Traduction
Translation
CR 2015/17
er
Vendredi 1 mai 2015 à 15 heures
Friday 1 May 2015 at 3 p.m. - 2 -
10 The PRESIDENT: Please be seated. The sitting is open. The Court meets today to hear
Costa Rica’s second round of oral argument in the case concerning Construction of a Road in
Costa Rica along the San Juan River (Nicaragua v. Costa Rica).
Judge Donoghue, for reasons she has duly made known to me, is unable to be present on the
Bench today.
I now give the floor to Mr. Wordsworth for Costa Rica. You have the floor, Sir.
M. WORDSWORTH :
L’ABSENCE DE DOMMAGES IMPORTANTS ET DE RISQUE QUE DES DOMMAGES
IMPORTANTS SOIENT CAUSÉS AU FLEUVE SAN JUAN
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, la Cour aura bien noté le fait
que, hier, l’équipe nicaraguayenne a, sans trop de subtilité, changé son fusil d’épaule et qu’elle
insiste à présent beaucoup sur les allégations d’absence d’évaluation de l’impact de la route sur
l’environnement et la nécessité d’en effectuer une pour les travaux de construction à venir.
2. Il subsiste cependant toujours un argument sur les dommages importants effectivement
causés par la construction de la route et je vais y répondre, ainsi qu’à ce qui a été dit au sujet de
l’existence d’un risque que des dommages importants soient causés, laquelle constitue bien entendu
une condition essentielle pour qu’entre en jeu l’obligation d’effectuer une évaluation de l’impact
transfrontière sur l’environnement.
3. L’argumentation que je vais développer se résume comme suit :
4. Premièrement, le Nicaragua n’a pas démontré l’existence d’un impact perceptible, encore
moins de dommages importants.
5. Deuxièmement, le Nicaragua cherche à éluder le fait qu’il ne dispose d’aucune donnée
empirique attestant l’existence de dommages importants, ou même d’impact, en dénaturant
l’objectif que rempliraient les données et mesures relatives aux concentrations de sédiments dans le
fleuve, qui brillent par leur absence.
6. Troisièmement, il n’existe pas de donnée empirique attestant que la construction de la
route a entraîné le dépôt dans la zone du point Delta de sédiments qui en sont ensuite extraits par - 3 -
dragage, et l’opinion exprimée par M. Thorne selon laquelle aucun sédiment grossier lié à la route
n’atteint même le San Juan inférieur a été présentée sous un faux jour.
11 7. Quatrièmement, l’estimation par M. Thorne de la quantité de sédiments due à la route est
prudente et doit être préférée à celle de M. Kondolf, qui ne s’est même pas rendu sur les lieux.
8. Enfin, si l’argumentation du Nicaragua en ce qui concerne l’impact de la route sur les
espèces aquatiques est devenue moins virulente le Nicaragua faisant à présent état d’un risque
de dommages et non plus de dommages effectifs , elle souffre néanmoins toujours de la même
faiblesse, à savoir qu’elle est fondée sur des généralités et des éléments avancés par des conseils et
non sur des études et mesures effectuées sur le terrain par des experts.
9. Je traiterai tour à tour chacun de ces points, qui vont cependant tous dans le même sens : le
Nicaragua ne dispose d’aucune donnée ou étude prouvant qu’il existe des dommages importants ou
même un risque de dommages.
A. L’absence de dommages importants et d’impact perceptible
1
10. Premièrement, à propos du commentaire de la CDI , il a été dit, apparemment avec le
plus grand sérieux, qu’il suffisait que le dommage «[puisse] être mesuré» et que ce critère était
rempli puisque la quantité de sédiments due à la route qui se déversait dans le San Juan avait été
mesurée, ou du moins, estimée . 2
11. Mais cet argument est loin de répondre au moyen de défense avancé d’emblée par le
Costa Rica et il apporte encore moins la preuve de dommages importants, qui est à la charge du
Nicaragua. Celui-ci doit en effet démontrer que des sédiments dus à la route i) causent des
dommages qui ii) sont importants. Or il n’a démontré ni l’un ni l’autre, et il n’obtiendra rien en
affirmant que nul ne conteste le déversement d’une certaine quantité de sédiments dans le fleuve . 3
12. Le fait est, tout simplement et le Nicaragua n’a rien à répondre à cela , que la
quantité de sédiments déversée dans le fleuve du fait de la construction de la route est négligeable
comparée à celle qui y est déjà présente, si bien que le Nicaragua est dans l’incapacité de désigner
1 Projet d’articles sur la prévention des dommages transfrontières résultant d’activités dangereuses, commentaire
relatif à l’article 2, par. 4, Annuaire de la Commission du droit international (ACDI), 2001, vol. II, 2 partie, p. 152,
dossier de plaidoiries, onglet n 2.
2 CR 2015/16, p. 23, par. 19-22 (Reichler).
3
Ibid., p. 27, par. 31-32 (Reichler). - 4 -
la moindre forme de dommage causé au fleuve, encore moins de dommage important. Et il en va
de même en ce qui concerne le risque de dommages importants. Comme je l’ai dit au début, les
sédiments dus à la route ne représentent qu’une infime fraction de la charge sédimentaire annuelle
12 totale du fleuve San Juan : 0,6 % d’après les chiffres du Costa Rica, de l’ordre de 1 à 2 % d’après
ceux du Nicaragua . Hier, M. Reichler n’a rien trouvé d’autre à répondre que «[p]eut-être bien,
5
mais cela n’a aucune pertinence» . Pourtant, ces chiffres sont d’une pertinence essentielle lorsqu’il
s’agit de déterminer s’il existe ou pourrait exister le moindre dommage important, d’autant plus
6
dans une affaire où il n’est pas suggéré qu’un point de non-retour a été atteint .
13. Pour citer M. Thorne, dont le Nicaragua a souvent reconnu la fiabilité à l’égard des
question de géomorphologie et d’impact sur l’environnement du fleuve San Juan :
«La route n’a pas d’impact significatif sur le transport sédimentaire dans le
Río San Juan car la quantité de sédiments supplémentaires provenant de la route est
toute petite comparée à la charge sédimentaire élevée déjà charriée par le fleuve avant
la construction de la route. De même, la charge supplémentaire provenant de la route
est indiscernable à cause de la grande variation saisonnière et interannuelle des
charges sédimentaires provenant d’autres sources, et de la complexité des processus de
transport sédimentaire.» 7
14. Or, que vous propose le Nicaragua face à cet avis d’expert ? Rien. Aucune donnée,
aucun prélèvement, aucun impact relevé sur une quelconque forme de faune ou de flore aquatique
dans le fleuve. Mon ami M. Reichler mérite peut-être d’être loué pour l’ingéniosité dont il a fait
preuve en cherchant à combler ce vide au moyen d’une animation montrant un seau de sable que
l’on déverse dans un récipient rempli d’eau , mais tout ce que de telles projections mettent en
évidence, c’est l’absence totale d’éléments de preuve ; en aucun cas, bien entendu, elles ne
démontrent que les sédiments dus à la route causent ou même risquent de causer des dommages
importants. De fait, en ce vendredi après-midi, je ne puis que tirer mon chapeau à M. Reichler, car
4DCR, par. 2.64-2.65, faisant référence au rapport de M. Thorne, «Evaluation de l’impact sur le fleuve San Juan
de la construction de la route frontalière au Costa Rica : rapport en réponse», février 2015 ; DCR, appendice A, p. 62,
par. 4.93 et 4.94 ; voir également, dans l’affaire relative à la Route, exposé écrit de M. Thorne, mars 2015, par. 3.21 c)
et 3.23 et, dans cette même affaire, exposé écrit de M. Kondolf, 16 mars 2015, par. 22 et tableau, p. 8.
5CR 2015/16, p. 25, par. 27 (Reichler).
6CR 2015/9, p. 32 (Andrews et Wordsworth).
7
Affaire relative à la Route, exposé écrit de M. Thorne, mars 2015, par. 7.1 b), les italiques sont de nous ; voir
également Colin Thorne, «Evaluation de l’impact sur le fleuve San Juan de la construction de la route frontalière au
Costa Rica : rapport en réponse», février 2015 ; DCR, appendice A, par. 7.1 b).
8CR 2015/16, p. 28, par. 34-35 (Reichler). - 5 -
il semble déjà assez difficile de donner une réalité concrète à ces faits sans se heurter en plus au
léger inconvénient de devoir développer une argumentation sur des dommages importants en ne
disposant, il faut bien le dire, d’absolument aucune preuve pour en démontrer l’existence.
15. M. Reichler a également semblé insinuer qu’il suffisait de démontrer que les dommages
en question pouvaient théoriquement être mesurés, déclarant ceci : «Ce qui importe, au regard de la
définition de la CDI, ce n’est pas la valeur chiffrée exacte du volume de sédiments, mais la
9
13 question de savoir si celui-ci peut être mesuré.» Voilà une allégation bien confuse. Le
commentaire de la CDI, qui ne saurait être considéré que comme une référence utile et non comme
l’expression d’une norme, indique que pour être important ou «significatif» [«significant»], le
dommage doit se solder par «un effet préjudiciable réel» qui doit «pouvoir être mesuré à l’aide de
critères factuels et objectifs» . Ce qui est important, et même vital puisqu’il s’agit largement
d’une question de bon sens, c’est donc de démontrer que le dommage est important par rapport à un
certain critère factuel et objectif, ce que le Nicaragua est loin d’avoir fait.
16. Il ne suffit pas de désigner des critères abstraits tels que les chiffres de la charge
quotidienne maximale totale établis par les autorités des Etats-Unis pour des masses d’eau
classées . Nous n’avons aucune idée de ce que serait cette charge pour le San Juan, malgré les
tentatives de M. Reichler d’en inventer une en partant du principe que tous les sédiments pénétrant
dans le San Juan inférieur sont mauvais, alors même que cela va totalement à l’encontre de la
12
teneur du document de l’agence de protection de l’environnement des Etats-Unis auquel
M. Reichler s’est lui-même référé 13à titre de preuve, ainsi que des déclarations de MM. Thorne
14
et Cowx . Quant à la référence incessante à l’affaire relative à des Usines de pâte à papier, mon
15
argument a été étrangement déformé , mais le point essentiel demeure que, dans cette affaire, il
9CR 2015/16, p. 24, par. 23 (Reichler).
10Projet d’articles sur la prévention des dommages transfrontières résultant d’activités dangereuses, commentaire
relatif à l’article 2, par. 4, ACDI, 2001, vol. II, 2 partie, p. 152.
11CR 2015/16, p. 35, par. 54 (Reichler).
12
Agence de protection de l’environnement des Etats-Unis, «Protocol for Developing Sediment TMDLs»,
octobre 1999, p. 2-1. Ce document peut être consulté à l’adresse suivante : http://www.epa.gov/owow/tmdl/sediment/
pdf/sediment.pdf.
13
CR 2015/10, p. 19, note de bas de page 45 (Reichler).
14CR 2015/12, p. 52 (Thorne) ; CR 2015/12, p. 19 (Cowx).
15CR 2015/16, p. 35-36, par. 55-56 (Reichler) ; cf. CR 2015/13, p. 13 et 22-23, par. 11 et 50 (Wordsworth). - 6 -
existait une limite applicable au regard de laquelle apprécier un apport donné dans le fleuve, tandis
que, en l’espèce, il n’en existe pas.
B. Les lacunes manifestes des éléments de preuve
présentés par le Nicaragua
17. J’en viens ainsi à mon deuxième argument, à savoir que s’il y avait effectivement eu des
dommages importants, ceux-ci auraient pu être mesurés par le Nicaragua et l’auraient été. Des
éléments de preuve équivalents à ceux produits par les demandeurs en de précédentes affaires, dont
celle relative à des Usines de pâte à papier à laquelle j’ai fait référence au début de mes plaidoiries,
16
auraient été présentés à la Cour .
18. Le Nicaragua a répondu de deux façons dans ses plaidoiries d’hier.
14 19. Sa première réponse a consisté à présenter l’argument du Costa Rica sous un faux jour.
Monsieur Reichler a tenté de faire croire à la Cour qu’un programme de prélèvements aurait pour
but d’établir si des sédiments liés à la route pénétraient effectivement dans le fleuve et, le cas
échéant, d’en déterminer la quantité exacte . C’est faux. Au contraire, ainsi que le Nicaragua le
18
sait fort bien , ces prélèvements permettraient de déterminer si des sédiments dus à la route ont des
effets importants ou même mesurables sur la charge et la concentration sédimentaires existantes
dans le fleuve et, partant, s’ils entraînent ou risquent d’entraîner des dommages importants.
20. La deuxième réponse du Nicaragua a consisté à laisser entendre que l’insistance sur la
nécessité de réaliser des mesures concrètes était une nouvelle lubie des conseils du Costa Rica et
19
que les experts ne s’étaient pas exprimés en ce sens ; or, cet argument est lui aussi dépourvu de
tout fondement.
a) Pour ce qui est de M. Kondolf, il a confirmé lors de son contre-interrogatoire que, selon «les
méthodes mises au point par le service géologique des Etats-Unis» et adoptées dans le monde
entier, il convenait de «prélever ce qu’on appelle un échantillon intégré en profondeur dans tout
16 Voir CR 2015/13, pp. 12-13, par. 9-12 (Wordsworth), faisant référence à l’affaire Gabčíkovo-Nagymaros, à
l’affaire relative à des Usines de pâte à papier et à l’affaire Kishenganga.
17 CR 2015/16, p. 27-28, par. 33-35 (Reichler).
18
Note MRE/DM-AJ/129/03/13 en date du 5 mars 2013 adressée au ministre des affaires étrangères et des cultes
du Costa Rica par le ministre des affaires étrangères du Nicaragua ; CMCR, annexe 48 ; lettre HOL-EMB-108 en date du
14 juin 2013 adressée au greffier par l’agent du Nicaragua ; CMCR, annexe 54 ; et lettre HOL-EMB-167 en date du
30 juin 2013 adressée au greffier par l’agent du Nicaragua ; CMCR, annexe 64.
19
CR 2015/16, p. 28-29, par. 36-38 (Reichler). - 7 -
le chenal», M. Kondolf ayant reconnu en des termes très clairs qu’«il exist[ait] donc un moyen
20
d’obtenir de l’information fiable sur l’impact sur la charge sédimentaire» . La Cour se
souviendra que je m’étais arrêté assez longuement sur ce point au début de mes plaidoiries,
précisément pour qu’il ne puisse être insinué que les propos de M. Kondolf étaient sortis de leur
contexte . De fait, ils ne l’ont pas été.
b) Pour ce qui est de M. Thorne, le Nicaragua a fait référence hier à un extrait de son rapport
de 2013, à savoir le paragraphe 8.17 . Le passage en question n’a rien à voir avec la question
de savoir si le Nicaragua aurait pu ou dû mesurer les concentrations de sédiments dans le
fleuve. Ainsi que M. Thorne l’a expliqué lors de son contre-interrogatoire, cet extrait de son
15 rapport de 2013 porte uniquement sur la série très limitée de mesures effectuées au milieu des
23
années 1970 et sur celles, plus récentes, effectuées par le Costa Rica dans le fleuve Colorado .
Surtout, M. Thorne a déclaré ce qui suit dans son rapport de 2015 :
«le Costa Rica ne peut mesurer les débits et les charges sédimentaires du fleuve
[San Juan] de manière unilatérale, d’autant que les experts du Nicaragua refusent
délibérément de participer à pareils levés ou même de fournir la moindre mesure à
l’appui de leurs allégations quant à l’importance des sédiments provenant de la route
dans la charge sédimentaire actuellement charriée par le fleuve» . 24
c) Enfin, pour ce qui est de l’utilité d’une campagne de prélèvements en bonne et due forme,
M. Thorne a déclaré ce qui suit lors de son contre-interrogatoire :
«Si, dans ce cas de figure, j’étais libre de mes choix, je commencerais par
installer des stations de jaugeage juste en amont et juste en aval des 17 sites de forte
érosion recensés par M. Kondolf, et je pourrais ainsi être renseigné sur les apports de
25
sédiments qui se produisent entre deux stations, à supposer qu’il y en ait.»
