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CR 2014/8 (traduction)

CR 2014/8 (translation)

Mercredi 5 mars 2014 à 10 heures

Wednesday 5 March 2014 at 10 a.m - 2 -

10 Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. La Cour entendra ce matin

la suite des plaidoiries de la Croatie. Mme Blinne Ní Ghrálaigh, vous avez la parole.

Mme NÍ GHRÁLAIGH :

LES ACTIVITÉS GÉNOCIDAIRES DE LA SERBIE EN S LAVONIE ORIENTALE

I. Introduction

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est pour moi un honneur de

paraître pour la première fois devant vous au nom de la République de Croatie.

2. Hier, l’exposé de M. Sands a porté sur l’ensemble des régions de Croatie prises pour cible

par la Serbie. Mon intervention portera sur la région de la Slavonie orientale et sur les actes

génocidaires qui ont été perpétrés contre la population croate de cette région .

3. [Projection à l’écran.] J’utilise la dénomination «Slavonie orientale» pour désigner la

2
partie la plus à l’est de la Croatie, qui a été la cible des forces serbes en 1991 . Etant donné sa

situation géographique limitrophe de la Serbie, ainsi que sa position stratégique le long du Danube,

cette région était d’une importance cruciale au regard de l’objectif d’établir une «Grande Serbie»

ethniquement homogène sur le territoire Croate. C’est dans cette région que le conflit a éclaté.

Elle a par ailleurs été le théâtre de quelques-unes des pires atrocités commises, dont le siège et les

massacres de Vukovar, qui feront l’objet de l’exposé de sir Keir Starmer. Elle mérite donc une

attention toute particulière.

4. Mon intervention portera essentiellement sur le schéma des attaques organisées par les

forces serbes en Slavonie orientale sous le commandement de l’armée populaire yougoslave, la

JNA. [Fin de la projection.] Le schéma systématique et cohérent des atrocités, répété de village en

village dans la région, la nature des attaques, l’usage accablant de la puissance de feu contre des

cibles civiles croates, la participation directe de la JNA aux actes de génocide — torture, viol et

meurtre —, la couverture et l’appui assurés par la JNA aux paramilitaires serbes et autres forces

serbes tandis que ceux-ci se chargeaient d’exécuter les actes de génocide, encore et encore : autant

1Voir MC, vol. 1, chap. 4, et RC, vol. 5, chap. 5.

2MC, vol. 5, planche 4.2. - 3 -

de preuves évidentes des atrocités commises par la Serbie. Ce sont en outre des preuves évidentes

de l’intention destructrice qui l’animait.

11 5. J’entends faire de mon intervention sur la Slovénie orientale une étude de cas. Le schéma

d’attaque que je vais décrire a toutefois été mis en œuvre contre la population croate dans toutes les

régions prises pour cible par la Serbie.

6. Mon exposé sur le schéma des attaques menées en Slavonie orientale comprend quatre

parties :

7. Dans un premier temps, je proposerai une description de la région en 1991.

8. Je présenterai ensuite les forces serbes qui étaient actives dans la région.

9. Dans un troisième temps, je décrirai le schéma typique d’une attaque menée par la JNA en

Slavonie orientale.

10. Quatrièmement, enfin, j’expliquerai comment ce schéma d’attaque a été mis en œuvre

contre des villages croates de la région.

II. La Slavonie orientale en 1991

11. Je commencerai par décrire la Slavonie orientale, telle qu’elle existait en 1991. Cette

région était l’une des plus riches de Croatie, dotée d’importantes réserves de pétrole et de gaz

naturel. Elle était et reste une région très rurale. Sa population d’environ 600 000 habitants,

éparpillée sur tout le territoire dans les petites villes, villages et hameaux dont elle était formée,

était ethniquement mixte, bien que principalement croate : environ 70 % de la population était
3
d’origine croate, et environ 17 %, d’origine serbe . Croates et Serbes cohabitaient paisiblement, les

uns à côtés des autres dans des villages ethniquement mixtes. Et les villages peuplés

majoritairement de Croates coexistaient paisiblement avec leurs voisins peuplés majoritairement de

Serbes.

12. Les choses ont pourtant commencé à évoluer en Slavonie orientale, comme ailleurs, au

début de l’année 1991, avec la montée de l’ultranationalisme serbe et du sentiment anti-croate,

alimentés et encouragés par la Serbie. En février 1991, la région autonome serbe autoproclamée de

Slavonie, Baranja et Srem occidental est établie en Slavonie orientale [projection à l’écran]. Cette

3 MC, vol. 1, par. 4.04 ; MC, vol. 2, partie I, p. 3, composition ethnique de la Slavonie orientale (Blie Manastir,
Donji Miholjac, Dakovo, Osijek, Nasice, Valpovo, Vinkovci, Vukovar, Zupanja) en 1991. - 4 -

région est également connue sous les dénominations plutôt lourdes de «SAO SBSO» et «SAO de

Slavonie orientale». Elle est maintenant représentée sur vos écrans, en haut à droite. Elle a été la

deuxième des trois régions autonomes serbes à être illicitement établies sur le territoire croate au

début des années 1990 par les nationalistes serbes, avec le soutien financier et autre de la Serbie.

Comme vous pouvez le constater, la SAO SBSO comprenait une partie du territoire de la Slavonie

orientale, qui se trouve au cœur du présent exposé. Son président, Goran Hadžić, est actuellement

en attente de jugement devant le TPIY pour les atrocités perpétrées dans la région.

12 13. Comme vous l’avez entendu hier, c’est en Slavonie orientale, dans le village de

Borovo Selo, que s’est produite la première étincelle qui allait mettre le feu au conflit en Croatie.

er
Le 1 mai 1991, un bus de la police croate est pris dans une embuscade tendue par des

paramilitaires serbes. Ces derniers tuent 12 des officiers de police présents, dont ils mutilent les

cadavres. En réaction, la JNA occupe le village dans le but de protéger les auteurs de ces actes.

Les paramilitaires serbes commencent à installer des barrages sur les routes et à saboter les lignes

ferroviaires en direction de Belgrade. Des bataillons de renfort de la JNA traversent la frontière

séparant la Serbie de la Croatie afin d’appuyer les rebelles serbes . Des bastions serbes sont ainsi

établis dans les villages de la région comptant une majorité de Serbes, tels que Tenja. Des listes

sont dressées, dans lesquelles les résidents croates de ces villages se trouvent distingués et dissociés

de leurs voisins serbes. Ces bastions serviraient plus tard de bases de lancement aux attaques

5
contre les villages croates avoisinants . Le décor du génocide était planté. [Fin de la projection.]

III. Les forces serbes en Slavonie orientale

14. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, avant de passer à la

description des atrocités perpétrées en Slavonie orientale, il me semble essentiel d’en identifier les

principaux acteurs. La JNA a été l’un des principaux protagonistes dans la région, comme dans le

reste de la Croatie, en particulier ses unités du premier district militaire, ainsi que la 1 brigadee

6
motorisée dont Mile Mrkšić, reconnu coupable de crimes de guerre, était alors le commandant .

Les rangs de la JNA étaient gonflés par les forces de la défense territoriale (la «TO»), à savoir

4 MC, vol. 1, par. 4.15-4.19.

5 Ibid., par. 4.20-4.29 ; vol. 2, partie I, annexes 1-18 ; RC, vol. 1, par. 5.14-5.19.
6
Ibid., par. 3.82-3.83, et 4.12-4.14. - 5 -

celles de la Serbie et celles qui avaient été formées par les autorités rebelles serbes en Croatie

(par exemple, la TO de la SAO SBSO). Ces unités étaient officiellement intégrées aux structures

de la JNA, sous le commandement de laquelle elles étaient placées pour les opérations menées dans

7
la région .

15. Des paramilitaires serbes et des formations paramilitaires ont également été intégrés aux

rangs de la JNA dans le cadre d’opérations menées en Slavonie orientale ou ailleurs. On y trouvait

notamment des paramilitaires issus d’un certain nombre des groupes ultranationalistes qui ont été

8
décrits hier et que la Serbie avait aidé à mettre sur pied et à armer . Les «Tigres d’Arkan», basés à

Erdut, les «Aigles blancs» de Vojislav Šešelj, basés à Borovo Selo, ou encore le «détachement de
13

Dušan le puissant» comptaient parmi les plus notoires et les plus brutaux de ces groupes . 9

Monsieur le président, nous avons pris note de la question de M. le juge Greenwood concernant

M. Šešelj, et nous y répondrons, ainsi qu’aux autres questions, au cours de nos exposés oraux de

demain et vendredi.

16. Outre les paramilitaires, des volontaires serbes, parmi lesquels plusieurs milliers venus

de Serbie, ont également été affectés à diverses unités de la JNA et de la TO dans la région . 10

11
17. Toutes ces forces se trouvaient sous le commandement unique et unifié de la JNA .

[Projection à l’écran.] Ainsi que le TPIY l’a constaté dans l’affaire Mrkšić , en Slavonie orientale,

tout comme dans d’autres régions de Croatie, la JNA avait «la maîtrise totale des opérations

militaires», à la fois de jure et de facto.

18. Ce sont ces diverses forces qui, sous le commandement de la JNA, ont lancé des attaques

généralisées contre les populations croates de Slavonie orientale durant sept longs mois, de juillet

à décembre 1991. [Fin de la projection.]

7
Voir rapport d’expert de R. Theunens, 30 juin 2007, présenté par l’accusation dans l’affaire
Le Procureur c. Jovića Stanišić et Franko Simatović, IT-03-69 («rapport Theunens de 2007»), p. 6-7, par. 9-10 ; voir
aussi première partie, troisième section, et cinquième partie du rapport, p. 89-104 ; voir aussi, RC, vol. 1, par. 4.77.
8
MC, vol. 1, par. 3.51-3.53. Voir aussi rapport Theunens de 2007.
9
Jugement Mrksic, par. 24.
10Rapport Theunens de 2007.

11Rapport d’expert, R. Theunens, 16 décembre 2003, partie I : «Structure, command & control and discipline of
the SFRY Armed Forces», présenté par l’accusation dans l’affaire Milošević, p. 7, par. 9, cité dans RC, par. 4.77.

12 Affaire n IT-95-13/1-T, jugement, 27 septembre 2007, («jugement Mrkšić»), par. 89. Voir aussi
rapport Theunens de 2007. Voir également RC, vol. 1, par. 4.77. - 6 -

19. Moins d’un an après l’attaque initiale menée contre la police croate à Borovo Selo, en

mai 1991, la quasi-totalité de la population croate de Slavonie orientale avait été ou bien tuée, ou

bien mise en fuite sous l’emprise de la terreur, ou bien déplacée de force hors de la région . 13

IV. Schéma et nature des attaques menées
sous le commandement de la JNA

20. J’en viens maintenant au troisième et principal point de mon intervention, où j’entends

démontrer que la destruction de la population croate de Slavonie orientale par la Serbie a suivi un

schéma systématique.

21. Les attaques lancées contre les villes, villages et hameaux croates de la région ont été

systématiques, coordonnées et planifiées à l’avance, selon un schéma généralement constant.

Selon la chambre de première instance saisie de l’affaire Mrkšić, ces attaques «se déroulaient en

14
général selon le schéma» décrit comme suit par les représentants de la mission d’observation de la

Communauté européenne dans la région [projection à l’écran] :

14
«a)[la JNA] attisait les tensions et semait la confusion et la peur par une présence
militaire aux alentours du village (ou d’une communauté plus grande) et par des
provocations ;

b) elle tirait ensuite, plusieurs jours durant, à l’artillerie ou au mortier le plus souvent

sur les parties croates du village ; c’est à ce stade que, souvent, les églises étaient
touchées et détruites ;

c) dans presque tous les cas, la JNA lançait un ultimatum aux habitants, leur

enjoignant de rassembler et de remettre leurs armes ; les villages constituaient des
délégations mais les négociations avec les autorités militaires de la JNA n’ont
abouti à aucun accord de paix, hormis à Ilok ; une attaque militaire était lancée,
parfois sans même attendre l’expiration de l’ultimatum ;

d) pendant ou juste après l’attaque, des paramilitaires serbes entraient dans le village,
assassinant ou tuant les habitants, incendiant et pillant leurs biens, pour des raisons
discriminatoires ou non.» 15

22. Comme le montre clairement ce schéma d’attaque, des atrocités ont été perpétrées dans

les villes et les villages de Slavonie orientale pris dans le cadre des opérations menées par la JNA.

Il ne s’agissait pas d’attaques aléatoires contre des personnes d’origine croate. Contrairement à la

requalification que tente de faire le défendeur, il ne s’agissait pas non plus d’épisodes isolés de

13
MC, vol. 1, par. 4.03-4.05 et 4.11.
14Jugement Mrkšić, par. 43.

15Ibid. - 7 -

«violation par l’une ou plusieurs des parties au conflit des règles du droit international humanitaire

protégeant les civils» .16 [Fin de la projection.] Le TPIY a déclaré qu’il serait «trompeur»

d’envisager ces attaques lancées contre des villes et des villages «isolément ou de considérer

qu’[elles] … résultaient uniquement de facteurs locaux ». [Projection à l’écran.] Pour citer de

nouveau le TPIY : «[Elles] s’inscrivaient en effet dans le cadre d’un conflit politique et militaire
18
bien plus important.»

23. Les attaques lancées par la Serbie contre des villages croates en Slavonie orientale étaient

systématiques. [Projection suivante.] Vous pouvez maintenant voir sur vos écrans une carte

représentant les villages de la région ayant été la cible des attaques. Comme vous le voyez, ces

attaques étaient généralisées. Elles étaient le fruit d’un travail coordonné, témoignant d’une

planification au plus haut niveau. Sous le commandement de la JNA contrôlée par la Serbie, les

forces serbes ont pilonné village après village, incendié les maisons, fait sauter les églises

catholiques, tué, violé, torturé, détenu et expulsé hommes, femmes et enfants croates. Les

statistiques sont accablantes. En 1992, la population des zones occupées de Slavonie orientale

comptait 97 % de Serbes, alors que, à peine un an plus tôt, elle était peuplée à plus de 70 % de
19
Croates . [Fin de la projection.]

15 V. Les trois phases des attaques menées
sous le commandement de la JNA

24. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, après avoir décrit le schéma

global suivi lors des attaques, je vais à présent expliquer comment ce schéma a été mis en œuvre au

cas par cas contre les villages répartis sur le territoire de la Slavonie orientale. Je m’attarderai tout

particulièrement sur les villages de Bogdanovci, Sotin, Tovarnik et Lovas.

25. Le schéma d’attaque suivi comprenait trois grandes phases ; j’ai ici fusionné les deux

premières étapes du schéma décrit dans l’affaire Mrkšić. La phase 1 consistait dans l’encerclement

du village par la JNA, suivi d’une attaque d’artillerie. Venait ensuite la phase 2, soit l’attaque

16
DS, vol. 1, par. 354.
17Jugement Mrkšić, par. 19.

18Ibid.
19
MC, vol. 1, par. 4.03-4.05 et 4.11. - 8 -

d’infanterie en vue de la prise du village. La phase 3, enfin, consistait dans l’entrée des

paramilitaires, consolidant la prise et l’occupation du village. Je développerai chacune de ces

phases séparément, même si, en pratique, elles se chevauchaient souvent en tout ou en partie.

Phase 1 : Encerclement, attaque d’artillerie et attaque au mortier

26. [Projection à l’écran.] La première phase, donc. Cette phase 1 de l’attaque menée par la

Serbie consistait à attaquer à l’artillerie la ville ou le village de Slavonie orientale à population

majoritairement croate, que la JNA pilonnait avec des bombes, des bombes à fragmentation, des

engins incendiaires, des tirs d’artillerie et au mortier. La JNA noyait ainsi le village croate sous les

tirs provenant de chars, d’avions et de navires militaires présents en Serbie, en Bosnie, sur le

Danube et dans les autres zones de Croatie passées sous contrôle serbe.

27. Le TPIY a bien établi que la JNA était responsable des attaques d’artillerie lancées sur

les villes et villages de la région, notamment sur Dalj, Erdut, Ilok, Vinkovci, Osijek, Šarengrad,
20
Bapska, Mohovo, Tovarnik, Ilača et, bien sûr, Vukovar . Longue est la liste des villages touchés.

28. Ces villes et villages étaient peuplés de civils. Pour la plupart, ils n’étaient pas défendus

autrement que par leur propre population ou, dans un nombre limité de cas, par des membres des

forces croates. Face à la puissance et aux armes de la JNA, ils ne pouvaient pas faire grand-chose.

29. Les attaques d’artillerie de la JNA avaient pour cible, non pas des avant-postes militaires

ou des bases militaires, mais la population croate. [Projection suivante.] Comme l’a établi le TPIY

dans l’affaire Mrkšić, même lorsqu’elles prenaient pour cible un village peuplé majoritairement de

21
Croates, les tirs de la JNA visaient «le plus souvent … les parties croates du village» .

16 30. Ces attaques ont fait de nombreuses victimes civiles. Les foyers croates ont été attaqués

et complètement détruits. Des églises catholiques ont été prises pour cible, notamment aux heures
22
de culte, de façon à faire un maximum de victimes .

