cet effet, comme de voter en faveur d’une résolution donnée de l’Assemblée générale.

Selon le demandeur, le Royaume-Uni serait toutefois tenu de participer activement et de bonne foi

aux négociations, une fois celles-ci engagées.

52. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, les Iles Marshall ont formulé

des allégations qui reposent sur leur appréciation politique de la manière dont les Etats parties au

31 Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963,
p. 15 ; Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 253 ; EPRU, par. 104-112. - 26 -

TNP devraient se comporter par rapport à l’obligation de négocier que leur impose l’article VI de

cet instrument. Si la Cour rendait un arrêt au fond, celui-ci ne serait toutefois contraignant pour

aucun des 190 Etats parties au TNP autre que les Iles Marshall et le Royaume-Uni. En outre, bien

qu’il soit tout à fait disposé à engager avec lui un dialogue bilatéral sur le désarmement nucléaire,

le Royaume-Uni tient à souligner que jamais, au grand jamais, le demandeur n’a recherché pareil

dialogue.

53. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, dans l’avis consultatif qu’elle

a donné en 1996 sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, la Cour s’est

déclarée incapable de conclure à l’illicéité de la politique de dissuasion, se référant à maintes

reprises à une pratique à laquelle adhérait une partie appréciable de la communauté internationale . 32

Il est inconcevable que la Cour puisse revenir sur cette conclusion et la modifier d’une quelconque

manière dans le cadre d’une procédure bilatérale telle que la présente espèce.

31 54. Il en va de même de la conclusion désormais célèbre de la Cour, qui figure au

paragraphe 97 de l’avis consultatif et au point E du dispositif de celui-ci et qui avait été formulée

par la voix prépondérante du président de l’époque, à savoir que la Cour ne peut se prononcer de

façon définitive sur la licéité ou l’illicéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires par un

Etat dans une circonstance extrême de légitime défense dans laquelle sa survie même serait en

cause. Là encore, il serait inconcevable que la Cour puisse revenir sur cette conclusion dans le

cadre d’une procédure bilatérale telle que la présente espèce.

55. Dans ce contexte, et compte tenu tant des enjeux que des risques, des négociations

devant déboucher sur la conclusion d’un traité de désarmement général et complet dans le domaine

nucléaire constituent l’une des questions les plus sensibles que l’on puisse imaginer ; pareille

entreprise exige en effet de se livrer à de fines analyses politiques dans un monde hautement

instable et dangereux. Si la Cour rendait un arrêt au fond, celui-ci ne lierait aucun Etat autre que

les Iles Marshall et le Royaume-Uni, ni un quelconque acteur non étatique. Or, c’est bien dans ce

monde-là que les Iles Marshall demandent à la Cour de dire qu’un Etat partie au TNP doté d’armes

nucléaires a fait preuve d’un comportement illicite et de mauvaise foi, et de prescrire à cet unique

32Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J Recueil 1996 (I), p. 254 et suiv.,
voir notamment les paragraphes 66, 67, 73 et 96. - 27 -

Etat l’obligation de négocier. Un tel dénouement serait stupéfiant et soulèverait un certain nombre

de questions fondamentales pour le moins épineuses sur la fonction judiciaire de la Cour et le

principe de l’effet utile.

56. Même confrontées aux exceptions préliminaires soulevées par le Royaume-Uni, les

Iles Marshall ont été incapables de préciser davantage leur demande. Au contraire, l’exposé écrit

qu’elles ont présenté en réponse à ces exceptions révèle au grand jour les lacunes de leur

argumentation et pose directement la question du principe de l’effet utile, qui se trouve au cœur

même de la fonction de la Cour. Les Iles Marshall reconnaissent en effet que celle-ci ne pourrait

prescrire au Royaume-Uni de voter en faveur de telle ou telle résolution de l’Assemblée générale,

et ne sollicitent concrètement aucune prescription autre que la participation de bonne foi à des

négociations. Même si elle décidait d’y faire droit, la Cour le ferait à ses risques et périls, compte

tenu des incertitudes juridiques liées à l’avis consultatif qu’elle a donné et des risques factuels que

présente l’environnement dans lequel il lui est demandé de s’aventurer. Hypothétiquement, il

pourrait certes être prescrit au Royaume-Uni d’applaudir d’une seule main, mais cela touche au

cœur même du principe de l’effet utile et de l’intégrité judiciaire de la Cour.

57. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, tout arrêt que la Cour pourrait

rendre sur cette question serait dénué de conséquences pratiques, la requête des Iles Marshall étant

irrémédiablement infondée. Si, en dépit de nos autres arguments, elle venait à conclure que cette

32 requête est par ailleurs recevable et relève de sa compétence, la Cour devrait néanmoins se déclarer

incompétente pour connaître de la présente affaire, dont l’examen serait incompatible avec sa

fonction judiciaire.

VII. Conclusions

58. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, voilà qui m’amène à mes

conclusions. Quels que soient les critères juridiques que l’on retienne, la balance ne penche pas en

faveur de la compétence de la Cour en la présente espèce. Il s’agit d’une affaire artificielle dans

laquelle le Royaume-Uni, pour la seule raison qu’il est l’unique Etat partie au TNP doté d’armes

nucléaires à avoir fait une déclaration en vertu de la clause facultative, devrait être contraint à

applaudir d’une seule main. Il s’agit d’une affaire artificielle dans laquelle les Iles Marshall ont - 28 -

déposé leur requête le jour même où expirait la clause de protection dont le Royaume-Uni a assorti

sa déclaration faite en vertu de la clause facultative, tout en niant avoir fait une déclaration

analogue aux fins du présent différend. Il s’agit d’une affaire artificielle dans laquelle les

Iles Marshall ne peuvent invoquer aucune base de compétence pour attraire devant la Cour les

autres Etats parties au TNP dotés d’armes nucléaires, mais dénoncent néanmoins le comportement

de ces derniers au travers d’allégations dirigées contre le Royaume-Uni. Il s’agit d’une affaire

artificielle en ce que les Iles Marshall affirment que l’arrêt au fond qu’elles sollicitent de la Cour

aurait un effet utile, mais ne trouvent rien de mieux à dire que le fait que cette décision «aurait pour

conséquence pratique d’enjoindre au Royaume-Uni de soutenir, d’une manière générale,

l’ouverture de négociations sur le désarmement nucléaire» . Mais surtout, il s’agit d’une affaire

artificielle parce que, avant d’apprendre par voie de presse que les Iles Marshall avaient introduit la

présente affaire devant la Cour, le Royaume-Uni n’avait jamais eu connaissance d’un quelconque

différend qui aurait opposé les deux Etats, cette question n’ayant jamais, au grand jamais, été

soulevée dans leurs échanges diplomatiques.

59. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, si la Cour se déclarait

compétente pour connaître de la présente affaire, sa fonction judiciaire en tant qu’arbitre des

différends juridiques entre Etats s’en trouverait sérieusement mise à mal. Pareille décision

soulèverait en effet de graves questions à ce sujet et toucherait au cœur même de la juridiction de la

Cour en vertu de la clause facultative, ainsi que de la pérennité de ce mécanisme pour fonder et

développer la juridiction obligatoire de la Cour ; elle soulèverait également des questions bien

réelles sur l’opportunité, pour les Etats, de faire des déclarations en ce sens. Les répercussions

globales qu’aurait le fait, pour la Cour, de se déclarer compétente en l’espèce sont donc évidentes

et manifestes.

60. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, dans la présente affaire, les
33

Iles Marshall cherchent à se servir de votre compétence contentieuse comme d’un artifice leur

permettant d’obtenir un avis consultatif, ce qui n’est pas la fonction de la Cour. Pour les raisons

33EEIM, par. 127. - 29 -

que je viens de donner, ainsi que pour celles qu’exposeront M. Verdirame et Mme Wells, la Cour

devrait se déclarer incompétente.

61. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ainsi s’achève mon exposé.

Je vous remercie de votre attention. Monsieur le président, après la pause, je vous saurais gré de

bien vouloir donner la parole à M. Verdirame, qui poursuivra les plaidoiries du Royaume-Uni.

The PRESIDENT: Thank you. The Court will hear from M. Verdirame after a 15-minute

break.

The hearing is suspended from 11 h 15 am to 11 h 30 am.

The PRESIDENT: Please be seated. I give the floor to Professor Verdirame.

M. VERDIRAME : Je vous remercie, Monsieur le président.

I. Introduction

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un grand honneur et un

immense privilège pour moi que de plaider devant vous au nom du Royaume-Uni. Avec votre

permission, Monsieur le président, je pense m’adresser à vous pendant trente-cinq minutes tout au

plus.