21. L’insistance sur ces prélèvements n’est pas une lubie récente des conseils du Costa Rica,
tant s’en faut : en effet, dès le début de la présente instance, le Costa Rica a tenté d’avoir accès à
des données concrètes obtenues au moyen de mesures des concentrations de sédiments dans le
20
CR 2015/8, p. 46 (Kondolf et Wordsworth).
21 CR 2015/13, p. 14, par. 17 (Wordsworth).
22 CR 2015/16, p. 28, par. 36 (Reichler).
23
CR 2015/12, p. 32 (Thorne).
24
Colin Thorne, «Evaluation de l’impact sur le fleuve San Juan de la construction de la route frontalière au
Costa Rica : rapport en réponse», février 2015 ; DCR, appendice A, par. 4.48.
25 CR 2015/12, p. 33 (Thorne, contre-interrogatoire). - 8 -
fleuve .6 Le Nicaragua a alors reconnu l’intérêt de prélèvements mais a fait barrage 27 en
subordonnant la mise en œuvre d’un programme de prélèvements conjoints à l’arrêt des travaux,
notamment d’atténuation, menés par le Costa Rica sur la route. Il ressort de la correspondance
o
échangée à ce sujet, qui figure sous l’onglet n 3 du dossier de plaidoiries du 24 avril 2015, que le
Nicaragua a eu tort de prétendre que le Costa Rica avait retiré sa proposition de prélèvements
conjoints après réception du rapport préparé par M. Thorne en vue de son contre-mémoire, au motif
qu’il n’aurait plus jugé les prélèvements en question nécessaires. Je vous renvoie plus
28
particulièrement à la lettre du Costa Rica en date du 27 septembre 2013 , dont des extraits figurent
sous l’onglet n 6 de vos dossiers de plaidoiries.
16 22. Toutefois, ainsi que je l’ai indiqué au début, point n’est besoin d’examiner tout cela dans
le détail. Peu importe de savoir ce qu’il est advenu de la demande initiale du Costa Rica tendant à
effectuer des prélèvements dans le fleuve San Juan, qui a conduit à de multiples échanges de
lettres. Le Nicaragua jouit de la souveraineté sur le fleuve et rien ne l’empêchait de procéder
lui-même à de tels prélèvements. C’est bien au Nicaragua qu’il incombait, et qu’il incombe
toujours, de prouver l’existence des dommages importants dont il allègue l’existence ; s’il avait
réellement existé des dommages importants, ou un risque de tels dommages, le Nicaragua aurait pu
procéder à ces prélèvement qui, ainsi que M. Kondolf l’a confirmé, auraient permis d’obtenir «de
l’information fiable sur l’impact sur la charge sédimentaire» , et il l’aurait effectivement fait, cet
exercice s’imposant de lui-même. Pourtant, il a choisi de ne pas le faire.
23. Il convient d’ailleurs de relever que, plus nous découvrons les documents du Nicaragua,
plus il devient évident que tous les éléments pertinents ne vous ont pas été présentés. La Cour se
souviendra que, la semaine dernière, le Nicaragua a soumis sa réponse au rapport Ramsar
d’avril 2011, auquel M. Reichler a fait référence lors de ses dernières observations en l’affaire
26Note DM-AM-063-13 en date du 6 février 2013 adressée au ministre des affaires étrangères du Nicaragua par
le ministre des affaires étrangères et des cultes du Costa Rica ; CMCR, annexe 46.
27
Voir note MRE/DM-AJ/129/03/13 en date du 5 mars 2013 adressée au ministre des affaires étrangères et des
cultes du Costa Rica par le ministre des affaires étrangères du Nicaragua ; CMCR, annexe 48 ; lettre HOL-EMB-108 en
date du 14 juin 2013 adressée au greffier par l’agent du Nicaragua ; CMCR, annexe 54 ; et lettre ECRPB-63-2013 en date
du 27 septembre 2013 adressée au greffier par le coagent du Costa Rica ; CMCR, annexe 65.
28
Lettre ECRPB-63-2013 en date du 27 septembre 2013 adressée au greffier par le coagent du Costa Rica ;
CMCR, annexe 65.
29CR 2015/8, p. 46 (Kondolf et Wordsworth). - 9 -
relative à Certaines activités . Il s’agit d’un document que, comme le rapport d’avril 2011, nous
31 o
invitons la Cour à lire attentivement en temps utile . Il figure sous l’onglet n 7 de votre dossier et,
aux fins qui nous intéressent ici, je m’en tiendrai à vous demander de prendre la page 7 (page 22
dans le dossier de plaidoiries).
24. On y trouve une référence à une étude menée en 2010 :
«En 2010, une étude de la qualité actuelle des eaux et des sédiments du
San Juan a été réalisée dans une zone où étaient susceptibles de se manifester les effets
de l’extraction minière de Las Crucitas, en vue d’établir des données de référence
concernant le fleuve dans un secteur arrosé par trois affluents costa-riciens. Les
résultats obtenus sont fondés sur a) l’observation directe, b) des analyses en
laboratoire portant sur des échantillons d’eau et de sédiments et sur des organismes
benthiques prélevés lors d’une première campagne (MARENA CIRA, avril 2010) et
c) des mesures de différentes variables effectuées sur le terrain.»
Où se trouve donc cette étude, se demande-t-on ? Le texte se poursuit comme suit :
«Les analyses en laboratoire consistaient à détecter et quantifier la présence de
métaux, de composés organiques anthropiques, de nutriments, de cyanure, et d’ions
constitutifs d’eau et de solides, et à analyser la communauté benthique peuplant le
fleuve San Juan et l’embouchure des affluents Infiernito, Caño Crucitas et
Caño Venado.» 32
17 25. La Cour se souviendra peut-être de ces noms, en particulier de celui de Las Crucitas,
puisqu’il s’agit de la zone dans laquelle se situent les sites de forte érosion n 9.4 à 9.6 recensés par
33
M. Kondolf . Des photographies de Las Crucitas ont été affichées à l’écran à de nombreuses
reprises puisqu’il s’agit, de fait, des éléments de preuve les plus solides que le Nicaragua ait à vous
présenter. Il ressort de ce court extrait de sa réponse au rapport Ramsar que le Nicaragua non
seulement reconnaît l’importance évidente des prélèvements, mais dispose en outre de mesures de
effectuées en 2010 à l’aune desquelles évaluer les effets réels si tant est qu’ils existent des
30
CR 2015/15, p. 32-33, par. 25 (Reichler).
31 Annexe de la lettre DM.JAS.1359.11.11 en date du 30 novembre 2011 adressée à M. Anada Tiéga, secrétaire
général de la convention de Ramsar sur les zones humides, par Mme Juanita Argeñal Sandoval, ministre de
l’environnement et des ressources naturelles (annexe 3 de la lettre HOL-EMB-078 en date du 24 avril 2015 adressée au
greffier par l’agent du Nicaragua ; traduction anglaise à l’annexe 3 de la lettre ECRPB-070-2015 en date du 28 avril 2015
adressée au greffier par le coagent du Costa Rica).
32 Annexe de la lettre DM.JAS.1359.11.11 en date du 30 novembre 2011 adressée à M. Anada Tiéga, secrétaire
général de la convention de Ramsar sur les zones humides, par Mme Juanita Argeñal Sandoval, ministre de
l’environnement et des ressources naturelles (annexe 3 de la lettre HOL-EMB-078 en date du 24 avril 2015 adressée au
greffier par l’agent du Nicaragua ; traduction anglaise à l’annexe 3 de la lettre ECRPB-070-2015 en date du 28 avril 2015
adressée au greffier par le coagent du Costa Rica, p. 7).
33 Sites indiqués sur la carte annexée à la lettre ECRPB-055-2015 en date du 10 avril 2015 adressée au greffier
par le coagent du Costa Rica. - 10 -
dépôts de sédiments causés par la construction de la route. Pourtant, rien de tout cela ne nous a été
présenté.
C. L’absence de dommages importants dus à des dépôts
dans le San Juan inférieur
26. Troisièmement, j’en viens à l’argument selon lequel les sédiments dus à la route se
déposent dans le San Juan inférieur et doivent faire l’objet d’un dragage par le Nicaragua, ce qui
causerait à ce dernier un dommage important. Cela revient à présenter une série de chiffres sur les
34
sédiments qui seraient déposés comme s’il s’agissait de «mesures» alors que, en réalité, ce ne sont
que des estimations fondées sur un certain nombre d’hypothèses non vérifiées, ainsi que sur une
présentation erronée des déclarations de M. Thorne.
27. Pour mémoire, cette partie de l’argumentation nicaraguayenne comprend deux volets.
Premièrement, le Nicaragua affirme que, dans le cadre de son programme actuel de dragage, il est
obligé de draguer l’ensemble des sédiments entrant dans le cours inférieur du fleuve San Juan ;
deuxièmement, il fait valoir qu’une partie des sédiments qu’il est obligé de draguer est liée à la
construction de la route.
28. Sur ces deux points, le Nicaragua présente sous un faux jour les déclarations faites par
M. Thorne.
29. Hier, M. Reichler a affirmé que M. Thorne avait dit à la Cour, lors de son interrogatoire
complémentaire, qu’une partie des sédiments grossiers en provenance de la route se trouvait piégée
en amont du San Juan inférieur. M. Thorne aurait déclaré que ces sédiments étaient comme «en
transit» et que, en l’espace d’une année ou plus, ils seraient charriés vers l’aval. Ainsi, a conclu
M. Reichler, la construction de la route en étant à sa quatrième année, le San Juan inférieur ne
35
recevrait actuellement que les sédiments de la troisième année .
18 30. Or, ce n’est absolument pas ce qu’a déclaré M. Thorne, et nous avons inclus les pages
pertinentes du compte rendu d’audience (pages 40 à 51) dans le dossier de plaidoiries sous
o
l’onglet n 9. Nous prions la Cour de bien vouloir lire en temps opportun l’intégralité de ce
passage important de l’intervention de M. Thorne. Pour le moment, je me contenterai de vous
34CR 2015/16, p. 32, par. 49 (Reichler).
35Ibid., p. 33-34, par. 51 (Reichler). - 11 -
renvoyer en haut de la page 45 page 54 de la numérotation de bas de page dans le dossier, mais
page 45 en haut de la page où vous pourrez lire que, selon M. Thorne, le programme actuel de
dragage mené par le Nicaragua, loin d’être nécessaire, a de fait «un effet très néfaste sur le chenal».
Le contre-interrogatoire se poursuit en ces termes :
«M. REICHLER : Ma question est de savoir si, pour préserver le chenal que
vous avez décrit auparavant, c’est-à-dire l’objet du programme de dragage du
Nicaragua, vous convenez qu’il faut draguer à répétition simplement pour préserver le
chenal ?
M. THORNE : Oui, mais il y a de bien meilleures manières de maintenir ce
chenal que le draguer à répétition, ce qui ne fonctionne pas, de toute évidence.
M. REICHLER : Si cela ne fonctionne pas, c’est parce que le chenal continue
de se remplir de sédiments à mesure qu’on le drague ?
M. THORNE : Oui ! Comme je l’ai dit, si, en présence d’une mare, vous
draguez profondément le chenal, il se remplira à nouveau très rapidement.
M. REICHLER : En particulier si beaucoup de sédiments arrivent de sources
situées en amont, quelles qu’elles soient.
M. THORNE : Oui ! Nous avons 11 volcans actifs qui rejettent des sédiments
dans le fleuve. A mon avis, le sable provenant de la route est encore loin d’avoir cet
effet.
M. REICHLER : Ah, je m’attendais à ce que vous placiez cela à un moment ou
36
à un autre ! Eh bien, touché !»
31. Certes, dire que M. Thorne tentait de «placer» quelque chose n’est pas lui faire honneur,
mais l’important en l’occurrence est que, contrairement à ce que M. Reichler a laissé entendre
37
hier , il ne s’agit en aucun cas d’un nouvel argument présenté lors de l’interrogatoire
complémentaire mais bien d’une opinion exprimée par M. Thorne lors du contre-interrogatoire, à
laquelle M. Reichler s’attendait. Au surplus, M. Thorne n’était de toute évidence pas d’avis que les
sédiments libérés par la route se déversaient dans le San Juan inférieur avec une année de décalage.
Il a été parfaitement clair : «A mon avis, le sable provenant de la route est encore loin d’avoir cet
effet.»38
32. Je prie également la Cour d’examiner en temps utile la suite des propos de M. Thorne,
36
CR 2015/12, p. 45 (Thorne et Reichler).
3CR 2015/16, p. 33, par. 51 (Reichler).
38
CR 2015/12, p. 45 (Thorne). - 12 -
19 à partir du milieu de la page 49 jusqu’à la page 50 : vous y trouverez la référence aux espaces où
sont logés les sédiments «en transit» que M. Reichler a reprise, et constaterez aussi que M. Thorne
n’a nullement déclaré que les sédiments libérés par la route se déversaient simplement dans le
San Juan inférieur avec un an de décalage environ . 39
33. Par ailleurs, la Cour se souviendra peut-être que, au début de mes plaidoiries, j’ai
souligné l’absence de données empiriques confirmant l’allégation selon laquelle des sédiments
40
grossiers liés à la route atteindraient la zone du point Delta dans des quantités mesurables . Il
convient ici de noter que personne n’est revenu sur ce point hier.
o
34. Pour ce qui est du tableau que M. Reichler vous a présenté, sous l’onglet n 34 du dossier
de plaidoiries d’hier, celui-ci est de nouveau affiché à l’écran et il figure sous l’onglet n 10 du o
dossier de ce jour. J’ai quatre observations à formuler.
35. Tout d’abord, la deuxième colonne est censée rendre compte des vues de M. Thorne.
Mais si tel était vraiment le cas, la quantité figurant dans le «total à draguer» serait de toute
évidence égale à zéro. Il y aurait également un zéro dans la ligne du dessus, qui correspond aux
sédiments grossiers qui s’accumulent dans le San Juan inférieur , M. Thorne n’ayant donné aucun
chiffre quant au dépôt des sédiments fins.
36. Ensuite, s’agissant de l’hypothèse sous-tendant ce tableau, à savoir que 20 % des
sédiments en provenance du fleuve San Juan se déversent dans le cours inférieur du fleuve, il
conviendrait de préciser au moyen d’un grand astérisque que cette hypothèse est fondée sur un
modèle établi par le Costa Rica qui comporte une bonne part d’incertitude, dont il a été fait état,
seul le Nicaragua pouvant savoir ou sachant ce qu’il en est réellement . 42
37. En outre, pour ce qui est des estimations de M. Kondolf, le total définitif devrait être de
7600 tonnes par an, ce qui représente entre 1,5 et 2,9 % du volume effectivement dragué par le
43
Nicaragua au cours des trois dernières années . Rien d’important ici, même par rapport au volume
dragué, et encore moins de dommages ou de risque de dommages importants.
39CR 2015/12, p. 49-50 (Thorne et Wordsworth).
40CR 2015/13, p. 19-20, par. 37 (Wordsworth).
41
CR 2015/12, p. 45 (Thorne).
42
Voir, par exemple, CR 2015/12, p. 48 (Thorne) ; voir aussi CR 2015/9, p. 28 (Andrews et Wordsworth).