20Jugement Mrkšić, par. 34, et 471-472.

21Ibid., par. 43.
22
MC, vol. 3, planche 8.2. Voir aussi M. Kevo et D. Hečimović, The Wounded Church in Croatia, the
Destruction of Sacral Monuments in Croatia, 1991–1995, Zagreb, 1996. - 9 -

Tordinci

31. [Projection suivante.] A titre d’exemple, Tordinci, village d’à peine plus de

1000 habitants, dont 858 Croates, a essuyé des tirs de mortier de la JNA chaque jour pendant

trois semaines . Plus de 100 missiles ont été tirés durant la seule nuit du 27 septembre 1991 . 24

Nuštar

32. Une bombe de 227 kg [projection suivante] a été larguée par un avion de chasse de la

JNA sur le village de Nuštar, peuplé à 86 % de Croates. La photographie qui s’affiche à présent

sur vos écrans est celle du cratère creusé par l’impact.

Monsieur le président, la source des graphiques dont je me sers se trouve dans les notes de

bas de page de mon exposé.

Bapska

33. [Projection suivante.] La JNA a tiré plus de 1000 obus sur le village de Bapska, peuplé à

91 % de Croates et situé à 26 km au sud-est de Vukovar. Environ 400 ont été tirés en une seule

journée .5

Sotin

34. [Projection suivante.] Peuplé de seulement 1324 âmes, le village croate de Sotin a été

durant un mois entier l’objectif de tirs d’artillerie lancés depuis des chars qui avaient encerclé le

village, lequel n’avait pourtant pas opposé la moindre résistance. Terrorisés par les pilonnages,

nombre d’habitants de Sotin ont fui à Lovas , sans pouvoir y trouver un réel refuge.

17 Lovas

35. [Projection suivante.] En octobre 1991, en effet, toute la puissance militaire de la JNA

s’est déchaînée contre la population de Lovas. Ce village d’environ 1700 habitants, peuplé à 90 %

de Croates, a été pilonné pendant dix jours consécutifs par la JNA. Ce pilonnage a pris le village

23
MC, vol. 1, par. 4.134.
24S. Botica, A. Covic, M. Judas, G. Pifat-Mrzljak, V. Sakic (dir. publ.), Mass Killing and Genocide in Croatia
1991/2: A Book of Evidence, Zagreb, 1992, p. 69.

25MC, vol. 1, par. 4.83, et vol. 2, partie I, annexes 68 et 69.
26
Ibid., vol. 1, par. 4.109, et vol. 2, partie I, annexes 88 et 93. - 10 -

par surprise : aucune force croate ne se trouvait à Lovas et les habitants n’ont opposé aucune

résistance digne de ce nom. Le village a été dévasté par les attaques : plusieurs centaines de

maisons ont été détruites et de nombreuses autres partiellement endommagées. Au moins 23 civils

croates ont été tués dans les bombardements . 27

36. L’objectif de ces attaques d’artillerie était de tuer, mais aussi de semer la terreur parmi

les Croates afin de les obliger à abandonner leur village. Certains habitants ont été tués alors qu’ils

prenaient la fuite. D’autres, pensant avoir trouvé un abri, ont fait face à de nouveaux pilonnages et

ont été contraints de fuir une fois encore. Ce sont toutefois ceux qui avaient refusé de fuir ou qui se

trouvaient dans l’incapacité de le faire parce qu’ils étaient trop vieux ou infirmes qui ont subi les

pires atrocités. Au cours des phases 2 et 3, à savoir les phases les plus violentes des attaques, sur

lesquelles je reviendrai, ceux qui n’avaient pas pris la fuite ont été tués, torturés, violés ou

maltraités par les forces serbes assaillantes, résolues à détruire la population croate de la région.

C’est au cours de la première phase, que je viens de décrire et dont la JNA a été le principal

protagoniste, que les Serbes prenaient le contrôle des villages avant de les envahir. Cette première

phase était donc cruciale en ce qu’elle ouvrait la voie aux atrocités qui allaient suivre. En résumé,

et contrairement à ce que voudrait laisser entendre la Serbie, ces attaques d’artillerie n’étaient pas

des opérations militaires légitimes ; il s’agissait de la première phase-clé d’une attaque

véritablement génocidaire, en ce qu’elle avait pour but de détruire une partie de la population

croate.

Bogdanovci

37. [Projection suivante.] Les événements survenus dans le village croate de Bogdanovci,

vous voyez à présent à l’écran, illustrent encore davantage mon propos. En 1991, ce petit village

perché, situé à environ 8 km au sud-est de Vukovar, comptait 1113 habitants, dont 914 Croates et

19 Serbes. C’est ici que résidait et réside encore Mme Marija Katić, qui déposera cet après-midi

devant la Cour. A partir d’août 1991, ce village a été soumis à d’intenses attaques d’artillerie.

Fin septembre 1991, il a été encerclé par un très grand nombre de chars de la JNA, canons pointés,

18 ainsi que de soldats et de paramilitaires. Des mines ont été disposées par les forces serbes dans les

27 MC, vol. 1, par. 4.116-4.132 ; MC, vol. 2, partie I, annexes 95-111 ; RC, vol. 1, par. 5.57-5.62, et vol. 2,
annexe 26. - 11 -

champs avoisinants, limitant les allers et venues à un chemin périlleux traversant les champs de

maïs en direction de Vukovar, qui se trouvait elle-même alors encerclée. Tout au long des mois de

septembre et d’octobre, le village a essuyé une intense attaque d’artillerie lancée depuis les chars

postés alentours et les villages serbes avoisinants, ainsi que de multiples incursions d’infanterie et

des raids aériens de la JNA. Ces attaques se sont poursuivies jusqu’à la prise du village par les

forces serbes, le 10 novembre 1991.

38. Le défendeur cherche à déduire de l’ampleur des attaques contre Bogdanovci que la JNA

opérait dans le cadre d’un «engagement militaire» légitime contre le village . Dans la duplique, il

pose la question suivante, qui s’affiche sur vos écrans [projection suivante] : «s’il n’y avait pas

d’engagement militaire, en quoi consistaient ces attaques et qui en était la cible ?» 29

39. Et en effet, Monsieur le président, qui était donc la cible de ces attaques ?

40. Les récits des témoins répondent très clairement à cette question [projection suivante] :

«pratiquement tout le village a été détruit, c’est-à-dire qu’il n’y avait même plus une seule maison,

un bâtiment de ferme, l’église [ou] l’école qui ne soit endommagé» . 30

41. Ces témoignages font état d’un très grand nombre de personnes tuées ou blessées au

cours de la phase initiale des attaques. Des témoins ont décrit dans des détails glaçants les

incursions de l’infanterie dans le village, expliquant que les soldats et les paramilitaires vérifiaient

la température des conduites d’eau des maisons pour savoir si des gens se cachaient dans leurs

caves. Au moindre signe de vie, les soldats exigeaient la reddition des civils terrifiés. Ceux qui se

pliaient à ces exigences étaient abattus à vue ; les plus effrayés étaient tués par des grenades

lancées dans leurs caves. Des familles entières ont été massacrées dans les caves de leurs maisons,

où elles s’étaient réfugiées. D’autres encore ont été abattus alors qu’ils tentaient de s’échapper,

notamment à travers les champs de maïs de Vukovar . [Fin de la projection.]

42. Les habitants de Bogdanovci avaient eu vent de ce qui s’était passé dans d’autres villages

croates de la région, notamment à Borovo Selo. Le refus des habitants, terrifiés à l’idée de ce qui

28
DS, vol. 1, par. 358.
29Ibid.
30
MC, vol. 2, partie I, annexe 39.
31
Ibid., vol. 1, par. 4.47-4.55, et vol. 2, partie I, annexes 37-45. - 12 -

pourrait leur arriver s’ils se rendaient, de se plier à l’ultimatum lancé par la JNA ne fait pas de

19 l’agression serbe sur le village assiégé une opération militaire légitime. Le fait que la situation du

village, perché au sommet d’une colline, ait constitué une défense naturelle solide, ne faisait pas de

celui-ci une cible militaire. Contrairement à ce que tente d’avancer le défendeur, la résistance que

les habitants du village ont pu chercher à opposer aux attaques de la JNA ne fait pas de la

destruction délibérée de la population croate de Bogdanovci un «engagement militaire» légitime,

pas plus que la présence de membres en sous-nombre et sous-armés des forces croates ne change

quoi que ce soit à la nature des attaques menées par les Serbes. Ainsi que l’a jugé le TPIY, la

présence de militaires n’altère pas, en soi, le caractère civil de la population attaquée . Cette 32

présence ne fait pas d’une attaque sur un village peuplé de civils une opération militaire légitime.

43. En outre, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, s’il subsistait le

moindre doute quant à l’intention qui animait les attaques dont Bogdanovci a été la cible, la Cour

n’a qu’à considérer ce qu’il est advenu une fois que le village est finalement tombé aux mains de la

JNA et des paramilitaires serbes. A quelques exceptions près, les derniers habitants du village ont

tous été massacrés : parmi les survivants se trouvaient deux femmes dont les filles étaient mariées à

des Serbes, ainsi que la veuve croate d’un Serbe dont les icônes orthodoxes se trouvaient encore

accrochées au mur de leur foyer. Une Albanaise a également été épargnée, si tant est que le terme

«épargnée» soit approprié quand on songe aux horreurs qui lui ont été infligées . 33

44. Au total, 87 personnes ont été tuées à Bogdanovci. Certaines d’entre elles, dont deux

octogénaires, ont été alignées, puis abattues l’une après l’autre à la mitraillette . Bon nombre de

victimes sont mortes dans d’horribles circonstances, notamment un homme qui a été crucifié contre

un arbre devant l’église catholique du village . A ce jour, soixante-dix corps ont été exhumés de

quatre charniers distincts découverts dans le village ou à proximité [projection à l’écran], tel celui

32Le Procureur c. Martić, affaire n IT-95-11, jugement, 12 juin 2007 («jugement Martić»), par. 350 : «la
présence des forces et formations armées croates dans les régions de Škabrnja et Saborsko n’altère pas le caractère civil
de la population attaquée». Voir aussi l’arrêt rendu en l’affaire concernant la Bosnie-Herzégovine, p. 179, par. 328 : «[La
Cour] tient compte de l’affirmation selon laquelle l’armée bosniaque pourrait avoir provoqué des attaques des forces
serbes de Bosnie contre des zones civiles, mais elle ne considère pas que les attaques en question, même si elles étaient
avérées, puissent en être d’une quelconque manière justifiées.»

33RC, vol. 4, annexe 99.
34
Ibid.
35MC, vol. 2, partie I, annexe 41. - 13 -

que vous pouvez maintenant voir à l’écran . Nombreux sont les habitants du village, tels que le

frère du témoin Marija Katić, à n’avoir toujours pas été retrouvés.

20 45. Ainsi, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, pour répondre à la

question posée par le défendeur, les éléments de preuve permettent d’établir que les attaques

menées sur Bogdanovci, tout comme celles menées sur d’autres villes et villages croates de

Croatie, n’étaient pas des opérations militaires légitimes. Il s’agissait d’attaques destinées à

détruire la population croate des villages pris pour cible. [Fin de la projection.]

Phase 2 : Attaque visant à prendre le contrôle de villages

46. J’en viens maintenant à la deuxième phase des agressions. Il s’agissait de s’emparer du

village croate au moyen d’une attaque d’infanterie. Des chars, des véhicules de transport de

troupes et l’infanterie de la JNA ont ainsi pris le contrôle direct de nombreux villages, et les soldats

de la JNA prenaient part personnellement et directement aux atrocités commises. Dans d’autres

villages, le rôle joué par la JNA consistait, à ce stade, à exercer un blocus, par des tirs d’artillerie,

pour empêcher tout mouvement de sortie, et à couvrir les paramilitaires serbes qui procédaient aux

opérations dites de «nettoyage» destinées à détruire la population croate qui n’avait pas fui . 37

47. Ainsi que le TPIY l’a reconnu, la réaction des habitants aux ultimatums lancés par la

JNA n’empêchait pas celle-ci d’attaquer . A Dalj, des policiers croates qui s’étaient rendus à la

suite d’un tel ultimatum ont été abattus, alors qu’ils agitaient des drapeaux blancs. Le même sort a

été réservé au policier envoyé par la JNA pour délivrer cet ultimatum . Dans certains villages,

comme Šarengrad, où les armes avaient été remises en réponse aux ultimatums, les Croates

constituaient des proies faciles pour les forces serbes . Dans d’autres, la population n’a pas eu la

possibilité d’obtempérer aux ultimatums de la JNA. A Berak, par exemple, à peine l’ultimatum

avait-il été lancé par le mégaphone de l’un des chars de la JNA circulant dans le village, que ceux-

ci ouvraient le feu sur des maisons croates, essayant, en vain, de provoquer un affrontement armé.

36
MC, vol. 3, planche 16.6.
37 Ibid., vol. 1, par. 3.57 ; RC, vol. 1, par. 5.10.

38 Jugement Mrkšić, par. 43 : «une attaque militaire était lancée, parfois sans même attendre l’expiration de
l’ultimatum».
39
RC, vol. 1, par. 5.21, et vol. 2, partie I, annexe 7.
40 MC, vol. 1, par. 4.58, et vol. 2, partie I, annexe 46 ; RC, vol. 1, par. 5.36. - 14 -

Quatre civils croates ont été fauchés alors qu’ils tentaient de s’enfuir . Dans des villages comme

Bapska, où les armes n’avaient pas été rendues, les habitants n’ont pas pu se défendre contre

21 l’impressionnant arsenal de la JNA . Que la population croate se rende ou tente de résister ou de

fuir, il n’y avait guère d’échappatoire. Cela prouve clairement que l’intention sous-tendant ces

attaques était de détruire la population restée sur place.

48. Je vais donner à la Cour trois exemples concrets pour illustrer la manière dont la

deuxième étape des attaques militaires était menée contre les villages croates dans la région.

Tovarnik

49. [Projection à l’écran.] Je commence par le village de Tovarnik, comptant un peu plus de

3000 habitants, dont 70 % de Croates. Ce village a été pris par les paramilitaires et l’infanterie de

la JNA, dont les Aigles blancs de Šešelj, le 23 septembre 1991 . Le récit effrayant de l’attaque

engagée contre le village mérite une attention particulière, puisque c’est celui d’un officier de la

JNA ayant lui-même participé à l’assaut. Il ressort de son témoignage que des atrocités ont été

44
perpétrées sous les ordres militaires directs de la JNA .

50. [Projection suivante.] Cet officier raconte que les forces assaillantes de la JNA ont reçu

l’ordre d’exécuter tous les civils dans le village. Je lis ses propos, qui apparaissent à l’écran :

«J’ai été à Tovarnik pendant trois jours et toute une série d’événements
horribles ont imprégné ma mémoire, même si j’essaie de les oublier…

Je me souviens bien que le major Bajat a ordonné que tous les civils soient tués

et qu’il ne soit pas fait de quartier. J’ai vu un peloton d’exécution abattre dix
personnes devant la mairie. C’est un groupe de réservistes qui les a exécutées.» 45

51. Il relate ensuite avoir vu des soldats de la JNA se moquer des civils croates avant de les

battre à mort. Il décrit des soldats jetant des grenades dans des caves où des civils croates,

terrorisés, se cachaient, avant d’ouvrir le feu sur les survivants avec des armes automatiques. Il

raconte encore, et je poursuis la lecture du texte à l’écran :

41
MC, vol. 1, par. 4.40, et vol. 2, partie I, annexes 28 et 29.
42Ibid., par. 4.83-4.85, et vol. 2, partie I, annexes 69 et 74 ; RC, vol. 1, par. 5.47.

43Ibid., par. 4.94-4.95.
44
Ibid., vol. 2, partie I, annexe 79 ; RC, vol. 1, par. 5.51.
45Ibid. - 15 -

«[I]l y avait à Tovarnik des cadavres jonchant la route et les cours. Il n’était pas
permis d’enterrer les morts. Je n’oublierai jamais le nombre de morts : 48. J’ai
compté tant de femmes, enfants et vieillards morts. J’ai vu ces tueries de mes propres
yeux.» 46

22 52. Il convient de répéter l’ordre donné par la JNA. Il ne s’agissait pas de déplacer,

d’expulser ou de faire partir tous les civils du village, mais de les tuer. Et cela a dûment été fait,

sans discrimination, à l’arme blanche ou avec des grenades ou des armes à feu. Les restes de

48 victimes ont été exhumés de fosses se trouvant dans le village et aux alentours.

53. Donc, pour revenir à la question du défendeur, Monsieur le président, qui était la cible de

ces attaques dans ces villages ? Pourquoi et à quelles fins ? [Fin de la projection.]

