Non corrigé Traduction
Uncorrected Translation
CR 2013/10 (traduction)
CR 2013/10 (translation)
Jeudi 27 juin 2013 à 15 heures
Thursday 27 June 2013 at 3 p.m. - 2 -
14 Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. La Cour procédera cet
après-midi à l’audition du second expert présenté par l’Australie, M. Nick Gales. La procédure
d’audition de M. Gales est la même que pour l’audition du premier expert de l’Australie, aussi, je
ne la répéterai pas. Je vois que M. Gales est déjà présent dans la salle d’audience. Je vous souhaite
la bienvenue, Monsieur. Je donne à présent la parole à l’agent de l’Australie.
M. CAMPBELL : Je vous remercie Monsieur le président. Le second expert que l’Australie
souhaiterait faire entendre est M. Nick Gales, directeur scientifique du programme antarctique
australien. Il sera interrogé par le Solicitor-General, M. Justin Gleeson. Je vous remercie
Monsieur le président.
Le PRESIDENT: Je vous remercie Monsieur Campbell. J’invite M. Gales à prendre place
au pupitre. Monsieur Gales, je vous invite à faire la déclaration solennelle énoncée à l’alinéa b) de
l’article 64 du Règlement.
M. GALES : Je déclare solennellement, en tout honneur et en toute conscience, que je dirai
la vérité, toute la vérité et rien que la vérité et que mon exposé correspondra à ma conviction
sincère.
Le PRESIDENT : Je vous remercie. Je donne à présent la parole au Solicitor-General, qui
peut commencer l’interrogatoire. Monsieur Gleeson, vous avez la parole.
M. GLEESON : Je vous remercie Monsieur le président. Monsieur Gales, je vous
demanderai de bien vouloir décliner votre identité et indiquer à la Cour votre profession.
M. GALES : Je m’appelle Nicholas John Gales et je suis le directeur scientifique du
programme antarctique australien.
M. GLEESON : Pourriez-vous en quelques mots expliquer à la Cour quelles sont les
attributions du directeur scientifique du programme antarctique australien ? - 3 -
M. GALES : Je dirige le volet scientifique de ce programme, dont le rôle est de fournir à
l’Australie les éléments scientifiques dont elle a besoin pour suivre les grandes orientations qu’elle
s’est fixées en matière de climatologie, de recherche halieutique et de science de la conservation.
15 J’ai sous ma responsabilité quelque 140 personnes en poste à la division de l’Antarctique, qui
mènent à bien les travaux scientifiques, et je travaille également en collaboration avec des
scientifiques employés par 35 organismes australiens et quelque 70 organismes étrangers dans le
cadre d’une coopération établie avec 23 autres pays qui participent à notre programme de recherche
polaire.
M. GLEESON : Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur le dernier point que vous venez
de mentionner, les échanges entre scientifiques australiens et étrangers dans le cadre de notre
programme en Antarctique ?
M. GALES : Bien volontiers. Nous avons un vaste plan stratégique dans lequel sont définies
nos priorités scientifiques. Nous travaillons en collaboration avec la plupart des autres pays dotés
d’un programme de recherche polaire, en particulier ceux qui explorent la région de l’Antarctique
oriental, cette vaste zone située au sud de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande et de l’Afrique du
Sud. Les programmes sont approuvés au terme d’une procédure d’examen ordinaire, et nous les
menons à bien avec nos propres ressources et, comme je l’ai indiqué, en collaboration avec d’autres
pays.
M. GLEESON : Je vous remercie. Pourriez-vous consulter le dossier posé devant vous et me
o
dire si vous êtes l’auteur de l’exposé figurant sous l’onglet n 4, daté du 15 avril 2013 ?
M. GALES : Oui.
o
M. GLEESON : Etes--vous également l’auteur de l’exposé figurant sous l’onglet n 5, daté
du 31 mai 2013 ?
M. GALES : Oui, c’est exact. - 4 -
M. GLEESON : Commençons, si vous le voulez bien, par le premier de ces deux exposés,
celui du 15 avril. J’aimerais que vous nous apportiez des précisions sur trois ou quatre points.
Pourriez-vous jeter un œil sur les paragraphes 3.19 à 3.21 ? Dans ces paragraphes, vous
mentionnez tout d’abord l’annexe P adoptée par le comité scientifique. L’annexe P figure dans le
dossier de plaidoiries, sous l’onglet n 12 du volume I. Vous formulez ensuite quelques
commentaires sur la question de savoir si JARPA II, et tout particulièrement son premier objectif,
satisfait aux exigences de l’annexe P. Pourriez-vous indiquer à la Cour quel est selon vous le lien
entre JARPA II et ses objectifs, et l’annexe P ?
16 M. GALES : Certainement. Parmi les questions énumérées à l’annexe P, celle qui figure en
tête de liste est celle des objectifs de l’étude, le point 1 a) précisant qu’ils doivent être quantifiés
dans la mesure du possible. Et, à mon sens, c’est justement là que pèche le programme JARPA II
car, tels qu’ils sont formulés dans la proposition de permis, ses objectifs sont très généraux. Il est
donc très difficile de les quantifier de manière à apprécier leurs chances de succès, de réalisation,
ou même, à vrai dire, d’avoir une idée de ce qu’ils tentent de réaliser.
M. GLEESON : Je vous remercie. Et dans la liste des objectifs énumérés à l’annexe P, y
a-t-il d’autres paragraphes qui vous paraissent pertinents pour évaluer le programme JARPA II ?
M. GALES : Je pense que ces critères sont tous pertinents, mais la difficulté est qu’ils ne
sont pas indépendants les uns des autres. Faute d’avoir un objectif de départ indiquant clairement,
à tout le moins, ce que l’on tente de réaliser, il devient difficile, par exemple, d’apprécier la mesure
dans laquelle les méthodes retenues contribueront à la réalisation de ces types d’objectif.
M. GLEESON : Je vous remercie. Pourriez-vous à présent revenir à l’onglet n 9 de votre
dossier, s’il-vous-plaît, où est reproduite la résolution 1995-9 ? Il s’agit bien de la résolution qui a
précédé l’annexe P et qui était en vigueur à l’époque où JARPA II a été adopté, n’est-ce pas ?
M. GALES : Oui, c’est bien cela.
M. GLEESON : Et, selon vous, les objectifs de JARPA II satisfont-ils aux exigences de cette
résolution ? - 5 -
M. GALES : Les critères énoncés dans cette résolution sont, bien évidemment, légèrement
différents dans leur formulation mais, à bien des égards, ils tournent autour des mêmes questions.
La deuxième recommandation est sans doute la plus importante par rapport à JARPA II. Elle
précise que la recherche scientifique impliquant la mise à mort de cétacés ne doit être autorisée que
dans des circonstances exceptionnelles, lorsque des questions cruciales sont en jeu auxquelles il ne
peut être répondu par d’autres moyens non létaux. Je dirais que JARPA II ne satisfait pas du tout à
ce critère.
17 M. GLEESON : Je vous remercie. J’aimerais vous poser une question d’ordre plus général.
Comme vous le savez, selon M. Walløe, nous avons affaire ici à un domaine de connaissances qui
en est encore à un stade embryonnaire, ce qui explique l’absence d’hypothèse de départ ou la
formulation d’hypothèses de départ plus générales ou plus vagues. Autrement dit, la méthode
scientifique doit s’adapter aux connaissances que nous possédons sur un sujet. Pouvez-vous nous
dire si vous êtes d’accord avec la logique suivie par M. Walløe ?
M. GALES : Sa logique n’est pas la mienne. Je suis d’accord avec l’affirmation de départ
selon laquelle nous savons fort peu de choses sur ces écosystèmes extrêmement vastes et
complexes, raison pour laquelle, justement, nous devons adopter une démarche très structurée
lorsque nous les étudions. La science est un processus itératif. Nous avançons souvent… Nous
apprenons à mesure que nous avançons, et c’est ce qui fait tout l’intérêt de la science. Nous
formulons une question, nous commençons à y répondre, puis nous évoluons au gré de nos
découvertes. Il n’en reste pas moins que la question formulée au départ ne doit laisser aucun doute
sur ce que nous sommes en train de faire. Si elle est vague avant même de commencer, nous
avançons à l’aveuglette, ce qui rend difficile toute progression. Lorsque l’on étudie des systèmes
extrêmement complexes, comme les écosystèmes, je pense qu’il est même plus important que
jamais d’avoir une idée claire des éléments que l’on essaie de comprendre et de la question que
l’on se pose.
M. GLEESON : Poussons le raisonnement un peu plus loin. Si vous envisagiez de mener un
programme de grande envergure en milieu naturel, en ayant peut-être recours à l’échantillonnage - 6 -
létal, quelles étapes considéreriez-vous comme essentielles au regard de la méthode scientifique
avant de lancer un tel programme ?
M. GALES : Normalement, un scientifique commencerait par parcourir l’ensemble des
documents parus sur le sujet de manière à bien connaître l’état des connaissances. La plupart
tenterait ensuite de collaborer ou d’entrer en contact avec des personnes ou des organisations
spécialistes en la matière. Pour l’océan Austral, je pourrais citer l’exemple de la commission pour
la conservation de la faune et la flore marines de l'Antarctique (CCAMLR). Quant au processus
scientifique proprement dit, le chercheur formulerait sa question après mûre réflexion. Tout
spécialement avec des systèmes complexes, il commencerait par établir des modèles, en tirant parti
de toutes les données disponibles pour l’aider à mieux comprendre quelles parties du système sont
susceptibles d’être mesurées et quelles parties sont susceptibles d’avoir une influence sur les autres.
18 Ce n’est qu’ensuite qu’il se lancerait dans sa recherche, conçue avec le plus grand soin, et
commencerait à recueillir des données.
M. GLEESON : Je vous remercie. Une question a été posée ce matin à propos du projet de
génome humain. Est-ce un sujet que vous connaissez ?
M. GALES : Je ne suis pas généticien mais nous avons des groupes spécialisés dans la
génétique au sein de mon programme et, bien évidemment, c’est un projet d’une telle importance
scientifique que je le connais, oui.
M. GLEESON : Et, fort de vos connaissances sur le sujet, êtes-vous en mesure de nous dire
si ce projet pose des questions ou des hypothèses intéressantes ?
M. GALES : Assurément. Le projet sur le génome est, était, un programme extrêmement
ambitieux et onéreux. Ce genre de programme, loin d’être conçu à la légère, est l’aboutissement
d’une longue réflexion. Il existait à l’époque de nombreux projets, ayant trait en particulier à la
santé humaine, qui posaient des questions auxquelles il n’était possible d’apporter une réponse
réellement satisfaisante que si l’on en apprenait davantage sur le génome. Il existait donc déjà une
série de projets qui formulaient clairement des questions et des hypothèses, comme la - 7 -
détermination du gène lié à une maladie particulière ou à un cancer particulier. C’est donc à partir
de cette masse de questions que le besoin d’un projet sur le génome a vu le jour. Et le projet
lui-même rassemble effectivement toutes ces données et les met à la portée de tous pour que
puissent être ensuite posées d’autres questions, des questions soigneusement formulées, sur les
mécanismes de fonctionnement du génome.
M. GLEESON : Vous avez employé il y a quelques instants le mot «itératif».
Admettez-vous qu’un élément itératif puisse entrer dans l’évolution des hypothèses, à mesure
qu’elles sont revues et affinées dans le cadre du processus scientifique ?
M. GALES : Absolument.
M. GLEESON : Pouvez-vous nous expliquer votre vision des choses ?
M. GALES : Eh bien, lorsque vous proposez des sujets d’étude, en posant des hypothèses et
des questions, vous vous fondez sur l’état des connaissances à ce moment précis. Puis, à mesure
que vous approfondissez vos connaissances en cherchant à résoudre une question particulière, vous
affinez vos hypothèses. Il peut même arriver que vous rejetiez votre idée de départ et optiez pour
19 une autre, en vous engageant dans une nouvelle direction. La caractéristique essentielle de la
science est qu’elle s’autocorrige à mesure qu’elle avance.
M. GLEESON : Très bien. Pouvons-nous aller plus loin dans votre exposé et nous reporter
au paragraphe 3.46, qui examine la question du cérumen accumulé dans les oreilles. Vous indiquez
que près de 7000 bouchons de cérumen ont été prélevés sur des baleines mortes dans le cadre du
premier programme JARPA. Quel bénéfice en a éventuellement retiré la science ?
M. GALES : Le principal objectif de JARPA, à des débuts, était d’estimer le taux de
mortalité des petits rorquals de l’Antarctique par âge. Selon certains articles parus à l’époque,
toute tentative en ce sens était vouée à l’échec mais le Japon a soutenu la gageure pendant quelques
années jusqu’à ce que les scientifiques japonais participant au programme reconnaissent
eux-mêmes que c’était peine perdue. Ils se sont alors fixés un objectif moins ambitieux, celui de
mesurer le taux moyen de mortalité des petits rorquals de l’Antarctique sur l’ensemble de leur - 8 -
cycle de vie, c’est-à-dire le taux moyen de mortalité, tous âges confondus. Lorsque la CBI a
procédé à l’évaluation de JARPA en 2006, elle a examiné les estimations des taux de mortalité
dérivées des estimations d’âges calculées au moyen d’un modèle et elle a conclu que l’incertitude
entourant ces estimations — il y avait donc bien des estimations — était telle que, et là je cite
exactement le rapport, «ce paramètre demeure en fait inconnu».
M. GLEESON : Et, selon vous, existe-t-il des arguments scientifiques justifiant que l’on
continue de prélever des milliers de bouchons d’oreilles, années après année, dans le cadre de
JARPA II ?
M. GALES : Quand je lis la proposition de JARPA II, je vois bien que les promoteurs du
programme ont envisagé de recueillir des bouchons de cérumen afin d’estimer les taux de
mortalité tentative qui, comme nous venons de le dire, s’était soldée par un échec dans le cadre
de JARPA — ainsi qu’un autre paramètre, le TRMR, le taux de rendement maximum de
renouvellement, mais sans faire le moindre cas des 18 années précédentes pendant lesquelles les
données recueillies en ce sens s’étaient révélées inexploitables.
M. GLEESON : S’agissant de la question de savoir si des arguments scientifiques justifient
que l’on ait recours à la recherche létale dans le cadre de JARPA II, le comité scientifique est-il
parvenu à une conclusion ?
M. GALES : Non.
20 M. GLEESON : Je vous demanderai à présent de bien vouloir vous reporter au
paragraphe 5.9 de votre exposé. Vous y déclarez que, après plus de 25 ans de mise en œuvre, la
contribution des programmes JARPA et JARPA II en termes de connaissances utiles à la
conservation et à la gestion du petit rorqual est négligeable, et vous vous en expliquez. Est-il exact
que, dans son exposé, M. Walløe croit discerner trois domaines dans lesquels des connaissances
utiles auraient été apportées ?
