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Uncorrected Translation
CR 2013/31 (traduction)
CR 2013/31 (translation)
Vendredi 8 novembre 2013 à 10 heures
Friday 8 November 2013 at 10 a.m. - 2 -
8 Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Bonjour. L’audience est maintenant ouverte et la
Cour est réunie pour entendre le second tour d’observations orales du Costa Rica sur la demande en
indication de mesures conservatoires déposée par le Nicaragua.
Pour des raisons qui m’ont été dûment communiquées, M. le juge Skotnikov et
M. le juge ad hoc Guillaume sont absents aujourd’hui.
Je cède maintenant la parole à Mme Kate Parlett, pour ouvrir le second tour de l’exposé du
Costa Rica. Vous avez la parole, Madame.
Mme PARLETT :
L ES FAITS SE RAPPORTANT AU RISQUE DE PRÉJUDICE IRRÉPARABLE
A. Introduction
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un honneur de paraître
devant vous au nom du Costa Rica, et je suis flattée d’avoir été invitée par ce dernier à présenter
certains des faits qui sous-tendent la présente affaire.
2. Les points que j’aimerais aborder sont au nombre de trois : premièrement, l’étude de
l’impact sur l’environnement relative à la route ; deuxièmement, la portée et l’efficacité des
mesures correctives mises en application ou en voie de l’être ; et troisièmement, la décision du
Costa Rica de procéder à la construction des parties inachevées de la route. M. Wordsworth
viendra ensuite expliquer pourquoi il n’y a pas de risque réel ou imminent de préjudice irréparable
justifiant l’indication de mesures conservatoires, après quoi M. Ugalde montrera que la demande
du Nicaragua ne présente aucun caractère d’urgence. M. l’ambassadeur Edgar Ugale Alvarez
mettra fin au second tour d’observations du Costa Rica et procèdera à la lecture des conclusions de
celui-ci.
B. Etude de l’impact sur l’environnement
3. S’agissant de l’étude de l’impact sur l’environnement, les conseils du Nicaragua ont
adopté hier une nouvelle façon de présenter la demande de ce dernier. Après avoir prié la Cour
9 d’ordonner que le Costa Rica produise l’«évaluation de l’impact sur l’environnement» se - 3 -
1
rapportant à la route , le Nicaragua soutient maintenant que, en réalité, il souhaitait obtenir une
étude de l’impact sur l’environnement des nouveaux travaux tendant à l’achèvement de la route.
4. On ne devrait peut-être pas s’étonner de voir le Nicaragua se détacher de sa demande
initiale tendant à l’obtention, avec l’indication de mesures conservatoires, de l’étude de l’impact de
la route existante sur l’environnement. Comme le Costa Rica l’a fait valoir mercredi, la question
2
de savoir si le Nicaragua est en droit de réclamer une telle étude est une question de fond . Ce
dernier soutient que ce droit lui appartient et que le Costa Rica a enfreint les règles du droit
international en omettant de répondre à sa demande. Vous avez entendu hier M. Pellet présenter
l’argument du Nicaragua sur ce point en s’appuyant sur la convention sur le droit relatif aux
utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation. Le Costa Rica estime
pour sa part qu’il n’est pas tenu de fournir une telle étude en raison de la situation d’urgence dans
laquelle la route a été construite, situation d’urgence ne pouvant être imputée qu’au Nicaragua
lui-même. La production d’une étude de l’impact de la route existante sur l’environnement ne
saurait être considérée comme une «mesure conservatoire» puisqu’elle tend à «obtenir un jugement
provisionnel adjugeant une partie des conclusions de la ... [r]equête» . M. Pellet semble s’être
4
rangé hier à cette position . En rendant une ordonnance forçant le Costa Rica à produire une
évaluation de l’impact sur l’environnement, la Cour se trouverait à préjuger de l’affaire au fond.
5. Mais la demande renouvelée du Nicaragua doit également échouer, et ce, pour la simple
raison que, indépendamment de la question de savoir si le Nicaragua est, sur le fond, en droit
d’exiger un tel document, il se trouve le Costa Rica a lui-même mené des études de l’impact de la
route. Selon le droit costa-ricien, l’étude de l’impact d’un projet déjà mis à exécution porte le nom
de «diagnostic environnemental» . 5 Ce type d’étude a deux objectifs principaux : d’une part,
déterminer les atteintes portées à l’environnement et les risques que présente l’activité pour celui-ci
1 o
Lettre en date du 11 octobre 2013 adressée à la Cour par le Nicaragua, réf. n HOL-EMB-196, p. 4.
2
CR 2013/29, p. 22, par. 2 (Wordsworth), et p. 49, par. 22 (Kohen).
3 Usine de Chorzów, ordonnance du 21 novembre 1927, C.P.J.I. série A n 12, p. 10.
4 CR 2013/30, p. 31-32, par. 7 (Pellet).
5 Costa Rica, arrêté ministériel n 02752 de 2009, manuel technique de diagnostic environnemental, EDA,
2 novembre 2009, onglet n 2 du dossier de plaidoiries du Costa Rica. - 4 -
et, d’autre part, recommander les mesures de contrôle nécessaires pour prévenir ou atténuer ces
atteintes et risques.
10 6. Ce processus est en cours en ce qui concerne la route. Le diagnostic environnemental est
en voie de préparation par une équipe d’experts du centre scientifique tropical, organisation
costa-ricienne établie en 1962 qui jouit d’un grand respect et d’une expérience approfondie en
matière de recherche scientifique sur l’environnement en climat tropical, y compris la préparation
d’évaluations de l’impact sur l’environnement.
7. Le diagnostic environnemental sera très approfondi et portera sur la totalité des 108 km
sur lesquels s’étend la route à proximité du fleuve San Juan, depuis la borne frontière n 2 jusqu’à
Delta Costa Rica. Sera examiné l’environnement physique actuel de l’emplacement de la route,
sous les angles du climat, de l’hydrologie, de la flore et de la faune terrestres et aquatiques, ainsi
que de l’écologie.
8. Le diagnostic environnemental répondra pleinement aux exigences du droit costa-ricien.
o
Ces exigences sont exposées dans l’arrêté ministériel n 02752 de 2009, que vous trouverez sous
l’onglet n 2 de votre dossier de plaidoiries . Et comme M. Brenes vous l’a dit mardi, le Costa Rica
entend soumettre ce diagnostic environnemental avec son contre-mémoire, dans six semaines.
Dans l’affaire relative à des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay, même s’il s’agissait de
l’application d’un traité bilatéral, la Cour a abordé spécifiquement l’obligation que faisait le droit
international coutumier de procéder à l’étude de l’impact sur l’environnement, tout en ajoutant que
le contenu de cette étude relevait du droit interne :
«il revient à chaque Etat de déterminer, dans le cadre de sa législation nationale ou du
processus d’autorisation du projet, la teneur exacte de l’évaluation de l’impact sur
l’environnement requise dans chaque cas en prenant en compte la nature et l’ampleur
7
du projet en cause et son impact négatif probable sur l’environnement...» .
9. Le diagnostic environnemental sera conforme au droit costa-ricien et sera fournie à la
Cour, ainsi qu’au Nicaragua, en temps opportun. Le Costa Rica n’a rien à cacher. Quoi qu’en dise
M. Pellet, il ne cherche pas à faire languir la Cour ou le Nicaragua. Il se contente de suivre la
6 o
Costa Rica, arrêté ministériel n 02752 de 2009, manuel technique de diagnostic environnemental, EDA,
2 novembre 2009, onglet n 2 du dossier de plaidoiries du Costa Rica.
7
Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010, p. 83-84,
par. 205. - 5 -
procédure arrêtée par la Cour en l’espèce. Et il n’existe tout simplement aucune justification pour
une demande en indication de mesures conservatoires forçant le Costa Rica à produire cette étude
avant le dépôt de son contre-mémoire, dépôt qui aura lieu dans six semaines exactement. Il
n’arrivera entre-temps à la route ou au fleuve rien qui puisse changer quoi que ce soit à la situation
actuelle.
11 10. J’ajouterai que le Nicaragua est maintenant en possession d’un nombre important
d’études techniques et de rapports de recherche émanant du Costa Rica et de son expert
indépendant, et concernant l’impact de la route sur l’environnement, que le Costa Rica a produits
pour se défendre contre la présente demande. Ces études seront, en temps voulu, complétées par
l’ensemble des éléments de preuve afférents.
C. Mesures correctives
11. Le second point factuel que je souhaite aborder concerne la portée et l’efficacité des
mesures correctives qui ont été mises en application ou sont en voie de l’être sur la route.
12. A titre liminaire, il me faut préciser que ces travaux ont pour objet de prévenir les risques
d’atteinte à l’environnement que pourrait présenter la route. Bien entendu, elles ne visent pas
seulement à atténuer les effets en territoire nicaraguayen, comme l’a laissé entendre le Nicaragua ;
elles se rapportent aussi, dans une large mesure, aux effets éventuels en territoire costa-ricien.
D’autres travaux sont également en cours dans le cadre de l’entretien normal de la route. Mais
l’accomplissement de ces travaux ne saurait être assimilé à la reconnaissance , par le Costa Rica, de
ce que la construction de la route aurait causé un dommage transfrontières important au Nicaragua,
et encore moins une atteinte irréparable à ses droits.
13. Les récriminations du Nicaragua concernent deux aspects des mesures correctives prises
par le Costa Rica.
14. En premier lieu, il conteste la portée géographique de ces mesures. Vous avez entendu
hier que les mesures correctives concernant la route ne portaient que sur un tronçon de 15 km , 9
lequel, de déplorer M. Reichler, représentait moins d’un dixième des 160 km sur lesquels s’étend la
8Voir CR 2013/30, p. 22, par. 4 (Reichler).
9CR 2013/30, p. 29, par. 9 (Reichler), et p. 25, par. 13 (Reichler). - 6 -
10
route . Ces chiffres donnent en effet l’impression que le Costa Rica ne prend pas au sérieux ces
mesures correctives ; or ils sont tout simplement incorrects.
o
15. [Projection.] Vous voyez maintenant à l’écran, et sous l’onglet n 3 de votre dossier de
plaidoiries, la route frontalière sur toute son étendue de 160 km. Or la partie de cette route qui
longe le fleuve San Juan n’est que de 108 km ; cette partie est maintenant marquée en
12
surbrillance. M. Kondolf a dit 106 km , mais il s’agit plutôt de 108 km environ. Et sur cette
12 longueur de 108 km, les critiques de M. Kondolf ne concernent que les premiers 41 km, depuis la
o
borne frontière n 2 jusqu’à la rivière San Carlos (cette partie se trouve maintenant en surbrillance à
l’écran). Dans son rapport de 2012, M. Kondolf a expliqué que c’était parce que cette région était
la plus escarpée et qu’il n’avait pas eu le temps de s’occuper du reste de la route . Eh bien, il s’est
écoulé un an depuis, et nous avons reçu de sa part trois nouveaux rapports, mais il n’a toujours pas
fait mention des 67 km restants. [Projection des photographies.] Et comme vous pouvez le voir
sur les photographies actuellement à l’écran, la raison en est claire : il n’y a tout simplement rien à
dire au sujet de l’impact de la route sur cette distance de 67 km . En aval de Boca San Carlos, le
terrain est beaucoup moins accidenté et la route suit ici une route préexistante sur la plus grande
partie de sa longueur, traversant des régions depuis longtemps habitées et mises en valeur,
notamment pour le pâturage, l’agriculture et la sylviculture. C’est donc dire que le tronçon de route
en cause n’est pas de 160 km, ni même de 108 km, mais bien de 41 km tout au plus, de sorte que le
chiffre de 10 % avancé par M. Reichler est manifestement inexact.
