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CR 2014/24 (traduction)

CR 2014/24 (translation)

Vendredi 28 mars 2014 à 15 heures

Friday 28 March 2014 at 3 p.m. - 2 -

10 Le PRESIDENT : Bonjour. Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. Je donne la

parole à M. Schabas qui va poursuivre la présentation des arguments de la Serbie, cette fois sur la

demande reconventionnelle. Vous avez la parole, Monsieur.

M. SCHABAS :

R ÉFUTATION DES ARGUMENTS PRÉSENTÉS À L ’AUDIENCE PAR LA CROATIE
EN RÉPONSE À LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE DE LA SERBIE

Introduction

1. Je vous remercie, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs de la Cour, dans ma

deuxième plaidoirie de ce jour, je me pencherai sur les points ayant trait aux arguments avancés par

la Croatie lors de son premier tour de plaidoiries concernant la demande reconventionnelle. Mon

exposé s’articulera comme suit. Je m’intéresserai tout d’abord à la personne qui a planifié

l’opération Tempête, le président de la Croatie de l’époque, Franjo Tudjman. J’aborderai ensuite

tour à tour les points suivants : l’importance de la question de la licéité et le pilonnage des quatre

villes ; l’intérêt limité des décisions rendues par le TPIY en l’affaire Gotovina aux fins de la

présente procédure, en gardant à l’esprit la question posée par le juge Bhandari ; le procès-verbal

de Brioni et, de manière plus générale, le contexte dans lequel s’inscrivait la préparation de

l’opération Tempête ; et la conduite de l’opération Tempête proprement dite, en accordant une

attention toute particulière au fait que les colonnes de réfugiés en fuite ont été prises pour cibles et

que les personnes restées sur place ont été tuées par l’armée croate. Pour conclure, je reviendrai

sur la question des rapatriés et sur certains problèmes relatifs aux éléments de preuve, ainsi que sur

la question de l’impunité.

Le planificateur de l’opération Tempête

2. Mesdames et Messieurs de la Cour, compte tenu de l’attention que la Serbie a accordée au

rôle central qu’a joué le président Tudjman dans la planification et la mise en œuvre de

l’opération Tempête, à ses opinions politiques provocatrices et controversées, à son comportement

raciste à l’égard des Serbes, des Juifs et des Musulmans, et à ses sympathies pour une organisation

extrémiste d’inspiration fasciste, on pouvait s’attendre à ce que la Croatie explique, d’une manière - 3 -

ou d’une autre, le comportement de son président pendant la décennie qui nous intéresse, voire le

défende. Face à l’accusation d’antisémitisme portée à l’encontre de Tudjman, par exemple, la

Croatie n’aurait-elle pas dû répondre que ses propos avaient été sortis de leur contexte, ou qu’on

avait donné de lui une image fausse et qu’en réalité certains de ses meilleurs amis étaient juifs ?

11 Ou peut-être est-il possible que ses déclarations aient été mal comprises et que, lorsqu’il a parlé des

Serbes et du cancer, Tudjman voulait évoquer un problème de santé publique.

3. Hélas, tant s’en faut. Le nom de Tudjman est à peine cité dans les écritures ou les

plaidoiries de la Croatie. Se pourrait-il que, pour la première fois, le président d’un Etat admis à

ester devant la Cour soit âprement critiqué et que l’Etat en question ne prenne pas sa défense ? La

Croatie a très habilement répondu à certains des arguments avancés par la Serbie au sujet de

l’opération Tempête. Mais elle en a passé d’autres sous silence. Il semble que le demandeur ait

décidé de faire totalement abstraction du rôle joué par Tudjman.

4. Pourquoi Tudjman est-il si important et pourquoi le silence de la Croatie à cet égard est-il

si révélateur ? J’invite la Cour à examiner l’un des aspects des allégations relatives à

l’opération Tempête, sur lequel Tudjman lui-même a eu une influence majeure, et pour lequel la

Croatie n’a fourni aucune explication.

5. De nombreux éléments de preuve attestent que Tudjman avait l’intention de peupler la

Krajina de Croates. Ces éléments sont déterminants car il existait un obstacle à la réalisation des

projets de Tudjman : près de 200 000 Serbes y vivaient déjà. L’opération Tempête est décrite par

la Croatie comme une guerre de «libération». C’était peut-être l’un des objectifs, mais ce n’était

pas le seul : il s’agissait également de créer un Lebensraum pour des centaines de milliers de

Croates.

6. La Cour se rappelle sans doute les propos terribles que Tudjman a tenus à Knin, l’une des

quatre villes concernées, à la mi-août 1995, quelques semaines après l’attaque militaire :

[projection]

«Mais aujourd’hui, Knin est croate. Ils ont propagé le cancer qui rongeait le
peuple croate au beau milieu de la Croatie, empêchant les Croates de vivre
tranquillement entre eux, et la Croatie de devenir un Etat indépendant et souverain
mais cela n’arrivera plus jamais … En quelques jours ils sont partis, et c’est comme - 4 -

s’ils n’étaient jamais venus … Ils n’ont pas même eu le temps de ramasser leur argent
pourri ni leur linge sale.» [Fin de la projection.]

7. Peter Galbraith, ambassadeur des Etats-Unis en Croatie de 1993 à 1998, a déclaré devant

le TPIY que la préférence de Tudjman allait «à une Croatie raisonnablement ou fondamentalement

2
homogène» . L’ambassadeur Galbraith a affirmé que Tudjman «croyait et disait que les Serbes de

Croatie étaient trop nombreux et qu’ils représentaient une menace stratégique pour l’Etat» , qu’il 3

12 pensait que «les Musulmans et les Serbes appartenaient à une civilisation différente de celle des

Croates» et qu’il croyait en la «Grande Croatie» . Il a ajouté qu’il avait des contacts fréquents avec

Tudjman et d’autres hauts dirigeants, et qu’il les rencontrait plusieurs fois par semaine, voire,

5
souvent, plusieurs fois par jour .

8. Après l’opération Tempête, Tudjman a annoncé à Galbraith que les Serbes de Krajina ne

6
pourraient pas revenir . Selon un télégramme de l’ambassade des Etats–Unis daté du

11 décembre 1995, Tudjman aurait informé un membre du Congrès américain de passage en

Croatie qu’il serait «impossible pour ces Serbes de revenir là où leurs familles avaient vécu

7
pendant des siècles» . Selon Galbraith, Tudjman voulait que les Croates de la diaspora s’installent

en Krajina. Ce dernier a pris des mesures pour empêcher le retour des Serbes, notamment des

mesures législatives permettant la confiscation de leurs biens. Pour Galbraith, les obstacles au

retour des Serbes étaient assimilables aux crimes commis contre ces derniers :

«étant donné que la HV [Hrvatska Vojska, c’est-à-dire l’armée croate] était très

disciplinée et que ses chefs maîtrisaient parfaitement leurs hommes et avaient la
possibilité de prévenir les débordements, les crimes, notamment la destruction des
biens serbes, avaient soit été commis sur ordre, soit été tolérés ou encouragés dans le
8
cadre d’une politique globale» .

Il est dit dans un télégramme de l’ambassade des Etats-Unis en date du 31 août 1995 que

«l’annonce faite publiquement par la Croatie pour donner des garanties de sécurité aux Serbes de la

1
Le Procureur c. Gotovina et consorts (IT-06-90-T), jugement, 15 avril 2011, par. 2009 et 2306. Voir aussi
Le Procureur c. Gotovina et consorts (IT-06-90-A), opinion dissidente du juge Fausto Pocar, 16 novembre 2012, par. 26.
2
Le Procureur c. Gotovina et consorts (IT-06-90-T), jugement, 15 avril 2011, par. 1999.
3Ibid.

4Ibid.
5
Ibid., par. 1998.
6
Ibid., par. 2000.
7Ibid.

8Ibid., par. 2001. - 5 -

région était destinée à servir la propagande occidentale, et [que] l’objectif de la Croatie était de

«procéder au nettoyage ethnique» de la Krajina afin de faire place nette pour un million de réfugiés

9
croates» . L’ambassadeur Galbraith a affirmé que, «selon lui, cela reflétait parfaitement la manière

de penser des autorités croates» . 10

9. Aux mois d’août et de septembre 1995, les hauts responsables politiques et militaires de

Croatie ont tenu des réunions afin de définir la politique relative au retour des Croates et des Serbes

en Krajina . Les discussions ont porté sur la réinstallation de Croates dans les maisons et les

villages auparavant habités par des Serbes, notamment sur la mise en place de diverses incitations

12
13 en vue d’atteindre cet objectif . C’est dans ce contexte que, lors d’une réunion présidentielle tenue

le 25 octobre 1995, Tudjman a déclaré que «le retour de 3000 Serbes souhaitant rentrer chez eux,

sur les 300 000 au total qui étaient partis, ne le dérangeait pas» . Ces propos figurent dans le

compte rendu de la réunion. Pour justifier le débat sur la question, furent utilisés différents

14
euphémismes, dont «la situation démographique de la Croatie» et «l’avenir démographique des

zones libérées» . 15

10. Monsieur le président, lors d’une réunion tenue le 17 août 1995, Tudjman et le premier

ministre Valentić sont convenus de ne pas effectuer de recensement de la population parce que cela

16
serait «politiquement dommageable» . Quelques mois plus tard, Tudjman a affirmé que 98 % des

Serbes avaient quitté la Croatie . Il a demandé aux Croates de ne pas détruire les maisons

abandonnées par les Serbes, car «elles appart[enaient] désormais à la Croatie». Il prévoyait de

18
réinstaller des centaines des milliers de Croates dans les habitations serbes devenues vides .

9Le Procureur c. Gotovina et consorts (IT-06-90-T), jugement, 15 avril 2011, par. 2002.

10Ibid.
11
Ibid., par. 2027.
12
Ibid., par. 2028-2043.
13
Ibid., par. 2042.
14Ibid., par. 2035, 2055 et 2317.

15Ibid., par. 2063, 2094.

16Ibid., par. 2007.
17
Ibid.
18
Ibid., par. 2008. - 6 -

11. Le 18 août 1995, les dirigeants croates, parmi lesquels Franjo Tudjman, ont rencontré

une délégation américaine dont faisait partie Richard Holbrooke. Lorsque Holbrooke a fait valoir

que les Serbes devaient être autorisés à rentrer chez eux, Tudjman a répondu qu’il «serait tout à fait

19
satisfait si environ 10 % d’entre eux revenaient» .

12. Dans des conclusions de fait, qui n’ont nullement été modifiées ou remises en question

par la décision de la chambre d’appel et qui n’ont aucun rapport avec des tirs d’artillerie, la

chambre de première instance du TPIY saisie de l’affaire Gotovina a dit que, du point de vue des

faits, «des mesures politiques et législatives avaient été immédiatement prises pour empêcher le

retour de la population» à la suite de l’opération Tempête. D’après le jugement,

«Aussitôt après l’expulsion des Serbes de Krajina, les dirigeants politiques et

militaires croates ont pris diverses mesures politiques et législatives visant à empêcher
leur retour, notamment des mesures restrictives et discriminatoires relatives aux biens
14 et aux habitations des Serbes de Krajina. Ces mesures étaient destinées à s’assurer
21
que la population serbe de Krajina avait été chassée de manière définitive.»

C’est l’un des aspects importants de cette conclusion : il y est clairement établi qu’il

s’agissait d’une politique d’Etat. Sur le plan de la procédure pénale, ce sont des éléments de

preuve pertinents qui permettent d’établir l’objectif commun de ceux que la chambre de première

instance appelle «les dirigeants politiques et militaires croates» . La chambre a également conclu

23
que Tudjman voulait repeupler la Krajina de Croates , et elle a considéré que la politique

favorisant la réinstallation des Croates avait eu pour effet de «limiter le retour des Serbes au strict

24
minimum» .

13. Ces éléments de preuve attestent l’intention de Tudjman de détruire la population serbe

de Krajina en tout ou en partie. L’opération Tempête avait peut-être plus d’un objectif. Cela

n’aurait rien d’extraordinaire. Dans des conflits armés complexes, diverses forces et motivations

sont à l’œuvre. De multiples motivations sous-tendaient également les génocides commis en

Europe sous l’occupation nazie, au Rwanda et en Arménie.

19
Le Procureur c. Gotovina et consorts (IT-06-90-T), jugement, 15 avril 2011, par. 2004.
20
Ibid., par. 2310.
21Ibid., par. 2312.

22Ibid., par. 2314.
23
Ibid., par. 2316.
24Ibid., par. 2057. - 7 -

14. Ces éléments prouvant l’intention de la Croatie d’expulser les Serbes de Krajina et de

repeupler la région de Croates tendent à établir l’intention génocidaire, car ils nous éclairent sur les

motivations. Ils démontrent qu’il est faux de laisser entendre que des motifs sans réelle gravité

peuvent expliquer de manière plausible cette attaque. Il est indispensable que la Croatie s’explique

sur les éléments prouvant que les dirigeants croates avaient l’intention d’éliminer la population

serbe de façon permanente. Or, elle ne l’a pas fait ; elle a ignoré la question.

Le jus ad bellum et le jus in bello

15. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, les décisions rendues par le

TPIY en l’affaire Gotovina ont été abondamment évoquées au cours de ces audiences. Dans ladite

instance, les arguments avancés par l’accusation reposaient en grande partie sur les pilonnages

d’artillerie visant les villes, arguments qui contenaient les germes de leur propre destruction. Il

s’agissait peut-être d’une stratégie adoptée par le procureur compte tenu des éléments de preuve en

sa possession, du rôle joué par les trois accusés dans l’opération militaire ou, éventuellement, de sa

conception de l’affaire. Bien qu’ils soient évidemment pertinents et méritent d’être examinés, les

15 éléments provenant du TPIY ne recouvrent pas exactement les moyens que le défendeur a invoqués

devant la Cour. La demande reconventionnelle de la Serbie ne saurait être réduite au cadre défini

par le procureur. Elle s’appuie sur des éléments de preuve qui n’ont pas été présentés devant le

TPIY et sur des conceptions de l’affaire distinctes de celles retenues par le procureur.

16. Mais supposons, pour les besoins de la discussion, que le pilonnage des quatre villes

concernées ait été pleinement conforme aux lois et coutumes de la guerre. Admettons que seuls

des objectifs militaires aient été pris pour cibles et que l’emploi de la force ait été proportionné, de

manière à réduire au minimum les dommages collatéraux, en particulier ceux infligés aux

non-combattants. Mesdames et Messieurs de la Cour, que cela soit bien clair, la Serbie ne fait là

aucune concession et demeure convaincue que les pilonnages d’artillerie étaient illicites. Mais,

pour illustrer notre propos, imaginons qu’ils aient été menés conformément au droit des conflits

armés.

17. Il n’existe aucune contradiction entre l’hypothèse selon laquelle le droit des conflits

armés, jus in bello, a été dûment observé et celle selon laquelle l’attaque proprement dite était - 8 -

pourtant illicite en ce qu’elle cherchait à détruire la population serbe de Krajina, en tout ou en

partie. Il s’agit ni plus ni moins d’un principe bien établi du droit international humanitaire. Une

partie à un conflit peut tout à fait respecter le jus in bello tout en violant le jus ad bellum, l’inverse

pouvant aussi être vrai.

18. Supposons que, à Brioni, Tudjman et ses acolytes aient effectivement insisté sur le

respect du droit des conflits armés et que leurs ordres aient été exécutés. Entendez-moi bien, telle

n’est pas la thèse défendue par la Serbie, qui soumet cette hypothèse pour les besoins de sa

démonstration. L’usage de la force en conformité avec le droit international humanitaire peut-il

néanmoins être compatible avec le plan consistant à chasser un groupe ethnique d’un territoire ?

Cette question ne me semble pas très difficile.

19. Les civils serbes habitant dans les quatre villes ont dû être terrifiés par les pilonnages

d’artillerie et l’ont été effectivement. Ils ont dû être terrifiés, que les objectifs aient été licites ou

non. Peut-on attendre de civils qu’ils se soucient même de la notion de licéité, alors que des obus

sifflent à leurs oreilles et tombent parfois, inévitablement, loin de leur objectif ? En pareilles

circonstances, alors que des grandes villes sont bombardées à l’artillerie lourde, les mitrailleuses

étant à une vingtaine de kilomètres de distance, les civils restent-ils sur place comme s’ils

assistaient à un feu d’artifice, sûrs de ne courir aucun danger ?

20. Il existe de nombreuses preuves incontestables que les bombardements des quatre villes

ont eu pour conséquence de terroriser les civils. Dans l’affaire Gotovina, la chambre de première

16 instance a conclu que «l’attaque d’artillerie lancée les 4 et 5 août 1995 a[vait] terrifié les habitants

de Knin. Pour la grande majorité, voire la totalité, des personnes qui ont fui la ville ces deux

jours-là, la peur a[vait] été la cause principale et directe de leur départ» . Cette conclusion,

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, n’est pas liée à la licéité de l’attaque et

n’a pas été contestée par l’arrêt de la chambre d’appel.

21. Dans la réponse qu’il a apportée à l’audience à la demande reconventionnelle de la

Serbie, le conseil de la Croatie a affirmé que «[l]a chambre [d’appel du TPIY] a[vait] conclu, à bon

droit, que, en l’absence de pilonnage illicite et en l’absence d’une intention de déplacer de force les

25Le Procureur c. Gotovina et consorts (IT-06-90-T), jugement, 15 avril 2011, par. 1743. - 9 -

Serbes de Krajina, le procès-verbal de Brioni ne pouvait être retenu comme élément à charge» . 26

Cet exposé du droit est erroné et, pour autant que la Croatie reproduise fidèlement les conclusions

de la chambre d’appel, la décision de celle-ci l’est également. Même si le bombardement n’était

pas illicite et même si l’intention n’était pas de déplacer les Serbes par la force hypothèse que la

Serbie ne retient qu’aux fins de la discussion , les instigateurs du plan de Brioni peuvent avoir

pensé que des bombardements licites suffiraient à chasser les Serbes, au moins de ces quatre villes.

Même si telle était leur intention, le complot ourdi à Brioni n’en demeurerait pas moins criminel

par nature, indépendamment des moyens choisis.

22. La Croatie a souvent tenté d’expliquer le départ des Serbes de Krajina par des facteurs

indépendants de son attaque militaire. Elle est revenue sur ce point au cours des plaidoiries de la

semaine dernière. Lorsqu’une population prise pour cible quitte un territoire, nombreux sont les

facteurs qui conduisent des dizaines de milliers de personnes à prendre la décision de partir ou de

rester. Mes propres aïeuls ont fui l’antisémitisme de l’Allemagne nazie dans les années 1930. Ils

sont considérés comme des survivants du génocide par des institutions telles que le musée de

l’Holocauste à Washington. Pourquoi sont-ils partis ? Les raisons étaient sans doute complexes.