M. GALES : Oui. - 9 -
M. GLEESON : Puis-je examiner chacun de ces domaines tour à tour ? Le premier, une
meilleure connaissance de la structure des stocks, aurait bénéficié des recherches de JARPA I.
Quelle est votre opinion sur la question ?
M. GALES : Avant que ne débute JARPA, des échantillons avaient déjà été prélevés sur de
petits rorquals de l’Antarctique capturés dans le cadre de la chasse commerciale. Les toutes
premières études génétiques avaient montré que, dans la zone couverte par la chasse commerciale,
qui était la même que celle de JARPA, vivaient au moins deux populations de petits rorquals dans
une aire située à peu près au sud de l’Australie. JARPA a peut-être corroboré cette hypothèse, mais
n’a fourni aucune information nouvelle sur les limites extérieures de leur aire de distribution.
JARPA n’a rien fait d’autre que confirmer ce que l’on savait déjà avant le début du programme.
M. GLEESON : Je vous remercie. Le deuxième est l’épaisseur de la couche de graisse. Que
répondez-vous à M. Walløe à ce propos ?
M. GALES : Ces dernières années, le comité scientifique s’est penché sur des travaux
analysant des changements prétendument observés dans l’épaisseur de la couche de graisse du petit
rorqual de l’Antarctique. A ce jour, aucun élément communément admis n’est parvenu à
démontrer qu’un changement était intervenu dans l’épaisseur de la couche de graisse elle-même.
La question reste ouverte quant aux outils statistiques employés jusqu’à présent. Il s’agit d’un
changement minime, et l’on a donc recours à des modèles statistiques sophistiqués pour étudier la
question.
M. GLEESON : Fort bien. Et le troisième est le contenu de l’estomac. Quelle est votre
opinion sur ce dernier point ?
M. GALES : A vrai dire, le contenu de l’estomac, tout comme les bouchons de cérumen, ne
nous a rien appris que nous ne savions déjà. Nous n’ignorons pas que le petit rorqual de
21
l’Antarctique se nourrit, presque exclusivement, de krill de l’Antarctique. Il se nourrit aussi d’un
autre type de krill plus petit, qui vit sur le plateau continental et dans les baies. Mais nous savons - 10 -
où vit cette espèce de krill. Lorsque le petit rorqual se trouve dans ces zones, il mange ce type de
krill. Rien que nous ne sachions déjà.
M. GLEESON : Je vous remercie. Passons à présent, si vous le voulez bien, à votre
deuxième exposé, en date du 31 mai. Commençons par le paragraphe 4.3, où il est question de
«concentrations de polluants». Tenez-vous pour acquis que si l’on veut déterminer la présence de
polluants dans l’estomac des baleines, il faut procéder à un échantillonnage létal ?
M. GALES : Non.
M. GLEESON : Lorsqu’il est question de mesurer des concentrations de polluants dans les
tissus cellulaires des baleines, quelle doit être selon vous l’approche de la science ?
M. GALES : Eh bien, nous savons que les polluants affectent les animaux de la planète de
diverses manières. Nous sommes bien informés sur la manière dont ces différents types de
polluants sont transportés aux quatre coins du monde par les vents d’altitude et, plus directement,
par les réseaux hydriques. Nous avons donc déjà une idée des polluants qui pourraient affecter le
petit rorqual de l’Antarctique en général. Nous sommes capables de dire que, dans telle ou telle
zone, les animaux présenteront vraisemblablement de faibles concentrations de polluants. Par
conséquent, pour répondre à ce type de question, la démarche scientifique normale consisterait à se
concentrer sur un polluant particulier, afin de déterminer si on peut le mesurer mais, plus important
encore, de déterminer quels sont les autres éléments à mesurer pour en connaître les effets. En
effet, même s’il est mesuré dans un organe tel que le foie qui exige un prélèvement sur une baleine
morte, un taux de concentration n’a d’intérêt que si vous en comprenez les effets. La mesure en
elle-même, prise isolément, ne vous conduit nulle part.
M. GLEESON : Selon vous, existe-t-il des arguments scientifiques justifiant que l’on mesure
les concentrations de polluants dans les tissus du petit rorqual dans le cadre de JARPA II ?
M. GALES : Non, aucun. - 11 -
M. GLEESON : J’aimerais à présent en venir à un dernier sujet peut-être, qui est la
différence entre les méthodes d’échantillonnage létales et non létales, et ce qui est faisable et
22 réalisable de nos jours. Nous allons voir cela en images. Peut-être pourriez-vous nous expliquer
comment les choses se déroulent lorsque l’on emploie une méthode létale comme le harpon
explosif. Que nous montre le premier cliché, M. Gales ?
M. GALES : C’est un petit rorqual de l’Antarctique qui vient d’être atteint par une grenade à
la penthrite fixée sur un harpon propulsé à partir d’un navire de capture japonais.
M. GLEESON : Je vous remercie. Et sur le cliché suivant, que voyons-nous en gros plan ?
M. GALES : Vous pouvez voir ressortir la tête du harpon derrière l’évent de l’animal,
laquelle va probablement subir une torsion lorsque l’on tirera sur la corde fixée à l’autre extrémité
pour ramener la baleine vers la proue du navire. Quelque deux baleines sur trois ne sont pas tuées
instantanément. Elles sont achevées d’un coup de fusil par des hommes à bord du navire ou d’une
autre manière.
M. GLEESON : Je vous remercie. Et si nous passons à la prochaine image, pouvez-vous
nous décrire la première de trois techniques non létales, à savoir le marquage et le suivi par
satellite ? Pouvez-vous nous expliquer qui l’on voit sur la photo en train de tirer un projectile et ce
que l’on nous montre exactement ?
M. GALES : Volontiers. C’est moi qui suis à l’avant d’un zodiac. Je tiens au-dessus de
l’épaule un fusil à air comprimé avec lequel j’ai tiré un projectile. Vous pouvez voir le petit
dispositif au-dessus de la surface de l’eau. Il n’a pas encore atteint le rorqual. Une balise satellite
est fixée sur la tête du projectile, qui rebondit sur l’animal et se détache une fois que la balise s’est
fichée dans le corps de la baleine.
M. GLEESON : Et grâce à ce marquage, la balise émet un signal transmis par satellite et des
informations peuvent être recueillies pendant un certain temps ? - 12 -
M. GALES : C’est exact. Nous pouvons suivre les déplacements des baleines pendant
plusieurs semaines ou plusieurs mois.
M. GLEESON : Quel est l’intérêt de pouvoir suivre les déplacements des baleines ?
M. GALES : Eh bien, c’est la seule façon aujourd’hui de parvenir à vraiment comprendre
comment les baleines, dans le cas présent, utilisent les différents types d’habitats qui s’offrent à
23 elles. C’est ainsi que nous pouvons découvrir comment elles se nourrissent lorsqu’elles restent à
proximité de la banquise ou lorsqu’elles s’éloignent vers le large, et nous pouvons les suivre de très
près, à des échelles assez fines, au sein de chacune de ces zones.
M. GLEESON : Je vous remercie. Venons-en à présent à une deuxième méthode de
recherche non létale, celle du marquage à court terme. Pouvez-vous nous expliquer en quoi cela
consiste exactement ?
M. GALES : Bien sûr. Outre les balises fixées dans la couche de graisse de la baleine
comme celles que nous avons à présent sous les yeux, nous sommes capables de poser une petite
balise équipée de ventouses. Cette balise reste en place moins de 24 heures mais elle enregistre
toutes sortes d’informations. Elle permet d’enregistrer la profondeur de l’eau, les mouvements de
l’eau, les accélérations et décélérations de l’animal. Nous parvenons à recueillir des détails
extraordinairement précis sur la manière dont la baleine se déplace à travers la colonne d’eau et
dont elle se nourrit lorsqu’elle engouffre le plancton. Aussi longtemps que la balise reste collée au
dos de l’animal, nous suivons la baleine avec deux petits bateaux, du genre de celui que nous avons
vu sur l’image précédente, et nous mesurons le krill présent dans la zone alentour. Nous nous
faisons ainsi une idée de la manière dont la baleine se nourrit de krill dans la zone étudiée.
M. GLEESON : Je vous remercie. Et la troisième méthode de recherche non létale est la
biopsie ?
M. GALES : C’est exact. C’est une méthode aujourd’hui communément employée à travers
le monde pour les dauphins et les baleines. Elle consiste à tirer un projectile à l’aide d’une arbalète
ou d’un fusil qui érafle la chair de l’animal et retombe dans l’eau après avoir prélevé un minuscule - 13 -
morceau de tissu, de la taille d’un ongle. C’est à partir de ce prélèvement que seront extraits
l’ADN et d’autres tissus, et que seront mesurées différentes choses.
M. GLEESON : En termes de données génétiques, est-ce que la biopsie permet d’obtenir les
mêmes résultats que ceux obtenus en tuant la baleine au moyen d’un harpon explosif ?
M. GALES : Absolument. La génétique n’a besoin que d’un minuscule fragment de tissu
cellulaire. De grandes quantités n’apportent rien de plus.
M. GLEESON : Et au paragraphe 2.8 de votre deuxième rapport, avez-vous également
consigné des informations relatives aux prélèvements biopsiques, en précisant la durée de
l’opération et la distance de tir, y compris pour les petits rorquals ?
24 M. GALES : Effectivement.
M. GLEESON : Et, sur la base de ces informations, et peut-être d’autres, pensez-vous que
l’échantillonnage biopsique est au moins aussi efficace que l’échantillonnage létal lorsque l’on
cherche à obtenir des données génétiques ?
M. GALES : Absolument.
M. GLEESON : Les techniques non létales ont-elles progressé au cours des 20 dernières
années ?
M. GALES : Oui, un large éventail de techniques ont connu des avancées considérables.
Nous venons de parler de quelques-unes d’entre elles qui s’appliquent au petit rorqual de
l’Antarctique, mais dans de nombreux domaines, les techniques ont connu une évolution très
rapide.
M. GLEESON : Les membres de la communauté scientifique partagent-ils largement les
informations disponibles sur les techniques non létales ?
M. GALES : Oui, l’information est amplement partagée, notamment à travers la tenue
d’ateliers. - 14 -
M. GLEESON : Le Japon a-t-il à sa disposition toutes les techniques que vous venez de
décrire et les utilise-t-il ?
M. GALES : Oui.
M. GLEESON : Qu’en est-il des autres pays qui s’intéressent à la recherche sur les baleines,
ont-ils à leur disposition toutes ces techniques et les utilisent-ils ?
M. GALES : Oui, il s’agit de techniques communément employées.
M. GLEESON : Ainsi s’achève mon interrogatoire Monsieur le président.
Le PRESIDENT : Je vous remercie. J’invite à présent le conseil du Japon à procéder au
contre-interrogatoire. Vous avez la parole Monsieur Lowe.
25 M. LOWE : Je vous remercie, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour.
Monsieur Gales, mon nom est Vaughan Lowe. Je suis l’un des conseils du Japon et nous avons
quelques questions à vous poser afin de clarifier certains points évoqués dans vos exposés. Je tiens
à vous remercier d’avoir rédigé ces rapports et d’être venu aujourd’hui déposer devant la Cour.
La première question est la suivante : au paragraphe 1.4 de votre premier exposé, vous
énumérez trois facteurs qui, d’après vous, ont empêché le comité scientifique de jouer pleinement
son rôle en tant qu’organe chargé d’examiner les programmes de chasse à la baleine au titre de
permis spéciaux et de formuler un avis scientifique à leur sujet. Le premier de ces facteurs est ce
que vous appelez le «caractère vague de ces deux programmes, qui ne suivent pas un calendrier et
des objectifs précis». Ma question est la suivante : de nombreux programmes scientifiques marins
n’ont-ils pas un caractère permanent ? Je pense à la mesure de l’épaisseur de la banquise en
Antarctique ou de la couche d’ozone, ou encore à l’analyse des pêcheries fondée sur le recueil
continu de données de suivi, qui sont régulièrement actualisées et affinées afin de produire des
estimations annuelles des prises ne mettant pas en péril le renouvellement des espèces. Les
scientifiques participant à ces programmes ne sont-ils pas engagés dans une activité de recherche
scientifique ? - 15 -
M. GALES : Il y a assurément de très nombreux projets qui se déroulent sur des périodes
extrêmement longues. Cela dit, dans chacun de ces projets, il est indiqué de façon très claire ce
qu’on cherche à mesurer, le degré de précision dont on a besoin, ainsi que les raisons pour
lesquelles telle est la durée nécessaire à sa réalisation. Ces projets montrent les taux de variation du
paramètre à l’étude, et les choses sont donc claires. Il ne s’agit pas véritablement de programmes
permanents, mais plutôt de programmes à long terme, qui ne sont pas illimités dans le temps.
M. LOWE : Votre critique porte donc en réalité sur l’absence de justification du caractère
prolongé et permanent de JARPA, et non sur le fait qu’un projet scientifique ne devrait jamais être
permanent ?
M. GALES : Tout projet scientifique devrait prévoir sa date d’achèvement. Sans objectifs
clairement énoncés, il est difficile d’évaluer la durée nécessaire à la réalisation d’un projet ; cela
doit être indiqué expressément.
M. LOWE : Je vous remercie. Vous critiquez le programme JARPA II en raison de son
absence de calendrier, mais que faites-vous de l’évaluation devant être réalisée tous les six ans telle
qu’elle est prévue dans le plan de recherche de JARPA II ?
M. GALES : Le comité scientifique se débat depuis des années avec la question de
l’évaluation de ces programmes. Ce délai de six ans a été fixé justement parce qu’il s’agit d’un
programme permanent. Si vous partiez de zéro, vous commenceriez par procéder à une évaluation
26 complète dans le cas du programme JARPA II, dès le tout début qui vous permettrait de vous
appuyer sur une base empirique et de savoir quand mesurer les progrès réalisés. Idéalement, dans le
projet de recherche, vous indiqueriez les grandes étapes : au bout de deux, cinq, six ans, nous
espérons avoir atteint tel objectif. Ce délai de six ans est arbitraire et ce processus d’évaluation est
loin d’être parfait, mais il résulte d’un long et difficile débat au sein du comité scientifique.
M. LOWE : Je vous remercie. J’en viens maintenant à un autre point : il existerait au sein du
comité scientifique de la CBI un clivage marqué entre ceux qui sont opposés à la mise à mort des
baleines et ceux qui pensent au contraire que la chasse à la baleine pratiquée de manière à ne pas - 16 -
mettre en péril le renouvellement des espèces a sa raison d’être et ne devrait pas être interdite.
