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Uncorrected Translation
CR 2014/2 (traduction)
CR 2014/2 (translation)
Mardi 21 janvier 2014 à 10 heures
Tuesday 21 January 2014 at 10 a.m. - 2 -
8 Le PRESIDENT : Bonjour. Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. La Cour se
réunit aujourd’hui pour entendre le premier tour d’observations orales de l’Australie sur la
demande en indication de mesures conservatoires présentée par le Timor-Leste. J’appelle
maintenant à la barre M. John Davidson Reid, agent de l’Australie. Monsieur Reid, vous avez la
parole.
M. REID :
Introduction
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un grand privilège pour
moi que de plaider devant vous en tant qu’agent du Gouvernement australien. A cette occasion, je
tiens à témoigner de la haute estime et du respect que mon gouvernement éprouve à l’égard de la
Cour et du système de justice internationale dans le cadre duquel elle exerce ses fonctions.
2. C’est pourtant avec des sentiments mitigés que l’Australie se présente aujourd’hui devant
vous. D’un côté, nous nous félicitons de cette occasion qui nous est offerte de réaffirmer notre
soutien au rôle dévolu à la Cour dans le règlement pacifique des différends selon le principe de la
primauté du droit. Mais de l’autre, nous déplorons les circonstances qui nous amènent devant vous
et les graves allégations qui ont été formulées à notre encontre hier. Les actes australiens
aujourd’hui en litige étaient licites. Ils étaient justifiés. Et ils ont été accomplis dans le respect de
la relation forte et positive qui unit nos deux nations.
Présentation générale de l’argumentation australienne
3. L’Australie a, par le passé, prié la Cour d’exercer sa compétence d’indiquer des mesures
conservatoires et a effectivement bénéficié de telles mesures. Toutefois, pour en obtenir
l’indication, elle a dû satisfaire à certains critères, des critères auxquels le Timor-Leste ne satisfait
tout simplement pas ici.
4. En examinant l’opportunité d’indiquer ou non des mesures conservatoires en l’espèce, la
Cour doit tenir compte du «droit de chacun» des Etats en litige. A cet égard, l’Australie s’est déjà
amplement engagée à protéger tout droit légitime dont le Timor-Leste serait titulaire dans cette
affaire. Compte tenu de ces engagements, les mesures conservatoires que vous êtes priés - 3 -
d’indiquer en l’espèce ne peuvent qu’avoir pour effet d’empêcher l’Australie d’assurer la
protection, licite et légitime, de sa sécurité nationale.
9
Nature et force des engagements pris
5. Monsieur le président, nos amis ont avancé hier à la barre certains arguments concernant
la nature, la force et la pertinence de divers engagements écrits pris par l’Attorney-General de
l’Australie, le sénateur George Brandis Q.C. Ces arguments ne peuvent rester sans réponse. Nous
avons été étonnés — pour dire le moins — d’entendre affirmer que les éléments en cause auraient
pu faire l’objet d’un examen continu depuis le 3 décembre 2013, et ce bien que l’Attorney-General
se soit engagé de manière claire et dépourvue d’ambiguïté à ce que tel ne soit pas le cas.
6. Monsieur le président, l’Attorney-General du Commonwealth d’Australie a le pouvoir
effectif et apparent de prendre des engagements liant l’Australie, tant sur le plan du droit australien
qu’en droit international.
7. Nous avons versé à votre dossier (point n’est besoin de vous y reporter pour l’instant)
deux documents reçus cette nuit de l’Attorney-General à Canberra. Ces documents contiennent un
nouvel engagement plus vaste pris cette nuit par l’Attorney, qui répond directement aux points
soulevés hier — pour la toute première fois — par nos amis à la barre. Le Solicitor-General
reviendra avec vous sur ces documents dans un instant.
8. Mettre en doute l’authenticité des engagements pris, et insinuer que soit ceux-ci n’ont pas
été mis en œuvre, soit sont en quelque sorte dépourvus de force juridique, comme l’ont fait nos
amis hier, est à la fois erroné sur le plan juridique et, en tout franchise, désobligeant. L’Australie a
pris ces engagements. Elle les honorera.
Déroulement des plaidoiries du défendeur
9. Monsieur le président, à la suite de ma brève intervention, les plaidoiries du défendeur se
dérouleront dans l’ordre suivant :
10. M. Justin Gleeson S.C., Solicitor-General du Commonwealth d’Australie, vous relatera
le contexte factuel et juridique de la demande, un contexte qui est essentiel et qui ne vous a tout
simplement pas été exposé comme il convenait hier. - 4 -
11. Dans un deuxième temps, M. William Campbell Q.C. examinera les conditions
préalables à l’indication de mesures conservatoires. Il démontrera que les droits absolus dont le
Timor-Leste se prétend titulaire en vertu du droit international et dont il entend assurer la
protection — des droits qui équivalent pour l’essentiel à une nouvelle forme
d’extraterritorialité ne sont pas plausibles et que, en tant que tels, ils ne satisfont pas au critère
établi dans votre jurisprudence.
10 12. M. Henry Burmester Q.C. mettra ensuite en évidence l’incapacité du demandeur de
prouver à la Cour qu’il existe un lien entre les «droits» allégués sous-tendant sa requête au
principal et les mesures conservatoires sollicitées. M. Burmester se penchera également sur les
exigences relatives à l’urgence et au préjudice irréparable, auxquelles il n’est selon nous
manifestement pas satisfait en l’espèce.
13. Enfin, M. James Crawford S.C. montrera que le Timor-Leste a porté devant la Cour une
question dont est déjà dûment saisi un autre tribunal, qui a été constitué en tant qu’arbitre. Dans
ces circonstances, il n’est tout simplement pas approprié pour la Cour d’exercer son pouvoir
discrétionnaire d’indiquer des mesures conservatoires.
Dernières observations
14. Monsieur le président, en résumé, notre position est que la Cour ne doit clairement pas
donner suite à la demande en indication de mesures conservatoires présentée par le demandeur en
l’espèce. Le demandeur n’a identifié aucun droit plausible à protéger. Il n’y aura aucun préjudice
irréparable. Et il n’y a aucune urgence.
15. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous remercie pour votre
attention. Je vous prie maintenant de bien vouloir appeler à la barre M. Gleeson, Solicitor-General
du Commonwealth d’Australie, pour qu’il poursuive notre présentation.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur l’agent, et je donne la parole au
Solicitor-General de l’Australie. Vous avez la parole, Monsieur. - 5 -
M. GLEESON :
Le véritable contexte factuel et juridique de la demande du Timor-Leste
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un honneur pour moi que
de me présenter une nouvelle fois devant vous au nom de l’Australie, même si je ne m’attendais
pas forcément à ce que cela se produise aussi tôt.
2. Vous avez entendu hier l’exposé passionné, enflammé devrais-je dire, que nous a présenté
sir Elihu Lauterpacht au nom du Timor-Leste. Il a regretté les principes élevés qui prévalaient dans
notre pays en 1975, lorsqu’il occupait les fonctions de conseiller juridique principal du ministère
australien des affaires étrangères. Il a mis en doute l’intégrité et le comportement de
l’Attorney-General de l’Australie et de certains agents australiens, non identifiés, agissant sous sa
11 responsabilité. Vous vous souviendrez sans doute qu’il a estimé que notre comportement était sans
précédent, inexplicable, inapproprié et inadmissible.
3. Venant d’un collègue aussi éminent que sir Elihu, ces commentaires sont blessants. Il eût
été préférable que le Timor-Leste réponde à l’invitation de la Cour à présenter des observations
écrites afin que ses accusations fussent précises et étayées, comme il se doit, par des éléments de
preuve, tant du point de vue des faits que du droit. Tel n’a pas été le cas. Cette approche, si elle
avait été suivie, aurait permis à l’Attorney-General d’Australie qui a accordé à cette affaire, en
conscience, la plus grande attention de rechercher, avant les audiences, s’il y avait lieu de
compléter la série de mesures qu’il avait prises pour concilier deux intérêts, celui de la sécurité
nationale de l’Australie, d’une part, et celui du maintien des relations internationales de cette
dernière avec le Timor-Leste d’autre part.
4. L’Attorney-General et moi-même avons, dans la nuit, examiné attentivement ce qui a été
dit hier. L’Australie se propose d’y répondre de manière constructive pour aider la Cour dans
l’examen de la demande dont elle est saisie. En résumé, les allégations du Timor-Leste demeurent
infondées sur tous les points, à l’exception d’un seul. Il est en effet une préoccupation, formulée
hier pour la première fois en des termes clairs, à laquelle l’Australie doit satisfaire. Je serai
toutefois amené à expliquer, dans la suite de mon exposé, en quoi il y a d’ores et déjà été répondu à - 6 -
travers les engagements qui vous ont été présentés ce matin. Au vu de ces éléments
supplémentaires, il n’y a pas lieu d’indiquer des mesures conservatoires.
5. Mon exposé s’articulera autour de six points, qui seront approfondis par les intervenants
suivants à l’aune de la jurisprudence de la Cour en matière de mesures conservatoires. Dans
l’immédiat, je me propose de montrer que le comportement de l’Australie dans cette affaire a été et
demeure conforme aux principes élevés évoqués hier par sir Elihu, quand il se référait à l’Australie
de 1975.
1. L’affirmation du Timor-Leste relative à l’existence d’un droit de propriété absolu en droit
international n’est nullement étayée
6. J’en viens à mon premier point, à savoir que l’affirmation du Timor-Leste selon laquelle il
existe, en droit international, un droit de propriété absolu et inconditionnel est totalement infondée.
L’argumentation présentée hier reposait, pour l’essentiel, sur cette assertion. Tout Etat aurait un
droit de propriété absolu sur tous les documents établis par lui ou par ses agents sur le territoire
d’un autre Etat, et cette propriété jouirait de l’inviolabilité et de l’immunité à l’égard d’éventuelles
mesures judiciaires ou exécutives dans cet autre Etat ; autrement dit, il s’agirait de reconnaître une
nouvelle forme d’extra-territorialité. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour,
12 s’il était fait droit à cette affirmation lors de l’examen au fond, ou même aujourd’hui, à titre
provisoire, cela continuerait un pas de géant dans le développement du droit international public.
Cela rendrait superflus l’ensemble des instruments en vigueur aujourd’hui, des conventions de
Vienne sur les relations diplomatiques et consulaires au droit international coutumier nécessitant
l’immunité souveraine, en passant par la convention des Nations Unies sur les immunités
juridictionnelles, autant d’éléments qu’il conviendrait d’écarter si l’on suivait l’argumentation du
Timor-Leste.
7. Cette logique reviendrait à autoriser, de manière aléatoire, un Etat à étendre sa
souveraineté dans le territoire d’autres Etats. M. Campbell reviendra sur ce premier point, mais
permettez-moi de relever dès à présent qu’il s’agit là d’une thèse tout à fait nouvelle et
invraisemblable, et qu’il serait extrêmement hasardeux d’accorder, sur cette base, les mesures
conservatoires radicales qui sont sollicitées dans la présente affaire. - 7 -
2. La présentation factuelle doit être corrigée
8. De nombreuses affirmations inexactes ou non étayées ont été formulées hier, et il convient
de corriger cette présentation. A cet effet, je m’attacherai, si vous le permettez, à quatre points.
9. Premièrement, il a été affirmé que le traité relatif à certains arrangements était «largement
au désavantage» du Timor-Leste. Or, ce qu’on ne vous a pas dit, c’est que cet instrument a
nettement amélioré la position de ce dernier par rapport à l’accord conclu entre les deux Etats
concernant l’utilisation des gisements de Sunrise et de Troubadour (Nations Unies, Recueil des
traités, vol. 2483, p. 317). Le traité antérieur prévoyait en effet le partage des revenus de ces deux
gisements à raison de 18,1 % pour le Timor-Leste et de 81,9 % pour l’Australie. Le traité relatif à
certains arrangements a remplacé cette répartition par un partage à parts égales.
10. Deuxièmement, vous vous souviendrez certainement de la manière dont sir Elihu a osé
affirmer, sans réserve ni élément de preuve pour étayer son propos, que les services secrets
australiens s’étaient livrés à des actes d’espionnage pendant la négociation du traité relatif à
certains arrangements. Il a prétendu que ce comportement emportait violation du droit pénal du
Timor-Leste, ainsi que, sans doute, de l’Australie. Ce point, sur lequel la Cour n’est pas appelée à
se prononcer, est en revanche examiné par le tribunal arbitral. Aucun élément de preuve n’a été
présenté à l’appui de cette affirmation dépourvue de toute pertinence. La Cour devrait donc
l’écarter.
11. Troisièmement, les affirmations de sir Elihu concernant la manière dont le mandat de
perquisition a été exécuté au 5 Brockman Street, à Narrabundah, sont, selon notre gouvernement,
très éloignées de la réalité des faits. Là encore, aucun élément n’a été fourni pour étayer ces
allégations, qui doivent donc être écartées.
13 12. Quatrièmement, nous rappellerons que sir Elihu a affirmé un certain nombre de choses
quant à la teneur des éléments en cause. Il n’a apporté aucune preuve à cet égard. Vous n’êtes pas
sans savoir que, en tant que membres de l’équipe juridique de l’Australie, il nous est dit, et c’est
bien normal, impossible d’examiner ces documents. Nous ignorons donc si ces affirmations non
étayées sont exactes. - 8 -
3. L’Australie a agi conformément à la loi
13. J’en viens à présent à mon troisième point : la conformité au droit, interne et
international, du comportement de l’Australie. Lorsqu’il a estimé, hier, que notre comportement
était «inexplicable», «inapproprié», «sans précédent» et «inadmissible», sir Elihu a délibérément
ignoré prétextant qu’il attendait d’entendre nos plaidoiries sur ce point le cadre juridique
détaillé dans lequel a été délivré le mandat de perquisition. Nous l’avons exposé dans nos
observations écrites. Contrairement au Timor-Leste, nous avons présenté des observations écrites ;
nous n’avons pas pour habitude de prendre nos contradicteurs par surprise. Permettez-moi de
revenir sur certains aspects importants de ce cadre réglementaire, dont nous avons tracé les grandes
lignes.
14. Pour commencer, comme vous le savez, les documents et données ont été saisis dans le
cadre des opérations de l’agence du renseignement intérieur de l’Australie, l’«ASIO». La pratique
de l’ASIO correspond à une pratique étatique largement répandue et fait l’objet de contrôles stricts
visant à vérifier sa conformité au droit interne. A cet égard, je vous invite à consulter le dossier de
o
plaidoiries, sous l’onglet n 6, où vous trouverez un tableau présentant les pratiques de différents
Etats qui disposent d’agences de ce type . 1
15. Vous constaterez également, dans ce même tableau, qu’un certain nombre d’Etats sont
dotés d’une agence du renseignement extérieur, tandis que d’autres disposent d’un service unique
réunissant les deux fonctions.