Mais il faudrait être crédule pour penser que l’antisémitisme nazi — et, très probablement, la

crainte, justifiée, comme la suite des événements l’a montré, qu’un sort bien pire ne leur soit

réservé s’ils restaient en Allemagne — n’a pas joué un rôle central dans leur décision. Bien qu’il

puisse paraître volontaire à certains égards, leur départ d’Allemagne peut-il être dissocié du plan

nazi de détruire les Juifs ?

17 23. La complexité du processus de prise de décision en Krajina ne saurait dissimuler le fait

que, au moment même où les Serbes fuyaient en masse le territoire, Tudjman prévoyait de les en

chasser définitivement. Il avait l’intention de ne pas leur permettre de revenir et de donner leurs

terres et leurs maisons, ainsi que les biens qu’ils avaient abandonnés dans leur fuite, à des Croates

de la diaspora pour que ceux-ci puissent s’installer en Krajina.

26CR 2014/19, p. 51, par. 29 (Starmer). - 10 -

Les décisions rendues par le TPIY en l’affaire Gotovina (réponse à la question
posée par M. le juge Bhandari)

24. Je souhaite à présent en venir à la question posée par M. le juge Bhandari sur la valeur

probante des conclusions exposées dans le jugement rendu par la chambre de première instance du

TPIY en l’affaire Gotovina à la lumière de l’arrêt de la chambre d’appel. Le défendeur convient en

principe avec le demandeur que la norme énoncée au paragraphe 223 de l’arrêt que la Cour de

céans a rendu en l’affaire concernant la Bosnie-Herzégovine s’applique : «[L]a Cour conclut

qu’elle doit en principe admettre comme hautement convaincantes les conclusions de fait

pertinentes auxquelles est parvenu le Tribunal en première instance, à moins, évidemment, qu’elles

n’aient été infirmées en appel.»27 La question est de savoir quelles sont les conclusions pertinentes

de l’affaire Gotovina, à la lumière des arguments présentés par la Serbie devant la Cour.

25. Il existe des différences essentielles entre l’affaire Gotovina dont a été saisi le TPIY et

l’objet de la demande reconventionnelle en l’espèce. En effet, l’objet de l’instance devant le TPIY

est nettement plus restreint que celui de la demande reconventionnelle. Les attaques aériennes

dirigées contre les colonnes de militaires et de réfugiés serbes pendant l’opération Tempête

constituent à cet égard un exemple frappant. Bien que ces événements soient intervenus pendant la

période visée par l’acte d’accusation, le procureur n’a pas engagé de poursuites. Le TPIY ne s’est

pas prononcé sur ce point.

26. Outre les moyens de preuve soumis à l’examen du TPIY, la Serbie a produit d’autres

éléments devant la Cour. Les témoins qu’elle a appelés, dont Božo Šuša, Ilija Babić et

Jela Ugarković, n’avaient pas déposé devant le TPIY, bien que le procureur se soit mis en rapport

avec eux. En fait, l’équipe juridique du défendeur a pris contact avec ces nouveaux témoins dans le

cadre du processus de coopération avec le bureau du procureur du TPIY. Le demandeur a renoncé

à son droit de les soumettre à un contre-interrogatoire.

27. Même si l’affaire Gotovina et la demande reconventionnelle portent toutes deux sur

l’opération Tempête, la première ne saurait être assimilée à la seconde. D’après le conseil de la

18 Croatie, qui a analysé la portée juridique des décisions rendues dans ladite affaire, la chambre de

première instance a conclu que les accusés

27Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 134. - 11 -

«avai[en]t participé à une entreprise criminelle commune, dont le but commun était de
chasser définitivement la population civile serbe de la région de Krajina, en ordonnant
des attaques d’artillerie illicites contre quatre villes … , et en ne prenant aucune

véritable mesure pour p28venir les crimes commis par [leurs] subordonnés ou pour
enquêter à leur sujet» .

La demande reconventionnelle de la Serbie est différente. La Serbie soutient que la Croatie a

brutalisé et tué des Serbes de Krajina en tant que membres du groupe plus large des Serbes de

Croatie, et ce, dans l’intention de les détruire parce que Serbes. A cette fin, la Croatie a pris

plusieurs mesures. Les attaques d’artillerie n’étaient qu’un moyen parmi d’autres de détruire le

groupe, outre les transferts forcés de population et la destruction physique des Serbes de souche en

Krajina.

28. En l’affaire Gotovina, le procureur du TPIY a adopté une conception plutôt étroite de

l’affaire et n’a pas examiné en détail les moyens utilisés par les autorités croates pour détruire

physiquement les Serbes de souche en Krajina autres que les persécutions et le pilonnage illicite

des villes situées dans le secteur sud de la zone protégée établie par les Nations Unies (il ne s’est

pas intéressé au secteur nord). La Serbie a présenté à la Cour deux illustrations : une carte des

meurtres préparée par le bureau du procureur dans l’acte d’accusation de Gotovina et une autre,

29
élaborée par notre équipe d’après les éléments de preuve produits en la présente espèce . Ces
os
cartes, qui se trouvent dans le dossier de plaidoiries des 12 et 13 mars 2014, points n 16 et 17,

illustrent la différence qui existe entre les fondements respectifs des deux instances sur le plan de la

preuve.

29. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, en analysant les éléments de

preuve recueillis dans le cadre de l’affaire Gotovina, l’agent de la Serbie a fait référence aux

déclarations des témoins qui avaient déposé devant le TPIY, lesquels avaient assisté en personne

aux crimes ou, plus souvent, en avaient constaté les conséquences. Le défendeur a fait remarquer

que l’arrêt rendu par la chambre d’appel, infirmant le jugement de première instance et acquittant

Gotovina et Markač, ne modifiait en rien la valeur probante de ces déclarations. Ainsi que l’agent

de la Serbie l’a souligné, «[s]i le TPIY est revenu sur sa position en droit concernant la preuve de

28CR 2014/19, p. 42, par. 3 (Starmer).
29 os
Dossier de plaidoiries des 12 et 13 mars 2014, points n 16 et 17. - 12 -

19 l’entreprise criminelle commune, cela n’avait rien à voir avec une quelconque défiance à l’égard

30
des témoins, parmi lesquels se trouvaient de nombreux casques bleus de l’ONU» .

30. Le défendeur renvoie parfois au résumé des dépositions des témoins, qui se trouve dans

le jugement rendu par la chambre de première instance en l’affaire Gotovina, plutôt qu’à leur

transcription, telle que la déclaration de l’ambassadeur Galbraith, par exemple, car ces références

lui semblent plus commodes pour la Cour. Il appartient néanmoins à celle-ci d’apprécier la valeur

probante de chacune de ces dépositions.

31. Les décisions rendues en l’affaire Gotovina ont eu pour conséquence fort regrettable

et ce n’est pas la seule de centrer le débat sur le pilonnage des quatre villes par des unités

d’artillerie, ce qui a véhiculé une perception erronée de l’opération Tempête, dont certains éléments

importants ont été occultés. Ainsi que j’ai tenté de l’expliquer, même à supposer que les

pilonnages aient été parfaitement licites, la thèse du défendeur selon laquelle l’attaque était dirigée

contre la population serbe de Krajina, illicite et génocidaire par nature n’en est pas pour autant mise

à mal.

32. Mesdames et Messieurs de la Cour, en l’état actuel des choses état qui, compte tenu

de la stratégie d’achèvement des travaux du TPIY, ne changera pas , la jurisprudence du TPIY

prise dans son ensemble présente une lacune béante : nul n’a été condamné pour l’opération

Tempête. Le message ainsi transmis, si la décision de la majorité de la chambre d’appel en

l’affaire Gotovina est considérée comme définitive, est que l’attaque lancée en août 1995 en

Krajina n’était pas illicite. Est-ce là respecter l’engagement pris par la communauté internationale

de lutter contre l’impunité, de rechercher la vérité, d’œuvrer en faveur de la réconciliation et

d’établir les responsabilités ? Nous savons que l’opération Tempête était destinée à expulser la

population serbe de Krajina et que ses instigateurs prévoyaient d’empêcher le retour des Serbes et

de repeupler ce territoire par des Croates. Nous savons qu’elle s’est accompagnée d’une violence

inouïe, notamment l’effroyable pilonnage des grandes villes. Nous savons qu’elle a été suivie par

de nombreux meurtres et exécutions sommaires de personnes, souvent âgées, qui n’avaient pas pris

la fuite. Nous savons que le changement démographique recherché par les organisateurs de

30CR 2014/16, p. 37, par. 13 (Obradović). - 13 -

l’opération Tempête a bel et bien eu lieu et que la minorité serbe de Krajina a considérablement

diminué, et ce, semble-t-il, de manière définitive. La Cour devrait avoir tous ces faits à l’esprit au

20 moment d’examiner la pertinence des éléments provenant du TPIY. Ces éléments se révèlent

parfois très utiles pour permettre la manifestation de la vérité, comme ce fut le cas dans l’affaire

concernant la Bosnie-Herzégovine. Mais il arrive aussi, comme en l’espèce, que le TPIY livre une

image du conflit qui n’est qu’une partie de la réalité, une image gravement tronquée.

Les observations du demandeur au sujet du statut de

la chambre d’appel du TPIY

33. J’aimerais commenter brièvement certaines observations faites la semaine dernière par le

conseil de la Croatie au sujet du statut de la chambre d’appel du TPIY.

34. La Croatie semble avoir mal compris certaines remarques relatives à l’élection des juges.

Bien entendu, nous savons tous que les juges sont élus dans le cadre d’un processus transparent et,

en ce qui concerne le TPIY, par l’Assemblée générale. J’aimerais juste préciser, par souci
31
d’exactitude, qu’en fait les juges du TPIY ne sont plus élus par l’Assemblée générale , bien que

tous ceux qui ont siégé dans les affaires Gotovina l’aient initialement été. Arrivés à expiration,

leurs mandats ont été renouvelés par résolution du Conseil de sécurité et non en suivant la

procédure électorale prévue par le Statut du Tribunal. De fait, c’est désormais le Conseil de

sécurité qui nomme les nouveaux juges du TPIY et, bien entendu, il s’agit d’un processus

totalement transparent.

35. Quoi qu’il en soit, l’argument que le défendeur a fait valoir au premier tour de plaidoiries

était que la décision prise par les juges eux-mêmes de désigner certains d’entre eux pour siéger à la

chambre d’appel n’est pas du tout un processus transparent. Rien de ce qu’a déclaré le demandeur

ne vient contredire cette allégation. Je suppose qu’en cas de désaccord, la Croatie aurait précisé,

preuves à l’appui, les critères régissant l’élection des membres de la chambre d’appel. Mais elle ne

l’a pas fait, et pour cause.

36. Dans ses plaidoiries, le défendeur a instamment prié la Cour d’adopter une approche

nuancée à l’égard des jugements et arrêts qui ont été rendus en l’affaire Gotovina, en tenant compte

31Résolution 1837 (2008) du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies, points 1 et 2 du dispositif ;
résolution 1877 (2009), point 2 du dispositif ; résolution 1931 (2010), points 3 et 4 du dispositif ; résolution 1993 (2011),
point 1 du dispositif. - 14 -

de la complexité de cette affaire. L’idée n’était pas d’adopter une logique arithmétique, adjectif qui

conviendrait mieux à l’approche simpliste de la Croatie vis-à-vis des deux décisions, et qui en

définitive revient à dire que trois juges de la chambre d’appel prévalent sur trois juges de la

chambre de première instance. J’aimerais redire que pareil raisonnement est peut-être vrai pour les

parties devant le TPIY le procureur et le défendeur mais il ne l’est pas nécessairement pour

une juridiction telle que la CIJ, pour laquelle les décisions rendues par d’autres organes judiciaires

21 peuvent tout au plus être convaincantes. La Serbie soutient que la composition des chambres, la

force avec laquelle se sont exprimés les juges dissidents et, surtout, la fragilité du raisonnement

suivi par la majorité de la chambre d’appel obligent la Cour à examiner de manière plus

approfondie l’ensemble des documents produits dans le cadre de cette affaire. Les opinions

dissidentes peuvent être très pertinentes dans ce contexte. Même ici, à la CIJ, il arrive qu’un juge

rédige de temps à autre une opinion dissidente.

Le procès-verbal de Brioni

37. L’un des importants moyens de preuve invoqués dans la demande reconventionnelle est

le procès-verbal de Brioni. La Serbie prie la Cour de jeter un regard neuf sur le procès-verbal de

cette réunion tristement célèbre. Au lieu de lire ce document à la lumière des décisions des deux

chambres du TPIY, la Serbie suggère à la Cour de le considérer comme un élément de preuve

parmi tant d’autres qui constituent désormais le dossier de la présente affaire. A bien des égards, la

CIJ est tout aussi bien placée que les chambres du TPIY pour évaluer l’importance des termes

employés à Brioni.

38. Je relèverai d’emblée que la chambre de première instance du TPIY a déclaré que le

procès-verbal de Brioni rendait compte avec exactitude des discussions qui avaient eu lieu , et rien

dans l’arrêt rendu par la chambre d’appel ne vient contredire cette constatation. De surcroît, la

Croatie elle-même a soumis ce document à la Cour dans son dossier de plaidoiries. Si elle a élevé

des protestations contre ce texte dans ses conclusions écrites, elle ne semble plus désormais

défendre cet argument avec grande conviction, si tant est qu’elle le défende encore.

32Le Procureur c. Gotovina et consorts (IT-06-90-T), jugement, 15 avril 2011, par. 1989. - 15 -

39. Le conseil du demandeur a exprimé une certaine indignation à propos de l’association

faite par le défendeur entre Brioni et Wannsee au premier tour de plaidoiries. Il n’a tout

simplement pas bien écouté ce qui a été dit. Par son commentaire, le défendeur ne cherchait

nullement à établir un parallèle maladroit et inapproprié entre l’holocauste nazi et l’opération

Tempête. Ce commentaire tendait à démontrer comment les procès-verbaux de réunions au cours

desquelles sont planifiées de graves violations des droits de l’homme et des atrocités peuvent être

interprétés de façon tendancieuse par ceux qui cherchent à en minimiser ou à en nier l’importance.

Ce qui a été dit, c’est que, même dans le cadre de réunions aussi notoires que celle de Wannsee,

lorsque les procès-verbaux sont examinés isolément et hors de leur contexte, d’aucuns tenteront de

les faire passer pour des propos inoffensifs ou innocents. Pris isolément, le procès-verbal de Brioni

pourrait en effet se prêter à différentes interprétations, celle consistant à dire que ce document

démontre la volonté de Tudjman d’apporter une «solution finale» au problème serbe de la Krajina

n’en étant qu’une parmi d’autres. Mais si on replace ce document dans son contexte, les

22 possibilités d’interprétation sont nettement moins nombreuses. Et, par contexte, Mesdames et

Messieurs de la Cour, je ne veux pas simplement dire qu’il faut lire tout le paragraphe ou toute la

page. Fait également partie du contexte l’histoire de Tudjman, en particulier ses opinions

extrémistes et racistes notoires, qu’il a manifestées dans des déclarations faites avant et après

l’opération Tempête, et son projet visant à détruire la population serbe et à la remplacer par des

Croates.

40. Les opinions et les intentions de Tudjman sont très importantes pour établir si la Croatie

a lancé des attaques contre la population serbe de Krajina dans l’intention de la détruire, en tout ou

en partie. Interrogé dans le cadre de l’affaire Gotovina, l’ambassadeur Galbraith, a déclaré que

et vous pouvez lire sa déposition à l’écran «indépendamment des structures officielles, toutes

les décisions étaient prises par le président Tudjman et ses principaux conseillers» . Galbraith a

également déclaré que la politique visant à chasser définitivement les Serbes de Krajina et à

34
y réimplanter des Croates étant celle de Tudjman, c’était également celle de la Croatie . Il a ajouté

que de hauts dirigeants croates, y compris Šarinić, partageaient ce point de vue. Selon lui, Šarinić

33
Le Procureur c. Gotovina et consorts (IT-06-90-T), jugement, 15 avril 2011, par. 1998.
34Ibid., par. 2000. - 16 -

avait qualifié les Serbes de «cancer rongeant l’estomac de la Croatie» . Et il convient de se

rappeler également qu’en mai 2013, une chambre de première instance du TPIY a condamné

plusieurs personnes à raison de leur participation à une entreprise criminelle commune vis-à-vis de

la Bosnie-Herzégovine, entreprise criminelle commune qui était dirigée par Franjo Tudjman.

L’objectif de cette entreprise criminelle commune était et je cite la version française du

jugement, celui-ci n’existant que dans cette version d’«opérer le nettoyage ethnique de la

population musulmane sur le territoire revendiqué comme étant croate» . 36

41. Dans ses plaidoiries, la Serbie a soutenu que l’illégalité de la réunion de Brioni ressortait

de la déclaration de Tudjman selon laquelle, du fait des opérations qui allaient être menées, les

civils s’enfuiraient et qu’«ils seraient suivis par l’armée, la colonne de civils et la colonne de

militaires s’influençant psychologiquement l’une l’autre» . Il prenait pour cible les civils alors

qu’il aurait dû les protéger. Bien qu’elle ait été mise au défi d’aborder cette question dans sa

réponse à la demande reconventionnelle, la Croatie n’en a pas dit un mot et n’a pas tenté d’avancer

une explication à ce sujet.

23 42. Le demandeur fait valoir que Tudjman a ordonné qu’un couloir d’évacuation soit mis en

38
place pour permettre aux Serbes de fuir , mais la suggestion du président n’était pas motivée par

des considérations humanitaires. Un examen attentif des parties pertinentes du procès-verbal de la

réunion fait apparaître que la seule raison ayant motivé l’ordre de Tudjman était que, en l’absence

d’un tel couloir, si les Serbes étaient obligés de rester et «de se battre jusqu’au bout», cela aurait

pour conséquence «un engagement plus important et des pertes plus lourdes du côté [croate]» . 39

43. Le procès-verbal de Brioni contient bien d’autres déclarations de cet acabit. En dehors

des remarques qui ont déjà été évoquées au cours des plaidoiries, j’aimerais appeler l’attention des

Membres de la Cour sur cet avertissement explicite adressé par Tudjman à ses généraux :

«[n]’oubliez pas [en particulier] combien de villes et de villages croates ont été détruits, alors que

35
Le Procureur c. Gotovina et consorts (IT-06-90-T), jugement, 15 avril 2011, par. 2000.
36Le Procureur c. Prlić et consorts (IT-04-74-T), jugement, 29 mai 2013, vol. 4, par. 1232.