16. [Projection.] Il se trouve par ailleurs que le chiffre de 15 km est faux, lui aussi : les
mesures correctives prises par le Costa Rica portent sur une partie beaucoup plus étendue de la
route. Nous vous avons présenté mardi une carte montrant sept emplacements devant faire l’objet
de mesures correctives. Quatre de ces emplacements, actuellement en surbrillance à l’écran, sont
10CR 2013/30, p. 25, par. 13 (Reichler).
11 Voir Allan Astorga G. et Andreas Mende, «Route 1856 : analyse de l’évolution de l’utilisation des sols
reposant sur des images satellite du secteur avant et après la construction de la route frontalière», août 2013, annexe 4 de
la lettre en date du 1 novembre 2013 adressée au greffier par le coagent du Costa Rica, distribution CRN-NCR 2013/61,
o
onglet n 3 du dossier de plaidoiries du Costa Rica.
12 G. Mathias Kondolf, «Observations relatives aux arguments présentés par le Costa Rica en novembre 2013»,
6 novembre 2013, p. 3, troisième paragraphe.
13 G. Mathias Kondolf, «Environmental Impacts of Juan Rafael Mora Porras Route 1856, Costa Rica, on the
Rio San Juan, Nicaragua», décembre 2012, mémoire du Nicaragua, annexe 1, p. 9, troisième paragraphe.
14Photographies reproduites sous l’onglet n 4 du dossier de plaidoiries du Costa Rica. - 7 -
situés au-delà des quinze premiers kilomètres de la route. Comme nous l’avons expliqué, les
travaux entrepris comprennent la stabilisation des talus de déblai et de remblai, le creusage de
fossés, l’installation de ponceaux et de pièges à sédiments permanents, et la plantation de
végétation .5
17. [Projection.] Et puisque nous sommes à regarder des cartes et des photographies, je tiens
à mentionner une photo fournie à M. Kondolf par l’armée nicaraguayenne et constituant la figure 9
16
du dernier rapport de ce dernier, qui a été présenté à la Cour mercredi soir . Cette photographie
date de 2011, soit l’époque où a débuté la construction de la route, de sorte qu’elle est antérieure à
l’ensemble des mesures correctives majeures prises par le Costa Rica. Mais ce qui importe plus
encore c’est que l’armée nicaraguayenne a fourni les coordonnées de cette photo, coordonnées qui
sont indiquées sur l’image qui est actuellement projetée et qui se trouve sous l’onglet n 6 de votre
dossier de plaidoiries, avec la photographie incriminée en cartouche. Comme vous pouvez le voir,
celle-ci a été prise sur la route, assez loin vers l’intérieur, entre la borne frontière n 2 et Los Chiles,
13 à plus de 2,7 km du fleuve San Juan. Cela confirme, s’il en était besoin, que les photographies ne
font tout simplement pas le poids, en tant qu’éléments de preuve, par rapport aux données et
mesures scientifiques, comme l’ont montré également les remarques formulées mercredi par
M. Wordsworth. [Fin de la projection.]
18. Pour en revenir aux mesures correctives prises par le Costa Rica, la seconde critique
formulée hier par le Nicaragua tient à ce que les travaux en question n’auraient pour cible que
l’érosion superficielle et ne feraient rien pour protéger les talus de déblai ou de remblai, ou encore
17
les points de passage des cours d’eau . Sur ce point, les conseils du Nicaragua se sont appuyés sur
18
l’opinion qu’avait exprimée M. Kondolf après examen des photographies prises depuis le fleuve .
19. [Projection.] Vous voyez maintenant à l’écran, et sous l’onglet n 7 de votre dossier de
plaidoiries, une explication plus détaillée des mesures correctives que le Costa Rica a prises et qui
15
CR 2013/29, p. 20, par. 24 (Brenes).
16G. Mathias Kondolf, «Observations relatives aux arguments présentés par le Costa Rica en novembre 2013»,
6 novembre 2013, p. 13, figure 9.
17CR 2013/30, p. 24, par. 10 (Reichler).
18
G. Mathias Kondolf, «Observations relatives aux arguments présentés par le Costa Rica en novembre 2013»,
6 novembre 2013, p. 7 ; voir aussi G. Mathias Kondolf, «Impacts continus de l’érosion provoquée par la route 1856,
Costa Rica, sur le San Juan, Nicaragua», 30 octobre 2013, annexe 2 de la lettre en date du 1 novembre 2013 adressée à
la Cour par le Nicaragua, réf. n HOL-EMB-223, p. 9-10. - 8 -
sont en cours. Ces données sont tirées de celles que contient le rapport établi par le conseil national
19
des autoroutes (CONAVI) . La première colonne énumère les différentes mesures mises en
œuvre, tandis que les quatre colonnes qui suivent, intitulées respectivement «Revêtement», «Talus
de déblai», «Talus de remblai» et «Point de passage de cours d’eau», indiquent si la mesure tend à
prévenir le risque posé par l’élément en question. La dernière colonne contient des précisions sur
la façon dont la mesure vise à prévenir les risques en cause. Sur les 21 mesures mises en œuvre,
12 visent à protéger les talus de déblai, 13 visent à protéger des talus de remblai et six sont
destinées à atténuer les risques associés aux passages de cours d’eau. Encore une fois, le Nicaragua
a sous-estimé les mesures correctives prises par le Costa Rica. Ces mesures s’attaquent aux risques
environnementaux qu’emporte la construction de la route, et elles le font efficacement.
20. Dans une ultime tentative visant à minimiser les efforts de remise en état du Costa Rica,
le Nicaragua a monté en épingle l’observation faite par M. Thorne au sujet du caractère temporaire
et non permanent de certaines des mesures correctives, arguant que cela démontrait la nécessité des
20
mesures conservatoires demandées . Mais le Nicaragua s’est montré très sélectif en citant le
rapport de M. Thorne qui, en réalité, a dit des travaux qu’il avait observés qu’ils :
14 «s’inscrivent dans des efforts continus visant à réduire les risques d’érosion résultant
de la façon dont la route a été construite en 2011 et ... ne sont pas destinés à apporter
une solution permanente aux problèmes liés à l’érosion. Dans ces conditions, et selon
mon expérience, les travaux d’atténuation devraient, moyennant les mesures
d’inspection et d’entretien voulues, selon les besoins, réduire de façon sensible les
taux d’érosion locaux pendant un an ou deux, ce qui laissera le temps de concevoir et
de mettre en place, notamment par la passation des marchés voulus, des solutions
21
permanentes.»
Bien entendu, l’essentiel n’est pas que les travaux soient achevés ou que les mesures en place
soient permanentes ou non, mais bien que les mesures temporaires peuvent être efficaces et
M. Thorne en est venu à la conclusion que tel était le cas en l’occurrence.
19 Conseil national des autoroutes (CONAVI), «Programme de consolidation et d’amélioration continue de la
route 1856», 25 octobre 2013, annexe 3 de la lettre du coagent du Costa Rica en date du 1 novembre 2013,
réf. n DIE-02-13-3107.
20
CR 2013/30, p. 25, par. 12-13 (Reichler).
21
Colin Thorne, «Report on the Risk of Irreversible Harm to the Río San Juan relating to the Construction of the
Border Road in Costa Rica», annexe 7 de la lettre en date du 4 novembre 2013 adressée à la Cour par le Costa Rica,
par. 90. - 9 -
D. Reprise de la construction de la route
21. Cela m’amène au troisième et dernier point que je souhaitais aborder, qui concerne la
décision du Costa Rica de procéder à l’achèvement de la construction de la route. Hier, le
Nicaragua vous a montré de nouveau cet extrait de la présentation faite au mois de mars par le
ministère des travaux publics et ce fameux échéancier de reprise de la construction de la route . 22
Comme le Costa Rica l’a expliqué mercredi, cet échéancier est périmé . Les échéances qu’il
présente pour l’étape de la conception, entre décembre de l’an dernier et août de l’année en cours,
n’ont pas pu être respectées. Et tant que les plans nécessaires ne sont pas terminés, la construction
ne peut pas reprendre. Le Nicaragua a demandé au Costa Rica de lui fournir plus de précisions
quant à la durée des retards, laissant entendre que ceux-ci seraient de l’ordre de deux ou trois mois
seulement, de telle sorte que la construction reprendrait dès janvier prochain . Cela n’est pas
réaliste. [Projection.] Vous voyez maintenant à l’écran, ainsi que sous l’onglet 8 de votre dossier
de plaidoiries, un nouvel échéancier établi par le ministère costa-ricien des travaux publics, selon
lequel le processus d’appel d’offres pour la conception rouvrira en décembre de l’année en cours,
avec diverses échéances selon les sections. Seuls les plans relatifs à la section 5, qui s’étend de
Delta Costa Rica jusqu’à l’embouchure de la Sarapiqui, pourraient être achevés au cours des
six mois à venir. La section 5 est la partie de la route située en aval de Delta Costa Rica,
c’est-à-dire le long tronçon traversant un terrain assez plat et correspondant à des routes
préexistantes. Cette partie de la route n’a fait l’objet d’aucune critique de la part du Nicaragua. A
supposer que les plans puissent être achevés conformément à l’échéancier, les travaux relatifs à la
section 5 commenceraient au plus tôt en juillet de l’an prochain.
15 22. La construction des quatre autres sections, qui correspondent à la seule partie de la route
à soulever l’inquiétude de M. Kondolf, n’aura pas lieu avant la fin de l’année 2014 ou le début de
l’année 2015. Ces travaux ne commenceront donc pas dans quelques jours ou quelques semaines,
ou même dans quelques mois. Je laisserai M. Ugalde traiter de cette question, mais il importe de
mentionner ici que, si le Nicaragua s’était véritablement inquiété de l’échéancier dont il a pris
connaissance en janvier de cette année, il aurait pu écrire à ce sujet, de la manière habituelle, au
22
CR 2013/30, p. 29, par. 16 (Reichler).