Sotin

54. La JNA et des paramilitaires serbes se sont emparés du village croate de Sotin le

14 octobre 1991, infligeant aux Croates ont subi de graves préjudices physiques et psychologiques,

dont le viol. Certains ont été arrêtés par des soldats de la JNA et obligés de parader, pieds et poings

liés, un nœud coulant autour du cou, derrière les chars de la JNA qui rasaient leur village. Un

homme a été suspendu par les bras au canon de l’un des chars. Les chars et les soldats de la JNA

attaquaient et détruisaient les maisons croates, que leur désignaient des habitants serbes du village,

ainsi que l’église catholique. Cinquante personnes ont été tuées. Des témoins rappellent l’odeur de

47
chair humaine se répandant dans l’air .

55. [Projection.] Le charnier qui apparaît sur vos écrans a été découvert à Sotin l’an dernier

seulement. Il contenait les restes de 13 personnes. [Fin de la projection.]

Lovas

56. Dans le village de Lovas, la deuxième phase de l’attaque a été montée par la JNA, avec

des paramilitaires serbes, notamment le Détachement de Dušan le puissant. L’attaque a débuté à

7 h 30 le matin du 10 octobre 1991, lorsqu’un certain nombre d’obus de mortier de la JNA se sont

abattus sur le village, couvrant l’entrée des paramilitaires serbes, rejoints ensuite par les chars et les

soldats de la JNA. Le village n’a pas opposé de résistance sérieuse, aucune unité de l’armée croate

ne s’y trouvant et les résidents locaux ayant remis la plupart des armes légères et des fusils de

46
MC, vol. 2, partie I.
47Ibid., vol. 1, par. 4.110-4.113 ; vol. 2, partie I, annexes 90-93. - 16 -

48
chasse qu’ils possédaient à la suite de l’ultimatum lancé par la JNA . Le massacre des civils

croates a commencé immédiatement. Certains ont été abattus sur place : dans leur cour, traversant

23
la rue, dans des cafés, se cachant dans leur maison ou grenier. Nombre d’entre eux ont été tués au

moyen de grenades jetées dans les caves où ils se terraient. Des hommes croates ont été contraints

de sortir de leur maison à la pointe du fusil, pour ensuite être tués par balles devant leurs enfants.

Une femme a été emmenée et brûlée vive par un soldat de la JNA. L’église catholique a été réduite

en cendres, ainsi que 20 maisons croates, indiquées à la JNA par des habitants serbes. Toute fuite

était impossible : les chars de la JNA avaient encerclé le village et empêchaient tout mouvement de

49 50
sortie . [Projection à l’écran.] Voici ce qu’ils ont laissé derrière eux .

57. Je vous pose à nouveau la question : qui était la cible des attaques dans ces villages ? Et

dans quel but ? [Fin de la projection.]

58. Les éléments de preuve sont clairs. Les attaques lancées contre les villages de Slavonie

orientale étaient brutales et s’accompagnaient de la destruction délibérée et ciblée de leurs habitants

croates, ainsi que de la destruction de biens croates et d’édifices culturels et religieux importants, et

ce, afin d’effacer toute trace de la culture croate dans le village et d’empêcher le retour des

51
habitants . [Projection à l’écran.] Les églises catholiques ont été particulièrement visées, comme

cela ressort des éléments de preuve documentaires présentés par la Croatie. Voici deux

photographies pour illustrer mes propos. La première représente l’église catholique d’Aljmaš,

village croate situé à la frontière serbe , et la seconde [projection suivante], la même église après

53
sa destruction délibérée par les forces serbes . Il ne s’agissait pas d’un accident.

59. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, les allégations formulées par

le défendeur dans ses écritures et visant à dépeindre la prise pour cible délibérée de villages croates

et de leurs habitants comme un dommage accessoire survenu dans le cadre d’une attaque militaire

légitime ne sont pas fondées. [Fin de la projection.] Le TPIY a lui-même conclu que, dans la

48
MC, vol. 1, par. 4.117-4.122 ; RC, vol. 1, par. 5.57-5.62.
49Ibid., vol. 2, partie I, annexes 95-101.

50Ibid., vol. 3, projections 16.1 et 16.2.
51
M. Kevo et D. Hečimović, The Wounded Church in Croatia, the Destruction of Sacral Monuments in Croatia,
1991–1995, Zagreb, 1996.
52
Ibid.
53Ibid. - 17 -

SAO SBWS, je cite, «la majorité des victimes étaient croates». Il a également affirmé que, je cite

de nouveau, «[l]es éléments de preuve démontr[ai]ent que les personnes visées [et je souligne le

terme «visées»] appartenaient essentiellement à la population civile» . 54

60. La Croatie soutient que les éléments convergent pour montrer également que la prise de

civils croates pour cible était animée par l’intention de détruire les populations croates.

24 Phase 3 : Occupation du village par les paramilitaires et les autres forces serbes

61. J’en viens maintenant à la dernière partie de mon exposé, soit la phase 3 des attaques

dirigées par la JNA contre les villages croates. Dans le cadre de cette phase, les paramilitaires

pénétraient dans le village, la JNA se trouvant à leur côté ou les suivant de près, ou leur assurant

une couverture par le feu. Il s’agissait d’une phase particulièrement brutale de l’attaque, qui

donnait lieu à des actes de sadisme extrême à l’encontre de la population croate.

62. Dans certains villages, comme Bogdanovci, les paramilitaires ont massacré pour ainsi

dire tous les Croates qui s’y trouvaient.

63. Dans d’autres, les Croates qui n’avaient pas fui et qui n’étaient pas tués sur place étaient

soumis à un régime de terreur marqué par les exécutions arbitraires, la torture et le viol.

64. Vous en entendrez davantage au sujet de ces atrocités au cours des exposés de demain

matin. Je me contenterai pour l’instant de décrire un seul incident, afin de donner à la Cour une

idée de l’horreur entourant la phase 3.

65. Cet incident a eu lieu dans le village de Lovas. On se souviendra que celui-ci avait été

pris le 10 octobre 1991. Vingt-trois Croates avaient été tués au cours des premières étapes de

l’attaque dirigée par la JNA. Six jours plus tard, le 17 octobre, tous les hommes croates âgés de 18

à 65 ans ont été rassemblés, puis détenus jusqu’au lendemain dans des installations de fortune où

ils ont été torturés. Ils ont été frappés à coups de pied, à coups de poignard, avec des tuyaux

d’acier et des crosses de fusils. Ils ont été fouettés avec des fils de fer hérissés d’écrous

métalliques. Onze d’entre eux ont été battus à mort . 55

54Jugement Stanišić et Simatović, par. 971.

55 MC, vol. 1, par 4.123-125, et vol. 2, partie I, annexes 95, 96, 97, 98, 101, 102 et 104 ; RC, vol. 1,
par. 5.58-5.62. - 18 -

66. Le lendemain, 18 octobre, 50 des survivants ont été désignés et forcés à marcher vers un

champ de trèfle en bordure du village. L’un d’eux a été abattu en chemin parce qu’il n’arrivait pas

à suivre en raison des blessures qui lui avaient été infligées au cours de la nuit. Une fois arrivés au

champ, les hommes se sont vu ordonner par les forces serbes de procéder au déminage de celui-ci.

Ils devaient se tenir par la main et marcher à travers le champ en imitant de leurs jambes et de leurs

pieds le mouvement de la faux. La première mine a explosé, déclenchant une série de

56
déflagrations. Les forces serbes ont alors ouvert le feu, abattant ceux qui étaient encore debout .

Lorsque les tirs se sont tus, les survivants ont été invités à s’identifier afin qu’il leur soit porté

25 secours. Ceux qui ont répondu ont été exécutés sur place. Au total, 21 hommes sont morts dans ce

champ de trèfle ce jour-là, lors de ce qu’on en est venu à appeler le «massacre du champ de mines»

57
de Lovas .

67. Dans toute la Slovénie orientale, les civils croates qui avaient été incapables de prendre

la fuite ont été soumis à la torture, aux exécutions simulées, au travail forcé, aux mauvais

traitements et aux détentions massives. Des femmes ont été violées par un ou plusieurs agresseurs,

parfois en public, devant une foule nombreuse . Les Croates ont été affamés, battus, pendus,

59
poignardés, mutilés, castrés et tués à coup de hache, pour la seule raison qu’ils étaient croates , ce

que prouve sans l’ombre d’un doute l’emploi des termes injurieux d’«oustachi» et de «putain

60
oustachie» qu’on leur lançait au visage . Il en va de même des emblèmes serbes dont on les

marquait .61

68. Les survivants étaient soumis au régime brutal de la loi martiale, imposé par

l’administration serbe établie dans chaque village occupé, avec le concours de la JNA, des forces

de la TO et des autres forces serbes. Les paramilitaires jouaient un rôle prépondérant. A Erdut, par

56MC, vol. 2, partie I, annexe 98.

57 Ibid., vol. 1, par. 4.125, et vol. 2, partie I, annexes 95, 96, 97, 98, 101, 102, 103 et 104 ; RC, vol. 1,
par. 5.58-5.62 ; vol. 2, partie I, annexes 26 et 115.
58
Ibid., par. 4.25, 4.44-4.45, 4.110, 4.113, 4.129 et 4.185 ; vol. 2, partie I, annexes 30, 33, 35, 51, 66, 72, 79, 94
et 108 ; RC, vol. 1, par. 5.35, 5.46, 5.54 et 5.84.
59
Ibid., par. 4.30, 4.37, 4.60, 4.67-4.69, 4.77-4.80, 4.87-4.93, 4.98, 4.105-4.106, 4.128 et 4.132 ; RC, vol. 1,
par. 5.46, 5.54 et 5.57, et appendices correspondantes.
60Ibid., par. 4.44, 4.54, 4.98, 4.111 et 4.128 ; vol. 2, partie I, annexes 16 (Tenja), 60 (Ilok), 74 (Bapska), 80, 81 et

83 (Tovarnik), 91 (Sotin) et 106 (Lovas).
61Ibid., vol. 2, partie I, annexe 57. - 19 -

exemple, au siège même des autorités de la SAO SBSO dirigées par Hadžić, Arkan opérait une

prison au centre d’entraînement des forces de la TO, où les Croates étaient victimes de brutalités et

assassinés . On dressait, dans chaque village, la liste des habitants croates . Les hommes et les

femmes étaient forcés de porter un ruban blanc les identifiant en tant que Croates . Ils étaient 64

assujettis à un couvre-feu et les déplacements entre villages étaient très limités : dans nombre de

65
villages, les Croates devaient obtenir une autorisation pour sortir de chez eux . L’accès à la

66
nourriture et aux médicaments était réduit et les foyers croates étaient privés d’eau et

67
d’électricité .

26 69. Dans toute la région, les Croates étaient forcés, souvent à la pointe du fusil, d’exécuter

des travaux manuels . Contraintes d’exécuter des travaux ménagers chez les dirigeants serbes, les

femmes croates étaient victimes de violences sexuelles répétées . Les travaux manuels forcés

70
consistaient souvent à creuser des fosses pour y enterrer les morts . On a même obligé certains

71
Croates à creuser leur propre fosse avant de les abattre . Le travail forcé était rétribué par des

72
coups, dispensés par les dirigeants serbes le jour qu’on appelait cruellement «jour de la paye» .

Nombreux sont ceux qui ont succombé à ces brutalités, tandis que d’autres, emmenés pour être

«payés», n’ont plus jamais été revus . Entre-temps, les foyers croates étaient systématiquement

pillés, à l’occasion de visites dites «officielles» . Les édifices consacrés à l’Eglise catholique ou à

62Le Procureur c./ Stanisić et Simatović, affaire n IT-03-69, jugement, partie I, 30 mai 2013, par. 458-461.

63MC, vol. 2, partie I, annexes 6, 12 et 16 (Tenja), et 61 (Tompojveci).

64Ibid., annexes 53 (Šarengrad), 66 (Bapska), 76 (Tovarnik) et 84 (Tovarnik) ; 101, 106 et 108 (Lovas), et 128
(Vukovar).

65 Ibid., annexes 4 (Tenja), 29 (Berak), 47 (Šarengrad), 61 et 65 (Tompojevci), 68 et 70 (Bapska), et 76
(Tovarnik).

66Ibid., annexes 5 (Tenja), 15 (Tenja) et 74 (Bapska).

67 Jugement Mrkšić, par. 44 ; MC, vol. 1, par. 4.77-4.80 ; vol. 2, partie I, annexes 4, 11 et 65 ; RC, vol. 1,

par. 5.43.
68MC, vol. 2, partie I, annexes 7 (Tenja), et 23 et 29 (Berak).

69Ibid., annexes 9 (Tenja) et 106 (Lovas).

70Voir, par exemple, MC, vol. 2, partie I, annexes 18, 81 et 83.

71MC, vol. 2, partie I, annexes 31 (Berak) et 81 (Tovarnik).

72Ibid., annexe 64 (Tompojevci).

73Ibid.

74 Ibid., annexes 24 et 25 (Dalj), 61 (Tompojevci), 67 et 70 (Bapska), et 105 (Lovas). Voir aussi RC, vol. 4,
annexe 99. - 20 -

la culture croate continuaient d’être systématiquement menacés de destruction et étaient souvent

profanés .5

70. Le régime a atteint son paroxysme avec le transfert forcé et l’expulsion, hors de Slavonie

orientale, des 90 000 Croates qui n’avaient pas été tués ou incarcérés. Nombre d’entre eux ont été

transférés par la force dans des centres de détentions situés dans d’autres régions occupées de

Croatie, en Serbie ou ailleurs en ex–Yougoslavie. Nombreux sont ceux qui, en échange d’un

76
sauf-conduit, ont dû renoncer à leurs biens en faveur de la «Republika Srpska Krajina» serbe .

VI. Conclusion

71. En somme, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, en moins d’un an

d’occupation de la Slavonie orientale par la Serbie, les communautés paisibles de la région avaient

été détruites. L’évidence de l’intention de détruire la population croate n’a d’égale que la brutalité

des chiffres [projection à l’écran] :

1. En Slavonie orientale, aucune localité à majorité croate n’a été épargnée. Les villes et villages

en question figurent sur les cartes projetées à l’écran.

27 2. Environ 4000 habitants — hommes, femmes et enfants — ont été tués, et 485 autres sont

toujours portés disparus.

3. Des dizaines de milliers de Croates de Slavonie orientale ont été victimes d’atteintes graves à

leur intégrité physique et mentale, y compris la torture et le viol. Il est impossible d’en établir

le nombre exact en raison de l’échelle des atrocités et de la pudeur qu’éprouvent les victimes à

faire état de ce qu’elles ont subi.

4. Plus de 3600 Croates de Slavonie orientale ont été internés dans des camps où nombre d’entre

eux ont été torturés et violés. Un grand nombre d’entre eux ont été tués et sont toujours portés

disparus.

5. Plus de 90 000 Croates de Slavonie orientale ont été contraints à prendre la fuite ou transférés

de force vers d’autres parties de la Croatie non occupée par les Serbes.

75MC, vol. 2, partie 1, annexes 26 (Dalj) et 65 (Tompojevci)Voir aussi M. Kevo et D. Hečimović, The
Wounded Church in Croatia, the Destruction of Sacral Monuments in Croatia, 1991–1995, Zagreb, 1996.

76Ibid., annexes 22 et 27 (Dalj), 29 (Berak), 48 (Sarengrad), 61 (Tompojevci), 64 et 65 (Tompojevci), et 89
(Sotin). - 21 -

6. Des dizaines de milliers de foyers croates de la région ont été incendiés, bombardés ou minés.

7. Plus de 300 églises catholiques et édifices présentant un intérêt religieux, historique ou culturel

pour les Croates ont été menacés de destruction, en vue d’éliminer toute trace de la culture

croate dans la région et prévenir le retour des Croates.

8. On a découvert depuis 510 charniers et fosses communes contenant les restes de près de

2300 hommes, femmes et enfants. Nombre d’autres victimes ont été exhumées de fosses

individuelles, et chaque année apporte de nouvelles découvertes à ce chapitre.

72. Des villages croates entiers ont été détruits. Dès 1992, presque la totalité de la

population de souche croate de Slavonie orientale avait été massacrée, mise en fuite ou transférée

de force. L’ambition des dirigeants politiques et militaires serbes de faire de la Slavonie orientale

une région homogène serbe avait été réalisée.

73. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, les attaques que je viens de

décrire et lors desquelles tous ces habitants ont été tués, violés, estropiés et déplacés n’étaient pas

des opérations militaires légitimes. Il ne s’agissait pas non plus de violences aléatoires ou de

violations isolées des lois de la guerre. Devant le caractère manifestement systématique des

attaques, même le défendeur est forcé d’admettre la réalité des massacres et de reconnaître qu’ils

«ont été méthodiques, ont visé des civils et ont été motivé par l’origine ethnique des victimes» . 77

Ce que je viens de décrire est un schéma d’attaque généralisé, systématique et coordonné visant à

détruire la population croate. Ce schéma a été suivi non seulement en Slavonie orientale, mais dans

28 toutes les régions de Croatie que les autorités serbes avaient décidé d’inclure dans la

Grande Serbie.