16. A la page 18, on voit par exemple que le Timor-Leste dispose d’une agence nationale
chargée du renseignement intérieur et extérieur.
17. Ce survol de la pratique étatique montre qu’il n’y a rien d’inhabituel à ce que l’Australie
se soit dotée d’une agence de renseignement telle que l’ASIO, ni que celle-ci dispose de pouvoirs
tels que celui qui est ici en cause ; de toute évidence, rien d’illicite non plus à cela, que ce soit au
regard du droit interne ou du droit international.
14 18. Le deuxième point sur lequel je souhaite plus particulièrement appeler votre attention
concerne les principales dispositions de la loi relative à l’ASIO qui portent sur ce sujet . Le 2
1 Dossier de plaidoiries, onglet n 6, «Extracts from Municipal Legislation establishing Intelligence
Organisations».
2 o
Australian Security Intelligence Organisation Act, 1979 [dossier de plaidoiries, onglet n 7]. - 9 -
o
paragraphe premier de l’article 17 définit les fonctions de l’ASIO (onglet n 8). Le voici projeté à
3
l’écran . [Projection.] L’un des éléments essentiels de ces fonctions est la notion de sécurité, dont
l’article 4 de la loi relative à l’ASIO fournit une définition , définition certes large mais appropriée,
compte tenu de la multiplicité des menaces qui pèsent aujourd’hui sur la sécurité des Etats.
19. Je me pencherai maintenant, et ce sera mon troisième point, sur les droits et, de fait, les
responsabilités de l’ASIO à l’égard des documents et données qu’elle a pris. Si elle s’en est
emparée, c’est en vertu d’un mandat de perquisition délivré conformément à l’article 25 de la loi,
aux fins d’obtenir des renseignements sur une question touchant à la sécurité de l’Australie, à
savoir de possibles actes d’espionnage . 5
20. Le mandat de perquisition a été établi à la demande du directeur général de l’ASIO, à la
suite d’un examen interne rigoureux et d’une décision de l’Attorney-General lui-même, aux termes
de laquelle celui-ci s’était déclaré convaincu conformément aux termes du paragraphe 2 de
l’article 25 qu’il existait des motifs raisonnables de croire que l’accès par l’ASIO à des dossiers
ou à d’autres éléments dans les locaux en question «contribuera[it] substantiellement à la collecte
de renseignements à l’égard d’une question … importante en matière de sécurité».
o
21. M. Brandis était convaincu que pareils motifs existaient en l’espèce. Sous l’onglet n 12
du dossier de plaidoiries est reproduit le mandat de perquisition ; vous constaterez que6
3Australian Security Intelligence Organisation Act, 1979 [dossier de plaidoiries, onglet n 8].
4 Australian Security Intelligence Organisation Act, 1979, article 4, qui dispose notamment que le terme
«sécurité» désigne :
«a) la protection du Commonwealth et des différents Etats et Territoires, ainsi que de leurs populations,
contre :
i) l’espionnage ;
ii) le sabotage ;
iii) la violence à motivation politique ;
iv) la promotion de la violence communautaire ;
v) les attaques contre le système de défense de l’Australie ;
vi) les actes d’ingérence étrangère ;
qu’ils soieno ou non dirigés depuis l’Australie, ou commis ou non sur le territoire de celle-ci» [dossier de
plaidoiries, onglet n 7].
5
L’Australian Security Intelligence Organisation Act de 1979 prévoit, dans la partie pertinente du
paragraphe premier de l’article 25, que «[s]i le directeur général le demande expressément au ministre, et le ministre est
convaincu comme mentionné à la sous-section 2), le ministre peut alors délivrer un mandat en vertu de la présente
section» [dossier de plaidoiries, onglet n 7].
6
Australian Security Intelligence Organisation Act, 1979, «Search Warrant under Section 25» [dossier de
plaidoiries, onglet n 12]. - 10 -
l’Attorney-General a fait la déclaration dans les termes prescrits par la loi, et qu’il a ensuite accordé
à l’ASIO les habilitations nécessaires, là encore, conformément à la loi.
15 22. Permettez-moi à présent de revenir sur un autre point évoqué hier par sir Elihu, à savoir
qu’il incombait à l’Australie d’expliquer à la Cour en quoi précisément des considérations de
sécurité nationale avaient motivé la perquisition. Il n’appartient pas à l’Australie de révéler en
détail en tout cas plus que je ne l’ai déjà fait les considérations de sécurité nationale qui
sous-tendaient le mandat de perquisition ; de toute évidence, la Cour ne saurait, elle non plus,
chercher à se prononcer de quelque manière que ce soit sur la validité de ces considérations.
23. Si le Timor-Leste laisse entendre par là qu’il existe, en droit international, une règle
selon laquelle les Etats ne peuvent recueillir des renseignements sans rendre public le problème de
sécurité en cause, cela revient à inviter la Cour à se prononcer, de manière générale, sur des
questions d’espionnage, questions dont, ainsi que l’a justement observé hier sir Elihu, elle n’a pas
été saisie.
24. Ce qui importe dans ce qui a été dit hier, c’est que le Timor-Leste ne s’est pas donné la
peine d’établir, ni devant une juridiction australienne, ni devant la Cour, l’existence d’une
quelconque violation du droit australien dans l’établissement du mandat de perquisition. Rien ne
saurait conduire la Cour à ne pas reconnaître que le mandat de perquisition s’appuyait sur une
question de sécurité justifiée, qu’il a été établi et exécuté conformément au droit australien, et que
celui-ci est conforme à la pratique des Etats dans ce domaine. Un autre aspect de ce troisième
point tient à la structure de la loi relative à l’ASIO.
25. Cette loi encadre strictement la durée pendant laquelle sont conservés les éléments ; la
disposition pertinente est le paragraphe 4 C de l’article 25, aux termes duquel l’ASIO n’acquiert
jamais la propriété des éléments, ne disposant que d’un droit d’utilisation, limité dans le temps et
soumis à des restrictions quant à l’objet de cette utilisation .
26. La loi relative à l’ASIO encadre en outre strictement, dans ses articles 17 et 18, la
divulgation des renseignements et informations obtenus. Ces dispositions figurent dans le texte de
o
cette loi, qui est reproduit sous l’onglet n 7. Les affirmations et insinuations répétées formulées
7Australian Security Intelligence Organisation Act, 1979, paragraphe 4 C) de l’article 25 [dossier de plaidoiries,
onglet n 7]. - 11 -
hier selon lesquelles les documents et données auraient quitté l’ASIO et auraient été examinés en
détail par les agents australiens sont donc infondées et devraient être retirées.
4. Le Timor-Leste est sans doute privé de la possibilité d’invoquer le droit à la confidentialité
des communications entre un conseil et son client
27. J’en arrive à mon quatrième point, à savoir que le Timor-Leste est sans doute privé de la
possibilité d’invoquer le droit à la confidentialité des communications entre un conseil et son client,
dont il pourrait autrement se prévaloir concernant les documents et données saisis. Comme nous
l’avons vu hier, le Timor-Leste invoque, peut-être à titre subsidiaire, pour l’ensemble ou au moins
16 pour certains des documents et données saisis, le droit à la confidentialité des communications
entre un conseil et son client. Or, en droit australien, comme c’est le cas dans la plupart des pays,
ce droit n’existe plus dès lors que les communications ont lieu en vue de commettre une infraction
pénale, une fraude ou tout autre acte répréhensible. A cet égard, je vous invite à regarder, sous
l’onglet n 14, un passage de la décision rendue par la Haute Cour d’Australie dans l’affaire
Commissioner of Australian Federal Police v. Propend Finance Pty Ltd. Nous avons extrait de
cette décision, p. 514, la déclaration de principe provenant de l’arrêt rendu par le président de cette
juridiction, le juge Brennan, au sujet de l’exception prévue en cas de fraude ou d’infraction pénale.
Je vous invite à lire cette déclaration et souligne que, comme cela ressort des notes de bas de page,
elle repose sur le droit anglais . A cet égard, il a été fait référence hier à l’ouvrage Halsbury’s
Laws of England, qui traite de la confidentialité des communications entre un conseil et son client,
o
mais vous trouverez sous l’onglet n 15 un extrait de cet ouvrage qui n’a pas été cité, conforme à la
position du juge Brennan, et qui dit simplement ceci : «cette protection ne vaut pas pour les
communications [faites] en vue de commettre un crime ou une fraude».
28. C’est ce que prévoient le droit australien et le droit anglais et, comme vous le pouvez le
voir sous l’onglet n 16 du dossier de plaidoiries, où figure une brève analyse de la pratique des
Etats, nombre d’entre eux reconnaissent soit l’exception en cas de fraude ou d’infraction pénale,
soit d’autres exceptions, telle que celle prévue pour raison de sécurité nationale.
8
Commissioner of Austoalian Federal Police v. Propend Finance Pty Ltd (1997) 188 CLR 501, 514 (Brennan CJ)
[dossier de plaidoiries, onglet n 14]. - 12 -
29. Venons-en maintenant à la présente espèce. L’Australie a des raisons valables
d’invoquer l’exception à la confidentialité des communications prévue en cas de fraude ou
d’infraction pénale. Ces raisons sont énoncées dans les déclarations publiques des représentants du
Timor-Leste. Permettez-moi d’en passer certaines en revue. Sous l’onglet n 17 figure un article
d’un journal timorais rapportant les propos tenus par le ministre du Timor-Leste, M. Pires. Il aurait
dit ce qui suit : «l’ASIS a pénétré dans les bureaux du Gouvernement du Timor-Leste, et y a
installé des micros» (voir en bas de la première colonne et en haut de la deuxième). Vous verrez
également que M. Pires précise que la source de cette information est un ancien agent de l’ASIS,
aujourd’hui souffrant et hospitalisé en Australie . 9
o
30. [Projection suivante : onglet n 18.] Dans les deux derniers paragraphes de cet article,
l’avocat du ministre Pires, Bernard Collaery, celui-là même qui a été qualifié hier d’éminent
avocat, indique que les éléments de preuve sont «irréfutables» et que les autorités australiennes
17 «sont bien conscientes que nous sommes en mesure de le prouver». M. Collaery fait, semble-t-il,
10
référence aux révélations que lui a faites un ancien agent de l’ASIS .
31. Pour compléter ce tableau, je vous inviterai à consulter l’onglet n 19, où figure la lettre
de M. Collaery du 5 décembre, dans laquelle celui-ci consigne les éléments saisis. Le premier
élément figurant sur la deuxième page est un document décrit comme une déclaration sous serment
d’une personne dont le nom n’apparaît pas. Le dernier élément de la liste est assorti de l’indication
suivante : «document sans titre avec annotation manuscrite indiquant qu’«il s’agit d’une déclaration
de…»» (le nom n’apparaît pas). Comme je l’ai dit, l’équipe juridique de l’Australie n’a pas,
comme il se doit, accès à ces documents.
32. Néanmoins, sur la base de ce que je viens d’exposer, il est permis de penser que les
documents à l’égard desquels le Timor-Leste invoque le droit à la confidentialité des
communications incluent des déclarations écrites, ou des déclarations sous serment, faites par un
ancien agent de l’ASIS à M. Collaery en sa qualité de conseil du Timor-Leste, dans lesquelles sont
divulguées des informations relatives à la sécurité nationale de l’Australie. Si tel est le cas, ces
9
Julio da Silva, «Xanana still Waiting for Response from Australia about CMATS», Jornal Independente,
31 mai 2013, [dossier de plaidoiries, onglet n 17].
10
Julio da Silva, «Xanana still oaiting for Response from Australia about CMATS», Jornal Independente,
31 mai 2013, [dossier de plaidoiries, onglet n 17]. - 13 -
révélations constitueraient une grave infraction pénale au regard du droit australien, et je vous
renvoie aux articles 39 et 41 de la loi sur les services de renseignement, l’Intelligence Services
Act 2001 (Cth), à l’article 70 du Crimes Act 1914 (Cth), et à l’article 91.1 de l’annexe 1 du
Criminal Code Act 1995 (Cth), que vous trouverez sous les onglets 20-22.
33. Et ce n’est pas tout : l’Australie n’est pas le seul Etat à interdire la divulgation de secrets
d’Etat, y compris lorsque les renseignements ont été obtenus dans le cadre d’un emploi au sein
d’une agence de renseignement. Vous trouverez sous l’onglet n 23 une brève analyse de la
pratique des Etats, dont il ressort que des interdictions similaires existent notamment aux
Etats-Unis, au Canada, au Royaume-Uni, en France, en Nouvelle-Zélande, en Slovaquie, au Maroc,
en Russie, en Somalie et en Inde. Comme vous pouvez le voir à la page 21 du tableau, il existe en
droit timorais, comme on pouvait s’y attendre, une interdiction semblable, sachant que la peine
encourue pour divulgation de secrets d’Etat peut aller jusqu’à 15 ans d’emprisonnement. Si la
Cour ordonnait, comme le lui demande le Timor-Leste, que les documents et données soient
confiés à la garde de la Cour pendant un certain temps, cela aurait deux conséquences. Tout
d’abord, aucun tribunal australien ne pourrait examiner ces documents pour déterminer si
l’exception en cas de fraude ou d’infraction pénale s’applique. Ensuite, cela empêcherait l’ASIO
de mener à bien sa mission de protection de la sécurité de l’Australie relativement à ces documents.
18 Cela pourrait également j’utilise le conditionnel entraîner la divulgation d’autres
informations, en violation du droit pénal australien, divulgation qui, dans des circonstances
analogues, constituerait une violation au droit timorais. Ne serait-ce que pour cette raison, la Cour
ne devrait pas indiquer les mesures conservatoires sollicitées.
5. La procédure d’arbitrage n’est pas faussée
34. Mon cinquième point est le suivant : compte tenu de l’engagement, et contrairement à ce
qui a été dit hier à maintes reprises, l’arbitrage n’a pas été faussé, et l’Australie n’a pas été
avantagée. Les engagements pris par l’Attorney-General sont exhaustifs et répondent à toutes les
préoccupations réelles. - 14 -
35. Ces engagements sont notamment les suivants :
a) Le 4 décembre, l’Attorney-General a fait au Parlement australien une déclaration ministérielle,
que vous trouverez sous l’onglet n 24 , dans laquelle il indiquait avoir donné pour instruction
que les documents et données ne soient pas communiqués à l’équipe représentant l’Australie
dans le cadre de la procédure d’arbitrage ;
o 12
b) ensuite, vous trouverez sous l’onglet n 25 l’instruction donnée au directeur général
de l’ASIO, qui est en l’espèce doublement pertinente. Il est dit au cinquième paragraphe de la
première page que l’Attorney-General a, après le début de la présente procédure, étendu la
portée de l’instruction donnée afin que les documents et données ne soient pas communiqués
aux conseils de l’Australie en l’espèce. Au troisième paragraphe de la deuxième page, il est fait
référence à la notification qu’a adressée le président à l’Australie en vertu du paragraphe 4 de
l’article 74 et, au dernier paragraphe, l’Attorney-General demande que personne n’accède aux
documents avant l’ouverture des présentes audiences, et il me charge de vous faire part de ces
dispositions.
c) Et enfin, nous avons l’engagement fourni le 23 décembre 2013.