2. J’examinerai deux des exceptions préliminaires soulevées par le Royaume-Uni.

3. Je commencerai par l’exception ratione temporis. Je démontrerai que le différend qui,

selon les Iles Marshall, oppose celles-ci au Royaume-Uni, a trait à des situations ou à des faits

antérieurs à la première date à partir de laquelle la Cour pourrait être compétente.

4. L’autre exception préliminaire que j’examinerai au cours de mon exposé concerne

l’acceptation, par les Iles Marshall, de la juridiction obligatoire de la Cour «uniquement … aux fins

[dudit différend]». Une telle acceptation a pour conséquence que, selon le libellé de la déclaration

faite par le Royaume-Uni en vertu de la clause facultative, le différend, à supposer même qu’il

puisse être porté en justice, déborde la compétence de la Cour. - 30 -

II. L’exception ratione temporis

34 5. Monsieur le président, je commencerai par examiner la compétence ratione temporis. En

termes simples, nous soutenons que les situations et faits qui ont conduit à la demande des

Iles Marshall remontent au moins aux années 1970, ce qui est bien antérieur à toutes les dates où la

Cour aurait pu acquérir compétence. Comme je le montrerai, le cadre temporel des situations et

faits pertinents est celui que les Iles Marshall ont elles-mêmes adopté dans leur requête et dans leur

mémoire.

6. Monsieur le président, je développerai mes arguments relatifs à cette exception en quatre

parties. Premièrement, j’exposerai brièvement les différentes dates envisagées par les Parties dans

leurs pièces écrites, puis j’expliquerai la valeur de chacune d’elles, avant d’en venir à la question

cruciale des limites ratione temporis en l’espèce. Deuxièmement, j’examinerai les principes de

droit qui découlent de la jurisprudence de la Cour permanente et de la Cour internationale de

Justice et qui présentent un intérêt en l’espèce. Troisièmement, j’analyserai la position des

Iles Marshall concernant les effets des limites ratione temporis en l’espèce. Et, quatrièmement,

j’expliquerai pourquoi le différend allégué par les Iles Marshall concerne manifestement des

situations et des faits exclus de la compétence temporelle de la Cour.

a) Les dates pertinentes et la question cruciale
7. J’aborderai à présent la première phase de l’analyse et examinerai les dates considérées

par les Parties dans leurs pièces écrites comme présentant un intérêt pour la portée ratione temporis

de la compétence de la Cour.

8. La première date pertinente est le 17 septembre 1991. Selon le libellé de la déclaration

faite par les Iles Marshall au titre de la clause facultative, la Cour a compétence «sur tous les

différends nés après le 17 septembre 1991, au sujet de situations ou de faits postérieurs à cette

date». Même si cette date est postérieure à celle qui apparaît dans la déclaration applicable du

Royaume-Uni, conformément au principe de réciprocité, c’est elle qui importe en l’espèce.

9. La seconde date est celle du 30 janvier 1995, à laquelle les Iles Marshall sont devenues

partie au TNP. - 31 -

35 10. La troisième date est le 8 juillet 1996, soit celle de l’avis consultatif rendu par la Cour sur

la question de la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires . Selon les Iles Marshall,

c’est la date qui compte du point de vue du droit international coutumier. Or le TNP était en

vigueur à cette époque entre le Royaume-Uni et les Iles Marshall, de sorte que, dans les faits, seules

demeurent en réalité les deux dates précédentes : le 17 septembre 1991 et le 30 janvier 1995.

11. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, les Iles Marshall ne semblent

pas avoir de position claire quant à savoir laquelle de ces deux dates définit la compétence

temporelle de la Cour à l’égard des situations ou faits qui sont à l’origine du différend allégué.

35
Elles parlent parfois du 17 septembre 1991 comme de la «date critique» et, à d’autres moments,

soutiennent que seuls les agissements postérieurs à 1995 peuvent constituer le «fait générateur» ou

36
la «cause réelle» du différend .

12. Comme nous le verrons, toutefois, les situations ou faits à l’origine du différend sont

bien antérieurs à 1991. En définitive, la question de savoir s’il faut exclure les situations ou faits

antérieurs à 1995 ou à 1991 ne présente pas beaucoup d’intérêt, le point crucial au regard de cette

exception préliminaire étant en réalité celui-ci : les situations ou faits à l’origine du présent

différend allégué par les Iles Marshall sont-ils antérieurs aux années 1990 ? Nos amis des

Iles Marshall disent que c’est le cas et nous affirmons le contraire. Nous nous accordons cependant

à reconnaître que, si ces situations ou faits sont antérieurs à 1995, voire à 1991, la limite

ratione temporis s’applique et la compétence de la Cour est exclue.

13. Pour être précis, Monsieur le président, la date où le différend a pris naissance ne nous

intéresse pas à ce stade. Il est possible, en principe, qu’un différend naisse postérieurement à la

date critique du point de vue de la compétence, alors que les situations ou faits qui en sont à

l’origine sont antérieurs à cette date. Pour les raisons que sir Daniel a exposées plus tôt, le

Royaume-Uni est d’avis qu’à aucun moment avant le dépôt par les Iles Marshall de leur requête

introduisant la présente instance un différend ne s’est cristallisé entre elles et le Royaume-Uni.

Mais même à supposer que tel ait pu être le cas, la Cour resterait-elle alors incompétente à son

34
Exposé contenant les observations des Iles Marshall sur les exceptions préliminaires soulevées par le
Royaume-Uni (EEIM), par. 70.
35Voir ibid., par. 82 et 91.
36
Voir ibid., par. 87. - 32 -

égard par suite de l’exclusion des «situations ou faits» antérieurs à la date critique ? Voilà la

question centrale en ce qui concerne la compétence ratione temporis de la Cour en l’espèce.

b) Les principes applicables

36 14. Monsieur le président, j’aborderai à présent la deuxième partie de mon exposé sur cette

exception préliminaire et examinerai les principes qui régissent l’exclusion ratione temporis des

situations ou faits antérieurs à la date critique. J’aimerais appeler votre attention sur quatre

principes.

15. Premièrement, comme la Cour permanente l’a souligné dans l’affaire des Phosphates du

Maroc, il convient de ne pas donner un sens restreint au terme «situations ou faits» figurant dans

une déclaration au titre de la clause facultative. En effet, l’usage de ce terme démontre l’intention

de l’Etat  et je cite cet arrêt  «d’embrasser dans une expression aussi compréhensive que

possible tous les éléments susceptibles de donner naissance à un différend» . 37

16. Deuxièmement, dans cette même affaire, la Cour permanente a exposé une conception de

l’exclusion ratione temporis des situations et faits en cause qui est cruciale pour le présent

différend. Le passage de l’arrêt de la Cour permanente qui nous intéresse ici est libellé comme

suit :

«L’antériorité ou la postériorité d’une situation ou d’un fait par rapport à une
certaine date est une question d’espèce, tout comme constitue une question d’espèce le

point de savoir quels sont les situations ou les faits au sujet desquels s’est élevé le
différend. Pour résoudre ces questions, il faut toutefois garder toujours présente à
l’esprit la volonté de 1’Etat qui, n’ayant accepté la juridiction obligatoire que dans
certaines limites, n’a entendu y soumettre que les seuls différends qui sont réellement
nés de situations ou de faits postérieurs à son acceptation. On ne saurait reconnaître

une telle relation entre un différend et des éléments postérieurs qui supposent
l’existence ou qui ne comportent que la confirmation ou le simple développement de
situations ou de faits antérieurs, alors que ceux-ci constituent les véritables éléments
générateurs du différend.» 38

17. Troisièmement, Monsieur le président, dans l’affaire relative à Certains biens, la Cour

internationale de Justice s’est à son tour penchée sur le lien entre situations postérieures et

antérieures auquel se réfère la dernière partie de l’extrait que je viens de lire. La question était de

37Phosphates du Maroc, arrêt, 1938, C.P.J.I. série A/B n 74, p. 24.

38Ibid. - 33 -

savoir si le différend avait «sa source ou cause réelle» dans des faits ou situations datant des

années 1990, à l’égard desquels la Cour aurait eu compétence, ou si sa «source ou cause réelle»

était un comportement remontant aux années 1940 ou 1950, exclu de la compétence temporelle de

la Cour. La Cour a constaté que le différend avait été «déclenché» par un comportement qui datait

des années 1990, mais il ne s’ensuivait pas pour autant que le différend se rapportait à ce

comportement. Lorsque sont en cause des situations ou faits antérieurs à la date critique du point

37 de vue de la compétence, il ne suffit pas de pouvoir faire état d’un comportement simplement

déclencheur qui soit ultérieur à cette date ; il doit y avoir eu un véritable changement, «une

situation nouvelle» .39

18. Quatrièmement, il ne faut pas confondre la «source des droits» et le «fait générateur du

différend». Cette distinction, introduite pour la première fois par la Cour permanente dans l’affaire

de la Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie , a été approuvée par la Cour internationale

de Justice dans celle du Droit de passage, où elle a été présentée comme s’imposant entre

«les situations ou faits qui constituent la source des droits revendiqués par l’une des Parties et les

41
situations ou faits générateurs du différend» .

19. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, chacun de ces principes étaye

l’analyse que fait le Royaume-Uni des effets de l’exclusion ratione temporis en l’espèce mais,

avant de développer cette analyse, je passerai à la troisième partie de mon exposé et ferai le point

sur les arguments des Iles Marshall concernant l’aspect temporel et, en particulier, les efforts

déployés par elles pour trouver quelque appui dans les principes et la jurisprudence que je viens

d’exposer dans les grandes lignes.

c) La position présentée par les Iles Marshall dans l’exposé de leurs observations

20. Dans l’exposé de leurs observations, les Iles Marshall s’appuient, en particulier, sur la

distinction entre sources de droits et faits générateurs de différends. Dans un passage important,

39 Certains biens (Liechtenstein c. Allemagne), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 25,
par. 48-49.

40Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie, arrêt, 1939, C.P.J.I. série A/B n 77.
41
Droit de passage sur territoire indien (Portugal c. Inde), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1960, p. 35. - 34 -

que je citerai car il est capital pour la compréhension de leur argumentation, elles avancent ce qui

suit :

«En l’espèce, il ne fait aucun doute que les droits que revendique la République
des Iles Marshall à l’égard du Royaume-Uni au titre de l’article VI du TNP ne
pouvaient exister avant l’adhésion de celle-ci au traité, et que ceux auxquels elle
prétend à l’égard de ce même Etat au titre du droit international coutumier sont nés

avec la règle coutumière en question. Il va de soi que les faits ou situations
susceptibles d’avoir engendré un différend concernant ces droits ne pouvaient se
produire qu’après la naissance de ces derniers. En d’autres termes, l’adhésion du
demandeur au TNP et l’émergence de la règle coutumière ont créé «une situation

nouvelle» dans la relation que les Iles Marshall entretiennent avec le Royaume-Uni, et
c’est dans le contexte de cette nouvelle situation que le présent différend s’est fait
jour.»42

Ainsi se termine ce passage important.

38 21. Ailleurs dans leur exposé, les Iles Marshall soutiennent que «les faits et situations qui

constituent la cause réelle du présent différend sont indissociablement liés» à leur adhésion au TNP

ou, du point de vue du droit international coutumier , au prononcé de l’avis consultatif. Elles

ajoutent que, s’agissant de l’article VI du TNP, «seul le comportement postérieur à l[eur]

adhésion … [à ce traité] en janvier 1995 peut constituer le «fait générateur» ou la «cause réelle» du

différend juridique qui les oppose au Royaume-Uni» . 44

22. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, la position des Iles Marshall

qui ressort de ces déclarations est confuse et, en définitive, indéfendable. Je ferai quatre

observations à cet égard.

23. Premièrement, il est tout simplement faux de dire que les situations ou faits à l’origine du

présent différend sont «indissociablement liés» à l’adhésion des Iles Marshall au TNP. C’est

évidemment un truisme de dire que le différend qui, selon les Iles Marshall, les oppose au

Royaume-Uni est lié aux obligations dont elles allèguent le non-respect. Mais le différend ne porte

pas sur leur adhésion au TNP. Le fait juridique de cette adhésion ne saurait en aucune manière être

considéré comme un différend entre les Parties.

42
EEIM, par. 74.
43Ibid., par. 85.

44Ibid., par. 76. - 35 -

24. Deuxièmement, les Iles Marshall embrouillent la distinction entre la source de droits et le

fait générateur du différend, établie par la Cour permanente dans l’affaire de la Compagnie

d’électricité de Sofia et de Bulgarie et confirmée par la Cour internationale de Justice dans celle du

Droit de passage. Au regard de cette distinction, l’adhésion au TNP est un fait juridique qui

constitue la source des droits revendiqués par les Iles Marshall au titre de ce traité. De même,

l’émergence d’une règle de droit international coutumier constitue un fait juridique qui se rapporte

à la source des droits revendiqués à ce titre par les Iles Marshall. Comme cela a déjà été

mentionné, il est bien évidemment exact qu’un différend entre les Iles Marshall et le Royaume-Uni

concernant ces droits et les obligations correspondantes a pu naître à n’importe quel moment après

ces dates, mais non avant. Mais ces faits et les dates y afférentes concernent la source des droits et

non le fait générateur du différend.

25. Troisièmement et comme suite logique aux deux premiers points, les Iles Marshall

soutiennent également qu’une «situation nouvelle» est née lorsqu’elles sont devenues parties au

TNP ou, subsidiairement, lorsque la règle de droit international coutumier correspondant à celle de

39 l’article VI de ce traité a été reconnue par la Cour dans son avis consultatif de 1996. Encore une

fois, ces dates présentent un intérêt pour la source des droits, mais non pour le fait générateur du

différend. Il ne s’agit pas là des situations nouvelles auxquelles la Cour a fait référence dans

l’affaire relative à Certains biens.

26. Quatrièmement, les Iles Marshall commettent une erreur fondamentale lorsqu’elles

avancent qu’il «va de soi que les faits ou situations susceptibles d’avoir engendré un différend

concernant ces droits ne pouvaient se produire qu’après la naissance de ces derniers». Cette

déclaration soulève naturellement la question suivante : de quand datent la situation ou les faits

auxquels se rapporte l’instance introduite par les Iles Marshall ? La question n’est pas de savoir

quand ils devraient avoir eu lieu. Nous connaissons la réponse à cette question. Le fait que le droit

exige qu’ils se soient produits après une certaine date ne démontre bien évidemment pas qu’ils se

sont effectivement produits alors et non avant ou, d’ailleurs, qu’ils se sont jamais produits.

David Hume a dit, comme chacun sait, qu’il était fallacieux de fonder des prétentions sur ce qui

«devrait» se produire comme si cela s’était effectivement «produit». Autrement dit, ce qui «est»

n’emporte pas nécessairement ce qui «devrait être». Or nos amis de la partie adverse tentent à - 36 -

présent de faire l’inverse en affirmant l’«existence» de ce qui «aurait dû exister», c’est-à-dire que

les situations ou faits en cause se sont produits postérieurement à la date critique, parce qu’il fallait

qu’il en soit ainsi. Mais, Monsieur le président, même sans l’assistance de philosophes écossais, il

y a peu de risques à considérer comme fausse la conclusion que les Iles Marshall souhaitent tirer.

d) Les situations et faits à l’origine du différend débordent la compétence temporelle
de la Cour

27. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, l’analyse que font les

Iles Marshall du facteur temporel est fondamentalement viciée. Elle est sans effet sur l’argument

principal que nous avons avancé dans notre exposé écrit, à savoir que le différend dont parlent les

Iles Marshall se rapporte à des situations et à des faits qui débordent la compétence temporelle de

la Cour. C’est cet argument principal que j’entends aborder maintenant, dans la dernière partie de

mon exposé sur l’exception préliminaire ratione temporis.

28. Il ressort clairement de la requête et du mémoire des Iles Marshall que la thèse défendue

repose en grande partie sur des faits antérieurs à 1990 et que la situation dont se plaint le

demandeur a pris naissance bien avant 1991. Contrairement à ce qui a été avancé par la suite dans

les observations, les situations et faits qui sont antérieurs à la compétence de la Cour n’y ont pas été
45
40 exposés «à titre de contexte historique» . Au contraire, comme il est dit dans la requête, les faits

qui y sont relatés sont «pertinents pour l’évaluation du non-respect, par le défendeur, des

obligations internationales qui lui incombent en ce qui concerne le désarmement nucléaire et la
46
cessation de la course aux armements nucléaires» .

29. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, il ne s’agit pas là de simples

erreurs de rédaction. Dans leur mémoire, les Iles Marshall résument ainsi leur thèse concernant la

prétendue violation, par le Royaume-Uni, du premier élément de l’article VI du TNP :

«Quarante-cinq ans après l’entrée en vigueur du TNP, le retard pris par le Royaume-Uni

relativement au respect de son obligation de poursuivre des négociations sur le désarmement

nucléaire est manifestement déraisonnable.» 47

45
EEIM, par. 72.
46Requête introductive d’instance contre le Royaume-Uni déposée par la République des Iles Marshall (RIM),
par. 99.
47
MIM, par. 213. - 37 -

30. Le même jugement est porté relativement à l’autre élément de l’article VI du TNP. On

lit en effet ce qui suit dans le mémoire des Iles Marshall : «Quarante-cinq ans après l’entrée en

vigueur du TNP, le retard pris par le Royaume-Uni relativement au respect de son obligation de

poursuivre des négociations sur la cessation de la course aux armements nucléaires est

manifestement déraisonnable.» 48

31. Il n’est pas exact de dire que le TNP est entré en vigueur il y a quarante-cinq ans entre le

Royaume-Uni et les Iles Marshall. Cette prise d’effet a eu lieu il y a vingt et un ans. Ce qui est

vrai, c’est que, comme le demandeur le sait et l’a affirmé à maintes reprise dans sa requête et dans

son mémoire, le cadre temporel de sa thèse s’étend à des situations et à des faits qui couvrent une

période beaucoup plus longue que celle qui s’est écoulée depuis l’entrée en vigueur du traité entre

les Parties, soit plus du double de la période à l’égard de laquelle la Cour pourrait exercer sa

juridiction. Les situations et faits antérieurs aux années 1990 ne sauraient manifestement pas être

considérés comme constituant un simple «contexte historique». Ils se trouvent au cœur même des

prétentions des Iles Marshall.

32. Afin de contourner les difficultés que posent les limites temporelles, les Iles Marshall

reprochent maintenant au Royaume-Uni d’insister sur «sur l’existence d’un comportement continu

[afin] de convaincre la Cour que les faits qui constituent la cause réelle du différend sont survenus

avant la date critique du 17 septembre 1991» . Elles soutiennent que «[l]e présent différend n’a

cependant pas pour objet de savoir si le Royaume-Uni, de par le comportement qu’il a eu avant la
41
50
date critique, est l’auteur d’un fait illicite continu» .

33. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je me permets de vous inviter

à comparer ces affirmations, que contiennent les observations des Iles Marshall, au passage intitulé

«Introduction et résumé» de la requête introductive d’instance. Nulle part dans les 18 paragraphes

censés introduire et résumer le différend est-il question d’un seul fait postérieur à 1995 et

attribuable au Royaume-Uni qui en serait à l’origine. Juste avant d’alléguer pour la première fois

 je cite  que le Royaume-Uni «manque de manière continue» aux obligations qui lui

48
MIM, par. 221.
49EEIM, par. 88.
50
Ibid., par. 89. - 38 -

incombent, le demandeur évoque trois cadres temporels. L’un d’eux se rapporte à la date de l’avis

consultatif rendu par la Cour sur la question des Armes nucléaires et, pour les raisons que j’ai déjà

exposées, il ne présente aucun intérêt pour les situations ou faits à l’origine du différend. Il en va

différemment des deux autres, mais ils remontent bien au-delà de 1990, soit jusqu’aux
51
années 1980, 1970 et 1960 . Chose plus importante encore, dans le même passage de la requête

introduisant et résumant le différend qui l’oppose au Royaume-Uni, les Iles Marshall exposent ainsi

l’objet de leur démarche : «La présente requête vise à faire en sorte que les obligations juridiques

contractées il y a quarante-quatre ans par le Royaume-Uni dans le cadre du TNP finissent par

aboutir au résultat promis.» 52

34. Comme nous l’avons vu plus tôt, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la

Cour, il s’agit là du même cadre temporel essentiel qui sous-tend le mémoire, à cela près que, de

quarante-quatre ans, on est passé à quarante-cinq. C’est dans ce cadre temporel que s’inscriraient

les prétendus manquements continus que dénoncent les Iles Marshall dans leur requête et leur

mémoire. Le différend ne découle donc pas d’agissements survenus entre 1995 et 2016, ni même

entre 1991 et 2016. Le fait générateur ou cause réelle remonte au moins jusqu’aux années 1970,

voire au-delà à certains égards. Certes, le Royaume-Uni n’assumait en droit aucune obligation

envers les Iles Marshall durant les vingt-cinq premières années de la période sur laquelle s’étend la

situation alléguée, mais ce facteur juridique n’a aucune incidence sur le cadre temporel des

situations et faits sur lesquels est fondée la thèse du demandeur.

42 35. Pour conclure en ce qui concerne cette exception préliminaire, Monsieur le président,

Mesdames et Messieurs de la Cour, le différend en question, à supposer qu’il existe, se rapporte on

ne peut plus clairement à des situations ou faits qui débordent la compétence temporelle de la Cour

en ce qu’ils sont antérieurs à l’adhésion des Iles Marshall au TNP et, en tout état de cause, à la date

critique du 17 septembre 1991.

51RIM, par. 7.

52Ibid., par. 10. - 39 -

III. Les Iles Marshall ont accepté la juridiction obligatoire de la Cour
uniquement aux fins du présent différend

36. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’aborderai maintenant l’autre

exception préliminaire dont je suis censé traiter.

37. La déclaration facultative du Royaume-Uni exclut de la compétence de la Cour «[t]out

différend à l’égard duquel toute autre partie en cause a accepté la juridiction obligatoire de la Cour

internationale de Justice uniquement en ce qui concerne ledit différend ou aux fins de celui-ci».

Cette exclusion traduit la position du Royaume-Uni en faveur du recours au processus judiciaire

pour le règlement des différends internationaux, et ce, en tant que stratégie générale pour la

conduite des affaires internationales, mais non à titre purement tactique.

38. Avant d’examiner plus en détail cette exception préliminaire, j’aimerais faire un survol

des principes qui régissent, selon la jurisprudence de la Cour, l’interprétation des déclarations faites

au titre de la clause facultative. Et je tiens à souligner, Monsieur le président, que ces principes

s’appliquent à l’interprétation des réserves d’ordre temporel figurant dans les déclarations

facultatives dont il a été question précédemment.

39. Dans l’affaire de la Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), la Cour a

dit que, «s’agissant d’une réserve à une déclaration faite en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du

Statut, ce qui est exigé en tout premier lieu est qu’elle soit interprétée d’une manière compatible

avec l’effet recherché par 1’Etat qui en est l’auteur» . Comme elle l’a précisé par la suite en

l’affaire de l’Incident aérien du 10 août 1999, ce qui importe, c’est «l’intention d’un Etat déclarant,
54
telle qu’elle trouve son expression dans le texte même de sa déclaration» . Elle a par ailleurs

souligné que la déclaration au titre de la clause facultative «constitu[ait] un acte unilatéral relevant

de la souveraineté de l’Etat» et que les règles d’interprétation des traités énoncées dans la

43 convention de Vienne sur le droit des traités «peuvent s’[y] appliquer seulement par analogie dans

la mesure où elles sont compatibles avec le caractère sui generis de l’acceptation unilatérale de la

55
juridiction de la Cour» .

53
Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998,
p. 455, par. 52.
54 Incident aérien du 10 août 1999 (Pakistan c. Inde), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 2000, p. 31,
par. 44.
55
Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998,
p. 453, par. 46. - 40 -

40. Appliquant ces principes à la présente affaire, le Royaume-Uni fait valoir que la

compétence de la Cour est exclue par l’effet de la locution «aux fins de» figurant dans la réserve

dont est assortie la déclaration au titre de la clause facultative. Ce passage de la déclaration visait à

exclure les différends de deux types : ceux où la juridiction obligatoire de la Cour a été acceptée

uniquement en ce qui concerne ledit différend et ceux où elle l’a été uniquement aux fins de

celui-ci. La Cour doit donner effet à la distinction opérée entre «ce qui concerne» l’acceptation et

l’objectif de celle-ci, puisque telle était l’intention du Royaume-Uni lorsqu’il a fait la déclaration.

41. Il est vrai, Monsieur le président, que la juridiction de la Cour n’a pas été acceptée par les

Iles Marshall que relativement au différend porté devant celle-ci. L’acceptation a été formulée

dans des termes suffisamment larges pour englober d’autres différends éventuels.

42. Mais la question de savoir si cette acceptation a eu lieu uniquement «aux fins» du

différend soumis par les Iles Marshall est différente. Un Etat peut déposer une déclaration

d’acceptation de la juridiction de la Cour qui soit formulée de façon à viser une catégorie assez

vaste de différends, mais ne l’avoir fait que pour saisir la Cour d’un litige déterminé. Cette

interprétation concorde avec le sens du mot purpose («fin»), défini comme il suit par l’Oxford

English Dictionary : «Ce qu’une personne cherche à faire ou à atteindre ; objectif en vue ; intention

ou but déterminé.» [Traduction du Greffe.]

43. La meilleure preuve du lien existant entre l’acceptation des Iles Marshall et le différend

réside dans les dates respectives du dépôt de la déclaration faite au titre de la clause facultative

auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies le 24 avril 2013 et de celui de la

présente requête le 24 avril 2014, soit à la première occasion qui a paru opportune au demandeur.