74. [Projection suivante.] Je terminerai en projetant de nouveau une photographie saisissante

78
que M. Sands vous a présentée hier et qui montre une civile croate du village de Lovas, en

Slavonie orientale. Elle s’appelait Slavica Pavošević. Elle a été tuée, dans le sous-sol de sa

maison, à la mi-octobre 1991. Elle avait 60 ans. La raison pour laquelle elle a été tuée est indiquée

par le brassard blanc qu’elle porte sur la manche. Elle a été tuée parce qu’elle était croate et qu’elle

vivait dans l’une des régions que la Serbie avait décidé de débarrasser de sa population croate.

77
DS, vol. 1, par. 392.
78https://www.branitelji.hr/pregled/fotografije-masovnih-grobnica. - 22 -

Comme tant d’autres dont le cadavre se trouvait à côté du sien dans le charnier où il a été

découvert, sa mort résulte de l’intention de détruire la population croate de ces régions. Telle est la

seule explication raisonnable qui puisse être donnée du caractère généralisé, systématique et

coordonné des attaques lancées par les forces serbes commandées par la JNA de Serbie, qui lui ont

coûté la vie comme à des milliers d’autres. [Fin de la projection.]

75. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre

attention. Monsieur le président, je vous saurais gré de bien vouloir inviter sir Keir Starmer à

expliquer comment ce schéma d’attaque a été appliqué contre la ville croate de Vukovar.

Le PRESIDENT : Merci beaucoup. J’invite sir Keir Starmer à prendre la suite. Vous avez

la parole, Monsieur.

Sir Keir STARMER :

LES ACTIVITÉS GÉNOCIDAIRES DE LA S ERBIE À V UKOVAR

I. Introduction

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vais traiter des événements

survenus à Vukovar. Même à l’aune des atrocités décrites à la Cour par le demandeur, dont

certaines vous ont été exposées ce matin, celles commises à Vukovar ont atteint des sommets

inimaginables. Les forces serbes ont mené une campagne soutenue de bombardements,

29 d’expulsions systématiques, de privation de nourriture, d’eau, d’électricité, d’hygiène et de soins

médicaux, d’incendies, de tueries et d’actes de torture, qui ont réduit la ville à un champ de ruines

et détruit la population croate. Cette campagne a commencé par l’installation de barrages routiers

et s’est terminée dans les camps de torture et d’exécutions de masse. Du point de vue humain, les

plaies ne pourront jamais se refermer.

2. Les événements qui se sont déroulés à Vukovar sont d’une importance considérable et le

monde entier en a eu connaissance. Ils méritent d’être examinés dans leur contexte, en détail et

dans leur totalité.

3. Comme son nom l’indique, la ville elle-même est située sur la rivière Vuka qui se jette

dans le Danube, juste au nord du centre ville. A Vukovar, le Danube forme la frontière entre la - 23 -

Croatie et la Serbie. Il est certain que cette situation stratégique a contribué à faire de Vukovar la

première victime de l’agression serbe en 1991. [Projection.] La planche qui, je l’espère, s’affiche

sur vos écrans est destinée à rappeler à la Cour cette position stratégique. [Fin de la projection.]

4. Tout au long de son histoire, Vukovar a fait partie de la Croatie. Capitale de sa région,

elle jouait un rôle important. Mais, malheureusement, c’est un autre rôle qui lui revenait dans les

plans de la «Grande Serbie», celui de capitale de la nouvelle région serbe de Slavonie orientale,

Baranja et Syrmie occidentale.

5. La Cour le sait, plusieurs cours et tribunaux ont établi qui était responsable d’actes précis

d’une violence extrême et de destruction, notamment en l’affaire Mrkšić . Les condamnations

prononcées soulignent la nature et la gravité des atrocités subies par la population croate.

Toutefois, et c’était inévitable, dans chacune de ces affaires les événements n’étaient examinés que

dans la mesure où ils pouvaient être directement reliés à tel ou tel défendeur : qu’a-t-il fait, que

savait-il et dans quelle mesure est-il personnellement coupable ?

6. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, l’occasion vous est donnée

d’élargir la perspective, d’examiner les événements de Vukovar dans leur ensemble. Non pas sous

l’angle de la responsabilité individuelle, mais sous celui, global, de toutes les atrocités commises

du début à la fin ; la responsabilité de l’Etat pour tout ce qui s’est produit, du premier obus à la

dernière balle tirée.

7. Quelle était donc la situation à Vukovar avant ces événements ? D’après le recensement

de 1991, y vivaient un peu plus de 21 000 Croates, 14 500 Serbes, 4300 Yougoslaves et environ
80
30 4500 personnes d’autres groupes ethniques . C’était une jolie ville, assez prospère, offrant tous les

services, au centre d’une zone agricole réputée pour posséder les terres les plus riches de la région.

8. Malgré ce mélange de populations, les tensions ethniques restaient faibles jusqu’au

début des années 1990, lorsque des extrémistes serbes ont commencé à prôner une réponse

«violente» aux «provocations» croates. Un grand nombre de Serbes ultranationalistes sont venus

grossir les rangs des forces irrégulières serbes. Ces unités étaient armées et ont fourni un appui

logistique à la JNA.

79Le Procureur c. Mrkšić, Radić et Šljivančanin, affaire n IT-95-13/1-T, jugement, 27 septembre 2007.

80MC, par. 4.140. - 24 -

9. Au milieu du mois d’août, la JNA a déployé des troupes sur la rive croate du Danube,

encerclant entièrement Vukovar. Elle a également placé des unités supplémentaires sur la rive

serbe du fleuve où ont été installés des pièces d’artillerie et des lance-roquettes. Au moins

trois canonnières ont été déployées sur le Danube, en amont de la ville . 81

10. Comme M. Kožul vous l’a dit hier, beaucoup de Serbes ont choisi de partir parce qu’ils

avaient compris ce qui allait arriver. Après s’être ainsi positionnée, le 25 août 1991 date gravée

82
dans l’histoire de Vukovar la JNA a lancé l’offensive contre la ville . Le siège meurtrier avait

commencé et avec lui la destruction de la population civile croate de Vukovar.

11. Pour comprendre la suite, le mieux est de répartir les événements en quatre phases

distinctes mais qui se chevauchent : la phase 1 (d’août à novembre 1991) voit la destruction de la

ville par l’artillerie, les tirs de roquettes, les chars et les obus de mortiers. La phase 2 qui

chevauche la première, entre la mi-septembre et novembre 1991, est celle des attaques contre la

population croate de Vukovar, lorsque la JNA et les forces serbes (dont la milice, les forces

spéciales, la défense territoriale («TO») et des formations de volontaires et de paramilitaires) ont

progressé au sol pour gagner du terrain, incendiant, violant et tuant sur leur passage. La phase 3 est

de courte durée, la mi-novembre (18 au 21), et voit la chute de Vukovar, avec l’arrêt des

bombardements, moment étrange pendant lequel les Croates pris au piège qui avaient survécu au

pilonnage sont sortis des caves pour se rendre et ont été transportés hors de la ville en autocars et

en camions. La phase 4 débute vers le 18 novembre 1991 et c’est celle des lendemains meurtriers,

des survivants croates torturés et maltraités dans les camps de détention et des massacres de

Velepromet et Ovčara, pour ne citer qu’eux.

31 12. Commençons par la phase 1, le bombardement de Vukovar. Il s’agit certainement de

l’attaque la plus soutenue sur une zone urbaine européenne depuis la seconde guerre mondiale.

83
Selon les estimations, 10 000 projectiles ont été lancés chaque jour . Les pertes en vies humaines

ont été considérables (le chiffre précis ne sera jamais connu, mais elles sont estimées à 1100) . 84

81
Affaire Mrkšić, jugement, par. 41.
82MC, par. 4.147.

83Ibid., par. 4.149.
84
Ibid. - 25 -

Six mille appartements ont été rasés et sur les 9000 maisons particulières de Vukovar, il n’en restait

plus que 1000 . 85 Les services de base, dont l’électricité, l’eau et le réseau d’égouts ne

86 87
fonctionnaient plus . Les puits ont été pris pour cibles et détruits . En outre, une grande partie du

tissu culturel, historique et religieux de Vukovar a été détruit par le pilonnage des églises, écoles,

88
garderies et bâtiments publics .

13. Le TPIY a constaté dans l’affaire Mrkšić que vers la mi-octobre disons deux mois

environ après le début des bombardements Vukovar était complètement encerclée et une grande

partie des bâtiments considérablement endommagée. A Mitnica, une banlieue sur le Danube, les

maisons particulières n’avaient plus de toit et, au début du mois de novembre, il ne restait

pratiquement plus que les caves des habitations. Après sa chute, Vukovar n’était plus que ruines.

Selon l’ambassadeur Herbert Okun qui s’y est rendu le 19 novembre 1991, la ville était

«complètement anéantie», à l’image de Stalingrad à la fin de la seconde guerre mondiale. Les

vidéos tournées à l’époque montrent des voitures brûlées et un champ de ruines. Pas une maison

89
n’était intacte. La zone essentiellement résidentielle située au sud de la Vuka était rasée . Les

rues et les cours étaient jonchées d’innombrables cadavres qui n’avaient pu être inhumés en raison

des risques que couraient tous ceux qui sortaient sous les bombardements . 90

14. Sous le titre, «L’armée tente de justifier la destruction de Vukovar», United Press

décrivait ainsi la scène dans son bulletin d’informations internationales du 21 novembre 1991 :

32 «Pas un bâtiment n’est sorti indemne de près de trois mois de bombardements intensifs. Le

centre-ville sur le Danube est totalement détruit et un grand nombre de corps restent sans

91
sépulture.»

15. Ceux qui ont survécu n’ont pu le faire qu’en restant tapis dans leur cave, sans électricité

et avec très peu d’eau et de nourriture. Certains étaient dans la cave de leur maison, d’autres dans

85
MC, par. 4.150.
86Mrkšić, jugement de la chambre de première instance, par. 465.

87Ibid, par. 466.

88Ibid.
89
Ibid, par. 56.
90MC, par. 4.152.

91Ibid., vol. 4, annexe 41. - 26 -

des abris collectifs pouvant accueillir jusqu’à 500 personnes . Le sort de ceux qui sortaient était

évident. C’est en tentant de sortir qu’une petite fille de 8 ans a été tuée et ses sœurs de 7 et 11 ans

grièvement blessées . Le Comité international de la Croix Rouge (CICR) a qualifié tous ceux qui

94
étaient pris au piège dans leur cave de «peuple champignon» . La plupart n’en sont sortis qu’à la

fin des trois mois de siège. C’est alors que beaucoup se dirigèrent vers l’hôpital de Vukovar,

croyant à tort qu’ils y seraient relativement en sécurité.

16. Dans son contre-mémoire, le défendeur tente de définir le siège (improprement appelé

95
«bataille de Vukovar») comme un simple combat opposant deux forces militaires . Je vais vous

lire un passage du paragraphe 955 de ce contre-mémoire : «Ainsi, la bataille de Vukovar a vu deux

forces militaires s’opposer, l’une tentant de prendre la ville, l’autre tentant de la défendre, y

compris alors qu’il était devenu évident que cette défense s’avérait impossible.» Telle est la

position du défendeur, telle est sa justification des événements de Vukovar. Le défendeur n’en est

pas moins contraint d’admettre que «l’emploi de la force par les assaillants a pu être excessif par

rapport à une opération militaire normale». Cette justification est si faible qu’elle ne résiste pas à

l’examen, à la lumière des conclusions du TPIY dans l’affaire Mrkšić.

17. Ces conclusions révèlent qu’il ne s’agissait pas d’un conflit armé visant des objectifs

militaires, mais d’une attaque tout à fait disproportionnée visant délibérément à détruire la ville et

sa population civile. La chambre de première instance du TPIY a constaté que de nombreuses

unités de la JNA, ainsi que des unités de la défense territoriale et paramilitaires, y compris des

volontaires serbes, ont combattu du côté serbe dans la bataille pour Vukovar. Les éléments de

preuve admis par le TPIY ont attesté la présence d’environ 15 000 soldats de la JNA dans le secteur

33 de Vukovar. Selon les conclusions de la Chambre, même au plus fort du siège, le nombre de

96
combattants croates n’a jamais dépassé 1700 à 1800 hommes .

18. L’écart est de 1 à 9. Et si cela ne suffisait pas à démolir la justification avancée par le

défendeur, à savoir qu’il s’agissait d’une bataille tragique entre deux forces équilibrées, la chambre

92
MC, par. 4.151
93 Ibid.

94 Affaire Mrkšić, par. 57.
95
CMS, par. 955.
96 Affaire Mrkšić, jugement, par. 39 à 42. - 27 -

de première instance a également constaté une très grande inégalité entre les moyens dont

97
disposaient les deux camps . La JNA était très bien entraînée et équipée de tous les types

d’armement. Des lance-roquettes et des pièces d’artillerie étaient déployés tout autour de la ville et

tous les types d’armes lourdes ont été utilisés, notamment des obusiers, chars de combat, véhicules

98
blindés de transport de troupes, canonnières sur le Danube et chasseurs-bombardiers .

19. A l’inverse, et là je cite à nouveau la chambre de première instance, «les forces croates

étaient numériquement très inférieures et, pour la plupart, mal entraînées et mal équipées, souvent

dotées uniquement d’armes légères» . Au moment de la chute de la ville, les effectifs de la JNA

atteignaient 30 000 hommes sur le secteur, soit un écart de 16 à 1, tandis que cet écart était de 100

à 1 pour l’artillerie et les chars, une puissance militaire qui, à notre avis, était bien supérieure à

celle qui aurait permis de maîtriser les forces croates.

100
20. Comme l’a toujours dit le demandeur , ce déséquilibre colossal, tant dans les effectifs

que dans l’armement, est révélateur des véritables objectifs de l’attaque contre Vukovar. Il n’était

pas question de stratégie militaire comme voudrait le faire croire le défendeur, mais d’une mission

de destruction de la population croate qui y vivait. Ces intentions sont devenues de plus en plus

évidentes et effrayantes à mesure que progressaient les phases 2, 3 et 4.

21. Avant d’en finir avec la phase 1, je voudrais, Monsieur le président, attirer votre attention

sur les paroles du géneral Života Panić de l’armée yougoslave parce qu’elles sont révélatrices d’un

état d’esprit : «Nous avons décidé de ne pas combattre maison par maison. Nous prendrons

Vukovar avec des armes lourdes.» Et je vais vous montrer ce qu’il voulait dire et rappeler ce qui

s’est passé. [Projection vidéo.]

34 22. La phase 2, l’avance des troupes au sol de la JNA et des paramilitaires serbes dans la

ville en ruines, a commencé entre le début septembre et la mi-septembre. Ces hommes terrorisaient

la population croate à mesure que, lourdement armés, ils progressaient à pied ou sur les chars. Ils

ont d’abord pris quelques rues, puis les faubourgs. La première banlieue conquise a été Sajmiste

97
Affaire Mrkšić, jugement, par. 41.
98Ibid.

99Ibid., par. 42.
100
Voir MC, par. 4.147. - 28 -

dont au moins 120 habitants ont été tués. Vint ensuite Petrova Gora où, selon les déclarations des

101
témoins, quatre à cinq personnes étaient tuées chaque jour . Puis Borovo Naselje a été coupé du

centre de Vukovar et ce fut ensuite le tour de Mitnica. La ville finit par tomber.

23. Témoins de ces tragiques événements, les habitants de Vukovar devaient certainement

savoir ce qui les attendait. C’était la même chose que ce qui s’était passé et se passait

toujours en Slavonie orientale et dans le reste de la Croatie. Les villes et les villages étaient

détruits, les familles croates contraintes de fuir leur maison incendiée ou tuées lorsque celle-ci

explosait. Vous avez entendu certains détails ce matin. Seules l’échelle et l’intensité

différenciaient Vukovar.

24. Un témoin, ancien soldat de la JNA, a décrit l’état d’esprit des Serbes pendant la phase 2,

l’avance dans Vukovar . Il avait appartenu aux commandos parachutistes de la JNA et raconte

comment il a rencontré un commandant de la JNA qui encourageait les troupes progressant dans la

ville en décrivant comment il avait tué des Croates, de tous âges, sexe ou situation. Ce

commandant se vantait d’avoir massacré des femmes et des enfants. Il ne s’agissait pas de paroles

en l’air. Le témoin raconte comment, alors qu’ils progressaient entre Sajmiste et Mitnica, il avait

vu cet homme contraindre des prisonniers croates à entrer dans une pièce qu’il a ensuite fait

exploser. Cette «procédure», selon son expression, a été répétée plusieurs fois ce jour-là.

25. Les témoignages de deux habitantes de la ville 103le confirment de façon saisissante. Ils

fournissent des détails sur les listes de tués, les viols et l’exécution arbitraire d’hommes, de femmes

et d’enfants au moment de la prise de la ville.

104
26. Il était courant d’incendier et de bombarder les abris. Un ancien soldat de la JNA

décrit comment, pour lui, l’attaque de Vukovar a commencé dans la rue Nova avec les chars et

35 l’infanterie. Tout d’abord, «ils incendiaient les maisons avant de se retirer». Un autre témoin 105

décrit des événements étonnamment similaires dans d’autres quartiers de la ville : en avançant, les

forces «tuaient ceux qui ne quittaient pas leur cave en y jetant des bombes». Lorsque les civils

101MC, vol. 2 (I), annexe 127.
102
Ibid., annexe 119.
103Ibid., annexes. 126 et 128.