Votre expérience de la CBI vous donne-t-elle la même impression?
M. GALES : C’est peut-être vrai de la commission. Je ne crois pas qu’on puisse en dire
autant du comité scientifique. Les scientifiques n’ont pas à prendre position sur ce point.
M. LOWE : Comment décririez-vous la manière dont le comité scientifique traite cette
question ?
M. GALES : Je dirais qu’il est essentiel que le comité scientifique fournisse à la commission
des avis scientifiques clairs sur les questions intéressant les travaux de la commission. La question
philosophique que pose la mise à mort des baleines doit rester du ressort de ce deuxième organe.
Je crois qu’une grande partie des critiques exprimées par moi-même et par d’autres membres du
comité à l’égard des programmes JARPA et JARPA II portait sur des éléments scientifiques.
D’aucuns ont laissé entendre que ces critiques étaient motivées par une opposition à la mise à mort
des baleines. Dans mon cas, et dans le cas de nombreux autres membres à mon avis, c’est inexact.
M. LOWE : Est-il correct de dire que, bien que les programmes JARPA et JARPA II aient
peut-être été les principales sources de dissensions au sein du comité scientifique un argument
que vous formulez, me semble-t-il, au début de votre premier rapport , d’autres sujets ont
également entraîné des polémiques, parmi lesquels l’instauration du moratoire et la création de
sanctuaires, y compris les propositions formulées par l’Australie et la Nouvelle-Zélande entre 1999
et 2005 ? Ces sujets ont-ils également divisé le comité scientifique ?
27 M. GALES : Bon nombre de sujets ont divisé le comité. Il s’agissait le plus souvent de
divergences de vues entre scientifiques, qui sont normales et finissent par être résolues, au bout
d’un temps parfois considérable, grâce au débat scientifique. C’est une bonne chose et un bon
exemple de la manière dont fonctionne le comité scientifique. Je n’étais pas membre du comité
lorsque le moratoire a été mis en place, mais j’ai lu les documents à ce sujet, qui font clairement
apparaître des désaccords sur la manière d’envisager la question. - 17 -
M. LOWE : Si le comité scientifique est pris entre un groupe de scientifiques qui défend une
thèse et un autre groupe qui en défend une autre, et qu’aucun des deux camps ne voit de raisons
valables de changer d’avis, pensez-vous qu’il soit nécessaire d’essayer d’imposer une vue unanime
au sein du comité ? Et pourquoi le comité ne remplirait-il pas sa fonction, qui est d’examiner les
propositions et de formuler des avis à leur sujet, en déclarant que certains scientifiques pensent ceci
et d’autres cela ?
M. GALES : Il y a assurément des cas où il existe des désaccords tout à fait légitimes au sein
du comité scientifique. Je citerai à titre d’exemple les méthodes d’estimation de l’abondance des
petits rorquals de l’Antarctique. Plusieurs modèles avaient été proposés, et il a fallu beaucoup de
temps pour que les scientifiques se mettent d’accord sur un modèle unique et sur certaines
estimations ; ils n’y sont parvenus qu’en 2012. Mais le débat reposait sur un vrai processus
scientifique, car les points de vue des deux groupes étaient étayés par leurs travaux scientifiques.
Les simulations, les statistiques et les études reposaient sur des bases empiriques solides, et c’est ce
que nous avons expliqué à la commission. Nous n’avons pas résolu les divergences, mais nous
avons expliqué à quel niveau elles se situaient. Dans le cas de la chasse à la baleine au titre de
permis spéciaux, le débat prend fin lorsqu’une personne émet une critique et que la réponse est
«nous ne sommes pas d’accord». Le comité scientifique n’a jamais réussi à passer à l’étape
suivante, qui est fondamentale et qui consiste à examiner les arguments sous-tendant la critique
la critique est-elle fondée sur le plan scientifique et la réaction à cette critique l’est-elle également ?
Et l’on se retrouve avec un avis qui, à mon sens, est totalement dénué d’intérêt, le comité se
contentant de dire à la commission, comme vous l’avez formulé, «certains ont dit ceci et d’autres
cela», mais sans lui fournir la moindre explication qui lui permettrait de comprendre le sens de ces
divergences.
28 M. LOWE : Je suis certain que nous y reviendrons la semaine prochaine. J’aimerais à
présent examiner la question des méthodes létales. Vous avez décrit comment l’on utilise la
méthode non létale qui consiste à faire des biopsies, et M. Mangel nous a indiqué ce matin que
certaines données (relatives au contenu de l’estomac ou aux bouchons de cérumen) ne pouvaient
être recueillies à l’aide de cette méthode. Laissons cela de côté pour le moment et concentrons- - 18 -
nous sur les données qui peuvent être obtenues par biopsie. M. Sands a indiqué que la commission
avait salué vos recherches en vous félicitant de l’importante contribution qu’elles allaient apporter
aux travaux du comité scientifique. Nous tenons également à vous féliciter d’avoir été, il me
semble, le premier à procéder avec succès au marquage et au suivi par satellite de petits rorquals de
l’Antarctique. D’après les photographies et enregistrements vidéo que nous avons visionnés, il
semblerait que vous y soyez parvenu par mer plutôt calme. Pourriez-vous nous indiquer, sur
l’échelle de Beaufort, comment était la mer lorsque vous avez réalisé ces expériences ?
M. GALES : Bien sûr. Lorsqu’on voit des photos de l’Antarctique, on voit que la mer est en
général soit déchaînée soit extrêmement calme. Pour les petits rorquals, nous avons travaillé à
partir des petites embarcations que nous avons vues, par mer calme, et les cétacés se trouvaient
dans des baies. Nous utilisons également des zodiacs en haute mer dans l’Antarctique oriental,
exactement du même modèle, mais nous n’avons pas encore essayé d’approcher les petits rorquals
dans cette zone. De façon générale, les conditions météorologiques sont correctes deux jours sur
trois, en moyenne. Nous pouvons mener nos activités jusqu’à un certain «état de mer», que l’on
appelle «état de mer 3», c’est-à-dire avec des vents inférieurs à 15 nœuds et une mer relativement
calme. Il est assez courant de travailler dans ces conditions si on se trouve suffisamment au sud, à
proximité de la banquise, car on se trouve alors en-dessous des dépressions polaires qui sont
responsables des très mauvaises conditions météorologiques prévalant dans les latitudes moyennes.
M. LOWE : Vous avez évoqué tout à l’heure les progrès considérables enregistrés ces
20 dernières années et l’évolution rapide des techniques non létales. Est-il juste d’en déduire que
ces nouvelles techniques de marquage par balise ou de prélèvement biopsique sur les petits rorquals
sont toujours en cours de développement ?
M. GALES : Absolument, comme toutes les techniques scientifiques, elles continuent
d’évoluer, oui.
29 M. LOWE : J’ai une dernière question. En tant que scientifique, pensez-vous qu’il est
possible de pratiquer une chasse commerciale respectueuse des générations futures, qui se limiterait
à un nombre déterminé de petits rorquals dans l’Antarctique, sans mettre en péril cette population ? - 19 -
M. GALES : Je crois que la réponse prudente à votre question est de rappeler que le comité
scientifique a mis au point la procédure de gestion révisée (la RMP) et, selon moi, cette procédure
est le mécanisme le plus fiable que nous sommes actuellement en mesure de concevoir. Donc,
avant de répondre à votre question, je souhaiterais voir comment fonctionne la RMP lorsque sont
fournies toutes les informations nécessaires, et ensuite, me faire une idée. Je pense qu’il est tentant
de donner une réponse rapide, fondée sur un calcul approximatif, qui indiquerait que cette chasse
est acceptable dès lors qu’elle ne dépasse pas un certain volume de captures. Or, pour ce type de
calcul, nous avons un dispositif tout à fait performant, la RMP, et selon toute probabilité, celle-ci
permettra de fixer des limites de capture pour les espèces abondantes.
M. LOWE : Je vous prie de m’excuser quelques instants. Merci beaucoup, Monsieur Gales,
je n’ai pas d’autres questions. Je vous remercie.
Le PRESIDENT : Je vous remercie Monsieur Lowe. Souhaitez-vous procéder à un
interrogatoire complémentaire, Monsieur Gleeson ? Je vous en prie, vous avez la parole.
M. GLEESON : Je vous remercie Monsieur le président. Je reviendrai simplement sur trois
points. Premièrement, Monsieur Gales, il vous a été demandé si le comité scientifique en était
effectivement réduit à indiquer que les uns disaient ceci et les autres cela, et s’il n’était pas utile de
faire simplement part de ces divergences à la commission. Pourrais-je vous demander de consulter
votre premier exposé, s’il vous plaît ? Outre les réponses que vous avez fournies à M. Lowe sur la
question, peut-on considérer qu’au paragraphe 3.16 de votre exposé vous énumérez
quatre difficultés rencontrées par le comité et liées à cette question, qui sont ensuite développées
dans les paragraphes suivants ? Est-ce exact ?
M. GALES : Oui, c’est exact.
M. GLEESON : Je vous remercie. On vous a posé une question, qui semblait également
vous complimenter pour vos travaux en tant que spécialiste mondial du marquage et du suivi par
satellite des petits rorquals, et les compliments sont toujours les bienvenus. Pourrais-je vous
demander d’expliquer un peu plus à la Cour pourquoi la technique du marquage et suivi par - 20 -
30 satellite a été récemment étendue aux petits rorquals, alors qu’elle était déjà utilisée sur d’autres
baleines ?
M. GALES : Oui, nous avons eu la chance d’être les premiers à véritablement essayer de
poser ces balises et c’est sans doute ce qui me vaut ces compliments. Avec des collègues
américains, nous avons posé des balises sur des petits rorquals de l’Antarctique dans la mer de
Ross et la péninsule antarctique occidentale. Cela dit, le marquage des baleines par balise est une
procédure couramment employée depuis plus de dix ans.
M. GLEESON : Y compris par le Japon ?
M. GALES : Y compris par le Japon.
M. GLEESON : Je vous remercie. Et pour finir, il vous a été posé une question sur les
progrès considérables qu’ont connus les méthodes non létales, et vous avez convenu que ces
méthodes continuaient d’évoluer. A votre avis, le programme JARPA II intègre-t-il, ou
s’efforce-t-il d’intégrer, ces techniques non létales en pleine évolution ?
M. GALES : Je n’en vois aucune preuve.
M. GLEESON : Ainsi s’achève l’interrogatoire complémentaire, Monsieur le président.
Le PRESIDENT : Merci beaucoup Monsieur Gleeson. Monsieur Gales, il me semble que
certains de mes confrères souhaiteraient vous poser des questions. Je commencerai par la
juge Donoghue. Vous avez la parole.
Juge DONOGHUE: Je vous remercie Monsieur le président. Monsieur Gales, mes questions
portent sur les données relatives à l’âge. Je souhaiterais éclaircir quelques points. Le premier est le
suivant : les données relatives à l’âge sont-elles importantes, ou pertinentes, pour la RMP ? C’est
ma première question. Ma deuxième question est la suivante : dans le cas contraire, pourquoi les
données relatives à l’âge sont-elles importantes ou ne le sont-elles pas ? Et enfin, je souhaiterais
simplement comprendre si vous partagez ou non le point de vue exposé par M. Mangel dans sa - 21 -
déposition, à savoir qu’il n’existe pas, pour le moment, de méthode non létale permettant de
déterminer l’âge des petits rorquals. Je vous remercie.
M. GALES : Merci pour cette question.
Le PRESIDENT : Vous avez la parole.
31 M. GALES : S’agissant de la RMP, elle a été conçue et élaborée de manière à tirer les leçons
de l’exploitation des paramètres biologiques tels que l’âge dans les précédents modèles de gestion
sur lesquels s’était appuyé le comité scientifique. La procédure qui était en vigueur avant la RMP
— la nouvelle procédure de gestion (NMP) — reposait sur des données relatives à l’âge ; or il
s’était avéré que ces données ne permettaient pas d’estimer la mortalité (la première information
dérivée des données relatives à l’âge) avec suffisamment de précision pour être utiles à la gestion.
On a donc veillé expressément à ce que la RMP nécessite uniquement des informations pouvant
être collectées de façon suffisamment précise, comme l’abondance des baleines, c’est-à-dire le
nombre d’animaux présents dans la zone de chasse, et le nombre d’animaux déjà capturé dans cette
zone dans le cadre de précédentes campagnes de chasse. Avec ces seules informations, et sans
avoir besoin de données relatives à l’âge, la RMP peut fonctionner.
Puis-je passer à votre deuxième question si je m’en souviens bien ? Les données relatives à
l’âge peuvent être très précieuses pour répondre à certaines questions spécifiques, mais il faut que
l’âge puisse être mesuré avec suffisamment de précision. Pour certains animaux, il est possible de
mesurer l’âge de façon très précise, et ce, tant à l’aide de méthodes létales que non létales. Parmi
les techniques létales, certaines peuvent se rapprocher de l’observation des bouchons de cérumen,
par exemple la mesure des couches de cartilage des ouïes des poissons (ce qu’on appelle les
otolithes), mais on peut également employer de nombreuses autres techniques. Les techniques non
létales consistent le plus souvent à suivre tout au long de leur vie des animaux qui ont été identifiés
soit grâce à des prélèvements d’ADN, soit grâce à des photographies de certaines particularités
physiques. D’ailleurs, pour calculer certains éléments de la RMP, les données issues de ces
identifications photographiques ont été très utiles. - 22 -
Et je crois que votre dernière question portait sur les techniques non létales. Le ratio
d’acides gras, qui sont les molécules qui composent la graisse, apporte désormais des informations
intéressantes. Il semblerait que le ratio d’acides gras dans la couche inférieure de graisse donne des
indications sur l’âge. Nous ne savons pas pourquoi, nous ne comprenons pas le mécanisme, et
c’est assez peu précis. Cela peut vous indiquer l’âge à dix ans près. Donc, c’est intéressant, mais
ce n’est pas encore très au point.
Le PRESIDENT : Merci beaucoup. A présent, le juge Greenwood souhaiterait vous poser
une question. Monsieur le juge Greenwood, je vous en prie.
32 Juge GREENWOOD: Je vous remercie Monsieur le président. Monsieur Gales, j’aimerais
vous poser la question que j’ai posée à M. Mangel ce matin. Je crois que vous étiez dans la salle à
ce moment-là.
M. GALES : Oui.
Juge GREENWOOD: Laissez-moi la reformuler de façon un peu plus générale que ce matin.
En matière de chasse à la baleine, ce que le comité scientifique considère comme une «recherche
scientifique menée comme il se doit» a-t-il évolué depuis le début du programme JARPA II ?