C’est forcer la crédibilité que de prétendre qu’il s’agit là d’une simple coïncidence. Au contraire,

cette coïncidence montre clairement que ce que les Iles Marshall avaient en tête lorsqu’elles ont

44 accepté la juridiction obligatoire de la Cour un an auparavant, c’était engager la présente procédure

et que c’était alors là son objectif manifeste.

IV. Conclusion

44. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ainsi prend fin mon exposé

sur les exceptions préliminaires du Royaume-Uni concernant, en premier lieu, la compétence - 41 -

ratione temporis de la Cour et, en second lieu, l’exclusion, conformément à la déclaration faite par

le Royaume-Uni en vertu de la clause facultative, de tout différend aux seules fins duquel l’autre

partie a accepté la juridiction obligatoire de la Cour internationale de Justice.

45. Je vous remercie de votre attention et vous invite maintenant à donner la parole à ma

collègue, Mme Jessica Wells, qui terminera aujourd’hui la présentation des moyens du

Royaume-Uni.

The PRESIDENT : Thank you, Professor. I give the floor to Mrs. Jessica Wells.

Mme WELLS :

I. Introduction

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est pour moi un honneur et

un privilège que de plaider devant vous au nom du Royaume-Uni.

2. Dans mon exposé, je traiterai de la quatrième exception préliminaire du Royaume-Uni, à

savoir que la requête introduite contre lui par les Iles Marshall a immanquablement des incidences

directes sur les intérêts essentiels d’Etats non attraits devant la Cour dans le cadre de la présente

procédure et, partant, que, conformément à ce que j’appellerai par souci de concision le principe

des «parties essentielles», ladite requête est irrecevable et/ou la Cour n’a pas compétence pour en

connaître.

II. Structure de l’exposé

3. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, si vous le permettez, je

plaiderai devant vous pendant environ quarante-cinq minutes.

4. Je commencerai par formuler quelques observations liminaires concernant la nature et le

contexte de l’instance que les Iles Marshall ont introduite contre le Royaume-Uni. J’examinerai

ensuite plus en détail la portée du principe des «parties essentielles», tel qu’il s’est développé dans
45

la jurisprudence de la Cour. Pour terminer, je passerai en revue les allégations précises qui ont été

portées contre le défendeur. - 42 -

5. En résumé, le Royaume-Uni fait valoir que, pour se prononcer sur la requête introduite

contre lui, la Cour devrait nécessairement évaluer la licéité du comportement d’Etats tiers. De

manière générale, elle ne saurait, par exemple, trancher la question de savoir s’il a négocié de

bonne foi sans comparer son comportement à celui d’autres Etats. Plus précisément, étant donné

que les allégations spécifiques portées contre lui mettent directement en cause la conduite d’Etats

tiers, le Royaume-Uni affirme que la présente affaire tombe directement sous le coup du principe

des «parties essentielles».

III. Observations liminaires

6. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le demandeur soutient, dans

l’exposé de ses observations,

a) qu’il «conteste uniquement le comportement du défendeur, affirmant que, par ce

comportement, celui-ci manque à l’obligation qui lui incombe envers les Iles Marshall au titre

56
de l’article VI du TNP et du droit international coutumier» ; et

b) que «[r]ien dans la requête ne saurait être interprété comme une demande faite à la Cour de se

prononcer sur la question de savoir si les autres Etats dotés d’armes nucléaires, qu’ils aient ou

non été attraits devant la Cour, ont également manqué à leurs obligations, ou de prescrire à ces
57
Etats de mener et de conclure des négociations entre eux» .

7. Avec tout le respect que je porte à nos contradicteurs, ces arguments sont fallacieux.

8. Il est en effet manifeste que les Iles Marshall n’attaquent pas uniquement le comportement

du Royaume-Uni, puisqu’elles ont introduit huit autres requêtes, qui reprennent essentiellement les

principales conclusions formulées dans la présente, contre tous les Etats réputés posséder des armes

nucléaires. Bien que seuls trois d’entre eux aient fait une déclaration en vertu de la clause

facultative et que, partant, les six autres requêtes ne puissent être examinées plus avant, nous ne

46 devons pas perdre de vue la position véritable des Iles Marshall, selon laquelle les Etats dotés

d’armes nucléaires ont la responsabilité commune de s’acquitter de l’obligation de négocier en vue

du désarmement nucléaire.

56EEIM, par. 102.

57Ibid., par. 104. - 43 -

9. Si l’on considère uniquement la requête introduite contre le Royaume-Uni, on voit bien

que la demande des Iles Marshall, par sa nature même, met inévitablement en jeu le comportement

d’autres Etats. Ce constat appelle trois observations :

 Premièrement, les Iles Marshall reconnaissent qu’un Etat ne peut à lui seul mener et conclure

des négociations, ce qui peut paraître trivial, mais est néanmoins fondamental . 58 Elles

soutiennent toutefois que «[l]e Royaume-Uni a, à tout le moins, l’obligation de s’employer

véritablement à poursuivre de telles négociations de bonne foi, et ce, quel que soit le

comportement des autres Etats dotés d’armes nucléaires» . 59 C’est possible, mais cela ne

signifie pas pour autant que la Cour peut examiner dans l’absolu si le Royaume-Uni a

véritablement fait des efforts pour négocier et/ou s’il les a faits de bonne foi. Le défendeur

soutient que son comportement dans le cadre de ces négociations ne peut être évalué

correctement qu’à l’aune de l’attitude et des actions d’autres Etats, en particulier ceux dotés

d’armes nucléaires, ce qui amènera donc immanquablement la Cour à se pencher sur le

comportement d’Etats tiers qui ne sont pas parties à la procédure dont elle est saisie.

 Deuxièmement, les Iles Marshall font grand cas de l’argument selon lequel l’obligation de

mener des négociations en vue du désarmement nucléaire serait, au regard tant de l’article VI

du TNP que du droit coutumier, une obligation erga omnes . Là encore, il se peut qu’il en soit

ainsi, mais cela ne nous dit rien quant au point de savoir si la Cour est ou devrait se déclarer

compétente pour connaître de la présente affaire.

 Troisièmement, et surtout, comme nous l’exposerons plus en détail, si l’on regarde les actions

et omissions bien précis qu’invoquent les Iles Marshall pour soutenir que le Royaume-Uni a

manqué à ses obligations, il apparaît clairement que ces éléments se retrouvent tels quels dans

le comportement d’autres Etats, notamment les Etats-Unis d’Amérique et la France. Nos amis

des Iles Marshall passent à côté de l’essentiel lorsqu’ils affirment que «le fait que d’autres Etats

puissent avoir manqué à l’obligation de négocier n’exclut pas et ne saurait exclure la possibilité

47 que la Cour examine indépendamment le point de savoir si le Royaume-Uni se conforme à

58
EEIM, par. 102.
59Ibid., par. 102.

60Ibid., par. 105. - 44 -

61
cette même obligation» . En effet, le problème n’est pas que les autres Etats pourraient en

théorie avoir manqué eux aussi à leurs obligations, mais que la Cour ne peut trancher la

question de savoir si le Royaume-Uni a manqué aux siennes sans évaluer également la licéité

du comportement des autres Etats à qui des actions ou omissions analogues peuvent être

attribués.

10. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est pour ces raisons globales

que le Royaume-Uni fait valoir que le principe des «parties essentielles» trouve à s’appliquer en

l’espèce. Tout en gardant à l’esprit ces généralités, je vais maintenant examiner plus en détail la

portée du principe en cause.

IV. Le principe des «parties essentielles»

11. Le principe des «parties essentielles» reflète ce qui constitue peut-être l’axiome

fondamental de la compétence de la Cour. Pour reprendre les termes de M. Rosenne, «[i]l existe un

principe de droit international général incontesté selon lequel aucun Etat n’est tenu de soumettre le

différend qui l’oppose à un autre Etat ou de rendre compte de ses actions à un tribunal

international. L’accord des parties au différend est une condition préalable au jugement de celui-ci

sur le fond» (les italiques sont de moi).

12. La proposition fondamentale voulant que la Cour ne puisse statuer sur les droits d’un

Etat qui n’a pas accepté sa compétence est évidente. Les choses sont toutefois différentes dans le

cas d’Etats tiers qui ne sont pas parties à la procédure car, comme l’a observé M. Amerasinghe, «si

le fondement de la règle du consentement est clair, ses limites précises restent sujettes à

discussion» .63

13. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je ne doute pas que vous

connaissiez bien les sources concernant le principe des «parties essentielles». Pour en saisir la

portée, toutefois, le Royaume-Uni estime qu’il convient de se concentrer sur les circonstances

exactes dans lesquelles la Cour a jugé que les intérêts d’Etat tiers avaient mis en jeu le principe du

consentement. Selon nous, cette démarche permettra de mieux en éclairer la portée véritable et est

61EEIM, par. 105.