37Procès-verbal de Brioni, p. 15.
38
Réplique de la Croatie (RC), 20 décembre 2010, par. 12.16 ; pièce additionnelle de la Croatie, 30 août 2012,
par. 4.16 ; Le Procureur c. Gotovina et consorts (IT-06-90-T), jugement, 15 avril 2011, par. 2304.
39Procès-verbal de Brioni, p. 7. - 17 -

Knin est encore épargnée» . 40 Il a également exigé que l’on «démoralise complètement»

l’ennemi les Serbes , afin qu’il sache ce que ça faisait et ce sont les termes qu’il a

employés «afin de lui rendre la monnaie de sa pièce» . Tudjman s’est exprimé ainsi en sachant

pertinemment que certains soldats croates responsables de l’exécution de l’opération militaire

étaient assoiffés de vengeance et de sang. A Brioni, Tudjman a été informé que les fantassins

croates qui se dirigeaient vers Knin avaient tous des raisons de vouloir en découdre et que, au

42
moment où se tenait la réunion, il était «difficile de les tenir» .

44. Il est vrai que, pris isolément, le procès-verbal de Brioni peut donner lieu à des

interprétations diverses. Et il en va de même de celui de la conférence de Wannsee. Mais, lu dans

son contexte, en ayant à l’esprit les opinions nationalistes et racistes de Tudjman, sa volonté de

repeupler la Krajina de Croates à la place de Serbes, et son rôle dominant au sein de la hiérarchie

militaire et politique croate, aucun doute ne subsiste. Pour bien comprendre la réunion de Brioni,

tout comme la conférence de Wannsee, il suffit de se pencher sur ce qui s’est passé et ce qui a été

dit avant et après la rencontre. Plus aucun doute raisonnable ne peut alors subsister quant à ce qui y

a été planifié, à savoir, la destruction physique des Serbes de Krajina, en tout ou en partie.

24
Le contexte qui a immédiatement précédé l’opération Tempête

45. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le procès-verbal de Brioni

contient des déclarations sans équivoque, claires et explicites des participants à la réunion, qui

montrent que, au moment de la planification de l’opération Tempête, les dirigeants croates étaient

parfaitement conscients de la volonté des autorités serbes de parvenir à un règlement pacifique du

43
conflit . La Croatie savait que le Gouvernement yougoslave avait condamné l’agression croate et

qu’il appelait la communauté internationale à faire cesser les hostilités et à mettre en place un

dialogue politique .44 Les dirigeants croates savaient que les Serbes avaient accepté le plan

Stoltenberg et autorisé le déploiement d’observateurs aux frontières dans le cadre de

40
Procès-verbal de Brioni, p. 10.
41
Ibid., p. 10-11.
42Ibid., p. 10 ; déclaration d’Ante Gotovina.
43
Procès-verbal de Brioni, p. 1-2.
44
Ibid., p. 2. - 18 -

45
l’Opération des Nations Unies pour le rétablissement de la confiance . Ni les dépositions des

témoins, Slobodan Lazarević et Peter Galbraith, ni les exposés de Savo Štrbac auxquels le

46
demandeur se réfère ne mènent à une conclusion différente. Ils portent tous sur une période

antérieure à la réunion de Brioni. Le 31 juillet 1995, alors qu’ils discutaient du lancement de

l’opération Tempête, ceux qui participaient à la réunion de Brioni ont reconnu la volonté serbe

d’entamer des négociations pacifiques.

46. La possibilité d’un règlement négocié est devenue un grave sujet de préoccupation pour

les autorités croates, qui ont fait part de leur anxiété face à la volonté des Serbes de parvenir à un

règlement pacifique du conflit . Les dirigeants croates s’alarmaient de ce que l’attitude des Serbes

à l’époque privait la Croatie de la justification nécessaire au lancement d’une attaque militaire en

Krajina .8 Les participants à la réunion de Brioni avaient à cœur de «trouver un prétexte

49
quelconque» pour justifier leurs actes . Dans le même esprit, à la veille de l’opération Tempête, la

Croatie a envoyé aux Serbes et à la communauté internationale un message trompeur en faisant

semblant de participer aux négociations de paix à Genève. Les dirigeants croates voulaient donner

le change donner l’impression d’accepter les pourparlers organisés à Genève alors que les

préparatifs pour le lancement de l’attaque militaire étaient déjà en cours . 50

25 47. Pour tenter d’imputer à la Serbie l’absence de volonté de négocier, le demandeur évoque

la mobilisation de l’armée serbe le 28 juillet 1995 . Il va sans dire qu’il s’agissait-là d’une mesure

purement défensive. Les Serbes de Krajina se préparaient à une action défensive. Ils se

préparaient pour la retraite, non pour l’attaque, et la Croatie l’a très bien compris.

45Procès-verbal de Brioni, p. 1.

46CR 2014/19, p. 20, par. 32 et, dans le même sens, p. 21, par. 34 (Crnić-Grotić).

47Duplique de la Serbie (DS), par. 682, où est évoquée la déclaration faite par le vice-premier ministre croate,
M. Granić, lors de la 257 réunion à huis clos du Gouvernement croate.
48
Procès-verbal de Brioni, p. 1.
49
Ibid.
50Ibid., p. 2 ; DS, par. 674-677 faisant référence aux dépositions de Babić et Akashi dans le cadre de procédures
menées devant le TPIY.

51CR 2014/19, p. 24, par. 4 (Singh). - 19 -

Attaques contre les convois de réfugiés

48. J’en viens maintenant aux attaques contre les convois de réfugiés, un sujet qui n’a pas été

traité par le TPIY. Le demandeur a réitéré l’argument qu’il avait avancé dans ses écritures, à savoir

qu’«il [était] arrivé que les colonnes [mixtes] soient prises dans des tirs croisés». Selon ses termes,

le défendeur aurait «reconnu» que les colonnes étaient composées de civils et de combattants . 53

Il s’agit là d’une présentation erronée des faits. Non seulement la Serbie n’a jamais nié le caractère

mixte de ces colonnes, mais elle en a tiré argument pour prouver l’intention génocidaire des

autorités croates envers les Serbes de Krajina.

49. Bien que la Croatie prétende ne jamais avoir déclaré que les civils deviennent des cibles

légitimes lorsqu’ils s’enfuient avec des soldats, elle met l’accent sur le fait que les militaires armés

de la RSK se trouvaient dans les colonnes et continuaient d’attaquer l’armée croate pendant qu’ils

battaient en retraite. Ce faisant, le demandeur semble insinuer, en dernière analyse, que le

pilonnage des colonnes mixtes par les forces croates pouvait dans une certaine mesure se justifier.

50. Les attaques lancées contre les convois de réfugiés sont établies par les dépositions

54
produites par le défendeur ; je renvoie la Cour aux déclarations des témoins Mirko Mrkobrad et

Božo Šuša , à celles des témoins du TPIY, à savoir Marija Večerina , Dušan Dragićević et les 57

témoins protégés P-001, P-013 et P-056 , ainsi qu’à dix déclarations sous serment annexées à la

59
duplique . Le demandeur conteste la fiabilité du récit fait par Mirko Mrkobrad au motif que le

26 nombre de personnes tuées et blessées selon lui était une estimation «à vue de nez» , pour 60

reprendre ses termes. Or, si la Serbie a produit la déclaration du témoin Mrkobrad, c’était pour

établir que des attaques avaient bien été lancées contre les colonnes, le témoin ayant assisté à l’une

d’entre elles. Elle entendait prouver que l’attaque proprement dite avait eu lieu, ce qui est

52CR 2014/19, p. 31, par. 27 (Singh), reprenant telles quelles les thèses formulées par la Croatie dans sa réplique
(RC), par. 10.101 ; PAC, par. 3.68.

53CR 2014/19, p. 31, par. 27 (Singh).

54Duplique de la Serbie (DS), par. 757, tribunal de district de Požarevac (Serbie), procès-verbal de l’audition du
témoin Mirko Mrkobrad, en date du 13 mars 1997 (annexe 52).
55
CR 2014/17, p. 36, par. 79 (Obradović).
56
Ibid., par. 81 (Obradović) ; DS, annexe 47.
57
CR 2014/17, p. 36, par. 82 (Obradović).
58Ibid., par. 83 (Obradović). Voir également DS, annexe 51.

59DS, annexes 53, 54, 55, 56, 58, 59, 60, 61, 65 et 66.

60CR 2014/19, p. 32, par. 32 (Singh). - 20 -

indéniable, et non établir le nombre exact de victimes, ce dont le témoin ne se souvenait plus très

bien. La déclaration du témoin Mrkobrad confirme que la colonne de réfugiés a été attaquée par

l’armée croate et que des Serbes ont été tués, ce que de nombreuses autres déclarations viennent

corroborer, déclarations que le demandeur n’a pas contestées. On en trouve également

confirmation dans le rapport de situation de la cellule de crise humanitaire des Nations Unies

(recueil de rapports relatifs aux droits de l’homme), aux entrées correspondant aux 7 et 8 août , 61

62
ainsi que dans les rapports du comité Helsinki de Croatie pour les droits de l’homme (CHC) , de

Veritas et de Human Rights Watch . 64

51. La planification d’une voie de retrait, ainsi qu’il en avait été convenu à Brioni, n’avait

pas pour but de garantir la protection des colonnes de Serbes en fuite. Au contraire, ainsi qu’il

ressort des événements qui se sont déroulés pendant l’opération Tempête, les soldats croates ont

délibérément tendu des embuscades aux colonnes de réfugiés qui passaient, les ont bombardées et

ont exécuté les personnes qui en faisaient partie. La thèse défendue par le demandeur, aussi bien

dans sa pièce additionnelle qu’à l’audience, selon laquelle les colonnes de civils auraient été prises

involontairement dans des tirs croisés, est indéfendable. Le pilonnage des colonnes de réfugiés par

l’armée croate n’avait rien de fortuit, pas plus qu’il n’était le fait de soldats ayant désobéi aux

ordres.

52. Cette conclusion découle également du comportement des militaires croates pendant les

offensives précédentes, telles que l’opération Eclair. La manière dont celle-ci a été exécutée révèle

que le bombardement de colonnes de civils en fuite constituait une tactique militaire délibérée de la

part de l’armée croate. L’opération Eclair fournit donc une preuve solide du fait que le pilonnage

de civils serbes par l’armée croate était une ligne de conduite plutôt qu’un événement isolé. Les

témoins oculaires ont déclaré que, durant l’opération Eclair, les colonnes de Serbes en fuite avaient

constamment été prises pour cibles jusqu’à ce qu’elles arrivent à la rivière Sava.

61Contre-mémoire de la Serbie (CMS), annexe 55.

62CR 2014/17, p. 35, par. 75 et 76 (Obradović).
63
Ibid., par. 77 (Obradović).
64Rapport de Human Rights Watch, «Impunity for abuses committed during Operation Storm, and the denial of
the right of refugees to return to the Krajina», août 1996, vol. 8, n° 13 (D), p. 11-12 ; disponible en anglais à l’adresse

suivante : www.hrw.org/legacy/reports/1996/Croatia.htm. - 21 -

27 53. De la même manière, les événements intervenus au cours de l’opération Tempête

démontrent que, loin de bénéficier d’une voie de retrait les mettant à l’abri des tirs, les colonnes de

réfugiés qui avaient emprunté les corridors d’évacuation laissés ouverts par l’armée croate se sont

retrouvées prises au piège, victimes de bombardements délibérés et systématiques visant à les

détruire physiquement. Le sort réservé à une colonne de réfugiés dans la région de Glina a été

rapporté par des témoins oculaires. Le convoi en question avait pu pénétrer dans Glina, mais une

65
fois dans le centre de la ville, il avait été encerclé de tous côtés par l’armée croate, et pilonné . Le

témoin Mrkobrad a décrit une colonne composée de «quelque 600 personnes, femmes et enfants,

principalement des civils et un très petit nombre d’hommes en uniforme», qui, «[t]out à

coup, ... avaient été la cible de tirs à l’arme légère ... [et] étaient tombées comme des mouches» . 66

Meurtre de ceux qui ne s’étaient pas enfuis

54. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, rares sont les Serbes qui n’ont

pas pris la fuite lorsque les forces croates ont imposé leur contrôle sur la Krajina. La plupart de

ceux qui sont restés ont été tués. Non seulement ces meurtres constituent la preuve que des actes

punissables au titre de l’article 2 de la Convention sur le génocide ont été perpétrés, mais ils

confirment aussi que les dirigeants croates avaient l’intention de détruire physiquement la

population serbe de Krajina, en tout ou en partie. Ils sont bien documentés par les déclarations des

témoins Božo Šuša, Ilija Babić, Jela Ugarković et Mile Sovilj, que la Serbie a présentées, ainsi que

par celles des témoins du TPIY, à savoir Milan Ilić , Dragutin Junjga , Mile Djurić , 68 69

Peter Marti et E. J. Flynn . Le demandeur n’a pas contesté le rapport établi par Elisabeth Rehn,

rapporteuse spéciale de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies, indiquant que

«[l]e personnel de l’ONU a[vait] découvert plus de 120 cadavres … [et qu’une] méthode courante

65DS, par. 757, tribunal de district de Požarevac (Serbie), procès-verbal de l’audition du témoin Mirko Mrkobrad,
en date du 13 mars 1997 (annexe 52).

66Ibid.
67
CR 2014/17, p. 41, par. 95 (Obradović).
68
Ibid., p. 39, par. 88 (Obradović).
69DS, annexe 48.

70CR 2014/17, p. 46, par. 111 (Obradović).

71Dossier de plaidoiries des 12 et 13 mars 2014, point n 18. - 22 -

28 d’exécution consistait à tirer une balle dans la nuque» . La Croatie n’a pas non plus réfuté le

rapport des Nations Unies de février 1996, dans lequel il était établi que 911 personnes avaient été

tuées au cours de l’opération Tempête . 73

55. L’observation du demandeur selon laquelle le défendeur aurait fourni, en août 2013, de
74
nouvelles déclarations de témoins «établies expressément pour l’occasion» n’est pas

suffisamment claire. Pour en savoir plus sur ce droit procédural dont disposent les Parties, le

demandeur est invité à consulter l’article 57 du Règlement de la Cour et l’accord sur les modalités

d’audition des témoins et experts rédigé par son propre conseil.

56. Outre les déclarations de témoins présentées par le défendeur, le meurtre des civils serbes

qui sont restés en Krajina pendant et après l’opération Tempête a été corroboré par deux

organisations non gouvernementales, le comité Helsinki et Veritas, l’une croate, l’autre serbe.

Ces organisations sont en désaccord sur de nombreux points, mais malgré leur rivalité et leur

animosité mutuelle, elles ont toutes deux confirmé que les forces armées croates avaient commis

des massacres pendant et après l’opération Tempête.

57. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, la Croatie a entièrement tort

lorsqu’elle affirme que le nombre de personnes tuées durant l’opération Tempête est

«grossièrement exagéré» . 75 Il ressort des éléments de preuve que, durant cette opération et

immédiatement après, les soldats croates ont exécuté tous ceux qu’ils rencontraient, semant la mort

sur leur passage dès que l’occasion s’en présentait. Il ressort clairement des moyens de preuve

produits par le défendeur que les seuls survivants de l’opération Tempête sont les Serbes qui sont

parvenus à trouver une cachette. Ainsi, le témoin Ilija Babić a fait observer ce qui suit : «Les

survivants se sont pour la plupart cachés chez eux et dans les bois, tout comme moi, et je pense que

c’est pour cette raison que [nous n’avons] pas été tués.»

58. S’agissant de l’allégation selon laquelle le nombre de civils tués au cours des opérations

militaires croates ne prouverait pas l’intention génocidaire , en dépit du nombre réel de civils

72
CR 2014/17, p. 47, par. 115 (Obradović) ; les italiques sont de nous.
73
Ibid., par. 116 (Obradović).
74CR 2014/19, p. 37, par. 47 (Singh).
75
Ibid., p. 34, par. 39 (Singh).
76
RC, par. 12.28 et suiv. - 23 -

décédés, l’armée croate a tué tous les Serbes qu’elle a pu débusquer dans les villes et villages en

août 1995. Ses soldats ont assassiné tous les civils qu’ils ont pu trouver ou convaincre de sortir de

29 leur cachette. Par conséquent, tout comme le manque de munitions avait empêché l’armée croate

d’anéantir les villes par pilonnage au cours de l’opération Tempête, le massacre de la population

serbe qui était restée n’a pas atteint l’ampleur recherchée en raison des caractéristiques

topographiques spécifiques de la Krajina , et du fait que, à l’époque des attaques, la plupart des

civils qui en étaient capables avaient, à juste titre, fui la région. Ce n’était pas une destruction «en

tout ou en partie», mais une destruction «totale». Les forces croates n’ont pas fait de quartier.

Pendant l’opération Tempête et immédiatement après, elles ont exterminé tous les survivants serbes

de Krajina tombés entre leurs mains.

Autres actes incriminants

59. Monsieur le président, le demandeur n’a pas commenté les arguments de la Serbie

concernant les actes ayant entraîné des atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de

78
membres du groupe des Serbes de Krajina . Il a tout simplement ignoré ce point. Même s’il s’agit

là d’une stratégie délibérée de la part d’un pays accusé de génocide, on voit mal comment un

79
gouvernement qui cherche une réconciliation devant «se fonder sur des faits historiques» peut

faire preuve d’une telle indifférence à l’égard des souffrances des victimes.

60. Le demandeur n’a pas non plus formulé d’observation sur les déclarations des

témoins Hill, Dreyer et Ugarković, selon lesquelles l’armée croate a tué tous les animaux qui se

trouvaient dans la région de la Krajina . Après avoir examiné ces déclarations, un gouvernement

en quête d’une réconciliation fondée sur des faits historiques peut-il encore prétendre que

l’opération Tempête était licite, comme le fait valoir le conseil du demandeur ?

61. En outre, le demandeur est resté muet sur la déclaration de la Serbie selon laquelle, à la

fin du mois de septembre 1995, la mission d’observation de la Communauté européenne avait

indiqué que 73 % des maisons appartenant à des Serbes avaient été incendiées et pillées dans

77
CR 2014/17, p. 42, par. 99 (Obradović).
78Ibid., p. 50 et 51, par. 123-131 (Obradović).

79CR 2014/19, p. 17, par. 20 (Crnić-Grotić).
80
CR 2014/17, p. 52, par. 133 et 134 (Obradović). - 24 -

les 243 villages où elle s’était rendue . Dans leur rapport du 4 novembre 1995, les observateurs

militaires des Nations Unies avaient, quant à eux, précisé que 17 270 habitations avaient été

détruites ou endommagées après le lancement de l’opération Tempête dans le secteur sud des

Nations Unies .82

30 La question des rapatriés

62. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’en viens à présent à la

question des personnes qui sont rentrées chez elles. Dans sa réponse à la demande

reconventionnelle, le demandeur a examiné la question des changements démographiques survenus

83
en Croatie, affirmant que 130 000 Serbes étaient revenus . Selon les conseils de la Croatie, les

faits démontrent la volonté du demandeur d’assurer le retour de tous les citoyens souhaitant rentrer

chez eux. La Serbie sait gré à la Croatie de faire des efforts en ce sens, si tant est que ce soit le cas.