36. Permettez-moi de revenir sur la question que j’ai soulevée au début de mon exposé.
Hier, le Timor-Leste a, pour la première fois, fait clairement état de sa crainte que les éléments
saisis comprennent des documents portant sur les négociations relatives à la frontière maritime,
au-delà du cadre de l’arbitrage. Il a également exprimé sa crainte dénuée de véritable
fondement que des responsables australiens impliqués dans ces négociations puissent prendre
19 connaissance de ces documents. Faisant abstraction du fait que ces hypothèses sont infondées,
l’Attorney-General de l’Australie, tenu informé pendant la nuit, a établi et communiqué à la Cour
o 13
l’engagement qui figure sous l’onglet n 27 . J’invite la Cour à se fier à ce document puisqu’il
répond et bien plus encore à toute préoccupation légitime exprimé par le Timor-Leste au
cours de la présente procédure. Il convient de relever deux choses :
11
George Brandis, QC, sénateur et Attorney-General, «Ministerial Statement: Execution of ASIO Search
Warrants», 4 décembre 2013, dossier de plaidoiries, onglet n 24.
12
Lettre en date du 23 décembre 2013 adressée à M. David Irvine AO,odirecteur général de la sécurité, par
George Brandis, QC, sénateur et Attorney-General ; dossier de plaidoiries, onglet n 25.
13 Arbitrage en vertu du traité sur la mer de Timor, engagement écrit de George Brandis, QC, sénateur et
Attorney-General du Commonwealth d’Australie, 19 décembre 2013 ; dossier de plaidoiries, onglet n 27. - 15 -
premièrement, la troisième déclaration figurant en première page confirme qu’instruction a
bien été donnée à l’ASIO de ne pas communiquer les documents et données à des fins autres
que la protection de la sécurité nationale, notamment dans le cadre d’éventuelles enquêtes de
police et procédures judiciaires, jusqu’à ce que la Cour ait définitivement statué en la présente
instance où qu’elle en ait décidé autrement à un stade ultérieur ou antérieur. Telle qu’elle est
formulée, cette instruction reste valable non pas seulement jusqu’à ce que la Cour ait rendu sa
décision sur la demande en indication de mesures conservatoires, mais jusqu’au prononcé de
l’arrêt définitif. Il ressort des quatre engagements pris par l’Attorney-General, qui figurent à la
deuxième page, que celui-ci ne prendra pas connaissance des documents ; et si cela devait
changer, il ne manquerait pas de le signaler d’abord à la Cour. Aucun élément du
Gouvernement australien n’utilisera les documents et données à des fins autres que la
protection de la sécurité nationale, notamment dans le cadre d’éventuelles enquêtes de police et
procédures judiciaires, et ce, sans restriction. Ces éléments ne seront pas utilisés à des fins
liées à l’exploitation des ressources de la mer de Timor ou aux négociations y afférentes, ni
dans le cadre de la présente procédure, ni dans le cadre de l’arbitrage.
J’aimerais souligner un autre aspect de l’instruction donnée au directeur général, que vous
o
trouverez sous l’onglet précédent, l’onglet n 26. Au quatrième paragraphe de la première page
de la lettre, l’Attorney-General indique, à juste titre, que l’instruction donnée à l’ASIO de
garder les documents sous scellés reste, quoi qu’il arrive, valable jusqu’à ce que la Cour ait
rendu sa décision sur les mesures conservatoires.
6. La pertinence des voies de recours internes australiennes
37. Mon sixième et dernier point a trait à la pertinence des voies de recours internes
australiennes. Cela ne signifie pas que nous ayons affaire à une demande de protection
diplomatique. Cela signifie que, dans le cadre d’une demande en indication de mesures
conservatoires, dont les critères sont le caractère d’urgence, le risque réel de préjudice irréparable
et l’équilibre des droits, le fait qu’aucune des voies de recours les plus évidentes n’ait été explorée
20
auprès d’un tribunal australien devrait inciter la Cour à la plus grande prudence relativement à
l’indication de mesures conservatoires. - 16 -
Conclusions
38. Les voies de recours internes australiennes pertinentes ayant été exposées dans nos
observations écrites, permettez-moi de conclure. L’une des questions cruciales qui est au cœur du
présent différend, si l’on se fonde sur ce que le Timor-Leste dit publiquement, est que l’Australie
peut légitimement s’inquiéter de ce qu’un ancien agent des services de renseignement ait pu
divulguer des informations relatives à la sécurité nationale et qu’il puisse en divulguer d’autres, ce
qui constituerait une grave infraction pénale. L’Australie est fondée à redouter que le Timor-Leste
encourage la commission de pareille infraction.
39. Ces révélations menacent notre sécurité. Cela va bien au-delà de l’issue de l’arbitrage.
Transmettre des renseignements classés secrets à un Etat étranger est un grave délit en Australie,
comme ce serait le cas dans n’importe quel pays.
40. L’objet véritable de la demande en indication de mesures conservatoires peut être ainsi
résumé : le Timor-Leste cherche à empêcher l’Australie de prendre les mesures dont elle dispose en
vertu de son droit interne, lequel est conforme au droit international, mesures qui lui permettraient
de se protéger de la menace que semble représenter pour sa sécurité un ancien agent
malintentionné.
41. A la lumière de ces éléments, sur lesquels mes collègues reviendront dans leurs exposés,
nous prions la Cour de rejeter la demande en indication de mesures conservatoires.
42. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous prierai à présent
d’appeler M. Campbell à la barre.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, M. Gleeson. Je donne la parole à M. Campbell. Vous
avez la parole, Monsieur.
M. CAMPBELL :
L ES CONDITIONS PRÉALABLES ESSENTIELLES À L ’INDICATION DE MESURES
CONSERVATOIRES NE SONT PAS REMPLIES (PREMIÈRE PARTIE )
Introduction
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un honneur pour moi de
me présenter de nouveau devant vous au nom de l’Australie, fût-ce dans un rôle différent cette fois. - 17 -
21 Avec mes collègues, MM. Burmester et Crawford, il me revient à présent de démontrer que la
demande du Timor-Leste ne satisfait pas aux conditions préalables essentielles à l’indication de
mesures conservatoires qui sont établies dans le Statut, le Règlement et la jurisprudence de la Cour.
Nous examinerons en particulier trois aspects de cette demande :
premièrement, les droits que le Timor-Leste revendique en vertu du droit international ne sont
pas plausibles, contrairement à ce qu’exige la jurisprudence de la Cour ;
deuxièmement, les mesures sollicitées par le Timor-Leste n’ont aucun lien avec les droits
revendiqués par celui-ci en vertu du droit international. A la lumière des engagements de
l’Australie, il n’existe pas non plus de risque de préjudice irréparable, pas plus que les mesures
demandées ne revêtent un caractère d’urgence ; et
troisièmement, un autre organe, déjà constitué, exerce d’ores et déjà sa compétence à l’égard de
l’objet de la demande, et ce, selon un calendrier qui devrait aboutir à une décision avant la fin
de l’année. Dans ces circonstances, la Cour ne devrait pas assumer la responsabilité
d’ordonner des mesures conservatoires.
D’une manière plus générale, il importe de souligner que, selon nous, les mesures sollicitées par
l’Etat demandeur limiteraient la capacité de l’Australie de traiter des questions essentielles pour sa
souveraineté nationale, notamment sa capacité de protéger ses intérêts de sécurité nationale et de
faire appliquer son droit pénal interne.
2. J’examinerai la première des questions que je viens d’énumérer, M. Burmester traitera la
deuxième et M. Crawford, la troisième.
3. Avant d’étudier la question de la plausibilité des droits revendiqués par le Timor-Leste, je
souhaite mentionner deux points. D’une part, je tiens à appeler l’attention de la Cour sur les
principes généraux relatifs à l’indication de mesures conservatoires, tels qu’exposés dans les
observations écrites de l’Australie . Nous vous prions de bien vouloir garder ces principes à
l’esprit lors de l’examen de la présente demande. D’autre part, quoiqu’elle ait la faculté de
contester la compétence et la recevabilité de la requête introductive d’instance déposée par le
14OEA, par. 59-68. - 18 -
Timor-Leste avant même la phase du fond, l’Australie n’entend pas soulever de telles questions
dans le cadre de l’examen de la demande en indication de mesures conservatoires du Timor-Leste.
22 Les droits dont le Timor-Leste entend se prévaloir ne sont pas plausibles
4. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’aborde maintenant la question
de la «plausibilité». Comme l’a relevé hier le conseil du Timor-Leste, il est désormais admis que la
Cour ne peut indiquer des mesures conservatoires que si «les droits allégués par la partie
15
demanderesse sont au moins plausibles» .
5. Il est permis de dire que, jusqu’à hier, le Timor-Leste n’avait donné qu’un aperçu très
sommaire des droits dont il cherche à assurer la protection. Le paragraphe 10 de sa requête
renvoyait simplement à des «droits découl[ant] du droit international coutumier et de tout droit
16
interne pertinent, ainsi que de la souveraineté du Timor-Leste en droit international» . Le manque
de précision est manifeste. Toutefois, aux yeux d’un profane, le conseil du Timor-Leste aura
remédié hier à cette lacune. Mais, est-ce vraiment le cas ? Même un examen cursif des droits
invoqués hier par le Timor-Leste et que l’Australie aurait enfreints révèle que des droits très précis,
par exemple, ceux relatifs à l’inviolabilité et à l’immunité de certains documents dans certaines
circonstances, ont été étendus et transformés, revêtant ainsi un caractère plus général qui, s’il leur
permet de s’ajuster parfaitement à la cause du Timor-Leste, va bien au-delà de ce qu’a jusqu’à
présent reconnu le droit international.
6. Ces droits étendus, qui ne tiennent nullement compte de la réalité de l’égalité des Etats et
des droits souverains de ces derniers de contrôler leurs propres affaires, ne souffrent aucune
exception. Tels qu’énoncés hier, ces droits ne sont effectivement pas plausibles.
15
CR 2014/1, p. 27, par. 22 (Lauterpacht). Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan
(Nicaragua c. Costa Rica) ; Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica
c. Nicaragua), demande en indication de mesures conservatoires présentée par le Nicaragua, ordonnance du
13 décembre 2013, par. 15 ; Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de
Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), mesures conservatoires, ordonnance du
18 juillet 2011, C.I.J. Recueil 2011 (II), p. 545, par. 33 ; Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région
frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures conservatoires, ordonnance du 8 mars 2011, C.I.J. Recueil 2011 (I),
p. 18, par. 53 ; Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), mesures
conservatoires, ordonnance du 28 mai 2009, C.I.J. Recueil 2009, p. 151, par. 57.
16
Requête, par. 10. - 19 -
7. Prenons, à titre d’exemple, cette déclaration du conseil du Timor-Leste :
«[E]tant donné la nature de la demande principale et le fait incontestable que le
Timor-Leste est un Etat souverain reconnu par l’Australie, celui-ci est en droit
d’attendre le plein respect de ses droits de propriété sur le plan international, et ce,
dans tout Etat où pourraient se trouver les éléments en cause … Par ailleurs, le
Timor-Leste peut prétendre à la reconnaissance de ses droits, nonobstant toutes 17
dispositions spéciales qui pourraient leur être opposées en vertu du droit australien.»
23 J’insiste : «nonobstant toutes dispositions spéciales qui pourraient leur être opposées en vertu du
droit australien». Voilà une déclaration des plus surprenantes. Il s’agit, pour reprendre les termes
du Solicitor-General, d’une nouvelle forme d’extraterritorialité qui, si elle existait, aurait des
implications stupéfiantes pour le droit international et le droit interne, ainsi que pour les relations
entre l’un et l’autre.
8. Les droits tels qu’affirmés hier aboutissent à une conclusion qui, pour savamment étayée
qu’elle soit au moyen de raisonnements artificiels, ne saurait tout simplement être correcte. Ainsi,
le conseil du Timor-Leste a déclaré :
«Notre … point est donc que la saisie a été effectuée sur la base d’un mandat
délivré par un «tribunal» au sens du droit international coutumier relatif à l’immunité
de l’Etat, tel qu’il est reflété par la convention des Nations Unies.» 18
9. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, selon le Timor-Leste, le
«tribunal» allégué en question était l’Attorney-General. Il va sans dire que l’Attorney-General
n’est pas un «tribunal», ni au sens de la convention des Nations Unies sur les immunités
juridictionnelles des Etats et de leurs biens de 2004 , contrairement à ce qui a été allégué, ni à
aucune autre fin. Comme la plupart des autres pays, l’Australie respecte la séparation des pouvoirs
entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire. A cet égard, l’Attorney-General fait partie du pouvoir
exécutif et ne constitue pas un tribunal.
10. Cette amplification des droits revendiqués a également entraîné une amplification des
faits tout simplement indéfendable. Le conseil du Timor-Leste a par exemple affirmé :
«Dans ses observations écrites, [l’Australie] ne reconnaît nullement que la saisie
des biens d’un autre Etat constitue une violation du droit international, au même titre
20
que le serait la saisie de toute partie du territoire d’un autre Etat.»
17
CR 2014/1, p. 27-28, par. 25 (Lauterpacht).
18CR 2014/1, p. 38, par. 22 (Wood).
192 décembre 2004, annexe, Nations Unies, doc. A/RES/59/38.
20
CR 2014/1, p. 31, par. 34, 1) (Lauterpacht). - 20 -
L’Australie ne nie pas que la saisie d’un bien d’Etat puisse constituer dans certaines circonstances
une violation du droit international, mais la mettre sur le même plan, de manière inconditionnelle,
que la saisie illicite d’un territoire revient à forcer le trait et ne reflète pas la réalité.
11. Ces exemples montrent jusqu’à quelles extrémités doit aller le demandeur pour prouver
qu’il détient les droits allégués qu’il fait grief à l’Australie d’avoir violés. En fait, ils démontrent à
quel point ces droits allégués sont dépourvus de toute plausibilité.
12. J’en viens maintenant aux droits particuliers mentionnés hier par le Timor-Leste et à leur
plausibilité.
24 13. Le conseil du Timor-Leste a ramené ces droits à «l’inviolabilité et à l’immunité de ses
biens, et en particulier de ses documents et données» . 21
14. Même à supposer que les éléments saisis au 5 Brockman Street, à Narrabundah,
appartiennent au Timor-Leste, ce qui reste à démontrer, le demandeur doit prouver que les droits à
l’inviolabilité et à l’immunité dont il entend se prévaloir en vertu du droit international sont
plausibles par rapport aux biens concernés. J’aborde donc à présent la question de l’inviolabilité.