62Rosenne, The Law and Practice of the International Court : 1920-2005, Martinus Nijhoff, 2006, vol. II, p. 549.
63
Amerasinghe, Jurisdiction of International Tribunals, p. 236. - 45 -

préférable à la recherche d’une formulation censée tracer une ligne de séparation claire et aisément

48 applicable dans chaque affaire. Si vous le permettez, je vais donc récapituler les faits pertinents et

la démarche adoptée par la Cour dans les principales affaires.

14. La première affaire sur laquelle je souhaite appeler l’attention de la Cour est celle de

l’Or monétaire, qui est généralement considérée comme étant à l’origine de ce principe, bien que la

Cour permanente se fût déjà référée, notamment dans son avis consultatif concernant la

Carélie orientale, aux limites que le principe du consentement imposait à l’examen de demandes

touchant des Etats tiers.

15. Ainsi que la Cour s’en souviendra, en l’affaire de l’Or monétaire, l’Italie l’avait priée de

dire que la quote-part d’or monétaire revenant à l’Albanie au titre de l’acte de Paris de 1946 devrait

lui être remise en satisfaction partielle des dommages que lui avait causés la loi albanaise de

janvier 1945. Comme la Cour l’a exposé :

«En conséquence, pour déterminer si l’Italie a titre à recevoir l’or, il est
nécessaire de déterminer si l’Albanie a commis un délit international contre l’Italie et

si elle est tenue à réparation envers elle ... Pour trancher ces questions, il est
nécessaire de déterminer si la loi albanaise d[e] 1945 était contraire au droit
international. A la solution de ces questions, lesquelles concernent le caractère licite
ou illicite de certains actes de l’Albanie vis-à-vis de l’Italie, deux Etats seulement,
l’Italie et l’Albanie, sont directement intéressés. Examiner au fond de telles questions

serait trancher un différend entre l’Italie et l’Albanie.

La Cour ne peut trancher ce différend sans le consentement de l’Albanie ...
Statuer sur la responsabilité internationale de l’Albanie sans son consentement serait
agir à l’encontre d’un principe de droit international bien établi et incorporé dans le

Statut, à savoir que la Cour ne peut e64rcer sa juridiction à l’égard d’un Etat si ce n’est
avec le consentement de ce dernier.»

16. La Cour s’est ensuite penchée sur le lien existant entre le principe du consentement et

l’article 62 de son Statut, qui dispose qu’un Etat tiers peut lui adresser une requête à fin

d’intervention s’il estime que, «dans un différend, un intérêt d’ordre juridique est pour lui en

cause». C’est dans ce contexte qu’elle a formulé son dictum souvent répété selon lequel «les

intérêts juridiques de l’Albanie seraient non seulement touchés par une décision, mais

constitueraient l’objet même de ladite décision» .65

64
Or monétaire pris à Rome en 1943 (Italie c. France ; Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord
et Etats-Unis d’Amérique), question préliminaire, arrêt, C.I.J Recueil 1954, p. 32 (les italiques sont de moi).
65Ibid. - 46 -

17. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je me permets

respectueusement d’observer que le premier passage que j’ai cité est plus instructif que le terme

49 plus souvent cité d’«objet même» de la décision. Ce passage plus long expose en effet la base sur

laquelle s’est fondée la Cour pour conclure que les intérêts de l’Albanie constituaient l’«objet

même» de la demande. Les éléments constitutifs de cette conclusion étaient les suivants :

 premièrement, pour statuer sur la demande de l’Italie, la Cour devait nécessairement rechercher

si l’Albanie avait agi contrairement au droit international ;

 deuxièmement, deux Etats seulement, à savoir l’Albanie et l’Italie, étaient directement

intéressés par la résolution de cette question ; et

 troisièmement, la Cour ne pouvait se prononcer sur la responsabilité internationale de l’Albanie

sans le consentement de celle-ci.

18. La deuxième affaire que je souhaite aborder est celle des Activités militaires et

paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci , dans laquelle on considère généralement que la

Cour a circonscrit la portée du principe des «parties essentielles».

19. Dans cette affaire, les Etats-Unis d’Amérique affirmaient que la requête du Nicaragua

était irrecevable au motif qu’elle associait des Etats tiers, en particulier le Honduras, aux

prétendues activités illicites. Il était notamment allégué que celui-ci avait permis que son territoire

serve de point de départ à l’emploi illicite de la force contre le Nicaragua. Les Etats-Unis

soutenaient que, pour trancher la question de leur responsabilité internationale à raison des actions

alléguées par le Nicaragua, il fallait nécessairement déterminer la responsabilité internationale de

ces Etats tiers et, en particulier, rechercher s’ils étaient en droit de prendre des mesures pour se

protéger contre l’emploi illicite de la force. Il avait été ajouté que la demande du Nicaragua

tendant à ce que la Cour prescrive aux Etats-Unis de «mettre fin et renoncer» à tout appui à quelque

nation se livrant ou se disposant à se livrer à des actions militaires ou paramilitaires contre le

Nicaragua porterait atteinte aux droits de légitime défense individuelle ou collective d’Etats tiers .67

66Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J Recueil 1984, p. 392.

67Ibid., contre-mémoire des Etats-Unis, p. 437-438. - 47 -

20. La Cour, soit dit avec tout le respect que je lui dois, n’a pas analysé en détail la portée du

principe des «parties essentielles», ni la manière dont les droits et intérêts juridiques des Etats tiers

auraient été touchés par la demande que le Nicaragua avait présentée contre les Etats-Unis. Elle a

écarté les exceptions soulevées par ceux-ci dans un seul et unique paragraphe, se bornant

50 a) à répéter la formule de l’«objet même» de la décision, tirée de l’arrêt rendu en l’affaire de

l’Or monétaire ;

b) à faire observer qu’elle devait, en principe, se prononcer uniquement sur les conclusions

formulées par les parties devant elle et que, aux termes de l’article 59 de son Statut, sa décision

n’aurait d’effet obligatoire que pour ces parties ;

c) à relever que les Etats tiers avaient la faculté d’introduire une instance distincte ou de recourir à

la procédure de l’intervention ;

d) à préciser qu’on ne trouvait ni dans son Statut ni dans la pratique des tribunaux internationaux

la moindre trace d’une règle concernant les «parties indispensables» ; et

e) à conclure que «[l]es circonstances de l’affaire de l’Or monétaire marqu[aient]

vraisemblablement la limite du pouvoir de la Cour de refuser d’exercer sa juridiction» . 68

21. Il convient de noter que, dans le passage en question, la Cour n’a fait aucune mention du

principe du consentement, pas plus qu’elle n’a recherché si son arrêt l’amènerait à se prononcer sur

les droits ou intérêts juridiques d’Etats tiers. En substance, elle a simplement restreint la portée de

l’affaire de l’Or monétaire aux faits inhabituels qui lui étaient propres.

22. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, l’affaire suivante dans l’ordre

chronologique, sur laquelle les Iles Marshall s’appuient de manière importante, est celle de

69
Certaines terres à phosphates à Nauru .

23. Dans cette affaire, Nauru cherchait à établir la responsabilité de l’Australie à raison du

manquement à diverses obligations internationales découlant de l’accord de tutelle auquel les

deux Etats étaient parties et qui désignait conjointement l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le

68
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J Recueil 1984, p. 431, par. 88.
69 Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1992, p. 240. - 48 -

Royaume-Uni en tant qu’autorité chargée de la tutelle, bien que, en pratique, l’administration de

Nauru fût assurée exclusivement par l’Australie. La demande de Nauru (contrairement à la requête

en l’espèce) était donc fondée exclusivement sur les agissements de l’Australie à son endroit. La

conduite de la Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni n’était donc pas en cause, mais l’Australie

soutenait que les actes accomplis par l’un des Etats chargés de la tutelle étaient opposables aux

deux autres et que toute constatation de manquement prononcée contre elle engagerait la

responsabilité internationale du Royaume-Uni et de la Nouvelle-Zélande. Elle avançait donc que le

différend ne pouvait être jugé en l’absence de ces deux Etats.