43CR 2015/13, p. 22, par. 48 (Wordsworth). - 13 -
38. Cela dit, ce chiffre a été gonflé jusqu’à 22 000 tonnes, au prétexte que le Nicaragua doit
également draguer les sédiments fins. Sur ce point, M. Thorne et M. Andrews sont en désaccord
quant au sort exact des sédiments fins et au volume qui se déverse dans la mer. Mais ce qui
importe en l’occurrence, c’est qu’il n’existe absolument aucune preuve de ce que le Nicaragua
procède effectivement au dragage de la moindre quantité de sédiments fins dans le
20 San Juan inférieur. Il ne drague pas ce type de sédiments dans la zone du point Delta car ceux-ci
ne s’y déposent pas et, de toute évidence, M. Reichler a renoncé à avancer cet argument . Le 44
Nicaragua ne drague pas non plus les sédiments fins sur un quelconque autre site puisque, de fait,
depuis 2011, il ne drague plus aucun autre secteur . Il ne vous a d’ailleurs été présenté aucun
élément de preuve indiquant que le Nicaragua s’apprêterait à en draguer d’autres.
39. Monsieur Reichler vous a montré une carte illustrant huit zones prioritaires qui
o
figurait sous l’onglet n 35 du dossier d’hier , mais tout ce que nous savons, c’est que,
abstraction faite de celle du point Delta, il ne s’est rien passé dans aucune de ces zones dites
46
«prioritaires», qui ont visiblement été recensées avant la construction de la route . Leur relation
exacte avec la route ou les projets actuels du Nicaragua demeure donc totalement obscure.
40. En résumé, ne vous laissez pas égarer par le tableau projeté par M. Reichler : le point
essentiel est que le Nicaragua ne drague qu’un seul type de sédiments les sédiments grossiers
à un seul endroit la zone du point Delta. Le chiffre de 22 000 tonnes que vous voyez dans ce
tableau est dépourvu de tout fondement.
41. Enfin, en ce qui concerne les sédiments grossiers, M. Thorne a relevé ce qui suit dans son
rapport de février 2015 :
44 CR 2015/16, p. 32-33, par. 49-50 (Reichler) ; voir CR 2015/10, p. 11-12, par. 7-11 et p. 13-14, par. 14-15
(Reichler), ainsi que les critiques formulées contre le raisonnement de M. Reichler dans le CR 2015/13, p. 19-22,
par. 37-46 (Wordsworth).
45 Evaluation technique du «projet de dragage visant à l’amélioration de la navigabilité du fleuve San Juan de
Nicaragua», 23 janvier 2012 (rapport annuel de l’EPN pour 2011) ; CMN, annexe 17, p. 5-6 ; projet 262-09 visant à
l’amélioration de la navigabilité du fleuve San Juan de Nicaragua : rapport d’avancement technique et financier pour
l’année 2014 (rapport annuel de l’EPN pour 2014), 2015, annexe 1 de la lettre HOL-EMB-0035 en date du 9 mars 2015
adressée au greffier par l’agent du Nicaragua, p. 10, 20 et 36-41. Voir également Certaines activités, exposé écrit de
M. van Rhee, 15 mars 2015, par. 9 et CR 2015/6, p. 26 (van Rhee).
46 Evaluation technique du «projet de dragage visant à l’amélioration de la navigabilité du fleuve San Juan de
Nicaragua», 23 janvier 2012 (rapport annuel de l’EPN pour 2011) ; CMN, annexe 17, p. 5-6 ; projet 262-09 visant à
l’amélioration de la navigabilité du fleuve San Juan de Nicaragua : rapport d’avancement technique et financier pour
l’année 2014 (rapport annuel de l’EPN pour 2014), 2015, annexe 1 de la lettre HOL-EMB-0035 en date du 9 mars 2015
adressée au greffier par l’agent du Nicaragua, p. 9-10. - 14 -
«Même en se fondant sur les estimations de M. Kondolf et l’analyse de
M. Andrews, que je réfute, l’apport de sédiments grossiers en provenance de la route
ne représente donc que 2 à 4 % de la charge de sédiments grossiers supposément
charriée dans le San Juan inférieur au cours d’une année moyenne.» 47
Faisant référence aux incertitudes liées aux mesures et aux calculs de la charge de fond, il a ensuite
expliqué ce qui suit :
«il est évident qu’une différence de 2 à 4 % de la charge de fond annuelle serait non
seulement négligeable, mais aussi scientifiquement indétectable ; il est donc
21 totalement impossible d’établir un lien de causalité entre la construction de la route et
toute variation de la quantité de sédiments grossiers se déversant dans le
48
San Juan inférieur» .
42. Le Nicaragua peut tenter d’augmenter ces pourcentages en se référant, non sans un
certain opportunisme, au modèle costa-ricien actualisé établi par l’ICE, alors qu’il est le seul à
connaître ou à pouvoir connaître le véritable pourcentage de sédiments grossiers qui se déverse
dans le San Juan inférieur, mais cela ne change rien à l’essentiel : le Nicaragua n’a pas démontré
que des sédiments grossiers libérés par la construction de la route aient pu atteindre le San Juan
inférieur dans des proportions importantes, ou même susceptibles d’être détectées sur le plan
scientifique.
D. Estimation de la quantité de sédiments due à la construction de la route
43. Enfin, pour répondre à M. Reichler, j’en viens à la question de savoir laquelle des
estimations de la quantité de sédiments due à la route qui ont été fournies par les experts devrait
être retenue. Je soutiens qu’il convient d’accorder la préférence à celle de M. Thorne, et ce, pour
les quatre raisons suivantes.
49
44. Premièrement, contrairement aux experts du Nicaragua , M. Thorne s’est rendu sur le
site de la route non pas une fois, mais cinq . 50
47 Colin Thorne, «Evaluation de l’impact sur le fleuve San Juan de la construction de la route frontalière au
Costa Rica : rapport en réponse», février 2015 ; DCR, appendice A, par. 4.98.
48Ibid., par. 4.99 ; les italiques sont de nous.
49
Voir CR 2015/8, p. 40 (Kondolf et Wordsworth).
50 Colin Thorne, «Evaluation de l’impact sur le fleuve San Juan de la construction de la route frontalière au
Costa Rica : rapport en réponse», février 2015 ; DCR, appendice A, par. 3.3 c) ; Colin Thorne, «Evaluation de l’impact
sur le fleuve San Juan de la construction de la route frontalière au Costa Rica», décembre 2013 ; CMCR, appendice A,
par. 3.3 c). - 15 -
45. Deuxièmement, M. Thorne s’est toujours révélé être un témoin crédible et fiable, qui de
toute évidence ne cherchait pas à formuler des opinions servant la cause du Costa Rica. Le
Nicaragua ne saurait piocher çà et là, à sa convenance, dans les exposés de M. Thorne.
46. Troisièmement, l’estimation de 75 000 tonnes de sédiments par an fournie par M. Thorne
est une estimation tablée sur le pire des scénarios qui, comme il l’a souligné, est très prudente,
51
notamment parce qu’elle ne tient pas compte des travaux d’atténuation en cours .
47. Quatrièmement, M. Reichler a énoncé plusieurs raisons pour lesquelles il conviendrait
selon lui d’accorder la préférence à l’estimation de M. Kondolf. Or il n’en a fait valoir aucune à
M. Thorne lorsqu’il a procédé à son contre-interrogatoire, et ce alors même qu’il lui restait
beaucoup de temps quand il y a mis un terme. Au lieu de cela, il a choisi de ne faire des remarques
sur l’estimation de M. Thorne que lorsque celui-ci n’était pas en mesure de lui répondre.
22 48. S’agissant de ces remarques, la première et la plus importante était que l’estimation de
M. Thorne ne couvrait que la plate-forme routière et les talus, et non les autres zones perturbées . 52
Comme je l’ai expliqué au début, ces 2,2 kilomètres carrés supplémentaires correspondent à du
terrain plat où il y a eu quelques perturbations, notamment parce que des matériaux y ont été
stockés et le sous-bois y a été arraché pour des raisons d’accessibilité et d’autres nécessités tenant
53
aux travaux de construction . Il ne s’agit pas de zones qui, d’une certaine façon, fourniraient
continuellement un apport de sédiments au fleuve San Juan, contrairement à ce que voudrait vous
faire croire le Nicaragua.
49. La deuxième remarque de M. Reichler est que, dans son estimation, M. Thorne n’a pas
inclus l’érosion de 332 kilomètres de «routes d’accès», dont l’expert du Nicaragua a estimé la
largeur à 30 mètres en moyenne . Certaines de ces routes se trouvent jusqu’à 50 kilomètres du
55
fleuve et M. Reichler, pas plus que les autres experts du Nicaragua, n’a pas tenté de montrer
comment ou dans quelle mesure (le cas échéant) celles-ci contribuent d’une manière ou d’une autre
51
Affaire relative à la Route, exposé écrit de M. Thorne, mars 2015, par. 3.14.
52CR 2015/16, p. 31, par. 43 (Reichler).
53CR 2015/13, p. 19, par. 35 (Wordsworth).
54
CR 2015/16, p. 31, par. 44 (Reichler).
55CR 2015/13, p. 19, par. 26 (Wordsworth). - 16 -
à l’apport sédimentaire dans le fleuve. Après avoir circulé sur certaines de ces routes d’accès,
M. Thorne est parvenu à la conclusion suivante :
«Compte tenu de l’état stable des voies d’accès, de leur éloignement du fleuve
et de la rareté des cours d’eau qui les relient à celui-ci, il me semble peu probable que
des quantités importantes de sédiments produits par ces voies secondaires atteignent le
56
San Juan.»
Pourtant, l’expert du Nicaragua soutient que ces sédiments atteignent le San Juan par milliers de
tonnes.
50. M. Thorne a également inclus dans son rapport des photographies de ces routes que
vous voyez à présent à l’écran «encore des photos» penserez-vous peut-être, mais je suppose
qu’au moins la Cour n’a pas vu celles-ci. Il pourra évidemment nous être répondu que ces
photographies prouvent tout au plus quel type de voiture M. Thorne a choisi de louer, mais
relevons que, à tout le moins, celui-ci indique que ces clichés donnent une image caractéristique
des routes d’accès empruntées tel ou tel jour. Et de l’autre côté de la barre, bien entendu, nous
n’avons rien, si ce n’est une allégation selon laquelle la largeur de ces routes d’accès serait de
57
l’ordre de 30 mètres .
23 51. La troisième remarque de M. Reichler est que, de 2013 à 2014, M. Thorne a
58
«arbitrairement réduit» son estimation de l’érosion du revêtement routier . C’est faux, pour les
raisons exposées dans la réponse que le Costa Rica a fournie en mars de cette année à la demande
59
d’informations du Nicaragua .
52. La dernière remarque de M. Reichler est que, dans son rapport de 2014, M. Thorne a
60
appliqué des taux d’érosion inférieurs à ceux qu’il avait utilisés en 2013 . Comme cela a été
expliqué dans les rapports soumis dans le cadre de la duplique du Costa Rica, cette réduction tient
56 Colin Thorne, «Evaluation de l’impact sur le fleuve San Juan de la construction de la route frontalière au
Costa Rica : rapport en réponse», février 2015 ; DCR, appendice A, par. 7.32.
57Ibid., figure 7.10, p. 290.
58CR 2015/16, p. 31, par. 45 (Reichler).
59
Voir lettre ECRPB-036-2015 en date du 16 mars 2015 adressée au greffier par le coagent du Costa Rica, p. 2-3.
60CR 2015/16, p. 32, par. 46 (Reichler). - 17 -
simplement au fait que, en 2014, une technologie plus pointue a été utilisée afin de mesurer
61
l’érosion avec davantage de précision .
E. Les éléments de preuve relatifs à l’écologie aquatique
53. J’en viens brièvement aux éléments de preuve relatifs à l’écologie aquatique, pour ce
qu’ils valent. Hier, il est clairement ressorti de la plaidoirie de M. Loewenstein que le Nicaragua
avait abandonné son argument relatif aux dommages importants et que, en ce qui concerne
l’écologie aquatique, son seul argument porte à présent sur l’évaluation de l’impact sur
l’environnement et le risque de dommages . 62
1) L’allégation relative au risque que des dommages importants soient causés aux
macroinvertébrés et à la qualité de l’eau
54. En ce qui concerne le risque allégué pour les macroinvertébrés et la qualité de l’eau dans
le San Juan, j’aimerais faire trois brèves remarques.
55. Premièrement, le seul élément de preuve sur lequel s’appuie le Nicaragua est l’étude du
CCT, réalisée par des experts costa-riciens sur de petits cours d’eau du Costa Rica. L’étude très
critiquée de M. Ríos, expert nicaraguayen, n’a été évoquée que de manière incidente par le
Nicaragua dans son premier tour de plaidoiries mais n’a même pas été mentionnée au second tour,
fût-ce dans une note de bas de page.
56. M. Loewenstein ne souscrit pas aux conclusions formulées par le CCT quant à la
signification des données fournies par celui-ci . Pourtant, il n’a fait aucune remarque à ce sujet à
M. Cowx. De fait, la Cour se souviendra que le Nicaragua a souhaité mettre un terme le plus
rapidement possible au contre-interrogatoire de M. Cowx, ne lui posant que des questions tout à
fait générales et n’utilisant pas, tant s’en faut, tout le temps qui lui avait été alloué à cet effet.
24 57. Deuxièmement, nous avons entendu hier d’autres allégations qui n’étaient étayées par
aucun élément de preuve, et notamment qu’en amont de la borne n II, le fleuve constituait «un
61Université du Costa Rica, centre de recherche pour le développement durable, département du génie civil,
«Second rapport de suivi systématique sur site de l’érosion et de l’apport sédimentaire le long de la route 1856»,
novembre 2014 ; DCR, annexe 4, section 2.2.
62 CR 2015/16, p. 37, «Le risque auquel sont exposées les ressources écologiques du fleuve San Juan»
(Loewenstein).
63
CR 2015/10, p. 28, par. 13 et p. 25, par. 3 (Loewenstein) ; p. 37-39, par. 3-8 (Loewenstein). - 18 -
64
habitat différent» ; que les deltas «enfouiss[aient] sous les sédiments des habitats» et que,
lorsqu’ils s’érodaient par la suite, les sédiments produits par l’érosion étaient «charriés le long des
65
rives, influant ainsi sur les organismes aquatiques et leurs habitats» . Tel est le tableau brossé par
le conseil du Nicaragua, mais pas celui qui ressort des éléments de preuve versés au dossier.
58. Troisièmement, l’étude du CCT ne nous dit rien de l’éventuel impact des sédiments sur
le fleuve San Juan, qui est bien plus vaste et surtout, bien plus large, ce que M. Kondolf a
66
largement admis . Le fait est simplement qu’on ne saurait assimiler l’impact éventuel des
sédiments sur de petits cours d’eau costa-riciens, dont la plupart font environ 3 mètres de large, à
celui de tels sédiments sur le San Juan, dont la largeur moyenne est de 292 mètres dans sa partie
67
pertinente .
59. Hier, M. Loewenstein n’en a pas moins déclaré que les conclusions du CCT quant au
caractère localisé de l’impact éventuel des sédiments étaient «infirmée[s] par des preuves
photographiques», et il vous a montré une photographie d’un talus et de deltas, déclarant que «des
panaches de sédiments [étaient] charriés le long des rives du fleuve», qui constituent un habitat
68
pour les macroinvertébrés . Là encore, ces allégations sont bien belles mais elles ne sont étayées
par aucun élément de preuve, et aucune d’elles n’a été soumise à M. Cowx la semaine dernière.
