Traduction
Translation
CR 2015/3
Mardi 14 avril 2015 à 15 heures
Tuesday 14 April 2015 at 3 p.m. - 2 -
10 The PRESIDENT: Please be seated. The sitting is open. Judge ad hoc Guillaume, for
reasons he has duly made known to me, is unable to be present on the Bench today. I will first give
the floor to Mr. Wordsworth for 30 minutes, the Court will then hear the expert called by
Nicaragua. Mr. Wordsworth, you have the floor.
M. WORDSWORTH :
LES VIOLATIONS PAR LE N ICARAGUA DE LA SOUVERAINETÉ
DU COSTA R ICA SUR ISLA PORTILLOS
A. Introduction
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, nous passons maintenant aux
violations par le Nicaragua du droit international, sur lesquelles je ferai trois observations
liminaires.
2. Premièrement, étant donné que la présente affaire n’est pas un différend frontalier
habituel, mais plutôt une affaire où l’on occupe d’abord et justifie ensuite, le Costa Rica demande
plus qu’une déclaration de sa souveraineté sur Isla Portillos. Il demande une série de déclarations
et d’autres remèdes concernant en particulier l’incursion illicite du Nicaragua sur Isla Portillos à la
fin de 2010 et au début de 2011 et la construction illicite des trois caños en territoire costa-ricien.
3. Deuxièmement — autre aspect qui distingue la présente affaire des affaires — les faits
essentiels ne sont pas contestés, notamment en ce qui concerne la présence des forces militaires
nicaraguayennes sur Isla Portillos aux moments pertinents. Il y a bien quelques points de détail ou
de qualification à régler, par exemple la question de savoir si l’on construisait le premier caño ou si
on se contentait de le «nettoyer» ou de le «dégager», comme le soutient le Nicaragua, mais ces
aspects ont peu d’incidence sur la question des violations. Il est tout aussi grave de violer
l’intégrité territoriale du Costa Rica en pénétrant sur son territoire, en y abattant des dizaines
d’arbres vieux de 200 ans et en y extrayant 6000 m³ de terre dans le cadre d’une prétendue
1
Ministère de l’environnement, de l’énergie et des télécommunications du Costa Rica, rapport technique adressé
au Secrétariat de la convention de Ramsar, intitulé «examen et évaluation de l’état de l’environnement dans la
Humedal Caribe Noreste, conformément à l’ordonnance de la Cour internationale de Justice», 28 octobre 2011, MCR,
annexe 155, p. 33 et 92 ; Colin Thorne, «Evaluation de l’impact physique des travaux effectués par le Nicaragua depuis
octobre 2010 sur la géomorphologie, l’hydrologie et la dynamique des sédiments du fleuve San Juan, ainsi que de leur
impact environnemental en territoire costa-ricien», octobre 2011, MCR, app. 1 (rapport Thorne de 2011, MCR, app. 1),
p. I-59-I-60. - 3 -
opération de «nettoyage», qu’en coupant les mêmes arbres et en extrayant la même quantité de
terre pour construire un nouveau caño.
11 4. Troisièmement, enfin, la question centrale de la violation de l’intégrité territoriale du
Costa Rica découle dans une grande mesure, en toute logique, de l’issue du différend sur la
souveraineté. Les questions qui divisent les parties concernent davantage les principes juridiques
précis qui sont en jeu et la nature et l’étendue de la violation, que la question de savoir s’il existe un
fondement pour conclure à l’existence d’une violation quelconque du droit international.
B. Incursion illicite sur Isla Portillos
et occupation par le Nicaragua
i) Les faits sous-jacents
5. Sur cette toile de fond générale, j’aborderai maintenant l’incursion illicite de forces
nicaraguayennes sur Isla Portillos fin 2010-début 2011.
6. Cette incursion est relatée en détail au chapitre 3 du mémoire du Costa Rica et
l’ambassadeur Ugalde en a déjà rappelé les points saillants ce matin. La présence de forces
nicaraguayennes sur Isla Portillos et la construction du premier caño ont été confirmées par les
er
survols et les inspections effectuées entre le 20 octobre et le 1 novembre 2010. De même, il a été
confirmé que le drapeau costa-ricien flottant sur le territoire avait été enlevé et remplacé par le
drapeau nicaraguayen et que le Nicaragua avait établi un camp militaire sur Isla Portillos.
er
7. C’est ce que vous pouvez constater sur cette photographie du 1 novembre 2011 ; on y
voit des soldats nicaraguayens dirigeant leurs armes contre des aéronefs civils costa-riciens
effectuant un survol.
8. Lorsque, le 2 novembre 2010, le Costa Rica a demandé une réunion d’urgence de l’OEA
«étant donné que des forces armées de la République du Nicaragua pénètrent actuellement sur le
territoire costa-ricien dans la région frontalière du fleuve San Juan» , il a invoqué l’article 21 de la
charte de l’OEA, qui dispose: «[l]e territoire d’un Etat est inviolable, il ne peut être l’objet
d’occupation militaire ni d’autres mesures de force de la part d’un autre Etat, directement ou
indirectement, pour quelque motif que ce soit et même de manière temporaire».
2Note DE-065-10 en date du 2 novembre 2010 adressée au président du conseil permanent de l’Organisation des
Etats américains (OEA) par le représentant permanent du Costa Rica auprès de cette organisation, MCR, annexe 51. - 4 -
9. Cependant, à la séance spéciale de l’OEA tenue le jour suivant, le représentant du
Nicaragua a soutenu qu’il n’y avait eu aucune violation du territoire costa-ricien et que les forces
militaires et autres agents nicaraguayens avaient mené des activités de lutte contre le trafic de
3
stupéfiants en territoire nicaraguayen . Mais cette affirmation était inexacte sur deux points :
12 a) Premièrement — et c’est le plus évident — le territoire n’appartenait pas au Nicaragua.
b) Deuxièmement, la présence militaire nicaraguayenne était due à la construction du caño. Ainsi
que l’a dit plus tard à la Cour l’honorable agent du Nicaragua lors de la première audience sur
les mesures conservatoires : «La présence de militaires nicaraguayens dans cette zone très
difficile pendant les mois d’octobre et de novembre de l’année dernière avait pour but de
protéger les ouvriers qui nettoyaient le chenal reliant le fleuve proprement dit à Harbor Head.» 4
10. Dans les jours qui ont suivi la séance spéciale, le Secrétaire général de l’OEA s’est rendu
dans les deux Etats et a déposé, le 9 novembre, un rapport contenant plusieurs recommandations,
portant notamment sur la nécessité d’éviter la présence de forces armées ou de sécurité dans la
région . Par sa résolution 978 du 12 novembre 2010, le conseil permanent de l’OEA a fait siennes
ces recommandations par 22 voix contre 2 et les deux parties ont été invitées «à lancer … de
6
manière simultanée et sans plus attendre» la mise en œuvre des recommandations visées .
11. Cependant, les militaires nicaraguayens n’ont pas été retirés à cette époque
d’Isla Portillos.
ii) L’audience de janvier 2011 : questions posées au Nicaragua et réponses de celui-ci
12. Je passe maintenant à l’audience sur les mesures conservatoires qui s’est tenue du 11
au 13 janvier 2011, pendant laquelle le Nicaragua a affirmé — ce sont ses mots — qu’aucune force
militaire nicaraguayenne ne se trouvait sur Isla Portillos et qu’il n’avait en outre aucune intention
3 Voir MCR, par. 3.22.
4 CR 2011/2, p. 14, par. 29 (Argüello).
5
Rapport du secrétaire général de l’OEA sur sa visite au Costa Rica et au Nicaragua, réf. CP/doc.4521/10 corr. 1,
9 novembre 2010, MCR, annexe 144.
6 Conseil permanent de l’OEA, résolution 978 du 12 novembre 2010, doc. OEA/Ser.G CP/RES 978 (1777/10),
MCR, annexe 53. - 5 -
d’y stationner des troupes ou des agents . Cette position a été réitérée le 18 janvier 2011 en
réponse à une question de M. le juge Bennouna.
a) M. le juge Bennouna a posé la question suivante : «Est-ce que le Nicaragua maintient sur la
portion du territoire dénommée l’île de Portillos des troupes armées ou d’autres agents, quels
qu’ils soient ?»
Voici la réponse du Nicaragua :
b) «Aucune troupe nicaraguayenne ne stationne actuellement dans la zone en question et le
Nicaragua n’a pas l’intention d’y établir de poste militaire à l’avenir. Il y a eu une présence
13 militaire dans cette zone durant la période de six semaines durant laquelle le caño a été nettoyé,
8
mais ceci aux seules fins de la protection des ouvriers procédant à cette opération.»
13. Donc, une question directe sur des faits pertinents, et une réponse claire et nette, bien que
mal rendue par une prononciation rudimentaire du français. La difficulté, toutefois, c’est que la
réponse du Nicaragua — présentée cinq jours environ après la question — était tout simplement
fausse. Un vol effectué au-dessus de la région par la police costa-ricienne le 19 janvier 2011,
c’est-à-dire le lendemain du jour où M. le juge Bennouna a posé cette question, a permis de
9
constater que des troupes nicaraguayennes continuaient d’être présentes sur Isla Portillos .
14. Aucune explication n’a jamais été fournie à la Cour sur les raisons pour lesquelles cette
information erronée avait été donnée sur une question alors cruciale pour la demande en indication
de mesures conservatoires du Costa Rica, encore pendante. La question a été passée sous silence
dans le contre-mémoire du Nicaragua déposé en août 2012 , encore que le Nicaragua ait dû
aborder la question à l’audience sur les mesures conservatoires d’octobre 2013. Il a alors reconnu
que la photographie costa-ricienne indiquait la présence d’un camp de l’armée nicaraguayenne dans
la région contestée le 19 janvier 2011, mais il a affirmé, sans étayer cette affirmation par aucune
7 CR 2011/2, p. 13, par. 28 (Argüello) ; et CR 2011/4, p. 37, par. 15 (Argüello).
8
Réponses de la République du Nicaragua aux questions posées par MM. les juges Simma, Bennouna et
Greenwood à la fin de l’audience sur les mesures conservatoires demandées par le Costa Rica en l’affaire concernant
Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), réf. 18012011-01,
18 janvier 2011 ; réponse à la deuxième question du juge Bennouna ; dossier des juges, onglet n 88.
9
Voir photographies montrant la présence de soldats nicaraguayens à Isla Portillos après les audiences sur les
mesures conservatoires, 19 janvier 2011, MCR, annexe 223.
10 CMN, par. 7.7. - 6 -
preuve, que ce camp avait été fermé quelques jours plus tard. Le conseil du Nicaragua a ensuite
reconnu avec réticence ce qui suit :
«Certes, l’annonce faite par le Nicaragua le 18 janvier était quelque peu
prématurée. Mais cela ne prouve pas que celui-ci a manqué aux engagements pris
devant la Cour, et encore moins qu’il est un menteur en série. La vérité [un terme
révélateur s’il en est], c’est que le Nicaragua a retiré rapidement l’ensemble de ses
troupes, comme il s’y était engagé devant la Cour, et qu’il a respecté sa parole en les
11
tenant à l’écart de la zone en litige depuis lors.»
15. C’est à croire que la réponse erronée du Nicaragua à une question clé pouvait être
contournée en la reformulant puis en écartant la réponse effectivement donnée comme s’il ne
s’agissait que d’un point de détail sans importance. Et toujours aucune explication sur les raisons
pour lesquelles, malgré tout le temps dont il avait disposé pour donner l’heure juste sur la situation,
le Nicaragua avait fourni à la Cour une information erronée. On peut, sans risque de se tromper,
déduire de tout cela qu’aucune explication satisfaisante ne pouvait être donnée.
14 16. Quant à la suite des événements, quelque temps après le 19 janvier 2011, les troupes
nicaraguayennes ont été retirées ; mais, malheureusement, elles sont revenues et ont été stationnées
sur la plage de la partie contestée d’Isla Portillos en février 2013 , c’est-à-dire avant la
construction des deux autres caños plus tard au cours de la même année.
17. A l’audience de janvier 2011, le Nicaragua a également été interrogé sur le moment où il
avait formulé sa revendication actuelle de souveraineté sur Isla Portillos et le moment où cette
revendication avait été communiquée pour la première fois au Costa Rica. Comme l’a expliqué
M. Kohen, le Nicaragua a insisté, dans sa réponse à la question de M. le juge Simma, sur son
«livre blanc» du 26 novembre 2010 et, pour résumer son argumentation embrouillée, cette réponse
montre clairement que si le Nicaragua a communiqué sa revendication actuelle, même de façon
vague, il l’a fait après l’incursion militaire.
18. Le même embrouillamini entoure les réponses aux questions posées par
M. le juge Greenwood. Elles figurent à l’onglet n 88 de votre dossier des juges, à la page 7, mais
aussi à l’écran :
a) première question de M. le juge Greenwood :
11CR 2013/27 , par. 42 (Reichler).
12Voir la photographie, datée du 5 février 2013, de nouveaux camps nicaraguayens dans la zone indiquée par la
Cour, annexée à la lettre ECRPB-016-013 du 15 mars 2013 adressée par le Costa Rica à la CIJ. - 7 -
«A quel moment le Nicaragua s’est-il forgé l’opinion que ce qu’il appelle le
«premier caño» constituait la frontière entre lui et le Costa Rica en application de la
première sentence Alexander ?»
b) Réponse :
«Le Nicaragua a considéré cette question comme tranchée à partir du moment
où le surarbitre-ingénieur a indiqué que la frontière suivait «le premier chenal
rencontré» jusqu’à atteindre le fleuve proprement dit. C’est pourquoi le Nicaragua a
toujours fait patrouiller la région par des forces militaires et de — patrouilles que les
autorités costa-riciennes connaissaient et auxquelles elles ne se sont pas — et c’est
pourquoi on emmène les touristes (les rares touristes qui peuvent parvenir jusqu’à
cette région quand le fleuve est navigable) visiter ces zones humides et leurs chenaux,
y compris le «premier caño» lorsqu’il n’était pas bouché.» 13
Ainsi, mise à part la curieuse idée de circuits touristiques sur le premier caño, on nous
indique apparemment que la réponse est 1897, soit la date de la première sentence Alexander.
Mais cette réponse ne peut être exacte, et c’est peut-être la raison pour laquelle on ne donne pas de
date précise. L’idée que le Nicaragua se serait, dès 1897, forgé l’opinion que le premier caño
constituait la frontière n’est pas du tout plausible si l’on tient compte de ce que dit le
15 général Alexander dans ses première et deuxième sentences arbitrales, et même des arguments
soutenus par le Nicaragua devant lui.
c) La seconde question de M. le juge Greenwood est la suivante :
«Le Nicaragua a-t-il fait part au Costa Rica de cette opinion ? Dans
l’affirmative, à quel moment et de quelle façon ?»
De toute évidence, le premier élément de la question appelle une réponse par oui ou par non.
d) En fait, ce n’est pas celle que l’on obtient :
«Comme il a été indiqué dans la réponse à la question précédente» — lit-on
dans cette réponse — «le Nicaragua considérait qu’une notification officielle n’était
pas spécialement nécessaire puisque le Nicaragua avait toujours accepté la
sentence Alexander et la décision selon laquelle le premier caño constituait la
frontière. Ainsi, lorsque le Nicaragua a commencé à nettoyer le caño, il considérait
qu’il nettoya14 son propre territoire et n’a naturellement pas jugé une notification
nécessaire.»
Voilà donc une sorte de non-réponse révélatrice, qui signifie «non», il n’y a «pas eu de
notification».
13 Réponses de la République du Nicaragua aux questions posées par MM. les juges Simma, Bennouna
et Greenwood à la fin de l’audience sur les mesures conservatoires demandées par le Costa Rica en l’affaire concernant
Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), réf. 18012011-01,
18 janvier 2011; réponse à la deuxième question du juge Bennouna; dossier des juges, onglet n 88.
14Ibid.. - 8 -
19. Il découle de tout ce qui précède que les faits réels pertinents à cet élément de la violation
sont les suivants.
20. Premièrement, le Nicaragua a occupé le territoire costa-ricien en cause et ce n’est
qu’ultérieurement qu’il a revendiqué la région d’Isla Portillos. Il a ensuite unilatéralement appliqué
sur le terrain sa nouvelle position concernant l’emplacement de la frontière, plutôt que de retirer ses
troupes conformément à la résolution 978 de l’OEA.
21. Deuxièmement, ainsi qu’il ressort clairement d’un examen plus attentif des réponses du
Nicaragua aux questions de MM. les juges Greenwood et Simma, le Nicaragua n’a présenté aucune
revendication préalable sur Isla Portillos, que ce soit en vertu de la théorie du «premier canal
rencontré» ou autrement . L’histoire véritable, que vient d’exposer M. Kohen, enseigne que les
deux Etats ont mutuellement reconnu depuis longtemps qu’Isla Portillos était territoire costa-ricien.
16 22. Troisièmement, même si la frontière avait été en litige, ce qui n’était pas le cas, rien ne
justifiait les dispositions militaires qui ont été prises. Il n’y a eu aucune tentative de négociation de
la part du Nicaragua, malgré l’obligation de règlement des différends internationaux par des voies
pacifiques prescrite tant par le paragraphe 3 de l’article 2 de la Charte de l’Organisation des
Nations Unies que par l’alinéa i) de l’article 3 de la Charte de l’OEA, qui dispose que «[l]es
différends de caractère international qui surgissent entre deux ou plusieurs Etats américains doivent
être réglés par des moyens pacifiques». Ces principes essentiels ont été simplement méconnus.
iii)Incursion illicite et occupation : les chefs de violation
23. J’examinerai maintenant un à un les chefs de violation ayant trait à l’incursion illicite et à
l’occupation.
24. En premier lieu, il y a eu de toute évidence empiètement sur la souveraineté territoriale
du Costa Rica. Comme la Cour l’a rappelé dans son avis consultatif sur le Kosovo, «le principe de
15Les observations du Costa Rica sur les réponses du Nicaragua ont été soumises le 20 janvier 2011 : voir
observations du Costa Rica sur les réponses de la République du Nicaragua aux questions posées par
MM. les juges Simma, Bennouna et Greenwood à la fin de l’audience sur les mesures conservatoires demandées par le
Costa Rica en l’affaire concernant Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière
(Costa Rica c. Nicaragua), réf. ECRPB 017-11, 20 janvier 2011. - 9 -
l’intégrité territoriale constitue un élément important de l’ordre juridique international et [] est
16
consacré par la Charte des Nations Unies, en particulier au paragraphe 4 de l’article 2» .
25. Ce principe est également inscrit dans la Charte de l’OEA, à l’article 21 invoqué par le
Costa Rica lorsqu’il a porté la question devant l’OEA en novembre 2010. Les actes du Nicaragua
enfreignent directement le principe d’inviolabilité reflété à l’article 21, de même que la règle de
l’article 21 selon laquelle le territoire d’un autre Etat de l’OEA «ne peut être l'objet d'occupation
militaire ni d'autres mesures de force de la part d'un autre Etat, directement ou indirectement, pour
quelque motif que ce soit et même de manière temporaire».
26. Quant à la qualification, l’incursion et la présence armées nicaraguayennes à
Isla Portillos peuvent être qualifiées d’occupation militaire, et il sera rappelé à ce sujet que selon
l’article 2 commun aux conventions de Genève de 1949, nul n’est besoin pour se mériter cette
appellation qu’une occupation se heurte à une résistance armée.
27. En deuxième lieu, le Nicaragua a violé l’article IX du traité de limites de 1858, ainsi
libellé :
«En aucun cas, pas même si elles devaient malheureusement se trouver en état
de guerre, les Républiques du Costa Rica et du Nicaragua ne seront autorisées à se
17
livrer à de quelconques actes d’hostilité l’une envers l’autre, que ce soit17ans le port de
San Juan del Norte, sur le fleuve San Juan ou sur le lac de Nicaragua.»
28. Ainsi, selon le régime frontalier établi de longue date, le Nicaragua n’était pas fondé à
envoyer ses troupes à Isla Portillos et à tenter d’y affirmer sa souveraineté. Ces mesures
constituaient en elles-mêmes un acte d’hostilité, comme la conduite des soldats nicaraguayens qui
ont dirigé leurs armes contre un aéronef civil costa-ricien effectuant des photographies. En fait, les
actes du Nicaragua peuvent être considérés comme des actes d’agression et d’hostilité aux termes
de l’alinéa a) de l’article 3 de la résolution 3314 (XXIX) de l’Assemblée générale des
Nations Unies, qui définit notamment l’agression comme :
«[l]’invasion ou l’attaque du territoire d’un État par les forces armées d’un autre Etat,
ou toute occupation militaire, même temporaire, résultant d’une telle invasion ou
d’une telle attaque, ou toute annexion par l’emploi de la force du territoire ou d’une
partie du territoire d’un autre Etat».