M. GALES : Non, je ne le pense pas, si j’en crois les principaux débats sur les quelque
200 documents que reçoit chaque année le comité scientifique pour examen (il s’agit de rapports
sur des activités scientifiques). Je crois que depuis huit ans, la compréhension par les membres du
comité des objectifs, des méthodes et des différents principes que M. Mangel a exposés à la Cour,
n’a pas évolué. Ce qui a changé, c’est que le comité scientifique et la CBI, la commission
elle-même, ont cherché à mettre en place une procédure d’examen qui fonctionne mieux que par le
passé, au terme d’un long et difficile débat.
Juge GREENWOOD: Je vous remercie. Monsieur le président, pourrais-je simplement
poser une question complémentaire ?
Le PRESIDENT : Bien sûr, allez-y. - 23 -
Juge GREENWOOD: Dans quelle mesure considérez-vous les conclusions du comité
scientifique quant à cette procédure d’examen et aux règles à appliquer, dans quelle mesure ces
conclusions sont-elles le reflet d’un consensus au sein du comité ? Ou, au contraire, considérez-
vous que ce point soulève un désaccord entre différents groupes de scientifiques ?
M. GALES : L’annexe P, en particulier, a fait l’objet de négociations au sein du comité
scientifique et a été approuvée comme étant la solution la plus acceptable à laquelle nous pouvions
parvenir. Je crois que nombre des membres du comité scientifique — et je m’inclus dans cette
catégorie — préféreraient avoir recours à une procédure véritablement distincte et indépendante. Il
serait fait appel à des personnes extérieures au comité, disposant de l’expertise voulue, qui
procéderaient à un examen et rédigeraient un rapport. Il s’agirait d’un véritable examen par les
33 pairs et, pour éviter de répéter les critères énoncés par M. Mangel, d’un examen collégial
approfondi mené de façon anonyme. Je ne crois pas que nous en soyons là. L’annexe P est un pas
dans cette direction mais, aussi longtemps que le processus d’examen sera dénué de toute incidence
concrète sur les activités d’un programme, les scientifiques ne seront guère tentés d’y consacrer
beaucoup d’efforts.
Juge GREENWOOD: Merci beaucoup, Monsieur Gales.
Le PRESIDENT : Je vous remercie. Le prochain juge qui souhaite poser une question est la
juge Hilary Charlesworth. Vous avez la parole.
Juge CHARLESWORTH: Monsieur Gales, il s’agit d’une simple information scientifique
que je souhaiterais vous demander. Comment passe-t-on des bouchons de cérumen ou de l’âge des
baleines au taux de mortalité ? Pouvez-vous simplement éclairer une non-spécialiste ?
M. GALES : Je vais essayer. On y parvient grâce à des modèles de population. On établit
un modèle pour une population donnée, en formulant un certain nombre d’hypothèses. Si l’on est
véritablement en mesure de collecter un échantillon représentatif des âges au sein d’une
population et l’on sait que dans le programme JARPA II, les juvéniles sont sous-représentés ,
si on réussit à obtenir cet échantillon, alors on peut bâtir un modèle et se demander : pour arriver à - 24 -
cette répartition par âge de la population, quels doivent être les taux de mortalité ? On obtient donc
ces résultats grâce à la modélisation. Est-ce clair ? Finalement, on adapte le modèle aux données
que l’on mesure.
Le PRESIDENT : Je vous remercie. Si aucun autre juge n’a de question, ainsi s’achève
l’interrogatoire de M. Gales. La Cour tient à vous remercier d’avoir déposé devant nous. Vous
pouvez rejoindre votre place, merci beaucoup.
Si le Conseil de l’Australie est prêt à poursuivre la présentation des arguments de l’Australie,
j’appelle M. Philippe Sands. Monsieur, vous avez la parole.
M. SANDS : Je vous remercie Monsieur le président. En fait je me demande si, au lieu
d’attendre quinze ou vingt minutes, il nous serait possible de marquer une courte pause dès
maintenant, si le moment convient, pour que nous puissions nous consulter brièvement comme
34 nous avions prévu de le faire si l’intervention de M. Gales avait duré plus longtemps. Si vous n’y
voyez pas d’inconvénient, nous vous en serions reconnaissants.
Le PRESIDENT : Nous pouvons marquer une pause de quinze minutes dès maintenant et
poursuivre ensuite d’une traite l’audience de cet après-midi.
M. SANDS : Merci infiniment, Monsieur le président, nous vous en sommes très
reconnaissants.
Le PRESIDENT : L’audience est donc suspendue pour quinze minutes. Nous reprendrons
à 16 h 10.
L’audience est suspendue de 15 h 55 à 16 h 10.
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience reprend et je donne la parole à
M. Sands.
M. SANDS : Monsieur le président, merci d’avoir eu l’amabilité de nous accorder quelques
minutes, nous avons beaucoup apprécié de pouvoir nous entretenir brièvement. Je ne retiendrai pas
l’attention de la Cour trop longtemps. Le but de mon intervention était au départ de dresser un - 25 -
bilan sur la base des questions scientifiques qui ont été traitées au cours de la journée. Vous avez
pu entendre vous-mêmes les deux témoins-experts et vous forger votre propre opinion. Vous avez
pu constater que l’un et l’autre jouissent de compétences et d’une autorité évidentes dans le
domaine qui nous occupe.
Je me bornerai à examiner six points de manière relativement succincte afin de répondre aux
questions qui ont été soulevées au cours de la matinée.
Premièrement, si vous le permettez, je formulerai une observation générale sur les critères
qui ont suscité un certain nombre d’échanges, tant au stade de l’interrogatoire et du contre-
interrogatoire que lors du nouvel interrogatoire. Vous vous souviendrez aisément à ce stade que
quatre critères étaient au cœur du rapport de M. Mangel : le premier concernait la nécessité
qu’aient été définis des objectifs précis et réalisables ainsi que, par extension, une hypothèse à
vérifier ; le deuxième critère concernait l’adoption de méthodes adéquates ; le troisième, la
question de l’examen par les pairs et le quatrième, la nécessité d’éviter tout effet nocif sur les
populations étudiées.
En réalité, je vais surtout m’intéresser au premier critère. En ce qui concerne le deuxième
35 critère (relatif aux méthodes utilisées), l’Australie estime que le contre-interrogatoire n’a pas
fondamentalement remis en question sa position et nous savons d’ailleurs gré à la Cour et aux juges
pour leurs questions sur tous ces aspects.
Le troisième critère (l’examen par les pairs) n’a pas non plus, lors du contre-interrogatoire,
suscité de questions sur lesquelles il me faudrait m’arrêter d’une façon ou d’une autre cet
après-midi, notre position n’ayant apparemment pas été remise en question. Le quatrième critère
ne semble pas vraiment revêtir beaucoup d’importance à ce stade de l’affaire. Le premier critère
est véritablement celui qui a suscité un grand nombre de questions de la part de la Cour et nous
souhaitons y revenir en exposant à présent certaines de nos observations.
Permettez-moi ainsi d’en revenir à la question que le juge Greenwood a reposée cet
après-midi et qui, je crois, telle que formulée ce matin, avait trait aux critères applicables à
l’époque où le programme JARPA II a été proposé en 2005. Nous pouvons répondre en indiquant
de manière relativement claire les critères qui étaient applicables à cette époque. Ceux-ci sont
compilés dans un document connu comme l’annexe Y, qui a été approuvé par le comité scientifique - 26 -
et dont vous trouverez une copie sous l’onglet n 11 de votre dossier. Ce document a été établi en
vue de recenser tous les critères qui étaient alors applicables. Ayant été établi par l’un des
membres du comité scientifique, nous ne pouvons garantir qu’il est parfaitement exact et correct à
tous égards mais, de manière générale, vous y trouverez les critères qui étaient appliqués ou, si
vous préférez, en vigueur en 2005.
Or, ce document — l’annexe Y — reprend deux résolutions de la commission qui sont
particulièrement importantes et sur lesquelles je souhaite appeler ici votre attention, afin que nous
puissions les réexaminer de manière un peu plus détaillée, en particulier la résolution 1995-9 qui
figure sous l’onglet n 9 de votre dossier et qui, je l’espère, apparaît maintenant sur vos écrans.
Il s’agit de la résolution qui, à l’époque où le programme JARPA II était proposé, fixait la
procédure à suivre ainsi que les conditions auxquelles le programme serait examiné. Vous
constaterez dans ce document — dont vous ne voyez en fait ici qu’un extrait ; le texte intégral
figure sous l’onglet n 9 de votre dossier ; il n’était pas lisible s’il était projeté en entier — que,
vers le milieu de sa résolution, la commission formule deux recommandations, la première étant
«que les recherches scientifiques visant à contribuer à l’évaluation exhaustive des populations de
36
baleines et à la mise en œuvre de la procédure de gestion revisée doivent être menées sans recourir
à des méthodes létales», ce qui, comme nous l’avons déjà dit, explique notamment pourquoi le
Japon est mécontent de la RMP.
Passons ensuite au paragraphe suivant, qui est extrêmement important :
«les recherches scientifiques impliquant la mise à mort de cétacés [seront] autorisées
uniquement dans des circonstances exceptionnelles, lorsque les questions posées
portent sur des points essentiels qui ne peuvent trouver de réponse par l’analyse des
données existantes et/ou des méthodes de recherche non létales».
Le comité scientifique est ensuite chargé de mener certaines activités — ce passage apparaît en
surbrillance à l’écran afin que vous puissiez le lire par vous-mêmes.
Je voudrais me concentrer avec vous sur le deuxième paragraphe dont je viens de vous
donner lecture car, si vous prenez ce paragraphe, vous constaterez qu’il donne essentiellement lieu
à cinq questions. Les «recherches scientifiques» étant mentionnées en premier, la première
question est : le projet de programme relève-t-il de la recherche scientifique ? La résolution
n’énonce pas de critères permettant de déterminer ce qui constitue de la «recherche scientifique», - 27 -
mais elle exige que le programme revête un tel caractère, et telle est la base des critères que nous
avons identifiés avec le concours de M. Mangel, compte tenu de l’ensemble des résolutions et de la
pratique de la CBI. Voilà donc la première étape. S’il ne s’agit pas de recherche scientifique, le
programme ne passe pas le premier obstacle.
Deuxièmement, le projet de programme répond-t-il à des «circonstances exceptionnelles» ?
Si tel n’est pas le cas (et là encore, ces «circonstances exceptionnelles» ne sont pas définies), le
programme ne peut pas aller plus loin.
Troisièmement, les questions que le programme de recherche scientifique vise à étudier
portent-elles sur des points essentiels ? Là encore, il est nécessaire de le démontrer. Les «points
essentiels» ne sont pas définis non plus ; la situation doit être évaluée et appréciée au cas par cas.
Quatrièmement, les questions posées peuvent-elles trouver une réponse par l’analyse des
données existantes ? En d’autres termes, à supposer que vous puissiez répondre aux trois premières
questions par l’affirmative, le quatrième obstacle à franchir concerne l’existence de données déjà
susceptibles d’analyse.
Enfin, cinquièmement, les questions posées peuvent-elles trouver une réponse par des
méthodes de recherche non létales ? Si la réponse est positive, le programme ne franchit pas le
dernier obstacle ; mais si elle est négative, il a le feu vert.
37 Tels sont les cinq critères énoncés dans la résolution 1995-9 qui étaient en vigueur à
l’époque où le programme JARPA a été proposé et, du point de vue de l’Australie, celui-ci ne
pouvait franchir ni le premier, ni le deuxième, ni le troisième, ni le quatrième, ni le cinquième
obstacle. Il s’agit donc d’un projet qui n’aurait jamais dû devenir réalité.
Nous sommes conscients et la Cour se souviendra d’un fait qui a été rappelé en réponse aux
questions des juges, à savoir que le programme JARPA a duré dix-huit ans. Ce programme a
ensuite été évalué par le comité scientifique et le programme JARPA II a été proposé
immédiatement après. C’est à ce moment-là que, selon nous, les cinq questions que je viens de
poser auraient dû être examinées à nouveau ; elles ne l’ont pas été et c’est là que le Japon s’est
fourvoyé ; c’est là qu’entre pour ainsi dire en jeu la demande de l’Australie concernant le
programme JARPA II, qui est au cœur des demandes présentées en l’espèce. - 28 -
Une autre résolution mériterait d’être examinée mais je m’en abstiendrai afin de ne pas vous
o
accaparer trop longtemps — il s’agit de la résolution 1999-2, sous l’onglet n 10. L’élément
os
essentiel est que, si vous lisez les documents figurant sous les onglets n 9, 10 et 11, vous aurez
une idée claire des dispositions qui étaient en vigueur à l’époque où le programme JARPA II a été
proposé.
J’en viens maintenant à un point découlant d’une question posée par la juge Donoghue
concernant les motivations. La juge Donoghue a en effet demandé à M. Mangel si un projet
pouvait être motivé par plusieurs considérations. M. Mangel n’est pas juriste mais scientifique, et
il a fourni une réponse scientifique à cette question. Il n’a pas entendu donner une interprétation
juridique de la convention. La position de l’Australie, ainsi qu’il a été précisé hier en rapport avec
cette question, a été exposée par M. Crawford au paragraphe 89 de sa plaidoirie d’hier. Je cite :
«interpréter et appliquer de bonne foi l’article VIII implique que tout permis spécial
autorisant des activités de chasse à la baleine «en vue de recherches scientifiques» soit
délivré en vue de cet objet et d’aucun autre. Autrement dit, pareilles activités doivent
être réellement motivées par la volonté de procéder à des recherches scientifiques,
lesquelles ne doivent pas servir simplement de façade.» (Les italiques sont dans
l’original.)
Il nous a semblé important d’appeler votre attention sur ce point car nous ne voulions pas qu’il
puisse exister la moindre confusion entre le point de vue d’un membre de la communauté
scientifique et la question de l’interprétation de la convention. Il s’agit de deux questions
distinctes.
38 Si vous le voulez bien, examinons maintenant un quatrième point qui a trait à la méthode
utilisée et à la question de la prise létale — vous avez déjà entendu un certain nombre de choses au
sujet des bouchons de cérumen. Nous avons remarqué que M. Lowe avait abordé la question, qui
est réapparue dans une partie des questions des juges Donoghue et Charlesworth. Or nous
craignons qu’une certaine confusion ait pu s’immiscer dans votre esprit s’agissant de la question
posée à M. Mangel.