104Ibid., annexe 127.
105
Ibid., vol. 2 (I), annexe 134. - 29 -

croates se rendaient et sortaient des abris, les hommes étaient séparés des femmes et des enfants et

la plupart étaient transportés vers les camps de torture et de mort situés ailleurs, notamment en

Serbie.

27. Les éléments de preuve montrent que, sur leur passage, les chars tiraient sur toutes les

maisons croates et sur tous les abris où se cachaient les Croates. Les survivants qui se rendaient

étaient souvent maltraités et parfois tués. Le mémoire du demandeur contient le récit d’un témoin

106
dont l’époux s’était rendu et avait été massacré devant elle et leurs enfants ; un autre témoin

raconte que sa mère a reçu une balle dans la tête 107 ; un autre décrit les rues ruisselantes de sang .08

28. Souvenez-vous des exécutions de prisonniers croates dans les rues et les squares tels

109
qu’elles sont décrites dans les éléments de preuve présentés par le demandeur . Un témoin

raconte l’exécution sommaire d’un prisonnier devant la foule et a vu, à Luzac, les corps d’une

quarantaine de Croates qui avaient été battus, maltraités, injuriés puis tués d’une balle, les mains

liées dans le dos.

29. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’en reviens à l’argumentaire

du défendeur face à ces atrocités établies. La Serbie affirme, et je cite le paragraphe 955 du

contre-mémoire, que les faits ne correspondent nullement à la description qu’en fait le demandeur.

Je rappelle à la Cour le rapport qui a été présenté à l’écran et vous a été lu hier. Ce rapport des

services de renseignement sur lequel M. Sands a appelé votre attention est daté de la mi-octobre,

c’est-à-dire du milieu de la phase que je vous décris ; il signalait aux autorités serbes un génocide et

des actes de terrorisme incontrôlés. Est-ce une coïncidence si la déposition du témoin du

demandeur recoupe ce rapport des services de renseignement établi exactement au même moment à

Vukovar ?

30. [Projection.] L’image qui apparaît à présent à l’écran montre les positions des forces

36
serbes prêtes à lancer l’attaque finale sur Vukovar. On y voit que la ville était encerclée. Pour les

106
MC, par. 4.164.
107Ibid, par. 4.165.

108Ibid, par. 4.166.
109
Ibid., vol. 2 (I), annexe 115. - 30 -

Croates qui avaient survécu, il était impossible de s’échapper ; la fuite n’était pas envisageable.

[Fin de la projection.]

31. Vukovar est tombée le 18 novembre 1991. A ce stade, même les oiseaux avaient fui. La

ville était en ruines : la phase 1 des bombardements était terminée. On en était à la phase 3.

Quelques jours d’une étrange atmosphère. L’attaque de la phase 2 était toujours en cours et le

cauchemar de la phase 4 se préparait.

32. La vidéo suivante présage la terrifiante inévitabilité de ce qui allait suivre. Alors que des

civils en état de choc émergent de leurs abris et sont confrontés aux ruines de leur ville et aux corps

démembrés étendus dans les décombres, les unités paramilitaires serbes et les soldats de la JNA

défilent dans les rues en chantant qu’ils vont massacrer les Croates. [Projection vidéo.]

33. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, nous avons atteint un moment

clé du déroulement des événements de Vukovar. Les bombardements ont cessé, l’artillerie s’est

tue, les civils émergent de leur abri et c’est le bon moment pour se tourner vers le passé, mais aussi

vers l’avenir. C’est aussi, Monsieur le président, probablement un bon moment pour faire une

pause, s’il plaît à la Cour.

Le PRESIDENT : Merci beaucoup Monsieur. Il vous reste une trentaine de minutes et si le

moment vous paraît bien choisi pour interrompre votre exposé, la Cour va faire une pause de

15 minutes. Merci.

Sir Keir STARMER : Je vous en remercie.

L’audience est suspendue de 11 h 20 à 11 h 40.

Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience reprend et j’invite sir Keir Starmer à

poursuivre son exposé. Vous avez la parole, Monsieur Starmer.

Sir Keir STARMER : Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, nous

sommes arrivés au 18 novembre 1991, à Vukovar, et si je m’arrête à cette date, c’est que, comme je

l’ai dit, elle marque le début d’une nouvelle phase après trois mois de bombardements qui ont

transformé la ville en un champ de ruines. Je souhaiterais maintenant examiner ce qui s’est passé - 31 -

en regardant vers le passé, puis vers l’avenir ; plus qu’un rappel, c’est donc une analyse des

événements que je m’apprête à faire.

34. Cette analyse rétrospective révèle, selon nous, l’argumentation du défendeur pour ce
37

qu’elle est : très éloignée de la vérité. Ce que je demande maintenant à la Cour, c’est

d’examiner en la plaçant, en quelque sorte, dans une première colonne la position du

défendeur telle que je la perçois ce matin, à savoir que la «bataille de Vukovar» opposait deux

forces militaires antagonistes, l’une tentant de prendre une ville, et l’autre de la défendre. Voilà

donc ce que nous avons d’un côté, c’est la position du défendeur. J’invite ensuite la Cour à placer

en regard, dans une autre colonne, les conclusions sans appel du TPIY relatives à Vukovar, et à

comparer, pour ainsi dire, ces deux points de vue.

35. Parmi ces conclusions du TPIY à mettre en parallèle avec l’argumentation du défendeur,

je commencerai par citer l’extrait suivant, tiré du jugement Mrkšić [projection] : «…l’attaque serbe

était consciemment et délibérément dirigée contre la ville et sa malheureuse population civile, prise

au piège par le siège … [tenu] par les forces serbes, et contrainte de se réfugier dans les caves» .110

36. Le tribunal a ensuite ajouté et cet élément mérite tout particulièrement d’être

rapproché de l’argumentation du défendeur [planche suivante] :

«il ne s’agissait pas d’un simple conflit armé … [le tribunal adopte donc un point de

vue diamétralement opposé à celui du défendeur] … qui aurait fait des victimes civiles
et causé certains dommages matériels. Une vue d’ensemble des événements révèle
l’existence d’une attaque par les forces serbes numériquement bien supérieures, bien
armées, bien équipées et bien organisées, qui ont lentement et systématiquement

détruit une ville et s111occupants civils et militaires jusqu’à la reddition complète des
derniers survivants.»

J’insiste tout particulièrement sur le choix du terme «détruit», utilisé par le TPIY lui-même.

37. Poursuivons avec un autre passage du jugement de la chambre [projection suivante] : «la

punition terrible infligée à Vukovar et à la population civile de la ville et des environs avait valeur

d’exemple pour ceux qui n’acceptaient pas le Gouvernement fédéral de Belgrade contrôlé par les

Serbes … ou encore le rôle de la JNA» . 112

110
Affaire Mrkšić, jugement de la chambre de première instance, par. 4.70.
11Ibid. ; les italiques sont de nous.

11Ibid., par. 471. - 32 -

Comment la position du défendeur peut-elle tenir face à ces conclusions sans appel, qui la

contredisent mot pour mot ? [Fin de la projection.]

38 38. La dévastation totale de Vukovar est illustrée on ne peut plus clairement par la vidéo que

vous allez voir. Les corps jonchent les rues. Sur les images filmées à travers le pare-brise d’un

bus, ce ne sont qu’immeubles en feu, ruines, et restes de voitures calcinées et bombardées

[projection vidéo (1 minute 20 secondes)].

39. [Projection.] Le cliché qui s’affiche maintenant à l’écran, pris dans une zone

résidentielle de Vukovar, la rue Nicola Tesla, juste après la chute de la ville, présente l’une de ces

scènes de destruction113[fin de la projection].

40. Les images vidéo aériennes que vous allez voir dans un instant offrent une vue globale

des dégâts causés. On y voit une métropole jadis florissante réduite en cendres [projection vidéo

(1 minute)].

41. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, nous étions toujours dans la

période du 18 au 21 novembre 1991. J’en ai maintenant fini avec ce retour en arrière, qui avait

pour objet de démontrer que les arguments avancés par le défenseur au sujet de Vukovar ne

résistent tout simplement pas aux conclusions du TPIY dans l’affaire Mrkšić. Je souhaiterais à

présent me projeter dans l’avenir et c’est la raison pour laquelle je vous ai montré ces

enregistrements vidéo et clichés particuliers , car quel que soit le point de vue choisi, et que mon

analyse rétrospective soit ou non exacte, personne ne pouvait contester, le 18 novembre 1991, que

la ville de Vukovar était à genoux. L’attaque a été dévastatrice, laissant les infrastructures en

ruines et la population prise au piège captive et sans défense. Puis il y a eu ce moment, dans

l’histoire, où les bombardements ont cessé.

42. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, si un épisode de l’histoire

permet d’apprécier l’intention réelle des forces serbes, c’est bien celui-là. Comme elles le

voulaient, la ville était à leur merci ; elle était en ruines, et les hommes vaincus. S’il ne s’était

ensuite rien passé d’autre que l’évacuation relativement pacifique des derniers survivants croates,

on aurait pu penser que, comme le défendeur le prétend, aussi terribles qu’aient pu être les

113http://centardomovinskograta.hr/wp-content/uploads/2013/12/Plakati-eng2…. - 33 -

événements de Vukovar, il n’y avait jamais eu d’intention génocidaire. Malheureusement, les

événements abominables qui ont suivi, notamment les tortures, les viols et les tueries massives en

série, apportent des preuves accablantes du contraire. Si l’objectif des forces serbes avait été

simplement de déplacer la population, elles n’auraient nullement ressenti le besoin, une fois cet

objectif atteint, d’en supprimer jusqu’aux dernières traces. Elles pouvaient encore, à la

mi-novembre 1991, se contenter de déplacer les survivants croates de Vukovar, au lieu de les

éliminer. Le fait que cette option ait été si résolument exclue en dit long.

39 43. Parmi les cibles particulièrement visées figure, évidemment, l’hôpital de Vukovar. Ainsi

que l’a relevé la chambre de première instance dans l’affaire Mrkšić, celui-ci a fait l’objet

d’attaques presque quotidiennes ce qui prouve, là encore, que l’intention était de détruire non

pas des objectifs militaires, mais des populations civiles vulnérables. Toutes ses vitres ont été

brisées, son toit presque totalement détruit, et ses murs éventrés par les bombardements. Il a donc
114
fallu entasser au sous-sol du bâtiment patients, personnel et installations médicales de fortune . Il

s’agissait de l’hôpital principal de la ville.

44. De nombreux habitants de la ville assiégée hommes, femmes et enfants ont tenté

de fuir Vukovar à partir du 18 novembre. Certains y sont parvenus, en passant par un point de

reddition à Mitnica, avant de partir pour Velepromet, Ovčara et les camps de détention. D’autres

ont cherché à se mettre à l’abri à l’hôpital.

45. Le 19 novembre, l’hôpital avait largement dépassé sa capacité d’accueil, abritant pas

moins de 750 personnes, parmi lesquelles des malades, des blessés, les employés de l’hôpital ou

encore ceux qui étaient simplement venus chercher refuge . Et des nouveaux venus continuaient

d’affluer.

46. Certains de ces nouveaux arrivants savaient peut-être que des négociations étaient en

cours à Zagreb en vue d’évacuer l’hôpital. C’est sans doute la raison pour laquelle ils pensaient y

être en sécurité. L’accord finalement intervenu le 18 novembre 1991 prévoyait un cessez-le-feu et

l’évacuation des malades et des blessés en toute sécurité, sous la surveillance des observateurs de la

114
Mrkšić, par. 58.
11Ibid., par. 181. - 34 -

Mission de contrôle de la Communauté européenne (ECMM) et de représentants du Comité

international de la Croix-Rouge (CICR).

47. Cet épisode s’avérera particulièrement révélateur de l’intention réelle des Serbes.

S’agissait-il d’appliquer le plan ou de s’en servir pour envoyer les prisonniers croates non pas en

lieu sûr, comme prévu, mais dans les camps de torture et de mort de Velepromet et d’Ovčara ?

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, vous connaissez la réponse.

48. Dans la soirée du 19 novembre 1991, les forces serbes ont commencé à envoyer les

Croates de Vukovar à Velepromet à bord d’autocars. Vers 7 heures le lendemain matin, les soldats

ont fait le tour de l’hôpital, disant à tous ceux qui étaient en état de marcher qu’ils pouvaient partir.

A la sortie, ils séparaient les hommes des femmes et des enfants. Ces derniers ont reçu l’ordre de

40
rejoindre l’entrée principale qui donnait sur la rue Lola Ribora, les hommes étant, quant à eux,
116
dirigés vers l’entrée latérale, dans la rue Gundulićeva, où ils ont été alignés le long du mur .

49. Dans le courant de la journée, les femmes et les enfants ont été emmenés en autocar dans

des camps de détention, mais ni à Velepromet, ni à Ovčara. Les hommes ont été transportés dans

d’autres convois vers ces deux camps. Nombre d’entre eux étaient en route vers la mort.

50. La phase 4 allait commencer.

51. Comment prétendre que les responsables des événements de Velepromet et d’Ovčara

n’avaient alors pas connaissance du projet global quand il existe des preuves qui démontrent

clairement, et de manière particulièrement atroce, que les représentants de l’ECMM et du CICR,

censés fournir une protection minimale aux Croates assiégés, se sont vu cyniquement interdire

l’accès à l’hôpital de Vukovar par les soldats de la JNA, au moment où ils auraient pu arrêter les

convois de la mort en partance pour Velepromet et Ovčara ? La délégation a été bloquée et retenue

au niveau du pont sur la Vuka à proximité de l’hôpital. Alors qu’elle attendait, incapable de

poursuivre sa route, les prisonniers croates entassés dans des autocars empruntaient le pont voisin,

en route vers un destin tragique. Lorsque les représentants de l’ECMM et du CICR, enfin autorisés

à passer, sont arrivés à l’hôpital, il était tout simplement trop tard pour empêcher ce qui allait se

116Mrkšić, jugement de la chambre de première instance, par. 201. - 35 -

produire à quelques kilomètres de là, dans les camps de la mort et les chambres de torture de

Velepromet et d’Ovčara.

52. L’enregistrement vidéo que vous allez voir montre le moment précis où le général

Šljivančanin a lui-même empêché la délégation du CICR de traverser le pont, et ainsi de

contrecarrer les plans serbes [projection vidéo : 1 minute 46 secondes].

53. Les conclusions du TPIY en l’affaire Mrkšić sont claires sur ce point, la chambre de

première instance ayant jugé que les soldats de la JNA avaient délibérément retenu les observateurs
117
de l’ECMM et les représentants du CICR sous un faux prétexte . Pourquoi ? Le rapport établi le

21 janvier 1992 par l’ONG Helsinki Watch va dans le même sens, indiquant que, «[p]endant une

demi-journée, le 20 novembre, la JNA a interdit aux journalistes et au Comité international de la

Croix-Rouge (CICR) … [l]’accès à l’hôpital de Vukovar». Helsinki Watch a interrogé le personnel

médical qui se trouvait à l’hôpital lorsqu’il a été fermé aux observateurs extérieurs par les forces de

la JNA. Pendant ce temps, des unités paramilitaires serbes évacuaient les membres du personnel

41 médical de sexe masculin et les blessés dont certains membres serbes du personnel de l’hôpital

avaient indiqué qu’ils étaient croates .8

54. C’est dans le cadre de cette sinistre chorégraphie qu’il convient d’examiner les

événements qui se sont déroulés à Velepromet et à Ovčara.

55. [Projection.] Velepromet est situé dans la banlieue de Vukovar, à quelques centaines de

mètres de la caserne de la JNA. Composé de plusieurs bâtiments en briques et de six hangars en

tôle ondulée, ce site devait recevoir des centaines de prisonniers croates en quelques mois. Vous

pouvez en voir une photographie aérienne sur votre écran. [Fin de la projection.]

56. Les prisonniers qui ont été conduits à Velepromet le 19 novembre 1991 venaient de lieux

divers, dont Vukovar. A leur arrivée, ils ont été divisés en groupes ethniques, et les femmes et les

enfants ont été séparés des hommes. D’autres, essentiellement des hommes, sont arrivées de

l’hôpital le lendemain.

117Mrkšić, jugement de la chambre de première instance, par. 201.

118RC, vol. 4, annexe 99. - 36 -

57. Certains de ceux qui sont arrivés à Velepromet avaient peut-être déjà une idée de ce qui

119
les attendait. Un témoin raconte qu’il se trouvait à bord de l’un des bus qui s’apprêtaient à

quitter Vukovar, lorsqu’un voisin serbe s’est avancé et, narguant les passagers, leur a dit qu’ils

seraient «soit exécutés, soit massacrés». Et lorsque les bus sont arrivés à Velepromet, les soldats

de la JNA ont disparu pendant un moment pour permettre aux paramilitaires serbes de la région

d’attaquer les prisonniers et de les maltraiter. Certains ont reçu des coups de couteau, d’autres, des

coups de poing et de pied, et d’autres encore ont été décapités. Ce même témoin décrit

quinze corps décapités gisant près d’un trou dans le sol . Monsieur le président, Mesdames et

Messieurs de la Cour, nous avons là un exemple parfait de complicité et de laisser-faire. Ces bus

étaient conduits jusqu’à Velepromet par la JNA. Comment, sans complicité, ces sévices

auraient-ils été possibles ?