16 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo,
avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010(II), p. 437, par. 80.
17Traité de limites territoriales entre le Costa Rica et le Nicaragua (Cañas-Jerez), San José, 15 avril 1858, MCR,
annexe 1, art. IX, dossier des juges, onglet n 36. - 10 -
29. En troisième lieu, dès lors que le Nicaragua avait choisi d’utiliser ses agents militaires
d’abord et de ne soumettre qu’ensuite une revendication sur le territoire en cause, ses actes peuvent
être justement considérés comme assimilables à l’emploi ou à la menace de l’emploi de la force
contre l’intégrité territoriale du Costa Rica, ce qui est contraire à l’alinéa 4 de l’article 2 de la
Charte de l’Organisation des Nations Unies ainsi qu’à l’article 22 de la Charte de l’OEA. En outre,
conformément au principe 1 de la déclaration relative aux relations amicales, qui doit à cet égard
être considérée comme représentant le droit international coutumier :
«Tout Etat a le devoir de s’abstenir de recourir à la menace ou à l’emploi de la
force pour violer les frontières internationales existantes d’un autre Etat ou comme
moyen de règlement des différends internationaux, y compris les différends
territoriaux et les questions relatives aux frontières des Etats.»
30. Le Nicaragua a agi comme s’il était en quelque sorte exempté de cet important devoir.
C. Construction des caños en 2010 et 2013
i) Les faits sous-jacents
31. J’en viens maintenant aux violations découlant de la construction par le Nicaragua des
trois caños sur Isla Portillos, à propos duquel les faits de base ne sont plus en litige.
32. A commencer par la construction du premier caño fin 2010, le Nicaragua reconnaît qu’il
18
a effectué les travaux en cause, tout en affirmant qu’il ne faisait que nettoyer ledit caño .
18 Ce faisant, il fait montre d’un usage inventif et inexact de la langue, car en réalité le Nicaragua
creusait le caño pour ouvrir une nouvelle voie d’accès à la mer. Quoi qu’il en soit, le Nicaragua
reconnaît que ce prétendu nettoyage nécessitait de vastes travaux d’excavation et l’abattage de
180 arbres et de la végétation 19 sur une superficie d’environ sept hectares, comme l’a expliqué
20
l’ambassadeur Ugalde ce matin . Ces travaux comportaient l’enlèvement d’environ 6000 m³ de
18CMN, par. 2.69.
19Ibid., par. 2.67.
20
Rapport Thorne de 2011, MCR, app. 1, p. I-36 ; ministère de l’environnement, de l’énergie et des
télécommunications du Costa Rica, rapport technique adressé au Secrétariat de la convention de Ramsar, intitulé
«examen et évaluation de l’état de l’environnement dans la Humedal Caribe Noreste, conformément à l’ordonnance de la
Cour internationale de Justice», 28 octobre 2011, MCR, annexe 155, p. 43 et 49 ; et voir G. Mathias Kondolf, «Chenaux
défluents du San Juan coulant au Nicaragua et au Costa Rica», juillet 2012, CMN, app. 1, p. 482, par. 2.9. - 11 -
21
sol . Le Nicaragua affirme bien qu’il ne s’agissait pas de forêt primaire et que la terre en question
avait été utilisée à des fins agricoles. Mais ce n’est guère là une défense, ni d’ailleurs une
description exacte, comme en témoignent au premier chef les preuves photographiques, qui
montrent qu’une zone de forêt ancienne a effectivement été rasée. Vous vous rappellerez
également les photos figurant aux onglets 5 et 8 du dossier des juges, que l’ambassadeur Ugalde
vous a indiquées ce matin.
33. Quant aux deuxième et troisième caños, l’image satellite du 5 septembre 2013, que vous
voyez maintenant à l’écran, montre que la construction de ces deux autres caños, en particulier du
grand caño situé à l’est, que l’on voit du côté droit de l’écran, était achevée dans le territoire
22
contesté dès le début de septembre 2003, dans une zone humide antérieurement vierge , ce qui a
causé un dommage évident à l’environnement. On peut également voir, juste à l’extrémité du
caño, sur la plage, le camp militaire nicaraguayen.
34. Des photographies prises par le Costa Rica le 18 septembre 2013 illustrent le plus grand
des deux nouveaux caños, construits en ligne droite vers la mer des Caraïbes, d’une largeur de 20
à 30 mètres, et d’une longueur de près de 300 mètres. Sur les rives de ce nouveau caño, on peut
voir que la végétation a été enlevée récemment. Dans le coin supérieur droit de la photo, sur la
plage juste au-delà de la végétation, on voit à nouveau le camp militaire nicaraguayen, notamment
une tour d’observation rudimentaire. La Cour se souviendra également que le Nicaragua a
19 poursuivi la construction du caño sans l’en informer ni en informer le Costa Rica, si bien que le
Costa Rica a ouvert la procédure relative à sa demande en indication de mesures conservatoires lors
de l’audience d’octobre 2013 alors qu’il n’avait qu’une image inexacte de l’ampleur des travaux
d’excavation qui avaient été réalisés sur la plage pour permettre au caño de déboucher sur la mer.
35. La Cour se rappellera peut-être également les quelques versions incompatibles que le
Nicaragua a offertes pour expliquer l’apparition de ces deux nouveaux caños. Il a d’abord tenté
21Ministère de l’environnement, de l’énergie et des télécommunications du Costa Rica, rapport technique adressé
au Secrétariat de la convention de Ramsar, intitulé «examen et évaluation de l’état de l’environnement dans la
Humedal Caribe Noreste, conformément à l’ordonnance de la Cour internationale de Justice», 28 octobre 2011, MCR,
annexe 155, p. 33, 92 ; et rapport Thorne de 2011, MCR, app. 1, p. I-59-I-60.
22Voir les photos satellite antérieures, où les caños n’apparaissent pas. Voir, par exemple, CMN, annexe 135,
image satellite de 2007, et annexe 136, image satellite de 2010. Voir aussi CMN, fig. 6.8, image de janvier 2011, p. 330. - 12 -
23 24
d’en nier l’existence , puis de nier toute connaissance de ces travaux , mais ses affirmations ont
été contredites par ses propres documents officiels puis par les aveux de l’agent du Nicaragua . Ce 25
n’est qu’en octobre 2013, au cours des audiences sur les mesures conservatoires, que le Nicaragua
a finalement reconnu 1) que ces travaux avaient été réalisés sur le territoire contesté par M. Pastora,
un membre important du gouvernement nicaraguayen, et 2) qu’il avait reçu l’assistance d’un
département du gouvernement nicaraguayen . 26
36. En réalité, le Nicaragua essayait une fois de plus, aussi étonnant que cela puisse paraître,
de forcer les eaux du San Juan à emprunter un caño fraîchement creusé pour ouvrir un raccourci
vers la mer.
ii) Violations relatives aux trois canaux
37. En ce qui concerne la responsabilité du Nicaragua à raison des dommages causés à
l’environnement du Costa Rica, elle découle de l’obligation qui est faite aux Etats de respecter la
souveraineté territoriale des autres Etats, obligation qui empêche évidemment l’Etat A de pénétrer
sur le territoire de l’Etat B et d’y effectuer des travaux qui détruisent des biens ou l’environnement
naturel ou visent à en modifier la géographie. Tous les actes de ce genre sont en soi illicites à
moins d’une autorisation ou d’une défense équivalente. Le Nicaragua ne peut invoquer aucun
moyen de cette nature et il est responsable à l’égard du Costa Rica pour ces actes. En ce qui
concerne les dommages causés à l’environnement du Costa Rica, il n’y a aucun critère à remplir,
par exemple le dommage significatif, comme ce serait le cas dans la situation plus fréquente
d’allégations d’impact transfrontière.
23 Note diplomatique MRE/DM/521/09/13 du 18 septembre 2013 adressée au ministre costa-ricien des affaires
étrangères et des cultes, Enrique Castillo Barrantes, par le ministre nicaraguayen des affaires étrangères,
Samuel Santos Lopez, pièce jointe PM-5 à la nouvelle demande en indication de mesures conservatoires présentée par le
Costa Rica.
24 Voir la lettre HOL-EMB-193 du 10 octobre 2013 adressée à la CIJ par le Nicaragua, p. 2 et la
lettre HOL-EMB-197 du 11 octobre 2013 adressée à la CIJ par le Nicaragua, référence omise, jointe à la lettre 142609 du
11 octobre 2013 adressée au Costa Rica par la CIJ.
25CR 2013/25, p. 16, par. 35 (Argüello).
26 CR 2013/25, p. 11, par. 17 (Argüello) ; CR 2013/25, p. 21, par. 15 (Reichler) ; CR 2013/25, p. 22, par. 17
(Reichler) ; CR 2013/25, p. 24, par. 24 (Reichler) et CR 2013/25, p. 46, par. 12 (Pellet). Voir aussi Certaines activités
menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures conservatoires, ordonnance du
22 novembre 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 365, par. 45. - 13 -
20 38. Le Nicaragua doit également répondre d’obligations découlant du statut spécial
d’Isla Portillos, qui fait partie d’une zone humide protégée en vertu de la convention de Ramsar.
Les parties à la convention de Ramsar sont tenues de promouvoir la conservation des zones
27
humides figurant sur la liste de Ramsar , et pas seulement de conserver les zones humides situées à
l’intérieur de leur territoire souverain. De plus, conformément à l’alinéa d) de l’article 8 et à
l’article 10 de la convention de 1992 sur la conservation de la diversité biologique, le Nicaragua est
tenu de promouvoir la protection des écosystèmes et des habitats naturels du territoire contesté et
28
de prendre les mesures nécessaires pour veiller à la conservation de la diversité biologique . Les
travaux destructeurs du Nicaragua constituent un manquement à ses obligations aux termes de ces
deux conventions.
39. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, ceci conclut mes observations
pour cet après-midi et je vous remercie de votre aimable attention.
The PRESIDENT: Thank you Mr. Wordsworth. You may return to your seat. The Court
will now hear the expert called by Costa Rica. I will first briefly explain the procedure to be
followed for the examination of experts, which will be the same in both cases. I will begin by
inviting the expert to take his place at the rostrum and asking him to make the declaration set out in
Article 64, subparagraph (b), of the Rules of Court. The Party calling the expert will then ask him
to confirm his written statement, which will serve as the examination-in-chief. The other Party will
then be given an opportunity to cross-examine the expert on the contents of his written statement or
his earlier reports. The re-examination that will follow will be limited to matters raised in
cross-examination. Questions may then be put by the President on behalf of the Court, or by
individual judges. The expert should reply orally, without further delay, save in exceptional cases,
for example when the information requested requires verification. According to the Court’s
practice, the verbatim records will be circulated to the Parties as soon as available after each sitting.
Each expert will also be asked to insert into the verbatim record corrections of any mistakes that
2Convention relative aux zones humides d’importance internationale, particulièrement comme habitats des
oiseaux d’eau, signée à Ramsar (Iran) le 2 février 1971, telle que modifiée par le protocole de Paris de décembre 1982 et
par les amendements de Regina du 28 mai 1987, MCR, annexe 14, art. 3 1).
28Convention concernant la conservation de la biodiversité et la protection des zones prioritaires de faune et de
flore sauvages d’Amérique centrale du 5 juin 1992, MCR, annexe 23, art. 8 d) et 10. - 14 -
21 may have occurred — without affecting the sense and content of the testimony/statement given —
and will be requested to return the verbatim record, corrected and duly signed, to the Registrar
within 24 hours of its receipt in order to facilitate any supervision that the Court may think it proper
to exercise in respect of any corrections made. Today, the Court will hear Mr. Colin Thorne.
Mr. Thorne, you may take your place at the rostrum.
Good afternoon, Mr. Thorne. I call upon you to make the solemn declaration for experts as
set out in Article 64, subparagraph (b), of the Rules of Court.
M. THORNE :
«Je déclare solennellement, en tout honneur et en toute conscience, que je dirai
la vérité, toute la vérité et rien que la vérité et que mon exposé correspondra à ma
conviction sincère.»
The PRESIDENT: Thank you, Mr. Thorne. I now give the floor to counsel for Costa Rica,
Mr. Wordsworth, who will ask you to confirm the written statement in front of you.
Mr. Wordsworth, you have the floor.
M. WORDSWORTH : Bonjour. Pourrais-je vous demander de confirmer si les
trois documents que vous avez devant vous, à savoir l’exposé écrit élaboré aux fins de la présente
audience et les deux rapports établis dans le cadre de l’affaire, reflètent fidèlement vos vues
d’expert ?
M. THORNE : Oui.
M. WORDSWORTH : Je pense que le conseil du Nicaragua souhaitera à présent vous poser
un certain nombre de questions.
The PRESIDENT: Thank you, Mr. Wordsworth. I now give the floor to the counsel for
Nicaragua, Mr. Reichler. Mr. Reichler you have the floor for cross-examination.
M. REICHLER : Je vous remercie, Monsieur le président. Si vous le permettez, j’aimerais
tout d’abord serrer la main à l’expert, que je n’ai pas encore rencontré. Je voudrais également
savoir si les dossiers de plaidoiries lui ont déjà été remis, ainsi qu’aux conseils du Costa Rica. Cela - 15 -
a-t-il été fait ? J’avais cru comprendre, Monsieur le président, que les dossiers de plaidoiries de ce
jour devaient être fournis à l’expert et aux conseils du Costa Rica au moment de la prestation de
22
serment, et je voudrais seulement m’assurer que cela a bien été fait. Avons-nous également un
exemplaire pour l’expert ?
The PRESIDENT: Yes, a copy is needed for the expert. Thank you.
M. REICHLER : Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, bonjour.
Comme toujours, c’est un honneur pour moi que de paraître devant vous. M. Thorne, je vous salue
également. Je vous remercie d’être venu et de bien vouloir répondre à mes questions. Si vous le
permettez, Monsieur le président, je commencerai par faire deux remarques préliminaires, dont se
féliciteront, je l’espère, tant les Membres de la Cour que nos amis du Costa Rica. Premièrement, je
ferai de mon mieux pour que cet interrogatoire soit le plus bref possible. Deuxièmement, je ne
poserai aucune question sur le dragage, ni sur le dépôt ou l’enlèvement de sédiments. Cette
promesse ne vaut toutefois que pour aujourd’hui. Il va de soi que nous coopérerons avec le Greffe
pour retirer de notre dossier de plaidoiries surchargé tout document étranger aux sujets traités au
cours du présent interrogatoire.
Monsieur Thorne, pourriez-vous s’il vous plaît vous reporter à l’onglet n 6 du dossier de
plaidoiries ? Le Costa Rica a déclaré que la carte qui s’y trouve — elle va bientôt apparaître
à l’écran — a été établie en 1988 par l’institut géographique national, organe cartographique
officiel du Costa Rica, en collaboration avec le service cartographique de la défense des Etats-Unis.
Est-ce que vous voyez, sur l’agrandissement, l’endroit où sont représentés sur la carte les chenaux
du fleuve San Juan directement reliés à la lagune de Harbor Head, que le Costa Rica appelle
«lagune de los Portillos» ?
M. THORNE : Oui, je le vois.
M. REICHLER : Et voyez-vous, Monsieur Thorne, que ces chenaux sont représentés par des
lignes bleues continues ?
M. THORNE : Oui. - 16 -
M. REICHLER : Puis-je vous demander de bien vouloir vous reporter à la légende — qui a
également été agrandie —, et en particulier à sa toute première ligne ? Convenez-vous que l’auteur
de cette carte a entendu représenter sous forme de ligne bleue continue un chenal considéré comme
pérenne ?
23 M. THORNE : Etant donné qu’il est ainsi qualifié dans la légende, je suppose que ce cours
d’eau est effectivement censé être pérenne.
M. REICHLER : J’appelle à présent votre attention sur deux zones distinctes se trouvant sur
la rive droite du fleuve San Juan proprement dit : l’une est en vert et l’autre, située au nord — elle
jouxte la lagune de Harbor Head —, en bleu clair. Etes-vous d’accord pour dire — n’hésitez pas à
consulter la légende si vous le souhaitez — que la zone en vert est censée représenter une région
boisée et la zone en bleu clair, une zone humide abritant des palmiers nipa ou yolillal ?
M. THORNE : Je ne vois pas les palmiers yolillal, où se trouvent-ils ?
M. REICHLER : Si vous avez besoin d’aide, je peux vous renvoyer à la traduction
espagnole. Les palmiers nipa seraient à gauche.
M. THORNE : Je vois, dans le coin inférieur droit. C’est en effet ce que semble indiquer la
légende.
M. REICHLER : Permettez-moi maintenant de porter à votre attention la note figurant au bas
de la carte, qui indique que cette dernière a été établie par le service cartographique de la défense
des Etats-Unis par des procédés stéréophotogrammétriques, d’après des photographies aériennes
prises en 1961, puis mise à jour en 1988 au moyen de procédés photoplanimétriques, sur la base de
photographies aériennes prises en 1987. On y trouve également la mention «Carte n’ayant pas fait
l’objet d’une vérification sur le terrain». Je suppose que vous la voyez ?
M. THORNE : Je la vois. - 17 -
M. REICHLER : Reconnaissez-vous que l’absence de vérification sur le terrain n’a pas pour
effet de priver cette carte de sa fiabilité pour ce qui est de la représentation des chenaux en
question ?
M. THORNE : Non, je ne partage pas ce point de vue.
M. REICHLER : S’agissant de l’existence des chenaux, cette carte n’est-elle pas fiable du
fait que le service cartographique de la défense des Etats-Unis l’a établie d’après des photographies
aériennes prises en 1961, avant de la mettre à jour en 1988 au moyen de procédés
24 photoplanimétriques, à partir de photographies aériennes prises en 1987, et ce, même s’il n’a pas
effectué de vérification sur le terrain ? Cela ne serait-il pas suffisant, malgré l’absence de pareille
vérification, pour considérer que la carte représente ces chenaux de manière fiable ?
M. THORNE : Pour mener des travaux sur le terrain, quels qu’ils soient, le recours à la
télédétection est devenu quasiment incontournable et ce procédé constitue une prodigieuse source
d’information. Il est cependant impossible de tout voir à 1000 km d’altitude — ou même depuis un
quelconque aéronef —, et c’est pour cela que je suis partisan de la «vérification au sol». Il est
préférable, même si ce n’est peut-être pas toujours indispensable, de contrôler sur le terrain
certaines caractéristiques apparentes d’une image satellite ou d’une photographie aérienne.
M. REICHLER : Merci. Si le service cartographique de la défense avait procédé à une
vérification sur le terrain, en quoi celle-ci aurait-elle consisté ?
M. THORNE : Tout dépend de la finalité de la carte et du but de l’opération. Ne sachant pas
à quoi cette carte était destinée, je pense qu’il vaut mieux que je m’abstienne d’émettre des
hypothèses à son sujet.
M. REICHLER : Selon vous, cette carte serait-elle fiable si une vérification sur le terrain
avait effectivement confirmé que la représentation des chenaux reliant le fleuve à la lagune est
exacte ? - 18 -
M. THORNE : D’après le survol que j’ai effectué le 7 juillet 2011 et les documents que j’ai
examinés, à savoir un certain nombre de photographies aériennes et d’images satellite, l’expérience
m’a enseigné qu’il est extrêmement difficile de voir le terrain en raison du couvert forestier. Par
conséquent, lorsque l’on observe les traces laissées par des voies d’eau qui ont cessé d’être des
défluents vers 1850, ce que l’on voit, en réalité, c’est un trou dans le couvert forestier, plutôt que le
sillon d’un cours d’eau au sol. Cela m’amène à dire, en ce qui concerne la vérification de l’état de
ces caractéristiques des voies d’eau — si c’est bien ce que vous me demandez — qu’il me paraît
hautement souhaitable de procéder à une vérification sur le terrain.
M. REICHLER : Et une vérification sur le terrain permettrait-elle également de confirmer si
l’un ou l’autre de ces chenaux, si tant est qu’il existe, est ou non navigable ? Cette opération
permettrait-elle aussi de le déterminer ?
M. THORNE : Navigable pour quel type de navire ?
25 M. REICHLER : Eh bien, c’est une bonne question. Je suppose que je suis censé y répondre.
M. THORNE : Vous m’en voyez navré.
M. REICHLER : Mais je n’y vois aucune objection, je pense que la question est légitime. Je
vais préciser ma pensée. En fait, je voulais dire navigable pour certains types de navire et pas pour
d’autres. Autrement dit, la vérification sur le terrain permettrait de déterminer si les chenaux sont
navigables et, dans l’affirmative, pour quels types de navire, n’est-ce pas ?
M. THORNE : Eh bien, si je devais m’en assurer, je tenterais de les emprunter à bord du
navire concerné. Et si je parvenais à naviguer sur tel ou tel chenal à bord de ce navire, j’en
conclurais qu’il est navigable.