2) L’allégation relative au risque que des dommages importants soient causés aux poissons
60. En ce qui concerne le risque pour les poissons ― l’impact ou le risque d’impact sur
ceux-ci ―, le Nicaragua a dénoncé hier l’absence d’étude des poissons présents dans le San Juan et
a déclaré que cela prouvait qu’il était «nécessaire de procéder à une évaluation de l’impact sur
25 l’environnement». Il s’est dit «prêt à y coopérer par tous les moyens qui sont en son pouvoir» , 69
64CR 2015/16, p. 39, par. 10 (Loewenstein).
65
Ibid., par. 9 (Loewenstein).
66
CR 2015/9, p. 64 (Kondolf). Voir également Centre de sciences tropicales (Centro científico tropical, CCT),
«Rapport de suivi et de contrôle, diagnostic de l’impact sur l’environnement, route 1856 — volet écologique»,
janvier 2015 ; DCR, annexe 14, p. 519, par. 11.
67
CR 2015/11, p. 16, par. 8 (Brenes).
68CR 2015/16, p. 38, par. 7 (Loewenstein), se référant à l’onglet n 38 du dossier de plaidoiries soumis par le
Nicaragua.
69CR 2015/16, p. 42, par. 17 (Loewenstein). - 19 -
comme s’il n’avait jamais catégoriquement refusé aux scientifiques du CCT l’accès au San Juan
70
lorsque ceux-ci ont tenté d’y prélever des échantillons .
61. En réponse au fait, évident, que si les poissons du fleuve ne sont pas touchés par une
augmentation de 70 % de la charge sédimentaire en suspension lorsque le San Carlos se jette dans
le San Juan, ils ne risquent pas de pâtir d’une augmentation de 3 % liée à la route et, encore, en
prenant telle quelle l’hypothèse du Nicaragua ―, la réponse de M. Loewenstein a simplement
consisté à laisser entendre que les poissons du San Juan en amont de l’embouchure du San Carlos
pouvaient être plus sensibles aux sédiments . C’est peut-être une possibilité théorique, mais bien
sûr, nous n’en avons aucune preuve, puisque le Nicaragua dit ne pas avoir étudié les poissons dans
cette partie du fleuve et n’a pas autorisé le Costa Rica à le faire.
62. Le Nicaragua a enfin argué qu’il n’avait pas pu mobiliser les ressources nécessaires à
l’étude de la faune et de la flore du San Juan . Voilà qui n’est pas crédible. Le Nicaragua a mis
sur pied une armée de juristes et d’experts dans le cadre de la présente affaire. Il est évident que
ses experts, internes ou externes, auraient pu prélever des échantillons sur le terrain.
F. Conclusion
63. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ces plaidoiries ont été assez
longues et je ne mettrai pas votre patience à l’épreuve en m’attardant sur la conclusion.
64. Le Nicaragua a fait le choix de soutenir que des dommages importants avaient été causés
ou risquaient de l’être et c’est par conséquent à lui que revient la charge de prouver ce qu’il avance.
Il a eu largement le temps de le faire et, contrairement au Costa Rica, il peut accéder sans entrave
au San Juan pour obtenir tous les échantillons et autres éléments dont il aurait besoin pour étayer
ses dires. Or il ne vous a pas soumis de tels éléments, et l’on peut de toute évidence en déduire
qu’il sait très bien que la quantité de sédiments qui atteint le fleuve, dont la charge sédimentaire est
70
Costa Rica, Centre de sciences tropicales (Centro científico tropical, CCT), «Diagnostic de l’impact sur
l’environnement, route 1856 — volet écologique», novembre 2013 ; CMCR, annexe 10, p. 513 (dernier paragraphe) et
p. 519, par. 2.7 ; et Centre de sciences tropicales (Centro científico tropical, CCT), «Rapport de suivi et de contrôle,
diagnostic de l’impact sur l’environnement, route 1856 — volet écologique», janvier 2015 ; DCR, annexe 14, p. 456,
par. 2.6. Voir également lettre MRE/DM-AJ/129/03/13 en date du 5 mars 2013 adressée au ministre des affaires
étrangères et des cultes du Costa Rica par le ministre des affaires étrangères du Nicaragua ; CMCR, annexe 48, p. 229
(refusant au Costa Rica le droit de naviguer sur le fleuve San Juan «à des fins scientifiques»).
71
CR 2015/16, p. 39, par. 10 (Loewenstein).
72
Ibid., p. 41, par. 16 (Loewenstein). - 20 -
déjà élevée, est absolument négligeable voire imperceptible. Le Nicaragua ne s’est pas acquitté de
la charge de la preuve qui lui incombait à cet égard.
65. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, voilà qui vient clore mon
26
intervention. Je vous remercie pour l’attention que vous m’avez accordée tout au long de ces trois
semaines, et vous prie, Monsieur le président, de bien vouloir appeler à la barre Mme Del Mar afin
qu’elle présente quelques brèves observations sur les travaux d’atténuation.
The PRESIDENT: Thank you, Mr. Wordsworth. I now give the floor to Ms Del Mar.
Mme DEL MAR :
L ES MESURES D ’ATTÉNUATION PRISES PAR LE C OSTA RICA
A. Introduction
1. M. le président, Mesdames et Messieurs les juges, je reviens sur la question des
mesures d’atténuation prises par le Costa Rica. Comme il est clairement apparu lors du
premier tour de plaidoiries , les mesures d’atténuation sont un sujet dénué de pertinence
pour l’examen des questions qui sont au centre de la présente affaire. Néanmoins, puisque
le Nicaragua a insisté sur ces mesures, je crois devoir répondre sur un certain nombre de
points soulevés par ses conseils.
2. Je commencerai par une observation préliminaire sur l’incohérence des positions
prises par le Nicaragua sur ce qu’il veut et ne veut pas que soient les mesures
d’atténuation. En effet, après avoir insisté en 2013 pour que le Costa Rica réalise des
74
travaux d’atténuation le long de la route , le Nicaragua s’inquiète maintenant du caractère
temporaire des mesures d’atténuation qui ont été prises . Pourtant, cela ne l’empêche pas
de s’opposer à ce que le Costa Rica mette en œuvre une solution définitive qui réglerait
76
toutes les questions que soulève encore la route.
73CR 2015/11, p. 29, par. 1 (Del Mar) ; CR 2015/12, p. 46-48 (Wordsworth et Thorne).
74
CR 2015/30, p. 25, par. 14 (Reichler) ; p. 29, par. 2 (Pellet).
75CR 2015/16, p. 18, par. 7 (Reichler).
76Ibid., p. 21, par. 15 (Reichler). - 21 -
3. Je traiterai d’abord de la solution permanente, avant de revenir aux travaux
d’atténuation en cours.
B. Solution permanente
4. Hier, M. Reichler a donné à entendre que la mise en œuvre d’une solution permanente
était imminente. Voici ce qu’il a dit :
«Mme Del Mar nous a assuré que les nouveaux travaux de construction
débuteraient dès que le CONAVI aurait reçu et approuvé les plans de conception. En
27 d’autres termes, Monsieur le président, le Costa Rica est sur le point
d’entreprendre … de nouveaux travaux de construction.» 77
Cette citation de mes propos est inexacte. Je n’ai pas dit cela, et je n’ai pas non plus donner à
entendre que le démarrage des travaux relevant d’une solution permanente était imminent. J’ai dit :
«Un nouveau processus d’appel d’offres sera organisé dès que la CONAVI recevra les nouveaux
78
plans.» J’ai dit aussi que la mise en œuvre d’une solution permanente avait été retardée parce
qu’il fallait accomplir toute une série de formalités préalables, dont l’établissement d’une
procédure d’appel . Une fois ces formalités accomplies, et après que les nouveaux plans auront
été reçus, une nouvelle procédure d’appel d’offres sera engagée. Le démarrage de nouveaux
travaux n’est donc certainement pas pour demain.
5. M. Reichler a également tenté de brosser un tableau apocalyptique de la solution
permanente. Il a dit que les travaux «nécessitera[ient] le terrassement d’une quantité considérable
de terrain», que le Costa Rica «prév[oyait] de raser l’ensemble des talus de délai et de remblai
instables» et que les travaux «risqu[aient] de provoquer le déversement de milliers de tonnes de
sédiments dans le fleuve» . De tels propos ne sont rien d’autre qu’une manœuvre alarmiste. Ils ne
reposent sur aucun fait ou élément de preuve concret, et pour cause : le Costa Rica n’ayant pas
encore reçu les nouveaux plans, on voit mal comment il aurait pu entreprendre de les réaliser. Le
but de ces nouveaux plans concernant la route est de faire en sorte que les travaux soient réalisés
selon les normes environnementales et de génie civil les plus rigoureuses.
77
CR 2015/16, par. 15 (Reichler) ; les italiques sont de nous.
78CR 2015/11, p. 31, par. 6 (Del Mar).
79Ibid.
80
CR 2015/16, p. 21, par. 15 (Reichler). - 22 -
C. Travaux d’atténuation Talus
6. J’en viens maintenant aux travaux d’atténuation. Comme je l’ai dit lors du premier tour,
81
ces travaux sont encore en cours . M. Thorne l’a confirmé la semaine dernière, disant qu’«un
effort énorme» avait «été fait dans les derniers mois de 2014» et s’était «poursuivi au début
82 83
de 2015» . Les travaux d’atténuation ont progressé aussi vite que possible . Cet effort a été
consenti bien que des difficultés indépendantes de la volonté des responsables de l’exécution des
travaux aient retardé la mise en œuvre de certaines mesures d’atténuation. Par exemple, comme l’a
relevé M. Thorne, il est difficile de faire des travaux d’atténuation pendant la saison humide . 84
28 7. Le succès des travaux d’atténuation réalisés par le Costa Rica ne peut pas être mesuré par
des chiffres alignés dans des tableaux. Le Nicaragua, comme je le montrerai dans un instant, est à
côté de la question lorsqu’il affirme avec insistance qu’il faut des chiffres illustrés par des
85
diagrammes pour déterminer si des travaux d’atténuation ont été menés à bien .
8. Vous vous souviendrez qu’hier, M. Reichler a beaucoup insisté sur les talus , soulignant6
87
le nombre des sites où les travaux d’atténuation n’étaient pas encore achevés . Or, en matière
d’atténuation, dire que des travaux sont «achevés» ne signifie pas nécessairement qu’ils ont été
menés à bonne fin. Les travaux d’atténuation réalisés dans un site donné peuvent se révéler très
efficaces, mais sont considérés comme encore en cours, et non pas «achevés» si, par exemple, la
végétation n’a pas entièrement recouvert un flanc de colline. Vu le temps que peut prendre la
reconstitution de la végétation dans certains secteurs, il n’est pas étonnant que les travaux réalisés
sur de nombreux sites ne soient pas encore considérés comme «achevés».
9. Il me paraît utile de préciser que l’atténuation n’implique pas toujours une intervention
humaine. Elle peut notamment consister à surveiller un site tout en laissant la nature suivre son
cours. Comme M. Mende l’a indiqué dans son rapport, l’atténuation, pour certains sites, consiste
simplement à laisser la végétation repousser naturellement. Il n’y a aucun mal à cela.
81
CR 2015/11, p. 37, par. 22 (Del Mar).
82CR 2015/12, p. 25 (Thorne).
83Ibid., p. 26 (Thorne).
84Ibid.
85
CR 2015/16, p. 17, par. 4 (Reichler).
86Ibid., p. 17-18, par. 5-6 (Reichler).
87Ibid., par. 5 (Reichler). - 23 -
L’intervention humaine n’est pas nécessaire sur tous les sites, comme je vais vous le montrer à
propos des talus. Je crains d’être obligée pour ce faire d’infliger à la Cour une nouvelle série de
photographies.
10. Vous voyez maintenant sur votre écran une photographie prise en octobre 2012 sur le
o
site n 3 qui, selon la classification de M. Kondolf, est un site de forte érosion. Vous voyez, tout à
fait à droite, un petit talus, à peu près au centre, un talus plus important et, à gauche, une carrière.
Je traiterai tour à tour de ces trois endroits, en commençant par le petit talus qui apparaît sur la
droite de la photographie.
11. Vous voyez maintenant sur votre écran des photographies «avant» et «après» de ce
même petit talus, prises respectivement en 2013 celle qui s’affiche à gauche et
2014 affichée à droite. Comme vous pouvez le voir, le talus est resté stable. Ces deux clichés
montrent dans quelle mesure la végétation s’est reconstituée en un an, repoussant au pied du talus
et sur une partie de son flanc. On voit encore la terre, de couleur orangée, de ce talus, mais celui-ci
ne s’est pas altéré : il est resté stable, et la végétation continue d’y repousser.
12. Voyons maintenant le talus plus important, celui qui est à peu près au centre de la
29
photographie de 2012 que je vous ai montrée. Sur cette photographie, on voit encore beaucoup de
terre à nu sur ce talus. La route semble avoir été fraîchement construite. Ce qui s’affiche
maintenant sur votre écran est une photographie du même site prise par le Nicaragua en mars de
cette année. Vous pouvez voir qu’après deux ans et demi, le sol nu qui apparaissait sur la
photographie de 2012 a été presque entièrement recouvert d’herbe et autre végétation. Entre la
route et le talus, le terrain est très verdoyant. Pour ce talus, le processus d’atténuation n’est pas
encore achevé, mais cela ne signifie pas qu’il a été infructueux.
13. Je vais maintenant vous montrer la carrière, qu’on voit sur la gauche de la photographie
de 2012. Sur cette photographie, vous pouvez constater qu’une bonne partie de la terre et des
rochers sont à nu. La route récemment construite passe au pied de la carrière. Ce que je vous
montre maintenant est une photographie du même site prise par le Nicaragua, en mars de cette
année également. Les rochers et la terre qui étaient précédemment à nu sont presque entièrement
recouverts d’herbe et autre végétation. Là encore, le processus d’atténuation n’est pas achevé, mais
cela ne signifie en aucune façon que l’atténuation naturelle s’avère inefficace pour ce site. - 24 -
14. Pour de nombreux autres talus surveillés par le Costa Rica, la seule atténuation naturelle
s’est révélée efficace. Les photographies qui s’affichent maintenant sur votre écran illustrent
quelques exemples. Il s’agit de photos «avant» et «après», qui figurent aussi dans votre dossier de
plaidoiries. Vous pouvez voir qu’en assez peu de temps, ces talus se trouvant le long de la route se
sont rétablis. Or, chacun des talus que vous voyez maintenant est classé dans le rapport Mende
de 2014 parmi ceux où l’atténuation est «en cours». Comme vous pouvez le constater,
l’atténuation naturelle s’y est révélée être un succès.
D. Travaux d’atténuation franchissements de cours d’eau
15. Je vais maintenant dire quelques mots des franchissements de cours d’eau, sur lesquels
les conseils du Nicaragua ont aussi concentré leur attention. La Cour se souviendra que lors du
premier tour de plaidoiries, M. Reichler lui a montré un croquis extrait du rapport de M. Weaver,
croquis que vous voyez maintenant sur votre écran . A propos d’un ponceau, il nous a dit, dans
89
des termes catégoriques, «c’est ainsi qu’il est censé être construit» . Avec tout le respect que je lui
porte, je me permets de dire qu’il se trompe. En effet, ce croquis omet trois éléments importants, à
savoir : 1) un muret de retenue destiné à maintenir les remblais en place de part et d’autre de la
sortie du ponceau ; 2) des murs en aile destinés à empêcher des produits d’érosion des matériaux de
30 remblai et du sol de passer dans le cours d’eau ; et, 3) un radier. Ces éléments sont nécessaires
pour empêcher les matériaux de remblai et la terre se trouvant à proximité de pénétrer dans le cours
d’eau. Ils sont requis pour prévenir la contamination par érosion.