51 24. En rejetant cette prétention, la Cour a conclu que les intérêts de la Nouvelle-Zélande et

du Royaume-Uni ne constituaient pas «l’objet même de la décision à rendre sur le fond», ajoutant

les précisions suivantes au critère établi dans l’affaire de l’Or monétaire :

«[D]ans cette dernière affaire, la détermination de la responsabilité de l’Albanie
était une condition préalable pour qu’il puisse être statué sur les prétentions de l’Italie.
Dans la présente espèce, la détermination de la responsabilité de la Nouvelle-Zélande

ou du Royaume-Uni n’est pas une condition préalable à la détermination de la
responsabilité de l’Australie, seul objet de la demande de Nauru.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Dans la présente affaire, toute décision de la Cour sur l’existence ou le contenu
de la responsabilité que Nauru impute à l’Australie pourrait certes avoir des

incidences sur la situation juridique des deux autres Etats concernés, mais la Cour
n’aura pas à se prononcer sur cette situation juridique pour prendre sa décision sur les
griefs formulés par Nauru contre l’Australie.» 70 (Les italiques sont de moi.)

25. La position retenue par la majorité sur ce point en l’affaire Nauru a été sévèrement

critiquée par les juges Jennings, Ago et Schwebel dans leur opinion dissidente. De l’avis du

Royaume-Uni, l’arrêt n’indique pas clairement pourquoi la majorité de la Cour a conclu que le

principe des «parties essentielles» ne trouvait à s’appliquer que lorsque la prise d’une décision

quant aux droits d’un Etat tiers constituait une «condition préalable» ou dans l’hypothèse où la

Cour «aurait à se prononcer» à cet égard. La distinction nous paraît assez subtile entre ce qui

constitue des «incidences sur la situation juridique» d’un Etat tiers et l’idée de «se prononcer sur

cette situation juridique». Qui plus est, avec un peu de recul et compte tenu de ce que, à la base de

ce principe, se trouve l’idée fondamentale selon laquelle la Cour n’exerce sa juridiction qu’à

70 Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1992, p. 261-262, par. 55. - 49 -

l’égard des Etats qui ont consenti à s’y soumettre, il est difficile de voir sur quel fondement

rationnel la Cour pourrait se permettre de statuer de manière indirecte ou accessoire sur la licéité du

comportement d’un Etat en l’absence de ce dernier.

26. Quoi qu’il en soit, le Royaume-Uni estime, pour les raisons que j’exposerai sous peu,

que, dans la présente affaire, l’examen de la licéité du comportement d’Etat tiers sera inévitable,

c’est-à-dire que la Cour «aura à se prononcer» à cet égard pour statuer sur la demande des

Iles Marshall. Le contraste existant entre l’affaire Nauru et l’espèce peut être ainsi résumé :

a) Dans l’affaire Nauru, les allégations de manquement concernaient exclusivement la conduite de

l’Australie, dont la responsabilité a été (à bon droit) qualifiée de «seul objet de la demande de

Nauru». Les «incidences» susceptibles de s’exercer sur la situation juridique de la

52 Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni tenaient à la possibilité que ces Etats soient jugés

solidairement ou indirectement responsables de cette conduite ;

b) En l’espèce, par contraste, la responsabilité du Royaume-Uni ne saurait être qualifiée de seul

objet de la demande des Iles Marshall et la requête ne repose pas exclusivement sur la conduite

qu’aurait eue le défendeur à l’endroit des Iles Marshall, mais plutôt sur un comportement

partagé par lui et d’autres Etats. Afin de statuer sur la demande des Iles Marshall, la Cour «aura

à se prononcer» sur ce qui constitue un manquement à l’obligation de négocier. Quelle que soit

la formulation choisie, elle ne pourra pas limiter la portée de sa décision au Royaume-Uni. Si la

conduite de ce dernier est constitutive de manquement, il doit en aller de même du

comportement identique qu’ont eu les autres Etats.

27. De l’avis du Royaume-Uni, par conséquent, même la précision apportée par l’arrêt rendu

en l’affaire Nauru ne saurait faire échec à la présente exception préliminaire.

28. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’aborderai maintenant

l’affaire relative au Timor oriental , dans laquelle le Portugal avançait que l’Australie, en

négociant et en concluant un traité avec l’Indonésie au sujet du «Timor Gap», avait porté atteinte

aux droits du peuple du Timor oriental à disposer de lui-même et à la souveraineté sur ses

ressources. L’Australie soutenait pour sa part que la Cour n’aurait pas compétence pour trancher

71Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 90. - 50 -

cette question s’il lui fallait se prononcer, entre autres, sur la licéité de l’entrée et du maintien de

l’Indonésie au Timor oriental ou sur la validité du traité sur le Timor Gap. Le Portugal a répondu

que sa demande portait exclusivement sur la conduite objective de l’Australie et que le droit à

l’autodétermination dont la violation était reprochée à celle-ci était opposable erga omnes, ajoutant

que ces questions pouvaient être examinées indépendamment de celle de la licéité de la conduite de

l’Indonésie.

29. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, on reconnaît bien la position

avancée par le Portugal dans la tentative déployée par les Iles Marshall pour présenter leur

demande comme se rapportant exclusivement aux obligations du Royaume-Uni.

53 30. Il se trouve que la Cour a fait droit à l’exception préliminaire de l’Australie et, là encore,

il est édifiant d’analyser chacun des points de son raisonnement. Le passage qui nous intéresse se

trouve aux paragraphes 26 à 34 de l’arrêt et peut être ainsi résumé :

Premièrement, la Cour a rappelé le principe fondamental selon lequel elle ne peut trancher

un différend opposant des Etats que si ces derniers consentent à sa juridiction.

Deuxièmement, elle a soigneusement examiné la position du Portugal, qui cherchait à séparer

le comportement de l’Australie de celui de l’Indonésie, pour en venir à la conclusion suivante :

«[I]l ne lui est pas possible de porter un jugement sur le comportement de
l’Australie sans examiner d’abord les raisons pour lesquelles l’Indonésie n’aurait pu

licitement conclure le traité de 1989 alors que le Portugal aurait pu le faire ; l’objet
même de la décision de la Cour serait nécessairement de déterminer si, compte tenu
des circonstances dans lesquelles l’Indonésie est entrée et s’est maintenue au Timor
oriental, elle pouvait ou non acquérir le pouvoir de conclure au nom de celui-ci des
traités … La Cour ne saurait rendre une telle décision en l'absence du consentement de
l’Indonésie.» 72

Troisièmement, la Cour a fait observer qu’il n’y avait «rien à redire» à l’affirmation du

Portugal selon laquelle le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes était opposable erga omnes,

mais que «l’opposabilité erga omnes d’une norme et la règle du consentement à la juridiction

[étaient] deux choses différentes» et que, quelle que soit la nature des obligations en cause, elle ne

pouvait se prononcer sur la licéité du comportement d’un Etat sans son consentement.

72Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 102, par. 28. - 51 -

Quatrièmement, elle a déclaré qu’elle «ne saurait statuer sur la licéité du comportement d’un

Etat lorsque la décision à prendre implique une appréciation de la licéité du comportement d’un

autre Etat qui n’est pas partie à l’instance» .

Cinquièmement, elle a reconnu qu’elle n’était pas nécessairement empêchée de statuer pour

la seule raison que son arrêt serait «susceptible d’avoir des incidences sur les intérêts juridiques

d’un Etat qui n’est pas partie à l’instance» (le critère de l’article 62), mais souligné que, dans les

circonstances de l’affaire, «l’arrêt que demande le Portugal aurait des effets équivalant à ceux

d’une décision déclarant que l’entrée de l’Indonésie et son maintien au Timor oriental sont

illicites… Les droits et obligations de l’Indonésie constitueraient dès lors l’objet même d’un tel

arrêt» .

54 31. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, l’affaire du Timor oriental

nous offre quatre éléments de solution en l’espèce :

Premièrement, pour déterminer si les droits d’un Etat tiers constitueraient «l’objet même»

d’un arrêt, la question cruciale est celle de savoir si l’effet de celui-ci équivaut à une appréciation

de la licéité du comportement de cet Etat tiers.

Deuxièmement, il suffit à cet égard qu’une telle appréciation résulte de l’arrêt par

implication.

Troisièmement, si les intérêts de l’Etat tiers sont ainsi touchés, l’opposabilité erga omnes des

obligations invoquées entre les parties à la procédure n’entre pas en ligne de compte.

Quatrièmement, la Cour ne doit pas s’arrêter à la manière dont le demandeur a articulé ses

moyens, mais examiner si, en substance, la demande est susceptible de toucher les intérêts d’Etats

tiers.