M. REICHLER : Je vous remercie.
M. THORNE : Il va de soi que cela dépendrait fortement de la saison. Les caractéristiques
du fleuve sont très différentes pendant la saison humide et la saison sèche : un chenal navigable - 19 -
pendant la saison des pluies peut cesser de l’être pendant la saison sèche. C’est d’ailleurs le cas du
cours inférieur du fleuve San Juan lui-même.
M. REICHLER : Pour que l’opération soit fiable, il serait donc préférable d’effectuer une
vérification sur le terrain aussi bien pendant la saison des pluies que pendant la saison sèche ?
M. THORNE : Selon la finalité de la carte, oui.
M. REICHLER : Permettez-moi à présent de vous renvoyer à une autre carte. Celle-ci se
trouve à l’onglet n 8 et date également de 1988. Cette carte date, elle aussi, de 1988 ; elle a été
publiée par l’institut géographique national du Costa Rica, le service de cartographie officiel de ce
dernier. Au paragraphe 2.50 de son mémoire, le Costa Rica déclare qu’il s’agit d’une carte
officielle du pays et, en fait, je ne sais pas si vous étiez présent dans la salle d’audience ce matin,
mais le conseil du Costa Rica l’a montrée, et elle figure à l’onglet n 32 de son dossier de
plaidoiries de la matinée. Convenez-vous donc — surtout en regardant l’agrandissement — que,
26 tout comme sur la carte établie la même année par le service cartographique de la défense des
Etats-Unis, les chenaux du fleuve San Juan sont directement reliés à la lagune de Harbor Head sur
cette carte costa-ricienne également ?
M. THORNE : Ils y apparaissent ; je ne pense pas que cette représentation soit entièrement
exacte, mais ils figurent sur la carte.
M. REICHLER : Mais la carte les représente : vous pouvez contester son exactitude, mais ils
figurent bien dessus.
M. THORNE : Ils apparaissent effectivement sur la carte, mais leur représentation ne me
paraît pas juste.
o
M. REICHLER : J’aimerais à présent en venir à l’onglet n 9, si vous le voulez bien. Il
s’agit d’un rapport technique que le Costa Rica a adressé au Secrétariat de la convention de Ramsar
le 28 octobre 2011, et je précise que c’est l’annexe 155 du mémoire. La carte tirée de ce rapport
montre la même zone sur la rive droite du fleuve que celle qui est représentée en bleu sur les deux - 20 -
cartes de 1988, celle établie par le service cartographique de la défense des Etats-Unis, et la carte
officielle du Costa Rica que nous venons d’examiner. J’aimerais tout d’abord vous demander si
vous convenez que la zone mise en évidence par un trait rouge sur la carte figurant dans le rapport
du Costa Rica au Secrétariat de la convention de Ramsar correspond approximativement à la celle
qui est représentée en bleu sur les cartes de 1988.
M. THORNE : Pas tout à fait.
M. REICHLER : Pas tout à fait, certes, mais diriez-vous qu’il s’agit à peu près de la même
zone ?
M. THORNE : Non, je dirais qu’il ne s’agit pas tout à fait de la même zone.
M. REICHLER : Diriez-vous que ces zones coïncident partiellement ?
M. THORNE : Oui, principalement au nord : la ligne initiale est assez bonne, mais ailleurs,
elle n’est pas pareille.
M. REICHLER : Eh bien, la zone qui est marquée par un trait rouge sur la carte qui est en
fait la figure 1 du rapport du Costa Rica au Secrétariat de la convention de Ramsar est décrite dans
le texte surligné aux pages 12 et 13 de ce document — texte qui est également reproduit sous
o
27 l’onglet n 9 — et, pour vous aider à le trouver, il figure sur les quatrième et cinquième pages sous
cet onglet ; elles doivent porter les numéros 12 et 13 et, comme je l’ai dit, le texte est surligné.
J’aimerais donc lire ce texte avec vous, puis vous poser une ou deux questions à ce propos (je parle
de la figure relative à la zone 1) :
«La zone touchée et les régions environnantes sont des sites très humides,
comportant des espèces végétales hydrophiles et des sols hydromorphes,
principalement associés à la yolillale (forêt marécageuse), qui couvrent une superficie
totale de 226,18 ha … A l’ouest, entre les zones de prairie à herbe haute et sur les
rives du fleuve San Juan, une zone de pâturage s’étend vers l’est jusqu’à une zone de
forêt inondée, qui présente les caractéristiques d’un système marécageux de zone
humide. Celle-ci fait partie du très vaste bloc de forêt inondée qui couvre la région.
Elle jouxte la lagune de Los Portillos dans le secteur occidental.» - 21 -
Etes-vous d’accord avec le Costa Rica, M. Thorne, lorsqu’il qualifie la zone qui jouxte la
lagune de «vaste bloc de forêt inondée» ? Je vous demande seulement si vous être d’accord.
M. THORNE : Vous me demandez si je suis d’accord pour dire que la zone signalée en
rouge est une vaste zone de forêt inondée ? Excusez-moi, je ne suis pas sûr de bien comprendre
votre question.
M. REICHLER : Oui, c’est bien cela. Plus précisément, je vous demande si vous êtes
d’accord avec la description que le Costa Rica a donnée de cette zone dans le rapport qu’il a
adressé au Secrétariat de la convention de Ramsar et que nous venons de lire ensemble. Etes-vous
d’accord avec le Costa Rica lorsqu’il qualifie cette zone de «vaste bloc de forêt inondée» ?
M. THORNE : Dans l’ensemble, oui.
M. REICHLER : Veuillez à présent passer à l’onglet n 10 et, plus précisément, à la page
portant le numéro 12, qui est la troisième en partant du début sous cet onglet. Il s’agit d’un extrait
d’un glossaire établi par le Costa Rica dans le cadre du diagnostic de l’impact sur l’environnement
qu’il a réalisé en novembre 2013. Veuillez lire avec moi la définition que le Costa Rica donne de
l’entrée «parcelle/étendue de yolillale : écosystème tropical fondamental qui se développe
généralement à proximité des côtes, est fréquemment inondé et dans lequel pousse de manière
prédominante le palmier connu sous le nom de «yolillo». Cette définition est-elle correcte ?
M. THORNE : Je ne suis pas expert en écologie tropicale. Je ne m’estime pas qualifié pour
commenter cette définition.
M. REICHLER : Excusez-moi, je ne vous entend pas bien.
28 M. THORNE : Pardon. Je ne suis pas expert en écologie tropicale et j’estime donc que la
réponse à cette question ne relève pas de mon domaine d’expertise.
M. REICHLER : Soit.
J’aimerais à présent me pencher avec vous sur votre propre exposé écrit datant de
o
mars 2015 ; le texte se trouve sous l’onglet n 2, et je me référerai à la deuxième page, en - 22 -
o
particulier au paragraphe 3.2 et à l’alinéa b). Ce texte se trouve sous l’onglet n 2 du dossier de
plaidoiries, mais si vous avez votre propre exemplaire, vous pouvez bien entendu également vous
y reporter, selon ce qui est pour vous le plus commode.
o
M. THORNE : Sous l’onglet n 2 se trouve mon rapport initial d’octobre 2011.
M. REICHLER : Excusez-moi, je fais référence à votre exposé écrit de mars 2015 : celui que
vous avez soumis le mois dernier.
M. THORNE : D’accord, il est sous l’onglet n 1 dans mon dossier. Je veux m’assurer que
je regarde bien le bon document.
M. REICHLER : Vous regardez votre dossier : vous voulez dire, le dossier de plaidoiries ?
M. THORNE : Pardon, il y en a trop.
M. REICHLER : Pas du tout, vous pouvez parfaitement vous reporter à votre version. Si
cela vous convient mieux, je n’y vois aucun inconvénient.
M. THORNE : Non. Ca y est, j’y suis. Trop de dossiers !
M. REICHLER : Prenez le temps qu’il vous faut, Monsieur. Il s’agit de la deuxième page du
texte reproduit sous l’onglet n 2 et, plus précisément, du paragraphe 3.2 et de son alinéa b) ; bien
entendu, vous pouvez consulter n’importe quelle partie de votre rapport que vous souhaitez. Dans
ce passage, vous dites que, «[q]uant à la petite entrée de la pointe sud de la Lagune du Harbor Head
(qui est considérée, si je comprends bien, par le Nicaragua comme étant la partie inférieure d’un
défluent du Río San Juan Inférieur, qui a été «nettoyé» en 2010 pour former le premier caño)»,
votre conclusion est la suivante : «il n’a pas été lié par fleuve au Río San Juan (sauf pendant les
inondations) avant l’excavation du premier San Juan caño». Voyez-vous à quoi je fais référence ?
29 M. THORNE : Oui. - 23 -
M. REICHLER : Serait-il alors correct de déduire de ce passage que vous pensez
effectivement que, en période d’inondation, le fleuve San Juan pourrait être relié à l’extrémité
méridionale de la lagune de Harbor Head ?
M. THORNE : Dans les situations extrêmes, je suis sûr que fleuve San Juan est relié à toutes
les zones humides avoisinantes, y compris l’extrémité méridionale de la lagune de Harbor Head.
M. REICHLER : Merci, et je vous demande à présent de passer à l’onglet n 11. J’appelle
votre attention sur un rapport établi par la mission consultative Ramsar et daté du
17 décembre 2010, que le Costa Rica a soumis à la Cour en tant qu’annexe 147 de son mémoire. Je
vous saurais gré de vous reporter au texte surligné, au bas de la page 120 et au haut de la page 121.
Je vous laisse un instant pour le trouver.
M. THORNE : Merci.
M. REICHLER :
«L’écoulement des eaux qui alimente actuellement la lagune de los Portillos est
issu du fleuve San Juan, principalement contrôlé par les variations du niveau d’eau
dans le secteur de l’embouchure du fleuve, agissant comme un système de vases
communicants, et de l’aquifère superficiel.»
Etes-vous en désaccord avec les auteurs du rapport Ramsar sur ce point ?
M. THORNE : Très franchement, je ne comprends pas ce qu’ils entendent par «vases
communicants».
M. REICHLER : Je vous comprends. Ce texte est une traduction anglaise fournie par le
Costa Rica et nous avons souhaité rester fidèles à l’annexe qu’il a fournie. Dans la version
originale espagnole de ce document, que le Costa Rica a également produite, on peut lire
«vasos communicantes», que je traduirais par «vaisseaux communicants» ou
«véhicules communicants».
M. THORNE : Je ne sais pas trop ce que cela signifie. En ce qui concerne le second point,
en revanche, l’aquifère superficiel, je suis entièrement d’accord : il existe sans doute un lien
souterrain entre le fleuve et la lagune de Harbor Head. Les variations de niveau de la lagune et du - 24 -
fleuve sont déphasées, mais il existe un lien souterrain entre les deux. Dans les situations extrêmes,
30 quand le fleuve sort de son lit, il déborde directement dans la lagune de Harbor Head. Si j’ai bien
compris le fonctionnement du premier caño, celui-ci servait à l’évacuation de l’eau du fleuve vers
la lagune en période d’inondation, puis au reflux subséquent vers le fleuve, parce que sa pente ne
va pas dans le sens de celle qu’aurait manifestement un défluent. Il s’agit d’un canal reliant
deux masses d’eau dans lequel l’eau s’écoule dans les deux sens, contrairement à un défluent.
M. REICHLER : Vous convenez, avec le Secrétariat de la convention de Ramsar, qu’il existe
un aquifère superficiel, en sus de l’aquifère souterrain ?
M. THORNE : Eh bien, oui, mais comprenez-moi bien lorsque je parle d’aquifère
superficiel. Cela signifie qu’il se trouve à un ou deux mètres sous la surface du sol ; il ne s’agit pas
d’un aquifère profond qui serait situé à des dizaines de mètres de profondeur. Le terme
«superficiel» ne signifie pas que l’aquifère est au-dessus de la surface du sol, mais que l’eau circule
à travers la couche de dépôt superficielle.
M. REICHLER : J’aimerais vous demander votre avis en tant que scientifique. Seriez-vous
d’accord pour dire qu’une bonne manière — j’ai bien dit une bonne manière — de vérifier le
bien-fondé de vos conclusions en ce qui concerne l’existence de chenaux reliant le fleuve San Juan
à la lagune de Harbor Head ou la question de savoir si les cartes de 1988 montrant qu’il existe un
lien permanent entre ceux-ci sont exactes consisterait à envoyer sur place un expert ou groupe
d’experts techniquement qualifié et véritablement indépendant, éventuellement désigné par la Cour,
pour qu’il procède à des vérifications sur le terrain ? Cela serait-il une bonne façon de déterminer
une fois pour toutes s’il existe des chenaux qui relient de façon permanente le fleuve à la lagune ?
M. THORNE : Je comprends bien la question, mais je tiens à rappeler mon indépendance en
tant qu’amicus curiae…
M. REICHLER : Pardonnez-moi, je ne voulais pas mettre en doute votre indépendance, en
aucun cas. En employant le terme «indépendant», je voulais simplement dire sans lien, quel qu’il - 25 -
soit, avec l’une ou l’autre des Parties. Je reconnais tout à fait votre indépendance, votre intégrité et
votre honnêteté ; que ce soit parfaitement clair.
M. THORNE : Je vous remercie pour cette clarification. C’est que vous avez dit
«véritablement indépendant», par opposition à une indépendance qui ne serait qu’«apparente»…
31 M. REICHLER : Il me semble que je viens d’expliquer ce que je voulais dire. Cette
explication vous satisfait-elle ? Je ne vous ai pas offensé, j’espère.
M. THORNE : Elle me satisfait pleinement. Non, pas du tout ; il fallait que ce soit clarifié.
M. REICHLER : Cela ne serait-il pas une bonne manière de régler cette question ?
M. THORNE : J’allais vous demander de me répéter la question.
M. REICHLER : J’essaie de vous aider. Vous voulez toujours que je vous rappelle la
question ?
M. THORNE : Oui, s’il vous plaît. Elle m’est en quelque sorte sortie de l’esprit pendant je
réfléchissais à ce dont nous parlions à l’instant.
M. REICHLER : Serait-ce un bon moyen, d’un point de vue scientifique et compte tenu de
l’importance que vous attachez aux vérifications sur le terrain, de confirmer votre point de vue
concernant l’existence de caños pérennes reliant le fleuve à la lagune ou la question de savoir si les
caños pérennes représentés sur les cartes de 1988 s’y trouvent réellement, afin d’en avoir le cœur
net, dans un sens ou dans l’autre, que de demander à un ou plusieurs experts techniquement
qualifiés et totalement indépendants des Parties de procéder à une vérification sur le terrain de la
façon que vous avez décrite auparavant ?
M. THORNE : Je suis tout à fait d’accord, ce serait un excellent moyen de déterminer s’il
existe effectivement un chenal à tel ou tel endroit. Il faudrait que cela soit fait avant toute
intervention humaine de nettoyage, de dégagement ou de creusement. Mais si cela pouvait être fait
a priori, je suis parfaitement d’accord. - 26 -
M. REICHLER : Je vous remercie. Avant de conclure, je voudrais vous poser quelques
questions au sujet de certains effets que pourrait avoir le caño qui a été dégagé, creusé ou construit,
selon le cas, vers la fin 2010. Est-il exact que le caño qui avait été dégagé par le Nicaragua
fin 2010 a été fermé au milieu de l’été 2011 en raison de l’envasement ?
32 M. THORNE : Oui, le caño avait alors été fermé, mais, selon moi, ce n’était pas uniquement
à cause de l’envasement, toutefois.
M. REICHLER : J’aimerais poursuivre sur ce point, mais, comme nous ne disposons que de
quarante minutes, il faut que nous avancions. Le caño avait donc alors été fermé ?
M. THORNE : Il avait été fermé en raison de la baisse du niveau des eaux, de dépôts de
sable à l’embouchure et de l’envasement sur le reste de sa longueur.
M. REICHLER : Quoi qu’il en soit, il avait alors été fermé ?
M. THORNE : Oui. Le canal d’entrée, à l’extrémité sud de la lagune de Harbor Head, est
resté ouvert, et l’est encore à ce jour. Il s’agit d’un bras mort de la lagune. Il n’est ni envasé ni
fermé. Il est toujours là, comme c’est le cas depuis deux cent trente ans.
M. REICHLER : Vous avez écrit et je cite que l’on pouvait conclure, après la
fermeture, «que les effets à court terme du caño sur l’hydrologie, l’hydraulique, la qualité de l’eau
et la dynamique des sédiments du San Juan étaient faibles ou négligeables». Est-ce toujours votre
avis en ce qui concerne les effets à court terme ?
M. THORNE : Absolument.
M. REICHLER : Et vous aviez prédit en octobre 2011 que, en raison de l’envasement
progressif j’essaie de reprendre l’expression que vous avez utilisée , les effets à plus long
terme du caño de 2010 sur le fleuve San Juan seraient, tout comme les répercussions à court terme,
faibles ou négligeables. Vous en souvenez-vous ?
M. THORNE : Oui, c’est bien ce que j’ai écrit. - 27 -
M. REICHLER : Puisque le caño est fermé depuis 2011 et qu’il n’a pas été dégagé à
nouveau, diriez-vous que vos prévisions d’effets à long terme faibles ou négligeables se sont
révélées exactes, du moins à ce jour ?
M. THORNE : Mes prévisions étaient exactes. Mais j’avais émis une réserve, à savoir que
ces prévisions ne valaient que si aucune opération n’était tentée, notamment pour rouvrir, entretenir
33 ou agrandir le caño. Or de tels travaux ont été entrepris en septembre 2013, de sorte que mes
prévisions ne se sont donc pas entièrement avérées.
M. REICHLER : Mais, au moins pour ce qui concerne ce caño, celui qui a été creusé
en 2010, il n’y a pas eu d’autres travaux pour le rouvrir, le creuser, ou le modifier de quelque façon
que ce soit, n’est-ce pas ?
M. THORNE : A ma connaissance, non, rien d’autre n’a été entrepris.
M. REICHLER : Dans votre exposé écrit, vous avez observé que, en dégageant ce caño, le
Nicaragua avait abattu, selon vous, plusieurs hectares de forêt ancienne.
M. THORNE : C’est ce que je pense, en effet.
M. REICHLER : Je voudrais que nous regardions rapidement le document figurant sous
l’onglet n 12. Il s’agit d’un rapport du Gouvernement costa-ricien datant de mai 2011, qui a en
fait été fourni par le Costa Rica le 16 mars dernier au Nicaragua, à la demande de celui-ci. Je vous
renvoie en particulier au passage surligné à la page 3, c’est-à-dire la deuxième page du document,
où il est dit que le Nicaragua a abattu 2,4 hectares d’arbres dans le cadre des travaux afférents à ce
caño. Etes-vous d’accord avec ce chiffre ou avez-vous une estimation différente ?
M. THORNE : Un instant.
M. REICHLER : C’est la traduction anglaise, le passage surligné à la page 3, la
deuxième page de l’onglet n 12. Etes-vous d’accord pour dire que le Nicaragua a abattu
2,5 hectares de forêt au total ? - 28 -
M. THORNE : 2,48 ? C’est ce chiffre dont vous parlez ?
M. REICHLER : Etes-vous d’accord avec cette estimation ?
M. THORNE : Oh. Heu…
M. REICHLER : Si vous ne savez pas, je ne veux pas parler à votre place.
34 M. THORNE : Eh bien, si vous voulez revenir à mon premier rapport, je pourrais vérifier.
Est-ce ce que vous souhaitez ?
M. REICHLER : Je crains que nous n’ayons pas le temps. Mais nous pourrons vérifier cela
une fois l’interrogatoire terminé. En tout état de cause, c’est ce qui figure dans le rapport du
Costa Rica.
Regardons à présent, si vous le voulez bien, le passage surligné à la page 14, c’est-à-dire la
quatrième page du document, sous le même onglet. J’aimerais lire la déclaration du Costa Rica et
savoir si vous êtes d’accord.
«Malgré la tendance favorable observée entre 1997 et 2011 (c’est-à-dire au
cours des quatorze dernières années), la frontière agricole a été considérablement
repoussée pour créer des pâturages faiblement arborés. Pendant cette période, la
frontière agricole a progressé le long d’une bande de terre d’environ 2450 mètres de
long, avec une largeur relativement constante de 160 à 170 mètres. On peut donc
supposer que, au cours de cette période, environ 52 hectares de forêt inondée et de
marais de yolillos ont été perdus.»
Souscrivez-vous à cette affirmation ?
M. THORNE : Certainement.
M. REICHLER : Alors, permettez-moi de vous renvoyer à l’image satellite de janvier 2011 à
la page précédente, qui apparaît à présent à l’écran. Afin que cela ce soit parfaitement clair pour
les membres de la Cour, pourriez-vous dire si vous convenez que les 52 hectares de forêt inondée
abattus à des fins agricoles se situent le long du fleuve, à proximité de l’endroit où le caño a été
dégagé par le Nicaragua fin 2010 ?