Inviolabilité
15. L’inviolabilité absolue des biens et documents d’un Etat a été présentée hier par
sir Michael comme constituant un aspect de la souveraineté, de l’égalité souveraine des Etats et de
la non-intervention. Le Timor-Leste ne cite cependant aucune source faisant autorité à l’appui de
son affirmation de l’existence d’un principe général d’inviolabilité des documents et des biens
d’Etat, qu’il n’étaye qu’en s’appuyant sur des analogies avec des documents en possession d’une
mission diplomatique étrangère ou d’un consulat 22 ou en affirmant qu’il s’agit d’un «principe
général qui sous-tend … de nombreuses règles dans certains domaines, tels que celui de l’immunité
de l’Etat ou des immunités diplomatiques et consulaires» . 23
16. En réalité, le Timor-Leste s’y prend à rebours : il cherche à créer un principe général
d’inviolabilité des documents et des biens d’Etat à partir d’immunités déterminées qui s’appliquent
à de tels biens dans des circonstances strictement définies. L’affirmation de ce principe général est
21
CR 2014/1, p. 33, par. 2 (Wood).
22CR 2014/1, p. 28, par. 25 (Lauterpacht).
23
CR 2014/1, p. 37, par. 19 (Wood). - 21 -
dépourvue de fondement juridique et, comme l’a souligné le Solicitor-General, l’existence même
d’un tel principe général ôterait toute raison d’être aux principes particuliers qui, eux, existent bel
et bien.
17. En outre, le Timor-Leste ne reconnaît aucune exception, même dans le cas où les
documents et les biens concernés s’inscriraient dans le cadre d’une entreprise illicite menée sur le
territoire de l’Etat dans lequel ils se trouvent, ou trahiraient l’existence d’une telle entreprise. En
somme, ce droit, si largement défini, n’est pas plausible.
25 Immunité
18. J’en viens maintenant à la question de l’immunité. L’Australie reconnaît que les biens et
documents d’un Etat peuvent être à l’abri de toute saisie dans un autre Etat dans certaines
circonstances déterminées : il s’agit principalement de l’immunité juridictionnelle et de l’immunité
diplomatique et consulaire. Toutefois, le conseil du Timor-Leste a tenté de créer une immunité
plus vaste à partir de ces immunités reconnues et bien définies ou, à tout le moins, d’étendre
celles-ci à des circonstances qu’elles n’ont pas vocation à couvrir, comme celles de la présente
espèce.
19. En ce qui concerne les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens, les
dispositions de la convention de 2004 ont été invoquées. Or, ainsi que la Cour l’a noté dans
l’affaire relative aux Immunités juridictionnelles, la convention de 2004 n’a recueilli l’adhésion que
24
d’un tout petit nombre d’Etats et n’est pas encore entrée en vigueur. A ce jour, seuls quatorze
Etats sont parties à la convention — un chiffre bien en deçà des trente ratifications requises pour
que celle-ci entre en vigueur. Ni l’Australie ni le Timor-Leste ne sont parties à la convention
de 2004, encore que ce dernier l’ait signée. Il serait difficile de conclure, si quiconque avait la
hardiesse de l’affirmer, que la convention de 2004 reflète d’une manière générale le droit
international coutumier.
20. Que les dispositions de cette convention représentent ou non le droit international
coutumier, le conseil du Timor-Leste en a étendu les dispositions de manière tout à fait incroyable.
Un principe fondamental de l’immunité de juridiction, tant dans la convention de 2004 qu’en droit
24 Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2012,
p. 122, par. 53. - 22 -
international coutumier et même dans la pratique des Etats, est qu’il s’agit d’une immunité à
l’égard des juridictions d’un autre Etat. De fait, selon l’article 5 de la convention de 2004 — qui
o
apparaît maintenant sur vos écrans (onglet n 34) :
«Article 5.
Immunité des Etats
Un Etat jouit, pour lui-même et pour ses biens, de l’immunité de juridiction
devant les tribunaux d’un autre Etat, sous réserve des dispositions de la présente
convention.»
21. Le conseil du Timor-Leste a cité ce même article à l’appui de sa proposition («[s]elon la
règle fondamentale énoncée dans la convention des Nations Unies de 2004, l’Etat et ses biens
25
jouissent de l’immunité» ) mais il a omis la précision majeure qui vient ensuite — «devant les
26 tribunaux d’un autre Etat» — et pour cause : cette précision rend très difficile l’application du
principe de l’immunité juridictionnelle aux circonstances de l’espèce.
22. Soyons clairs, l’immunité juridictionnelle n’est pas, et n’a jamais été, une immunité
générale permettant à un Etat de se soustraire aux lois d’un autre lorsqu’il se livre à des
transactions sur le territoire de celui-ci : il s’agit d’une immunité prima facie à l’égard de la
juridiction des tribunaux, qui fait ensuite l’objet de certaines exceptions expresses. Comme je l’ai
indiqué plus tôt, les raisons avancées hier par le conseil du Timor-Leste pour assimiler
l’Attorney-General de l’Australie à un «tribunal», au sens de la convention de 2004 et du droit
international coutumier, ne tiennent absolument pas debout.
23. L’Attorney ne décerne jamais de mandat au titre de la loi ASIO dans le cadre d’une
procédure judiciaire. C’est un acte exécutif accompli sur la base de la législation australienne aux
fins de protéger la sécurité nationale. Il n’est pas soumis à l’immunité juridictionnelle prévue par
le droit international. Si l’immunité de juridiction ne s’applique pas dans ces circonstances, la
question des exceptions éventuelles ne se pose même pas.
24. L’immunité juridictionnelle constitue naturellement un droit plausible, dans l’absolu.
Mais le fait est que ce principe ne s’applique tout simplement pas aux circonstances qui nous
réunissent aujourd’hui, à savoir la délivrance par l’Attorney-General d’un mandat visant la saisie
de biens au titre de la loi ASIO. En résumé, il ne s’agit pas ici d’un droit plausible en ce sens que,
25CR 2014/1, p. 38, par. 23 (Wood). - 23 -
de toute évidence, ce droit n’entre même pas en jeu dans la présente affaire. Autrement dit, si ce
droit n’entre pas en jeu dans ces circonstances, la question de sa plausibilité ne se pose même pas.
25. Le conseil du Timor-Leste a également déclaré que
«l’inviolabilité et l’immunité des documents et des biens de l’Etat [étaient]
expressément prévues dans les conventions internationales qui régiss[ai]ent certains
domaines du droit, tels que le droit diplomatique et consulaire, le droit relatif aux
missions spéciales, et le droit des organisations internationales» . 26
L’Australie admet bien entendu que ces conventions s’appliquent selon leurs modalités. Et cela
vaut pour les immunités établies dans ces conventions — je dis bien, établies dans ces conventions.
Toutefois, ces conventions ne prescrivent pas une sorte d’immunité et d’inviolabilité générales qui
s’appliqueraient aux actes des Etats ou à leurs biens et documents. Elles prévoient certaines
immunités dans des circonstances bien définies et ces circonstances ne couvrent pas le cas des
27
documents saisis dans les locaux sis au 5 Brockman Street, à Narrabundah.
26. Pour démontrer l’existence d’une telle règle générale, le Timor-Leste a renvoyé à
certaines déclarations nuancées qui ont été faites par le conseiller juridique du département d’Etat
des Etats-Unis, M. Taft . 27 Mis à part le fait que M. Taft avait à l’esprit des circonstances
totalement différentes (il songeait à des questions liées à la construction d’une ambassade) en se
demandant si les documents confiés à un tiers bénéficiaient toujours de l’immunité, il a déclaré
qu’il s’agissait d’une «question nouvelle et complexe» — concluant sans doute par cet euphémisme
qu’il n’existait aucune interdiction applicable. L’extrait de l’ouvrage d’Oppenheim cité hier, à
savoir que les documents officiels confiés à des agents n’ayant pas un statut diplomatique
28
«bénéficient a priori de l’immunité», est pour le moins équivoque . Le Timor-Leste ne s’appuie
sur aucune source judiciaire pour conclure d’une manière générale à l’existence d’un principe
fondamental conférant l’inviolabilité à tous les documents d’Etat, où qu’ils se trouvent , et vu les
implications considérables qu’entraînerait la généralisation d’un tel principe, cette conclusion n’est
guère plausible.
26
CR 2014/1, p. 38-39, par. 24 (Wood).
27CR 2014/1, p. 39-40, par. 26 (Wood).
28CR 2014/1, p. 40, par. 27 (Wood).
29
CR 2014/1, p. 40, par. 29 (Wood). - 24 -
La confidentialité des communications entre un conseil et son client
27. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’en viens maintenant à la
confidentialité des communications entre un conseil et son client, et à l’affirmation timoraise selon
30
laquelle il existe un «principe général de droit» correspondant à cette prérogative . Les autorités
citées par sir Michael hier n’étayent nullement l’idée qu’il existerait un principe de droit
international d’application générale qui protègerait de manière absolue la confidentialité des
31
communications entre un Etat et ses conseillers juridiques . Même si l’on reconnaissait
l’existence d’une telle prérogative en droit international, celle-ci serait inévitablement assortie de
réserves, comme elle l’est dans les systèmes juridiques internes.
28. Ces réserves entrent notamment en jeu lorsque la communication en question concerne la
28
commission d’infractions pénales ou de fraudes, qu’elle constitue une menace pour la sécurité
nationale, ou que la reconnaissance de ce principe entrerait en conflit avec des intérêts publics
32
supérieurs et plus importants .
29. Sir Michael a également fait référence à plusieurs affaires tranchées par des tribunaux
arbitraux internationaux. Je n’ai que deux choses à lui répondre. Premièrement, cette
jurisprudence n’étaye pas la proposition selon laquelle la confidentialité des communications entre
un conseil et son client constituerait, en droit international, un principe général qui ne souffrirait
aucune réserve . 33 Deuxièmement, même lorsqu’ils en reconnaissent l’existence en droit
international, les tribunaux arbitraux eux-mêmes admettent des exceptions à ce principe. Comme
l’a déclaré M. James Spigelman, l’expert indépendant désigné dans l’arbitrage St Marys VCNA
o
LLC v. Government of Canada engagé dans le cadre de l’ALENA (onglet n °35) :
«[la confidentialité] ne s’étend pas aux communications qui entravent la bonne
administration de la justice ou constituent de quelque autre façon un abus de celle-ci.
Les documents conçus dans cet objectif impropre sont privés d’emblée de la
confidentialité protégeant les communications entre un conseil et son client.
30CR 2014/1, p. 40-41 et 43, par. 30 et 37 (Wood).
31
CR 2014/1, p. 40-43 (Wood).
32Voir onglet n 16, Summary of Municipal Laws on Legal Professional Privilege/Confidentiality : Scope and
Exceptions.
33Affaire de la Banque des règlements internationaux (CPA), ordonnance de procédure n 6, 11 juin 2002, p. 10 ;
repris dans Vito G. Gallo c. Gouvernement du Canada (CPA-ALENA), ordonnance de procédure n 3, 8 avril 2009.
Libananco Holdings Co. Limited v. Republic of Turkey, ICSID Case No. ARB/06/8, Decision on Preliminary Issues,
23 juin 2008. Voir CR 2014/1, p. 40-43 (Wood). - 25 -
Il s’agit là d’un principe généralement reconnu dans nombre de systèmes juridiques
internes.»34 [Traduction du Greffe.]
30. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, l’analyse exhaustive exposée
par l’Australie quant à la manière dont les questions liées à la confidentialité des communications
entre un conseil et son client ont été traitées en droit interne et en droit international — ce dont le
Solicitor-General vous a parlé plus tôt — met en évidence le défaut de plausibilité des droits de
confidentialité étendus et inconditionnels que le Timor-Leste voudrait vous faire appliquer aux
communications entre les Etats et leurs conseillers juridiques.
31. Monsieur le président, si vous le voulez bien, je vais conclure sur la question de la
plausibilité de ces droits : la Cour devrait selon nous déclarer que les droits dont le Timor-Leste
entend se prévaloir dans sa requête ne sont pas suffisamment plausibles pour justifier les mesures
demandées.
32. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous remercie pour votre
attention. Je vous prie de bien vouloir appeler à présent M. Burmester à la barre.
29 Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Campbell. J’appelle maintenant à la barre
M. Burmester. Vous avez la parole, Monsieur.
M. BURMESTER :
L ES CONDITIONS PRÉALABLES ESSENTIELLES À L ’INDICETION DE MESURES
CONSERVATOIRES NE SONT PAS REMPLIES (2 PARTIE )
Introduction
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un honneur pour moi que
de me présenter de nouveau devant vous au nom de l’Australie. Mon exposé comportera
deux volets. Dans le premier, m’appuyant sur la présentation de M. Campbell que vous venez
d’entendre, je démontrerai pourquoi le Timor-Leste ne peut pas convaincre la Cour de l’existence
d’un lien entre les «droits» allégués qui font l’objet de la présente instance et les mesures
34 James Spigelman, «Report of Inadvertent Disclosure of Privileged Documents», St Marys VCNA LLC
v. Government of Canada, 27 décembre 2012, p. 4, dont le texte anglais peut être consulté à l’adresse suivante :
http://italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw1392.pdf. - 26 -
conservatoires sollicitées. Or, il est essentiel qu’un tel lien soit établi pour que des mesures
conservatoires soient accordées.
2. Dans un second temps, j’exposerai les motifs pour lesquels l’Australie réfute les
allégations du Timor-Leste relatives à l’urgence qu’il y aurait à indiquer des mesures
conservatoires et au préjudice irréparable qu’il prétend devoir subir à défaut de telles mesures. En
l’absence de préjudice irréparable ou d’urgence, la Cour ne peut indiquer de mesures
conservatoires. Or je démontrerai que ni l’une ni l’autre de ces conditions n’est remplie en
l’espèce.
3. La Cour doit par ailleurs tenir compte de l’atteinte qui serait portée aux droits souverains
de l’Australie de protéger sa sécurité nationale et de mettre en œuvre sa compétence pénale sur son
propre territoire si les mesures conservatoires sollicitées devaient être accordées. Bien que le
Timor-Leste tente de définir le différend comme se rapportant uniquement aux droits qu’il
revendique, la Cour doit mettre ces revendications en rapport avec la restriction importante dont
serait assortie la capacité de l’Australie d’exercer ses droits souverains. L’affaire Blaškić invoquée
par le Timor-Leste n’est pas pertinente. Il y était en effet question de rétention de preuves, dans le
cadre d’une procédure pénale, pour des motifs de sécurité nationale. Nous sommes bien loin de la
35
présente situation . De fait, dans cette affaire, le tribunal a été très attentif aux préoccupations
légitimes de l’Etat en matière de sécurité nationale, et cela a été reconnu dans le cadre de la
36
30 procédure de traitement des preuves . Ce souci de protéger le droit et le devoir d’un Etat d’exercer
des poursuites en cas de commission d’une infraction grave est également tout à fait manifeste dans
37
l’affaire Libananco Holdings, que le Timor-Leste a invoquée hier .