Je tiens donc à revenir avec vous sur le premier rapport de M. Mangel afin d’éclaircir ce
point. Vous trouverez ce rapport sous l’onglet n 1 relatif aux témoins, et je vous invite à examiner
les paragraphes 5.28 à 5.30. Voici ce que M. Mangel indique dans son premier rapport, au sujet de
ce point précis : - 29 -
«Le Japon a cherché à justifier la prise létale comme moyen d’obtenir des
estimations d’âge pouvant à leur tour donner des informations sur le taux de mortalité
naturelle (obligatoire dans la NMP, mais pas dans la RMP). Or, comme cela a été
souligné dans l’évaluation finale du programme JARPA, cette démarche a échoué.»
(Paragraphe 5.28.)
Au paragraphe 5.29, M. Mangel ajoute :
«Cela s’explique par le fait que les données obtenues par des méthodes létales et
utilisées pour estimer l’âge des animaux posent des problèmes importants. Chez les
baleines, les bouchons de cérumen sont composés d’une alternance de bandes claires
et de bandes foncées. En principe, l’âge d’une baleine peut donc être déterminé en
comptant les bandes, comme on le fait avec les cernes des arbres».
Puis il cite diverses sources à l’appui de ce principe :
«Néanmoins, en raison des difficultés d’interprétation de ces couches de
croissance, ces dernières constituent des indicateurs d’âge moyennement fiables. En
outre, il existe en premier lieu des problèmes de lecture des bouchons de cérumen et
chez la plupart des animaux mis à mort, les bouchons de cérumen ne sont pas
exploitables (Lockyer 2010).»
Et M. Mangel de conclure, au paragraphe 5.30 :
«Comme décrit au paragraphe 4.14, un outil ne doit être utilisé qu’après
évaluation de sa capacité à atteindre les objectifs annoncés. Le Japon n’a mené
aucune évaluation de ce type. En ce qui concerne les bouchons de cérumen, une
évaluation a été réalisée près de vingt-cinq ans après le début des programmes JARPA
et JARPA II (Lockyer 2010) et a montré qu’ils ne permettaient pas de fournir
d’informations sur un lien éventuel entre l’âge et le taux de mortalité naturelle. Qu’il
existe ou non d’autres méthodes pour mesurer l’âge, l’approche retenue par le
programme JARPA a lamentablement échoué. Or, le programme JARPA II suit le
même chemin.»
Voilà donc une démonstration claire, et non réfutée, du fait que le programme ne permet pas
d’atteindre les objectifs annoncés. M. Gales a également examiné cette question dans ses deux
rapports — je vous renvoie aux paragraphes 3.46 à 3.48 de son premier rapport et aux
paragraphes 3.13 et 3.14 du second. Je me contenterai de vous lire la fin du paragraphe 3.13, qui
fait référence à l’évaluation du programme JARPA, dans laquelle il était conclu — je cite : «les
estimations de la mortalité naturelle fondées uniquement sur les données générées par JARPA
balaient un éventail tellement large que ce paramètre demeure en fait inconnu jusqu’à aujourd’hui».
39
De notre point de vue, la question des bouchons de cérumen ne mènera le Japon nulle part, à
supposer qu’il veuille en tirer quelque argument.
Revenons-en maintenant — et il s’agit là de mon cinquième point — à la question de savoir
si une hypothèse est réellement nécessaire en nous intéressant à certaines activités menées il y a des - 30 -
dizaines d’années, voire des siècles, le juge Keith ayant posé une question importante concernant
les travaux de Charles Darwin et le Beagle, dont nous lui savons gré ; vous avez entendu
M. Mangel répondre que, selon lui, Charles Darwin visait effectivement à vérifier des hypothèses.
La juge Donoghue a également posé une question concernant le projet de génome humain et
vous avez, je pense, entendu MM. Mangel et Gales répondre prudemment qu’ils n’étaient ni l’un ni
l’autre généticien. Cette question revêt évidemment de l’importance. Un débat intéressant pourrait
s’ouvrir sur le point de savoir si le projet de génome humain doit être considéré comme un
programme relevant de la science, de la technologie ou de l’ingénierie, et il y aurait largement
matière à débat.
Mais le fait est simplement que, quelle que soit sa qualification, le projet de génome humain
est totalement différent de par sa nature, son étendue et sa durée, de celui qui nous occupe et qui
occupe la Cour aujourd’hui dans cette affaire. Je ne pense pas avoir le temps de m’étendre sur la
genèse du projet de génome humain ; si je devais vous recommander un ouvrage, ce serait
certainement La double hélice de James Watson, qui retrace la période extraordinaire du début des
années 1950 lors de laquelle des groupes concurrents, appartenant à différents instituts de recherche
et universités, se lancèrent dans une course pour décoder le secret de la vie humaine et en
comprendre la nature ; ce que renferme l’ADN et que nous connaissons aujourd’hui. Aux fins de
leurs travaux en la matière, Crick et Watson — et j’ai eu l’immense privilège, lorsque j’étais un
très jeune étudiant en 1984, de rencontrer Francis Crick, qui enseignait à l’époque au Salk Institute
de La Jolla — avaient réalisé un travail monumental en vérifiant une pléthore d’hypothèses
différentes.
Depuis cette période ont été rédigés des dizaines si ce n’est des centaines de milliers
d’articles revus par les pairs dans lesquels étaient vérifiées différentes hypothèses liées aux secrets
décodés par Crick et Watson, Rosalind Franklin et tous les confrères ayant participé à leurs
travaux.
Le projet de génome humain ne représente qu’une étape supplémentaire de ce processus. Il
est fondé en lui-même sur la nécessité de vérifier des hypothèses quant aux diverses fonctions de
40 l’ADN. Nous répondrons de manière plus détaillée à cette question en temps voulu. A ce stade de
la procédure, nous voulions uniquement mettre cet auditoire en garde contre toute analogie entre - 31 -
les activités auxquelles le Japon se livre sur les baleines dans le cadre du programme JARPA II et
les travaux réalisés en leur temps par Francis Crick, James Watson, Rosalind Franklin et d’autres
concernant la découverte de la double hélice.
7. Mon sixième point, qui sera aussi le dernier, est simplement lié à une question qui a été
posée à M. Gales au sujet de l’évolution des techniques de substitution. En répondant à cette
question, M. Gales a, si je ne m’abuse, confirmé que les techniques évoluaient, bien entendu, elles
évoluent toujours, mais le fait est simplement — et il n’a pas répondu à cette question, qui est
traitée dans son premier et son deuxième rapport — que les techniques actuelles peuvent être
utilisées, comme vous avez pu le constater sur l’image montrant une tentative de marquage d’un
petit rorqual. Les techniques existent, elles sont utilisées aujourd’hui et, comme M. Gales l’a
indiqué, elles continueront sans aucun doute à évoluer.
8. Telles sont les brèves observations que l’Australie avait à formuler dans le cadre de cette
journée consacrée à la science et je vous prie à présent, Monsieur le président, de bien vouloir
appeler à la barre M. Crawford pour qu’il conclue la présentation de ce jour.
Le PRESIDENT : Je vous remercie Monsieur Sands, pour votre synthèse des éléments de
preuve scientifiques et pour votre analyse en la matière. J’appelle maintenant M. Crawford à la
barre. Monsieur Crawford, vous avez la parole.
M. CRAWFORD :
LE PROGRAMME JARPA II CONSTITUE UNE VIOLATION DU MORATOIRE ET DU SANCTUAIRE
DE L ’OCÉAN A USTRAL ,ET N ’ENTRE PAS DANS LE CHAMP DE L EXCEPTION
PRÉVUE À L ’ARTICLE VIII
Introduction
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, la journée a été longue et plutôt
chargée. Je me propose donc, s’il vous le permettez, de ne pas aller au bout de mon exposé cet
après-midi. Nous aurons assez de temps demain. Si vous le voulez bien, je vous indiquerai,
Monsieur le président, le moment qui me semblera approprié pour nous arrêter. Il sera encore tôt,
mais je pense que nous avons tous bien travaillé. - 32 -
Le PRESIDENT : Entendu, je vous remercie.
41 M. CRAWFORD : Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le programme
JARPA II a, de toute évidence, un objet autre que la recherche scientifique. Son but principal, sa
raison d’être, est objectivement je ne parle pas de l’intention subjective de certains scientifiques,
mais de la raison même du programme de faire en sorte que la chasse à la baleine se poursuive
pour une durée indéterminée, et ce, en dépit du moratoire. Les véritables raisons de ce programme
ressortent clairement de la façon dont il est conçu ainsi que de sa mise en œuvre : JARPA II vise la
chasse «à des fins commerciales» ou la chasse connexe, autrement dit, la «chasse commerciale» au
sens de la convention. Par conséquent, ce programme contrevient à la fois au moratoire, au
sanctuaire et à l’interdiction de l’usage des usines flottantes.
2. J’expliciterai ces assertions en trois étapes.
Premièrement, je montrerai que JARPA II n’est pas un programme «en vue de recherches
scientifiques» au sens de l’article VIII. En effet, il ne satisfait ni à «la condition du caractère
scientifique des recherches» ni à celle «de l’exclusivité du but» qu’impose cet article.
Deuxièmement, je démontrerai que le programme JARPA II a, purement et simplement, trait à
la pêche commerciale.
Troisièmement, j’établirai les violations de la convention par le Japon qui en résultent.
1. JARPA II n’est pas un programme scientifique
3. Premièrement, donc, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, JARPA II
n’est pas un programme scientifique pouvant être justifié par l’article VIII. Tout programme en
vue de recherches scientifiques doit en effet réunir les quatre caractéristiques essentielles que nous
avons recensées. Celles-ci sont l’expression de la pratique scientifique moderne et de la pratique
de la CBI, telle que reflétée dans les lignes directrices, y compris celles qui étaient en vigueur
lorsque JARPA II a été lancé. Or, ce programme ne satisfait à aucun de ces critères.
4. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, l’exposé qui va suivre
constitue, dans une certaine mesure, un résumé de ce que mes collègues et les témoins ont déjà - 33 -
démontré ; il synthétise notre argumentation concernant la question de la violation, et sa brièveté
sur certains points ne doit pas donner à penser que ceux-ci sont sans importance.
a) Les méthodes du Japon dans le cadre du programme JARPA II n’obéissent pas à des
considérations scientifiques
5. Tout d’abord, les méthodes du Japon dans le cadre du programme JARPA II n’obéissent
pas à des considérations scientifiques. A cet égard, je développerai cinq points.
42 i) Des limites de capture arbitraires
6. Le premier point est le caractère arbitraire des limites de capture. Les limites de capture
proposées ne reposent en effet sur aucune base scientifique. Des considérations politiques ont
conduit le Japon à réduire ces limites dans le cadre de JARPA . Cependant, lorsqu’il a fixé les
tailles d’échantillons au titre de JARPA II, il a plus que doublé celle des petits rorquals, allant
jusqu’à 850, avec une tolérance de 10 %, comme une sorte de pourboire. Dans le plan de recherche
du programme JARPA II, le Japon a également avancé qu’un échantillon de 50 petits rorquals et
2
autant de baleines à bosses était nécessaire pour atteindre ses objectifs de recherche .
7. Ainsi que cela ressort des éléments de preuve, il est impossible de savoir sur quelle base
3
statistique a été calculé le nombre de prises létales dans le cadre de JARPA II ; sur ce point,
j’attends d’ailleurs avec impatience les explications que nous fournira le Japon la semaine
prochaine. Selon nous, la raison en est évidente : c’est tout simplement parce que les tailles
d’échantillons au titre du programme JARPA II n’ont pas été déterminées au moyen d’une
1 MA, annexe 156, Gouvernement du Japon, «Programme de recherche sur le petit rorqual de l’hémisphère sud et
étude préliminaire sur l’écosystème marin de l’Antarctique», 1987, SC/39/04 (proposition de permis pour le programme
JARPA de 1987) ; MA, annexe 127, «le premier ministre a demandé au directeur général de l’agence des pêcheries de
pratiquer une chasse à la baleine à des fins scientifiques qui ne suscitera pas de critiques», Asahi Shimbun, 26 avril 1987
(édition du matin), p. 2 ; Gouvernement japonais, «Plan de recherche pour l’étude de faisabilité du «programme de
recherche sur le petit rorqual de l’hémisphère sud et étude préliminaire sur l’écosystème marin de l’Antarctique», octobre
1987, SC/D87/1, p. 10.
2 MA, annexe 105, Gouvernement du Japon, «Planification de la deuxième phase du programme japonais de
recherche scientifique sur les baleines dans l’Antarctique au titre d’un permis spécial («JARPA II») Suivi de
l’écosystème de l’Antarctique et élaboration de nouveaux objectifs de gestion des ressources baleinières», 2005,
SC/57/01, p. 1, 17-19.
3 MA, appendice 2, Mangel, «Evaluation des programmes japonais de recherche scientifique sur les baleines dans
l’Antarctique au titre d’un permis spécial («JARPA, JARPA II») en tant que programmes menés à des fins de recherche
scientifique dans le cadre de la conservation et de la gestion des baleines (rapport d’expert initial), par. 5.38. - 34 -
quelconque méthode scientifique , mais par la nécessité de créer un programme qui puisse
s’autofinancer par une activité commerciale. La science se trouve ainsi subordonnée à la nécessité
d’approvisionner les restaurants japonais. Je vous laisse imaginer la scène, dans un restaurant de
Tokyo, le serveur s’adressant au chef en ces termes : «Et un supplément de recherche scientifique
pour la 6, un !»
8. Certaines déclarations faites par des ministres japonais le confirment. Ainsi, en 2010, le
o
ministre des pêches a indiqué (onglet n 95) : «nous n’avons à vrai dire pas besoin de 800 baleines.
Je veux dire que c’est plus que ce dont nous avons besoin ; un nombre équivalent, voire inférieur
5
suffirait pour nos recherches» .
9. Le Japon soutient que cette déclaration doit être replacée dans le contexte de l’année 2010,
c’est-à-dire celui des discussions sur l’avenir de la CBI, et de la nécessité de faire preuve de
43 «souplesse» dans ces négociations . Il n’en demeure pas moins que le sens de cette déclaration est
clair : le Japon n’a pas besoin de capturer 850 baleines pour mener ses prétendues recherches dans
l’océan Austral. Des prises moins importantes lui permettraient de réaliser ses objectifs, quels
qu’ils puissent être ; de fait, pour y parvenir, le Japon n’a pas besoin d’effectuer la moindre prise.
La déclaration précitée a été confirmé par le ministre de la pêche lors d’une conférence de presse
donnée au mois de mars 2012, soit bien après la fin des discussions sur l’avenir de la CBI. En
réponse à une question concernant l’objectif du programme JARPA II pour la saison 2011-2012, au
cours de laquelle la flotte avait effectué 267 prises, le ministre a tenu les propos suivants : «Eh
bien, je ne sais pas s’il faut appeler cela un objectif … disons que … le chiffre de référence, pour
ainsi dire, était de … il me semble qu’il était un peu plus élevé que cela … [N]ous avions — ou
plutôt j’avais — en tête un chiffre un peu plus élevé que le nombre de baleines qui ont été prises
4 Mangel, «Supplément à l’évaluation des programmes japonais de recherche scientifique sur les baleines dans
l’Antarctique au titre d’un permis spécial («JARPA, JARPA II») en tant que programmes menés à des fins de recherche
scientifique dans le cadre de la conservation et de la gestion des baleines (rapport d’expert complémentaire),
par. 3.11-3.22.