M. THORNE : Oui, c’est exact. - 29 -
M. REICHLER : Enfin, je voudrais que nous regardions, sous l’onglet n 10, la o
page 132 pour vous aider, je précise que c’est la quatrième page du document. Et je n’ai plus
que deux questions à vous poser. Je crois que l’on approche des quarante minutes, Monsieur le
président, peut-être pas tout à fait, mais il ne me reste que deux questions à poser, cela ne devrait
pas prendre plus de quelques minutes, si vous le permettez.
The PRESIDENT: OK.
35 M. REICHLER : Voici un autre extrait du diagnostic environnemental réalisé par le
Costa Rica en novembre 2013. Selon le passage surligné, le Costa Rica a abattu, pour construire la
route 1856, quelque 68,3 hectares de forêt primaire altérée. Remettez-vous ce chiffre en cause,
pour quelque raison que ce soit ?
M. THORNE : Je ne peux pas m’en assurer, il faudrait que je vérifie dans les rapports que
j’ai soumis dans l’affaire de la route, mais cela ne me semble pas excessif.
M. REICHLER : Dernière question.
The PRESIDENT: Excuse me. Mr. Wordsworth would like to say something.
M. WORDSWORTH : Il me semble que l’on s’éloigne du sujet…
The PRESIDENT: Please approach the microphone, Mr. Wordsworth.
M. WORDSWORTH : Merci, Monsieur le président. Il me semble seulement que, avec la
dernière question, nous glissons vers une autre affaire. De toute évidence, les questions relatives à
la route doivent être posées la semaine prochaine, pas cette semaine.
M. REICHLER : Puis-je répondre, Monsieur le président ?
The PRESIDENT: Mr. Reichler.
M. REICHLER : Nous ne faisons qu’essayer de mettre en perspective le dommage que le
Costa Rica reproche au Nicaragua de lui avoir causé en abattant 2,48 hectares d’arbres, et ce, en - 30 -
montrant que le Costa Rica a lui-même autorisé l’abattage de 52 hectares de forêt inondée dans le
même secteur, juste avant que le caño ne soit creusé. Et ensuite, lors de la construction de la route,
il a permis l’abattage de 68,3 hectares de forêt primaire altérée.
Je n’ai plus qu’une question, Monsieur le Président. Je vous demande la permission de la
poser avant de conclure l’interrogatoire.
The PRESIDENT: Mr. Reichler, please continue. You still have three minutes left.
36 M. REICHLER : Je vous remercie, Monsieur le président. Monsieur Thorne, pourriez-vous
vous reporter à la page suivante sous le même onglet ? Dans le passage surligné, le Costa Rica
conclut que l’abattage de tous ces arbres, soit 68,3 hectares de forêt primaire altérée, n’a eu qu’un
impact «modéré». Ma question est la suivante : êtes-vous d’accord avec cette appréciation ?
M. THORNE : Il s’agit d’un diagnostic environnemental réalisé par le centre de sciences
tropicales. Comme je l’ai déjà dit, je ne suis pas spécialiste de l’écologie tropicale et je ne
m’estime pas compétent pour commenter ces résultats.
M. REICHLER : Monsieur Thorne, je vous remercie infiniment d’avoir été aussi coopératif.
Je suis très sensible à vos efforts et vous en sais gré. Je vous remercie, Monsieur le président et
Mesdames et Messieurs de la Cour. J’ai terminé mon interrogatoire.
The PRESIDENT: Thank you Mr. Reichler. Mr. Thorne, please remain where you are.
Counsel for Costa Rica, Mr. Wordsworth, do you wish to conduct a re-examination? You have the
floor.
M. WORDSWORTH : Je vous remercie, Monsieur Thorne. On vous a montré une
reproduction de la carte de 1988 du service cartographique de la défense des Etats-Unis, au sujet de
laquelle on vous a déjà interrogé. Mes collègues nicaraguayens m’aideront peut-être à la projeter à
nouveau à l’écran. Quoi qu’il en soit, elle montre un défluent ayant la forme d’un Y et situé au
nord-ouest de la lagune de Harbor Head ; vous en rappelez-vous ?
M. THORNE : Oui. - 31 -
M. WORDSWORTH : Savez-vous si ce défluent en forme de Y est situé au même endroit
que le soi-disant premier caño creusé ou dégagé par le Nicaragua en 2010 ?
M. THORNE : Oui, je le sais.
M. WORDSWORTH : Et quelle est la réponse ?
M. THORNE : La réponse est : non. L’emplacement est totalement différent.
o
37 M. WORDSWORTH : On vous a montré une image aérienne figurant sous l’onglet n 7 du
dossier de plaidoiries qui est devant vous enfin, on ne vous l’a pas à proprement parler montrée,
mais elle se trouve dans le dossier , une image aérienne de 1961, qui, suivant les propos de
M. Reichler, semblerait avoir servi à établir la carte de 1988 du service cartographique de la
défense des Etats-Unis. Cette image aérienne vous aide-t-elle un tant soit peu à savoir si le chenal
au sujet duquel M. Reichler vous a interrogé est relié au fleuve San Juan ?
M. THORNE : L’image en question ne me permet pas de le dire. Sa qualité n’est pas assez
bonne ; le couvert forestier assombrit le cours d’eau qui semble avoir la forme d’un Y et se trouve à
cet endroit.
M. WORDSWORTH : Je vous remercie. Si on laisse de côté les cartes et les images,
considérez-vous qu’il est probable que ce chenal en forme de Y soit relié au fleuve San Juan
comme défluent ?
M. THORNE : A quel moment ?
M. WORDSWORTH : Lorsque le débit est normal.
M. THORNE : D’accord, mais en 1988, lorsque la carte a été établie ?
M. WORDSWORTH : Oui, par exemple.
M. THORNE : Je ne pense pas qu’il était relié aussi récemment. Je peux seulement affirmer
de manière certaine que ce système de défluents était relié en 1850, lorsqu’il paraissait très - 32 -
clairement l’être. Par la suite, le fleuve San Juan s’est déplacé vers l’ouest et a commencé à
combler la baie de Greytown, d’où le détachement de ces défluents. Je n’ai pas connaissance qu’ils
aient été à nouveau remplis à aucun moment.
M. WORDSWORTH : Et en qualité de géomorphologiste, pouvez-vous nous dire la raison
pour laquelle, à votre connaissance, ce défluent resterait ouvert ou fermé au fil du temps ?
M. THORNE : Je pense que la formation de levées naturelles a probablement détaché le
défluent du cours principal. Lorsque l’eau monte et se répand dans la plaine d’inondation, son
38 débit chute, le cours s’élargit immédiatement et les sédiments grossiers forment des levées
naturelles. Il ne s’agit pas de levées servant à maîtriser les crues, comme dans le
fleuve Mississippi, mais d’une élévation naturelle du sol qui contribuerait à détacher le défluent.
Toutefois, cette zone reçoit des pluies abondantes de plusieurs mètres par an. Les anciens défluents
ont pu rester ouverts en drainant l’eau de pluie et l’eau de la zone humide dans la lagune de
Harbor Head.
M. WORDSWORTH : Je vous remercie. On vous a demandé si un expert indépendant je
pense que l’on voulait dire par là un expert désigné par la Cour pourrait aider à déterminer
l’endroit où les chenaux étaient reliés au fleuve San Juan. Pensez-vous qu’il serait utile de disposer
de photographies prises depuis le fleuve, sans doute à n’importe quel moment par des experts
nicaraguayens, pour savoir si tel ou tel chenal était ou non relié au fleuve San Juan ?
M. THORNE : Oui, à conditions d’être géoréférencées et datées, ces photographies
constitueraient des éléments de preuve utiles. Cependant, une image, qu’elle soit prise par
télédétection ou autrement, ne remplace pas parfaitement une visite en personne sur le terrain.
M. WORDSWORTH : Je vous remercie. Le Costa Rica n’a pas d’autres questions.
The PRESIDENT: Thank you. Mr. Thorne, some of the judges would like to put questions
to you. Could you please wait a moment. I will call upon them in order of seniority.
Judge Greenwood would like to put a question, or maybe two, to Mr. Thorne. Judge
Greenwood you have the floor. - 33 -
Le juge GREENWOOD : Merci, Monsieur le président. Monsieur Thorne, j’aimerais vous
poser quelques questions. Je crains que la première ne présente une difficulté pratique car elle
concerne une carte à laquelle il est fait référence dans l’exposé écrit de M. Kondolf. Peut-être
qu’une copie de ce document pourrait vous être fournie si le conseil du Nicaragua en a une sous la
39
main, à moins, Monsieur le président, que l’un des fonctionnaires du Greffe n’ait en sa possession
le document CRN-NCR 2015/22, dans lequel sont compilés les exposés écrits.
M. THORNE : Je l’ai ici.
Le juge GREENWOOD : Ah, vous l’avez ? Bien, merci. Pouvez-vous vous reporter à la
page 11 de ce document, s’il vous plaît ? On y trouve deux agrandissements de cartes, dont
l’une celle qui se trouve au-dessous est celle de 1988 à propos de laquelle on vous a
interrogé. Par souci d’exhaustivité, je voudrais seulement vous poser quelques questions sur la
carte antérieure, c’est-à-dire celle de 1949. Cette carte vous semble-t-elle représenter une sorte de
chenal reliant le fleuve San Juan et un point situé juste avant l’extrémité méridionale de la lagune
de Harbor Head ?
M. THORNE : C’est ce qu’il semble, oui.
Le juge GREENWOOD : Je vous remercie. Pensez-vous qu’il s’agit d’une représentation
exacte de la situation en 1949 ?
M. THORNE : Non, je ne le pense pas.
Le juge GREENWOOD : Pouvez-vous nous expliquer brièvement pourquoi ?
M. THORNE : Si vous avez tous une bonne vue, et si vous regardez les défluents en forme
de Y dont nous avons assez longuement parlé ce matin, vous noterez qu’ils s’arrêtent tous avant
d’atteindre le fleuve, alors que le chenal incurvé qui se détache de celui-ci va jusqu’à la lagune de
Harbor Head. Je pense qu’il s’agit d’une erreur cartographique et que cette ligne était censée
rejoindre les défluents en forme de Y, comme sur la carte de 1988. Je remarque également que la
zone n’y est pas restituée fidèlement de bien d’autres manières : le Taura apparaît comme un - 34 -
défluent, alors qu’il était déjà asséché depuis des décennies, et la langue de terre qui traverse la
lagune de Harbor Head n’est pas représentée correctement. Cette carte a une échelle
de 1/400 000 — il s’agit d’une carte nationale représentant l’ensemble du Costa Rica — et pareilles
erreurs sont excusables, mais elles rendent inutilisables de tels agrandissements.
40 Le juge GREENWOOD : Je vous remercie. Deuxièmement, Monsieur Thorne, dans votre
premier rapport, qui est annexé au mémoire du Costa Rica en l’espèce — si vous l’avez —,
(résumé, section 3, à la page 312 du mémoire), vous affirmez que la valeur totale de la perte en
capital naturel et en services écologiques associée à la destruction des 292 arbres abattus en
octobre 2010 pour faire place au caño serait estimée à plus de 1,5 millions de dollars — je présume
qu’il s’agit de dollars des Etats-Unis d’Amérique ?
M. THORNE : C’est ce que je crois comprendre.
Le juge GREENWOOD : Est-ce votre estimation ?
M. THORNE : Pardon ?
Le juge GREENWOOD : Vous y donnez une estimation, est-ce la vôtre ?
M. THORNE : Non, ce n’est pas la mienne.
Le juge GREENWOOD : Qui en est l’auteur ?
M. THORNE : L’estimation émane — si l’on se reporte aux sources citées, je pourrais la
retrouver — c’est un organe de protection de l’environnement du Costa Rica qui a procédé à
l’estimation de la valeur totale des ressources mises en danger par les travaux.
Le juge GREENWOOD : Je vous remercie. Etes-vous en mesure, en votre qualité d’expert,
de confirmer cette estimation ? Pensez-vous qu’elle est exacte ?
M. THORNE : Je ne suis pas spécialiste du domaine de l’évaluation des biens et services
écologiques, même si je travaille assez souvent avec des experts en la matière. Je n’avais aucune
raison de mettre en doute leurs chiffres en me fondant sur ma connaissance des services - 35 -
écologiques rendus par la forêt ancienne, c’est pourquoi j’ai considéré l’estimation comme étant
raisonnable et je l’ai acceptée. Je ne suis pas suffisamment expert en la matière pour la reproduire
de manière indépendante.
Le juge GREENWOOD : Je vous remercie. Je vous remercie Monsieur le président, je n’ai
plus de question.
41 The PRESIDENT: Thank you. I now call upon Judge Xue who would also like to put a
question to the expert.
La juge XUE : Merci, Monsieur le président. M. Thorne, j’ai une question à vous poser.
Dans votre rapport, si vous vous rappelez, concernant l’affaire relative à Certaines activités menées
par le Nicaragua dans la région frontalière, vous élaborez trois scénarios pour ce qui est de
l’augmentation du débit dans le cours inférieur du fleuve San Juan. Pourriez-vous préciser la
situation qui sert de point de départ à votre analyse ? En particulier, que considérez-vous comme la
situation initiale et sur quoi vous appuyez-vous pour définir celle-ci ? Merci.
M. THORNE : Si l’on se reporte au programme de dragage — j’aurais besoin d’aide pour
parvenir au tableau montrant les trois scénarios de dragage ; merci, j’y viens tout juste. Il s’agit
effectivement de trois scénarios : le premier correspond à la pleine exécution du programme de
dragage du Nicaragua ; dans les deux autres, nous explorons l’ampleur des travaux de dragage
nécessaires (la mesure dans laquelle le chenal devrait encore être élargi) pour que la poursuite des
objectifs du programme destiné à assurer la navigation à l’année longue et l’augmentation du débit
vers les zones humides dépendant du San Juan inférieur se traduise par un effet bénéfique.
La juge XUE : Merci. Mais ma question est la suivante : l’hypothèse de base à partir de
laquelle vous avez élaboré ces trois scénarios est très importante et doit être comparable à la
situation réelle du San Juan inférieur ; comment avez-vous défini cette hypothèse de base, le point
de départ ?
M. THORNE : Voilà une excellente question. Nous sommes partis du principe que le
programme de dragage proposé n’aurait pas les résultats escomptés, parce qu’il était fondé sur - 36 -
l’application de l’équation de Chezy de 1779 relative à l’écoulement stable et uniforme, dont
M. van Rhee, qui a effectué ces calculs, a reconnu dans son second rapport qu’elle était
inopportune parce qu’elle conduit à la surestimation du transfert d’eau. Nous avons plutôt opté
pour l’outil de recherche du centre d’ingénierie hydraulique, soit le modèle d’écoulement à
variation progressive du Corps des ingénieurs de l'armée des Etats-Unis, et avons découvert que,
dans sa conception initiale, le programme de dragage serait sans effet, la différence étant de
20 mètres cubes par seconde, c’est-à-dire négligeable. C’est alors que nous avons commencé à
nous demander ce qu’il faudrait faire pour atteindre les objectifs, puis ce qui serait nécessaire pour
qu’il en résulte des avantages mesurables pour les zones humides. Mais il s’agit bien de scénarios,
42 et loin de nous l’idée d’avancer que c’est ce qui se produira ou devrait se produire. Il s’agissait
d’explorer les faiblesses de l’analyse de l’écoulement uniforme par simple étude réalisée par
van Rhee et de Vriend.
La juge XUE : Je vois ce que vous voulez dire, et vous remercie. Merci, Monsieur le
président ; c’est tout ce que je souhaitais savoir.
The PRESIDENT: Thank you. If the Court has no more questions I think not , this
brings to a close Mr. Thorne’s deposition. Sorry, Judge Robinson would like to put a question to
the expert. Judge Robinson, you have the floor.
Le juge ROBINSON : Merci, Monsieur le président. Monsieur Thorne, j’aimerais revenir
sur le paragraphe 5.12 de votre exposé écrit, où, en parlant du premier caño, vous formulez la
conclusion suivante : «[e]n outre, de toute façon, l’abattage d’une forêt aussi âgée constitue un
dommage important». Puis, au paragraphe 6.3, vous abordez l’examen de l’impact des deuxième et
troisième caños et vous dites à cet égard qu’un dommage a été causé par l’enlèvement de la
végétation, notamment l’abattage d’arbres, l’enlèvement du sol et du sous-bois, et le dépôt des
matériaux dragués sur les zones humides. J’ai par ailleurs pris bonne note de la précision apportée
par M. Wordsworth, selon laquelle, dans le contexte des moyens avancés par le Costa Rica — et il
n’est, de toute façon, pas question ici de dommage transfrontière —, la question du dommage à
l’environnement continue de se poser et je voulais savoir l’importance qu’il y avait lieu d’accorder - 37 -
à la différence entre la formulation que vous utilisez au paragraphe 5.12, où vous employez
l’épithète «important», et celle du paragraphe 6.3, d’où ce terme est absent.
M. THORNE : A mon avis, le sol et la végétation que traverse le premier caño étaient par
nature différents de ceux qui se trouvent à l’emplacement des deuxième et troisième caños, qui sont
situés beaucoup plus au nord et sont beaucoup plus jeunes puisqu’ils font suite à la progradation du
delta, de nombreuses années après la formation du territoire à la base de celui-ci. En conséquence,
puisque ce sol n’était pas aussi vieux et bien établi, il ne portait pas d’arbres aussi âgés que ceux
qui ont été éliminés lors du creusement du premier caño. C’est pourquoi j’estime que l’impact des
deuxième et troisième caños sur l’environnement a été moindre que celui du premier. Certes, la
végétation se rétablit très rapidement dans ces régions, mais il faut tout de même deux cents ans à
un arbre pour atteindre cet âge.
43 Le juge ROBINSON : Je vous remercie.
The PRESIDENT: Thank you. I now give the floor to Judge Owada who would also like to
put a question to the expert.
Le juge OWADA : Merci, Monsieur le président. J’ai une question à poser à M. Thorne.
Elle porte sur un point qui n’a pas été abordé au cours du contre-interrogatoire ou de
l’interrogatoire complémentaire, c’est pourquoi je me suis abstenu de la poser, mais, puisqu’il est
question de votre exposé écrit lui-même, votre rapport, j’aimerais obtenir plus de détails et
d’explications sur ce point. Au paragraphe 4.17 de votre exposé, vous affirmez que, «si le
programme de dragage du Nicaragua devait être à la fois répété et étendu» — c’est au
paragraphe 4.17 —, je cite l’expression précise que vous employez, «si le programme de dragage
du Nicaragua devait être à la fois répété et étendu». J’aimerais avoir des précisions sur ce que vous
entendez par là. Quel type de programme de dragage répété et étendu aviez-vous à l’esprit en
l’occurrence, et quel type d’impact préjudiciable appréhendez-vous ? Je vous remercie.
M. THORNE : Le paragraphe 4.17 découle directement du paragraphe 4.16, où j’en venais à
la conclusion que les travaux de dragage en cours — qui ne concernent pour ainsi dire que le - 38 -
premier tronçon du fleuve — ont pour effet de réduire la pente du lit et, partant, de priver le
San Juan inférieur de sa capacité déjà très faible de charrier les sédiments, cette capacité étant
proportionnelle à la pente. Telle est également la conclusion de M. van Rhee. Deuxièmement,
l’échelle susceptible, selon MM. Van Rhee et de Vriend, de produire le profil de dragage
correct je veux dire par là, comme le montre la figure 3, en page 10 de mon exposé —, ainsi que
vous le verrez, le profil de dragage corrigé se traduit par une augmentation très très faible du débit
du San Juan inférieur. Or il faudrait beaucoup plus que cela pour améliorer la situation du fleuve
sur le plan environnemental, en faisant grimper les lignes tracées sur le graphique de la figure 3.
Pour en venir au fait, ce que l’on constate, c’est qu’il faut élargir considérablement le chenal pour
augmenter le débit de façon sensible. Aussi le dommage auquel je fais allusion est-il celui qui
résulterait de l’abattage d’arbres sur les rives, avec la déstabilisation de celles-ci et la perte des
44 habitats qui s’y trouvent et qui sont particulièrement précieux, ce à quoi s’ajoute, bien entendu,
l’enlèvement du lit du fleuve, avec toutes les formes de vie qu’il contient, et son rejet sur la plaine
d’inondation, tuant tout ce qui s’y trouve. Voilà donc pourquoi je me suis dit d’avis que les
dommages augmenteraient de façon exponentielle en cas d’expansion et d’intensification du
programme, selon ce que j’appréhendais.
Le juge OWADA : Je vous remercie.
The PRESIDENT: Thank you. This brings to a close Mr. Thorne’s deposition. Thank you
for appearing before the Court. Professor, you may now leave the rostrum. Thank you.