35Le procureur c. Tihomir Blaškić, arrêt relatif à la requête de la République de Croatie aux fins d’examen de la
décision de la chambre de première instance II rendue le 18 juillet 1997, Chambre d’appel du Tribunal pénal
international pour l’ex-Yougoslavie, 29 octobre 1997.
36Le procureur c. Tihomir Blaškić, par. 67.
37
Libananco Holdings Co Ltd v. Republic of Turkey, ICSID Case No. ARB/06/8, Decision on Preliminary Issues,
23 juin 2008, p. 37, par. 79. - 27 -
L’absence de lien suffisant entre les droits allégués dont la protection est demandée
et les mesures sollicitées
4. Si l’on met de côté la question de la plausibilité (que M. Campbell vient de traiter), le
Timor-Leste doit également convaincre la Cour qu’il existe un «lien suffisant» entre les mesures
conservatoires demandées et les droits invoqués. Une chose est suffisante lorsqu’elle est adaptée à
un but particulier . Le but qui intéresse la Cour est de préserver la situation factuelle nécessaire à
l’exercice réel des droits en litige afin que l’arrêt qu’elle rendra par la suite soit d’application
effective .0
5. Or, pareil lien n’existe manifestement pas dans la demande présentée par le Timor-Leste.
Celui-ci a beau assurer que ce lien nécessaire «va … de soi» et que les revendications formulées
dans la requête introductive d’instance et dans la demande en indication de mesures conservatoires
sont «étroitement liée[s]» , il ne l’a pas réellement démontré. D’une manière générale, la requête
et la demande sont dissociées l’une de l’autre. La requête porte sur des droits de propriété et
d’autres droits que le Timor-Leste revendique à l’égard des documents et données en cause. Il est
uniquement question de droits de propriété sur certains documents et de la restitution de ces
derniers. Les mesures conservatoires demandées aux points a) à d) portent, en revanche,
essentiellement sur l’utilisation du contenu de certains documents et données, et sur le préjudice
continu qui, selon le Timor-Leste, résulterait pour lui du fait que l’Australie en prenne
connaissance.
6. Puisque le Timor-Leste cherche à établir un lien entre utilisation et propriété, il lui reste à
démontrer qu’il existe un lien suffisant entre les mesures sollicitées et l’intérêt juridique qui est en
jeu. Le seul intérêt juridique, en dehors du droit de propriété, qu’il mentionne de façon quelque
peu détaillée est le droit d’empêcher l’Australie de tirer éventuellement profit de l’accès aux
documents dans le cadre de l’arbitrage et de la question des ressources de la mer de Timor. Or,
pareil lien ne saurait être établi, puisque l’Australie s’est expressément engagée à ne pas rendre les
38 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 15 octobre 2008, C.I.J. Recueil 2008,
p. 391-392, par. 126.
39D’après la définition du mot «sufficient» dans le Shorter Oxford English Dictionary : vol. 2, Oxford University
Press, Oxford, 2007, 6 éd., p. 3097.
40
Shabtai Rosenne, The Law and Practice of the International Court, 1920-2005 : volume III Procedure,
Martinus Nijhoff Publishers, Leiden, 2006, p. 1412.
41CR 2014/1, p. 28, par. 26 (Lauterpacht). - 28 -
31 documents accessibles aux personnes liées à l’arbitrage ou à quiconque en dehors des agents de ses
42
services de renseignement et des fonctionnaires chargés de l’application de la loi pénale .
7. L’absence de lien suffisant avec les droits revendiqués est particulièrement manifeste en
ce qui concerne la mesure conservatoire demandée au point e) de la requête. Cette mesure est en
effet dépourvue de tout lien avec les droits qui font l’objet de l’instance au fond.
8. D’après les termes employés, cette mesure, relative à l’interception, s’applique à toutes les
communications entre le Timor-Leste et ses conseillers juridiques, mais malgré ce libellé
englobant, elle vise principalement les communications entre le Timor-Leste et ses conseillers
juridiques qui ont trait à la conduite de l’arbitrage . 43 La requête et les remèdes qui y sont
demandés, quant à eux, concernent uniquement les droits issus des documents et données saisis que
le Timor-Leste revendique.
9. La mesure sollicitée ne préserverait par conséquent aucun droit dont l’existence est
alléguée dans la requête. En revanche, elle interdirait un comportement n’ayant aucun lien avec
celle-ci, et dont le Timor-Leste soutient sans fournir aucun élément pour étayer cette
allégation qu’il se produira ou pourrait se produire à l’avenir. Aucun des remèdes demandés par
le Timor-Leste dans sa requête ni des droits qui y sont allégués ne serait affecté si cette mesure,
relative à des activités de surveillance, n’était pas accordée.
10. Quand bien même un lien suffisant pourrait être établi d’une autre manière, une mesure
visant des activités de surveillance serait tout à fait extraordinaire, lourde de conséquences et sans
précédent. Elle ne s’appuierait sur aucun fondement solide en droit international et ne protégerait
44
aucun droit plausible. La décision du CIRDI dans l’affaire Libananco Holdings , que
sir Michael Wood a évoquée, ne prouve pas le contraire. Dans cette affaire, l’injonction en
apparence générale du tribunal interdisant l’interception des communications entre conseillers
juridiques et représentants du demandeur était faite sous réserve de la reconnaissance expresse, au
42Arbitrage en vertu du traité sur la mer de Timor, engagement écrit de M. George Brandis, QC, sénateur et
Attorney-General du Commonwealth d’Australie, 19 décembre 2013 (onglet n 5) ; Timor-Leste c. Australie, engagement
écrit de M. George Brandis, QC, sénateur et Attorney-General du Commonwealth d’Australie, 21 janvier 2014
(onglet n 27).
43Demande en indication de mesures conservatoires, par. 7.
44
Libananco Holdings Co Ltd v. Republic of Turkey, ICSID Case No. ARB/06/8, Decision on Preliminary Issues,
23 June 2008. - 29 -
paragraphe 1.2, du droit de la Turquie de mener des enquêtes si elle soupçonnait l’existence
d’activités criminelles. L’interdiction portait sur la communication des informations ainsi obtenues
45
32 à toute personne prenant part à l’arbitrage . L’interdiction de l’interception était donc soumise à
une restriction importante. Dans cette affaire, l’arbitrage a finalement été favorable à la Turquie,
en partie du fait des éléments de preuve qui remettaient en cause l’authenticité des documents
essentiels que le requérant voulait invoquer pour établir la compétence du tribunal . 46
11. Selon nous, la Cour ne devrait pas conclure à l’existence d’un lien suffisant entre les
mesures conservatoires sollicitées et les droits qui font l’objet de la demande principale.
1. Préjudice irréparable ; caractère d’urgence
12. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’aborderai à présent le critère
selon lequel les mesures indiquées doivent être nécessaires pour préserver les droits respectifs des
Parties, au sens où, autrement, il y aurait préjudice irréparable et urgence . 47
13. A cet égard, le premier point est que la Cour, lorsqu’elle examine la question du
préjudice irréparable, doit prendre en considération les droits et intérêts des deux Parties et ce,
même si la demande n’a été présentée que par l’une d’entre elles. En effet, les droits de l’Australie,
en sa qualité de défendeur, ne sont pas fonction de la manière dont le Timor-Leste a formulé sa
48
demande . La Cour doit donc également en tenir compte.
14. La Cour a le pouvoir d’indiquer des mesures qui limitent la liberté souveraine à un stade
où elle n’a pas encore statué sur sa compétence ou sur le bien-fondé des prétentions . Elle doit 49
45Libananco Holdings Co Ltd v. Republic of Turkey, ICSID Case No. ARB/06/8, Decision on Preliminary Issues,
23 juin 2008, p. 42, order 1.2.
46
Libananco Holdings Co Ltd v. Republic of Turkey, ICSID Case No. ARB/06/8, Award, 2 septembre 2011,
p. 173, par. 534.
47
Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures
conservatoires, ordonnance du 8 mars 2011, C.I.J. Recueil 2011 (I), déclaration de M. le juge Greenwood, p. 48, par. 7.
48Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), mesures conservatoires, ordonnance du
23 janvier 2007, C.I.J. Recueil 2007, p. 3, 10-11, par. 28-9.
49Robert Kolb, The International Court of Justice, Hart Publishing, Grande-Bretagne, 2013, p. 630. - 30 -
50
soigneusement mettre en balance les droits opposés qui lui sont présentés et s’assurer qu’aucune
33 des Parties ne soit sérieusement désavantagée . Il lui faut donc exercer à bon escient son pouvoir
d’indiquer des mesures conservatoires, afin de trouver un juste équilibre entre les droits des deux
Parties.
15. L’Australie possède une autorité souveraine en ce qui concerne le maintien de sa sécurité
et l’exercice de ses fonctions légitimes en matière d’application des lois sur son propre territoire.
Les mesures conservatoires demandées par le Timor-Leste, si elles étaient indiquées, porteraient
gravement préjudice à ces droits essentiels. Aussi le Timor-Leste doit-il satisfaire à des critères
très stricts s’il entend empêcher l’Australie d’exercer ses droits.
16. Cela est d’autant plus vrai que les éléments dont découlent, selon le Timor-Leste, les
droits qu’il revendique ont tous été introduits en Australie ou y ont été constitués. Les avocats
établis en Australie peuvent conseiller des gouvernements étrangers, et ils le font, mais ils n’en
demeurent pas moins soumis à la législation australienne, y compris au droit relatif à la
confidentialité des communications entre un conseil et son client, qui établit un équilibre entre les
besoins de confidentialité et d’autres intérêts publics. Un gouvernement qui se tourne vers
l’Australie et y sollicite des avis juridiques ne saurait en même temps se soustraire, ou soustraire
ses conseillers, à l’application du droit civil et pénal australien pertinent. Le 5 Brockman Street, à
Narrabundah, n’est pas devenu une enclave étrangère parce que M. Collaery a agi en qualité de
conseiller du Timor-Leste. Ce dernier n’a d’ailleurs nullement contesté la présomption selon
laquelle l’Australie est en droit d’exercer sa compétence normative et relative à l’application des
lois sur son propre territoire.
17. Or, si les mesures conservatoires demandées étaient indiquées, l’Australie serait
empêchée, pendant une période prolongée, d’exercer ses droits relatifs à la sécurité des
50Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), mesures conservatoires, ordonnance du
13 juillet 2006, C.I.J. Recueil 2006, p. 113, opinion individuelle de M. le juge Abraham, p. 139 ; voir aussi l’affaire du
Passage par le Grand-Belt (Finlande c. Danemark), mesures conservatoires, ordonnance du 29 juillet 1991,
C.I.J. Recueil 1991, opinion individuelle de M. le juge Shahabuddeen, p. 29 ; Bin Cheng, General Principles of Law as
applied by International Courts and Tribunals, Grotius Publications Ltd., 1987, p. 273, citant l’affaire de la Compagnie
d’électricité de Sofia et de Bulgarie (1923), T.A.M., vol. 2, p. 924, 926-7.
51
Karin Oellers-Frahm, «Article 41», dans l'ouvrage de Zimmerman, Tomuschat et Oellers-Frahm (dir. publ.),
The Statute of the International Court of Justice: A Commentary, p. 1035. - 31 -
renseignements et aux enquêtes pénales, jusqu’à ce que la Cour soit en mesure d’examiner la
requête principale du Timor-Leste. Les mesures demandées empêcheraient en effet l’Australian
Security Intelligence Organisation d’exercer ses fonctions, pendant la durée de la présente instance,
en ce qui concerne les documents enlevés.
18. La Cour devrait accorder une grande importance à ces questions et faire preuve d’une
extrême prudence avant d’indiquer des mesures nuisant à la capacité de l’Etat d’agir dans ces
domaines. Cela est d’autant plus vrai que l’Australie a pris d’importants engagements qui limitent
l’accès aux documents de la manière la moins préjudiciable à sa capacité de protéger ses intérêts
34 nationaux, tout en répondant directement aux préoccupations que le fait que puissent accéder à ces
éléments des personnes susceptibles de participer aux activités qu’elle mène avec le Timor-Leste
concernant les traités relatifs à la mer de Timor ou les négociations futures semble inspirer au
Timor-Leste.
19. J’en arrive ainsi aux deux aspects de la troisième exigence, à savoir le préjudice
irréparable et le caractère d’urgence.
20. Le Timor-Leste n’a satisfait à aucun de ces critères.
a) Absence de préjudice irréparable
21. En l’espèce, il n’est pas satisfait au critère du préjudice irréparable, puisque les
circonstances qui préoccupent le plus le Timor-Leste, si on les examine attentivement, ne vont tout
simplement pas se produire. Le Timor-Leste a présenté une demande en indication de mesures
conservatoires qui, pour l’essentiel, exprime la préoccupation que l’Australie puisse examiner les
éléments en cause et prendre connaissance de leur contenu .52
22. Il nous semble que cette préoccupation repose sur deux types de préjudices, le premier
ayant trait à l’arbitrage et le second, plus généralement, à la mer de Timor et à ses ressources.
23. S’agissant de la première catégorie, l’Attorney-General a pris un certain nombre
d’engagements auprès du tribunal concernant les éléments en cause. Il vient également d’en
prendre de nouveaux, encore plus généraux, devant la Cour. A cet égard, il convient surtout de
52Demande en indication de mesures conservatoires, par. 6. - 32 -
retenir que le contenu des éléments pris par l’ASIO ne doit en aucune circonstance être
communiqué à l’équipe représentant l’Australie dans le cadre de la procédure d’arbitrage, et qu’il
ne sera utilisé par aucun organe ou agent du Gouvernement australien à des fins n’intéressant pas la
sécurité nationale ou l’application des lois avant que la Cour n’ait statué en la présente instance. La
Cour a admis que des engagements adéquats peuvent rendre superflue l’indication de mesures
conservatoires, étant donné que le risque de préjudice irréparable ou le caractère d’urgence
53
n’existent plus . Or, les engagements que l’Australie a pris envers le tribunal signifient qu’aucun
préjudice irréparable ne sera causé aux droits du Timor-Leste relatifs à l’arbitrage, puisque la
préoccupation principale du Timor-Leste ne peut pas se concrétiser dans les faits. L’hypothèse
émise hier, selon laquelle les mesures conservatoires seraient nécessaires parce que les
engagements n’auraient pas force obligatoire, est absurde et doit être rejetée à ce titre. Les
engagements unilatéraux pris par les Etats peuvent avoir des conséquences juridiques, comme le
35 54
montre l’affaire des Essais nucléaires , et le dernier engagement que l’Australie a pris auprès de la
Cour — ainsi que celui qu’elle a donné auparavant au tribunal — sont de cette nature.