23CR 2013/29, p. 18, par. 18 (Brenes).
24CR 2013/30, p. 28, par. 18 (Reichler). - 10 -
Costa Rica, qui se serait alors empressé d’expliquer que cet échéancier n’était plus à jour. Au lieu
de cela, le Nicaragua a déposé une demande en indication de mesures conservatoires qui ne faisait
même pas mention de la reprise de la construction de la route. Ce n’est que lors de l’audience de
mardi matin de cette semaine que le Costa Rica a entendu parler pour la première fois de ce que les
conseils du Nicaragua ont désigné comme étant la source principale de «l’urgence de la demande
25
du Nicaragua» . Le silence du Nicaragua à cet égard jusqu’à cette semaine est pour le moins
surprenant.
23. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre
aimable attention et vous prie de céder la parole à M. Wordsworth.
Le PRESIDENT : Merci beaucoup, Madame Parlett. J’invite M. Wordsworth à la barre.
Vous avez la parole, Monsieur.
M. WORDSWORTH : Je vous remercie.
ABSENCE DE PRÉJUDICE IRRÉPARABLE (RÉPONSE )
A. Introduction
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, voici un conseil d’ami souvent
entendu : si votre thèse est bancale en droit, tapez dans les faits, si votre thèse est bancale en fait,
tapez dans le droit, et si votre thèse est bancale en droit et en fait, tapez sur la table ! Mon ami,
M. le professeur McCaffrey, a vaillamment cherché à éviter cette troisième voie très fréquentée, et
a résolument opté, s’agissant de la thèse du Nicaragua sur le préjudice irréparable, pour la
deuxième solution. Aussi a-t-il soutenu devant vous que le Costa Rica faisait fausse route en
examinant la question du préjudice irréparable sous l’angle factuel.
16 2. Voilà néanmoins une proposition bien singulière dans le cadre d’audiences consacrées à
des mesures conservatoires : car, qu’on le veuille ou non, dans de telles circonstances, les faits sont
essentiels aux fins de déterminer s’il existe un risque réel et imminent de voir un préjudice causé
aux droits en cause avant que la Cour n’ait rendu sa décision définitive. Et il n’est selon nous que
trop naturel que le Costa Rica ait porté son attention sur les allégations factuelles formulées par le
25CR 2013/28, p. 38, par. 7 (Reichler). - 11 -
Nicaragua dans le cadre de sa demande du 11 octobre 2013, puisque c’est sur ces allégations que se
fondait cette même demande. Comme la Cour s’en souviendra, le Nicaragua,
a) à la page 1, y affirmait que :
«les travaux de construction de [la] route entrepris par le Costa Rica (avaient] entraîné
un brusque accroissement de la charge sédimentaire du fleuve San Juan, qui [l’]a[vait]
contraint … à prendre des mesures énergiques, y compris de dragage, afin de
préserver la qualité et la quantité des eaux du fleuve» .6
b) puis, à la page 3, faisait état de «dommages irréparables causés au fleuve et au milieu
environnant, notamment à la navigation, ainsi qu’à la santé et au bien-être de la population
27
riveraine» .
3. Hier, le Nicaragua a fait valoir que nous avions tort d’insister sur la question de savoir s’il
y avait effectivement eu accroissement de la charge sédimentaire ou si des dommages irréparables
avaient bien été causés au fleuve, au milieu environnant, à la navigation, etc. C’est le préjudice
irréparable qu’il aurait causé à la souveraineté territoriale du Nicaragua qui aurait dû retenir toute
notre attention même si le Nicaragua lui-même n’en souffle mot dans sa demande.
4. Je reviendrai dans un instant sur cette nouvelle importance accordée à la question de
souveraineté territoriale, mais il serait peut-être utile de commencer par faire le point sur les faits
qui la sous-tendent.
5. Le Costa Rica avait dit au début des audiences qu’il paraissait peu probable que la Cour se
prononce sur la présente demande sur la foi de l’expert X ou Y, et cela semble aujourd’hui encore
plus improbable.
6. Comme le sait la Cour, le Nicaragua a produit un quatrième rapport de M. Kondolf
mercredi soir et s’il est quelque peu singulier, d’un point de vue procédural, qu’une partie présente
un nouveau rapport d’un expert ayant entre-temps pris connaissance des observations faites par le
conseil de la partie adverse sur la teneur de son rapport précédent, il s’avère que ce nouveau
document n’est pas dénué d’utilité. Ce qui en ressort clairement, comme cela ressortait clairement
de l’exposé que nous a présenté hier M. McCaffrey, c’est qu’il n’y a plus grand-chose, voire qu’il
17 n’y a plus rien, qui oppose les Parties en ce qui concerne les faits que le Costa Rica tient pour
26
Lettre en date du 11 octobre 2013 adressée à la CIJ par le Nicaragua, réf. HOL-EMB-196, p. 1.
27Ibid., p. 3. - 12 -
essentiels aux fins d’établir l’existence d’un risque de préjudice imminent et irréparable. Et si
M. Kondolf s’interroge sur certains points des rapports d’experts du Costa Rica, il n’en met en
doute l’exactitude sur aucun des principaux aspects factuels.
a) Premièrement, s’agissant de la forte concentration de sédiments en suspension dans le fleuve
San Juan, l’absence de tout accroissement de la charge sédimentaire dû à la construction de la
route n’est pas contestée. Pas un mot à ce propos.
b) Deuxièmement, le fait, avéré, que même à retenir les chiffres avancés par M. Kondolf la
route ne contribue à la charge sédimentaire totale du San Juan qu’à hauteur de 1 à 2 %, et à
celle du cours inférieur de ce fleuve où sont censés se produire les dépôts qu’à hauteur de
2 à 3 % n’est nullement remis en cause. L’avis exprimé par le professeur Thorne, au
paragraphe 64 de son rapport du 4 novembre, selon lequel il s’agit là d’un pourcentage
28
«à l’évidence trop faible pour avoir un impact important sur le fleuve» ne l’est pas
davantage à aucun moment. Là n’est pas la question, semble à présent insinuer le
29
professeur McCaffrey , et j’y reviendrai dans un instant.
c) Troisièmement, le fait, avéré, que, même à retenir les chiffres avancés par M. Kondolf, si
l’ensemble des sédiments en provenance de la route qui se déversent dans le cours inférieur du
fleuve San Juan se déposaient sur le lit de celui-ci, il en résulterait une augmentation moyenne
du taux d’alluvionnement de 3 à 4 mm par an, n’est pas non plus contesté.
Le professeur McCaffrey a bien cherché ici à affirmer, en se fondant sur le nouveau rapport
de M. Kondolf, qu’il serait très peu probable que les sédiments se répandent de manière uniforme
dans le cours inférieur du San Juan . Mais c’est au Nicaragua que revient la paternité de la
demande, et c’est donc au Nicaragua qu’il incombe de prouver qu’il y aurait eu, comme il l’allègue
dans cette demande, un accroissement de la charge sédimentaire tel qu’il l’aurait contraint à
«prendre des mesures énergiques, y compris de dragage». Or, le fait est que, en dépit de ses
plaintes, le Nicaragua ne nous a toujours fourni aucune information qui nous permettrait d’établir
28
Colin Thorne, «Report on the Risk of Irreversible Harm to the Río San Juan relating to the Construction of the
Border Road in Costa Rica», annexe 7 de la lettre en date du 4 novembre 2013 adressée à la Cour par le Costa Rica,
par. 64.
29CR 2013/30, p. 18, par. 8 (McCaffrey).
30
Ibid., p. 17, par. 4 (McCaffrey). - 13 -
où et comment les sédiments se déposeraient et ce, alors qu’il s’agit bien sûr d’un fleuve sur lequel
il a souveraineté, et dans lequel il affirme ou plutôt affirmait avoir dû procéder à des travaux
de dragage.
18 Et même à retenir l’hypothèse du Nicaragua selon laquelle la couche sédimentaire se
déposerait sur la moitié de la superficie du lit du fleuve, son épaisseur ne serait toujours que de
8 mm (soit une épaisseur vertigineuse de 3 à 4 fois le diamètre d’un grain de sable) ; et si elle ne se
déposait que sur un quart de cette surface, cette épaisseur ne dépasserait toujours pas les 18 mm
(moins de celle d’une ridule de sédiments sur le lit du fleuve). Tout cela n’est que tentative pour
détourner l’attention de l’essentiel, et la thèse d’un accroissement considérable de la couche
sédimentaire à laquelle vous vous souviendrez qu’au début, le Nicaragua accordait tant
d’importance a tout bonnement fait long feu.
d) Poursuivons : quatrièmement, les éléments présentés par le professeur Thorne quant aux
bénéfices que représentent, pour l’écosystème, les deltas alluvionnaires, qu’ils soient d’origine
31
naturelle ou anthropique, n’ont nullement été réfutés ,
e) Cinquièmement, il n’a plus été invoqué de risque concret de préjudice irréparable à
l’environnement, et nous n’avons plus entendu parler des 46 espèces qui seraient menacées
d’extinction dans la région au sens plus large.
f) Enfin, le Nicaragua n’a pas relevé le défi consistant à expliquer comment l’un quelconque des
travaux d’atténuation ou de construction mentionnés dans la communication du ministre en date
de mars 2013 pourrait avoir un impact préjudiciable sur l’environnement. Alors, quels sont les
points de controverse qui demeurent ?
B. Les faits qui demeurent controversés
7. Quels sont donc les faits qui demeurent controversés ?
8. Monsieur McCaffrey a fait observer que l’Université du Costa Rica avait calculé les
quantités de sédiments provenant de la route en se référant uniquement aux quinze premiers
kilomètres de celle-ci, et non l’ensemble des 108 kilomètres concernés et que l’université avait en
31Colin Thorne, «Report on the Risk of Irreversible Harm to the Río San Juan relating to the Construction of the
Border Road in Costa Rica», annexe 7 de la lettre en date du 4 novembre 2013 adressée à la Cour par le Costa Rica,
par. 77. - 14 -
32
outre évité les sites où l’érosion est la plus forte c’est aller vraiment un peu loin. J’aimerais
faire trois brèves remarques à ce sujet.
9. Premièrement, ainsi que cela est exposé dans le rapport établi par M. Thorne, et je cite le
paragraphe 33 de ce document :
«Les résultats de la surveillance présentés ici sont issus des deux principaux
glissements rotationnels le long de la Route ; des trois grandes ravines ; du talus qui
présentait l’érosion en rigoles (micro-canaux) la plus intense ; et d’une trappe à
sédiments qui recueille les sédiments érodés d’un tronçon escarpé de la plateforme de
la route et d’un talus de déblayage soumis à une érosion en nappe (figures 5 et 6).