M. THORNE : Je vous remercie de votre attention, Madame, Messieurs. Je m’honore
d’avoir eu l’occasion de m’adresser à vous et, si j’osais, j’ajouterais que je me réjouis à l’idée
d’être de retour devant vous la semaine prochaine.
The PRESIDENT: Thank you. The Court will now take a 15-minute break. The hearing is
suspended.
The Court adjourned from 16.35 p.m. to 16.50 p.m. - 39 -
The PRESIDENT: Please be seated. Judge ad hoc Guillaume has returned to the Court.
We shall now hear the remainder of Costa Rica’s arguments and I shall give the floor to Ms Parlett.
You have the floor.
Mme PARLETT :
L E RÉGIME JURIDIQUE APPLICABLE EN MATIÈRE DE DOMMAGES TRANSFRONTIÈRES
CAUSÉS À L ’ENVIRONNEMENT
A. Introduction
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les Membres de la Cour, c’est un honneur
pour moi que de plaider une nouvelle fois devant vous au nom du Costa Rica. Mon intervention
portera aujourd’hui sur le régime applicable aux dommages transfrontières dans le contexte
particulier des relations juridiques entre le Costa Rica et le Nicaragua, question sur laquelle il existe
45 un certain nombre de divergences de vues entre les Parties. Or, ces divergences ont des incidences
sur les demandes du Costa Rica dans la présente affaire, et notamment celles qui sont liées au
programme de dragage mené par le Nicaragua dans le fleuve San Juan, ainsi que sur les allégations
présentées en l’affaire de la Construction d’une route par le Nicaragua, qui invoque la
responsabilité du Costa Rica au titre de dommages transfrontières causés à l’environnement.
Plus largement, il est essentiel pour ces deux Etats voisins, en vue de leurs relations futures, de
régler l’ensemble des points qui les divisent sur la question du droit de l’environnement applicable.
Le Costa Rica ne voudrait pas avoir à introduire une nouvelle instance devant la Cour dans un an
en raison d’un autre grand chantier qu’aura entrepris le Nicaragua sans en avoir dûment informé
son voisin et l’avoir consulté, et sans respecter les droits que lui reconnaît le droit international.
2. Je commencerai par présenter brièvement trois obligations découlant du droit international
général : l’obligation de ne pas causer de dommage transfrontière important, l’obligation
d’information et de consultation à l’égard d’activités comportant un risque de causer pareil
dommage, et l’obligation de procéder à une évaluation adéquate de l’impact sur l’environnement.
Je me pencherai également sur deux des traités pertinents auxquels le Costa Rica et le Nicaragua
sont parties, la convention de Ramsar de 1971 et la convention de 1992 concernant la conservation
de la biodiversité et la protection des zones prioritaires de faune et de flore sauvages - 40 -
d’Amérique centrale. Enfin, j’exposerai comment le Nicaragua tente de se soustraire à ces
obligations pour ce qui est des activités qu’il mène sur le fleuve San Juan.
B. Obligations découlant du droit international général
3. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, les Parties s’accordent, pour
l’essentiel, sur l’existence de trois grands principes pertinents.
4. Le premier est l’obligation, au regard du droit international général, de ne pas causer de
dommage transfrontière important. Ainsi que la Cour l’a confirmé dans l’affaire des Usines de
pâte à papier, «[un] Etat est tenu de mettre en œuvre tous les moyens à sa disposition pour éviter
que les activités qui se déroulent sur son territoire, ou sur tout espace relevant de sa juridiction, ne
causent un préjudice sensible à l’environnement d’un autre Etat» . Ce même principe a également
été énoncé dans l’affaire de la Fonderie de Trail, où le tribunal arbitral a précisé que,
«selon les principes du droit international, … aucun Etat n’a le droit de faire usage de
son territoire ou de permettre qu’il en soit fait usage d’une manière telle qu’un
dommage soit causé, par l’émission de fumées, au territoire ou à l’intérieur du
territoire d’un autre Etat ou encore aux biens ou personnes s’y trouvant,
46 quand l’affaire à des graves conséquences et que la preuve du dommage a été faite de
manière claire et convaincante» (les italiques sont de nous).
31
5. S’il admet l’existence de cette obligation d’un point de vue général , et, d’ailleurs,
l’invoque pour alléguer l’existence de dommages transfrontières importants en l’affaire de la
32
Construction d’une route , le Nicaragua soutient que celle-ci ne s’applique pas aux travaux qu’il
pourrait entreprendre sur le fleuve San Juan . Je reviendrai dans un instant aux arguments qu’il
avance à cet égard.
29
Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 56,
par. 101 (les italiques sont de nous).
30
Arbitrage concernant la Fonderie de Trail (Etats-Unis d’Amérique c. Canada), sentence du 11 mars 1941,
Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. III, p. 1965.
31Voir Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), CMN,
par. 3.28, citant Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I),
p. 241-242, par. 29 ; Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua),
CMN, par. 3.[32], citant l’article 7 de la convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux à
des fins autres que la navigation et son commentaire ; et Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région
frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), CMN, par. 3.31-3.32.
32Voir notamment Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica),
RN, par. 6.69-6.70.
33Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), CMN,
par. 3.26. - 41 -
6. Le deuxième grand principe, d’ordre procédural, est l’obligation de notifier aux
Etats voisins toute activité comportant un risque de dommage transfrontière important et de les
consulter à ce sujet. Une illustration en est donné par l’affaire du Détroit de Corfou, dans laquelle
la Cour a précisé que ce devoir d’information était fondé sur «des considérations élémentaires
d'humanité» . Cette prescription générale se traduit par une obligation précise d’information et de
35
consultation lorsqu’il existe un risque d’effets transfrontières significatifs sur l’environnement .
7. La logique sous-jacente de l’obligation de notification et de consultation, ainsi que son
application dans le contexte particulier d’un fleuve, ont été précisées dans l’affaire des Usines de
pâte à papier, où la Cour a souligné l’importance de «la vigilance et [de] la prévention … en raison
du caractère souvent irréversible des dommages causés à l’environnement» . 36 De même,
l’obligation de mener des consultations et des négociations en toute bonne foi a été reconnue en
l’affaire du Lac Lanoux, où le tribunal d’arbitrage a rappelé que «[l]es consultations et négociations
entre les deux Etats doivent être sincères et conformes aux règles de la bonne foi et ne sauraient
être de simples formalités» . 37
47 8. Là encore, le Nicaragua admet l’existence de cette obligation , mais soutient que celle-ci
39
ne s’applique pas aux travaux qu’il pourrait entreprendre sur le fleuve San Juan . Je reviendrai sur
ce point dans un moment.
9. La troisième obligation pertinente découlant du droit international général porte sur la
conduite d’une évaluation adéquate de l’impact transfrontière sur l’environnement. Ainsi que la
Cour l’a souligné en l’affaire des Usines de pâte à papier, «l’on peut désormais considérer qu’il
existe, en droit international général, une obligation de procéder à une évaluation de l’impact sur
34Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1949, p. 22.
35Voir rapport de la conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, déclaration de Rio
sur l’environnement et le développement, 1992, principe 19, Nations Unies, doc. A/CONF.151/26 (vol. I).
Voir également affaire du Lac Lanoux (Espagne, France), sentence du 16 novembre 1957, Nations Unies, Recueil des
sentences arbitrales, vol. XII, p. 119 ; et rapport de la commission du droit international à l’Assemblée générale sur les
travaux de sa cinquante-troisième sesoion, articles 8 1) et 9 1), documents officiels de l’Assemblée générale,
cinquante-sixième session, supplément n 10, doc. A/56/10.
36Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 76-77,
par. 185, citant le Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 77-78, par. 140.
37 Affaire du Lac Lanoux (Espagne, France), sentence du 16 novembre 1957, Nations Unies, Recueil des
sentences arbitrales, vol. XII, p. 119.
38Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), CMN,
par. 3.36.
39Ibid., par. 3.38. - 42 -
l’environnement» en cas de risque d’effets préjudiciables transfrontières importants. 40 Cette
41
prescription est également énoncée dans un certain nombre d’instruments , ainsi que dans des
traités auxquels le Nicaragua est partie . 42
10. Ce principe général est toutefois soumis à une restriction importante, pertinente dans le
contexte de l’affaire relative à la Construction d’une route, en ce qu’il ne s’applique qu’à l’égard
des projets susceptibles de causer des dommages importants . Par ailleurs, ainsi que la Cour l’a
exposé en l’affaire des Usines de pâte à papier, le droit international renvoie au droit interne pour
ce qui est de la définition de la teneur exacte de l’évaluation éventuellement requise dans un cas
44
donné . En conséquence, ainsi que cela sera exposé plus en détail la semaine prochaine, si, à titre
exceptionnel, le droit interne dispense de la conduite d’une évaluation en situation d’urgence, le
droit international général reconnaît également cette disposition juridique interne.
11. En la présente espèce, le Nicaragua admet expressément qu’un Etat est tenu, au regard du
droit international général, de conduire une évaluation de l’impact sur l’environnement en cas
45
48 d’activités susceptibles de causer des dommages transfrontières importants , et se borne à affirmer
46
qu’il s’est conformé à cette obligation . M. l’ambassadeur Ugalde exposera dans un instant qu’il
n’en est rien, et démontrera que, en mettant en œuvre son programme de dragage, le Nicaragua a
agi en violation des obligations que lui impose le droit international général.
40
Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 83,
par. 205.
41
Notamment les «Principes de conduite dans le domaine de l’environnement pour l’orientation des Etats en
matière de conservation et d’utilisation harmonieuse des ressources naturelles partagées par deux ou plusieurs Etats»,
18 décembre 1979, principe 5, Nations Unies, doc. A/RES/34/186 ; charte mondiale de la nature, 28 octobre 1982,
par. 11 b) et c), Nations Unies, doc. A/RES/37/7 ; rapport de la conférence des Nations Unies sur l’environnement et le
développement, déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, 1992, principe 17, Nations Unies,
doc. A/CONF.151/26 (vol. I) ; projet d’articles de la commission du droit international sur la prévention des dommages
transfrontières résultant d’activités dongereuses, article 7, documents officiels de l’Assemblée générale,
cinquante-sixième session, supplément n 10, doc. A/56/10 ; et buts et principes de l’évaluation de l’impact sur
l’environnement énoncés par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) en 1987, UNEP/WG.152/4
Annexe, (1987), document adopté par le Conseil d’administration du PNUE lors de sa 14 session (déc. 14/25 (1987)).
42
Voir par exemple convention sur la diversité biologique, conclue à Rio de Janeiro le 5 juin 1992, article 14,
Nations Unies, Recueil des traités, vol. 1760, p. 79 (MCR, annexe 24).
43
Voir Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), CMCR,
par. 5.8-5.11.
44
Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 83,
par. 205.
45
Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), CMN,
par. 3.47.
46
Ibid., par. 3.48. - 43 -
C. Obligations établies par les traités ayant trait à l’environnement
12. A ces obligations découlant du droit international général s’ajoutent un certain nombre
d’obligations particulières découlant de traités portant sur l’environnement auxquels le Costa Rica
et le Nicaragua sont parties. Je relèverai par ailleurs que le traité de 1858, tel qu’interprété par la
sentence Cleveland, impose au Nicaragua des obligations à l’égard du fleuve San Juan, soumettant
notamment sa faculté d’y conduire des travaux d’aménagement à la condition que pareils travaux
n’entraînent aucun dommage sur le territoire costa-ricien, ni aucune perte ni perturbation grave des
47
droits de navigation du Costa Rica . Ce même instrument oblige par ailleurs explicitement le
Nicaragua à informer et consulter le Costa Rica, et à obtenir son accord, pour ce qui est des projets
de construction de canaux susceptibles d’entraîner l’occupation ou l’inondation du territoire du
48
Costa Rica, ou de perturber gravement ses droits de navigation .
13. S’agissant des autres traités pertinents, je m’arrêterai brièvement sur deux d’entre eux : la
convention de Ramsar de 1971 et la convention de 1992 concernant la conservation de la
biodiversité et la protection des zones prioritaires de faune et de flore sauvages
d’Amérique centrale.
14. Le Costa Rica et le Nicaragua sont tous deux parties à la convention de Ramsar , qui 49
protège certaines zones désignées comme des zones humides d’importance internationale. Ainsi
que l’a exposé M. Brenes ce matin, l’environnement du fleuve San Juan, et en particulier la zone où
le Nicaragua a procédé au creusement des trois caños artificiels et mené ses activités de dragage,
constituent des zones protégées en vertu de la convention de Ramsar.
49 15. Alors qu’il soutenait, en la présente espèce, que la convention de Ramsar suivait une
«approche souple» , le Nicaragua a finalement admis, en l’affaire relative à la Construction d’une
route, qu’elle imposait l’obligation de favoriser la conservation des zones humides inscrites sur la
47
Sentence arbitrale rendue le 22 mars 1888 par le président des Etats-Unis d’Amérique Grover Cleveland sur la
validité du traité de limites de 1858 signé entre le Nicaragua et le Costa Rica, art. 3, par. 6, (MCR, annexe 7).
48
Traité de limites territoriales entre le Costa Rica et le Nicaragua, San José, 15 avril 1858 («traité Cañas-Jerez»),
art. VIII (MCR, annexe 1) ; sentence arbitrale rendue le 22 mars 1888 par le président des Etats-Unis d’Amérique
Grover Cleveland sur la validité du traité de limites de 1858 signé entre le Nicaragua et le Costa Rica, art. 3, par. 10)
et 11) (MCR, annexe 7).
49
Convention relative aux zones humides d’importance internationale, particulièrement comme habitats des
oiseaux d’eau, conclue à Ramsar (Iran) le 2 février 1971, telle que modifiée par le protocole de Paris du 3 décembre 1982
et les amendements de Regina du 28 mai 1987 (MCR, annexe 14).
50 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), CMN,
par. 5.140. - 44 -
liste , et que cette obligation s’étendait aux zones humides situées en territoire costa-ricien . La 52
convention de Ramsar oblige par ailleurs les Etats à se consulter et à coordonner leurs efforts,
s’agissant des modifications des conditions écologiques susceptibles de se produire dans les zones
humides protégées, et à en informer le Secrétariat de la convention . Ces obligations particulières
de consultation, de conservation, de coordination et de notification viennent compléter les
obligations auxquelles le Nicaragua est soumis en vertu du droit international général, dont j’ai
parlé précédemment.
16. Outre la convention de Ramsar, le Nicaragua est également lié par la convention du
5 juin 1992 concernant la conservation de la biodiversité et la protection des zones prioritaires de
faune et de flore sauvages d’Amérique centrale, qui lui impose de protéger et de préserver le
territoire litigieux et le fleuve San Juan . 54 Comme il l’admet lui-même , l’objet de cette
56
convention est de préserver, dans toute la mesure du possible, la diversité biologique de la région .
La convention de 1992 répertorie des zones prioritaires de conservation, parmi lesquelles figure la
zone définie en vertu de l’accord bilatéral de 1990 sur le système international de zones protégées
pour la paix [SI-A-PAZ] . La zone sur laquelle porte cet accord comprend la forêt tropicale qui
borde la côte caraïbe d’Amérique centrale, désignée «projet de conservation prioritaire dans les
58
50 deux pays» . S’agissant de ces zones, les Etats contractants sont tenus d’assurer la conservation de
la biodiversité et de coordonner l’ensemble des activités frontalières et régionales . Là encore, les
51
Convention relative aux zones humides d’importance internationale, particulièrement comme habitats des
oiseaux d’eau, conclue à Ramsar (Iran) le 2 février 1971, telle que modifiée par le protocole de Paris du 3 décembre 1982
et les amendements de Regina du 28 mai 1987, en particulier art. 2-4 (MCR, annexe 14).
52
Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), MN, par. 5.75.
53
Convention relative aux zones humides d’importance internationale, particulièrement comme habitats des
oiseaux d’eau, conclue à Ramsar (Iran) le 2 février 1971, telle que modifiée par le protocole de Paris du 3 décembre 1982
et les amendements de Regina du 28 mai 1987, art. 3 2), 5 et 8 2) c) (MCR, annexe 14)
54
Convention du 5 juin 1992 concernant la conservation de la biodiversité et la protection des zones prioritaires
de faune et de flore sauvages d’Amérique centrale, en particulier art. 8 d) et 10 (MCR, annexe 23).
55
Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), MN, par. 5.93.
56
Convention du 5 juin 1992 concernant la conservation de la biodiversité et la protection des zones prioritaires
de faune et de flore sauvages d’Amérique centrale, art. premier (MCR, annexe 23).
57
Ibid., art. 18 ; accord sur les zones frontalières protégées conclu entre le Costa Rica et le Nicaragua (accord sur
le système international de zones protégées pour la paix [SI-A-PAZ]), 15 décembre 1990 (MCR, annexe 22).
58
Ibid., art. premier.
59
Convention du 5 juin 1992 concernant la conservation de la biodiversité et la protection des zones prioritaires
de faune et de flore sauvages d’Amérique centrale, art. 10 (MCR, annexe 23) - 45 -
obligations particulières de conservation et de coordination du Nicaragua viennent s’ajouter à ses
obligations au titre du droit international général.
D. Les obligations découlant du droit international de l’environnement
s’appliquent au fleuve San Juan
17. Si le Nicaragua reconnaît que les obligations relatives à la protection de l’environnement
découlent du droit international général et d’instruments internationaux, il soutient que la plupart ne
s’appliquent pas aux activités qu’il mène sur le fleuve San Juan. Il fait valoir en particulier que
l’obligation de ne pas causer d’importants dommages transfrontières, l’obligation de notifier au
Costa Rica les activités susceptibles d’entraîner de tels dommages et de le consulter à leur sujet,
ainsi que les obligations qui lui incombent au titre de traités relatifs à l’environnement n’entrent pas
en ligne de compte car le traité de 1858, tel qu’interprété par la sentence Cleveland, constitue une
60
lex specialis .
18. A l’appui de cet argument, le Nicaragua invoque l’arrêt prononcé par la Cour en 2009
dans l’affaire des Droits de navigation. Vous y disiez qu’il ne vous était pas nécessaire de tenir
compte des droits de navigation découlant du droit international général car «le traité de limites
de 1858 défini[ssait] de manière complète les règles applicable à la portion en litige du
fleuve San Juan en matière de navigation» . Le Nicaragua cherche à élargir cette conclusion de
manière à ce qu’elle l’emporte sur toute autre obligation concernant la protection de
l’environnement . Mais pour ce faire, il doit démontrer, comme vous l’avez précisé dans l’affaire
relative aux Droits de navigation, soit que les dispositions du traité de 1858 telles qu’interprétées
par la sentence Cleveland l’emportent sur ces autres obligations , soit que ce traité «vis[ait] à
64
définir de manière complète le régime applicable» à l’environnement. Ce n’est manifestement
pas le cas. Le traité de 1858 et la sentence Cleveland n’excluent pas l’application des règles
60 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), CMN,
par. 3.33, 3.38-3.39, 3.47 et 3.51-3.52. Voir également par. 4.36 et 5.173.
61
Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), arrêt,
C.I.J. Recueil 2009, p. 233, par. 36 (les italiques sont de nous).
62
Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), CMN,
par. 3.25.
63 Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), arrêt,
C.I.J. Recueil 2009, p. 233, par. 35.
64Ibid. - 46 -
51 relatives au droit de l’environnement qui sont par ailleurs applicables. Et le traité de 1858 ne
définit pas de manière complète le régime applicable à l’environnement. Les Etats ont bien
entendu la possibilité de conclure des traités qui leur imposent, en matière d’environnement, des
obligations plus rigoureuses que celles découlant du droit international général et comme je
l’expliquerai dans un moment, tel est le cas pour tout chenal qu’il est prévu de construire dans le
fleuve San Juan , mais l’application d’une obligation plus rigoureuse pour une activité donnée
n’exclut pas celle du droit international général, ou d’autres instruments, s’agissant d’autres
activités. Quoiqu’il en soit, les droits et obligations du Nicaragua au titre du traité de 1858 et de la
sentence Cleveland n’ont rien d’incompatibles avec les obligations de protection de
l’environnement qui lui incombent en vertu du droit international général ou de traités
internationaux en fait, ils leur sont parfaitement conformes.
19. C’est ce qui ressort d’un examen rapide des dispositions du traité de 1858 et de la
sentence Cleveland invoquées par le Nicaragua. Pour ce qui est de son obligation de ne pas causer
de dommages importants au territoire costa-ricien, le Nicaragua affirme que les «modalités
d’application» de ce principe sont limitées par le paragraphe 3 6) de la sentence Cleveland, qui
concerne les conditions dans lesquelles le Nicaragua peut procéder à des travaux sur le fleuve pour
65
l’entretenir ou y améliorer la navigation . Vous voyez maintenant à l’écran le paragraphe 3 6) de
cette sentence qui se lit comme suit :
«La République du Costa Rica ne peut empêcher la République du Nicaragua
d’exécuter à ses propres frais et sur son propre territoire de tels travaux
d’amélioration, à condition que le territoire du Costa Rica ne soit pas occupé, inondé
ou endommagé en conséquence de ces travaux et que ceux-ci n’arrêtent pas ou ne
perturbent pas gravement la navigation sur ledit fleuve ou l’un quelconque de ses
66
affluents en aucun endroit où le Costa Rica a le droit de naviguer.» (Les italiques
sont de nous.)