24. De plus, l’enlèvement des documents, ou la non-indication de mesures conservatoires, ne
compromet pas gravement la capacité du Timor-Leste de se préparer à l’arbitrage, contrairement à
ce qu’il prétend . Le Timor-Leste a en effet indiqué aux médias qu’il possédait des copies des
documents en cause et que sa capacité de conduire l’arbitrage resterait intacte. Comme l’ont
rapporté les médias, M. Bernard Collaery a déclaré que l’enlèvement des éléments intervenu à son
domicile n’empêcherait «guère» le Timor-Leste de défendre sa position dans la procédure
d’arbitrage ; cette déclaration figure sous l’onglet n 36 du dossier de plaidoiries . Lors de la6
première réunion de procédure tenue par le tribunal, le Timor-Leste a admis que l’absence des
53 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière, ordonnance du 8 mars 2011,
C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 24, par. 74 ; Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique
c. Sénégal), mesures conservatoires, ordonnance du 28 mai 2009, C.I.J. Recueil 2009, p. 155, par. 69 ; Passage par le
Grand-Belt (Finlande c. Danemark), mesures conservatoires, ordonnance du 29 juillet 1991, C.I.J. Recueil 1991,
p. 17-18, par. 24 et par. 27.
54
Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 267, par. 43.
55Demande en indication de mesures conservatoires, par. 9.
56Australian Broadcasting Corporation, «East Timor spying scandal: Tony Abbott Defends ASIO raids on lawyer
Bernard Collaery’s offices», en date du 4 décembre 2013, peut être consulté sur le site Internet :
<http://www.abc.net.au/news/2013-12-04/asio-arrests-key-witness-in-east-…;. - 33 -
documents en cause ne porterait pas un coup fatal à ses préparatifs en vue de l’arbitrage. M. Lowe
a indiqué, dans ce contexte, que l’enlèvement des documents et données «ne compromettra pas
notre argumentation» (onglet n 4). o
25. Le Timor-Leste s’est contenté d’indiquer qu’un délai supplémentaire de deux semaines
pour préparer son mémoire en demande permettrait de remédier à toute gêne occasionnée, et
l’Australie a accepté ce délai, qui a été incorporé dans l’ordonnance de procédure. Il n’a été fait
mention d’aucun préjudice irréparable, et l’on ne saurait donc en invoquer un à présent.
26. En tout état de cause, les mesures conservatoires demandées n’aideraient pas le
Timor-Leste à cet égard, puisque les documents seraient détenus par la Cour et ne seraient pas mis
à sa disposition.
27. S’agissant de la deuxième allégation de préjudice liée aux questions concernant plus
généralement la mer de Timor, le Timor-Leste a cherché à définir ce préjudice en le rapportant à sa
58
stratégie juridique, «y compris à l’arbitrage et à toute future négociation maritime» (les italiques
sont de moi). Toutefois, avant la conclusion de la procédure d’arbitrage, toute allégation de
36 préjudice susceptible d’être causé à des intérêts plus larges concernant la mer de Timor et ses
ressources n’est que pure spéculation. Pour l’heure, le régime d’exploitation est en effet régi par
les traités de 2002 , 2003 60 et 2006 . Aucune négociation frontalière n’est en cours et aucune
proposition n’a été formulée en ce sens. Pour qu’une mesure conservatoire soit indiquée, il
convient d’avancer des éléments autres que de simples arguments périphériques, spéculatifs ou
aléatoires portant sur des possibilités futures. Et, quoi qu’il en soit, l’engagement que
57Transcript, First Procedural Meeting in the Matter of the Timor Sea Arbitration pursuant to the Timor Sea
Treaty between the Government of East Timor and the Government of Australia of 20 May 2002 between the
Democratic Republic of Timor-Leste and the Commonwealth of Australia, en date du 5 décembre 2013, p. 40, lignes 3-4
(V. Lowe).
58CR 2014/1, p. 43, par. 41 (Wood).
59Timor Sea Treaty between the Government of East Timor and the Government of Australia, conclu à Dili,
20 mai 2002, 2258 UNTS 3 (entré en vigueur le 2 avril 2003) ; onglet n 1.
60Agreement between the Government of Australia and the Government of the Democratic Republic of Timor
Leste relating to the Unitisation of the Sunrise and Troubadour Fields, conclu à Dili, 6 mars 2003, 2483 UNTS 317 (entré
en vigueur le 23 février 2007).
61 Treaty on Certain Maritime Arrangements in the Timor Sea, conclu à Sydney, le 12 janvier 2006,
2483 UNTS 359 (entré en vigueur le 23 février 2007) ; onglet n 2. - 34 -
l’Attorney-General vient de prendre garantit qu’aucun préjudice ne puisse être causé dans ce
second domaine.
b) Absence d’urgence
28. S’il n’existe pas de préjudice irréparable, il ne peut a fortiori y avoir d’urgence exigeant
d’indiquer des mesures conservatoires. Toute appréciation de l’urgence par la Cour est
contextuelle, au sens où celle-ci doit prendre en considération les relations générales entre les
Parties, y compris le point de savoir si d’autres procédures visant à résoudre le différend se
déroulent parallèlement .2
29. Or, de par sa conduite relative aux éléments en cause et son refus d’explorer les autres
voies, rapides et efficaces, qui lui sont ouvertes en la matière, le Timor-Leste a démontré qu’il n’y
avait pas urgence. Ainsi que l’a souligné le Solicitor-General, le Timor-Leste et ses conseillers
juridiques ont eu la possibilité de présenter une réclamation en vertu du droit interne australien
régissant la confidentialité des communications entre un conseil et son client. Depuis
le 5 décembre 2013, il est également loisible au Timor-Leste de demander des mesures
conservatoires au tribunal. Le fait qu’il n’a pas tenté de recourir à ces autres voies judiciaires
viables montre qu’il n’y a aucune urgence qui obligerait la Cour à faire droit à sa demande.
30. A l’évidence, le Timor-Leste n’a pas démontré l’existence d’un préjudice irréparable ou
d’une urgence, et n’a pas satisfait aux critères requis pour l’indication de mesures conservatoires.
31. Je vous prie à présent de donner la parole à M. Crawford. Je vous remercie de votre
attention.
37 Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Burmester. Je donne la parole à M. Crawford qui serait
le dernier à plaider pour l’Australie ce matin. Vous avez la parole, Monsieur.
62Robert Kolb, The International Court of Justice, Hart Publishing, Grande-Bretagne, 2013, p. 631. - 35 -
M. CRAWFORD :
L A DEMANDE NE DEVRAIT PAS ÊTRE EXAMINÉE ,ÉTANT DONNÉ
QUE L ’AFFAIRE EST EN INSTANCE DEVANT LE TRIBUNAL
Introduction
1. Je vous remercie, Monsieur le président. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs
de la Cour, même si le Timor-Leste parvenait à démontrer que les autres conditions régissant
l’indication de mesures conservatoires sont réunies ce qui ne saurait être le cas , une raison
impérieuse justifierait le rejet de sa demande. Cette raison est la suivante : la Cour ne peut ou, en
tout état de cause, ne devrait pas prendre la responsabilité d’indiquer pareilles mesures, alors qu’un
autre organe, le tribunal arbitral constitué en application du traité sur la mer de Timor, s’est déjà
réuni et exerce d’ores et déjà sa compétence à l’égard de l’objet de la présente demande, et ce,
selon un calendrier convenu avec les parties qui devrait aboutir à une décision sur toutes les
questions pendantes avant la fin de l’année. Cela signifie que, même si la Cour a compétence, il
n’est pas nécessaire qu’elle indique les mesures conservatoires sollicitées par le Timor-Leste, ni
d’ailleurs aucune mesure conservatoire.
2. Je commencerai par établir que la présente demande relève, dans son intégralité ou en très
grande partie, de la compétence du tribunal et, d’une manière plus générale, que celui-ci examine
activement les questions qui se posent en matière de garanties d’une procédure régulière. Dans ce
cadre, j’examinerai l’assertion formulée hier par le Timor-Leste selon laquelle la portée des
éléments saisis «va bien au-delà de l’arbitrage» . J’exposerai la position que la Cour devrait
adopter conformément aux articles 33 et 95 de la Charte, eu égard aux questions qui ont été portées
devant une autre juridiction internationale. Enfin, je montrerai l’incidence de ces éléments en ce
qui concerne les conditions de préjudice irréparable et d’urgence, qui régissent l’exercice, par la
Cour, de son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires.
63CR 2014/1, p. 20, par. 10 (Lauterpacht). - 36 -
A. Faculté du tribunal d’indiquer des mesures conservatoires
38
3. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, les juridictions internationales
disposent de moyens pour réglementer certaines questions entre les parties susceptibles de porter
64
atteinte à l’intégrité des procédures qui les opposent . En tout état de cause, le tribunal arbitral est
expressément habilité à indiquer des mesures provisoires s’il l’estime nécessaire. Le paragraphe 1
65
de l’article 21 de son règlement de procédure est repris du règlement facultatif de la CPA .
Il dispose ce qui suit : «A moins que les parties n’en conviennent autrement, le tribunal arbitral
peut, à la demande de l’une ou l’autre partie, prendre toutes mesures provisoires qu’il juge
nécessaires pour la protection des droits de chacune des parties.» 66 Cette dernière expression inclut
le droit à une procédure régulière. La disposition précitée confère au tribunal le pouvoir d’indiquer
des mesures conservatoires telles que celles que le Timor-Leste sollicite, sous réserve que celui-ci
parvienne à démontrer que les différentes conditions régissant l’indication de telles mesures sont
remplies. Le Timor-Leste aurait pu demander que le tribunal exerce ce pouvoir. Au lieu de quoi,
il a décidé d’introduire cette instance parallèle deux semaines plus tard.
4. D’autres caractéristiques de la procédure arbitrale doivent être mentionnées afin de mettre
en perspective cette stratégie contentieuse.
5. Premièrement, le traité sur la mer de Timor de 2002, en vertu duquel la procédure arbitrale
a été introduite, dispose que celle-ci doit être close dans les six mois à compter de la convocation
du tribunal . Le tribunal s’est réuni le 5 décembre de l’année dernière. Si ce délai de six mois a
été fixé, c’est parce que le traité établit un cadre pour l’exploration et l’exploitation
d’hydrocarbures dans l’intérêt des deux Etats ; toute incertitude à cet égard étant coûteuse,
l’objectif était, de toute évidence, de permettre le prompt règlement d’un éventuel différend relatif
au traité pour éviter que ce différend ne s’envenime. Le tribunal a cependant exprimé sa
64
Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires,
C.I.J. Recueil 2004, p. 338–339, opinion individuelle de Mme la juge Higgins.
65Règlement facultatif de la Cour permanente d’arbitrage pour l’arbitrage des différends entre deux Etats,
20 octobre 1992, art. 26, par. 1.
66 Ordonnance de procédure n 1 relative à l’arbitrage, en vertu du traité sur la mer de Timor entre le
Gouvernement du Timor oriental et le Gouvernement de l’Australie en date du 20 mai 2002, entre la République
démocratique du Timor-Leste et le Commonwealth d’Australie, en date du 6 décembre 2013 (règlement de procédure,
art. 21, par. 1) ; onglet n 3.
67Traité sur la mer de Timor entre le Gouvernement du Timor oriental et le Gouvernement de l’Australie, signé
à Dili le 20 mai 2002 (entré en vigueur le 2 avril 2003) ; Nations Unies, Recueil des traités, vol. 2258, p. 4 («Traité sur la
mer de Timor»), annexe B, art. i) ; onglet n 1. - 37 -
préoccupation quant à ce délai, étant donné son obligation de garantir aux deux Parties une
68
procédure régulière . Aussi, l’Australie a-t-elle fait preuve de souplesse, à condition que l’affaire
soit entendue et résolue rapidement. Cela a permis d’aboutir, d’un commun accord, à
39 l’établissement d’un calendrier, les audiences devant être closes le 2 octobre 2014. Le tribunal n’a
pas annoncé la date à laquelle il rendrait sa sentence, mais s’est engagé à la prononcer dans les
69
meilleurs délais .
6. Deuxièmement, le tribunal a été pleinement informé des événements du 3 décembre 2013,
70
dont l’Australie lui a fourni une présentation factuelle , et nul n’a laissé entendre que ces
événements créaient un préjudice irréparable en ce qui concerne la présentation du mémoire du
Timor-Leste.
7. Certaines craintes ont néanmoins été exprimées sur un point. A la demande du
Timor-Leste, le tribunal a ainsi invité l’Australie à trouver une solution au conflit potentiel
découlant du rôle de l’Attorney-General, ministre responsable à la fois de l’Australian Security
Intelligence Organisation [service de renseignement intérieur de l’Australie, ASIO] et de l’équipe
71
juridique de l’Australie dans cet arbitrage . Par une lettre de son agent datée du
19 décembre 2013, l’Australie a communiqué au tribunal un engagement écrit de
72
l’Attorney-General à résoudre ce conflit potentiel , engagement qui a été confirmé et prorogé
aujourd’hui.
8. Troisièmement se pose la question essentielle de la confidentialité. Le Timor-Leste a prié
le tribunal d’autoriser la tenue en public de l’ensemble de la procédure d’arbitrage, qu’il s’agisse de
la phase écrite ou de la phase orale, n’envisageant que des mesures limitées pour protéger l’identité
des témoins. Il souhaitait en effet que les parties puissent commenter librement la procédure dans
68Minute de la première réunion de procédure relative à l’arbitrage en vertu du traité sur la mer de Timor entre le
Gouvernement du Timor oriental et le Gouvernement de l’Australie en date du 20 mai 2002, entre la République
o
démocratique du Timor-Leste et le Commonwealth d’Australie, en date du 5 décembre 2013 ; onglet n 4, p. 47,
lignes 12-13 (président).
69Minute, onglet n 4, p. 47, lignes 9–18 (président).
70Minute, onglet n 4, p. 31, lignes 3–17 (Reid).
71 o
Minute, onglet n 4, p. 50, lignes 9–24 (Lowe), p. 72, lignes 8–9 (président).
72Arbitrage en vertu du traité sur la mer de Timor, engagement écrit de M. George Brandis, Q.C., sénateur et
Attorney-General du Commonwealth d’Australie, en date du 19 décembre 2013 ; onglet n 5. - 38 -
les médias . L’Australie a soulevé une objection, et le tribunal y a accédé. La procédure, écrite et
orale, doit être confidentielle, même si les parties peuvent faire de brèves déclarations factuelles à
des moments opportuns, par exemple lors du dépôt des pièces de la procédure écrite . La sentence
elle-même, soumise à toute expurgation nécessaire, sera publique. Compte tenu de ces mesures
que le tribunal a prises pour de justes motifs, il est permis de penser que la présente instance a
notamment été introduite pour tourner les dispositions en matière de confidentialité et profiter
pleinement de l’occasion pour faire une mauvaise publicité à l’Australie et la dénigrer.