19 Ainsi, on peut raisonnablement penser que les taux d’affaissement de la surface du
terrain enregistrés correspondent à ceux du «pire scénario» érosif lié à la route à ce
jour.»33
Et j’ajouterai que M. Thorne a lui-même parcouru à plusieurs reprises, tant en voiture qu’en avion,
la route tout entière, si bien que, en l’occurrence, l’opinion qu’il s’en fait n’est pas une pure vision
de l’esprit.
10. Deuxièmement, bien entendu, l’examen auquel se livre M. Kondolf lui-même ne porte
pas sur la totalité du tronçon de route de 108 kilomètres qui longe le fleuve ou passe à proximité de
celui-ci, mais, comme vient juste de le dire Mme Parlett, sur une portion de route de
seulement 41 kilomètres. Il ne fait aucun doute que cela s’explique par le fait que, dans la partie de
la route située plus en aval, le terrain est bien plus plat et qu’il y a donc bien moins de risques
d’érosion. L’équipe de l’Université du Costa Rica s’est concentrée sur la partie de la route où les
pentes sont les plus présentes, à savoir les quinze premiers kilomètres de ce tronçon.
11. Troisièmement, et je suis sûr que la Cour l’a déjà compris, il ne s’agit de toute façon pas
d’un problème qui mérite que l’on s’y attarde, car, en s’appuyant sur les chiffres donnés par
M. Kondolf au sujet des sédiments provenant de la route pour évaluer si l’augmentation de la
concentration des sédiments dans le fleuve pouvait être importante, l’ICE et M. Thorne ont tout
simplement cherché à éviter toute polémique inutile. Ce n’est pas, comme l’a affirmé
M. McCaffrey, que le Costa Rica ne soit pas en désaccord profond avec les estimations de
34
M. Kondolf . Il l’est. Mais aux fins de la présente requête, il ne s’agit pas d’un problème majeur,
32
CR 2013/30, p. 21, par. 19 (McCaffrey).
33Colin Thorne, «Report on the Risk of Irreversible Harm to the Río San Juan relating to the Construction of the
Border Road in Costa Rica», annexe 7 de la lettre en date du 4 novembre 2013 adressée à la Cour par le Costa Rica,
par. 33.
34CR 2013/30, p. 18, par. 11 (McCaffrey). - 15 -
car ce sont ces estimations qui ont été prises en compte pour rechercher si l’augmentation du taux
de sédiments était importante ; or, la conclusion a été que tel n’était pas le cas, ainsi que je vous l’ai
démontré mercredi, et cela n’est à présent pas contesté.
12. Il existe également encore un point qui divise les Parties sur l’importance du risque que
présentent les ouragans et tempêtes tropicales. M. McCaffrey vous a donné des statistiques sur les
ravages causés par les ouragans Joan et Mitch, des événements terribles et catastrophiques, en effet.
13. Mais deux remarques s’imposent à cet égard.
14. Premièrement, rien de ce que M. McCaffrey a déclaré ne pourra changer le fait que les
ouragans Joan et Mitch n’ont pas traversé la zone qui intéresse actuellement la Cour. Il en va de
même de l’ouragan Stan, qui a également été évoqué hier. Vous pouvez maintenant observer à
l’écran (et sous l’onglet n 10 de vos dossiers de plaidoiries) les trajectoires de ces ouragans.
Toutes les trajectoires d’ouragans sont représentées, et voici celles de Joan et de Mitch, surlignées,
et celle de Stan, en 2005, également surlignée et, comme vous pouvez le constater, ces
trois trajectoires sont toutes bien au nord de la zone qui nous intéresse.
20 15. De surcroît, non seulement ces trajectoires passent toutes au nord de la route, mais en
outre, une fois encore, le Nicaragua ne vous fournit pas les informations dont vous auriez besoin
pour déterminer si le risque réel et imminent dont il vous parle existe véritablement. Et s’il était
très intéressant d’entendre, hier, des informations tirées de Wikipedia rien que ça , selon
lesquelles, bien que Mitch ne soit pas entré au Nicaragua, il a entraîné dans son sillage des pluies
violentes qui ont frappé ce pays et dont le volume était estimé à plus de 50 pouces soit 1300 mm,
ce que le Nicaragua ne vous a pas fourni, en revanche, ce sont des éléments de preuve concernant
les précipitations qui, à l’époque, ont effectivement touché la zone où se trouve la route. Curieux ;
il doit pourtant disposer de ces éléments de preuve ; il doit disposer de son propre institut
météorologique national. De même, on ne vous a communiqué que des chiffres tirés de
Wikipedia cette fois-ci, 20 pouces (500 mm) au sujet de l’ouragan Stan, et aucun chiffre du
tout en ce qui concerne l’ouragan Joan.
16. Dans le but de vous soumettre des informations plus fiables, ou plus utiles, devrais-je
o
dire, nous avons inséré sous l’onglet n 11 de vos dossiers de plaidoiries une lettre que nous venons
de recevoir de l’Institut météorologique national du Costa Rica. - 16 -
17. Comme on peut le voir ici, cette lettre passe en revue chacun de ces ouragans, puis
indique le niveau des précipitations au Costa Rica à l’époque considérée. Ainsi, au milieu de la
lettre, nous pouvons lire : Ouragan Joan, 10-23 octobre 1988 : l’ouragan Joan est entré en contact
avec les côtes nicaraguayennes au niveau de Bluefields. En ce qui concerne le Costa Rica, le
niveau cumulé de précipitations du 20 au 23 octobre dans la région Nord et Nord-caribéenne a été
de 20 à 250 mm, les plus hauts niveaux ayant été enregistrés dans la zone caribéenne ce n’est
pas la zone qui nous concerne , les plus bas niveaux vers la zone de Sarapiquí, et les niveaux
intermédiaires vers la zone de Los Chiles. Si je comprends bien, la zone de la route se situe
entre Sarapiquí et Los Chiles.
Vient ensuite l’ouragan Mitch, du 22 octobre au 9 novembre 1998 : il a atteint le territoire de
l’Amérique centrale au niveau de la partie centrale de la côte hondurienne. De même, en raison de
sa position dans les Caraïbes, les principaux effets de cet ouragan sur le Costa Rica se sont fait
sentir sur le bassin hydrographique du Pacifique. La carte reproduite sous le texte indique le
er
niveau cumulé de précipitations du 21 octobre au 1 novembre, et il en ressort clairement que les
précipitations enregistrées sur cette période dans le bassin hydrographique du Pacifique et dans la
zone Nord étaient inférieures à 100 mm et la route se trouve dans cette zone, moins de 100 mm.
Enfin, au verso, nous trouvons l’ouragan Stan, du 1 au 5 octobre 2005 : le niveau cumulé de
précipitations du 2 au 5 octobre dans la région Nord et Nord-caribéenne a varié entre 150 mm dans
la zone de Sarapiquí et 15 mm sur la côte. Il est intéressant de relever que la zone septentrionale du
21 pays est, du fait de sa nature, très pluvieuse. Le niveau annuel cumulé des précipitations peut y
atteindre 6000 mm.
18. Ainsi, on n’a pas enregistré de niveaux de précipitations de l’ordre de 1300 mm, ni même
de 500 mm, et il convient de relever que, de toute façon, cette zone est déjà soumise à de fortes
précipitations, ce qui replace dans leur contexte les chiffres des précipitations enregistrés au
moment où ces ouragans passaient au nord.
19. La deuxième remarque que j’aimerais faire est que si, nonobstant le modèle général que
vous avez vu, un ouragan ou les précipitations qu’il entraîne dans son sillage devaient frapper le
Costa Rica avec la force que nous décrit M. McCaffrey à propos de l’ouragan Mitch, cela causerait
un désastre national comme il s’en est effectivement produit au Nicaragua en 1998, et il serait alors - 17 -
totalement incongru de parler de l’éventuel impact supplémentaire de la route sur la présence de
sédiments dans le fleuve. De fait, les ouragans peuvent à eux seuls causer des glissements de
terrain même sur des pentes qui n’ont fait l’objet d’aucune manipulation, comme cela ressort
clairement du rapport d’étude géologique établi par les Etats-Unis d’Amérique au sujet de
35
l’ouragan Mitch .
20. Dans pareilles circonstances, toute présence supplémentaire de sédiments dans le fleuve
due à la route serait éclipsée, non seulement par la destruction générale, mais par l’augmentation
des sédiments en provenance de l’ensemble du bassin versant s’écoulant dans le San Juan. Il se
peut que la sédimentation liée à la présence de la route en construction augmente, mais pas de
façon isolée, et le Nicaragua ne vous a présenté aucun élément de preuve tendant à démontrer
pourquoi il conviendrait de ne toujours pas considérer que la route ne contribue que pour un très
faible pourcentage à la charge sédimentaire totale du fleuve.
21. En prenant encore du recul pour y réfléchir, si cet intérêt pour les ouragans pouvait
apporter la preuve du risque réel et imminent que le Nicaragua cherche à établir, celui-ci aurait sans
aucun doute présenté sa demande en indication de mesures conservatoires deux ans auparavant,
lorsqu’il a déposé sa requête au principal. Les ouragans ne sont en effet pas un phénomène
nouveau, même si, heureusement pour le Costa Rica, ils le concernent concrètement moins que ses
voisins du nord.
22. Ainsi, s’agissant, en ce dernier jour d’audiences, des faits pertinents pour établir
l’existence d’un risque de préjudice irréparable :
a) Premièrement, le Nicaragua ne conteste pas les mesures de la charge sédimentaire du fleuve
effectuées par le Costa Rica avant et après la construction de la route.
b) Deuxièmement, l’absence de toute augmentation importante de la charge sédimentaire du
fleuve causée par la route, ou le fait que l’apport dans le fleuve de sédiments supplémentaires
provenant de la route est très faible de l’ordre de 1 à 2 pour cent en général, ou de 2
à 3 pour cent dans le San Juan inférieur , ne font l’objet d’aucune controverse.
35Voir Landslides Triggered by Hurricane Mitch in Guatemala Inventory and Discussion (Glissements de
terrain provoqués par l’ouragan Mitch au Guatemala inventaire et discussion), disponible à l’adresse suivante :
http://pubs.usgs.gov/of/2001/ofr-01-0443/. - 18 -
22 c) De même, les éléments de preuve démontrant là encore, à partir des chiffres fournis par le
Nicaragua lui-même que l’alluvionnement du lit du fleuve serait imperceptible, de
l’épaisseur de quelques grains de sable, ne sont pas contestés, même si l’on pourrait débattre, à
un stade ultérieur, de la question de savoir s’il s’agit de deux grains ou d’un autre nombre dont
le Nicaragua pourrait finalement apporter la preuve.
d) Enfin, les éléments de preuve démontrant que les deltas alluvionnaires sont bénéfiques à
l’écosystème ne sont pas non plus contestés, alors que le Nicaragua ne prétend pas que son
unique élément de preuve concret quant à leur impact négatif sur l’écosystème vous vous en
souviendrez peut-être, il s’agit d’une remarque qui ressemblerait presque à une minuscule note
de bas de page dans le troisième rapport établi par M. Kondolf et qui porte sur des échantillons
de périphyton (c’est-à-dire de détritus, de bactéries et d’algues) prélevés dans le fleuve par un
collègue le Nicaragua ne prétend pas, donc, que cela permette de conclure à l’existence d’un
risque de préjudice irréparable. Et bien sûr, tel n’est pas le cas.