Cela pourrait grandement contribuer à la réconciliation entre les deux peuples. Néanmoins, les

politiques mises en place par l’actuel Gouvernement de Croatie ne permettent pas vraiment

d’éclairer la question qui intéresse la Cour, à savoir celle de l’existence d’une intention génocidaire

en 1995. La Croatie n’a absolument pas réfuté les éléments de preuve indiquant que ses dirigeants

voulaient, en 1995, opérer une transformation démographique de la Krajina, en en expulsant les

Serbes et en procédant à leur destruction effective en tant que communauté, en tout ou en partie, et

en les remplaçant par des Croates.

63. De nombreuses sources attestent que la composition ethnique de la Krajina s’est

profondément transformée à la suite de l’opération Tempête. Selon des sources onusiennes,

auxquelles la chambre de première instance saisie de l’affaire Gotovina a fait référence, avant

l’opération Tempête, quelque 180 000 Serbes vivaient en Krajina ; après l’opération, près de

2000 sont restés dans le secteur sud et 5000 dans l’ensemble de la Krajina, c’est-à-dire dans les

deux secteurs .4 En janvier 1998, Elisabeth Rehn, rapporteuse spéciale des Nations Unies, a

81
La situation dans les territoires occupés de la Croatie, rapport du Secrétaire général, en date du
18 octobre 1995, Nations Unies, doc. A/50/648, par. 33.
82CMS, annexe 58.

83CR 2014/19, p. 17, par. 21 (Crnić-Grotić).
84
Le Procureur c. Gotovina et consorts (IT-06-90-T), jugement, 15 avril 2011, par. 2079. - 25 -

85
indiqué que moins de 10 % des Serbes de Krajina étaient rentrés chez eux . La comparaison des

données des recensements effectués en Croatie en 1991 et 2001 montre que le nombre des Serbes

de souche a considérablement changé. La carte qui apparaît à présent à l’écran se trouve également

dans le dossier de plaidoiries, mais avec une légère modification : nous avons pensé qu’il serait

utile d’entourer la région de la Krajina en rouge. Toutefois, comme vous pouvez le voir, d’autres

régions ont également subi des transformations démographiques extrêmement importantes. La

carte représente donc la population croate en 1991 la population croate de souche était alors peu

nombreuse dans la région de la Krajina (entourée en rouge) ; une décennie plus tard, elle s’est

radicalement transformée. Prenons les quatre villes qui ont subi des bombardements : à Knin, le

nombre d’habitants serbes est passé de 19 679 à 3164 ; à Benkovac, de 16 583 à 730 ; à Gračac, de
31

10 805 à 1523 ; et à Obrovac, de 6981 à 435. Au total, la population serbe de ces quatre villes est

passée de 54 048 à 5852 individus, une baisse de près de 89 %.

64. Un rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) publié

86
en 2011 indiquait qu’un tiers seulement des rapatriés enregistrés vivait réellement en Croatie .

Selon cette étude, 38 % des rapatriés enregistrés résidaient en Croatie de manière permanente,

45 % vivaient dans un autre pays et 17 % étaient décédés. Le nombre relativement important de

rapatriés décédés peut s’expliquer par l’âge élevé d’une grande partie de cette population. L’étude

concluait qu’un tiers avait plus de 65 ans, tandis que les personnes de moins de 19 ans ne

représentaient que 12 % des rapatriés, moitié moins que dans le reste de la population de Croatie.

Impossible de présenter les conclusions détaillées du rapport du HCR ici : il fait plus de 200 pages.

Mais il en ressort que, pour ce qui concerne la pérennité biologique des communautés serbes en

Croatie, notamment en Krajina, les indicateurs sont au rouge. Cela ne signifie toutefois pas que la

Croatie tente, aujourd’hui, d’accélérer le processus, comprenez-moi bien. Mais le fait d’évoquer

simplement le chiffre de 130 000 rapatriés, comme l’a fait le demandeur lorsqu’il a réfuté la

demande reconventionnelle, ne permet pas vraiment à la Cour de se faire une idée précise de la

situation. L’agent de la Serbie a souligné le déclin spectaculaire de la population serbe en

85Rapport d’Elisabeth Rehn, rapporteuse spéciale, 14 janvier 1998, par. 32.

86HCR, Minority Return to Croatia Study of an Open Process, 2011. - 26 -

Croatie , qui est passée de presque 20 % avant la seconde guerre mondiale, à 12 % environ

en 1991, et à un peu plus de 4 % aujourd’hui. L’étude du HCR laisse entendre qu’en raison de la

répartition par âge, le déclin va se poursuivre. C’est l’opération Tempête qui est la principale

responsable de cette évolution.

Questions relatives à la preuve

65. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, deux rapports invoqués par la

Serbie ont fait l’objet d’attaques injustes de la part du demandeur. Le premier est le rapport du

comité Helsinki de Croatie (le rapport du CHC). La Croatie a souligné que la chambre de première

instance avait conclu qu’elle ne se fonderait pas sur les informations présentées dans ce rapport «à

moins qu’[elles] ne soi[ent] corroboré[es] par d’autres éléments de preuve» . La Croatie en

89
32 conclut qu’«il ne serait pas prudent de se fonder sur ce rapport» . Si le demandeur se contente de

dire qu’on ne peut s’appuyer sur ce rapport en l’absence d’éléments concordants, cela correspond

aux conclusions de la chambre de première instance, et cette position ne pose pas de problème

particulier à la Serbie. Mais le ton de la remarque de la Croatie semble indiquer que la Cour

devrait écarter ce rapport, ce qui est à notre avis excessif. Le rapport du CHC devrait être

considéré comme un élément probant utile, permettant de mieux appréhender les faits.

L’expression «à moins qu’[elles] ne soi[ent] corroboré[es]» et le terme «se fonder» indiquent

simplement qu’il convient d’être vigilant lorsqu’un fait donné n’est établi que par un seul élément

de preuve. Soulignons que le rapport du CHC n’était pas le seul élément de preuve qui demandait,

selon la chambre de première instance, à être corroboré : un rapport de l’équipe des observateurs

militaires des Nations Unies et des rapports d’ONG internationales telles que Human Rights Watch

et la fédération internationale d’Helsinki pour les droits de l’homme ont été soumis à la même

90
condition . Si elle avait voulu que ces éléments de preuve soient complètement écartés, je crois

qu’elle l’aurait dit clairement.

87
CR 2014/13, p. 16, par. 17 (Obradović).
88CR 2014/19, p. 18, par. 24 (Crnić-Grotić), citant Le Procureur c. Gotovina et consorts (IT-06-90-T), jugement,
15 avril 2011, par. 50.

89CR 2014/19, p. 18, par. 24 (Crnić-Grotić).
90
Le Procureur c. Gotovina et consorts (IT-06-90-T), jugement, 15 avril 2011, par. 52, 55 et 57. - 27 -

66. Le rapport du CHC apporte la preuve de la responsabilité de la Croatie dans les attaques

lancées contre des convois de réfugiés. Les informations qui y figurent sont corroborées par les

sources suivantes : la déclaration d’un témoin oculaire affirmant que les convois de réfugiés fuyant

91
Knin avaient été bombardés par l’armée croate , et l’entrée datée du 7 août 1995 du journal des

opérations de la 4 brigade de la garde . 92

67. Le demandeur continue de critiquer vigoureusement la personnalité de Savo Štrbac, et de

mettre en doute la liste des victimes de l’opération Tempête établie par l’ONG Veritas. La Croatie

a relevé trois nouveaux doublons dans la liste établie par Veritas, liste sur laquelle figurent plus de

6000 victimes serbes de la guerre en Croatie, et en a fait état devant la Cour pour saper la

93
crédibilité de cette organisation . Cette question a été abondamment discutée dans les pièces de

procédure des deux Parties. Le demandeur n’a avancé aucun nouvel argument ; il s’est contenté de

répéter ce qui avait déjà été dit dans les écritures.

33 68. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ces trois doublons ne

prouvent pas une quelconque «faiblesse méthodologique». Ce sont des erreurs techniques, comme

il peut y en avoir dans n’importe quel rapport statistique. C’est évident : les noms apparaissant

deux fois se suivent, sous les numéros 1731 et 1732 par exemple, comme vous l’avez vu à l’écran
94
la semaine dernière . Cela ne peut être volontaire. Il n’y a ni supercherie, ni déformation de la

réalité.

69. L’erreur dont il a été fait état devant la Cour ne provient pas de la liste des victimes

directes de l’opération Tempête. Les erreurs alléguées par la Croatie se trouvent dans la partie

concernant les victimes indirectes de la guerre et de l’après-guerre c’est la formule utilisée par

Veritas dans le cadre de sa méthodologie statistique, comme l’a expliqué Savo Štrbac dans son

exposé d’expert. Pour repérer une telle erreur, il faut passer en revue tous les noms de victimes,

soit plus de 6000. En réalité, le fait que l’on n’ait trouvé que trois erreurs devrait confirmer la

validité des travaux et du rapport de Veritas. La plainte du demandeur est assez mesquine.

91 DS, par. 733 et 759.

92 Le Procureur c. Gotovina et consorts (IT-06-90-T), Reynaud Theunens, rapport d’expert : Croatian Armed
Forces and Operation Storm, partie II, p. 189 ; CMS, annexe 64.
93
CR 2014/19, p. 19, par. 26 (Crnić-Grotić).
94 Dossier de plaidoiries du demandeur, onglet n 17. - 28 -

70. La Serbie ne cherche pas à établir le nombre exact des victimes de l’opération Tempête.

Le défendeur soutient que les Serbes de Krajina ont été tués massivement pendant et après

l’opération. La liste établie par Veritas est corroborée par de nombreux autres documents. Le

demandeur ferait mieux de transmettre directement l’exposé de M. Štrbac au procureur croate

chargé des crimes de guerre. Tout le monde sait quelles sont les unités de l’armée et de la police

croates qui opéraient dans les villages concernés.

71. S’agissant de la déposition que le général Andrew Leslie a faite en l’affaire Gotovina, le

demandeur prétend que «la chambre de première instance a [finalement] rejeté [l]e témoignage [du

général Leslie] [dans lequel il affirmait avoir vu entre 30 et 60 corps à l’hôpital de Knin]», se

fondant sur une autre déclaration que le témoin Leslie avait faite dans une émission de radio

canadienne en 2003. Selon cette déclaration, reproduite au paragraphe 1334 du jugement du TPIY,

le ciblage délibéré et à grande échelle des quartiers résidentiels, pendant l’opération Tempête,

s’était soldé, selon Andrew Leslie, par la mort d’environ 10 000 à 25 000 personnes. Le

demandeur affirme en outre que «[l]oin des exagérations de M. Leslie, la chambre de première

instance n’a pas été en mesure d’identifier une seule victime du bombardement de Knin», avant

d’ajouter : «On comprend aisément pourquoi le TPIY a choisi de ne pas tenir compte du

témoignage du général Leslie.»

34 72. Monsieur le président, le jugement rendu en l’affaire Gotovina indique au contraire

expressément ce qui suit :

«Sur la base des témoignages de Dawes, Al-Alfi, et Leslie [les italiques sont de
nous], la chambre de première instance conclut que plusieurs cadavres, certains en
vêtements civils, et d’autres en uniforme militaire, au moins partiellement, se
trouvaient, le 4 août 1995, juste à côté des quartiers généraux de la SVK, ou dans une

zone (désignée par la lettre B sur la pièce P984) située à moins de 200 mètres. Sur la
base des témoignages susmentionnés, la chambre conclut q95 la HV a tiré des
projectiles d’artillerie qui sont tombés dans cette zone.»

Ainsi, premièrement, la chambre de première instance n’a pas écarté la déposition du

général Leslie, contrairement à ce que laisse entendre le demandeur, et deuxièmement, elle a

conclu que plusieurs cadavres avaient été retrouvés à la suite de l’attaque d’artillerie. Le fait que la

95Le Procureur c. Gotovina et consorts (IT-06-90-T), jugement, 15 avril 2011, par. 1375 ; les italiques sont de la
Serbie. - 29 -

chambre ne soit pas parvenue à identifier ces victimes en précisant leur nom, leur sexe ou leur âge

ne change rien au fait que le pilonnage a fait plusieurs morts, y compris des civils.

L’impunité et les procès tenus en Croatie

73. J’en arrive à la question de l’impunité et à l’inaction des autorités croates en matière

pénale. La Partie adverse a dit à la Cour que 2 300 personnes avaient été reconnues coupables

d’actes de pillage et de destruction de biens commis dans le cadre d’une opération militaire

prétendument licite, connue sous le nom d’opération Tempête. La Croatie a également affirmé

qu’à ce jour, 33 personnes avaient été poursuivies pour des meurtres commis pendant et après cette

opération supposément licite . Mais le demandeur n’a pas précisé combien de Croates avaient été

condamnés de manière définitive pour des meurtres commis dans le cadre de l’opération Tempête.

Si personne n’a été déclaré coupable, il faudrait, pensons-nous, expliquer pourquoi à la Cour.

74. Tout comme pour les obstacles au retour, c’est son lien avec l’intention génocidaire qui

rend cette question pertinente. La Serbie soutient que l’impunité dont bénéficient, en Croatie, les

auteurs de meurtres et d’autres atrocités atteste l’intention de détruire la population serbe en

Krajina.

75. De nombreux faits figurent déjà dans le dossier ou dans les documents du TPIY. Par

exemple, Elisabeth Rehn, rapporteuse spéciale des Nations Unies, a déclaré en l’affaire Gotovina

qu’elle avait rencontré, le 4 décembre 1995, plusieurs responsables, dont Tudjman, et qu’elle avait

eu l’impression que ces derniers ne souhaitaient pas enquêter sur les agissements des membres de

35 l’armée croate ni engager de poursuites à raison des crimes perpétrés pendant l’opération Tempête

«au-delà de ce qui était nécessaire pour sauver les apparences devant la communauté

97
internationale» . Quant au ministre de l’intérieur, Jarnjak, il a informé Mme Rehn que des

enquêtes criminelles avaient été ouvertes contre les auteurs de crimes tels que les pillages et les

incendies volontaires. Il lui a néanmoins donné l’impression de ne pas vouloir enquêter sur
98
l’existence alléguée de fosses communes . Nous savons que les autorités croates s’inquiétaient

des crimes contre les biens parce qu’elles avaient l’intention d’utiliser les biens serbes pour les

96
CR 2014/19, p. 17, par. 21 (Crnić-Grotić).
97Le Procureur c. Gotovina et consorts (IT-06-90-T), jugement, 15 avril 2011, par. 2102.
98
Ibid. - 30 -

nouveaux arrivants en Krajina. Dans un rapport du Secrétaire général de l’Organisation des

Nations Unies en date du 14 février 1996, on lit que des poursuites ont été engagées «dans les

affaires qui ont fait le plus de bruit», mais qu’«on ne constate guère de progrès dans les enquêtes
99
relatives à de nombreux autres cas de meurtres isolés» . Selon l’ambassadeur Galbraith,

«Tudjman a reconnu, concernant les atrocités commises après l’opération Tempête, qu’il y avait eu

100
des problèmes, mais il n’en a pas tenu compte et n’a rien fait» . Les chiffres que le conseil de la

Croatie a donnés à la Cour le 18 mars semblent correspondre à ceux fournis par la Croatie en 1996

et qui ont été mentionnés dans l’affaire Gotovina. Ils se rapportent, pour l’essentiel, à des crimes

contre les biens tels que les pillages et les incendies volontaires. Des informations font état d’un

nombre relativement modeste de personnes traduites en justice pour meurtre, mais rien ne permet

de dire que des condamnations définitives ont été prononcées.

76. Dans son ouvrage sur les procès pour crimes de guerre et la Cour pénale internationale,

M. Ivo Josipović l’actuel président de la Croatie commente les défaillances du système

judiciaire croate concernant la responsabilité du conflit. Il souligne le petit nombre de procès

intentés à la suite de l’opération Tempête, et relève en particulier que les faits n’ont pas été

qualifiés de crimes de guerre. Commentant un livre blanc publié par le Gouvernement croate,

M. Josipović affirme ce qui suit :

«Là où le bât blesse, c’est que les données relatives aux crimes les plus graves

et à leurs victimes ne reflètent pas les crimes qui, aux yeux du grand public, ont été
commis à l’encontre de la population serbe. De plus, les victimes et les épreuves
36 subies par le «camp adverse» (même si l’on parle de citoyens croates !) n’apparaissent
pas dans les données relatives aux souffrances engendrées par la guerre.» 101

Conclusions

77. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, me voici arrivé à ma

conclusion. Que ce soit dans ses écritures ou à l’audience, le demandeur n’a pas démenti

l’existence :

99
Rapport complémentaire sur la situation relative aux droits de l’homme en Croatie, présenté en application de
la résolution 1019 (1995), Nations Unies, document S/1996/109 du 14 février 1996, par. 13.
10Le Procureur c. Gotovina et consorts (IT-06-90-T), jugement, 15 avril 2011, par. 2104.
101
Ivo Jospović, The Hague Implementing Criminal Law, The Comparative and Croatian Implementing
Legislation and the Constitutional Act on the Cooperation of the Republic of Croatia with the International Criminal
Tribunal, Zagreb: Informator Hrvatski Pravni Centar, 2000, p. 253. - 31 -

i) de déclarations de personnalités publiques croates, présentant les Serbes de Croatie comme

102
des sous-hommes ;

ii) d’une déclaration enregistrée du ministre croate de la défense, faite en 1991, dans laquelle il

103
assurait que personne, en Krajina, ne survivrait ;

104
iii) des déclarations du professeur Puhovski concernant la situation générale en Croatie avant

l’opération Tempête, et de celles du général Forand 105des Nations Unies et de l’ambassadeur

106
des Etats-Unis, M. Galbraith, sur la situation en Krajina après cette opération ;

iv) de déclarations faites au cours de la réunion de Brioni selon lesquelles les négociations de

Genève ne devaient servir que de paravent à l’attaque prévue contre la Krajina 107 ;

v) des déclarations faites par des soldats et officiers croates pendant l’opération indiquant qu’ils

tueraient tous les Serbes , et que tous les Serbes étaient des terroristes 109 ;

vi) des déclarations de Franjo Tudjman, quand il était président de la Croatie, et du ministre des

110
affaires étrangères, assimilant les Serbes à un cancer dans l’estomac de la Croatie ;

vii) des déclarations reflétant les positions idéologiques de Tudjman vis-à-vis des Serbes 111 et

présentant le génocide comme un moyen d’assurer une homogénéité ethnique . 112

37 La Croatie en a tout simplement fait abstraction. Elle n’en a rien dit, ni dans ses écritures ni à

l’audience.