5
MA, annexe 107, Gouvernement du Japon, ministre de l’agriculture, des forêts et de la pêche (H. Akamatsu),
transcription d’une conférence de presse donnée le 9 mars 2010.
6
CMJ, par. 5.81. - 35 -
cette fois» (les italiques sont de nous). La science est donc réduite à «un chiffre en tête»
o
(onglet n 96).
10. Ces déclarations contredisent les arguments du Japon selon lesquels le chiffre de
850 petits rorquals a été scientifiquement calculé comme étant le minimum pour atteindre les
objectifs «de recherche». Ils contredisent l’affirmation selon laquelle les méthodes de recherche au
titre du programme JARPA II sont limitées à ce qui est «nécessaire d’un point de vue
8
scientifique» .
ii) Les captures effectives sont dictées par des considérations d’ordre commercial
11. Le second point est que les prises effectives au titre du programme JARPA II sont dictées
par des considérations d’ordre commercial. Les prises annuelles effectives du Japon ont, le plus
souvent, été nettement inférieures aux objectifs qui avaient été annoncés, et elles ont été dictées par
des considérations commerciales. Cela ressort du graphique qui apparaît à l’écran (onglet n 87) o
[Projection.] En effet, le nombre de petits rorquals capturés au titre du programme JARPA II a été
bien inférieur au maximum annuel annoncé, qui est de 935. Sur huit saisons, les captures se sont
en moyenne élevées à moins de la moitié : 454, pour être précis. Le Japon devra nous expliquer
quelle incidence cela a sur ses résultats «de recherche». En effet, si 267 petits rorquals suffisent à
atteindre ces résultats, pourquoi en annoncer 850 dans le permis ? Le chiffre indiqué dans le
permis n’a pas changé. Celui-ci n’est qu’un simple document administratif, dans lequel ne sont pas
prises en compte les nécessités annuelles. Il n’a aucun rapport avec ce qui se produit effectivement
chaque année. [Fin de projection.]
44 12. Dans son contre-mémoire, le Japon tente d’esquiver cette question au motif que
l’incidence de ces captures moins importantes sur le «résultat» de sa recherche serait en cours
9
d’évaluation . Mais cela revient à dire que, après huit saisons de JARPA II — et 3651 baleines
mortes plus tard —, le Japon n’a toujours aucune réponse mais poursuit néanmoins ses activités de
chasse à la baleine. C’est au cours de la saison 2012-2013 dans l’océan Austral qu’il a enregistré le
7Conférence donnée le 9 mars 2012 (8 h 32-8 h 46) par Michihiko Kano, ministre de l’agriculture, des forêts et
de la pêche.
8CMJ, par. 5.141.
9
CMJ, par. 5.73 et 5.80. - 36 -
nombre de prises le plus bas : seulement 103 petits rorquals. Un porte-parole de l’institut de
recherche sur les cétacés a concédé qu’il n’était pas en mesure d’en évaluer les conséquences,
indiquant que cela avait «manifestement» eu un impact négatif «du point de vue de la recherche
10
comme du point de vue pécuniaire» . Or, cette incidence négative en matière de recherche n’a
jamais été explicitée ; elle est tout à fait hypothétique ; et elle n’est nullement reflétée dans le
permis spécial.
iii) Le traitement des baleines à bosse et des rorquals communs
13. Le troisième point concerne le traitement des baleines à bosse et des rorquals communs.
Bien qu’il affirme dans son programme de recherche JARPA II qu’il est nécessaire de tuer
50 baleines à bosse pour atteindre ses objectifs de recherche, et bien qu’il continue de délivrer
chaque année des permis spéciaux pour 50 baleines à bosse, le Japon n’en a pas tué une seule dans
le cadre du programme JARPA II. Le fait qu’elles soient incluses dans ce programme et qu’elles
continuent, année après année, de figurer dans les permis spéciaux, démontre à quel point la
«recherche» est mal conçue et dépourvue de tout caractère scientifique. Finalement, les baleines à
bosse ne sont pas nécessaires mais elles continuent pourtant d’être incluses dans les permis
spéciaux !
14. En ce qui concerne la troisième espèce mentionnée dans le programme de recherche, le
Japon a tué 18 rorquals communs en huit ans, soit un vingtième de la taille d’échantillon minimale
qu’il prétend avoir «établie scientifiquement» pour cette période.
15. En bref, l’écart est important entre le nombre d’animaux effectivement tués par le Japon
dans le cadre de son programme JARPA II et les tailles d’échantillons dont il a indiqué qu’elles
étaient «scientifiquement nécessaires» pour atteindre ses objectifs de recherche, et qui se traduisent
chaque année par la délivrance de permis spéciaux. Le Japon ne tente même pas d’avancer que le
45 nombre réduit de prises qu’il effectue ainsi dans le cadre du programme JARPA II serait dicté par
10
Gavin Carter, porte-parole de l’institut de recherche sur les cétacés, cite dans D. Kirby, «Sea Shepherd’s Win is
Japan’s Loss: Whalers have Worst Season Ever», TakePart, 8 avril 2013,site Internet de TakePart,
http://www.takepart.com/article/2013/04/07/whaling-season-worst-ever-Se…, le 5 juin 2013. - 37 -
des considérations scientifiques. Au lieu de cela, il explique que ces réductions sont dues à des
«raisons logistiques» et à de «violentes activités de sabotage» . 11
16. En ce qui concerne le rorqual commun, il y a effectivement une difficulté d’ordre
logistique. Le navire usine ne peut pas capturer des rorquals communs de plus de 18 mètres . Or, 12
13
dans l’hémisphère sud, la taille moyenne des rorquals communs est de 25 mètres . La femelle de
l’espèce est d’ailleurs légèrement plus dangereuse que le mâle et mesure en moyenne un mètre de
plus. Cela constitue un sérieux obstacle à la capacité d’effectuer des recherches sur les rorquals
communs. C’est un peu comme si on effectuait des recherches sur les girafes dans un abri de
deux mètres de haut ; un tel programme porterait à conclure que les girafes sont adaptées pour
s’alimenter sur des arbustes. Capturer un échantillon non représentatif de rorquals communs en
raison des limites du navire usine faussera immanquablement les résultats de la recherche, et cela
décrédibilise toute allégation selon laquelle, dans l’océan Austral, les rorquals communs sont tués
en vue de recherches scientifiques.
iv) Le postulat de départ en faveur des prises létales
17. Mon quatrième point concerne le postulat de départ du Japon en faveur des prises létales.
Il est en effet un principe admis de la pratique scientifique que les méthodes létales ne devraient
être utilisées que s’il n’existe aucune méthode non létale permettant d’atteindre les objectifs de la
recherche en question. Ce n’est ni une question de sensibilité, ni de coutume, ni de dégoût à la vue
du sang, même si c’est là une des raisons pour lesquelles je ne suis pas chercheur. Si tel est le cas,
c’est pour la raison exposée par M. Mangel dans la réponse à la question posée par le juge Owada :
d’un point de vue scientifique, on n’intervient que si cela est nécessaire. Si l’on peut atteindre le
résultat recherché en ayant moins recours à des méthodes létales, cela permet de préserver, dans
cette mesure, la biosphère des effets de l’activité en cause. On y gagne en connaissance du
système, tout en conservant la possibilité d’obtenir d’autres informations. Et pourtant, le postulat
qui est au cœur du programme JARPA II est qu’il est nécessaire de tuer des baleines. Le
11CMJ, par. 5.73 et 5.80.
12S. Nishiwaki et al., Cruise Report of the Second Phase of the Japanese Whale Research Program under
Special Permit in the Antarctic (JARPA II) in 2008/2009, SC/61/03, p. 4.
13
MA, appendice 1, de la Mare et al., Populations de baleines à fanons de l’Antarctique, par. 4.1. - 38 -
programme a été entièrement conçu sur cette base, en contradiction totale avec le principe que je
viens d’énoncer. Dans le programme JARPA II, on présume d’avance que les méthodes non létales
14
ne sont pas valables .
46 18. Tout le processus scientifique consiste à définir des objectifs appropriés, puis à
déterminer les méthodes qui permettront au mieux d’atteindre ces objectifs. Le Japon, quant à lui,
a commencé par poser une méthode consistant à tuer des baleines, un grand nombre de baleines,
puis il a rétrospectivement défini de vagues objectifs de recherche pour tenter de justifier l’emploi
de ces méthodes . Malgré tous les enseignements qui auraient dû être tirés des 6770 baleines tuées
dans le cadre du programme JARPA, le programme JARPA II est tout à fait identique, à ceci près
qu’il y est prévu de tuer encore plus de baleines. Le Japon a négligé la conception de méthodes
non létales largement disponibles qui auraient pu être utilisées pour obtenir les données
recueillies dans le cadre du programme JARPA II, notamment les nouvelles technologies de
marquage, méthodes de prélèvement par biopsie et techniques photographiques . M. Gales vous
en a déjà parlé.
v) Le programme JARPA II ne produit pas de résultats scientifiques
19. La cinquième raison est la suivante : le programme JARPA II ne produit pas de résultats
scientifiques. Ce point a été traité dans les éléments de preuve ainsi que par M. Sands, si bien que
je n’ai pas besoin d’en dire beaucoup plus.
20. Un programme en vue de recherches scientifiques doit aller bien au-delà de la simple
collecte de données ; celle-ci ne constitue pas à elle seule une activité scientifique , pas plus que le
fait de ramasser des pierres. L’entreprise scientifique peut commencer par une question générale,
mais une hypothèse vérifiable constituant une éventuelle réponse à cette question doit rapidement
être définie. Nous nous posons tous des questions, mais nous ne sommes pas pour autant tous
chercheurs. La méthode scientifique consiste à rendre concret le questionnement sur le monde en
établissant ce qui pourrait être vérifié pour confirmer ou infirmer la proposition en question. Le
14
Mangel, opinion d’expert complémentaire, par. 5.1-5.2.
15Mangel, opinion d’expert initiale, par. 6.2, 6.5 (MA, appendice 2).
16Mangel, opinion d’expert complémentaire, par. 5.3-5.14.
17
Mangel, opinion d’expert initiale, par. 6.1. - 39 -
projet doit être défini correctement pour répondre à la question posée, et la réponse doit pouvoir
être apportée à l’aide des techniques disponibles.
21. Pendant dix-huit ans, et malgré l’adoption de la RMP qui repose entièrement sur des
données pouvant être recueillies par des méthodes non létales, et qui a été expressément conçue
pour qu’il ne soit plus besoin de recourir aux paramètres biologiques que le Japon soutient avoir
recherchés, le programme JARPA a été maintenu. Il l’a été malgré la présentation, par le comité
scientifique, d’éléments de preuve démontrant clairement que le principal objectif de ce
programme ne pouvait être atteint par les méthodes choisies, et sans qu’il soit tenu compte des
47 nombreuses résolutions de la CBI enjoignant au Japon de revoir le programme JARPA ou d’utiliser
19
des méthodes non létales . En 2007, la commission a relevé qu’aucun des objectifs de ce
programme n’avait été atteint et que ledit programme n’était pas nécessaire à la gestion effectuée
20
dans le cadre de la RMP . Pourtant, le Japon continue, dans le cadre du programme JARPA II, de
collecter exactement les mêmes données que celles qui, pendant dix-huit ans, n’ont produit aucun
résultat dans le cadre du programme précédent et, apparemment, il entend continuer ainsi
18 W. de la Mare, «On the Simultaneous Estimation of Natural Mortality Rate and Population Trend from
Catch-at-Age Data», Rep. int. Whal. Commn, 1989, vol. 39, p. 355-362 ; W. de la Mare, «A Further Note on the
Simultaneous Estimation of Natural Mortality Rate and Population Trend from Catch-at-Age Data», Rep. int. Whal.
Commn, 1990, vol. 40, p. 489-92.
19
e Résolution sur la proposition de permis spéciaux du Japon, appendice 4, rapport du président sur les travaux de
la 39 réunion annuelle de la CBI, Rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1988, vol. 38, p. 29 (MA,
annexe 10) ; résolution sur la proposition du Japon de capturer des baleines dans l’hémisphère sud au titre d’un permis
spécial, appendice 3, rapport du président sur les travaux de la 41 réunion annuelle de la CBI, Rapport annuel de la
commission baleinière internationale, 1990, vol. 40, p. 36 (MA, annexe 16) ; résolution sur les captures effectuées par le
Japen dans l’hémisphère sud au titre d’un permis spécial, appendice 2, rapport du président sur les travaux de la
42 réunion annuelle de la CBI, Rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1991, vol. 41, p. 47-48 (MA,
annexe 18) ; résolution sur les captures effectuées par le Japon dans l’hémisphère sud au titre d’un permis spécial,
appendice 2, rapport du président sur les travaux de la 43 réunion annuelle de la CBI, Rapport annuel de la commission
baleinière internationale, 1992, vol. 42, p. 46 (MA, annexe 19) ; résolution sur les captures effectuées par le Japon dans
l’hémisphère sud au titre d’un permis spécial, appendice 5, rapport du président sur les travaux de la 44 réunion annuelle
de la CBI, Rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1993, vol. 43, p. 71 ; résolution sur les captures
effectuées par leeJapon dans l’hémisphère sud au titre d’un permis spécial, appendice 7, rapport du président sur les
travaux de la 45 réunion annuelle de la CBI, Rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1994, vol. 44,
p. 33 (MA, annexe 21) ; résolution sur les captures effectuées par le Japon dans l’hémisphère sud au titre d’un permis
spécial, résolution 1994-10, appendice 15, rapport du président sur les travaux de la 46 réunion annuelle de la CBI,
Rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1995, vol. 45, p. 47 (MA, annexe 25); résolution sur les
captures effectuées par le Japon au titre d’un permis spécial, résolution 1996-7, appendice 7, rapport du président sur les
travaux de la 48 réunion annuelle de la CBI, Rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1997, vol. 47,
p. 51-52 (MA, annexe 28) ; résolution sur les captures effectuées par le Japon dans l’océan Austral au titre d’un permis
spécial, résolution 1997-5, appendice 5, rapport du président sur les travaux de la 49 réunion annuelle de la CBI, Rapport
annuel de la commission baleinière internationale, 1998, vol. 48, p. 47 (MA, annexe 29) ; résolution sur la chasse à la
baleine au titre d’un permis spécial, résolution 1998-4, appendice 4, rapport du président sur les travaux de la 50 réunion
annuelle de la CBI, Rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1998, p. 43 (MA, annexe 31).