20. Comme M. l’ambassadeur Ugalde vous le dira sous peu, les travaux de dragage menés
par le Nicaragua sur le fleuve San Juan ne sont pas conformes à cette obligation. Aux fins qui nous
occupent, le paragraphe 3 6) de la sentence Cleveland ne donne manifestement pas au Nicaragua
l’autorisation de mener dans le fleuve des travaux, quels qu’ils soient, entraînant d’importants
65 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), CMN,
par. 3.38.
66Sentence arbitrale du président des Etats-Unis d’Amérique au sujet de la validité du Traité de limites de 1858
entre le Costa Rica et le Nicaragua («sentence Cleveland»), rendue le 22 mars 1888, MCR, annexe 7, par. 3 6). - 47 -
dommages transfrontières pour le Costa Rica, et il ne peut pas non plus être considéré comme non
conforme à une obligation de ne pas entraîner pareils dommages découlant du droit international
général ou d’un traité international.
21. De même, le traité de 1858 n’exonère pas le Nicaragua de son obligation de notifier au
Costa Rica les travaux entrepris sur le fleuve San Juan susceptibles d’entraîner des dommages
52
transfrontières importants et de le consulter à leur sujet. Le Nicaragua fait valoir que l’article VIII
du traité de 1858 lui impose une obligation limitée de consulter le Costa Rica s’il «envisage
67
d’octroyer de nouvelles concessions de canalisations touchant le fleuve San Juan» , et qu’aucune
autre limite ne s’applique aux travaux qu’il pourrait mener sur le San Juan.
22. L’article VIII du traité de 1858, que vous voyez maintenant à l’écran et qui figure dans
votre dossier sous l’onglet n 36, impose des obligations spécifiques au Nicaragua s’il projette de
68
construire un chenal dans le fleuve San Juan . De fait, comme le président Cleveland l’a confirmé,
«le consentement [du Costa Rica est] nécessaire» dans le cas où la construction d’un canal dans le
San Juan risque de porter atteinte à ses droits. Mais si l’article VIII tel qu’interprété par le
président Cleveland impose l’obligation de notifier, de consulter et d’obtenir un consentement au
sujet de tels projets, aucune disposition du traité de 1858 ou de la sentence Cleveland n’annule
l’obligation découlant du droit international de notifier et de consulter s’agissant de tout projet
susceptible d’entraîner des dommages importants pour l’environnement. De fait, une obligation de
notifier et de consulter au sujet de tout projet de cette nature est conforme aux obligations les plus
rigoureuses imposées au Nicaragua pour les projets concernant des canaux.
23. Pour ce qui est de l’obligation de notifier et de consulter, le Nicaragua invoque aussi
l’arrêt que vous avez rendu en 2009. Dans cet arrêt, vous vous êtes demandé si le Nicaragua était
70
obligé de notifier au Costa Rica les mesures prises relativement «à la navigation sur le fleuve» et
67Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), CMN,
par. 3.38.
68
Traité de limites entre le Costa Rica et le Nicaragua (Cañas-Jerez), San José, 15 avril 1858, MCR, annexe 1,
article VIII.
69
Sentence arbitrale du président des Etats-Unis d’Amérique au sujet de la validité du traité de limites de 1858
entre le Costa Rica et le Nicaragua («sentence Cleveland»), rendue le 22 mars 1888, MCR, annexe 7, par. 3) 11).
70Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), arrêt,
C.I.J. Recueil 2009, p. 250-251, par. 91, cité dans Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière
(Costa Rica c. Nicaragua), CMN, par. 3.40. - 48 -
de le consulter à leur sujet Vous avez jugé que le traité de 1858 n’imposait pas expressément
71
d’obligation générale de notification des mesures prises relativement à la navigation , tout en
considérant que d’autres instruments l’obligeaient à le faire . Pourtant le Nicaragua soutient que
l’absence de toute obligation expresse dans le traité de 1858 signifie qu’il n’a pas l’obligation de
notifier et de consulter relativement à tous travaux de dragage dans le fleuve susceptibles
d’entraîner des dommages transfrontières significatifs. Cet argument est totalement contraire à la
53
conclusion à laquelle vous êtes parvenus dans votre arrêt de 2009, à savoir que le Nicaragua [avait]
l’obligation de notifier au Costa Rica les mesures de réglementation qu’il pren[ait] relativement à la
73
navigation sur le San Juan . De même, le Nicaragua conserve l’obligation, au titre du droit
international général et des instruments internationaux, de notifier au Nicaragua tous travaux sur le
San Juan susceptibles d’entraîner des dommages transfrontières significatifs et de le consulter à ce
sujet.
24. Pour le Nicaragua, les dispositions du traité de 1858 et de la sentence de 1888
l’emportent sur les obligations qui lui incombent au titre du droit international de l’environnement,
ce qui est contraire aux principes fondamentaux de l’interprétation des traités. Les droits et
obligations du Nicaragua en vertu du traité de 1858 doivent être interprétés à la lumière de toutes
les règles pertinentes du droit international ayant force obligatoire pour les Parties, y compris les
règles du droit international de l’environnement. Ce principe découle de la règle coutumière
d’interprétation énoncée au paragraphe 3 c) de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit
des traités qu’appuient un certain nombre de décisions internationales relatives aux obligations en
matière d’environnement, notamment la décision de la présente Cour en l’affaire
74 75
Gabčíkovo-Nagymaros et les décisions prises dans l’arbitrage relatif au Rhin de fer et l’arbitrage
71
Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), arrêt,
C.I.J. Recueil 2009, p. 251, par. 93.
72Ibid., p. 252, par. 97.
73Ibid.
74
Affaire concernant le Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 77-78,
par. 40.
75Arbitrage relatif à la Ligne du Rhin de fer («Ijzeren Rijn») ligne de chemin de fer entre le Royaume de Belgique
et le Royaume des Pays-Bas, sentence, 24 mai 2005, CPA, recueil des arbitrages (2007), par. 59. - 49 -
76 o
des Eaux de l’Indus Kishenganga . Vous voyez à l’écran et sous l’onglet n 98 de votre dossier un
extrait de la sentence partielle rendue dans l’arbitrage Kishenganga résumant la position de
e
l’arbitre et confirmant que les traités datant du XIX siècle doivent être interprétés à la lumière des
principes en vigueur aujourd’hui pour la protection de l’environnement.
25. Ce sont exactement les mêmes considérations qui s’appliquent à l’interprétation du traité
e
de 1858 et de la sentence Cleveland. Le fait que ces instruments du XIX siècle n’ont pas imposé
en matière d’environnement des obligations identiques à celles qui s’appliquent en droit
international moderne n’a rien de très surprenant et ne rend certainement pas les règles du droit
international moderne totalement inapplicables au fleuve San Juan.
26. Pour ce qui est des obligations découlant d’instruments internationaux, le recours du
Nicaragua à la lex specialis est également sans fondement. Si le traité de 1858 revêt
indubitablement un caractère particulier, en ce sens très limité qu’il a trait spécifiquement au
54 régime du fleuve San Juan, cela n’en fait pas une lex specialis de nature à l’emporter sur toute autre
obligation internationale. La convention de Ramsar peut tout aussi bien être qualifiée de
lex specialis en raison des obligations spécifiques qu’elle impose en matière de protection des
zones humides, de même que la convention de 1992 sur la biodiversité. Dans ce contexte, il n’est
pas sans importance que, lorsqu’il a ratifié ces instruments internationaux, le Nicaragua n’ait pas
tenté de limiter les engagements qu’il prenait relativement aux zones humides qui entourent le
fleuve San Juan. Cette omission s’explique facilement : avant la présente instance, le Nicaragua
n’a jamais pensé que le traité de 1858 et la sentence Cleveland l’emporteraient sur ces traités pour
ce qui était du fleuve San Juan.
E. Conclusion
27. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le droit international général
impose trois grandes obligations au Nicaragua :
a) premièrement, l’obligation de ne pas causer de dommage transfrontière important au
Costa Rica ;
76
Arbitrage des Eaux de l’Indus Kishenganga (République islamique du Pakistan c. République de l’Inde),
arbitrage partiel, 18 février 2013, accessible à l’adresse suivante : http://www.pca-cpa.org/
showpage.asp?pag_id=1392,par. 452. - 50 -
b) deuxièmement, l’obligation de notifier au Costa Rica les activités qu’il se propose
d’entreprendre et qui risquent d’entraîner d’importants dommages pour l’environnement, ainsi
que de le consulter à ce sujet ; et
c) troisièmement, l’obligation de mener une évaluation transfrontière de l’impact sur
l’environnement avant d’entreprendre des activités qui risquent de lui causer des dommages
importants.
28. A ces obligations s’ajoutent celles qui découlent des instruments pertinents, du traité
de 1858 tel qu’interprété par la sentence Cleveland et du droit de l’environnement qui s’appliquent
au territoire litigieux et au fleuve San Juan. Contrairement à ce qu’il affirme, le Nicaragua est
obligé de respecter ces obligations lorsqu’il entreprend des travaux dans le fleuve San Juan.
29. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre
aimable attention et vous demande de donner la parole à M. l’ambassadeur Sergio Ugalde.
The PRESIDENT: Thank you, Ms Parlett. I now give the floor to His Excellency
Mr. Sergio Ugalde.
55 M. UGALDE :
LE PROGRAMME DE DRAGAGE DU NICARAGUA
A. Introduction
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vais traiter maintenant du
programme de dragage du Nicaragua. - 51 -
2. Le Costa Rica a maintes fois affirmé, à l’intention tant du Nicaragua que de la Cour , 78
qu’il ne conteste pas que le Nicaragua est en droit de réaliser des travaux d’amélioration sur le
cours du fleuve San Juan conformément à la sentence Cleveland.
3. Ce qui inquiète le Costa Rica, c’est que le Nicaragua prétend pouvoir entreprendre des
opérations de dragage et d’autres travaux sur le cours du fleuve San Juan sans se préoccuper des
dommages qui peuvent en résulter sur le territoire du Costa Rica ni des atteintes aux droits de
celui-ci qu’ils sont susceptibles d’entraîner, notamment s’ils altèrent le débit du fleuve Colorado . 79
4. Je m’intéresserai d’abord à l’ampleur et à la nature véritables du programme nicaraguayen
de dragage. Je montrerai ensuite que ce programme est incompatible avec les obligations qui
incombent au Nicaragua au titre de la sentence Cleveland. Enfin, je démontrerai qu’en réalisant
son programme, le Nicaragua a manqué aux obligations que lui impose le droit international de
l’environnement.
B. Le programme de dragage du Nicaragua
5. Les inquiétudes du Costa Rica quant à l’ampleur et aux buts du programme de dragage du
Nicaragua sont motivées par des déclarations de responsables nicaraguayens, des mesures que
celui-ci a prises sur le terrain et les prétentions et conclusions qu’il avance en la présente affaire. Il
56
ressort de ces éléments que les travaux de dragage entrepris par le Nicaragua ont pour but de
remodeler la géographie de la région de l’embouchure du fleuve San Juan d’une manière qui
comporte forcément le risque de répercussions néfastes importantes sur le fleuve Colorado.
77
Voir lettre DM-37-06 en date du 26 janvier 2006 adressée au ministre nicaraguayen des affaires étrangères par
le ministre costa-ricien des affaires étrangères et des cultes, MCR, annexe 41 ; lettre MRE-DM-JI-262-02-06 en date
du 17 février 2006 adressée au ministre costa-ricien des affaires étrangères et des cultes par le ministre nicaraguayen des
affaires étrangères, MCR, annexe 42 ; lettre DM-187-06 en date du 5 mai 2006 adressée au ministre nicaraguayen des
affaires étrangères par le ministre costa-ricien des affaires étrangères et des cultes, MCR, annexe 43 ;
lettre MRE-DM-JI-511-05-06 en date du 8 mai 2006 adressée au ministre costa-ricien des affaires étrangères et des cultes
par le ministre nicaraguayen des affaires étrangères, MCR, annexe 44 ; lettre DM-637-09 en date du 27 août 2009
adressée au ministre nicaraguayen des affaires étrangères par le ministre costa-ricien des affaires étrangères et des cultes,
MCR, annexe 45 ; lettre DM-AM-156-10 en date du 11 juillet 2010 adressée au ministre nicaraguayen des
affaires étrangères par le ministre costa-ricien par intérim des affaires étrangères et des cultes, MCR, annexe 46 ;
lettre DM-412-10 en date du 21 octobre 2010 adressée au ministre nicaraguayen des affaires étrangères par le
ministre costa-ricien par intérim des affaires étrangères et des cultes, MCR, annexe 47 ; et
lettre MRE/DVM/AJST/660/10/10 en date du 26 octobre 2010 adressée au ministre costa-ricien des affaires étrangères et
des cultes par le ministre nicaraguayen des affaires étrangères, MCR, annexe 48.
78
MCR, par. 5.57.
79Voir par exemple la publication du Gouvernement nicaraguayen intitulée «Le fleuve San Juan de Nicaragua :
Les vérités que cache le Costa Rica», livre blanc, 29 novembre 2010, CMN, annexe 26, p. 45. - 52 -
6. Comme le Costa Rica l’a déjà relevé, le programme comprend en fait deux projets de
80
dragage : d’une part, il y a le projet tel qu’il est exposé sur le papier et a été autorisé par le
MARENA ; d’autre part, il y a le véritable projet, tel qu’il a été entrepris et se poursuit encore sur
le terrain, projet qui ne ressemble en rien à ce qui est prévu sur le papier.
7. Il ressort clairement du contre-mémoire du Nicaragua que le véritable but du programme
de dragage est de remodeler la géographie de la région considérée. Le Nicaragua indique en effet
que le projet de dragage n’est que «la première étape du processus destiné à rendre sa navigabilité
d’antan à un fleuve qui, à l’époque de la signature du traité de limites en 1858, pouvait être
emprunté par des navires de mer» , et il prétend également qu’ayant souveraineté sur le
fleuve San Juan, «il est donc en droit d’effectuer des travaux visant à améliorer la navigabilité du
San Juan dans le but de rétablir la situation qui existait à l’époque de la conclusion du traité
82
de 1858» . Je relève au passage que l’emploi de «donc» au début de ce membre de phrase est une
entorse caractérisée à la logique.
8. Le but ultime poursuivi par le Nicaragua ressort aussi clairement des conclusions qu’il
avance à la fin de son contre-mémoire. A l’alinéa iii) du point 2 de ses conclusions, il prie la Cour
de dire et juger qu’il est en droit «d’effectuer les travaux qu’il estime opportuns pour améliorer la
83
navigabilité du fleuve San Juan» , y compris des travaux de dragage.
9. Loin de s’en tenir là, le Nicaragua, à l’alinéa iv) du même point de ses conclusions, prie la
Cour de dire et juger que «ce faisant, [il] a le droit, s’il l’estime opportun, de rétablir la situation qui
existait à l’époque de la conclusion du traité de 1858» . 84
10. Ces conclusions ne sont pas avancées pour défendre le projet de dragage tel qu’il se
présente sur le papier et a été autorisé. En les formulant, le Nicaragua cherche en fait à obtenir de
la Cour qu’elle avalise, telles qu’elles se déroulent en réalité sur le terrain, les opérations qu’il a
manifestement l’intention de poursuivre. Il s’agit bien là du programme dont l’exécution a déjà
57
entraîné l’occupation illicite d’une portion du territoire costa-ricien et y a causé des dommages.
80
CR 2011/3, p. 25, par. 15 (Crawford).
81CMN, par. 2.59.
82Ibid., par. 3.20.
83
Ibid., p. 455-456.
84Ibid. - 53 -
11. Le véritable programme de dragage, qui entraînera le remodelage radical de la
géographie de la région considérée, emportant une forte probabilité d’effets délétères sur le
fleuve Colorado, ne représente pas simplement ce que le Nicaragua, en la présente instance,
prétend avoir le droit d’entreprendre. Il s’agit de ce que le Nicaragua a, dès le départ, clairement
déclaré avoir l’intention de faire, intention qu’il a déjà concrétisée sur le terrain.
12. Monsieur le président, le ministre costa-ricien des affaires étrangères a adressé en 2009
une lettre à son homologue nicaraguayen au sujet d’informations faisant état de déclarations de
M. Silva, directeur de l’autorité portuaire nationale du Nicaragua . Ces informations citaient
M. Silva comme ayant dit que le Nicaragua avait l’intention de détourner du Colorado
1700 mètres cubes par seconde . Or, en dépit des implications manifestement graves de ces
propos, le Nicaragua n’a jamais répondu à cette lettre.
13. Lors des audiences de janvier 2011 relatives à la demande en indication de mesures
conservatoires, le Nicaragua a produit une déclaration de M. Silva dans laquelle celui-ci affirmait
87
avoir été cité de façon erronée . Si tel était le cas, on peut se demander pourquoi le Nicaragua
s’est abstenu de le faire savoir au Costa Rica après que celui-ci eut soulevé la question en 2009. Je
crois utile d’ajouter qu’une déclaration similaire attribuée à M. Pastora n’a jamais non plus été
démentie. De toute façon, ce qui est dit dans le livre blanc publié par le Nicaragua en
novembre 2010 est sans ambiguïté aucune : «Le nettoyage du San Juan a pour objectif de rétablir le
débit normal du fleuve» , ce qui ne peut se faire qu’au détriment du débit du fleuve Colorado.
Dans cette publication, le Nicaragua admet aussi, négligemment, que «cela nuira bien sûr aux
intérêts du Costa Rica» . 90
85 Lettre DM-637-09 en date du 27 août 2009 adressée au ministre nicaraguayen des affaires étrangères par le
ministre costa-ricien des affaires étrangères et des cultes, MCR, annexe 45.
86 Voir La Prensa (Nicaragua), «Leur mission : rétablir le débit du fleuve San Juan», 25 août 2009, MCR,
annexe 101.
87 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière, audiences relatives aux mesures
conservatoires, documents pertinents présentés par le Nicaragua, 4 janvier 2010, doc. 15.
88
La Nación (Nicaragua), «Le Nicaragua va effectuer des travaux de dragage dans le fleuve San Juan pour
rétablir son débit antérieur», consultable à l’adresse suivante : www.nacion.com/ln_ee/2009/agosto/25/
pais2069754.html ; dossier de plaidoiries établi par le Costa Rica pour l’audience du 11 janvier 2011 relative aux mesures
conservatoires, onglet n 78.
89 Gouvernement nicaraguayen, «Le fleuve San Juan de Nicaragua : Les vérités que cache le Costa Rica»,
livre blanc, 29 novembre 2010, CMN, annexe 26, p. 238.
90 Ibid., p. 239. - 54 -
58 14. Tout cela ne fait naturellement qu’aggraver les inquiétudes du Costa Rica.
15. Le véritable projet de dragage est celui que dirige personnellement M. Pastora
depuis 2010. Lorsqu’il a réalisé les opérations de dragage d’octobre 2010, il a agi comme s’il ne
savait rien de la version papier du projet. Nous savons que M. Pastora a donné une description
haute en couleurs de la manière dont lui-même et le commandant Ortega étaient parvenus à la
décision de draguer le San Juan . Dans ce contexte, il me paraît utile de rappeler que M. Pastora a
déclaré au début de novembre 2010 qu’il avait l’intention de «rétablir le fleuve nicaraguayen qui
marque la frontière dans son chenal historique en direction de la mer» . Dans une autre interview,
publiée le 30 novembre 2010, M. Pastora attribuait directement au président Ortega la décision
d’exécuter le projet de dragage et déclarait que le creusement du premier caño avait été entrepris en
fonction de la manière dont il entendait la région concernée et interprétait les
sentences Alexander . Là encore, les organes de presse qui avaient ainsi exposé le point de vue de
M. Pastora sur le but ultime des opérations de dragage qu’il avait entreprises et supervisait n’ont
publié aucun erratum, et le Nicaragua n’a jamais dit non plus que ces informations étaient
inexactes.
16. Ce que j’appelle la «version papier» du projet est le projet que le MARENA a autorisé
par arrêté en 2008 , tel que modifié ultérieurement . Or, cette version papier n’a que fort peu de
rapport avec ce qui a été réellement entrepris.
17. La seconde décision de réduction de l’ampleur du programme, exposée dans le rapport
annuel de l’EPN pour 2011, prévoyait l’extraction d’un peu plus de 395 000 mètres cubes de
sédiment, dont environ 94 000 par dragage dans le secteur situé immédiatement en aval de
91 Confidencial.com (Nicaragua), «M. Pastora : J’ai interprété la sentence Alexander», 30 novembre 2010, MCR,
annexe 117, p. 102.