78. Permettez-moi de revenir maintenant brièvement sur cette autre moitié de la procédure,

celle relative à la requête de la Croatie. On trouve dans cette requête la preuve de nombreuses

violations du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits de l’homme.

102
CR 2014/17, p. 17, par. 20 (Obradović).
103
CR 2014/18, p. 38, par. 158 (Jordash).
104 CR 2014/17, p. 16, par. 17 (Obradović), citant Gotovina et consorts, compte rendu d’audience,
13 février 2009, p. 15901.

105CR 2014/17, p. 52-53, par. 135 (Obradović) ; dossier de plaidoiries, onglet n 19.

106Ibid., p. 57, par. 150 (Obradović).
107
Ibid., p. 25, par. 48 (Obradović).
108
Ibid., p 53-54, par. 137-141 (Obradović).
109
CR 2014/16, p. 47, par. 16 (Jordash).
110CR 2014/17, p. 54, par. 142, et p. 55. par. 144 (Obradović).

111Ibid., p. 57, par. 150 (Obradović).

112Ibid., p. 23 par. 40 (Obradović). - 32 -

La Serbie, dans une grande mesure, ne conteste pas ces éléments de preuve. D’ailleurs, elle a

régulièrement exprimé ses sincères regrets et, pour autant qu’elle en porte une part de

responsabilité, elle a fait acte de contrition. Cette reconnaissance des faits ne peut que contribuer

au processus de réconciliation dans la région. Ce que la Serbie rejette en l’occurrence, c’est la

tentative faite par la Croatie de qualifier de génocide ce qui s’est passé en 1991. Outre qu’elle

conteste l’application du droit relatif au génocide aux faits en cause, la Serbie a relevé que nul

n’avait eu à répondre du chef de génocide devant le TPIY pour les événements faisant l’objet de la

demande de la Croatie. En outre, le Tribunal n’a jamais, dans les nombreuses décisions relatives à

la Croatie qu’il a rendues, rien trouvé à redire aux chefs d’accusation formulés par le procureur. La

situation juridique, en ce qui concerne ces faits, s’est encore clarifiée à la suite de l’arrêt de la Cour

en l’affaire concernant la Bosnie-Herzégovine. Et la Croatie n’a pas réellement cherché, dans le

cadre de la présente instance, à nous convaincre que sa demande était très différente de celle

qu’avait fait valoir la Bosnie-Herzégovine quant aux violations commises dans les municipalités.

Elle n’a pas non plus osé affirmer que les violations commises en Croatie présentaient de réelles

similitudes avec le massacre de Srebrenica, que la Cour a qualifié de génocide.

79. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, la question qui se pose à

l’évidence dans le contexte de la demande reconventionnelle est la suivante : si la requête de la

Croatie est infondée, comme le soutient la Serbie et pour les raisons qu’elle a avancées, la demande

reconventionnelle n’est-elle pas ipso facto vouée à faire long feu ? C’est ce que le conseil du

demandeur, dans sa réplique sur ce point, semble avoir cherché à faire valoir, donnant à entendre

que les arguments développés par la Serbie dans le cadre de sa demande reconventionnelle

apportaient en réalité de l’eau au moulin de la Croatie. Mais ne nous perdons pas en ratiocinations,

les circonstances sont bien trop graves. Les conclusions que rendra la Cour influenceront sans

l’ombre d’un doute la représentation que l’on se fera, dans la région et au-delà, des conflits qui ont

eu lieu dans les années 1990. Elles pourraient bien contribuer à façonner l’histoire officielle de ces

guerres, liées à la dissolution de l’ex-Yougoslavie.

80. Dans ses observations finales sur la demande reconventionnelle, l’agent de la Serbie a

clarifié la position du défendeur. Il a rappelé que la Serbie n’avait pas cherché à régler ces

38 différends devant la Cour internationale de Justice. La Croatie ayant cependant insisté pour ce - 33 -

faire, et ce, en dépit de l’arrêt de 2007, la Serbie a estimé qu’il lui fallait soumettre sa propre

demande reconventionnelle. D’autant que, selon elle, cette demande reconventionnelle contribuera

à faire la lumière sur tout ce qui s’est passé pendant le conflit. La Serbie le doit à toutes les

victimes, en particulier les victimes de l’opération Tempête.

81. Pour en revenir à la teneur de la demande reconventionnelle, l’agent de la Serbie a fait

valoir que cette demande, si on l’examine à la lumière des éléments requis aux fins d’établir le

crime de génocide, est autrement plus solide que celle soumise par la Croatie. Il a expliqué qu’il

n’y avait pas de commune mesure entre, d’une part, la violence qui s’est déchaînée dans le cadre de

l’opération Tempête, le nombre de victimes causé sur un laps de temps aussi bref, en particulier

compte tenu des possibilités restreintes qui s’offraient aux auteurs des actes en cause, ou encore les

conséquences sur la vie du groupe ethnique pris pour cible et, d’autre part, les cas décrits dans la

demande du requérant, pris isolément, et qui concernent des atrocités commises sur une durée de

cinq années.

82. La position adoptée par la Serbie en ce qui concerne sa demande reconventionnelle et sa

position à l’égard de la demande de la Croatie pourraient sembler contradictoires. Toutefois, il

n’en est rien, et cela s’explique aisément. La Serbie estime juste, du point de vue du droit

international, l’interprétation prudente que la Cour a donnée du crime de génocide en 2007. Elle ne

demande pas à la Cour de réviser ou de modifier les conclusions juridiques qu’elle a rendues dans

cet arrêt. La démarche interprétative adoptée par la CIJ à l’égard du génocide, dans le cadre plus

particulier de la responsabilité des Etats, cadrait pour l’essentiel avec la logique suivie dans la

jurisprudence des tribunaux ad hoc au cours des précédentes décennies. Elle était garante de clarté

et de certitude juridique.

83. Si la Cour maintient la position qu’elle a adoptée en 2007, la demande de la Croatie doit

être rejetée. La Croatie encourage la Cour à revenir sur sa jurisprudence, mais si la Cour le fait,

elle risque d’être bien en peine d’expliquer son revirement au peuple de Bosnie-Herzégovine. Le

défendeur soutient en tout cas que, si la Cour devait revoir son interprétation du crime de génocide

dans un sens favorable à la thèse de la Croatie, il ne saurait faire de doute que la demande

reconventionnelle de la Serbie est nettement plus solide que la requête à bien d’importants égards. - 34 -

84. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’en viens au terme de mon

exposé de cet après-midi, et ce sera ma dernière occasion de m’adresser à vous dans le cadre de la

présente instance. J’espère qu’il me sera donné de revenir dans ce prétoire, mais j’espère aussi que

39 ce ne sera pas pour plaider une affaire concernant le génocide. Je nourris l’espoir que ce soit la

dernière affaire se rapportant à la Convention que la Cour ait à entendre.

85. Le conseil de la Croatie a exprimé la crainte que la Convention ne devienne lettre morte.

Mais la dernière décennie a vu plus de procès et de poursuites pour génocide devant les juridictions

pénales, nationales et internationales, que les cinq qui l’ont précédée. Le nombre de condamnés

purgeant de longues peines pour génocide n’a jamais été aussi élevé. Au sein de l’ONU, et en

Afrique, des organisations solides et dotées des moyens nécessaires ont été mises en place pour

prévenir le génocide ou mettre en œuvre des mécanismes d’alerte rapide et, bien sûr, il n’y a jamais

eu autant d’activités de recherche académique, tant en ce qui concerne le droit relatif au génocide

que l’étude de ses causes. Il se pourrait bien que ce soit la dernière affaire de ce type portée devant

la Cour, et je l’espère. Je ne crois pas que l’on doive mesurer l’efficacité de la Convention sur le

génocide au nombre d’affaires soumises à la Cour en vertu de l’article IX. Voilà qui,

respectueusement, clôt mon intervention.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Schabas.

M. SCHABAS : Monsieur le président, peut-être le moment est-il venu de faire une pause ?

Le PRESIDENT : Oui, la Cour va marquer une pause de 15 minutes, après quoi je donnerai

la parole à M. Jordash. L’audience est suspendue pour 15 minutes.

L’audience est suspendue de 16 h 20 à 16 h 35.

Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience reprend. Monsieur Jordash, vous avez

la parole. - 35 -

M. JORDASH :

L’OPÉRATION TEMPÊTE : UNE CAMPAGNE GÉNOCIDAIRE AU REGARD DE
LA COMPARAISON PROPOSÉE PAR LE DEMANDEUR

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous remercie. Avant de

laisser la parole à M. Obradović, qui conclura les plaidoiries de la Serbie, je voudrais apporter

quelques éléments de synthèse concernant la demande reconventionnelle de la Serbie.

40 2. Pour ce faire et afin de répondre à quelques observations peu constructives du demandeur,

je vais traiter directement des neuf points formulés par M. Sands pour comparer la demande

113
reconventionnelle à la demande principale .

3. Il est bien entendu que, contrairement à ce que semble croire le demandeur, la valeur de

cette comparaison n’est pas une question d’ampleur, mais aussi de valeur probante, et c’est

là-dessus que je prie la Cour de porter son attention.

4. Comme le montre un survol des neuf points exposés par M. Sands au cours du deuxième

tour des plaidoiries, la demande principale, encore une fois, ne repose sur rien qui puisse être

interprété comme un plan et, pris dans leur globalité, le contexte et les lignes de conduite ne

permettent pas de déduire une intention génocidaire.

5. A l’inverse, lorsqu’elle est examinée dans son contexte, la demande reconventionnelle

114
n’est pas une «tactique de diversion», selon la fâcheuse expression du demandeur , mais repose

sur un plan clairement énoncé qui, conjugué aux schémas d’agissements criminels et de

manquements constatés, remplit les conditions d’établissement de l’élément matériel et de

l’élément moral du génocide.

6. Avant de passer aux neuf points de M. Sands, je voudrais faire quelques observations

préliminaires touchant à la question de la «tactique de diversion» invoquée par le demandeur. La

Croatie soutient que l’objectif de la demande reconventionnelle est de faire diversion, alors que la

demande principale avait pour but de faire valoir les droits des victimes et de prévenir tout

113CR 2014/19, p. 57 à 65 (Sands).

114Ibid., p. 57 et 58, par. 3 (Sands). - 36 -

génocide futur. Ce sont là de nobles sentiments, mais, ainsi que nous l’avons vu tout au long de la

procédure, les actes et les paroles ne sont pas du même ordre.

7. Tout d’abord, comme l’a exposé le défendeur, nous connaissons l’une des raisons qui ont

présidé au dépôt de la demande. Le Gouvernement croate a en effet admis ce qui suit :

«Alors que la B[osnie]-H[erzégovine] a déposé sa plainte en 1993 … la Croatie
ne l’a fait qu’en 1999, et seulement après avoir été convaincue par un avocat
américain que les accusations portant sur la responsabilité de la S[erbie] et

M[onténégro] pour génocide … sur le territoire de la Croatie paralyseraient certaines
affaires introduites contre d115Croates devant le Tribunal pénal international pour
l’ex-Yougoslavie (TPIY).»

Cela a déjà été dit et je ne m’étendrai pas sur le sujet.

41 8. Or ces mots ne sont pas les seuls à révéler la raison véritable de la présentation de la

requête, qui se manifeste également dans la façon dont la procédure a été menée. Le demandeur a

consacré toute son énergie à persuader la Cour de mettre de côté les principes fondamentaux du

droit, en même temps qu’il faisait de son mieux pour dissimuler les faits.

9. Qui plus est, nous estimons que le demandeur a pris la décision ne pas aider la Cour sur

les questions qui concernent à la fois la demande principale et la demande reconventionnelle.

Même s’il était exact que le défendeur n’a déposé sa demande reconventionnelle que pour faire

diversion, ce qui n’est pas le cas, cela ne devrait avoir aucun effet sur le raisonnement de la Cour ni

sur l’administration de la preuve. En effet, cela ne change rien au droit ni à la vérité.

10. A l’inverse, nous affirmons que les manœuvres de diversion déployées par le demandeur

suscitent un risque réel de voir l’utilité de la convention ébranlée, la vérité camouflée et les droits

fondamentaux des victimes, passées et à venir, compromis par un flot de discours éloquents mais

n’ayant pour but que de détourner l’attention.

11. Voyons tout d’abord les tentatives répétées du demandeur visant à modifier le droit et à

éviter de fournir des informations précises ou même faire des concessions raisonnables.

115CR 2014/14, p. 11, par. 10 (Zimmerman), citant le télégramme n 06ZAGREB366 du 17 mars 2006 envoyé au
département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique par l’ambassade américaine à Zagreb, par. 8 (http://wikileaks.org/cable/
2006/03/06ZAGREB366.html). - 37 -

La mise à l’écart du droit

12. Il est bien entendu que tout système de droit vivant se cristallise, évolue et s’affine avec

le temps. Mais ce n’est pas ce que la Croatie demande à la Cour.

13. Le demandeur n’est absolument pas satisfait du droit actuel. La Croatie veut faire mettre

à l’écart ou raboter les conclusions de la Cour relatives au critère d’établissement de la preuve, à la

condition du caractère substantiel et au critère des «possibilités», au principe de la distinction et de

la proportionnalité, ainsi qu’à la méthode utilisée dans l’appréciation du «contrôle effectif». Elle

demande également à la Cour d’écarter les règles habituelles relatives à l’application temporelle

des traités, à l’attribution et à sa propre compétence.

14. Le demandeur ne cherche pas à faire en sorte que le droit se construise, s’affine ou se

précise, mais souhaite en voir des éléments fondamentaux mis à l’écart, déchirés et jetés aux

ordures. La Cour se serait-elle trompée à ce point voici seulement sept ans dans l’affaire

concernant la Bosnie-Herzégovine ? Le droit international humanitaire est-il si déficient qu’il faille

en rejeter les principes établis de longue date ?

42 15. Non, le demandeur veut simplement s’affranchir des règles de droit en fonction des faits

de l’espèce. Si tel n’était pas le cas, il nous aurait expliqué par quoi il fallait remplacer ce qui doit

être mis au rencart. Dans l’ensemble, nous n’avons pas eu droit à ce genre d’explication raisonnée.

16. Au lieu de cela, la Croatie se présente devant la Cour en proclamant le bien fondé de sa

thèse, en même temps qu’elle lui demande d’écarter l’essentiel du droit, d’adopter un critère de

possibilité incohérent et illusoire, de confondre les combattants et les civils, de contourner le critère

du «contrôle effectif» et de souscrire au futile critère du hameau de M. Sands.

17. Ce ne sont manifestement pas là des propositions sérieuses. Il est impensable que le

demandeur puisse croire que le rejet des règles actuelles sur tant de points contribuerait à renforcer

ou à protéger l’utilité de la convention, les mécanismes de protection du droit humanitaire ou,

au-delà de la présente affaire, les droits des victimes. L’idée est saugrenue.

18. Demandons-nous pourquoi il a dépensé tant d’énergie à essayer de changer le droit.

C’est y répondre que de poser la question.

19. Avec tout le respect que je lui dois, il s’agit là d’une sorte de vandalisme juridique qui

favorise les «interruptions de la protection» que le demandeur affirme vouloir éviter, en visant - 38 -

uniquement à concilier l’inconciliable. A vouloir ainsi mettre le droit à l’écart, on risquerait de

transformer la Convention sur le génocide, texte vivant qui permet de faire la distinction entre

l’intention génocidaire et les autres intentions moins graves ou différentes, de façon à distinguer

ceux qui la violent de ceux dont les intentions sont autres, en un ensemble de vœux pieux

protégeant des droits illusoires, mais ne permettant pas de procéder aux distinctions requises.

Le camouflage des faits

20. Selon nous, le demandeur adopte la même attitude insouciante à l’égard des faits.

21. Il n’y avait aucun problème entre les Serbes et l’administration politique et militaire de

Tudjman. La Croatie n’avait pas d’armée et elle n’a pas commis de crimes. Les milliers de Serbes

qui ont fui la Krajina avant et après l’opération Tempête l’ont fait à la demande des dirigeants

serbes. Toutes les attaques serbes étaient disproportionnées et chaque crime commis était motivé

par une intention génocidaire.

22. Cette opacité caractérise également l’estimation du nombre de civils qui auraient été tués
43
116
dans le conflit en Croatie, chiffré à 12 500 . J’en ai parlé ce matin et je ne me répéterai pas.

Qu’il suffise de dire qu’une telle attitude ne devrait pas pouvoir passer inaperçue.

23. Le demandeur aborde de la même façon les tristes événements de Vukovar. Il a écrit

dans sa requête introductive d’instance que 1700 personnes avaient été tuées à Vukovar, dont

117
1100 civils . Selon le mémoire, «2000 autres personnes [ont été] tuées après l’occupation de la
118
ville» .

24. Lorsque le juge Greenwood a demandé des éclaircissements sur ces questions , le 119

demandeur a répété les chiffres susmentionnés et ajouté :

«Voici quelques précisions quant aux chiffres concernant Vukovar. Les chiffres
les plus fiables dont nous disposons en ce qui concerne le nombre de personnes tuées
au cours du siège de la ville font état de 1100 à 1700 victimes, dont 4,70 % de civils
avant la quatrième phase. Il est difficile d’estimer avec précision le nombre de

personnes tuées pendant la quatrième phase. [Et c’est là l’important.] Dans les pièces

116
CR 2012/20, p. 34, par. 21 (Ní Ghrálaigh).
117Requête de la Croatie (Requête), p. 8, par. 17 ; aucune note de bas de page pour cette prétention.

118Mémoire de la Croatie (MC), par. 4.139 ; aucune note de bas de page pour cette prétention.
119
CR 2014/8, question du juge Greenwood, p. 59-60. - 39 -

de procédure, il est avancé que 2000 personnes ont été tuées une fois la ville tombée
120
aux mains des Serbes.»

25. Le chiffre de 2000 tués après l’occupation de la ville est effectivement cité dans le

mémoire du demandeur. Mais il n’est confirmé par aucune source ou autre élément de preuve.

Comme le montre l’examen des pièces de procédure du demandeur, tous ces chiffres ne sont

qu’assertions ou conjectures. Cela n’empêche pas le demandeur d’affirmer qu’il s’agit de faits.

26. Comme vient de l’expliquer M. Schabas, il en est de même du chiffre des

130 000 rapatriés en Croatie. M. Obradović abordera le sujet dans quelques instants.