16. Les ponceaux installés par le Costa Rica comprennent ces éléments. Vous voyez
maintenant sur votre écran deux jeux de photographies «avant» et «après» de franchissements de
cours d’eau. Les murets de retenue, les murs en aile et les radiers sont clairement visibles sur les
photographies de 2014.
E. Conclusion
17. Monsieur le président, les Parties ont l’une et l’autre montré à la Cour des photographies
illustrant les travaux d’atténuation. Les documents photographiques que le Nicaragua a produits
88Dossier de plaidoiries établi par le Nicaragua pour l’audience du 20 avril 2015, onglet n 3, p. 1.
89CR 2015/8, p. 25, par. 26 (Reichler). - 25 -
sur les travaux d’atténuation réalisés le long de la route se trouvent dans le dossier de plaidoiries de
grand format (A3) établi pour l’audience de la semaine dernière. La Cour dispose également d’un
enregistrement vidéo réalisé en février, qui porte sur les travaux d’atténuation réalisés sur toute la
longueur de la route. On peut y voir toutes les sections de la route où se posent des problèmes,
avec tous les éléments du contexte, ainsi que les effets des nombreuses mesures d’atténuation qui
ont été prises.
18. Avant d’en terminer, je dirai encore un mot des photographies. Hier, M. Reichler s’est
plaint de ce que j’avais, lors du premier tour, porté des «accusation[s] infondée[s] et injuste[s]» à
propos des photographies que le conseil du Nicaragua avait affichées sur vos écrans, photographies
dont j’avais dit qu’elles risquaient d’induire la Cour en erreur. Elles s’affichent maintenant à
nouveau, avec des informations sur leur source, fournies par le Nicaragua, qui apparaissent en gros
caractères. Or, il s’agit de clichés remontant à octobre 2012. Je laisse à la Cour le soin d’apprécier
si ces photographies lui avaient été présentées comme elles auraient dû l’être.
19. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, me voici parvenue au terme de
mon bref exposé. Je vous remercie de votre patiente attention. Monsieur le président, je vous prie
de bien vouloir donner la parole à M. Brenes, qui va répondre aux questions posées par
M. le juge Bhandari.
The PRESIDENT: Thank you, Ms Del Mar. I give the floor to Mr. Brenes.
M. BRENES :
R ÉPONSES AUX QUESTIONS DU JUGE BHANDARI :LES CRITÈRES APPLICABLES À
L EXAMEN DES DEMANDES DU N ICARAGUA EN LA PRÉSENTE AFFAIRE
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, M. le juge Bhandari, le vendredi
24 avril 2015, a fait mention des critères environnementaux applicables dans le contexte de la
31 construction de la route, et a fait référence en particulier au principe 23 de la déclaration de
Stockholm, au principe 11 de la déclaration de Rio et aux paragraphes 12, 13 et 17 du commentaire
de la Commission du droit international sur l’article 3 de son projet d’articles relatif à la prévention
des dommages transfrontières résultant d’activités dangereuses. La première question posée par
M. le juge Bhandari est ainsi libellée : - 26 -
«1. Quelle place la Cour devrait-elle éventuellement accorder aux sources
faisant autorité que je viens de citer lorsqu’elle examinera la question de savoir 90 le
Costa Rica s’est entouré de précautions suffisantes en construisant sa route ?»
2. Les sources faisant autorité qu’a mentionnées M. le juge Bhandari sont des instruments
utiles qui peuvent être appliqués dans certains cas lorsque les circonstances s’y prêtent. Le
Costa Rica comprend la question comme étant posée dans l’optique de l’évaluation des précautions
qu’il a prises en construisant la route pour éviter de causer des dommages transfrontières
importants. Comme le Nicaragua l’a noté lorsqu’il a répondu mercredi à la même question, le
critère à appliquer en l’espèce pour établir le bien-fondé de son grief de dommages
environnementaux transfrontières devrait être celui du caractère important («significant») des
dommages . 91 C’est au Nicaragua qu’incombe la charge de prouver que son grief est fondé.
Comme le Costa Rica l’a expliqué tout au long de cette procédure, et à l’instant encore de la
bouche de M. Wordsworth, il n’y a aucune preuve de l’existence de dommages importants ni du
risque de tels dommages. La demande du Nicaragua fondée sur son grief de dommages importants
doit donc être rejetée.
3. La deuxième question de M. le juge Bhandari se lit comme suit :
«2. Quel poids la Cour devrait-elle accorder aux critères ou «meilleures
pratiques» adoptés dans des pays 92ès développés lorsqu’elle examinera la construction
de la route par le Costa Rica ?»
4. Parce que la cause du Nicaragua repose sur l’existence ou non d’une violation de
l’obligation de ne pas causer de dommages importants, les critères selon lesquels la route a été
construite sont en eux-mêmes dénués de pertinence en la présente instance, même si le Nicaragua
n’en a pas moins tenté maintes fois d’en faire une question centrale . La question de savoir si la
route a été initialement construite selon tels ou tels critères de génie civil, y compris des normes
applicables dans d’autres pays, ou même celles en vigueur au Costa Rica , est elle aussi dénuée de
32 pertinence. La seule question est celle de savoir si la route cause des dommages importants à
90
CR 2015/13, p. 55 (Bhandari).
91
CR 2015/15, p. 45, par. 27 (McCaffrey).
92CR 2015/13, p. 55 (Bhandari).
93
Voir par exemple RN, par. 3.2-3.15.
94
Voir CR 2015/16, p. 21-22, par. 14 (Reichler). - 27 -
l’environnement du fleuve San Juan. Les critères de construction ne pourraient jouer un rôle que si
le Nicaragua avait une raison de les invoquer. Or, il n’en a aucune.
5. La troisième question de M. le juge Bhandari était la suivante :
«3. En termes de précautions, quel critère devrait être appliqué en l’espèce, dans
le cas du Costa Rica ? Faut-il parler de désinvolture coupable ? De négligence ? De
95
devoir de diligence ? De responsabilité stricte ? Ou d’autre chose ?»
6. Le Costa Rica considère que le critère qu’il est pertinent de retenir en l’espèce est celui
des dommages importants. Le Nicaragua l’a d’ailleurs admis . Pour déterminer le seuil à partir
duquel il y a obligation de procéder à une évaluation de l’impact sur l’environnement
préalablement à la réalisation d’un projet, le critère de l’accomplissement du devoir de diligence
97
peut être pertinent, comme la Cour l’a relevé en l’affaire des Usines de pâte à papier . Bien
entendu, la Cour avait dans cette affaire à statuer sur l’application d’un régime établi par un traité
bilatéral, où figuraient des clauses environnementales détaillées, prévoyant diverses institutions et
procédures, alors qu’en la présente instance, il n’existe pas de régime conventionnel équivalent.
Pour ce qui concerne la présente affaire, M. Craik a appliqué le critère de l’accomplissement du
devoir de diligence lorsqu’il a analysé les obligations internationales en matière d’évaluation de
l’impact sur l’environnement, ce qui l’a amené à conclure que le Costa Rica n’avait pas manqué à
ses obligations à cet égard . Quoi qu’il en soit, le devoir de diligence suppose l’existence d’un
risque de dommages importants, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
7. Le Costa Rica n’en a pas moins rempli tout devoir de diligence qui pouvait lui incomber
lorsqu’il s’est mis en rapport avec le Nicaragua pour examiner avec celui-ci les préoccupations que
lui inspirait la construction de la route, lui demandant notamment communication des études et
informations pertinentes susceptibles d’étayer ses prétentions quant aux dommages qui pourraient
95CR 2015/13, p. 56 (Bhandari).
96CR 2015/15, p. 45, par. 27 (McCaffrey).
97
Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 83,
par. 205.
98 DCR, annexe 1 ; Neil Craik, «La nécessité d’effectuer au préalable une évaluation de l’impact sur
l’environnement», janvier 2015, par. 3.3-4.8. - 28 -
être causés au fleuve San Juan . Toutefois, le Nicaragua n’a pas coopéré, et n’a pas non plus
autorisé le Costa Rica à procéder à des mesures dans le fleuve San Juan, en dépit de ses demandes
100
répétées .
33 8. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, je vous remercie de la patiente
attention que vous voulez bien nous prêter depuis le début de ces audiences. Monsieur le président,
je vous prie de bien vouloir maintenant appeler à la barre M. Kohen.
The PRESIDENT: Thank you, Mr. Brenes. I now give the floor to Professor Kohen.
Mr. KOHEN:
T HERE HAS BEEN NO BREACH OF NICARAGUA ’S TERRITORIAL SOVEREIGNTY
OR OF THE OBLIGATION TO CARRY OUT AND NOTIFY AN
ENVIRONMENTAL IMPACT ASSESSMENT
1. Mr. President, Members of the Court, it is my task today, on this International Workers’
Day, to address the issue of the alleged breach of Nicaragua’s territorial sovereignty and integrity
as a result of the construction of the road. I will also reply to the allegations concerning the breach
of the obligation to carry out and notify an EIA.
2. May I begin with a brief reference to the quotations by Ambassador Argüello from a
purported “judgment” against Costa Rica by the Central American Court of Justice. In our
Counter-Memorial, we explained that Costa Rica is not party to the Statute of that court, the
Costa Rican parliament having voted against its ratification in 1995. Accordingly, the Central
101
American Court has no jurisdiction in respect of Costa Rica . Nicaragua is aware of this
situation, but has not taken the trouble to mention it. On the contrary, it regrettably persists in
seeking to rely on this alleged “judgment”, both in its Reply and indeed in oral argument yesterday.
That is certainly not a helpful contribution to the development of a regional justice system.
99 CMCR, p. 10, par. 1.17-1.23. Voir également CMCR, annexe 39, note DM-AM-601-11 en date du
29 novembre 2011 adressée au ministre nicaraguayen des affaires étrangères par le ministre costa-ricien des affaires
étrangères et des cultes, p. 179 ; CMCR, annexe 41, note DVM-AM-286-11 en date du 20 décembre 2011 adressée au
ministre nicaraguayen des affaires étrangères par le vice-ministre costa-ricien des affaires étrangères, p. 189 ; CMCR,
annexe 42, note DM-AM-045-12 en date du 26 janvier 2012 adressée au ministre nicaraguayen des affaires étrangères par
le ministre costa-ricien des affaires étrangères et des cultes, p. 197.
100
Voir par exemple CMCR, annexe 46, note DM-AM-063-13 en date du 6 février 2013 adressée au ministre
nicaraguayen des affaires étrangères par le ministre costa-ricien des affaires étrangères et des cultes. Voir également
DCR, p. 23-24, par. 2.28-2.33, et p. 94, par. 3.29.
101
CMCR, paras. 3.67-3.75. - 29 -
3. To clear up any confusion, I would point out that this Central American Court of Justice
has nothing to do with the Central American Court of Justice which gave judgment in 1916 against
Nicaragua for having entered into a canalization agreement without consulting Costa Rica, and
again in 1917, in proceedings instituted by El Salvador, which you cited in the
102
34 El Salvador/Honduras case (Nicaragua intervening) . The Central American Court of Justice
was the oldest international court, but unfortunately had to cease operations as a result of
Nicaragua’s reaction to these two decisions against it.
A. The purported “invasion by sedimentation”
4. Let us move on from history, Mr. President, and come to what Alain Pellet has described
as “the mother of all violations” as a result of the construction of Route 1856: the alleged breaches
of Nicaragua’s territorial sovereignty and integrity and of the 1858 Treaty . It is surely somewhat
strange that, notwithstanding its status as “mother of all violations”, not a word was said in the first
round to justify that status. This is Nicaragua’s recurrent strategy, both in this case and in the
joined one, to plead certain major issues only in the second round — an approach which will
certainly not have escaped your attention.
5. On our side, both in this case and in the Certain Activities case, we scrupulously follow
your instructions, Mr. President. In both cases, numerous claims put forward by our opponents in
the second round have already received a reply in our first round presentation. Hence, no need to
refer to them, or even to mention them.
6. I thought, Mr. President, that our Nicaraguan friends had abandoned the idea of an
104
invasion of Nicaraguan territory and a breach of its sovereignty by way of sedimentation . This
somewhat bizarre notion appeared in the Memorial , but had disappeared from the Reply . But I 106
107
was wrong. Yesterday, my friends Professors McCaffrey and Pellet renewed their assault . If my
102
Land, Island and Maritime Frontier Dispute (El Salvador/Honduras: Nicaragua intervening), Judgment,
I.C.J. Reports 1992, pp. 589-600, paras. 387-401.
103CR 2015/16, p. 54, para. 10 (Pellet).
104CR 2015/11, p. 41, para. 10 (Kohen).
105
MN, para. 4.13.
106
See MN, para. 5.4.
107CR 2015/16, p. 43, para. 5 (McCaffrey); pp. 55-56, paras. 11-12 (Pellet). - 30 -
35 two colleagues are to be believed, this invasion requires neither tanks nor soldiers . They contend
that Costa Rica is using far more subtle means. It is constructing a road, on its own territory,
producing sediments which, incapable of being carried away by the river, are themselves creating
deltas along its banks, thus adding numerous square metres — or rather cubic metres — to the
river, and in this way extending Costa Rica’s territorial sovereignty.
7. You will, of course, remember Nicaragua’s protests, just a few days ago, when it accused
us of exaggeration when we spoke of an “invasion” to describe the presence of Nicaraguan forces
on Costa Rican territory . Exaggeration, Mr President, is in the eye of the beholder.
8. Both Professors McCaffrey and Pellet spoke to you of a sort of Costa Rican territorial
“conquest” by way of sedimentation. The former told you that “Costa Rica is claiming that it can
acquire Nicaraguan territory by causing Costa Rican soil to be deposited across the border into
Nicaragua” . He produced comparisons which in no way reflect the true situation. Mr. President,
we are in the Netherlands, and perhaps that is what inspired our distinguished colleagues on the
other side of the Bar, but let me reassure them: Costa Rica is not attempting to “polderize” the
San Juan! Putting it more simply, Costa Rica has neither deposited nor dumped anything on
111
Nicaraguan territory. According to Stephen McCaffrey , if Costa Rica knew that sediment was
going to end up in the waters of the San Juan, then the causal link exists, as well as the intention,
112
and the “sedimentary conquest” is thus proved. We already refuted all this in the first round .
9. I sincerely believe that my distinguished colleague is going much too fast and much too
far, and I will explain why.
10. First, notwithstanding all of our opponents’ lengthy speeches, the scientific reports, the
examinations and cross-examinations, Nicaragua has failed to show us which are the deltas that
have allegedly been caused by the construction of the road.
36 11. Second, it has on the contrary been established that the deltas are alluvial formations
which existed on both sides of the San Juan even before the construction of the road. Alain Pellet
108
Nicaragua’s judges’ folder, 29 Apr. 2015, tab 13, CAG2-13.
109
CR2015/15, pp. 45 and 59, paras. 1 and 28 (Pellet).
11CR 2015/16, p. 43, para. 6 (McCaffrey).
111
Ibid., p. 44, para. 8 (McCaffrey).
112
CR 2015/11, pp. 41-43, paras. 10-18 (Kohen). - 31 -
seeks to refute this argument, which he describes as “truly absurd”, by telling us that, since the
sediment comes to rest wherever it encounters an obstacle, it follows that the sediment produced by
the road could perfectly well have ended up on the side of the river opposite to that where it
113
originated . That really requires a great deal of imagination, Mr. President. Do I need to remind
you at this point that it was Ms Ríos, a member of the Nicaraguan delegation, who I believe is
present here today, who tried to conduct studies of the deltas on both sides of the river, in an
attempt to demonstrate their varying composition? You can see on the screen the deltas on the two
sides of the river visited by Ms Ríos. True, Nicaragua no longer cites her report in support of its
claims. You now see the location of the deltas on the Nicaraguan side as noted by
Professor Thorne in his report. I will only show three of these. Given the river’s configuration, it
114
is not surprising that there should be deltas on both sides .