92 Tico Times (Costa Rica) «Le Nicaragua nie toute intrusion au Costa Rica», 2 novembre 2010, MCR,
annexe 111.
93 Confidencial.com (Nicaragua), «M. Pastora : j’ai interprété la sentence Alexander», 30 novembre 2010, MCR,
annexe 117.
94
Ministère de l’environnement etodes ressources naturelles du Nicaragua (MARENA), direction générale de la
qualité de l’environnement (DGCA), arrêté n 038-2008, MCR, annexe 160.
95Voir CMN, par. 2.58 et 5.174-5.176, déclaration du directeur technique de l’autorité portuaire nationale (EPN),
Lester Antonio Quintero Gómez, 16 décembre 2010, MCR, annexe 164, par. 10-11 ; «Evaluation technique du projet de
dragage visant à l’amélioration de la navigabilité du fleuve San Juan» (rapport annuel de l’EPN pour 2011),
23 janvier 2012, CMN, annexe 17. - 55 -
96
Delta Costa Rica . Je tiens à souligner que ce dernier chiffre est le total prévu pour le secteur, et
non un volume annuel.
59 18. Or, nous savons maintenant que le projet de dragage tel qu’il a été exécuté sur le terrain a
eu une ampleur beaucoup plus large que ne le prévoyait la version revisée pour la seconde fois.
Selon le rapport annuel de l’EPN pour 2014, le volume total pour la période 2011-2014 des
sédiments extraits par dragage au niveau de la bifurcation de Delta Colorado se chiffre à
97 98
730 000 mètres cubes , dont plus de 300 000 pour la seule année 2013 . Le volume total extrait
pendant les quatre années représente plus de sept fois celui prévu pour le secteur de la bifurcation,
et près du double du total revisé à la baisse prévu en 2011 pour l’ensemble du projet.
19. De plus, il ressort clairement des considérants de l’arrêté de 2008 par lequel le
MARENA a autorisé le projet que le ministère considérait celui-ci comme écologiquement viable
«à condition que le demandeur respecte rigoureusement et intégralement toutes les actions et
mesures environnementales énoncées dans l’évaluation de l’impact sur l’environnement» et dans
d’autres documents . L’arrêté imposait à cet égard une obligation précise, celle de déposer les
sédiments à cinquante mètres au moins de la rive, et prévoyait aussi l’obligation d’ériger sur la rive
100
des barrières de protection qui serviraient au confinement des dépôts de sédiments . Ces barrières
devaient être érigées selon les spécifications indiquées à la page 28 de l’étude de l’impact sur
l’environnement du «projet visant à l’amélioration de la navigabilité du fleuve San Juan de
101
Nicaragua» . L’obligation de respecter ces spécifications n’a pas été remplie. Je prends
96
«Evaluation technique du projet de dragage visant à l’amélioration de la navigabilité duofleuve San Juan de
Nicaragua» (rapport annuel de l’EPN pour 2011), 23 janvier 2012, CMN, Annexe 17 ; «Projet n 262-09 visant à
l’amélioration de la navigabilité du fleuve San Juan de Nicaragua : rapport d’avancement technique et financier pour
l’année 2014» (rapport annuel de l’EPN pour 2014), 2015, annexe 1 à la lettre HOL-EMB-0035 en date du 9 mars 2015
adressée à la Cour par l’agent du Nicaragua.
97 «Projet n 262-09 visant à l’amélioration de la navigabilité du fleuve San Juan de Nicaragua : rapport
d’avancement technique et financier pour l’année 2014» (rapport annuel de l’EPN pour 2014), 2015, annexe 1 à la
lettre HOL-EMB-0035 en date du 9 mars 2015 adressée à la Cour par l’agent du Nicaragua.
98Ibid.
99
Ministère de l’environnement et des ressources naturelles du Nicaragua (MARENA), direction générale de la
qualité de l’environnement (DGCA), arrêté n 038-2008 du 22 décembre 2008, MCR, annexe 160, considérant VIII ; les
italiques sont dans l’original.
100 Ministère de l’environnement et des ressources naturelles du Nicaragua (MARENA), DGCA,
arrêté n 038-2008 ; MCR, annexe 160, art. 3 5).
101Ibid., et CMN, texte intégral des annexes, vol. I, annexe 7. - 56 -
l’exemple d’un site où des sédiments ont été massivement déposés ; comme le montre cette
photographie, aucune barrière de protection n’a été construite . 102
20. De même, alors que l’arrêté du MARENA stipulait que les matériaux retirés par dragage
ne devaient pas être déposés sur les rives dans le secteur sensible sis entre l’embouchure du
103
caño Sucia et Boca de San Juanillo , ce secteur se trouve être de ceux où le Nicaragua a déposé
sans retenue les sédiments extraits, y compris en territoire costa-ricien . Le secteur compris entre
60
le caño Sucia et Boca de San Juanillo est aussi celui où le méandre a été coupé à la suite de la
105
décision prise par M. Pastora en 2010 .
21. Etant donné la manière débridée dont se sont effectivement déroulées les opérations de
dragage menées par le Nicaragua, lesquelles n’ont pas grand-chose à voir avec ce qui est décrit
dans les documents techniques, le Costa Rica a tout lieu de craindre que le but et la portée
véritables du programme de dragage ne consistent pas seulement à rétablir dans une mesure limitée
la navigabilité du San Juan inférieur, et que le Nicaragua comme il l’a d’ailleurs dit ait en fait
pour objectif de remodeler la géographie de la région du San Juan inférieur, ce qui entraînerait des
conséquences extrêmes pour le fleuve Colorado.
22. Outre qu’elles sont étayées à la fois par les prétentions que le Nicaragua avance en la
présente instance et par ses déclarations d’intention, ces craintes ne sont en rien contredites par la
manière dont celui-ci agit sur le terrain. C’est en fonction de l’objectif que je viens de mentionner
que M. Pastora a pris la décision de faire creuser le premier caño, qui traverse le
territoire costa-ricien, et ordonné la coupure du méandre dans le but manifeste d’accroître le
volume des eaux du fleuve capté par le premier caño. C’est dans le même but qu’il a fait creuser
les deuxième et troisième caños, encore une fois à travers le territoire costa-ricien, espérant ainsi, à
102Photographie d’un dépôt de sédiments proche du point Delta, 14 janvier 2015 (affaire relative à la Route,
o
DCR, annexe 80) ; onglet n 100 du dossier de plaidoiries.
103 Ministère de l’environnement et des ressources naturelles du Nicaragua (MARENA), DGCA,
arrêté n 038-2008 ; MCR, annexe 160, art. 3 16).
104Lettre DM-412-10 en date du 21 octobre 2010 adressée au ministre nicaraguayen des affaires étrangères par la
ministre costa-ricienne par intérim des affaires étrangères et des cultes, MCR, annexe 47.
105Zone la plus vulnérable écologiquement selon l’évaluation de l’impact sur l’environnement du programme de
dragage, MCR, annexe 234 et onglet n 65 du dossier de plaidoiries établi pour l’audience du 11 janvier 2011 relative aux
mesures conservatoires (11 décembre 2010) ; onglet n 101 du dossier de plaidoiries établi pour la présente audience. - 57 -
l’évidence, détourner le cours du San Juan inférieur au profit de ces deux nouveaux caños et en
faire la principale voie de déversement des eaux dans la mer . 106
23. Tout au long de ces péripéties, le Costa Rica n’a jamais prétendu qu’il était interdit au
Nicaragua de réaliser des travaux d’amélioration conformément à la sentence Cleveland. Il entend
simplement faire en sorte que le Nicaragua remplisse ses obligations internationales, notamment en
l’informant de la nature et de l’ampleur véritables de son programme de dragage, et produise au
sujet de celui-ci, tel qu’il se déroule effectivement, une étude sérieuse d’impact transfrontière sur
l’environnement. Le Nicaragua pourrait dissiper les craintes du Costa Rica en produisant une telle
étude, qui devrait comporter une évaluation des conséquences que le programme peut avoir pour le
Costa Rica, notamment en ce qui concerne le débit du fleuve Colorado, et en prenant l’engagement
61 de se conformer aux conclusions de cette étude. Or, il a refusé tout net de produire une telle
évaluation, et refusé aussi de fournir les données qui montreraient que son programme de dragage
n’a pas eu d’incidence sur le fleuve Colorado.
24. Monsieur le président, pour déterminer la proportion des eaux qui s’écoule après la
bifurcation par le fleuve Colorado d’une part, et par le San Juan inférieur d’autre part, il est
indispensable d’analyser des mesures de débit relevées en trois points clés : en amont de la
bifurcation et, en aval de celle-ci, dans le fleuve Colorado et le San Juan inférieur.
25. Selon le traité de limites de 1858, les eaux du fleuve San Juan relèvent du Nicaragua. Il
en résulte que le Costa Rica ne peut prendre aucune mesure concernant le fleuve, et qu’il lui est
notamment impossible d’en relever le débit ou d’y déterminer les concentrations de sédiments. Le
Costa Rica est donc incapable d’établir par ses propres moyens si le programme de dragage a ou
non entraîné une modification importante de la proportion du volume total des eaux qui, au niveau
de la bifurcation, s’écoule par le fleuve Colorado.
26. Le Nicaragua, en revanche, est à même de procéder aux mesures nécessaires. S’il voulait
montrer que son programme de dragage n’a pas entraîné, au détriment du fleuve Colorado, un
106
Le véritable programme de dragage, MCR, annexes 225 b), 230 d) et 234 ; dosoier de plaidoiries établi par le
Costa Rica pour l’audience du 11 janvier 2011 relative aux mesures conservatoires, onglet n 65, 11 décembre 2010 ;
dossier de plaidoiries établi par le Costa Rica pour l’audience du 14 octobre 2013 relative aux mesures conservatoires,
onglet n 12, 14 septembre 2013 ; onglet n 102 du dossier de plaidoiries établi pour la présente audience. - 58 -
107
détournement supérieur aux 2 % prévus par ses propres experts , il lui aurait suffi de mesurer les
débits et de les communiquer.
27. Le Costa Rica a demandé à maintes reprises que lui soient fournies des informations sur
les débits du fleuve San Juan et du San Juan inférieur, et a même proposé que les Parties procèdent
conjointement à des mesures . 108
28. Or, le Nicaragua n’a produit aucun relevé utile de débit, et a refusé de prendre part à un
109
62 programme conjoint de surveillance . Il s’est borné à présenter deux séries de mesures, l’une
remontant au début de 2011 et l’autre à 2012 . Ces données ne permettent manifestement pas, à
elles seules, d’évaluer l’ampleur de l’incidence du programme de dragage.
29. Quoi qu’il en soit, il me semble important de noter que, vu que le Nicaragua est en train
de réaliser un programme de dragage, il serait étonnant qu’il se soit contenté d’effectuer deux séries
de relevés et n’ait pas mesuré les débits depuis mai 2012, date des relevés les plus récents versés au
dossier. Les données qui font ainsi défaut sont pertinentes en la présente affaire. Néanmoins, le
Nicaragua a décidé ou bien de suspendre son programme de relevés, pour des raisons qu’il n’a pas
révélées, ou bien de ne communiquer ni au Costa Rica ni à la Cour les résultats des relevés
auxquels il a procédé.
30. A la différence du Nicaragua, le Costa Rica a de son côté procédé à des relevés du débit
du fleuve Colorado . 111 Le graphique qui s’affiche maintenant à l’écran , établi d’après ces
relevés, indique pour les années considérées les débits moyens calculés à partir de mesures
107
Voir, par exemple, CR 2011/2, p. 40, par. 26 (Reichler).
108Voir, par exemple, lettre DM-AM-063-13 en date du 6 février 2013 adressée au ministre nicaraguayen des
affaires étrangères par le ministre costa-ricien des affaires étrangères et des cultes, affaire relative à la Route, CMCR,
annexe 46 ; voir également lettre DM-AM-0639-14 en date du 21 octobre 2014 adressée au ministre nicaraguayen des
affaires étrangères par le ministre costa-ricien des affaires étrangères et des cultes, affaire relative à la Route, DCR,
annexe 40 ; plus généralement, voir affaire relative à la Route, DCR, par. 2.28-2.33.
109
Voir, par exemple, lettre MRE/DM-AJ/129/03/13 en date du 5 mars 2013 adressée au ministre costa-ricien des
affaires étrangères et des cultes par le ministre nicaraguayen des affaires étrangères, affaire relative à la Route, CMCR,
annexe 48 ; lettre MRE/DM-AJ/448/11/14 en date du 3 novembre 2014 adressée au ministre costa-ricien des affaires
étrangères et des cultes par le ministre nicaraguayen des affaires étrangères, affaire relative à la Route, DCR, annexe 43 ;
plus généralement, voir affaire relative à la Route, DCR, par. 2.28-2.33.
110
INETER, «Summary of Measurement of liquid and suspended solids content during the years 2006, 2011,
2012» [résumé des relevés hydrologiques et sédimentaires pour les années 2006, 2011 et 2012], 26 juin 2012, CMN,
annexe 16.
111ICE, «Fleuve Colorado, point de mesure 1104, tableau présentant le débit journalier moyen», 2010-2014,
affaire relative à la Route, DCR, annexe 79.
112
Débit moyen du fleuve Colorado, 2006 et 2011-2014, CMN, annexe 8, p. 16 ; affaire relative à la Route, DCR,
annexe 79, onglet n 103 du dossier de plaidoiries. - 59 -
113
effectuées sur le fleuve Colorado entre janvier 2011 et octobre 2014 . Je me permets de vous
rappeler que, d’après des données recueillies par le Nicaragua lui-même, le débit moyen du fleuve
Colorado en 2006, soit avant le lancement du programme de dragage, était d’un peu moins de
114
1600 mètres cubes par seconde . Comme vous pouvez le voir, entre 2011 et 2014, les moyennes
annuelles de débit du fleuve Colorado ont été très nettement inférieures à ce chiffre, et entre 2011
et 2013, le débit du fleuve Colorado a constamment diminué d’une année à l’autre.
31. Même si l’on considère l’année 2014, pour laquelle le débit moyen a été plus élevé
qu’en 2013, en grande partie en raison des crues de juin et juillet , on constate que la tendance
générale à la baisse s’est confirmée au premier semestre. En tous cas, le débit moyen relevé
pour 2014 est nettement réduit par rapport à ce qu’il était avant le début des opérations de dragage,
et cette réduction est bien supérieure aux 2 % que prévoyaient les experts nicaraguayens en
janvier 2011.
32. Ces chiffres sont des débits moyens relevés pour le fleuve Colorado. Ils ne prouvent pas,
en eux-mêmes, que la proportion du volume total des eaux du fleuve San Juan qui, au niveau de la
63 bifurcation, s’écoule par le fleuve Colorado a baissé ; d’autres facteurs jouent en effet, dont le plus
évident est la pluviosité, qui a une incidence sur les débits totaux.
33. Nous disposons des données concernant le fleuve Colorado. En revanche, il nous
manque les chiffres relatifs aux deux autres points de mesure qui auraient permis de déterminer s’il
y a eu ou non réduction de débit. A supposer que le Nicaragua n’ait pas déjà recueilli les données
concernant les deux autres points de mesure, il était manifestement en son pouvoir de les obtenir.
34. La Cour comprendra certainement que dans de telles circonstances, dont en particulier le
refus du Nicaragua de produire ou de recueillir les données pertinentes, la baisse importante du
débit du fleuve Colorado inspire de graves inquiétudes au Costa Rica.
35. Cela soulève la question de savoir à qui incombe la charge de la preuve, et aussi celle des
conclusions que l’on peut légitimement tirer de la position adoptée par le Nicaragua, en particulier
113
ICE, «Fleuve Colorado, point de mesure 1104, tableau présentant le débit journalier moyen», 2010-2014,
affaire relative à la Route, DCR, annexe 79.
114«Project Design Study» [étude de conception du projet] (extraits), septembre 2006, CMN, annexe 8.
115
ICE, «Fleuve Colorado, point de mesure 1104, tableau présentant le débit journalier moyen», 2010-2014,
affaire relative à la Route, DCR, annexe 79. - 60 -
de son refus de produire des données pertinentes et utiles sur les débits, et de son refus également
de permettre que des relevés soient effectués. La Cour, en l’affaire du Détroit de Corfou, s’est
exprimée clairement au sujet de telles situations :
«le contrôle territorial exclusif exercé par l’Etat dans les limites de ses frontières n’est
pas sans influence sur le choix des modes de preuve... Du fait de ce contrôle exclusif,
1’Etat victime d’une violation du droit international se trouve souvent dans
l’impossibilité de faire la preuve directe des faits d’où découlerait la responsabilité. Il
doit lui être permis de recourir plus largement aux présomptions de fait, aux indices ou
preuves circonstancielles (circumstantial evidence).» 116
36. Dès lors que le Costa Rica ne peut pas obtenir par ses propres moyens les chiffres qui
apporteraient la preuve directe des effets que le programme de dragage du Nicaragua exerce sur le
débit du fleuve Colorado, les considérations exposées dans le passage que je viens de citer valent
pleinement en la présente affaire.
37. Le Nicaragua avait seul le pouvoir de justifier sa position selon laquelle son programme
de dragage n’a pas eu d’incidence sur le fleuve Colorado en invoquant des données irréfutables sur
la répartition des débits entre les deux branches de la bifurcation. Or, il s’est abstenu de le faire.
Le rejet par le Nicaragua des demandes de relevés présentées par le Costa Rica aussi bien que de sa
proposition de procéder conjointement à des mesures est également significatif.
38. La conclusion que l’on peut tirer des faits est évidente : le programme de dragage a une
incidence importante sur le débit du fleuve Colorado.
C. Le programme de dragage du Nicaragua n’est pas compatible avec les obligations
incombant à celui-ci au titre du traité de 1858 et de la sentence Cleveland
64 39. Examinons à présent le programme de dragage réellement mis en œuvre par le Nicaragua
à la lumière des obligations incombant à celui-ci au titre de la sentence Cleveland.
40. A cet égard se pose une question de principe d’ordre général : le Nicaragua a-t-il le droit
d’exécuter un programme de dragage qui lui permet de remodeler à son gré la géographie, au
détriment des droits et du territoire costa-riciens ?
41. Si la réponse à cette question est négative (et elle l’est), deux autres questions se posent :
11Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1949, p. 18 ; onglet n 104 du dossier
de plaidoiries. - 61 -
a) le Nicaragua a-t-il respecté ses obligations découlant du traité de 1858 et de la
sentence Cleveland en exécutant son programme de dragage jusqu’à ce jour ?
b) ce programme de dragage, mené dans l’intention ouvertement déclarée de remodeler la
géographie et de détourner les eaux du fleuve Colorado, est-il, compte tenu de son ampleur,
compatible avec lesdites obligations ?
42. Pour répondre tout d’abord à la question de principe d’ordre général, les termes de la
sentence Cleveland sont parfaitement clairs : le Nicaragua ne peut exécuter de travaux
d’amélioration sur le fleuve relevant de sa souveraineté qu’à la condition de ne pas, ce faisant,
causer de dommages au Costa Rica ni porter atteinte à ses droits de navigation.
Le président Cleveland a déclaré en 1888 que le Nicaragua pouvait réaliser
«à ses propres frais et sur son propre territoire de tels travaux d’amélioration,
à condition que [les italiques sont dans l’original] le territoire du Costa Rica ne soit
pas occupé, inondé ou endommagé en conséquence de ces travaux et que ceux-ci
n’arrêtent pas ou ne perturbent pas gravement la navigation sur ledit fleuve ou sur l’un
quelconque de ses affluents en aucun endroit où le Costa Rica a le droit de
117
naviguer» .
43. La sentence se poursuit en ces termes :
«La République du Costa Rica aura le droit d’être indemnisée si des parties de
la rive droite du fleuve San Juan qui lui appartiennent sont occupées sans son
consentement ou si des terres situées sur cette même rive sont inondées ou
endommagées de quelque manière que ce soit en conséquence de travaux
d’amélioration.» 118
44. Lue en son sens ordinaire, l’expression «à condition que» greffe une réserve ou une
limitation expresse au droit reconnu au Nicaragua d’entreprendre des travaux d’amélioration.
65 45. Le président Cleveland a donc affirmé que le Costa Rica aurait le droit d’être indemnisé
si, à l’occasion de tels travaux, son territoire devait se trouver occupé ou endommagé. Le droit
d’être indemnisé ainsi reconnu ne saurait toutefois être interprété comme venant restreindre la
souveraineté du Costa Rica sur le territoire situé sur la rive droite. Le président Cleveland a
expressément reconnu qu’il s’agissait là d’un «territoire du Costa Rica» et de «parties … qui lui
117Sentence arbitrale du président des Etats-Unis d’Amérique au sujet de la validité du traité de limites de 1858
entre le Costa Rica et le Nicaragua («sentence Cleveland»), rendue le 22 mars 1888, MCR, annexe 7, art. 3, par. 6 ;
dossier de plaidoiries, onglet n 105.