23. Curieusement, lorsqu’il s’agit de l’urgence, le Nicaragua persiste à dire que vous ne
devriez pas tenir compte du fait qu’il a mis deux ans à déposer sa requête, affirmant que «ce n’est
pas parce qu’un patient perd du sang depuis des heures qu’il n’est pas urgent d’arrêter l’hémorragie
36
le plus rapidement possible» . On dirait que le Nicaragua a oublié qu’il a de fait avoué que son
patient ne perdait pas de sang et que, en ce qui concerne la teneur en sédiments, il se trouvait dans
le même état qu’il y a un an, ou deux, ou trente, lorsque les mesures des concentrations de
sédiments furent effectuées, en 1974-1976 mesures auxquelles il est fait référence, comme vous
vous en souviendrez peut-être, dans les rapports de l’ICE et de M. Thorne dont je vous ai parlé en
détail mercredi.
24. Dans des circonstances, donc, où le Nicaragua n’est pas capable de contester l’opinion
formulée par les experts selon laquelle une contribution de 1 à 2 pour cent des sédiments provenant
de la route «est à l’évidence une proportion trop faible pour avoir un impact significatif sur le
fleuve», où est le risque de préjudice irréparable ?
36CR 2013/30, p. 19, par. 13 (McCaffrey). - 19 -
C. Le nouvel argument du Nicaragua concernant le préjudice irréparable
causé à sa souveraineté et à son intégrité territoriale
25. Selon mon collègue et ami M. McCaffrey, nous nous serions trompés de sujet et, plutôt
que de nous attacher aux faits, aurions dû nous intéresser avant tout à la question de la souveraineté
territoriale du Nicaragua. Et M. McCaffrey d’ajouter que l’on attend toujours les explications du
Costa Rica sur le point de savoir pourquoi le déversement de sédiments dans le fleuve ne constitue
37
pas une violation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale du Nicaragua ?
23 26. Trois observations évidentes s’imposent à cet égard.
27. Premièrement, il n’y a pas de déversement de sédiments dans le fleuve. Une certaine
quantité de sédiments, provenant d’une route inachevée, se trouve rejetée dans le fleuve, sachant
que, entre-temps, le Costa Rica a entrepris les travaux d’atténuation qui ont été décrits par
M. Parlett. Il ne s’agit donc pas d’un «déversement», et la comparaison qui a été faite avec des
camions-bennes déversant leur chargement dans le fleuve est tout à fait inappropriée.
28. Deuxièmement, la question de savoir si l’érosion et le rejet de sédiments dans le fleuve
constituent ou non une violation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale du Nicaragua est, de
toute évidence, une question qui relève du fond. Selon nous, l’argument du Nicaragua concernant
la violation de sa souveraineté et de son intégrité territoriale est totalement infondé, mais nous
verrons cela un autre jour. Je me rappelle cependant qu’un argument semblable avait été soulevé
par la Hongrie dans l’affaire Gabčíkovo-Nagymaros, et que cela n’avait mené nulle part.
29. Troisièmement, si le Nicaragua met désormais autant l’accent sur la question de sa
souveraineté et de son intégrité territoriale, c’est parce que cet argument lui est venu après coup.
Comme je l’ai déjà fait observer, il n’en est nullement fait mention dans la requête du Nicaragua.
Je ne suis pas en train de soulever un point de procédure, mais il est permis de penser que le
Nicaragua a inclus dans sa requête les éléments dont il pensait qu’ils avaient trait à la question du
risque réel et imminent de préjudice irréparable. Or, de toute évidence et ce n’est guère
surprenant , il n’avait pas alors à l’esprit la prétendue menace pesant sur sa souveraineté et son
intégrité territoriale. C’est qu’en effet les droits ainsi allégués sont loin d’être exposés à un
quelconque risque de préjudice irréparable.
37CR 2013/30, p. 16, par. 2 (McCaffrey). - 20 -
30. Supposons un instant, comme cela a pu être affirmé et ça l’a été au moins mardi ,
que les sédiments aient effectivement entravé la navigation sur le San Juan inférieur, et que cela ait
porté préjudice à la souveraineté et à l’intégrité territoriale du Nicaragua. Eh bien, de toute
évidence, ce préjudice ne serait pas irréparable. En effet, il pourrait être ordonné au Costa Rica de
dédommager le Nicaragua pour les dépenses afférentes aux opérations de dragage que celui-ci a dû
effectuer, mais ce serait tout. Dès lors, où est donc le risque de préjudice irréparable ?
Le Nicaragua pourrait considérer que les dommages causés à l’environnement portent préjudice à
sa souveraineté et à son intégrité territoriale. Or, ainsi que le démontre sa décision de ne pas
contester les éléments de preuve attestant que la part des rejets de sédiments due à la route est trop
faible pour avoir un impact significatif sur le fleuve, il a renoncé à cet argument en ce qui concerne
la présente demande.
31. Loin de moi l’idée de reprendre la comparaison avec le camion-benne ; si l’on tient à
illustrer le phénomène par un procédé mécanique, c’est plutôt celui de la bande transporteuse ou
convoyeur à bande qui vient à l’esprit [projection].
24 32. Voici un extrait tiré d’un document établi en 1997 par l’expert du Nicaragua,
o
M. Kondolf ; il figure sous l’onglet n 13 de notre dossier de plaidoiries. Il y est expliqué que
«[l]es fleuves transportent des sédiments dus à l’érosion des hauteurs, qui se déposent
dans des zones proches du niveau de la mer. En cas de solution de continuité dans ce
processus, du fait de la construction de barrages ou de l’extraction de sédiments, les
eaux peuvent se trouver en manque de sédiments, ce qui risque de provoquer l’érosion
du lit du fleuve et de ses rives (phénomène d’affouillement).» 38
Et M. Kondolf d’illustrer ce phénomène par un croquis, qui est actuellement projeté sur vos
39
écrans . Vous voyez, ici, en haut, un glissement de terrain et le processus d’érosion des
montagnes, les sédiments étant rejetés dans le fleuve avant d’être transportés par celui-ci jusqu’à
son delta, qui correspond à l’extrémité de la bande transporteuse.
33. Ce à quoi je veux en venir, c’est que le rejet de sédiments dans un fleuve est un processus
naturel, qui est communément considéré comme étant bénéfique, puisque les sédiments ne sont pas
des polluants, même si le Nicaragua semble penser le contraire, puisqu’il est allé jusqu’à se référer
38G. M. Kondolf «Hungry water : Effects of dams and gravel mining on river channels», Environmental
Management, vol. 21 4), p. 533, onglet n 13 du dossier de plaidoiries du Costa Rica, extrait.
39Ibid., p. 534. - 21 -
aux affaires des Essais nucléaires . Bien au contraire, avec l’eau, les sédiments sont l’un des deux
composants essentiels de tout fleuve. A cet égard, il suffit de penser aux tensions qui résultent de
certains projets de barrages sur des cours d’eau internationaux pour comprendre l’importance que
revêtent les sédiments en tant que composant d’un fleuve ; à titre d’exemple, on mentionnera les
inquiétudes de l’Egypte au sujet des barrages sur le Nil supérieur et de la diminution des flux de
sédiments vers le delta du Nil, où encore celles du Vietnam en ce qui concerne certaines
constructions sur le Mekong supérieur. Le problème n’est pas seulement celui de l’eau ; c’est aussi
celui des sédiments. [Fin projection.]
34. Deux autres points doivent être précisés au sujet de ce que le Nicaragua qualifie
désormais d’«invasion» de son territoire, ou d’«atteinte» à ce dernier, et, partant, aux droits du
Nicaragua à la souveraineté et à l’intégrité territoriale .41
35. Premièrement, où commence et où se termine cette invasion ? [Projection.] En réalité,
70 % des sédiments présents dans le San Juan proviennent du Costa Rica. Ainsi que cela ressort
clairement des mesures effectuées par l’Institut costa-ricien de l’électricité, les bassins des fleuves
du Costa Rica apportent chaque année environ 6,2 millions de tonnes de sédiments au San Juan,
42
25 alors que ceux des fleuves du Nicaragua n’en apportent que 2,8 millions de tonnes . Sous
o
l’onglet n 12 de notre dossier de plaidoiries figure un graphique tiré du rapport de l’Institut
costa-ricien de l’électricité , qui illustre les contributions sédimentaires respectives des bassins des
fleuves de chacun des deux Etats ; la part du Nicaragua apparaît ici, en haut du graphique, et celle
du Costa Rica, en bas. La contribution la plus importante, comme je viens de le dire, est celle du
Costa Rica. Et tout cela s’inscrit dans un processus tout à fait naturel. Dès lors, étant donné que,
d’une manière générale, le Costa Rica ne porte pas atteinte à la souveraineté territoriale du
Nicaragua en permettant à ses fleuves d’apporter au San Juan l’essentiel des sédiments qu’il
contient, comment une augmentation de ce flux sédimentaire augmentation insignifiante et qui
40CR 2013/29, p. 43, par. 19 (Reichler).
41CR 2013/28, p. 28, par. 15 (McCaffrey).
42
Institut costa-ricien de l’électricité, SBU Projects and Associated Services, Centre for Basic Engineering
Studies, Department of Hydrology, «Report on Hydrology and Sediments for the Costa Rican River Basins draining to
the San Juan River», août 2013, annexe 1, p. 28, tableau 11 ; voir également p. 14, tableau 4.
43Ibid., annexe 1, fig. 23, p. 32, onglet n 12 du dossier de plaidoiries. - 22 -
reste largement inférieure aux variations naturelles en la matière pourrait-elle subitement
constituer une atteinte ou un préjudice irréparable ?