12. Third, the additional build-up of sedimentary deltas as a result of the construction of the
road — if any — remains negligible and transitory. After expressing doubt as to the possibility of
new deltas having have been created as a result of the road , Professor Thorne confirms this in the
following terms:
“Where sediment derived from the Road has accumulated on a pre-existing
tributary delta at the south bank, any local, small-scale impacts will be transitory and
short-lived. If Road-derived sediment has formed any entirely new deltas, these will
be removed by the Río San Juan as the mitigation works reduce the supply of new
clasts, those currently forming the delta disintegrate, and the River entrains and
transports the crumbling clasts away, quickly wearing them down to sand, silt and
clay-sized particles in the process.” 116
13. Fourth, the deltas themselves are by definition unstable formations, which frequently
change shape, or even appear and disappear.
14. You can see, Members of the Court, the photograph of the unlawful Nicaraguan presence
on Costa Rican territory which I showed on the screen on 23 April . My opponents were kind
118
37 enough to show it to you yesterday twice , while contending that the presence of the deltas
113
CR 2015/16, p. 54, para. 8 (Pellet).
114
See Written Statement of Prof. Thorne, para. 5.2; RCR, App. A, paras. 5.8-5.10.
115Construction of a Road, Written Statement of Prof. Thorne, para. 5.3.
116Ibid., para. 5.5.
117
Costa Rica’s judges’ folder, 23 Apr. 2015, tab 55.
118Nicaragua’s judges’ folder, 30 Apr. 2015, tab 44, SM2-1; tab 48, AP2-1 (a). - 32 -
119
constituted a breach of Nicaragua’s navigational rights . I think that, like me, you can see that
there is a tree on this delta. One does not have to be a botanist to appreciate that that tree must
have been there for quite some time, and that it cannot have grown there as a result of the
construction of the road. Nicaragua’s dramatics thus lack credibility. Even leaving aside the most
likely hypothesis, namely that this delta is not the result of the construction of the road, what does
Nicaragua want? Are we to proceed to demarcate a hypothetical boundary, whose markers should
be placed wherever a delta has extended? Frankly, it is hard to take any of this seriously.
15. It must be said, Mr. President, that Nicaragua has a liking for unusual boundaries. In the
other case, it has suggested — quite openly — that you draw a boundary between the forest and the
beach at Isla Portillos. In the present case, it has just told us that the deltas are Nicaraguan. In the
other case, it protested that Costa Rica was seeking to enclave Harbor Head Lagoon. I will forbear
to comment on the fact that Nicaragua is addressing its protests to the wrong person. Costa Rica is
not responsible for the marine erosion that removed the tongue of sand from above Isla Portillos, as
well as the channel which formerly existed between the two features.
16. Mr. President, Members of the Court, all of this is strange, very strange indeed: after so
strongly criticizing the notion the day before yesterday, Nicaragua now comes before you to claim
Nicaraguan enclaves terrestrial enclaves this time on the Costa Rican side of the
San Juan River and, what is more, enclaves created by Costa Rica! On Nicaragua’s logic, we
should doubtless also send experts there, to mark out a boundary on the deltas!
17. But let us return to the real world. In his Third Award, Umpire Alexander, discussing the
effect of rising and falling water levels on the boundary on the right bank of the San Juan, stated
that “[i]f the bank recedes, the boundary line shrinks, if the bank expands towards the river, it
moves forward” . 120 It is frankly regrettable that Nicaragua should encourage disputes, thus
38 aggravating the situation, by claiming anything whatever on the basis of these minor, unstable
formations.
11Nicaragua’s judges’ folder, 39 Apr. 2015.
12Certain Activities carried out by Nicaragua in the Border Area (Costa Rica v. Nicaragua); MCR, Ann. 11.
Third Award of Engineer-Umpire E.P. Alexander rendered in San Juan del Norte on 22 Mar. 1898 in the boundary
question between Nicaragua and Costa Rica, reproduced in United Nations, RIAA, Vol. XXVIII (2007), p. 229. - 33 -
18. A second alleged breach of Nicaraguan sovereignty is of its right of free navigation, as
121
bizarrely illustrated by the photo with the tree that we have just been looking at . The
justification put forward by Nicaragua’s counsel is that the sediment accumulates in particular
122
places, forming obstacles to navigation . He has failed to cite any scientific support in support of
this contention. As Professor Thorne has told you, any addition to morphological formations in the
123
river as a result of sediment from the road is temporary and insignificant . As we have pointed
out , no obstacle to navigation as a result of the construction of the road has been proved.
19. A third alleged breach of Nicaragua’s territorial sovereignty and integrity identified
yesterday by my opponent was the alleged presence of the remains of a pipe in the River San Juan.
These are pieces of a drainage pipe which Nicaragua claims to have “fished” from the waters of the
San Juan, and “found” just a week before the hearings on the provisional measures requested by
our opponents in 2013. Professor Pellet has shown you no less than seven photographs of those
same debris .125
20. Mr. President, four years of construction work have gone by and all that has been found
in terms of debris is a piece of drainage pipe. At the time of its request for provisional measures,
Nicaragua provided a video, where, from what one could make out, the pipe appeared to have been
extracted from Costa Rican territory. This time round, our opponents have spared us their video,
and with good reason. If that amounts to the evidence of Costa Rica’s negligence in relation to
Nicaraguan sovereignty, well, Members of the Court, I think that on the contrary it demonstrates
due diligence.
39 21. In sum, there has been neither a sedimentary invasion, nor a “conquest by delta”, nor a
violation of territorial integrity, nor a breach of the 1858 Treaty. If that is what the “mother of all
violations” amounts to, we can well understand that the hopes which our opponents appear to place
in her offspring are far from encouraging.
121
CR 2015/16, pp. 53-54, paras. 6-0 (Pellet).
122Ibid., p. 53, para. 6.
123Construction of a Road, Written Statement of Prof. Thorne, paras. 5.5-5.6.
124
RCR, para. 3.15; CR 2015/11, p. 44, para. 21 (Kohen). See also, RCR, App. A, para. 6.58.
125Nicaragua’s judges’ folder, 30 Apr. 2015, tab 49, AP2-2 (a), AP2-2 (b), AP2-2 (c), AP2-2 (c) - 34 -
B. Nicaragua has failed to prove any
violations of EIA obligations
22. I come now to the question of environmental obligations of a procedural nature. I will
briefly discuss our opponent’s arguments on the trigger threshold for the obligation to carry out and
notify an EIA, then demonstrate the existence of an exemption to the primary rule governing the
conduct and notification of such an assessment in an emergency situation and describe the
emergency situation in question, and how Costa Rica sought information from Nicaragua and
proposed negotiations, but was rebuffed.
23. My colleague and friend Stephen McCaffrey sought to contrast your position in the case
concerning Pulp Mills on the River Uruguay with the analogous rules in a variety of international
instruments, with the aim of reducing as far as possible the applicable threshold. This attempt to
invoke an apparent inconsistency is sadly misconceived. Particularly since the Court had itself
126
relied upon “a practice, which in recent years has gained so much acceptance among States” . A
practice which, of course, extends to the international instruments to which we have referred.
24. Nicaragua’s attempt to lower the trigger-point established by your Court in the
now-celebrated paragraphs 204 and 205 of its Judgment of 20 April 2010 cannot succeed. I have
127
already set out the numerous differences between the Pulp Mills case and our own .
Steve McCaffrey seeks to lower the trigger-point on the basis that your judgment calls for an EIA
“where there is a risk that the proposed industrial activity may have a significant adverse impact in
40 a transboundary context”, rather than addressing the existence “of a risk of significant
transboundary harm” (and I draw your attention to the fact that “important” in French is equivalent
to “significant” in English). It seems to me that the Court’s “long” version and the “shortened”
form found in various instruments are not contradictory but perfectly consistent with one another. I
am confident that this Court will be able to adapt its 2010 analysis to the different facts and context
under consideration here.
25. Mr. Wordsworth has just spoken to you about the absence of a risk of significant
transboundary harm, and I will not dwell on that any further. In the absence of such a risk, the
trigger-point has not been reached.
126
Pulp Mills on the River Uruguay (Argentina v. Uruguay), Judgment, I.C.J. Reports 2010 (I), p. 83, para. 204.
12CR 2015/11, pp. 49-50, paras. 34-35 (Kohen). - 35 -
26. However, I will spend a moment on the exemption to the primary obligation to conduct
an EIA in the event of an emergency — an obligation that is challenged by Steve McCaffrey.
Professor Craik established the existence of this exemption in general international law, using the
same method followed by the Court in the above-mentioned paragraphs of its Judgment in the
128
Argentina v. Uruguay case . He cited a long list of national and international instruments, to
which I would add one more, with which my dear colleague McCaffrey is very familiar. I refer to
the United Nations Convention on the Law of the Non-navigational Uses of International
Watercourses. I agree, of course, Mr. President, that this convention is not applicable to the case at
hand. But Article 19, paragraph 1, is “significant”, if I may use the word here. It too contains an
exemption to the obligation to notify planned measures “which may have a significant adverse
effect upon other watercourse States”. The relevant text reads as follows:
“In the event that the implementation of planned measures is of the utmost
urgency in order to protect public health, public safety or other equally important
interests, the State planning the measures may, subject to articles 5 and 7, immediately
proceed to implementation, notwithstanding the provisions of article 14 and
129
paragraph 3 of article 17.”
41 27. On the hypothesis that this provision were applicable to our case, then it would have
applied to the construction of the road. In any event, it confirms the existence in general
international law of an exemption to the obligation to notify .
28. Nicaragua disputes this exemption — even though it exists in its own domestic law —
arguing that, if it were to apply the obligation would be deprived of all substance . We do not
believe that to be the case. Such emergency or security-related exemptions exist in a multitude of
instruments covering very different fields of international relations, both multilateral and
131
bilateral .
29. Since the existence of this exemption finds solid support in international practice, I will
now turn to the arguments put forward regarding the situation in question. Nicaragua attempts to
play down the crisis it created when its armed forces violated a boundary which has been in place
128
Craik report, RCR, Vol. II, Ann. 1, paras. 5.1-5.6.
12Convention on the Law of the Non-navigational Uses of International Watercourses, New York, 21 May 1997,
United Nations, General Assembly res. 51/229.
13CR 2015/16, p. 13, para. 15 (Argüello); p. 46, para. 16 (McCaffrey).
131
See Craik report, RCR, Vol. II, Ann. 1, para. 5.2. - 36 -
since 1858. I am referring to Nicaragua’s military presence at the boundary, its threat to navigate
the Colorado River without Costa Rica’s permission, and all the rest — with which, at this stage, I
must refrain from burdening you. Professor McCaffrey, however, missed the key point in his
interpretation of Mr. Brenes’s presentation: President Ortega’s statement on Nicaragua’s alleged
right to navigate the Colorado River in order to carry out dredging work , which Nicaragua
133
conducted like a military operation — as it proudly boasted in its infamous “White Book” .
30. Finally, a fourth important point passed over by both Nicaragua’s Agent and counsel:
the attitude of Nicaragua itself. As our English-speaking friends say, and who am I, an
Argentinian, to contradict them: “it takes two to tango”. And yet I have mentioned, shown on
screen and included in the judges’ folders, the letter dated 29 November 2011 from Costa Rica’s
Minister for Foreign Affairs to his Nicaraguan counterpart, asking for scientific information and
proposing the holding of discussions on all common environmental issues within the framework of
42 the facilitation offered by Mexico and Guatemala, following the occupation of Isla Portillos and in
134
the absence of direct contact between the two Parties as a result of that occupation .
Mr. President, Members of the Court, if Nicaragua had accepted our proposal, perhaps we would
not be here in this Great Hall of Justice on 1 May!
31. “Context is everything”, as my old friend Paul Reichler is so fond of saying. Well, in the
case of procedural environmental obligations, it is clear from the context that Costa Rica has not
violated any of them.
Concluding remarks
32. Before I finish, Mr. President, I will make two points, if I may. Because our opponent
chose to respond to our arguments relating to Nicaragua’s new claim in respect of the beach at
Isla Portillos in the second round, we had reserved the right to comment on its claims; that will not
be necessary, Mr. President. Indeed, despite our opponent’s obvious efforts to distort our position
during the second round, it does not seem necessary to return to this.
132
CR 2015/11, p. 24, para. 34 (Brenes).
13Case concerning Certain Activities carried out by Nicaragua in the Border Area (Costa Rica v. Nicaragua);
MCR, Vol. II, Ann. 30, Government of Nicaragua, “San Juan de Nicaragua River: The Truths That Costa Rica Hides”
(White Book), 29 Nov. 2010.
134
Construction of a Road, CMCR, Vol. III, Ann. 39. - 37 -
33. My second point relates to Nicaragua’s brazen attempt on Wednesday to introduce
maritime delimitation into the mix. Nicaragua even showed the Court sketch-maps to accompany
its claims, the substance of which we will only address at the appropriate procedural moment. This
third case pending between the Parties has not, however, been joined to the two that have just been
heard. Both Nicaragua’s Agent and counsel had the nerve to claim that maritime delimitation was
the reason behind Costa Rica’s Application in the Certain Activities case . I wonder whether this
is in fact an example of what psychologists call “projection”. Perhaps it was Nicaragua which had
maritime-related ulterior motives when it attempted to change the existing geographical and legal
reality by building a caño, so as to cut Costa Rica’s link to the Caribbean Sea in the area around the
mouth of the San Juan.
34. Mr. President, Costa Rica has always acted openly, consistently and without demanding
43 anything other than the respect it is owed. There is no hidden agenda on its part. Indeed, it
instituted the proceedings relating to maritime delimitation before the case concerning Certain
Activities carried out by Nicaragua has been concluded. Nicaragua’s accusations are thus
completely unfounded.
35. Yesterday, Nicaragua further increased the scope of its claims. It is now asking the
Court to declare that Costa Rica does not have the right to develop its border region without a
136
transboundary EIA . Its Agent drew up a list: no building permits, no permits for land use, no
hotels, etc. This extreme position perhaps sheds new light on the Parties’ arguments.
36. In three weeks of oral argument, we have addressed a range of very different issues
which are of immense importance to the future of bilateral relations, but which also have
repercussions far beyond these two cases. Costa Rica is confident that the Court will deliver a
judgment that will put a full and final end to these disputes between the two States.
37. Members of the Court, thank you for your attention. Mr. President, I ask you to give the
floor to Ambassador Sergio Ugalde.
13CR 2015/15, p. 51, para. 11 (Pellet).
13CR 2015/16, pp. 14-15, para. 24 (Argüello). - 38 -
The PRESIDENT: Thank you, Professor Kohen. I give the floor to Ambassador
Sergio Ugalde.
M. UGALDE :
L’ARGUMENTATION DU NICARAGUA ET LES MESURES QU ’IL DEMANDE
À TITRE DE RÉPARATION
A. Introduction : l’argumentation du Nicaragua
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, après deux tours de procédure
orale, il est clair que la construction par le Costa Rica d’une route de 10 mètres de large , 137
entièrement sur son territoire souverain, n’a causé aucun dommage important au Nicaragua, ne lui
en cause aucun aujourd’hui et ne risque de lui en causer aucun à l’avenir.