27. La démarche du demandeur est sur ces questions totalement opposée à celle du

défendeur, qui ne cherche pas à écarter le droit, mais à le faire appliquer. Il s’est efforcé de faire

avancer la procédure en adoptant une position raisonnable à l’égard des faits, ne serait-ce qu’en

jugeant avec réalisme le Gouvernement serbe et celui de la Krajina en ces temps abominables. Le

défendeur n’a pas varié, même lorsque le demandeur sautait avec un plaisir non dissimulé sur tout

ce qu’il considérait comme une concession, comme c’est devenu la norme.

44 28. Comme le défendeur l’a fait valoir, cette attitude fragilise la cause du demandeur, mais il

ne faudrait pas qu’elle ait le même effet sur la demande reconventionnelle. Il serait regrettable

qu’on puisse impunément présenter et soutenir une plainte pour génocide sans se présenter devant

la Cour avec honnêteté ou, comme l’a si justement dit M. Zimmermann, avec les mains propres.

Comme l’a précédemment expliqué le défendeur, j’entends montrer en examinant les neuf points

de M. Sands qu’une telle initiative ne saurait rester sans conséquence.

29. Ainsi, lorsqu’elle affirme que le dépôt de la demande reconventionnelle n’était qu’une

manœuvre de diversion, peut-être la Croatie devrait-elle balayer devant sa propre porte. C’est le

demandeur, et non le défendeur, qui se complaît dans le mythe de la bonne conduite de chacun des

dirigeants et combattants croates pendant le conflit.

30. Malgré ce que nous avons tous entendu dans cette salle, Tudjman reste un héros et tout

est de la faute des Serbes. Avec tout le respect que je vous dois, conclure à l’existence d’un

génocide reviendrait à cautionner injustement cette chimère. C’est l’un des motifs du dépôt de la

demande reconventionnelle.

12CR 2014/12, p. 11 et 12 (Starmer) ; aucune note de bas de page pour cette prétention. - 40 -

31. Après l’examen de cette question préliminaire, voyons les neuf points de M. Sands.

Le cadre temporel

32. Premier point : le cadre temporel. La semaine dernière, le demandeur a essayé de

démontrer que la demande principale de la Croatie et la demande reconventionnelle de la Serbie

n’appartenaient pas au même «cadre factuel», en faisant valoir qu’il n’y avait pas de coïncidence

temporelle entre les deux procédures dans la mesure où «la plainte de la Croatie se finit en grande

partie avant même que commence celle de la Serbie» . 121

33. La Croatie se contredit à nouveau en essayant de nier le lien temporel. Dans sa requête

introductive d’instance, elle a reconnu l’étroitesse des liens entre les faits. Parallèlement, elle était

prête à reconnaître que l’opération Tempête faisait partie intégrante du conflit militaire global qui

122
s’est déroulé en Croatie à partir de 1991 .

34. Contrairement à ce qu’a dit le demandeur dans sa dernière plaidoirie, les faits ont un

45 cadre temporel commun. Ils s’inscrivent dans le même contexte historique et le même processus

politique global. Les actes qui sous-tendent la demande reconventionnelle de la Serbie ont été

commis au cours du même conflit armé qui a débuté à la mi-1991, pour culminer avec

l’opération Tempête en août 1995.

35. Ce n’est bien entendu pas la seule volte-face relevée par le défendeur dans la démarche

du demandeur à l’égard de l’administration de la procédure et du fond de la demande

reconventionnelle. Lorsque le demandeur a déposé sa requête introductive d’instance, le

2 juillet 1999, il était prêt à admettre que l’évacuation des Serbes de Krajina pendant

l’opération Tempête constituait, «au mépris de la convention sur le génocide … une deuxième

123
opération de «nettoyage ethnique»» . Certes, le demandeur s’est ensuite quelque peu rétracté,

mais cela n’en a pas moins été dit.

36. Bien entendu, à ce moment-là, la Croatie affirmait que c’était la Serbie qui avait chassé

son propre peuple du territoire croate. Après avoir sagement renoncé à cet aspect de la requête, le

demandeur a rapidement nié avoir fait cet aveu. Mais il convient de l’examiner de plus près.

121
CR 2014/19, p. 58, par. 8 (Sands).
12Requête, par. 2.
123
Requête, par. 2. Voir aussi MC, par. 1.03 à 1.06. - 41 -

37. Il a sans doute été fait de bonne foi, puisqu’il s’agit d’une déclaration contraire aux

intérêts de son auteur. Conformément à la position qu’elle a adoptée dans diverses affaires,

notamment l’affaire concernant la Bosnie-Herzégovine, nous invitons la Cour à examiner cette

déclaration et à en tenir compte. A l’inverse de ce qui s’est passé dans cette affaire, cette

déclaration n’est pas une déclaration politique ; elle visait à produire un «effet juridique», même si

le demandeur l’a désavouée. Elle contredit carrément tous les moyens invoqués par le demandeur à

l’encontre de la demande reconventionnelle , et révèle tout au moins en partie sa position sur le

bien-fondé de ses propres moyens et de ceux de la Serbie.

38. Elle jette certainement le doute sur la franchise du demandeur quand il tente de limiter la

portée de la demande reconventionnelle à une période de quatre jours seulement, suivie de

125
quelques actes ponctuels postérieurs confirmatoires de l’intention sous-jacente . Nous n’avons

bien sûr pas eu besoin de cette déclaration faite contre ses propres intérêts pour le savoir.

39. Ainsi que l’a expliqué le défendeur au premier tour, la troisième phase de

l’opération Tempête a certainement été la plus brutale. Dans l’affaire Gotovina, la chambre de

46 première instance a constaté que, pendant les mois qui l’ont suivie, les forces militaires et la police

spéciale croates ont continué à s’en prendre à la population civile.

40. S’il s’agit là pour le demandeur de «quelques actes ponctuels, dits confirmatoires», la

chambre de première instance, elle, y a vu «un grand nombre de meurtres, d’actes inhumains, de

traitements cruels et d’actes de destruction et de pillage commis contre les civils serbes de Krajina

126
pendant les mois d’août et de septembre 1995» . Dans ses longues observations sur le jugement

et l’arrêt rendus en l’affaire Gotovina, le demandeur n’a fourni aucune raison justifiant que ces

constatations soient écartées et aucune ne ressort raisonnablement de l’arrêt de la chambre d’appel.

41. Quoi qu’il en soit, le lien temporel est évident et le défendeur invite la Cour à examiner

l’ensemble de la période où se chevauchent les deux demandes sur ce plan, pour apprécier la

véritable intention des dirigeants croates.

124
Arrêt rendu en l’affaire concernant la Bosnie-Herzégovine, par. 378.
125CR 2014/19, p. 57-58, par. 6 et 7 (Sands).
126
Le Procureur c. Gotovina et consorts, jugement, par. 2307. - 42 -

42. La Croatie a commencé à planifier l’opération Tempête en 1992, ainsi qu’elle l’a

127
reconnu dans sa réplique , ce qui a été en partie confirmé par le général Bobetko, alors chef de

l’état-major principal croate, dans son ouvrage intitulé Tous mes combats : dès 1994 et jusqu’à

l’opération Tempête, les opérations avaient été menées selon un plan concerté dans le cadre duquel

«[t]outes les tâches avaient été définies dans les moindres détails» . 128

43. Dans sa déposition devant le TPIY, M. Galbraith a confirmé ce chevauchement dans le

temps : le plan visant à attaquer la Krajina avait été adopté par le président Tudjman en 1994, bien

129
avant l’opération Tempête .

44. Quant à la mise en pratique de la théorie génocidaire de Tudjman, l’escalade de

l’intention criminelle des dirigeants croates devient manifeste à l’examen des opérations qui ont

précédé l’opération Tempête, dès 1992, mais en particulier l’attaque de Maslenica en janvier 1993,

l’opération de la poche de Medak en septembre 1993 et l’opération Eclair en mai 1995.

47 45. La demande principale et la demande reconventionnelle renvoient à des phases

différentes du même conflit, où étaient engagés les mêmes groupes armés, sur le même territoire du

même Etat. Les prétentions formulées récemment par le demandeur sur ce point sont dépourvues

de fondement.

La portée géographique

46. Le deuxième point soulevé par le demandeur est celui des supposées différences dans la

portée géographique des demandes.

130
47. Selon la Croatie, sa demande porte sur «plus d’un tiers de son territoire» , tandis que

celle de la Serbie ne concerne qu’«une fraction … de la zone concernée par la demande de la

Croatie, ce qui explique sans nul doute pourquoi la Serbie a dû revoir sa position et admettre que

l’intention peut être établie même lorsque le nombre d’atteintes relevant de l’article II est peu

131
élevé» .

127
Requête, par. 11.56.
128CMS, p. 371, note de bas de page 1040.

129DS, p. 295, par. 680, citant Le Procureur c. Gotovina, déposition du témoin Peter Galbraith, compte rendu
d’audience, 23 juin 2008, p. 4921 et 4922.
130
CR 2014/19, p. 58, par. 10 (Sands).
131Ibid. - 43 -

48. Dans l’esprit du demandeur, tout est affaire de dimensions. Mais comme je l’ai expliqué

ce matin, ses prétentions n’aident pas sa cause. A propos de la portée géographique, il laisse

entendre que la Serbie jouissait d’une emprise territoriale absolue et que les possibilités de

destruction étaient optimales. Pourtant, le nombre des personnes tuées au cours des cinq années de

conflit est proportionnellement faible, même s’il reste trop élevé.

49. Cela dit, l’analyse du demandeur est juste lorsqu’il décrit l’efficacité du plan croate qui a

présidé au déplacement des civils sans défense habitant de vastes étendues du territoire croate et à

leur rassemblement dans des zones restreintes où la destruction pouvait être réalisée de manière

optimale.

50. L’opération Tempête a été lancée depuis quatre directions sur le même territoire.

L’attaque venue du nord visait Petrinja et Kostajnica. Celle venue du nord-ouest est partie de
e
Karlovci pour atteindre Vojnić. L’attaque venue de l’ouest, soutenue par le 5 corps de la

tristement célèbre armée musulmane bosniaque, est partie de Gospić vers Gračac, Udbine et les

lacs de Plitvica. Enfin, l’attaque venue du sud est partie du territoire de la Bosnie-Herzégovine et

132
de la Dalmatie pour atteindre la ville de Knin et les secteurs de Benkovac et d’Obrovac .

48 51. Il s’agissait d’un mouvement en tenailles qui poussait les civils vers une zone

géographiquement limitée, sans porte de sortie. Il ne fait aucun doute en l’occurrence que les

forces croates avaient planifié leurs manœuvres dans ce but.

52. Les chiffres fournis par Veritas et le CHC montrent le massacre qui, entre autres, est

résulté de cette opération de destruction. Selon le rapport Veritas, il a été confirmé que

133
1719 personnes avaient perdu la vie ou disparu . D’après le comité Helsinki de Croatie pour les

droits de l’homme (le «CHC»), «pendant l’opération Tempête et au cours des cent jours qui ont

134
suivi, 677 civils serbes ont été tués et manquaient à l’appel» . La Cour sait que le demandeur

132Voir carte n 9 ; par ailleurs, la police spéciale, placée sous le commandement de Mladen Markač, avait reçu
l’ordre de lancer une offensive à partir de la région du Velebit pour prendre le contrôle de la zone de

Mali Golić Sveti Rok Gračac, afin de couper la route reliant Gospić à Gračac, et de rejoindre les forces du district
militaire de Split ; voir TPIY, Le Procureur c. Gotovina et econsorts (IT-06-90), rapport d’expert de
M. Reynaud Theunens : Croatian Armed Forces and Operation Storm, 2 partie, p. 265.
133Cette liste est accessible au public : http://www.veritas.org.rs/wp-content/uploads/2014/02/Oluja-direktne-
zrtve-rev2014.pdf.

134Contre-mémoire de la Serbie (CMS), par. 1239, citant CHC, Military Operation Storm and its Aftermath,
Zagreb, 2001, p. 210 ; voir aussi Humanitarian Crisis Cell Sitrep, Compilation of Human Rights Reporting,
7 août-11 septembre 1995 ; annexe 55. - 44 -

s’appuie sur les motifs de la chambre de première instance saisie de l’affaire Gotovina, qui a

constaté «un grand nombre de meurtres, d’actes inhumains, de traitements cruels et d’actes de

destruction et de pillage commis contre les civils serbes de Krajina pendant les mois d’août et de

135
septembre 1995» .

53. Qui plus est, la rapporteuse spéciale de la commission des droits de l’homme a confirmé

que le personnel des Nations Unies avait découvert 120 cadavres portant les signes d’un même

modus operandi : une balle dans la nuque . Par ailleurs, comme le montrent les éléments de

preuve contenus dans notre contre-mémoire, au moins 430 Serbes demeurés dans les ZPNU des

secteurs sud et nord ont été assassinés . Plus précisément, les localités de Knin , Dvor , 138 139

Donji Lapac , et Korenica 141 ont été les malheureuses cibles de cette campagne meurtrière.

La Croatie n’a pas commenté ces éléments de preuve et n’a pas pu véritablement les réfuter.

54. Le demandeur a soigneusement évité de fournir à ce sujet des chiffres qui pourraient

aider la Cour et d’expliquer comment on avait pu laisser commettre ces massacres. Quoi qu’il en

49 soit, même au regard des chiffres les plus faibles, l’opération a été remarquablement efficace. Il

peut être malséant de comparer des crimes ou des événements tels que ceux qui nous occupent,

mais, sur la foi des chiffres les plus élevés, en cinq ans de guerre, plus de 6000 civils croates ont été

tués par les forces serbes. Au cours des trois mois de l’opération Tempête, selon les chiffres les

plus bas, les forces croates ont tué plus de 1000 civils.

55. Ces dernières avaient conçu l’opération Tempête pour qu’elle soit efficace, afin de

compenser leur manque de contrôle sur les territoires disputés. Après avoir résolu le problème en

enfermant les civils dans un espace géographique restreint, les forces croates ont utilisé au mieux

leur maîtrise du terrain pour réaliser leur plan génocidaire.

135Le Procureur c. Gotovina et consorts, jugement, par. 2307.
136
Rapport sur la situation relative aux droits de l’homme dans le territoire de l’ex-Yougoslavie présenté par
Mme Elisabeth Rehn, rapporteuse spéciale de la Commission des droits de l’homme, conformément à la
résolution 1995/89 de la commission et à la décision 1995/290 du conseil économique et social, 7 novembre 1995,
Nations Unies doc. S/1995/933, p. 9, par. 24 ; CHC, Military Operation Storm and its Aftermath, Zagreb, 2001, p. 46.

137CMS, par. 1258-1311.
138
Ibid., par. 1261-1283.
139
Ibid., par. 1302 et 1311.
140Ibid., par. 1286-1289.

141Ibid., par. 1293-1296. - 45 -

L’objectif des campagnes armées

56. Le demandeur voit ici un troisième point de divergence. Il a tout à fait raison. Ainsi que

le TPIY l’a constaté et que le défendeur en a fait état, nombreux et divers ont été les objectifs et

motivations à l’origine de la violence qui a balayé la Croatie avant l’opération Tempête. Mais

aucun de ces objectifs ne s’apparente à une quelconque idée de génocide. Aucun plan n’avait été

établi et ni le contexte ni les lignes de conduite observées ne corroborent cette allégation.

57. Le demandeur insiste sur le fait que l’opération Tempête était licite parce que la Croatie

142
l’aurait menée «dans le seul but de reconquérir son territoire souverain» . Or ce refrain perpétuel

renvoie à la question du mobile et non à celle de l’intention.

58. Tout aussi peu pertinentes, les autres raisons avancées par le demandeur se sont révélées

fausses. Une motivation majeure et pour le moins étonnante voudrait que l’opération Tempête ait

été une mission humanitaire destinée à permettre aux civils de Bihać d’échapper à un massacre et

d’éviter un afflux de réfugiés .143

59. Ainsi que l’a souligné M. Tudjman à Brioni, ce que le demandeur a systématiquement

refusé de reconnaître tout au long de la procédure, «je pense que notre principal objectif ne peut

plus se limiter à une percée vers Bihać. Cette percée n’est plus désormais qu’un problème

144
secondaire. Il nous faudrait maintenant trouver une sorte de prétexte à nos actions...»

50 60. Permettez-moi d’énoncer une évidence : on n’évite pas un afflux de réfugiés en

provoquant un afflux de réfugiés encore plus important.

L’identité des protagonistes

61. Venons-en maintenant au quatrième point de divergence énoncé par le demandeur :

l’identité des protagonistes. Depuis le début, le demandeur s’acharne à soutenir que, tout au long

de l’année 1991 et jusqu’à l’opération Tempête, la puissance des forces belligérantes était inégale.

M. Sands insiste pour dire qu’«il ne s’agissait pas, comme tente de le faire croire le défendeur en

déformant la réalité, d’un conflit armé classique entre deux armées de forces égales» . 145

142
CR 2014/19, p. 59, par. 11 (Sands).
143Réplique de la Croatie, par. 11.9.

144Procès-verbal de la réunion entre le président de la République de Croatie, M. Franjo Tudjman, et des
responsables de l’armée, le 31 juillet 1995 à Brioni (annexe 52, p. 1).
145
CR 2014/19, p. 60, par. 13 (Sands). - 46 -

62. Selon le demandeur, ce sont «ces faits déformés qui vous ont été présentés la semaine

dernière. L’argument avait été rejeté alors et devrait l’être à nouveau aujourd’hui.» 146

63. Ainsi que l’a montré ce matin le défendeur, le demandeur ferme les yeux sur un contexte

indéniable et, ce faisant, contourne les questions essentielles.

64. A titre d’exemple : en janvier 1993, au cours de l’attaque de Maslenica, 11 000 Serbes

ont été transférés, par la force . Durant l’attaque de la poche de Medak, 164 habitations et

148
148 granges ont été entièrement détruites . En mai 1995, au cours de l’opération Eclair,

12 000 Serbes au total ont été déplacés . 149

65. Même si l’on se détache un instant de tout scepticisme et que l’on reconnaisse aux crimes

un caractère plus ou moins fortuit, la thèse du demandeur n’explique pas qui a pris le dessus sur

l’armée de la RSK et qui porte la responsabilité des destructions causées.