40 9. Il est vrai que l’Australie conteste la compétence du tribunal, au motif, notamment, que le
75
différend concerne le traité relatif à certains arrangements et relève donc de l’article 11 de cet
instrument et non de l’article 23 du traité sur la mer de Timor de 2002. Mais cette question est
manifestement du ressort du tribunal. Savoir si celui-ci est compétent pour indiquer des mesures
conservatoires, telles que celles que le Timor-Leste sollicite, en est une autre. Il s’agit en effet de
déterminer si la compétence du tribunal est suffisante, non pas en soi, mais prima facie, pour
fonder une ordonnance en indication de mesures conservatoires en vertu du paragraphe 1 de
l’article 21 de son règlement de procédure. Comme je l’ai précisé, l’Australie s’est montrée souple
et raisonnable sur les questions procédurales et nous acceptons l’autorité du tribunal, dans l’attente
de sa sentence, pour veiller au caractère régulier de la procédure.
10. Dès lors, ce n’est pas l’exception d’incompétence soulevée par l’Australie qui contraint
le Timor-Leste à se présenter devant la Cour plutôt que devant l’organe déjà institué pour trancher
le différend plus vaste.
B. L’argument du Timor-Leste selon lequel la question des éléments saisis dépasse la
compétence du tribunal
11. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le Timor-Leste a avancé hier
que la portée des documents et données saisis, et je cite M. Lauterpacht, «[allait] bien au-delà de
73 Minute, onglet n 4, p. 7, lignes 5–17 (da Fonseca), 74, lignes 8–14 (Lowe).
74 o o o
Ordonnance de procédure n 1, onglet n 3, art. 26 ; minute, onglet n 4, p. 83, lignes 14–21 (Lowe), p. 84,
lignes 8–10 (Reid).
75 Traité entre l’Australie et la République démocratique de Timor-Leste relatif à certains arrangements maritimes
dans la mer de Timor, signé à Sydney le 12 janvier 2006, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 2483, p. 359 (2007)
o
(entré en vigueur le 23 février 2007) ; onglet n 2. - 39 -
76
l’arbitrage» . Il en résulte, selon lui, que le tribunal n’est pas compétent pour ordonner leur
restitution ou décider de toute autre mesure appropriée les concernant. Ce n’est pourtant pas ainsi
que le Timor-Leste a présenté les choses jusqu’à présent.
12. La requête qui vous a été soumise mentionne spécifiquement les «documents établis
uniquement ou principalement dans le cadre d’un différend juridique» actuellement examiné par le
tribunal, renvoyant cependant aussi, sans plus de précision, aux «documents et données à l’égard
77
desquels le Timor-Leste a un intérêt souverain protégé par le droit international» .
13. La demande en indication de mesures conservatoires est encore plus claire. Le
Timor-Leste décrit les documents et données qui en constituent l’objet et celui de la requête
dans l’instance principale de la manière suivante [projection, onglet n 37] :
«documents et données contenant une correspondance échangée entre le
Gouvernement du Timor-Leste et ses conseillers juridiques, parmi lesquels certains
41 documents se rapportant à la conduite de l’arbitrage qui se déroule actuellement entre
le Timor-Leste et l’Australie en application du traité sur la mer de Timor» . 78
o
Il précise ensuite que la demande a notamment pour objet [projection suivante, onglet n 38]
«de mettre fin à l’entrave illicite à la conduite des affaires du Timor-Leste causée par
la saisie et la détention des documents et données, en particulier (mais pas seulement)
en ce qui concerne la conduite de l’arbitrage qui se déroule actuellement entre les deux
Etats en application du traité sur la mer de Timor» [fin de projection].
14. Même s’il ne s’agit pas là du seul objet de la requête et de la demande, c’est
manifestement leur objet principal. En tout état de cause, le fait que cela entre dans le cadre du
différend examiné par le tribunal est suffisant. De fait, la première fois que le Timor-Leste a
demandé à l’Australie de restituer les documents en question, c’était à l’audience préliminaire
80
tenue le 5 décembre 2013 devant le tribunal .
15. Par ailleurs, dans sa réponse du 23 décembre 2013 à l’engagement écrit de
81
l’Attorney-General, le Timor-Leste a indiqué :
76
CR 2014/1, p. 20, par. 10 (Lauterpacht).
77Requête introductive d’instance, par. 5.
78Demande en indication de mesures conservatoires, par. 3.
79
Ibid., par. 5, les italiques sont de nous.
80Procès-verbal, onglet n 4, p. 36, lignes 8-17, p. 89, lignes 21-23 (Lowe).
81Lettre du 23 décembre 2013 adressée à l’agent de l’Australie par l’agent du Timor-Leste ; observations écrites
de l’Australie, annexe 15, par. 7 ; les italiques sont de nous. - 40 -
«[qu’il] consid[érait] que les positions que prend ou devrait prendre l’Australie
(que ce soit dans la procédure d’arbitrage elle-même ou dans tout autre cadre)
concernant i) les instruments juridiques en cause dans l’arbitrage conduit en
application du traité sur la mer de Timor, ii) l’exploitation des ressources de la mer du
Timor et iii) plus généralement, les relations qu’entretient l’Australie avec le
Timor-Leste, sont autant de questions liées à l’arbitrage.»
La formulation choisie par le Timor-Leste, «sont autant de questions liées à l’arbitrage», a un
caractère exhaustif. Elle implique que tout document saisi qui a trait à ces questions se rapporte,
selon lui, nécessairement à l’arbitrage.
16. Les documents et données étant actuellement inaccessibles, il est difficile d’être plus
précis. La liste des biens saisis n’indique pas clairement que tel ou tel document ne serait pas lié à
82
l’arbitrage . A l’audience préliminaire tenue devant le tribunal, M. Lowe a par ailleurs affirmé
que «[leurs] documents concernant la présente affaire [avaient] été saisis par le défendeur et
83
n’[étaient] donc plus en [leur] possession» . Au cours de cette même audience, il a en outre
42 84
indiqué que la liste de documents fournie par M. Collaery au Gouvernement du Timor-Leste
mettait en évidence l’«importance de ces documents» aux fins de la préparation du Timor-Leste en
85
vue de l’arbitrage . Et hier, sir Michael Wood a observé que, «[p]our autant que le sache le
Timor-Leste, il [était] probable que la quasi-totalité des documents saisis se rapportent à la stratégie
86
juridique du Timor-Leste, y compris à l’arbitrage et à toute future négociation maritime» .
Rappelons que la question soumise au tribunal concerne le moratoire relatif à ces négociations.
17. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, la situation peut se résumer
ainsi. Le tribunal a clairement la faculté d’ordonner des mesures conservatoires à l’égard de
n’importe lequel des documents saisis qui se rapporterait à l’arbitrage. Etant donné qu’il n’existe
pas de preuves convaincantes hormis les simples affirmations formulées hier devant la Cour
démontrant qu’il se trouve, parmi les éléments saisis, des documents qui ne sont pas liés à
l’arbitrage, et que personne ne peut les examiner, le tribunal ne serait pas en mesure de rendre une
ordonnance s’appliquant exclusivement aux éléments relatifs à l’arbitrage. Le tribunal a donc
nécessairement aussi la faculté de rendre une ordonnance susceptible de porter sur des documents
82
Liste des biens saisis par l’ASIO en date du 3 décembre 2013, observations écrites de l’Australie, annexe 11.
83 Procès-verbal, onglet n 4, p. 29, lignes 11-13 (Lowe) ; les italiques sont de nous.
84 Lettre du 5 décembre 2013 adressée à S. Exc. J. da Fonseca par M. B. Collaery, onglet n 19.
85 o
Procès-verbal, onglet n 4, p. 42, lignes 24-25, p. 43, lignes 1-3 (Lowe).
86 CR 2014/1, p. 43, par. 41 (Wood). - 41 -
liés ou non à l’arbitrage, même s’il ne serait, en temps normal, pas compétent à l’égard de tels
documents.
18. Faute de description précise de ces documents et données et compte tenu des
circonstances, la Cour devrait, en la présente espèce, partir du principe que les documents saisis
concernent pour l’essentiel le différend porté devant le tribunal. Or, s’il était question de ce
différend et de cette procédure d’arbitrage, nous ne serions pas ici aujourd’hui.
19. Le Timor-Leste en a bien évidemment pris conscience, quoique tardivement. Ainsi, dans
une lettre adressée le 30 décembre 2013 à la Cour permanente d’arbitrage, il a précisé qu’«il ne
considérait pas la procédure introduite contre l’Australie devant la Cour internationale de
Justice … comme une procédure incidente de l’arbitrage en vertu du traité sur la mer de Timor» . 87
En réalité, ni l’Australie, ni la CPA n’avait qualifié cette procédure d’«incidente», alors même que
43 cette qualification est exacte. La requête introductive d’instance, et plus particulièrement la
demande en indication de mesures conservatoires laquelle nous occupe aujourd’hui sont des
procédures incidentes découlant d’un différend dont une autre instance judiciaire est déjà saisie.
C. La position de la Cour par rapport aux autres juridictions internationales
20. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, cela m’amène à ma troisième
remarque importante, à savoir la position de la Cour par rapport aux autres juridictions
internationales. A cet égard, je pourrai fort heureusement être bref, car les choses sont claires et
bien établies.
21. La Cour est bien entendu l’organe judiciaire principal de l’Organisation des
Nations Unies. Cependant, en ce qui concerne les différends entre Etats qui ne relèvent pas des
activités de l’Organisation des Nations Unies et le présent différend en est un , elle est une
juridiction exerçant des pouvoirs qui lui sont attribués, et dont la compétence dépend du
consentement des Etats. Par ailleurs, elle n’a pas intrinsèquement priorité et je dis cela avec le
plus grand respect sur les autres organes auxquels les Etats ont spécifiquement consentis, et ne
constitue pas, en tant que telle, une juridiction d’appel ou ayant un pouvoir de révision, à moins que
pareille priorité ou autorité ne lui ait expressément été conférée. Tout cela ressort clairement de
87 Lettre du 30 décembre 2013 adressée à la Cour permanente d’arbitrage par le coagent du Timor-Leste ;
observations écrites de l’Australie, annexe 48. - 42 -
l’article 33 de la Charte, qui exprime la règle fondatrice de la compétence judiciaire en matière de
différends interétatiques, à savoir l’exigence du consentement des Etats, et le principe afférent du
libre choix des moyens.
22. Cette position est même encore plus claire, si tant est que cela soit possible, dans des
affaires telles que la présente espèce où la compétence de la Cour est soumise à la réserve énoncée
au paragraphe a) de la déclaration faite par l’Australie au titre de la clause facultative, qui exclut
[projection ; onglet n 39 du dossier de plaidoiries] «tout différend pour lequel les parties ont
88
convenu ou conviennent d’avoir recours à une autre méthode de règlement pacifique» .
En l’occurrence, les Parties sont convenues, à l’article 23 du traité sur la mer de Timor, de régler
les différends ayant trait à cet instrument au moyen d’un régime d’arbitrage spécial, et, à
l’article 11 du traité relatif à certains arrangements, d’avoir à cet effet recours à la négociation. De
surcroît, le tribunal est déjà saisi de la question de savoir si c’est l’article 23 du traité sur la mer de
Timor ou l’article 11 du traité relatif à certains arrangements qui s’applique. L’Australie lui a
communiqué, avant la réunion du 5 décembre, une déclaration par laquelle elle soulevait des
89
exceptions d’incompétence , et cette question est déjà inscrite à l’ordre du jour des audiences. Dès
lors, la Cour va-t-elle statuer sur cette question à la place du tribunal et, dans l’affirmative, à quel
44 moment ? L’Australie a consenti à ce que les différends relatifs au traité sur la mer de Timor soient
réglés par voie d’arbitrage dans les meilleurs délais. Comme cela ressort du paragraphe a) de la
déclaration qu’elle a faite au titre de la clause facultative, elle n’a cependant pas consenti au report
indéfini du règlement de ses problèmes dans le cadre de procédures soumises à la Cour. D’ici à ce
que celle-ci examine la requête et les questions qu’elle soulève, le différend sous-jacent aura déjà
été tranché, avec l’autorité de la chose jugée, par le tribunal. [Fin de projection.]
23. Je ne doute pas que la partie adverse invoquera le principe du parallélisme des
instruments attributifs de compétence et qu’elle citera, pour étayer cet argument, des arrêts tels que
88 Déclaration de l’Australie en date du 22 mars 2002, signée par l’honorable A.J.G. Downer, ministre des
affaires étrangères [onglet n 39].
89
Exceptions d’incompétence présentées par l’Australie en l’affaire de l’arbitrage en vertu du traité sur la mer de
Timor conclu entre le Timor oriental et l’Australie le 20 mai 2002 entre la République du Timor-Leste et le
Commonwealth d’Australie, 28 novembre 2013 [OEA, annexe 47]. - 43 -
celui qui a été rendu en l’affaire Nicaragua c. Colombie (exceptions préliminaires) . Mais, dans0
cette affaire, il s’agissait d’acceptations parallèles de la juridiction générale au titre de la clause
91
facultative et d’un pacte régional général de règlement des différends, le pacte de Bogotá . Il ne
s’agissait pas d’une clausula speciala régissant une situation particulière, comme c’est le cas de
l’article 23 du traité sur la mer de Timor. De plus, la déclaration faite par la Colombie au titre de la
clause facultative ne contenait pas de réserve équivalente au paragraphe a) de la déclaration de
92
l’Australie . Enfin, dans cette affaire, la Cour a pris soin de donner plein effet à la réserve énoncée
à l’article VI du pacte de Bogotá, qui constituait la différence essentielle entre les deux instruments
parallèles. De la même façon, je vous invite respectueusement à reconnaître en l’espèce le régime
spécial d’arbitrage prévu à l’article 23 du traité sur la mer de Timor ainsi que la compétence du
tribunal et les décisions rendues par celui-ci en application de cet instrument, et de leur donner
plein effet.
24. Dès lors, quand bien même la Cour conclurait prima facie que les deux juridictions ont
concurremment compétence, nonobstant l’accord des parties sur des modalités spécifiques de
règlement des différends dans le cadre de traités bilatéraux conclus en 2002 et 2006, nous
affirmons respectueusement que la Cour ne devrait pas exercer la sienne à ce stade, étant donné
qu’une procédure est déjà en cours devant l’autre juridiction. Suivre à la lettre le principe du
parallélisme des compétences ne fera qu’encourager la saisine par les parties à un différend de la
juridiction qui leur est la plus favorable, le conflit de juridictions et leur fragmentation, et favoriser
indûment les demandeurs successifs. Concrètement, le Timor-Leste doit-il être autorisé à faire
appel de la décision prise par le tribunal en matière de confidentialité, décision qui lui est
défavorable ? Doit-il être autorisé à faire traîner la procédure pendant des années en dépit de la
disposition du traité de 2002 qui prévoit expressément le règlement rapide des différends ? Si la
clause facultative doit être transformée en un moyen d’exercer un contrôle sur les arbitrages, alors
45 tant pis pour elle ! D’ailleurs, sir Elihu n’a-t-il pas suggéré que l’Australie
90 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 872-873, par. 132-136.