44 2. Après trois ans et demi d’allégations et d’accusations de la part du Nicaragua, il est
flagrant que celui-ci a utilisé l’affaire relative à la Route pour tenter de détourner l’attention de
celle relative à Certaines activités.
3. A ce stade, je crains qu’il soit encore nécessaire de rappeler, fût-ce brièvement, les faits à
l’origine de la présente instance. A la fin de l’année 2010, le Costa Rica a constaté que son voisin
occupait militairement une partie de son territoire. En réaction à cette situation, il a tout d’abord
demandé l’application des mécanismes appropriés de règlement des différends, tels que ceux
prévus par la Charte de l’Organisation des Etats américains (OEA). Ces efforts ont cependant
échoué, se heurtant au refus du Nicaragua , qui a également refusé toute négociation bilatérale .139
4. En outre, le Costa Rica a découvert que le Nicaragua avait procédé, sur le territoire
costa-ricien, à des travaux entraînant une diminution du couvert forestier et nuisant à l’écologie
d’une zone humide protégée sur le plan international.
137G. Mathias Kondolf, «Erosion et dépôt de sédiments de la route 1856 dans le fleuve San Juan», juillet 2014,
réplique du Nicaragua (RN), annexe 1, p. 62.
138
Affaire relative à Certaines activités, mémoire du Costa Rica (MCR), annexe 112, déclaration de
M. Denis Ronaldo Moncada, ambassadeur du Nicaragua auprès de l’OEA, CNN international, «Appel au retrait des
troupes dans le différend opposant le Nicaragua et le Costa Rica», 13 novembre 20Voir également MCR,
annexe 113, allocution prononcée par le président Ortega à la télévision nationale nicaraguayenne le 13 novembre 2010,
traduction anglaise fournie par le Costa Rica (extraits).
139Voir MCR, par. 3.42 ; lettre DVM-357-10 en date du 24 novembre 2010 adressée au ministre des affaires
étrangères du Nicaragua par le ministre par intérim des affaires étrangères et des cultes du Costa Rica, MCR, annexe 59 ;
note MRE/DVMS/VLJ/0679/11/2010 en date du 24 novembre 2010 adressée au ministre des affaires étrangères et des
cultes du Costa Rica par le ministre par intérim des affaires étrangères du Nicaragua, MCR, annexe 61. - 39 -
5. Le Nicaragua a ensuite revendiqué des droits qu’il ne possédait pas sur le territoire du
Costa Rica .140 Il a annoncé que les trois kilomètres carrés qu’il avait envahis n’étaient pas
141
suffisants et qu’il en convoitait en réalité des milliers, soit toute une province costa-ricienne .
Hier, l’agent et l’un des conseils du Nicaragua ont essayé de minimiser l’importance de cette
menace. Ils ont laissé entendre que le Nicaragua pouvait revendiquer tout ce qu’il voulait dès lors
142
qu’il soumettrait ces revendications à la Cour . Toutefois, ces menaces ne sauraient être prises à
la légère. Le Costa Rica a parfaitement le droit de rejeter fermement des revendications
territoriales illicites et infondées et de prendre toutes les précautions nécessaires qui sont en son
pouvoir pour protéger sa population et son territoire.
6. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, face à ces circonstances
exceptionnelles, le Costa Rica a répondu de deux manières. Premièrement, il a porté l’affaire
45 devant la Cour. Deuxièmement, il a mis en chantier, dans des conditions d’urgence, un projet
d’infrastructure rudimentaire visant à faciliter la communication avec les populations installées le
long de la frontière et à permettre à la police et aux services d’urgence d’accéder à son territoire
frontalier afin de protéger, au besoin, ces communautés éloignées. Il s’agissait là, de la part du
Costa Rica, de mesures tout à fait raisonnables compte tenu des circonstances.
7. Le Nicaragua, lui, a pris immédiatement des mesures pour faire cesser les travaux sur la
route, en tirant prétexte de certaines obligations en matière de protection de l’environnement.
8. Il est évident que l’affaire relative à la Route constituait une tactique de diversion, et il
saute également aux yeux que le Nicaragua n’avait cure des obligations internationales qui lui
incombaient à l’égard du Costa Rica en matière de protection de l’environnement. La manière dont
il a présenté l’affaire la semaine dernière et hier traduit une ultime tentative de justifier son projet
de dragage en laissant entendre que le Costa Rica serait responsable du déversement de sédiments
dans le cours inférieur du fleuve San Juan. M. Wordsworth vous a exposé cet après-midi les
raisons pour lesquelles cette proposition est erronée, mais surtout, rien ne démontre que des résidus
140
Voir EL 19 (Nicaragua), «Nicaragua will request before the ICJ Navigation through Río Colorado»
[Le Nicaragua demandera à la Cour internationale de Justice de pouvoir naviguer sur le fleuve Colorado],
13 novembre 2010, contre-mémoire du Costa Rica (CMCR), annexe 71.
141Nicaragua, «Conférence inaugurale de l’année universitaire 2011, 6 avril 2011», transcription d’un discours
prononcé par le président Ortega, CMCR, annexe 16.
142
CR 2015/16, p. 14, par. 22 (Argüello) et 47, par. 20 (McCaffrey). - 40 -
entrés dans le fleuve San Juan du fait de la route ont effectivement atteint la zone où le Nicaragua
réalise des travaux de dragage.
9. Les propos de la Partie adverse sont contredits par ceux du responsable nicaraguayen
chargé des opérations de dragage du San Juan. Selon un article de la presse nicaraguayenne daté
o
du 29 avril 2015, soit d’il y a deux jours seulement (voir onglet n 38 du dossier de plaidoiries),
M. Pastora aurait en effet annoncé que le Nicaragua avait réussi à rétablir la pleine navigabilité du
San Juan, ce qui laisse entendre qu’il n’existe aucun dommage, et assurément aucun dommage
permanent. Mais cette déclaration est également précieuse en ce qu’elle met en évidence le
manque d’ouverture du Nicaragua quant aux travaux qu’il accomplit réellement sur le terrain, et
qui demeurent totalement obscurs.
10. Quant au respect par le Costa Rica de quelque devoir de diligence, ce dernier a produit
vingt-deux rapports techniques différents, tous transmis au Nicaragua, qui démontrent qu’il avait
raison sur toute la ligne. N’étant lui-même pas en mesure de produire la moindre preuve solide de
dommages, et encore moins de dommages importants, le Nicaragua se perd en extrapolations et en
exagérations sur les données qui servent de base à ces rapports. Mais il n’existe manifestement
aucun élément démontrant que des dommages importants ont effectivement été causés, et encore
moins qu’ils risquent de l’être. Le reste de l’argumentation du Nicaragua est fondé sur des images
anciennes qui ne correspondent plus à la réalité et sur une critique des mesures prises par le
Costa Rica.
11. En présentant son argumentation, le Nicaragua semble postuler que tout grain de sable
franchissant la frontière d’un Etat pour entrer sur le territoire d’un autre viole la souveraineté et
46 l’intégrité territoriale de ce dernier théorie incroyable s’il en est. Il est inutile que j’examine les
conséquences qu’aurait une théorie aussi étrange au niveau international si elle était admise.
12. Monsieur le président, le Costa Rica a fait tout ce qui était en son pouvoir pour remédier
aux problèmes causés par la partie de la route — seuls 10 % de sa longueur — à laquelle le
Nicaragua a consacré l’essentiel de son argumentation. Et nous continuerons, non pas à cause des
récriminations du Nicaragua mais parce que le Costa Rica respecte depuis longtemps ses
obligations en matière de protection de l’environnement et qu’il a un intérêt légitime à disposer
d’une route praticable. - 41 -
B. La dernière offensive du Nicaragua concernant les mesures de réparation
13. J’en viens à présent aux mesures de réparation demandées par le Nicaragua.
14. D’une manière générale, force est de s’interroger sur les véritables intentions de cet Etat.
J’ai en effet cru comprendre qu’il nous demandait tantôt d’atténuer, de construire ou de cesser les
travaux, et tantôt exactement le contraire, ou encore de procéder à une restitution, mais uniquement
dans la mesure du possible et sur le territoire costa-ricien. Ne sachant pas vraiment ce qu’il veut et
n’étant pas parvenu à établir que le moindre dommage lui a été causé, le Nicaragua a finalement
prié la Cour de désigner un expert pour le faire à sa place.
15. Je souhaiterais formuler sept observations à cet égard. Premièrement, le Costa Rica
prend acte du fait que le Nicaragua ne sollicite plus de déclaration l’autorisant à suspendre le droit
143
de navigation costa-ricien . Le Costa Rica tient toutefois à faire part de sa préoccupation quant à
l’explication fournie — à savoir qu’une déclaration de la Cour en ce sens ne serait pas nécessaire si
les conditions pour adopter une contre-mesure étaient de toute manière réunies — et à l’observation
à caractère comminatoire selon laquelle une telle mesure n’était pas envisagée, du moins pour
144
l’instant .
16. Deuxièmement, M. Pellet a laissé entendre hier que, vendredi dernier, j’aurais prétendu
que le Nicaragua avait renoncé à prier la Cour de déclarer qu’il était en droit de mener des travaux
de dragage . Or, le seul argument que j’ai avancé à cet égard est que la demande de déclaration
du Nicaragua, qui constitue le pendant de celle qu’il sollicite en l’affaire relative à
Certaines activités, trouve mieux sa place dans le contexte de l’autre affaire, en laquelle elle a
146
d’ailleurs été maintenue .
47 17. M. Pellet semble manifestement beaucoup tenir à débattre du droit de dragage supposé
du Nicaragua dans le cadre de la présente instance, comme l’illustre la nouvelle tentative qu’il a
faite pour démontrer la recevabilité de la demande de déclaration présentée par cet Etat . Et pour147
cause : c’est essentiellement sur cette demande que se fonde le Nicaragua pour réclamer au
143
CR 2015/16, p. 57, par. 17 (Pellet).
144Ibid.
145Ibid., par. 18 (Pellet).
146
CR 2015/13, p. 44, par. 6-7 (Ugalde).
147CR 2015/16, p. 57-58, par. 19 (Pellet) ; voir auparavant le CR 2015/10, p. 59, par. 23 (Pellet). - 42 -
Costa Rica une indemnisation au titre du surcoût qui aurait été occasionné dans le cadre du
programme de dragage de M. Pastora.
18. Il n’en demeure pas moins que, si les deux affaires n’avaient pas été jointes, on aurait pu
sérieusement douter de la recevabilité de la demande présentée par le Nicaragua en vue de faire
reconnaître son droit de dragage dans la présente instance. En effet, cette demande ne figurait pas
dans la requête , le Nicaragua l’ayant formulée pour la première fois, en l’espèce, dans son
149
mémoire , sans du reste lui consacrer un seul mot dans le corps de la pièce. Bien que M. Pellet
n’ait pas ménagé ses efforts pour vous convaincre du contraire, il apparaît clairement que la
demande de déclaration n’a guère de rapport avec le différend dont la Cour a été saisie en l’affaire
relative à la Route. De fait, ainsi qu’il ressort de la requête, le présent différend porte sur les
150
dommages qu’aurait entraînés la construction de la route , alors que l’affaire relative à
Certaines activités met directement en jeu la déclaration sollicitée par le Nicaragua quant à son
droit de mener des travaux de dragage comme bon lui semble.
19. Dans ces conditions, je tiens à faire observer que M. Pellet se méprend lorsqu’il reproche
au Costa Rica de nier le droit de draguer le San Juan dont le Nicaragua est pourtant titulaire, que ce
151
soit en la présente affaire ou en celle relative à Certaines activités . Ainsi qu’il l’a répété à
maintes reprises, le Costa Rica reconnaît en effet que le Nicaragua est fondé à exécuter des travaux
d’amélioration, pour autant qu’il se conforme aux obligations et aux limitations découlant de la
sentence Cleveland et du droit international de l’environnement . 152
20. Pour que les choses soient bien claires, le Costa Rica ne s’oppose nullement à ce que la
Cour dise, dans le cadre de l’affaire relative à Certaines activités , quelle est la portée exacte du
droit de dragage que possède le Nicaragua. Compte tenu des faits intervenus après le prononcé de
l’arrêt de 2009, une déclaration de la Cour précisant l’étendue et les limites du droit du Nicaragua
48 d’exécuter des travaux d’amélioration ne pourrait qu’avoir un effet apaisant sur les relations entre
148
Requête introductive d’instance du Nicaragua, Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve
San Juan, 22 décembre 2011.
149Affaire relative à la Route, mémoire du Nicaragua (MN), p. 252, par. 3 i) et ii).
150Voir l’affaire relative à la Route, CMCR, par. 4.34-4.35.
151
CR 2015/16, p. 57, par. 19 (Pellet).
152
CR 2015/3, p. 55, par. 2-3 (Ugalde) ; CR 2015/14, p. 55, par. 35-36 (Ugalde).
153CR 2015/16, p. 60, par. 29 (Pellet). - 43 -
les Parties. Le Costa Rica préférait cependant qu’une déclaration, quelle qu’elle soit, figure dans le
dispositif et non pas simplement dans le corps de l’arrêt, pour prévenir tout nouveau différend
concernant son effet obligatoire.
21. En revanche, la déclaration demandée par le Nicaragua n’a manifestement pas sa place
dans le cadre de la présente affaire.
22. Troisièmement, que l’on examine la question sous l’angle de la cessation ou de la
restitution, force est de constater que M. Pellet n’a toujours pas indiqué quel était le lien entre les
mesures sollicitées par le Nicaragua et les violations alléguées. Certes, il est convenu de ce que,
pour déterminer la forme que devrait prendre la restitution en cause, il y aurait lieu de tenir compte
154
de l’obligation précise à laquelle le Costa Rica ne se serait pas conformé . Toutefois, et bien qu’il
ait affirmé que les obligations violées ne se limitaient pas à celle de ne pas causer de dommage
important , il n’a pas précisé en quoi les mesures demandées constituaient une cessation ou une
restitution en rapport avec ces obligations.
23. Cette remarque vaut tout particulièrement pour son argument selon lequel la Cour
pourrait ordonner que soient prises certaines mesures d’atténuation et mesures correctives,
156
conformément à des normes précises, et ce, sous le contrôle d’un expert . Là encore, M. Pellet
n’a pas exposé pourquoi ces mesures constitueraient une cessation ou une restitution en ce qui
concerne l’une quelconque des obligations dont le Nicaragua allègue la violation au paragraphe 1
de ses conclusions.
24. Nul ne prétend que le Costa Rica a manqué à une obligation lui imposant de construire la
route — ou bien d’exécuter des travaux d’atténuation ou des mesures correctives — d’une manière
particulière. En conséquence, si — quod non — la Cour devait conclure que la route occasionne au
Nicaragua des dommages qui dépassent le seuil applicable, et que ces dommages continuent de lui
être causés en violation des obligations incombant au Costa Rica, la restitution ou la cessation
consisterait à y mettre un terme. C’est toutefois au Costa Rica qu’il reviendrait de déterminer les
154CR 2015/16, p. 60, par. 25 (Pellet).
155Ibid., p. 58, par. 21 (Pellet).
156
Ibid., p. 60-61, par. 25 (Pellet). - 44 -
modalités précises à cet égard. Dans une telle hypothèse, rien ne justifierait d’ordonner la prise de
telle ou telle mesure ou la désignation d’un expert chargé de contrôler le processus.