51 66. Ni pourquoi le président Tudjman était si confiant, à Brioni, de ce que l’armée croate

serait en mesure «d’infliger de telles pertes que, dans les faits, ils [les Serbes] disparaîtront,

autrement dit, les secteurs que nous ne prendrons pas immédiatement devront capituler dans les

jours qui suivent» . 150

67. Ni pourquoi, à Brioni, le ministre Radić était si confiant dans la réussite du plan qu’il

avait prévu que la composition nationale serait ajustée et que l’harmonie tant attendue serait au

rendez-vous :

«J’en conclus donc que les zones rouges et bleues devraient rapidement, et en

priorité, être peuplés, autant que possible, par des Croates. Ces secteurs sont signalés,
notamment Zrinska Gora, dont je n’ai pas parlé jusqu’à maintenant, ainsi que des

secteurs tels que celui de Lapac et de Knin, c’est-à-dire dans l’arrière-pays et en

146
CR 2014/19, p. 60, par. 13 (Sands).
147
CMS, p. 356, par. 1125, renvoyant au cinquième rapport périodique sur la situation des droits de l’homme
dans le territoire de l’ex-Yougoslavie soumis par M. Tadeusz Mazowiecki, rapporteur spécial de la Commission des
droits de l’homme, en application du paragraphe 32 de la résolution 1993/7 de la Commission en date du 23 février 1993,
17 novembre 1993, Nations Unies, doc. E/CN.4/1994/47 (1993), par. 149.
148 os
CMS, p. 360, par. 1133, renvoyant à TPIY, Le Procureur c. Ademi et Norac, affaires n IT-01-46 et IT-04-76,
acte d’accusation consolidé.
149Information tirée du paragraphe 42 de la résolution 1995/89 de la Commission, 14 juillet 1995, Nations Unies,
doc. A/50/287-S/1995/575, par. 28–29.

150Procès-verbal de la réunion entre le président de la République de Croatie, M. Franjo Tudjman, et des
responsables de l’armée, le 31 juillet 1995 à Brioni (annexe 52, p. 2). - 47 -

Herzégovine, qui devraient constituer une priorité secondaire, et puis ce secteur
151
inoccupé en Lika, autant que possible...»

68. Si le demandeur vit dans le monde réel, alors il s’agit d’une réalité bien étrange.

L’existence d’une politique d’agression systématique

69. Venons-en à présent au cinquième point : la politique d’agression systématique. Je ne

réitérerai pas les propos du défendeur au sujet des lignes de conduite sous-jacentes à la demande

principale. Je me contenterai de répéter que les jugements et arrêts du TPIY et les éléments de

preuve ne provenant pas du TPIY ne corroborent l’existence d’aucune ligne de conduite dont on

pourrait déduire le génocide.

70. Le demandeur prétend que, au cours du premier tour de plaidoiries, le défendeur

«apparemment pour la première fois en l’espèce, ... a affirmé que la prétendue

campagne génocidaire de la Croatie s’était déroulée en trois phases ... ce qu’il n’a
[cependant] ... pu faire, c’est démontrer l’existence d’une telle ligne de conduite dans
les éléments de preuve présentés à la Cour, parce qu’elle n’existe pas» . 152

71. Or, une fois de plus, la Croatie refuse de se rendre à l’évidence. Alors que la demande

principale repose exclusivement sur des lignes de conduite, la demande reconventionnelle est

corroborée par l’existence d’un plan spécifique et de scénarios criminels et de dissimulation. Ainsi

que nous l’avons souligné ce matin, l’existence d’un plan représente une base solide pour

démontrer une intention, ce qui signifie que le défendeur pourrait être en mesure de prouver

l’existence d’une intention génocidaire à partir d’«un nombre relativement faible d’actes

génocidaires».

52 72. L’exécution du plan a entraîné des expulsions. Des témoins des Nations Unies ont

confirmé les répercussions psychologiques qu’avait eues le pilonnage. Ils ont confirmé que ce

153
pilonnage était intense et les avait contraints à se réfugier dans des casemates des Nations Unies .

Nombreux sont les témoins qui, au cours du procès Gotovina, ont confirmé ces faits . 154

73. Ce plan a mené à l’exécution d’une politique systématique de meurtre et de sévices.

151 Procès-verbal de la réunion entre le président de la République de Croatie, M. Franjo Tudjman, et des
responsables de l’armée, le 23 août 1995 à Zagreb ; p. 01325991, et 01325993-01325997 (annexe 53, p. 4-7).

152CR 2014/19, p. 61, par. 16 (Sands).
153 o
Le Procureur c. Gotovina et consorts, affaire n IT-060-90, déposition de John Geoffrey William Hill,
27 mai 2008, compte rendu d’audience, p. 3738.
154 Ibid., affaire n IT-060-90, déposition de Jovan Dopuđ, 8 juillet 2008, compte rendu d’audience,
p. 5981, 6000-6001. - 48 -

74. Ce plan a entraîné la mise en œuvre d’une stratégie de dissimulation dont le demandeur a

155
soigneusement évité de parler .

75. Même si le demandeur reconnaît lui-même que, plus tard, l’accès à la zone a été bloqué

quelque temps, il prétend que cette mesure a été prise «afin de prévenir des pertes dans les rangs

de l’ONURC dans le contexte des opérations militaires, et ensuite pour permettre le nettoyage du

terrain» . Or rien ne nous a été dit de ces opérations, rien qui soit susceptible d’expliquer qui

était visé par ce nettoyage, et pour quelles raisons. Les témoins des Nations Unies présents sur le

terrain ont accepté d’assumer la responsabilité de leur propre sûreté. Ils ont considéré que cette

dissimulation n’était pas légitime et, à défaut d’explications de la part du demandeur, la Cour

devrait être du même avis. Il s’agit là d’une stratégie de dissimulation dont on pourra tirer les

conclusions qui s’imposent. Je reviendrai sur ce point dans un moment.

76. Ce plan a entraîné l’application d’une politique de destruction délibérée dans les mois qui

ont suivi. M. Schabas vient d’évoquer certains des actes de destruction qui ont été décrits dans le

rapport de l’ECMM : 73 % des maisons serbes ont été incendiées et pillées dans les 243 villages

157
qui ont fait l’objet d’une enquête . C’est aux conclusions de cette même ECMM citées dans le

jugement Mrkšić que le demandeur accorde tant de poids. Dans le seul secteur sud,

17 270 maisons ont été détruites ou endommagées . 158

77. C’est pourquoi nous considérons qu’il est important de tirer les conclusions voulues de

cette stratégie de dissimulation. Si le gouvernement croate a pu enlever les cadavres, il n’a pas pu

53 masquer les incendies ni les dégâts causés. Il s’agissait là de la pointe émergée d’un plan massif et

sinistre. On imagine sans peine la folie dévastatrice qui a mené à ces destructions.

78. Enfin, ce plan a entraîné la mise en œuvre d’une politique visant à empêcher les Serbes

de Krajina de rentrer chez eux. Comme nous l’avons vu et comme l’a confirmé le ministre Radić à

Brioni, cela faisait partie du plan. La chambre de première instance saisie de l’affaire Gotavina a

155Le Procureur c. Gotovina et consorts, affaire n IT-060-90, déposition de Ton Minkuielien, 15 avril 2008,
compte rendu d’audience, p. 1501 (le témoin occupait un poste d’observateur des Nations Unies dans le secteur Sud).

156RC, p. 439, par. 11.107.
157
CMS, p. 423, par. 1325, renvoyant à «La situation dans les territoires occupés de la Croatie» : Rapport du
Secrétaire général, Nations Unies, doc. A/50/648, 18 octobre 1995, par. 33. Voir aussi, DS, p. 337, par. 773.
158
CMS, annexe 58, p. 127. - 49 -

jugé que, fait révélateur, Tudjman avait confirmé à Peter Galbraith que les Serbes de Krajina qui

159
avaient quitté la Croatie en août 1995 ne seraient pas autorisés à retourner chez eux .

79. Dès lors, comme tout un chacun peut le constater et contrairement aux dires de M. Sands,

les moyens de la Serbie ne reposent pas «sur deux faits particuliers seulement : les bombardements

aveugles et l’expulsion forcée» . Ils reposent sur l’existence de ce plan et de ces politiques.

Meurtres, violences graves et destructions

motivés par l’appartenance ethnique

80. J’en viens au sixième point du demandeur : les cas de meurtres, de violences graves et de

destructions motivés par l’appartenance ethnique. Le demandeur affirme qu’«il y a une énorme

différence entre les exemples de meurtres motivés par l’appartenance ethnique tels qu’ils sont

invoqués par chacune des parties» , puis ajoute que «[l]a demande principale de la Croatie repose

sur un grand nombre de cas distincts et séparés de meurtres, sévices, tortures et autres visant à

imposer des conditions de vie propres à entraîner la destruction du groupe ethnique croate» . 162

81. Pourtant, comme s’il prenait soudain conscience que cette assertion est infondée, le

demandeur se rabat sur l’allégation erronée selon laquelle «dans sa demande reconventionnelle, la

Serbie admet qu’on peut conclure au génocide en se fondant sur un nombre limité de faits, comme

ceux qu’elle allègue», et déclare que «la Serbie admet maintenant que des actes commis à l’échelle

de ceux établis par la Croatie dans les éléments de preuve qu’elle a présentés à la Cour, peuvent

constituer un génocide» . 163

82. Je ne compte pas répéter les arguments du défendeur sur ce point, mais la Croatie, une

fois de plus, fait abstraction de ce que signifie, du point de vue juridique, l’existence d’un plan,

ainsi que le rapport et la connexité de celui-ci avec l’écrasante majorité des cas de meurtre, de

sévices et de destruction de biens.

83. Par contraste, en l’absence d’un plan spécifique, la Croatie devait en faire davantage, et
54

elle ne l’a pas fait.

159
Le Procureur c. Gotovina et consorts, jugement, par. 1999-2000.
16CR 2014/19, p. 61, par. 19 (Sands).

16Ibid., par. 18 (Sands).
162
Ibid., p. 61-62 par. 18 (Sands).
16Ibid., p. 62, par. 18 (Sands). - 50 -

Les éléments de preuve testimoniale et documentaire

84. Je vais maintenant passer au septième point soulevé par le demandeur : la question des

éléments de preuve testimoniale et documentaire. Le demandeur prétend avoir présenté une grande

quantité d’éléments de preuve, notamment les déclarations de plus de 450 témoins qui «fournissent

des descriptions de première main des crimes commis par les forces serbes contre la population

croate» et dont la fiabilité aurait été confirmée par les constatations ultérieures du TPIY, ainsi que

par les dépositions de six témoins de la Croatie au cours du premier tour .164

85. Ainsi que l’a fait valoir le défendeur, à supposer que les éléments de preuve présentés par

le demandeur soient fiables et même si le TPIY en a donné acte, les conclusions de ce dernier

n’étayent pas la thèse du demandeur, comme le montre un examen rigoureux de celles-ci.

86. Comme l’a par ailleurs souligné le défendeur, en noyant la Cour sous une masse de faits

criminels, comme si la quantité pouvait faire oublier l’absence de contexte ou de ligne de conduite,

le demandeur a bafoué les exigences fondamentales en matière de procédure.

87. Ainsi que l’a montré l’explication fournie la semaine dernière par le demandeur en

réponse à la question posée par le juge Greenwood concernant l’admissibilité des déclarations en

165
question et comme l’a confirmé hier M. Obradović, une grande partie des éléments de preuve

présentés seraient inadmissibles devant les tribunaux croates. Et pourtant, le demandeur s’attend à

ce que la Cour les admette à l’appui des graves prétentions formulées en l’espèce.

88. De son côté, le défendeur s’appuie sur l’existence d’un plan, ainsi que sur des éléments

de preuve abondants et conformes aux règles applicables en matière de procédure, dont la fiabilité

peut être mise à l’épreuve. Le demandeur s’est vu offrir la possibilité de vérifier les témoignages

des membres du personnel des Nations Unies, ainsi que des principaux témoins présentés par le

défendeur. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, pourquoi le demandeur a-t-il

renoncé à cette confrontation ? Qu’a-t-il donc cherché à esquiver ?

55 89. La Croatie doit faire face au poids conjugué du rapport Veritas, compilé par le centre de

collecte de documents et d’information des Serbes de Krajina, et du rapport du comité Helsinki de

164
CR 2014/19, p. 62, par. 20 (Sands).
165CR 2014/20, p. 67 (Crnić-Grotić). - 51 -

166
Croatie pour les droits de l’homme , qui confirment tous deux que des massacres ont bel et bien

été perpétrés.

90. Ainsi que M. Schabas l’a souligné, le rapport du CHC n’a pas été entièrement discrédité

par le TPIY en tant que base pour la recherche des faits, et l’on ne saurait pas davantage écarter

167
aussi facilement le rapport Veritas en attaquant l’impartialité du directeur de cette organisation .

91. Contrairement à la démarche adoptée par le demandeur, les erreurs qu’on peut relever

168
dans les dates de naissance, les noms de pères de victimes, etc. , que contient le rapport du CHC,

où l’on trouve plusieurs centaines de points de données, ne constituent pas une «lacune

méthodologique». Le rapport du CHC est le fruit du travail considérable qu’a accompli cette

organisation non gouvernementale croate afin de consigner ce que le gouvernement cachait au

monde.

92. Quant au rapport Veritas, M. Schabas a déjà abordé le sujet, mais la présence de

quelques rares erreurs factuelles pour un total de 6119 victimes serbes, dont 2372 civils, ne permet

169
pas de l’écarter du revers de la main . Mettre en cause l’impartialité de son auteur sans la

moindre preuve ne permet pas non plus d’expliquer et encore moins de prouver l’existence de

«lacunes méthodologiques» . 170

93. Les travaux de cette importante ONG, Veritas, ont été salués au fil des ans par un grand

nombre d’acteurs internationaux tels que le Bureau de liaison des Nations Unies à Belgrade, le

171
bureau du procureur du TPIY ou encore le Comité international de la Croix-Rouge , et ces

louanges sont toujours d’actualité.

94. A l’évidence, le demandeur aurait pu aider l’une ou l’autre de ces organisations à se faire

une idée plus précise des faits, mais il s’est refusé à le faire. Force est donc de conclure que c’est

tout l’inverse qu’il souhaitait.

166RC, par. 1.9.

167CR 2014/19, p. 62-63, par. 21 (Sands).

168RC, par. 2.65.
169
CMS, annexe 66, p. 16 ; DS, par. 592 ; RC, par. 11.68.
170RC, par. 2.66-2.68.

171CMS, annexe 63. - 52 -

Les conclusions du TPIY

95. Venons-en maintenant au huitième point de divergence soulevé par le demandeur, qui

concerne les conclusions du TPIY. Comme nous l’avons démontré au cours des trois dernières

56 semaines, les jugements et arrêts rendus par le TPIY n’étayent pas la thèse du demandeur. Si le

défendeur doit composer avec la controverse liée à l’arrêt rendu en l’affaire Gotovina, le

demandeur doit, lui, composer avec le fait qu’aucun des jugements et arrêts du TPIY n’est de

nature, peu ou prou, à étayer ses prétentions.

96. Ces jugements et arrêts confirment que des combats licites ont eu lieu et que ces combats

ont donné lieu à des débordements, mais que les agissements constatés sont tels qu’ils ne sauraient

donner prise aux éléments de preuve provenant d’autres sources. La chambre de première instance

saisie de l’affaire Martić a posé cette question préalable et cruciale pour la thèse du demandeur, et

y a répondu par la négative. La similarité des éléments de preuve tirés d’autres sources par le

demandeur, à supposer qu’ils soient jugés fiables, constitue la preuve que le TPIY a vu juste.

L’intention de détruire

97. J’en viens enfin au neuvième point : l’intention de détruire. Le défendeur a exposé son

point de vue de façon très claire, c’est pourquoi je ne le répéterai pas ici. Il s’appuie non seulement

sur l’existence d’un plan, mais sur la réalité d’une opération concertée qui a chassé 200 000 civils

de chez eux, faisant en sorte qu’ils se retrouvent massés dans des colonnes qui allaient ensuite être

attaquées. Une fois les valides écartés, les forces croates ont pris pour cible et tué les personnes

âgées ou vulnérables. La destruction était la conséquence voulue du plan.

98. A l’inverse, le demandeur n’est pas parvenu à expliquer comment une quelconque

intention génocidaire pourrait être déduite des conclusions du TPIY qui ne corroborent d’aucune

façon cette théorie ou d’agissements criminels qui ne s’apparentent pas le moins du monde à

l’intention requise.

99. Ainsi que je l’ai évoqué au début du présent exposé, le demandeur se réfugie dans le déni

et l’opacité pour appuyer sa propre thèse et saper la demande reconventionnelle.

100. Et la position opaque du demandeur à l’égard de la demande reconventionnelle ne

devrait pas rester sans conséquence sur le plan juridique. - 53 -

101. Comme nous l’avons précédemment fait valoir, le défendeur reconnaît que, en règle

générale, il doit être établi que les crimes mentionnés à l’article II de la Convention sur le génocide
172
ont été commis avec l’intention nécessaire ; cependant, ainsi que la Cour l’a dit en l’affaire

57 concernant le Congo, l’«établissement de la charge de la preuve dépend, en réalité, de l’objet et de

173
la nature de chaque différend soumis» .

102. Comme il a été souligné, la règle de la charge de la preuve doit s’appliquer avec

174
«souplesse» lorsque la partie adverse est «mieux à même d’établir certains faits» .

103. C’est en effet ce que le demandeur a prôné dans la réplique, sans toutefois mettre

lui-même ce principe en application :

«Si en règle générale, il incombe à la partie qui avance un fait de l’établir, la
partie adverse a également des obligations en ce qui concerne la preuve de cette

allégation. Elle devrait en effet coopérer en vue de présenter au tribunal tous les
éléments de preuve pertinents. Ce faisant, les deux parties aident la Cour à établir la
vérité.»175

104. Dans ces conditions, ainsi que je l’ai évoqué il y a quelques instants, le défendeur est en

mesure de s’appuyer sur une ligne de conduite supplémentaire pour établir la preuve de l’intention :

le refus systématique d’apporter les réponses ou les informations susceptibles d’aider la Cour à

appréhender l’ampleur réelle des attaques portées contre des civils au cours des deuxième et

troisième phases de l’opération Tempête.

105. Le défendeur estime que le demandeur ne peut pas ignorer l’ampleur exacte des

destructions causées par les forces croates et par ceux qui se trouvaient sous leur direction et leur

contrôle. A la suite de l’opération Tempête, la Croatie a bloqué l’accès à son territoire et s’est

dissimulée à la vue de la Communauté internationale pendant quelque temps. Elle doit forcément

connaître le nombre de cadavres qui ont été trouvés, le nombre de civils qui ont été attaqués et

blessés, l’ampleur des incendies, des destructions et des pillages. Elle a choisi de ne pas apporter

son aide.

172
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 437, par. 101.
173 Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 660, par. 54.

174Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), indemnisation, arrêt,
C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 332, par. 15.
175
RC, p. 40, par. 2.81. - 54 -

106. Nous sommes d’avis que, dans l’intérêt de l’utilité et de la légitimité de la convention,

une telle attitude ne devrait pas rester sans conséquence sur le plan juridique, ne serait-ce que pour

éviter d’inciter les génocidaires en puissance à se soustraire à leur responsabilité en bouclant

l’accès à leur territoire, en masquant leur crime.

107. La Cour devrait tirer les conclusions qui s’imposent à l’encontre du demandeur.

Il serait injuste que la demande principale réussisse parce que le défendeur s’est donné la peine

d’enquêter sur les morts et les blessés. Il serait injuste que la demande reconventionnelle soit

rejetée du fait que seul le responsable des crimes a eu accès à la scène sur laquelle ceux-ci ont été

58 commis. L’application de la Convention sur le génocide et la détection des violations des

obligations qui en découlent ne sauraient être laissées à l’ingéniosité de l’Etat en cause.

En conclusion, c’est à la Cour qu’il revient de statuer sur la valeur de l’examen comparatif proposé

par le demandeur. Toutefois, si l’efficacité et le calcul constituent des indicateurs de l’existence

d’un plan génocidaire, alors il ne devrait subsister aucun doute en ce qui concerne

l’opération Tempête. Nous exhortons la Cour à rejeter la proposition qui ferait de la demande

reconventionnelle une diversion, et à la considérer pour ce qu’elle démontre : l’existence d’une

campagne de nettoyage ethnique qui a été menée à bien et a eu la destruction pour conséquence

directe. Ainsi que la carte présentée par M. Schabas l’a montré, Tudjman est parvenu à l’harmonie

de la composition ethnique, et les Serbes de Krajina ont payé cette harmonie au prix fort.

108. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous remercie du temps

que vous m’avez accordé. Avec la permission de la Cour, M. Obradović aimerait conclure.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Jordash. J’appelle M. Obradović, en sa

qualité d’agent, et l’invite à présenter ses observations finales et, en particulier, ses conclusions

finales. Monsieur Obradović, vous avez la parole. - 55 -

M. OBRADOVIĆ :

R EMARQUES DE CONCLUSION

1. Monsieur le président, nous voici presque parvenus au terme d’une procédure qui aura été

longue, mais importante. Comme je l’ai dit en conclusion de notre premier tour, ce n’est pas nous

qui avons choisi d’ester devant la Cour, mais nous sommes venus à la barre, et nous avons présenté

une demande reconventionnelle solide, fondée sur les atrocités bien documentées commises par le

Gouvernement croate sous la houlette de son président, Franjo Tudjman, le cerveau de l’opération

criminelle Tempête. Mesdames et Messieurs de la Cour, au cours de ces audiences, on a tout dit,

ou presque, sur les atrocités commises et les deux demandes juridiques auxquelles elles ont donné

lieu. Si vous me le permettez, je voudrais éviter une conclusion classique, préférant dédier aux

victimes ces quelques remarques de conclusion. Mon travail sur ce dossier aura été

particulièrement difficile en raison de la terrible tragédie qui nous a frappés, et qui va au-delà de

ces questions juridiques — un sentiment que partagent les membres de notre équipe.

2. J’aimerais vous renvoyer à une brève interview, parue sur le site Internet de la télévision

nationale serbe. L’une des jeunes personnes interrogées, dont vous voyez la photo s’afficher à

l’écran, s’appelle Aleksandra Stjelja. Elle a aujourd’hui 22 ans. Lorsqu’elle en avait 3, le

59 7 août 1995, son père et son grand-père ont trouvé la mort dans le bombardement du convoi de

176
réfugiés . Elle-même, son frère et sa mère, alors enceinte, ont été blessés au cours de cette même

attaque par des éclats d’obus. Sa mère est morte en couche, la même année. Aleksandra vit

aujourd’hui en Serbie, dans la famille de son oncle. Elle se souvient encore de l’avion croate

passant au-dessus du convoi. Avant le mois d’août 2013, le conseil de la Croatie aurait

probablement soutenu qu’il s’agissait d’un aéronef de l’armée serbe de Bosnie . Mais en août

dernier, je vous ai soumis l’article de M. Mario Werhas, qui dressait la liste des attaques menées

178
par des forces aériennes croates dans le cadre de l’opération Tempête . La lettre que l’agent de la

176
DS, annexe 65 et 66 ; Gotovina et consorts, déposition de témoin 56, 23 mai 2008, compte rendu d’audience,
p. 3547 ; exposé du témoin-expert Savo Štrbac (6.6.2)
177Voir RC, par. 11.87 et PAC, par. 3.69.
178
Voir ma lettre du 8 août 2013, à laquelle était joint l’article de M. Werhas intitulé «Opération Tempête :
manœuvre des forces aériennes croates», Revue d’histoire militaire, Zagreb, août 2012. - 56 -

Croatie a envoyée à la Cour le 10 septembre 2013 a enfin confirmé que l’opération qui a brisé la

famille d’Aleksandra était le fait des forces croates.

3. En 2002, Aleksandra Stjelja a cherché à retrouver les restes de son père. En 2014, elle et

d’autres réfugiés qui se trouvaient dans ces convois sont déçus : ils ont perdu foi en la justice, et

n’attendent pas grand-chose des cours et tribunaux. Pour eux, l’affaire Gotovina, jugée par le

TPIY, illustre l’échec de la justice internationale .179

4. Mais ce n’est là qu’un exemple tragique parmi bien d’autres. Je me souviens parfaitement

de cette scène tirée du documentaire intitulé «Tempête sur la Krajina» , où l’on voit une jeune

femme pleurer au bord de la route, à côté d’un tracteur. Un journaliste lui demande qui est

responsable de ces souffrances. Elle répond : «Les politiciens. Ont-ils jamais songé que cela

pourrait arriver à leurs enfants ?» Et de désigner du doigt sa petite fille, sur la remorque du

tracteur.

5. Mesdames et Messieurs de la Cour, les enfants des hommes politiques qui dirigeaient

l’ex-Yougoslavie dans les années 1990 ne figuraient pas parmi les réfugiés. Ils jouissaient des

avantages que leurs parents leur procuraient dans le cadre d’un pouvoir corrompu. Cette affaire

devrait résonner pour tous, hommes politiques et peuples, comme une mise en garde contre les

tragiques conséquences qu’il y a à suivre des dictateurs et à adhérer aux idées prônées par les

nationalistes extrémistes. Il va sans dire que nombre de mères croates ont versé des larmes non

moins amères que celles de cette femme serbe.

181
60 6. Voilà qui me mène à la question du juge Cançado Trindade, sur les personnes disparues ,

ces autres victimes de notre histoire tragique commune. Les informations que j’ai soumises à la

182
Cour le 10 mars dernier correspondaient à la mise à jour que j’avais reçue de la commission

serbe chargée des personnes disparues en février 2014. Entretemps, ce rapport a été traduit et versé

o
au dossier de plaidoiries, sous l’onglet n 2. La liste des personnes disparues sur le territoire de la

Croatie établie par la Serbie, qui comporte à ce jour 1748 noms, a aussi été soumise, en deux

179Cf. http://files.sntatic.fi/HS/2013/4/jugoslavia/en.html.

180Božidar Knežević, Tempête sur la Krajina, documentaire ; le dialogue cité peut être consulté à la page
suivante : http://www.youtube.com/watch ?v=lulcmlIIDC0.
181
CR 2014/18, p. 69.
182
CR 2014/13, p. 15, par. 16 (Obradović). - 57 -

exemplaires l’un pour la Cour, l’autre pour le demandeur. Nous ne la considérons pas comme

une pièce éclairant les crimes commis ou la responsabilité étatique à cet égard nous nous

référons à la liste des victimes directes de l’opération Tempête établie par l’organisation Veritas.

Cette liste-ci doit simplement nous permettre de répondre de manière exhaustive à la question du

juge Cançado Trindade, qui sollicitait des informations officielles qui fussent à jour.

7. Comme vous avez pu vous en rendre en compte en écoutant l’exposé de l’agent de la

183
Croatie , retrouver la trace des personnes disparues n’est pas seulement une question d’initiative,

mais relève du long et complexe processus de coopération que mènent les deux Parties sur la base

de l’accord bilatéral de coopération qu’elles ont conclu en vue de localiser les personnes disparues

184
en 1995 et du protocole de coopération entre les deux commissions d’Etat de 1996 . Si des

progrès notables ont déjà été réalisés, il ressort clairement de l’exposé de Mme l’agent, ainsi que du

rapport que nous avons-nous-même établi et que vous trouverez ici dans vos dossier de plaidoiries,

qu’aucune des Parties n’est satisfaite des efforts et activités de l’autre. Ainsi, M. Crnić-Grotić a

évoqué le cas de Sotin, en 2013, affirmant que c’était la seule fois où la Partie serbe avait aidé à

mettre au jour un charnier. Mais le cas de Sotin impliquait la coopération du bureau du procureur

serbe chargé des crimes de guerre qui a conduit l’auteur du crime en Croatie. Non sans quelque

difficulté, celui-ci a fini par retrouver l’endroit où avait été dissimulé le charnier, et l’exhumation a

pu commencer. Or, il n’est pas aisé de garantir que les auteurs de crimes aussi notoires

manifesteront toujours un tel niveau de coopération.

8. Par ailleurs, l’agent de la Croatie a indiqué que, sur 394 dépouilles exhumées en Serbie,

«103 seulement» avaient été remises à la Croatie. Je voudrais préciser que c’est parce que

61 103 profils ADN seulement correspondaient aux échantillons d’ADN des Croates disparus. Il va

de soi que l’ensemble des profils ADN disponibles ont dûment été remis aux autorités croates.

9. Enfin, l’agent de la Croatie a déploré que la commission serbe chargée des personnes

disparues prétende agir en tant que représentante de toutes les personnes de souche serbe portées

disparues, «y compris celles qui étaient des citoyens croates» . Pourtant, cela semble toujours

183
CR 2014/21, p. 37, par. 9 (Crnić-Grotić).
18Exceptions préliminaires de la Serbie (EPS) ; annexe 53, p. 367.

18CR 2014/21, p. 37, par. 10 (Crnić-Grotić). - 58 -

nécessaire, puisque les représentants de la Croatie se présentent devant la Cour en dénombrant
186
865 Croates toujours portés disparus au début de ces audiences . Or, dans la liste des disparus

que nous avons reçue la semaine dernière de la Croatie, le nombre de personnes disparues était

de 1868. Qui sont ces autres personnes nommées sur la liste ? Des Serbes de Croatie ? Il

semblerait que oui, d’après leur patronyme. Qui représentera cet autre millier de personnes, si

l’agent de la Croatie ne dit rien de leur sort devant la Cour des Nations Unies ? Et comment ajouter

foi aux bonnes intentions du Gouvernement croate s’agissant de ces disparus qu’il a oubliés ?

Enfin, qui les a tués ? Le Gouvernement croate ?

10. Néanmoins, je voudrais vous assurer, Mesdames et Messieurs de la Cour, que le

Gouvernement de la Serbie est pleinement conscient de ce qui est attendu de lui dans le cadre de ce

processus, où il s’agit de retrouver la trace des personnes disparues, indépendamment de leur

origine ethnique ou de leur nationalité. L’intérêt des familles de ces personnes est un intérêt

commun à la Serbie et à la Croatie. C’est aussi un intérêt commun à l’humanité toute entière, et la

République de Serbie aura à cœur de mener à bien cette tâche qui lui incombe.

11. Voilà qui me mène à la fin de nos plaidoiries et au coup de grâce porté à la

pseudo-requête de la Croatie. Cette défaite sera-t-elle la «défaite utile» que l’agent de la Croatie

187
appelait de ses vœux en 2007 ? Bien sûr, cela dépendra de la Cour, mais aussi de ceux qui liront

les comptes rendus des présentes audiences. J’espère que, ce faisant, ils sauront faire la distinction

entre la rhétorique et la qualité des éléments de preuve versés au dossier. Reste à savoir comment

les générations futures interpréteront le fait que les témoins sur les déclarations desquels s’est

fondée la Serbie sont toujours désignés par leur nom complet, tandis que ceux dont la déclaration

est invoquée par la Croatie demeurent anonymes ! A charge pour la Cour de le justifier.

12. Monsieur le président, permettez-moi à présent de donner lecture de nos conclusions
62

finales, au nom de la République de la Serbie.

186 CR 2014/6, p. 45, par. 13 (Špero) ; CR 2014/5, p. 18, par. 6 (Crnić-Grotić) ; CR 2014/20, p. 15, par. 10
(Sands) ; CR 2014/20, p. 35, par. 24 (Ní Ghrálaigh).

187Duplique de la Serbie (DS), par. 17. - 59 -

C ONCLUSIONS

Sur la base des faits et moyens de droit présentés dans ses pièces de procédure écrite et dans

ses plaidoiries, la République de Serbie prie respectueusement la Cour internationale de Justice de

dire et juger :

I

1. Qu’elle n’a pas compétence pour connaître des demandes exposées aux alinéas a), b), c), d)

et e) du paragraphe 2 et aux alinéas a), b), c) et d) du paragraphe 3 des conclusions de la

République de Croatie, en ce qu’elles se rapportent à des actes et des omissions, quelle qu’en

soit la qualification juridique, qui sont antérieurs au 27 avril 1992, date à laquelle la Serbie a vu

le jour en tant qu’Etat et est devenue partie à la Convention sur le génocide.

2. A titre subsidiaire, que les demandes exposées aux alinéas a), b), c), d) et e) du paragraphe 2 et

aux alinéas a), b), c) et d) du paragraphe 3 des conclusions de la République de Croatie sont

irrecevables en ce qu’elles se rapportent à des actes et des omissions, quelle qu’en soit la

qualification juridique, qui sont antérieurs au 27 avril 1992, date à laquelle la Serbie a vu le jour

en tant qu’Etat et est devenue partie à la Convention sur le génocide.

3. Que les demandes exposées aux alinéas a), b), c), d) et e) du paragraphe 2 et aux alinéas a), b),

c) et d) du paragraphe 3 des conclusions de la République de Croatie concernant la prétendue

violation, après le 27 avril 1992, d’obligations imposées par la Convention pour la prévention et

la répression du crime de génocide sont rejetées au motif qu’elles sont dépourvues de tout

fondement, en droit comme en fait.

4. A titre plus subsidiaire, que les demandes exposées aux alinéas a), b), c), d) et e) du

paragraphe 2 et aux alinéas a), b), c) et d) du paragraphe 3 des conclusions de la République de

Croatie sont irrecevables en ce qu’elles se rapportent à des actes et des omissions, quelle qu’en

soit la qualification juridique, qui sont antérieurs au 8 octobre 1991, date à laquelle la Croatie a

vu le jour en tant qu’Etat et est devenue partie à la Convention sur le génocide.

5. A titre plus subsidiaire encore, si elle devait conclure, selon le cas, qu’elle a compétence pour

connaître des demandes relatives aux actes et omissions antérieurs au 27 avril 1992 et qu’elles

sont recevables, ou qu’elles sont recevables en ce qu’elles se rapportent à des actes et omissions - 60 -

63 antérieurs au 8 octobre 1991, que les demandes exposées aux alinéas a), b), c), d) et e) du

paragraphe 2 et aux alinéas a), b), c) et d) du paragraphe 3 des conclusions de la République de

Croatie sont rejetées dans leur intégralité au motif qu’elles sont dépourvues de tout fondement,

en droit comme en fait.

II

6. Que la République de Croatie a violé les obligations que lui impose l’article II de la Convention

pour la prévention et la répression du crime de génocide en commettant, pendant et après

l’opération Tempête de 1995, les actes ci-après, dans l’intention de détruire le groupe national

et ethnique serbe vivant en Croatie, principalement dans la région de la Krajina, comme tel :

meurtre de membres du groupe ;

atteintes graves à l’intégrité physique et mentale de membres du groupe ; et

soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa

destruction physique partielle.

7. A titre subsidiaire, que la République de Croatie a violé les obligations que lui imposent les

alinéas b), c), d) et e) de l’article III de la Convention pour la prévention et la répression du

crime de génocide en se rendant coupable d’entente en vue de commettre le génocide,

d’incitation directe et publique à commettre le génocide, de tentative de génocide et de

complicité dans le génocide contre le groupe national et ethnique serbe vivant en Croatie,

principalement dans la région de la Krajina, comme tel.

8. A titre complémentaire, que la République de Croatie a violé les obligations que lui impose la

Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide en ce qu’elle a manqué et

continue de manquer à son obligation de punir les actes de génocide commis à l’encontre du

groupe national et ethnique serbe vivant en Croatie, principalement dans la région de la Krajina,

comme tel.

9. Que les violations du droit international mentionnées aux paragraphes 6, 7 et 8 des présentes

conclusions constituent des faits illicites imputables à la République de Croatie et engageant sa

responsabilité internationale et que, en conséquence, il lui incombe : - 61 -

1) de prendre immédiatement des mesures effectives pour se conformer pleinement à

l’obligation de punir les actes de génocide visés à l’article II de la Convention ainsi que

tous autres actes énumérés à l’article III de la Convention et commis sur son territoire

pendant et après l’opération Tempête ;

64 2) de modifier sa législation sur les jours fériés, les jours de commémoration et les jours

chômés en retirant de la liste de ses jours fériés officiels le «Jour de la victoire et de la

gratitude envers la nation» et le «Jour des défenseurs croates», célébrés le 5 août pour

marquer le triomphe de l’opération génocidaire Tempête ; et

3) de réparer les conséquences des faits internationalement illicites qui lui sont imputables,

notamment :

a) d’indemniser pleinement les membres du groupe national et ethnique serbe sur son
territoire de l’ensemble des dommages et pertes causés par les actes de génocide,
selon le montant et les modalités à déterminer par la Cour lors d’une phase ultérieure
de la procédure ; et

b) de mettre en place toutes les conditions juridiques nécessaires ainsi qu’un
environnement sûr pour permettre aux membres du groupe national et ethnique serbe

de revenir librement et en toute sécurité dans leurs foyers en République de Croatie et
leur assurer des conditions d’existence normales et paisibles, et notamment le plein
respect de leurs droits en tant que citoyens et en tant qu’êtres humains.

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous sais gré de votre aimable

attention. Je voudrais adresser au Greffe mes sincères remerciements pour l’excellente

organisation de ces audiences, et remercier aussi nos éminents collègues de la délégation croate.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Obradović. La Cour prend acte des

conclusions finales de la Serbie, que vous venez de lire en son nom, tant sur les demandes au

principal de la Croatie que sur ses demandes reconventionnelles. La Cour se réunira de nouveau
er
mardi 1 avril 2014, de 10 heures à 11 h 30, pour entendre la réponse de la Croatie sur les

demandes reconventionnelles de la Serbie. Je vous remercie.

L’audience est levée.

L’audience est levée à 17 h 40.

___________

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