36. Deuxièmement, et ce point est lié au précédent, le fait de considérer les sédiments
provenant de la route comme une forme d’«invasion» ou d’«atteinte», au motif que le Nicaragua
reçoit soudain un surplus de sédiments, n’a aucun sens. En effet, la quantité de sédiments rejetés
dans le fleuve diffère d’une année sur l’autre en raison des variations naturelles en matière de
précipitations, de déversements, d’activité volcanique, de glissements de terrain et de nombreux
autres facteurs. Cette variabilité est estimée à plus ou moins 20 %, avec un intervalle de confiance
44
de 95 % . En ce qui concerne les 5 % restants, elle est même supérieure. Autrement dit, cette
variabilité naturelle est donc bien supérieure aux 1 à 2 % supplémentaires qu’entraîne la route
d’après les chiffres de M. Kondolf. Dès lors, il est tout simplement impossible de soutenir que, du
fait de cette route, la quantité de sédiments que reçoit le fleuve est supérieure à ce qu’elle pourrait
être au cours d’une année donnée.
[Fin de projection.]
37. Pour terminer, M. McCaffrey a tenté de donner plus de poids à la thèse du préjudice
irréparable en citant l’argument que M. Crawford avait présenté lors des audiences de 2011 sur les
mesures conservatoires en l’affaire relative à Certaines activités, argument selon lequel le
déversement de sédiments sur l’île de Portillos résultant des activités de dragage menées par le
Nicaragua dans le San Juan causait un dommage irréparable à la zone humide . M. McCaffrey45
46
26 s’est également référé aux conclusions de M. Ugalde dans cette affaire , affirmant que le rejet de
sédiments dans le fleuve du fait de la route «ne saurait être différent[]» du déversement de
47
sédiments sur terre . Cela est bien évidemment faux, mais ce qui est clair, en tout cas, c’est que la
Cour n’a pas conclu que le déversement de sédiments sur l’île de Portillos avait créé un risque de
44Colin Thorne, «Report on the Risk of Irreversible Harm to the Río San Juan relating to the Construction of the
Border Road in Costa Rica», annexe 7 de la lettre en date du 4 novembre 2013 adressée à la Cour par le Costa Rica,
par. 71.
45CR 2011/1, p. 70, par. 49 (Crawford), cité dans le CR 2013/30, p. 17, par. 6 (McCaffrey).
46
CR 2013/30, p. 18, par. 9 (McCaffrey).
47
Ibid., p. 17, par. 7 (McCaffrey). - 23 -
48
préjudice irréparable justifiant d’ordonner au Nicaragua de suspendre son programme de dragage .
Cet argument a certes été examiné, mais la Cour n’y a pas fait droit.
38. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ainsi s’achèvent mes
observations. Je vous remercie de votre attention et vous prie de bien vouloir appeler à la barre
M. Ugalde.
Le PRESIDENT : Merci beaucoup, Monsieur Wordsworth. J’appelle à la barre M. Ugalde.
Monsieur Ugalde, vous avez la parole.
M. UGALDE :
L A DEMANDE DU N ICARAGUA NE SATISFAIT PAS
AUX EXIGENCES DU S TATUT DE LA C OUR
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les Membres de la Cour, ce matin, je
reviendrai une nouvelle fois sur la question de l’urgence, et montrerai que le Nicaragua n’est pas
parvenu à démontrer que sa demande réunissait les conditions requises aux fins de l’indication de
mesures conservatoires en vertu de l’article 41 du Statut de la Cour et des articles 73 à 75 du
Règlement.
2. Tout d’abord, j’évoquerai la prétendue «urgence» dont le Nicaragua allègue l’existence.
Ensuite, j’expliquerai pourquoi la Cour ne saurait faire droit aux arguments avancés par le
Nicaragua et, par voie de conséquence, à sa demande en indication de mesures conservatoires en la
présente affaire.
A. La demande du Nicaragua ne présente pas de caractère d’urgence
3. Je commencerai par l’urgence. Hier, M. Reichler a tenté de donner quelque substance à la
thèse de l’urgence défendue par le Nicaragua. Il nous a dit que l’urgence s’attachait aux faits à
49
27 venir et non aux faits passés . Mais il faut qu’il y ait un fait appelé à produire à l’avenir un autre
fait donnant naissance à un risque de préjudice irréparable. Il doit s’être produit quelque chose qui
laisse supposer qu’un fait imminent va, à l’avenir, porter irrémédiablement préjudice à un droit
48Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures
conservatoires, ordonnance du 8 mars 2011, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 26, par. 82.
49CR 2013/30, p. 27, par. 17 (Reichler). - 24 -
pendente lite, avant que la Cour ne rende sa décision définitive. Si le fleuve ne risque pas de subir
le moindre préjudice irréparable, comme M. McCaffrey semble à présent le concéder, en tout cas
50
dans le cadre de ces audiences , la présente demande se trouve privée d’objet de l’aveu même du
Nicaragua !
4. L’urgence au sens de la jurisprudence de la Cour suppose l’existence d’un risque réel et
imminent de préjudice irréparable. Quelles preuves le Nicaragua a-t-il apportées de l’existence
d’un risque réel ? Aucune. Hier, l’exposé consacré par M. Reichler à la question de l’urgence était
«bref» et on comprend pourquoi . Le Nicaragua n’a donné aucune réponse convaincante aux
arguments invoqués par le Costa Rica mercredi.
5. Comme l’explique Rosenne, le droit relatif aux mesures conservatoires a trait à l’urgence
52
à deux égards : du point de vue de la procédure et du point du vue du fond . Du point de vue de la
procédure, le Nicaragua a fait connaître son intention de demander l’indication de mesures
conservatoires il y a 22 mois. Il a effectivement sollicité de telles mesures, sous diverses formes,
sans succès. Ce n’est que le mois dernier qu’il a déposé la présente demande en indication de
mesures conservatoires, en réponse à celle présentée par le Costa Rica . Le Nicaragua a admis ce
point. Cela constitue, selon lui, une urgence.
6. Du point de vue du fond, le Nicaragua n’a assurément pas établi que la situation revêtait
un caractère d’urgence. Dans le cadre de sa demande, il n’a présenté aucun élément de preuve
attestant l’urgence ni même expliqué pourquoi il y avait urgence. Hier, M. Reichler a prétendu que
l’urgence était établie parce que les travaux de construction de la route étaient sur le point de
reprendre, alors même qu’il avait relevé mardi dernier que l’appel d’offres pour la phase de
54
conception avait été retardé . Il a tort lorsqu’il laisse entendre que le chantier va reprendre «avant
la fin de l’année» . 55 Mme Parlett vous a expliqué ce matin pourquoi les travaux ne
recommenceraient pas avant la fin de 2013 ni même au cours du premier semestre de 2014. Mais
50
CR 2013/30, p. 17, par. 4 (McCaffrey).
51Ibid., p. 26, par. 16 (Reichler).
52Shabtai Rosenne, Provisional Measures in International Law Adjudication (Oxford: Oxford University Press,
2005), p. 136.
53
CR 2013/28, p. 12, par. 4 (Argüello).
54
Ibid., p. 39, par. 10 (Reichler).
55CR 2013/30, p. 27, par. 17 (Reichler). - 25 -
28 là n’est pas la question. Ce n’est pas le début des travaux qui établit l’urgence. S’il s’était
vraiment agi d’une urgence, le Nicaragua aurait présenté sa demande il y a 23 mois. Et même,
abstraction faite de ce point, en quoi la reprise du chantier — dont le but est précisément de
construire une route permanente qui permettrait notamment de résoudre tous les problèmes de
sédimentation dont le Nicaragua fait si grand cas — prouve-t-elle qu’il y a urgence ?
7. Pour parer à la faiblesse de son argumentation sur l’urgence, le conseil du Nicaragua a
56
présenté un argument subsidiaire : même si les travaux ne reprennent pas immédiatement , la Cour
devrait se prononcer sur la base d’une fiction juridique dans laquelle l’indication de mesures
conservatoires serait urgente aujourd’hui, afin que le Nicaragua n’ait pas à saisir une nouvelle fois
57
la Cour à l’avenir . L’urgence selon le Nicaragua ressortit à des considérations pratiques.
8. L’urgence n’est pas établie parce que des travaux routiers pourraient débuter à la fin de
2014, selon les prévisions les plus optimistes et si l’on exclut tout nouveau retard. Peut-on
vraiment dire qu’il existe une situation d’urgence requérant une action immédiate alors qu’il s’agit
d’empêcher un événement qui aura éventuellement lieu dans plusieurs mois ? Le Costa Rica
pourrait-il, par exemple, demander l’indication de mesures conservatoires afin d’empêcher la
construction d’un canal par le Nicaragua qui causerait à n’en pas douter un préjudice irréparable
aux droits du Costa Rica sur le San Juan et le Colorado — même si le Nicaragua soutenait que la
construction du canal ne commencerait pas avant un an ?
9. Selon M. McCaffrey, la question de savoir si un préjudice irréparable risque d’être causé
aux droits du Nicaragua ne dépend pas de la quantité relative de sédiments provenant de la
construction de la route, c’est-à-dire rapportée à la charge sédimentaire totale charriée par le fleuve,
58
mais de la quantité de sédiments en valeur absolue . Si tel est le cas, le Costa Rica doit-il prier la
Cour d’empêcher le Nicaragua d’achever la construction du pont de plusieurs millions de dollars
59
qui doit enjamber le San Juan et dont nous avons entendu parler hier , au motif qu’une partie des
sédiments liés à ces travaux se déversent dans le Colorado et que le Nicaragua n’a transmis aucune
56
CR 2013/30, p. 27, par. 18 (Reichler).
57Ibid., p. 34, par. 12 (Pellet).
58Ibid., p. 18, par. 8 (McCaffrey).
59
Ibid., p. 14, par. 23 (Argüello). - 26 -
évaluation de l’impact environnemental transfrontière au Costa Rica ? Serait-ce raisonnable ? Le
Nicaragua n’a pas transmis d’EIE transfrontière lorsqu’il a entrepris de draguer le San Juan, de
29 construire un aéroport militaire à San Juan del Norte ou de bâtir un pont sur le San Juan — autant
de projets qu’il a réalisés ou qu’il est en train de réaliser à proximité immédiate du territoire
costa-ricien. Si l’on suit la logique adoptée ici par le Nicaragua, il s’agit de manquements
manifestes à ses obligations internationales à l’égard du Costa Rica. Mais, bien entendu, tout
comme la route construite par le Costa Rica, ces questions relèveraient du fond.
10. Même si le Nicaragua n’a pas procédé à une EIE transfrontière dans le cadre de ses
activités de dragage du San Juan, le projet suit son cours, comme il le reconnaît lui-même. Lorsque
le Costa Rica a prié la Cour d’empêcher ces activités de dragage en l’absence d’une EIE
60
transfrontière , la Cour n’a pas fait droit à sa demande. Trois ans plus tard, nous n’avons toujours
pas reçu d’EIE transfrontière concernant ce projet en cours.