58. M. Franjo Kožul, dont vous avez entendu la déposition hier après-midi, a vu un homme,

qu’il a identifié comme étant «Mirko», tenir, dans une main la tête d’un prisonnier croate qu’il

121
42 avait décapité et, dans l’autre, un couteau ruisselant de sang . M. Kožul lui-même a été détenu

dans la «chambre de la mort». Il a déclaré y avoir été poussé et s’y être retrouvé entassé avec une

cinquantaine d’autres personnes. Les prisonniers étaient ensuite emmenés pour être battus, et

revenaient avec des blessures, notamment par balle. A un moment donné, un Serbe ivre est entré

dans la chambre de la mort armé d’un fusil automatique et leur a dit : «[à] neuf heures … non, à

neuf heures et demie, vous serez exécutés». Selon M. Kožul, lui-même et quelques autres ne

doivent leur salut qu’à l’intervention courageuse d’un officier de la JNA.

59. D’autres n’ont pas eu cette chance. Un témoin raconte qu’il a été emmené pour être

exécuté. Même s’il en a réchappé grâce à un Serbe avec lequel il avait travaillé auparavant et qui

l’a aidé en retour, il a assisté à l’exécution de sang-froid de trois autres personnes à l’arrière de l’un

122
des bâtiments de Velepromet , à une dizaine de mètres d’un groupe de femmes qui pouvait

entendre les tirs «et peut-être voir l’exécution».

119
MC, vol. 2 (I), annexe 121.
120Ibid.

121MC, vol. 2 (I), annexe 114.
122
Ibid., annexe 123. - 37 -

60. D’autres témoignages confirment que des femmes du camp étaient contraintes d’assister

aux exécutions. L’une d’elles a déclaré avoir été emmenée avec son mari et sa petite-fille à

Velepromet. Selon elle, «la première nuit, à Velepromet, j’ai assisté à des exécutions. J’ai vu

douze personnes attachées être emmenées dehors et exécutées vers 21 heures … ma petite fille … a

également assisté à cette scène, de même que de nombreuses autres femmes». Elle ajoute qu’un

second groupe de 25 hommes a été emmené deux heures plus tard au bord de fosses, où ils ont été

alignés et exécutés .23

61. Même si les femmes et les filles ont été globalement épargnées par les balles

à Velepromet, elles n’ont pas échappé au viol. Une femme de Velepromet raconte avoir été témoin

du viol d’une autre prisonnière pendant un soi-disant «interrogatoire». La victime a été emmenée

dans une pièce voisine, avec quelques couvertures. Plus tard, ceux qui l’avaient «interrogée» se
124
sont vantés d’avoir été quinze à la violer .

62. Les événements qui se sont déroulés à Velepromet ne sont pas au nombre des faits

incriminés dans l’acte d’accusation établi dans l’affaire Mrkšić et consorts, mais la chambre de

première instance est parvenue à un certain nombre de conclusions fondées sur son bref examen

des faits. Elle a jugé que des centaines de non-Serbes avaient été emmenés par les forces serbes de

l’hôpital de Vukovar jusqu’au camp de Velepromet. D’autres y sont arrivés d’ailleurs. Ils ont été

43 frappés, insultés et ont subi d’autres sévices pendant les «interrogatoires». Un certain nombre ont

été tués par balles. De l’avis de la Chambre, la plupart, sinon la totalité, des personnes

responsables des interrogatoires «musclés» et des exécutions, appartenaient à la TO ou à des unités

paramilitaires serbes . Encore une fois, comment cela a-t-il pu se produire ? Ces personnes ont

été emmenées à Velepromet par la JNA. Les actes commis par la TO et les paramilitaires serbes à

Velepromet montrent non seulement l’intention de tuer les Croates en tant que groupe, mais aussi

celle d’humilier, de terroriser et de priver les victimes de leur dignité.

63. J’aborderai à présent la question d’Ovčara. Les prisonniers croates emmenés depuis

l’hôpital de Vukovar jusqu’à Ovčara, l’autre camp de torture et de mort, sont passés par la caserne

123
MC, vol. 2 (I), annexe 147.
12Ibid., annexe 151.
125
Affaire Mrkšić et consorts, chambre de première instance, jugement, par. 163. - 38 -

de la JNA à Vukovar. Ils y sont arrivés à 10 h 30 le 20 novembre 1991, juste au moment où les

observateurs de la mission de surveillance de la Communauté européenne et les représentants du

CICR arrivaient enfin à l’hôpital. Nul n’aurait pu écrire un tel scénario. Les observateurs

parviennent à l’hôpital au moment même où les bus, partis à vive allure, arrivent à la caserne.

64. S’y trouvaient réunis des soldats réguliers de la JNA, des membres de la TO et des

paramilitaire. Et, alors que les bus de prisonniers croates attendaient, les officiers de la JNA ont

obligeamment laissé à leurs collègues paramilitaires la possibilité d’attaquer et de frapper les

prisonniers. Ainsi que l’a conclu la chambre de première instance, «[l]a police militaire ou les

officiers de la JNA n’ont rien fait pour mettre fin aux sévices» . Quelque trois heures plus tard,

les bus quittaient la caserne pour Ovčara.

65. Ovčara est situé à environ 5 km au sud-est de Vukovar. C’est une bande de terre désolée,

où des entrepôts ont été construits après la seconde guerre mondiale. En 1991, elle abritait un

élevage porcin, et fut alors transformée en camp de torture et de mort.

66. Lorsque les bus transportant les prisonniers sont arrivés à Ovčara, les soldats de la JNA

et les paramilitaires, entre autres, ont formé deux rangées entre lesquelles chacun des prisonniers

terrifiés était forcé de courir. Ils étaient alors attaqués et frappés. Selon un témoin, au moins

127
deux prisonniers ont été battues à mort . Un autre témoin décrit comment, alors qu’ils sortaient

du bus, les prisonniers étaient roués de coups à l’aide de battes en caoutchouc et en bois, sans parler

128
des coups de chaussures et de poing .

44 67. La conclusion de la chambre de première instance dans l’affaire Mrkšić et consorts

reflète les déclarations des témoins cités par le demandeur en l’espèce. La chambre a en effet jugé

que, à Ovčara, les prisonniers avaient «dû passer entre deux rangées de soldats … qui les [avaie]nt

violemment frappés au passage … à coups de bâtons, de crosses de fusil, de perches, de chaînes et

129
même de béquilles» .

126
Affaire Mrkšić et consorts, chambre de première instance, jugement, par. 217.
127MC, Vol. 2 (I), annexe 145.

128Ibid., annexe 137.
129
Affaire Mrkšić et consorts, chambre de première instance, jugement, par. 234. - 39 -

68. A l’intérieur des bâtiments d’Ovčara, les séances de coups et de torture et les exécutions

se poursuivaient. Un témoin 130a vu deux hommes se faire tuer dans sa cabane. L’un d’eux était

allé se soulager lorsqu’il a été tué par des tirs d’arme automatique. L’autre a simplement été roué

de coups jusqu’à que mort s’ensuive. Et il est clair que la JNA a permis aux paramilitaires serbes

d’avoir accès aux prisonniers et de leurs infliger de tels sévices. Un témoin 131 indique clairement

que parmi ceux qui laissaient agir les paramilitaires serbes figurait un colonel de la JNA, lequel les

organisait en groupes et leur attribuait des groupes de prisonniers croates à torturer.

69. A l’extérieur, ce n’était pas seulement la torture et la violence extrême qui étaient

organisées, mais le massacre.

70. Comme la chambre de première instance le décrit en détail dans l’affaire Mrkšić et

consorts, dans l’après-midi du 20 novembre 1991, quelques heures seulement après le départ de

l’hôpital de Vukovar, un soldat d’Ovčara a abordé d’un homme qui travaillait à Vupik dans un

élevage porcin. Il lui a ordonné de conduire sa pelle mécanique jusque dans les bois, à environ

1 km des bâtiments d’Ovčara. Là, l’éleveur porcin a été obligé de creuser une fosse, qui faisait, il

s’en souvient, 10 mètres de long par 3 mètres de large et 2 mètres de profondeur . Il s’agissait

d’un futur charnier.

71. Le fait que cet éleveur ait été obligé de creuser le charnier vers 14 ou 15 heures, soit une

heure seulement après l’arrivée des bus de prisonniers croates à Ovčara, prouve de manière

accablante que les forces serbes projetaient bien de massacrer leurs proies croates. Ovčara devait

être le lieu de leur mort, et les préparatifs étaient minutieux.

72. Lorsque la nuit a commencé à tomber, les prisonniers pris au piège dans les bâtiments

d’Ovčara ont été organisées en groupes d’environ 10 à 20 personnes, puis forcés de monter dans un

45 camion et emmenés jusqu’à la fosse fraîchement creusée, où ils ont été brutalement exécutés.

Après chaque massacre, le camion revenait pour charger un nouveau groupe de victimes croates et

l’emmener sur le lieu d’exécution.

130
MC, vol. 2 (I), annexe 137.
131Ibid., annexe 145.
132
Affaire Mrkšić et consorts, chambre de première instance, jugement, par. 240. - 40 -

73. Lorsque la fosse a été pleine, les soldats de la JNA et les paramilitaires l’ont approfondie

et élargie. Nul ne connaît le nombre précis des hommes qui ont été emmenés ce matin-là de

l’hôpital de Vukovar et exécutés de cette manière. Cependant, sur 300 hommes, 260 sont morts ou

133
portés disparus , et la chambre de première instance a jugé qu’au moins 194 d’entre eux avaient

été exécutés à Ovčara . Le plus jeune avait 16 ans et le plus âgé 76. Il ne s’agissait pas là

simplement d’une forme de vengeance militaire, mais du massacre soigneusement orchestré

d’hommes et de garçons croates, pour la seule raison qu’ils étaient croates.

74. [Projection.] Le charnier a été découvert cinq ans plus tard. Comme l’a précisé la

chambre de première instance dans l’affaire Mrkšić et consorts, l’emplacement de la fosse creusée

par le malheureux éleveur porcin de Vupik sur les ordres du soldat d’Ovčara, et je cite, «correspond

exactement à celui du charnier» . Vous pouvez en voir une photographie sur votre écran . [Fin 136

de la projection.]

75. Le défendeur ne conteste pas ces conclusions factuelles au sujet d’Ovčara, préférant

éviter le sujet.

76. Velepromet et Ovčara offrent les pires exemples de la phase 4 des événements survenus

à Vukovar. Mais ce ne furent pas les seuls camps de torture et de mort dans lesquels furent

envoyés les survivants croates de Vukovar. D’autres ont été envoyés à Dalj, au nord de Vukovar,

là où le Danube rencontre la Drava. Des témoins décrivent les exécutions sommaires qui y ont eu

lieu. Un témoin parle d’exécutions en série , un autre encore d’exécutions au sortir du bus . 138

139
77. Le voyage d’un témoin est décrit de manière assez détaillée . Ce dernier a été arrêté à

Vukovar le 21 novembre 1991 et emmené à Dalj. En route, 35 personnes ont été «jetées» hors du

bus et n’ont jamais été revues. Arrivé au camp, le témoin a fait partie d’un groupe de 6 personnes

devant être exécutées le 22 novembre après minuit. Il a vu des charniers et assisté à l’exécution des

133MC, par 175-178.

134Affaire Mrkšić et consorts, chambre de première instance, jugement, par. 509-511.
135
Ibid., par. 241.
136
https://www.branitelji.hr/arhiva/p3277/slika/3168/ovcara.jpg.
137MC, vol. 2 (I), annexe 115.

138Ibid., annexe 134.

139Ibid., annexe 155. - 41 -

46 autres membres du groupe. S’il a survécu, ce n’est que parce que le couteau dont se servait son

bourreau pour lui trancher la gorge a buté sur la croix métallique qu’il portait autour du cou. Il

s’est retrouvé blessé mais vivant dans la fosse, a survécu à deux blessures par balles et a pu

témoigner.

78. D’autres Croates de Vukovar ont été emmenés à Stajićevo et Niš en Serbie où les tortures

et les exécutions sont amplement attestées . Les hommes emmenés de Borovo Naselj à Stajićevo

n’étaient qu’un exemple parmi d’autres. Ils ont été torturés dès leur sortie du bus. Ont suivi des

«interrogatoires» brutaux tous les jours et des exécutions la nuit, comme l’attestent les témoins, un

grand nombre de témoins . 141

79. Ces événements terribles survenus pendant la phase 4 de l’attaque contre Vukovar, alors

que la ville était à genoux et qu’il était possible d’agir différemment doivent être examinés dans le

contexte et à la lumière de ce qui s’était déjà passé pendant les phases 1, 2 et 3. Pour le demandeur,

les atrocités commises à chacune des quatre étapes des événements, considérées ensemble, font

apparaître une intention génocidaire, un plan génocidaire, de la part des forces serbes.

80. Les faits sur lesquels le demandeur appuie son argumentation sont bien établis. Bien

qu’aucun effort ne soit épargné dans le contre-mémoire pour minimiser les conclusions factuelles

de la chambre de première instance en l’affaire Mrkšić, le défendeur ne peut tout simplement pas

en faire abstraction. Or, ces conclusions offrent une base très solide à la thèse du demandeur.

81. Il est admis que le TPIY n’examinait pas les affaires de génocide et, de fait, il n’a jamais

été saisi de la question du génocide en Croatie. Mais comme la chambre de première instance

elle-même s’est employée à le relever et c’est ce qui apparaît maintenant sur votre écran : [début

de la projection]

«L’acte d’accusation se limite aux seuls faits évoqués plus haut. [C’est-à-dire

Ovčara.] En est exclue l’attaque lancée en 1991 par la JNA et d’autres forces serbes
contre la ville de Vukovar et la population civile. Il en va de même des dévastations
commises à Vukovar pendant les combats militaires prolongés de 1991, du nombre
très élevé de victimes civiles et des dégâts matériels occasionnés par les opérations
142
militaires.» [Fin de la projection.]

140
MC, vol. 2 I), annexes 136, 132 et 155.
141Ibid., annexes 137, 138 et 139.

142Mrkšić, chambre de première instance, jugement, par. 8. - 42 -

Le TPIY n’était pas saisi de la question, vous l’êtes.

47 82. La chambre de première instance a été tout aussi claire au sujet des événements de

Velepromet. Elle ne les a décris que «brièvement» car «les faits qui se sont produits à Velepromet

143
ne sont pas au nombre des faits incriminés dans l’acte d’accusation» . Ces faits sont portés

devant vous, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour. Le TPIY examinait la

«responsabilité individuelle» de trois hommes dans des actes précis reprochés à chacun d’eux, à

savoir leur responsabilité personnelle dans le transfert d’un certain nombre de personnes de

l’hôpital de Vukovar à Ovčara où ils savaient qu’elles seraient assassinées.

83. Que ces trois personnes n’aient pas à répondre du crime de génocide en rapport avec les

actes qu’elles ont commis n’a rien à voir avec l’argumentation du demandeur, à savoir que,

cumulativement, les atrocités commises au cours de chacune des quatre phases des événements

survenus à Vukovar, considérées dans leur ensemble, du début à la fin, et impliquant tous les

auteurs, constituent un génocide.

84. Le nombre précis de Croates de Vukovar tués au cours de ces événements de 1991 ne

sera jamais connu véritablement. Il est probable qu’environ 1100 personnes sont mortes pendant

les bombardements de la phase 1. Près de 200 corps ont été retrouvés dans le charnier d’Ovčara et

19 autres dans celui de Velepromet, qui avaient été exhumés et réenterrés. Ces 19 victimes

faisaient partie des 938 autres réenterrées dans des fosses communes du nouveau cimetière de
144
Vukovar .

85. La ville de Vukovar ne s’est jamais relevée comme je l’ai dit au début, elle est connue

dans le monde entier. Même après le retour de la paix dans la région, seuls 7500 des
145
21 500 Croates qui vivaient à Vukovar en 1991 y sont revenus . Pour d’autres survivants, le

déplacement a été définitif.

86. Comme on l’a déjà dit, ce qui est arrivé à Vukovar s’est reproduit à maintes reprises en

Slovénie orientale et dans toute la Croatie au cours du conflit.

143
Affaire Mrkšić et consorts, jugement de la première chambre d’appel, par. 163.
144MC, vol. 2(I), annexe 164.

145MC, par. 4.140. - 43 -

87. Les méthodes ont peut-être varié selon les villages, les villes, les régions, mais

examinées de près, elles font toutes apparaître une intention de «détruire» une partie du groupe

croate en question. Les tirs d’artillerie et les obus de mortier étaient totalement disproportionnés et,

à Vukovar par exemple, ont pratiquement réduit la ville à un champ de ruines. Ces attaques

48 meurtrières ne visaient pas simplement à expulser une partie du groupe croate en question.

88. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, dans

l’affaire Bosnie c. Serbie, la Cour a clairement fait la part entre la destruction physique et la
146
«simple dissolution» . Décrire les quatre phases des événements survenus à Vukovar en

1991 l’utilisation massive de la force par des forces serbes très largement supérieures en nombre

afin de priver la population prise au piège des conditions essentielles à la vie, le meurtre, le viol et

le démembrement de ceux qui restaient par les forces qui gagnaient du terrain, la mise en scène des

transports vers les camps de torture et de mort et le massacre organisé qui a eu lieu à Velepromet et

Ovčara dire de ces faits qu’ils n’étaient qu’une «simple dissolution» du groupe croate de

Vukovar, c’est dénaturer la langue au point de la priver de sens.

89. Les éléments de preuve présentés à la Cour font apparaître une destruction physique et

psychologique délibérément perpétrée par les forces serbes, la JNA et les forces paramilitaires

contre les Croates de Vukovar. Ils attestent l’existence d’un génocide.

90. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’ai évoqué ce qui s’est

produit à Vukovar et je vous suis reconnaissant d’avoir écouté mes conclusions. Ma collègue,

Mme Seršić, va maintenant vous décrire ce qui s’est passé le 18 novembre 1991, le jour même de la

chute de Vukovar, à 600 km de là dans un petit village beaucoup moins connu nommé Škabrnja. Je

vous remercie.

Le PRESIDENT : Je vous remercie beaucoup et je donne maintenant la parole à Mme Seršić.

Mme SERŠIĆ :

14Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 122-123, par. 190. - 44 -

LES ACTIVITÉS GÉNOCIDAIRES PERPÉTRÉES PAR LA SERBIE

ÀŠ KABRNJA ET S ABORSKO

I. Introduction

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, au début de l’année 1991,

Škabrnja et Saborsko étaient deux petits villages ordinaires et tranquilles, au cœur de la campagne

croate. En moins d’un an, ils ont été rasés, délibérément rayés de la carte par une campagne armée

d’une violence inouïe. Aujourd’hui, en Croatie, tout le monde connaît les noms de Škabrnja et

49 Saborsko : ces noms, comme tant d’autres, sont synonymes de génocide et de destruction d’une

partie de la population en raison de son appartenance ethnique.

2. Dans son contre-mémoire et sa duplique, le défendeur critique vivement, de manière

générale, les éléments de preuve fournis par le demandeur à l’appui de sa thèse. Vous avez

entendu la réponse de la Croatie à ces accusations mensongères et juridiquement erronées. Mais,

comme je le montrerai dans mon exposé, la Cour n’a nul besoin, pour trancher le présent différend

en faveur de la Croatie, d’apprécier la valeur probante d’éléments de preuve sur lesquels le TPIY

ne se serait pas prononcé. C’est qu’en effet les villages de Škabrnja et Saborsko ont chacun fait

l’objet de conclusions factuelles détaillées du TPIY dans les affaires Martić et Stanišić et

Simatović. La Cour peut ainsi s’intéresser au fond de l’argumentation du demandeur sans être

distraite par les litiges relatifs aux preuves opposant les Parties.

3. Examinés à travers le prisme des éclairantes conclusions du TPIY, les villages de

Saborsko et Škabrnja constituent des exemples typiques de génocide, modèles réduits des activités

menées par la Serbie en Croatie. Ce qui s’y est passé relève de la conception du génocide qui était

celle de Rafael Lemkin, telle qu’exposée dans son ouvrage de 1944, et des rédacteurs de la

convention de 1948.

4. Il me faut de nouveau rappeler ce qui a déjà été dit. Un génocide n’est pas qu’une affaire

de chiffres. Dans mon exposé, je vais montrer que, dans deux villages ordinaires de deux régions

croates distinctes, les forces serbes ont commis des meurtres et des actes de destruction contre la

population croate de souche, avec l’intention de détruire une partie de cette population, selon un

schéma étonnamment similaire. Avec la JNA à la tête des opérations, des soldats, des réservistes et

des paramilitaires ont violenté, tué, pillé et brûlé tout ce qui se trouvait sur leur passage afin de

détruire le groupe ethnique croate. Le résultat final a été sans appel, comme cela ressort clairement - 45 -

des conclusions du TPIY : un grand nombre de Croates sans défense tués, délibérément entraînés à

l’écart et exécutés en raison de leur appartenance ethnique ; des églises, des écoles et des maisons

bombardées ; et deux villages croates complétement détruits.

II. Škabrnja

5. Le village de Škabrnja se trouve dans la région de Zadar, dans le nord de la Dalmatie,

comme vous pouvez le voir à l’écran. [Projection.] Situé au cœur de la campagne croate, il était

continuellement habité depuis plus de neuf siècles. En 1991, le village comptait environ

147
2000 habitants, Croates de souche dans leur immense majorité . Plusieurs sites culturels et

50 religieux croates s’y trouvaient, notamment deux anciennes églises catholiques datant des XI et e

e
XIII siècles.

6. Tandis que la JNA progressait à travers la Dalmatie, en septembre et octobre 1991,

Škabrnja et le village croate voisin de Nadin ont essuyé des tirs de mortier et des bombardements

aériens, y compris par des bombes à fragmentation. Il n’y avait aucune justification milliaire à ces

attaques. Le 2 octobre 1991, un avion de la JNA a bombardé Škabrnja et a lâché des douilles

contenant des messages du type «Bons baisers de la JNA aux rats de Tudjman» . Après la mort148

de trois civils début octobre, presque tous les habitants ont été évacués ; seuls 240 sont restés sur

place .49

7. Le 5 novembre 1991, un accord de cessez-le-feu a été signé, et la plupart des civils sont

150
revenus à Škabrnja . Pourtant, une quinzaine de jours plus tard, le 18 novembre 1991, les forces

serbes ont lancé une attaque aérienne et terrestre de grande envergure sur ce village, violant ainsi le

151
cessez-le-feu . Comme nous l’avons entendu, c’est ce jour-là que tombait Vukovar, à plus de

600 kilomètres de là, en Slavonie orientale. Cette journée allait se révéler l’une des plus

meurtrières de toute la campagne. Selon le TPIY, la JNA, la TO, la police de la SAO de Krajina et

14Le Procureur c. Milan Martić (IT-95-11-T), jugement, 12 juin 2007, par. 235.

148Le Procureur c. Jovica Stanišić et Franko Simatović (IT-03-69-T), jugement, 30 mai 2013, par. 271 ;
déposition de Marko Miljanić, 1 décembre 2009, C.R. p. 2362-2363.
149
Martić, jugement, par. 236 ; Stanišić et Simatović, jugement, par. 268 et 272.
150
Stanišić et Simatović, jugement, par. 268 et 272.
15Ibid., par. 239 et suivants. - 46 -

152
plusieurs unités paramilitaires serbes locales ont pris part à l’attaque . La JNA comprenait «des

soldats réguliers et des réservistes des villages serbes des environs» . Comme lors de toutes les

opérations de combat menées en Croatie, les unités de la TO étaient «subordonnées à la JNA» et

154
comprenaient des «volontaires» de Serbie .

8. Dans l’affaire Stanišić et Simatović, la chambre de première instance a expliqué que

l’attaque menée contre Škabrnja était calquée sur le même modèle que celui décrit par

155
Mme Ní Grálaigh plus tôt ce matin. Tout a commencé par «un pilonnage intensif» , avec des

bombes à fragmentation et des bombes incendiaires. Ensuite, les bataillons d’infanterie et des

paramilitaires lourdement armés sont entrés en scène. Dès leur arrivée dans le village, les chars de

la JNA ont ouvert le feu sur les maisons, l’école et une église, tandis que les forces serbes tiraient

au lance-roquettes sur les habitations et utilisaient des civils comme boucliers humains . 156

157
51 Plusieurs soldats sont entrés dans l’église de l’Assomption de la Vierge et ont ouvert le feu .

L’église a été entièrement rasée, et des icônes religieuses croates, volontairement dégradées.

[Projection suivante.] Cette image, qui représente une hache plantée dans une statue de la

158
Vierge Marie, constitue un exemple typique d’acte de destruction délibéré et gratuit .

9. Les conclusions du TPIY correspondent tout à fait aux éléments de preuve présentés par le

demandeur en l’espèce. [Fin de la projection.] Pour ne citer que deux exemples, il est rapporté,

dans la déclaration d’un ancien officier de la JNA présentée par le demandeur, que l’ordre

d’attaquer Škabrnja émanait du quartier général local de la JNA à Benkovac. Cet officier précise

également que les chars de la JNA ont tiré sur les habitations et que les paramilitaires ont ouvert le

feu sur les civils qui sortaient des abris souterrains . Il n’y avait aucune justification militaire à

cela, seulement la volonté de prendre les Croates pour cible afin de les détruire. Le récit de cet

152
Stanišić et Simatović, jugement, par. 308.
153Martić, jugement, par. 244.

154Stanišić et Simatović, jugement, par. 308.
155
Ibid., par. 278.
156
Ibid., par. 312.
157Ibid., par. 279.

158MC, vol. 3, planches en couleur, planche n° 14.3.

159MC, vol. 2 (III), annexe 503. - 47 -

officier confirme que la JNA et les paramilitaires collaboraient étroitement, comme l’a d’ailleurs

conclu le TPIY, et je cite (voir à l’écran) [projection] :

«Mon bataillon a participé à l’attaque menée contre le village de Škabrnja …
Nous nous sommes rassemblés à un croisement et c’est de là que nous avons lancé
l’attaque… [D]es véhicules blindés et trois pelotons d’infanterie avaient pris position
au croisement. L’un des pelotons s’appelait «Les Aigles Blancs» et les deux autres

étaient des pelotons de Kninđa. Goran Opačić et un certain Dražić commandaient les
pelotons de Kninđa. Ces «spécialistes» se trouvaient à 50 ou 100 mètres environ
devant nous et nous les suivions» . [Fin de la projection.]

10. Après avoir occupé le village, les forces serbes ont massacré les civils croates. Le

18 novembre, huit civils ont été abattus devant d’une maison par des paramilitaires locaux . Le 161

19 novembre, des soldats portant l’uniforme de la JNA ont tué sept civils devant une autre maison.

De plus, selon le TPIY, 25 autres civils et cinq défenseurs croates qui ne participaient pas

activement aux combats ont été assassinés à Škabrnja et dans les environs au cours de ces deux

jours. Le TPIY a conclu que les meurtres avaient été perpétrés par les membres des unités qui

162
avaient pris part à l’attaque du village, notamment celles de la JNA et de la TO .

11. La chambre de première instance a indiqué ce qui suit [projection] :

52 «les soldats présents à Škabrnja menaçaient les villageois cachés dans les caves, leur
criant : «Sortez, Oustachis, nous allons tous vous massacrer» ; ils insultaient même les
femmes et les enfants et les traitaient d’«Oustachis».» 163 [Fin de la projection.]

12. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, vous n’aurez pas manqué de

relever le lien entre l’identification des individus en tant que membres d’un groupe, et l’intention

de détruire ces individus. Selon le TPIY, les éléments de preuve montraient que «des personnes

âgées … non armées [avaie]nt été tuées alors qu’elles se cachaient dans des caves ou qu’elles

164
étaient dans leur lit» . Une Croate nonagénaire, restée handicapée après un accident vasculaire, a

été abattue dans son lit, chez elle, dans un hameau situé juste à la sortie du village . 165

13. Les déclarations de témoins fournies par le demandeur confirment les conclusions du

TPIY au sujet des exécutions ciblées de civils croates. Par exemple, une habitante de Škabrnja de

160MC, vol. 2 (III), annexe 503.
161
Martić, jugement, par. 387.
162Ibid., par. 389-390.

163Ibid., par. 398 ; Stanišić et Simatović, jugement, par. 109.
164
Stanišić et Simatović, jugement, par. 128.
165Ibid., par. 132. - 48 -

28 ans a rapporté que des paramilitaires proférant des insultes anti-Croates avaient terrorisé des

civils qui sortaient de leur abri souterrain avant d’exécuter, dans la rue, tous les hommes

[projection] :

«des Tchetniks armés et en uniforme, au visage noirci … se sont présentés à l’entrée

de la cave et ont commencé à vociférer pour que l’on sorte, criant qu’ils allaient
[insulte] nos mères oustachies. Nous sommes alors lentement sortis du sous-sol, un
par un, les mains en l’air. Les Tchetniks se tenaient à côté, et quand quelqu’un sortait,
166
même un vieillard, ils l’abattaient.» [Fin de la projection.]

14. Entre le 19 novembre 1991 et le 11 mars 1992, 18 autres civils croates ont été tués à

Škabrnja par la JNA, la TO et des paramilitaires locaux . Dans l’affaire Martić, le TPIY a conclu

que l’homicide d’au moins 69 Croates à Škabrnja et dans le hameau voisin de Nadin était

constitutif de meurtre et de persécution anti-Croates . Chose significative, le TPIY a conclu

qu’une grande partie des meurtres avaient été commis directement par des membres de la JNA et

des forces de la TO «[r]esubordonnée[s] à la JNA» 16. Au vu de ces conclusions, le défendeur

est contraint de reconnaître que «la plupart des crimes dont le demandeur allègue qu’ils ont été

commis dans la municipalité de Zadar ont été confirmés par le jugement rendu par le TPIY» . 170

53 15. La destruction du village par la JNA était calculée et préméditée. Dans son journal, à la

date du 17 novembre 1991, la veille de l’attaque meurtrière, le chef d’état-major du corps de Knin,

Ratko Mladić, actuellement jugé par le TPIY pour génocide, écrivait que la mission de la JNA

consistait à «nettoyer les secteurs de Nadin, Škabrnja». A la suite de ses instructions concernant le

171
village, il écrivait, tout simplement, «à éliminer» .

16. Il ne fait aucun doute que la JNA était parfaitement au courant des intentions

génocidaires des auteurs des crimes. Quatre jours après l’attaque, le 22 novembre 1991, la JNA a

interrogé des soldats sur les meurtres commis dans le village. Il est dit dans les rapports que les

membres de la TO et les paramilitaires ont aligné et exécuté de nombreux civils, parmi lesquels des

166
MC, vol. 2 (III), annexe 504.
167
Martić, jugement, par. 392.
168Le Procureur c. Martić (IT-95-11-A), arrêt, 8 octobre 2008, par. 202.

169Martić, jugement, par. 239.
170
CMS, vol. I, par. 911.
171Stanišić et Simatović, jugement, par. 276. - 49 -

hommes et des femmes âgés. Un homme a été abattu devant sa fille par un soldat de la TO qui a

lancé : «Regarde, [insulte], je vais tuer ton père !» 172 Un soldat a rapporté ce qui suit [projection] :

«Un groupe de civils a été emmené à l’extérieur d’une maison. Les membres de
la défense territoriale ont pris quatre hommes et les ont abattus derrière la maison. Je

les ai vus frapper un vieillard à la tête avec la crosse d’un fusil. Il a avancé d’environ
20 mètres avant qu’un soldat de la défense territoriale ne le blesse aux jambes avec
une arme automatique, ce qui l’a fait tomber. Puis il a été abattu d’une balle dans la
173
tête.»

17. L’intensité de l’attaque a été telle que, en 1995, le village de Škabrnja était entièrement

détruit . Des graffitis gribouillés sur des bâtiments croates du village témoignent de l’objectif de

destruction des forces serbes. [Projection suivante.] L’un d’eux, que vous voyez à présent à

l’écran, représente le symbole serbe de l’aigle à deux têtes et est accompagné de ces inscriptions

effrayantes : «DIEU VOUS PARDONNE, PAS NOUS» et «BIENVENUE DANS LE VILLAGE

175
DE LA MORT» . [Projection suivante.]

III. Saborsko

18. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, quittons à présent Škabrnja

pour nous rendre à 156 km plus au nord, dans le village de Saborsko, situé dans l’hinterland de la

Lika, dans le Parc national des lacs de Plitvice. Une communauté pittoresque et tout à fait

54
pacifique y était installée ; au début de l’année 1991, on y comptait 852 habitants, dont plus de

90 % de Croates . 176

19. Alors que débutaient les préparatifs de l’offensive armée, la JNA a effectué, à partir du

mois d’avril 1991, des patrouilles quotidiennes à Saborsko. Entre juin et août 1991, le village a été

la cible de tirs de fusil et d’artillerie, qui visaient principalement une église et une école. Ces

attaques ont fait dix morts et un grand nombre de blessés . Le 5 août 1991, la plupart des civils

172
MC, vol. 2 (III), annexe 573 : document militaire n° 416-1 classé strictement confidentiel, 23 septembre 1991 ;
annexe 574 : document militaire n° 417-1 classé strictement confidentiel, 23 novembre 1991.
17Ibid.

17Martić, jugement, par. 264.
175
MC, vol. 3, planches en couleur, planche n° 17.3.
176
Ibid., vol. 1, par. 5.149-5.152 ; affaire Stanišić et Simatović, jugement, par. 230.
17Affaire Stanišić et Simatović, jugement, par. 239. - 50 -

ont fui le village pour se rendre à Grabovac, où la Croix Rouge était arrivée avec trois cars.