32. Les quatre affaires que je viens d’évoquer concernaient toutes l’engagement éventuel de

la responsabilité internationale d’Etats tiers. Toutefois, la Cour a également conscience des effets

que ses arrêts peuvent avoir sur des Etats tiers dans un autre contexte, à savoir celui de la

délimitation terrestre ou maritime. Les Iles Marshall considèrent que les affaires de délimitation ne

sont pas pertinentes pour déterminer la portée du principe des «parties essentielles» dans une

73
Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 90, par. 29 (les italiques sont de moi).
74Ibid., p. 105, par. 34 (les italiques sont de moi). - 52 -

affaire relative à la «responsabilité internationale» . Si, du point de vue des faits, elles sont certes

très différentes de la présente espèce, ces affaires présentent néanmoins, de l’avis du Royaume-Uni,

un intérêt (et viennent à l’appui de l’exception préliminaire qu’il a soulevée). La Cour a en

particulier réaffirmé expressément le principe selon lequel sa juridiction reposait sur le

consentement des parties et qu’elle ne saurait se prononcer sur les droits d’Etats tiers qui ne sont

pas parties à l’instance. Et même lorsqu’elle procède à une délimitation, elle veille à ce que sa

décision n’empiète pas sur les droits ou intérêts d’Etats tiers. En la présente espèce, les

Iles Marshall ont cependant mis directement en cause le comportement bilatéral et commun du

Royaume-Uni et d’Etats tiers qui ne sont pas parties à l’instance, si bien que l’effet de l’arrêt de la

Cour ne saurait donc se limiter au seul Royaume-Uni.

33. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, les limites précises du

principe des «parties essentielles» peuvent paraître confuses. Cependant, le Royaume-Uni fait

55 valoir que, sur la base d’une analyse judicieuse, les sources jurisprudentielles que je viens de passer

en revue fournissent les éléments de solution ci-après pour ce qui est de déterminer si la Cour peut

connaître d’une demande qui concerne des Etats tiers.

Premièrement, la question essentielle consiste à savoir si l’arrêt de la Cour implique (de

manière explicite ou implicite) l’appréciation de la licéité du comportement d’un Etat tiers en droit

international.

Deuxièmement, en examinant cette question, la Cour ne doit pas s’arrêter à la manière dont le

demandeur a articulé ses moyens, mais considérer sa demande sur le fond.

Troisièmement, l’opposabilité erga omnes de l’obligation invoquée par l’Etat demandeur

n’entre pas en ligne de compte pour déterminer si la Cour est compétente.

34. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’en viens maintenant à la

troisième partie de mon exposé concernant la manière dont ces principes directeurs s’appliquent

dans le contexte de la requête que les Iles Marshall ont introduite contre le Royaume-Uni.

75EEIM, par. 107. - 53 -

V. L’application du principe des «parties essentielles» en la présente espèce

35. Au début de mon exposé, j’ai expliqué pourquoi, d’une manière générale, la Cour ne

pouvait examiner les conclusions formulées contre le Royaume-Uni indépendamment des

conséquences qui pourraient s’ensuivre pour des Etats tiers et pourquoi un tel examen supposerait

nécessairement d’apprécier la licéité du comportement d’autres Etats.

36. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, les moyens invoqués par les

Iles Marshall contre le Royaume-Uni sont exposés en détail dans le mémoire. Ainsi que l’a

souligné M. Verdirame, les Iles Marshall se fondent en grande partie sur la ligne de conduite

générale du Royaume-Uni qui remonte aux années 1970 au moins. Dans leur exposé écrit, elles

tentent de contourner le problème dont a traité M. Verdirame en affirmant que «les faits et

situations qui constituent la cause réelle du présent différend sont indissociablement liés à

l’adhésion de la République des Iles Marshall au TNP le 30 janvier 1995 et à l’avis consultatif du

8 juillet 1996». Toutefois, un simple coup d’œil aux allégations et omissions les plus récentes dont

il est fait état dans le mémoire suffit pour constater que la Cour ne peut, dans ces affaires, s’abstenir

d’apprécier la licéité du comportement de certains autres Etats au moins. Les Iles Marshall citent

notamment les exemples de comportement suivants.

56 Premièrement, le renouvellement, en 2014, de l’accord de défense mutuelle entre le

Royaume-Uni et les Etats-Unis, initialement conclu en 1958 et prorogé à plusieurs reprises

76
depuis .

Deuxièmement, la conclusion d’un traité bilatéral de coopération en matière de défense et de

sécurité avec la France, ainsi que d’un autre accord de coopération dans le domaine de la recherche

sur les ogives nucléaires entre le premier ministre Cameron et le président Hollande en

77
janvier 2014 .

Troisièmement, la déclaration faite conjointement avec les Etats-Unis d’Amérique et la

France lors de la réunion de haut niveau sur le désarmement nucléaire de l’Assemblée générale des

Nations Unies en septembre 2013, dans laquelle les trois Etats ont salué le surcroît d’enthousiasme

entourant le débat sur le désarmement nucléaire, mais ont exprimé le regret que ces efforts soient

76
MIM, par. 61.
77Ibid., par. 62-64. - 54 -

consacrés à des initiatives telles que la réunion de haut niveau et le groupe de travail à composition

non limitée .78

Quatrièmement, la déclaration commune publiée par les cinq puissances nucléaires membres

permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies et signataires du TNP (P5) à l’issue de la

conférence tenue à Londres en février 2015, dans laquelle elles réaffirmaient qu’«une approche

progressive du désarmement favorisant la stabilité internationale, la paix et le renforcement de la

sécurité pour tous demeur[ait] la seule voie réaliste et pragmatique pour parvenir à un monde

exempt d’armes nucléaires» . 79

Cinquièmement, la déclaration faite conjointement avec la France, le 6 novembre 2012, selon

laquelle les deux Etats n’étaient en mesure de soutenir ni la constitution du groupe de travail à

80
composition non limitée, ni les conclusions auxquelles celui-ci pourrait parvenir .

Sixièmement, les positions adoptées par le Royaume-Uni lors des votes tenus au sein de

l’Assemblée générale des Nations Unies, en particulier sur la résolution tendant à la création d’un

81
groupe de travail à composition non limitée , celle sur la suite donnée à l’avis consultatif sur la

Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires et celle sur le suivi des réunions de haut

83
niveau de 2013 et 2014 .

57 37. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, certaines de ces allégations

concernent directement les relations bilatérales du Royaume-Uni et d’autres Etats, et toutes mettent

expressément en cause le comportement d’Etats tiers. Dès lors, les effets de la constatation par la

Cour du manquement, de la part du Royaume-Uni, à ses obligations de négocier ne sauraient être

limités au seul défendeur. Au contraire, une telle décision impliquerait nécessairement

l’appréciation de la licéité du comportement, à tout le moins, des Etats-Unis d’Amérique et de la

France, qui ont adopté la même conduite, sont cosignataires des déclarations précitées et ont voté

dans le même sens au sein de l’Organisation des Nations Unies.

78
MIM, par. 90.
79Ibid., par. 81.

80Ibid., par. 77.
81
Ibid., par. 76.
82
Ibid., par. 82.
83Ibid., par. 91. - 55 -

38. Précisons que la présente espèce diffère de l’affaire Nauru, dans laquelle il était allégué

que le comportement adopté par un Etat pourrait être attribué à un Etat tiers. Elle se distingue

également de l’affaire Nicaragua, où les allégations de comportement illicite formulées contre des

Etats tiers étaient de nature différente. En l’espèce, les Etats tiers, en particulier les Etats-Unis

d’Amérique et la France, sont directement impliqués dans le comportement illicite reproché au

Royaume-Uni.

VI. Conclusion

39. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, pour les raisons que je viens

d’exposer, afin de se prononcer sur la requête présentée contre le Royaume-Uni, la Cour devra

nécessairement apprécier la licéité du comportement d’autres Etats qui ne sont pas parties à

l’instance. Que l’on exprime la nécessité de procéder à cette appréciation en disant que la Cour

«aura à se prononcer» ou qu’il s’agit de «l’objet même» de son arrêt, il est clair que l’opération

aura immanquablement des incidences directes sur la question de la licéité du comportement

d’Etats tiers et, partant, sur leurs intérêts essentiels. Gardant à l’esprit, comme il se doit, le principe

essentiel selon lequel un Etat ne saurait (pour paraphraser M. Rosenne) être tenu de «rendre compte

de ses actions» sans avoir consenti à la juridiction de la Cour, il s’ensuit, de l’avis du

Royaume-Uni, que cette dernière n’est pas compétente pour connaître de la requête et/ou que

celle-ci est irrecevable.

40. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, voilà qui clôt le premier tour

de plaidoiries du Royaume-Uni en l’instance. Je vous remercie de votre attention.

58 The PRESIDENT: Thank you, Mrs. Wells. That brings to an end the United Kingdom’s

first round of oral argument. The Court will meet again in this case on Friday 11 March 2016, at

3 p.m., to hear the first round of oral argument of the Marshall Islands.

Thank you. The Court is adjourned.

The Court rose at 12 h 35 p.m.

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