91
Traité américain de règlement pacifique («Pacte de Bogotá»), 30 avril 1948, OEA, Recueil des traités, vol. 17
et 61 (entré en vigueur le 6 mai 1949).
92
Déclaration de la Colombie en date du 30 octobre 1937. La Colombie a notifié au Secrétaire général la
résiliation de cette déclaration le 5 décembre 2001. - 44 -
«dépose une requête en indication de mesures conservatoires auprès du tribunal
arbitral aux fins d’interdire au Timor-Leste de déposer la présente requête devant la
Cour internationale dans la mesure où l’Australie soutient qu’elle a une incidence sur
93
des questions relevant de la compétence [de ce] tribunal arbitral» ?
Evidemment, et le Timor-Leste le reconnaît lui-même, que la demande en cause a une incidence
sur des questions relevant de la compétence du tribunal, mais voilà exactement le genre de
manœuvres juridictionnelles qui discréditerait le système de règlement des différends
internationaux et auquel la Cour ne voudrait pas voir les autres juridictions se livrer, pas plus
qu’elle-même ne souhaite se livrer.
25. La décision prise en l’affaire de l’Usine MOX constitue un bon exemple d’ajustement
approprié des relations entre différentes juridictions internationales. Dans cette affaire, un tribunal
arbitral avait été constitué en vertu de l’annexe VII de la CNUDM . La compétence du tribunal
dépendait d’une question de droit européen sur laquelle la Cour européenne de justice allait être
appelée à statuer à brève échéance, question à l’égard de laquelle elle avait seule compétence entre
les parties à cette affaire . Il ne s’agissait pas d’un cas de compétence concurrente indirecte ou
96
incidente, comme dans l’affaire du Rhin de fer , et, contrairement à ladite affaire, la compétence
du tribunal en l’affaire de l’Usine MOX était contestée par une des parties sur le fondement du droit
97
européen . Le tribunal saisi de l’affaire de l’Usine MOX a suspendu sa procédure au motif
o
qu’[projection ; onglet n 40] «une procédure qui pourrait déboucher sur deux décisions
contradictoires sur la même question ne contribuerait pas à la résolution du différend entre les
98
Parties» , et vous pouvez lire ce passage dans son intégralité à l’écran [fin de projection].
26. Après ces considérations générales concernant la manière dont la Cour interagit avec
d’autres tribunaux internationaux en ce qui concerne des affaires qui ont été portées devant eux,
j’en viens maintenant à la question plus spécifique des mesures conservatoires. Il peut arriver, dans
le cas regrettable d’une pluralité de procédures, qu’une ordonnance rendue par une juridiction et
93CR 2014/1, p. 32, par. 34 5) (Lauterpacht).
94
Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, Montego Bay, 10 décembre 1982, Nations Unies, Recueil
des traités, vol. 1836, p. 42 (entrée en vigueur le 28 juillet 1994) («CNUDM»).
95
Usine MOX, p. 318-320.
96 Dans le cadre de l’arbitrage relatif à la ligne du Rhin de fer («Ijzeren Rijn») entre le Royaume de Belgique et
le Royaume des Pays-Bas, CPA, sentence du tribunal arbitral, 24 mai 2005.
97Usine MOX, p. 317-318.
98Usine MOX, p. 318-320 [onglet n 40]. - 45 -
affectant le déroulement d’une procédure conduite parallèlement devant une autre instance
aboutisse à des situations de conflit et de confusion. En l’espèce, les deux institutions concernées
risquent de se croiser tels des fantômes dans les couloirs du Palais de la Paix, couloirs que hantent
déjà suffisamment de spectres, me semble-t-il.
27. Il existe une situation et une seule, pour autant que je puisse en juger dans laquelle
46
une instance judiciaire internationale exerce sa compétence consistant à indiquer des mesures
conservatoires dans le cadre d’un différend pendant devant une autre juridiction. Il s’agit de
l’hypothèse prévue au paragraphe 5 de l’article 290 de la CNUDM, qui dispose [projection,
onglet n 41] que, «[e]n attendant la constitution d’un tribunal arbitral», le TIDM «peut prescrire,
modifier ou rapporter des mesures conservatoires … s’il considère, prima facie, que le tribunal
devant être constitué aurait compétence et s’il estime que l’urgence de la situation l’exige» . Deux
points essentiels méritent toutefois d’être relevés au sujet de cette disposition.
28. Premièrement [projection suivante], ce pouvoir n’est conféré qu’«en attendant la
constitution [du] tribunal arbitral [qui doit être] saisi d’un différend» ; autrement dit, le TIDM n’a
la faculté de prescrire des mesures conservatoires que dans le cas où le tribunal prévu à
l’annexe VII n’est pas encore constitué.
29. Deuxièmement [projection suivante], le tribunal de l’annexe VII, une fois constitué, a le
pouvoir de modifier ces mesures conservatoires, ce qui ne s’appliquerait pas ici.
30. En l’absence de texte équivalent au paragraphe 5 de l’article 290, le risque de conflit est
réel. Indépendamment de la teneur des documents et données saisis, la raison pour laquelle
l’Australie les a pris et les circonstances qui ont entouré cette opération seront probablement
examinés par le tribunal ; du reste, il en a déjà été question à l’audience préliminaire. Quelle que
soit la portée des éléments saisis, il existe un risque réel que des décisions parallèles soient rendues
par la Cour et le tribunal quant au comportement de l’Australie à l’égard de ces éléments.
31. Par ailleurs, le tribunal est manifestement le mieux placé pour connaître de l’objet de la
demande. En raison des délais très courts que prévoit son calendrier, qui a été fixé d’un commun
99CNUDM, art. 290, par. 5. - 46 -
accord, il sera certainement en mesure de régler le différend qui lui a été soumis bien avant que la
Cour ne puisse se prononcer au fond, voire sur la question de sa compétence.
32. Un autre élément explique que le tribunal constitue l’enceinte la plus appropriée aux fins
de la présente demande. Une juridiction appelée à indiquer des mesures conservatoires doit en
effet avoir une certaine connaissance des aspects factuels du différend sous-jacent. Elle peut même
être amenée à devoir se faire un premier avis à cet égard. En l’espèce, le différend qui vous a été
soumis est pour reprendre les termes du Timor-Leste , une «procédure incidente» découlant
d’un différend plus large dont le Timor-Leste a délibérément choisi de saisir un autre organe
47 judiciaire. Aussi le tribunal aura-t-il connaissance de faits qui ne sont pas directement en cause
dans la procédure introduite devant la Cour, mais qui peuvent se révéler pertinents aux fins d’une
décision relative à l’indication de mesures conservatoires telles que celles qui sont sollicitées.
33. Et il en va forcément ainsi. La Cour ne peut, forcément, avoir une aussi bonne
connaissance de l’arbitrage en cours que le tribunal spécialement constitué à cet effet.
34. Ainsi les droits qu’il s’agit de protéger à l’aide des mesures conservatoires sollicitées
100
doivent-ils être plausibles . Cela s’applique également aux prétendus droits afférents aux
documents et données dont le Timor-Leste affirme qu’ils sont couverts par la confidentialité propre
aux communications entre l’avocat et son client . Or, le Solicitor-General a déjà démontré, et
M. Campbell l’a confirmé, que l’existence d’une protection absolue des communications entre les
avocats et leurs clients ne faisait pas consensus sur le plan international. Les Etats prévoient des
exceptions à cette confidentialité en cas, notamment, d’infraction pénale, de fraude, de conflit avec
102
une valeur jugée supérieure ou d’abus de droit , exceptions qui sont fonction des faits du
différend sous-jacent. Le tribunal est donc bien plus à même de juger du caractère plausible des
droits dont la protection est recherchée.
100Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), mesures conservatoires,
ordonnance du 28 mai 2009, C.I.J. Recueil 2009, p. 151. Voir également, Certaines activités menées par le Nicaragua
dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures conservatoires, ordonnance du 8 mars 2011,
C.I.J. Recueil 2011, p. 18 ; Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar
(Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), mesures conservatoires, ordonnance du 18 juillet 2011,
C.I.J. Recueil 2011 (II), p. 545, par. 33.
101Demande en indication de mesures conservatoires, par. 6.
102
Observations écrites de l’Australie, note de bas de page 76 ; Summary of Municipal Laws on Legal
Professional Privilege/Confidentiality : Scope and Exceptions [OEA, annexe 32]. - 47 -
D. Conséquences à l’égard des conditions de préjudice irréparable et d’urgence
35. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, il découle nécessairement de
ce qui précède que, dans la situation à l’examen, les conditions, étroitement liées, du préjudice
irréparable et de l’urgence ne sont pas réunies.
36. Il n’y a pas d’urgence. Et certainement pas à un degré tel qu’il serait impossible pour le
Timor-Leste d’introduire, auprès du tribunal, une demande en indication de demandes
conservatoires et d’en attendre l’issue. S’il avait présenté pareille demande le 5 décembre dernier,
il aurait déjà obtenu une réponse. S’il l’avait présentée le 17 décembre au lieu d’introduire la
présente instance , il serait, là encore, déjà fixé. La situation du Timor-Leste est le contraire
d’une situation d’urgence, et c’est lui-même qui s’y est placé en choisissant d’engager une
procédure parallèle, qui a entrainé des délais supplémentaires, alors qu’il disposait d’un recours
immédiat.
48 E. Conclusions
37. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, pour les raisons ainsi
exposées, la Cour ne devrait indiquer aucune des mesures sollicitées par le Timor-Leste. Outre les
autres points soulevés par l’Australie ce matin, cette conclusion s’impose particulièrement au
regard du préjudice irréparable qui pourrait être causé à l’Australie par l’indication des mesures
demandées et des engagements supplémentaires pris par l’Australie.
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ainsi s’achève le premier tour de
plaidoiries de l’Australie. Je vous remercie de votre attention.
Le PRESIDENT : Monsieur Crawford, voilà qui clôt effectivement le premier tour des
observations orales de l’Australie. Avant de lever l’audience, je donne la parole à
MM. les juges Bennouna, Cançado Trindade et Yusuf, à Mme la juge Donoghue et à
M. le juge Greenwood, qui souhaitent poser des questions aux Parties. Judge Bennouna, you have
the floor.
M. le juge BENNOUNA : Je vous remercie, Monsieur le président. Ma question s’adresse à
la délégation australienne : - 48 -
«La délégation australienne pourrait-elle expliquer à la Cour pourquoi le
mandat de perquisition a été émis le 2 décembre 2013 et mis à exécution
le 3 décembre, soit deux jours avant la première audience du tribunal arbitral, tenue
le 5 décembre 2013 ?»
Je vous remercie, Monsieur le président.
The PRESIDENT: Thank you, Judge Bennouna. I now give the floor to
Judge Cançado Trindade. Sir, you have the floor.
M. le juge CANÇADO TRINDADE : Merci beaucoup, Monsieur le président. Ma question
s’adresse aux deux Parties, le Timor-Leste et l’Australie.
«Quel est l’impact des mesures prises par un Etat invoquant la sécurité
nationale sur le déroulement de la procédure arbitrale entre les Parties ? Quel est, en
particulier, l’effet ou l’impact de la saisie de documents et données, dans les
circonstances de l’espèce, sur le règlement d’un différend international par voie de
négociation et d’arbitrage ?»
Je vous remercie.
Le PRESIDENT : Merci, Monsieur le juge Cançado Trindade. Je donne à présent la parole à
M. le juge Yusuf.
49 M. le juge YUSUF : Je vous remercie, Monsieur le président. Ma question s’adresse
également aux deux Parties. Je voudrais leur poser la question suivante :
«Selon les Parties, à qui appartenaient les différents éléments inscrits sur la liste
des biens saisis établie par l’ASIO le 3 décembre 2013, ainsi que leur contenu, au
moment où ces éléments ont été saisis ?»
Je vous remercie, Monsieur le président.
Le PRESIDENT : Merci beaucoup, Monsieur le juge Yusuf. Je donne à présent la parole à
Mme la juge Donoghue. Vous avez la parole, Madame.
Mme la juge DONOGHUE : Je vous remercie, Monsieur le président.
«Je souhaite poser deux questions à l’Australie concernant l’engagement de
l’Attorney-General qui a été communiqué aujourd’hui à la Cour.
Ma première question a trait à la phrase introductive du paragraphe figurant en
page 2 de la version originale. J’aimerais que soit clarifié le sens du premier «or» de la
première ligne. Autrement dit, dans quelles circonstances l’engagement de
l’Attorney-General expirerait-il avant l’arrêt de la Cour ? - 49 -
Ma seconde question se rapporte elle aussi au paragraphe figurant en page 2 de
la version originale. J’aimerais que soit précisé le lien entre le point 3) et le point 4),
étant donné que ce dernier commence par l’expression «Sans préjudice de ce qui
précède». Si l’Australie souhaite, «à des fins de sécurité nationale», fournir des
éléments ou informations qui auraient été obtenus à une partie du Gouvernement
australien exerçant des responsabilités dans les domaines décrits au point 4),
pourrait-elle le faire tout en respectant l’engagement de l’Attorney-General ?»
Je vous remercie.
Le PRESIDENT : Merci beaucoup. Je donne à présent la parole à M. le juge Greenwood.
M. le juge GREENWOOD : Je vous remercie, Monsieur le président. Ma question s’adresse
à l’Australie et concerne également les termes employés dans le nouvel engagement présenté à la
Cour aujourd’hui. La question se compose de deux parties :
«1) L’Australie certifie-t-elle qu’aucune information obtenue à partir des documents
saisis ou de notes qui auraient été prises au cours de l’exécution du mandat de
perquisition n’a, à ce stade, été communiquée à une quelconque personne
participant à la procédure d’arbitrage ou susceptible de participer aux négociations
ayant trait aux questions auxquelles il est fait référence au paragraphe 4 de cet
engagement ?
2) Dans l’hypothèse où une action serait engagée en Australie, un quelconque
document saisi ou renseignement obtenu à partir des documents saisis sera-t-il
divulgué dans le cadre de la procédure, de sorte qu’il pourrait être porté à la
50 connaissance de personnes participant à l’arbitrage, à la procédure devant la
présente Cour ou à toute négociation du type de celles que j’ai mentionnées ?»
Je vous remercie, Monsieur le président.
Le PRESIDENT : Merci, Monsieur le juge Greenwood. Le texte de ces questions sera
adressé aux Parties dès que possible. Celles-ci sont invitées à donner leur réponse oralement au
cours des présentes audiences. Le Timor-Leste peut présenter, s’il le souhaite, des observations
écrites sur les réponses de l’Australie aux questions posées aujourd’hui, qu’il lui faudra soumettre
dès que possible et, au plus tard, le vendredi 24 janvier 2014 à 18 heures. La Cour se réunira de
nouveau demain matin à 10 heures pour entendre le second tour des observations orales du
Timor-Leste. L’audience est levée.
L’audience est levée à 12 h 5.
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