178
Environ 400 personnes sont cependant retournées à Saborsko dans les jours qui ont suivi .

20. A partir du début du mois d’août, le village a essuyé des bombardements quotidiens

pendant plus de trois mois 179[fin de la projection.] Le matin du 12 novembre 1991, la JNA a lancé

l’offensive contre Saborsko . 180 Selon le TPIY, deux unités du treizième corps de la JNA 181

conduisaient l’attaque, soutenues par le service de sécurité d’Etat de Plaški, la brigade de la défense

182
territoriale de Plaški et des unités de la milice de Krajina . L’attaque a commencé par un

bombardement aérien mené par plusieurs avions de la JNA. Ce bombardement a été suivi par des

tirs d’artillerie et l’assaut des troupes et chars de la JNA . Comme dans le cas de Škabrnja, des

témoins ont déclaré devant le TPIY que les forces serbes locales opéraient «sous le commandement

184
de la JNA» , le matériel technique de l’attaque provenant d’un camp d’entraînement de celle-ci

situé dans les environs . 185

21. Le TPIY a jugé que des soldats serbes en uniforme appartenant à une ou plusieurs unités

186
de la JNA ou de Plaški avaient tué treize civils croates à Saborsko . Huit d’entre eux avaient

trouvé refuge ensemble dans la cave d’une maison. Les soldats serbes leur ont ordonné de quitter

55 les lieux. Les hommes ont été pris à part et tués avec des armes automatiques. Quant aux femmes,

on leur a dit qu’elles avaient une heure pour partir, faute de quoi elles mourraient également. Alors

187
qu’elles prenaient la fuite en courant, les soldats leur ont tiré dessus, tuant l’une d’entre elles .

22. Au total, les forces serbes ont tué au moins 20 Croates à Saborsko le

12 novembre 1991 , et ce, parce qu’ils étaient Croates. L’intention de détruire la population

croate, sans distinction d’âge ou de santé, ressort clairement du récit fait à l’époque par un prêtre

178Affaire Stanišić et Simatović, jugement, par. 232.
179
Ibid., par. 240.
180
Affaire Martić, jugement, par. 225.
181
Groupe tactique 2 et cinquième brigade des partisans.
182Affaire Stanišić et Simatović, jugement, par. 243 ; affaire Martić, jugement, par. 225.

183Affaire Martić, jugement, par. 226 ; affaire Stanišić et Simatović, jugement, par. 259.

184Affaire Stanišić et Simatović, jugement, par. 245.

185Ibid., par. 244.
186
Affaire Martić, jugement, par. 379.
187
Ibid., par. 230-231.
188
Ibid., par. 379. - 51 -

du village : une femme âgée de 85 ans a été brûlée vive ; un homme de 83 ans a été pendu et on lui

a coupé la gorge ; un homme de 96 ans a été tué devant sa maison ; un homme de 93 ans a été

enterré vivant dans les ruines de sa maison. Comme on le voit, il s’agit là de crimes sauvages et

gratuits qui ne sauraient obéir à aucun objectif militaire.

23. Dans l’affaire Martić, le TPIY a conclu que l’homicide des 13 civils susmentionnés était

constitutif de meurtre et de persécution commis avec une intention discriminatoire envers les

Croates . Outre ces meurtres à visée ethnique, les soldats et policiers serbes ont incendié des

maisons croates et se sont livrés à un pillage systématique du village. Le TPIY a jugé que cela

avait «eu des conséquences graves pour les victimes, eu égard aux répercussions globales sur la

population civile et à la multiplicité des infractions commises» . Tout comme Škabrnja, en 1995,

191
le village de Saborsko tout entier avait été détruit .

24. Selon le TPIY, le lendemain de l’attaque, un commandant de police de la SAO de

Krajina a écrit une lettre dans laquelle il déclarait que Saborsko n’existait plus et n’existerait

probablement plus jamais . Dans l’affaire Martić, le tribunal a relevé que «certains des soldats

présents à Saborsko accablaient les habitants d’injures telles que «[insulte] ta mère Oustachie» et

193
leur disaient qu’ils devraient tous être massacrés» . Un témoin a rapporté que les paramilitaires

«s’étaient vantés d’avoir abattu huit personnes … au cours de l’attaque de Saborsko parce qu’ils

194
haïssaient «tous les Oustachis»» . Selon un combattant serbe qui s’est trouvé à Saborsko en

compagnie de Milan Martić après l’attaque, ce dernier a qualifié de village de «terre brûlée», avant

195
de déclarer «[insulte] leurs mères ; maintenant, ces terres serbes sont pures» .

56 25. Là encore, les conclusions du TPIY confirment les faits avancés dans le mémoire et la

réplique. Il est ainsi précisé dans le mémoire que les hommes du village ont été alignés contre un

mur et exécutés, les femmes s’étant vues signifier qu’elles étaient libres de partir et ayant été

189
Affaire Martić, jugement, par. 383.
190Ibid., par. 381-382.

191Ibid., par. 227.
192
Affaire Stanišić et Simatović, jugement, par. 256.
193
Affaire Martić, jugement, par. 383.
194Affaire Stanišić et Simatović, jugement, par. 95.

195Témoin JF-039, cité dans l’affaire Stanišić et Simatović, jugement, par. 246. - 52 -

abattues dans le dos pendant qu’elles s’éloignaient . Un autre témoin oculaire a rapporté que le

chef des autorités locales de Plaški ne cessait de crier que les civils croates de Saborsko étaient des

«Oustachis» et qu’il fallait tous les tuer . L’ordre d’attaquer le village a été donné par un colonel

de la JNA, et la coordination entre celle-ci et les forces de la défense territoriale locale y est

explicitement mentionnée. Une copie de cet ordre a été déposée en même temps que le mémoire.

Il y est expressément fait référence à «l’attaque de … Saborsko, avec le soutien de l’aviation et

l’action conjointe des forces de la défense territoriale de Plaški et de Lička Jasenica . 198

26. Un combattant serbe de la défense territoriale a décrit l’attaque de Saborsko dans une

déposition de témoin que le demandeur a présentée avec ses écritures. Ce témoignage corrobore

entièrement les conclusions du TPIY, soulignant une fois encore la fiabilité des éléments de preuve

présentés par le demandeur. Le récit de ce témoin prouve que l’assaut de Saborsko a été mené avec

l’intention spécifique de détruire la population croate. Permettez-moi de citer un passage du texte

qui apparaît sur vos écrans :

«le commandement a décidé qu’il fallait rebaptiser Saborsko «Ravnagora» [ce qui
signifie colline rasée] car le village allait être nettoyé au point que ce nom lui
convienne. Ils ont même apporté des écriteaux portant ce mot inscrit en caractères

cyrilliques … [le commandant de Plaški] et les autres commandants d’unité, tout en
donnant l’ordre de tuer les civils de Saborsko, ont déclaré que c’étaient tous des
Oustachis et qu’il fallait tous les tuer et les détruire entièrement. C’est pour ça que

toutes les maisons ont été détruites et que toutes les personnes qui auraient pu
témoigner de ces brutalités ont été tuées … Une fois Saborsko conquis, [le
commandant de Plaški] y est resté un certain temps pour distribuer ses ordres en vue

d’éliminer toute la population et de piller les biens. Il a aussi donné l’ordre de détruire
les maisons et presque tout le village. Les seules maisons qui ont été épargnées étaient
celles des Serbes» . [Fin de la projection.]

27. Le défendeur reconnaît que les témoins de la Croatie «sont unanimes au sujet de

200
57 l’attaque du village et des destructions de biens» . Face aux conclusions sans ambiguïté du TPIY,

le défendeur n’a d’autre choix que de concéder également que «la plupart des actes allégués à

201
Saborsko ont été confirmés par le jugement rendu par le TPIY» .

196MC, par. 5.151.
197
Ibid., vol. 2 (II), annexe 364.
198Ibid., vol. 2 (III), annexe 414.

199Ibid., vol. 2 (III), annexe 365.
200
CMS, vol. I, par. 838.
201Ibid., par. 841. - 53 -

IV. La résistance croate dans les villages

28. Avant de conclure, je tiens à faire quelques observations au sujet de la résistance croate

dans les villages. Dans ses écritures, la Serbie s’appuie abondamment sur la présence de

combattants croates à Škabrnja, affirmant que de «violents combats» ont infligé de «lourdes pertes»

aux forces serbes . Vous allez bientôt entendre…

LE PRESIDENT : S’il vous plaît, il me semble que cette déclaration figure dans le dossier de

plaidoiries ; vous pouvez donc poursuivre en vous en tenant aux éléments de preuve.

Mme SERŠIĆ : Merci beaucoup Monsieur le président, mais je ne comptais pas donner de

nom.

LE PRESIDENT : Il ne faut pas non plus donner de renseignement concernant le témoin.

Continuez, je vous prie, mais en omettant ce qui doit l’être.

Mme SERŠIĆ : Puis-je poursuivre en présentant les éléments de preuve apportés par

l’intéressé ?

LE PRESIDENT : Ses éléments de preuve, oui, tout à fait.

Mme SERŠIĆ : Les éléments de preuve apportés par ce témoin, qui viennent s’ajouter aux

constatations du TPIY, montrent clairement que la défense du village était fort mal organisée et le

déséquilibre des forces en faveur des envahisseurs serbes, écrasant. Laisser entendre, comme la

Serbie essaie de le faire, que l’existence d’une résistance armée a fondamentalement changé la

nature des événements qui se sont déroulés à Škabrnja est tout à fait contradictoire avec les

conclusions du TPIY selon lesquelles de nombreux civils croates ont été tués de sang-froid alors

qu’ils ne prenaient nullement part aux hostilités. C’est également contradictoire avec la conclusion

suivante du TPIY concernant les deux villages, et je cite ce qui apparaît à l’écran [projection] : «la

présence des forces et formations armées croates dans les régions de Škabrnja et Saborsko n’altère

pas le caractère civil de la population attaquée» . [Fin de la projection.]

202CMS, vol. I , par. 909.

203Affaire Martić, jugement, par. 350. - 54 -

V. Conclusion
58
29. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, trois conclusions importantes

peuvent être tirées de l’examen de ces cas particuliers.

30. Premièrement, ainsi que le défendeur est bien obligé de l’admettre, les faits essentiels

que le demandeur a exposés dans son mémoire en 1999 ont, par la suite, été confirmés par le TPIY,

en 2007 et 2013. Cela démontre la fiabilité intrinsèque de l’argumentation et des éléments de

preuve du demandeur, tout en réfutant les critiques formulées par le défendeur concernant la valeur

probante desdits éléments.

31. Deuxièmement, les conclusions énoncées par le TPIY établissent au-delà de tout doute

raisonnable que la JNA, contrôlée par la Serbie, tout comme les forces placées sous le

commandement de celle-ci, ont tué de nombreux civils croates dans le cadre d’attaques non

provoquées et motivées par l’origine ethnique des victimes, l’intention ayant été de détruire les

populations croates. Dans l’affaire Martić, la chambre d’appel du TPIY a confirmé que «Martić

était responsable des meurtres commis à Škabrnja et Nadin, à Saborsko … par des soldats de la

JNA ou de la défense territoriale, des unités paramilitaires, des soldats et policiers serbes ainsi que

204
des hommes en armes de la région» . La chambre a mentionné «la coopération entre la défense

territoriale, la JNA, la milice de Krajina et les forces armées de la SAO de Krajina». Elle a en

outre confirmé que les groupes paramilitaires, soldats et policiers serbes avaient «agi ensemble et

205
de concert avec les soldats de la JNA et de la défense territoriale» .

32. Au vu de ces conclusions du TPIY, le défendeur n’a d’autre choix que de reconnaître

«que des homicides ont été commis, que ceux-ci ont été méthodiques, ont visé des civils et ont été

206
motivés par l’origine ethnique des victimes» . Il ressort également de ces conclusions sans

ambiguïté et même si les concessions du défendeur ne vont pas jusque-là que la Serbie porte

la responsabilité juridique de l’ensemble de ces actes. M. Crawford et sir Keir Starmer

examineront cette question.

33. Enfin, les éléments de preuve émanant de victimes et de témoins oculaires serbes

démontrent que les attaques de Škabrnja et de Saborsko ne visaient pas simplement à déplacer la

204
Martić, arrêt, par. 205.
20Ibid.

20DS, vol. I, par. 392. - 55 -

population croate, mais à la détruire. L’exécution délibérée et systématique des civils croates

conformément au mot d’ordre «ce sont tous des Oustachis et il faut tous les tuer et les détruire

entièrement» constitue une preuve irréfutable de génocide, ainsi que M. Starmer le précisera

demain.

59 34. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, pendant 25 minutes nous

avons appelé votre attention sur deux petits villages du fin fond de la campagne croate, et sur des

événements qui se sont produits il y a près d’un quart de siècle. D’aucuns se demanderont

peut-être pourquoi l’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies se trouve dans

cette situation inhabituelle de devoir examiner des incidents particuliers qui se sont produits dans

des maisons, des rues et des églises de deux petites communautés rurales. Eh bien, la réponse,

Monsieur le président, Mesdames et messieurs de la Cour, est que Škabrnja et Saborsko ne sont pas

simplement deux petites communautés rurales. Elles ne sont pas non plus des aberrations

historiques. Bien au contraire, il s’agit d’exemples illustrant parfaitement un schéma de

comportement génocidaire qui s’est répété village après village, schéma dont les ravages se font

encore sentir aujourd’hui.

35. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre

attention. Demain matin, M. Lapaš examinera la question de l’actus reus du génocide, en

s’attachant plus particulièrement au meurtre systématique, commis par le défendeur, de milliers de

Croates de souche dans les régions occupées de Croatie. Je vous remercie.

Le PRESIDENT : Merci, Madame Seršić. Avant de lever l’audience, je donnerai la parole à

deux membres de la Cour qui ont des questions à poser. Sauf erreur, l’un d’eux souhaite obtenir la

clarification de certains faits. Je donnerai donc tout d’abord la parole à

M. le juge Cançado Trindade. Vous avez la parole, Monsieur le juge.

Le juge CANÇADO TRINDADE : Merci, Monsieur le président.

«Ma question concerne la responsabilité pénale internationale des personnes
ainsi que celle des Etats en matière de génocide. Jusqu’à maintenant, il n’a été fait
référence qu’à la jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux (TPIY et TPIR),
laquelle ne concerne que la responsabilité individuelle en droit pénal international. A
votre avis, la jurisprudence des tribunaux internationaux chargés de la protection des
droits de l’homme doit-elle être considérée comme pertinente en ce qui concerne la - 56 -

responsabilité internationale des Etats en matière de génocide, du point de vue du
critère d’établissement de la preuve et de l’attribution ?»

Merci.

Le PRESIDENT : Je vous remercie. Monsieur le juge Greenwood, vous avez maintenant la

parole.

Le juge GREENWOOD : Merci, Monsieur le président.

«J’aimerais obtenir des précisions sur quelques-uns des chiffres cités par les

conseils dans leurs plaidoiries de ce matin. Je suis bien conscient de ce que voulait
60 dire la Croatie à propos de l’importance relative qu’il y a lieu d’accorder aux chiffres,
mais comme on en a cité plusieurs, j’aimerais m’assurer que nous avons bien compris.
Dans la séquence vidéo qui nous a été montrée au sujet de Vukovar, il est fait état de
15 000 morts, mais j’ai cru comprendre, d’après les plaidoiries de M. Keir et aussi de
Mme Ní Ghrálaigh, que les chiffres avancés par la Croatie sont en réalité beaucoup
moins élevés. Il importe que nous disposions des estimations les plus fiables possibles

du nombre de personnes tuées, selon la Croatie, au cours du siège proprement dit
de Vukovar et de la période qui a suivi et qu’on a appelée «phase 4». Il nous serait
également utile d’avoir une idée, si possible, du nombre de personnes qui ont été
détenues, puis relâchées par la suite.

Ma seconde question se rapporte à un renseignement fourni par
Mme Ní Ghrálaigh, qui a estimé à environ 600 000 la population de la
Slavonie orientale, avant de donner les pourcentages afférents aux différents groupes

ethniques la composant. J’aimerais savoir si ce chiffre vise l’ensemble de la Slavonie
orientale figurant sur la carte datant d’avant la guerre, ou seulement le territoire qui a
par la suite été occupé et constitué en SAO.»

Merci.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur le juge Greenwood. Le texte de ces questions

sera transmis aux Parties dès que possible. La Croatie est invitée à y répondre oralement, de

préférence au cours du premier tour de plaidoiries et, si des vérifications s’avéraient nécessaires, au

plus tard au cours du second tour. La Serbie aura l’occasion de formuler oralement, au cours des

audiences, ses observations sur les réponses de la Croatie.

La Cour se réunira de nouveau cet après-midi à 15 heures pour entendre l’un des témoins et

l’un des témoins-experts de la Croatie. Je vous remercie. L’audience est levée.

L’audience est levée à 13 heures.

___________

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