20Résolution sur le programme JARPA, résolution 2007-1, annexe E, rapport du président sur les travaux de la
e
59 réunion annuelle de la CBI, Rapport annuel de la commission baleinière internationale, 2007, p. 90
(résolution 2007-1) (MA, annexe 41). - 40 -
indéfiniment. Lorsque le Japon a présenté sa proposition relative au programme JARPA II,
en 2005, la CBI l’a formellement prié de retirer cette proposition ou de la revoir en vue d’utiliser
21
des méthodes non létales . En 2007, la CBI, après avoir consigné son avis selon lequel les
objectifs du programme JARPA II ne répondaient pas à des besoins de recherche d’une importance
capitale, a de nouveau appelé le Japon, pour la seconde fois, à suspendre indéfiniment le recours
aux méthodes létales prévu dans ce programme . 22
22. Après vingt-cinq années, ni le programme JARPA ni le programme JARPA II n’ont
permis d’améliorer les connaissances scientifiques en matière de conservation et de gestion des
23
peuplements baleiniers dans l’océan Austral , et le Japon ne prétend pas qu’ils aient apporté quoi
que ce soit d’autre, comme par exemple permis de mettre au point un traitement contre le rhume.
Les publications dans le cadre du programme JARPA sont, en règle générale, sans pertinence au
regard des objectifs annoncés du programme . Dans son contre-mémoire, le Japon ne cite que
deux publications ayant fait l’objet d’une évaluation par des pairs produites dans le cadre du
programme JARPA II depuis son lancement en 2006 ; or, aucune n’est pertinente en matière de
conservation et de gestion des baleines ou au regard des objectifs affichés du programme . Sur les25
quinze articles qui s’appuient sur des données issues du programme JARPA, et qui ont été publiés
48 entre 2010 et 2012, la plupart sont de courts articles rédigés en japonais dont la contribution est
pour le moins limitée ; quant aux trois articles publiés en anglais, ils auraient pu être rédigés en
utilisant des données intégralement obtenues par des techniques non létales . 26
vi) Résumé
23. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, en résumé, le programme
JARPA II n’est pas un programme scientifique, c’est une parodie de science. Les éléments de
preuve montrent qu’il n’est pas conçu sur la base de considérations scientifiques, pour atteindre des
21
Résolution 2005-1 (MA, annexe 40).
22Résolution 2005-1 (MA, annexe 40) ; résolution 2007-1 (MA, annexe 41).
23Exposé de Nick Gales, par. 5.9.
24
Mangel, opinion d’expert complémentaire, par. 7.2.
25
Mangel, opinion d’expert complémentaire, par. 3.35.
26Mangel, opinion d’expert complémentaire, par. 3.36-3.39. - 41 -
objectifs scientifiques, et en ayant recours à des méthodes scientifiques. Il est conçu pour
permettre au Japon de poursuivre ses activités de chasse à la baleine, envers et contre tout.
b) Le programme JARPA II n’est pas mené «en vue de recherches scientifiques»
24. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, cela m’amène à la question du
véritable objectif poursuivi par le Japon dans le cadre du programme JARPA II et, partant, à la
deuxième condition énoncée à l’article VIII, à savoir que les Etats contractants ne peuvent accorder
de permis spéciaux qu’«en vue de recherches scientifiques», et dans aucun autre but.
25. (Onglet n 19) [Projection]. Avant d’en venir à ces observations, je commencerai par
dire quelques mots de la multiplicité des motifs. Il est entendu que nous agissons tous, dans
presque tout ce que nous entreprenons, pour plusieurs motifs. Mais, d’un point de vue juridique, la
question n’est pas là. La question est de savoir si l’on peut dire que le programme JARPA II est
mené en vue de recherches scientifiques. C’est une question objective, celle de savoir si le
programme JARPA II peut être justifié ou expliqué par le fait qu’il s’agit d’un programme
scientifique. Selon nous, la réponse est assurément non, et ce, quel que soit ce que les différents
chercheurs pensent être en train de faire. On ne saurait pas justifier le programme JARPA II en
soutenant qu’il a été conçu et mis en œuvre comme un programme scientifique. Nombreux sont les
éléments qui l’indiquent. Pendant les trente années qui ont précédé le moratoire, le Japon a ainsi
27
autorisé l’abattage d’environ huit-cent-quarante baleines au titre de l’article VIII . Vous pouvez le
voir sous l’onglet n 19. Ce chiffre est inférieur à l’objectif de capture annuel de petits rorquals
fixé par le Japon dans le cadre du programme JARPA II. Entre 1979 et le début du programme
49
JARPA, en 1987, le Japon n’a mené aucune activité de chasse à la baleine au titre d’un permis
spécial, ce que vous indique également le graphique qui apparaît à l’écran.
26. Le fait que le Japon ait lancé ses opérations de chasse à la baleine au titre d’un permis
spécial à grande échelle dans l’océan Austral au mois de janvier 1988 est conforme à son véritable
objectif, qui consiste à poursuivre, dans une certaine mesure, la chasse commerciale, en dépit du
moratoire. La chasse à des fins scientifiques a en effet été le prétexte que le Japon a trouvé pour
27
Résolution sur le programme JARPA II, résolution 2005-1, annexe C, rapport du président sur les travaux de la
57 réunion annuelle de la CBI, Rapport annuel de la commission baleinière internationale, 2005, p. 1 (résolution 2005-1)
(MA, annexe 40). - 42 -
continuer de chasser des baleines et, ainsi, pouvoir à la fois contourner le moratoire et éviter la
menace de sanctions des Etats-Unis sur son industrie de la pêche. [Fin de projection.]
i) Le Japon a commencé à mettre en œuvre le programme JARPA aussitôt après
l’entrée en vigueur du moratoire
27. C’est ce qui ressort d’un bref examen du déroulement des événements. Le Japon a élevé
28 er 29
des objections au moratoire en novembre 1982 , mais les a retirées le 1 juillet 1986 . Ce retrait
faisait suite aux pressions exercées par les Etats-Unis, qui étaient soucieux de faire appliquer le
moratoire . Les Etats-Unis avaient bien précisé que, si le Japon continuait à pratiquer la chasse
commerciale, ils certifieraient que ces activités «réduisaient l’efficacité» de la convention de 1946,
avec les conséquences négatives que cela aurait sur le quota de pêche alloué au Japon dans la ZEE
des Etats-Unis et sur les exportations japonaises de produits de la pêche aux Etats-Unis . Pareille 32
menace constituait, selon les termes employés par le directeur-général de l’agence japonaise des
33
pêcheries, un «problème majeur» .
28. Par un échange de lettres, le Japon a conclu un accord avec les Etats-Unis en
novembre 1984. Il a accepté de retirer son objection au moratoire si les Etats-Unis consentaient à
34
50 ne pas délivrer d’attestation au sujet de ses activités de chasse à la baleine . Il a retiré son
28 o
Communication circulaire de la CBI n RG/EE/4613 datée du 5 novembre 1982 et intitulée «Modifications du
règlement annexé à la convention de 1946 adoptées à la trente-quatrième réunion annuelle de la CBI et objection
formulée par le Gouvernement japonais» (MA, annexe 53).
29 IWC Circular Communication RG/VJH/16129, «Withdrawal of Objection to Schedule Paragraph 10 (e) by
Japan», enclosing Note from the Ambassador of Japan to the United Kingdom to the Secretary of the International
Whaling Commission, 1 July 1986 (MA, annexe 54).
30 Dans une intervention devant la chambre des représentants des Etats-Unis, le commissaire des Etats-Unis
auprès de la CBI, M. Byrne, a confirmé que son pays avait l’intention de faire appliquer le moratoire : «Government of
the United States, Subcommittee on Human Rights and International Organizations of the Committee on Foreign Affairs,
United States House of Representatives», Review of the 34th International Whaling Commission Meeting,
(16 September 1982), p. 28 (MA, annexe 73). Voir également CMJ, par. 3.47.
31
Government of the United States, 1979 Packwood-Magnuson Amendment to the Fishery Conservation and
Management Act of 1976, 16 USC § 1821 (MA, annexe 72).
32
Government of the United States, 1971 Pelly Amendment to the Fisherman’s Protective Act of 1967, 22 USC §
1978 (MA, annexe 71).
33
Gouvernement jaoonais, Débats devant la Diète, chambre des représentants, commission de l’agriculture, des
forêts et de la pêche, n 24, 4 août 1982, intervenant : 110/277 (Kichirō Tazawa, ministre de l’agriculture, de la
sylviculture et de la pêche) (MA, annexe 89).
34
Accord entre les Etats-Unis d’Amérique et le Japon concernant la chasse commerciale au cachalot dans le stock
de la division occidentale du Pacifique Nord (avec compte rendu de négociations), (contenu dans la lettre du
13 novembre 1984, adressée à M. Malcolm Baldrige, ministre du commerce des Etats-Unis, par M. Yasushi Murazumi,
chargé d’affaires par intérim du Japon, et dans la lettre datée du même jour, adressée à M. Yasushi Murazumi par
M. Malcolm Baldrige), Nations-Unies, Recueil des traités, vol. 2039, p. 35266 (Washington D.C., 13 novembre 1984)
(MA, annexe 63). - 43 -
er
objection au moratoire le 1 juillet 1986. Et ce n’est pas un hasard s’il a attendu, pour ce faire, que
la Cour suprême des Etats-Unis rende un arrêt confirmant la décision du président de ne pas
35
délivrer d’attestation au sujet des activités de chasse menées par le Japon . Le Japon a retiré son
objection le lendemain.
29. En application de l’échange de lettres, le Japon n’avait plus la possibilité de pratiquer la
chasse commerciale. Il était contraint d’envisager d’autres moyens de poursuivre ses opérations de
chasse. Ces moyens ont été déterminés par le groupe d’étude sur les questions relatives à la chasse
à la baleine, qui a rendu son rapport en juillet 1984. L’extrait pertinent de ce document est
reproduit sous l’onglet n 97 de notre dossier de plaidoiries. Le groupe d’étude a recommandé
d’adopter la «stratégie» suivante pour permettre au Japon de poursuivre ses activités de chasse à la
baleine dans l’océan Austral : «nous devrions chercher l’accord des pays concernés afin qu’ils
soutiennent les activités de chasse à la baleine menées par le Japon à des fins scientifiques …» . Il 36
a relevé qu’«il sera[it] nécessaire de soutenir (j’ai bien dit soutenir) que ces activités de recherche
contribuer[aient] à une meilleure compréhension des écosystèmes marins dans l’océan Austral,
pour le plus grand bénéfice de l’humanité» . 37
30. Le Japon a expressément établi un lien entre cette recommandation commencer à
pratiquer la chasse «à des fins scientifiques» dans l’océan Austral et la détermination du
gouvernement à préserver son industrie baleinière et à poursuivre la chasse, en dépit du
moratoire .38
er
31. Le 1 août 1984, le responsable du département des pêcheries océaniques de l’agence
japonaise des pêcheries a fait la déclaration suivante : «Nous avons l’intention d’utiliser [l]e rapport
[du groupe d’étude] comme document de référence et de faire tout notre possible … pour garantir
35
Japan Whaling Association and Japan Fisheries Association, Petitioners, v. American Cetacean Society et al.,
Petitioners. Malcom Baldrige, Secretary of Commerce, et al., Petitioners v. American Cetacean Society et al., 478 U.S.
221, 106 S.Ct. 2860 (1986).
36
Groupe d’étude sur les questions relatives à la chasse à la baleine : rapport sur les orientations futures à retenir
pour la chasse à la baleine pratiquée par le Japon (juillet 1984), in New Policy Monthly (août 1984), p. 108, par. 5 i) (MA,
annexe 98).
37
Rapport du groupe d’étude sur les questions relatives à la chasse à la baleine, par. 5 i) (MA, annexe 98).
38
Gouvernemeno japonais, Débats devant la Diète, chambre des représentants, commission de l’agriculture, des
forêts et de la pêche, n 27, 2 août 1984, intervenant : 211/342 (Hiroya Sano, directeur général de l’agence des pêcheries)
(MA, annexe 92) ; Gouvernement japonais, Dobats devant la Diète, chambre des représentants, commission de
l’agriculture, des forêts et de la pêche, n 28, 7 août 1984, intervenant : 138/377 (Shinjirō Yamamura, ministre de
l’agriculture, de la sylviculture et de la pêche), intervenant : 134/377, 121/377 et 130/377 (Hiroya Sano, directeur général
de l’agence japonaise des pêcheries) (MA, annexe 93). - 44 -
51 la poursuite de nos activités de chasse à la baleine sous une forme ou sous une autre, tant dans
39
l’Antarctique que dans les zones côtières.» (Les italiques sont de nous.) Les dirigeants japonais
ont confirmé devant la diète que le fait de présenter les opérations de chasse à la baleine menées
par le Japon dans l’océan Austral comme une activité axée sur la recherche scientifique était «la
40
voie permettant de garantir la poursuite de la chasse» , et le moyen de «maintenir en vie l’industrie
41
baleinière japonaise dans ces circonstances très difficiles» . «Maintenir en vie l’industrie
baleinière japonaise»… Ces déclarations sont reproduites sous les onglets n 98 à 100 de vos os
dossiers.
32. Le fait est que la chasse à la baleine «à des fins scientifiques» pratiquée à grande échelle
dans l’océan Austral a débuté aussitôt après l’entrée en vigueur du moratoire pour le Japon. Depuis
lors, les ministres et dirigeants japonais ont, à maintes reprises, confirmé leur détermination à
perpétuer le programme de «recherche» jusqu’à ce que le moratoire soit levé. Ainsi que l’a
déclaré, en mai 2011, le vice-ministre principal chargé de la pêche, «le ministère de l’agriculture,
de la sylviculture et de la pêche est déterminé à poursuivre [le programme JARPA II] jusqu’à la
reprise des activités de chasse à la baleine à des fins commerciales» (onglet n 101). o
39 Gouvernement japonais, Débats devant la Diète, chambre des représentants, commission des affaires
étrangères, n 18, 1 août 1984, intervenant : 144/196 (Keiichi Nakajima, responsable du département des pêcheries
océaniques de l’agence des pêcheries) (MA, annexe 91). Pour d’autre documents témoignant de la détermination du
Japon à poursuivre la chasse à la baleine «sous une forme ou sous une autre», voir, par exemple, Gouvernement japonaos,
Débats devant la Diète, chambre des représentants, commission de l’agriculture, des forêts et de la pêche, n 2,
11 octobre 1983, intervenant : 41/163 (Fumio Watanabe, directeur général de l’agence des pêcheries) (MA, annexe 90) ;
Gouvernement japonais, Débats devant la Diète, chambre des représentants, commission de l’agriculture, des forêts et de
la pêche, n 27, 2 août 1984, intervenant : 211/342 (Hiroya Sano, directeur général de l’agence des pêcheries) et
intervenant : 217/342 (Shinjirō Yamamura, ministre de l’agriculture, de la sylviculture et de la pêche) (MA, annexe 92) ;
Gouvernemeno japonais, Débats devant la Diète, chambre des représentants, commission de l’agriculture, des forêts et de
la pêche, n 2, 18 décembre 1984, intervenant : 206/234 (Hiroya Sano, directeur général de l’agence des pêcheries) (MA,
annexe 95).