49 25. Il en va de même en ce qui concerne la théorie de M. Pellet selon laquelle la restitution
157
supposerait le déplacement d’au moins certaines parties de la route . De fait, le Nicaragua n’a pas
précisé quelles parties de celle-ci devraient, selon lui, être déplacées, pas plus qu’il n’a démontré
qu’un tronçon particulier aurait provoqué les dommages allégués. Si la Cour devait conclure que
des dommages ont réellement été causés en violation des obligations du Costa Rica, celui-ci
pourrait effectivement fort bien, afin de se conformer aux obligations de cessation et de restitution
lui incombant, modifier le tracé de la route. Il ne s’agirait toutefois là que d’une possibilité parmi
d’autres, ce qui ne signifierait pas pour autant qu’il soit tenu de le faire, et encore moins que la
Cour doive le lui ordonner.
26. Il est révélateur que, dans ses conclusions, le Nicaragua n’ait pas demandé à la Cour de
prescrire que la route soit déplacée ou construite conformément aux vues de ses experts.
27. Quatrièmement, s’agissant de la déclaration demandée en ce qui concerne le transport de
substances dangereuses, M. Pellet continue de prétendre que le risque encouru serait plus
qu’hypothétique, encore qu’il semble à présent se préoccuper de ce que la législation pertinente
158
pourrait ne pas porter sur le transport de produits courants tels que le carburant . On est donc
bien loin des camions citernes qu’il avait imaginés la semaine dernière. Ainsi que je l’avais dit à ce
moment-là, et à la lumière de la législation costa-ricienne pertinente, je me contenterais de
répondre que rien ne laisse prévoir que des quantités importantes de matières dangereuses soient
transportées sur la route et, partant, qu’il n’existe aucun risque de voir se concrétiser les dommages
159
que le Nicaragua prétend redouter .
28. Cependant, le fait que le Nicaragua semble en réalité s’inquiéter de ce que des riverains
puissent transporter un bidon de quelques litres de gazole en dit long sur la véritable nature de sa
prétention : elle constitue une fausse demande, qui vise uniquement à causer des désagréments
157
CR 2015/16, p. 59, par. 22 (Pellet).
158Ibid., p. 60, par. 24 (Pellet).
159
CR 2015/16, p. 60, par. 24 (Pellet). - 45 -
indus au Costa Rica et à ses habitants, et que le Nicaragua pourrait dépeindre comme une victoire
auprès de sa propre population.
29. Dans ce contexte, M. Pellet s’est également référé au principe 15 de la déclaration de Rio
selon lequel, en cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude
50 scientifique absolue ne devait pas servir de prétexte pour ne pas prendre des mesures
préventives . Sauf le respects dû à notre contradicteur, nous ne voyons pas en quoi le principe de
précaution et la «certitude scientifique» pourraient se révéler pertinents pour l’hypothèse qui nous
occupe.
30. Cinquièmement, l’agent a quelque peu précisé la portée de la demande du Nicaragua
tendant à ce qu’il soit prescrit au Costa Rica de réaliser une évaluation de l’impact transfrontière
sur l’environnement portant sur la totalité des développements à venir dans la zone en cause.
Apparemment, cette évaluation devrait même couvrir des questions telles que la délivrance de
161
permis de construire de nouvelles habitations , et ce, qu’il existe ou non un risque de dommages
transfrontières, ce qui est manifestement grotesque. Une telle prescription serait injustifiée pour les
162
raisons que j’ai indiquées la semaine dernière , notamment parce qu’elle serait à la fois
excessivement large et insuffisamment précise quant à sa portée. Même une formulation plus
étroite reviendrait simplement à répéter les obligations que le Costa Rica reconnaît comme étant les
siennes, et serait donc superflue.
31. Sixièmement, puisque M. Pellet n’a pas traité la question de l’indemnisation, je serai très
bref sur ce point ; en résumé, comme M. Wordsworth l’a exposé, il n’existe bien évidemment
aucune preuve que des dommages importants aient été causés, ni même que des sédiments se soient
déposés dans le tronçon du San Juan inférieur où le Nicaragua a mené l’essentiel de ses travaux de
dragage .163
32. Septièmement, bien que le Nicaragua se soit longuement attardé sur le sujet, je relèverai
qu’il n’a pas demandé, dans ses conclusions finales, que des experts soient désignés. J’ai déjà
160
CR 2015/16, p. 60, par. 24 (Pellet).
161Ibid., p. 15, par. 24 (Argüello).
162
CR 2015/13, p. 47-48, par. 22-24 (Ugalde).
163 o
Voir plus haut, exposé n 1 (Wordsworth). - 46 -
précisé pourquoi il n’y avait pas lieu de procéder ainsi pour veiller à ce que le Costa Rica prenne
bien des mesures correctives. La proposition tendant à désigner un ou plusieurs experts en vue
164
d’«assister la Cour dans l’évaluation des dommages subis par le Nicaragua» revient en effet à
soutenir, dans d’autres termes, que la Cour devrait aider le Nicaragua à étayer son argument relatif
aux dommages qu’il aurait subis. Or, ainsi que je l’ai indiqué la semaine dernière, si le Nicaragua
n’a pas satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe en démontrant qu’un quelconque
dommage lui a été causé, son échec sonne le glas de sa demande . 165
C. Conclusion
51 33. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, hier, le Costa Rica a en réalité
été placé devant une alternative, à savoir admettre qu’il doit au Nicaragua une évaluation de
l’impact sur l’environnement ou attendre que la Cour en décide pour lui. Je ne développerai pas
davantage la position du Costa Rica, si ce n’est pour préciser que, s’agissant du projet que celui-ci
a mis en chantier en 2010, il n’était pas tenu de réaliser une telle évaluation, en raison, d’une part,
de l’ampleur et des caractéristiques de l’entreprise et, d’autre part, de la situation d’urgence dans
laquelle il a été contraint de la mener.
34. Cela étant, le Costa Rica constate également que le Nicaragua semble enfin avoir accepté
son invitation à le consulter et à coopérer avec lui. Ainsi qu’il l’avait proposé dans sa lettre en date
du 29 novembre 2011 , le Costa Rica répète qu’il est disposé à rencontrer le Nicaragua, sans
aucune réserve, en vue de traiter l’ensemble des questions bilatérales, sans exception, concernant
les préoccupations d’ordre environnemental légitimement nourries par les deux Etats. A cette fin,
et dans la mesure où la construction de la route ne reprendra qu’une fois tous les plans de
conception réalisés, le Costa Rica demeure prêt à effectuer des études environnementales
complémentaires venant s’ajouter aux vingt-deux qui ont déjà été effectuées, pour autant qu’elles
soient nécessaires afin de dissiper toute crainte que le Nicaragua pourrait raisonnablement nourrir
par rapport au projet.
164
CR 2015/16, p. 62, par. 28 (Pellet) ; les italiques sont dans l’original et de nous.
165CR 2015/13, p. 46, par. 15-16 (Ugalde).
166
Lettre DM-AM-601-11 en date du 29 novembre 2011 adressée au ministre des affaires étrangères du
Nicaragua par le ministre des affaires étrangères et des cultes du Costa Rica ; CMCR, annexe 39. - 47 -
35. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ainsi s’achève le second tour
de plaidoiries du Costa Rica. Je tiens à vous exprimer ma sincère reconnaissance pour l’attention
que vous avez bien voulu me prêter. Monsieur le président, je vous prie d’appeler à la barre
M. l’ambassadeur Edgar Ugalde, qui présentera les dernières observations du Costa Rica et
donnera lecture de ses conclusions finales.
The PRESIDENT: Thank you, Ambassador. I now give the floor to the Agent of
Costa Rica, Mr. Ugalde Álvarez.
M. UGALDE ÁLVAREZ :
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, au moment de conclure notre
second tour de plaidoiries, il ne subsiste aucun doute que les travaux de construction routière
exécutés dans leur totalité en territoire incontestablement costa-ricien n’ont causé aucun dommage
transfrontière important et ne risquent pas d’en causer à l’avenir.
52 2. La route en question n’est pas une autoroute. La Cour a pu voir une vidéo réalisée en
février de cette année, qui montre qu’il s’agit d’une étroite route de campagne en voie d’être
construite en grande partie sur des pistes et des sentiers préexistants au Costa Rica. Elle fournit une
voie d’accès terrestre aux communautés riveraines isolées ainsi qu’aux postes de police frontalière,
auxquels elle permet de communiquer entre eux. Le Nicaragua s’est employé à présenter ce projet
comme une sorte de catastrophe, bien que ses moyens se rapportent à une partie très limitée de la
route et reposent sur une sélection habile de photographies périmées, plutôt que sur des données
fiables et objectives.
3. La construction de la route n’a eu aucun impact sur le fleuve San Juan et ne lui a
certainement causé aucun dommage important sous forme d’apport sédimentaire. Il est de toute
évidence faux de prétendre que les quantités indiscernables de sédiments qui pourraient atteindre le
San Juan depuis la route aient pu causer quelque dommage au fleuve et à son écologie, ou soient
susceptibles d’avoir cet effet.
4. Les travaux de construction routière ont été entrepris dans le contexte d’une situation
d’urgence provoquée par les menaces et agressions armées du Nicaragua, auxquelles se sont
ajoutées d’autres atteintes graves de sa part, notamment sa persistance à entraver l’exercice par le - 48 -
Costa Rica de son droit de navigation, de même que ses interprétations fantaisistes et illégales du
régime frontalier pourtant bien établi. Malgré cela, le Costa Rica s’est toujours efforcé de répondre
aux préoccupations du Nicaragua concernant la route, même lorsque ce dernier se montrait hostile
à son endroit.
5. Le Costa Rica a proposé à cet égard de faire appel à la médiation des Gouvernements du
Guatemala et des Etats-Unis du Mexique, afin que puissent être abordées sans réserve toutes
167
questions concernant la protection de l’environnement . Le Nicaragua n’a pas accepté cette
proposition. Le Costa Rica a également suggéré que les deux pays collaborent à la prise de
53 mesures conjointes dans le San Juan , proposition que le Nicaragua a également rejetée . Le 169
Costa Rica a ensuite suggéré au Nicaragua de procéder à ses propres mesures de débit mensuelles,
ce qui n’a apparemment pas été fait. Le Costa Rica a ainsi agi de bonne foi et fait preuve de toute
la diligence voulue, notamment en produisant 22 études scientifiques distinctes concernant la route
dans le contexte de la présente affaire.
6. Nous savons que le Nicaragua a mis en place le matériel nécessaire pour mesurer
170
régulièrement le débit du fleuve San Juan . Or, ou bien il n’a pas effectué de mesures, ou bien il
n’a pas jugé opportun d’en faire part au Costa Rica ni à la Cour. Quelle que soit la véritable raison,
le Nicaragua doit être débouté parce qu’il ne s’est pas acquitté de la charge qui lui incombait de
démontrer soit qu’un dommage important lui a été causé, soit qu’il existe ou a existé un risque de
dommage important.
167Lettre DM-AM-601-11 en date du 29 novembre 2011 adressée au ministre des affaires étrangères du
Nicaragua par le ministre des affaires étrangères et des cultes du Costa Rica (CMCR, annexe 39).
168Lettre DM-AM-063-13 en date du 6 février 2013 adressée au ministre des affaires étrangères du Nicaragua par
le ministre des affaires étrangères et des cultes du Costa Rica (CMCR, annexe 46).
169DCR, par. 2.29 et notes 61 à 64, et lettre MRE/DM-AJ/129/03/13 en date du 5 mars 2013 adressée au ministre
des affaires étrangères et des cultes du Costa Rica par le ministre des affaires étrangères du Nicaragua (CMCR,
annexe 48) ; lettre ECRPB-013-2013 en date du 7 mars 2013 adressée au greffier de la Cour par le coagent du Costa Rica
(CMCR, annexe 49) ; lettre ECRPB-26-13 en date du 24 mai 2013 adressée au greffier de la Cour par le coagent du
Costa Rica (CMCR, annexe 52) ; lettre ECRPB-31-13 en date du 13 juin 2013 adressée au greffier de la Cour par le
coagent du Costa Rica (CMCR, annexe 53) ; lettre HOL-EMB-108 en date du 14 juin 2013 adressée au greffier de la
Cour par l’agent du Nicaragua (CMCR, annexe 54) ; lettre ECRPB-036-13 en date du 24 juin 2013 adressée au greffier
de la Cour par le coagent du Costa Rica (CMCR, annexe 55) ; lettre ECRPB-o52-13 en date du 7 août 2013 adressée au
greffier de la Cour par le coagent du Costa Rica (CMCR, annexe 59) ; lettre n 142331 en date du 8 août 2013 adressée à
l’agent du Costa Rica par le greffier de la Cour (CMCR, annexe 60) ; lettre HOL-EMB-167 en date du 30 août 2013
adressée au greffier de la Cour par l’agent du Nicaragua (CMCR, annexe 64) ; lettre ECRPB-63-2013 en date du
27 septembre 2013 adressée au greffier de la Cour par le coagent du Costa Rica (CMCR, annexe 65).
170INETER, «Summary of Measurement of liquid and suspended solids content during the years 2006, 2011 and
2012» [résumé des relevés hydrologiques et sédimentaires pour les années 2006, 2011 et 2012] (affaire relative à
Certaines activités, CMN, annexe 16). - 49 -
7. Les allégations du Nicaragua selon lesquelles les travaux de construction routière
l’auraient forcé à draguer le fleuve San Juan sont dépourvues de fondement et sa réclamation
concernant les frais de dragage est injustifiée. Comme l’ambassadeur Sergio Ugalde l’a déclaré, le
Costa Rica est disposé à consulter le Nicaragua et à coopérer de bonne foi avec lui, et le fera dans
la mesure où les déclarations faites hier devant la Cour sont suivies d’un engagement plein et
véritable à cet effet.
8. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, il est évident que la présente
procédure a été introduite en représailles de celle qu’a engagée le Costa Rica en 2010. Mon pays
ne peut que regretter qu’un différend international légitime ait pu donner lieu à un tel procédé. Le
Costa Rica est confiant que la Cour ne se laissera pas duper par cette manœuvre et la prie de ne pas
cautionner de quelque façon que ce soit cette mesure de rétorsion. Le Nicaragua doit être débouté
de l’intégralité de sa demande.
9. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vais maintenant procéder à
la lecture des conclusions du Costa Rica.
C ONCLUSIONS
54 Sur le fondement des moyens exposés au cours de la procédure écrite et de la procédure
orale, le Costa Rica prie la Cour de rejeter la totalité des prétentions du Nicaragua en l’espèce.
10. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, pour conclure notre
participation aux audiences, je souhaite exprimer toute la gratitude de la République du Costa Rica
à chacun d’entre vous pour l’aimable attention qu’il a bien voulu accorder à nos exposés.
Je tiens également à remercier le greffier de la Cour, son personnel, les interprètes et
traducteurs, ainsi que tous les fonctionnaires de la Cour, pour leur travail remarquable au cours de
ces longues semaines. Enfin, je souhaite témoigner publiquement ma reconnaissance envers les
conseils du Costa Rica et tous les membres de notre délégation.
Je vous remercie, Monsieur le président.
The PRESIDENT: Thank you, Mr. Ugalde Álvarez
The Court takes note of the final submissions which you have just read out on behalf of the
Republic of Costa Rica, as it did yesterday of the final submissions of Nicaragua. - 50 -
That brings us to the end of the hearings in the case concerning Construction of a Road in
Costa Rica along the San Juan River (Nicaragua v. Costa Rica) and, therefore, to the end of the
oral proceedings in the two joined cases. I should like to thank the Agents, counsel and advocates
of the Parties for the assistance they have given the Court through their oral argument, and for the
courtesy which they have shown throughout these proceedings. I would request the Agents of the
Parties to remain at the Court’s disposal to provide any additional information it may require.
The Court will now retire for deliberation. The Parties will be advised in due course by the
Registrar of the date on which the Court will deliver its decision at public sitting.
The Court rose at 5 p.m.
___________
Translation