118Ibid.. - 62 -
appartiennent». A l’inverse, le droit du Nicaragua d’exécuter des travaux d’amélioration a été
expressément limité : ce dernier devait réaliser ces travaux «sur son propre territoire».
46. Bien entendu, le Costa Rica aurait droit à une indemnisation si, par suite d’événements
fortuits ou incontrôlables, son territoire devait être occupé ou endommagé. Mais laisser entendre
que le Nicaragua a de ce fait toute latitude pour occuper ou endommager comme bon lui semble,
moyennant indemnisation, le territoire du Costa Rica en lançant des travaux revient à forcer de
manière invraisemblable le sens des termes de la sentence.
47. Telle est apparemment la position adoptée par le Nicaragua lors des audiences de
janvier 2011 .119
48. Cela dit, dans son contre-mémoire, le Nicaragua semble s’être quelque peu ravisé. En ce
qui concerne le fait de causer des dommages au territoire costa-ricien, il paraît relativement réticent
à exposer pleinement son argumentation. Bien qu’il se défende d’avoir jamais prétendu qu’il avait
«carte blanche pour infliger des dommages illimités au Costa Rica tant qu’il verse[rait] une
120
indemnisation» , il ne précise pas ensuite sa véritable position, se bornant à déclarer ce qui suit en
se référant à la sentence Cleveland : «La situation est beaucoup plus simple, et elle a été décrite
avec tant de justesse par le président Cleveland dans sa réponse à la sixième question du Nicaragua
121
qu’aucune explication supplémentaire n’est nécessaire.» Nous entendrons sans doute le
Nicaragua éclaircir sa position à la fin de la semaine, et attendons ces éclaircissements avec
impatience.
49. Quels que soient les arguments avancés, la situation était claire en 1888, à l’époque de la
66 sentence Cleveland, et elle n’a pas changé depuis. La Cour l’a confirmé dans son arrêt
du 13 juillet 2009 lorsque, statuant au fond sur la demande du Nicaragua tendant à ce qu’elle lui
reconnaisse le droit de draguer le fleuve San Juan, fût-ce au détriment du fleuve Colorado, elle a
122
jugé que la question avait été «réglé[e] dans le dispositif de la sentence Cleveland» .
119
Voir, par exemple, CR 2011/2, p. 26, par. 21 (McCaffrey) ; ibid., p. 30, par. 27 c) ; ibid., p. 56-57, par. 14
(Pellet) ; ibid., p. 59, par. 19 (Pellet) ; ibid., p. 61, par. 24 ; CR 2011/4, p. 32, par. 20 (Pellet).
120CMN, par. 5.167.
121Ibid., par. 5.167.
122
Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), arrêt,
C.I.J. Recueil 2009, p. 269, par. 155. - 63 -
50. Pourtant, le Nicaragua revient aujourd’hui à la charge. La position qu’il avait adoptée
lors des audiences sur les mesures conservatoires et, bien qu’il s’en défende, qu’il semble maintenir
implicitement dans son contre-mémoire, consiste à estimer qu’il est en droit d’exécuter des travaux
quand bien même ceux-ci causeront des dommages prévisibles, si ce n’est délibérés, au territoire
costa-ricien et au fleuve Colorado.
51. Le paragraphe 9 de l’article 3 de la sentence Cleveland est également pertinent ici. Je
cite :
«La République du Costa Rica peut refuser à la République du Nicaragua le
droit de dévier les eaux du fleuve San Juan lorsque cette déviation arrêterait ou
perturberait gravement la navigation sur ledit fleuve ou sur l’un quelconque de ses
affluents en tout endroit où le Costa Rica a le droit de naviguer.» 123
52. Ainsi, il est également clair que le Nicaragua n’a pas le droit de dévier les eaux du
fleuve San Juan si pareille déviation aurait pour effet d’arrêter ou de perturber la navigation, par le
Costa Rica, sur le fleuve San Juan ou l’un quelconque de ses affluents, y compris le Colorado.
53. J’en viens à la deuxième question, c’est-à-dire à la question de savoir si le comportement
du Nicaragua est compatible avec ces obligations.
54. Le programme de dragage du Nicaragua, tel qu’il a été réellement mis en œuvre jusqu’à
ce jour et en tant qu’il vise également à remodeler la géographie, réduisant de ce fait l’apport d’eau
dans le Colorado, n’est pas compatible avec les obligations incombant à cet Etat au titre de la
sentence Cleveland.
55. Tout d’abord, en construisant son premier caño à travers Isla Portillos en 2010, le
Nicaragua a incontestablement manqué aux obligations qu’il tenait de cette sentence. Il en va de
même en ce qui concerne la construction des deuxième et troisième caños en 2013.
56. Ensuite, dans la mesure où le programme de dragage a eu des répercussions importantes
sur le fleuve Colorado, ou entraîné la déviation d’une bonne partie de ses eaux, il est là encore
incontestablement incompatible avec les obligations incombant au Nicaragua au titre de la
67
sentence Cleveland. De même, dans la mesure où les futures activités de dragage du Nicaragua
12Sentence arbitrale du président des Etats-Unis d’Amérique au sujet de la validité du traité de limites de 1858
entre le Costa Rica et le Nicaragua («sentence Cleveland»), rendue le 22 mars 1888, MCR, annexe 7, art. 3, par. 9 ;
dossier de plaidoiries, onglet n 106. - 64 -
auront des répercussions importantes sur l’écoulement de l’eau dans le Colorado, elles emporteront
elles aussi violation des obligations du Nicaragua.
D. Le Nicaragua a manqué aux obligations lui incombant au titre
du droit international de l’environnement
57. J’examinerai maintenant la question du respect par le Nicaragua des obligations lui
incombant au titre du droit international de l’environnement.
58. Même si le projet de dragage avait été mis en œuvre à l’échelle limitée prévue dans la
documentation technique ce qui n’est clairement pas le cas et de manière rigoureusement
conforme aux termes de cette documentation ce qui n’est pas le cas non plus , le Nicaragua
n’en aurait pas moins violé ses obligations en matière d’environnement. Premièrement, il n’a pas
dûment informé le Costa Rica des travaux qu’il envisageait de mener et n’a pas consulté ce dernier
à cet égard. Deuxièmement, en tout état de cause, il ne s’est pas acquitté de son obligation de
procéder à une étude de l’impact transfrontière sur l’environnement avant le début des travaux de
dragage.
1. Le Nicaragua n’a pas notifié au Costa Rica son projet de dragage
59. Il convient tout d’abord de souligner que, non content de ne pas avoir réalisé d’étude de
l’impact transfrontière sur l’environnement, le Nicaragua n’a pas même cru bon de communiquer
au Costa Rica l’étude limitée qu’il a effectuée, ni aucune autre donnée technique concernant les
travaux de dragage envisagés. De fait, lorsque, à partir de 2006 , le Costa Rica lui a adressé des
demandes d’information concernant le projet de travaux, après qu’il en eut appris l’existence par
les médias, le Nicaragua a refusé de fournir les informations demandées, ou ne s’est tout
125
simplement pas donné la peine de répondre .
124Lettre DM-37-06 en date du 26 janvier 2006 adressée au ministre des affaires étrangères du Nicaragua par le
ministre des affaires étrangères et des cultes du Costa Rica, MCR, annexe 41 ; lettre DM-637-09 en date du 27 août 2009
adressée au ministre des affaires étrangères du Nicaragua par le ministre des affaires étrangères et des cultes du
Costa Rica, MCR, annexe 45 ; lettre DM-AM-156-10 en date du 12 juillet 2010 adressée au ministre des affaires
étrangères du Nicaragua par le ministre par intérim des affaires étrangères et des cultes du Costa Rica, MCR, annexe 46.
125Lettre MRE-DM-JI-262-02-06 en date du 17 février 2006 adressée au ministre des affaires étrangères et des
cultes du Costa Rica par le ministre des affaires étrangères du Nicaragua, MCR, annexe 42 ;
lettre MRE-DM-JI-511-05-06 en date du 8 mai 2006 adressée au ministre des affaires étrangères et des cultes du
Costa Rica par le ministre des affaires étrangères du Nicaragua, MCR, annexe 44 ; lettre MRE/DVM/AJST/660/10/10 en
date du 26 octobre 2010 adressée au ministre des affaires étrangères et des cultes du Costa Rica par le ministre par
intérim des affaires étrangères du Nicaragua, MCR, annexe 48. - 65 -
60. Le Costa Rica a obtenu copie pour la première fois de l’étude de conception du projet, de
l’étude de l’impact sur l’environnement et des autres documents invoqués par le Nicaragua lorsque
ces éléments ont été produits devant la Cour peu avant les audiences de janvier 2011 consacrées à
la demande en indication de mesures conservatoires, alors que les activités de dragage avaient déjà
commencé.
61. Il y a là une violation des obligations de notification et de consultation auxquelles est
68
soumis le Nicaragua vis-à-vis du Costa Rica.
2. Le Nicaragua n’a pas réalisé d’évaluation de l’impact transfrontière sur l’environnement
62. Je me pencherai en second lieu sur la violation par le Nicaragua de son obligation de
conduire une étude appropriée de l’impact transfrontière sur l’environnement.
126
63. De toute évidence, ni l’étude de l’impact sur l’environnement versée au dossier ni les
autres documents produits ne constituent une évaluation appropriée des dommages transfrontières
susceptibles d’être causés à l’environnement par le programme de dragage. En conséquence, outre
son obligation de notification et de consultation, le Nicaragua viole également son obligation
internationale, telle qu’elle a été reconnue par la Cour en l’affaire des Usines de pâte à papier, de
conduire une évaluation des effets transfrontières potentiels de son programme de dragage . 127
64. L’évaluation réalisée par le Nicaragua concernant son projet de dragage, tel qu’il se
présentait sur le papier, ne satisfait à aucun des critères qu’ont établis ses propres experts en
128
l’affaire relative à la Construction d’une route pour définir une étude en bonne et due forme de
l’impact transfrontière sur l’environnement. Surtout, elle est sans aucun lien avec les activités
effectivement entreprises par le Nicaragua.
65. L’absence manifeste de prise en compte, dans cette étude, des effets transfrontières des
activités du Nicaragua ressort avant tout de son cahier des charges . Il va de soi que, si l’examen
126Etude de l’impact sur l’environnement du «projet visant à l’amélioration de la navigabilité du fleuve San Juan
de Nicaragua» (extraits), septembre 2006, CMN, annexe 7.
127Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 82-83,
par. 204.
128
Golder Associates, Inc., «Evaluation de l’impact sur l’environnement : exigences attachées au projet de
construction d’une route de grande envergure le long du fleuve San Juan, Nicaragua», juillet 2014 (Construction d’une
route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), RN, annexe 6).
129Voir MARENA, cahier des charges de l’étude de l’impact sur l’environnement lié au «projet de dragage du
fleuve San Juan», ministère de l’environnement et des ressources naturelles du Nicaragua», CMN, annexe 9. - 66 -
de tels effets n’est pas prévu dans le cahier des charges, il n’aura pas lieu dans l’étude proprement
dite.
66. Dans son contre-mémoire, le Nicaragua a souligné que, dans le cahier des charges
adressé en 2006 par son ministère de l’environnement et des ressources naturelles (MARENA) à
l’autorité portuaire nationale (EPN), celle-ci avait reçu l’instruction claire de «tenir compte du fait
que le site où le projet sera[it] exécuté [était] reconnu en tant que zone humide d’importance
130
internationale» au titre de la convention de Ramsar .
69 67. Cette affirmation n’est pas fausse à proprement parler, mais procède d’une présentation
manifestement et grossièrement lacunaire. Le site objet du dragage s’étend non pas sur une, mais
sur deux zones humides d’importance internationale, la réserve naturelle du San Juan 131 et la
132
Humedal Caribe Noreste, zone humide du Costa Rica (actuellement à l’écran).
68. Le Nicaragua n’a produit aucun document prouvant qu’il ait informé le Secrétariat de la
convention de Ramsar qu’il s’apprêtait à entreprendre des travaux ayant ou susceptibles d’avoir des
incidences sur les deux zones humides, ou qu’il lui ait indiqué l’ampleur de ces incidences et les
mesures qu’il envisageait de prendre pour les atténuer. Il apparaît qu’une mission consultative
133
Ramsar a bien eu lieu en mars 2011 , mais le rapport correspondant n’a pas été annexé au contre-
mémoire du Nicaragua. Nous en avons demandé communication hier ; rien n’empêche, nous
semble-t-il, le Nicaragua de le produire d’ici à la fin de cette semaine.
69. Le Nicaragua a encore moins expliqué pourquoi, s’il a effectivement évalué l’impact
potentiel des activités de dragage sur les zones humides bordant le fleuve, il ne s’est pas manifesté
auprès du Costa Rica à ce sujet, ni pourquoi il a refusé de répondre aux demandes d’information
répétées de ce dernier.
130
CMN, par. 5.24.
131Répertoriée sur le site Internet de la convention de Ramsar (https://rsis.ramsar.org/ris/1138).
132Répertoriée sur le site Internet de la convention de Ramsar (https://rsis.ramsar.org/ris/811). Voir «Sites
Ramsar situés le long du fleuve San Juan», service d’information sur les sites Ramsar
(http://rsis.ramsar.org/RISapp/files/669/pictures/NI1138map_SP.pdf?langu… et https://rsis.ramsar.org/RISapp/files/
628/pictures/CR811map.pdf?language=en), dossier de plaidoiries, onglet n 107.
133Capture d’écran du site Internet de la convention de Ramsar (http://ramsar.rgis.ch/cda/en/ramsar-documents-
rams/main/ramsar/1-31-112_4000_0_), dossier de plaidoiries, onglet n 109. - 67 -
70. Deuxièmement, et en tout état de cause, le fait est que les incidences éventuelles du
dragage sur le territoire costa-ricien, et notamment sur le débit du fleuve Colorado, n’ont nullement
été prises en considération.
71. Sur l’ensemble de la documentation technique produite par le Nicaragua en vue du projet
théorique de dragage, pas une seule page, ni même une seule ligne n’est consacrée à la question de
savoir quelles pourraient être, pour le Costa Rica, les conséquences d’un projet ayant une incidence
directe sur plus de 400 hectares du lit d’un fleuve dont l’une des rives est pourtant située en
territoire costa-ricien .4
72. Le Nicaragua a affirmé dans son contre-mémoire que
«[l’étude de conception du projet] … compren[ait] des analyses détaillées des
répercussions possibles sur l’environnement (concernant notamment le point de savoir
si et dans quelle mesure le dragage p[ouvait] avoir une incidence sur les débits relatifs
du San Juan et du Colorado» . 135
70 73. Rien de la sorte ne figure dans l’étude de conception du projet soumise par le Nicaragua,
qui comporte une seule série de mesures du débit effectuées en sept points du fleuve San Juan . 136
Or, contrairement à l’allégation du Nicaragua, ces mesures ne s’accompagnent d’aucune analyse.
74. La seule mention que fait ce document d’une modification du débit se lit ainsi :
«Autrement dit, seuls 2,01 % de débit supplémentaire sont nécessaires pour que la section du
nouveau chenal puisse fonctionner de manière permanente, sans modifier ses caractéristiques
actuelles ni celles du fleuve San Juan.» 137
75. Dans ce passage, il n’est fait nulle mention des conséquences potentielles sur le
fleuve Colorado, et aucune analyse n’est fournie à ce sujet. Il s’agit, à l’évidence, d’une simple
affirmation concernant le volume supplémentaire qui, selon le Nicaragua, était nécessaire pour
préserver la navigabilité du San Juan inférieur.
134Etude de l’impact sur l’environnement du «projet visant à l’amélioration de la navigabilité du fleuve San Juan
de Nicaragua» (extraits), septembre 2006, CMN, annexe 7, p. 30.
135CMN, par. 5.38.
136
Etude de conception du projet, septembre 2006 (extraits), CMN, annexe 8, p. 16-17.
137 o
Ibid., p. 18 ; dossier de plaidoiries, onglet n 108. - 68 -
76. De la même manière, aucune analyse ne vient étayer l’affirmation gratuite, dans l’étude
138
de l’impact sur l’environnement, quant à l’absence de répercussion substantielle sur le Colorado .
77. Le Nicaragua a fait valoir que, l’étude de l’impact sur l’environnement ayant conclu à
l’absence de risque de dommages transfrontières importants, il n’avait aucune obligation de
139
notification, de consultation ou de communication de documents à l’égard du Costa Rica . Or,
comme je l’ai démontré, les effets transfrontières n’ont en fait jamais été sérieusement étudiés.
78. Il ne fait aucun doute que les intentions du Nicaragua et ses activités effectives sur le
terrain vont bien au-delà des prétendues opérations «mineures» sur la base desquelles l’étude
«théorique» de l’impact sur l’environnement a été établie. Comme nous l’avons vu, les activités de
dragage effectivement mises en œuvre dans le premier tronçon, à la naissance du San Juan
inférieur, ont largement dépassé celles qui étaient initialement prévues.
79. A cet égard, M. Thorne témoigne dans son rapport que même le projet théorique, tel qu’il
a été autorisé par le MARENA, comportait un risque que des dommages soient causés à l’ensemble
71 du fleuve, et notamment au Colorado, par une modification de sa morphologie , ainsi qu’aux 140
141
zones humides costa-riciennes . Ce risque justifiait à lui seul la réalisation d’une étude en bonne
et due forme de l’impact transfrontière sur l’environnement. Or, M. Thorne lui-même vient de
nous éclairer quant aux conséquences d’une extension de ce programme sur l’environnement des
zones humides d’une manière générale, une extension qui semble être devenue réalité.
80. Le programme de dragage effectivement mis en œuvre dans le San Juan inférieur étant
nettement différent du projet initial, il est nécessaire de procéder à une nouvelle étude de l’impact
sur l’environnement afin d’en évaluer les effets pour le Costa Rica.
81. Il résulte de ce qui précède que le Nicaragua a violé à la fois son obligation de conduire
une étude de l’impact transfrontière sur l’environnement, et celle lui imposant de notifier au
Costa Rica les travaux envisagés et de le consulter à cet égard.
138Etude de l’impact sur l’environnement du «projet visant à l’amélioration de la navigabilité du fleuve San Juan
de Nicaragua» (extraits), septembre 2006, CMN, annexe 7, p. 10.
139CMN, par. 5.112.
140
Colin Thorne, «Evaluation de l’impact physique des travaux effectués par le Nicaragua depuis octobre 2010
sur la géomorphologie, l’hydrologie et la dynamique des sédiments du fleuve San Juan, ainsi que leur impact
environnemental en territoire costa-ricien, MCR, appendice 1, p. II-35 à p. II-43.
141
Ibid., p. II-44 à p. II-51. - 69 -
E. Conclusions
82. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, les éléments de preuve
indiquent clairement que le programme de dragage du Nicaragua a été et est mené dans l’intention
de remodeler la géographie du cours inférieur du San Juan au détriment du Costa Rica, notamment
pour ce qui concerne le débit du fleuve Colorado. Par ailleurs, comme je l’ai démontré, en mettant
en œuvre son programme, le Nicaragua a agi en violation de ses obligations, tant au regard du traité
de 1858 et de la sentence Cleveland que du droit international de l’environnement.
83. M. Kohen vous exposera, le moment venu, les mesures de réparation particulières
auxquelles le Costa Rica estime, dans les circonstances de la présente affaire, être en droit de
prétendre à raison de ces violations.
84. Monsieur le président, cela conclut les exposés du Costa Rica pour aujourd’hui. Je vous
remercie.
The PRESIDENT: Thank you, Excellency. Judge Greenwood informs me that he might like
to put a question to Costa Rica. Judge Greenwood.
72 Le juge GREENWOOD : Je vous remercie, Monsieur le président. Un conseil du Costa Rica
a fait référence aujourd’hui à la quatrième convention de Genève de 1949. Cette convention
n’étant applicable qu’en temps de conflit armé, le Costa Rica estime-t-il qu’il existe ou qu’il a
existé, à un quelconque moment de la période considérée, un conflit armé entre le Nicaragua et
lui ?
The PRESIDENT: Thank you, Judge Greenwood. Costa Rica will no doubt be able to reply
to that question at the end of its first round of oral argument, namely tomorrow, or otherwise during
the second round of oral argument.
That concludes this afternoon’s hearing. Thank you. The Court will meet again tomorrow,
from 10 a.m. to 11.30 a.m., in order to hear the remainder of Costa Rica’s first round of oral
argument. The Court is adjourned.
The Court adjourned at 6 p.m.
___________
Translation