40
Gouvernementojaponais, Débats devant la Diète, chambre des représentants, commission de l’agriculture, des
forêts et de la pêche, n 27, 2 août 1984, intervenant : 211/342 (Hiroya Sano, directeur général de l’agence des pêcheries)
(MA, annexe 92).
41
Gouvernement japonais, Débats devant la Diète, chambre des représentants, commission de l’agriculture, des
forêts et de la pêche, n 2, 18 décembre 1984, intervenant : 206/234 (Hiroya Sano, directeur général de l’agence des
pêcheries) (MA, annexe 95). Voir également, The Institute of Cetacean Research – The First Ten Years (ICR, Tokyo, 30
October 1997), p. 85 (Tatsuo Saito, ancien commissaire japonais auprès de la CBI), site Internet de la Whaling Library,
http://luna.pos.to/whale/jpn_zadan1 et http://luna.pos.to/whale/jpn_zadan2, consulté le 5 juin 2013.
42Government of Japan, Minutes of the Second Meeting of the Committee on the Whale Research Program,
17 May 2011, Statement by Committee Chairman, Nobutaka Tsutsui, Senior Vice-Minister of Agriculture, Forestry and
Fisheries, p. 9-10. - 45 -
ii) Le comportement du Japon est à l’image d’utilisations abusives antérieures de
l’article VIII
33. Ce n’est pas la première fois, avec le programme JARPA, que le Japon invoque
l’article VIII de façon abusive. Ainsi, lorsque la limite de captures des rorquals tropicaux de
l’hémisphère sud a été fixée à zéro, en 1976, il a imaginé une solution de remplacement pour
renflouer son industrie baleinière . Le 6 juillet 1976, le directeur du département des pêcheries
52 océaniques a ainsi déclaré ce qui suit : «[u]ne autre solution consisterait à effectuer des captures
spéciales (de façon conforme aux dispositions de la convention, et dans la mesure où la collecte de
données scientifiques l’exige)» . 44
45
34. Le comité scientifique a manifesté sa vive opposition à ce programme . Des
scientifiques d’Afrique du Sud, de Nouvelle-Zélande et du Canada ont argué que ces
recherches ces prétendues recherches sur les rorquals tropicaux étaient en réalité, de fait, des
opérations de chasse commerciale . La décision du Japon de délivrer les permis en question a
47
d’ailleurs incité le comité scientifique à endosser le rôle d’examinateur des permis spéciaux .
35. Si la commission avait, en 1976, autorisé la poursuite de la chasse des rorquals tropicaux
de l’hémisphère sud à des fins commerciales, il ne fait aucun doute que le Japon se serait abstenu
de délivrer des permis spéciaux autorisant, au total, la mise à mort de près de 500 rorquals
tropicaux au nom de la «science», et ce, sans résultat. En réalité, ces permis ont été délivrés à titre
de mesure d’urgence, pour contribuer au renflouement de l’industrie baleinière, qui subissait l’effet
de la réduction des limites de captures à des fins commerciales.
43 Gouvernement du Japon, ministère des affaires étrangères, «Re Outcomes of the Twenty-Eighth
Annual Meeting of the International Whaling Commission (Matter of Lodging Objection)», 6 juillet 1976, ministère des
affaires étrangères in Sanada, «A Genealogy of Scientific Whaling: The Origin and Application of Article VIII of the
ICRW», Collection of Environmental Information Science Papers 22 (2008), 363-368, 366.
44Ibid.
45
Rapport du comité scientifique, 1977, Rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1978, vol. 28,
p. 41.
46 o
Câble n 801 adressé au ministre des affaires étrangères par l’ambassadeur du Japon auprès deel’Australie,
Ohkawara, 19 juin 1977, ministère des affaires étrangères, Commission baleinière internationale (29 ), rédigé le
6 mai 1977 in Sanada, «A Genealogy of Scientific Whaling: The Origin and Application of Article VIII of the ICRW»,
Collection of Environmental Information Science Papers 22 (2008), 363-368, 367.
47
E. Mitchell & M. Tillman, «Scientific Review of IWC Scientific Permits», SC/29/Doc 34. Rapport aneuel de
la commission baleinière internationale, 1978, vol. 28, p. 269 ; rapport du président sur les travaux de la 29 réunion
annuelle de la CBI, Rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1978, vol. 28, p. 23 et 32 ; rapport du
président sur les travaux de la 30 réunion annuelle de la CBI, 1977, Rapport annuel de la commission baleinière
internationale, 1979, vol. 29, p. 7. - 46 -
36. Les actions menées par le Japon en 1976 ont servi de modèle au programme JARPA.
L’ancien commissaire du Japon, M. Tatsuo Saito, l’a d’ailleurs confirmé en déclarant, en 1997
(onglet n 103) que, «[e]n 1977, M. Ohsumi a[vait] effectué des recherches sur les rorquals
tropicaux, à des latitudes moyennes de l’océan Pacifique sud, au titre du paragraphe 1 de
l’article VIII. Nous nous en sommes inspirés.» 48
53 iii) La décision de poursuivre les recherches létales pour une durée indéterminée est à
l’origine de la conception et de la structure du programme JARPA II
37. Le véritable objectif du programme JARPA II est de continuer à pratiquer la chasse à la
baleine à des fins commerciales pendant une durée illimitée. C’est ce que confirment les
déclarations de hauts responsables et de ministres, qui ont toujours affirmé que le Japon était
déterminé à continuer à chasser la baleine, «sous une forme ou sous une autre». La conception et la
mise en œuvre du programme JARPA II l’attestent. Ces deux programmes reposent sur le postulat
qu’il est nécessaire de tuer des baleines.
38. Les scientifiques qui ont élaboré le programme JARPA, en 1984, avaient pour instruction
de concevoir un programme de recherche létale qui puisse s’«autofinancer» par la vente de viande
de baleine . Les programmes JARPA et JARPA II en sont l’expression. Le programme JARPA
50
initial ne précisait pas la date à laquelle il devait s’achever , et les scientifiques japonais ont
expressément confirmé au comité scientifique leur intention de le poursuivre indéfiniment . 51
Lorsqu’il s’est finalement achevé après 18 années, en 2005 soit quelque 7000 baleines plus
tard , le Japon a immédiatement effectué, sans se livrer au moindre réexamen, une transition en
douceur vers le programme JARPA II, lequel n’indique pas non plus la date à laquelle il doit
s’achever.
48
Institut de recherche sur les cétacés The First Ten Years (ICR, Tokyo, 30 octobre 1997), 85-86
(Tatsuo Saito, ancien commissaire du Japon à la CBI), site Internet de la Whaling Library,
http:///luna.pos.to/whale/jpn_zadan1 et http:///luna.pos.to/whale/jpn_zadan2, le 5 juin 2013.
49
T. Kasuya, «Chasse à la baleine et autres cétacés pratiquée par le Japon» (2007) 14 (1) Env Sci Pollut Res 39,
p. 45, par. 6) (MA, annexe 77) ; «Débat : le pour et le contre de la chasse à la baleine à des fins scientifiques», Mainichi
Shimbun, 3 octobre 2005, p. 3 (par T Kasuya) (MA, annexe 129).
50
Projet JARPA, 1987 (annexe 156).
51 Rapport du comité scientifique, Rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1988, vol. 38,
p. 55. - 47 -
39. En réalité, les objectifs déclarés du programme JARPA II sont formulés de façon
tellement générale qu’ils pourraient permettre de justifier quasiment n’importe quelle activité, ou
52
presque, que le Japon souhaiterait entreprendre . Il est tout simplement impossible de savoir à
quel terme ces objectifs seraient susceptibles d’être atteints ; le programme JARPA II prévoit la
collecte d’informations par des opérations de chasse à la baleine menées à grande échelle, et sur
une période indéterminée.
40. Quant à la taille des échantillons, elle a été calculée de façon à assurer un
autofinancement par la vente de viande de baleine. Les tailles d’échantillons initialement fixées
n’ont été validées qu’après confirmation par les responsables que l’opération pouvait se poursuivre
grâce à la vente de «sous-produits» baleiniers . 53 M. Walløe reconnaît implicitement que les
considérations commerciales ont été un facteur déterminant pour fixer la taille des échantillons,
54 puisqu’il a notamment indiqué, je cite : «Le Japon a choisi de couvrir une partie des coûts inhérents
à ses programmes de recherche sur les baleines en vendant des produits baleiniers sur le marché
commercial. Pour que cette initiative dégage des revenus suffisants, la prise annuelle doit atteindre
un certain niveau» .54
Il existe, de par le monde, de nombreuses espèces recherchées, et la capture de ces
spécimens peut permettre de couvrir les frais engendrés par un programme de recherche. Mais si le
nombre de spécimens à capturer est calculé par rapport aux recettes que le programme est censé
générer, sans tenir compte des objectifs scientifiques, le programme en question n’a plus rien à voir
avec la science. Or, en l’occurrence, tel est le cas.
41. [Projection.] En moyenne, plusieurs milliers de tonnes de viande de baleine sont
produites chaque année à partir des captures effectuées par le Japon en vertu d’un permis spécial.
C’est en 2005-2006 que la production a été la plus forte, puisque près de 3500 tonnes de viande de
baleine ont été ainsi produites. Un système complexe régit la distribution et la vente de viande de
baleine sur le marché, conformément aux accords conclus avec l’institut de recherche sur les
52
Mangel, rapport d’expert initial, par. 5.10 et 6.5 (MA, appendice 2).
53T. Kasuya, «Chasse à la baleine et autres cétacés pratiquée par le Japon » (2007) 14 (1) Env Sci Pollut Res 39,
p. 45-46 (MA, annexe 77).
54
Walløe, Examen scientifique des questions soulevées par le mémoire de l’Australie et par ses deux appendices,
9 avril 2013, p. 9-10. - 48 -
cétacés . Les recettes de ces ventes constituent la majeure partie des revenus de l’institut. C’est la
vente de viande de baleine qui constitue l’essentiel de ses revenus et qui permet de couvrir
largement les dépenses occasionnées par la poursuite des opérations baleinières. [Fin de
projection.]
42. D’ailleurs, le Japon ne le conteste pas, ce qui, au demeurant, lui serait impossible . 56
Dans un document qu’il a adressé au comité scientifique en 2007, il a clairement indiqué que les
«considérations pratiques» le coût des recherches et la possibilité de le couvrir expliquaient
57
largement qu’il persistait à recourir à des méthodes létales .
43. Et pourtant, en dehors du cadre de la CBI, le Japon reconnaît que les intérêts
économiques et commerciaux ne devraient pas influer sur la conception ou la conduite d’une
activité menée à des fins de recherches scientifiques. Au Japon, le budget de la recherche est très
important, et on y trouve d’excellents scientifiques. Le Japon a participé activement aux travaux
du groupe de rédaction du cadre d’évaluation de la recherche scientifique faisant intervenir la
fertilisation des océans et, comme je l’ai dit hier, celui-ci a défini quatre critères auxquels un projet
doit au minimum satisfaire pour être considéré comme présentant de «véritables attributs
scientifiques». L’un de ces critères à l’élaboration duquel le Japon a participé, prévoyait
o
expressément ce qui suit, et vous pouvez le voir sous l’onglet n 105 :
55 «les intérêts économiques ne devraient avoir aucune influence sur la conception, la
conduite … ou les résultats du projet. Aucun bénéfice financier et/ou économique ne
devrait découler directement du projet ou de ses résultats.» 58
Le Japon n’applique pas ce principe aux programmes JARPA.
55 Institut de recherche sur les cétacés et Kyodo Senpaku Kaisha Ltd, Accord de vente en consignation des
sous-produits (5 juin 2007), article 7 (MA, annexe 118).
56
CMJ, par. 5.107.
57S. Ohsumi, M. Goto et S. Otani, «Necessity of combining lethal and non-lethal methods for whale population
research and their application in JARPA», SC/59/O2, 2-3 ; rapport du comité scientifique, Annexe O, Report of the
Standing Working Group on Scientific Permits, Journal of Cetacean Research and Management n° 10 (Suppl.), 2008,
p. 343.
58«Assessment Framework for Scientific Research involving Ocean Fertilization» (adopted on 14 October 2010),
«Report of the Thirty-Second Consultative Meeting of Contracting Parties to the London Convention and the
Fifth Meeting of Contracting Parties to the London Protocol», LC/32/15, annexes 6, 5, par. 2.2.2. - 49 -
c) Conclusion
44. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ces éléments conduisent tous
à la même conclusion : les programmes de chasse à la baleine JARPA menés au titre d’un permis
spécial dans l’océan Austral ne sauraient être justifiés par l’article VIII. Si le Japon a lancé ces
opérations, et s’il les poursuit, ce n’est pas pour contribuer aux progrès de la science domaine
dans lequel il enregistre, depuis 25 ans, un échec retentissant , mais pour que les opérations de
chasse puissent se poursuivre indéfiniment, malgré le moratoire, objectif qu’il a d’ailleurs, dans une
certaine mesure, atteint. Ainsi, il a attribué a posteriori un label «scientifique» à son programme,
grâce auquel il entend justifier la poursuite des opérations de chasse, «sous une forme ou sous une
autre», pendant une durée indéterminée. C’est cela et cela seulement qui motive le
programme JARPA II et qui permet de savoir quel en est l’objectif. Le programme JARPA II ne
satisfait pas à la «condition d’exclusivité du but» qu’impose l’article VIII ; et même si l’on pouvait
considérer qu’il satisfait à la «condition du caractère scientifique des recherches» ce qui n’est
pas le cas ce programme n’entrerait pas dans le champ dudit article.
Monsieur le président, le moment me semble bien choisi pour nous interrompre.
Le PRESIDENT : Je vous remercie M. Crawford. La Cour se réunira de nouveau demain à
10 heures pour entendre la fin du premier tour de plaidoiries de l’Australie. L’audience est levée.
L’audience est levée à 17 h 10.
___________
Translation