11. Il incombe également au Nicaragua de montrer en quoi le fait dont il tire grief fait peser
sur ses droits un risque réel et imminent de préjudice irréparable avant que la Cour ne rende sa
décision. Le Nicaragua n’a rien dit, ni fourni aucun élément — absolument rien — pour expliquer
pourquoi il craint qu’un préjudice irréparable soit causé à ses droits du fait du lancement d’une
procédure d’appels d’offres publics pour la conception de la route et du délai nécessaire à la
conclusion des contrats de construction une fois que les plans auront été finalisés. En l’affaire des
Usines de pâte à papier, la Cour a refusé d’indiquer des mesures conservatoires à raison d’un
61
risque allégué de dommage environnemental découlant simplement de la construction des usines .
De la même manière, ici, les appels d’offres ne peuvent causer aucun préjudice au San Juan. Nous
savons à présent que le Nicaragua ne redoute pas la destruction du San Juan, car elle n’aura pas
lieu. Mais il doit vous apporter la preuve que la construction de la route portera préjudice à ses
droits souverains. S’ensuivent un certain nombre de questions :
12. Le Nicaragua ne peut-il exercer ses droits souverains dans aucune portion du fleuve ? Il
semblerait que non. Le Nicaragua admet que son armée et les fonctionnaires du MARENA
60Voir CR 2011/3, p. 24-27, par. 9-24 (Crawford).
61Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), Mesures conservatoires, ordonnance du
13 juillet 2006, C.I.J. Recueil 2006, p. 133, par. 78. - 27 -
62
naviguent sans cesse sur le San Juan . Il continue d’imposer des restrictions illicites à la
jouissance par le Costa Rica de son droit de libre navigation. Rien ne porte à penser que si les
travaux de construction de la route reprenaient, le Nicaragua ne serait plus à même d’exercer ses
30 droits souverains. Le Nicaragua reste muet sur ce point. Il n’a pas réussi à démontrer qu’il était
porté préjudice à ses droits de navigation car un tel risque, potentiel ou réel, n’existe pas.
13. Le cours du fleuve a-t-il alors changé, ce qui porte préjudice à l’intégrité territoriale du
Nicaragua ? Non plus, comme le Costa Rica vous l’a démontré mercredi.
14. Tout ce que l’on nous a dit, c’est que les travaux de construction de la route allaient
reprendre et qu’un désastre allait s’abattre sur nous. Ces assertions, quelle que soit la force avec
laquelle elles nous sont assénées, ne peuvent justifier une demande en indication de mesures
conservatoires, et certainement pas une demande qui satisferait aux exigences de l’article 41 du
Statut. Les prétendus «éléments de preuve» que le Nicaragua a produits après le dépôt de sa
demande — et qu’il n’a du reste «découverts» qu’après le dépôt de sa demande — ne suffisent pas
à étayer ces assertions et conduisent à la même conclusion.
15. Voilà qui m’amène à l’argument du Nicaragua selon lequel la question de la reprise des
travaux routiers n’a pas encore été dûment traitée par la Cour. Cet argument ne mène nulle part.
Lorsque la Cour est priée d’indiquer des mesures conservatoires proprio motu, elle est in fine
appelée à se pencher sur les questions motivant cette demande. Or ces questions ont été portées à
l’attention de la Cour à l’époque où le Nicaragua a formulé sa demande, et celle-ci a fait observer
63
qu’elles ne lui imposaient pas d’agir . Qu’est-ce qui a changé depuis ?
16. La demande tendant à la modification des mesures conservatoires a connu le même sort.
Même si la Cour a indiqué que le Nicaragua aurait dû avoir recours à un autre mécanisme
procédural, il n’en demeure pas moins qu’elle n’a vu aucun motif de modifier les mesures
conservatoires qu’elle avait indiquées le 8 mars 2011 sur la base des faits invoqués par le
Nicaragua. C’était pour l’essentiel les mêmes que ceux qu’il lui avait présentés dans le cadre de sa
62Annexe 1 de la lettre portant la référence HOL-EMB-220, en date du 31 octobre 2013, adressée au greffier par
l’agent du Nicaragua, Son Exc. M. Carlos Argüello Gómez : Inspection technique de la voie navigable du fleuve
San Juan effectuée le 27 octobre 2013, ministère de l’environnement et des ressources naturelles (MARENA), délégation
territoriale pour le fleuve San Juan.
63Voir lettre adressée au Costa Rica par la Cour le 11 mars 2013 (réf. 142641). - 28 -
demande proprio motu, si ce n’est qu’ils incluaient désormais la reprise des travaux, comme je l’ai
expliqué mercredi.
17. Hier, l’agent du Nicaragua a cité de manière incomplète votre ordonnance du
16 juillet 2013. Je donnerai lecture de l’intégralité du passage dans lequel la Cour se prononce sur
les faits concernant la demande du Nicaragua tendant à la modification des mesures conservatoires
qu’elle avait indiquées :
«La Cour examinera à présent la demande du Nicaragua. S’agissant de son
premier argument, relatif à la construction d’une route …, elle rappelle que, dans la
31 requête introductive d’instance qu’il a déposée au Greffe le 21 décembre 2011, le
Nicaragua indiquait que «[l]a menace la plus immédiate pour le San Juan et son
environnement résult[ait] de la construction par le Costa Rica d’une route qui suit un
tracé parallèle à la rive méridionale du fleuve et passe extrêmement près de celle-ci,
sur une distance d’au moins 120 kilomètres». Lorsqu’il a déposé son mémoire en
l’affaire Nicaragua c. Costa Rica, le 19 décembre 2012, le Nicaragua a par ailleurs
prié la Cour d’«examiner d’office si les circonstances de l’affaire exige[aie]nt
l’indication de mesures conservatoires», arguant une nouvelle fois de64a construction
de la route. La Cour a toutefois estimé que tel n’était pas le cas.»
18. Depuis que la Cour a formulé cette observation le 16 juillet de cette année, bien après
l’annonce faite au mois de mars par le ministère costa-ricien des transports, qu’est-ce qui a
changé ? Rien. L’agent du Nicaragua nous a fait savoir hier que le Nicaragua songeait à présenter
une demande en indication de mesures conservatoires en bonne et due forme dès le prononcé de
l’ordonnance du 16 juillet. Il a déclaré :
«Dans l’intervalle, le Costa Rica avait annoncé que les travaux de construction
de la route reprendraient vers la fin de l’année et, en tout état de cause, avant les
élections générales costa-riciennes du mois de février 2014. Suite à cette annonce, le
Nicaragua s’est interrogé sur le moment opportun pour déposer sa demande formelle
en indication de mesures conservatoires.
Telle était la situation lorsque le Costa Rica a, en septembre dernier, introduit
une demande en indication de nouvelles mesures conservatoires...» 65
19. Afin de tenter d’établir le bien-fondé de sa thèse concernant l’urgence, le Nicaragua a dû
se raccrocher à une annonce faite en mars de cette année et qu’il n’a portée à l’attention de la Cour
que mardi dernier. Et le Nicaragua sait fort bien que la Cour, dans ce même contexte factuel ou
64Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) ;
Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), demandes tendant à la
modification de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires du 8 mars 2011, ordonnance du 16 juillet 2013,
par. 26 ; les italiques sont de nous.
65CR 2013/30, p. 9, par. 6-7 (Argüello). - 29 -
presque, a déjà examiné ses griefs concernant la construction de la route, et rejeté les motifs
invoqués à cette occasion.
20. Hier, M. Reichler a indiqué que la déclaration du ministre costa-ricien des
communications selon laquelle la route était considérée comme une priorité suffisait à justifier
l’indication de mesures conservatoires par la Cour selon le critère de l’urgence . 66
21. Il va de soi que le Costa Rica considère que la route constitue une priorité. Il entend bien
en achever la construction, et ce, dans le respect des normes les plus rigoureuses en matière
d’ingénierie et d’environnement. Bien que, pour l’essentiel, comme nous l’a montré Mme Parlett
32 aujourd’hui, l’état de la route soit satisfaisant, certains tronçons requièrent de nouveaux travaux. Il
ne s’ensuit pas — et le Nicaragua n’a pas établi pendant ces audiences en quoi il pourrait
s’ensuivre — que le fait d’entreprendre des travaux secondaires dans le but d’améliorer la route,
construite à la hâte dans une situation d’urgence créée par le Nicaragua, cause un risque réel et
imminent de préjudice irréparable à ses droits.
22. Monsieur le président, le fait est que le caractère d’urgence n’a pas été établi en la
présente affaire.
B. Les mesures conservatoires demandées par le Nicaragua
ne sont pas justifiées
23. Je souhaite à présent revenir sur les mesures sollicitées. Mercredi, M. Kohen a expliqué
en détail les raisons pour lesquelles aucune des mesures conservatoires demandées par le Nicaragua
67
n’était justifiée . Le Nicaragua n’a rien dit hier qui aurait mis ces raisons en doute. Ces mesures
ne se justifient toujours pas.
24. La première demande du Nicaragua porte sur l’évaluation de l’impact environnemental
de la route. Or, même à supposer qu’il soit exact que le Costa Rica ait manqué à son obligation de
fournir une EIE au Nicaragua (quod non), cette question relèverait du fond. Et le Costa Rica a déjà
indiqué qu’il annexerait à son contre-mémoire, dont le dépôt est prévu le mois prochain, un
diagnostic environnemental . Le Nicaragua n’a pas expliqué hier en quoi cela pourrait causer un
66
CR 2013/30, p. 27, par. 18-19 (Reichler).
67CR 2013/29, p. 49-52, par. 19-29 (Kohen).
68
Ibid., p. 22, par. 5 (Wordsworth). - 30 -
préjudice irréparable à ses droits. Manifestement, il n’y a rien d’irréparable dans le fait que le
Nicaragua doive attendre que soit examinée au fond l’instance dont le Costa Rica a saisi la Cour,
encore moins si c’est l’affaire de six semaines, indépendamment de la question de savoir si cette
obligation existe, question qui doit être tranchée au fond, comme je l’ai déjà dit.
25. Par conséquent, la première mesure demandée n’est rien de plus qu’une tentative visant à
vous contraindre à trancher une question qui devrait être réservée au stade du fond.
26. La deuxième mesure demandée par le Nicaragua — tendant à ce que le Costa Rica
prenne immédiatement un certain nombre de mesures d’urgence sur la base des conclusions de
M. Kondolf ne peut davantage être accueillie. Le Costa Rica a mis en œuvre des mesures
d’atténuation avant même que le Nicaragua n’en fasse la demande et celles-ci vont au-delà de ce
qu’exige le Nicaragua, comme M. Kohen vous l’a démontré mercredi. Le Costa Rica note que, au
33 terme de deux tours de plaidoiries, le Nicaragua n’a toujours pas produit d’éléments apportant la
preuve que la route faisait peser un risque de préjudice irréparable sur ses droits.
27. Le Costa Rica, quant à lui, vous a présenté des éléments attestant que tout apport
sédimentaire en provenance de la route n’avait qu’un impact négligeable, sinon imperceptible, sur
le San Juan. Ces éléments se fondent non pas sur des spéculations théoriques concernant la
construction de routes tirées de l’expérience aux Etats-Unis ou ailleurs, mais sur des échantillons
bien réels prélevés dans le fleuve lui-même. C’est au Nicaragua qu’il incombe d’apporter la
preuve d’un préjudice irréparable. Or il ne l’a pas fait. Seul le Costa Rica a produit des preuves
concernant l’impact, ou plutôt l’absence d’impact, de l’apport sédimentaire lié à la construction de
la route en le comparant aux données pertinentes, c’est-à-dire en le rapportant à la charge
sédimentaire déjà présente dans le fleuve.
28. Il s’ensuit que rien ne justifie de placer les opérations de remise en état actuellement
menées par le Costa Rica sur son propre territoire sous la coupe du Nicaragua.
29. Il en va de même de la troisième mesure sollicitée par le Nicaragua, tendant à ce que le
Costa Rica ne reprenne pas les activités de construction aussi longtemps que la Cour demeurera
saisie de la présente affaire. Puisque le Nicaragua n’est pas parvenu à établir que, dans son état
actuel, la route lui causait un préjudice irréparable, la reprise à terme des travaux de construction
dans le respect des normes idoines en matière de conception et de construction ne lui causera - 31 -
a fortiori aucun préjudice irréparable. Au contraire, même s’il était vrai que la route avait créé un
risque important de sédimentation, l’achèvement des travaux conformément à ces plans et pratiques
ne pourrait qu’améliorer l’état de la route, au bénéfice de tous.
30. Plus fondamentalement, l’objet de cette demande touche également aux affaires internes
du Costa Rica. Nous avons déjà expliqué pourquoi le Costa Rica avait déclaré l’état d’urgence et
entrepris la construction d’une route à titre de priorité. C’est aujourd’hui encore une priorité. Non
seulement la demande du Nicaragua ne se justifie pas au titre d’un quelconque risque de préjudice
irréparable, mais elle porte atteinte au droit du Costa Rica de prendre des décisions souveraines sur
une question revêtant une grande importance pour la sécurité, la santé et le bien-être de ses
habitants. A vrai dire, s’il lui était donné une suite favorable, cette demande porterait gravement
préjudice au droit du Costa Rica de prendre de telles décisions souveraines.
31. Il est clair que, si le Nicaragua a inclus cette mesure dans sa demande, ce n’est pas
uniquement dans le dessein de s’assurer que la route ne lui causerait aucun préjudice irréparable.
Cette demande est formulée en termes absolus. S’il y était fait droit, elle aurait pour effet
d’empêcher le Costa Rica de construire une route le long de sa frontière pendant une période
34 extrêmement longue — que ces travaux aient ou non la moindre conséquence pour le Nicaragua et
avant que le Costa Rica ne puisse faire valoir ses arguments au fond. L’explication en est simple.
Il a eu beau protesté du contraire hier, le Nicaragua ne veut pas que cette route soit construite, et il
fera tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher qu’elle le soit.
32. Ainsi donc, Monsieur le président, aucune des trois mesures sollicitées par le Nicaragua
ne se justifie. Ces mesures semblent obéir à des motivations diverses : obtenir prématurément une
décision relevant du fond, retarder et entraver les efforts mis en œuvre par le Costa Rica pour
corriger et améliorer l’état de la route, et retarder ou empêcher l’achèvement du chantier. Et,
surtout, elles constituent une riposte à la demande parfaitement fondée que le Costa Rica vous a
présentée il y a quelques semaines. Mais s’il y a bien deux facteurs qui ne semblent nullement
motiver ces demandes, c’est ceux de l’urgence véritable et du préjudice irréparable avéré.
33. De même que la Cour a refusé d’ordonner des mesures à cet effet lorsqu’elle a été priée
de le faire proprio motu et de modifier les mesures conservatoires qu’elle avait ordonnées en 2011
aux mêmes fins, la Cour doit cette fois encore rejeter cette demande dénuée de fondement. - 32 -
34. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les Membres de la Cour, je vous
remercie. Afin de clore le deuxième tour de plaidoiries du Costa Rica, je vous prierai d’appeler à la
barre Son Exc. M. l’ambassadeur Edgar Ugalde, qui va donner lecture des observations et
conclusions finales du Costa Rica.
Le PRESIDENT : Je vous remercie. Je donne la parole à l’agent du Costa Rica,
M. l’ambassadeur Ugalde Álvarez. Vous avez la parole Monsieur.
M. UGALDE ÁLVAREZ :
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le Nicaragua s’est présenté
devant vous pour exposer sa demande en indication de mesures conservatoires. De son propre
aveu, ces audiences étaient un moyen coûteux et fastidieux d’examiner sa demande . 69
2. Etant donné que, pas plus tard qu’hier, le Nicaragua a affirmé une fois encore devant la
Cour que, «au cours de ces vingt dernière années, [l]es dépenses en armement [du Costa Rica]
[avaient] été au moins cinq fois supérieures» 70 aux siennes, je me sens tenu de dissiper tout
malentendu sur ce point. Selon l’Institut international de recherches pour la paix de Stockholm, le
35 Costa Rica n’engage pas de dépenses militaires puisqu’il ne possède pas d’armée. En revanche, les
dépenses militaires du Nicaragua ont augmenté de 44 % depuis 2010, année où celui-ci a envahi le
Costa Rica en investissant le secteur nord de l’Ile de Portillos, ce qui suscite de graves
préoccupations.
3. Monsieur le président, alors que nous arrivons au terme de ces audiences, il ne fait aucun
doute que les travaux routiers effectués par le Costa Rica sur son propre territoire ne font peser
aucun risque réel et imminent de préjudice irréparable sur les droits du Nicaragua.
4. Bien que vingt-trois mois se soient écoulés depuis le dépôt de la requête introductive
d’instance du Nicaragua, celui-ci n’a soumis aucun élément de preuve pertinent qui attesterait que
les sédiments provenant du territoire costa-ricien en conséquence de travaux routiers portent
atteinte au San Juan. Alors même que le Nicaragua a la souveraineté sur les eaux du fleuve, il n’a
réalisé aucune étude démontrant que la charge sédimentaire du San Juan aurait augmenté et que la
69
CR 2013/28, p. 12, par. 4 ; ibid., p. 20, par. 38 (Argüello).
70CR 2013/30, p. 12, par. 18 (Argüello). - 33 -
route serait dommageable pour le territoire nicaraguayen. Le Costa Rica — le défendeur — a,
quant à lui, présenté des éléments de preuve à cet égard, éléments qui démontrent que les apports
sédimentaires sont imperceptibles, si minimes qu’ils n’ont aucune incidence et ne sauraient,
a fortiori, causer de dommages importants. Or, les éléments de preuve présentés par le Costa Rica
n’ont pas été sérieusement contestés par le Nicaragua cette semaine.
5. Le Nicaragua n’est pas parvenu à démontrer que sa demande revêtait le moindre caractère
d’urgence. Il l’a déposée à la dernière minute, juste avant le début des audiences sur la demande en
indication de nouvelles mesures conservatoires présentée par le Costa Rica dans l’affaire relative à
Certaines activités. S’il l’a fait, ce n’est pas en raison d’un quelconque risque réel ou imminent,
mais parce qu’il a jugé que ce serait «une bonne occasion…, profitant» du fait que des audiences
71
étaient sur le point de s’ouvrir pour connaître d’une autre demande . Ce n’est pas ainsi que
raisonne ou agit un Etat qui présente de bonne foi une demande en indication de mesures
conservatoires.
6. De toute évidence, la demande du Nicaragua a pour véritable finalité d’empêcher le
Costa Rica de mettre en place une infrastructure essentielle, entièrement située en territoire
costa-ricien. Le Nicaragua a déjà, de diverses manières, empêché le Costa Rica d’exercer son droit
de libre navigation sur le San Juan, droit qui a fait l’objet d’un arrêt de la Cour. A présent, il tente
36 de l’empêcher d’exercer son droit souverain de se défendre et de fournir des services essentiels à la
population locale. Si les mesures conservatoires demandées par le Nicaragua étaient indiquées,
elles causeraient des dommages irréparables aux droits du Costa Rica.
7. Monsieur le président, le Costa Rica va poursuivre ses efforts de coopération avec le
Nicaragua en tenant compte des préoccupations que celui-ci a exprimées au sujet des travaux
routiers. Le Nicaragua recevra l’étude d’impact environnemental réalisée par le Costa Rica, qui
l’annexera à son contre-mémoire. Tous les travaux futurs de construction routière seront
conformes aux normes environnementales et techniques les plus strictes. Le Costa Rica continuera
également de mettre en œuvre des mesures correctives sur la route pour parer à tout risque d’impact
au Costa Rica et sur le San Juan.
71CR 2013/30, p. 9, par. 7 (Argüello). - 34 -
8. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vais à présent donner lecture
des conclusions du Costa Rica :
C ONCLUSION FINALE
9. Conformément à l’article 60 du Règlement de la Cour et vu la demande en indication de
mesures conservatoires introduite par la République du Nicaragua ainsi que les plaidoiries de
celle-ci, la République du Costa Rica prie la Cour,
pour les motifs exposés à l’audience et pour tous autres motifs que la Cour pourrait retenir, de
rejeter la demande en indication de mesures conservatoires introduite par la République du
Nicaragua.
10. Pour conclure nos plaidoiries, je tiens à vous exprimer, au nom de la République du
Costa Rica, Monsieur le président, ainsi qu’à chacun des Membres de la Cour, nos remerciements
pour l’attention que vous avez aimablement accordée à nos exposés. Qu’il me soit également
permis de remercier le greffier de la Cour ainsi que son personnel, y compris les interprètes et les
traducteurs.
11. Enfin, j’aimerais aussi remercier publiquement les conseils du Costa Rica et tous les
membres de notre délégation. Merci, Monsieur le président.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur l’ambassadeur. La Cour prend note de la
conclusion dont vous avez donné lecture au nom de votre gouvernement.
Voilà qui clôt cette série d’audiences. Il me reste à remercier les représentants des deux
37
Parties pour le concours qu’ils ont apporté à la Cour en lui présentant leurs observations orales tout
au long de ces quatre audiences. Conformément à la pratique, je prierai les agents de bien vouloir
rester à la disposition de la Cour.
La Cour rendra son ordonnance sur la demande en indication de mesures conservatoires
déposée par le Nicaragua dès que possible. Les agents des Parties seront avisés en temps utile de la
date à laquelle elle en donnera lecture en audience publique.
La Cour n’étant saisie d’aucune autre question aujourd’hui, l’audience est levée.
L’audience est levée à 11 h 30.
___________
Translation